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Beauté des femmes
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Beauté des femmes Titre : Beauté des femmes Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal, Et ces yeux, où plus rien ne reste d'animal Que juste assez pour dire : " assez " aux fureurs mâles. Et toujours, maternelle endormeuse des râles, Même quand elle ment, cette voix ! Matinal Appel, ou chant bien doux à vêpre, ou frais signal, Ou beau sanglot qui va mourir au pli des châles !... Hommes durs ! Vie atroce et laide d'ici-bas ! Ah ! que du moins, loin des baisers et des combats, Quelque chose demeure un peu sur la montagne, Quelque chose du coeur enfantin et subtil, Bonté, respect ! Car, qu'est-ce qui nous accompagne Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il ?
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La vie intérieure
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
Poésie : La vie intérieure Titre : La vie intérieure Poète : Henri-Frédéric Amiel (1821-1881) Recueil : Il penseroso (1858). Aux deux extrémités du jour, lorsque la nuit Étend ou retire ses voiles, Quand le rayon douteux qui revient ou s'enfuit Laisse au ciel briller les étoiles, Alors, comme dans l'ombre un vaillant ouvrier S'assied, au labeur faisant trêve, Entre l'heure d'agir et l'heure d'oublier, La Terre se recueille et rêve. — Aux bornes du sommeil, quand enfin l'homme éteint Sa lampe ou déjà la rallume, Dans notre esprit alors notre avenir se peint, Et notre passé se résume ; Revoyant ses désirs, ses peines ou ses torts, L'âme regrette, espère ou pleure ; Et, sur soi repliée et comptant ses trésors, Vit de sa vie intérieure.
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J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans Titre : J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans. Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans, De vers, de billets doux, de procès, de romances, Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances, Cache moins de secrets que mon triste cerveau. C'est une pyramide, un immense caveau, Qui contient plus de morts que la fosse commune. - Je suis un cimetière abhorré de la lune, Où comme des remords se traînent de longs vers Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers. Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées, Où gît tout un fouillis de modes surannées, Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher, Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché. Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L'ennui, fruit de la morne incuriosité, Prend les proportions de l'immortalité. - Désormais tu n'es plus, ô matière vivante ! Qu'un granit entouré d'une vague épouvante, Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux ; Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.
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La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Titre : La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Est une œuvre de choix qui veut beaucoup d'amour : Rester gai quand le jour triste succède au jour, Être fort, et s'user en circonstances viles ; N'entendre, n'écouter aux bruits des grandes villes Que l'appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour, Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour L'accomplissement vil de tâches puériles ; Dormir chez les pécheurs étant un pénitent ; N'aimer que le silence et converser pourtant Le temps si grand dans la patience si grande, Le scrupule naïf aux repentirs têtus, Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus ! — Fi, dit l'Ange Gardien, de l'orgueil qui marchande !
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Or, vous voici promus, petits amis
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Or, vous voici promus, petits amis Titre : Or, vous voici promus, petits amis Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Or, vous voici promus, petits amis, Depuis les temps de ma lettre première, Promus, disais-je, aux fiers emplois promis À votre thèse, en ces jours de lumière. Vous voici rois de France ! À votre tour ! (Rois à plusieurs d'une France postiche, Mais rois de fait et non sans quelque amour D'un trône lourd avec un budget riche.) À l'œuvre, amis petits ! Nous avons droit De vous y voir, payant de notre poche, Et d'être un peu réjouis à l'endroit De votre état sans peur et sans reproche. Sans peur ? Du maître ? Ô le maître, mais c'est L'Ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre, Total, le peuple, « un âne » fort « qui s'est Cabré », pour vous espoir clair, puis fait sombre. Cabré comme une chèvre, c'est le mot. Et votre bras, saignant jusqu'à l'aisselle, S'efforce en vain : fort comme Béhémot, Le monstre tire... et votre peur est telle Quand l'âne brait, que le voilà parti Qui par les dents vous boute cent ruades En forme de reproche bien senti... Courez après, frottant vos reins malades ! Ô Peuple, nous t'aimons immensément : N'es-tu donc pas la pauvre âme ignorante En proie à tout ce qui sait et qui ment ? N'es-tu donc pas l'immensité souffrante ? La charité nous fait chercher tes maux, La foi nous guide à travers tes ténèbres. On t'a rendu semblable aux animaux, Moins leur candeur, et plein d'instincts funèbres. L'orgueil t'a pris en ce quatre-vingt-neuf, Nabuchodonosor, et te fait paître, Âne obstiné, mouton buté, dur bœuf, Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre ! Ô paysan cassé sur tes sillons, Pâle ouvrier qu'esquinte la machine, Membres sacrés de Jésus-Christ, allons, Relevez-vous, honorez votre échine, Portez l'amour qu'il faut à vos bras forts, Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde, Respectez-les, fuyez ces chemins tors, Fermez l'oreille à ce conseil immonde, Redevenez les Français d'autrefois, Fils de l'Eglise, et dignes de vos pères ! Ô s'ils savaient ceux-ci sur vos pavois, Leurs os sueraient de honte aux cimetières. — Vous, nos tyrans minuscules d'un jour (L'énormité des actes rend les princes Surtout de souche impure, et malgré cour Et splendeur et le faste, encor plus minces), Laissez le règne et rentrez dans le rang. Aussi bien l'heure est proche où la tourmente Vous va donner des loisirs, et tout blanc L'avenir flotte avec sa Fleur charmante Sur la Bastille absurde où vous teniez La France aux fers d'un blasphème et d'un schisme, Et la chronique en de cléments Téniers Déjà vous peint allant au catéchisme.
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Cette nuit, il pleuvait, la marée était haute
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Cette nuit, il pleuvait, la marée était haute Titre : Cette nuit, il pleuvait, la marée était haute Poète : Victor Hugo (1802-1885) Cette nuit, il pleuvait, la marée était haute, Un brouillard lourd et gris couvrait toute la côte, Les brisants aboyaient comme des chiens, le flot Aux pleurs du ciel profond joignait son noir sanglot, L'infini secouait et mêlait dans son urne Les sombres tournoiements de l'abîme nocturne ; Les bouches de la nuit semblaient rugir dans l'air. J'entendais le canon d'alarme sur la mer. Des marins en détresse appelaient à leur aide. Dans l'ombre où la rafale aux rafales succède, Sans pilote, sans mât, sans ancre, sans abri, Quelque vaisseau perdu jetait son dernier cri. Je sortis. Une vieille, en passant effarée, Me dit : « Il a péri ; c'est un chasse-marée. » Je courus à la grève et ne vis qu'un linceul De brouillard et de nuit, et l'horreur, et moi seul ; Et la vague, dressant sa tête sur l'abîme, Comme pour éloigner un témoin de son crime, Furieuse, se mit à hurler après moi. Qu'es-tu donc, Dieu jaloux, Dieu d'épreuve et d'effroi, Dieu des écroulements, des gouffres, des orages, Que tu n'es pas content de tant de grands naufrages, Qu'après tant de puissants et de forts engloutis, Il te reste du temps encor pour les petits, Que sur les moindres fronts ton bras laisse sa marque, Et qu'après cette France, il te faut cette barque ! Jersey, le 5 avril 1853.
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À mademoiselle Louise B
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À mademoiselle Louise B Titre : À mademoiselle Louise B Poète : Victor Hugo (1802-1885) I L'année en s'enfuyant par l'année est suivie. Encore une qui meurt ! encore un pas du temps ; Encore une limite atteinte dans la vie ! Encore un sombre hiver jeté sur nos printemps ! Le temps ! les ans ! les jours ! mots que la foule ignore ! Mots profonds qu'elle croit à d'autres mots pareils ! Quand l'heure tout à coup lève sa voix sonore, Combien peu de mortels écoutent ses conseils ! L'homme les use, hélas ! ces fugitives heures, En folle passion, en folle volupté, Et croit que Dieu n'a pas fait de choses meilleures Que les chants, les banquets, le rire et la beauté ! Son temps dans les plaisirs s'en va sans qu'il y pense. Imprudent ! est-il sûr de demain ? d'aujourd'hui ? En dépensant ses jours sait-il ce qu'il dépense ? Le nombre en est compté par un autre que lui. A peine lui vient-il une grave pensée Quand, au sein du festin qui satisfait ses voeux, Ivre, il voit tout à coup de sa tête affaissée Tomber en même temps les fleurs et les cheveux ; Quand ses projets hâtifs l'un sur l'autre s'écroulent ; Quand ses illusions meurent à son côté ; Quand il sent le niveau de ses jours qui s'écoulent Baisser rapidement comme un torrent d'été. Alors en chancelant il s'écrie, il réclame, Il dit : Ai-je donc bu toute cette liqueur ? Plus de vin pour ma soif ! plus d'amour pour mon âme ! Qui donc vide à la fois et ma coupe et mon coeur ? Mais rien ne lui répond. - Et triste, et le front blême, De ses débiles mains, de son souffle glacé, Vainement il remue, en s'y cherchant lui-même, Ce tas de cendre éteint qu'on nomme le passé ! II Ainsi nous allons tous. - Mais vous dont l'âme est forte, Vous dont le coeur est grand, vous dites : - Que m'importe Si le temps fuit toujours, Et si toujours un souffle emporte quand il passe, Pêle-mêle à travers la durée et l'espace, Les hommes et les jours ! Car vous avez le goût de ce qui seul peut vivre ; Sur Dante ou sur Mozart, sur la note ou le livre, Votre front est courbé. Car vous avez l'amour des choses immortelles ; Rien de ce que le temps emporte sur ses ailes Des vôtres n'est tombé ! Quelquefois, quand l'esprit vous presse et vous réclame, Une musique en feu s'échappe de votre âme, Musique aux chants vainqueurs, Au souffle pur, plus doux que l'aile des zéphires, Qui palpite, et qui fait vibrer comme des lyres Les fibres de nos coeurs ! Dans ce siècle où l'éclair reluit sur chaque tête, Où le monde, jeté de tempête en tempête, S'écrie avec frayeur, Vous avez su vous faire, en la nuit qui redouble, Une sérénité qui traverse sans trouble L'orage extérieur ! Soyez toujours ainsi ! l'amour d'une famille, Le centre autour duquel tout gravite et tout brille ; La soeur qui nous défend ; Prodigue d'indulgence et de blâme économe ; Femme au coeur grave et doux ; sérieuse avec l'homme, Folâtre avec l'enfant ! Car pour garder toujours la beauté de son âme, Pour se remplir le coeur, riche ou pauvre, homme ou femme, De pensers bienveillants, Vous avez ce qu'on peut, après Dieu, sur la terre, Contempler de plus saint et de plus salutaire, Un père en cheveux blancs !
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Les esprits des fleurs
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Les esprits des fleurs Titre : Les esprits des fleurs Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Voyez-vous de l'or de ces urnes S'échapper ces esprits des fleurs, Tout trempés de parfums nocturnes, Tout vêtus de fraîches couleurs ? Ce ne sont pas de vains fantômes Créés par un art décevant, Pour donner un corps aux arômes Que nos gazons livrent au vent. Non : chaque atome de matière Par un esprit est habité ; Tout sent, et la nature entière N'est que douleur et volupté ! Chaque rayon d'humide flamme Qui jaillit de vos yeux si doux ; Chaque soupir qui de mon âme S'élance et palpite vers vous ; Chaque parole réprimée Qui meurt sur mes lèvres de feu, N'osant même à la fleur aimée D'un nom chéri livrer l'aveu ; Ces songes que la nuit fait naître Comme pour nous venger du jour, Tout prend un corps, une âme, un être, Visibles, mais au seul amour ! Cet ange flottant des prairies, Pâle et penché comme ses lis, C'est une de mes rêveries Restée aux fleurs que je cueillis. Et sur ses ailes renversées Celui qui jouit d'expirer, Ce n'est qu'une de mes pensées Que vos lèvres vont respirer.
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La perdrix
Anatole France (1844-1924)
Poésie : La perdrix Titre : La perdrix Poète : Anatole France (1844-1924) Recueil : Les poèmes dorés (1873). Sonnet. Hélas ! celle qui, jeune en la belle saison, Causa dans les blés verts une ardente querelle Et suivit le vainqueur ensanglanté pour elle, La compagne au bon cœur qui bâtit la maison Et nourrit les petits aux jours de la moisson, Vois : les chiens ont forcé sa retraite infidèle. C'est en vain qu'elle fuit dans l'air à tire-d'aile, Le plomb fait dans sa chair passer le grand frisson. Son sang pur de couveuse à la chaleur divine Sur son corps déchiré mouille sa plume fine. Elle tournoie et tombe entre les joncs épais. Dans les joncs, à l'abri de l'épagneul qui flaire, Triste, s'enveloppant de silence et de paix, Ayant fini d'aimer, elle meurt sans colère.
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À ***, trappiste à La Meilleraye
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À ***, trappiste à La Meilleraye Titre : À ***, trappiste à La Meilleraye Poète : Victor Hugo (1802-1885) 'Tis vain to struggle — let me perish young — Live as I have lived ; and love as I have loved ; To dust if I return, from dust I sprung, And then, at least, my heart can ne'er be moved. BYRON. Mon frère, la tempête a donc été bien forte, Le vent impétueux qui souffle et nous emporte De récif en récif A donc, quand vous partiez, d'une aile bien profonde Creusé le vaste abîme et bouleversé l'onde Autour de votre esquif, Que tour à tour, en hâte, et de peur du naufrage, Pour alléger la nef en butte au sombre orage, En proie au flot amer, Il a fallu, plaisirs, liberté, fantaisie, Famille, amour, trésors, jusqu'à la poésie, Tout jeter à la mer ! Et qu'enfin, seul et nu, vous voguez solitaire, Allant où va le flot, sans jamais prendre terre, Calme, vivant de peu, Ayant dans votre esquif, qui des nôtres s'isole, Deux choses seulement, la voile et la boussole, Votre âme et votre Dieu ! Mai 1830.
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À la louange de Laure et de Pétrarque
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À la louange de Laure et de Pétrarque Titre : À la louange de Laure et de Pétrarque Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Chose italienne où Shakspeare a passé Mais que Ronsard fit superbement française, Fine basilique au large diocèse, Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé, Elle, ta marraine, et Lui qui t'a pensé, Dogme entier toujours debout sous l'exégèse Même edmondschéresque ou francisquesarceyse, Sonnet, force acquise et trésor amassé, Ceux-là sont très bons et toujours vénérables, Ayant procuré leur luxe aux misérables Et l'or fou qui sied aux pauvres glorieux, Aux poètes fiers comme les gueux d'Espagne, Aux vierges qu'exalte un rhythme exact, aux yeux Epris d'ordre, aux coeurs qu'un voeu chaste accompagne.
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Les joujoux de la morte
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Les joujoux de la morte Titre : Les joujoux de la morte Poète : Théophile Gautier (1811-1872) La petite Marie est morte, Et son cercueil est si peu long Qu'il tient sous le bras qui l'emporte Comme un étui de violon. Sur le tapis et sur la table Traîne l'héritage enfantin. Les bras ballants, l'air lamentable, Tout affaissé, gît le pantin. Et si la poupée est plus ferme, C'est la faute de son bâton ; Dans son oeil une larme germe, Un soupir gonfle son carton. Une dînette abandonnée Mêle ses plats de bois verni A la troupe désarçonnée Des écuyers de Franconi. La boîte à musique est muette ; Mais, quand on pousse le ressort Où se posait sa main fluette, Un murmure plaintif en sort. L'émotion chevrote et tremble Dans : Ah ! vous dirai-je maman ! Le Quadrille des Lanciers semble Triste comme un enterrement, Et des pleurs vous mouillent la joue Quand la Donna é mobile, Sur le rouleau qui tourne et joue, Expire avec un son filé. Le coeur se navre à ce mélange Puérilement douloureux, Joujoux d'enfant laissés par l'ange, Berceau que la tombe a fait creux !
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Dans la prison de la garde nationale
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Dans la prison de la garde nationale Titre : Dans la prison de la garde nationale Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). (Vers écrits au-dessous d'une tête de femme dessinée sur le mur.) Qui que tu sois, je t'en conjure, Mets ton lit de l'autre côté. Ne traîne pas ta couverture Sur le sein déjà maltraité De cette douce créature. Un crayon plein d'habileté Créa son aimable figure, Qui respire la volupté. Elle est belle, laisse-la pure.
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Sur l'album de mademoiselle Taglioni
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Sur l'album de mademoiselle Taglioni Titre : Sur l'album de mademoiselle Taglioni Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). Si vous ne voulez plus danser, Si vous ne faites que passer Sur ce grand théâtre si sombre, Ne courez pas après votre ombre, Tâchez de nous la laisser.
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Le souper des armures
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le souper des armures Titre : Le souper des armures Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Biorn, étrange cénobite, Sur le plateau d'un roc pelé, Hors du temps et du monde, habite La tour d'un burg démantelé. De sa porte l'esprit moderne En vain soulève le marteau. Biorn verrouille sa poterne Et barricade son château. Quand tous ont les yeux vers l'aurore Biorn, sur son donjon perché, A l'horizon contemple encore La place du soleil couché. Ame rétrospective, il loge Dans son burg et dans le passé ; Le pendule de son horloge Depuis des siècles est cassé. Sous ses ogives féodales Il erre, éveillant les échos, Et ses pas, sonnant sur les dalles, Semblent suivis de pas égaux. Il ne voit ni laïcs, ni prêtres, Ni gentilshommes, ni bourgeois, Mais les portraits de ses ancêtres Causent avec lui quelquefois. Et certains soirs, pour se distraire, Trouvant manger seul ennuyeux, Biorn, caprice funéraire, Invite à souper ses aïeux. Les fantômes, quand minuit sonne, Viennent armés de pied en cap ; Biorn, qui malgré lui frissonne, Salue en haussant son hanap. Pour s'asseoir, chaque panoplie Fait un angle avec son genou, Dont l'articulation plie En grinçant comme un vieux verrou ; Et tout d'une pièce, l'armure, D'un corps absent gauche cercueil, Rendant un creux et sourd murmure, Tombe entre les bras du fauteuil. Landgraves, rhingraves, burgraves, Venus du ciel ou de l'enfer, Ils sont tous là, muets et graves, Les roides convives de fer ! Dans l'ombre, un rayon fauve indique Un monstre, guivre, aigle à deux cous, Pris au bestiaire héraldique Sur les cimiers faussés de coups. Du mufle des bêtes difformes Dressant leurs ongles arrogants, Partent des panaches énormes, Des lambrequins extravagants ; Mais les casques ouverts sont vides Comme les timbres du blason ; Seulement deux flammes livides Y luisent d'étrange façon. Toute la ferraille est assise Dans la salle du vieux manoir, Et, sur le mur, l'ombre indécise Donne à chaque hôte un page noir. Les liqueurs aux feux des bougies Ont des pourpres d'un ton suspect ; Les mets dans leurs sauces rougies Prennent un singulier aspect. Parfois un corselet miroite, Un morion brille un moment ; Une pièce qui se déboîte Choit sur la nappe lourdement. L'on entend les battements d'ailes D'invisibles chauves-souris, Et les drapeaux des infidèles Palpitent le long du lambris. Avec des mouvements fantasques Courbant leurs phalanges d'airain, Les gantelets versent aux casques Des rasades de vin du Rhin, Ou découpent au fil des dagues Des sangliers sur des plats d'or... Cependant passent des bruits vagues Par les orgues du corridor. D'une voix encore enrouée Par l'humidité du caveau, Max fredonne, ivresse enjouée, Un lied, en treize cents, nouveau. Albrecht, ayant le vin féroce, Se querelle avec ses voisins, Qu'il martèle, bossue et rosse, Comme il faisait des Sarrasins. Échauffé, Fritz ôte son casque, Jadis par un crâne habité, Ne pensant pas que sans son masque Il semble un tronc décapité. Bientôt ils roulent pêle-mêle Sous la table, parmi les brocs, Tête en bas, montrant la semelle De leurs souliers courbés en crocs. C'est un hideux champ de bataille Où les pots heurtent les armets, Où chaque mort par quelque entaille, Au lieu de sang vomit des mets. Et Biorn, le poing sur la cuisse, Les contemple, morne et hagard, Tandis que, par le vitrail suisse L'aube jette son bleu regard. La troupe, qu'un rayon traverse, Pâlit comme au jour un flambeau, Et le plus ivrogne se verse Le coup d'étrier du tombeau. Le coq chante, les spectres fuient Et, reprenant un air hautain, Sur l'oreiller de marbre appuient Leurs têtes lourdes du festin !
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Nous dormirons ensemble
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Nous dormirons ensemble Titre : Nous dormirons ensemble Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Le Fou d'Elsa (1963). Que ce soit dimanche ou lundi Soir ou matin minuit midi Dans l'enfer ou le paradis Les amours aux amours ressemblent C'était hier que je t'ai dit Nous dormirons ensemble C'était hier et c'est demain Je n'ai plus que toi de chemin J'ai mis mon cœur entre tes mains Avec le tien comme il va l'amble Tout ce qu'il a de temps humain Nous dormirons ensemble Mon amour ce qui fut sera Le ciel est sur nous comme un drap J'ai refermé sur toi mes bras Et tant je t'aime que j'en tremble Aussi longtemps que tu voudras Nous dormirons ensemble.
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Le châtiment de Tartufe
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Le châtiment de Tartufe Titre : Le châtiment de Tartufe Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. Tisonnant, tisonnant son coeur amoureux sous Sa chaste robe noire, heureux, la main gantée, Un jour qu'il s'en allait, effroyablement doux, Jaune, bavant la foi de sa bouche édentée, Un jour qu'il s'en allait, " Oremus ", - un Méchant Le prit rudement par son oreille benoîte Et lui jeta des mots affreux, en arrachant Sa chaste robe noire autour de sa peau moite ! Châtiment !... Ses habits étaient déboutonnés, Et le long chapelet des péchés pardonnés S'égrenant dans son coeur, Saint Tartufe était pâle !... Donc, il se confessait, priait, avec un râle ! L'homme se contenta d'emporter ses rabats... - Peuh ! Tartufe était nu du haut jusques en bas !
https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-le-chatiment-de-tartufe.php
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Chanson de Barberine
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Chanson de Barberine Titre : Chanson de Barberine Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Beau chevalier qui partez pour la guerre, Qu'allez-vous faire Si loin d'ici ? Voyez-vous pas que la nuit est profonde, Et que le monde N'est que souci ? Vous qui croyez qu'une amour délaissée De la pensée S'enfuit ainsi, Hélas ! hélas ! chercheurs de renommée, Votre fumée S'envole aussi. Beau chevalier qui partez pour la guerre, Qu'allez-vous faire Si loin de nous ? J'en vais pleurer, moi qui me laissais dire Que mon sourire Etait si doux.
https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-chanson-de-barberine.php
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L'automne
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : L'automne Titre : L'automne Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure ! Feuillages jaunissants sur les gazons épars ! Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature Convient à la douleur et plaît à mes regards ! Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire, J'aime à revoir encor, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois ! Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire, A ses regards voilés, je trouve plus d'attraits, C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire Des lèvres que la mort va fermer pour jamais ! Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie, Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui, Je me retourne encore, et d'un regard d'envie Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui ! Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ; L'air est si parfumé ! la lumière est si pure ! Aux regards d'un mourant le soleil est si beau ! Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie Ce calice mêlé de nectar et de fiel ! Au fond de cette coupe où je buvais la vie, Peut-être restait-il une goutte de miel ? Peut-être l'avenir me gardait-il encore Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ? Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ? La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ; A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ; Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire, S'exhale comme un son triste et mélodieux.
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Le chemin de la vie
Arsène Houssaye (1815-1896)
Poésie : Le chemin de la vie Titre : Le chemin de la vie Poète : Arsène Houssaye (1815-1896) Dédié à Saint Augustin. La vie est le chemin de la mort. Le chemin N'est d'abord qu'un sentier fuyant par la prairie, Où la mère conduit son enfant par la main, En priant la Vierge Marie. Aux abords du vallon, le sentier des enfants Passe dans un jardin. Rêveur et solitaire, L'adolescent effeuille et jette à tous les vents Les roses blanches du parterre. Quand l'amoureux s'égare en ce bosquet charmant, Il voit s'évanouir ses chimères lointaines, Et le démon du mal l'entraîne indolemment Au bord des impures fontaines. Plus loin, c'est l'arbre noir — détourne-toi toujours, L'arbre de la science où flottent les mensonges : Garde que ses rameaux ne voilent tes beaux jours, Et n'effarouchent tes beaux songes. En quittant le jardin, la fleur et la chanson, La Jeunesse et l'Amour qui s'endorment sur l'herbe, Le voyageur aborde au champ de la moisson, Où son bras étreint une gerbe. De sa moisson il va bientôt se reposer Sur la blonde colline où les raisins mûrissent ; Pour la coupe enivrante il retrouve un baiser À ses lèvres qui se flétrissent. Plus loin, c'est le désert, le désert nébuleux, Parsemé de cyprès et de bouquets funèbres ; Enfin, c'est la montagne aux rochers anguleux, D'où vont descendre les ténèbres. Pour la gravir, passant, Dieu te laissera seul. Un ami te restait, mais le voilà qui tombe ; Adieu ; l'oubli de tous t'a couvert du linceul, Et tes enfants creusent ta tombe ! Ô pauvre pèlerin ! il s'arrête en montant ; Et, se voyant si loin du sentier où sa mère L'endormait tous les soirs sur son sein palpitant, Il essuie une larme amère. Se voyant loin de vous, paradis regrettés, Dans un doux souvenir son cœur se réfugie : Se voyant loin de vous, ô jeunes voluptés ! Il chante une vieille élégie. En vain il tend les bras vers la belle saison, Il jette des sanglots au vent d'hiver qui brame ; Il a vu près de lui le dernier horizon, Déjà Dieu rappelle son âme. Quand il s'est épuisé dans le mauvais chemin, Quand ses pieds ont laissé du sang à chaque pierre, La mort passe à propos pour lui tendre la main Et pour lui clore la paupière.
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Le mie prigioni
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Le mie prigioni Titre : Le mie prigioni Poète : Alfred de Musset (1810-1857) On dit : " Triste comme la porte D'une prison. " Et je crois, le diable m'emporte ! Qu'on a raison. D'abord, pour ce qui me regarde, Mon sentiment Est qu'il vaut mieux monter sa garde, Décidément. Je suis, depuis une semaine, Dans un cachot, Et je m'aperçois avec peine Qu'il fait très chaud. Je vais bouder à la fenêtre, Tout en fumant ; Le soleil commence à paraître Tout doucement. C'est une belle perspective, De grand matin, Que des gens qui font la lessive Dans le lointain. Pour se distraire, si l'on bâille, On aperçoit D'abord une longue muraille, Puis un long toit. Ceux à qui ce séjour tranquille Est inconnu Ignorent l'effet d'une tuile Sur un mur nu. Je n'aurais jamais cru moi-même, Sans l'avoir vu, Ce que ce spectacle suprême A d'imprévu. Pourtant les rayons de l'automne Jettent encor Sur ce toit plat et monotone Un réseau d'or. Et ces cachots n'ont rien de triste, Il s'en faut bien : Peintre ou poète, chaque artiste Y met du sien. De dessins, de caricatures Ils sont couverts. Çà et là quelques écritures Semblent des vers. Chacun tire une rêverie De son bonnet : Celui-ci, la Vierge Marie, L'autre, un sonnet. Là, c'est Madeleine en peinture, Pieds nus, qui lit ; Vénus rit sous la couverture, Au pied du lit. Plus loin, c'est la Foi, l'Espérance, La Charité, Grands croquis faits à toute outrance, Non sans beauté. Une Andalouse assez gaillarde, Au cou mignon, Est dans un coin qui vous regarde D'un air grognon. Celui qui fit, je le présume, Ce médaillon, Avait un gentil brin de plume A son crayon. Le Christ regarde Louis-Philippe D'un air surpris ; Un bonhomme fume sa pipe Sur le lambris. Ensuite vient un paysage Très compliqué Où l'on voit qu'un monsieur très sage S'est appliqué. Dirai-je quelles odalisques Les peintres font, A leurs très grands périls et risques, Jusqu'au plafond ? Toutes ces lettres effacées Parlent pourtant ; Elles ont vécu, ces pensées, Fût-ce un instant. Que de gens, captifs pour une heure, Tristes ou non, Ont à cette pauvre demeure Laissé leur nom ! Sur ce vieux lit où je rimaille Ces vers perdus, Sur ce traversin où je bâille A bras tendus, Combien d'autres ont mis leur tête, Combien ont mis Un pauvre corps, un coeur honnête Et sans amis ! Qu'est-ce donc ? en rêvant à vide Contre un barreau, Je sens quelque chose d'humide Sur le carreau. Que veut donc dire cette larme Qui tombe ainsi, Et coule de mes yeux, sans charme Et sans souci ? Est-ce que j'aime ma maîtresse ? Non, par ma foi ! Son veuvage ne l'intéresse Pas plus que moi. Est-ce que je vais faire un drame ? Par tous les dieux ! Chanson pour chanson, une femme Vaut encor mieux. Sentirais-je quelque ingénue Velléité D'aimer cette belle inconnue, La Liberté ? On dit, lorsque ce grand fantôme Est verrouillé, Qu'il a l'air triste comme un tome Dépareillé. Est-ce que j'aurais quelque dette ? Mais, Dieu merci ! Je suis en lieu sûr : on n'arrête Personne ici. Cependant cette larme coule, Et je la vois Qui brille en tremblant et qui roule Entre mes doigts. Elle a raison, elle veut dire : Pauvre petit, A ton insu ton coeur respire Et t'avertit Que le peu de sang qui l'anime Est ton seul bien, Que tout le reste est pour la rime Et ne dit rien. Mais nul être n'est solitaire, Même en pensant, Et Dieu n'a pas fait pour te plaire Ce peu de sang. Lorsque tu railles ta misère D'un air moqueur, Tes amis, ta soeur et ta mère Sont dans ton coeur. Cette pâle et faible étincelle Qui vit en toi, Elle marche, elle est immortelle, Et suit sa loi. Pour la transmettre, il faut soi-même La recevoir, Et l'on songe à tout ce qu'on aime Sans le savoir.
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Aux prêtres
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Aux prêtres Titre : Aux prêtres Poète : Victor Hugo (1802-1885) Il sied de ressembler aux dieux. Ton Dieu, flamine, Dévore ses enfants ; ton Dieu, mage, extermine ; Augure, ton Dieu ment ; uléma, ton Dieu met La terre sous le sabre impur de Mahomet ; Ton Dieu, Rome, est l'agneau, mais il tette la louve ; Ô noir dominicain qui rêves, ton Dieu trouve Agréable l'odeur infâme des bûchers ; D'affreux temples, ayant pour prêtres des bouchers, Sont l'habitation de ton Dieu, corybante ; Brahmine, ton Dieu sombre aime la nuit tombante ; Rabbin, ton Dieu maudit la race de Japhet, Et cloue au fond du ciel le soleil stupéfait ; Sabaoth est cruel, Jupiter est immonde, Et pas un Dieu ne sait comment est fait le monde ; Les peuples ont le choix pour fléchir le genou Entre le monstre Asgar et le monstre Vishnou ; Ce Dieu brait, celui-là rugit, celui-ci beugle ; C'est pourquoi l'idéal de l'homme est d'être aveugle, Ténébreux, vil, féroce, ignorant, odieux, Afin d'être aussi près que possible des dieux. Le 4 août 1874.
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Sur un reliquaire
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sur un reliquaire Titre : Sur un reliquaire Poète : Paul Verlaine (1844-1896) (Sur un reliquaire qu'on lui avait dérobé) Seul bijou de ma pauvreté. Ton mince argent, ta perle fausse (En tout quatre francs), ont tenté Quelqu'un dont l'esprit ne se hausse, Parmi ces paysans cafards À vous dégoûter d'être au monde, — Tas d'Onans et de Putiphars ! — Que juste au niveau de l'immonde, Et le Témoin, et le Gardien, Le Grain d'une poussière illustre, Un ami du mien et du tien Crispe sur lui sa main de rustre ! Est-ce simplement un voleur, Ou s'il se guinde au sacrilège ? Bah ! ces rustiques-là ! Mais leur Gros laid vice que rien n'allège, Ne connaît rien que de brutal Et ne s'est jamais douté d'une Âme immortelle. Du métal, C'est tout ce qu'il voit dans la lune ; Tout ce qu'il voit dans le soleil, C'est foin épais et fumier dense, Et quand éclot le jour vermeil, Il suppute timbre et quittance, Hypothèque, gens mis dedans, Placements, la dot de la fille, Crédits ouverts à deux battants Et l'usure au bout qui mordille ! Donc, vol, oui, sacrilège, non. Mais le fait monstrueux existe Et pour cet ouvrage sans nom, Mon âme est immensément triste. Ô pour lui ramener la paix. Daignez, vous, grand saint Benoît Labre, Écouter les vœux que je fais, Peur que ma foi ne se délabre En voyant ce crime impuni Rester inutile. Ô la Grâce, Implorez-la sur l'homme, et ni L'homme ni moi n'oublierons. Grâce ! Grâce pour le pauvre larron Inconscient du péché pire ! Intercédez, ô bon patron, Et qu'enfin le bon Dieu l'inspire, Que de ce débris de ce corps Exalté par la pénitence Sorte une vertu de remords, Et que l'exquis conseil le tance Et lui montre toute l'horreur Du vol et de ce vol impie Avec la torpeur et l'erreur D'un passé qu'il faut qu'il expie. Qu'il s'émeuve à ce double objet Et tremblant au son du tonnerre Respecte ce qu'il outrageait En attendant qu'il le vénère. Et que cette conversion L'amène à la foi de ses pères D'avant la Révolution. Ma Foi, dis-le-moi, tu l'espères ? Ma foi, celle du charbonnier ! Ainsi la veux-je, et la souhaite Au possesseur, croyons dernier, De la sainte petite boîte !
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Jocelyn, le 20 juillet 1800
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Jocelyn, le 20 juillet 1800 Titre : Jocelyn, le 20 juillet 1800 Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Recueil : Jocelyn (1836). O vraie et lamentable image de la vie ! La joie entre par où la douleur est sortie ! Le bonheur prend le lit d'où fuit le désespoir ! À ce qui naît le jour Dieu fait place le soir ; La coupe de la vie a toujours même dose, Mais une main la prend quand l'autre la dépose, Hélas ! et si notre œil pouvait parfois sonder Ces coupes de bonheur qui semblent déborder, Ne trouverions-nous pas que chaque joie humaine Des cendres et des pleurs d'un autre est toujours pleine ? Du village de sa naissance, le 20 juillet 1800.
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Sapho
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Sapho Titre : Sapho Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) L'aurore se levait, la mer battait la plage ; Ainsi parla Sapho debout sur le rivage, Et près d'elle, à genoux, les filles de Lesbos Se penchaient sur l'abîme et contemplaient les flots : Fatal rocher, profond abîme ! Je vous aborde sans effroi ! Vous allez à Vénus dérober sa victime : J'ai méconnu l'amour, l'amour punit mon crime. Ô Neptune ! tes flots seront plus doux pour moi ! Vois-tu de quelles fleurs j'ai couronné ma tête ? Vois : ce front, si longtemps chargé de mon ennui, Orné pour mon trépas comme pour une fête, Du bandeau solennel étincelle aujourd'hui ! On dit que dans ton sein... mais je ne puis le croire ! On échappe au courroux de l'implacable Amour ; On dit que, par tes soins, si l'on renaît au jour, D'une flamme insensée on y perd la mémoire ! Mais de l'abîme, ô dieu ! quel que soit le secours, Garde-toi, garde-toi de préserver mes jours ! Je ne viens pas chercher dans tes ondes propices Un oubli passager, vain remède à mes maux ! J'y viens, j'y viens trouver le calme des tombeaux ! Reçois, ô roi des mers, mes joyeux sacrifices ! Et vous, pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces vains sanglots ? Chantez, chantez un hymne, ô vierges de Lesbos ! Importuns souvenirs, me suivrez-vous sans cesse ? C'était sous les bosquets du temple de Vénus ; Moi-même, de Vénus insensible prêtresse, Je chantais sur la lyre un hymne à la déesse : Aux pieds de ses autels, soudain je t'aperçus ! Dieux ! quels transports nouveaux ! ô dieux ! comment décrire Tous les feux dont mon sein se remplit à la fois ? Ma langue se glaça, je demeurais sans voix, Et ma tremblante main laissa tomber ma lyre ! Non : jamais aux regards de l'ingrate Daphné Tu ne parus plus beau, divin fils de Latone ; Jamais le thyrse en main, de pampres couronné, Le jeune dieu de l'Inde, en triomphe traîné, N'apparut plus brillant aux regards d'Erigone. Tout sortit... de lui seul je me souvins, hélas ! Sans rougir de ma flamme, en tout temps, à toute heure, J'errais seule et pensive autour de sa demeure. Un pouvoir plus qu'humain m'enchaînait sur ses pas ! Que j'aimais à le voir, de la foule enivrée, Au gymnase, au théâtre, attirer tous les yeux, Lancer le disque au loin, d'une main assurée, Et sur tous ses rivaux l'emporter dans nos jeux ! Que j'aimais à le voir, penché sur la crinière D'un coursier de I'EIide aussi prompt que les vents, S'élancer le premier au bout de la carrière, Et, le front couronné, revenir à pas lents ! Ah ! de tous ses succès, que mon âme était fière ! Et si de ce beau front de sueur humecté J'avais pu seulement essuyer la poussière... Ô dieux ! j'aurais donné tout, jusqu'à ma beauté, Pour être un seul instant ou sa soeur ou sa mère ! Vous, qui n'avez jamais rien pu pour mon bonheur ! Vaines divinités des rives du Permesse, Moi-même, dans vos arts, j'instruisis sa jeunesse ; Je composai pour lui ces chants pleins de douceur, Ces chants qui m'ont valu les transports de la Grèce : Ces chants, qui des Enfers fléchiraient la rigueur, Malheureuse Sapho ! n'ont pu fléchir son coeur, Et son ingratitude a payé ta tendresse ! Redoublez vos soupirs ! redoublez vos sanglots ! Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos ! Si l'ingrat cependant s'était laissé toucher ! Si mes soins, si mes chants, si mes trop faibles charmes A son indifférence avaient pu l'arracher ! S'il eût été du moins attendri par mes larmes ! Jamais pour un mortel, jamais la main des dieux N'aurait filé des jours plus doux, plus glorieux ! Que d'éclat cet amour eût jeté sur sa vie ! Ses jours à ces dieux même auraient pu faire envie ! Et l'amant de Sapho, fameux dans l'univers, Aurait été, comme eux, immortel dans mes vers ! C'est pour lui que j'aurais, sur tes autels propices, Fait fumer en tout temps l'encens des sacrifices, Ô Vénus ! c'est pour lui que j'aurais nuit et jour Suspendu quelque offrande aux autels de l'Amour ! C'est pour lui que j'aurais, durant les nuits entières Aux trois fatales soeurs adressé mes prières ! Ou bien que, reprenant mon luth mélodieux, J'aurais redit les airs qui lui plaisaient le mieux ! Pour lui j'aurais voulu dans les jeux d'Ionie Disputer aux vainqueurs les palmes du génie ! Que ces lauriers brillants à mon orgueil offerts En les cueillant pour lui m'auraient été plus chers ! J'aurais mis à ses pieds le prix de ma victoire, Et couronné son front des rayons de ma gloire. Souvent à la prière abaissant mon orgueil, De ta porte, ô Phaon ! j'allais baiser le seuil. Au moins, disais-je, au moins, si ta rigueur jalouse Me refuse à jamais ce doux titre d'épouse, Souffre, ô trop cher enfant, que Sapho, près de toi, Esclave si tu veux, vive au moins sous ta loi ! Que m'importe ce nom et cette ignominie ! Pourvu qu'à tes côtés je consume ma vie ! Pourvu que je te voie, et qu'à mon dernier jour D'un regard de pitié tu plaignes tant d'amour ! Ne crains pas mes périls, ne crains pas ma faiblesse ; Vénus égalera ma force à ma tendresse. Sur les flots, sur la terre, attachée à tes pas, Tu me verras te suivre au milieu des combats ; Tu me verras, de Mars affrontant la furie, Détourner tous les traits qui menacent ta vie, Entre la mort et toi toujours prompte à courir... Trop heureuse pour lui si j'avais pu mourir ! Lorsque enfin, fatigué des travaux de Bellone, Sous la tente au sommeil ton âme s'abandonne, Ce sommeil, ô Phaon ! qui n'est plus fait pour moi, Seule me laissera veillant autour de toi ! Et si quelque souci vient rouvrir ta paupière, Assise à tes côtés durant la nuit entière, Mon luth sur mes genoux soupirant mon amour, Je charmerai ta peine en attendant le jour ! Je disais; et les vents emportaient ma prière ! L'écho répétait seul ma plainte solitaire ; Et l'écho seul encor répond à mes sanglots ! Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos ! Toi qui fus une fois mon bonheur et ma gloire ! Ô lyre ! que ma main fit résonner pour lui, Ton aspect que j'aimais m'importune aujourd'hui, Et chacun de tes airs rappelle à ma mémoire Et mes feux, et ma honte, et l'ingrat qui m'a fui ! Brise-toi dans mes mains, lyre à jamais funeste ! Aux autels de Vénus, dans ses sacrés parvis Je ne te suspends pas ! que le courroux céleste Sur ces flots orageux disperse tes débris ! Et que de mes tourments nul vestige ne reste ! Que ne puis-je de même engloutir dans ces mers Et ma fatale gloire, et mes chants, et mes vers ! Que ne puis-je effacer mes traces sur la terre ! Que ne puis-je aux Enfers descendre tout entière ! Et, brûlant ces écrits où doit vivre Phaon, Emporter avec moi l'opprobre de mon nom ! Cependant si les dieux que sa rigueur outrage Poussaient en cet instant ses pas vers le rivage ? Si de ce lieu suprême il pouvait s'approcher ? S'il venait contempler sur le fatal rocher Sapho, les yeux en pleurs, errante, échevelée, Frappant de vains sanglots la rive désolée, Brûlant encor pour lui, lui pardonnant son sort, Et dressant lentement les apprêts de sa mort ? Sans doute, à cet aspect, touché de mon supplice, Il se repentirait de sa longue injustice ? Sans doute par mes pleurs se laissant désarmer Il dirait à Sapho : Vis encor pour aimer ! Qu'ai-je dit ? Loin de moi quelque remords peut-être, A défaut de l'amour, dans son coeur a pu naître : Peut-être dans sa fuite, averti par les dieux, Il frissonne, il s'arrête, il revient vers ces lieux ? Il revient m'arrêter sur les bords de l'abîme ; Il revient !... il m'appelle... il sauve sa victime !... Oh ! qu'entends-je ?... écoutez... du côté de Lesbos Une clameur lointaine a frappé les échos ! J'ai reconnu l'accent de cette voix si chère, J'ai vu sur le chemin s'élever la poussière ! Ô vierges ! regardez ! ne le voyez-vous pas Descendre la colline et me tendre les bras ?... Mais non ! tout est muet dans la nature entière, Un silence de mort règne au loin sur la terre : Le chemin est désert !... je n'entends que les flots... Pleurez ! pleurez ma honte, ô filles de Lesbos ! Mais déjà s'élançant vers les cieux qu'il colore Le soleil de son char précipite le cours. Toi qui viens commencer le dernier de mes jours, Adieu dernier soleil ! adieu suprême aurore ! Demain du sein des flots vous jaillirez encore, Et moi je meurs ! et moi je m'éteins pour toujours ! Adieu champs paternels ! adieu douce contrée ! Adieu chère Lesbos à Vénus consacrée ! Rivage où j'ai reçu la lumière des cieux ! Temple auguste où ma mère, aux jours de ma naissance D'une tremblante main me consacrant aux dieux, Au culte de Vénus dévoua mon enfance ! Et toi, forêt sacrée, où les filles du Ciel, Entourant mon berceau, m'ont nourri de leur miel, Adieu ! Leurs vains présents que le vulgaire envie, Ni des traits de l'Amour, ni des coups du destin, Misérable Sapho ! n'ont pu sauver ta vie ! Tu vécus dans les Pleurs, et tu meurs au matin ! Ainsi tombe une fleur avant le temps fanée ! Ainsi, cruel Amour, sous le couteau mortel. Une jeune victime à ton temple amenée, Qu'à ton culte en naissant le pâtre a destinée, Vient tomber avant l'âge au pied de ton autel ! Et vous qui reverrez le cruel que j'adore Quand l'ombre du trépas aura couvert mes yeux, Compagnes de Sapho, portez-lui ces adieux ! Dites-lui... qu'en mourant je le nommais encore ! Elle dit, et le soir, quittant le bord des flots, Vous revîntes sans elle, ô vierges de Lesbos !
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Amour, tu sembles
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Amour, tu sembles Titre : Amour, tu sembles Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Les Meslanges (1554). Amour tu sembles au phalange qui point Lui de sa queue, et toi de ta quadrelle : De tous deux est la pointure mortelle, Qui rampe au coeur, et si n'aparoist point. Sans souffrir mal tu me conduis au point De la mort dure, et si ne voy par quelle Playe je meurs, ny par quelle cruelle Poison autour de mon âme se joint. Ceux qui se font saigner le pié dans l'eau, Meurent sans mal, pour un crime nouveau Fait à leur roy, par traitreuse cautelle : Je meurs comme eux, voire et si je n'ay fait Encontre amour, ni trayson, ni forfait, Si trop aymer un crime ne s'appelle.
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Fatuité
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Fatuité Titre : Fatuité Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Je suis jeune ; la pourpre en mes veines abonde ; Mes cheveux sont de jais et mes regards de feu, Et, sans gravier ni toux, ma poitrine profonde Aspire à pleins poumons l'air du ciel, l'air de Dieu. Aux vents capricieux qui soufflent de Bohême, Sans les compter, je jette et mes nuits et mes jours, Et, parmi les flacons, souvent l'aube au teint blême M'a surpris dénouant un masque de velours. Plus d'une m'a remis la clef d'or de son âme ; Plus d'une m'a nommé son maître et son vainqueur ; J'aime, et parfois un ange avec un corps de femme, Le soir, descend du ciel pour dormir sur mon cœur. On sait mon nom ; ma vie est heureuse et facile ; J'ai plusieurs ennemis et quelques envieux ; Mais l'amitié chez moi toujours trouve un asile, Et le bonheur d'autrui n'offense pas mes yeux.
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Laisse dire la calomnie
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Laisse dire la calomnie Titre : Laisse dire la calomnie Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Laisse dire la calomnie Qui ment, dément, nie et renie Et la médisance bien pire Qui ne donne que pour reprendre Et n'emprunte que pour revendre... Ah ! laisse faire, laisse dire ! Faire et dire lâches et sottes, Faux gens de bien, feintes mascottes. Langue d'aspic et de vipère ; Ils font des gestes hypocrites, Ils clament, forts de leurs mérites, Un mal de toi qui m'exaspère, Moi qui t'estime et te vénère Au-dessus de tout sur la terre, T'estime et vénère, ma belle, De l'amour fou que je le voue, Toi, bonne et sans par trop de moue, M'admettant au lit, ma fidèle ! Mais toi, méprise ces menées, Plus haute que tes destinées, Grand cœur, glorieuse martyre, Plane au-dessus de tes rancunes Contre ces d'aucuns et d'aucunes ; Bah! laisse faire et laisse dire ! Bah! fais ce que tu veux, ma belle Et bonne, — fidèle, infidèle, — Comme tu fis toute ta vie, Mais toujours, partout, belle et bonne, Et ne craignant rien de personne, Quoi qu'en aient la haine et l'envie. Et puis tu m'as, si tu m'accordes Un peu de ces miséricordes Qui siéient envers un birbe honnête. Tu m'as, chère, pour te défendre, Te plaire, si tu veux m'entendre Et voir, encore que laid et bête.
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Fog !
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Fog ! Titre : Fog ! Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chair (1896). Ce brouillard de Paris est fade, On dirait même qu'il est clair Au prix de cette promenade Que l'on appelle Leicester Square Mais le brouillard de Londres est Savoureux comme non pas d'autres ; Je vous le dis et fermes et Pires les opinions nôtres ! Pourtant dans ce brouillard hagard Ce qu'il faut retenir quand même C'est, en dépit de tout hasard, Que je l'adore et qu'elle m'aime.
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Dicté en présence du glacier du Rhône
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Dicté en présence du glacier du Rhône Titre : Dicté en présence du glacier du Rhône Poète : Victor Hugo (1802-1885) Causa tangor ab omni. OVIDE. Souvent, quand mon esprit riche en métamorphoses Flotte et roule endormi sur l'océan des choses, Dieu, foyer du vrai jour qui ne luit point aux yeux, Mystérieux soleil dont l'âme est embrasée, Le frappe d'un rayon, et, comme une rosée, Le ramasse et l'enlève aux cieux. Alors, nuage errant, ma haute poésie Vole capricieuse, et sans route choisie, De l'occident au sud, du nord à l'orient ; Et regarde, du haut des radieuses voûtes, Les cités de la terre, et, les dédaignant toutes, Leur jette son ombre en fuyant. Puis, dans l'or du matin luisant comme une étoile, Tantôt elle y découpe une frange à son voile ; Tantôt, comme un guerrier qui résonne en marchant, Elle frappe d'éclairs la forêt qui murmure ; Et tantôt en passant rougit sa noire armure Dans la fournaise du couchant. Enfin sur un vieux mont, colosse à tête grise, Sur des Alpes de neige un vent jaloux la brise. Qu'importe ! suspendu sur l'abîme béant Le nuage se change en un glacier sublime, Et des mille fleurons qui hérissent sa cime Fait une couronne au géant ! Comme le haut cimier du mont inabordable, Alors il dresse au loin sa crête formidable. L'arc-en-ciel vacillant joue à son flanc d'acier ; Et, chaque soir, tandis que l'ombre en bas l'assiège, Le soleil, ruisselant en lave sur sa neige, Change en cratère le glacier. Son front blanc dans la nuit semble une aube éternelle ; La chamois effaré, dont le pied vaut une aile, L'aigle même le craint, sombre et silencieux ; La tempête à ses pieds tourbillonne et se traîne ; L'œil ose à peine atteindre à sa face sereine, Tant il est avant dans les cieux ! Et seul, à ces hauteurs, sans crainte et sans vertige Mon esprit, de la terre oubliant le prestige, Voit le jour étoilé, le ciel qui n'est plus bleu, Et contemple de près ces splendeurs sidérales Dont la nuit sème au loin ses sombres cathédrales, Jusqu'à ce qu'un rayon de Dieu Le frappe de nouveau, le précipite, et change Les prismes du glacier en flots mêlés de fange ; Alors il croule, alors, éveillant mille échos, Il retombe en torrent dans l'océan du monde, Chaos aveugle et sourd, mer immense et profonde, Où se ressemblent tous les flots ! Au gré du divin souffle ainsi vont mes pensées, Dans un cercle éternel incessamment poussées. Du terrestre océan dont les flots sont amers, Comme sous un rayon monte une nue épaisse, Elles montent toujours vers le ciel, et sans cesse Redescendent des cieux aux mers. Mai 1829.
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Il faut nous pardonner les choses
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Il faut nous pardonner les choses Titre : Il faut nous pardonner les choses Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses : De cette façon nous serons bien heureuses Et si notre vie a des instants moroses, Du moins nous serons, n'est-ce pas, deux pleureuses, Ô que nous mêlions, âmes soeurs que nous sommes, A nos voeux confus la douceur puérile De cheminer loin des femmes et des hommes, Dans le frais oubli de ce qui nous exile ! Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles Eprises de rien et de tout étonnées Qui s'en vont pâlir sous les chastes charmilles Sans même savoir qu'elles sont pardonnées.
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Désormais le Sage, puni
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Désormais le Sage, puni Titre : Désormais le Sage, puni Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Désormais le Sage, puni Pour avoir trop aimé les choses, Rendu prudent à l'infini, Mais franc de scrupules moroses, Et d'ailleurs retournant au Dieu Qui fît les yeux et la lumière, L'honneur, la gloire, et tout le peu Qu'a son âme de candeur fière, Le Sage peut dorénavant Assister aux scènes du monde, Et suivre la chanson du vent. Et contempler la mer profonde. Il ira, calme, et passera Dans la férocité des villes, Comme un mondain à l'Opéra Qui sort blasé des danses viles. Même, — et pour tenir abaissé L'orgueil, qui fit son âme veuve. Il remontera le passé. Ce passé, comme un mauvais fleuve, Il reverra l'herbe des bords. Il entendra le flot qui pleure Sur le bonheur mort et les torts De cette date et de cette heure !... Il aimera les cieux, les champs, La bonté, l'ordre et l'harmonie, Et sera doux, même aux méchants, Afin que leur mort soit bénie. Délicat et non exclusif, Il sera du jour où nous sommes : Son cœur, plutôt contemplatif. Pourtant saura l'œuvre des hommes. Mais, revenu des passions. Un peu méfiant des « usages », À vos civilisations Préférera les paysages.
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Le vallon
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Le vallon Titre : Le vallon Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Mon coeur, lassé de tout, même de l'espérance, N'ira plus de ses voeux importuner le sort ; Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance, Un asile d'un jour pour attendre la mort. Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée : Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais, Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée, Me couvrent tout entier de silence et de paix. Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure Tracent en serpentant les contours du vallon ; Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure, Et non loin de leur source ils se perdent sans nom. La source de mes jours comme eux s'est écoulée ; Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour : Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée N'aura pas réfléchi les clartés d'un beau jour. La fraîcheur de leurs lits, l'ombre qui les couronne, M'enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux, Comme un enfant bercé par un chant monotone, Mon âme s'assoupit au murmure des eaux. Ah ! c'est là qu'entouré d'un rempart de verdure, D'un horizon borné qui suffit à mes yeux, J'aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature, A n'entendre que l'onde, à ne voir que les cieux. J'ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ; Je viens chercher vivant le calme du Léthé. Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l'on oublie : L'oubli seul désormais est ma félicité. Mon coeur est en repos, mon âme est en silence ; Le bruit lointain du monde expire en arrivant, Comme un son éloigné qu'affaiblit la distance, A l'oreille incertaine apporté par le vent. D'ici je vois la vie, à travers un nuage, S'évanouir pour moi dans l'ombre du passé ; L'amour seul est resté, comme une grande image Survit seule au réveil dans un songe effacé. Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile, Ainsi qu'un voyageur qui, le coeur plein d'espoir, S'assied, avant d'entrer, aux portes de la ville, Et respire un moment l'air embaumé du soir. Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ; L'homme par ce chemin ne repasse jamais ; Comme lui, respirons au bout de la carrière Ce calme avant-coureur de l'éternelle paix. Tes jours, sombres et courts comme les jours d'automne, Déclinent comme l'ombre au penchant des coteaux ; L'amitié te trahit, la pitié t'abandonne, Et seule, tu descends le sentier des tombeaux. Mais la nature est là qui t'invite et qui t'aime ; Plonge-toi dans son sein qu'elle t'ouvre toujours Quand tout change pour toi, la nature est la même, Et le même soleil se lève sur tes jours. De lumière et d'ombrage elle t'entoure encore : Détache ton amour des faux biens que tu perds ; Adore ici l'écho qu'adorait Pythagore, Prête avec lui l'oreille aux célestes concerts. Suis le jour dans le ciel, suis l'ombre sur la terre ; Dans les plaines de l'air vole avec l'aquilon ; Avec le doux rayon de l'astre du mystère Glisse à travers les bois dans l'ombre du vallon. Dieu, pour le concevoir, a fait l'intelligence : Sous la nature enfin découvre son auteur ! Une voix à l'esprit parle dans son silence : Qui n'a pas entendu cette voix dans son coeur ?
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Epitaphe de François Rabelais
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Epitaphe de François Rabelais Titre : Epitaphe de François Rabelais Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Si d'un mort qui pourri repose Nature engendre quelque chose, Et si la generation Se fait de la corruption, Une vigne prendra naissance De l'estomac et de la pance Du bon Rabelais, qui boivoit Tousjours ce pendant qu'il vivoit La fosse de sa grande gueule Eust plus beu de vin toute seule (L'epuisant du nez en deus cous) Qu'un porc ne hume de lait dous, Qu'Iris de fleuves, ne qu'encore De vagues le rivage more. Jamais le Soleil ne l'a veu s Tant fût-il matin, qu'il n'eut beu, Et jamais au soir la nuit noire Tant fut tard, ne l'a veu sans boire. Car, alteré, sans nul sejour Le gallant boivoit nuit et jour. Mais quand l'ardante Canicule Ramenoit la saison qui brule, Demi-nus se troussoit les bras, Et se couchoit tout plat à bas Sur la jonchée, entre les taces : Et parmi des escuelles grasses Sans nulle honte se touillant, Alloit dans le vin barbouillant Comme une grenouille en sa fange Puis ivre chantoit la louange De son ami le bon Bacus, Comme sous lui furent vaincus Les Thebains, et comme sa mere Trop chaudement receut son pere, Qui en lieu de faire cela Las ! toute vive la brula. Il chantoit la grande massue, Et la jument de Gargantüe, Son fils Panurge, et les païs Des Papimanes ébaïs : Et chantoit les Iles Hieres Et frere Jan des autonnieres, Et d'Episteme les combas : Mais la mort qui ne boivoit pas Tira le beuveur de ce monde, Et ores le fait boire en l'onde Qui fuit trouble dans le giron Du large fleuve d'Acheron. Or toi quiconques sois qui passes Sur sa fosse repen des taces, Repen du bril, et des flacons, Des cervelas et des jambons, Car si encor dessous la lame Quelque sentiment a son ame, Il les aime mieux que les Lis, Tant soient ils fraichement cueillis.
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Au tribunal d'amour, après mon dernier jour
Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630)
Poésie : Au tribunal d'amour, après mon dernier jour Titre : Au tribunal d'amour, après mon dernier jour Poète : Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630) Recueil : Hécatombe à Diane. Sonnet C. Au tribunal d'amour, après mon dernier jour, Mon coeur sera porté diffamé de brûlures, Il sera exposé, on verra ses blessures, Pour connaître qui fit un si étrange tour, A la face et aux yeux de la Céleste Cour Où se prennent les mains innocentes ou pures ; Il saignera sur toi, et complaignant d'injures Il demandera justice au juge aveugle Amour : Tu diras : C'est Vénus qui l'a fait par ses ruses, Ou bien Amour, son fils : en vain telles excuses ! N'accuse point Vénus de ses mortels brandons, Car tu les as fournis de mèches et flammèches, Et pour les coups de trait qu'on donne aux Cupidons Tes yeux en sont les arcs, et tes regards les flèches.
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Je suis plus pauvre que jamais
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je suis plus pauvre que jamais Titre : Je suis plus pauvre que jamais Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). Je suis plus pauvre que jamais Et que personne ; Mais j'ai ton cou gras, tes bras frais. Ta façon bonne De faire l'amour, et le tour Leste et frivole, Et la caresse, nuit et jour, De ta parole. Je suis riche de tes beaux yeux. De ta poitrine, Nid follement voluptueux, Couche ivoirine Où mon désir, las d'autre part. Se ravigore Et pour d'autres ébats repart Plus brave encore... Sans doute tu ne m'aimes pas Comme je t'aime, Je sais combien tu me trompes Jusqu'à l'extrême. Que me fait, puisque je ne vis Qu'en ton essence, Et que tu tiens mes sens ravis Sous ta puissance ?
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Amour qui n'est qu'amour
Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630)
Poésie : Amour qui n'est qu'amour Titre : Amour qui n'est qu'amour Poète : Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630) Stance XXI. Amour qui n'est qu'amour, qui vit sans espérance, De soi-même par soi par soi-même agité, Qui naquit éternel vif à l'éternité Qui surpasse en aimant l'âme et la connaissance, Que cet amour est près de la divinité ! On dit qu'amour est feu, le feu est de deux sortes : L'un se mêle confus avec les éléments, Pour engendrer, nourrir par leurs tempéraments, L'autre assiège du Ciel tout céleste les portes, Prenant en soi la vie et tous ses mouvements. Le premier s'asservit sous les lois de la nature, Se mêle, se démêle et se perd quelquefois. Quand le vivre lui faut, l'autre n'a d'autres lois Que son cours, son esprit, son âme belle et pure, Et feu est toujours feu, sans le secours du bois. L'homme par la raison tient, augmente et possède Le feu qui n'est vrai feu, mais un bien que des dieux Le larron Promethée eut le moins précieux, L'autre qui en beauté tout le dessous excède Ne pouvant être Ciel est le plus près des Cieux. Je veux du feu terrestre et de l'élémentaire Comparer deux amours, dont l'un a pour objet Un désir, un plaisir, imparfait et abject, L'autre se mire en soi, et tout seul se veut plaire Il est la cause et fin, sa vie et son subject. Amants qui abaissez votre amour de la vue, Qui l'endormez enfant au berceau du loisir, De qui le coeur enflé engrossa de désir, Vous voyez l'espérance à la poitrine nue, Faire téter amour au lait de son plaisir. Si votre oeil fasciné un coup se défascine, Si le coeur perd sa fin ou se contente un jour, Si fortune effrayant de quelque lâche tour La nourrice d'amour a séché sa poitrine, Tout meurt, votre désir, l'espérance et l'amour. Mais ceux qui sont épris des plus célestes flammes Ne sont haussés du trop et abaissés du peu, Leur amour n'est enfant de peu de choses esmeu, Rien ne le fait mourir : En ces heureuses âmes, Sans espoir et sans bois vit l'amour et le feu. Un peu d'eau fait mourir une flamme commune. Les larmes font mourir les amours et les feux Des amants espérants, les autres amoureux Triomphent sur les pleurs, commandent la fortune Car l'eau est sous le feu comme il est sous les Cieux. Ah ! que le feu terrestre a sur soi de nuages ! Ah ! que l'autre est couvert d'une belle clarté ! Que l'un a de fumée et l'autre de beauté ! L'un sert même aux enfers, aux peines et aux rages, L'autre aux Cieux, aux plaisirs de la divinité. Pour cause, en mon amour j'aime pour ce que j'aime, J'aime sans désirer que le plaisir d'aimer, Mon âme par son âme apprend à s'animer, Je n'espère en aimant rien plus que l'amour même Et le bois de ce feu ne se peut consumer. Si on dit votre amour est simple et stérile, Sans produire, sans croître et est sans action Le feu pur est ainsi sans dépérition. S'il ne meurt point, pourquoi doit-il être fertile ? Croître et diminuer sont imperfection. Belle divinité qui mon âme a ravie En ton Ciel avec toi, mon âme a pris des yeux Pour contempler de toi le beau, le précieux, Pareil au bienheureux est son heure et sa vie, Car être au paradis, c'est contempler les dieux. Mais ne puis-je espérer de mes beaux feux estaindre ? Mais dois-je désirer d'esteindre ces beaux feux ? Non, c'est ne vouloir point le plaisir que je veux, Je ne puis le vouloir et n'oserais le craindre, Mon amour ne craint pis et n'espère rien mieux. Je vois de mon beau ciel les espérances vaines Des amants abusés, l'un ne peut s'esjouir. Possédant un défaut, l'autre ne peut fuir Le manque et l'imparfait des amitiés humaines Et l'amour sans l'espoir est plus que le jouir. Je ne désire rien, que faut-il que j'espère ? Et je n'espère rien, que puis-je désirer ? Mon amour sait ravie, et non par martyrer, Et sur mon bien parfait, qu'est-ce qui me peut plaire ? Si mon bien ne peut croître, il ne peut empirer. L'élément en hauteur surpasse toute flamme, Le feu est le plus sûr de tous les éléments, Mon âme aime plus haut que tous entendements, Il n'est rien de si beau que le beau de ma dame, Elle efface tous beau, et moi tous les amants.
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L'albatros
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : L'albatros Titre : L'albatros Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer ; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
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Tu m'ostines !
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Tu m'ostines ! Titre : Tu m'ostines ! Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Odes en son honneur (1893). « Tu m'ostines ! » — « Et je t'emmène A la campagne. » Ainsi parlaient Deux amoureux dont s'éperlaient Plus d'un encor propos amène. Je crains fort que ces amoureux N'aient été nous l'autre semaine Nous répondant, Tyrcis, Climène, Hélas ! en mots trop savoureux. Mais puisqu'il en est temps encore, Puisqu'il en est encore temps, Ne soyons donc plus mécontents, Au contraire, et que s'édulcore Notre courroux, pourtant grondant Un petit peu, mais pour la forme, En un orage horrible, énorme, De gros baisers se répondant. Ô ma dure et bonne compagne, Assez, dis, de malentendus, Et si tu veux — car je le dus — Or, je t'emmène à la campagne.
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Ode à Cassandre
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ode à Cassandre Titre : Ode à Cassandre Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Ode XXVI. En vous donnant ce pourtraict mien Dame, je ne vous donne rien Car tout le bien qui estoit nostre Amour dès le jour le fit vostre Que vous me fistes prisonnier, Mais tout ainsi qu'un jardinier Envoye des presens au maistre De son jardin loüé, pour estre Toujours la grace desservant De l'heritier, qu'il va servant Ainsi tous mes presens j'adresse A vous Cassandre ma maistresse, Corne à mon tout, et maintenant Mon portrait je vous vois donnant : Car la chose est bien raisonnable Que la peinture ressemblable, Au cors qui languist en souci Pour vostre amour, soit vostre aussi. Mais voyez come elle me semble Pensive, triste et pasle ensemble, Portraite de mesme couleur Qu'amour a portrait son seigneur. Que pleust à Dieu que la Nature M'eust fait au coeur une ouverture, Afin que vous eussiez pouvoir De me cognoistre et de me voir ! Car ce n'est rien de voir, Maistresse, La face qui est tromperesse, Et le front bien souvent moqueur, C'est le tout que de voir le coeur. Vous voyriés du mien la constance, La foi, l'amour, l'obeissance, Et les voyant, peut estre aussi Qu'auriés de lui quelque merci, Et des angoisses qu'il endure : Voire quand vous seriés plus dure Que les rochers Caucaseans Ou les cruels flos Aegeans Qui sourds n'entendent les prieres Des pauvres barques marinieres.
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Ophélie
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Ophélie Titre : Ophélie Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) I Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles La blanche Ophélia flotte comme un grand lys, Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... - On entend dans les bois lointains des hallalis. Voici plus de mille ans que la triste Ophélie Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir. Voici plus de mille ans que sa douce folie Murmure sa romance à la brise du soir. Le vent baise ses seins et déploie en corolle Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ; Les saules frissonnants pleurent sur son épaule, Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux. Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ; Elle éveille parfois, dans un aune qui dort, Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile : - Un chant mystérieux tombe des astres d'or. II Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige ! Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté ! - C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ; C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure, A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits ; Que ton coeur écoutait le chant de la Nature Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ; C'est que la voix des mers folles, immense râle, Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ; C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle, Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux ! Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle ! Tu te fondais à lui comme une neige au feu : Tes grandes visions étranglaient ta parole - Et l'Infini terrible effara ton oeil bleu ! III - Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ; Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles, La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.
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Donne moy tes presens en ces jours que la Brume
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Donne moy tes presens en ces jours que la Brume Titre : Donne moy tes presens en ces jours que la Brume Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Derniers vers (1586). Donne moy tes presens en ces jours que la Brume Fait les plus courts de l'an, ou de ton rameau teint Dans le ruisseau d'Oubly dessus mon front espreint, Endor mes pauvres yeux, mes gouttes et mon rhume. Misericorde ô Dieu, ô Dieu ne me consume A faulte de dormir, plustost sois-je contreint De me voir par la peste ou par la fievre esteint, Qui mon sang deseché dans mes veines allume. Heureux, cent fois heureux animaux qui dormez Demy an en voz trous, soubs la terre enfermez, Sans manger du pavot qui tous les sens assomme : J'en ay mangé, j'ay beu de son just oublieux En salade cuit, cru, et toutesfois le somme Ne vient par sa froideur s'asseoir dessus mes yeux.
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Gare !
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Gare ! Titre : Gare ! Poète : Victor Hugo (1802-1885) On a peur, tant elle est belle ! Fût-on don Juan ou Caton. On la redoute rebelle ; Tendre, que deviendrait-on ? Elle est joyeuse et céleste ! Elle vient de ce Brésil Si doré qu'il fait du reste De l'univers un exil. À quatorze ans épousée, Et veuve au bout de dix mois. Elle a toute la rosée De l'aurore au fond des bois. Elle est vierge ; à peine née. Son mari fut un vieillard ; Dieu brisa cet hyménée De Trop tôt avec Trop tard. Apprenez qu'elle se nomme Doña Rosita Rosa ; Dieu, la destinant à l'homme, Aux anges la refusa. Elle est ignorante et libre, Et sa candeur la défend. Elle a tout, accent qui vibre, Chanson triste et rire enfant, Tout, le caquet, le silence, Ces petits pieds familiers Créés pour l'invraisemblance Des romans et des souliers, Et cet air des jeunes Èves Qu'on nommait jadis fripon, Et le tourbillon des rêves Dans les plis de son jupon. Cet être qui nous attire, Agnès cousine d'Hébé, Enivrerait un satyre, Et griserait un abbé. Devant tant de beautés pures, Devant tant de frais rayons, La chair fait des conjectures Et l'âme des visions. Au temps présent l'eau saline, La blanche écume des mers S'appelle la mousseline ; On voit Vénus à travers. Le réel fait notre extase ; Et nous serions plus épris De voir Ninon sous la gaze Que sous la vague Cypris. Nous préférons la dentelle Au flot diaphane et frais ; Vénus n'est qu'une immortelle ; Une femme, c'est plus près. Celle-ci, vers nous conduite Comme un ange retrouvé, Semble à tous les coeurs la suite De leur songe inachevé. L'âme admire, enchantée Par tout ce qu'a de charmant La rêverie ajoutée Au vague éblouissement. Quel danger ! on la devine. Un nimbe à ce front vermeil ! Belle, on la rêve divine, Fleur, on la rêve soleil. Elle est lumière, elle est onde, On la contemple. On la croit Reine et fée, et mer profonde Pour les perles qu'on y voit. Gare, Arthur ! gare, Clitandre ! Malheur à qui se mettait À regarder d'un air tendre Ce mystérieux attrait ! L'amour, où glissent les âmes, Est un précipice ; on a Le vertige au bord des femmes Comme au penchant de l'Etna. On rit d'abord. Quel doux rire ! Un jour, dans ce jeu charmant, On s'aperçoit qu'on respire Un peu moins facilement. Ces feux-là troublent la tête. L'imprudent qui s'y chauffait S'éveille à moitié poète Et stupide tout à fait. Plus de joie. On est la chose Des tourments et des amours. Quoique le tyran soit rose, L'esclavage est noir toujours. On est jaloux ; travail rude ! On n'est plus libre et vivant, Et l'on a l'inquiétude D'une feuille dans le vent. On la suit, pauvre jeune homme ! Sous prétexte qu'il faut bien Qu'un astre ait un astronome Et qu'une femme ait un chien. On se pose en loup fidèle ; On est bête, on s'en aigrit, Tandis qu'un autre, auprès d'elle, Aimant moins, a plus d'esprit. Même aux bals et dans les fêtes, On souffre, fût-on vainqueur ; Et voilà comment sont faites Les aventures du coeur. Cette adolescente est sombre À cause de ses quinze ans Et de tout ce qu'on voit d'ombre Dans ses beaux yeux innocents. On donnerait un empire Pour tous ces chastes appas ; Elle est terrible ; et le pire, C'est qu'elle n'y pense pas.
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Palinodie
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Palinodie Titre : Palinodie Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Jadis, trahi par ma maîtresse, J'osais calomnier l'Amour ; J'ai dit qu'à ses plaisirs d'un jour Succède un siècle de tristesse. Alors, dans un accès d'humeur, Je voulus prêcher l'inconstance. J'étais démenti par mon cœur ; L'esprit seul a commis l'offense. Une amante m'avait quitté ; Ma douleur s'en prit aux amantes. Pour consoler ma vanité, Je les crus toutes inconstantes. Le dépit m'avait égaré. Loin de moi le plus grand des crimes, Celui de noircir par mes rimes Un sexe toujours adoré, Que l'amour a fait notre maître, Qui seul peut donner le bonheur, Qui sans notre exemple peut-être N'aurait jamais été trompeur. Malheur à toi, lyre fidèle, Où j'ai modulé tous mes airs, Si jamais un seul de mes vers Avait offensé quelque belle ! Sexe léger, sexe charmant, Vos défauts sont votre parure. Remerciez bien la nature, Qui vous ébaucha seulement. Sa main bizarre et favorable Vous orne mieux que tous vos soins ; Et vous plairiez peut-être moins, Si vous étiez toujours aimable.
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Chant d'amour (VI)
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Chant d'amour (VI) Titre : Chant d'amour (VI) Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Un jour, le temps jaloux, d'une haleine glacée, Fanera tes couleurs comme une fleur passée Sur ces lits de gazon ; Et sa main flétrira sur tes charmantes lèvres Ces rapides baisers, hélas ! dont tu me sèvres Dans leur fraîche saison. Mais quand tes yeux, voilés d'un nuage de larmes, De ces jours écoulés qui t'ont ravi tes charmes Pleureront la rigueur ; Quand dans ton souvenir, dans l'onde du rivage Tu chercheras en vain ta ravissante image, Regarde dans mon coeur ! Là ta beauté fleurit pour des siècles sans nombre ; Là ton doux souvenir veille à jamais à l'ombre De ma fidélité, Comme une lampe d'or dont une vierge sainte Protège avec la main, en traversant l'enceinte, La tremblante clarté. Et quand la mort viendra, d'un autre amour suivie, Éteindre en souriant de notre double vie L'un et l'autre flambeau, Qu'elle étende ma couche à côté de la tienne, Et que ta main fidèle embrasse encor la mienne Dans le lit du tombeau. Ou plutôt puissions-nous passer sur cette terre, Comme on voit en automne un couple solitaire De cygnes amoureux Partir, en s'embrassant, du nid qui les rassemble, Et vers les doux climats qu'ils vont chercher ensemble S'envoler deux à deux.
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Le marais
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le marais Titre : Le marais Poète : Théophile Gautier (1811-1872) C'est un marais dont l'eau dormante Croupit, couverte d'une mante Par les nénuphars et les joncs : Chaque bruit sous leurs nappes glauques Fait au chœur des grenouilles rauques Exécuter mille plongeons ; La bécassine noire et grise Y vole quand souffle la bise De novembre aux matins glacés ; Souvent, du haut des sombres nues, Pluviers, vanneaux, courlis et grues Y tombent, d'un long vol lassés. Sous les lentilles d'eau qui rampent, Les canards sauvages y trempent Leurs cous de saphir glacés d'or ; La sarcelle a l'aube s'y baigne, Et, quand le crépuscule règne, S'y pose entre deux joncs, et dort. La cigogne dont le bec claque, L'œil tourné vers le ciel opaque, Attend là l'instant du départ, Et le héron aux jambes grêles, Lustrant les plumes de ses ailes, Y traîne sa vie à l'écart. Ami, quand la brume d'automne Étend son voile monotone Sur le front obscurci des cieux, Quand à la ville tout sommeille Et qu'à peine le jour s'éveille À l'horizon silencieux, Toi dont le plomb à l'hirondelle Toujours porte une mort fidèle, Toi qui jamais à trente pas N'as manqué le lièvre rapide, Ami, toi, chasseur intrépide, Qu'un long chemin n'arrête pas, Avec Rasko, ton chien, qui saute À ta suite dans l'herbe haute, Avec ton bon fusil bronzé, Ta blouse et tout ton équipage, Viens t'y cacher près du rivage, Derrière un tronc d'arbre brisé. Ta chasse sera meurtrière ; Aux mailles de ta carnassière Bien des pieds d'oiseaux passeront, Et tu reviendras de bonne heure, Avant le soir, en ta demeure, La joie au cœur, l'orgueil au front.
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Et j'ai revu l'enfant unique : il m'a semblé
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Et j'ai revu l'enfant unique : il m'a semblé Titre : Et j'ai revu l'enfant unique : il m'a semblé Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Et j'ai revu l'enfant unique : il m'a semblé Que s'ouvrait dans mon coeur- la dernière blessure, Celle dont la douleur plus exquise m'assure D'une mort désirable en un jour consolé. La bonne flèche aiguë et sa fraîcheur qui dure ! En ces instants choisis elles ont éveillé Les rêves un peu lourds du scrupule ennuyé, Et tout mon sang chrétien chanta la Chanson pure. J'entends encor, je vois encor ! Loi du devoir Si douce ! Enfin, je sais ce qu'est entendre et voir J'entends, je vois toujours ! Voix des bonnes pensées Innocence, avenir ! Sage et silencieux, Que je vais vous aimer, vous un instant pressées, Belles petites mains qui fermerez nos yeux !
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À monsieur Fontaney
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À monsieur Fontaney Titre : À monsieur Fontaney Poète : Victor Hugo (1802-1885) Quot libras in duce summo ? JUVENAL. C'est une chose grande et que tout homme envie D'avoir un lustre en soi qu'on répand sur sa vie, D'être choisi d'un peuple à venger son affront, De ne point faire un pas qui n'ait trace en l'histoire, Ou de chanter les yeux au ciel, et que la gloire Fasse avec un regard reluire votre front. Il est beau de courir par la terre usurpée, Disciplinant les rois du plat de son épée, D'être Napoléon, l'empereur radieux ; D'être Dante, à son nom rendant les voix muettes. Sans doute ils sont heureux les héros, les poètes, Ceux que le bras fait rois, ceux que l'esprit fait dieux ! Il est beau, conquérant, législateur, prophète, De marcher, dépassant les hommes de la tête ; D'être en la nuit de tous un éclatant flambeau ; Et que de vos vingt ans vingt siècles se souviennent !... - Voilà ce que je dis : puis des pitiés me viennent Quand je pense à tous ceux qui sont dans le tombeau ! Le 16 juillet 1829.
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Écrit sur un livre du jeune Michel Ney
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit sur un livre du jeune Michel Ney Titre : Écrit sur un livre du jeune Michel Ney Poète : Victor Hugo (1802-1885) Enfants ! fils des héros disparus ! fils des hommes Qui firent mon pays plus grand que les deux Romes, Et qui s'en sont allés, dans l'abîme engloutis ! Vous que nous voyons rire et jouer tout petits, Sur vos fronts innocents la sombre histoire pèse ; Vous êtes tout couverts de la gloire française. Oh ! quand l'âge où l'on pense, où l'on ouvre les yeux, Viendra pour vous, enfants, regardez vos aïeux Avec un tremblement de joie et d'épouvante. Ayez toujours leur âme en vos âmes vivante, Soyez nobles, loyaux et vaillants entre tous ; Car vos noms sont si grands qu'ils ne sont pas à vous ! Tout passant peut venir vous en demander compte. Ils sont notre trésor dans nos moments de honte, Dans nos abaissements et dans nos abandons ; C'est vous qui les portez, c'est nous qui les gardons. Le 14 avril 1847.
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Lettre à M. de Lamartine
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Lettre à M. de Lamartine Titre : Lettre à M. de Lamartine Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Lorsque le grand Byron allait quitter Ravenne, Et chercher sur les mers quelque plage lointaine Où finir en héros son immortel ennui, Comme il était assis aux pieds de sa maîtresse, Pâle, et déjà tourné du côté de la Grèce, Celle qu'il appelait alors sa Guiccioli Ouvrit un soir un livre où l'on parlait de lui. Avez-vous de ce temps conservé la mémoire, Lamartine, et ces vers au prince des proscrits, Vous souvient-il encor qui les avait écrits ? Vous étiez jeune alors, vous, notre chère gloire. Vous veniez d'essayer pour la première fois Ce beau luth éploré qui vibre sous vos doigts. La Muse que le ciel vous avait fiancée Sur votre front rêveur cherchait votre pensée, Vierge craintive encore, amante des lauriers. Vous ne connaissiez pas, noble fils de la France, Vous ne connaissiez pas, sinon par sa souffrance, Ce sublime orgueilleux à qui vous écriviez. De quel droit osiez-vous l'aborder et le plaindre ? Quel aigle, Ganymède, à ce Dieu vous portait ? Pressentiez-vous qu'un jour vous le pourriez atteindre, Celui qui de si haut alors vous écoutait ? Non, vous aviez vingt ans, et le coeur vous battait Vous aviez lu Lara, Manfred et le Corsaire, Et vous aviez écrit sans essuyer vos pleurs ; Le souffle de Byron vous soulevait de terre, Et vous alliez à lui, porté par ses douleurs. Vous appeliez de loin cette âme désolée ; Pour grand qu'il vous parût, vous le sentiez ami Et, comme le torrent dans la verte vallée, L'écho de son génie en vous avait gémi. Et lui, lui dont l'Europe, encore toute armée, Écoutait en tremblant les sauvages concerts ; Lui qui depuis dix ans fuyait sa renommée, Et de sa solitude emplissait l'univers ; Lui, le grand inspiré de la Mélancolie, Qui, las d'être envié, se changeait en martyr ; Lui, le dernier amant de la pauvre Italie, Pour son dernier exil s'apprêtant à partir ; Lui qui, rassasié de la grandeur humaine, Comme un cygne à son chant sentant sa mort prochaine, Sur terre autour de lui cherchait pour qui mourir... Il écouta ces vers que lisait sa maîtresse, Ce doux salut lointain d'un jeune homme inconnu. Je ne sais si du style il comprit la richesse ; Il laissa dans ses yeux sourire sa tristesse : Ce qui venait du coeur lui fut le bienvenu. Poète, maintenant que ta muse fidèle, Par ton pudique amour sûre d'être immortelle, De la verveine en fleur t'a couronné le front, À ton tour, reçois-moi comme le grand Byron. De t'égaler jamais je n'ai pas l'espérance ; Ce que tu tiens du ciel, nul ne me l'a promis, Mais de ton sort au mien plus grande est la distance, Meilleur en sera Dieu qui peut nous rendre amis. Je ne t'adresse pas d'inutiles louanges, Et je ne songe point que tu me répondras ; Pour être proposés, ces illustres échanges Veulent être signés d'un nom que je n'ai pas. J'ai cru pendant longtemps que j'étais las du monde ; J'ai dit que je niais, croyant avoir douté, Et j'ai pris, devant moi, pour une nuit profonde Mon ombre qui passait pleine de vanité. Poète, je t'écris pour te dire que j'aime, Qu'un rayon du soleil est tombé jusqu'à moi, Et qu'en un jour de deuil et de douleur suprême Les pleurs que je versais m'ont fait penser à toi. Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse, Ne sait par coeur ce chant, des amants adoré, Qu'un soir, au bord d'un lac, tu nous as soupiré ? Qui n'a lu mille fois, qui ne relit sans cesse Ces vers mystérieux où parle ta maîtresse, Et qui n'a sangloté sur ces divins sanglots, Profonds comme le ciel et purs comme les flots ? Hélas ! ces longs regrets des amours mensongères, Ces ruines du temps qu'on trouve à chaque pas, Ces sillons infinis de lueurs éphémères, Qui peut se dire un homme et ne les connaît pas ? Quiconque aima jamais porte une cicatrice ; Chacun l'a dans le sein, toujours prête à s'ouvrir ; Chacun la garde en soi, cher et secret supplice, Et mieux il est frappé, moins il en veut guérir. Te le dirai-je, à toi, chantre de la souffrance, Que ton glorieux mal, je l'ai souffert aussi ? Qu'un instant, comme toi, devant ce ciel immense, J'ai serré dans mes bras la vie et l'espérance, Et qu'ainsi que le tien, mon rêve s'est enfui ? Te dirai-je qu'un soir, dans la brise embaumée, Endormi, comme toi, dans la paix du bonheur, Aux célestes accents d'une voix bien-aimée, J'ai cru sentir le temps s'arrêter dans mon coeur ? Te dirai-je qu'un soir, resté seul sur la terre, Dévoré, comme toi, d'un affreux souvenir, Je me suis étonné de ma propre misère, Et de ce qu'un enfant peut souffrir sans mourir ? Ah ! ce que j'ai senti dans cet instant terrible, Oserai-je m'en plaindre et te le raconter ? Comment exprimerai-je une peine indicible ? Après toi, devant toi, puis-je encor le tenter ? Oui, de ce jour fatal, plein d'horreur et de charmes, Je veux fidèlement te faire le récit ; Ce ne sont pas des chants, ce ne sont pas des larmes, Et je ne te dirai que ce que Dieu m'a dit. Lorsque le laboureur, regagnant sa chaumière, Trouve le soir son champ rasé par le tonnerre, Il croit d'abord qu'un rêve a fasciné ses yeux, Et, doutant de lui-même, interroge les cieux. Partout la nuit est sombre, et la terre enflammée. Il cherche autour de lui la place accoutumée Où sa femme l'attend sur le seuil entr'ouvert ; Il voit un peu de cendre au milieu d'un désert. Ses enfants demi-nus sortent de la bruyère, Et viennent lui conter comme leur pauvre mère Est morte sous le chaume avec des cris affreux ; Mais maintenant au loin tout est silencieux. Le misérable écoute et comprend sa ruine. Il serre, désolé, ses fils sur sa poitrine ; Il ne lui reste plus, s'il ne tend pas la main, Que la faim pour ce soir et la mort pour demain. Pas un sanglot ne sort de sa gorge oppressée ; Muet et chancelant, sans force et sans pensée, Il s'assoit à l'écart, les yeux sur l'horizon, Et regardant s'enfuir sa moisson consumée, Dans les noirs tourbillons de l'épaisse fumée L'ivresse du malheur emporte sa raison. Tel, lorsque abandonné d'une infidèle amante, Pour la première fois j'ai connu la douleur, Transpercé tout à coup d'une flèche sanglante, Seul je me suis assis dans la nuit de mon coeur. Ce n'était pas au bord d'un lac au flot limpide, Ni sur l'herbe fleurie au penchant des coteaux ; Mes yeux noyés de pleurs ne voyaient que le vide, Mes sanglots étouffés n'éveillaient point d'échos. C'était dans une rue obscure et tortueuse De cet immense égout qu'on appelle Paris : Autour de moi criait cette foule railleuse Qui des infortunés n'entend jamais les cris. Sur le pavé noirci les blafardes lanternes Versaient un jour douteux plus triste que la nuit, Et, suivant au hasard ces feux vagues et ternes, L'homme passait dans l'ombre, allant où va le bruit. Partout retentissait comme une joie étrange ; C'était en février, au temps du carnaval. Les masques avinés, se croisant dans la fange, S'accostaient d'une injure ou d'un refrain banal. Dans un carrosse ouvert une troupe entassée Paraissait par moments sous le ciel pluvieux, Puis se perdait au loin dans la ville insensée, Hurlant un hymne impur sous la résine en feux. Cependant des vieillards, des enfants et des femmes Se barbouillaient de lie au fond des cabarets, Tandis que de la nuit les prêtresses infâmes Promenaient çà et là leurs spectres inquiets. On eût dit un portrait de la débauche antique, Un de ces soirs fameux, chers au peuple romain, Où des temples secrets la Vénus impudique Sortait échevelée, une torche à la main. Dieu juste ! pleurer seul par une nuit pareille ! Ô mon unique amour ! que vous avais-je fait ? Vous m'aviez pu quitter, vous qui juriez la veille Que vous étiez ma vie et que Dieu le savait ? Ah ! toi, le savais-tu, froide et cruelle amie, Qu'à travers cette honte et cette obscurité J'étais là, regardant de ta lampe chérie, Comme une étoile au ciel, la tremblante clarté ? Non, tu n'en savais rien, je n'ai pas vu ton ombre, Ta main n'est pas venue entr'ouvrir ton rideau. Tu n'as pas regardé si le ciel était sombre ; Tu ne m'as pas cherché dans cet affreux tombeau ! Lamartine, c'est là, dans cette rue obscure, Assis sur une borne, au fond d'un carrefour, Les deux mains sur mon coeur, et serrant ma blessure, Et sentant y saigner un invincible amour ; C'est là, dans cette nuit d'horreur et de détresse, Au milieu des transports d'un peuple furieux Qui semblait en passant crier à ma jeunesse, « Toi qui pleures ce soir, n'as-tu pas ri comme eux ? » C'est là, devant ce mur, où j'ai frappé ma tête, Où j'ai posé deux fois le fer sur mon sein nu ; C'est là, le croiras-tu ? chaste et noble poète, Que de tes chants divins je me suis souvenu. Ô toi qui sais aimer, réponds, amant d'Elvire, Comprends-tu que l'on parte et qu'on se dise adieu ? Comprends-tu que ce mot la main puisse l'écrire, Et le coeur le signer, et les lèvres le dire, Les lèvres, qu'un baiser vient d'unir devant Dieu ? Comprends-tu qu'un lien qui, dans l'âme immortelle, Chaque jour plus profond, se forme à notre insu ; Qui déracine en nous la volonté rebelle, Et nous attache au coeur son merveilleux tissu ; Un lien tout-puissant dont les noeuds et la trame Sont plus durs que la roche et que les diamants ; Qui ne craint ni le temps, ni le fer, ni la flamme, Ni la mort elle-même, et qui fait des amants Jusque dans le tombeau s'aimer les ossements ; Comprends-tu que dix ans ce lien nous enlace, Qu'il ne fasse dix ans qu'un seul être de deux, Puis tout à coup se brise, et, perdu dans l'espace, Nous laisse épouvantés d'avoir cru vivre heureux ? Ô poète ! il est dur que la nature humaine, Qui marche à pas comptés vers une fin certaine, Doive encor s'y traîner en portant une croix, Et qu'il faille ici-bas mourir plus d'une fois. Car de quel autre nom peut s'appeler sur terre Cette nécessité de changer de misère, Qui nous fait, jour et nuit, tout prendre et tout quitter. Si bien que notre temps se passe à convoiter ? Ne sont-ce pas des morts, et des morts effroyables, Que tant de changements d'êtres si variables, Qui se disent toujours fatigués d'espérer, Et qui sont toujours prêts à se transfigurer ? Quel tombeau que le coeur, et quelle solitude ! Comment la passion devient-elle habitude, Et comment se fait-il que, sans y trébucher, Sur ses propres débris l'homme puisse marcher ? Il y marche pourtant ; c'est Dieu qui l'y convie. Il va semant partout et prodiguant sa vie : Désir, crainte, colère, inquiétude, ennui, Tout passe et disparaît, tout est fantôme en lui. Son misérable coeur est fait de telle sorte Qu'il fuit incessamment qu'une ruine en sorte ; Que la mort soit son terme, il ne l'ignore pas, Et, marchant à la mort, il meurt à chaque pas. Il meurt dans ses amis, dans son fils, dans son père, Il meurt dans ce qu'il pleure et dans ce qu'il espère ; Et, sans parler des corps qu'il faut ensevelir, Qu'est-ce donc qu'oublier, si ce n'est pas mourir ? Ah ! c'est plus que mourir, c'est survivre à soi-même. L'âme remonte au ciel quand on perd ce qu'on aime. Il ne reste de nous qu'un cadavre vivant ; Le désespoir l'habite, et le néant l'attend. Eh bien ! bon ou mauvais, inflexible ou fragile, Humble ou fier, triste ou gai, mais toujours gémissant, Cet homme, tel qu'il est, cet être fait d'argile, Tu l'as vu, Lamartine, et son sang est ton sang. Son bonheur est le tien, sa douleur est la tienne ; Et des maux qu'ici-bas il lui faut endurer Pas un qui ne te touche et qui ne t'appartienne ; Puisque tu sais chanter, ami, tu sais pleurer. Dis-moi, qu'en penses-tu dans tes jours de tristesse ? Que t'a dit le malheur, quand tu l'as consulté ? Trompé par tes amis, trahi par ta maîtresse, Du ciel et de toi-même as-tu jamais douté ? Non, Alphonse, jamais. La triste expérience Nous apporte la cendre, et n'éteint pas le feu. Tu respectes le mal fait par la Providence, Tu le laisses passer, et tu crois à ton Dieu. Quel qu'il soit, c'est le mien ; il n'est pas deux croyances Je ne sais pas son nom, j'ai regardé les cieux ; Je sais qu'ils sont à Lui, je sais qu'ils sont immenses, Et que l'immensité ne peut pas être à deux. J'ai connu, jeune encore, de sévères souffrances, J'ai vu verdir les bois, et j'ai tenté d'aimer. Je sais ce que la terre engloutit d'espérances, Et, pour y recueillir, ce qu'il y faut semer. Mais ce que j'ai senti, ce que je veux t'écrire, C'est ce que m'ont appris les anges de douleur ; Je le sais mieux encore et puis mieux te le dire, Car leur glaive, en entrant, l'a gravé dans mon coeur : Créature d'un jour qui t'agites une heure, De quoi viens-tu te plaindre et qui te fait gémir ? Ton âme t'inquiète, et tu crois qu'elle pleure : Ton âme est immortelle, et tes pleurs vont tarir. Tu te sens le coeur pris d'un caprice de femme, Et tu dis qu'il se brise à force de souffrir. Tu demandes à Dieu de soulager ton âme : Ton âme est immortelle, et ton coeur va guérir. Le regret d'un instant te trouble et te dévore ; Tu dis que le passé te voile l'avenir. Ne te plains pas d'hier ; laisse venir l'aurore : Ton âme est immortelle, et le temps va s'enfuir Ton corps est abattu du mal de ta pensée ; Tu sens ton front peser et tes genoux fléchir. Tombe, agenouille-toi, créature insensée : Ton âme est immortelle, et la mort va venir. Tes os dans le cercueil vont tomber en poussière Ta mémoire, ton nom, ta gloire vont périr, Mais non pas ton amour, si ton amour t'est chère : Ton âme est immortelle, et va s'en souvenir.
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Fuis l'éden des anges déchus
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fuis l'éden des anges déchus Titre : Fuis l'éden des anges déchus Poète : Victor Hugo (1802-1885) Fuis l'éden des anges déchus ; Ami, prends garde aux belles filles ; Redoute à Paris les fichus, Redoute à Madrid les mantilles. Tremble pour tes ailes, oiseau, Et pour tes fils, marionnette. Crains un peu l'oeil de Calypso, Et crains beaucoup l'oeil de Jeannette. Quand leur tendresse a commencé, Notre servitude est prochaine. Veux-tu savoir leur A B C ? Ami, c'est Amour, Baiser, Chaîne. Le soleil dore une prison, Un rosier parfume une geôle, Et c'est là, vois-tu, la façon Dont une fille nous enjôle. Pris, on a sa pensée au vent Et dans l'âme une sombre lyre, Et bien souvent on pleure avant Qu'on ait eu le temps de sourire. Viens dans les prés, le gai printemps Fait frissonner les vastes chênes, L'herbe rit, les bois sont contents, Chantons ! Oh, les claires fontaines !
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À Pépa
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Pépa Titre : À Pépa Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Premières poésies (1829). Pépa, quand la nuit est venue, Que ta mère t'a dit adieu ; Que sous ta lampe, à demie nue, Tu t'inclines pour prier Dieu ; A cette heure où l'âme inquiète Se livre au conseil de la nuit ; Au moment d'ôter ta cornette Et de regarder sous ton lit ; Quand le sommeil sur ta famille Autour de toi s'est répandu ; O Pépita, charmante fille, Mon amour, à quoi penses-tu ? Qui sait ? Peut-être à l'héroïne De quelque infortuné roman ; A tout ce que l'espoir devine Et la réalité dément ; Peut-être à ces grandes montagnes Qui n'accouchent que de souris ; A des amoureux en Espagne, A des bonbons, à des maris ; Peut-être aux tendres confidences D'un coeur naïf comme le tien ; A ta robe, aux airs que tu danses ; Peut-être à moi, peut-être à rien.
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Si tu veux que je meure
Rémy Belleau (1528-1577)
Poésie : Si tu veux que je meure Titre : Si tu veux que je meure Poète : Rémy Belleau (1528-1577) Recueil : La Bergerie (1565). Si tu veux que je meure entre tes bras, m'amie, Trousse l'escarlatin (*) de ton beau pelisson (*) Puis me baise et me presse, et nous entrelaçons Comme, autour des ormeaux, le lierre se plie. Dégrafe ce colet, m'amour, que je manie De ton sein blanchissant le petit mont besson : Puis me baise et me presse, et me tiens de façon Que le plaisir commun nous enivre, ma vie. L'un va cherchant la mort aux flancs d'une muraille En escarmouche, en garde, en assaut, en bataille Pour acheter un nom qu'on surnomme l'honneur. Mais moi, je veux mourir sur tes lèvres, maîtresse, C'est ma gloire, mon heure, mon trésor, ma richesse, Car j'ai logé ma vie en ta bouche, mon cœur. * Escarlatin : Étoffe. * Pelisson : Vêtement de dessous.
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La lune offensée
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La lune offensée Titre : La lune offensée Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Ô Lune qu'adoraient discrètement nos pères, Du haut des pays bleus où, radieux sérail, Les astres vont se suivre en pimpant attirail, Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires, Vois-tu les amoureux, sur leurs grabats prospères, De leur bouche en dormant montrer le frais émail ? Le poète buter du front sur son travail ? Ou sous les gazons secs s'accoupler les vipères ? Sous ton domino jaune, et d'un pied clandestin, Vas-tu, comme jadis, du soir jusqu'au matin, Baiser d'Endymion les grâces surannées ? - " Je vois ta mère, enfant de ce siècle appauvri, Qui vers son miroir penche un lourd amas d'années, Et plâtre artistement le sein qui t'a nourri ! "
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Circonspection
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Circonspection Titre : Circonspection Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Donne ta main, retiens ton souffle, asseyons-nous Sous cet arbre géant où vient mourir la brise En soupirs inégaux sous la ramure grise Que caresse le clair de lune blême et doux. Immobiles, baissons nos yeux vers nos genoux. Ne pensons pas, rêvons. Laissons faire à leur guise Le bonheur qui s'enfuit et l'amour qui s'épuise, Et nos cheveux frôlés par l'aile des hiboux. Oublions d'espérer. Discrète et contenue, Que l'âme de chacun de nous deux continue Ce calme et cette mort sereine du soleil. Restons silencieux parmi la paix nocturne : Il n'est pas bon d'aller troubler dans son sommeil La nature, ce dieu féroce et taciturne.
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La peau de tigre
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La peau de tigre Titre : La peau de tigre Poète : Victor Hugo (1802-1885) Quand la marquise était avec le roi fâchée, Avant l'invention d'Esther par Mardochée, Afin que chez Vasti Sa Majesté rentrât, Il fallait mieux qu'un prince et plus qu'un magistrat ; Il fallait, pour conduire Alcandre à Cydalise, Quelqu'un qui fût lettré, mais qui fût de l'église ; Pour porter les soupirs, pour mettre à l'entretien Du maître et de la belle un peu d'accent chrétien, Il convenait d'avoir en cour un personnage Qui, sage par sa robe et grave par son âge, Fût superbement prêtre et saintement valet ; Il fallait un pieux porte-voix ; il fallait, Pour qu'une bouche ayant d'austères habitudes, Chère aux vices pédants, clémente aux fautes prudes, Pût au besoin donner leur sens aux demi-mots, Que monsieur Bossuet fût évêque de Meaux. Certes, ce prêtre était farouche ; il avait l'âme Faite d'ombre, d'éclairs, de colère et de flamme ; Les Cévennes ont vu rugir ce sombre abbé, Et quand le roi montait l'escalier dérobé, Ce tigre était là ; mais il servait de descente Au lit où Montespan palpitait, rougissante.
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Ce monde-ci et l'autre
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Ce monde-ci et l'autre Titre : Ce monde-ci et l'autre Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Vos premières saisons à peine sont écloses, Enfant, et vous avez déjà vu plus de choses Qu'un vieillard qui trébuche au seuil de son tombeau. Tout ce que la nature a de grand et de beau, Tout ce que Dieu nous fit de sublimes spectacles, Les deux mondes ensemble avec tous leurs miracles. Que n'avez-vous pas vu ? Les montagnes, la mer, La neige et les palmiers, le printemps et l'hiver, L'Europe décrépite et la jeune Amérique ; Car votre peau cuivrée aux ardeurs du tropique, Sous le soleil en flamme et les cieux toujours bleus, S'est faite presque blanche à nos étés frileux. Votre enfance joyeuse a passé comme un rêve Dans la verte savane et sur la blonde grève ; Le vent vous apportait des parfums inconnus ; Le sauvage Océan baisait vos beaux pieds nus, Et comme une nourrice au seuil de sa demeure Chante et jette un hochet au nouveau-né qui pleure, Quand il vous voyait triste, il poussait devant vous Ses coquilles de moire et son murmure doux. Pour vous laisser passer, jam-roses et lianes Écartaient dans les bois leurs rideaux diaphanes ; Les tamaniers en fleurs vous prêtaient des abris ; Vous aviez pour jouer des nids de colibris ; Les papillons dorés vous éventaient de l'aile ; L'oiseau-mouche valsait avec la demoiselle ; Les magnolias penchaient la tête en souriant ; La fontaine au flot clair s'en allait babillant ; Les bengalis coquets, se mirant à son onde, Vous chantaient leur romance ; et, seule et vagabonde, Vous marchiez sans savoir par les petits chemins, Un refrain à la bouche et des fleurs dans les mains ! Aux heures du midi, nonchalante créole, Vous aviez le hamac et la sieste espagnole, Et la bonne négresse aux dents blanches qui rit Chassant les moucherons d'auprès de votre lit. Vous aviez tous les biens, heureuse créature, La belle liberté dans la belle nature ; Et puis un grand désir d'inconnu vous a pris, Vous avez voulu voir et la France et Paris. La brise a du vaisseau fait onder la bannière, Le vieux monstre Océan, secouant sa crinière Et courbant devant vous sa tête de lion, Sur son épaule bleue, avec soumission, Vous a jusques aux bords de la France vantée, Sans rugir une fois, fidèlement portée. Après celles de Dieu, les merveilles de l'art Ont étonné votre âme avec votre regard : Vous avez vu nos tours, nos palais, nos églises, Nos monuments tout noirs et nos coupoles grises, Nos beaux jardins royaux, où, de Grèce venus, Étrangers comme vous, frissonnent les dieux nus, Notre ciel morne et froid, notre horizon de brume, Où chaque maison dresse une gueule qui fume. Quel spectacle pour vous, ô fille du soleil, Vous toute brune encore de son baiser vermeil. La pluie a ruisselé sur vos vitres jaunies, Et, triste entre vos sœurs au foyer réunies, En entendant pleurer les bûches dans le feu, Vous avez regretté l'Amérique au ciel bleu, Et la mer amoureuse avec ses tièdes lames Qui se brodent d'argent et chantent sous les rames ; Les beaux lataniers verts, les palmiers chevelus, Les mangliers traînant leurs bras irrésolus ; Toute cette nature orientale et chaude, Où chaque herbe flamboie et semble une émeraude ; Et vous avez souffert, votre cœur a saigné, Vos yeux se sont levés vers ce ciel gris baigné D'une vapeur étrange et d'un brouillard de houille, Vers ces arbres chargés d'un feuillage de rouille ; Et vous avez compris, pâle fleur du désert, Que loin du sol natal votre arôme se perd, Qu'il vous faut le soleil et la blanche rosée Dont vous étiez là-bas toute jeune arrosée ; Les baisers parfumés des brises de la mer, La place libre au ciel, l'espace et le grand air ; Et, pour s'y renouer, l'hymne saint des poètes Au fond de vous trouva des fibres toutes prêtes ; Au chœur mélodieux votre voix put s'unir ; Le prisme du regret dorant le souvenir De cent petits détails, de mille circonstances, Les vers naissaient en foule et se groupaient par stances. Chaque larme furtive échappée à vos yeux Se condensait en perle, en joyau précieux ; Dans le rythme profond votre jeune pensée Brillait plus savamment, chaque jour enchâssée ; Vous avez pénétré les mystères de l'art. Aussi, tout éplorée, avant votre départ, Pour vous baiser au front, la belle poésie Vous a parmi vos sœurs avec amour choisie ; Pour dire votre cœur vous avez une voix, Entre deux univers Dieu vous laissait le choix ; Vous avez pris de l'un, heureux sort que le vôtre ! De quoi vous faire aimer et regretter dans l'autre.
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La nuit d'octobre
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : La nuit d'octobre Titre : La nuit d'octobre Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Le poète Le mal dont j'ai souffert s'est enfui comme un rêve. Je n'en puis comparer le lointain souvenir Qu'à ces brouillards légers que l'aurore soulève, Et qu'avec la rosée on voit s'évanouir. La muse Qu'aviez-vous donc, ô mon poète ! Et quelle est la peine secrète Qui de moi vous a séparé ? Hélas ! je m'en ressens encore. Quel est donc ce mal que j'ignore Et dont j'ai si longtemps pleuré ? Le poète C'était un mal vulgaire et bien connu des hommes ; Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le coeur, Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes, Que personne avant nous n'a senti la douleur. La muse Il n'est de vulgaire chagrin Que celui d'une âme vulgaire. Ami, que ce triste mystère S'échappe aujourd'hui de ton sein. Crois-moi, parle avec confiance ; Le sévère dieu du silence Est un des frères de la Mort ; En se plaignant on se console, Et quelquefois une parole Nous a délivrés d'un remord. Le poète S'il fallait maintenant parler de ma souffrance, Je ne sais trop quel nom elle devrait porter, Si c'est amour, folie, orgueil, expérience, Ni si personne au monde en pourrait profiter. Je veux bien toutefois t'en raconter l'histoire, Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer. Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoire Au son de tes accords doucement s'éveiller. La muse Avant de me dire ta peine, Ô poète ! en es-tu guéri ? Songe qu'il t'en faut aujourd'hui Parler sans amour et sans haine. S'il te souvient que j'ai reçu Le doux nom de consolatrice, Ne fais pas de moi la complice Des passions qui t'ont perdu, Le poète Je suis si bien guéri de cette maladie, Que j'en doute parfois lorsque j'y veux songer ; Et quand je pense aux lieux où j'ai risqué ma vie, J'y crois voir à ma place un visage étranger. Muse, sois donc sans crainte ; au souffle qui t'inspire Nous pouvons sans péril tous deux nous confier. Il est doux de pleurer, il est doux de sourire Au souvenir des maux qu'on pourrait oublier. La muse Comme une mère vigilante Au berceau d'un fils bien-aimé, Ainsi je me penche tremblante Sur ce coeur qui m'était fermé. Parle, ami, - ma lyre attentive D'une note faible et plaintive Suit déjà l'accent de ta voix, Et dans un rayon de lumière, Comme une vision légère, Passent les ombres d'autrefois. Le poète Jours de travail ! seuls jours où j'ai vécu ! Ô trois fois chère solitude ! Dieu soit loué, j'y suis donc revenu, À ce vieux cabinet d'étude ! Pauvre réduit, murs tant de fois déserts, Fauteuils poudreux, lampe fidèle, Ô mon palais, mon petit univers, Et toi, Muse, ô jeune immortelle, Dieu soit loué, nous allons donc chanter ! Oui, je veux vous ouvrir mon âme, Vous saurez tout, et je vais vous conter Le mal que peut faire une femme ; Car c'en est une, ô mes pauvres amis (Hélas ! vous le saviez peut-être), C'est une femme à qui je fus soumis, Comme le serf l'est à son maître. Joug détesté ! c'est par là que mon coeur Perdit sa force et sa jeunesse ; Et cependant, auprès de ma maîtresse, J'avais entrevu le bonheur. Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble, Le soir, sur le sable argentin, Quand devant nous le blanc spectre du tremble De loin nous montrait le chemin ; Je vois encore, aux rayons de la lune, Ce beau corps plier dans mes bras... N'en parlons plus... - je ne prévoyais pas Où me conduirait la Fortune. Sans doute alors la colère des dieux Avait besoin d'une victime ; Car elle m'a puni comme d'un crime D'avoir essayé d'être heureux. La muse L'image d'un doux souvenir Vient de s'offrir à ta pensée. Sur la trace qu'il a laissée Pourquoi crains-tu de revenir ? Est-ce faire un récit fidèle Que de renier ses beaux jours ? Si ta fortune fut cruelle, Jeune homme, fais du moins comme elle, Souris à tes premiers amours. Le poète Non, - c'est à mes malheurs que je prétends sourire. Muse, je te l'ai dit : je veux, sans passion, Te conter mes ennuis, mes rêves, mon délire, Et t'en dire le temps, l'heure et l'occasion. C'était, il m'en souvient, par une nuit d'automne, Triste et froide, à peu près semblable à celle-ci ; Le murmure du vent, de son bruit monotone, Dans mon cerveau lassé berçait mon noir souci. J'étais à la fenêtre, attendant ma maîtresse ; Et, tout en écoutant dans cette obscurité, Je me sentais dans l'âme une telle détresse Qu'il me vint le soupçon d'une infidélité. La rue où je logeais était sombre et déserte ; Quelques ombres passaient, un falot à la main ; Quand la bise sifflait dans la porte entr'ouverte, On entendait de loin comme un soupir humain. Je ne sais, à vrai dire, à quel fâcheux présage Mon esprit inquiet alors s'abandonna. Je rappelais en vain un reste de courage, Et me sentis frémir lorsque l'heure sonna. Elle ne venait pas. Seul, la tête baissée, Je regardai longtemps les murs et le chemin, Et je ne t'ai pas dit quelle ardeur insensée Cette inconstante femme allumait en mon sein ; Je n'aimais qu'elle au monde, et vivre un jour sans elle Me semblait un destin plus affreux que la mort. Je me souviens pourtant qu'en cette nuit cruelle Pour briser mon lien je fis un long effort. Je la nommai cent fois perfide et déloyale, Je comptai tous les maux qu'elle m'avait causés. Hélas ! au souvenir de sa beauté fatale, Quels maux et quels chagrins n'étaient pas apaisés ! Le jour parut enfin. - Las d'une vaine attente, Sur le bord du balcon je m'étais assoupi ; Je rouvris la paupière à l'aurore naissante, Et je laissai flotter mon regard ébloui. Tout à coup, au détour de l'étroite ruelle, J'entends sur le gravier marcher à petit bruit... Grand Dieu ! préservez-moi ! je l'aperçois, c'est elle ; Elle entre. - D'où viens-tu ? Qu'as-tu fait cette nuit ? Réponds, que me veux-tu ? qui t'amène à cette heure ? Ce beau corps, jusqu'au jour, où s'est-il étendu ? Tandis qu'à ce balcon, seul, je veille et je pleure, En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-tu ? Perfide ! audacieuse ! est-il encor possible Que tu viennes offrir ta bouche à mes baisers ? Que demandes-tu donc ? par quelle soif horrible Oses-tu m'attirer dans tes bras épuisés ? Va-t'en, retire-toi, spectre de ma maîtresse ! Rentre dans ton tombeau, si tu t'en es levé ; Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse, Et, quand je pense à toi, croire que j'ai rêvé ! La muse Apaise-toi, je t'en conjure ; Tes paroles m'ont fait frémir. Ô mon bien-aimé ! ta blessure Est encor prête à se rouvrir. Hélas ! elle est donc bien profonde ? Et les misères de ce monde Sont si lentes à s'effacer ! Oublie, enfant, et de ton âme Chasse le nom de cette femme, Que je ne veux pas prononcer. Le poète Honte à toi qui la première M'as appris la trahison, Et d'horreur et de colère M'as fait perdre la raison ! Honte à toi, femme à l'oeil sombre, Dont les funestes amours Ont enseveli dans l'ombre Mon printemps et mes beaux jours ! C'est ta voix, c'est ton sourire, C'est ton regard corrupteur, Qui m'ont appris à maudire Jusqu'au semblant du bonheur ; C'est ta jeunesse et tes charmes Qui m'ont fait désespérer, Et si je doute des larmes, C'est que je t'ai vu pleurer. Honte à toi, j'étais encore Aussi simple qu'un enfant ; Comme une fleur à l'aurore, Mon coeur s'ouvrait en t'aimant. Certes, ce coeur sans défense Put sans peine être abusé ; Mais lui laisser l'innocence Était encor plus aisé. Honte à toi ! tu fus la mère De mes premières douleurs, Et tu fis de ma paupière Jaillir la source des pleurs ! Elle coule, sois-en sûre, Et rien ne la tarira ; Elle sort d'une blessure Qui jamais ne guérira ; Mais dans cette source amère Du moins je me laverai, Et j'y laisserai, j'espère, Ton souvenir abhorré ! La muse Poète, c'est assez. Auprès d'une infidèle, Quand ton illusion n'aurait duré qu'un jour, N'outrage pas ce jour lorsque tu parles d'elle ; Si tu veux être aimé, respecte ton amour. Si l'effort est trop grand pour la faiblesse humaine De pardonner les maux qui nous viennent d'autrui, Épargne-toi du moins le tourment de la haine ; À défaut du pardon, laisse venir l'oubli. Les morts dorment en paix dans le sein de la terre : Ainsi doivent dormir nos sentiments éteints. Ces reliques du coeur ont aussi leur poussière ; Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains. Pourquoi, dans ce récit d'une vive souffrance, Ne veux-tu voir qu'un rêve et qu'un amour trompé ? Est-ce donc sans motif qu'agit la Providence Et crois-tu donc distrait le Dieu qui t'a frappé ? Le coup dont tu te plains t'a préservé peut-être, Enfant ; car c'est par là que ton coeur s'est ouvert. L'homme est un apprenti, la douleur est son maître, Et nul ne se connaît tant qu'il n'a pas souffert. C'est une dure loi, mais une loi suprême, Vieille comme le monde et la fatalité, Qu'il nous faut du malheur recevoir le baptême, Et qu'à ce triste prix tout doit être acheté. Les moissons pour mûrir ont besoin de rosée ; Pour vivre et pour sentir l'homme a besoin des pleurs ; La joie a pour symbole une plante brisée, Humide encor de pluie et couverte de fleurs. Ne te disais-tu pas guéri de ta folie ? N'es-tu pas jeune, heureux, partout le bienvenu ? Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie, Si tu n'avais pleuré, quel cas en ferais-tu ? Lorsqu'au déclin du jour, assis sur la bruyère, Avec un vieil ami tu bois en liberté, Dis-moi, d'aussi bon coeur lèverais-tu ton verre, Si tu n'avais senti le prix de la gaîté ? Aimerais-tu les fleurs, les prés et la verdure, Les sonnets de Pétrarque et le chant des oiseaux, Michel-Ange et les arts, Shakspeare et la nature, Si tu n'y retrouvais quelques anciens sanglots ? Comprendrais-tu des cieux l'ineffable harmonie, Le silence des nuits, le murmure des flots, Si quelque part là-bas la fièvre et l'insomnie Ne t'avaient fait songer à l'éternel repos ? N'as-tu pas maintenant une belle maîtresse ? Et, lorsqu'en t'endormant tu lui serres la main, Le lointain souvenir des maux de ta jeunesse Ne rend-il pas plus doux son sourire divin ? N'allez-vous pas aussi vous promener ensemble Au fond des bois fleuris, sur le sable argentin ? Et, dans ce vert palais, le blanc spectre du tremble Ne sait-il plus, le soir, vous montrer le chemin ? Ne vois-tu pas alors, aux rayons de la lune, Plier comme autrefois un beau corps dans tes bras, Et si dans le sentier tu trouvais la Fortune, Derrière elle, en chantant, ne marcherais-tu pas ? De quoi te plains-tu donc ? L'immortelle espérance S'est retrempée en toi sous la main du malheur. Pourquoi veux-tu haïr ta jeune expérience, Et détester un mal qui t'a rendu meilleur ? Ô mon enfant ! plains-la, cette belle infidèle, Qui fit couler jadis les larmes de tes yeux ; Plains-la ! c'est une femme, et Dieu t'a fait, près d'elle, Deviner, en souffrant, le secret des heureux. Sa tâche fut pénible ; elle t'aimait peut-être ; Mais le destin voulait qu'elle brisât ton coeur. Elle savait la vie, et te l'a fait connaître ; Une autre a recueilli le fruit de ta douleur. Plains-la ! son triste amour a passé comme un songe ; Elle a vu ta blessure et n'a pu la fermer. Dans ses larmes, crois-moi, tout n'était pas mensonge. Quand tout l'aurait été, plains-la ! tu sais aimer. Le poète Tu dis vrai : la haine est impie, Et c'est un frisson plein d'horreur Quand cette vipère assoupie Se déroule dans notre coeur. Écoute-moi donc, ô déesse ! Et sois témoin de mon serment : Par les yeux bleus de ma maîtresse, Et par l'azur du firmament ; Par cette étincelle brillante Qui de Vénus porte le nom, Et, comme une perle tremblante, Scintille au loin sur l'horizon ; Par la grandeur de la nature, Par la bonté du Créateur, Par la clarté tranquille et pure De l'astre cher au voyageur. Par les herbes de la prairie, Par les forêts, par les prés verts, Par la puissance de la vie, Par la sève de l'univers, Je te bannis de ma mémoire, Reste d'un amour insensé, Mystérieuse et sombre histoire Qui dormiras dans le passé ! Et toi qui, jadis, d'une amie Portas la forme et le doux nom, L'instant suprême où je t'oublie Doit être celui du pardon. Pardonnons-nous ; - je romps le charme Qui nous unissait devant Dieu. Avec une dernière larme Reçois un éternel adieu. - Et maintenant, blonde rêveuse, Maintenant, Muse, à nos amours ! Dis-moi quelque chanson joyeuse, Comme au premier temps des beaux jours. Déjà la pelouse embaumée Sent les approches du matin ; Viens éveiller ma bien-aimée, Et cueillir les fleurs du jardin. Viens voir la nature immortelle Sortir des voiles du sommeil ; Nous allons renaître avec elle Au premier rayon du soleil !
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Quand en songeant ma folâtre j'acolle
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Quand en songeant ma folâtre j'acolle Titre : Quand en songeant ma folâtre j'acolle Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Amours diverses (1578). Quand en songeant ma folâtre j'acolle, Laissant mes flancs sur les siens s'allonger, Et que, d'un branle habilement léger, En sa moitié ma moitié je recolle ! Amour, adonc si follement m'affole, Qu'un tel abus je ne voudroi changer, Non au butin d'un rivage étranger, Non au sablon qui jaunoie en Pactole. Mon dieu, quel heur, et quel consentement, M'a fait sentir ce faux recollement, Changeant ma vie en cent métamorphoses ! Combien de fois, doucement irrité, Suis-je ore mort, ore ressuscité, Entre cent lis et cent merveilles roses !
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Bounaberdi
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Bounaberdi Titre : Bounaberdi Poète : Victor Hugo (1802-1885) Souvent Bounaberdi, sultan des francs d'Europe, Que comme un noir manteau le semoun enveloppe, Monte, géant lui-même, au front d'un mont géant, D'où son regard, errant sur le sable et sur l'onde, Embrasse d'un coup d'œil les deux moitiés du monde Gisantes à ses pieds dans l'abîme béant. Il est seul et debout sur ce sublime faîte. À sa droite couché, le désert qui le fête D'un nuage de poudre importune ses yeux ; À sa gauche la mer, dont jadis il fut l'hôte, Elève jusqu'à lui sa voix profonde et haute, Comme aux pieds de son maître aboie un chien joyeux. Et le vieil empereur, que tout à tour réveille Ce nuage à ses yeux, ce bruit à son oreille, Rêve, et, comme à l'amante on voit songer l'amant, Croit que c'est une armée, invisible et sans nombre, Qui fait cette poussière et ce bruit pour son ombre, Et sous l'horizon gris passe éternellement ! Prière. Oh ! quand tu reviendras rêver sur la montagne, Bounaberdi ! regarde un peu dans la campagne Ma tente qui blanchit dans les sables grondants ; Car je suis libre et pauvre, un arabe du Caire, Et quand j'ai dit : Allah ! mon bon cheval de guerre Vole, et sous sa paupière a deux charbons ardents ! Novembre 1828.
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La gloire
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : La gloire Titre : La gloire Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) (À un poète exilé) Généreux favoris des filles de mémoire, Deux sentiers différents devant vous vont s'ouvrir : L'un conduit au bonheur, l'autre mène à la gloire ; Mortels, il faut choisir. Ton sort, ô Manoel, suivit la loi commune ; La muse t'enivra de précoces faveurs ; Tes jours furent tissus de gloire et d'infortune, Et tu verses des pleurs ! Rougis plutôt, rougis d'envier au vulgaire Le stérile repos dont son coeur est jaloux Les dieux ont fait pour lui tous les biens de la terre, Mais la lyre est à nous. Les siècles sont à toi, le monde est ta patrie. Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels Où le juste avenir prépare à ton génie Des honneurs immortels. Ainsi l'aigle superbe au séjour du tonnerre S'élance ; et, soutenant son vol audacieux, Semble dire aux mortels : je suis né sur la terre, Mais je vis dans les cieux. Oui, la gloire t'attend ; mais arrête, et contemple A quel prix on pénètre en ses parvis sacrés ; Vois : l'infortune, assise à la porte du temple, En garde les degrés. Ici, c'est ce vieillard que l'ingrate Ionie A vu de mers en mers promener ses malheurs : Aveugle, il mendiait au prix de son génie Un pain mouillé de pleurs. Là, le Tasse, brûlé d'une flamme fatale, Expiant dans les fers sa gloire et son amour, Quand il va recueillir la palme triomphale, Descend au noir séjour. Partout des malheureux, des proscrits, des victimes, Luttant contre le sort ou contre les bourreaux ; On dirait que le ciel aux coeurs plus magnanimes Mesure plus de maux. Impose donc silence aux plaintes de ta lyre, Des coeurs nés sans vertu l'infortune est l'écueil ; Mais toi, roi détrôné, que ton malheur t'inspire Un généreux orgueil ! Que t'importe après tout que cet ordre barbare T'enchaîne loin des bords qui furent ton berceau ? Que t'importe en quels lieux le destin te prépare Un glorieux tombeau ? Ni l'exil, ni les fers de ces tyrans du Tage N'enchaîneront ta gloire aux bords où tu mourras : Lisbonne la réclame, et voilà l'héritage Que tu lui laisseras ! Ceux qui l'ont méconnu pleureront le grand homme ; Athène à des proscrits ouvre son Panthéon ; Coriolan expire, et les enfants de Rome Revendiquent son nom. Aux rivages des morts avant que de descendre, Ovide lève au ciel ses suppliantes mains : Aux Sarmates grossiers il a légué sa cendre, Et sa gloire aux Romains.
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Ballade en l'honneur de Louise Michel
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ballade en l'honneur de Louise Michel Titre : Ballade en l'honneur de Louise Michel Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Madame et Pauline Roland, Charlotte, Théroigne, Lucile, Presque Jeanne d'Arc, étoilant Le front de la foule imbécile, Nom des cieux, cœur divin qu'exile Cette espèce de moins que rien France bourgeoise au dos facile, Louise Michel est très bien. Elle aime le Pauvre âpre et franc Ou timide, elle est la faucille Dans le blé mûr pour le pain blanc Du Pauvre, et la sainte Cécile Et la Muse rauque et gracile Du Pauvre et son ange gardien À ce simple, à cet indocile. Louise Michel est très bien. Gouvernements de maltalent, Mégathérium ou bacille, Soldat brut, robin insolent, Ou quelque compromis fragile, Géant de boue aux pieds d'argile, Tout cela son courroux chrétien L'écrase d'un mépris agile. Louise Michel est très bien. ENVOI Citoyenne ! votre évangile On meurt pour ! c'est l'Honneur ! et bien Loin des Taxil et des Bazile, Louise Michel est très bien.
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Je me fais paysan comme eux
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Je me fais paysan comme eux Titre : Je me fais paysan comme eux Poète : Victor Hugo (1802-1885) Je me fais paysan comme eux. Cela te fâche ? Non. Le cercle où chacun se courbe sur sa tâche, L'homme tissant la paille et la femme le fil, Où le travail fait grave et doux chaque profil, Le soir, près du foyer aux lueurs assoupies, A l'heure où l'on n'entend que le vol noir des pies, Et de rares sabots courant dans les sentiers, Les mains sur les genoux, j'écoute volontiers Le racontage vrai des amours de village : Comme Pierre et Toinon s'adoraient avant l'âge Comme Anne était hardie à douze ans, d'envier Sa soeur Marthe embrassant maître Yvon le bouvier ; Récit réel d'où sort une odeur de feuillées, Et qui, soudain, au souffle effaré des veillées, S'envole, comme au vent la bulle de savon Nuance d'arc-en-ciel, Marthe embrassant Yvon, Perd toute forme humaine, enfle, et se dégingande, En conte où Puck badine avec la fée Urgande.
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Les fleurs
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Les fleurs Titre : Les fleurs Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Ô terre, vil monceau de boue Où germent d'épineuses fleurs, Rendons grâce à Dieu, qui secoue Sur ton sein ses fraîches couleurs ! Sans ces urnes où goutte à goutte Le ciel rend la force à nos pas, Tout serait désert, et la route Au ciel ne s'achèverait pas. Nous dirions : — À quoi bon poursuivre Ce sentier qui mène au cercueil ? Puisqu'on se lasse en vain à vivre, Mieux vaut s'arrêter sur le seuil. — Mais pour nous cacher les distances, Sur le chemin de nos douleurs Tu sèmes le sol d'espérances, Comme on borde un linceul de fleurs ! Et toi, mon cœur, cœur triste et tendre, Où chantaient de si fraîches voix ; Toi qui n'es plus qu'un bloc de cendre Couvert de charbons noirs et froids, Ah ! laisse refleurir encore Ces lueurs d'arrière-saison ! Le soir d'été qui s'évapore Laisse une pourpre à l'horizon. Oui, meurs en brûlant, ô mon âme, Sur ton bûcher d'illusions, Comme l'astre éteignant sa flamme S'ensevelit dans ses rayons !
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Le coucher du soleil romantique
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le coucher du soleil romantique Titre : Le coucher du soleil romantique Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les épaves (1866). Sonnet. Que le soleil est beau quand tout frais il se lève, Comme une explosion nous lançant son bonjour ! - Bienheureux celui-là qui peut avec amour Saluer son coucher plus glorieux qu'un rêve ! Je me souviens ! J'ai vu tout, fleur, source, sillon, Se pâmer sous son oeil comme un coeur qui palpite... - Courons vers l'horizon, il est tard, courons vite, Pour attraper au moins un oblique rayon ! Mais je poursuis en vain le Dieu qui se retire ; L'irrésistible Nuit établit son empire, Noire, humide, funeste et pleine de frissons ; Une odeur de tombeau dans les ténèbres nage, Et mon pied peureux froisse, au bord du marécage, Des crapauds imprévus et de froids limaçons.
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Ad majorem dei gloriam
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ad majorem dei gloriam Titre : Ad majorem dei gloriam Poète : Victor Hugo (1802-1885) « Vraiment, notre siècle est étrangement délicat. S'imagine-t-il donc que la cendre des bûchers soit totalement éteinte ? qu'il n'en soit pas resté le plus petit tison pour allumer une seule torche ? Les insensés ! en nous appelant jésuites, ils croient nous couvrir d'opprobre ! Mais ces jésuites leur réservent la censure, un bâillon et du feu... Et, un jour, ils seront les maîtres de leurs maîtres... » (Le Père ROOTHAAN, général des Jésuites, à la conférence de CHIÉRI.) Ils ont dit : « Nous serons les vainqueurs et les maîtres. Soldats par la tactique et par la robe prêtres, Nous détruirons progrès, lois, vertus, droits, talents. Nous nous ferons un fort avec tous ces décombres, Et pour nous y garder, comme des dogues sombres, Nous démusèlerons les préjugés hurlants. « Oui, l'échafaud est bon ; la guerre est nécessaire ; Acceptez l'ignorance, acceptez la misère ; L'enfer attend l'orgueil du tribun triomphant ; L'homme parvient à l'ange en passant par la buse. Notre gouvernement fait de force et de ruse Bâillonnera le père, abrutira l'enfant. « Notre parole, hostile au siècle qui s'écoule, Tombera de la chaire en flocons sur la foule Elle refroidira les cœurs irrésolus, Y glacera tout germe utile ou salutaire, Et puis elle y fondra comme la neige à terre, Et qui la cherchera ne la trouvera plus. « Seulement un froid sombre aura saisi les âmes ; Seulement nous aurons tué toutes les flammes Et si quelqu'un leur crie, à ces français d'alors Sauvez la liberté pour qui luttaient vos pères ! Ils riront, ces français sortis de nos repaires, De la liberté morte et de leurs pères morts. « Prêtres, nous écrirons sur un drapeau qui brille — Ordre, Religion, Propriété, Famille. — Et si quelque bandit, corse, juif ou payen, Vient nous aider avec le parjure à la bouche, Le sabre aux dents, la torche au poing, sanglant, farouche Volant et massacrant, nous lui dirons : c'est bien ! « Vainqueurs, fortifiés aux lieux inabordables, Nous vivrons arrogants, vénérés, formidables. Que nous importe au fond Christ, Mahomet, Mithra ! Régner est notre but, notre moyen proscrire. Si jamais ici-bas on entend notre rire, Le fond obscur du cœur de l'homme tremblera. « Nous garrotterons l'âme au fond d'une caverne. Nations, l'idéal du peuple qu'on gouverne, C'est le moine d'Espagne ou le fellah du Nil. À bas l'esprit ! à bas le droit ! vive l'épée ! Qu'est-ce que la pensée ? une chienne échappée. Mettons Jean-Jacques au bagne et Voltaire au chenil. « Si l'esprit se débat, toujours nous l'étouffâmes. Nous parlerons tout bas à l'oreille des femmes. Nous aurons les pontons, l'Afrique, le Spielberg. Les vieux bûchers sont morts, nous les ferons revivre N'y pouvant jeter l'homme, on y jette le livre ; À défaut de Jean Huss, nous brûlons Gutenberg. « Et quant à la raison, qui prétend juger Rome, Flambeau qu'allume Dieu sous le crâne de l'homme, Dont s'éclairait Socrate et qui guidait Jésus, Nous, pareils au voleur qui se glisse et qui rampe, Et commence en entrant par éteindre la lampe, En arrière et furtifs, nous soufflerons dessus. « Alors dans l'âme humaine obscurité profonde. Sur le néant des cœurs le vrai pouvoir se fonde. Tout ce que nous voudrons, nous le ferons sans bruit. Pas un souffle de voix, pas un battement d'aile Ne remuera dans l'ombre, et notre citadelle Sera comme une tour plus noire que la nuit. « Nous régnerons. La tourbe obéit comme l'onde. Nous serons tout-puissants, nous régirons le monde Nous posséderons tout, force, gloire et bonheur ; Et nous ne craindrons rien, n'ayant ni foi ni règles... » — Quand vous habiteriez la montagne des aigles, Je vous arracherais de là, dit le Seigneur ! Le 8 novembre 1852, à Jersey
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Ce jour de Mai qui a la tête peinte
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ce jour de Mai qui a la tête peinte Titre : Ce jour de Mai qui a la tête peinte Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Ce jour de Mai qui a la tête peinte, D'une gaillarde et gentille verdeur, Ne doit passer sans que ma vive ardeur Par votre grâce un peu ne soit éteinte. De votre part, si vous êtes atteinte Autant que moi d'amoureuse langueur, D'un feu pareil soulageons notre coeur, Qui aime bien ne doit point avoir crainte. Le Temps s'enfuit, cependant ce beau jour, Nous doit apprendre à demener l'Amour, Et le pigeon qui sa femelle baise. Baisez-moi donc et faisons tout ainsi Que les oiseaux sans nous donner souci : Après la mort on ne voit rien qui plaise.
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Fonction du poète (I)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fonction du poète (I) Titre : Fonction du poète (I) Poète : Victor Hugo (1802-1885) Pourquoi t'exiler, ô poète, Dans la foule où nous te voyons ? Que sont pour ton âme inquiète Les partis, chaos sans rayons ? Dans leur atmosphère souillée Meurt ta poésie effeuillée : Leur souffle égare ton encens ; Ton cœur, dans leurs luttes serviles, Est comme ces gazons des villes Rongés par les pieds des passants. Dans les brumeuses capitales N'entends-tu pas avec effroi, Comme deux puissances fatales, Se heurter le peuple et le roi ? De ces haines que tout réveille À quoi bon remplir ton oreille, Ô poète, ô maître, ô semeur ? Tout entier au Dieu que tu nommes, Ne te mêle pas à ces hommes Qui vivent dans une rumeur ! Va résonner, âme épurée, Dans le pacifique concert ! Va t'épanouis, fleur sacrée, Sous les larges cieux du désert ! Ô rêveur, cherche les retraites, Les abris, les grottes discrètes, Et l'oubli pour trouver l'amour, Et le silence afin d'entendre La voix d'en haut, sévère et tendre, Et l'ombre afin de voir le jour ! Va dans les bois ! va sur les plages ! Compose tes chants inspirés Avec la chanson des feuillages Et l'hymne des flots azurés ! Dieu t'attend dans les solitudes ; Dieu n'est pas dans les multitudes ; L'homme est petit, ingrat et vain. Dans les champs tout vibre et soupire. La nature est la grande lyre, Le poète est l'archet divin ! Sors de nos tempêtes, ô sage ! Que pour toi l'empire en travail, Qui fait son périlleux passage Sans boussole et sans gouvernail, Soit comme un vaisseau qu'en décembre Le pêcheur, du fond de sa chambre Où pendent ses filets séchés, Entend la nuit passer dans l'ombre Avec un bruit sinistre et sombre De mâts frissonnants et penchés !
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Désir
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Désir Titre : Désir Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Ah ! si j'avais des paroles, Des images, des symboles, Pour peindre ce que je sens ! Si ma langue, embarrassée Pour révéler ma pensée, Pouvait créer des accents ! Loi sainte et mystérieuse ! Une âme mélodieuse Anime tout l'univers ; Chaque être a son harmonie, Chaque étoile son génie, Chaque élément ses concerts. Ils n'ont qu'une voix, mais pure, Forte comme la nature, Sublime comme son Dieu ; Et, quoique toujours la même, Seigneur, cette voix suprême Se fait entendre en tout lieu. Quand les vents sifflent sur l'onde, Quand la mer gémit ou gronde, Quand la foudre retentit, Tout ignorants que nous sommes, Qui de nous, enfants des hommes, Demande ce qu'ils ont dit ? L'un a dit : « Magnificence ! » L'autre : « Immensité ! puissance ! » L'autre : « Terreur et courroux ! » L'un a fui devant sa face, L'autre a dit : « Son ombre passe : Cieux et terre, taisez-vous ! » Mais l'homme, ta créature, Lui qui comprend la nature, Pour parler n'a que des mots, Des mots sans vie et sans aile, De sa pensée immortelle Trop périssables échos ! Son âme est comme l'orage Qui gronde dans le nuage Et qui ne peut éclater, Comme la vague captive Qui bat et blanchit sa rive Et ne peut la surmonter. Elle s'use et se consume Comme un aiglon dont la plume N'aurait pas encor grandi, Dont l'œil aspire à sa sphère, Et qui rampe sur la terre Comme un reptile engourdi. Ah ! ce qu'aux anges j'envie N'est pas l'éternelle vie, Ni leur glorieux destin : C'est la lyre, c'est l'organe Par qui même un cœur profane Peut chanter l'hymne sans fin ! Quelque chose en moi soupire, Aussi doux que le zéphyr Que la nuit laisse exhaler, Aussi sublime que l'onde, Ou que la foudre qui gronde ; Et mon cœur ne peut parler ! Océan, qui sur tes rives Épands tes vagues plaintives, Rameaux murmurants des bois, Foudre dont la nue est pleine, Ruisseaux à la molle haleine, Ah ! si j'avais votre voix ! Si seulement, ô mon âme, Ce Dieu dont l'amour t'enflamme Comme le feu, l'aquilon, Au zèle ardent qui t'embrase Accordait, dans une extase, Un mot pour dire son nom ! Son nom, tel que la nature Sans parole le murmure, Tel que le savent les deux ; Ce nom que J'aurore voile, Et dont l'étoile à l'étoile Est l'écho mélodieux ; Les ouragans, le tonnerre, Les mers, les feux et la terre, Se tairaient pour l'écouter ; Les airs, ravis de l'entendre, S'arrêteraient pour l'apprendre, Les deux pour le répéter. Ce nom seul, redit sans cesse, Soulèverait ma tristesse Dans ce vallon de douleurs ; Et je dirais sans me plaindre : « Mon dernier jour peut s'éteindre, J'ai dit sa gloire, et je meurs ! »
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Marie
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Marie Titre : Marie Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Sonnet. Ainsi, quand la fleur printanière Dans les bois va s'épanouir, Au premier souffle du zéphyr Elle sourit avec mystère ; Et sa tige, fraîche et légère, Sentant son calice s'ouvrir, Jusque dans le sein de la terre Frémit de joie et de désir. Ainsi, quand ma douce Marie Entr'ouvre sa lèvre chérie, Et lève, en chantant, ses yeux bleus, Dans l'harmonie et la lumière Son âme semble tout entière Monter en tremblant vers les cieux.
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Vers sans rimes
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Vers sans rimes Titre : Vers sans rimes Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chair (1896). Le bruit de ton aiguille et celui de ma plume Sont le silence d'or dont on parla d'argent. Ah ! cessons de nous plaindre, insensés que nous fûmes Et travaillons tranquillement au nez des gens ! Quant à souffrir, quant à mourir, c'est nos affaires Ou plutôt celles des tocs tocs et des tic tacs De la pendule en garni dont la voix sévère Voudrait persévérer à nous donner le trac De mourir le premier ou le dernier. Qu'importe, Si l'on doit, ô mon Dieu, se revoir à jamais ? Qu'importe la pendule et notre vie, ô Mort, Ce n'est plus nous que l'ennui de tant vivre effraye !
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Guitare
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Guitare Titre : Guitare Poète : Victor Hugo (1802-1885) GASTIBELZA, l'homme à la carabine, Chantait ainsi : « Quelqu'un a-t-il connu doña Sabine ? Quelqu'un d'ici ? Dansez, chantez, villageois ! la nuit gagne Le mont Falù (*). – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou ! « Quelqu'un de vous a-t-il connu Sabine, Ma señora ? Sa mère était la vieille maugrabine D'Antequera, Qui chaque nuit criait dans la Tour-Magne Comme un hibou... – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou ! « Dansez, chantez ! Des biens que l'heure envoie Il faut user. Elle était jeune et son œil plein de joie Faisait penser. – A ce vieillard qu'un enfant accompagne Jetez un sou ! ... – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. « Vraiment, la reine eût près d'elle été laide Quand, vers le soir, Elle passait sur le pont de Tolède En corset noir. Un chapelet du temps de Charlemagne Ornait son cou... – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. « Le roi disait en la voyant si belle A son neveu : – Pour un baiser, pour un sourire d'elle, Pour un cheveu, Infant don Ruy, je donnerais l'Espagne Et le Pérou ! – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. « Je ne sais pas si j'aimais cette dame, Mais je sais bien Que pour avoir un regard de son âme, Moi, pauvre chien, J'aurais gaîment passé dix ans au bagne Sous le verrou... – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. « Un jour d'été que tout était lumière, Vie et douceur, Elle s'en vint jouer dans la rivière Avec sa sœur, Je vis le pied de sa jeune compagne Et son genou... – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. « Quand je voyais cette enfant, moi le pâtre De ce canton, Je croyais voir la belle Cléopâtre, Qui, nous dit-on, Menait César, empereur d'Allemagne, Par le licou... – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. « Dansez, chantez, villageois, la nuit tombe ! Sabine, un jour, A tout vendu, sa beauté de colombe, Et son amour, Pour l'anneau d'or du comte de Saldagne, Pour un bijou... – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. « Sur ce vieux banc souffrez que je m'appuie, Car je suis las. Avec ce comte elle s'est donc enfuie ! Enfuie, hélas ! Par le chemin qui va vers la Cerdagne, Je ne sais où... – Le vent qui vient à travers la montagne Me rendra fou. « Je la voyais passer de ma demeure, Et c'était tout. Mais à présent je m'ennuie à toute heure, Plein de dégoût, Rêveur oisif, l'âme dans la campagne, La dague au clou... – Le vent qui vient à travers la montagne M'a rendu fou ! » Le 14 mars 1837. * Le mont Falù : Prononcer mont Falou.
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L'heure du berger
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'heure du berger Titre : L'heure du berger Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). La lune est rouge au brumeux horizon ; Dans un brouillard qui danse, la prairie S'endort fumeuse, et la grenouille crie Par les joncs verts où circule un frisson ; Les fleurs des eaux referment leurs corolles ; Des peupliers profilent aux lointains, Droits et serrés, leur spectres incertains ; Vers les buissons errent les lucioles ; Les chats-huants s'éveillent, et sans bruit Rament l'air noir avec leurs ailes lourdes, Et le zénith s'emplit de lueurs sourdes. Blanche, Vénus émerge, et c'est la Nuit.
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Initium
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Initium Titre : Initium Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Les violons mêlaient leur rire au chant des flûtes, Et le bal tournoyait quand je la vis passer Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes De son oreille où mon Désir comme un baiser S'élançait et voulait lui parler sans oser. Cependant elle allait, et la mazurque lente La portait dans son rythme indolent comme un vers, — Rime mélodieuse, image étincelante, — Et son âme d'enfant rayonnait à travers La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts. Et depuis, ma Pensée — immobile — contemple Sa Splendeur évoquée, en adoration, Et, dans son Souvenir, ainsi que dans un temple, Mon Amour entre, plein de superstition. Et je crois que voici venir la Passion.
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Par un mauvais temps
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Par un mauvais temps Titre : Par un mauvais temps Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Elle a mis, depuis que je l'aime (Bien longtemps, peut-être toujours), Bien des robes, jamais la même ; Palmire a dû compter les jours. Mais, quand vous êtes revenue, Votre bras léger sur le mien, Il faisait, dans cette avenue, Un froid de loup, un temps de chien. Vous m'aimiez un peu, mon bel ange, Et, tandis que vous bavardiez, Dans cette pluie et cette fange Se mouillaient vos chers petits pieds. Songeait-elle, ta jambe fine, Quand tu parlais de nos amours, Qu'elle allait porter sous l'hermine Le satin, l'or et le velours ? Si jamais mon coeur désavoue Ce qu'il sentit en ce moment, Puisse à mon front sauter la boue Où tu marchais si bravement !
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En plein midi
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : En plein midi Titre : En plein midi Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Dernière Gerbe (Posthume, 1902). En plein midi, quand l'astre est à plomb sur nos têtes, On se sent la sueur, tiède, perler au front ; Les heures, groupe las, ne dansent plus en rond ; Tout fait la sieste ; on veut la grotte, on cherche l'arbre ; La fleur se penche et dort ; et les nymphes de marbre Elles-mêmes ont chaud dans les parcs assombris Quand l'ombre de leurs seins descend vers leurs nombrils.
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Au cabaret-vert
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Au cabaret-vert Titre : Au cabaret-vert Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi. - Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines De beurre et du jambon qui fût à moitié froid. Bienheureux, j'allongeai les jambes sous la table Verte : je contemplai les sujets très naïfs De la tapisserie. - Et ce fut adorable, Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs, - Celle-là, ce n'est pas un baiser qui l'épeure ! - Rieuse, m'apporta des tartines de beurre, Du jambon tiède, dans un plat colorié, Du jambon rose et blanc parfumé d'une gousse D'ail, - et m'emplit la chope immense, avec sa mousse Que dorait un rayon de soleil arriéré.
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Sur la naissance du comte de Paris
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Sur la naissance du comte de Paris Titre : Sur la naissance du comte de Paris Poète : Alfred de Musset (1810-1857) De tant de jours de deuil, de crainte et d'espérance, De tant d'efforts perdus, de tant de maux soufferts, En es-tu lasse enfin, pauvre terre de France, Et de tes vieux enfants l'éternelle inconstance Laissera-telle un jour le calme à l'univers ? Comprends-tu tes destins et sais-tu ton histoire ? Depuis un demi-siècle as-tu compté tes pas ? Est-ce assez de grandeur, de misère et de gloire, Et, sinon par pitié, pour ta propre mémoire, Par fatigue du moins t'arrêteras-tu pas ? Ne te souvient-il plus de ces temps d'épouvante Où de quatre-vingt-neuf résonna le tocsin ? N'était-ce pas hier, et la source sanglante Où Paris baptisa sa liberté naissante, La sens-tu pas encor qui coule de ton sein ? A-t-il rassasié ta fierté vagabonde, A-t-il pour les combats assouvi ton penchant, Cet homme audacieux qui traversa le monde, Pareil au laboureur qui traverse son champ, Armé du soc de fer qui déchire et féconde ? S'il te fallait alors des spectacles guerriers, Est-ce assez d'avoir vu l'Europe dévastée, De Memphis à Moscou la terre disputée, Et l'étranger deux fois assis à nos foyers, Secouant de ses pieds la neige ensanglantée ? S'il te faut aujourd'hui des éléments nouveaux, En est-ce assez pour toi d'avoir mis en lambeaux Tout ce qui porte un nom, gloire, philosophie, Religion, amour, liberté, tyrannie, D'avoir fouillé partout, jusque dans les tombeaux ? En est-ce assez pour toi des vaines théories, Sophismes monstrueux dont on nous a bercés, Spectres républicains sortis des temps passés, Abus de tous les droits, honteuses rêveries D'assassins en délire ou d'enfants insensés ? En est-ce assez pour toi d'avoir, en cinquante ans, Vu tomber Robespierre et passer Bonaparte, Charles dix pour l'exil partir en cheveux blancs, D'avoir imité Londres, Athènes, Rome et Sparte ; Et d'être enfin Français n'est-il pas bientôt temps ? Si ce n'est pas assez, prends ton glaive et ta lance. Réveille tes soldats, dresse tes échafauds ; En guerre ! et que demain le siècle recommence, Afin qu'un jour du moins le meurtre et la licence Repus de notre sang, nous laissent le repos ! Mais, si Dieu n'a pas fait la souffrance inutile, Si des maux d'ici-bas quelque bien peut venir, Si l'orage apaisé rend le ciel plus tranquille, S'il est vrai qu'en tombant sur un terrain fertile Les larmes du passé fécondent l'avenir ; Sache donc profiter de ton expérience, Toi qu'une jeune reine, en ses touchants adieux, Appelait autrefois plaisant pays de France ! Connais-toi donc toi-même, ose donc être heureux, Ose donc franchement bénir la Providence ! Laisse dire à qui veut que ton grand cœur s'abat, Que la paix t'affaiblit, que tes forces s'épuisent : Ceux qui le croient le moins sont ceux qui te le disent. Ils te savent debout, ferme, et prête au combat ; Et, ne pouvant briser ta force, ils la divisent. Laisse-les s'agiter, ces gens à passion, De nos vieux harangueurs modernes parodies ; Laisse-les étaler leurs froides comédies, Et, les deux bras croisés, te prêcher l'action. Leur seule vérité, c'est leur ambition. Que t'importent des mots, des phrases ajustées ? As-tu vendu ton blé, ton bétail et ton vin ? Es-tu libre ? Les lois sont-elles respectées ? Crains-tu de voir ton champ pillé par le voisin ? Le maître a-t-il son toit, et l'ouvrier son pain ? Si nous avons cela, le reste est peu de chose. Il en faut plus pourtant ; à travers nos remparts, De l'univers jaloux pénètrent les regards. Paris remplit le monde, et, lorsqu'il se repose, Pour que sa gloire veille, il a besoin des arts. Où les vit-on fleurir mieux qu'au siècle où nous sommes ? Quand vit-on au travail plus de mains s'exercer ? Quand fûmes-nous jamais plus libres de penser ? On veut nier en vain les choses et les hommes : Nous aurons à nos fils une page à laisser. Le bruit de nos canons retentit aujourd'hui ; Que l'Europe l'écoute, elle doit le connaître ! France, au milieu de nous un enfant vient de naître, Et, si ma faible voix se fait entendre ici, C'est devant son berceau que je te parle ainsi. Son courageux aïeul est ce roi populaire Qu'on voit depuis huit ans, sans crainte et sans colère, En pilote hardi nous montrer le chemin. Son père est près du trône, une épée à la main ; Tous les infortunés savent quelle est sa mère. Ce n'est qu'un fils de plus que le ciel t'a donné, France, ouvre-lui tes bras sans peur, sans flatterie ; Soulève doucement ta mamelle meurtrie, Et verse en souriant, vieille mère patrie, Une goutte de lait à l'enfant nouveau-né.
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Stances
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Stances Titre : Stances Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Et j'ai dit dans mon coeur : Que faire de la vie ? Irai-je encor, suivant ceux qui m'ont devancé, Comme l'agneau qui passe où sa mère a passé, Imiter des mortels l'immortelle folie ? L'un cherche sur les mers les trésors de Memnom, Et la vague engloutit ses voeux et son navire ; Dans le sein de la gloire où son génie aspire, L'autre meurt enivré par l'écho d'un vain nom. Avec nos passions formant sa vaste trame, Celui-là fonde un trône, et monte pour tomber ; Dans des pièges plus doux aimant à succomber, Celui-ci lit son sort dans les yeux d'une femme. Le paresseux s'endort dans les bras de la faim ; Le laboureur conduit sa fertile charrue ; Le savant pense et lit, le guerrier frappe et tue ; Le mendiant s'assied sur les bords du chemin. Où vont-ils cependant ? Ils vont où va la feuille Que chasse devant lui le souffle des hivers. Ainsi vont se flétrir dans leurs travaux divers Ces générations que le temps sème et cueille ! Ils luttaient contre lui, mais le temps a vaincu ; Comme un fleuve engloutit le sable de ses rives, Je l'ai vu dévorer leurs ombres fugitives. Ils sont nés, ils sont morts : Seigneur, ont-ils vécu ? Pour moi, je chanterai le maître que j'adore, Dans le bruit des cités, dans la paix des déserts, Couché sur le rivage, ou flottant sur les mers, Au déclin du soleil, au réveil de l'aurore. La terre m'a crié : Qui donc est le Seigneur ? Celui dont l'âme immense est partout répandue, Celui dont un seul pas mesure l'étendue, Celui dont le soleil emprunte sa splendeur ; Celui qui du néant a tiré la matière, Celui qui sur le vide a fondé l'univers, Celui qui sans rivage a renfermé les mers, Celui qui d'un regard a lancé la lumière ; Celui qui ne connaît ni jour ni lendemain, Celui qui de tout temps de soi-même s'enfante, Qui vit dans l'avenir comme à l'heure présente, Et rappelle les temps échappés de sa main : C'est lui ! c'est le Seigneur : que ma langue redise Les cent noms de sa gloire aux enfants des mortels. Comme la harpe d'or pendue à ses autels, Je chanterai pour lui, jusqu'à ce qu'il me brise...
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Chanson (I)
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Chanson (I) Titre : Chanson (I) Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Chanson IV. Plus étroit que la vigne à l'Ormeau se marie, De bras souplement forts, Du lien de tes mains, maîtresse, je te prie, Enlace-moi le corps. Et feignant de dormir, d'une mignarde face Sur mon front penche-toi ; Inspire, en me baisant, ton haleine et ta grâce Et ton cœur dedans moi. Puis appuyant ton sein sur le mien qui se pâme, Pour mon mal apaiser, Serre plus fort mon col, et me redonne l'âme Par l'esprit d'un baiser. Si tu me fais ce bien, par tes yeux je te jure, Serment qui m'est si cher, Que de tes bras aimez jamais autre aventure Ne pourra m'arracher. Mais souffrant doucement le joug de ton Empire, Tant soit-il rigoureux, Dans les champs Élysez un même navire Nous passera tous deux. Là, morts de trop aimer, sous les branches Myrtilles Nous verrons tous les jours Les anciens Héros auprès des Héroïnes Ne parler que d'amours. Tantôt nous danserons par les fleurs des rivages Sous maints accords divers, Tantôt lassés du bal irons sous les ombrages Des Lauriers toujours verts ; Où le mollet Zéphyr en haletant secoue De soupirs printaniers Ores les Orangers, ores mignard se joue Entre les Citronniers. Là du plaisant Avril la saison immortelle Sans échange le suit : La terre, sans labeur, de sa grasse mamelle, Toute chose y produit. D'en bas la troupe sainte autrefois amoureuse, Nous honorant sur tous, Viendra nous saluer, s'estimant bienheureuse De s'accointer (1) de nous. Puis nous faisant asseoir dessus l'herbe fleurie, De toutes au milieu, Nulle, en se retirant, ne sera point marrie De nous quitter son lieu ; Non celle (2) qu'un Taureau sous une peau menteuse Emporta par la mer ; Non celle (3) qu'Apollon vu, vierge dépiteuse, En Laurier se former ; Ni celles qui s'en vont toutes tristes ensemble, Artemise et Didon ; Ni cette belle Grecque, à qui ta beauté semble Comme tu fais de nom. 1. S'accointer : S'approcher, se lier. 2. Europe. 3. Daphné.
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pierre-de-ronsard-poeme-chanson-I
À la manière de Paul Verlaine
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À la manière de Paul Verlaine Titre : À la manière de Paul Verlaine Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). C'est à cause du clair de la lune Que j'assume ce masque nocturne Et de Saturne penchant son urne Et de ces lunes l'une après l'une. Des romances sans paroles ont, D'un accord discord ensemble et frais, Agacé ce coeur fadasse exprès, Ô le son, le frisson qu'elles ont ! Il n'est pas que vous n'ayez fait grâce A quelqu'un qui vous jetait l'offense : Or, moi, je pardonne à mon enfance Revenant fardée et non sans grâce. Je pardonne à ce mensonge-là En faveur en somme du plaisir Très banal drôlement qu'un loisir Douloureux un peu m'inocula.
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Ils me disent que tu me trompes
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ils me disent que tu me trompes Titre : Ils me disent que tu me trompes Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Ils me disent que tu me trompes. D'abord, qu'est-ce que ça leur fait ? Chère frivole, que tu rompes Un serment que tu n'as pas fait ? Ils me disent que t'es méchante Envers moi, — moi, qui suis si bon ! Toi méchante ! Qu'un autre chante Ce refrain très loin d'être bon Méchante, toi qui toujours m'offres Un sourire amusant toujours, Toi, ma reine, qui de tes coffres Me puise des trésors toujours. Ils me disent et croient bien dire, Ô toi que tu ne m'aimes pas ? Que m'importe, j'ai ton sourire, Et puis tu ne m'aimerais pas ? Tu ne m'aimes ? Et la grâce Et la force de ta beauté. Tu me les donnes, grande et grasse Et voluptueuse beauté. Tu ne m'aimes pas? Et quand même Ce serait vrai, qu'est-ce que fait ? « Si tu ne m'aimes pas, je t'aime. » — Mais tu m'aimes, dis, par le fait.
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Il pleure dans mon coeur
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Il pleure dans mon coeur Titre : Il pleure dans mon coeur Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ? Ô bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits ! Pour un cœur qui s'ennuie, Ô le chant de la pluie ! Il pleure sans raison Dans ce cœur qui s'écœure. Quoi ! nulle trahison ?... Ce deuil est sans raison. C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi Sans amour et sans haine Mon cœur a tant de peine !
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Je ne suis plus de ces esprits philosophiques
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je ne suis plus de ces esprits philosophiques Titre : Je ne suis plus de ces esprits philosophiques Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Je ne suis plus de ces esprits philosophiques, Et ce n'est pas de morale que tu te piques Deux admirables conditions pour l'amour Tel que nous l'entendrons, c'est-à-dire sans tour Aucun de bête convenance ou de limites, Mais chaud, rieur — et zut à tous us hypocrites ! Aimons gaîment Et franchement. J'ai reconnu que la vertu, quand s'agit d'Elles, Est duperie et que la plupart d'elles ont Raison de s'en passer, nous prenant pour modèles : Si bien qu'il est très bien de faire comme font Les bonnes bêtes de la terre et les célestes, N'est-ce pas ? prompts moineaux, n'est-ce pas, les cerfs prestes. Aimons bien fort Jusqu'à la mort. Pratique mon bon conseil et reste amusante. S'il se peut, sois-le plus encore et représente Toi bien que c'est ta loi d'être pour nous charmer Et la fleur n'est pas plus faite pour se fermer Que vos cœurs et vos sens, ô nos belles amies... Tête en l'air, sens au clair, vos « pudeurs » endormies, Aimons dûment Et verdement.
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L'incroyable, l'unique horreur de pardonner
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'incroyable, l'unique horreur de pardonner Titre : L'incroyable, l'unique horreur de pardonner Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). L'incroyable, l'unique horreur de pardonner, Quand l'offense et le tort ont eu cette envergure, Est un royal effort qui peut faire figure Pour le souci de plaire et le soin d'étonner : L'orgueil, qu'il faut, se doit prévaloir sans scrupule Et s'endormir pur, fort des péchés expiés, Doux, le front dans les cieux reconquis, et les pieds Sur cette humanité toute honte et crapule Ou plutôt et surtout, gloire à Dieu qui voulut Au cœur qu'un rien émeut, tel sous des doigts un luth, Faire un peu de repos dans l'entier sacrifice. Paix à ce cœur enfin de bonne volonté Qui ne veut battre plus que vers la Charité, Et que votre plaisir, ô Jésus, s'assouvisse.
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Hymne
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Hymne Titre : Hymne Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). À la très chère, à la très belle Qui remplit mon coeur de clarté, À l'ange, à l'idole immortelle, Salut en l'immortalité ! Elle se répand dans ma vie Comme un air imprégné de sel, Et dans mon âme inassouvie Verse le goût de l'éternel. Sachet toujours frais qui parfume L'atmosphère d'un cher réduit, Encensoir oublié qui fume En secret à travers la nuit, Comment, amour incorruptible, T'exprimer avec vérité ? Grain de musc qui gis, invisible, Au fond de mon éternité ! À la très bonne, à la très belle Qui fait ma joie et ma santé, À l'ange, à l'idole immortelle, Salut en l'immortalité !
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Noël
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Noël Titre : Noël Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852). Le ciel est noir, la terre est blanche ; - Cloches, carillonnez gaîment ! - Jésus est né ; - la Vierge penche Sur lui son visage charmant. Pas de courtines festonnées Pour préserver l'enfant du froid ; Rien que les toiles d'araignées Qui pendent des poutres du toit. Il tremble sur la paille fraîche, Ce cher petit enfant Jésus, Et pour l'échauffer dans sa crèche L'âne et le boeuf soufflent dessus. La neige au chaume coud ses franges, Mais sur le toit s'ouvre le ciel Et, tout en blanc, le choeur des anges Chante aux bergers : " Noël ! Noël ! "
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Pensée de minuit
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Pensée de minuit Titre : Pensée de minuit Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Une minute encore, madame, et cette année, Commencée avec vous, avec vous terminée, Ne sera plus qu'un souvenir. Minuit ! Voilà son glas que la pendule sonne, Elle s'en est allée en un lieu d'où personne Ne peut la faire revenir. Quelque part, loin, bien loin, par-delà les étoiles, Dans un pays sans nom, ombreux et plein de voiles, Sur le bord du néant jeté ; Limbes de l'impalpable, invisible royaume Où va ce qui n'a pas de corps ni de fantôme, Ce qui n'est rien, ayant été ; Où va le son, où va le souffle ; où va la flamme, La vision qu'en rêve on perçoit avec l'âme, L'amour de notre cœur chassé ; La pensée inconnue éclose en notre tête ; L'ombre qu'en s'y mirant dans la glace on projette ; Le présent qui se fait passé ; Un acompte d'un an pris sur les ans qu'à vivre Dieu veut bien nous prêter ; une feuille du livre Tournée avec le doigt du temps ; Une scène nouvelle à rajouter au drame, Un chapitre de plus au roman dont la trame S'embrouille d'instants en instants ; Un autre pas de fait dans cette route morne De la vie et du temps, dont la dernière borne, Proche ou lointaine, est un tombeau ; Où l'on ne peut poser le pied qu'il ne s'enfonce, Où de votre bonheur toujours à chaque ronce Derrière vous reste un lambeau. Du haut de cette année avec labeur gravie, Me tournant vers ce moi qui n'est plus dans ma vie Qu'un souvenir presque effacé, Avant qu'il ne se plonge au sein de l'ombre noire, Je contemple un moment, des yeux de la mémoire, Le vaste horizon du passé. Ainsi le voyageur, du haut de la colline, Avant que tout à fait le versant qui s'incline Ne les dérobe à son regard, Jette un dernier coup d'œil sur les campagnes bleues Qu'il vient de parcourir, comptant combien de lieues Il a fait depuis son départ. Mes ans évanouis à mes pieds se déploient Comme une plaine obscure où quelques points chatoient D'un rayon de soleil frappés : Sur les plans éloignés qu'un brouillard d'oubli cache, Une époque, un détail nettement se détache Et revit à mes yeux trompés. Ce qui fut moi jadis m'apparaît : silhouette Qui ne ressemble plus au moi qu'elle répète ; Portrait sans modèle aujourd'hui ; Spectre dont le cadavre est vivant ; ombre morte Que le passé ravit au présent qu'il emporte ; Reflet dont le corps s'est enfui. J'hésite en me voyant devant moi reparaître, Hélas ! Et j'ai souvent peine à me reconnaître Sous ma figure d'autrefois, Comme un homme qu'on met tout à coup en présence De quelque ancien ami dont l'âge et dont l'absence Ont changé les traits et la voix. Tant de choses depuis, par cette pauvre tête, Ont passé ! Dans cette âme et ce cœur de poète, Comme dans l'aire des aiglons, Tant d'œuvres que couva l'aile de ma pensée Se débattent, heurtant leur coquille brisée Avec leurs ongles déjà longs ! Je ne suis plus le même : âme et corps, tout diffère, Hors le nom, rien de moi n'est resté ; mais qu'y faire ? Marcher en avant, oublier. On ne peut sur le temps reprendre une minute, Ni faire remonter un grain après sa chute Au fond du fatal sablier. La tête de l'enfant n'est plus dans cette tête Maigre, décolorée, ainsi que me l'ont faite L'étude austère et les soucis. Vous n'en trouveriez rien sur ce front qui médite Et dont quelque tourmente intérieure agite Comme deux serpents les sourcils. Ma joue était sans plis, toute rose, et ma lèvre Aux coins toujours arqués riait ; jamais la fièvre N'en avait noirci le corail. Mes yeux, vierges de pleurs, avaient des étincelles Qu'ils n'ont plus maintenant, et leurs claires prunelles Doublaient le ciel dans leur émail. Mon cœur avait mon âge, il ignorait la vie, Aucune illusion, amèrement ravie, Jeune, ne l'avait rendu vieux ; Il s'épanouissait à toute chose belle, Et dans cette existence encore pour lui nouvelle, Le mal était bien, le bien, mieux. Ma poésie, enfant à la grâce ingénue, Les cheveux dénoués, sans corset, jambe nue, Un brin de folle avoine en main, Avec son collier fait de perles de rosée, Sa robe prismatique au soleil irisée, Allait chantant par le chemin. Et puis l'âge est venu qui donne la science : J'ai lu Werther, René, son frère d'alliance, Ces livres, vrais poisons du cœur, Qui déflorent la vie et nous dégoûtent d'elle, Dont chaque mot vous porte une atteinte mortelle ; Byron et son don Juan moqueur. Ce fut un dur réveil : ayant vu que les songes Dont je m'étais bercé n'étaient que des mensonges, Les croyances, des hochets creux, Je cherchai la gangrène au fond de tout, et, comme Je la trouvai toujours, je pris en haine l'homme, Et je devins bien malheureux. La pensée et la forme ont passé comme un rêve. Mais que fait donc le temps de ce qu'il nous enlève ? Dans quel coin du chaos met-il Ces aspects oubliés comme l'habit qu'on change, Tous ces moi du même homme ? Et quel royaume étrange Leur sert de patrie ou d'exil ? Dieu seul peut le savoir, c'est un profond mystère ; Nous le saurons peut-être à la fin, car la terre Que la pioche jette au cercueil Avec sa sombre voix explique bien des choses ; Des effets, dans la tombe, on comprend mieux les causes. L'éternité commence au seuil. L'on voit... Mais veuillez bien me pardonner, madame, De vous entretenir de tout cela. Mon âme, Ainsi qu'un vase trop rempli, Déborde, laissant choir mille vagues pensées, Et ces ressouvenirs d'illusions passées Rembrunissent mon front pâli. « Eh ! Que vous fait cela, dites-vous, tête folle, De vous inquiéter d'une ombre qui s'envole ? Pourquoi donc vouloir retenir Comme un enfant mutin sa mère par la robe, Ce passé qui s'en va ? De ce qu'il vous dérobe Consolez-vous par l'avenir. « Regardez ; devant vous l'horizon est immense ; C'est l'aube de la vie et votre jour commence ; Le ciel est bleu, le soleil luit ; La route de ce monde est pour vous une allée, Comme celle d'un parc, pleine d'ombre et sablée ; Marchez où le temps vous conduit. « Que voulez-vous de plus ? Tout vous rit, l'on vous aime. — Oh ! Vous avez raison, je me le dis moi-même, L'avenir devrait m'être cher ; Mais c'est en vain, hélas ! Que votre voix m'exhorte ; Je rêve, et mon baiser à votre front avorte, Et je me sens le cœur amer. »
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Les étoiles
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Les étoiles Titre : Les étoiles Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) À Mme de P***. Il est pour la pensée une heure... une heure sainte, Alors que, s'enfuyant de la céleste enceinte, De l'absence du jour pour consoler les cieux, Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux. On voit à l'horizon sa lueur incertaine, Comme les bords flottants d'une robe qui traîne, Balayer lentement le firmament obscur, Où les astres ternis revivent dans l'azur. Alors ces globes d'or, ces îles de lumière, Que cherche par instinct la rêveuse paupière, Jaillissent par milliers de l'ombre qui s'enfuit Comme une poudre d'or sur les pas de la nuit ; Et le souffle du soir qui vole sur sa trace, Les sème en tourbillons dans le brillant espace. L'oeil ébloui les cherche et les perd à la fois ; Les uns semblent planer sur les cimes des bois, Tel qu'un céleste oiseau dont les rapides ailes Font jaillir en s'ouvrant des gerbes d'étincelles. D'autres en flots brillants s'étendent dans les airs, Comme un rocher blanchi de l'écume des mers ; Ceux-là, comme un coursier volant dans la carrière, Déroulent à longs plis leur flottante crinière ; Ceux-ci, sur l'horizon se penchant à demi, Semblent des yeux ouverts sur le monde endormi, Tandis qu'aux bords du ciel de légères étoiles Voguent dans cet azur comme de blanches voiles Qui, revenant au port, d'un rivage lointain, Brillent sur l'Océan aux rayons du matin. De ces astres brillants, son plus sublime ouvrage, Dieu seul connaît le nombre, et la distance, et l'âge ; Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nos yeux, D'autres se sont perdus dans les routes des cieux, D'autres, comme des fleurs que son souffle caresse, Lèvent un front riant de grâce et de jeunesse, Et, charmant l'Orient de leurs fraîches clartés, Etonnent tout à coup l'oeil qui les a comptés. Dans la danse céleste ils s'élancent... et l'homme, Ainsi qu'un nouveau-né, les salue, et les nomme. Quel mortel enivré de leur chaste regard, Laissant ses yeux flottants les fixer au hasard, Et cherchant le plus pur parmi ce choeur suprême, Ne l'a pas consacré du nom de ce qu'il aime ? Moi-même... il en est un, solitaire, isolé, Qui, dans mes longues nuits, m'a souvent consolé, Et dont l'éclat, voilé des ombres du mystère, Me rappelle un regard qui brillait sur la terre. Peut-être ?... ah ! puisse-t-il au céleste séjour Porter au moins ce nom que lui donna l'Amour ! Cependant la nuit marche, et sur l'abîme immense Tous ces mondes flottants gravitent en silence, Et nous-même, avec eux emportés dans leur cours Vers un port inconnu nous avançons toujours ! Souvent, pendant la nuit, au souffle du zéphire, On sent la terre aussi flotter comme un navire. D'une écume brillante on voit les monts couverts Fendre d'un cours égal le flot grondant des airs ; Sur ces vagues d'azur où le globe se joue, On entend l'aquilon se briser sous la proue, Et du vent dans les mâts les tristes sifflements, Et de ses flancs battus les sourds gémissements ; Et l'homme sur l'abîme où sa demeure flotte Vogue avec volupté sur la foi du pilote ! Soleils ! mondes flottants qui voguez avec nous, Dites, s'il vous l'a dit, où donc allons-nous tous ? Quel est le port céleste où son souffle nous guide ? Quel terme assigna-t-il à notre vol rapide ? Allons-nous sur des bords de silence et de deuil, Echouant dans la nuit sur quelque vaste écueil, Semer l'immensité des débris du naufrage ? Ou, conduits par sa main sur un brillant rivage, Et sur l'ancre éternelle à jamais affermis, Dans un golfe du ciel aborder endormis ? Vous qui nagez plus près de la céleste voûte, Mondes étincelants, vous le savez sans doute ! Cet Océan plus pur, ce ciel où vous flottez, Laisse arriver à vous de plus vives clartés ; Plus brillantes que nous, vous savez davantage ; Car de la vérité la lumière est l'image ! Oui : si j'en crois l'éclat dont vos orbes errants Argentent des forêts les dômes transparents, Qui glissant tout à coup sur des mers irritées, Calme en les éclairant les vagues agitées ; Si j'en crois ces rayons dont le sensible jour Inspire la vertu, la prière, l'amour, Et quand l'oeil attendri s'entrouvre à leur lumière, Attirent une larme au bord de la paupière ; Si j'en crois ces instincts, ces doux pressentiments Qui dirigent vers nous les soupirs des amants, Les yeux de la beauté, les rêves qu'on regrette, Et le vol enflammé de l'aigle et du poète ! Tentes du ciel, Edens ! temples! brillants palais ! Vous êtes un séjour d'innocence et de paix ! Dans le calme des nuits, à travers la distance, Vous en versez sur nous la lointaine influence ! Tout ce que nous cherchons, l'amour, la vérité, Ces fruits tombés du ciel dont la terre a goûté, Dans vos brillants climats que le regard envie Nourrissent à jamais les enfants de la vie, Et l'homme, un jour peut-être à ses destins rendu, Retrouvera chez vous tout ce qu'il a perdu ? Hélas ! combien de fois seul, veillant sur ces cimes Où notre âme plus libre a des voeux plus sublimes, Beaux astres ! fleurs du ciel dont le lis est jaloux, J'ai murmuré tout bas : Que ne suis-je un de vous ? Que ne puis-je, échappant à ce globe de boue, Dans la sphère éclatante où mon regard se joue, Jonchant d'un feu de plus le parvis du saint lieu, Eclore tout à coup sous les pas de mon Dieu, Ou briller sur le front de la beauté suprême, Comme un pâle fleuron de son saint diadème ? Dans le limpide azur de ces flots de cristal, Me souvenant encor de mon globe natal, Je viendrais chaque nuit, tardif et solitaire, Sur les monts que j'aimais briller près de la terre ; J'aimerais à glisser sous la nuit des rameaux, A dormir sur les prés, à flotter sur les eaux ; A percer doucement le voile d'un nuage, Comme un regard d'amour que la pudeur ombrage : Je visiterais l'homme ; et s'il est ici-bas Un front pensif, des yeux qui ne se ferment pas, Une âme en deuil, un coeur qu'un poids sublime oppresse, Répandant devant Dieu sa pieuse tristesse ; Un malheureux au jour dérobant ses douleurs Et dans le sein des nuits laissant couler ses pleurs, Un génie inquiet, une active pensée Par un instinct trop fort dans l'infini lancée ; Mon rayon pénétré d'une sainte amitié Pour des maux trop connus prodiguant sa pitié, Comme un secret d'amour versé dans un coeur tendre, Sur ces fronts inclinés se plairait à descendre ! Ma lueur fraternelle en découlant sur eux Dormirait sur leur sein, sourirait à leurs yeux : Je leur révélerais dans la langue divine Un mot du grand secret que le malheur devine ; Je sécherais leurs pleurs ; et quand l'oeil du matin Ferait pâlir mon disque à l'horizon lointain, Mon rayon en quittant leur paupière attendrie Leur laisserait encor la vague rêverie, Et la paix et l'espoir ; et, lassés de gémir, Au moins avant l'aurore ils pourraient s'endormir ! Et vous, brillantes soeurs! étoiles, mes compagnes, Qui du bleu firmament émaillez les campagnes, Et cadençant vos pas à la lyre des cieux, Nouez et dénouez vos choeurs harmonieux ! Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne, Je suivrais dans l'azur l'instinct qui vous entraîne, Vous guideriez mon oeil dans ce brillant désert, Labyrinthe de feux où le regard se perd ! Vos rayons m'apprendraient à louer, à connaître Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être ! Et noyant dans son sein mes tremblantes clartés, Je sentirais en lui.., tout ce que vous sentez !
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Rêverie
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Rêverie Titre : Rêverie Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). Quand le paysan sème, et qu'il creuse la terre, Il ne voit que son grain, ses bœufs et son sillon. — La nature en silence accomplit le mystère, — Couché sur sa charrue, il attend sa moisson. Quand sa femme, en rentrant le soir, à sa chaumière, Lui dit : « Je suis enceinte », — il attend son enfant. Quand il voit que la mort va saisir son vieux père, Il s'assoit sur le pied de la couche, et l'attend. Que savons-nous de plus ?... et la sagesse humaine, Qu'a-t-elle découvert de plus dans son domaine ? Sur ce large univers elle a, dit-on, marché ; Et voilà cinq mille ans qu'elle a toujours cherché !
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César Borgia
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : César Borgia Titre : César Borgia Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Sur fond sombre noyant un riche vestibule Où le buste d'Horace et celui de Tibulle Lointain et de profil rêvent en marbre blanc, La main gauche au poignard et la main droite au flanc, Tandis qu'un rire doux redresse la moustache, Le duc César, en grand costume, se détache. Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir Vont contrastant, parmi l'or somptueux d'un soir, Avec la pâleur mate et belle du visage Vu de trois quarts et très ombré, suivant l'usage Des Espagnols ainsi que des Vénitiens, Dans les portraits de rois et de patriciens. Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge, Est mince, et l'on dirait que la tenture bouge Au souffle véhément qui doit s'en exhaler. Et le regard errant avec laisser-aller, Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures, Fourmille de pensers énormes d'aventures. Et le front, large et pur, sillonné d'un grand pli, Sans doute de projets formidables rempli, Médite sous la toque où frissonne une plume S'élançant hors d'un nœud de rubis qui s'allume.
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Accroupissement
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Accroupissement Titre : Accroupissement Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Bien tard, quand il se sent l'estomac écoeuré, Le frère Milotus, un oeil à la lucarne D'où le soleil, clair comme un chaudron récuré, Lui darde une migraine et fait son regard darne, Déplace dans les draps son ventre de curé. Il se démène sous sa couverture grise Et descend, ses genoux à son ventre tremblant, Effaré comme un vieux qui mangerait sa prise, Car il lui faut, le poing à l'anse d'un pot blanc, À ses reins largement retrousser sa chemise ! Or il s'est accroupi, frileux, les doigts de pied Repliés, grelottant au clair soleil qui plaque Des jaunes de brioche aux vitres de papier ; Et le nez du bonhomme où s'allume la laque Renifle aux rayons, tel qu'un charnel polypier Le bonhomme mijote au feu, bras tordus, lippe Au ventre : il sent glisser ses cuisses dans le feu, Et ses chausses roussir, et s'éteindre sa pipe ; Quelque chose comme un oiseau remue un peu À son ventre serein comme un monceau de tripe ! Autour dort un fouillis de meubles abrutis Dans des haillons de crasse et sur de sales ventres ; Des escabeaux, crapauds étranges, sont blottis Aux coins noirs : des buffets ont des gueules de chantres Qu'entrouvre un sommeil plein d'horribles appétits. L'écoeurante chaleur gorge la chambre étroite ; Le cerveau du bonhomme est bourré de chiffons. Il écoute les poils pousser dans sa peau moite, Et parfois, en hoquets fort gravement bouffons S'échappe, secouant son escabeau qui boite... Et le soir aux rayons de lune, qui lui font Aux contours du cul des bavures de lumière, Une ombre avec détails s'accroupit, sur un fond De neige rose ainsi qu'une rose trémière... Fantasque, un nez poursuit Vénus au ciel profond.
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La vision des ruines
Anatole France (1844-1924)
Poésie : La vision des ruines Titre : La vision des ruines Poète : Anatole France (1844-1924) Le fleuve qui, libre et tranquille, Traîne ses marnes et ses eaux Au milieu des pâles roseaux. Presse en ses bras une longue île, Qui semble un navire échoué Par quelque héroïque aventure, Perdant sa forme et sa nature. Dormeur à l'oubli dévoué. Le cri rauque et le vol des grues Percent les nuages blafards ; Les cygnes et les verts canards Voguent au fil des eaux accrues. Dans l'île, un portail et deux tours, Retraite aux hiboux familière. Dressent sous la mousse et le lierre Leurs profils noirs, douteux et lourds. De maigres figures de pierre Gisant dans les iris épais, Les mains jointes, suivent en paix Le rêve qui clôt leur paupière. Tous ceux-là dont le vent du nord Ronge avec lenteur les images, Anges et rois, vierges et mages, Ont grandement aimé la mort ; Car la roideur de leur stature Et l'aridité de leur chair Font voir combien il leur fut cher D'aspirer à la sépulture. De longtemps ne sera troublé Le silence de l'île sainte : Dans le fleuve dont elle est ceinte Le dos des ponts s'est écroulé. N'est-ce pas là le berceau rude De la grande et belle cité, Qui plus tard avec volupté S'assit dans cette solitude ? Mais la terre avare a repris Les pierres des quais et des rues, Et les demeures disparues Gisent sous les tertres fleuris. Au sud de l'île, une colline Couronne d'un amas confus De murs, de chapiteaux, de fûts. Ses flancs où le thuya s'incline. Les marais coassent, le soir. Vers l'ouest, loin dans la plaine verte, Une porte se dresse ouverte Sur le ciel pluvieux et noir. Sculptés aux parois triomphales, Des hommes, des bœufs, des chevaux, Rappelant d'antiques travaux. Se brisent au choc des rafales. Et vers le nord, mais moins avant, Candélabres, balustres, dalles. Escaliers, murs en longs dédales. Sonnent avec langueur au vent. Ruines d'un temple où des lyres Pendent à des chevilles d'or, Où des pieds de nymphes encor Dansent en de joyeux délires. Muette, la maison des Rois Est assise, comme une veuve, Sur la rive droite du fleuve. Dans les nymphéas blancs et froids ; Elle mire dans les eaux blêmes Ce qui lui reste de joyaux Et répand ses colliers royaux De chiffres noués et d'emblèmes ; Sur un pavillon, les pâleurs De la lune, au bord d'une nue, Animent une forme nue Qui sourit et verse des fleurs : C'est un corps de femme accroupie, Un corps lascif, jeune et lassé, Qui fut sans doute caressé Par le regard d'un siècle impie.
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Sur une statue de Ganymède
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sur une statue de Ganymède Titre : Sur une statue de Ganymède Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). Eh quoi ! Dans cette ville d'eaux. Trêve, repos, paix, intermède, Encor toi de face et de dos, Beau petit ami Ganymède, L'aigle t'emporte, on dirait comme Amoureux de parmi les fleurs. Son aile, d'élans économe, Semble le vouloir par ailleurs Que chez ce Jupin tyrannique, Comme qui dirait au Revard, Et son œil qui nous fait la nique Te coule un drôle de regard. Bah ! reste avec nous, bon garçon, Notre ennui, viens donc le distraire Un peu de la bonne façon, N'es-tu pas notre petit frère ?
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La prière pour tous (III)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La prière pour tous (III) Titre : La prière pour tous (III) Poète : Victor Hugo (1802-1885) III. Prie encor pour tous ceux qui passent Sur cette terre des vivants ! Pour ceux dont les sentiers s'effacent À tous les flots, à tous les vents ! Pour l'insensé qui met sa joie Dans l'éclat d'un manteau de soie, Dans la vitesse d'un cheval ! Pour quiconque souffre et travaille, Qu'il s'en revienne ou qu'il s'en aille, Qu'il fasse le bien ou le mal ! Pour celui que le plaisir souille D'embrassements jusqu'au matin, Qui prend l'heure où l'on s'agenouille Pour sa danse et pour son festin, Qui fait hurler l'orgie infâme Au même instant du soir où l'âme Répète son hymne assidu, Et, quand la prière est éteinte, Poursuit, comme s'il avait crainte Que Dieu ne l'ait pas entendu ! Enfant ! pour les vierges voilées ! Pour le prisonnier dans sa tour ! Pour les femmes échevelées Qui vendent le doux nom d'amour ! Pour l'esprit qui rêve et médite ! Pour l'impie à la voix maudite Qui blasphème la sainte loi ! - Car la prière est infinie ! Car tu crois pour celui qui nie ! Car l'enfance tient lieu de foi ! Prie aussi pour ceux que recouvre La pierre du tombeau dormant, Noir précipice qui s'entrouvre Sous notre foule à tout moment ! Toutes ces âmes en disgrâce Ont besoin qu'on les débarrasse De la vieille rouille du corps. Souffrent-elles moins pour se taire ? Enfant ! regardons sous la terre ! Il faut avoir pitié des morts ! Mai 1830.
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À Éléonore
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : À Éléonore Titre : À Éléonore Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Aimer à treize ans, dites-vous, C'est trop tôt : eh, qu'importe l'âge ? Avez-vous besoin d'être sage Pour goûter le plaisir des fous ? Ne prenez pas pour une affaire Ce qui n'est qu'un amusement ; Lorsque vient la saison de plaire, Le cœur n'est pas longtemps enfant. Au bord d'une onde fugitive, Reine des buissons d'alentour, Une rose à demi-captive S'ouvrait aux rayons d'un beau jour. Égaré par un goût volage, Dans ces lieux passe le zéphir Il l'aperçoit, et du plaisir Lui propose l'apprentissage ; Mais en vain : son air ingénu Ne touche point la fleur cruelle. De grâce, laissez-moi, dit-elle ; À peine vous ai-je entrevu. Je ne fais encor que de naître ; Revenez ce soir, et peut-être Serez-vous un peu mieux reçu. Zéphir s'envole à tire-d'ailes, Et va se consoler ailleurs ; Ailleurs, car il en est des fleurs À peu près comme de nos Belles. Tandis qu'il fuit, s'élève un vent Un peu plus fort que d'ordinaire, Qui de la Rose, en se jouant, Détache une feuille légère ; La feuille tombe, et du courant Elle suit la pente rapide ; Une autre feuille en fait autant, Puis trois, puis quatre ; en un moment, L'effort de l'aquilon perfide Eut moissonné tous ces appas Faits pour des Dieux plus délicats, Si la Rose eut été plus fine. Le zéphir revint, mais hélas ! Il ne restait plus que l'épine.
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L'homme juste
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : L'homme juste Titre : L'homme juste Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Le Juste restait droit sur ses hanches solides : Un rayon lui dorait l'épaule ; des sueurs Me prirent : "Tu veux voir rutiler les bolides ? Et, debout, écouter bourdonner les flueurs D'astres lactés, et les essaims d'astéroïdes ? "Par des farces de nuit ton front est épié, Ô juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta prière, La bouche dans ton drap doucement expié ; Et si quelque égaré choque ton ostiaire, Dis : Frère, va plus loin, je suis estropié !" Et le juste restait debout, dans l'épouvante Bleuâtre des gazons après le soleil mort : "Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente, Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! barde d'Armor ! Pleureur des Oliviers ! main que la pitié gante ! "Barbe de la famille et poing de la cité, Croyant très doux : ô coeur tombé dans les calices, Majestés et vertus, amour et cécité, Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices ! Je suis celui qui souffre et qui s'est révolté ! "Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide, Et bien rire, l'espoir fameux de ton pardon ! Je suis maudit, tu sais ! je suis soûl, fou, livide, Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc, Juste ! je ne veux rien à ton cerveau torpide. "C'est toi le Juste, enfin, le Juste ! C'est assez ! C'est vrai que ta tendresse et ta raison sereines Reniflent dans la nuit comme des cétacés, Que tu te fais proscrire et dégoises des thrènes Sur d'effroyables becs-de-cane fracassés ! "Et c'est toi l'oeil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes Froides des pieds divins passeraient sur mon cou, Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes ! Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût ! Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes !" J'avais crié cela sur la terre, et la nuit Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fièvre. Je relevai mon front : le fantôme avait fui, Emportant l'ironie atroce de ma lèvre... - Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui, Cependant que silencieux sous les pilastres D'azur, allongeant les comètes et les noeuds D'univers, remuement énorme sans désastres, L'ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux Et de sa drague en feu laisse filer les astres ! Ah ! qu'il s'en aille, lui, la gorge cravatée De honte, ruminant toujours mon ennui, doux Comme le sucre sur la denture gâtée. - Tel que la chienne après l'assaut des fiers toutous, Léchant son flanc d'où pend une entraille emportée. Qu'il dise charités crasseuses et progrès... - J'exècre tous ces yeux de Chinois à bedaines, Puis qui chante : nana, comme un tas d'enfants près De mourir, idiots doux aux chansons soudaines : Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès !
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La guirlande du sommeil
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : La guirlande du sommeil Titre : La guirlande du sommeil Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : Le chemin des saisons (1903). À Francis Tattegrain. La guirlande du sommeil, De nuit en nuit suspendue, Sur le pâle et frêle éveil Des jours humains est tendue. Elle part du mur obscur Dressé sur notre naissance, Et s'attache à l'autre mur Fait de nuit et de silence Qui clôt nos espaces courts De son obstacle funèbre ; Ses arcs réguliers et lourds, De l'une à l'autre ténèbre, Semblent poser un décor Sur la façade éphémère De notre chétif effort ; Un noir décor funéraire.
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La statue
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La statue Titre : La statue Poète : Victor Hugo (1802-1885) Quand l'empire romain tomba désespéré, — Car, ô Rome, l'abîme où Carthage a sombré Attendait que tu la suivisses ! — Quand, n'ayant rien en lui de grand qu'il n'eût brisé, Ce monde agonisa, triste, ayant épuisé Tous les Césars et tous les vices ; Quand il expira, vide et riche comme Tyr ; Tas d'esclaves ayant pour gloire de sentir Le pied du maître sur leurs nuques ; Ivre de vin, de sang et d'or ; continuant Caton par Tigellin, l'astre par le néant, Et les géants par les eunuques ; Ce fut un noir spectacle et dont on s'enfuyait. Le pâle cénobite y songeait, inquiet, Dans les antres visionnaires ; Et, pendant trois cents ans, dans l'ombre on entendit Sur ce monde damné, sur ce festin maudit, Un écroulement de tonnerres. Et Luxure, Paresse, Envie, Orgie, Orgueil, Avarice et Colère, au-dessus de ce deuil, Planèrent avec des huées ; Et, comme des éclairs sous le plafond des soirs, Les glaives monstrueux des sept archanges noirs Flamboyèrent dans les nuées. Juvénal, qui peignit ce gouffre universel, Est statue aujourd'hui ; la statue est de sel, Seule sous le nocturne dôme ; Pas un arbre à ses pieds ; pas d'herbe et de rameaux ; Et dans son oeil sinistre on lit ces sombres mots : « Pour avoir regardé Sodôme. » Février 1843.
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Les faux beaux jours ont lui tout le jour
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Les faux beaux jours ont lui tout le jour Titre : Les faux beaux jours ont lui tout le jour Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme, Et les voici vibrer aux cuivres du couchant. Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ : Une tentation des pires. Fuis l'infâme. Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme, Battant toute vendange aux collines, couchant Toute moisson de la vallée, et ravageant Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame. Ô pâlis, et va-t'en, lente et joignant les mains. Si ces hiers allaient manger nos beaux demains ? Si la vieille folie était encore en route ? Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer ? Un assaut furieux, le suprême sans doute ! Ô, va prier contre l'orage, va prier.
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