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Beams
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Beams Titre : Beams Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Elle voulut aller sur les bords de la mer, Et comme un vent bénin soufflait une embellie, Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie, Et nous voilà marchant par le chemin amer. Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse, Et dans ses cheveux blonds c'étaient des rayons d'or, Si bien que nous suivions son pas plus calme encor Que le déroulement des vagues, ô délice ! Des oiseaux blancs volaient alentour mollement Et des voiles au loin s'inclinaient toutes blanches. Parfois de grands varechs filaient en longues branches, Nos pieds glissaient d'un pur et large mouvement. Elle se retourna, doucement inquiète De ne nous croire pas pleinement rassurés, Mais nous voyant joyeux d'être ses préférés, Elle reprit sa route et portait haut la tête.
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Carte d'Europe
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Carte d'Europe Titre : Carte d'Europe Poète : Victor Hugo (1802-1885) Des sabres sont partout posés sur les provinces. L'autel ment. On entend ceux qu'on nomme les princes Jurer, d'un front tranquille et sans baisser les yeux, De faux serpents qui font, tant ils navrent les âmes, Tant ils sont monstrueux, effroyables, infâmes, Remuer le tonnerre endormi dans les cieux. Les soldats ont fouetté des femmes dans les rues. Où sont la liberté, la vertu ? disparues ! Dans l'exil ! dans l'horreur des pontons étouffants ! Ô nations ! où sont vos âmes les plus belles ? Le boulet, c'est trop peu contre de tels rebelles Haynau dans les canons met des têtes d'enfants. Peuple russe, tremblant et morne, tu chemines, Serf à Saint-Pétersbourg, ou forçat dans les mines. Le pôle est pour ton maître un cachot vaste et noir ; Russie et Sibérie, ô czar ! tyran ! vampire ! Ce sont les deux moitiés de ton funèbre empire ; L'une est l'oppression, l'autre est le Désespoir. Les supplices d'Ancône emplissent les murailles. Le pape Mastaï fusille ses ouailles ; Il pose là l'hostie et commande le feu. Simoncelli périt le premier ; tous les autres Le suivent sans pâlir, tribuns, soldats, apôtres ; Ils meurent, et s'en vont parler du prêtre à Dieu. Saint-Père, sur tes mains laisse tomber tes manches ! Saint-Père, on voit du sang à tes sandales blanches ! Borgia te sourit, le pape empoisonneur. Combien sont morts ? combien mourront ? qui sait le nombre ? Ce qui mène aujourd'hui votre troupeau dans l'ombre, Ce n'est pas le berger, c'est le boucher, Seigneur ! Italie ! Allemagne ! ô Sicile ! ô Hongrie ! Europe, aïeule en pleurs, de misère amaigrie, Vos meilleurs fils sont morts ; l'honneur sombre est absent. Au midi l'échafaud, au nord un ossuaire. La lune chaque nuit se lève en un suaire, Le soleil chaque soir se couche dans du sang. Sur les français vaincus un saint-office pèse. Un brigand les égorge, et dit : je les apaise. Paris lave à genoux le sang qui l'inonda ; La France garrottée assiste à l'hécatombe. Par les pleurs, par les cris, réveillés dans la tombe, — Bien ! dit Laubardemont ; — Va ! dit Torquemada. Batthyani, Sandor, Poërio, victimes ! Pour le peuple et le droit en vain nous combattîmes. Baudin tombe, agitant son écharpe en lambeau. Pleurez dans les forêts, pleurez sur les montagnes ! Où Dieu mit des édens les rois mettent des bagnes Venise est une chiourme et Naple est un tombeau. Le gibet sur Arad ! le gibet sur Palerme ! La corde à ces héros qui levaient d'un bras ferme Leur drapeau libre et fier devant les rois tremblants ! Tandis qu'on va sacrer l'empereur Schinderhannes, Martyrs, la pluie à flots ruisselle sur vos crânes, Et le bec des corbeaux fouillé vos yeux sanglants. Avenir ! avenir ! voici que tout s'écroule ! Les pâles rois ont fui, la mer vient, le flot roule, Peuples ! le clairon sonne aux quatre coins du ciel ; Quelle fuite effrayante et sombre ! les armées S'en vont dans la tempête en cendres enflammées, L'épouvante se lève. — Allons, dit l'Eternel ! Jersey, le 5 novembre 1852.
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Les assis
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Les assis Titre : Les assis Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ; Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques S'entrelacent pour les matins et pour les soirs ! Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peau, Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux du crapaud. Et les Sièges leur ont des bontés : culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ; L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains. Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, S'écoutent clapoter des barcarolles tristes, Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour. - Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage... Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés. Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves, Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors ! Puis ils ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir. Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever. Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières, Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisière Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ; Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule Les bercent, le long des calices accroupis Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules - Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
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À Madame D. G. de G
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Madame D. G. de G Titre : À Madame D. G. de G Poète : Victor Hugo (1802-1885) Jadis je vous disais : « Vivez, régnez, Madame ! Le salon vous attend ! le succès vous réclame ! Le bal éblouissant pâlit quand vous partez ! Soyez illustre et belle ! aimez ! riez ! chantez ! Vous avez la splendeur des astres et des roses ! Votre regard charmant, où je lis tant de choses, Commente vos discours légers et gracieux. Ce que dit votre bouche étincelle en vos yeux. Il semble, quand parfois un chagrin vous alarme, Qu'ils versent une perle et non pas une larme. Même quand vous rêvez, vous souriez encor, Vivez, fêtée et fière, ô belle aux cheveux d'or ! » Maintenant vous voilà pâle, grave, muette, Morte, et transfigurée, et je vous dis : « Poète ! Viens me chercher ! Archange ! être mystérieux ! Fais pour moi transparents et la terre et les cieux ! Révèle-moi, d'un mot de ta bouche profonde, La grande énigme humaine et le secret du monde ! Confirme en mon esprit Descarte ou Spinosa ! Car tu sais le vrai nom de celui qui perça, Pour que nous puissions voir sa lumière sans voiles, Ces trous du noir plafond qu'on nomme les étoiles ! Car je te sens flotter sous mes rameaux penchants ; Car ta lyre invisible a de sublimes chants ! Car mon sombre océan, où l'esquif s'aventure, T'épouvante et te plaît ; car la sainte nature, La nature éternelle, et les champs, et les bois, Parlent de ta grande âme avec leur grande voix ! » Paris, 1840. - Jersey, 1855.
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J'étais monté plus haut
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : J'étais monté plus haut Titre : J'étais monté plus haut Poète : Théophile Gautier (1811-1872) J'étais monté plus haut que l'aigle et le nuage ; Sous mes pieds s'étendait un vaste paysage, Cerclé d'un double azur par le ciel et la mer ; Et les crânes pelés des montagnes géantes En foule jaillissaient des profondeurs béantes, Comme de blancs écueils sortant du gouffre amer. C'était un vaste amas d'éboulements énormes, Des rochers grimaçant dans des poses difformes, Des pics dont l'oeil à peine embrasse la hauteur, Et, la neige faisant une écume à leur crête, On eût dit une mer prise un jour de tempête, Un chaos attendant le mot du Créateur. Là dorment les débris des races disparues, Le vieux monde noyé sous les ondes accrues, Le Béhémôt biblique et le Léviathan. Chaque mont de la chaîne, immense cimetière, Cache un corps monstrueux dans son ventre de pierre, Et ses blocs de granit sont des os de Titan !
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À des oiseaux envolés
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À des oiseaux envolés Titre : À des oiseaux envolés Poète : Victor Hugo (1802-1885) Enfants ! - Oh ! revenez ! Tout à l'heure, imprudent, Je vous ai de ma chambre exilés en grondant, Rauque et tout hérissé de paroles moroses. Et qu'aviez-vous donc fait, bandits aux lèvres roses ? Quel crime ? quel exploit ? quel forfait insensé ? Quel vase du Japon en mille éclats brisé ? Quel vieux portrait crevé ? Quel beau missel gothique Enrichi par vos mains d'un dessin fantastique ? Non, rien de tout cela. Vous aviez seulement, Ce matin, restés seuls dans ma chambre un moment, Pris, parmi ces papiers que mon esprit colore, Quelques vers, groupe informe, embryons près d'éclore, Puis vous les aviez mis, prompts à vous accorder, Dans le feu, pour jouer, pour voir, pour regarder Dans une cendre noire errer des étincelles, Comme brillent sur l'eau de nocturnes nacelles, Ou comme, de fenêtre en fenêtre, on peut voir Des lumières courir dans les maisons le soir. Voilà tout. Vous jouiez et vous croyiez bien faire. Belle perte, en effet ! beau sujet de colère ! Une strophe, mal née au doux bruit de vos jeux, Qui remuait les mots d'un vol trop orageux ! Une ode qui chargeait d'une rime gonflée Sa stance paresseuse en marchant essoufflée ! De lourds alexandrins l'un sur l'autre enjambant Comme des écoliers qui sortent de leur banc ! Un autre eût dit : - Merci ! Vous ôtez une proie Au feuilleton méchant qui bondissait de joie Et d'avance poussait des rires infernaux Dans l'antre qu'il se creuse au bas des grands journaux. Moi, je vous ai grondés. Tort grave et ridicule ! Nains charmants que n'eût pas voulu fâcher Hercule, Moi, je vous ai fait peur. J'ai, rêveur triste et dur, Reculé brusquement ma chaise jusqu'au mur, Et, vous jetant ces noms dont l'envieux vous nomme, J'ai dit : - Allez-vous-en ! laissez-moi seul ! - Pauvre homme ! Seul ! le beau résultat ! le beau triomphe ! seul ! Comme on oublie un mort roulé dans son linceul, Vous m'avez laissé là, l'oeil fixé sur ma porte, Hautain, grave et puni. - Mais vous, que vous importe ! Vous avez retrouvé dehors la liberté, Le grand air, le beau parc, le gazon souhaité, L'eau courante où l'on jette une herbe à l'aventure, Le ciel bleu, le printemps, la sereine nature, Ce livre des oiseaux et des bohémiens, Ce poème de Dieu qui vaut mieux que les miens, Où l'enfant peut cueillir la fleur, strophe vivante, Sans qu'une grosse voix tout à coup l'épouvante ! Moi, je suis resté seul, toute joie ayant fui, Seul avec ce pédant qu'on appelle l'ennui. Car, depuis le matin assis dans l'antichambre, Ce docteur, né dans Londres, un dimanche, en décembre, Qui ne vous aime pas, ô mes pauvres petits, Attendait pour entrer que vous fussiez sortis. Dans l'angle où vous jouiez il est là qui soupire, Et je le vois bâiller, moi qui vous voyais rire ! Que faire ? lire un livre ? oh non ! - dicter des vers ? A quoi bon ? - Emaux bleus ou blancs, céladons verts, Sphère qui fait tourner tout le ciel sur son axe, Les beaux insectes peints sur mes tasses de Saxe, Tout m'ennuie, et je pense à vous. En vérité, Vous partis, j'ai perdu le soleil, la gaîté, Le bruit joyeux qui fait qu'on rêve, le délire De voir le tout petit s'aider du doigt pour lire, Les fronts pleins de candeur qui disent toujours oui, L'éclat de rire franc, sincère, épanoui, Qui met subitement des perles sur les lèvres, Les beaux grands yeux naïfs admirant mon vieux Sèvres, La curiosité qui cherche à tout savoir, Et les coudes qu'on pousse en disant : Viens donc voir ! Oh ! certes, les esprits, les sylphes et les fées Que le vent dans ma chambre apporte par bouffées, Les gnomes accroupis là-haut, près du plafond, Dans les angles obscurs que mes vieux livres font, Les lutins familiers, nains à la longue échine, Qui parlent dans les coins à mes vases de Chine. Tout l'invisible essaim de ces démons joyeux A dû rire aux éclats, quand là, devant leurs yeux, Ils vous ont vus saisir dans la boîte aux ébauches Ces hexamètres nus, boiteux, difformes, gauches, Les traîner au grand jour, pauvres hiboux fâchés, Et puis, battant des mains, autour du feu penchés, De tous ces corps hideux soudain tirant une âme, Avec ces vers si laids faire une belle flamme ! Espiègles radieux que j'ai fait envoler, Oh ! revenez ici chanter, danser, parler, Tantôt, groupe folâtre, ouvrir un gros volume, Tantôt courir, pousser mon bras qui tient ma plume, Et faire dans le vers que je viens retoucher Saillir soudain un angle aigu comme un clocher Qui perce tout à coup un horizon de plaines. Mon âme se réchauffe à vos douces haleines. Revenez près de moi, souriant de plaisir, Bruire et gazouiller, et sans peur obscurcir Le vieux livre où je lis de vos ombres penchées, Folles têtes d'enfants ! gaîtés effarouchées ! J'en conviens, j'avais tort, et vous aviez raison. Mais qui n'a quelquefois grondé hors de saison ? Il faut être indulgent. Nous avons nos misères. Les petits pour les grands ont tort d'être sévères. Enfants ! chaque matin, votre âme avec amour S'ouvre à la joie ainsi que la fenêtre au jour. Beau miracle, vraiment, que l'enfant, gai sans cesse, Ayant tout le bonheur, ait toute la sagesse ! Le destin vous caresse en vos commencements. Vous n'avez qu'à jouer et vous êtes charmants. Mais nous, nous qui pensons, nous qui vivons, nous sommes Hargneux, tristes, mauvais, ô mes chers petits hommes ! On a ses jours d'humeur, de déraison, d'ennui. Il pleuvait ce matin. Il fait froid aujourd'hui. Un nuage mal fait dans le ciel tout à l'heure A passé. Que nous veut cette cloche qui pleure ? Puis on a dans le coeur quelque remords. Voilà Ce qui nous rend méchants. Vous saurez tout cela, Quand l'âge à votre tour ternira vos visages, Quand vous serez plus grands, c'est-à-dire moins sages. J'ai donc eu tort. C'est dit. Mais c'est assez punir, Mais il faut pardonner, mais il faut revenir. Voyons, faisons la paix, je vous prie à mains jointes. Tenez, crayons, papiers, mon vieux compas sans pointes, Mes laques et mes grès, qu'une vitre défend, Tous ces hochets de l'homme enviés par l'enfant, Mes gros chinois ventrus faits comme des concombres, Mon vieux tableau trouvé sous d'antiques décombres, Je vous livrerai tout, vous toucherez à tout ! Vous pourrez sur ma table être assis ou debout, Et chanter, et traîner, sans que je me récrie, Mon grand fauteuil de chêne et de tapisserie, Et sur mon banc sculpté jeter tous à la fois Vos jouets anguleux qui déchirent le bois ! Je vous laisserai même, et gaîment, et sans crainte, Ô prodige ! en vos mains tenir ma bible peinte, Que vous n'avez touchée encor qu'avec terreur, Où l'on voit Dieu le père en habit d'empereur ! Et puis, brûlez les vers dont ma table est semée, Si vous tenez à voir ce qu'ils font de fumée ! Brûlez ou déchirez ! - Je serais moins clément Si c'était chez Méry, le poète charmant, Que Marseille la grecque, heureuse et noble ville, Blonde fille d'Homère, a fait fils de Virgile. Je vous dirais : - " Enfants, ne touchez que des yeux A ces vers qui demain s'envoleront aux cieux. Ces papiers, c'est le nid, retraite caressée, Où du poète ailé rampe encor la pensée. Oh ! n'en approchez pas ! car les vers nouveau-nés, Au manuscrit natal encore emprisonnés, Souffrent entre vos mains innocemment cruelles. Vous leur blessez le pied, vous leur froissez les ailes ; Et, sans vous en douter, vous leur faites ces maux Que les petits enfants font aux petits oiseaux. " Mais qu'importe les miens ! - Toute ma poésie, C'est vous, et mon esprit suit votre fantaisie. Vous êtes les reflets et les rayonnements Dont j'éclaire mon vers si sombre par moments. Enfants, vous dont la vie est faite d'espérance, Enfants, vous dont la joie est faite d'ignorance, Vous n'avez pas souffert et vous ne savez pas, Quand la pensée en nous a marché pas à pas, Sur le poète morne et fatigué d'écrire Quelle douce chaleur répand votre sourire ! Combien il a besoin, quand sa tête se rompt, De la sérénité qui luit sur votre front ; Et quel enchantement l'enivre et le fascine, Quand le charmant hasard de quelque cour voisine, Où vous vous ébattez sous un arbre penchant, Mêle vos joyeux cris à son douloureux chant ! Revenez donc, hélas ! revenez dans mon ombre, Si vous ne voulez pas que je sois triste et sombre, Pareil, dans l'abandon où vous m'avez laissé, Au pêcheur d'Etretat, d'un long hiver lassé, Qui médite appuyé sur son coude, et s'ennuie De voir à sa fenêtre un ciel rayé de pluie.
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Les deux âges
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Les deux âges Titre : Les deux âges Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Ce n'était, l'an passé, qu'une enfant blanche et blonde Dont l'œil bleu, transparent et calme comme l'onde Du lac qui réfléchit le ciel riant d'été, N'exprimait que bonheur et naïve gaîté. Que j'aimais dans le parc la voir sur la pelouse Parmi ses jeunes sœurs courir, voler, jalouse D'arriver la première ! Avec grâce les vents Berçaient de ses cheveux les longs anneaux mouvants ; Son écharpe d'azur se jouait autour d'elle Par la course agitée, et, souvent infidèle, Trahissait une épaule au contour gracieux, Un sein déjà gonflé, trésor mystérieux, Un col éblouissant de fraîcheur, dont l'albâtre Sous la peau laisse voir une veine bleuâtre. — Dans son petit jardin que j'aimais à la voir À grand'peine portant un léger arrosoir, Distribuer en pluie, à ses fleurs desséchées Par la chaleur du jour, et vers le sol penchées, Une eau douce et limpide ; à ses oiseaux ravis, Des tiges de plantain, des grains de chènevis !... C'est une jeune fille à présent blanche et blonde, La même ; mais l'œil bleu, jadis pur comme l'onde Du lac qui réfléchit le ciel riant d'été, N'exprime plus bonheur et naïve gaîté.
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La nichée sous le portail
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La nichée sous le portail Titre : La nichée sous le portail Poète : Victor Hugo (1802-1885) Oui, va prier à l'église, Va ; mais regarde en passant, Sous la vieille voûte grise, Ce petit nid innocent. Aux grands temples où l'on prie Le martinet, frais et pur, Suspend la maçonnerie Qui contient le plus d'azur. La couvée est dans la mousse Du portail qui s'attendrit ; Elle sent la chaleur douce Des ailes de Jésus-Christ. L'église, où l'ombre flamboie, Vibre, émue à ce doux bruit ; Les oiseaux sont pleins de joie, La pierre est pleine de nuit. Les saints, graves personnages, Sous les porches palpitants, Aiment ces doux voisinages Du baiser et du printemps. Les vierges et les prophètes, Se penchent dans l'âpre tour, Sur ces ruches d'oiseaux faites Pour le divin miel amour. L'oiseau se perche sur l'ange ; L'apôtre rit sous l'arceau. « Bonjour, saint ! » dit la mésange. Le saint dit : « Bonjour, oiseau ! » Les cathédrales sont belles Et hautes sous le ciel bleu ; Mais le nid des hirondelles Est l'édifice de Dieu, Lagny, juin 18...
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Pantomime
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Pantomime Titre : Pantomime Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Pierrot, qui n'a rien d'un Clitandre, Vide un flacon sans plus attendre, Et, pratique, entame un pâté. Cassandre, au fond de l'avenue, Verse une larme méconnue Sur son neveu déshérité. Ce faquin d'Arlequin combine L'enlèvement de Colombine Et pirouette quatre fois. Colombine rêve, surprise De sentir un coeur dans la brise Et d'entendre en son coeur des voix.
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Dante écrit deux vers
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Dante écrit deux vers Titre : Dante écrit deux vers Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Religions et Religion (1880). Dante écrit deux vers, puis il sort ; et les deux vers Se parlent. Le premier dit : - Les cieux sont ouverts. Cieux ! je suis immortel. - Moi, je suis périssable. Dit l'autre. - je suis l'astre. - Et moi le grain de sable. - Quoi ! tu doutes étant fils d'un enfant du ciel ! - Je me sens mort. - Et moi, je me sens éternel. Quelqu'un rentre et relit ces vers, Dante lui-même : Il garde le premier et barre le deuxième. La rature est la haute et fatale cloison. L'un meurt, et l'autre vit. Tous deux avaient raison.
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Quand je te voy seule assise à par-toy
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Quand je te voy seule assise à par-toy Titre : Quand je te voy seule assise à par-toy Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Quand je te voy seule assise à par-toy, Toute amusée avecques ta pensée, Un peu la teste encontre bas baissée, Te retirant du vulgaire et de moy : Je veux souvent pour rompre ton esmoy, Te saluer, mais ma voix offensée, De trop de peur se retient amassée Dedans la bouche, et me laisse tout coy. Souffrir ne puis les rayons de ta veuë : Craintive au corps, mon ame tremble esmeuë : Langue ne voix ne font leur action : Seuls mes souspirs, seul mon triste visage Parlent pour moy, et telle passion De mon amour donne assez tesmoignage.
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Spleen
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Spleen Titre : Spleen Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Les roses étaient toutes rouges Et les lierres étaient tout noirs. Chère, pour peu que tu ne bouges, Renaissent tous mes désespoirs. Le ciel était trop bleu, trop tendre, La mer trop verte et l'air trop doux. Je crains toujours, - ce qu'est d'attendre ! Quelque fuite atroce de vous. Du houx à la feuille vernie Et du luisant buis je suis las, Et de la campagne infinie Et de tout, fors de vous, hélas !
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À Madame D***
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame D*** Titre : À Madame D*** Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). Ne me parlez jamais d'une vieille amitié, Dans vos cheveux dorés quand le printemps se joue Lui, qui vous a laissé — lui, si vite oublié ! — Sa fraîcheur dans l'esprit et sa fleur sur la joue !
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À Monsieur de Verdun
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À Monsieur de Verdun Titre : À Monsieur de Verdun Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Ode XXVIII. Si j'avois un riche tresor, Ou des vaisseaux engravez d'or, Tableaux ou medailles de cuivre, Ou ces joyaux qui font passer Tant de mers pour les amasser, Où le jour se laisse revivre, Je t'en ferois un beau present. Mais quoy ! cela ne t'est plaisant, Aux richesses tu ne t'amuses Qui ne font que nous estonner ; C'est pourquoy je te veux donner Le bien que m'ont donné les Muses. Je sçay que tu contes assez De biens l'un sur l'autre amassez, Qui perissent comme fumée, Ou comme un songe qui s'enfuit Du cerveau si tost que la nuit Au second somme est consumée. L'un au matin s'enfle en son bien, Qui au soleil couchant n'a rien, Par défaveur, ou par disgrace, Ou par un changement commun, Ou par l'envie de quelqu'un Qui ravit ce que l'autre amasse. Mais les beaux vers ne changent pas, Qui durent contre le trespas, Et en devançant les années, Hautains de gloire et de bonheur, Des hommes emportent l'honneur Dessur leurs courses empennées. Dy-moy, Verdun, qui penses-tu Qui ait deterré la vertu D'Hector, d'Achille et d'Alexandre, Envoyé Bacchus dans les Cieux, Et Hercule au nombre des dieux, Et de Junon l'a fait le gendre, Sinon le vers bien accomply, Qui tirant leurs noms de l'oubly, Plongez au plus profond de l'onde De Styx, les a remis au jour, Les relogeant au grand sejour Par deux fois de nostre grand monde ? Mort est l'honneur de tant de rois Espagnols, germains et françois, D'un tombeau pressant leur mémoire ; Car les rois et les empereurs Ne different aux laboureurs Si quelcun ne chante leur gloire. Quant à moy, je ne veux souffrir Que ton beau nom se vienne offrir A la Mort, sans que je le vange, Pour n'estre jamais finissant, Mais d'âge en âge verdissant, Surmonter la Mort et le change. Je veux, malgré les ans obscurs, Que tu sois des peuples futurs Cognu sur tous ceux de nostre âge, Pour avoir conçeu volontiers Des neuf Pucelles les mestiers, Qui t'ont enflamé le courage, Non pas au gain ny au vil prix, Mais pour estre des mieux appris Entre les hommes qui s'assemblent Sur Parnasse au double sourci ; C'est pourquoy tu aimes aussi Les bons esprits qui te ressemblent. Or pour le plaisir, quant à moy, Verdun, que j'ay reçeu de toy, Tu n'auras rien de ton poète Sinon ces vers que je t'ay faits, Et avec ces vers les souhaits Que pour bonheur je te souhaite. Dieu vueille benir ta maison De beaux enfans naiz à foison De ta femme belle et pudique ; La concorde habite en ton lit, Et bien loin de toy soit le bruit De toute noise domestique. Sois gaillard, dispost et joyeux, Ny convoiteux ny soucieux Des choses qui nous rongent l'âme ; Fuy toutes sortes de douleurs, Et ne pren soucy des malheurs Qui sont predits par Nostradame. Ne romps ton tranquille repos Pour papaux, ny pour huguenots, Ny amy d'eux, ny adversaire, Croyant que Dieu père très doux (Qui n'est partial comme nous) Sçait ce qui nous est nécessaire. N'ayes soucy du lendemain, Mais, serrant le temps en la main, Vy joyeusement la journée Et l'heure en laquelle seras : Et que sçais-tu si tu verras L'autre lumiere retournée ? Couche-toy à l'ombre d'un bois, Ou près d'un rivage où la vois D'une fontaine jazeresse Tressaute, et tandis que tes ans Sont encore et verds et plaisans, Par le jeu trompe la vieillesse. Tout incontinent nous mourrons, Et bien loin bannis nous irons Dedans une nacelle obscure Où plus de rien ne nous souvient, Et d'où jamais on ne revient : Car ainsi l'a voulu Nature.
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L'âme
Germain Nouveau (1851-1920)
Poésie : L'âme Titre : L'âme Poète : Germain Nouveau (1851-1920) Comme un exilé du vieux thème, J'ai descendu ton escalier ; Mais ce qu'a lié l'Amour même, Le temps ne peut le délier. Chaque soir quand ton corps se couche Dans ton lit qui n'est plus à moi, Tes lèvres sont loin de ma bouche ; Cependant, je dors près de Toi. Quand je sors de la vie humaine, J'ai l'air d'être en réalité Un monsieur seul qui se promène ; Pourtant je marche à ton côté. Ma vie à la tienne est tressée Comme on tresse des fils soyeux, Et je pense avec ta pensée, Et je regarde avec tes yeux. Quand je dis ou fais quelque chose, Je te consulte, tout le temps ; Car je sais, du moins, je suppose, Que tu me vois, que tu m'entends. Moi-même je vois tes yeux vastes, J'entends ta lèvre au rire fin. Et c'est parfois dans mes nuits chastes Des conversations sans fin. C'est une illusion sans doute, Tout cela n'a jamais été ; C'est cependant, Mignonne, écoute, C'est cependant la vérité. Du temps où nous étions ensemble, N'ayant rien à nous refuser, Docile à mon désir qui tremble, Ne m'as-tu pas, dans un baiser, Ne m'as-tu pas donné ton âme ? Or le baiser s'est envolé, Mais l'âme est toujours là, Madame ; Soyez certaine que je l'ai.
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L'impénitence finale
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'impénitence finale Titre : L'impénitence finale Poète : Paul Verlaine (1844-1896) À Catulle Mendès La petite marquise Osine est toute belle, Elle pourrait aller grossir la ribambelle Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs Et de soleil, mais comme on dit, elle aime ailleurs Parisienne en tout, spirituelle et bonne Et mauvaise à ne rien redouter de personne, Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit, C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit, Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes. Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans, Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans Comme il avait quitté son escadron, vint faire Escale au Jockey ; vous connaissez son affaire Avec la grosse Emma de qui — l'eussions-nous cru ? Le bon garçon était absolument féru, Son désespoir après le départ de la grue, Le duel avec Gontran, c'est vieux comme la rue ; Bref il vit la petite un jour dans un salon, S'en éprit tout d'un coup comme un fou ; même l'on Dit qu'il en oublia si bien son infidèle Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle. Temps et mœurs ! La petite (on sait tout aux Oiseaux) Connaissait le roman du cher, et jusques aux Moindres chapitres : elle en conçut de l'estime. Aussi quand le marquis offrit sa légitime Et sa main contre sa menotte, elle dit : Oui, Avec un franc parler d'allégresse inouï. Les parents, voyant sans horreur ce mariage (Le marquis était riche et pouvait passer sage) Signèrent au contrat avec laisser-aller. Elle qui voyait là quelqu'un à consoler Ouït la messe dans une ferveur profonde. Elle le consola deux ans. Deux ans du monde ! Mais tout passe ! Si bien qu'un jour qu'elle attendait Un autre et que cet autre atrocement tardait, De dépit la voilà soudain qui s'agenouille Devant l'image d'une Vierge à la quenouille Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni, Demandant à Marie, en un trouble infini, Pardon de son péché si grand, — si cher encore Bien qu'elle croie au fond du cœur qu'elle l'abhorre. Comme elle relevait son front d'entre ses mains Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église. Sévère, il regardait tristement la marquise. La vision flottait blanche dans un jour bleu Dont les ondes voilant l'apparence du lieu, Semblaient envelopper d'une atmosphère élue Osine qui tremblait d'extase irrésolue Et qui balbutiait des exclamations. Des accords assoupis de harpes de Sions Célestes descendaient et montaient par la chambre Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre Fluaient, et le parquet retentissait des pas Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas, Tandis qu'autour c'était, en cadences soyeuses, Un grand frémissement d'ailes mystérieuses La marquise restait à genoux, attendant, Toute admiration peureuse, cependant. Et le Sauveur parla : « Ma fille, le temps passe, Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce. Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous. » La vision cessa. Oui certes, il est doux Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie, C'est un jeune coureur à la première haie. C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal. Quelque chose d'étonnamment matutinal. On sort du mariage habitueux. C'est comme Qui dirait la lueur aurorale de l'homme Et les baisers parmi cette fraîche clarté Sonnent comme des cris d'alouette en été, Ô le premier amant ! Souvenez-vous, mesdames ! Vagissant et timide élancement des âmes Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla... Mais le second amant d'une femme, voilà ! On a tout su. La faute est bien délibérée Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée, Un autre mariage à soi-même avoué. Plus de retour possible au foyer bafoué. Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde Le monde hostile et qui sévirait au besoin. Ah, que l'aise de l'autre intrigue se fait loin ! Mais aussi cette fois comme on vit ; comme on aime, Tout le cœur est éclos en une fleur suprême. Ah, c'est bon ! Et l'on jette à ce feu tout remords, On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts. On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie, Ce sera pour après la vie, et l'on défie Les lois humaines et divines, car on est Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime ! Or cet amant était justement le deuxième De la marquise, ce qui fait qu'un jour après, — Ô sans malice et presque avec quelques regrets - Elle le revoyait pour le revoir encore. Quant au miracle, comme une odeur s'évapore, Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement. Un matin, elle était dans son jardin charmant, Un matin de printemps, un jardin de plaisance. Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence, Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient L'aubade d'un timide et délicat ramage Et les petits oiseaux, volant à son passage, Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai. Elle pensait à lui ; sa vue errait, distraite, À travers l'ombre jeune et la pompe discrète D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin, Quand elle vit Jésus en vêtements de lin Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste Pleurait. Et tout en un instant s'évanouit. Elle se recueillait. Soudain un petit bruit Se fit. On lui portait en secret une lettre, Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être Un rendez-vous. Elle ne put la déchirer. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer Au chevet de ce lit de blanche mousseline ? Elle est malade, bien malade. « Sœur Aline, A-t-elle un peu dormi ? » — « Mal, monsieur le marquis. » Et le marquis pleurait. « Elle est ainsi depuis Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire De la nuit ? Ah, monsieur le marquis, quel délire ! Elle vous appelait, vous demandait pardon Sans cesse, encor, toujours, et tirait le cordon De sa sonnette. » Et le marquis frappait sa tête De ses deux poings et, fou dans sa douleur muette Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais (Dès qu'elle fut malade, elle n'eut pas de paix Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme Qui pardonna.) La sœur reprit pâle : « Elle eut comme Un rêve, un rêve affreux. Elle voyait Jésus, Terrible sur la nue et qui marchait dessus, Un glaive dans la main droite, et de la main gauche Qui ramait lentement comme une faux qui fauche, Écartant sa prière, et passait furieux. » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un prêtre, saluant les assistants des yeux, Entre. Elle dort. Ô ses paupières violettes ! Ô ses petites mains qui tremblent maigrelettes ! Ô tout son corps perdu dans les draps étouffants ! Regardez, elle meurt de la mort des enfants. Et le prêtre anxieux, se penche à son oreille. Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille, Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort Plus pâle. Et le marquis : « Est-ce déjà la mort ? » Et le docteur lui prend les deux mains, et sort vite. On l'enterrait hier matin. Pauvre petite !
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In pejus ruit
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : In pejus ruit Titre : In pejus ruit Poète : Auguste Angellier (1848-1911) À Lucien Marcheix. Je porte des douleurs plus vieilles que moi-même, Mon cœur est encombré de chagrins hérités, Et je sens quelquefois mon front devenir blême De remords que je sais n'avoir pas mérités ; L'angoisse, les regrets, les tares, les faiblesses De ceux d'où nous sortons roulent à travers nous, Pour passer, augmentés de nos propres détresses, Par le cœur des enfants bercés sur nos genoux ; Un fleuve plus chargé de hontes et d alarmes Descend en emportant dans ses érosions Des opprobres nouveaux et de nouvelles larmes, Et grossit à travers les générations ; Jusqu'à ce qu'entraînant toujours plus de misère, Il charrie, en ses flots sans cesse plus malsains, Un poison si puissant de mal héréditaire, Qu'il tue, en y passant, les derniers cœurs humains ; Et qu'épuisant enfin dans des êtres étranges Son onde d'amertume en un dernier effort, Il aille déposer ses limons et ses fanges Dans l'estuaire immense et morne de la Mort.
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On n'offense que Dieu qui seul pardonne
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : On n'offense que Dieu qui seul pardonne Titre : On n'offense que Dieu qui seul pardonne Poète : Paul Verlaine (1844-1896) On n'offense que Dieu qui seul pardonne. Mais On centriste son frère, on l'afflige, on le blesse. On fait gronder sa haine ou pleurer sa faiblesse, Et c'est un crime affreux qui va troubler la paix Des simples, et donner au monde sa pâture, Scandale, cœurs perdus, gros mots et rire épais. Le plus souvent par un effet de la nature Des choses, ce péché trouve son châtiment Même ici-bas, féroce et long communément. Mais l'Amour tout-puissant donne à la créature Le sens de son malheur qui mène au repentir Par une route lente et haute, mais très sûre. Alors un grand désir, un seul, vient investir — Le pénitent, après les premières alarmes. Et c'est d'humilier son front devant les larmes De naguère, sans rien qui pourrait amollir Le coup droit pour l'orgueil, et de rendre les armes Comme un soldat vaincu, — triste de bonne fol. Ô ma sœur, qui m'avez puni, pardonnez-moi !
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L'art et le peuple
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : L'art et le peuple Titre : L'art et le peuple Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. L'art, c'est la gloire et la joie. Dans la tempête il flamboie ; Il éclaire le ciel bleu. L'art, splendeur universelle, Au front du peuple étincelle, Comme l'astre au front de Dieu. L'art est un champ magnifique Qui plaît au cœur pacifique, Que la cité dit aux bois, Que l'homme dit à la femme, Que toutes les voix de l'âme Chantent en chœur à la fois ! L'art, c'est la pensée humaine Qui va brisant toute chaîne ! L'art, c'est le doux conquérant ! À lui le Rhin et le Tibre ! Peuple esclave, il te fait libre ; Peuple libre, il te fait grand ! II. Ô bonne France invincible, Chante ta chanson paisible ! Chante, et regarde le ciel ! Ta voix joyeuse et profonde Est l'espérance du monde, Ô grand peuple fraternel ! Bon peuple, chante à l'aurore, Quand le soir vient, chante encore ! Le travail fait la gaîté. Ris du vieux siècle qui passe ! Chante l'amour à voix basse, Et tout haut la liberté ! Chante la sainte Italie, La Pologne ensevelie, Naples qu'un sang pur rougit, La Hongrie agonisante... — Ô tyrans ! le peuple chante Comme le lion rugit ! Le 7 novembre 1851.
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Luxures
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Luxures Titre : Luxures Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Chair ! ô seul fruit mordu des vergers d'ici-bas, Fruit amer et sucré qui jutes aux dents seules Des affamés du seul amour, bouches ou gueules, Et bon dessert des forts, et leurs joyeux repas, Amour ! le seul émoi de ceux que n'émeut pas L'horreur de vivre, Amour qui presses sous tes meules Les scrupules des libertins et des bégueules Pour le pain des damnés qu'élisent les sabbats, Amour, tu m'apparais aussi comme un beau pâtre Dont rêve la fileuse assise auprès de l'âtre Les soirs d'hiver dans la chaleur d'un sarment clair, Et la fileuse c'est la Chair, et l'heure tinte Où le rêve étreindra la rêveuse, — heure sainte Ou non ! qu'importe à votre extase, Amour et Chair ?
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La femme
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La femme Titre : La femme Poète : Victor Hugo (1802-1885) Je l'ai dit quelque part, les penseurs d'autrefois, Épiant l'inconnu dans ses plus noires lois, Ont tous étudié la formation d'Ève. L'un en fit son problème et l'autre en fit son rêve. L'horreur sacrée étant dans tout, se pourrait-il Que la femme, cet être obscur, puissant, subtil, Fût double, et, tout ensemble ignorée et charnelle, Fît hors d'elle l'aurore, ayant la nuit en elle ? Le hibou serait-il caché dans l'alcyon ? Qui dira le secret de la création ? Les germes, les aimants, les instincts, les effluves ! Qui peut connaître à fond toutes ces sombres cuves ? Est-ce que le Vésuve et l'Etna, les reflux Des forces s'épuisant en efforts superflus, Le vaste tremblement des feuilles remuées, Les ouragans, les fleurs, les torrents, les nuées, Ne peuvent pas finir par faire une vapeur. Qui se condense en femme et dont le sage a peur ? Tout fait Tout, et le même insondable cratère Crée à Thulé la lave et la rose à Cythère. Rien ne sort des volcans qui n'entre dans les coeurs. Les oiseaux dans les bois ont des rires moqueurs Et tristes, au-dessus de l'amoureux crédule. N'est-ce pas le serpent qui vaguement ondule Dans la souple beauté des vierges aux seins nus ? Les grands sages étaient d'immenses ingénus ; Ils ne connaissaient pas la forme de ce globe, Mais, pâles, ils sentaient traîner sur eux la robe De la sombre passante, Isis au voile noir ; Tout devient le soupçon quand Rien est le savoir ; Pour Lucrèce, le dieu, pour Job, le kéroubime Mentaient ; on soupçonnait de trahison l'abîme ; On croyait le chaos capable d'engendrer La femme, pour nous plaire et pour nous enivrer, Et pour faire monter jusqu'à nous sa fumée ; La Sicile, la Grèce étrange, l'Idumée, L'Iran, l'Egypte et l'Inde, étaient des lieux profonds ; Qui sait ce que les vents, les brumes, les typhons Peuvent apporter d'ombre à l'âme féminine ? Les tragiques forêts de la chaîne Apennine, La farouche fontaine épandue à longs flots Sous l'Olympe, à travers les pins et les bouleaux, L'antre de Béotie où dans l'ombre diffuse On sent on ne sait quoi qui s'offre et se refuse, Chypre et tous ses parfums, Delphe et tous ses rayons, Le lys que nous cueillons, l'azur que nous voyons, Tout cela, c'est auguste, et c'est peut-être infâme. Tout, à leurs yeux, était sphinx, et quand une femme Venait vers eux, parlant avec sa douce voix, Qui sait ? peut-être Hermès et Dédale, les bois, Les nuages, les eaux, l'effrayante Cybèle, Toute l'énigme était mêlée à cette belle. L'univers aboutit à ce monstre charmant. La ménade est déjà presque un commencement De la femme chimère, et d'antiques annales Disent qu'avril était le temps des bacchanales, Et que la liberté de ces fêtes s'accrut Des fauves impudeurs de la nature en rut ; La nature partout donne l'exemple énorme De l'accouplement sombre où l'âme étreint la forme ; La rose est une fille ; et ce qu'un papillon Fait à la plante, est fait au grain par le sillon. La végétation terrible est ignorée. L'horreur des bois unit Flore avec Briarée, Et marie une fleur avec l'arbre aux cent bras. Toi qui sous le talon d'Apollon te cabras, Ô cheval orageux du Pinde, tes narines Frémissaient quand passaient les nymphes vipérines, Et, sentant là de l'ombre hostile à ta clarté, Tu t'enfuyais devant la sinistre Astarté. Et Terpandre le vit, et Platon le raconte. La femme est une gloire et peut être une honte Pour l'ouvrier divin et suspect qui la fit. A tout le bien, à tout le mal, elle suffit. Haine, amour, fange, esprit, fièvre, elle participe Du gouffre, et la matière aveugle est son principe. Elle est le mois de mai fait chair, vivant, chantant. Qu'est-ce que le printemps ? une orgie. A l'instant, Où la femme naquit, est morte l'innocence. Les vieux songeurs ont vu la fleur qui nous encense Devenir femme à l'heure où l'astre éclôt au ciel, Et, pour Orphée ainsi que pour Ézéchiel, La nature n'étant qu'un vaste hymen, l'ébauche D'un être tentateur rit dans cette débauche ; C'est la femme. Elle est spectre et masque, et notre sort Est traversé par elle ; elle entre, flotte et sort. Que nous veut-elle ? A-t-elle un but ? Par quelle issue Cette apparition vaguement aperçue S'est-elle dérobée ? Est-ce un souffle de nuit Qui semble une âme errante et qui s'évanouit ? Les sombres hommes sont une forêt, et l'ombre Couvre leurs pas, leurs voix, leurs yeux, leur bruit, leur nombre ; Le genre humain, mêlé sous les hauts firmaments, Est plein de carrefours et d'entre-croisements, Et la femme est assez blanche pour qu'on la voie A travers cette morne et blême claire-voie. Cette vision passe ; et l'on reste effaré. Aux chênes de Dodone, aux cèdres de Membré, L'hiérophante ému comme le patriarche Regarde ce fantôme inquiétant qui marche. Non, rien ne nous dira ce que peut être au fond Cet être en qui Satan avec Dieu se confond : Elle résume l'ombre énorme en son essence. Les vieux payens croyaient à la toute puissance De l'abîme, du lit sans fond, de l'élément ; Ils épiaient la mer dans son enfantement ; Pour eux, ce qui sortait de la tempête immense, De toute l'onde en proie aux souffles en démence Et du vaste flot vert à jamais tourmenté, C'était le divin sphinx féminin, la Beauté, Toute nue, infernale et céleste, insondable, Ô gouffre ! et que peut-on voir de plus formidable, Sous les cieux les plus noirs et les plus inconnus, Que l'océan ayant pour écume Vénus ! Aucune aile ici-bas n'est pour longtemps posée. Quand elle était petite, elle avait un oiseau ; Elle le nourrissait de pain et de rosée, Et veillait sur son nid comme sur un berceau. Un soir il s'échappa. Que de plaintes amères ! Dans mes bras en pleurant je la vis accourir... Jeunes filles, laissez, laissez, ô jeunes mères, Les oiseaux s'envoler et les enfants mourir ! C'est une loi d'en haut qui veut que tout nous quitte. Le secret du Seigneur, nous le saurons un jour. Elle grandit. La vie, hélas ! marche si vite ! Elle eut un doux enfant, un bel ange, un amour. Une nuit, triste sort des choses éphémères ! Cet enfant s'éteignit, sans pleurer, sans souffrir... Jeunes filles, laissez, laissez, ô jeunes mères, Les oiseaux s'envoler et les enfants mourir ! Le 22 juin 1842.
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Allégorie
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Allégorie Titre : Allégorie Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) C'est une femme belle et de riche encolure, Qui laisse dans son vin traîner sa chevelure. Les griffes de l'amour, les poisons du tripot, Tout glisse et tout s'émousse au granit de sa peau. Elle rit à la mort et nargue la Débauche, Ces monstres dont la main, qui toujours gratte et fauche, Dans ses jeux destructeurs a pourtant respecté De ce corps ferme et droit la rude majesté. Elle marche en déesse et repose en sultane ; Elle a dans le plaisir la foi mahométane, Et dans ses bras ouverts, que remplissent ses seins, Elle appelle des yeux la race des humains. Elle croit, elle sait, cette vierge inféconde Et pourtant nécessaire à la marche du monde, Que la beauté du corps est un sublime don Qui de toute infamie arrache le pardon. Elle ignore l'Enfer comme le Purgatoire, Et quand l'heure viendra d'entrer dans la Nuit noire, Elle regardera la face de la Mort, Ainsi qu'un nouveau-né, - sans haine et sans remord.
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Stances - Que j'aime à voir
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Stances - Que j'aime à voir Titre : Stances - Que j'aime à voir Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Que j'aime à voir, dans la vallée Désolée, Se lever comme un mausolée Les quatre ailes d'un noir moutier ! Que j'aime à voir, près de l'austère Monastère, Au seuil du baron feudataire, La croix blanche et le bénitier ! Vous, des antiques Pyrénées Les aînées, Vieilles églises décharnées, Maigres et tristes monuments, Vous que le temps n'a pu dissoudre, Ni la foudre, De quelques grands monts mis en poudre N'êtes-vous pas les ossements ? J'aime vos tours à tête grise, Où se brise L'éclair qui passe avec la brise, J'aime vos profonds escaliers Qui, tournoyant dans les entrailles Des murailles, À l'hymne éclatant des ouailles Font répondre tous les piliers ! Oh ! lorsque l'ouragan qui gagne La campagne, Prend par les cheveux la montagne, Que le temps d'automne jaunit, Que j'aime, dans le bois qui crie Et se plie, Les vieux clochers de l'abbaye, Comme deux arbres de granit ! Que j'aime à voir, dans les vesprées Empourprées, Jaillir en veines diaprées Les rosaces d'or des couvents ! Oh ! que j'aime, aux voûtes gothiques Des portiques, Les vieux saints de pierre athlétiques Priant tout bas pour les vivants !
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L'invitation au voyage (II)
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : L'invitation au voyage (II) Titre : L'invitation au voyage (II) Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu'on pourrait appeler l'Orient de l'Occident, la Chine de l'Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s'y est donné carrière, tant elle l'a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations. Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe a plaisir à se mirer dans l'ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d'où le désordre, la turbulence et l'imprévu sont exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange. Tu connais cette maladie fiévreuse qui s'empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu'on ignore, cette angoisse de la curiosité ? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C'est là qu'il faut aller vivre, c'est là qu'il faut aller mourir ! Oui, c'est là qu'il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l'infini des sensations. Un musicien a écrit l'Invitation à la valse ; quel est celui qui composera l'Invitation au voyage, qu'on puisse offrir à la femme aimée, à la sœur d'élection ? Oui, c'est dans cette atmosphère qu'il ferait bon vivre, — là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité. Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d'une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoffes, l'orfèvrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse ; et de toutes choses, de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s'échappe un parfum singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l'âme de l'appartement. Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfèvrerie, comme une bijouterie bariolée ! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison d'un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux autres, comme l'Art l'est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue. Qu'ils cherchent, qu'ils cherchent encore, qu'ils reculent sans cesse les limites de leur bonheur, ces alchimistes de l'horticulture ! Qu'ils proposent des prix de soixante et de cent mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes ! Moi, j'ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu ! Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c'est là, n'est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu'il faudrait aller vivre et fleurir ? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les mystiques, dans ta propre correspondance ? Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l'âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l'éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d'opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d'heures remplies par la jouissance positive, par l'action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu'a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ? Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c'est toi. C'est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu'ils charrient, tout chargés de richesses, et d'où montent les chants monotones de la manœuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l'Infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme ; — et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l'Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l'infini vers toi.
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Charleroi
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Charleroi Titre : Charleroi Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Dans l'herbe noire Les Kobolds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire. Quoi donc se sent ? L'avoine siffle. Un buisson gifle L'oeil au passant. Plutôt des bouges Que des maisons. Quels horizons De forges rouges ! On sent donc quoi ? Des gares tonnent, Les yeux s'étonnent, Où Charleroi ? Parfums sinistres ! Qu'est-ce que c'est ? Quoi bruissait Comme des sistres ? Sites brutaux ! Oh ! votre haleine, Sueur humaine, Cris des métaux ! Dans l'herbe noire Les Kobolds vont. Le vent profond Pleure, on veut croire.
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Chanson pour elles
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Chanson pour elles Titre : Chanson pour elles Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chair (1896). Ils me disent que tu es blonde Et que toute blonde est perfide, Même ils ajoutent " comme l'onde ". Je me ris de leur discours vide ! Tes yeux sont les plus beaux du monde Et de ton sein je suis avide. Ils me disent que tu es brune, Qu'une brune a des yeux de braise Et qu'un coeur qui cherche fortune S'y brûle... Ô la bonne foutaise ! Ronde et fraîche comme la lune, Vive ta gorge aux bouts de fraise ! Ils me disent de toi, châtaine : Elle est fade, et rousse trop rose. J'encague cette turlutaine, Et de toi j'aime toute chose De la chevelure, fontaine D'ébène ou d'or (et dis, ô pose- Les sur mon coeur), aux pieds de reine.
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Retour
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Retour Titre : Retour Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Heureux le voyageur que sa ville chérie Voit rentrer dans le port, aux premiers feux du jour ! Qui salue à la fois le ciel et la patrie, La vie et le bonheur, le soleil et l'amour ! — Regardez, compagnons, un navire s'avance. La mer, qui l'emporta, le rapporte en cadence, En écumant sous lui, comme un hardi coursier, Qui, tout en se cabrant, sent son vieux cavalier. Salut ! qui que tu sois, toi dont la blanche voile De ce large horizon accourt en palpitant Heureux, quand tu reviens, si ton errante étoile T'a fait aimer la rive ! heureux si l'on t'attend ! D'où viens-tu, beau navire ? à quel lointain rivage, Léviathan superbe, as-tu lavé tes flancs ? Es-tu blessé, guerrier ? Viens-tu d'un long voyage ? C'est une chose à voir, quand tout un équipage, Monté jeune à la mer, revient en cheveux blancs. Es-tu ruche ? viens-tu de l'Inde ou du Mexique ? Ta quille est-elle lourde, ou si les vents du nord T'ont pris, pour ta rançon, le poids de ton trésor ? As-tu bravé la foudre et passé le tropique ? T'es-tu, pendant deux ans, promené sur la mort, Couvant d'un œil hagard ta boussole tremblante, Pour qu'une Européenne, une pâle indolente, Puisse embaumer son bain des parfums du sérail Et froisser dans la valse un collier de corail ? Comme le cœur bondit quand la terre natale, Au moment du retour, commence à s'approcher, Et du vaste Océan sort avec son clocher ! Et quel tourment divin dans ce court intervalle, Où l'on sent qu'elle arrive et qu'on va la toucher ! Ô patrie ! ô patrie ! ineffable mystère ! Mot sublime et terrible ! inconcevable amour ! L'homme n'est-il donc né que pour un coin de terre, Pour y bâtir son nid, et pour y vivre un jour ? Le Havre, septembre 1855.
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Te regardant assise auprès de ta cousine
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Te regardant assise auprès de ta cousine Titre : Te regardant assise auprès de ta cousine Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Sonnets pour Hélène (1578). Te regardant assise auprès de ta cousine, Belle comme une Aurore, et toi comme un Soleil, Je pensai voir deux fleurs d'un même teint pareil, Croissantes en beauté, l'une à l'autre voisine. La chaste, sainte, belle et unique Angevine, Vite comme un éclair sur moi jeta son oeil. Toi, comme paresseuse et pleine de sommeil, D'un seul petit regard tu ne m'estimas digne. Tu t'entretenais seule au visage abaissé, Pensive toute à toi, n'aimant rien que toi-même, Dédaignant un chacun d'un sourcil ramassé. Comme une qui ne veut qu'on la cherche ou qu'on l'aime. J'eus peur de ton silence et m'en ahai tout blërne, Craignant que mon salut n'eût ton oeil offensé.
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Oraison du soir
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Oraison du soir Titre : Oraison du soir Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. Je vis assis, tel qu'un ange aux mains d'un barbier, Empoignant une chope à fortes cannelures, L'hypogastre et le col cambrés, une Gambier Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures. Tels que les excréments chauds d'un vieux colombier, Mille Rêves en moi font de douces brûlures : Puis par instants mon coeur triste est comme un aubier Qu'ensanglante l'or jeune et sombre des coulures. Puis, quand j'ai ravalé mes rêves avec soin, Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes, Et me recueille, pour lâcher l'âcre besoin : Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes, Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin, Avec l'assentiment des grands héliotropes.
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Sur l'herbe
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sur l'herbe Titre : Sur l'herbe Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). — L'abbé divague. — Et toi, marquis, Tu mets de travers ta perruque. — Ce vieux vin de Chypre est exquis Moins, Camargo, que votre nuque. — Ma flamme ... — Do, mi, sol, la, si. L'abbé, ta noirceur se dévoile ! — Que je meure, mesdames, si Je ne vous décroche une étoile ! — Je voudrais être petit chien ! — Embrassons nos bergères, l'une Après l'autre. — Messieurs, eh bien ? — Do, mi, sol. — Hé ! bonsoir la Lune !
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Anima vilis
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Anima vilis Titre : Anima vilis Poète : Victor Hugo (1802-1885) À force d'insulter les vaillants et les justes, À force de flatter les trahisons augustes, À force d'être abject et d'ajuster des tas De sophismes hideux aux plus noirs attentats, Cet homme espère atteindre aux grandeurs ; il s'essouffle À passer scélérat, lui qui n'est que maroufle. Ce pédagogue aspire au grade de coquin. Ce rhéteur, ver de terre et de lettres, pasquin Qui s'acharne sur nous et dont toujours nous rîmes, Tâche d'être promu complice des grands crimes. Il raillait l'art, et c'est tout simple en vérité, La laideur est aveugle et sourde à la beauté. Mais être un idiot ne peut plus lui suffire, Il est jaloux du tigre à qui la peur dit : sire ! Il veut être aussi lui sénateur des forêts ; Il veut avoir, ainsi que Montluc ou Verrès, Sa caverne ou sa cage avec grilles et trappes Dans la ménagerie énorme des satrapes. Ah çà, tu perds ton temps et ta peine, grimaud ! Aliboron n'est pas aisément Béhémoth ; Le burlesque n'est pas facilement sinistre ; Fusses-tu meurtrier, tu demeurerais cuistre. Quand ces êtres sanglants qu'il te plaît d'envier, Mammons que hait Tacite et qu'admire Cuvier, Sont là, brigands et dieux, on n'entre pas d'emblée Dans leur épouvantable et royale assemblée. Devenir historique ! Impossible pour toi. Sortir du mépris simple et compter dans l'effroi, Toi, jamais ! Ton front bas exclut ce noir panache. Ton sort est d'être, jeune, inepte ; et, vieux, ganache. Vers l'avancement vrai tu n'as point fait un pas ; Tu te gonfles, crapaud, mais tu n'augmentes pas ; Si Myrmidon croissait, ce serait du désordre ; Tu parviens à ramper sans parvenir à mordre. La nature n'a pas de force à dépenser Pour te faire grandir et te faire pousser. Quoi donc ! N'est-elle point l'impassible nature ? Parce que des têtards, nourris de pourriture, Souhaitent devenir dragons et caïmans, Elle consentirait à ces grossissements ! Le ver serait boa ! L'huître deviendrait l'hydre ! Locuste empoisonnait le vin, et non le cidre ; L'enfer fit Arétin terrible, et non Brusquet. Un avorton ne peut qu'avorter. Le roquet S'efforce d'être loup, mais il s'arrête en route. Le ciel mystérieux fait des guépards sans doute, De fiers lions bandits, pires que les démons, Des éléphants, des ours ; mais il livre les monts, Les antres et les bois à leur majesté morne ! Mais il lui faut l'espace et les sables sans borne Et l'immense désert pour les démuseler ! Le chat qui veut rugir ne peut que miauler ; En vain il copierait le grand jaguar lyrique Errant sur la falaise au bord des mers d'Afrique, Et la panthère horrible, et le lynx moucheté ; Dieu ne fait pas monter jusqu'à la dignité De crime, de furie et de scélératesse, Cette méchanceté faite de petitesse. Les montagnes, pignons et murs de granit noir D'où tombent les torrents affreux, riraient de voir Ce preneur de souris rôder sur leur gouttière. Un nain ne devient pas géant au vestiaire. Pour être un dangereux et puissant animal, Il faut qu'un grand rayon tombe sur vous ; le mal N'arrive pas toujours à sa hideuse gloire. Dieu tolère, c'est vrai, la création noire, Mais d'aussi plats que toi ne sont pas exaucés. Tu ne parviendras pas, drôle, à t'enfler assez Pour être un python vaste et sombre au fond des fanges ; Tu n'égaleras point ces reptiles étranges Dont l'œil aux soupiraux de l'enfer est pareil. Tu demeureras laid, faible et mou. Le soleil Dédaigne le lézard, candidat crocodile. Sois un cœur monstrueux, mais reste une âme vile.
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Sainte Casilda
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Sainte Casilda Titre : Sainte Casilda Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Espana (1845). À Burgos, dans un coin de l'église déserte, Un tableau me surprit par son effet puissant : Un ange, pâle et fier, d'un ciel fauve descend, À sainte Casilda portant la palme verte. Pour l'œuvre des bourreaux la vierge découverte Montre sur sa poitrine, albâtre éblouissant, À la place des seins, deux ronds couleur de sang, Distillant un rubis par chaque veine ouverte. Et les seins déjà morts, beaux lis coupés en fleurs, Blancs comme les morceaux d'une Vénus de marbre, Dans un bassin d'argent gisent au pied d'un arbre. Mais la sainte en extase, oubliant sa douleur, Comme aux bras d'un amant de volupté se pâme, Car aux lèvres du Christ elle suspend son âme !
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À l'obéissance passive (V)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À l'obéissance passive (V) Titre : À l'obéissance passive (V) Poète : Victor Hugo (1802-1885) V. Donc, les soldats français auront vu, jours infâmes ! Après Brune et Desaix, après ces grandes âmes Que nous admirons tous, Après Turenne, après Xaintraille, après Lahire, Poulailler leur donner des drapeaux et leur dire Je suis content de vous ! Ô drapeaux du passé, si beaux dans les histoires, Drapeaux de tous nos preux et de toutes nos gloires, Redoutés du fuyard, Percés, troués, criblés, sans peur et sans reproche, Vous qui dans vos lambeaux mêlez le sang de Hoche Et le sang de Bayard, Ô vieux drapeaux ! sortez des tombes. des abîmes ! Sortez en foule, ailés de vos haillons sublimes, Drapeaux éblouissants ! Comme un sinistre essaim qui sur l'horizon monte, Sortez, venez, volez, sur toute cette honte Accourez frémissants ! Délivrez nos soldats de ces bannières viles ! Vous qui chassiez les rois, vous qui preniez les villes, Vous en qui l'âme croit, Vous qui passiez les monts, les gouffres et les fleuves, Drapeaux sous qui l'on meurt, chassez ces aigles neuves, Drapeaux sous qui l'on boit ! Que nos tristes soldats fassent la différence ! Montrez-leur ce que c'est que les drapeaux de France, Montrez vos sacrés plis Qui flottaient sur le Rhin, sur la Meuse et la Sambre, Et faites, ô drapeaux, auprès du Deux-Décembre Frissonner Austerlitz ! Jersey, du 7 au 13 janvier 1853.
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Sois de bronze et de marbre
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sois de bronze et de marbre Titre : Sois de bronze et de marbre Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Sois de bronze et de marbre et surtout sois de chair Certes, prise l'orgueil nécessaire plus cher, Pour ton combat avec les contingences vaines ; Que les poils de ta barbe ou le sang de tes veines ; Mais vis, vis pour souffrir, souffre pour expier, Expie et va-t'en vivre et puis reviens prier, Prier pour le courage et la persévérance De vivre dans ce siècle, hélas ! et cette France, Siècle et France ignorants et tristement railleurs. (Mais le règne est plus haut et la patrie ailleurs Et la solution est autre du problème.) Sois de chair et même aime cette chair, la même Que celle de Jésus sur terre et dans les cieux, Et dans le Très Saint-Sacrement si précieux Qu'il n'est de comparable à sa valeur que celle De ta chair vénérable en sa moindre parcelle Et dans le moindre grain de l'Hostie à l'autel ; Car ce mystère, l'Incarnation, est tel, Par l'exégèse autour comme par sa nature ; Qu'il fait égale au Créateur la créature, Cependant que, par un miracle encor plus grand, L'Eucharistie, elle, les confond et les rend Identiques. Or cette chair expiatoire. Fais-t'en une arme douloureuse de victoire Sur l'orgueil que Satan peut d'elle t'inspirer Pour l'orgueil qu'à jamais tu peux considérer Comme le prix suprême et le but enviable. Tout le reste n'est rien que malice du diable ! Alors, oui, sois de bronze impassible, revêts L'armure inaccessible à braver le Mauvais, Pudeur, Calme, Respect, Silence et Vigilance. Puis sois de marbre, et pur, sous le heaume qui lance Par ses trous le regard de tes yeux assurés, Marche à pas révérents sur les parvis sacrés.
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L'Amour de l'Amour
Germain Nouveau (1851-1920)
Poésie : L'Amour de l'Amour Titre : L'Amour de l'Amour Poète : Germain Nouveau (1851-1920) I. Aimez bien vos amours ; aimez l'amour qui rêve Une rose à la lèvre et des fleurs dans les yeux ; C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève, Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux. Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures, Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels, Et qui déroule au ciel la tresse et les ceintures, Ou qui vide un carquois sur des coeurs immortels. Aimez l'amour qui parle avec la lenteur basse Des Ave Maria chuchotés sous l'arceau ; C'est lui que vous priez quand votre tête est lasse, Lui dont la voix vous rend le rythme du berceau. Aimez l'amour que Dieu souffla sur notre fange, Aimez l'amour aveugle, allumant son flambeau, Aimez l'amour rêvé qui ressemble à notre ange, Aimez l'amour promis aux cendres du tombeau ! Aimez l'antique amour du règne de Saturne, Aimez le dieu charmant, aimez le dieu caché, Qui suspendait, ainsi qu'un papillon nocturne, Un baiser invisible aux lèvres de Psyché ! Car c'est lui dont la terre appelle encore la flamme, Lui dont la caravane humaine allait rêvant, Et qui, triste d'errer, cherchant toujours une âme, Gémissait dans la lyre et pleurait dans le vent. Il revient ; le voici : son aurore éternelle A frémi comme un monde au ventre de la nuit, C'est le commencement des rumeurs de son aile ; Il veille sur le sage, et la vierge le suit. Le songe que le jour dissipe au coeur des femmes, C'est ce Dieu. Le soupir qui traverse les bois, C'est ce Dieu. C'est ce Dieu qui tord les oriflammes Sur les mâts des vaisseaux et des faîtes des toits. Il palpite toujours sous les tentes de toile, Au fond de tous les cris et de tous les secrets ; C'est lui que les lions contemplent dans l'étoile ; L'oiseau le chante au loup qui le hurle aux forêts. La source le pleurait, car il sera la mousse, Et l'arbre le nommait, car il sera le fruit, Et l'aube l'attendait, lui, l'épouvante douce Qui fera reculer toute ombre et toute nuit. Le voici qui retourne à nous, son règne est proche, Aimez l'amour, riez ! Aimez l'amour, chantez ! Et que l'écho des bois s'éveille dans la roche, Amour dans les déserts, amour dans les cités ! Amour sur l'Océan, amour sur les collines ! Amour dans les grands lys qui montent des vallons ! Amour dans la parole et les brises câlines ! Amour dans la prière et sur les violons ! Amour dans tous les coeurs et sur toutes les lèvres ! Amour dans tous les bras, amour dans tous les doigts ! Amour dans tous les seins et dans toutes les fièvres ! Amour dans tous les yeux et dans toutes les voix ! Amour dans chaque ville : ouvrez-vous, citadelles ! Amour dans les chantiers : travailleurs, à genoux ! Amour dans les couvents : anges, battez des ailes ! Amour dans les prisons : murs noirs, écroulez-vous ! II. Mais adorez l'Amour terrible qui demeure Dans l'éblouissement des futures Sions, Et dont la plaie, ouverte encor, saigne à toute heure Sur la croix, dont les bras s'ouvrent aux nations.
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Green
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Green Titre : Green Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux. J'arrive tout couvert encore de rosée Que le vent du matin vient glacer à mon front. Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée Rêve des chers instants qui la délasseront. Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête Toute sonore encore de vos derniers baisers ; Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête, Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
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À ma mère
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À ma mère Titre : À ma mère Poète : Alfred de Musset (1810-1857) (Écrit à l'âge de quatorze ans.) Après un si joyeux festin, Zélés sectateurs de Grégoire, Mes amis, si, le verre en main Nous voulons chanter, rire et boire, Pourquoi s'adresser à Bacchus ? Dans une journée aussi belle Mes amis, chantons en " chorus " À la tendresse maternelle. (Bis.) Un don pour nous si précieux, Ce doux protecteur de l'enfance, Ah ! c'est une faveur des cieux Que Dieu donna dans sa clémence. D'un bien pour l'homme si charmant Nous avons ici le modèle ; Qui ne serait reconnaissant À la tendresse maternelle ? (Bis.) Arrive-t-il quelque bonheur ? Vite, à sa mère on le raconte ; C'est dans son sein consolateur Qu'on cache ses pleurs ou sa honte. A-t-on quelques faibles succès, On ne triomphe que pour elle Et que pour répondre aux bienfaits De la tendresse maternelle. (Bis.) Ô toi, dont les soins prévoyants, Dans les sentiers de cette vie Dirigent mes pas nonchalants, Ma mère, à toi je me confie. Des écueils d'un monde trompeur Écarte ma faible nacelle. Je veux devoir tout mon bonheur À la tendresse maternelle. (Bis.)
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Me voilà revenu de ce voyage
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Me voilà revenu de ce voyage Titre : Me voilà revenu de ce voyage Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Me voilà revenu de ce voyage sombre, Où l'on n'a pour flambeaux et pour astre dans l'ombre Que les yeux du hibou ; Comme, après tout un jour de labourage, un buffle S'en retourne à pas lents, morne et baissant le mufle, Je vais ployant le cou. Me voilà revenu du pays des fantômes, Mais je conserve encor, loin des muets royaumes Le teint pâle des morts. Mon vêtement, pareil au crêpe funéraire Sur une urne jeté, de mon dos jusqu'à terre Pend au long de mon corps. Je sors d'entre les mains d'une mort plus avare Que celle qui veillait au tombeau de Lazare ; Elle garde son bien : Elle lâche le corps, mais elle retient l'âme ; Elle rend le flambeau, mais elle éteint la flamme, Et Christ n'y pourrait rien. Je ne suis plus, hélas ! Que l'ombre de moi-même, Que la tombe vivante où gît tout ce que j'aime, Et je me survis seul ; Je promène avec moi les dépouilles glacées De mes illusions, charmantes trépassées Dont je suis le linceul. Je suis trop jeune encor, je veux aimer et vivre, Ô mort... et je ne puis me résoudre à te suivre Dans le sombre chemin ; Je n'ai pas eu le temps de bâtir la colonne Où la gloire viendra suspendre ma couronne ; Ô mort, reviens demain ! Vierge aux beaux seins d'albâtre, épargne ton poète, Souviens-toi que c'est moi, qui le premier, t'ai faite Plus belle que le jour ; J'ai changé ton teint vert en pâleur diaphane, Sous de beaux cheveux noirs j'ai caché ton vieux crâne, Et je t'ai fait la cour. Laisse-moi vivre encor, je dirai tes louanges ; Pour orner tes palais, je sculpterai des anges, Je forgerai des croix ; Je ferai, dans l'église et dans le cimetière, Fondre le marbre en pleurs et se plaindre la pierre Comme au tombeau des rois ! Je te consacrerai mes chansons les plus belles : Pour toi j'aurai toujours des bouquets d'immortelles Et des fleurs sans parfum. J'ai planté mon jardin, ô mort, avec tes arbres ; L'if, le buis, le cyprès y croisent sur les marbres Leurs rameaux d'un vert brun. J'ai dit aux belles fleurs, doux honneur du parterre, Au lis majestueux ouvrant son blanc cratère, À la tulipe d'or, À la rose de mai que le rossignol aime, J'ai dit au dahlia, j'ai dit au chrysanthème, À bien d'autres encor : Ne croissez pas ici ! Cherchez une autre terre, Frais amours du printemps ; pour ce jardin austère Votre éclat est trop vif ; Le houx vous blesserait de ses pointes aiguës, Et vous boiriez dans l'air le poison des ciguës, L'odeur âcre de l'if. Ne m'abandonne pas, ô ma mère, ô nature, Tu dois une jeunesse à toute créature, À toute âme un amour ; Je suis jeune et je sens le froid de la vieillesse, Je ne puis rien aimer. Je veux une jeunesse, N'eût-elle qu'un seul jour !
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Bohémiens en voyage
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Bohémiens en voyage Titre : Bohémiens en voyage Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). La tribu prophétique aux prunelles ardentes Hier s'est mise en route, emportant ses petits Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes. Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes Le long des chariots où les leurs sont blottis, Promenant sur le ciel des yeux appesantis Par le morne regret des chimères absentes. Du fond de son réduit sablonneux le grillon, Les regardant passer, redouble sa chanson ; Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures, Fait couler le rocher et fleurir le désert Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert L'empire familier des ténèbres futures.
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Épitaphe
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Épitaphe Titre : Épitaphe Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les contemplations (1856). Il vivait, il jouait, riante créature. Que te sert d'avoir pris cet enfant, ô nature ? N'as-tu pas les oiseaux peints de mille couleurs, Les astres, les grands bois, le ciel bleu, l'onde amère ? Que te sert d'avoir pris cet enfant à sa mère, Et de l'avoir caché sous des touffes de fleurs ? Pour cet enfant de plus tu n'es pas plus peuplée, Tu n'es pas plus joyeuse, ô nature étoilée ! Et le cœur de la mère en proie à tant de soins, Ce cœur où toute joie engendre une torture, Cet abîme aussi grand que toi-même, ô nature, Est vide et désolé pour cet enfant de moins ! Mai 1843.
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Les yeux bleus de la montagne
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Les yeux bleus de la montagne Titre : Les yeux bleus de la montagne Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Espana (1845). On trouve dans les monts des lacs de quelques toises, Purs comme des cristaux, bleus comme des turquoises, Joyaux tombés du doigt de l'ange Ithuriel, Où le chamois craintif, lorsqu'il vient pour y boire, S'imagine, trompé par l'optique illusoire, Laper l'azur du ciel. Ces limpides bassins, quand le jour s'y reflète, Ont comme la prunelle une humide paillette ; Et ce sont les yeux bleus, au regard calme et doux, Par lesquels la montagne en extase contemple, Forgeant quelque soleil dans le fond de son temple, Dieu, l'ouvrier jaloux !
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Vous m'avez demandé quelques vers sur Amour
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Vous m'avez demandé quelques vers sur Amour Titre : Vous m'avez demandé quelques vers sur Amour Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). Vous m'avez demandé quelques vers sur « Amour ». Ce mien livre, d'émoi cruel et de détresse, Déjà loin dans mon Œuvre étrange qui se presse Et dévale, flot plus amer de jour en jour. Qu'en dire, sinon : « Poor Yorick ! » ou mieux « poor Lelian ! » et pauvre âme à tout faire, faiblesse, Mollesse par des fois et caresse et paresse, Ou tout à coup partie en guerre comme pour Tout casser d'un passé si pur, si chastement Ordonné par la beauté des calmes pensées. Et pour damner tant d'heures en Dieu dépensées. Puis il revient, mon Œuvre, las d'un tel ahan, Pénitent, et tombant à genoux mains dressées... Priez avec et pour le pauvre Lelian !
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J'ai l'esprit tout ennuyé
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : J'ai l'esprit tout ennuyé Titre : J'ai l'esprit tout ennuyé Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) J'ai l'esprit tout ennuyé D'avoir trop étudié Les phénomènes d'Arate ; Il est temps que je m'ébatte Et que j'aille aux champs jouer. Bons Dieux ! qui voudrait louer Ceux qui collés sur un livre, N'ont jamais souci de vivre ? Que nous sert l'étudier, Sinon de nous ennuyer ? Et soin dessus soin accroître À nous, qui serons peut-être Ou ce matin ou ce soir Victime de l'Orque noir ? De l'Orque qui ne pardonne, Tant il est fier, à personne. Corydon, marche devant ; Sache où le bon vin se vend ; Fais rafraîchir ma bouteille, Cherche une feuilleuse treille Et des fleurs pour me coucher. Ne m'achète point de chair, Car tant soit-elle friande, L'été je hais la viande ; Achète des abricots, Des pompons (1), des artichauts, Des fraises et de la crème C'est en été ce que j'aime, Quand sur le bord d'un ruisseau, Je les mange au bruit de l'eau, Etendu sur le rivage, Ou dans un antre sauvage. Alors que je suis dispo, Je veux rire sans repos, De peur que la maladie Un de ces jours ne me dit, Je t'ai maintenant vaincu : "Meurs, galant, c'est trop vécu !" 1. Les pompons sont des cerises.
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À la lumière
Anatole France (1844-1924)
Poésie : À la lumière Titre : À la lumière Poète : Anatole France (1844-1924) Dans l'essaim nébuleux des constellations, Ô toi qui naquis la première, Ô nourrice des fleurs et des fruits, ô Lumière, Blanche mère des visions, Tu nous viens du soleil à travers les doux voiles Des vapeurs flottantes dans l'air : La vie alors s'anime et, sous ton frisson clair, Sourit, ô fille des étoiles ! Salut ! car avant toi les choses n'étaient pas. Salut ! douce ; salut ! puissante. Salut ! de mes regards conductrice innocente Et conseillère de mes pas. Par toi sont les couleurs et les formes divines, Par toi, tout ce que nous aimons. Tu fais briller la neige à la cime des monts, Tu charmes le bord des ravines. Tu fais sous le ciel bleu fleurir les colibris Dans les parfums et la rosée ; Et la grâce décente avec toi s'est posée Sur les choses que tu chéris. Le matin est joyeux de tes bonnes caresses ; Tu donnes aux nuits la douceur, Aux bois l'ombre mouvante et la molle épaisseur Que cherchent les jeunes tendresses. Par toi la mer profonde a de vivantes fleurs Et de blonds nageurs que tu dores. Au ciel humide encore et pur, tes météores Prêtent l'éclat des sept couleurs. Lumière, c'est par toi que les femmes sont belles Sous ton vêtement glorieux ; Et tes chères clartés, en passant par leurs yeux, Versent des délices nouvelles. Leurs oreilles te font un trône oriental Où tu brilles dans une gemme, Et partout où tu luis, tu restes, toi que j'aime, Vierge comme en ton jour natal. Sois ma force, ô Lumière ! et puissent mes pensées, Belles et simples comme toi, Dans la grâce et la paix, dérouler sous ta foi Leurs formes toujours cadencées ! Donne à mes yeux heureux de voir longtemps encor, En une volupté sereine, La Beauté se dressant marcher comme une reine Sous ta chaste couronne d'or. Et, lorsque dans son sein la Nature des choses Formera mes destins futurs, Reviens baigner, reviens nourrir de tes flots purs Mes nouvelles métamorphoses.
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Celui qui boit
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Celui qui boit Titre : Celui qui boit Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Les Meslanges (1554). Celui qui boit, comme a chanté Nicandre, De l'Aconite, il a l'esprit troublé, Tout ce qu'il voit lui semble être doublé, Et sur ses yeux la nuit se vient épandre. Celui qui boit de l'amour de Cassandre, Qui par ses yeux au coeur est écoulé, Il perd raison, il devient affolé, Cent fois le jour la Parque le vient prendre. Mais la chaut vive, ou la rouille, ou le vin Ou l'or fondu peuvent bien mettre fin Au mal cruel que l'Aconite donne : La mort sans plus a pouvoir de guérir Le coeur de ceux que Cassandre empoisonne, Mais bien heureux qui peut ainsi mourir.
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La géante
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La géante Titre : La géante Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Du temps que la Nature en sa verve puissante Concevait chaque jour des enfants monstrueux, J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante, Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux. J'eusse aimé voir son corps fleurir avec son âme Et grandit librement dans ses terribles jeux ; Deviner si son coeur couve une sombre flamme Aux humides brouillards qui nagent dans ses yeux ; Parcourir à loisir ses magnifiques formes ; Ramper sur le versant de ses genoux énormes, Et parfois en été, quand les soleils malsains, Lasse, la font s'étendre à travers la campagne, Dormir nonchalamment à l'ombre de ses seins, Comme un hameau paisible au pied d'une montagne.
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Cher ange, vous êtes belle
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Cher ange, vous êtes belle Titre : Cher ange, vous êtes belle Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Élégies (1830). Élégie VII. Théophile Gautier. Élégie VII. Cher ange, vous êtes belle A faire rêver d'amour, Pour une seule étincelle De votre vive prunelle, Le poète tout un jour. Air naïf de jeune fille, Front uni, veines d'azur, Douce haleine-de vanille, Bouche rosée où scintille Sur l'ivoire un rire pur ; Pied svelte et cambré, main blanche, Soyeuses boucles de jais, Col de cygne qui se penche, Flexible comme la branche Qu'au soir caresse un vent frais ; Vous avez, sur ma parole, Tout ce qu'il faut pour charmer ; Mais votre âme est si frivole, Mais votre tête est si folle Que l'on n'ose vous aimer.
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Le gouffre
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le gouffre Titre : Le gouffre Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Pascal avait son gouffre, avec lui se mouvant. - Hélas ! tout est abîme, - action, désir, rêve, Parole ! et sur mon poil qui tout droit se relève Maintes fois de la Peur je sens passer le vent. En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève, Le silence, l'espace affreux et captivant... Sur le fond de mes nuits Dieu de son doigt savant Dessine un cauchemar multiforme et sans trêve. J'ai peur du sommeil comme on a peur d'un grand trou, Tout plein de vague horreur, menant on ne sait où ; Je ne vois qu'infini par toutes les fenêtres, Et mon esprit, toujours du vertige hanté, Jalouse du néant l'insensibilité. Ah ! ne jamais sortir des Nombres et des Etres !
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Sur le Carnaval de Venise IV
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Sur le Carnaval de Venise IV Titre : Sur le Carnaval de Venise IV Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Clair de lune sentimental. A travers la folle risée Que Saint-Marc renvoie au Lido, Une gamme monte en fusée, Comme au clair de lune un jet d'eau... A l'air qui jase d'un ton bouffe Et secoue au vent ses grelots, Un regret, ramier qu'on étouffe, Par instant mêle ses sanglots. Au loin, dans la brume sonore, Comme un rêve presque effacé, J'ai revu, pâle et triste encore, Mon vieil amour de l'an passé. Mon âme en pleurs s'est souvenue De l'avril, où, guettant au bois La violette à sa venue, Sous l'herbe nous mêlions nos doigts... Cette note de chanterelle, Vibrant comme l'harmonica, C'est la voix enfantine et grêle, Flèche d'argent qui me piqua. Le son en est si faux, si tendre, Si moqueur, si doux, si cruel, Si froid, si brûlant, qu'à l'entendre On ressent un plaisir mortel, Et que mon coeur, comme la voûte Dont l'eau pleure dans un bassin, Laisse tomber goutte par goutte Ses larmes rouges dans mon sein. Jovial et mélancolique, Ah ! vieux thème du carnaval, Où le rire aux larmes réplique, Que ton charme m'a fait de mal !
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Le Luxembourg
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le Luxembourg Titre : Le Luxembourg Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Au Luxembourg souvent, lorsque dans les allées Gazouillaient des moineaux les joyeuses volées, Qu'aux baisers d'un vent doux, sous les abîmes bleus D'un ciel tiède et riant, les orangers frileux Hasardaient leurs rameaux parfumés, et qu'en gerbes Les fleurs pendaient du front des marronniers superbes, Toute petite fille, elle allait du beau temps À son aise jouir et folâtrer longtemps, Longtemps, car elle aimait à l'ombre des feuillages Fouler le sable d'or, chercher des coquillages, Admirer du jet d'eau l'arc au reflet changeant Et le poisson de pourpre, hôte d'une eau d'argent ; Ou bien encor partir, folle et légère tête, Et, trompant les regards de sa mère inquiète, Au risque de brunir un teint frais et vermeil, Livrer sa joue en fleur aux baisers du soleil !
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Nous sommes bien faits
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Nous sommes bien faits Titre : Nous sommes bien faits Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Nous sommes bien faits l'un pour l'autre ; Pourtant quand tu me rencontreras Menant mes derniers embarras D'homme grave et de bon apôtre, Ruine encore de chrétien, Philosophe déjà païen, Lourd de doctrine et de scrupule, (Le tout un peu décomposé) Mais au fond très bien disposé Pour la popine et la crapule, En un mot, sot entre les sots De cette sorte de puceaux, T'eus quelque mal à la conquête, — Et par ce mot que j'ai voulu J'entends ton triomphe absolu, — Sinon de mon cœur, de ma tête ; Je ne parle pas de mon corps Vaincu dès les primes abords. Mais comme nous sympathisâmes Dès nos esprits mis en rapport Et dès lors quel parfait accord Entre ces luronnes, nos deux âmes, Ces luronnes et nos lurons D'esprits tout carrés et tout ronds ! Toi simple encor, que compliquée, Et moi naïf aux cents replis, Notre expérience des lits Et noire ignorance marquée En fait de sentiment subtil, Tout ce nous rendait que gentil L'un à l'autre ! en dépit, par crises, De colères bien vite au trot, D'humeurs noires, roses bientôt, Et, mon Dieu, d'un tas de sottises Qu'on réparait, pour t'apaiser Madame et Monsieur, d'un baiser ! C'est de persévérer, petite ! C'est, chère, de continuer, Quittes à parfois nous tuer Pour nous ressusciter ensuite, C'est de rester à deux, vraiment, Bon cœur et mauvais garnement.
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Grand âge et bas âge mêlés
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Grand âge et bas âge mêlés Titre : Grand âge et bas âge mêlés Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Mon âme est faite ainsi que jamais ni l'idée, Ni l'homme, quels qu'ils soient, ne l'ont intimidée ; Toujours mon cœur, qui n'a ni bible ni Coran, Dédaigna le sophiste et brava le tyran ; Je suis sans épouvante étant sans convoitise ; La peur ne m'éteint pas et l'honneur seul m'attise ; J'ai l'ankylose altière et lourde du rocher ; Il est fort malaisé de me faire marcher Par désir en avant ou par crainte en arrière ; Je résiste à la force et cède à la prière, Mais les biens d'ici-bas font sur moi peu d'effet ; Et je déclare, amis, que je suis satisfait, Que mon ambition suprême est assouvie, Que je me reconnais payé dans cette vie, Et que les dieux cléments ont comblé tous mes veux. Tant que sur cette terre, où vraiment je ne veux Ni socle olympien, ni colonne trajane, On ne m'ôtera pas le sourire de Jeanne.
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Chant d'amour (I)
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Chant d'amour (I) Titre : Chant d'amour (I) Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Naples, 1822. Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre, Le doux frémissement des ailes du zéphyre À travers les rameaux, Ou l'onde qui murmure en caressant ces rives, Ou le roucoulement des colombes plaintives, Jouant aux bords des eaux ; Si, comme ce roseau qu'un souffle heureux anime, Tes cordes exhalaient ce langage sublime, Divin secret des cieux, Que, dans le pur séjour où l'esprit seul s'envole, Les anges amoureux se parlent sans parole, Comme les yeux aux yeux ; Si de ta douce voix la flexible harmonie, Caressant doucement une âme épanouie Au souffle de l'amour, La berçait mollement sur de vagues images, Comme le vent du ciel fait flotter les nuages Dans la pourpre du jour : Tandis que sur les fleurs mon amante sommeille, Ma voix murmurerait tout bas à son oreille Des soupirs, des accords, Aussi purs que l'extase où son regard me plonge, Aussi doux que le son que nous apporte un songe Des ineffables bords ! Ouvre les yeux, dirais-je, ô ma seule lumière ! Laisse-moi, laisse-moi lire dans ta paupière Ma vie et ton amour ! Ton regard languissant est plus cher à mon âme Que le premier rayon de la céleste flamme Aux yeux privés du jour.
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La mort des amants
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La mort des amants Titre : La mort des amants Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères, Des divans profonds comme des tombeaux, Et d'étranges fleurs sur des étagères, Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux. Usant à l'envi leurs chaleurs dernières, Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux, Qui réfléchiront leurs doubles lumières Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux. Un soir fait de rose et de bleu mystique, Nous échangerons un éclair unique, Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ; Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes, Viendra ranimer, fidèle et joyeux, Les miroirs ternis et les flammes mortes.
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Petits amis qui sûtes nous prouver
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Petits amis qui sûtes nous prouver Titre : Petits amis qui sûtes nous prouver Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Petits amis qui sûtes nous prouver Par A plus B que deux et deux font quatre, Mais qui depuis voulez parachever Une victoire où l'on se laissait battre, Et couronner vos conquêtes d'un coup Par ce soufflet à la mémoire humaine ; « Dieu ne vous a révélé rien du tout, Car nous disions qu'il n'est que l'ombre vaine, Que le profil et que l'allongement, Sur tous les murs que la peur édifie De votre pur et simple mouvement, Et nous dictons cette philosophie. » — Frères trop chers, laissez-nous rire un peu, Nous les fervents d'une logique rance, Qui justement n'avons de foi qu'en Dieu Et mettons notre espoir dans l'Espérance, Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi, Pleurer sur vous, rire du vieux blasphème, Rire du vieux Satan stupide ainsi, Pleurer sur cet Adam dupe quand même ! Frère de nous qui payons vos orgueils, Tous fils du même Amour, ah ! la science, Allons donc, allez donc, c'est nos cercueils Naïfs ou non, c'est notre méfiance Ou notre confiance aux seuls Récits, C'est notre oreille ouverte toute grande Ou tristement fermée au Mot précis ! Frères, lâchez la science gourmande Qui veut voler sur les ceps défendus Le fruit sanglant qu'il ne faut pas connaître. Lâchez son bras qui vous tient attendus Pour des enfers que Dieu n'a pas fait naître, Mais qui sont l'œuvre affreuse du péché, Car nous, les fils attentifs de l'Histoire, Nous tenons pour l'honneur jamais taché De la Tradition, supplice et gloire ! Nous sommes sûrs des Aïeux nous disant Qu'ils ont vu Dieu sous telle ou telle forme, Et prédisant aux crimes d'à présent La peine immense ou le pardon énorme. Puisqu'ils avaient vu Dieu présent toujours, Puisqu'ils ne mentaient pas, puisque nos crimes Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts, Et puisqu'il est des repentirs sublimes, Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien : Que deux et deux fassent quatre, à merveille ! Riens innocents, mais des riens moins que rien, La dernière heure étant là qui surveille Tout autre soin dans l'homme en vérité ! Gardez que trop chercher ne vous séduise Loin d'une sage et forte humilité... Le seul savant, c'est encore Moïse.
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Soifs de l'ouest
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Soifs de l'ouest Titre : Soifs de l'ouest Poète : Louis Aragon (1897-1982) Dans ce bar dont la porte Sans cesse bat au vent Une affiche écarlate Vante un autre savon Dansez dansez ma chère Dansez nous avons des banjos Oh Qui me donnera seulement à mâcher Les chewing-gums inutiles Qui parfument très doucement L'haleine des filles des villes Épices dans l'alcool mesuré par les pailles Et menthes sans raison barbouillant les liqueurs Il est des amours sans douceurs Dans les docks sans poissons où la barmaid Défaille Sous le fallacieux prétexte Que je n'ai pas rasé ma barbe Aux relents douteux d'un gin Que son odorat devine D'un bar du Massachussets Au trente-troisième étage Sous l'œil fixe des fenêtres Arrête Mon cœur est dans le ciel et manque de vertu Mais les ascenseurs se suivent Et ne se ressemblent pas Le groom nègre sourit tout bas Pour ne pas salir ses dents blanches Ha si j'avais mon revolver Pour interrompre la musique De la chanson polyphonique Des cent machines à écrire Dans l'état de Michigan Justement quatre-vingt-trois jours Après la mort de quelqu'un Trois joyeux garçons de velours Dansèrent entre eux un quadrille Dansèrent avec le défunt Comme font avec les filles Les gens de la vieille Europe Dans les quartiers mal famés Heureusement que leurs lèvres Ignoraient les mots méchants Car tous les trois étaient vierges Comme on ne l'est pas longtemps.
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Fantoches
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Fantoches Titre : Fantoches Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Scaramouche et Pulcinella, Qu'un mauvais dessein rassembla, Gesticulent, noirs sur la lune. Cependant l'excellent docteur Bolonais cueille avec lenteur Des simples parmi l'herbe brune. Lors sa fille, piquant minois, Sous la charmille en tapinois Se glisse demi-nue, en quête De son beau pirate espagnol, Dont un langoureux rossignol Clame la détresse à tue-tête.
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Le chien et le flacon
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le chien et le flacon Titre : Le chien et le flacon Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) « — Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville. » Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et du sourire, s'approche et pose curieusement son nez humide sur le flacon débouché ; puis, reculant soudainement avec effroi, il aboie contre moi en manière de reproche. « — Ah ! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d'excréments, vous l'auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l'exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies. »
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Sonnet d'automne
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Sonnet d'automne Titre : Sonnet d'automne Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal : " Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon mérite ? " - Sois charmante et tais-toi ! Mon coeur, que tout irrite, Excepté la candeur de l'antique animal, Ne veut pas te montrer son secret infernal, Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite, Ni sa noire légende avec la flamme écrite. Je hais la passion et l'esprit me fait mal ! Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa guérite, Ténébreux, embusqué, bande son arc fatal. Je connais les engins de son vieil arsenal : Crime, horreur et folie ! - Ô pâle marguerite ! Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal, Ô ma si blanche, ô ma si froide Marguerite ?
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Baiser rose, baiser bleu
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Baiser rose, baiser bleu Titre : Baiser rose, baiser bleu Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Dernières poésies. Sonnet III. Théophile Gautier. Sonnet III. À table, l'autre jour, un réseau de guipure, Comme un filet d'argent sur un marbre jeté, De votre sein, voilant à demi la beauté, Montrait, sous sa blancheur, une blancheur plus pure. Vous trôniez parmi nous, radieuse figure, Et le baiser du soir, d'un faible azur teinté, Comme au contour d'un fruit la fleur du velouté, Glissait sur votre épaule en mince découpure. Mais la lampe allumée et se mêlant au jeu, Posait un baiser rose auprès du baiser bleu : Tel brille au clair de lune un feu dans de l'albâtre. À ce charmant tableau, je me disais, rêveur, Jaloux du reflet rose et du reflet bleuâtre : " Ô trop heureux reflets, s'ils savaient leur bonheur ! " Saint-Gratien, le 25 juillet 1867.
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Un plaisant
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Un plaisant Titre : Un plaisant Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) C'était l'explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d'une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort. Au milieu de ce tohu-bohu et de ce vacarme, un âne trottait vivement, harcelé par un malotru armé d'un fouet. Comme l'âne allait tourner l'angle d'un trottoir, un beau monsieur ganté, verni, cruellement cravaté et emprisonné dans des habits tout neufs, s'inclina cérémonieusement devant l'humble bête, et lui dit, en ôtant son chapeau : « Je vous la souhaite bonne et heureuse ! » puis se retourna vers je ne sais quels camarades avec un air de fatuité, comme pour les prier d'ajouter leur approbation à son contentement. L'âne ne vit pas ce beau plaisant, et continua de courir avec zèle où l'appelait son devoir. Pour moi, je fus pris subitement d'une incommensurable rage contre ce magnifique imbécile, qui me parut concentrer en lui tout l'esprit de la France.
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Ni de son chef le trésor crépelu
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ni de son chef le trésor crépelu Titre : Ni de son chef le trésor crépelu Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Ni de son chef le trésor crépelu, Ni de son ris l'une et l'autre fossette, Ni l'embonpoint de sa gorge grassette, Ni son menton rondement fosselu, Ni son bel oeil que les miens ont voulu Choisir pour prince à mon âme sujette, Ni son beau sein dont l'Archerot me jette Le plus aigu de son trait émoulu, Ni son beau corps, le logis des Charites, Ni ses beautés en mille coeurs écrites, N'ont esclavé ma libre affection. Seul son esprit, où tout le ciel abonde, Et les torrents de sa douce faconde, Me font mourir pour sa perfection.
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Une grande dame
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Une grande dame Titre : Une grande dame Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Belle « à damner les saints », à troubler sous l'aumusse Un vieux juge ! Elle marche impérialement. Elle parle — et ses dents font un miroitement — Italien, avec un léger accent russe. Ses yeux froids où l'émail sertit le bleu de Prusse Ont l'éclat insolent et dur du diamant. Pour la splendeur du sein, pour le rayonnement De la peau, nulle reine ou courtisane, fût-ce Cléopâtre la lynce ou la chatte Ninon, N'égale sa beauté patricienne, non ! Vois, ô bon Buridan : « C'est une grande dame ! » Il faut — pas de milieu ! — l'adorer à genoux, Plat, n'ayant d'astre aux cieux que ces lourds cheveux roux Ou bien lui cravacher la face, à cette femme !
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Les calmes regrets
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Les calmes regrets Titre : Les calmes regrets Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Dans quels calmes regrets ton esprit résigné Erre-t-il, y portant une tristesse auguste ; Ou, frémissant de haine envers le sort injuste, De quels âpres regrets ressort-il indigné ? De quels secrets efforts, sans cesse triomphants Et sans cesse repris, nourris-tu ton supplice ? Et dans quels longs baisers aux fronts de tes enfants Crois-tu pouvoir trouver le prix du sacrifice ? Ah ! peut-être au moment où ta lèvre les touche, Exécrable penser dont mon cœur s'effarouche Plus que de tes sanglots les plus désespérés, Peut-être le baiser s'arrête sur ta bouche, Et trouve une amertume à ces fronts adorés, À ces fronts innocents qui nous ont séparés !
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Au peuple
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Au peuple Titre : Au peuple Poète : Victor Hugo (1802-1885) Partout pleurs, sanglots, cris funèbres. Pourquoi dors-tu dans les ténèbres ? Je ne veux pas que tu sois mort. Pourquoi dors-tu dans les ténèbres ? Ce n'est pas l'instant où l'on dort. La pâle Liberté gît sanglante à ta porte. Tu le sais, toi mort, elle est morte. Voici le chacal sur ton seuil, Voici les rats et les belettes, Pourquoi t'es-tu laissé lier de bandelettes ? Ils te mordent dans ton cercueil ! De tous les peuples on prépare Le convoi... — Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève-toi ! Paris sanglant, au clair de lune, Rêve sur la fosse commune ; Gloire au général Trestaillon ! Plus de presse, plus de tribune. Quatre-vingt-neuf porte un bâillon. La Révolution, terrible à qui la touche, Est couchée à terre ! un Cartouche Peut ce qu'aucun titan ne put. Escobar rit d'un rire oblique. On voit traîner sur toi, géante République, Tous les sabres de Lilliput. Le juge, marchand en simarre, Vend la loi... — Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève-toi ! Sur Milan, sur Vienne punie, Sur Rome étranglée et bénie, Sur Pesth, torturé sans répit, La vieille louve Tyrannie, Fauve et joyeuse, s'accroupit. Elle rit ; son repaire est orné d'amulettes Elle marche sur des squelettes De la Vistule au Tanaro ; Elle a ses petits qu'elle couve. Qui la nourrit ? qui porte à manger à la louve ? C'est l'évêque, c'est le bourreau. Qui s'allaite à son flanc barbare ? C'est le roi... — Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève-toi ! Jésus, parlant à ses apôtres, Dit : Aimez-vous les uns les autres. Et voilà bientôt deux mille ans Qu'il appelle nous et les nôtres Et qu'il ouvre ses bras sanglants. Rome commande et règne au nom du doux prophète. De trois cercles sacrés est faite La tiare du Vatican ; Le premier est une couronne, Le second est le nœud des gibets de Vérone, Et le troisième est un carcan. Mastaï met cette tiare Sans effroi... — Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève-toi ! Ils bâtissent des prisons neuves. Ô dormeur sombre, entends les fleuves Murmurer, teints de sang vermeil ; Entends pleurer les pauvres veuves, Ô noir dormeur au dur sommeil ! Martyrs, adieu ! le vent souffle, les pontons flottent ; Les mères au front gris sanglotent ; Leurs fils sont en proie aux vainqueurs ; Elles gémissent sur la route ; Les pleurs qui de leurs yeux s'échappent goutte à goutte Filtrent en haine dans nos coeurs. Les juifs triomphent, groupe avare Et sans foi... — Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève-toi ! Mais il semble qu'on se réveille ! Est-ce toi que j'ai dans l'oreille, Bourdonnement du sombre essaim ? Dans la ruche frémit l'abeille ; J'entends sourdre un vague tocsin. Les Césars, oubliant qu'il est des gémonies, S'endorment dans les symphonies Du lac Baltique au mont Etna ; Les peuples sont dans la nuit noire Dormez, rois ; le clairon dit aux tyrans : victoire ! Et l'orgue leur chante : hosanna ! Qui répond à cette fanfare ? Le beffroi... — Lazare ! Lazare ! Lazare ! Lève-toi ! Jersey, mai 1853.
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Jamais
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Jamais Titre : Jamais Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Jamais, avez-vous dit, tandis qu'autour de nous Résonnait de Schubert la plaintive musique ; Jamais, avez-vous dit, tandis que, malgré vous, Brillait de vos grands yeux l'azur mélancolique. Jamais, répétiez-vous, pâle et d'un air si doux Qu'on eût cru voir sourire une médaille antique. Mais des trésors secrets l'instinct fier et pudique Vous couvrit de rougeur, comme un voile jaloux. Quel mot vous prononcez, marquise, et quel dommage ! Hélas ! je ne voyais ni ce charmant visage, Ni ce divin sourire, en vous parlant d'aimer. Vos yeux bleus sont moins doux que votre âme n'est belle. Même en les regardant, je ne regrettais qu'elle, Et de voir dans sa fleur un tel coeur se fermer.
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Kaléidoscope
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Kaléidoscope Titre : Kaléidoscope Poète : Paul Verlaine (1844-1896) (A Germain Nouveau) Dans une rue, au coeur d'une ville de rêve Ce sera comme quand on a déjà vécu : Un instant à la fois très vague et très aigu... Ô ce soleil parmi la brume qui se lève ! Ô ce cri sur la mer, cette voix dans les bois ! Ce sera comme quand on ignore des causes ; Un lent réveil après bien des métempsycoses : Les choses seront plus les mêmes qu'autrefois Dans cette rue, au coeur de la ville magique Où des orgues moudront des gigues dans les soirs, Où les cafés auront des chats sur les dressoirs Et que traverseront des bandes de musique. Ce sera si fatal qu'on en croira mourir : Des larmes ruisselant douces le long des joues, Des rires sanglotés dans le fracas des roues, Des invocations à la mort de venir, Des mots anciens comme un bouquet de fleurs fanées ! Les bruits aigres des bals publics arriveront, Et des veuves avec du cuivre après leur front, Paysannes, fendront la foule des traînées Qui flânent là, causant avec d'affreux moutards Et des vieux sans sourcils que la dartre enfarine, Cependant qu'à deux pas, dans des senteurs d'urine, Quelque fête publique enverra des pétards. Ce sera comme quand on rêve et qu'on s'éveille, Et que l'on se rendort et que l'on rêve encor De la même féerie et du même décor, L'été, dans l'herbe, au bruit moiré d'un vol d'abeille.
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Comme un chevreuil, quand le printemps destruit
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Comme un chevreuil, quand le printemps destruit Titre : Comme un chevreuil, quand le printemps destruit Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Comme un chevreuil, quand le printemps destruit L'oyseux crystal de la morne gelée, Pour mieulx brouster l'herbette emmielée Hors de son boys avec l'Aube s'en fuit, Et seul, et seur, loing de chiens et de bruit, Or sur un mont, or dans une vallée, Or pres d'une onde à l'escart recelée, Libre follastre où son pied le conduit ; De retz ne d'arc sa liberté n'a crainte, Sinon alors que sa vie est attainte, D'un trait meurtrier empourpré de son sang : Ainsi j'alloy sans espoyr de dommage, Le jour qu'un oeil sur l'avril de mon age Tira d'un coup mille traitz dans mon flanc.
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Les mains de Jeanne-Marie
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Les mains de Jeanne-Marie Titre : Les mains de Jeanne-Marie Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Jeanne-Marie a des mains fortes, Mains sombres que l'été tanna, Mains pâles comme des mains mortes. - Sont-ce des mains de Juana ? Ont-elles pris les crèmes brunes Sur les mares des voluptés ? Ont-elles trempé dans des lunes Aux étangs de sérénités ? Ont-elles bu des cieux barbares, Calmes sur les genoux charmants ? Ont-elles roulé des cigares Ou trafiqué des diamants ? Sur les pieds ardents des Madones Ont-elles fané des fleurs d'or ? C'est le sang noir des belladones Qui dans leur paume éclate et dort. Mains chasseresses des diptères Dont bombinent les bleuisons Aurorales, vers les nectaires ? Mains décanteuses de poisons ? Oh ! quel Rêve les a saisies Dans les pandiculations ? Un rêve inouï des Asies, Des Khenghavars ou des Sions ? - Ces mains n'ont pas vendu d'oranges, Ni bruni sur les pieds des dieux : Ces mains n'ont pas lavé les langes Des lourds petits enfants sans yeux. Ce ne sont pas mains de cousine Ni d'ouvrières aux gros fronts Que brûle, aux bois puant l'usine, Un soleil ivre de goudrons. Ce sont des ployeuses d'échines, Des mains qui ne font jamais mal, Plus fatales que des machines, Plus fortes que tout un cheval ! Remuant comme des fournaises, Et secouant tous ses frissons, Leur chair chante des Marseillaises Et jamais les Eleisons ! Ça serrerait vos cous, ô femmes Mauvaises, ça broierait vos mains, Femmes nobles, vos mains infâmes Pleines de blancs et de carmins. L'éclat de ces mains amoureuses Tourne le crâne des brebis ! Dans leurs phalanges savoureuses Le grand soleil met un rubis ! Une tache de populace Les brunit comme un sein d'hier ; Le dos de ces Mains est la place Qu'en baisa tout Révolté fier ! Elles ont pâli, merveilleuses, Au grand soleil d'amour chargé, Sur le bronze des mitrailleuses A travers Paris insurgé ! Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées, A vos poings, Mains où tremblent nos Lèvres jamais désenivrées, Crie une chaîne aux clairs anneaux ! Et c'est un soubresaut étrange Dans nos êtres, quand, quelquefois, On veut vous déhâler, Mains d'ange, En vous faisant saigner les doigts !
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Le cœur supplicié
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Le cœur supplicié Titre : Le cœur supplicié Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Mon triste cœur bave à la poupe... Mon cœur est plein de caporal ! Ils y lancent des jets de soupe, Mon triste cœur bave à la poupe... Sous les quolibets de la troupe Qui lance un rire général, Mon triste cœur bave à la poupe, Mon cœur est plein de caporal ! Ithyphalliques et pioupiesques, Leurs insultes l'ont dépravé ; À la vesprée, ils font des fresques Ithyphalliques et pioupiesques, Ô flots abracadabrantesques, Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé ! Ithyphalliques et pioupiesques Leurs insultes l'ont dépravé ! Quand ils auront tari leurs chiques, Comment agir, ô cœur volé ? Ce seront des refrains bachiques Quand ils auront tari leurs chiques J'aurai des sursauts stomachiques : Si mon cœur triste est ravalé ! Quand ils auront tari leurs chiques Comment agir, ô cœur volé ? Mai 1871.
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À Lydie
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Lydie Titre : À Lydie Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Imitation. Horace. Du temps où tu m'aimais, Lydie, De ses bras nul autre que moi N'entourait ta gorge arrondie ; J'ai vécu plus heureux qu'un roi. Lydie. Du temps où j'étais ta maîtresse, Tu me préférais à Chloé ; Je m'endormais à ton côté Plus heureuse qu'une déesse Horace. Chloé me gouverne à présent, Savante au luth, habile au chant ; La douceur de sa voix m'enivre. Je suis prêt à cesser de vivre S'il fallait lui donner mon sang. Lydie. Je me consume maintenant Pour Calaïs, mon jeune amant, Qui dans mon cœur a pris ta place, Je mourrais deux fois, cher Horace, S'il fallait lui donner mon sang. Horace. Eh quoi ! si dans notre pensée L'ancien amour se ranimait Si ma blonde était délaissée ? Si demain Vénus offensée A ta porte me ramenait ? Lydie. Calaïs est jeune et fidèle, Et toi, poète, ton désir Est plus léger que l'hirondelle, Plus inconstant que le zéphyr ; Pourtant, s'il t'en prenait envie, Avec toi j'aimerais la vie ; Avec toi je voudrais mourir.
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Épitaphe d'un paresseux
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : Épitaphe d'un paresseux Titre : Épitaphe d'un paresseux Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) Recueil : Poésies diverses (1695). Jean s'en alla comme il était venu, Mangea le fonds avec le revenu, Tint les trésors chose peu nécessaire. Quant à son temps, bien le sut dispenser : Deux parts en fit, dont il soulait passer L'une à dormir et l'autre à ne rien faire. (*) Le verbe souloir signifiait avoir l'habitude de, la coutume de.
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In initio
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : In initio Titre : In initio Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Chez mes pays, qui sont rustiques Dans tel cas simplement pieux, Voire un peu superstitieux, Entre autres pratiques antiques, Sur la tête du paysan, Rite profond, vaste symbole, Le prêtre, étendant son étole, Dit l'évangile de saint Jean : « Au commencement était le Verbe Et le Verbe était en Dieu. Et le verbe était Dieu. » Ainsi va le texte superbe, S'épanchant en ondes de claire Vérité sur l'humaine erreur, Lavant l'immondice et l'horreur, Et la luxure et la colère, Et les sept péchés, et d'un flux Tout parfumé d'odeurs divines, Rafraîchissant jusqu'aux racines L'arbre du bien, sec et perclus, Et déracinant sous sa force L'arbre du mal et du malheur Naguère tout en sève, en fleur, En fruit, du feuillage à l'écorce. Jean, le plus grand, après l'autre Jean, le Baptiste, des grands saints, Priez pour moi le Sein des seins Où vous dormiez, étant apôtre ! Ô, comme pour le paysan, Sur ma tête frivole et folle, Bon prêtre étendant ton étole, Dis l'évangile de saint Jean.
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Âme ! être, c'est aimer
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Âme ! être, c'est aimer Titre : Âme ! être, c'est aimer Poète : Victor Hugo (1802-1885) Âme ! être, c'est aimer. Il est. C'est l'être extrême. Dieu, c'est le jour sans borne et sans fin qui dit : j'aime. Lui, l'incommensurable, il n'a point de compas ; Il ne se venge pas, il ne pardonne pas ; Son baiser éternel ignore la morsure ; Et quand on dit : justice, on suppose mesure. Il n'est point juste ; il est. Qui n'est que juste est peu. La justice, c'est vous, humanité ; mais Dieu Est la bonté. Dieu, branche où tout oiseau se pose ! Dieu, c'est la flamme aimante au fond de toute chose. Oh ! tous sont appelés et tous seront élus. Père, il songe au méchant pour l'aimer un peu plus. Vivants, Dieu, pénétrant en vous, chasse le vice. L'infini qui dans l'homme entre, devient justice, La justice n'étant que le rapport secret De ce que l'homme fait à ce que Dieu ferait. Bonté, c'est la lueur qui dore tous les faîtes ; Et, pour parler toujours, hommes, comme vous faites, Vous qui ne pouvez voir que la forme et le lieu, Justice est le profil de la face de Dieu. Vous voyez un côté, vous ne voyez pas l'autre. Le bon, c'est le martyr ; le juste n'est qu'apôtre ; Et votre infirmité, c'est que votre raison De l'horizon humain conclut l'autre horizon. Limités, vous prenez Dieu pour l'autre hémisphère. Mais lui, l'être absolu, qu'est-ce qu'il pourrait faire D'un rapport ? L'innombrable est-il fait pour chiffrer ? Non, tout dans sa bonté calme vient s'engouffrer. On ne sait où l'on vole, on ne sait où l'on tombe, On nomme cela mort, néant, ténèbres, tombe, Et, sage, fou, riant, pleurant, tremblant, moqueur, On s'abîme éperdu dans cet immense coeur ! Dans cet azur sans fond la clémence étoilée Elle-même s'efface, étant d'ombre mêlée ! L'être pardonné garde un souvenir secret, Et n'ose aller trop haut ; le pardon semblerait Reproche à la prière, et Dieu veut qu'elle approche ; N'étant jamais tristesse, il n'est jamais reproche, Enfants. Et maintenant, croyez si vous voulez !
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Le sommet de la tour
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le sommet de la tour Titre : Le sommet de la tour Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Lorsque l'on veut monter aux tours des cathédrales, On prend l'escalier noir qui roule ses spirales, Comme un serpent de pierre au ventre d'un clocher. L'on chemine d'abord dans une nuit profonde, Sans trèfle de soleil et de lumière blonde, Tâtant le mur des mains, de peur de trébucher ; Car les hautes maisons voisines de l'église Vers le pied de la tour versent leur ombre grise, Qu'un rayon lumineux ne vient jamais trancher. S'envolant tout à coup, les chouettes peureuses Vous flagellent le front de leurs ailes poudreuses, Et les chauves-souris s'abattent sur vos bras ; Les spectres, les terreurs qui hantent les ténèbres, Vous frôlent en passant de leurs crêpes funèbres ; Vous les entendez geindre et chuchoter tout bas. À travers l'ombre on voit la chimère accroupie Remuer, et l'écho de la voûte assoupie Derrière votre pas suscite un autre pas. Vous sentez à l'épaule une pénible haleine, Un souffle intermittent, comme d'une âme en peine Qu'on aurait éveillée et qui vous poursuivrait. Et si l'humidité fait des yeux de la voûte, Larmes du monument, tomber l'eau goutte à goutte, Il semble qu'on dérange une ombre qui pleurait. Chaque fois que la vis, en tournant, se dérobe, Sur la dernière marche un dernier pli de robe, Irritante terreur, brusquement disparaît. Bientôt le jour, filtrant par les fentes étroites, Sur le mur opposé trace des lignes droites, Comme une barre d'or sur un écusson noir. L'on est déjà plus haut que les toits de la ville, Édifices sans nom, masse confuse et vile, Et par les arceaux gris le ciel bleu se fait voir. Les hiboux disparus font place aux tourterelles, Qui lustrent au soleil le satin de leurs ailes Et semblent roucouler des promesses d'espoir. Des essaims familiers perchent sur les tarasques, Et, sans se rebuter de la laideur des masques, Dans chaque bouche ouverte un oiseau fait son nid. Les guivres, les dragons et les formes étranges Ne sont plus maintenant que des figures d'anges, Séraphiques gardiens taillés dans le granit, Qui depuis huit cents ans, pensives sentinelles, Dans leurs niches de pierre, appuyés sur leurs ailes, Montent leur faction qui jamais ne finit. Vous débouchez enfin sur une plate-forme, Et vous apercevez, ainsi qu'un monstre énorme, La Cité grommelante, accroupie alentour. Comme un requin, ouvrant ses immenses mâchoires, Elle mord l'horizon de ses mille dents noires, Dont chacune est un dôme, un clocher, une tour. À travers le brouillard, de ses naseaux de plâtre Elle souffle dans l'air son haleine bleuâtre, Que dore par flocons un chaud reflet de jour. Comme sur l'eau qui bout monte et chante l'écume, Sur la ville toujours plane une ardente brume, Un bourdonnement sourd fait de cent bruits confus : Ce sont les tintements et les grêles volées Des cloches, de leurs voix sonores ou fêlées, Chantant à plein gosier dans leurs beffrois touffus ; C'est le vent dans le ciel et l'homme sur la terre ; C'est le bruit des tambours et des clairons de guerre, Ou des canons grondeurs sonnant sur leurs affûts ; C'est la rumeur des chars, dont la prompte lanterne File comme une étoile à travers l'ombre terne, Emportant un heureux aux bras de son désir ; Le soupir de la vierge au balcon accoudée, Le marteau sur l'enclume et le fait sur l'idée, Le cri de la douleur ou le chant du plaisir. Dans cette symphonie au colossal orchestre, Que n'écrira jamais musicien terrestre, Chaque objet fait sa note impossible à saisir. Vous pensiez être en haut ; mais voici qu'une aiguille, Où le ciel découpé par dentelles scintille, Se présente soudain devant vos pieds lassés. Il faut monter encore dans la mince tourelle, L'escalier qui serpente en spirale plus frêle, Se pendant aux crampons de loin en loin placés. Le vent, d'un air moqueur, à vos oreilles siffle, La goule étend sa griffe et la guivre renifle, Le vertige alourdit vos pas embarrassés. Vous voyez loin de vous, comme dans des abîmes, S'aplanir les clochers et les plus hautes cimes ; Des aigles les plus fiers vous dominez l'essor. Votre sueur se fige à votre front en nage ; L'air trop vif vous étouffe : allons, enfant, courage ! Vous êtes près des cieux ; allons, un pas encore ! Et vous pourrez toucher, de votre main surprise, L'archange colossal que fait tourner la brise, Le saint Michel géant qui tient un glaive d'or ; Et si, vous accoudant sur la rampe de marbre, Qui palpite au grand vent, comme une branche d'arbre, Vous dirigez en bas un œil moins effrayé, Vous verrez la campagne à plus de trente lieues, Un immense horizon, bordé de franges bleues, Se déroulant sous vous comme un tapis rayé ; Les carrés de blé d'or, les cultures zébrées, Les plaques de gazon de troupeaux noirs tigrées ; Et, dans le sainfoin rouge, un chemin blanc frayé ; Les cités, les hameaux, nids semés dans la plaine, Et partout, où se groupe une famille humaine, Un clocher vers le ciel, comme un doigt s'allongeant. Vous verrez dans le golfe, aux bras des promontoires, La mer se diaprer et se gaufrer de moires, Comme un kandjiar turc damasquiné d'argent ; Les vaisseaux, alcyons balancés sur leurs ailes, Piquer l'azur lointain de blanches étincelles Et croiser en tous sens leur vol intelligent. Comme un sein plein de lait gonflant leurs voiles ronde, Sur la foi de l'aimant ils vont chercher des mondes, Des rivages nouveaux sur de nouvelles mers : Dans l'Inde, de parfums, d'or et de soleil pleine, Dans la Chine bizarre, aux tours de porcelaine, Chimérique pays peuplé de dragons verts ; Ou vers Otaïti, la belle fleur des ondes, De ses longs cheveux noirs tordant les perles blondes, Comme une autre Vénus, fille des flots amers ; À Ceylan, à Java, plus loin encore peut-être, Dans quelque île déserte et dont on se rend maître, Vers une autre Amérique échappée à Colomb. Hélas ! Et vous aussi, sans crainte, ô mes pensées, Livrant aux vents du ciel vos ailes empressées, Vous tentez un voyage aventureux et long. Si la foudre et le nord respectent vos antennes, Des pays inconnus et des îles lointaines Que rapporterez-vous ? De l'or, ou bien du plomb ?... La spirale soudain s'interrompt et se brise. Comme celui qui monte au clocher de l'église, Me voici maintenant au sommet de ma tour. J'ai planté le drapeau tout au haut de mon œuvre. Ah ! Que depuis longtemps, pauvre et rude manœuvre, Insensible à la joie, à la vie, à l'amour, Pour garder mon dessin avec ses lignes pures, J'émousse mon ciseau contre des pierres dures, Élevant à grande peine une assise par jour ! Pendant combien de mois suis-je resté sous terre, Creusant comme un mineur ma fouille solitaire, Et cherchant le roc vif pour mes fondations ! Et pourtant le soleil riait sur la nature ; Les fleurs faisaient l'amour, et toute créature Livrait sa fantaisie au vent des passions ; Le printemps dans les bois faisait courir la sève, Et le flot, en chantant, venait baiser la grève ; Tout n'était que parfum, plaisir, joie et rayons ! Patient architecte, avec mes mains pensives Sur mes piliers trapus inclinant mes ogives, Je fouillais sous l'église un temple souterrain ; Puis l'église elle-même, avec ses colonnettes, Qui semble, tant elle a d'aiguilles et d'arêtes, Un madrépore immense, un polypier marin ; Et le clocher hardi, grand peuplier de pierre, Où gazouillent, quand vient l'heure de la prière, Avec les blancs ramiers, des nids d'oiseaux d'airain. Du haut de cette tour à grande peine achevée, Pourrais-je t'entrevoir, perspective rêvée, Terre de Chanaan où tendait mon effort ? Pourrai-je apercevoir la figure du monde, Les astres dans le ciel accomplissant leur ronde, Et les vaisseaux quittant et regagnant le port ? Si mon clocher passait seulement de la tête Les toits ou les tuyaux de la ville, ou le faîte De ce donjon aigu qui du brouillard ressort ; S'il était assez haut pour découvrir l'étoile Que la colline bleue avec son dos me voile, Le croissant qui s'écorne au toit de la maison ; Pour voir, au ciel de smalt, les flottantes nuées, Par le vent du matin mollement remuées, Comme un troupeau de l'air secouer leur toison ; Et la gloire, la gloire, astre et soleil de l'âme, Dans un océan d'or, avec le globe en flamme, Majestueusement monter à l'horizon !
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Le chant des amis
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Le chant des amis Titre : Le chant des amis Poète : Alfred de Musset (1810-1857) De ta source pure et limpide Réveille-toi, fleuve argenté ; Porte trois mots, coursier rapide : Amour, patrie et liberté ! Quelle voile, au vent déployée, Trace dans l'onde un vert sillon ? Qui t'a jusqu'à nous envoyée ? Quel est ton nom, ton pavillon ? — J'ai porté la céleste flamme En tous lieux où Dieu l'a permis. Mon pavillon, c'est l'oriflamme ; Mon nom, c'est celui des amis. Fils des Saxons, fils de la France, Vous souvient-il du sang versé ? Près du soleil de l'Espérance Voyez-vous l'ombre du passé ? — Le Rhin n'est plus une frontière ; Amis, c'est notre grand chemin, Et, maintenant, l'Europe entière Sur les deux bords se tend la main. De ta source pure et limpide Retrempe-toi, fleuve argenté ; Redis toujours, coursier rapide ! Amour, patrie et liberté.
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Le cabinet de toilette
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Le cabinet de toilette Titre : Le cabinet de toilette Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Voici le cabinet charmant Où les Grâces font leur toilette. Dans cette amoureuse retraite J'éprouve un doux saisissement. Tout m'y rappelle ma maîtresse, Tout m'y parle de ses attraits ; Je crois l'entendre ; et mon ivresse Ce bouquet, dont l'éclat s'efface, Toucha l'albâtre de son sein ; Il se dérangea sous ma main, Et mes lèvres prirent sa place. Ce chapeau, ces rubans, ces fleurs, Qui formaient hier sa parure, De sa flottante chevelure Conservent les douces odeurs. Voici l'inutile baleine Où ses charmes sont en prison. J'aperçois le soulier mignon Que son pied remplira sans peine. Ce lin, ce dernier vêtement... Il a couvert tout ce que j'aime ; Ma bouche s'y colle ardemment, Et croit baiser dans ce moment Les attraits qu'il baisa lui-même. Cet asile mystérieux De Vénus sans doute est l'empire. Le jour n'y blesse point mes yeux ; Plus tendrement mon cœur soupire ; L'air et les parfums qu'on respire De l'amour allument les feux. Parais, ô maîtresse adorée ! J'entends sonner l'heure sacrée Qui nous ramène les plaisirs ; Du temps viens connaître l'usage, Et redoubler tous les désirs Qu'a fait naître ta seule image.
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À ma bouteille
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : À ma bouteille Titre : À ma bouteille Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies érotiques (1778). Viens, ô ma Bouteille chérie, Viens enivrer tous mes chagrins. Douce compagne, heureuse amie, Verse dans ma coupe élargie L'oubli des dieux et des humains. Buvons, mais buvons à plein verre ; Et lorsque la main du sommeil Fermera ma triste paupière, Ô Dieux, reculez mon réveil ! Qu'à pas lents l'aurore s'avance Pour ouvrir les portes du jour : Esclaves, gardez le silence, Et laissez dormir mon amour.
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Birds in the night
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Birds in the night Titre : Birds in the night Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Vous n'avez pas eu toute patience, Cela se comprend par malheur, de reste ; Vous êtes si jeune ! Et l'insouciance, C'est le lot amer de l'âge céleste ! Vous n'avez pas eu toute la douceur, Cela par malheur d'ailleurs se comprend ; Vous êtes si jeune, ô ma froide sœur, Que votre cœur doit être indifférent ! Aussi, me voici plein de pardons chastes, Non, certes ! joyeux, mais très calme en somme Bien que je déplore, en ces mois néfastes, D'être, grâce à vous, le moins heureux homme. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Et vous voyez bien que j'avais raison Quand je vous disais, dans mes moments noirs, Que vos yeux, foyers de mes vieux espoirs, Ne couvaient plus rien que la trahison. Vous juriez alors que c'était mensonge Et votre regard qui mentait lui-même Flambait comme un feu mourant qu'on prolonge, Et de votre voix vous disiez : « Je t'aime ! » Hélas ! on se prend toujours au désir Qu'on a d'être heureux malgré la saison... Mais ce fut un jour plein d'amer plaisir, Quand je m'aperçus que j'avais raison ! - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Aussi bien pourquoi me mettrais-je à geindre ? Vous ne m'aimiez pas, l'affaire est conclue, Et, ne voulant pas qu'on ose me plaindre, Je souffrirai d'une âme résolue. Oui ! je souffrirai, car je vous aimais ! Mais je souffrirai comme un bon soldat Blessé qui s'en va dormir à jamais, Plein d'amour pour quelque pays ingrat. Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie, Encor que de vous vienne ma souffrance, N'êtes-vous donc pas toujours ma Patrie, Aussi jeune, aussi folle que la France ? - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Or, je ne veux pas — le puis-je d'abord ? Plonger dans ceci mes regards mouillés. Pourtant mon amour que vous croyez mort A peut-être enfin les yeux dessillés. Mon amour qui n'est que ressouvenance, Quoique sous vos coups il saigne et qu'il pleure Encore et qu'il doive, à ce que je pense, Souffrir longtemps jusqu'à ce qu'il en meure, Peut-être a raison de croire entrevoir En vous un remords qui n'est pas banal, Et d'entendre dire, en son désespoir, À votre mémoire : ah ! fi ! que c'est mal ! - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Je vous vois encor. J'entr'ouvris la porte. Vous étiez au lit comme fatiguée. Mais, ô corps léger que l'amour emporte, Vous bondîtes nue, éplorée et gaie. Ô quels baisers, quels enlacements fous ! J'en riais moi-même à travers mes pleurs. Certes, ces instants seront, entre tous Mes plus tristes, mais aussi mes meilleurs. Je ne veux revoir de votre sourire Et de vos bons yeux en cette occurrence Et de vous enfin, qu'il faudrait maudire, Et du piège exquis, rien que l'apparence. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Je vous vois encore ! En robe d'été Blanche et jaune avec des fleurs de rideaux. Mais vous n'aviez plus l'humide gaîté Du plus délirant de tous nos tantôts. La petite épouse et la fille aînée Était reparue avec la toilette Et c'était déjà notre destinée Qui me regardait sous votre voilette. Soyez pardonnée ! Et c'est pour cela Que je garde, hélas ! avec quelque orgueil, En mon souvenir qui vous cajola L'éclair de côté que coulait votre œil. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Par instants je suis le pauvre navire Qui court démâté parmi la tempête Et, ne voyant pas Notre-Dame luire, Pour l'engouffrement en priant s'apprête. Par instants je meurs la mort du pécheur Qui se sait damné s'il n'est confessé, Et, perdant l'espoir de nul confesseur, Se tord dans l'Enfer, qu'il a devancé. Ô mais ! par instants, j'ai l'extase rouge Du premier chrétien, sous la dent rapace, Qui rit à Jésus témoin, sans que bouge Un poil de sa chair, un nerf de sa face ! Bruxelles-Londres. — Septembre-octobre 1872.
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Il fait froid
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Il fait froid Titre : Il fait froid Poète : Victor Hugo (1802-1885) L'hiver blanchit le dur chemin Tes jours aux méchants sont en proie. La bise mord ta douce main ; La haine souffle sur ta joie. La neige emplit le noir sillon. La lumière est diminuée... Ferme ta porte à l'aquilon ! Ferme ta vitre à la nuée ! Et puis laisse ton coeur ouvert ! Le coeur, c'est la sainte fenêtre. Le soleil de brume est couvert ; Mais Dieu va rayonner peut-être ! Doute du bonheur, fruit mortel ; Doute de l'homme plein d'envie ; Doute du prêtre et de l'autel ; Mais crois à l'amour, ô ma vie ! Crois à l'amour, toujours entier, Toujours brillant sous tous les voiles ! A l'amour, tison du foyer ! A l'amour, rayon des étoiles ! Aime, et ne désespère pas. Dans ton âme, où parfois je passe, Où mes vers chuchotent tout bas, Laisse chaque chose à sa place. La fidélité sans ennui, La paix des vertus élevées, Et l'indulgence pour autrui, Eponge des fautes lavées. Dans ta pensée où tout est beau, Que rien ne tombe ou ne recule. Fais de ton amour ton flambeau. On s'éclaire de ce qui brûle. A ces démons d'inimitié Oppose ta douceur sereine, Et reverse leur en pitié Tout ce qu'ils t'ont vomi de haine. La haine, c'est l'hiver du coeur. Plains-les ! mais garde ton courage. Garde ton sourire vainqueur ; Bel arc-en-ciel, sors de l'orage ! Garde ton amour éternel. L'hiver, l'astre éteint-il sa flamme ? Dieu ne retire rien du ciel ; Ne retire rien de ton âme ! Décembre 18...
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Avec le même amour
Émile Verhaeren (1855-1916)
Poésie : Avec le même amour Titre : Avec le même amour Poète : Émile Verhaeren (1855-1916) Avec le même amour que tu me fus jadis Un jardin de splendeur dont les mouvants taillis Ombraient les longs gazons et les roses dociles, Tu m'es en ces temps noirs un calme et sûr asile. Tout s'y concentre, et ta ferveur et ta clarté Et tes gestes groupant les fleurs de ta bonté, Mais tout y est serré dans une paix profonde Contre les vents aigus trouant l'hiver du monde. Mon bonheur s'y réchauffe en tes bras repliés Tes jolis mots naïfs et familiers, Chantent toujours, aussi charmants à mon oreille Qu'aux temps des lilas blancs et des rouges groseilles. Ta bonne humeur allègre et claire, oh ! je la sens Triompher jour à jour de la douleur des ans, Et tu souris toi-même aux fils d'argent qui glissent Leur onduleux réseau parmi tes cheveux lisses. Quant ta tête s'incline à mon baiser profond, Que m'importe que des rides marquent ton front Et que tes mains se sillonnent de veines dures Alors que je les tiens entre mes deux mains sûres ! Tu ne te plains jamais et tu crois fermement Que rien de vrai ne meurt quand on s'aime dûment, Et que le feu vivant dont se nourrit notre âme Consume jusqu'au deuil pour en grandir sa flamme.
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L'héautontimorouménos
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : L'héautontimorouménos Titre : L'héautontimorouménos Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) À J. G. F. Je te frapperai sans colère Et sans haine, comme un boucher, Comme Moïse le rocher ! Et je ferai de ta paupière, Pour abreuver mon Saharah, Jaillir les eaux de la souffrance. Mon désir gonflé d'espérance Sur tes pleurs salés nagera Comme un vaisseau qui prend le large, Et dans mon coeur qu'ils soûleront Tes chers sanglots retentiront Comme un tambour qui bat la charge ! Ne suis-je pas un faux accord Dans la divine symphonie, Grâce à la vorace Ironie Qui me secoue et qui me mord ? Elle est dans ma voix, la criarde ! C'est tout mon sang, ce poison noir ! Je suis le sinistre miroir Où la mégère se regarde. Je suis la plaie et le couteau ! Je suis le soufflet et la joue ! Je suis les membres et la roue, Et la victime et le bourreau ! Je suis de mon coeur le vampire, - Un de ces grands abandonnés Au rire éternel condamnés, Et qui ne peuvent plus sourire !
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À qui donc sommes-nous
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À qui donc sommes-nous Titre : À qui donc sommes-nous Poète : Victor Hugo (1802-1885) A qui donc sommes-nous ? Qui nous a ? qui nous mène ? Vautour fatalité, tiens-tu la race humaine ? Oh ! parlez, cieux vermeils, L'âme sans fond tient-elle aux étoiles sans nombre ? Chaque rayon d'en haut est-il un fil de l'ombre Liant l'homme aux soleils ? Est-ce qu'en nos esprits, que l'ombre a pour repaires, Nous allons voir rentrer les songes de nos pères ? Destin, lugubre assaut ! O vivants, serions-nous l'objet d'une dispute ? L'un veut-il notre gloire, et l'autre notre chute ? Combien sont-ils là-haut ? Jadis, au fond du ciel, aux yeux du mage sombre, Deux joueurs effrayants apparaissaient dans l'ombre. Qui craindre? qui prier ? Les Manès frissonnants, les pâles Zoroastres Voyaient deux grandes mains qui déplaçaient les astres Sur le noir échiquier. Songe horrible! le bien, le mal, de cette voûte Pendent-ils sur nos fronts ? Dieu, tire-moi du doute ! O sphinx, dis-moi le mot ! Cet affreux rêve pèse à nos yeux qui sommeillent, Noirs vivants! heureux ceux qui tout à coup s'éveillent Et meurent en sursaut !
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Madrid
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Madrid Titre : Madrid Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Madrid, princesse des Espagnes, Il court par tes mille campagnes Bien des yeux bleus, bien des yeux noirs. La blanche ville aux sérénades, Il passe par tes promenades Bien des petits pieds tous les soirs. Madrid, quand tes taureaux bondissent, Bien des mains blanches applaudissent, Bien des écharpes sont en jeux. Par tes belles nuits étoilées, Bien des senoras long voilées Descendent tes escaliers bleus. Madrid, Madrid, moi, je me raille De tes dames à fine taille Qui chaussent l'escarpin étroit ; Car j'en sais une par le monde Que jamais ni brune ni blonde N'ont valu le bout de son doigt ! J'en sais une, et certes la duègne Qui la surveille et qui la peigne N'ouvre sa fenêtre qu'à moi ; Certes, qui veut qu'on le redresse, N'a qu'à l'approcher à la messe, Fût-ce l'archevêque ou le roi. Car c'est ma princesse andalouse ! Mon amoureuse ! ma jalouse ! Ma belle veuve au long réseau ! C'est un vrai démon ! c'est un ange ! Elle est jaune, comme une orange, Elle est vive comme un oiseau ! Oh ! quand sur ma bouche idolâtre Elle se pâme, la folâtre, Il faut voir, dans nos grands combats, Ce corps si souple et si fragile, Ainsi qu'une couleuvre agile, Fuir et glisser entre mes bras ! Or si d'aventure on s'enquête Qui m'a valu telle conquête, C'est l'allure de mon cheval, Un compliment sur sa mantille, Puis des bonbons à la vanille Par un beau soir de carnaval.
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Cri de guerre du mufti
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Cri de guerre du mufti Titre : Cri de guerre du mufti Poète : Victor Hugo (1802-1885) En guerre les guerriers ! Mahomet ! Mahomet ! Les chiens mordent les pieds du lion qui dormait, Ils relèvent leur tête infâme. Ecrasez, ô croyants du prophète divin, Ces chancelants soldats qui s'enivrent de vin, Ces hommes qui n'ont qu'une femme ! Meure la race franque et ses rois détestés ! Spahis, timariots, allez, courez, jetez A travers les sombres mêlées Vos sabres, vos turbans, le bruit de votre cor. Vos tranchants étriers, larges triangles d'or, Vos cavales échevelées ! Qu'Othman, fils d'Ortogrul, vive en chacun de vous. Que l'un ait son regard et l'autre son courroux. Allez, allez, ô capitaines ! Et nous te reprendrons, ville aux dômes d'or pur, Molle Setiniah, qu'en leur langage impur Les barabares nomment Athènes ! Le 21 octobre 1828.
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À son âme
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À son âme Titre : À son âme Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Derniers vers (1586). Amelette Ronsardelette, Mignonnelette doucelette, Treschere hostesse de mon corps, Tu descens là bas foiblelette, Pasle, maigrelette, seulette, Dans le froid Royaume des mors : Toutesfois simple, sans relors De meurtre, poison, ou rancune, Méprisant faveurs et tresors Tant enviez par la commune. Passant, j'ay dit, suy ta fortune Ne trouble mon repos, je dors.
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La caravane
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La caravane Titre : La caravane Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Sur la terre, tantôt sable, tantôt savane, L'un à l'autre liés en longue caravane, Echangeant leur pensée en confuses rumeurs, Emmenant avec eux les lois, les faits, les mœurs, Les esprits, voyageurs éternels, sont en marche. L'un porte le drapeau, les autres portent l'arche ; Ce saint voyage a nom Progrès. De temps en temps, Ils s'arrêtent, rêveurs, attentifs, haletants, Puis repartent. En route ! ils s'appellent, ils s'aident, Ils vont ! Les horizons aux horizons succèdent, Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets. On avance toujours, on n'arrive jamais. À chaque étape un guide accourt à leur rencontre ; Quand Jean Huss disparaît, Luther pensif se montre Luther s'en va, Voltaire alors prend le flambeau Quand Voltaire s'arrête, arrive Mirabeau. Ils sondent, pleins d'espoir, une terre inconnue À chaque pas qu'on fait, la brume diminue ; Ils marchent, sans quitter des yeux un seul instant Le terme du voyage et l'asile où l'on tend, Point lumineux au fond d'une profonde plaine, La Liberté sacrée, éclatante et lointaine, La Paix dans le travail, l'universel Hymen, L'Idéal, ce grand but, Mecque du genre humain. Plus ils vont, plus la foi les pousse et les exalte. Pourtant, à de certains moments, lorsqu'on fait halte, Que la fatigue vient, qu'on voit le jour blêmir, Et qu'on a tant marché qu'il faut enfin dormir, C'est l'instant où le Mal, prenant toutes les formes, Morne oiseau, vil reptile ou monstre aux bonds énormes, Chimère, préjugé, mensonge ténébreux, C'est l'heure où le Passé, qu'ils laissent derrière eux, Voyant dans chacun d'eux une proie échappée, Surprend la caravane assoupie et campée, Et, sortant hors de l'ombre et du néant profond, Tâche de ressaisir ces esprits qui s'en vont. II. Le jour baisse ; on atteint quelque colline chauve Que l'âpre solitude entoure, immense et fauve, Et dont pas même un arbre, une roche, un buisson Ne coupe l'immobile et lugubre horizon ; Les tchaouchs, aux lueurs des premières étoiles, Piquent des pieux en terre et déroulent les toiles ; En cercle autour du camp les feux sont allumés, Il est nuit. Gloire à Dieu ! voyageurs las, dormez. Non, veillez ! car autour de vous tout se réveille. Ecoutez ! écoutez ! debout ! prêtez l'oreille ! Voici qu'à la clarté du jour zodiacal, L'épervier gris, le singe obscène, le chacal, Les rats abjects et noirs, les belettes, les fouines, Nocturnes visiteurs des tentes bédouines, L'hyène au pas boiteux qui menace et qui fuit, Le tigre au crâne plat où nul instinct ne luit, Dont la férocité ressemble à de la joie, Tous, les oiseaux de deuil et les bêtes de proie, Vers le feu rayonnant poussant d'étranges voix, De tous les points de l'ombre arrivent à la fois. Dans la brume, pareils aux brigands qui maraudent, Bandits de la nature, ils sont tous là qui rôdent. Le foyer se reflète aux yeux des léopards. Fourmillement terrible ! on voit de toutes parts Des prunelles de braise errer dans les ténèbres. La solitude éclate en hurlements funèbres. Des pierres, des fossés, des ravins tortueux, De partout, sort un bruit farouche et monstrueux. Car lorsqu'un pas humain pénètre dans ces plaines, Toujours, à l'heure où l'ombre épanche ses haleines, Où la création commence son concert, Le peuple épouvantable et rauque du désert, Horrible et bondissant sous les pâles nuées, Accueille l'homme avec des cris et des huées. Bruit lugubre ! chaos des forts et des petits Cherchant leur proie avec d'immondes appétits ! L'un glapit, l'autre rit, miaule, aboie, ou gronde. Le voyageur invoque en son horreur profonde Ou son saint musulman ou son patron chrétien. Soudain tout fait silence et l'on n'entend plus rien. Le tumulte effrayant cesse, râles et plaintes Meurent comme des voix par l'agonie éteintes, Comme si, par miracle et par enchantement, Dieu même avait dans l'ombre emporté brusquement Renards, singes, vautours, le tigre, la panthère, Tous ces monstres hideux qui sont sur notre terre Ce que sont les démons dans le monde inconnu. Tout se tait. Le désert est muet, vaste et nu. L'œil ne voit sous les cieux que l'espace sans borne. Tout à coup, au milieu de ce silence morne Qui monte et qui s'accroît de moment en moment, S'élève un formidable et long rugissement ! C'est le lion. III. Il vient, il surgit où vous êtes, Le roi sauvage et roux des profondeurs muettes ! Il vient de s'éveiller comme le soir tombait, Non, comme le loup triste, à l'odeur du gibet, Non, comme le jaguar, pour aller dans les havres Flairer si la tempête a jeté des cadavres, Non, comme le chacal furtif et hasardeux, Pour déterrer la nuit les morts, spectres hideux, Dans quelque champ qui vit la guerre et ses désastres ; Mais pour marcher dans l'ombre à la clarté des astres. Car l'azur constellé plaît à son œil vermeil ; Car Dieu fait contempler par l'aigle le soleil, Et fait par le lion regarder les étoiles. Il vient, du crépuscule il traverse les voiles, Il médite, il chemine à pas silencieux, Tranquille et satisfait sous la splendeur des cieux ; Il aspire l'air pur qui manquait à son antre ; Sa queue à coups égaux revient battre son ventre, Et, dans l'obscurité qui le sent approcher, Rien ne le voit venir, rien ne l'entend marcher. Les palmiers, frissonnant comme des touffes d'herbe, Frémissent. C'est ainsi que, paisible et superbe, Il arrive toujours par le même chemin, Et qu'il venait hier, et qu'il viendra demain, À cette heure où Vénus à l'occident décline. Et quand il s'est trouvé proche de la colline, Marquant ses larges pieds dans le sable mouvant, Avant même que l'œil d'aucun être vivant Eût pu, sous l'éternel et mystérieux dôme, Voir poindre à l'horizon son vague et noir fantôme, Avant que dans la plaine il se fût avancé, Il se taisait ; son souffle a seulement passé, Et ce souffle a suffi, flottant à l'aventure, Pour faire tressaillir la profonde nature, Et pour faire soudain taire au plus fort du bruit Toutes ces sombres voix qui hurlent dans la nuit. IV. Ainsi, quand, de ton antre enfin poussant la pierre, Et las du long sommeil qui pèse à ta paupière, Ô peuple, ouvrant tes yeux d'où sort une clarté, Tu te réveilleras dans ta tranquillité, Le jour où nos pillards, où nos tyrans sans nombre Comprendront que quelqu'un remue au fond de l'ombre, Et que c'est toi qui viens, ô lion ! ce jour-là, Ce vil groupe où Falstaff s'accouple à Loyola, Tous ces gueux devant qui la probité se cabre, Les traîneurs de soutane et les traîneurs de sabre, Le général Soufflard, le juge Barabbas, Le jésuite au front jaune, à l'œil féroce et bas, Disant son chapelet dont les grains sont des balles, Les Mingrats bénissant les Héliogabales, Les Veuillots qui naguère, errant sans feu ni lieu, Avant de prendre en main la cause du bon Dieu, Avant d'être des saints, traînaient dans les ribotes Les haillons de leur style et les trous de leurs bottes, L'archevêque, ouléma du Christ ou de Mahom, Mâchant avec l'hostie un sanglant Te Deum, Les Troplong, Les Rouher, violateurs de chartes, Grecs qui tiennent les lois comme ils tiendraient les cartes, Les beaux fils dont les mains sont rouges sous leurs gants. Ces dévots, ces viveurs, ces bedeaux, ces brigands, Depuis les hommes vils jusqu'aux hommes sinistres, Tout ce tas monstrueux de gredins et de cuistres Qui grincent, l'œil ardent, le mufle ensanglanté, Autour de la raison et de la vérité, Tous, du maître au goujat, du bandit au maroufle, Pâles, rien qu'à sentir au loin passer ton souffle, Feront silence, ô peuple ! et tous disparaîtront Subitement, l'éclair ne sera pas plus prompt, Cachés, évanouis, perdus dans la nuit sombre, Avant même qu'on ait entendu, dans cette ombre Où les justes tremblants aux méchants sont mêlés, Ta grande voix monter vers les cieux étoilés ! Jersey, le 25 novembre 1852.
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Crimen amoris
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Crimen amoris Titre : Crimen amoris Poète : Paul Verlaine (1844-1896) (À Villiers de l'Isle-Adam) Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane, De beaux démons, des satans adolescents, Au son d'une musique mahométane, Font litière aux Sept Péchés de leurs cinq sens. C'est la fête aux Sept Péchés : ô qu'elle est belle ! Tous les désirs rayonnaient en feux brutaux ; Les Appétits, pages prompts que l'on harcèle, Promenaient des vins roses dans des cristaux. Des danses sur des rythmes d'épithalames Bien doucement se pâmaient en longs sanglots Et de beaux choeurs de voix d'hommes et de femmes Se déroulaient, palpitaient comme des flots. Et la bonté qui s'en allait de ces choses Était puissante et charmante tellement Que la campagne autour se fleurit de roses Et que la nuit paraissait en diamant. Or, le plus beau d'entre tous ces mauvais anges Avait seize ans sous sa couronne de fleurs. Les bras croisés sur les colliers et les franges, Il rêve, l'oeil plein de flammes et de pleurs. En vain la fête autour se faisait plus folle, En vain les Satans, ses frères et ses soeurs, Pour l'arracher au souci qui le désole, L'encourageaient d'appels de bras caresseurs : Il résistait à toutes câlineries, Et le chagrin mettait un papillon noir A son cher front tout brûlant d'orfèvreries. Ô l'immortel et terrible désespoir ! Il leur disait : " Ô vous, laissez-moi tranquille ! " Puis, les ayant baisés tous bien tendrement, Il s'évada d'avec eux d'un geste agile, Leur laissant aux mains des pans de vêtement. Le voyez-vous sur la tour la plus céleste Du haut palais avec une torche au poing ? Il la brandit comme un héros fait d'un ceste, D'en bas on croit que c'est une aube qui point. Qu'est-ce qu'il dit de sa voix profonde et tendre Qui se marie au claquement clair du feu Et que la lune est extatique d'entendre ? "Oh ! je serai celui-là qui créera Dieu ! "Nous avons tous trop souffert, anges et hommes, De ce conflit entre le Pire et le Mieux. Humilions, misérables que nous sommes, Tous nos élans dans le plus simple des voeux. "Ô vous tous, ô nous tous, ô les pécheurs tristes, Ô les gais Saints, pourquoi ce schisme têtu ? Que n'avons-nous fait, en habiles artistes, De nos travaux la seule et même vertu ? "Assez et trop de ces luttes trop égales ! Il va falloir qu'enfin se rejoignent les Sept Péchés aux Trois Vertus Théologales ! Assez et trop de ces combats durs et laids ! "Et pour réponse à Jésus qui crut bien faire En maintenant l'équilibre de ce duel, Par moi l'enfer dont c'est ici le repaire Se sacrifie à l'amour universel !" La torche tombe de sa main éployée, Et l'incendie alors hurla s'élevant, Querelle énorme d'aigles rouges noyée Au remous noir de la fumée et du vent. L'or fond et coule à flots et le marbre éclate ; C'est un brasier tout splendeur et tout ardeur ; La soie en courts frissons comme de l'ouate Vole à flocons tout ardeur et tout splendeur. Et les Satans mourants chantaient dans les flammes, Ayant compris, comme s'ils étaient résignés. Et de beaux choeurs de voix d'hommes et de femmes Montaient parmi l'ouragan des bruits ignés. Et lui, les bras croisés d'une sorte fière, Les yeux au ciel où le feu monte en léchant, Il dit tout bas une espèce de prière, Qui va mourir dans l'allégresse du chant. Il dit tout bas une espèce de prière, Les yeux au ciel où le feu monte en léchant... Quand retentit un affreux coup de tonnerre, Et c'est la fin de l'allégresse et du chant. On n'avait pas agréé le sacrifice : Quelqu'un de fort et de juste assurément Sans peine avait su démêler la malice Et l'artifice en un orgueil qui se ment. Et du palais aux cent tours aucun vestige, Rien ne resta dans ce désastre inouï, Afin que par le plus effrayant prodige Ceci ne fût qu'un vain rêve évanoui... Et c'est la nuit, la nuit bleue aux mille étoiles ; Une campagne évangélique s'étend, Sévère et douce, et, vagues comme des voiles, Les branches d'arbre ont l'air d'ailes s'agitant. De froids ruisseaux courent sur un lit de pierre ; Les doux hiboux nagent vaguement dans l'air Tout embaumé de mystère et de prière : Parfois un flot qui saute lance un éclair. La forme molle au loin monte des collines Comme un amour encore mal défini, Et le brouillard qui s'essore des ravines Semble un effort vers quelque but réuni. Et tout cela comme un coeur et comme une âme, Et comme un verbe, et d'un amour virginal Adore, s'ouvre en une extase et réclame Le Dieu clément qui nous gardera du mal.
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Dépit
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Dépit Titre : Dépit Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies érotiques (1778). Oui, pour jamais Chassons l'image De la volage Que j'adorais. À l'infidèle Cachons nos pleurs ; Aimons ailleurs ; Trompons comme elle. De sa beauté Qui vient d'éclore Son cœur encore Est trop flatté. Vaine et coquette, Elle rejette Mes simples vœux ; Fausse et légère, Elle veut plaire À d'autres yeux. Qu'elle jouisse De mes regrets ; À ses attraits Qu'elle applaudisse. L'âge viendra ; L'essaim des Grâces S'envolera, Et sur leurs traces L'Amour fuira. Fuite cruelle ! Adieu l'espoir Et le pouvoir D'être infidèle. Dans cet instant Libre et content, Passant près d'elle Je sourirai, Et je dirai : Elle fut belle.
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Dizain de femmes
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Dizain de femmes Titre : Dizain de femmes Poète : Victor Hugo (1802-1885) Une de plus que les muses ; Elles sont dix. On croirait, Quand leurs jeunes voix confuses Bruissent dans la forêt, Entendre, sous les caresses Des grands vieux chênes boudeurs, Un brouhaha de déesses Passant dans les profondeurs. Elles sont dix châtelaines De tout le pays voisin. La ruche vers leurs haleines Envoie en chantant l'essaim. Elles sont dix belles folles, Démons dont je suis cagot ; Obtenant des auréoles Et méritant le fagot. Que de coeurs cela dérobe, Même à nous autres manants ! Chacune étale à sa robe Quatre volants frissonnants, Et court par les bois, sylphide Toute parée, en dépit De la griffe qui, perfide, Dans les ronces se tapit. Oh ! ces anges de la terre ! Pensifs, nous les décoiffons ; Nous adorons le mystère De la robe aux plis profonds. Jadis Vénus sur la grève N'avait pas l'attrait taquin Du jupon qui se soulève Pour montrer le brodequin. Les antiques Arthémises Avaient des fronts élégants, Mais n'étaient pas si bien mises Et ne portaient point de gants. La gaze ressemble au rêve ; Le satin, au pli glacé, Brille, et sa toilette achève Ce que l'oeil a commencé. La marquise en sa calèche Plaît, même au butor narquois ; Car la grâce est une flèche Dont la mode est le carquois. L'homme, sot par étiquette, Se tient droit sur son ergot ; Mais Dieu créa la coquette Dès qu'il eut fait le nigaud. Oh ! toutes ces jeunes femmes, Ces yeux où flambe midi, Ces fleurs, ces chiffons, ces âmes, Quelle forêt de Bondy ! Non, rien ne nous dévalise Comme un minois habillé, Et comme une Cydalise Où Chapron a travaillé ! Les jupes sont meurtrières. La femme est un canevas Que, dans l'ombre, aux couturières Proposent les Jéhovahs. Cette aiguille qui l'arrange D'une certaine façon Lui donne la force étrange D'un rayon dans un frisson. Un ruban est une embûche, Une guimpe est un péril ; Et, dans l'Éden, où trébuche La nature à son avril, Satan — que le diable enlève ! — N'eût pas risqué son pied-bot Si Dieu sur les cheveux d'Ève Eût mis un chapeau d'Herbaut. Toutes les dix, sous les voûtes, Des grands arbres, vont chantant ; On est amoureux de toutes ; On est farouche et content. On les compare, on hésite Entre ces robes qui font La lueur d'une visite Arrivant du ciel profond. Oh ! pour plaire à cette moire, À ce gros de Tours flambé, On se rêve plein de gloire, On voudrait être un abbé. On sort du hallier champêtre, La tête basse, à pas lents, Le coeur pris, dans ce bois traître, Par les quarante volants.
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Dans un baiser
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Dans un baiser Titre : Dans un baiser Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Poésies diverses (1838-1845). Dans un baiser, l'onde au rivage Dit ses douleurs ; Pour consoler la fleur sauvage L'aube a des pleurs ; Le vent du soir conte sa plainte Au vieux cyprès, La tourterelle au térébinthe Ses longs regrets. Aux flots dormants, quand tout repose, Hors la douleur, La lune parle, et dit la cause De sa pâleur. Ton dôme blanc, Sainte-Sophie, Parle au ciel bleu, Et, tout rêveur, le ciel confie Son rêve à Dieu. Arbre ou tombeau, colombe ou rose, Onde ou rocher, Tout, ici-bas, a quelque chose Pour s'épancher... Moi, je suis seul, et rien au monde Ne me répond, Rien que ta voix morne et profonde, Sombre Hellespont !
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L'autel bas s'orne de hautes mauves
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'autel bas s'orne de hautes mauves Titre : L'autel bas s'orne de hautes mauves Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). L'autel bas s'orne de hautes mauves, La chasuble blanche est toute en fleurs, A travers les pâles vitraux jaunes Le soleil se répand comme un fleuve ; On chante au graduel : Fi-li-a ! D'une voix si lentement joyeuse Qu'il faudrait croire que c'est l'extase D'à-jamais voir la Reine des cieux ; Le sermon du tremblotant vicaire Est gentil plus que par un dimanche, Qui dit que pour s'élever dans l'air Faut être humble et de foi cordiale ; Il ajoute, le cher vieux bonhomme, Que la gloire ultime est réservée Sur tous ceux qui vivent dans la pompe, Aux pauvres d'esprit et de monnaie ; On sort de l'église, après les vêpres, Pour la procession si touchante Qui a nom : du Vœu de Louis Treize C'est le cas de prier pour la France.
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Le squelette laboureur
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le squelette laboureur Titre : Le squelette laboureur Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) I Dans les planches d'anatomie Qui traînent sur ces quais poudreux Où maint livre cadavéreux Dort comme une antique momie, Dessins auxquels la gravité Et le savoir d'un vieil artiste, Bien que le sujet en soit triste, Ont communiqué la Beauté, On voit, ce qui rend plus complètes Ces mystérieuses horreurs, Bêchant comme des laboureurs, Des Écorchés et des Squelettes. II De ce terrain que vous fouillez, Manants résignés et funèbres, De tout l'effort de vos vertèbres, Ou de vos muscles dépouillés, Dites, quelle moisson étrange, Forçats arrachés au charnier, Tirez-vous, et de quel fermier Avez-vous à remplir la grange ? Voulez-vous (d'un destin trop dur Épouvantable et clair emblème !) Montrer que dans la fosse même Le sommeil promis n'est pas sûr ; Qu'envers nous le Néant est traître ; Que tout, même la Mort, nous ment, Et que sempiternellement, Hélas ! il nous faudra peut-être Dans quelque pays inconnu Écorcher la terre revêche Et pousser une lourde bêche Sous notre pied sanglant et nu ?
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Les promesses d'un visage
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les promesses d'un visage Titre : Les promesses d'un visage Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) J'aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés, D'où semblent couler des ténèbres, Tes yeux, quoique très noirs, m'inspirent des pensers Qui ne sont pas du tout funèbres. Tes yeux, qui sont d'accord avec tes noirs cheveux, Avec ta crinière élastique, Tes yeux, languissamment, me disent : " Si tu veux, Amant de la muse plastique, Suivre l'espoir qu'en toi nous avons excité, Et tous les goûts que tu professes, Tu pourras constater notre véracité Depuis le nombril jusqu'aux fesses ; Tu trouveras au bout de deux beaux seins bien lourds, Deux larges médailles de bronze, Et sous un ventre uni, doux comme du velours, Bistré comme la peau d'un bonze, Une riche toison qui, vraiment, est la soeur De cette énorme chevelure, Souple et frisée, et qui t'égale en épaisseur, Nuit sans étoiles, Nuit obscure ! "
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Réflexion amoureuse
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Réflexion amoureuse Titre : Réflexion amoureuse Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies érotiques (1778). Je vais la voir, la presser dans mes bras. Mon cœur ému palpite avec vitesse ; Des voluptés je sens déjà l'ivresse ; Et le désir précipite mes pas. Sachons pourtant, près de celle que j'aime, Donner un frein aux transports du désir ; Sa folle ardeur abrège le plaisir, Et trop d'amour peut nuire à l'amour même.
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Je respire où tu palpites
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Je respire où tu palpites Titre : Je respire où tu palpites Poète : Victor Hugo (1802-1885) Je respire où tu palpites, Tu sais ; à quoi bon, hélas ! Rester là si tu me quittes, Et vivre si tu t'en vas ? A quoi bon vivre, étant l'ombre De cet ange qui s'enfuit ? A quoi bon, sous le ciel sombre, N'être plus que de la nuit ? Je suis la fleur des murailles Dont avril est le seul bien. Il suffit que tu t'en ailles Pour qu'il ne reste plus rien. Tu m'entoures d'Auréoles ; Te voir est mon seul souci. Il suffit que tu t'envoles Pour que je m'envole aussi. Si tu pars, mon front se penche ; Mon âme au ciel, son berceau, Fuira, dans ta main blanche Tu tiens ce sauvage oiseau. Que veux-tu que je devienne Si je n'entends plus ton pas ? Est-ce ta vie ou la mienne Qui s'en va ? Je ne sais pas. Quand mon orage succombe, J'en reprends dans ton coeur pur ; Je suis comme la colombe Qui vient boire au lac d'azur. L'amour fait comprendre à l'âme L'univers, salubre et béni ; Et cette petite flamme Seule éclaire l'infini Sans toi, toute la nature N'est plus qu'un cachot fermé, Où je vais à l'aventure, Pâle et n'étant plus aimé. Sans toi, tout s'effeuille et tombe ; L'ombre emplit mon noir sourcil ; Une fête est une tombe, La patrie est un exil. Je t'implore et réclame ; Ne fuis pas loin de mes maux, Ô fauvette de mon âme Qui chantes dans mes rameaux ! De quoi puis-je avoir envie, De quoi puis-je avoir effroi, Que ferai-je de la vie Si tu n'es plus près de moi ? Tu portes dans la lumière, Tu portes dans les buissons, Sur une aile ma prière, Et sur l'autre mes chansons. Que dirai-je aux champs que voile L'inconsolable douleur ? Que ferai-je de l'étoile ? Que ferai-je de la fleur ? Que dirai-je au bois morose Qu'illuminait ta douceur ? Que répondrai-je à la rose Disant : « Où donc est ma soeur ? » J'en mourrai ; fuis, si tu l'oses. A quoi bon, jours révolus ! Regarder toutes ces choses Qu'elle ne regarde plus ? Que ferai-je de la lyre, De la vertu, du destin ? Hélas ! et, sans ton sourire, Que ferai-je du matin ? Que ferai-je, seul, farouche, Sans toi, du jour et des cieux, De mes baisers sans ta bouche, Et de mes pleurs sans tes yeux ! Août 18...
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Le sort fantasque qui me gâte à sa manière
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le sort fantasque qui me gâte à sa manière Titre : Le sort fantasque qui me gâte à sa manière Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Le « sort » fantasque qui me gâte à sa manière — M'a logé cette fois, peut-être la dernière Et la dernière c'est la bonne — à l'hôpital ! De mon rêve à ceci le réveil est brutal Mais explicable par le fait d'une voleuse (Dont l'histoire posthume est, dit-on, graveleuse) Du fait d'un rhumatisme aussi, moindre détail ; Puis d'un gîte où l'on est qu'importe le portail ? J'y suis, j'y vis. « Non, j'y végète », on rectifie ; On se trompe. J'y vis dans le strict de la vie, Le pain qu'il faut, pas trop de vin, et mieux couché ! Évidemment j'expie un très ancien péché (Très ancien ?) dont mon sang a des fois la secousse, Et la pénitence est relativement douce Dans le martyrologe et sur l'armorial Des poètes, peut-être un peu proverbial. C'est un lieu comme un autre, on en prend l'habitude: A prison bonne enfant longanime Latude. Sans compter qu'au rimeur, pour en parler, alors ! Pauvre et fier, il ne reste qu'à mourir dehors Ou tout comme, en ces temps vraiment trop peu propices. Et mourir pour mourir. Muse qui me respices, Autant le faire ici qu'ailleurs, et même mieux, Sinon qu'ici l'on est tout « laïque », les vieux Abus sont réformés et le « citoyen » libre ! Et fort ! doit, ou l'État perdrait son équilibre, Avec ça qu'il n'est pas à cheval sur un pall ! Mourir dans les bras du Conseil Municipal, Mal rassurante et pas assez édifiante Conclusion pour tel, qu'un vœu mystique hante Moi par exemple, j'en forme l'aveu sans fard, Me dût-on traiter d'âne ou d'impudent cafard, La conversation, dans ce modeste asile, Ne m'est pas autrement pénible et difficile ! Ces braves gens, que le Journal rend un peu sots, Du moins ont conservé, malgré tous les assauts Que « l'Instruction » livre à leur tête obsédée ; Quelque saveur encor de parole et d'idée ; La Révolution, qu'il faut toujours citer Et condamner, n'a pu complètement gâter Leur trivialité non sans grâce et sincère. Même je les préfère aux mufles de ma sphère Certes ! et je subis leur choc sans trop d'émoi. Leur vice et leur vertu sont juste à point pour moi Les goûter et me plaire en ces lieux salutaires (A comme moi) des espèces de solitaires, Espèce de couvent moins cet espoir chrétien ! Le monde est tel qu'ici je n'ai besoin de rien Et que j'y resterais, ma foi, toute ma vie, Sans grands jaloux, j'espère, et pour sûr, sans envie ! Si, dès guéri, si je guéris, car tout se peut, Je n'avais quelque chose à faire, que Dieu veut.
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Pour demain
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Pour demain Titre : Pour demain Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Vous que le printemps opéra Miracles ponctuez ma stance Mon esprit épris du départ Dans un rayon soudain se perd Perpétué par la cadence La Seine au soleil d'avril danse Comme Cécile au premier bal Ou plutôt roule des pépites Vers les ponts de pierre ou les cribles Charme sûr La ville est le val Les quais gais comme en carnaval Vont au devant de la lumière Elle visite les palais Surgis selon ses jeux ou lois Moi je l'honore à ma manière La seule école buissonnière Et non Silène m'enseigna Cette ivresse couleur de lèvres Et les roses du jour aux vitres Comme des filles d'Opéra.
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Hier au soir
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Hier au soir Titre : Hier au soir Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les contemplations (1856). Hier, le vent du soir, dont le souffle caresse, Nous apportait l'odeur des fleurs qui s'ouvrent tard ; La nuit tombait ; l'oiseau dormait dans l'ombre épaisse. Le printemps embaumait, moins que votre jeunesse ; Les astres rayonnaient, moins que votre regard. Moi, je parlais tout bas. C'est l'heure solennelle Où l'âme aime à chanter son hymne le plus doux. Voyant la nuit si pure et vous voyant si belle, J'ai dit aux astres d'or : « Versez le ciel sur elle ! » Et j'ai dit à vos yeux : « Versez l'amour sur nous ! » Mai 18...
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Rêvé pour l'hiver
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Rêvé pour l'hiver Titre : Rêvé pour l'hiver Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose Avec des coussins bleus. Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose Dans chaque coin moelleux. Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace, Grimacer les ombres des soirs, Ces monstruosités hargneuses, populace De démons noirs et de loups noirs. Puis tu te sentiras la joue égratignée... Un petit baiser, comme une folle araignée, Te courra par le cou... Et tu me diras : "Cherche !" en inclinant la tête, - Et nous prendrons du temps à trouver cette bête - Qui voyage beaucoup...
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