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"content": "Guillaume Durand : On en arrive maintenant à la conception que vous avez l'un et l'autre de la Présidence de la République. Tout au long de cette campagne, M. Chirac, vous avez parlé de la démocratisation nécessaire du régime de la Monarchie Républicaine à la Française, et vous vous définissez, M. Jospin, comme un Président citoyen. Qu'est-ce qui va concrètement changer ? Est-ce que finalement, l'un et l'autre, vous ne marquez pas une rupture par rapport à ce qu'on appelait traditionnellement la Monarchie Républicaine à la Française ? M. Chirac ? Jacques Chirac : Nous avons des institutions très remarquables, de mon point de vue. Elles nous ont été données par le Général de Gaulle, elles ont de la souplesse et de l'efficacité. Mais naturellement les textes sont les textes et la manière de les interpréter peut varier. Et nous avons assisté, au fil des temps, à une dérive monarchique des institutions, c'est-à-dire que de plus en plus le Président de la République, au lieu d'être ce qu'il doit être, c'est-à-dire un arbitre, l'homme qui est le porteur d'une vision de l'avenir, l'homme qui donne l'impulsion aux choses, est devenu une sorte de super Premier Ministre, assumant l'ensemble des responsabilités. A partir de là, les institutions se sont modifiées, et petit à petit le politique a réellement perdu son pouvoir. Cela a été vrai pour le Gouvernement et également pour le Parlement. Alors que faut-il faire ? Je crois qu'il faut d'abord rééquilibrer les institutions et c'est ce à quoi je m'engage, c'est-à-dire faire en sorte que le Président de la République assume les fonctions de Président qui sont les siennes. Pour donner des exemples, je dirais que, si je suis élu, l'un de mes premiers gestes, c'est à titre symbolique, sera d'abroger le décret d'août 85 qui a porté de 35 à 143 le nombre de dirigeants des entreprises publiques nommés par le Chef de l'Etat. Ou bien, deuxième geste, une diminution très importante. considérable, du train de vie de l'Etat, aussi bien du Président que du Gouvernement, qui me paraît tout à fait excessif, voire insolent, dans un pays qui connaît les difficultés que nous connaissons. Le Gouvernement doit gouverner. Nous sommes dans un régime parlementaire, nous ne sommes pas dans un régime présidentiel. Le Gouvernement doit gouverner, c'est-à-dire assumer lui-même la responsabilité et les décisions, et là cela suppose que l'administration soit à la place qui doit être la sienne. Nous avons une administration admirable, mais elle ne doit pas se substituer au politique. Pour prendre un exemple concret, je dirai que le fâcheux développement des cabinets ministériels, spécialité française, doit être impérativement supprimé. Le Parlement doit pouvoir légiférer, il doit pouvoir contrôler normalement l'action du Gouvernement. Pour donner là encore un exemple, je dirais que, dès le début, si je suis élu, je demanderai au Parlement d'une part de faire un audit général, avec les moyens dont il se dotera, de la dépense publique, pour faire en sorte que l'on dépense mieux et pas toujours plus, et d'autre part que l'on codifie des lois qui sont devenues si nombreuses, si obscures, qu'elles paralysent littéralement la vie des citoyens comme des entrepreneurs. Enfin je terminerais par naturellement la nécessité d'une justice indépendante. On a fait des progrès avec le Conseil Supérieur de la Magistrature et on peut encore en faire, notamment par l'interdiction officielle, et non plus seulement de facto comme aujourd'hui, pour le Ministre de la Justice d'interdire à un procureur de poursuivre. Enfin, il faut un peu plus de démocratie : c'est l'élargissement du champ du référendum, c'est également la possibilité pour les minorités d'obtenir le droit d'avoir une mission d'enquête. Quant aux citoyens, je souhaite qu'une Charte des Citoyens leur reconnaisse des droits spécifiques, ce qui n'est le cas aujourd'hui, et qu'il y ait une véritable codification de tous nos règlements trop nombreux et trop paralysants. Alain Duhamel : M. Jospin, à la fois votre réponse à M. Chirac et puis vos propres thèses. Lionel Jospin : Sur quelques points, à condition qu'on voit si les contenus concrets sont les mêmes, ce qui n'est pas tout à fait sûr, je peux rejoindre des préoccupations exprimées par Jacques Chirac, ce qui n'est pas anormal compte-tenu d'un certain nombre de problèmes qui peuvent se poser traditionnellement à un État. Mais plus fondamentalement et d'abord, ce que je voudrais dire, c'est que mon diagnostic est assez sensiblement différent du sien et on comprendra donc que mes propositions de changement de la pratique de pouvoir en France sont d'une toute autre ampleur que celle qu'évoquait Jacques Chirac à l'instant. Lui pense, et il l'a dit, qu'au fond il y a une sorte de dérive monarchiste qui concernerait des individus, en ce qui concerne l'évolution de ce système constitutionnel. Moi, j'ai un point de vue différent : je pense qu'il y a un vieillissement de ce système institutionnel, dont il faut garder l'essentiel, bien sûr, j'en suis d'accord, mais qui est un système qui a été conçu dans les années 50, à une toute autre époque du point de vue culturel, du point de vue des modes de commandement, du point de vue de la société, qui a été conçu dans une période très particulière de l'histoire de France, au moment de la décolonisation et des crises qui s'en sont suivies, et qui a été conçu quand même pour un homme exceptionnel, mais offrant des caractéristiques assez particulières : le Général de Gaulle. Donc ce n'est pas une question de dérive monarchiste, et M. Chirac d'ailleurs quand il aborde la thérapeutique, reste dans la même logique ; il dit : \"Il suffit que l'homme qui sera Président de la République, lui dans son hypothèse, offre la garantie que les choses fonctionneront comme elles doivent fonctionner pour qu'il n'y ait plus d'inconvénients\". Moi, ma vision est très différente : je pense que s'il y a une crise du politique en France, ce n'est pas dû naturellement qu'aux problèmes institutionnels, mais que c'est aussi dû à cela. Je fais donc des propositions d'une toute autre ampleur, et à mon avis très importantes : je garde la matrice de la Vème République, mais je propose, comme vous le savez, la réduction à 5 ans du mandat présidentiel, de façon à ce que nous pratiquions comme les autres démocraties, aucune n'a un mandat aussi long pour un personnage aussi important : c'est 4 ans ou c'est 5 ans. C'est donc une première proposition : le quinquennat, sur lequel d'ailleurs il y a eu des propositions qui ont été faites par Georges Pompidou lui-même, me semble-t-il, et un accord avait même été pratiquement réalisé au Parlement. Aucun Président ne l'a fait. Parfois en tournant autour, il est arrivé à M. Chirac d'évoquer cette hypothèse, qu'il s'en souvienne, mais aucun ne l'a fait. Moi je dis que je le ferai et cela s'appliquera à moi, pour être clair. Deuxième chose : l'homme n'est pas la garantie, et j'ai entendu M. Chirac à plusieurs reprises, dire : \"Il suffirait de revenir à la conception originelle de la Vème République, et j'en prends l'engagement, pour que les choses fonctionnent bien\". Mais M. Chirac, je vais vous dire ce que c'est que la Constitution originelle telle qu'elle fonctionnait. J'ai été un jeune fonctionnaire au Quai d'Orsay, dans les années 65-70. Je peux vous dire que là régnait ce que vous appelez la pensée unique, c'est-à-dire qu'on avait le droit de ne penser qu'une chose : on n'avait le droit que d'être non pas Gaulliste, parce que si encore cela avait été ça, mais de suivre l'opinion du parti dominant de l'époque. Je vais vous citer une anecdote pour que ce soit très concret dans l'esprit des Français. François Mitterrand a failli être Président de la République en 1974 ; à peu de choses près il a été battu, il avait rassemblé un nombre de voix considérable. Il part faire un voyage en URSS, c'était le leader de l'Opposition. Je l'accompagne en tant qu'un des responsables nationaux de l'époque du Parti Socialiste. Et qu'est-ce que je constate ? C'est que ce personnage très important de la vie politique française est accueilli deux minutes sur l'aéroport par un Secrétaire d'Ambassade et ensuite plus aucun rapport avec l'Ambassade de France à Moscou, pas une réception ; on n'a pas vu l'ambassadeur. Cela a provoqué d'ailleurs un tel scandale, mais tout cela existait depuis 10 ou 15 ans, que c'est un ami à vous que je respecte beaucoup, et que vous connaissez bien, M. Ulrich, à cette époque Directeur de Cabinet du Ministre des Affaires Etrangères, qui m'a téléphoné en me disant : \"Écoutez, Lionel Jospin, cela ne peut pas continuer comme ça, c'est indigne de continuer à fonctionner comme ça\", et les changements ont commencé à être opérés. Voilà comment fonctionnait ce système quand je l'ai connu et comme jeune fonctionnaire et comme responsable politique. Donc je ne crois pas du tout qu'il suffise d'un homme pour assurer cette garantie. Il faut changer plus sensiblement le système. Je propose donc : passage au quinquennat et une limitation plus stricte du cumul des mandats, des ministres qui se consacrent à leur ministère et qui ne partent pas, dès le jeudi, pour aller diriger leur Conseil général ou leur mairie. Je propose des parlementaires qui ne soient pas absentéistes et que, là aussi, ils puissent exercer leurs responsabilités de député sans avoir d'autres responsabilités importantes. Je propose un Gouvernement plus resserré, c'est-à-dire qui peut, comme le dit la Constitution, déterminer et conduire la politique de la Nation, avec un Premier Ministre responsable vraiment devant l'Assemblée, et un Gouvernement qui peut exercer pleinement ses responsabilités. Sur les nominations, et là je réagis à des choses qui ont été dites par M. Chirac, bien que j'aurais d'autres choses à dire touchant à ma conception, je ne suis pas du tout hostile à ce qu'on réduise le nombre des nominations faites en Conseil des Ministres. J'observe simplement que dans la première année qui a suivi ce changement, de 93 à 94, il a été opéré 248 nominations en Conseil des Ministres, alors que dans l'année qui allait de 88 à 89, donc autre changement, on n'en a opéré que 145. Il ne suffit donc pas de changer les textes. Si dans la pratique on fait plus de nominations, c'est pire. En ce qui concerne la Justice indépendante, j'en suis d'accord, mais je vais beaucoup plus loin, là aussi, que M. Chirac, c'est-à-dire que je considère que dans toutes les affaires pendantes, le Parquet ne peut plus recevoir d'instructions du Garde des Sceaux, et donc je veux une coupure extrêmement nette entre la Justice et le Parquet. Enfin, en ce qui concerne le train de vie de l'Etat, je suis un peu inquiet quand je vois le train de vie de la campagne de Jacques Chirac ; il ne donne pas l'exemple. Il a été affirmé à plusieurs reprises, y compris par des gens qui vous soutiennent, que vous aviez dépassé largement, et même très largement, votre plafond de dépenses de campagne, qui est fixé à 90 millions. Vous l'avez vous-même évalué à 87 millions. Je n'en ai dépensé que 42 et c'est un vrai problème parce qu'on sait que le Conseil Constitutionnel doit vérifier ensuite les comptes de campagne. J'ai de bonnes raisons de penser que votre compte de campagne, M. Chirac, est très largement dépassé. Donc vous avez un train de vie, en campagne en tous cas, qui ne laisse pas bien augurer de l'avenir. SUMMARY : Dans ce débat, Jacques Chirac et Lionel Jospin discutent de leur vision des institutions politique française. Jacques Chirac débute en expliquant que les institutions françaises mise en place par charles de gaulle sont bonne, mais mal utilisée, et que le président à pris trop de responsabilités. Il s'engage à rééquilibrer les institutions, en baissant le nombre de dirigeants d'entreprise publique nommés par l'état, ainsi qu'en diminuant le train de vie de l'état. Jacques Chirac ajoute qu'il demanderait un audit général sur les dépenses publiques, et qu'il rendra la justice indépendante de l'état. Il souhaite finalement élargir le champ du référendum. Lionel Jospin s'accorde sur quelques points, mais considère que les institutions françaises sont trop vieilles."
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