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La nuit
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : La nuit Titre : La nuit Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies érotiques (1778). Toujours le malheureux t'appelle, Ô Nuit, favorable aux chagrins ! Viens donc, et porte sur ton aile L'oubli des perfides humains. Voile ma douleur solitaire ; Et lorsque la main du Sommeil Fermera ma triste paupière, Ô dieux ! reculez mon réveil ; Qu'à pas lents l'Aurore s'avance Pour ouvrir les portes du jour ; Importuns, gardez le silence, Et laissez dormir mon amour.
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Chose vue un jour de printemps
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Chose vue un jour de printemps Titre : Chose vue un jour de printemps Poète : Victor Hugo (1802-1885) Entendant des sanglots, je poussai cette porte. Les quatre enfants pleuraient et la mère était morte. Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard. Sur le grabat gisait le cadavre hagard ; C'était déjà la tombe et déjà le fantôme. Pas de feu ; le plafond laissait passer le chaume. Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards. On voyait, comme une aube à travers des brouillards, Aux lèvres de la morte un sinistre sourire ; Et l'aîné, qui n'avait que six ans, semblait dire : « Regardez donc cette ombre où le sort nous a mis ! » Un crime en cette chambre avait été commis. Ce crime, le voici : — Sous le ciel qui rayonne, Une femme est candide, intelligente, bonne ; Dieu, qui la suit d'en haut d'un regard attendri, La fit pour être heureuse. Humble, elle a pour mari Un ouvrier ; tous deux, sans aigreur, sans envie, Tirent d'un pas égal le licou de la vie. Le choléra lui prend son mari ; la voilà Veuve avec la misère et quatre enfants qu'elle a. Alors, elle se met au labeur comme un homme. Elle est active, propre, attentive, économe ; Pas de drap à son lit, pas d'âtre à son foyer ; Elle ne se plaint pas, sert qui veut l'employer, Ravaude de vieux bas, fait des nattes de paille, Tricote, file, coud, passe les nuits, travaille Pour nourrir ses enfants ; elle est honnête enfin. Un jour, on va chez elle, elle est morte de faim. Oui, les buissons étaient remplis de rouges-gorges, Les lourds marteaux sonnaient dans la lueur des forges, Les masques abondaient dans les bals, et partout Les baisers soulevaient la dentelle du loup ; Tout vivait ; les marchands comptaient de grosses sommes ; On entendait rouler les chars, rire les hommes ; Les wagons ébranlaient les plaines, le steamer Secouait son panache au-dessus de la mer ; Et, dans cette rumeur de joie et de lumière, Cette femme étant seule au fond de sa chaumière, La faim, goule effarée aux hurlements plaintifs, Maigre et féroce, était entrée à pas furtifs, Sans bruits, et l'avait prise à la gorge, et tuée. La faim, c'est le regard de la prostituée, C'est le bâton ferré du bandit, c'est la main Du pâle enfant volant un pain sur le chemin, C'est la fièvre du pauvre oublié, c'est le râle Du grabat naufragé dans l'ombre sépulcrale. ÔDieu ! la sève abonde, et, dans ses flancs troublés, La terre est pleine d'herbe et de fruits et de blés, Dès que l'arbre a fini, le sillon recommence ; Et, pendant que tout vit, ô Dieu, dans ta clémence, Que la mouche connaît la feuille du sureau, Pendant que l'étang donne à boire au passereau, Pendant que le tombeau nourrit les vautours chauves, Pendant que la nature, en ses profondeurs fauves, Fait manger le chacal, l'once et le basilic, L'homme expire ! — Oh ! la faim, c'est le crime public ; C'est l'immense assassin qui sort de nos ténèbres. Dieu ! pourquoi l'orphelin, dans ses langes funèbres, Dit-il : « J'ai faim ! » L'enfant, n'est-ce pas un oiseau ? Pourquoi le nid a-t-il ce qui manque au berceau ? Avril 1840.
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Couplet de l'amant d'opéra
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Couplet de l'amant d'opéra Titre : Couplet de l'amant d'opéra Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). L'amour tendre literie Dont mon cœur est l'édredon Trouble Si mollement mes membres Légèrement mes lèvres Obliquement mes yeux Pour de faux ciels Que la chair et le linge Ont une même odeur Pour mon ardeur.
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Le chasseur
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le chasseur Titre : Le chasseur Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Je suis enfant de la montagne, Comme l'isard, comme l'aiglon ; Je ne descends dans la campagne Que pour ma poudre et pour mon plomb ; Puis je reviens, et de mon aire Je vois en bas l'homme ramper, Si haut placé que le tonnerre Remonterait pour me frapper. Je n'ai pour boire, après ma chasse, Que l'eau du ciel dans mes deux mains ; Mais le sentier par où je passe Est vierge encor de pas humains. Dans mes poumons nul souffle immonde En liberté je bois l'air bleu, Et nul vivant en ce bas monde Autant que moi n'approche Dieu. Pour mon berceau j'eus un nid d'aigle Comme un héros ou comme un roi, Et j'ai vécu sans frein ni règle, Plus haut que l'homme et que la loi. Après ma mort une avalanche De son linceul me couvrira, Et sur mon corps la neige blanche, Tombeau d'argent, s'élèvera.
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Écrit sur le mur de Versailles
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit sur le mur de Versailles Titre : Écrit sur le mur de Versailles Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893). L'objet est illustre Dans ce temps caduc. Le duc sonne un rustre, Le roi sonne un duc. Siècle étrange ! il taille, Sans mêler les rangs, De la valetaille À même les grands. Il tient fous et sages Au bout de son fil. Il a deux-visages, Mais un seul profil. Il a sur l'épaule Dans le même sac Le duc et le drôle, Frontin et Fronsac. Versailles, le 10 août 1830.
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L'orgie parisienne ou Paris se repeuple
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : L'orgie parisienne ou Paris se repeuple Titre : L'orgie parisienne ou Paris se repeuple Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Ô lâches, la voilà ! Dégorgez dans les gares ! Le soleil essuya de ses poumons ardents Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares. Voilà la Cité sainte, assise à l'occident ! Allez ! on préviendra les reflux d'incendie, Voilà les quais, voilà les boulevards, voilà Les maisons sur l'azur léger qui s'irradie Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila ! Cachez les palais morts dans des niches de planches ! L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards. Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches : Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards ! Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes, Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez ! Mangez ! Voici la nuit de joie aux profonds spasmes Qui descend dans la rue. Ô buveurs désolés, Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle, Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants, Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole, Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs ? Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes ! Ecoutez l'action des stupides hoquets Déchirants ! Ecoutez sauter aux nuits ardentes Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais ! Ô coeurs de saleté, bouches épouvantables, Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs ! Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables... Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs ! Ouvrez votre narine aux superbes nausées ! Trempez de poisons forts les cordes de vos cous ! Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées Le Poète vous dit : " Ô lâches, soyez fous ! Parce que vous fouillez le ventre de la Femme, Vous craignez d'elle encore une convulsion Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme Sur sa poitrine, en une horrible pression. Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques, Qu'est-ce que ça peut faire à la putain Paris, Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques ? Elle se secouera de vous, hargneux pourris ! Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles, Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus, La rouge courtisane aux seins gros de batailles Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus ! Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères, Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau, Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires Un peu de la bonté du fauve renouveau, Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte, La tête et les deux seins jetés vers l'Avenir Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes, Cité que le Passé sombre pourrait bénir : Corps remagnétisé pour les énormes peines, Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens Sourdre le flux des vers livides en tes veines, Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants ! Et ce n'est pas mauvais. Les vers, les vers livides Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès Que les Stryx n'éteignaient l'oeil des Cariatides Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés." Quoique ce soit affreux de te revoir couverte, Ainsi ; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité Ulcère plus puant à la Nature verte, Le Poète te dit : " Splendide est ta Beauté !" L'orage t'a sacrée suprême poésie ; L'immense remuement des forces te secourt ; Ton oeuvre bout, la mort gronde, Cité choisie ! Amasse les strideurs au coeur du clairon sourd. Le Poète prendra le sanglot des Infâmes, La haine des Forçats, la clameur des Maudits ; Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes. Ses strophes bondiront : Voilà ! voilà ! bandits ! - Société, tout est rétabli : - les orgies Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars : Et les gaz en délire, aux murailles rougies, Flambent sinistrement vers les azurs blafards !
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Va, chanson, à tire-d'aile
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Va, chanson, à tire-d'aile Titre : Va, chanson, à tire-d'aile Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : La bonne chanson (1872). Va, chanson, à tire-d'aile Au-devant d'elle, et dis-lui Bien que dans mon cœur fidèle Un rayon joyeux a lui, Dissipant, lumière sainte, Ces ténèbres de l'amour : Méfiance, doute, crainte, Et que voici le grand jour ! Longtemps craintive et muette, Entendez-vous ? la gaîté, Comme une vive alouette Dans le ciel clair a chanté. Va donc, chanson ingénue, Et que, sans nul regret vain, Elle soit la bienvenue Celle qui revient enfin.
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Aube
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Aube Titre : Aube Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) J'ai embrassé l'aube d'été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi.
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Apollonie
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Apollonie Titre : Apollonie Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852). J'aime ton nom d'Apollonie, Echo grec du sacré vallon, Qui, dans sa robuste harmonie, Te baptise soeur d'Apollon. Sur la lyre au plectre d'ivoire, Ce nom splendide et souverain, Beau comme l'amour et la gloire, Prend des résonances d'airain. Classique, il fait plonger les Elfes Au fond de leur lac allemand, Et seule la Pythie à Delphes Pourrait le porter dignement, Quand relevant sa robe antique Elle s'assoit au trépied d'or, Et dans sa pose fatidique Attend le dieu qui tarde encor.
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La fellah
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La fellah Titre : La fellah Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Émaux et Camées (1852). Caprice d'un pinceau fantasque Et d'un impérial loisir, Votre fellah, sphinx qui se masque, Propose une énigme au désir. C'est une mode bien austère Que ce masque et cet habit long, Elle intrigue par son mystère Tous les Oedipes du salon. L'antique Isis légua son voile Aux modernes filles du Nil ; Mais, sous le bandeau, deux étoiles Brillent d'un feu pur et subtil. Ces yeux qui sont tout un poème De langueur et de volupté Disent, résolvant le problème, " Sois l'amour, je suis la beauté. "
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Sonnet boiteux
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sonnet boiteux Titre : Sonnet boiteux Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Ah ! vraiment c'est triste, ah ! vraiment ça finit trop mal, Il n'est pas permis d'être à ce point infortuné. Ah ! vraiment c'est trop la mort du naïf animal Qui voit tout son sang couler sous son regard fané. Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible ! Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles. Et les maisons dans leur ratatinement terrible Epouvantent comme un sénat de petites vieilles. Tout l'affreux passé saute, piaule, miaule et glapit Dans le brouillard rose et jaune et sale des Sohos Avec des « indeeds » et des « all rights » et des « haôs ». Non vraiment c'est trop un martyre sans espérance, Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c'est triste O le feu du ciel sur cette ville de la Bible !
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À l'obéissance passive (VII)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À l'obéissance passive (VII) Titre : À l'obéissance passive (VII) Poète : Victor Hugo (1802-1885) VII. Quand sur votre poitrine il jeta sa médaille, Ses rubans et sa croix, après cette bataille Et ce coup de lacet, Ô soldats dont l'Afrique avait hâlé la joue, N'avez-vous donc pas vu que c'était de la boue Qui vous éclaboussait ? Oh ! quand je pense à vous, mon œil se mouille encore ! Je vous pleure, soldats ! je pleure votre aurore, Et ce qu'elle promit. Je pleure ! car la gloire est maintenant voilée Car il est parmi vous plus d'une âme accablée Qui songe et qui frémit ! Ô soldats ! nous aimions votre splendeur première ; Fils de la république et fils de la chaumière, Que l'honneur échauffait, Pour servir ce bandit qui dans leur sang se vautre, Hélas ! pour trahir l'une et déshonorer l'autre, Que vous ont-elles fait ? Après qui marchez-vous, ô légion trompée ? L'homme à qui vous avez prostitué l'épée, Ce criminel flagrant, Cet aventurier vil en qui vous semblez croire, Sera Napoléon le Petit dans l'histoire, Ou Cartouche le Grand. Armée ! ainsi ton sabre a frappé par derrière Le serment, le devoir, la loyauté guerrière, Le droit aux vents jeté, La révolution sur ce grand siècle empreinte, Le progrès, l'avenir, la République sainte, La sainte Liberté, Pour qu'il puisse asservir ton pays que tu navres, Pour qu'il puisse s'asseoir sur tous ces grands cadavres, Lui, ce nain tout-puissant, Qui préside l'orgie immonde et triomphale, Qui cuve le massacre et dont la gorge exhale L'affreux hoquet du sang ! Jersey, du 7 au 13 janvier 1853.
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Aime-moi d'amour
François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898)
Poésie : Aime-moi d'amour Titre : Aime-moi d'amour Poète : François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898) Recueil : Les loisirs lyriques (1866). Ce que j'aime à voir, ce que j'aime au monde, François-Marie Robert-Dutertre. Ce que j'aime à voir, ce que j'aime au monde, Ce que j'aime à voir, Veux-tu le savoir ? Ce sont tes beaux yeux, c'est ta taille ronde, Ce sont tes beaux yeux, Tes yeux langoureux. Ce que j'aime encore je vais te l'apprendre, Ce que j'aime encore Plus qu'aucun trésor, Ce sont tes doux chants, c'est ta voix si tendre, Ce sont tes doux chants, Plaintifs et touchants. Ce qui cause en moi la plus douce ivresse, Ce qui cause en moi Le plus tendre émoi, C'est de voir ton cœur vibrer de tendresse, C'est de voir ton cœur Trembler de bonheur. Enfin, si tu veux répondre à ma flamme, Enfin si tu veux Combler tous mes vœux, Jusqu'au dernier jour garde-moi ton âme, Jusqu'au dernier jour Aime-moi d'amour.
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Je fus mystique et je ne le suis plus
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je fus mystique et je ne le suis plus Titre : Je fus mystique et je ne le suis plus Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). Je fus mystique et je ne le suis plus (La femme m'aura repris tout entier), Non sans garder des respects absolus Pour l'idéal qu'il fallut renier. Mais la femme m'a repris tout entier ! J'allais priant le Dieu de mon enfance (Aujourd'hui c'est toi qui m'as à genoux), J'étais plein de foi, de blanche espérance. De charité sainte aux purs feux si doux. Mais aujourd'hui tu m'as à tes genoux ! La femme, par toi, redevient le maître, Un maître tout-puissant et tyrannique, Mais qu'insidieux ! feignant de tout permettre Pour en arriver à tel but satanique... Ô le temps béni quand j'étais ce mystique !
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La rechute
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : La rechute Titre : La rechute Poète : Évariste de Parny (1753-1814) C'en est fait, j'ai brisé mes chaînes. Amis, je reviens dans vos bras. Les belles ne vous valent pas ; Leurs faveurs coûtent trop de peines. Jouet de leur volage humeur, J'ai rougi de ma dépendance : Je reprends mon indifférence, Et je retrouve le bonheur. Le dieu joufflu de la vendange Va m'inspirer d'autres chansons ; C'est le seul plaisir sans mélange ; Il est de toutes les saisons ; Lui seul nous console et nous venge Des maîtresses que nous perdons. Que dis-je, malheureux ! ah ! qu'il est difficile De feindre la gaîté dans le sein des douleurs ! La bouche sourit mal quand les yeux sont en pleurs. Repoussons loin de nous ce nectar inutile. Et toi, tendre Amitié, plaisir pur et divin, Non, tu ne suffis plus à mon âme égarée, Au cri des passions qui grondent dans mon sein En vain tu veux mêler ta voix douce et sacrée : Tu gémis de mes maux qu'il fallait prévenir ; Tu m'offres ton appui lorsque la chute est faite ; Et tu sondes ma plaie au lieu de la guérir. Va, ne m'apporte plus ta prudence inquiète : Laisse-moi m'étourdir sur la réalité ; Laisse-moi m'enfoncer dans le sein des chimères, Tout courbé sous les fers chanter la liberté, Saisir avec transport des ombres passagères, Et parler de félicité En versant des larmes amères. Ils viendront ces paisibles jours, Ces moments du réveil, où la raison sévère Dans la nuit des erreurs fait briller sa lumière, Et dissipe à nos yeux le songe des Amours. Le Temps, qui d'une aile légère Emporte en se jouant nos goûts et nos penchants, Mettra bientôt le terme à mes égarements. Ô mes amis ! alors échappé de ses chaînes, Et guéri de ses longues peines, Ce cœur qui vous trahit revolera vers vous. Sur votre expérience appuyant ma faiblesse, Peut-être je pourrai d'une folle tendresse Prévenir les retours jaloux, Sur les plaisirs de mon aurore Vous me verrez tourner des yeux mouillés de pleurs, Soupirer malgré moi,rougir de mes erreurs, Et, même en rougissant, les regretter encore.
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Je sais bien qu'il est d'usage
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Je sais bien qu'il est d'usage Titre : Je sais bien qu'il est d'usage Poète : Victor Hugo (1802-1885) Je sais bien qu'il est d'usage D'aller en tous lieux criant Que l'homme est d'autant plus sage Qu'il rêve plus de néant ; D'applaudir la grandeur noire, Les héros, le fer qui luit, Et la guerre, cette gloire Qu'on fait avec de la nuit ; D'admirer les coups d'épée, Et, la fortune, ce char Dont une roue est Pompée, Dont l'autre roue est César ; Et Pharsale et Trasimène, Et tout ce que les Nérons Font voler de cendre humaine Dans le souffle des clairons ! Je sais que c'est la coutume D'adorer ces nains géants Qui, parce qu'ils sont écume, Se supposent océans ; Et de croire à la poussière, A la fanfare qui fuit, Aux pyramides de pierre, Aux avalanches de bruit. Moi, je préfère, ô fontaines, Moi, je préfère, ô ruisseaux, Au Dieu des grands capitaines Le Dieu des petits oiseaux ! Ô mon doux ange, en ces ombres Où, nous aimant, nous brillons, Au Dieu des ouragans sombres Qui poussent les bataillons, Au Dieu des vastes armées, Des canons au lourd essieu, Des flammes et des fumées, Je préfère le bon Dieu ! Le bon Dieu, qui veut qu'on aime, Qui met au coeur de l'amant Le premier vers du poème, Le dernier au firmament ! Qui songe à l'aile qui pousse, Aux oeufs blancs, au nid troublé, Si la caille a de la mousse, Et si la grive a du blé ; Et qui fait, pour les Orphées, Tenir, immense et subtil, Tout le doux monde des fées Dans le vert bourgeon d'avril ! Si bien, que cela s'envole Et se disperse au printemps, Et qu'une vague auréole Sort de tous les nids chantants ! Vois-tu, quoique notre gloire Brille en ce que nous créons, Et dans notre grande histoire Pleine de grands panthéons ; Quoique nous ayons des glaives, Des temples, Chéops, Babel, Des tours, des palais, des rêves, Et des tombeaux jusqu'au ciel ; Il resterait peu de choses A l'homme, qui vit un jour, Si Dieu nous ôtait les roses, Si Dieu nous ôtait l'amour ! Chelles, septembre 18...
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C'est à coups de canon
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : C'est à coups de canon Titre : C'est à coups de canon Poète : Victor Hugo (1802-1885) C'est à coups de canon qu'on rend le peuple heureux. Nous sommes revenus de tous ces grands mots creux : - Progrès, fraternité, mission de la France, Droits de l'homme, raison, liberté, tolérance. Socrate est fou ; lisez Lélut qui le confond ; Christ, fort socialiste et démagogue au fond, Est une renommée en somme très surfaite. Terre ! l'obus est Dieu, Paixhans est son prophète. Vrai but du genre humain : tuer correctement. Les hommes, dont le sabre est l'unique calmant, Ont le boulet rayé pour chef-d'oeuvre ; leur astre, C'est la clarté qui sort d'une bombe Lancastre, Et l'admiration de tout peuple poli Va du mortier Armstrong au canon Cavalli. Dieu s'est trompé ; César plus haut que lui s'élance ; Jéhovah fit le verbe et César le silence. Parler, c'est abuser ; penser, c'est usurper. La voix sert à se taire et l'esprit à ramper. Le monde est à plat ventre, et l'homme, altier naguère, Doux et souple aujourd'hui, tremble. - Paix ! dit la guerre.
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Allégorie
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Allégorie Titre : Allégorie Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Jadis et naguère (1884). Despotique, pesant, incolore, l'Eté, Comme un roi fainéant présidant un supplice, S'étire par l'ardeur blanche du ciel complice Et bâille. L'homme dort loin du travail quitté. L'alouette au matin, lasse, n'a pas chanté, Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse Ou ride cet azur implacablement lisse Où le silence bout dans l'immobilité. L'âpre engourdissement a gagné les cigales Et sur leur lit étroit de pierres inégales Les ruisseaux à moitié taris ne sautent plus. Une rotation incessante de moires Lumineuses étend ses flux et ses reflux... Des guêpes, çà et là, volent, jaunes et noires.
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paul-verlaine-poeme-allegorie
À Phoebus
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À Phoebus Titre : À Phoebus Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Amours diverses (1578). Sois medecin, Phoebus, de la Maistresse Qui tient mon Prince en servage si doux : Vole à son lict, et luy taste le poux : Il faut qu'un Dieu guarisse une Deesse. Mets en effect ton mestier, et ne cesse De la panser, et luy donner secours, Ou autrement le regne des amours Sera perdu, si le mal ne la laisse. Ne souffre point, qu’une blesme langueur Ne son beau teint efface la vigueur, Ny de ses yeux où l'Amour se repose. Exauce moy, ô Phoebus : si tu veux, D'un mesme coup tu en guariras deux : Elle et mon Duc n'est qu’une mesme chose.
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pierre-de-ronsard-poeme-a-phoebus
Impression fausse
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Impression fausse Titre : Impression fausse Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). Dame souris trotte, Noire dans le gris du soir, Dame souris trotte Grise dans le noir. On sonne la cloche, Dormez, les bons prisonniers ! On sonne la cloche : Faut que vous dormiez. Pas de mauvais rêve, Ne pensez qu'à vos amours Pas de mauvais rêve : Les belles toujours ! Le grand clair de lune ! On ronfle ferme à côté. Le grand clair de lune En réalité ! Un nuage passe, Il fait noir comme en un four. Un nuage passe. Tiens, le petit jour ! Dame souris trotte, Rose dans les rayons bleus. Dame souris trotte : Debout, paresseux !
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La chevelure
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La chevelure Titre : La chevelure Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure ! Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir ! Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure Des souvenirs dormant dans cette chevelure, Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir ! La langoureuse Asie et la brûlante Afrique, Tout un monde lointain, absent, presque défunt, Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique ! Comme d'autres esprits voguent sur la musique, Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève, Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ; Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève ! Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts : Un port retentissant où mon âme peut boire A grands flots le parfum, le son et la couleur ; Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moire, Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur. Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse Dans ce noir océan où l'autre est enfermé ; Et mon esprit subtil que le roulis caresse Saura vous retrouver, ô féconde paresse, Infinis bercements du loisir embaumé ! Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues, Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond ; Sur les bords duvetés de vos mèches tordues Je m'enivre ardemment des senteurs confondues De l'huile de coco, du musc et du goudron. Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde Sèmera le rubis, la perle et le saphir, Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde ! N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?
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Un rêve
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Un rêve Titre : Un rêve Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Ballade. La corde nue et maigre, Grelottant sous le froid Beffroi, Criait d'une voix aigre Qu'on oublie au couvent L'Avent. Moines autour d'un cierge, Le front sur le pavé Lavé, Par décence, à la Vierge Tenaient leurs gros péchés Cachés ; Et moi, dans mon alcôve, Je ne songeais à rien De bien ; La lune ronde et chauve M'observait avec soin De loin ; Et ma pensée agile, S'en allant par degré, Au gré De mon cerveau fragile, Autour de mon chevet Rêvait. - Ma marquise au pied leste ! Qui ses yeux noirs verra, Dira Qu'un ange, ombre céleste, Des choeurs de Jéhova S'en va ! Quand la harpe plaintive Meurt en airs languissants, Je sens, De ma marquise vive, Le lointain souvenir Venir ! Marquise, une merveille, C'est de te voir valser, Passer, Courir comme une abeille Qui va cherchant les pleurs Des fleurs ! Ô souris-moi, marquise ! Car je vais, à te voir, Savoir Si l'amour t'a conquise, Au signal que me doit Ton doigt. Dieu ! si ton oeil complice S'était de mon côté Jeté ! S'il tombait au calice Une goutte de miel Du ciel ! Viens, faisons une histoire De ce triste roman Qui ment ! Laisse, en tes bras d'ivoire, Mon âme te chérir, Mourir ! Et que, l'aube venue, Troublant notre sommeil Vermeil, Sur ton épaule nue Se trouve encor demain Ma main ! Et ma pensée agile, S'en allant par degré Au gré De mon cerveau fragile, Autour de mon chevet Rêvait ! - Vois-tu, vois-tu, mon ange, Ce nain qui sur mon pied S'assied ! Sa bouche (oh ! c'est étrange !) A chaque mot qu'il dit Grandit. Vois-tu ces scarabées Qui tournent en croissant, Froissant Leurs ailes recourbées Aux ailes d'or des longs Frelons ? - Non, rien ; non, c'est une ombre Qui de mon fol esprit Se rit, C'est le feuillage sombre, Sur le coin du mur blanc Tremblant. - Vois-tu ce moine triste, Là, tout près de mon lit, Qui lit ? Il dit : " Dieu vous assiste ! " A quelque condamné Damné ! - Moi, trois fois sur la roue M'a, le bourreau masqué, Marqué, Et j'eus l'os de la joue Par un coup mal visé Brisé. - Non, non, ce sont les nonnes Se parlant au matin Latin ; Priez pour moi, mignonnes, Qui mon rêve trouvais Mauvais. - Reviens, oh ! qui t'empêche, Toi, que le soir, longtemps, J'attends ! Oh ! ta tête se sèche, Ton col s'allonge, étroit Et froid ! Otez-moi de ma couche Ce cadavre qui sent Le sang ! Otez-moi cette bouche Et ce baiser de mort, Qui mord ! - Mes amis, j'ai la fièvre, Et minuit, dans les noirs Manoirs, Bêlant comme une chèvre, Chasse les hiboux roux Des trous.
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Ni voir flamber au point du jour les roses
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ni voir flamber au point du jour les roses Titre : Ni voir flamber au point du jour les roses Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Ni voir flamber au point du jour les roses, Ni lys planté sur le bord d'un ruisseau, Ni son de luth, ni ramage d'oiseau, Ni dedans l'or les gemmes bien encloses, Ni des Zéphyrs les gorgettes décloses, Ni sur la mer le ronfler d'un vaisseau, Ni bal de Nymphe au gazouillis de l'eau, Ni voir fleurir au printemps toutes choses, Ni camp armé de lances hérissé, Ni antre vert de mousse tapissé, Ni des forêts les cimes qui se pressent, Ni des rochers le silence sacré, Tant de plaisirs ne me donnent qu'un Pré, Où sans espoir mes espérances paissent.
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Élévation
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Élévation Titre : Élévation Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par delà le soleil, par delà les éthers, Par delà les confins des sphères étoilées, Mon esprit, tu te meus avec agilité, Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde, Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde Avec une indicible et mâle volupté. Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ; Va te purifier dans l'air supérieur, Et bois, comme une pure et divine liqueur, Le feu clair qui remplit les espaces limpides. Derrière les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse, Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse S'élancer vers les champs lumineux et sereins ; Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, - Qui plane sur la vie, et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes !
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Châtiment de l'orgueil
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Châtiment de l'orgueil Titre : Châtiment de l'orgueil Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) En ces temps merveilleux où la Théologie Fleurit avec le plus de sève et d'énergie On raconte qu'un jour un docteur des plus grands, - Après avoir forcé les coeurs indifférents ; Les avoir remués dans leurs profondeurs noires ; Après avoir franchi vers les célestes gloires Des chemins singuliers à lui-même inconnus, Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus, Comme un homme monté trop haut, pris de panique, S'écria, transporté d'un orgueil satanique : " Jésus, petit Jésus ! je t'ai poussé bien haut ! Mais, si j'avais voulu t'attaquer au défaut De l'armure, ta honte égalerait ta gloire, Et tu ne serais plus qu'un foetus dérisoire ! " Immédiatement sa raison s'en alla. L'éclat de ce soleil d'un crêpe se voila ; Tout le chaos roula dans cette intelligence, Temple autrefois vivant, plein d'ordre et d'opulence, Sous les plafonds duquel tant de pompe avait lui. Le silence et la nuit s'installèrent en lui, Comme dans un caveau dont la clef est perdue. Dès lors il fut semblable aux bêtes de la rue, Et, quand il s'en allait sans rien voir, à travers Les champs, sans distinguer les étés des hivers, Sale, inutile et laid comme une chose usée, Il faisait des enfants la joie et la risée.
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Pur jeudi
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Pur jeudi Titre : Pur jeudi Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Rues, campagnes, où courais-je ? Les glaces me chassaient aux tournants vers d'autres mares. Les boulevards verts ! Jadis, j'admirais sans baisser les paupières, mais le soleil n'est plus un hortensia. La victoria joue au char symbolique : Flore et cette fille aux lèvres pâles. Trop de luxe pour une prairie sans prétention : aux pavois, les drapeaux ! toutes les amantes seront aux fenêtres. En mon honneur ? Vous vous trompez. Le jour me pénètre. Que me veulent les miroirs blancs et ces femmes croisées ? Mensonge ou jeu ? Mon sang n'a pas cette couleur. Sur le bitume flambant de Mars, ô perce-neiges ! tout le monde a compris mon cœur. J'ai eu honte, j'ai eu honte, oh !
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Une âme
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Une âme Titre : Une âme Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Élégie XIII. C'était une âme neuve, une âme de créole, Toute de feu, cachant à ce monde frivole Ce qui fait le poète, un inquiet désir De gloire aventureuse et de profond loisir, Et capable d'aimer comme aimerait un ange, Ne trouvant en chemin que des âmes de fange ; Peu comprise, blessée au vif à tout moment, Mais n'osant pas s'en plaindre, et sans épanchement, Sans consolation, traversant cette vie ; Aux entraves du corps à regret asservie, Esquif infortuné que d'un baiser vermeil Dans sa course jamais n'a doré le soleil, Triste jouet du vent et des ondes ; au reste, Résignée à l'oubli, nécessité funeste D'une existence vague et manquée ; ici-bas Ne connaissant qu'amers et douloureux combats Dans un corps abattu sous le chagrin, et frêle Comme un épi courbé par la pluie ou la grêle ; Encore si la foi... l'espérance... mais non, Elle ne croyait pas, et Dieu n'était qu'un nom Pour cette âme ulcérée... Enfin au cimetière, Un soir d'automne sombre et grisâtre, une bière Fut apportée : un être à la terre manqua, Et cette absence, à peine un coeur la remarqua.
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Niobé
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Niobé Titre : Niobé Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Sur un quartier de roche, un fantôme de marbre, Le menton dans la main et le coude au genou, Les pieds pris dans le sol, ainsi que des pieds d'arbre, Pleure éternellement sans relever le cou. Quel chagrin pèse donc sur ta tête abattue ? À quel puits de douleurs tes yeux puisent-ils l'eau ? Et que souffres-tu donc dans ton cœur de statue, Pour que ton sein sculpté soulève ton manteau ? Tes larmes, en tombant du coin de ta paupière, Goutte à goutte, sans cesse et sur le même endroit, Ont fait dans l'épaisseur de ta cuisse de pierre Un creux où le bouvreuil trempe son aile et boit. Ô symbole muet de l'humaine misère, Niobé sans enfants, mère des sept douleurs, Assise sur l'Athos ou bien sur le Calvaire, Quel fleuve d'Amérique est plus grand que tes pleurs ?
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Né l'enfant des grandes villes
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Né l'enfant des grandes villes Titre : Né l'enfant des grandes villes Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Né l'enfant des grandes villes Et des révoltes serviles, J'ai là tout cherché, trouvé, De tout appétit rêvé. Mais, puisque rien n'en demeure, J'ai dit un adieu léger A tout ce qui peut changer, Au plaisir, au bonheur même, Et même à tout ce que j'aime Hors de vous, mon doux Seigneur ! La Croix m'a pris sur ses ailes Qui m'emporte aux meilleurs zèles, Silence, expiation, Et l'âpre vocation Pour la vertu qui s'ignore. Douce, chère Humilité, Arrose ma charité, Trempe-la de tes eaux vives. O mon coeur, que tu ne vives Qu'aux fins d'une bonne mort !
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L'Apollon de Pont-Audemer
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'Apollon de Pont-Audemer Titre : L'Apollon de Pont-Audemer Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Premiers vers (1864). Un solide gaillard ! dix-huit ans : larges bras ; Mains à vous arracher la tête de l'épaule ; Sur un front bas et dur, cheveux roux, coupés ras. Puis, à la danse, il a, ma foi, crâne air, le drôle ! Les enfants poussent drus aux filles qu'il enjôle, Dans la puberté fière et fauve, le beau gas Va, comme dans sa pourpre un roi qui sait son rôle Et parle à voix hautaine, et marche à vastes pas. Plus tard, soit que le sort l'épargne ou le désigne, On le verra, bon vieux, barbe blanche, œil terni, S'éteindre doucement, comme un jour qui finit, Ou bien, humble héros, martyr de la consigne, Au fond d'une tranchée obscure ou d'un talus Rouler, le crâne ouvert par quelque éclat d'obus.
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L'amour par terre
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'amour par terre Titre : L'amour par terre Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Le vent de l'autre nuit a jeté bas l'Amour Qui, dans le coin le plus mystérieux du parc, Souriait en bandant malignement son arc, Et dont l'aspect nous fit tant songer tout un jour ! Le vent de l'autre nuit l'a jeté bas ! Le marbre Au souffle du matin tournoie, épars. C'est triste De voir le piédestal, où le nom de l'artiste Se lit péniblement parmi l'ombre d'un arbre, Oh ! c'est triste de voir debout le piédestal Tout seul ! Et des pensers mélancoliques vont Et viennent dans mon rêve où le chagrin profond Évoque un avenir solitaire et fatal. Oh ! c'est triste ! — Et toi-même, est-ce pas ! es touchée D'un si dolent tableau, bien que ton oeil frivole S'amuse au papillon de pourpre et d'or qui vole Au-dessus des débris dont l'allée est jonchée.
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À Madame G
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame G Titre : À Madame G Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Dans dix ans d'ici seulement, Vous serez un peu moins cruelle. C'est long, à parler franchement. L'amour viendra probablement Donner à l'horloge un coup d'aile. Votre beauté nous ensorcelle, Prenez-y garde cependant : On apprend plus d'une nouvelle En dix ans. Quand ce temps viendra, d'un amant Je serai le parfait modèle, Trop bête pour être inconstant, Et trop laid pour être infidèle. Mais vous serez encor trop belle Dans dix ans.
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À propos de la loi Faider
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À propos de la loi Faider Titre : À propos de la loi Faider Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ce qu'on appelle Charte ou Constitution, C'est un antre qu'un peuple en révolution Creuse dans le granit, abri sûr et fidèle. Joyeux, le peuple enferme en cette citadelle Ses conquêtes, ses droits, payés de tant d'efforts, Ses progrès, son honneur ; pour garder ces trésors, Il installe en la haute et superbe tanière La fauve liberté, secouant sa crinière. L'oeuvre faite, il s'apaise, il reprend ses travaux, Il retourne à son champ, fier de ses droits nouveaux, Et tranquille, il s'endort sur des dates célèbres, Sans songer aux larrons rôdant dans les ténèbres. Un beau matin, le peuple en s'éveillant va voir Sa Constitution, temple de son pouvoir ; Hélas ! de l'antre auguste on a fait une niche. Il y mit un lion, il y trouve un caniche. Jersey, le 10 décembre.
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Nos repas sont charmants
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Nos repas sont charmants Titre : Nos repas sont charmants Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Nos repas sont charmants encore que modestes, Grâce à ton art profond d'accommoder les restes Du rôti d'hier ou de ce récent pot-au-feu En hachis et ragoûts comme on n'en trouve pas chez Dieu. Le vin n'a pas ce nom, car à quoi sert la gloire ? Et puisqu'il est tiré, ne faut-il pas le boire ? Pour le pain, comme on n'en a pas toujours mangé, Qu'il nous semble excellent me semble un fait archijugé. Le légume est pour presque rien, et le fromage : Nous en usons en rois dont ce serait l'usage. Quant aux fruits, leur primeur ça nous est bien égal, Pourvu qu'il y en ait dans ce festin vraiment frugal. Mais le triomphe, au moins pour moi, c'est la salade : Comme elle en prend ! sans jamais se sentir malade, Plus forte en cela que défunt Tragaldabas, Et j'en bâfre de cœur tant elle est belle en ces ébats, Et le café, qui pour ma part fort m'indiffère, Ce qu'elle l'aime, mes bons amis, quelle affaire ! Je m'en amuse et j'en jouis pour elle, vrai ! Et puis je sais si bien que la nuit j'en profiterai. Je sais si bien que le sommeil fuira sa lèvre Et ses yeux allumés encor d'un brin de fièvre Par la goutte de rhum bue en trinquant gaîment Avec moi, présage gentil d'un choc bien plus charmant.
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Le mauvais ouvrier
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Le mauvais ouvrier Titre : Le mauvais ouvrier Poète : Anatole France (1844-1924) Recueil : Revue L'Artiste (1870). Sonnet. Maître Laurent Coster, cœur plein de poésie, Quitte les compagnons qui du matin au soir, Vignerons de l'esprit, font gémir le pressoir ; Et Coster va rêvant selon sa fantaisie. Car il aime d'amour le démon Aspasie. Sur son banc, à l'église, il va parfois s'asseoir, Et voit flotter dans la vapeur de l'encensoir La dame de l'enfer que son âme a choisie ; Ou bien encor, tout seul au bord d'un puits mousseux, Joignant ses belles mains d'ouvrier paresseux, Il écoute sans fin la sirène qui chante. Et je ne sais non plus travailler ni prier ; Je suis, comme Coster, un mauvais ouvrier, À cause des beautés d'une femme méchante.
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Les pavots
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Les pavots Titre : Les pavots Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Recueil : Méditations poétiques (1820). Lorsque vient le soir de la vie, Le printemps attriste le cœur : De sa corbeille épanouie Il s'exhale un parfum moqueur. De toutes ces fleurs qu'il étale, Dont l'amour ouvre le pétale, Dont les prés éblouissent l'œil, Hélas ! il suffit que l'on cueille De quoi parfumer d'une feuille L'oreiller du lit d'un cercueil. Cueillez-moi ce pavot sauvage Qui croît à l'ombre de ces blés : On dit qu'il en coule un breuvage Qui ferme les yeux accablés. J'ai trop veillé ; mon âme est lasse De ces rêves qu'un rêve chasse. Que me veux-tu, printemps vermeil ? Loin de moi ces lis et ces roses ! Que faut-il aux paupières closes ? La fleur qui garde le sommeil !
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Chant d'amour (II)
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Chant d'amour (II) Titre : Chant d'amour (II) Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Un de ses bras fléchit sous son cou qui le presse, L'autre sur son beau front retombe avec mollesse, Et le couvre à demi : Telle, pour sommeiller, la blanche tourterelle Courbe son cou d'albâtre et ramène son aile Sur son oeil endormi ! Le doux gémissement de son sein qui respire Se mêle au bruit plaintif de l'onde qui soupire À flots harmonieux ; Et l'ombre de ses cils, que le zéphyr soulève, Flotte légèrement comme l'ombre d'un rêve Qui passe sur ses yeux ! ................................................. Que ton sommeil est doux, ô vierge ! ô ma colombe ! Comme d'un cours égal ton sein monte et retombe Avec un long soupir ! Deux vagues que blanchit le rayon de la lune, D'un mouvement moins doux viennent l'une après l'une Murmurer et mourir ! Laisse-moi respirer sur ces lèvres vermeilles Ce souffle parfumé !...Qu'ai-je fait ? Tu t'éveilles : L'azur voilé des cieux Vient chercher doucement ta timide paupière ; Mais toi, ton doux regard, en voyant la lumière, N'a cherché que mes yeux ! Ah ! que nos longs regards se suivent, se prolongent, Comme deux purs rayons l'un dans l'autre se plongent, Et portent tour à tour Dans le coeur l'un de l'autre une tremblante flamme, Ce jour intérieur que donne seul à l'âme Le regard de l'amour ! Jusqu'à ce qu'une larme aux bords de ta paupière, De son nuage errant te cachant la lumière, Vienne baigner tes yeux, Comme on voit, au réveil d'une charmante aurore, Les larmes du matin, qu'elle attire et colore, L'ombrager dans les cieux. ................................................. Parle-moi ! Que ta voix me touche ! Chaque parole sur ta bouche Est un écho mélodieux ! Quand ta voix meurt dans mon oreille, Mon âme résonne et s'éveille, Comme un temple à la voix des dieux ! Un souffle, un mot, puis un silence, C'est assez : mon âme devance Le sens interrompu des mots, Et comprend ta voix fugitive, Comme le gazon de la rive Comprend le murmure des flots. Un son qui sur ta bouche expire, Une plainte, un demi-sourire, Mon coeur entend tout sans effort : Tel, en passant par une lyre, Le souffle même du zéphyre Devient un ravissant accord !
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Don Juan aux enfers
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Don Juan aux enfers Titre : Don Juan aux enfers Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon, Un sombre mendiant, l'oeil fier comme Antisthène, D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron. Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes, Des femmes se tordaient sous le noir firmament, Et, comme un grand troupeau de victimes offertes, Derrière lui traînaient un long mugissement. Sganarelle en riant lui réclamait ses gages, Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant Montrait à tous les morts errant sur les rivages Le fils audacieux qui railla son front blanc. Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre Elvire, Près de l'époux perfide et qui fut son amant, Semblait lui réclamer un suprême sourire Où brillât la douceur de son premier serment. Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre Se tenait à la barre et coupait le flot noir, Mais le calme héros, courbé sur sa rapière, Regardait le sillage et ne daignait rien voir.
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La fontaine de sang
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La fontaine de sang Titre : La fontaine de sang Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Il me semble parfois que mon sang coule à flots, Ainsi qu'une fontaine aux rythmiques sanglots. Je l'entends bien qui coule avec un long murmure, Mais je me tâte en vain pour trouver la blessure. A travers la cité, comme dans un champ clos, Il s'en va, transformant les pavés en îlots, Désaltérant la soif de chaque créature, Et partout colorant en rouge la nature. J'ai demandé souvent à des vins captieux D'endormir pour un jour la terreur qui me mine ; Le vin rend l'oeil plus clair et l'oreille plus fine ! J'ai cherché dans l'amour un sommeil oublieux ; Mais l'amour n'est pour moi qu'un matelas d'aiguilles Fait pour donner à boire à ces cruelles filles !
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Dernier espoir
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Dernier espoir Titre : Dernier espoir Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Le livre posthume (1893). Il est un arbre au cimetière Poussant en pleine liberté, Non planté par un deuil dicté, - Qui flotte au long d'une humble pierre. Sur cet arbre, été comme hiver, Un oiseau vient qui chante clair Sa chanson tristement fidèle. Cet arbre et cet oiseau c'est nous : Toi le souvenir, moi l'absence Que le temps - qui passe - recense... Ah, vivre encore à tes genoux ! Ah, vivre encor ! Mais quoi, ma belle, Le néant est mon froid vainqueur... Du moins, dis, je vis dans ton coeur ?
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À une mendiante rousse
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : À une mendiante rousse Titre : À une mendiante rousse Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Blanche fille aux cheveux roux, Dont la robe par ses trous Laisse voir la pauvreté Et la beauté, Pour moi, poète chétif, Ton jeune corps maladif, Plein de taches de rousseur, A sa douceur. Tu portes plus galamment Qu'une reine de roman Ses cothurnes de velours Tes sabots lourds. Au lieu d'un haillon trop court, Qu'un superbe habit de cour Traîne à plis bruyants et longs Sur tes talons ; En place de bas troués, Que pour les yeux des roués Sur ta jambe un poignard d'or Reluise encor ; Que des noeuds mal attachés Dévoilent pour nos péchés Tes deux beaux seins, radieux Comme des yeux ; Que pour te déshabiller Tes bras se fassent prier Et chassent à coups mutins Les doigts lutins, Perles de la plus belle eau, Sonnets de maître Belleau Par tes galants mis aux fers Sans cesse offerts, Valetaille de rimeurs Te dédiant leurs primeurs Et contemplant ton soulier Sous l'escalier, Maint page épris du hasard, Maint seigneur et maint Ronsard Épieraient pour le déduit Ton frais réduit ! Tu compterais dans tes lits Plus de baisers que de lis Et rangerais sous tes lois Plus d'un Valois ! - Cependant tu vas gueusant Quelque vieux débris gisant Au seuil de quelque Véfour De carrefour ; Tu vas lorgnant en dessous Des bijoux de vingt-neuf sous Dont je ne puis, oh ! pardon ! Te faire don. Va donc ! sans autre ornement, Parfum, perles, diamant, Que ta maigre nudité, Ô ma beauté !
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Nocturne
André Lemoyne (1822-1907)
Poésie : Nocturne Titre : Nocturne Poète : André Lemoyne (1822-1907) Recueil : Chansons des nids et des berceaux (1896). À Madame Fernand Barthe. LA CÉTOINE-EMERAUDE. Quand la lune apparaît, silencieuse amie, Dans le cœur embaumé d'une rose endormie Je me blottis sans crainte et jusqu'au lendemain. LE CRIOCÈRE. Moi, c'est dans un grand lys à corolle d'ivoire Que, le soir, je commence à perdre la mémoire En repliant mes deux élytres de carmin. Et toi, la coccinelle, où se trouve ton gîte ? LA COCCINELLE. Je tiens si peu de place !... une feuille m'abrite. Sous ma chape à sept points, je m'endors n'importe où. LE POÈTE. Petits joyaux d'amour, que le ciel vous préserve D'un sournois emplumé, vieil oiseau de Minerve, Qui voit clair dans la nuit en sortant de son trou.
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Vu que tu es plus blanche
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Vu que tu es plus blanche Titre : Vu que tu es plus blanche Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Vu que tu es plus blanche que le lys, Qui t'a rougi ta lèvre vermeillette D'un si beau teint ? Qui est-ce qui t'a mis Sur ton beau sein cette couleur rougette ? Qui t'a noirci les arcs de tes sourcils ? Qui t'a bruni tes beaux yeux, ma maîtresse ? Ô grand beauté remplie de soucis, Ô grand beauté pleine de grand liesse ! Ô douce, belle, honnête cruauté, Qui doucement me contraint de te suivre, Ô fière, ingrate, et fâcheuse beauté, Avecque toi je veux mourir et vivre.
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Salut à l'île d'Ischia
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Salut à l'île d'Ischia Titre : Salut à l'île d'Ischia Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Il est doux d'aspirer, en abordant la grève, Le parfum que la brise apporte à l'étranger, Et de sentir les fleurs que son haleine enlève Pleuvoir sur votre front du haut de l'oranger. Il est doux de poser sur le sable immobile Un pied lourd, et lassé du mouvement des flots ; De voir les blonds enfants et les femmes d'une île Vous tendre les fruits d'or sous leurs treilles éclos. Il est doux de prêter une oreille ravie À la langue du ciel, que rien ne peut ternir ; Qui vous reporte en rêve à l'aube de la vie, Et dont chaque syllabe est un cher souvenir. Il est doux, sur la plage où le monarque arrive, D'entendre aux flancs des forts les salves du canon ; De l'écho de ses pas faire éclater la rive, Et rouler jusqu'au ciel les saluts à son nom. Mais de tous ces accents dont le bord vous salue, Aucun n'est aussi doux sur la terre ou les mers Que le son caressant d'une voix inconnue, Qui récite au poète un refrain de ses vers. Cette voix va plus loin réveiller son délire Que l'airain de la guerre ou l'orgue de l'autel. Mais quand le cœur d'un siècle est devenu sa lyre, L'écho s'appelle gloire, et devient immortel.
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Moyen-âge
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Moyen-âge Titre : Moyen-âge Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Quand je vais poursuivant mes courses poétiques, Je m'arrête surtout aux vieux châteaux gothiques. J'aime leurs toits d'ardoise aux reflets bleus et gris, Aux faîtes couronnés d'arbustes rabougris ; Leurs pignons anguleux, leurs tourelles aiguës ; Dans les réseaux de plomb leurs vitres exiguës, Légendes des vieux temps où les preux et les saints Se groupent sous l'ogive en fantasques dessins ; Avec ses minarets moresques, la chapelle Dont la cloche qui tinte à la prière appelle ; J'aime leurs murs verdis par l'eau du ciel lavés, Leurs cours où l'herbe croît à travers les pavés, Au sommet des donjons leurs girouettes frêles Que la blanche cigogne effleure de ses ailes ; Leurs ponts-levis tremblants, leurs portails blasonnés, De monstres, de griffons, bizarrement ornés ; Leurs larges escaliers aux marches colossales, Leurs corridors sans fin et leurs immenses salles, Où, comme une voix faible, erre et gémit le vent, Où, recueilli dans moi, je m'égare, rêvant, Paré de souvenirs d'amour et de féerie, Le brillant moyen-âge et la chevalerie.
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Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie Titre : Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Sagesse d'un Louis Racine, je t'envie ! Ô n'avoir pas suivi les leçons de Rollin, N'être pas né dans le grand siècle à son déclin, Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie, Quand Maintenon jetait sur la France ravie L'ombre douce et la paix de ses coiffes de lin, Et royale abritait la veuve et l'orphelin, Quand l'étude de la prière était suivie, Quand poète et docteur, simplement, bonnement, Communiaient avec des ferveurs de novices, Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant D'aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses En louant Dieu, comme Garo, de toutes choses !
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Terza rima
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Terza rima Titre : Terza rima Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Quand Michel-Ange eut peint la chapelle Sixtine, Et que de l'échafaud, sublime et radieux, Il fut redescendu dans la cité latine, Il ne pouvait baisser ni les bras ni les yeux ; Ses pieds ne savaient pas comment marcher sur terre ; Il avait oublié le monde dans les cieux. Trois grands mois il garda cette attitude austère ; On l'eût pris pour un ange en extase devant Le saint triangle d'or, au moment du mystère. Frère, voilà pourquoi les poètes, souvent, Buttent à chaque pas sur les chemins du monde ; Les yeux fichés au ciel, ils s'en vont en rêvant. Les anges secouant leur chevelure blonde, Penchent leur front sur eux et leur tendent les bras, Et les veulent baiser avec leur bouche ronde. Eux marchent au hasard et font mille faux pas ; Ils cognent les passants, se jettent sous les roues, Ou tombent dans des puits qu'ils n'aperçoivent pas. Que leur font les passants, les pierres et les boues ? Ils cherchent dans le jour le rêve de leurs nuits, Et le jeu du désir leur empourpre les joues. Ils ne comprennent rien aux terrestres ennuis, Et, quand ils ont fini leur chapelle Sixtine, Ils sortent rayonnants de leurs obscurs réduits. Un auguste reflet de leur œuvre divine S'attache à leur personne et leur dore le front, Et le ciel qu'ils ont vu dans leurs yeux se devine. Les nuits suivront les jours et se succéderont, Avant que leur regard et leur front ne s'abaissent, Et leurs pieds, de longtemps, ne se raffermiront. Tous nos palais sous eux s'éteignent et s'affaissent ; Leur âme à la coupole où leur œuvre reluit, Revole, et ce ne sont que leurs corps qu'ils nous laissent. Notre jour leur paraît plus sombre que la nuit ; Leur œil cherche toujours le ciel bleu de la fresque, Et le tableau quitté les tourmente et les suit. Comme Buonarroti, le peintre gigantesque, Ils ne peuvent plus voir que les choses d'en haut, Et que le ciel de marbre où leur front touche presque. Sublime aveuglement ! Magnifique défaut !
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Douce Maîtresse
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Douce Maîtresse Titre : Douce Maîtresse Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Douce Maîtresse, touche, Pour soulager mon mal, Ma bouche de ta bouche Plus rouge que coral ; Que mon col soit pressé De ton bras enlacé. Puis, face dessus face, Regarde-moi les yeux, Afin que ton trait passe En mon coeur soucieux, Coeur qui ne vit sinon D'Amour et de ton nom. Je l'ai vu fier et brave, Avant que ta beauté Pour être son esclave Du sein me l'eût ôté ; Mais son mal lui plaît bien, Pourvu qu'il meure tien. Belle, par qui je donne A mes yeux, tant d'émoi, Baise-moi, ma mignonne, Cent fois rebaise-moi : Et quoi ? faut-il en vain Languir dessus ton sein ? Maîtresse, je n'ai garde De vouloir t'éveiller. Heureux quand je regarde Tes beaux yeux sommeiller, Heureux quand je les vois Endormis dessus moi. Veux-tu que je les baise Afin de les ouvrir ? Ha ! tu fais la mauvaise Pour me faire mourir ! Je meurs entre tes bras, Et s'il ne t'en chaut pas ! Ha ! ma chère ennemie, Si tu veux m'apaiser, Redonne-moi la vie Par l'esprit d'un baiser. Ha ! j'en sens la douceur Couler jusques au coeur. J'aime la douce rage D'amour continuel Quand d'un même courage Le soin est mutuel. Heureux sera le jour Que je mourrai d'amour !
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La tristesse, langueur du corps humain
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La tristesse, langueur du corps humain Titre : La tristesse, langueur du corps humain Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). La tristesse, langueur du corps humain M'attendrissent, me fléchissent, m'apitoient, Ah ! surtout quand des sommeils noirs le foudroient. Quand les draps zèbrent la peau, foulent la main ! Et que mièvre dans la fièvre du demain, Tiède encor du bain de sueur qui décroît, Comme un oiseau qui grelotte sous un toit ! Et les pieds, toujours douloureux du chemin, Et le sein, marqué d'un double coup de poing, Et la bouche, une blessure rouge encor. Et la chair frémissante, frêle décor, Et les yeux, les pauvres yeux si beaux où point La douleur de voir encore du fini !... Triste corps ! Combien faible et combien puni !
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Ô ma douce moitié
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ô ma douce moitié Titre : Ô ma douce moitié Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Chanson. Voulant, ô ma douce moitié, T'assurer que mon amitié Ne se verra jamais finie, Je fis, pour t'en assurer mieux Un serment juré par mes yeux Et par mon cœur et par ma vie. Tu jures ce qui n'est à toi ; Ton cœur et tes yeux sont à moi D'une promesse irrévocable, Ce médis-tu. Hélas ! au moins Reçoit mes larmes pour témoins Que ma parole est véritable ! Alors, Belle, tu me baisas, Et doucement désattisas Mon feu, d'un gracieux visage : Puis tu fis signe de ton œil, Que tu recevais bien mon deuil Et mes larmes pour témoignage.
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Grenade
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Grenade Titre : Grenade Poète : Victor Hugo (1802-1885) Soit lointaine, soit voisine, Espagnole ou sarrazine, Il n'est pas une cité Qui dispute sans folie A Grenade la jolie La pomme de la beauté, Et qui, gracieuse, étale Plus de pompe orientale Sous un ciel plus enchanté. Cadix a les palmiers ; Murcie a les oranges ; Jaën, son palais goth aux tourelles étranges ; Agreda, son couvent bâti par saint-Edmond ; Ségovie a l'autel dont on baise les marches, Et l'aqueduc aux trois rangs d'arches Qui lui porte un torrent pris au sommet d'un mont. Llers a des tours ; Barcelone Au faîte d'une colonne Lève un phare sur la mer ; Aux rois d'Aragon fidèle, Dans leurs vieux tombeaux, Tudèle Garde leur sceptre de fer ; Tolose a des forges sombres Qui semblent, au sein des ombres, Des soupiraux de l'enfer. Le poisson qui rouvrit l'œil mort du vieux Tobie Se joue au fond du golfe où dort Fontarabie ; Alicante aux clochers mêle les minarets ; Compostelle a son saint ; Cordoue aux maisons vieilles A sa mosquée où l'œil se perd dans les merveilles ; Madrid a le Manzanarès. Bilbao, des flots couverte, Jette une pelouse verte Sur ses murs noirs et caducs ; Médina la chevalière, Cachant sa pauvreté fière Sous le manteau de ses ducs, N'a rien que ses sycomores, Car ses beaux pont sont aux maures, Aux romains ses aqueducs. Valence a les clochers de ses trois cents églises ; L'austère Alcantara livre au souffle des brises Les drapeaux turcs pendus en foule à ses piliers ; Salamanque en riant s'assied sur trois collines, S'endort au son des mandolines Et s'éveille en sursaut aux cris des écoliers. Tortose est chère à saint-Pierre ; Le marbre est comme la pierre Dans la riche puycerda ; De sa bastille octogone Tuy se vante, et Tarragone De ses murs qu'un roi fonda ; Le Douro coule à Zamore ; Tolède a l'alcazar maure, Séville a la giralda. Burgos de son chapitre étale la richesse ; Peñaflor est marquise, et Girone est duchesse ; Bivar est une nonne aux sévères atours ; Toujours prête au combat, la sombre Pampelune, Avant de s'endormir aux rayons de la lune, Ferme sa ceinture de tours. Toutes ces villes d'Espagne S'épandent dans la campagne Ou hérissent la sierra ; Toutes ont des citadelles Dont sous des mains infidèles Aucun beffroi ne vibra ; Toutes sur leurs cathédrales Ont des clochers en spirales ; Mais Grenade a l'Alhambra. L'Alhambra ! l'Alhambra ! palais que les Génies Ont doré comme un rêve et rempli d'harmonies, Forteresse aux créneaux festonnés et croulants, Ou l'on entend la nuit de magiques syllabes, Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes, Sème les murs de trèfles flancs ! Grenade a plus de merveilles Que n'a de graines vermeilles Le beau fruit de ses vallons ; Grenade, la bien nommée, Lorsque la guerre enflammée Déroule ses pavillons, Cent fois plus terrible éclate Que la grenade écarlate Sur le front des bataillons. Il n'est rien de plus beau ni de plus grand au monde ; Soit qu'à Vivataubin Vivaconlud réponde, Avec son clair tambour de clochettes orné ; Soit que, se couronnant de feux comme un calife L'éblouissant Généralife Elève dans la nuit son faîte illuminé. Les clairons des Tours-Vermeilles Sonnent comme des abeilles Dont le vent chasse l'essaim ; Alcacava pour les fêtes A des cloches toujours prêtes A bourdonner dans son sein, Qui dans leurs tours africaines Vont éveiller les dulcaynes Du sonore Albaycin. Grenade efface en tout ses rivales ; Grenade Chante plus mollement la molle sérénade ; Elle peint ses maisons de plus riches couleurs ; Et l'on dit que les vents suspendent leurs haleines Quand par un soir d'été Grenade dans ses plaines Répand ses femmes et ses fleurs. L'Arabie est son aïeule. Les maures, pour elle seule, Aventuriers hasardeux, Joueraient l'Asie et l'Afrique, Mais Grenade est catholique, Grenade se raille d'eux ; Grenade, la belle ville, Serait une autre Séville, S'il en pouvait être deux. Du 3 au 5 avril 1828.
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Circoncision
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Circoncision Titre : Circoncision Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Petit Jésus qui souffrez déjà dans votre chair Pour obéir au premier précepte de la Loi, Or, nous venons en ce jour saintement doux-amer, Vous offrir les prémices aussi de notre foi. Pour obéir, nous autres, à votre obéissance, Nous apportons sur l'autel le parfait hommage De nos péchés pénitents à votre innocence, Sur l'autel blanc où votre sang si pur, notre otage, Coule mystiquement comme il coula littéral Au Golgotha, comme il stilla, pas plus réel Mais littéral aussi, ce jour, dont le rituel Retient l'anniversaire cruel et lilial. Et nous circoncisons nos cœurs suivant votre exemple, Et nous voudrons ressembler à Vous-même, qui fites Le vieux Siméon, dans la solennité du temple, Exhaler vers vous une allégresse sans limites. L'ancien Adam qui se désolait dans son espoir Toujours remis d'enfin voir, de ses yeux, nous meilleurs, Nous très doux sans plus d'ire rouge ou d'orgueil noir, Va chanter un fier cantique de joie et de pleurs, Et dans les cieux les bienheureux et bienheureuses S'éjouiront plus que de coutume, et les anges, Pour ce que cette année, elle à peine dans les langes, Dès son premier souffle, a ces haleines amoureuses.
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Chanson (Les châtiments, V)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Chanson (Les châtiments, V) Titre : Chanson (Les châtiments, V) Poète : Victor Hugo (1802-1885) Sa grandeur éblouit l'histoire. Quinze ans, il fut Le dieu que traînait la victoire Sur un affût ; L'Europe sous la loi guerrière Se débattit. — Toi, son singe, marche derrière, Petit, petit. Napoléon dans la bataille, Grave et serein, Guidait à travers la mitraille L'aigle d'airain. Il entra sur le pont d'Arcole, Il en sortit. — Voici de l'or, viens, pille et vole, Petit, petit. Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses ; Il les forçait, Leste, et prenant les forteresses Par le corset. Il triompha de cent bastilles Qu'il investit. — Voici pour toi, voici des filles, Petit, petit. Il passait les monts et les plaines, Tenant en main La palme, la foudre, et les rênes Du genre humain ; Il était ivre de sa gloire Qui retentit. — Voici du sang, accours, viens boire, Petit, petit. Quand il tomba, lâchant le monde, L'immense mer Ouvrit à sa chute profonde Son gouffre amer ; Il y plongea, sinistre archange, Et s'engloutit. — Toi, tu te noieras dans la fange, Petit, petit. Jersey, septembre 1853.
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Ton souvenir est comme un livre
Albert Samain (1858-1900)
Poésie : Ton souvenir est comme un livre Titre : Ton souvenir est comme un livre Poète : Albert Samain (1858-1900) Ton Souvenir est comme un livre bien aimé, Qu'on lit sans cesse, et qui jamais n'est refermé, Un livre où l'on vit mieux sa vie, et qui vous hante D'un rêve nostalgique, où l'âme se tourmente. Je voudrais, convoitant l'impossible en mes vœux, Enfermer dans un vers l'odeur de tes cheveux ; Ciseler avec l'art patient des orfèvres Une phrase infléchie au contour de tes lèvres ; Emprisonner ce trouble et ces ondes d'émoi Qu'en tombant de ton âme, un mot propage en moi ; Dire quelle mer chante en vagues d'élégie Au golfe de tes seins où je me réfugie ; Dire, oh surtout ! tes yeux doux et tièdes parfois Comme une après-midi d'automne dans les bois ; De l'heure la plus chère enchâsser la relique, Et, sur le piano, tel soir mélancolique, Ressusciter l'écho presque religieux D'un ancien baiser attardé sur tes yeux.
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La grand-mère
Sophie d'Arbouville (1810-1850)
Poésie : La grand-mère Titre : La grand-mère Poète : Sophie d'Arbouville (1810-1850) Romance. Dansez, fillettes du village, Chantez vos doux refrains d'amour : Trop vite, hélas ! un ciel d'orage Vient obscurcir le plus beau jour. En vous voyant, je me rappelle Et mes plaisirs et mes succès ; Comme vous, j'étais jeune et belle, Et, comme vous, je le savais. Soudain ma blonde chevelure Me montra quelques cheveux blancs... J'ai vu, comme dans la nature, L'hiver succéder au printemps. Dansez, fillettes du village, Chantez vos doux refrains d'amour ; Trop vite, hélas ! un ciel d'orage Vient obscurcir le plus beau jour. Naïve et sans expérience, D'amour je crus les doux serments, Et j'aimais avec confiance... On croit au bonheur à quinze ans ! Une fleur, par Julien cueillie, Était le gage de sa foi ; Mais, avant qu'elle fût flétrie, L'ingrat ne pensait plus à moi ! Dansez, fillettes du Village, Chantez vos doux refrains d'amour ; Trop vite, hélas ! un ciel d'orage Vient obscurcir le plus beau jour. À vingt ans, un ami fidèle Adoucit mon premier chagrin ; J'étais triste, mais j'étais belle, Il m'offrit son cœur et sa main. Trop tôt pour nous vint la vieillesse ; Nous nous aimions, nous étions vieux... La mort rompit notre tendresse... Mon ami fut le plus heureux ! Dansez, fillettes du village, Chantez vos doux refrains d'amour ; Trop vite, hélas ! un ciel d'orage Vient obscurcir le plus beau jour. Pour moi, n'arrêtez pas la danse ; Le ciel est pur, je suis au port, Aux bruyants plaisirs de l'enfance La grand-mère sourit encor. Que cette larme que j'efface N'attriste pas vos jeunes cœurs : Le soleil brille sur la glace, L'hiver conserve quelques fleurs. Dansez, fillettes du village, Chantez vos doux refrains d'amour, Et, sous un ciel exempt d'orage, Embellissez mon dernier jour !
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Tu n'es pas vaincu, sinon par le Seigneur
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Tu n'es pas vaincu, sinon par le Seigneur Titre : Tu n'es pas vaincu, sinon par le Seigneur Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Or, tu n'es pas vaincu, sinon par le Seigneur, Oppose au siècle un front de courage et d'honneur Bande ton coeur moins faible au fond que tu ne crois, Ne cherche, en fait d'abri, que l'ombre de la croix. Ceins, sinon l'innocence, hélas ! et la candeur, Du moins la tempérance et du moins la pudeur, Et dans le bon combat contre péchés et maux S'il faut, eh bien, emprunte à certains animaux, Béhémos et Léviathan, prudents qu'ils sont, Les armures pour la défensive qu'ils ont, Puisque ton cas, pour l'offensive est superflu. Abdique les airs martiaux où tu t'es plu. Laisse l'épée et te confie au bouclier. Carapace-toi bien, comme d'un bon acier, De discrétion fine et de fort quant-à-moi. Puis, quand tu voudras r'attaquer, reprends la Foi !
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Mon ami, ma plus belle amitié
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Mon ami, ma plus belle amitié Titre : Mon ami, ma plus belle amitié Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Mon ami, ma plus belle amitié, ma meilleure, — Les morts sont morts, douce leur soit l'éternité ! Laisse-moi te le dire en toute vérité, Tu vins au temps marqué, tu parus à ton heure ; Tu parus sur ma vie et tu vins dans mon cœur Au jour climatérique où, noir vaisseau qui sombre, J'allais noyer ma chair sous la débauche sombre. Ma chair dolente, et mon esprit jadis vainqueur, Et mon âme naguère et jadis toute blanche ! Mais tu vins, tu parus, tu vins comme un voleur, — Tel Christ viendra — Voleur qui m'a pris mon malheur ! Tu parus sur ma mer non pas comme une planche De salut, mais le Salut même ! Ta vertu Première, la gaieté, c'est elle-même, franche Comme l'or, comme un bel oiseau sur une brandie Qui s'envole dans un brillant turlututu. Emportant sur son aile électrique les ires Et les affres et les tentations encor ; Ton bon sens, — tel après du fifre c'est du cor, — Vient paisiblement mettre fin aux délires, N'étant point, ô que non ! le prud'homisme affreux, Mais l'équilibre, mais la vision artiste, Sûre et sincère et qui persiste et qui résiste A l'argumentateur plat comme un songe creux ; Et ta bonté, conforme à ta jeunesse, est verte, Mais elle va mûrir délicieusement ! Elle met dans tout moi le renouveau charmant D'une sève éveillée et d'une âme entr'ouverte. Elle étend, sous mes pieds, un gazon souple et frais Où ces marcheurs saignants reprennent du courage, Caressés par des fleurs au gai parfum sauvage, Lavés de la rosée et s'attardant exprès. Elle met sur ma tête, aux tempêtes calmées. Un ciel profond et clair où passe le vent pur Et vif, éparpillant les notes dans l'azur D'oiseaux volant et s'éveillant sous les ramées. Elle verse à mes yeux, qui ne pleureront plus, Un paisible sommeil dans la nuit transparente Que de rêves légers bénissent, troupe errante De souvenirs et d'espoirs révolus. Avec des tours naïfs et des besoins d'enfance, Elle veut être fière et rêve de pouvoir Être rude un petit sans pouvoir que vouloir Tant le bon mouvement sur l'autre prend d'avance. J'use d'elle et parfois d'elle j'abuserais Par égoïsme un peu bien surérogatoire, Tort d'ailleurs pardonnable en toute humaine histoire Mais non dans celle-ci, de crainte des regrets. De mon côté, c'est vrai qu'à travers mes caprices, Mes nerfs et tout le train de mon tempérament. Je t'estime et je t'estime, ô si fidèlement, Trouvant dans ces devoirs mes plus chères délices. Déployant tout le peu que j'ai de paternel Plus encor que de fraternel, malgré l'extrême Fraternité, tu sais, qu'est notre amitié même, Exultant sur ce presque amour presque charnel ! Presque charnel à force de sollicitude Paternelle vraiment et maternelle aussi. Presque un amour à cause, ô toi de l'insouci De vivre sinon pour cette sollicitude. Vaste, impétueux donc, et de prime-saut, mais Non sans prudence en raison de l'expérience Très douloureuse qui m'apprit toute nuance. Du jour lointain, quand la première fois j'aimais : Ce presque amour est saint ; il bénit d'innocence Mon reste d'une vie en somme toute au mal, Et c'est comme les eaux d'un torrent baptismal Sur des péchés qu'en vain l'Enfer déçu recense. Aussi, précieux toi plus cher que tous les moi Que je fus et serai si doit durer ma vie, Soyons tout l'un pour l'autre en dépit de l'envie, Soyons tout l'un à l'autre en toute bonne foi. Allons, d'un bel élan qui demeure exemplaire Et fasse autour le monde étonné chastement, Réjouissons les cieux d'un spectacle charmant Et du siècle et du sort défions la colère. Nous avons le bonheur ainsi qu'il est permis. Toi de qui la pensée est toute dans la mienne, Il n'est, dans la légende actuelle et l'ancienne Rien de plus noble et de plus beau que deux amis, Déployant à l'envi les splendeurs de leurs âmes, Le Sacrifice et l'Indulgence jusqu'au sang, La Charité qui porte un monde dans son flanc Et toutes les pudeurs comme de douces flammes ! Soyons tout l'un à l'autre enfin ! et l'un pour l'autre En dépit des jaloux, et de nos vains soupçons, A nous, et cette foi pour de bon, renonçons Au vil respect humain où la foule se vautre, Afin qu'enfin ce Jésus-Christ qui nous créa Nous fasse grâce et fasse grâce au monde immonde D'autour de nous alors unis, — paix sans seconde ! — Définitivement, et dicte: Alléluia. « Qu'ils entrent dans ma joie et goûtent mes louanges ; Car ils ont accompli leur tâche comme dû, Et leur cri d'espérance, il me fut entendu, Et voilà pourquoi les anges et les archanges S'écarteront de devant Moi pour avoir admis, Purifiés de tous péchés inévitables Et des traverses quelquefois épouvantables, Ce couple infiniment bénissable d'Amis. »
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Bannières de mai
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Bannières de mai Titre : Bannières de mai Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Aux branches claires des tilleuls Meurt un maladif hallali. Mais des chansons spirituelles Voltigent parmi les groseilles. Que notre sang rie en nos veines, Voici s'enchevêtrer les vignes. Le ciel est joli comme un ange. L'azur et l'onde communient. Je sors. Si un rayon me blesse Je succomberai sur la mousse. Qu'on patiente et qu'on s'ennuie C'est trop simple. Fi de mes peines. Je veux que l'été dramatique Me lie à son char de fortunes Que par toi beaucoup, ô Nature, - Ah moins seul et moins nul ! - je meure. Au lieu que les Bergers, c'est drôle, Meurent à peu près par le monde. Je veux bien que les saisons m'usent. A toi, Nature, je me rends ; Et ma faim et toute ma soif. Et, s'il te plaît, nourris, abreuve. Rien de rien ne m'illusionne ; C'est rire aux parents, qu'au soleil, Mais moi je ne veux rire à rien ; Et libre soit cette infortune.
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Épilogue
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Épilogue Titre : Épilogue Poète : Paul Verlaine (1844-1896) I Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense. Balancés par un vent automnal et berceur, Les rosiers du jardin s'inclinent en cadence. L'atmosphère ambiante a des baisers de sœur. La Nature a quitté pour cette fois son trône De splendeur, d'ironie et de sérénité : Clémente, elle descend, par l'ampleur de l'air jaune, Vers l'homme, son sujet pervers et révolté. Du pan de son manteau que l'abîme constelle, Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts, Et son âme éternelle et sa forme immortelle Donnent calme et vigueur à nos cœurs mous et prompts. Le frais balancement des ramures chenues, L'horizon élargi plein de vagues chansons, Tout, jusqu'au vol joyeux des oiseaux et des nues, Tout, aujourd'hui, console et délivre. — Pensons. II Donc, c'en est fait. Ce livre est clos. Chères Idées Qui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feu Dont le vent caressait mes tempes obsédées, Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu ! Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore, Et vous, Rythmes chanteurs, et vous, délicieux, Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous encore, Images qu'évoquaient mes désirs anxieux, Il faut nous séparer. Jusqu'aux jours plus propices Où nous réunira l'Art, notre maître, adieu, Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices ! Vous pouvez revoler devers l'Infini bleu. Aussi bien, nous avons fourni notre carrière, Et le jeune étalon de notre bon plaisir, Tout affolé qu'il est de sa course première, A besoin d'un peu d'ombre et de quelque loisir. – Car toujours nous t'avons fixée, ô Poésie, Notre astre unique et notre unique passion, T'ayant seule pour guide et compagne choisie, Mère, et nous méfiant de l'Inspiration. III Ah ! l'Inspiration superbe et souveraine, L'Égérie aux regards lumineux et profonds, Le Genium commode et l'Erato soudaine, L'Ange des vieux tableaux avec des ors au fond, La Muse, dont la voix est puissante sans doute, Puisqu'elle fait d'un coup dans les premiers cerveaux, Comme ces pissenlits dont s'émaille la route, Pousser tout un jardin de poèmes nouveaux, La Colombe, le Saint-Esprit, le saint Délire, Les Troubles opportuns, les Transports complaisants, Gabriel et son luth, Apollon et sa lyre, Ah ! l'Inspiration, on l'invoque à seize ans ! Ce qu'il nous faut à nous, les Suprêmes Poètes Qui vénérons les Dieux et qui n'y croyons pas, À nous dont nul rayon n'auréola les têtes, Dont nulle Béatrix n'a dirigé les pas, À nous qui ciselons les mots comme des coupes Et qui faisons des vers émus très froidement, À nous qu'on ne voit point les soirs aller par groupes Harmonieux au bord des lacs et nous pâmant, Ce qu'il nous faut à nous, c'est, aux lueurs des lampes, La science conquise et le sommeil dompté, C'est le front dans les mains du vieux Faust des estampes, C'est l'Obstination et c'est la Volonté ! C'est la Volonté sainte, absolue, éternelle, Cramponnée au projet comme un noble condor Aux flancs fumants de peur d'un buffle, et d'un coup d'aile Emportant son trophée à travers les cieux d'or ! Ce qu'il nous faut à nous, c'est l'étude sans trêve, C'est l'effort inouï, le combat nonpareil, C'est la nuit, l'âpre nuit du travail, d'où se lève Lentement, lentement, l'Œuvre, ainsi qu'un soleil ! Libre à nos Inspirés, cœurs qu'une œillade enflamme, D'abandonner leur être aux vents comme un bouleau ; Pauvres gens ! l'Art n'est pas d'éparpiller son âme : Est-elle en marbre, ou non, la Vénus de Milo ? Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensées Le bloc vierge du Beau, Paros immaculé, Et faisons-en surgir sous nos mains empressées Quelque pure statue au péplos étoilé, Afin qu'un jour, frappant de rayons gris et roses Le chef-d'œuvre serein, comme un nouveau Memnon, L'Aube-Postérité, fille des Temps moroses, Fasse dans l'air futur retentir notre nom !
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À Madame M. N. (I)
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame M. N. (I) Titre : À Madame M. N. (I) Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Sonnet. Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage Jette au hasard un cri dans un chemin perdu, Au fond des bois fleuris, dans son nid de feuillage, Le rossignol pensif a parfois répondu. Ainsi fut mon appel de votre âme entendu, Et vous me répondez dans notre cher langage. Ce charme triste et doux, tant aimé d'un autre âge, Ce pur toucher du coeur, vous me l'avez rendu. Était-ce donc bien vous ? Si bonne et si jolie, Vous parlez de regrets et de mélancolie. - Et moi peut-être aussi, j'avais un coeur blessé. Aimer n'importe quoi, c'est un peu de folie. Qui nous rapportera le bouquet d'Ophélie De la rive inconnue où les flots l'ont laissé ?
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Il est trop tard
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Il est trop tard Titre : Il est trop tard Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Rappelez-vous ces jours heureux, Où mon cœur crédule et sincère Vous présenta ses premiers vœux. Combien alors vous m'étiez chère ! Quels transports ! quel égarement ! Jamais on ne parut si belle Aux yeux enchantés d'un amant ; Jamais un objet infidèle Ne fut aimé plus tendrement. Le temps sut vous rendre volage ; Le temps a su m'en consoler. Pour jamais j'ai vu s'envoler Cet amour qui fut votre ouvrage : Cessez donc de le rappeler. De mon silence en vain surprise, Vous semblez revenir à moi ; Vous réclamez en vain la foi Qu'à la vôtre j'avais promise : Grâce à votre légèreté, J'ai perdu la crédulité Qui pouvait seule vous la rendre. L'on n'est bien trompé qu'une fois. De l'illusion, je le vois, Le bandeau ne peut se reprendre. Échappé d'un piège menteur, L'habitant ailé du bocage Reconnaît et fuit l'esclavage Que lui présente l'oiseleur.
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Résignation
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Résignation Titre : Résignation Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Tout enfant, j'allais rêvant Ko-Hinnor, Somptuosité persane et papale Héliogabale et Sardanapale ! Mon désir créait sous des toits en or, Parmi les parfums, au son des musiques, Des harems sans fin, paradis physiques ! Aujourd'hui, plus calme et non moins ardent, Mais sachant la vie et qu'il faut qu'on plie, J'ai dû refréner ma belle folie, Sans me résigner par trop cependant. Soit ! le grandiose échappe à ma dent, Mais, fi de l'aimable et fi de la lie ! Et je hais toujours la femme jolie, La rime assonante et l'ami prudent.
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Crépuscule du soir mystique
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Crépuscule du soir mystique Titre : Crépuscule du soir mystique Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Le Souvenir avec le Crépuscule Rougeoie et tremble à l'ardent horizon De l'Espérance en flamme qui recule Et s'agrandit ainsi qu'une cloison Mystérieuse où mainte floraison — Dahlia, lys, tulipe et renoncule — S'élance autour d'un treillis, et circule Parmi la maladive exhalaison De parfums lourds et chauds, dont le poison — Dahlia, lys, tulipe et renoncule — Noyant mes sens, mon âme et ma raison, Mêle, dans une immense pâmoison, Le Souvenir avec le Crépuscule.
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Abîme - L'homme
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Abîme - L'homme Titre : Abîme - L'homme Poète : Victor Hugo (1802-1885) Je suis l'esprit, vivant au sein des choses mortes. Je sais forger les clefs quand on ferme les portes ; Je fais vers le désert reculer le lion ; Je m'appelle Bacchus, Noé, Deucalion ; Je m'appelle Shakspeare, Annibal, César, Dante ; Je suis le conquérant ; je tiens l'épée ardente, Et j'entre, épouvantant l'ombre que je poursuis, Dans toutes les terreurs et dans toutes les nuits. Je suis Platon, je vois ; je suis Newton, je trouve. Du hibou je fais naître Athène, et de la louve Rome ; et l'aigle m'a dit : Toi, marche le premier ! J'ai Christ dans mon sépulcre et Job sur mon fumier. Je vis ! dans mes deux mains je porte en équilibre L'âme et la chair ; je suis l'homme, enfin maître et libre ! Je suis l'antique Adam ! j'aime, je sais, je sens ; J'ai pris l'arbre de vie entre mes poings puissants ; Joyeux, je le secoue au-dessus de ma tête, Et, comme si j'étais le vent de la tempête, J'agite ses rameaux d'oranges d'or chargés, Et je crie : " Accourez, peuples ! prenez, mangez ! " Et je fais sur leurs fronts tomber toutes les pommes ; Car, science, pour moi, pour mes fils, pour les hommes, Ta sève à flots descend des cieux pleins de bonté, Car la Vie est ton fruit, racine Éternité ! Et tout germe, et tout croît, et, fournaise agrandie, Comme en une forêt court le rouge incendie, Le beau Progrès vermeil, l'oeil sur l'azur fixé, Marche, et tout en marchant dévore le passé. Je veux, tout obéit, la matière inflexible Cède ; je suis égal presque au grand Invisible ; Coteaux, je fais le vin comme lui fait le miel ; Je lâche comme lui des globes dans le ciel. Je me fais un palais de ce qui fut ma geôle ; J'attache un fil vivant d'un pôle à l'autre pôle ; Je fais voler l'esprit sur l'aile de l'éclair ; Je tends l'arc de Nemrod, le divin arc de fer, Et la flèche qui siffle et la flèche qui vole, Et que j'envoie au bout du monde, est ma parole. Je fais causer le Rhin, le Gange et l'Orégon Comme trois voyageurs dans le même wagon. La distance n'est plus. Du vieux géant Espace J'ai fait un nain. Je vais, et, devant mon audace, Les noirs titans jaloux lèvent leur front flétri ; Prométhée, au Caucase enchaîné, pousse un cri, Tout étonné de voir Franklin voler la foudre ; Fulton, qu'un Jupiter eût mis jadis en poudre, Monte Léviathan et traverse la mer ; Galvani, calme, étreint la mort au rire amer ; Volta prend dans ses mains le glaive de l'archange Et le dissout ; le monde à ma voix tremble et change ; Caïn meurt, l'avenir ressemble au jeune Abel ; Je reconquiers Éden et j'achève Babel. Rien sans moi. La nature ébauche ; je termine. Terre, je suis ton roi.
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Ballade de la mauvaise réputation
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ballade de la mauvaise réputation Titre : Ballade de la mauvaise réputation Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Il eut des temps quelques argents Et régla ses camarades D'un sexe ou deux, intelligents Ou charmants, ou bien les deux grades, Si que dans les esprits malades Sa bonne réputation Subit que de dégringolades ! Lucullus ? Non. Trimalcion. Sous ses lambris, c'étaient des chants Et des paroles point trop fades. Éros et Bacchos indulgents Présidaient à ces sérénades Qu'accompagnaient des embrassades. Puis chœurs et conversation Cessaient pour des fins peu maussades. Lucullus ? Non. Trimalcion. L'aube pointait et ces méchants La saluaient par cent aubades Qui réveillaient au loin les gens De bien, et par mille rasades. Cependant de vagues brigades — Zèle ou dénonciation ? — Verbalisaient chez des alcades. Lucullus ? Non. Trimalcion. Envoi Prince, ô très haut marquis de Sade, Un souris pour votre scion Fier derrière sa palissade. Lucullus ? Non. Trimalcion.
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Fugue
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Fugue Titre : Fugue Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Une joie éclate en trois Temps mesuré de la lyre Une joie éclate au bois Que je ne saurais pas dire Tournez têtes Tournez rires Pour l'amour de qui Pour l'amour de quoi Pour l'amour de moi.
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Chant d'amour (IV)
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Chant d'amour (IV) Titre : Chant d'amour (IV) Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Pourquoi de tes regards percer ainsi mon âme ? Baisse, oh ! baisse tes yeux pleins d'une chaste flamme : Baisse-les, ou je meurs. Viens plutôt, lève-toi ! Mets ta main dans la mienne, Que mon bras arrondi t'entoure et te soutienne Sur ces tapis de fleurs. ............................................ Aux bords d'un lac d'azur il est une colline Dont le front verdoyant légèrement s'incline Pour contempler les eaux ; Le regard du soleil tout le jour la caresse, Et l'haleine de l'onde y fait flotter sans cesse Les ombres des rameaux. Entourant de ses plis deux chênes qu'elle embrasse, Une vigne sauvage à leurs rameaux s'enlace, Et, couronnant leurs fronts, De sa pâle verdure éclaircit leur feuillage, Puis sur des champs coupés de lumière et d'ombrage Court en riants festons. Là, dans les flancs creusés d'un rocher qui surplombe, S'ouvre une grotte obscure, un nid où la colombe Aime à gémir d'amour ; La vigne, le figuier, la voilent, la tapissent, Et les rayons du ciel, qui lentement s'y glissent, Y mesurent le jour. La nuit et la fraîcheur de ces ombres discrètes Conservent plus longtemps aux pâles violettes Leurs timides couleurs ; Une source plaintive en habite la voûte, Et semble sur vos fronts distiller goutte à goutte Des accords et des pleurs. Le regard, à travers ce rideau de verdure, Ne voit rien que le ciel et l'onde qu'il azure ; Et sur le sein des eaux Les voiles du pêcheur, qui, couvrant sa nacelle, Fendent ce ciel limpide, et battent comme l'aile Des rapides oiseaux. L'oreille n'entend rien qu'une vague plaintive Qui, comme un long baiser, murmure sur sa rive, Ou la voix des zéphyrs, Ou les sons cadencés que gémit Philomèle, Ou l'écho du rocher, dont un soupir se mêle À nos propres soupirs.
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Dieu des amours
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Dieu des amours Titre : Dieu des amours Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Élégie IV. Dieu des amours, le plus puissant des dieux, Le seul du moins qu'adora ma jeunesse ; Il m'en souvient, dans ce moment heureux Où je fléchis mon ingrate maîtresse, Mon cœur crédule et trompé par vous deux Mon faible cœur jura d'aimer sans cesse. Mais je révoque un serment indiscret. Assez longtemps tu tourmentas ma vie, Amour, amour, séduisante folie ! Je t'abandonne, et même sans regret. Loin de Paphos la raison me rappelle, Je veux la suivre et ne veux suivre qu'elle. Pour t'obéir je semblais être né : Vers tes autels dès l'enfance entraîné, Je me soumis sans peine à ta puissance. Ton injustice a lassé ma constance : Tu m'as puni de ma fidélité. Ah ! j'aurais dû, moins tendre et plus volage, User des droits accordés au jeune âge. Oui, moins soumis, tu m'aurais mieux traité. Bien insensé celui qui près des belles Perd en soupirs de précieux instants ! Tous les chagrins sont pour les cœurs fidèles ; Tous les plaisirs sont pour les inconstants.
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Rages de Césars
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Rages de Césars Titre : Rages de Césars Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. L'homme pâle, le long des pelouses fleuries, Chemine, en habit noir, et le cigare aux dents : L'Homme pâle repense aux fleurs des Tuileries - Et parfois son oeil terne a des regards ardents... Car l'Empereur est soûl de ses vingt ans d'orgie ! Il s'était dit : "Je vais souffler la liberté Bien délicatement, ainsi qu'une bougie !" La liberté revit ! Il se sent éreinté ! Il est pris. - Oh ! quel nom sur ses lèvres muettes Tressaille ? Quel regret implacable le mord ? On ne le saura pas. L'Empereur a l'oeil mort. Il repense peut-être au Compère en lunettes... - Et regarde filer de son cigare en feu, Comme aux soirs de Saint-Cloud, un fin nuage bleu.
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Le lendemain (I)
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Le lendemain (I) Titre : Le lendemain (I) Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Tu l'as connu, ma chère Éléonore Ce doux plaisir, ce péché si charmant, Que tu craignais, même en le désirant ; En le goûtant, tu le craignais encore. Eh bien ! dis-moi : qu'a-t-il donc d'effrayant ? Que laisse-t-il après lui dans ton âme ? Un léger trouble, un tendre souvenir, L'étonnement de sa nouvelle flamme, Un doux regret, et surtout un désir. Déjà la rose aux lis de ton visage Mêle ses brillantes couleurs ; Dans tes beaux yeux, à la pudeur sauvage Succèdent les molles langueurs, Qui de nos plaisirs enchanteurs Sont à la fois la suite et le présage. Déjà ton sein, doucement agité, Avec moins de timidité Repousse la gaze légère Qu'arrangea la main d'une mère, Et que la main du tendre amour, Moins discrète et plus familière, Saura déranger à son tour. Une agréable rêverie Remplace enfin cet enjouement, Cette piquante étourderie, Qui désespéraient ton amant ; Et ton âme plus attendrie S'abandonne nonchalamment Au délicieux sentiment D'une douce mélancolie. Ah ! laissons nos tristes censeurs Traiter de crime impardonnable Le seul baume pour nos douleurs, Ce plaisir pur, dont un dieu favorable Mit le germe dans tous les coeurs Ne crois pas à leur imposture. Leur zèle hypocrite et jaloux Fait un outrage à la nature : Non, le crime n'est pas si doux.
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Larme
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Larme Titre : Larme Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Derniers vers (1872). Loin des oiseaux, des troupeaux, des villageoises, Je buvais, accroupi dans quelque bruyère Entourée de tendres bois de noisetiers, Par un brouillard d'après-midi tiède et vert. Que pouvais-je boire dans cette jeune Oise, Ormeaux sans voix, gazon sans fleurs, ciel couvert. Que tirais-je à la gourde de colocase ? Quelque liqueur d'or, fade et qui fait suer. Tel, j'eusse été mauvaise enseigne d'auberge. Puis l'orage changea le ciel, jusqu'au soir. Ce furent des pays noirs, des lacs, des perches, Des colonnades sous la nuit bleue, des gares. L'eau des bois se perdait sur des sables vierges, Le vent, du ciel, jetait des glaçons aux mares... Or ! tel qu'un pêcheur d'or ou de coquillages, Dire que je n'ai pas eu souci de boire !
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Jamais Hector aux guerres n'était lâche
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Jamais Hector aux guerres n'était lâche Titre : Jamais Hector aux guerres n'était lâche Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Amours diverses (1578). Jamais Hector aux guerres n'était lâche Lorsqu'il allait combattre les Grégeois : Toujours sa femme attachait son harnois, Et sur l'armet (1) lui plantait son panache. Il ne craignait la Péléenne (2) hache Du grand Achille, ayant deux ou trois fois Baisé sa femme, et tenant en ses doigts Une faveur de sa belle Andromache. Heureux cent fois, toi chevalier errant, Que ma déesse allait hier parant, Et qu'en armant baisait, comme je pense. De sa vertu procède ton honneur : Que plût à Dieu, pour avoir ce bonheur Avoir changé mes plumes à ta lance. 1. L'armet est un casque. 2. La hache d'Achille, fils de Pélée.
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Cantate de Bettine
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Cantate de Bettine Titre : Cantate de Bettine Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies complémentaires. Nina, ton sourire, Ta voix qui soupire, Tes yeux qui font dire Qu'on croit au bonheur, Ces belles années, Ces douces journées, Ces roses fanées, Mortes sur ton coeur... Nina, ma charmante, Pendant la tourmente, La mer écumante Grondait à nos yeux ; Riante et fertile, La plage tranquille Nous montrait l'asile Qu'appelaient nos voeux ! Aimable Italie, Sagesse ou folie, Jamais, jamais ne t'oublie Qui t'a vue un jour ! Toujours plus chérie, Ta rive fleurie Toujours sera la patrie Que cherche l'amour.
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Le parfum
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le parfum Titre : Le parfum Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Lecteur, as-tu quelquefois respiré Avec ivresse et lente gourmandise Ce grain d'encens qui remplit une église, Ou d'un sachet le musc invétéré ? Charme profond, magique, dont nous grise Dans le présent le passé restauré ! Ainsi l'amant sur un corps adoré Du souvenir cueille la fleur exquise. De ses cheveux élastiques et lourds, Vivant sachet, encensoir de l'alcôve, Une senteur montait, sauvage et fauve, Et des habits, mousseline ou velours, Tout imprégnés de sa jeunesse pure, Se dégageait un parfum de fourrure.
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Je plante en ta faveur cet arbre
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Je plante en ta faveur cet arbre Titre : Je plante en ta faveur cet arbre Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Sonnets pour Hélène (1578). Je plante en ta faveur cet arbre de Cybelle, Ce Pin, où tes honneurs se liront tous les jours ; J'ai gravé sur le tronc nos noms et nos amours, Qui croîtront à l'envie de l'écorce nouvelle. Faunes, qui habitez ma terre paternelle, Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours, Favorisez la plante et lui donnez secours, Que l'Été ne la brûle et l'Hiver ne la gèle. Pasteur, qui conduira en ce lieu ton troupeau, Flageolant une Éclogue (1) en ton tuyau d'aveine, Attache tous les ans à cet arbre un tableau, Qui témoigne aux passants mes amours et ma peine : Puis l'arrosant de lait et du sang d'un agneau, Dit : « Ce Pin est sacré, c'est la plante d'Hélène. » 1. Éclogue : Élégie.
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Chambre garnie
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Chambre garnie Titre : Chambre garnie Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). À l'Hôtel de l'Univers et de l'Aveyron Le Métropolitain passe par la fenêtre La fille aux-yeux-de-sol m'y rejoindra peut-être Mon cœur Que lui dirons-nous quand nous la verrons Compte les fleurs ma chère Compte les fleurs du mur Mon cœur est en jachères Attention L'escalier est peu sûr Que n'es-tu la vachère Qui mène les amants en Mésopotamie.
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Bonne pensée du matin
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Bonne pensée du matin Titre : Bonne pensée du matin Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Derniers vers (1872). À quatre heures du matin, l'été, Le sommeil d'amour dure encore. Sous les bosquets l'aube évapore L'odeur du soir fêté. Mais là-bas dans l'immense chantier Vers le soleil des Hespérides, En bras de chemise, les charpentiers Déjà s'agitent. Dans leur désert de mousse, tranquilles, Ils préparent les lambris précieux Où la richesse de la ville Rira sous de faux cieux. Ah ! pour ces Ouvriers charmants Sujets d'un roi de Babylone, Vénus ! laisse un peu les Amants, Dont l'âme est en couronne. Ô Reine des Bergers ! Porte aux travailleurs l'eau-de-vie, Pour que leurs forces soient en paix En attendant le bain dans la mer, à midi.
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À une jeune Marseillaise
François Coppée (1842-1908)
Poésie : À une jeune Marseillaise Titre : À une jeune Marseillaise Poète : François Coppée (1842-1908) Recueil : Sonnets intimes et poèmes inédits (1911). Paris, certes, est une merveille ; Mais, s'il pouvait avoir Vos yeux de diamant noir, Il serait un petit Marseille.
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À Virgile
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Virgile Titre : À Virgile Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ô Virgile ! ô poète ! ô mon maître divin ! Viens, quittons cette ville au cri sinistre et vain, Qui, géante, et jamais ne fermant la paupière, Presse un flot écumant entre ses flancs de pierre, Lutèce, si petite au temps de tes Césars, Et qui jette aujourd'hui, cité pleine de chars, Sous le nom éclatant dont le monde la nomme, Plus de clarté qu'Athène et plus de bruit que Rome. Pour toi qui dans les bois fais, comme l'eau des cieux, Tomber de feuille en feuille un vers mystérieux, Pour toi dont la pensée emplit ma rêverie, J'ai trouvé, dans une ombre où rit l'herbe fleurie, Entre Buc et Meudon, dans un profond oubli, - Et quand je dis Meudon, suppose Tivoli ! J'ai trouvé, mon poète, une chaste vallée A des coteaux charmants nonchalamment mêlée, Retraite favorable à des amants cachés, Faite de flots dormants et de rameaux penchés, Où midi baigne en vain de ses rayons sans nombre La grotte et la forêt, frais asiles de l'ombre ! Pour toi je l'ai cherchée, un matin, fier, joyeux, Avec l'amour au coeur et l'aube dans les yeux ; Pour toi je l'ai cherchée, accompagné de celle Qui sait tous les secrets que mon âme recèle, Et qui, seule avec moi sous les bois chevelus, Serait ma Lycoris si j'étais ton Gallus. Car elle a dans le coeur cette fleur large et pure, L'amour mystérieux de l'antique nature ! Elle aime comme nous, maître, ces douces voix, Ce bruit de nids joyeux qui sort des sombres bois, Et, le soir, tout au fond de la vallée étroite, Les coteaux renversés dans le lac qui miroite, Et, quand le couchant morne a perdu sa rougeur, Les marais irrités des pas du voyageur, Et l'humble chaume, et l'antre obstrué d'herbe verte, Et qui semble une bouche avec terreur ouverte, Les eaux, les prés, les monts, les refuges charmants, Et les grands horizons pleins de rayonnements ! Maître ! puisque voici la saison des pervenches, Si tu veux, chaque nuit, en écartant les branches, Sans éveiller d'échos à nos pas hasardeux, Nous irons tous les trois, c'est-à-dire tous deux, Dans ce vallon sauvage, et de la solitude, Rêveurs, nous surprendrons la secrète attitude. Dans la brune clairière où l'arbre au tronc noueux Prend le soir un profil humain et monstrueux, Nous laisserons fumer, à côté d'un cytise, Quelque feu qui s'éteint sans pâtre qui l'attise, Et, l'oreille tendue à leurs vagues chansons, Dans l'ombre, au clair de lune, à travers les buissons, Avides, nous pourrons voir à la dérobée Les satyres dansants qu'imite Alphésibée.
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Tes chagrins abolis
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Tes chagrins abolis Titre : Tes chagrins abolis Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Va ! tu triompheras, ô noble bien-aimée ! De cet amour sacré qui fait saigner ton âme Sort infailliblement et s'écoule un dictame Par lequel tu seras guérie et parfumée ! Tes enfants grandiront, hélas ! entre nous deux : Leur vie, ainsi qu'un mur tourné vers le soleil, Dont les bourgeons éclos font un rideau vermeil, Montera, te cachant mon destin ténébreux ; Tu songeras, de moins en moins, que ma pensée Meurt de l'autre côté, fleur dans l'ombre blessée ; Dans ton cœur lentement tu redeviendras seule ; Et cette floraison, dont une âme d'aïeule S'emplit aux premiers mots confus d'un petit-fils, Couvrira pour jamais tes chagrins abolis.
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La rivière de Cassis
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : La rivière de Cassis Titre : La rivière de Cassis Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Derniers vers (1872). La Rivière de Cassis roule ignorée En des vaux étranges : La voix de cent corbeaux l'accompagne, vraie Et bonne voix d'anges : Avec les grands mouvements des sapinaies Quand plusieurs vents plongent. Tout roule avec des mystères révoltants De campagnes d'anciens temps ; De donjons visités, de parcs importants : C'est en ces bords qu'on entend Les passions mortes des chevaliers errants : Mais que salubre est le vent ! Que le piéton regarde à ces claires-voies : Il ira plus courageux. Soldats des forêts que le Seigneur envoie, Chers corbeaux délicieux ! Faites fuir d'ici le paysan matois Qui trinqué d'un moignon vieux.
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Les baisers
Germain Nouveau (1851-1920)
Poésie : Les baisers Titre : Les baisers Poète : Germain Nouveau (1851-1920) Sonnez, sonnez haut sur la joue, Baisers de la franche amitié, Comme un fils de neuf ans qui joue, Petit tapageur sans pitié. Baiser du respect qui s'imprime À la porte du cœur humain, Comme avec l'aile d'une rime, Effleurez à peine la main ; Baiser d'affection armée, De la mère au cœur noble et fier Sur le front de la tête aimée, Vibrez mieux que le bruit du fer. Baiser d'affection aînée, Ou de mère, le jour des prix, Sur chaque tête couronnée Laissez-vous tomber, sans mépris. Baisers d'affections voisines, Voltigez du rire joyeux Des sœurs ou des jeunes cousines Sur le nez, la bouche ou les yeux ; Baiser plus doux que des paroles, Baiser des communes douleurs, Ferme en soupirant les corolles Des yeux d'où s'échappent les pleurs : Baiser de la passion folle Baise la trace de ses pas, Réellement, sans hyperbole, Pour montrer que tu ne mens pas. Baise un bas ourlet de sa robe, L'éventail quitté par ses doigts, Et si tout objet se dérobe, Feins dans l'air de baiser sa voix ; Et si l'on garde le silence, Tu dois t'en aller, c'est plus sûr ; Mais avant ton aile s'élance Et tu t'appliques sur son mur. Reviens plus joyeux que la veille, Mouille son ongle musical, Les bords riants de son oreille. Que le monde te soit égal ! Baiser du désir qui veut mordre, Pose-toi derrière le cou, Dans la nuque où l'on voit se tordre Une mèche qui te rend fou. Sur sa bouche et sur sa promesse, Profond et pur comme le jour, Plus long qu'un prêtre à la grand messe, Oubliez-vous, Baiser d'amour.
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Affinités secrètes
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Affinités secrètes Titre : Affinités secrètes Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Madrigal panthéiste. Dans le fronton d'un temple antique, Deux blocs de marbre ont, trois mille ans, Sur le fond bleu du ciel attique Juxtaposé leurs rêves blancs ; Dans la même nacre figées, Larmes des flots pleurant Vénus, Deux perles au gouffre plongées Se sont dit des mots inconnus ; Au frais Généralife écloses, Sous le jet d'eau toujours en pleurs, Du temps de Boabdil, deux roses Ensemble ont fait jaser leurs fleurs ; Sur les coupoles de Venise Deux ramiers blancs aux pieds rosés, Au nid où l'amour s'éternise Un soir de mai se sont posés. Marbre, perle, rose, colombe, Tout se dissout, tout se détruit ; La perle fond, le marbre tombe, La fleur se fane et l'oiseau fuit. En se quittant, chaque parcelle S'en va dans le creuset profond Grossir la pâte universelle Faite des formes que Dieu fond. Par de lentes métamorphoses, Les marbres blancs en blanches chairs, Les fleurs roses en lèvres roses Se refont dans des corps divers. Les ramiers de nouveau roucoulent Au coeur de deux jeunes amants, Et les perles en dents se moulent Pour l'écrin des rires charmants. De là naissent ces sympathies Aux impérieuses douceurs, Par qui les âmes averties Partout se reconnaissent soeurs. Docile à l'appel d'un arome, D'un rayon ou d'une couleur, L'atome vole vers l'atome Comme l'abeille vers la fleur. L'on se souvient des rêveries Sur le fronton ou dans la mer, Des conversations fleuries Prés de la fontaine au flot clair, Des baisers et des frissons d'ailes Sur les dômes aux boules d'or, Et les molécules fidèles Se cherchent et s'aiment encor. L'amour oublié se réveille, Le passé vaguement renaît, La fleur sur la bouche vermeille Dans la nacre où le rire brille, La perle revoit sa blancheur ; Sur une peau de jeune fille, Le marbre ému sent sa fraîcheur. Le ramier trouve une voix douce, Echo de son gémissement, Toute résistance s'émousse, Et l'inconnu devient l'amant. Vous devant qui je brûle et tremble, Quel flot, quel fronton, quel rosier, Quel dôme nous connut ensemble, Perle ou marbre, fleur ou ramier ?
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Aux arbres
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Aux arbres Titre : Aux arbres Poète : Victor Hugo (1802-1885) Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme ! Au gré des envieux la foule loue et blâme ; Vous me connaissez, vous ! — vous m'avez vu souvent, Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant. Vous le savez, la pierre où court un scarabée, Une humble goutte d'eau de fleur en fleur tombée, Un nuage, un oiseau, m'occupent tout un jour. La contemplation m'emplit le cœur d'amour. Vous m'avez vu cent fois, dans la vallée obscure, Avec ces mots que dit l'esprit à la nature, Questionner tout bas vos rameaux palpitants, Et du même regard poursuivre en même temps, Pensif, le front baissé, l'oeil dans l'herbe profonde, L'étude d'un atome et l'étude du monde. Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu, Arbres, vous m'avez vu fuir l'homme et chercher Dieu ! Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches, Nids dont le vent sème au loin les plumes blanches, Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux, Vous savez que je suis calme et pur comme vous. Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s'élance, Je suis plein d'oubli comme vous de silence ! La haine sur mon nom répand en vain son fiel ; Toujours, — je vous atteste, ô bois aimés du ciel ! — J'ai chassé loin de moi toute pensée amère, Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère ! Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours, Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds, Ravins où l'on entend filtrer les sources vives, Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives ! Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois, Dans tout ce qui m'entoure et me cache à la fois, Dans votre solitude où je rentre en moi-même, Je sens quelqu'un de grand qui m'écoute et qui m'aime ! Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît, Arbres religieux, chênes, mousses, forêt, Forêt ! c'est dans votre ombre et dans votre mystère, C'est sous votre branchage auguste et solitaire, Que je veux abriter mon sépulcre ignoré, Et que je veux dormir quand je m'endormirai. Juin 1843.
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Le Fou et la Vénus
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le Fou et la Vénus Titre : Le Fou et la Vénus Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Quelle admirable journée ! Le vaste parc se pâme sous l'œil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l'Amour. L'extase universelle des choses ne s'exprime par aucun bruit ; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes humaines, c'est ici une orgie silencieuse. On dirait qu'une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets ; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l'azur du ciel par l'énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l'astre comme des fumées. Cependant, dans cette jouissance universelle, j'ai aperçu un être affligé. Aux pieds d'une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l'Ennui les obsède, affublé d'un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l'immortelle Déesse. Et ses yeux disent : — « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d'amour et d'amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l'immortelle Beauté ! Ah ! Déesse ! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire ! » Mais l'implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.
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Thébaïde
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Thébaïde Titre : Thébaïde Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Mon rêve le plus cher et le plus caressé, Le seul qui rit encore à mon cœur oppressé, C'est de m'ensevelir au fond d'une chartreuse, Dans une solitude inabordable, affreuse ; Loin, bien loin, tout là-bas, dans quelque Sierra Bien sauvage, où jamais voix d'homme ne vibra, Dans la forêt de pins, parmi les âpres roches, Où n'arrive pas même un bruit lointain de cloches ; Dans quelque Thébaïde, aux lieux les moins hantés, Comme en cherchaient les saints pour leurs austérités ; Sous la grotte où grondait le lion de Jérôme, Oui, c'est là que j'irais pour respirer ton baume Et boire la rosée à ton calice ouvert, Ô frêle et chaste fleur, qui crois dans le désert Aux fentes du tombeau de l'Espérance morte ! De non cœur dépeuplé je fermerais la porte Et j'y ferais la garde, afin qu'un souvenir Du monde des vivants n'y pût pas revenir ; J'effacerais mon nom de ma propre mémoire ; Et de tous ces mots creux : Amour, Science et Gloire Qu'aux jours de mon avril mon âme en fleur rêvait, Pour y dormir ma nuit j'en ferais un chevet ; Car je sais maintenant que vaut cette fumée Qu'au-dessus du néant pousse une renommée. J'ai regardé de près et la science et l'art : J'ai vu que ce n'était que mensonge et hasard ; J'ai mis sur un plateau de toile d'araignée L'amour qu'en mon chemin j'ai reçue et donnée : Puis sur l'autre plateau deux grains du vermillon Impalpable, qui teint l'aile du papillon, Et j'ai trouvé l'amour léger dans la balance. Donc, reçois dans tes bras, ô douce somnolence, Vierge aux pâles couleurs, blanche sœur de la mort, Un pauvre naufragé des tempêtes du sort ! Exauce un malheureux qui te prie et t'implore, Egraine sur son front le pavot inodore, Abrite-le d'un pan de ton grand manteau noir, Et du doigt clos ses yeux qui ne veulent plus voir. Vous, esprits du désert, cependant qu'il sommeille, Faites taire les vents et bouchez son oreille, Pour qu'il n'entende pas le retentissement Du siècle qui s'écroule, et ce bourdonnement Qu'en s'en allant au but où son destin la mène Sur le chemin du temps fait la famille humaine ! Je suis las de la vie et ne veux pas mourir ; Mes pieds ne peuvent plus ni marcher ni courir ; J'ai les talons usés de battre cette route Qui ramène toujours de la science au doute. Assez, je me suis dit, voilà la question. Va, pauvre rêveur, cherche une solution Claire et satisfaisante à ton sombre problème, Tandis qu'Ophélia te dit tout haut : Je t'aime ; Mon beau prince danois marche les bras croisés, Le front dans la poitrine et les sourcils froncés, D'un pas lent et pensif arpente le théâtre, Plus pâle que ne sont ces figures d'albâtre, Pleurant pour les vivants sur les tombeaux des morts ; Épuise ta vigueur en stériles efforts, Et tu n'arriveras, comme a fait Ophélie, Qu'à l'abrutissement ou bien à la folie. C'est à ce degré-là que je suis arrivé. Je sens ployer sous moi mon génie énervé ; Je ne vis plus ; je suis une lampe sans flamme, Et mon corps est vraiment le cercueil de mon âme. Ne plus penser, ne plus aimer, ne plus haïr, Si dans un coin du cœur il éclot un désir, Lui couper sans pitié ses ailes de colombe, Être comme est un mort, étendu sous la tombe, Dans l'immobilité savourer lentement, Comme un philtre endormeur, l'anéantissement : Voilà quel est mon vœu, tant j'ai de lassitude, D'avoir voulu gravir cette côte âpre et rude, Brocken mystérieux, où des sommets nouveaux Surgissent tout à coup sur de nouveaux plateaux, Et qui ne laisse voir de ses plus hautes cimes Que l'esprit du vertige errant sur les abîmes. C'est pourquoi je m'assieds au revers du fossé, Désabusé de tout, plus voûté, plus cassé Que ces vieux mendiants que jusques à la porte Le chien de la maison en grommelant escorte. C'est pourquoi, fatigué d'errer et de gémir, Comme un petit enfant, je demande à dormir ; Je veux dans le néant renouveler mon être, M'isoler de moi-même et ne plus me connaître ; Et comme en un linceul, sans y laisser un seul pli, Rester enveloppé dans mon manteau d'oubli. J'aimerais que ce fût dans une roche creuse, Au penchant d'une côte escarpée et pierreuse, Comme dans les tableaux de Salvator Rosa, Où le pied d'un vivant jamais ne se posa ; Sous un ciel vert, zébré de grands nuages fauves, Dans des terrains galeux clairsemés d'arbres chauves, Avec un horizon sans couronne d'azur, Bornant de tous côtés le regard comme un mur, Et dans les roseaux secs près d'une eau noire et plate Quelque maigre héron debout sur une patte. Sur la caverne, un pin, ainsi qu'un spectre en deuil Qui tend ses bras voilés au-dessus d'un cercueil, Tendrait ses bras en pleurs, et du haut de la voûte Un maigre filet d'eau suintant goutte à goutte, Marquerait par sa chute aux sons intermittents Le battement égal que fait le cœur du temps. Comme la Niobé qui pleurait sur la roche, Jusqu'à ce que le lierre autour de moi s'accroche, Je demeurerais là les genoux au menton, Plus ployé que jamais, sous l'angle d'un fronton, Ces Atlas accroupis gonflant leurs nerfs de marbre ; Mes pieds prendraient racine et je deviendrais arbre ; Les faons auprès de moi tondraient le gazon ras, Et les oiseaux de nuit percheraient sur mes bras. C'est là ce qu'il me faut plutôt qu'un monastère ; Un couvent est un port qui tient trop à la terre ; Ma nef tire trop d'eau pour y pouvoir entrer Sans en toucher le fond et sans s'y déchirer. Dût sombrer le navire avec toute sa charge, J'aime mieux errer seul sur l'eau profonde et large. Aux barques de pêcheur l'anse à l'abri du vent, Aux simples naufragés de l'âme, le couvent. À moi la solitude effroyable et profonde, Par dedans, par dehors ! Par dedans, par dehors ! Un couvent, c'est un monde ; On y pense, on y rêve, on y prie, on y croit : La mort n'est que le seuil d'une autre vie ; on voit Passer au long du cloître une forme angélique ; La cloche vous murmure un chant mélancolique ; La Vierge vous sourit, le bel enfant Jésus Vous tend ses petits bras de sa niche ; au-dessus De vos fronts inclinés, comme un essaim d'abeilles, Volent les Chérubins en légions vermeilles. Vous êtes tout espoir, tout joie et tout amour, À l'escalier du ciel vous montez chaque jour ; L'extase vous remplit d'ineffables délices, Et vos cœurs parfumés sont comme des calices ; Vous marchez entourés de célestes rayons Et vos pieds après vous laissent d'ardents sillons ! Ah ! grands voluptueux, sybarites du cloître, Qui passez votre vie à voir s'ouvrir et croître Dans le jardin fleuri de la mysticité, Les pétales d'argent du lis de pureté, Vrais libertins du ciel, dévots Sardanapales, Vous, vieux moines chenus, et vous, novices pâles, Foyers couverts de cendre, encensoirs ignorés, Quel don Juan a jamais sous ses lambris dorés Senti des voluptés comparables aux vôtres ! Auprès de vos plaisirs, quels plaisirs sont les nôtres ! Quel amant a jamais, à l'âge où l'œil reluit, Dans tout l'enivrement de la première nuit, Poussé plus de soupirs profonds et pleins de flamme, Et baisé les pieds nus de la plus belle femme Avec la même ardeur que vous les pieds de bois Du cadavre insensible allongé sur la croix ! Quelle bouche fleurie et d'ambroisie humide, Vaudrait la bouche ouverte à son côté livide ! Notre vin est grossier ; pour vous, au lieu de vin, Dans un calice d'or perle le sang divin ; Nous usons notre lèvre au seuil des courtisanes, Vous autres, vous aimez des saintes diaphanes, Qui se parent pour vous des couleurs des vitraux Et sur vos fronts tondus, au détour des arceaux, Laissent flotter le bout de leurs robes de gaze : Nous n'avons que l'ivresse et vous avez l'extase. Nous, nos contentements dureront peu de jours, Les vôtres, bien plus vifs, doivent durer toujours. Calculateurs prudents, pour l'abandon d'une heure, Sur une terre où nul plus d'un jour ne demeure, Vous achetez le ciel avec l'éternité. Malgré ta règle étroite et ton austérité, Maigre et jaune Rancé, tes moines taciturnes S'entrouvrent à l'amour comme des fleurs nocturnes, Une tête de mort grimaçante pour nous Sourit à leur chevet du rire le plus doux ; Ils creusent chaque jour leur fosse au cimetière, Ils jeûnent et n'ont pas d'autre lit qu'une bière, Mais ils sentent vibrer sous leur suaire blanc, Dans des transports divins, un cœur chaste et brûlant ; Ils se baignent aux flots de l'océan de joie, Et sous la volupté leur âme tremble et ploie, Comme fait une fleur sous une goutte d'eau, Ils sont dignes d'envie et leur sort est très-beau ; Mais ils sont peu nombreux dans ce siècle incrédule Creux qui font de leur âme une lampe qui brûle, Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ, Croire que tout s'est fait comme il était écrit. Il en est qui n'ont pas le don des saintes larmes, Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ; Il est des malheureux qui ne peuvent prier Et dont la voix s'éteint quand ils veulent crier ; Tous ne se baignent pas dans la pure piscine Et n'ont pas même part à la table divine : Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas, Si je n'ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas. Aussi je me choisis un antre pour retraite Dans une région détournée et secrète D'où l'on n'entende pas le rire des heureux Ni le chant printanier des oiseaux amoureux, L'antre d'un loup crevé de faim ou de vieillesse, Car tout son m'importune et tout rayon me blesse, Tout ce qui palpite, aime ou chante, me déplaît, Et je hais l'homme autant et plus que ne le hait Le buffle à qui l'on vient de percer la narine. De tous les sentiments croulés dans la ruine, Du temple de mon âme, il ne reste debout Que deux piliers d'airain, la haine et le dégoût. Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ; Ma tête de cheveux n'est pas découronnée ; À peine vingt épis sont tombés du faisceau : Je puis derrière moi voir encore mon berceau. Mais les soucis amers de leurs griffes arides M'ont fouillé dans le front d'assez profondes rides Pour en faire une fosse à chaque illusion. Ainsi me voilà donc sans foi ni passion, Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre, Et dès le premier mot sachant la fin du livre. Car c'est ainsi que sont les jeunes d'aujourd'hui : Leurs mères les ont faits dans un moment d'ennui. Et qui les voit auprès des blancs sexagénaires Plutôt que les enfants les estime les pères ; Ils sont venus au monde avec des cheveux gris ; Comme ces arbrisseaux frêles et rabougris Qui, dès le mois de mai, sont pleins de feuilles mortes, Ils s'effeuillent au vent, et vont devant leurs portes Se chauffer au soleil à côté de l'aïeul, Et du jeune et du vieux, à coup sûr, le plus seul, Le moins accompagné sur la route du monde, Hélas ! C'est le jeune homme à tête brune ou blonde Et non pas le vieillard sur qui l'âge a neigé ; Celui dont le navire est le plus allégé D'espérance et d'amour, lest divin dont on jette Quelque chose à la mer chaque jour de tempête, Ce n'est pas le vieillard, dont le triste vaisseau Va bientôt échouer à l'écueil du tombeau. L'univers décrépit devient paralytique, La nature se meurt, et le spectre critique Cherche en vain sous le ciel quelque chose à nier. Qu'attends-tu donc, clairon du jugement dernier ? Dis-moi, qu'attends-tu donc, archange à bouche ronde Qui dois sonner là-haut la fanfare du monde ? Toi, sablier du temps, que Dieu tient dans sa main, Quand donc laisseras-tu tomber ton dernier grain ?
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Jusques aux pervers nonchaloirs
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Jusques aux pervers nonchaloirs Titre : Jusques aux pervers nonchaloirs Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). Jusques aux pervers nonchaloirs De ces yeux noirs, Jusques, depuis ces flemmes blanches De larges hanches Et d’un ventre et de beaux seins Aux fiers dessins, Tout pervertit, tout convertit tous mes desseins Jusques à votre menterie, Bouche fleurie, Jusques aux pièges mal tendus Tant attendus, De tant d’appas, de tant de charmes. De tant d’alarmes, Tout pervertit, tout avertit mes tristes larmes, Et, chère, ah ! dis : Flûtes et zons À mes chansons Qui vont brâmant, tels des cerfs prestes Aux gestes lestes, Ah ! dis donc, Chère : Flûte et zon ! À ma chanson, Et si je fais l’âne, eh bien, donne-moi du son !
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Nuit de mai
Joseph Autran (1813-1877)
Poésie : Nuit de mai Titre : Nuit de mai Poète : Joseph Autran (1813-1877) Au couchant lumineux quand le jour se replie, Qu'une planète au ciel déjà peut s'entrevoir, Il fait bon, couple errant sur une onde assouplie, De respirer à deux l'air embaumé du soir, De saluer là-haut ces premières étoiles Dont le rayon lointain nous invite à rêver : Matelot ! Matelot ! Laisse tomber tes voiles ; Notre rêve est si doux que je veux l'achever ! Extase où, sans effort, tout chagrin se dissipe ! Du ciel et de la mer contempler les couleurs, Aspirer dans le vent, qui vient du Pausilippe, Le parfum des citrons et des lauriers en fleurs ; Sentir si près de soi la femme qu'on adore, Voir son sein par moment d'amour se soulever ! Matelot, matelot, ne rentrons pas encore ; Notre rêve est si doux que je veux l'achever ! Ses cheveux dénoués que l'ivoire abandonne, Mêlés à mes cheveux, flottent au même vent ; Son front penche ; ses doigts, de fée ou de Madone, Frémissent dans ma main sous mon baiser fervent. Loin des jaloux déçus, loin des perfides trames, Le bonheur est ici pour qui sait le trouver : Matelot, matelot, laisse pendre tes rames ; Notre rêve est si doux que je veux l'achever !
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À un qui veut se détacher
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À un qui veut se détacher Titre : À un qui veut se détacher Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Maintenant il se dit : — L'empire est chancelant La victoire est peu sûre. — Il cherche à s'en aller, furtif et reculant. Reste dans la masure ! Tu dis : — Le plafond croule. Ils vont, si l'on me voit, Empêcher que je sorte. — N'osant rester ni fuir, tu regardes le toit, Tu regardes la porte ; Tu mets timidement la main sur le verrou. Reste en leurs rangs funèbres ! Reste ! la loi qu'ils ont enfouie en un trou Est là dans les ténèbres. Reste ! elle est là, le flanc percé de leur couteau, Gisante, et sur sa bière Ils ont mis une dalle. Un pan de ton manteau Est pris sous cette pierre ! Pendant qu'à l'Elysée en fête et plein d'encens On chante, on déblatère, Qu'on oublie et qu'on rit, toi tu pâlis ; tu sens Ce spectre sous la terre ! Tu ne t'en iras pas ! quoi ! quitter leur maison Et fuir leur destinée ! Quoi ! tu voudrais trahir jusqu'à la trahison, Elle-même indignée ! Quoi ! tu veux renier ce larron au front bas Qui t'admire et t'honore ! Quoi ! Judas pour Jésus, tu veux pour Barabbas Etre Judas encore ! Quoi ! n'as-tu pas tenu l'échelle à ces fripons, En pleine connivence ? Le sac de ces voleurs ne fut-il pas, réponds, Cousu par toi d'avance ! Les mensonges, la haine au dard froid et visqueux, Habitent ce repaire ; Tu t'en vas ! de quel droit ? étant plus renard qu'eux, Et plus qu'elle vipère ! II. Quand l'Italie en deuil dressa, du Tibre au Pô, Son drapeau magnifique, Quand ce grand peuple, après s'être couché troupeau, Se leva république, C'est toi, quand Rome aux fers jeta le cri d'espoir, Toi qui brisas son aile, Toi qui fis retomber l'affreux capuchon noir Sur sa face éternelle ! C'est toi qui restauras Montrouge et Saint-Acheul, Écoles dégradées, Où l'on met à l'esprit frémissant un linceul, Un bâillon aux idées. C'est toi qui, pour progrès rêvant l'homme animal, Livras l'enfant victime Aux jésuites lascifs, sombres amants du mal, En rut devant le crime ! Ô pauvres chers enfants qu'ont nourris de leur lait Et qu'ont bercés nos femmes, Ces blêmes oiseleurs ont pris dans leur filet Toutes vos douces âmes ! Hélas ! ce triste oiseau, sans plumes sur la chair, Rongé de lèpre immonde, Qui rampe et qui se meurt dans leur cage de fer, C'est l'avenir du monde ! Si nous les laissons faire, on aura dans vingt ans, Sous les cieux que Dieu dore, Une France aux yeux ronds, aux regards clignotants, Qui haïra l'aurore ! Ces noirs magiciens, ces jongleurs tortueux, Dont la fraude est la règle, Pour en faire sortir le hibou monstrueux, Ont volé l'oeuf de l'aigle ! III. Donc, comme les baskirs, sur Paris étouffé, Et comme les croates, Créateurs du néant, vous avez triomphé Dans vos haines béates ; Et vous êtes joyeux, vous, constructeurs savants Des préjugés sans nombre, Qui, pareils à la nuit, versez sur les vivants Des urnes pleines d'ombre ! Vous courez saluer le nain Napoléon ; Vous dansez dans l'orgie. Ce grand siècle est souillé ; c'était le Panthéon, Et c'est la tabagie. Et vous dites : c'est bien ! vous sacrez parmi nous César, au nom de Rome, L'assassin qui, la nuit, se met à deux genoux Sur le ventre d'un homme. Ah ! malheureux ! louez César qui fait trembler, Adorez son étoile ; Vous oubliez le Dieu vivant qui peut rouler Les cieux comme une toile ! Encore un peu de temps, et ceci tombera ; Dieu vengera sa cause ! Les villes chanteront, le lieu désert sera Joyeux comme une rose ! Encore un peu de temps, et vous ne serez plus, Et je viens vous le dire. Vous êtes les maudits, nous sommes les élus. Regardez-nous sourire ! Je le sais, moi qui vis au bord du gouffre amer Sur les rocs centenaires, Moi qui passe mes jours à contempler la mer Pleine de sourds tonnerres ! IV. Toi, leur chef, sois leur chef ! c'est là ton châtiment. Sois l'homme des discordes ! Ces fourbes ont saisi le genre humain dormant Et l'ont lié de cordes. Ah ! tu voulus défaire, épouvantable affront ! Les âmes que Dieu crée ? Eh bien, frissonne et pleure, atteint toi-même au front Par ton œuvre exécrée ! À mesure que vient l'ignorance, et l'oubli, Et l'erreur qu'elle amène, À mesure qu'aux cieux décroît, soleil pâli, L'intelligence humaine, Et que son jour s'éteint, laissant l'homme méchant Et plus froid que les marbres, Votre honte, ô maudits, grandit comme au couchant Grandit l'ombre des arbres ! V. Oui, reste leur apôtre ! oui, tu l'as mérité. C'est là ta peine énorme ! Regarde en frémissant dans la postérité ! Ta mémoire difforme. On voit, louche rhéteur des vieux partis hurlants, Qui mens et qui t'emportes, Pendre à tes noirs discours, comme à des clous sanglants, Toutes les grandes mortes, La justice, la foi, bel ange souffleté Par la goule papale, La vérité, fermant les yeux, la liberté Echevelée et pâle, Et ces deux soeurs, hélas ! nos mères toutes deux, Rome, qu'en pleurs je nomme, Et la France sur qui, raffinement hideux, Coule le sang de Rome ! Homme fatal ! l'histoire en ses enseignements Te montrera dans l'ombre, Comme on montre un gibet entouré d'ossements Sur la colline sombre ! Jersey, le 24 janvier 1853.
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Je voudrais, si ma vie était encore à faire
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je voudrais, si ma vie était encore à faire Titre : Je voudrais, si ma vie était encore à faire Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). Je voudrais, si ma vie était encore à faire, Qu'une femme très calme habitât avec moi Plus jeune de dix ans, qui portât sans émoi La moitié d'une vie au fond plutôt sévère. Notre cœur à tous deux dans ce château de verre, Notre regard commun ! franchise et bonne foi. Un et double dirait comme en soi-même : Voi ! Et répondrait comme à soi-même : persévère ! Elle se tiendrait à sa place, mienne aussi, Nous serions en ceci le couple réussi Que l'inégalité, parbleu ! des caractères Ne saurait empêcher l'équilibre qu'il faut, Ce point était compris d'esprits en somme austères Qu'au fond et qu'en tout cas l'indulgence prévaut.
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Horreur sympathique
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Horreur sympathique Titre : Horreur sympathique Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. De ce ciel bizarre et livide, Tourmenté comme ton destin, Quels pensers dans ton âme vide Descendent ? Réponds, libertin. - Insatiablement avide De l'obscur et de l'incertain, Je ne geindrai pas comme Ovide Chassé du paradis latin. Cieux déchirés comme des grèves, En vous se mire mon orgueil, Vos vastes nuages en deuil Sont les corbillards de mes rêves, Et vos lueurs sont le reflet De l'Enfer où mon coeur se plaît.
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Albertus (I)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Albertus (I) Titre : Albertus (I) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Albertus (1832). Sur le bord d'un canal profond dont les eaux vertes Théophile Gautier. Sur le bord d'un canal profond dont les eaux vertes Dorment, de nénuphars et de bateaux couvertes, Avec ses toits aigus, ses immenses greniers, Ses tours au front d'ardoise où nichent les cigognes, Ses cabarets bruyants qui regorgent d'ivrognes, Est un vieux bourg flamand tel que les peint Teniers. - Vous reconnaissez-vous ? - Tenez, voilà le saule, De ses cheveux blafards inondant son épaule Comme une fille au bain, l'église et son clocher, L'étang où des canards se pavane l'escadre ; - Il ne manque vraiment au tableau que le cadre Avec le clou pour l'accrocher. -
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Billet du matin
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Billet du matin Titre : Billet du matin Poète : Victor Hugo (1802-1885) Si les liens des coeurs ne sont pas des mensonges, Oh ! dites, vous devez avoir eu de doux songes, Je n'ai fait que rêver de vous toute la nuit. Et nous nous aimions tant ! vous me disiez : « Tout fuit, Tout s'éteint, tout s'en va ; ta seule image reste. » Nous devions être morts dans ce rêve céleste ; Il semblait que c'était déjà le paradis. Oh ! oui, nous étions morts, bien sûr ; je vous le dis. Nous avions tous les deux la forme de nos âmes. Tout ce que, l'un de l'autre, ici-bas nous aimâmes Composait notre corps de flamme et de rayons, Et, naturellement, nous nous reconnaissions. Il nous apparaissait des visages d'aurore Qui nous disaient : « C'est moi ! » la lumière sonore Chantait ; et nous étions des frissons et des voix. Vous me disiez : « Écoute ! » et je répondais : « Vois ! » Je disais : « Viens-nous-en dans les profondeurs sombres ; Vivons ; c'est autrefois que nous étions des ombres. » Et, mêlant nos appels et nos cris : « Viens ! oh ! viens ! Et moi, je me rappelle, et toi, tu te souviens. » Éblouis, nous chantions : « C'est nous-mêmes qui sommes Tout ce qui nous semblait, sur la terre des hommes, Bon, juste, grand, sublime, ineffable et charmant ; Nous sommes le regard et le rayonnement ; Le sourire de l'aube et l'odeur de la rose, C'est nous ; l'astre est le nid où notre aile se pose ; Nous avons l'infini pour sphère et pour milieu, L'éternité pour l'âge ; et, notre amour, c'est Dieu. » Paris, juin 18...
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Le cadre
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le cadre Titre : Le cadre Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Comme un beau cadre ajoute à la peinture, Bien qu'elle soit d'un pinceau très vanté, Je ne sais quoi d'étrange et d'enchanté En l'isolant de l'immense nature, Ainsi bijoux, meubles, métaux, dorure, S'adaptaient juste à sa rare beauté ; Rien n'offusquait sa parfaite clarté, Et tout semblait lui servir de bordure. Même on eût dit parfois qu'elle croyait Que tout voulait l'aimer ; elle noyait Sa nudité voluptueusement Dans les baisers du satin et du linge, Et lente ou brusque, à chaque mouvement Montrait la grâce enfantine du singe.
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Il n'avait pas vingt ans
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Il n'avait pas vingt ans Titre : Il n'avait pas vingt ans Poète : Victor Hugo (1802-1885) Il n'avait pas vingt ans. Il avait abusé De tout ce qui peut être aimé, souillé, brisé. Il avait tout terni sous ses mains effrontées. Les blêmes voluptés sur sa trace ameutées Sortaient, pour l'appeler, de leur repaire impur Quand son ombre passait à l'angle de leur mur. Sa sève nuit et jour s'épuisait aux orgies Comme la cire ardente aux mèches des bougies Chassant l'été, l'hiver il posait au hasard Son coude à l'Opéra sur Gluck ou sur Mozart. Jamais il ne trempait sa tête dans ces ondes Qu'Homère et que Shakespeare épanchent si profondes. Il ne croyait à rien ; jamais il ne rêvait ; Le bâillement hideux siégeait à son chevet ; Toujours son ironie, inféconde et morose, Jappait sur les talons de quelque grande chose ; Il se faisait de tout le centre et le milieu ; Il achetait l'amour, il aurait vendu Dieu. La nature, la mer, le ciel bleu, les étoiles, Tous ces vents pour qui l'âme a toujours quelques voiles, N'avaient rien dont son cœur fût dans l'ombre inquiet. Il n'aimait pas les champs. Sa mère l'ennuyait. Enfin, ivre, énervé, ne sachant plus que faire, Sans haine, sans amour, et toujours, ô misère ! Avant la fin du jour blasé du lendemain, Un soir qu'un pistolet se trouva sous sa main, Il rejeta son âme au ciel, voûte fatale, Comme le fond du verre au plafond de la salle ! Jeune homme, tu fus lâche, imbécile et méchant. Nous ne te plaindrons pas. Lorsque le soc tranchant A passé, donne-t-on une larme à l'ivraie ? Mais ce que nous plaindrons une douleur bien vraie, C'est celle sur laquelle un tel fils est tombé, C'est ta mère, humble femme au dos lent et courbé, Qui sent fléchir sans toi son front que l'âge plombe, Et qui fit le berceau de qui lui fait sa tombe ! Nous ne te plaindrons pas, mais ce que nous plaindrons, Ce qui nous est encor sacré sous les affronts, C'est cette triste enfant qui jadis pure et tendre Chantait à sa mansarde où ton or l'alla prendre, Qui s'y laissa tenter comme au soleil levant, Croyant la faim derrière et le bonheur devant ; Qui voit son âme hélas, qu'on mutile et qu'on foule, Eparse maintenant sous les pieds de la foule ; Qui pleure son parfum par tout souffle enlevé ; Pauvre vase de fleurs tombé sur le pavé ! Non, ce que nous plaindrons, ce n'est pas toi, vaine ombre, Chiffre qu'on n'a jamais compté dans aucun nombre, C'est ton nom jadis pur, maintenant avili, C'est ton père expiré, ton père enseveli, Vénérable soldat de notre armée ancienne, Que ta tombe en s'ouvrant réveille dans la sienne ! Ce sont tes serviteurs, tes parents, tes amis, Tous ceux qui t'entouraient, tous ceux qui s'étaient mis Follement à ton ombre, et dont la destinée Par malheur dans la tienne était enracinée ; C'est tout ce qu'ont flétri tes caprices ingrats ; C'est ton chien qui t'aimait et que tu n'aimais pas ! Pour toi, triste orgueilleux, riche au cœur infertile, Qui vivais impuissant et qui meurs inutile, Toi qui tranchas tes jours pour faire un peu de bruit, Sans même être aperçu, retourne dans la nuit ! C'est bien. Sors du festin sans qu'un flambeau s'efface ! Tombe au torrent, sans même en troubler la surface ! Ce siècle a son idée, elle marche à grand pas, Et toujours à son but ! Ton sépulcre n'est pas De ceux qui le feront trébucher dans sa route. Ta porte en se fermant ne vaut pas qu'on l'écoute. Va donc ! Qu'as-tu trouvé, ton caprice accompli ? Voluptueux, la tombe, et vaniteux, l'oubli ! Avril 1831.
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Un moment
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Poésie : Un moment Titre : Un moment Poète : Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) Un moment suffira pour payer une année ; Le regret plus longtemps ne peut nourrir mon sort. Quoi ! L'amour n'a-t-il pas une heure fortunée Pour celle dont, peut-être, il avance la mort ? Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes, Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment, Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ; Et si c'est trop d'une heure... un moment ! Un moment ! Vois-tu ces fleurs, amour ? C'est lui qui les envoie, Brûlantes de son souffle, humides de ses pleurs ; Sèche-les sur mon sein par un rayon de joie, Et que je vive assez pour lui rendre ses fleurs ! Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes, Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment, Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ; Et si c'est trop d'une heure... un moment ! Un moment ! Rends-moi le son chéri de cette voix fidèle : Il m'aime, il souffre, il meurt, et tu peux le guérir ! Que je sente sa main, que je dise : « C'est elle ! » Qu'il me dise : « Je meurs ! » alors, fais-moi mourir. Une heure, une heure, amour ! Une heure sans alarmes, Avec lui, loin du monde ! Après ce long tourment, Laisse encor se mêler nos regards et nos larmes ; Et si c'est trop d'une heure... un moment ! Un moment !
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Certes, une telle mort, ignorée ou connue
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Certes, une telle mort, ignorée ou connue Titre : Certes, une telle mort, ignorée ou connue Poète : Victor Hugo (1802-1885) Certes, une telle mort, ignorée ou connue, N'importe pas au siècle, et rien n'en diminue ; On n'en parle pas même et l'on passe à côté. Mais lorsque, grandissant sous le ciel attristé, L'aveugle suicide étend son aile sombre, Et prend à chaque instant plus d'âmes sous son ombre ; Quand il éteint partout, hors des desseins de Dieu, Des fronts pleins de lumière et des cœurs pleins de feu ; Quand Robert, qui voilait, peintre au pinceau de flamme, Sous un regard serein l'orage de son âme, Rejette le calice avant la fin du jour Dès qu'il en a vidé ce qu'il contient d'amour ; Quand Castlereagh, ce taon qui piqua Bonaparte, Cet anglais mélangé de Carthage et de Sparte, Se plonge au cœur l'acier et meurt désabusé, Assouvi de pouvoir, de ruses épuisé ; Quand Rabbe de poison inonde ses blessures ; Comme un cerf poursuivi d'aboyantes morsures, Lorsque Gros haletant se jette, faible et vieux, Au fleuve, pour tromper sa meute d'envieux ; Quand de la mère au fils et du père à la fille Partout ce vent de mort ébranche la famille ; Lorsqu'on voit le vieillard se hâter au tombeau Après avoir longtemps trouvé le soleil beau, Et l'épouse quittant le foyer domestique, Et l'écolier lisant dans quelque livre antique, Et tous ces beaux enfants, hélas ! trop tôt mûris, Qui ne connaissaient pas les hommes, qu'à Paris Souvent un songe d'or jusques au ciel enlève, Et qui se sont tués quand du haut de leur rêve De gloire, de vertu, d'amour, de liberté, Ils sont tombés le front sur la société ! Alors le croyant prie et le penseur médite ! Hélas ! l'humanité va peut-être trop vite. Où tend ce siècle ? où court le troupeau des esprits ? Rien n'est encor trouvé, rien n'est encor compris, Car beaucoup ici-bas sentent que l'espoir tombe, Et se brisent la tête à l'angle de la tombe Comme vous briseriez le soir sur le pavé Un œuf où rien ne germe et qu'on n'a pas couvé ! Mal d'un siècle en travail où tout se décompose ! Quel en est le remède et quelle en est la cause ? Serait-ce que la foi derrière la raison Décroît comme un soleil qui baisse à l'horizon ? Que Dieu n'est plus compté dans ce que l'homme fonde ? Et qu'enfin il se fait une nuit trop profonde Dans ces recoins du cœur, du monde inaperçus, Que peut seule éclairer votre lampe, ô Jésus ! Est-il temps, matelots mouillés par la tempête, De rebâtir l'autel et de courber la tête ? Devons-nous regretter ces jours anciens et forts Où les vivants croyaient ce qu'avaient cru les morts, Jours de piété grave et de force féconde, Lorsque la Bible ouverte éblouissait le monde ! Amas sombre et mouvant de méditations ! Problèmes périlleux ! obscures questions Qui font que, par moments s'arrêtant immobile, Le poète pensif erre encor dans la ville À l'heure où sur ses pas on ne rencontre plus Que le passant tardif aux yeux irrésolus Et la ronde de nuit, comme un rêve apparue, Qui va tâtant dans l'ombre à tous les coins de rue ! Le 4 septembre 1835.
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Je ne demande pas autre chose aux forêts
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Je ne demande pas autre chose aux forêts Titre : Je ne demande pas autre chose aux forêts Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Dernière Gerbe (Posthume, 1902). Je ne demande pas autre chose aux forêts Que de faire silence autour des antres frais Et de ne pas troubler la chanson des fauvettes. Je veux entendre aller et venir les navettes De Pan, noir tisserand que nous entrevoyons Et qui file, en tordant l'eau, le vent, les rayons, Ce grand réseau, la vie, immense et sombre toile Où brille et tremble en bas la fleur, en haut l'étoile.
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Il faut que le poète
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Il faut que le poète Titre : Il faut que le poète Poète : Victor Hugo (1802-1885) Il faut que le poète, épris d'ombre et d'azur, Esprit doux et splendide, au rayonnement pur, Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent, Chanteur mystérieux qu'en tressaillant écoutent Les femmes, les songeurs, les sages, les amants, Devienne formidable à de certains moments. Parfois, lorsqu'on se met à rêver sur son livre, Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre, Où l'âme à chaque pas trouve à faire son miel, Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel, Au milieu de cette humble et haute poésie, Dans cette paix sacrée où croit la fleur choisie, Où l'on entend couler les sources et les pleurs, Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs, Volent chantant l'amour, l'espérance et la joie, Il faut que par instants on frissonne, et qu'on voie Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant, Un vers fauve sortir de l'ombre en rugissant ! Il faut que le poète aux semences fécondes Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes, Pleines de chants, amour du vent et du rayon, Charmantes, où soudain l'on rencontre un lion. Paris, mai 1842.
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Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs Titre : Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) À Monsieur Théodore de Banville. I Ainsi, toujours, vers l'azur noir Où tremble la mer des topazes, Fonctionneront dans ton soir Les Lys, ces clystères d'extases ! À notre époque de sagous, Quand les Plantes sont travailleuses, Le Lys boira les bleus dégoûts Dans tes Proses religieuses ! - Le lys de monsieur de Kerdrel, Le Sonnet de mil huit cent trente, Le Lys qu'on donne au Ménestrel Avec l'oeillet et l'amarante ! Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas ! Et dans ton Vers, tel que les manches Des Pécheresses aux doux pas, Toujours frissonnent ces fleurs blanches ! Toujours, Cher, quand tu prends un bain, Ta chemise aux aisselles blondes Se gonfle aux brises du matin Sur les myosotis immondes ! L'amour ne passe à tes octrois Que les Lilas, - ô balançoires ! Et les Violettes du Bois, Crachats sucrés des Nymphes noires !... II Ô Poètes, quand vous auriez Les Roses, les Roses soufflées, Rouges sur tiges de lauriers, Et de mille octaves enflées ! Quand Banville en ferait neiger, Sanguinolentes, tournoyantes, Pochant l'oeil fou de l'étranger Aux lectures mal bienveillantes ! De vos forêts et de vos prés, Ô très paisibles photographes ! La Flore est diverse à peu près Comme des bouchons de carafes ! Toujours les végétaux Français, Hargneux, phtisiques, ridicules, Où le ventre des chiens bassets Navigue en paix, aux crépuscules ; Toujours, après d'affreux dessins De Lotos bleus ou d'Hélianthes, Estampes roses, sujets saints Pour de jeunes communiantes ! L'Ode Açoka cadre avec la Strophe en fenêtre de lorette ; Et de lourds papillons d'éclat Fientent sur la Pâquerette. Vieilles verdures, vieux galons ! Ô croquignoles végétales ! Fleurs fantasques des vieux Salons ! - Aux hannetons, pas aux crotales, Ces poupards végétaux en pleurs Que Grandville eût mis aux lisières, Et qu'allaitèrent de couleurs De méchants astres à visières ! Oui, vos bavures de pipeaux Font de précieuses glucoses ! - Tas d'oeufs frits dans de vieux chapeaux, Lys, Açokas, Lilas et Roses !... III Ô blanc Chasseur, qui cours sans bas À travers le Pâtis panique, Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas Connaître un peu ta botanique ? Tu ferais succéder, je crains, Aux Grillons roux les Cantharides, L'or des Rios au bleu des Rhins, - Bref, aux Norwèges les Florides : Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant, - C'est la vérité, - de permettre À l'Eucalyptus étonnant Des constrictors d'un hexamètre ; Là !... Comme si les Acajous Ne servaient, même en nos Guyanes, Qu'aux cascades des sapajous, Au lourd délire des lianes ! - En somme, une Fleur, Romarin Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle Un excrément d'oiseau marin ? Vaut-elle un seul pleur de chandelle ? - Et j'ai dit ce que je voulais ! Toi, même assis là-bas, dans une Cabane de bambous, - volets Clos, tentures de perse brune, - Tu torcherais des floraisons Dignes d'Oises extravagantes !... - Poète ! ce sont des raisons Non moins risibles qu'arrogantes !... IV Dis, non les pampas printaniers Noirs d'épouvantables révoltes, Mais les tabacs, les cotonniers ! Dis les exotiques récoltes ! Dis, front blanc que Phébus tanna, De combien de dollars se rente Pedro Velasquez, Habana ; Incague la mer de Sorrente Où vont les Cygnes par milliers ; Que tes strophes soient des réclames Pour l'abatis des mangliers Fouillés des Hydres et des lames ! Ton quatrain plonge aux bois sanglants Et revient proposer aux Hommes Divers sujets de sucres blancs, De pectoraires et de gommes ! Sachons parToi si les blondeurs Des Pics neigeux, vers les Tropiques, Sont ou des insectes pondeurs Ou des lichens microscopiques ! Trouve, ô Chasseur, nous le voulons, Quelques garances parfumées Que la Nature en pantalons Fasse éclore ! - pour nos Armées ! Trouve, aux abords du Bois qui dort, Les fleurs, pareilles à des mufles, D'où bavent des pommades d'or Sur les cheveux sombres des Buffles ! Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu Tremble l'argent des pubescences, Des calices pleins d'Oeufs de feu Qui cuisent parmi les essences ! Trouve des Chardons cotonneux Dont dix ânes aux yeux de braises Travaillent à filer les noeuds ! Trouve des Fleurs qui soient des chaises ! Oui, trouve au coeur des noirs filons Des fleurs presque pierres, - fameuses ! - Qui vers leurs durs ovaires blonds Aient des amygdales gemmeuses ! Sers-nous, ô Farceur, tu le peux, Sur un plat de vermeil splendide Des ragoûts de Lys sirupeux Mordant nos cuillers Alfénide ! V Quelqu'un dira le grand Amour, Voleur des sombres Indulgences : Mais ni Renan, ni le chat Murr N'ont vu les Bleus Thyrses immenses ! Toi, fais jouer dans nos torpeurs, Par les parfums les hystéries ; Exalte-nous vers les candeurs Plus candides que les Maries... Commerçant ! colon ! médium ! Ta Rime sourdra, rose ou blanche, Comme un rayon de sodium, Comme un caoutchouc qui s'épanche ! De tes noirs Poèmes, - Jongleur ! Blancs, verts, et rouges dioptriques, Que s'évadent d'étranges fleurs Et des papillons électriques ! Voilà ! c'est le Siècle d'enfer ! Et les poteaux télégraphiques Vont orner, - lyre aux chants de fer, Tes omoplates magnifiques ! Surtout, rime une version Sur le mal des pommes de terre ! - Et, pour la composition De poèmes pleins de mystère Qu'on doive lire de Tréguier À Paramaribo, rachète Des Tomes de Monsieur Figuier, - Illustrés ! - chez Monsieur Hachette !
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