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Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes Titre : Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dévastes, Remonter jusqu’aux jours bleuis des amours chastes Et bercer ma luxure et ma honte au bruit doux De baisers sur Sa main et non plus dans Leurs cous. Le Tibère effrayant que je suis à cette heure, Quoi que j’en aie, et que je rie ou que je pleure, Qu’il dorme ! pour rêver, loin d’un cruel bonheur, Aux tendrons pâlots dont on ménageait l’honneur Ès-fêtes, dans, après le bal sur la pelouse, Le clair de lune quand le clocher sonnait douze.
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Elle était déchaussée, elle était décoiffée
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Elle était déchaussée, elle était décoiffée Titre : Elle était déchaussée, elle était décoiffée Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les contemplations (1856). Elle était déchaussée, elle était décoiffée, Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ; Moi qui passais par là, je crus voir une fée, Et je lui dis : Veux-tu t'en venir dans les champs ? Elle me regarda de ce regard suprême Qui reste à la beauté quand nous en triomphons, Et je lui dis : Veux-tu, c'est le mois où l'on aime, Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ? Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive ; Elle me regarda pour la seconde fois, Et la belle folâtre alors devint pensive. Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois ! Comme l'eau caressait doucement le rivage ! Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts, La belle fille heureuse, effarée et sauvage, Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.
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Au Yung-Frau
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Au Yung-Frau Titre : Au Yung-Frau Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Premières poésies (1829). Yung-Frau, le voyageur qui pourrait sur ta tête S'arrêter, et poser le pied sur sa conquête, Sentirait en son coeur un noble battement, Quand son âme, au penchant de ta neige éternelle, Pareille au jeune aiglon qui passe et lui tend l'aile, Glisserait et fuirait sous le clair firmament. Yung-Frau, je sais un coeur qui, comme toi, se cache. Revêtu, comme toi, d'une robe sans tache, Il est plus près de Dieu que tu ne l'es du ciel. Ne t'étonne donc point, ô montagne sublime, Si la première fois que j'en ai vu la cime, J'ai cru le lieu trop haut pour être d'un mortel.
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Hymne à la nuit
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Hymne à la nuit Titre : Hymne à la nuit Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Nuit, des amours ministre et sergente fidèle Des arrêts de Venus, et des saintes lois d'elle, Qui secrète accompagne L'impatient ami de l'heure accoutumée, Ô l'aimée des Dieux, mais plus encore aimée Des étoiles compagnes, Nature de tes dons adore l'excellence, Tu caches les plaisirs dessous muet silence Que l'amour jouissante Donne, quand ton obscur étroitement assemble Les amants embrassés, et qu'ils tombent ensemble Sous l'ardeur languissante. Lorsque l'amie main court par la cuisse, et ores Par les tétins, auxquels ne se compare encore Nul ivoire qu'on voie, Et la langue en errant sur la joue, et la face, Plus d'odeurs, et de fleurs, là naissantes, amasse Que I'Orient n'envoie. C'est toi qui les soucis, et les gênes mordantes, Et tout le soin enclos en nos âmes ardentes Par ton présent arraches. C'est toi qui rends la vie aux vergers qui languissent, Aux jardins la rosée, et aux cieux qui noircissent Les idoles attaches. Mais, si te plaît déesse une fin à ma peine, Et donte sous mes bras celle qui est tant pleine De menaces cruelles. Afin que de ses yeux (yeux qui captifs me tiennent) Les trop ardents flambeaux plus brûler ne me viennent Le fond de mes mouelles.
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À l'éternel amour
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : À l'éternel amour Titre : À l'éternel amour Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Ô mer, ô mer immense et triste, qui déroules, Sous les regards mouillés de ces millions d'étoiles, Les longs gémissements de tes millions de houles, Lorsque dans ton élan vers le ciel tu t'écroules ; Ô ciel, ô ciel immense et triste, qui dévoiles, Sur les gémissements de ces millions de houles, Les regards pleins de pleurs de tes millions d'étoiles, Quand l'air ne cache point la mer sous de longs voiles ; Vous qui, par des millions et des millions d'années, À travers les éthers toujours remplis d'alarmes. L'un vers l'autre tendez vos âmes condamnées À l'éternel amour qu'aucun temps ne consomme, Il me semble, ce soir, que mon étroit cœur d'homme Contient tous vos sanglots, contient toutes vos larmes.
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Écrit sur la première page d'un livre de Joseph de Maistre
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit sur la première page d'un livre de Joseph de Maistre Titre : Écrit sur la première page d'un livre de Joseph de Maistre Poète : Victor Hugo (1802-1885) Cathédrale monstre ! Bâtie Contre le droit et le devoir ! Plan incliné. La sacristie, Glissante, devient l'abattoir. Ici les cierges, là les torches. Dans ce temple, à deux fins construit, On juxtapose les deux porches De la lumière et de la nuit. Fausse lumière et nuit réelle. L'ombre de Rome sur Paris. Une aigle ayant au bout de l'aile Des ongles de chauve-souris. Une logique épouvantable Invente, ô peuple sans vengeurs, Un Reims étrange à double table Où sont assis tes deux mangeurs. Les deux noirs êtres qui te rongent, Le magnifique et le hideux, Boivent ton sang ensemble, et songent, Avec leur prêtre à côté d'eux. Double chapelle, et double apôtre. Bonald en l'une, altier zéro, Couronne le prince, et, dans l'autre, De Maistre sacre le bourreau. L'horreur à l'empire est mêlée. On a sur le trône étalé Une pourpre coagulée Qui de l'échafaud a coulé. Un homme règne, un homme fauche ; Soit. J'ai toujours cru qu'on verrait Se marier de la main gauche L'épée avec le couperet.
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Ma seule amour
Charles d'Orléans (1394-1465)
Poésie : Ma seule amour Titre : Ma seule amour Poète : Charles d'Orléans (1394-1465) Recueil : Chansons. Ma seule amour, ma joye et ma maistresse, Puisqu'il me fault loing de vous demorer, Je n'ay plus riens, à me reconforter, Qu'un souvenir pour retenir lyesse. En allegant, par Espoir, ma destresse, Me couvendra le temps ainsi passer, Ma seule amour, ma joye et ma maistresse, Puisqu'il me fault loing de vous demorer. Car mon las cueur, bien garny de tristesse, S'en est voulu avecques vous aler, Ne je ne puis jamais le recouvrer, Jusques verray vostre belle jeunesse, Ma seule amour, ma joye et ma maistresse.
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Drapeau vrai
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Drapeau vrai Titre : Drapeau vrai Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). A Raymond de La Tailhède Le soldat qui sait bien et veut bien son métier Sera l'homme qu'il faut au Devoir inflexible : Le Devoir, qu'il combatte ou qu'il tire à la cible, Qu'il s'essore à la mort ou batte un plat sentier ; Le Devoir, qu'il subisse (et l'aime !) un ordre altier Ou repousse le bas conseil de tel horrible Dégoût ; le Devoir bon, le Devoir dur, le crible Où restent les défauts de l'homme tout entier ; Le Devoir saint, la fière et douce Obéissance, Rappel de la Famille en dépit de la France Actuelle, au mépris de cette France-là ! Famille, foyer, France antique et l'immortelle, Le Devoir seul devoir, le Soldat qu'appela D'avance cette France : or l'Espérance est telle.
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L'autre
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : L'autre Titre : L'autre Poète : Victor Hugo (1802-1885) Viens, mon George. Ah ! les fils de nos fils nous enchantent, Ce sont de jeunes voix matinales qui chantent. Ils sont dans nos logis lugubres le retour Des roses, du printemps, de la vie et du jour ! Leur rire nous attire une larme aux paupières Et de notre vieux seuil fait tressaillir les pierres ; De la tombe entr'ouverte et des ans lourds et froids Leur regard radieux dissipe les effrois ; Ils ramènent notre âme aux premières années ; Ils font rouvrir en nous toutes nos fleurs fanées ; Nous nous retrouvons doux, naïfs, heureux de rien ; Le coeur serein s'emplit d'un vague aérien ; En les voyant on croit se voir soi-même éclore ; Oui, devenir aïeul, c'est rentrer dans l'aurore. Le vieillard gai se mêle aux marmots triomphants. Nous nous rapetissons dans les petits enfants. Et, calmés, nous voyons s'envoler dans les branches Notre âme sombre avec toutes ces âmes blanches.
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Printemps
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Printemps Titre : Printemps Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). Tendre, la jeune femme rousse, Que tant d'innocence émoustille, Dit à la blonde jeune fille Ces mots, tout bas, d'une voix douce : « Sève qui monte et fleur qui pousse, Ton enfance est une charmille : Laisse errer mes doigts dans la mousse Où le bouton de rose brille, Laisse-moi, parmi l'herbe claire, Boire les gouttes de rosée Dont la fleur tendre est arrosée, – « Afin que le plaisir, ma chère, Illumine ton front candide Comme l'aube l'azur timide. »
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Les arbres
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Les arbres Titre : Les arbres Poète : Anatole France (1844-1924) Recueil : Les poèmes dorés (1873). Ô vous qui, dans la paix et la grâce fleuris, Animez et les champs et vos forêts natales, Enfants silencieux des races végétales, Beaux arbres, de rosée et de soleil nourris, La Volupté par qui toute race animée Est conçue et se dresse à la clarté du jour, La mère aux flancs divins de qui sortit l'Amour, Exhale aussi sur vous son haleine embaumée. Fils des fleurs, vous naissez comme nous du Désir, Et le Désir, aux jours sacrés des fleurs écloses, Sait rassembler votre âme éparse dans les choses, Votre âme qui se cherche et ne se peut saisir. Et, tout enveloppés dans la sourde matière Au limon paternel retenus par les pieds, Vers la vie aspirant, vous la multipliez, Sans achever de naître en votre vie entière.
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L'âme rêvée
François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898)
Poésie : L'âme rêvée Titre : L'âme rêvée Poète : François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898) Il est une âme enfin que comprend et devine Mon âme ranimée, échappant aux ennuis ; Car mes regards ont vu cette femme divine Que j'avais tant rêvée en mes plus belles nuits. Petits oiseaux, venez près d'elle Et par vos chants et vos baisers, Par vos doux frémissements d'aile Et vos désirs inapaisés, Petits oiseaux, couple fidèle, Portez le trouble en ses pensers. Ses yeux purs et charmants ont un éclat si tendre Et sa voix pénétrante a des accents si doux, Que les anges du ciel, pour la voir et l'entendre, Descendent empressés et remontent jaloux. Étoile qui fuis dans l'espace, Si tu la surprends quelque soir, Plus rêveuse suivant ta trace De son œil langoureux et noir, Dis-lui que je l'aime, et de grâce Pour moi demande un peu d'espoir. Pour avoir contemplé sa pâleur éclatante Mon front en gardera le reflet désormais ; Et pourtant je sais bien, languissant dans l'attente, Que son cœur tout à Dieu ne m'aimera jamais. Ô cher objet de mon envie, Au nom si doux à révéler Qu'il est sur ma bouche ravie Sans cesse prêt à s'envoler, Je me tairai toute ma vie, Mais laisse mes yeux te parler.
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L'honnêteté, douceur, rigueur
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : L'honnêteté, douceur, rigueur Titre : L'honnêteté, douceur, rigueur Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Il ne fallait, maîtresse, autres tablettes Pour vous graver, que celles de mon cœur. Où de sa main, Amour, notre vainqueur Vous a gravée de vos grâces parfaites. Là vos vertus au vif y sont portraites, Et vos beautés causes de ma langueur, L'honnêteté, la douceur, la rigueur, Et tous les biens et maux que vous me faites. Là vos cheveux, votre œil et votre teint Et votre front s'y montre si bien peint, Et votre face y est si bien enclose, Que tout est plein : il n'y a nul endroit Vide en mon cœur : et quand Amour voudrait Plus ne pourrait y graver autre chose.
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La vie est bien sévère
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La vie est bien sévère Titre : La vie est bien sévère Poète : Paul Verlaine (1844-1896) La vie est bien sévère A cet homme trop gai : Plus le vin dans le verre Pour le sang fatigué, Plus l’huile dans la lampe Pour les yeux et la main, Plus l’envieux qui rampe Pour l’orgueil surhumain, Plus l’épouse choisie Pour vivre et pour mourir, En qui l’on s’extasie Pour s’aider à souffrir, Hélas ! et plus les femmes Pour le cœur et la chair, Plus la Foi, sel des âmes, Pour la peur de l’Enfer, Et ni plus l'Espérance Pour le ciel mérité Par combien de souffrance ! Rien. Si. La Charité. Le pardon des offenses Comme un déchirement, L’abandon des vengeances. Comme un délaissement, Changer au mieux le pire, A la méchanceté Déployant son empire, Opposer la bonté, Peser, se rendre compte. Faire la part de tous, Boire la bonne honte, Être toujours plus doux... Quelque chaleur va luire Pour le cœur fatigué, La vie enfin sourire A cet homme trop gai. Et puisque je pardonne, Mon Dieu, pardonnez-moi, Ornant l'âme enfin bonne D’espérance et de foi.
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La part de Madeleine
Anatole France (1844-1924)
Poésie : La part de Madeleine Titre : La part de Madeleine Poète : Anatole France (1844-1924) L'ombre versait au flanc des monts sa paix bénie, Le chemin était bleu, le feuillage était noir, Et les palmiers tremblaient d'amour au vent du soir. L'enfant de Magdala, la fleur de Béthanie, Gémissait dans la pourpre et l'azur des coussins. Le grand épervier d'or des femmes étrangères Agrafait sur son front les étoffes légères ; La myrrhe tiédissait dans l'ombre de ses seins ; Ses doigts, où les parfums des jeunes chevelures Avaient laissé leur âme et s'exhalaient encor Autour du scarabée et des talismans d'or, Gardaient des souvenirs pareils à des brûlures. Or elle haïssait ce corps qui lui fut cher ; Tous les baisers reçus lui revenaient aux lèvres Avec l'âcre saveur des dégoûts et des fièvres. Madeleine était triste et souffrait dans sa chair ; Et ses lèvres, ainsi qu'une grenade mûre, Entr'ouvrant leur rubis sous la fraîcheur du ciel, L'abeille des regrets y mit son âcre miel, Et le vent qui passait recueillit ce murmure : " J'avais soif, et j'ai ceint mon front d'amour fleuri ; J'ai pris la bonne part des choses de ce monde, Et cependant, mon Dieu, ma tristesse est profonde, Et voici que mon coeur est comme un puits tari ! " Mon âme est comparable à la citerne vide Sur qui le chamelier ne penche plus son front ; Et l'amour des meilleurs d'entre ceux qui mourront Est tombé goutte à goutte au fond du gouffre avide. " Je n'ai bu que la soif aux lèvres des amants : Ils sont faits de limon, tous les fils de la mère ; La fleur de leurs baisers laisse une cendre amère, L'étreinte de leurs bras est un choc d'ossements. " Je brisais malgré moi l'argile de leur chaîne. Seigneur ! Seigneur ! ce qui n'est plus ne fut jamais ! Leurs souvenirs étaient des morts que j'embaumais Et qui n'exhalaient plus qu'à peine un peu de haine. " Et je criais, voyant mon espoir achevé : Pleureuses, allumez l'encens devant ma porte, Apprêtez un drap d'or : la Madeleine est morte, Car étant la Chercheuse elle n'a pas trouvé ! " " Et j'ouvrais de nouveau mes bras comme des palmes ; J'étendais mes bras nus tout parfumés d'amour, Pour qu'une âme vivante y vînt dormir un jour, Et je rêvais encor les vastes amours calmes ! " Le Silence entendit ma voix, qui soupirait Disant : " La perle dort dans le secret des ondes ; Or je veux me baigner dans des amours profondes Comme tes belles eaux, lac de Génésareth ! " Que votre chaste haleine à mon souffle se mêle, Tranquilles fleurs des eaux, afin que le baiser Que sur le front élu ma lèvre ira poser, Calme comme la mort, soit infini comme elle ! " " Telle je soupirais au bord du lac natal, Mais sur mes flancs blessés une mauvaise flamme, Rebelle, dévorait ma chair avec mon âme, Et voici que je meurs sur mon lit de santal. " Pourtant, j'accepte encor la part de Madeleine J'avais choisi l'amour et j'avais eu raison. Comme Marthe, ma soeur, qui garda la maison, Je n'aurai point pesé la farine ou la laine ; " La jarre, au ventre lourd d'olives ou de vin, Dans les soins du cellier n'aura point clos ma vie ; Mais ma part, je le sais, ne peut m'être ravie, Et je l'emporterai dans l'inconnu divin ! " Elle dit : le reflet des choses éternelles L'illumina d'horreur et d'épouvantement. Alors elle se tut et pleura longuement : Une âme flottait vague au fond de ses prunelles. Or, Jésus, celui-là qui chassait le Démon Et qui, s'étant assis au bord de la fontaine, But dans l'urne de grès de la Samaritaine, Soupait ce même soir au logis de Simon. Vers ce foyer, ce toit fumant entre les branches, Madeleine tendit, humble, ses belles mains ; Et l'on aurait pu voir des pensers plus qu'humains Rayonner sur son front comme des lueurs blanches. La tristesse rendait plus belle sa beauté ; Ses regards au ciel bleu creusaient un clair sillage, Et ses longs cils mouillés étaient comme un feuillage Dans du soleil, après la pluie, un jour d'été. L'enfant de Magdala, la fleur de Béthanie, S'en alla vers Jésus qu'on a nommé le Christ, Et parfuma ses pieds ainsi qu'il est écrit. Et la terre connut la tendresse infinie.
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Or, malgré ta cruauté
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Or, malgré ta cruauté Titre : Or, malgré ta cruauté Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). Or, malgré ta cruauté Affectée, et l'air très faux De sale méchanceté Dont, bête, tu te prévaux J'aime ta lasciveté ! Et quoiqu'en dépit de tout Le trop factice dégoût Que me dicte ton souris Qui m'est, à mes dams et coût, Rouge aux crocs blancs de souris ! — Je t'aime comme l'on croit, Et mon désir fou qui croît, Tel un champignon des prés, S'érige ainsi que le Doigt D'un Terme là tout exprès. Donc, malgré ma cruauté Affectée, et l'air très faux De pire méchanceté, Dont, bête, je me prévaux. Aime ma simplicité.
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Sonnet (II)
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Sonnet (II) Titre : Sonnet (II) Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Meschantes nuicts d'hyver, nuicts filles de Cocyte, Que la Terre engendra, d'Encelade les sœurs ; Serpentes d'Alecton et fureur des fureurs, N'approchez de mon lict, ou bien tournez plus vite. Que fait tant le soleil au giron d'Amphitrite ? Leve-toy, je languis, accablé de douleurs ; Mais ne pouvoir dormir, c'est bien de mes malheurs Le plus grand, qui ma vie enchagrine et dépite. Seize heures, pour le moins, je meurs les yeux ouvers, Me tournant, me virant de droit et de travers Sus l'un, sus l'autre flanc ! je tempeste, je crie. Inquiet je ne puis en un heu me tenir, J'appelle en vain le jour, et la mort je supplie, Mais elle fait la sourde, et ne veut pas venir.
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Les coquillages
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Les coquillages Titre : Les coquillages Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Chaque coquillage incrusté Dans la grotte où nous nous aimâmes A sa particularité. L'un a la pourpre de nos âmes Dérobée au sang de nos coeurs Quand je brûle et que tu t'enflammes ; Cet autre affecte tes langueurs Et tes pâleurs alors que, lasse, Tu m'en veux de mes yeux moqueurs ; Celui-ci contrefait la grâce De ton oreille, et celui-là Ta nuque rose, courte et grasse ; Mais un, entre autres, me troubla.
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L'isolement
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : L'isolement Titre : L'isolement Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Souvent sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne, Au coucher du soleil, tristement je m'assieds ; Je promène au hasard mes regards sur la plaine, Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds. Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ; Il serpente, et s'enfonce en un lointain obscur ; Là le lac immobile étend ses eaux dormantes Où l'étoile du soir se lève dans l'azur. Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres, Le crépuscule encor jette un dernier rayon ; Et le char vaporeux de la reine des ombres Monte, et blanchit déjà les bords de l'horizon. Cependant, s'élançant de la flèche gothique, Un son religieux se répand dans les airs : Le voyageur s'arrête, et la cloche rustique Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts. Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente N'éprouve devant eux ni charme ni transports ; Je contemple la terre ainsi qu'une ombre errante Le soleil des vivants n'échauffe plus les morts. De colline en colline en vain portant ma vue, Du sud à l'aquilon, de l'aurore au couchant, Je parcours tous les points de l'immense étendue, Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend. " Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières, Vains objets dont pour moi le charme est envolé ? Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères, Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! Que le tour du soleil ou commence ou s'achève, D'un oeil indifférent je le suis dans son cours ; En un ciel sombre ou pur qu'il se couche ou se lève, Qu'importe le soleil ? je n'attends rien des jours. Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière, Mes yeux verraient partout le vide et les déserts : Je ne désire rien de tout ce qu'il éclaire ; Je ne demande rien à l'immense univers. Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère, Lieux où le vrai soleil éclaire d'autres cieux, Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre, Ce que j'ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux ! Là, je m'enivrerais à la source où j'aspire ; Là, je retrouverais et l'espoir et l'amour, Et ce bien idéal que toute âme désire, Et qui n'a pas de nom au terrestre séjour ! Que ne puîs-je, porté sur le char de l'Aurore, Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi ! Sur la terre d'exil pourquoi resté-je encore ? Il n'est rien de commun entre la terre et moi. Quand là feuille des bois tombe dans la prairie, Le vent du soir s'élève et l'arrache aux vallons ; Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie : Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !
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Conseil falot
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Conseil falot Titre : Conseil falot Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Brûle aux yeux des femmes, Mais garde ton coeur Et crains la langueur Des épithalames. Bois pour oublier ! L'eau-de-vie est une Qui porte la lune Dans son tablier. L'injure des hommes, Qu'est-ce que ça fait ? Va, notre coeur sait Seul ce que nous sommes. Ce que nous valons Notre sang le chante ! L'épine méchante Te mord aux talons ? Le vent taquin ose Te gifler souvent ? Chante dans le vent Et cueille la rose ! Va, tout est au mieux Dans ce monde pire ! Surtout laisse dire, Surtout sois joyeux D'être une victime A ces pauvres gens : Les dieux indulgents Ont aimé ton crime ! Tu refleuriras Dans un élysée ! Ame méprisée, Tu rayonneras ! Tu n'es pas de celles Qu'un coup du Destin Dissipe soudain En mille étincelles. Métal dur et clair, Chaque coup t'affine En arme divine Pour un dessein fier. Arrière la forge ! Et tu vas frémir, Vibrer et jouir Au poing de saint George Et de saint Michel, Dans des gloires calmes, Au vent pur des palmes, Sur l'aile du ciel !... C'est d'être un sourire Au milieu des pleurs, C'est d'être des fleurs Au champ du martyre, C'est d'être le feu Qui dort dans la pierre, C'est d'être en prière, C'est d'attendre un peu !
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La Vierge de Tolède
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La Vierge de Tolède Titre : La Vierge de Tolède Poète : Théophile Gautier (1811-1872) On vénère à Tolède une image de Vierge, Devant qui toujours tremble une lueur de cierge ; Poupée étincelante en robe de brocart, Comme si l'or était plus précieux que l'art ! Et sur cette statue on raconte une histoire Qu'un enfant de six mois refuserait de croire, Mais que doit accepter comme une vérité Tout poète amoureux de la sainte beauté. Quand la Reine des cieux au grand saint Ildefonse, Pour le récompenser de la grande réponse, Quittant sa tour d'ivoire au paradis vermeil, Apporta la chasuble en toile de soleil, Par curiosité, par caprice de femme, Elle alla regarder la belle Notre-Dame, Ouvrage merveilleux dans l'Espagne cité, Rêve d'ange amoureux, à deux genoux sculpté, Et devant ce portrait resta toute pensive Dans un ravissement de surprise naïve. Elle examina tout : — le marbre précieux ; Le travail patient, chaste et minutieux ; La jupe raide d'or comme une dalmatique ; Le corps mince et fluet dans sa grâce gothique ; Le regard virginal tout baigné de langueur, Et le petit Jésus endormi sur son cœur. Elle se reconnut et se trouva si belle, Qu'entourant de ses bras la sculpture fidèle, Elle mit, au moment de remonter aux cieux, Au front de son image un baiser radieux. Ah ! que de tels récits, dont la raison s'étonne Dans ce siècle trop clair pour que rien y rayonne, Au temps de poésie où chacun y croyait, Devaient calmer le cœur de l'artiste inquiet ! Faire admirer au ciel l'ouvrage de la terre, Cet espoir étoilait l'atelier solitaire, Et le ciseau pieux longtemps avec amour Pour le baiser divin caressait le contour. Si la Vierge, à Paris, avec son auréole, Sur les autels païens de notre âge frivole Descendait et venait visiter son portrait, Croyez-vous, ô sculpteurs, qu'elle s'embrasserait ?
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Les cerfs
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Les cerfs Titre : Les cerfs Poète : Anatole France (1844-1924) Aux vapeurs du matin, sous les fauves ramures Que le vent automnal emplit de longs murmures, Les rivaux, les deux cerfs luttent dans les halliers : Depuis l'heure du soir où leur fureur errante Les entraîna tous deux vers la biche odorante, Ils se frappent l'un l'autre à grands coups d'andouillers. Suants, fumants, en feu, quand vint l'aube incertaine, Tous deux sont allés boire ensemble à la fontaine, Puis d'un choc plus terrible ils ont mêlé leurs bois. Leurs bonds dans les taillis font le bruit de la grêle ; Ils halètent, ils sont fourbus, leur jarret grêle Flageole du frisson de leurs prochains abois. Et cependant, tranquille et sa robe lustrée, La biche au ventre clair, la bête désirée Attend ; ses jeunes dents mordent les arbrisseaux ; Elle écoute passer les souffles et les râles ; Et, tiède dans le vent, la fauve odeur des mâles D'un prompt frémissement effleure ses naseaux. Enfin l'un des deux cerfs, celui que la Nature Arma trop faiblement pour la lutte future, S'abat, le ventre ouvert, écumant et sanglant. L'oeil terne, il a léché sa mâchoire brisée ; Et la mort vient déjà, dans l'aube et la rosée, Apaiser par degrés son poitrail pantelant. Douce aux destins nouveaux, son âme végétale Se disperse aisément dans la forêt natale ; L'universelle vie accueille ses esprits : Il redonne à la terre, aux vents aromatiques, Aux chênes, aux sapins, ses nourriciers antiques, Aux fontaines, aux fleurs, tout ce qu'il leur a pris. Telle est la guerre au sein des forêts maternelles. Qu'elle ne trouble point nos sereines prunelles : Ce cerf vécut et meurt selon de bonnes lois, Car son âme confuse et vaguement ravie A dans les jours de paix goûté la douce vie : Son âme s'est complu, muette, au sein des bois. Au sein des bois sacrés, le temps coule limpide, La peur est ignorée et la mort est rapide ; Aucun être n'existe ou ne périt en vain. Et le vainqueur sanglant qui brame à la lumière, Et que suit désormais la biche douce et fière, A les reins et le coeur bons pour l'oeuvre divin. L'Amour, l'Amour puissant, la Volupté féconde, Voilà le dieu qui crée incessamment le monde, Le père de la vie et des destins futurs ! C'est par l'Amour fatal, par ses luttes cruelles, Que l'univers s'anime en des formes plus belles, S'achève et se connaît en des esprits plus purs.
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Chant du grillon
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Chant du grillon Titre : Chant du grillon Poète : Théophile Gautier (1811-1872) I Souffle, bise ! Tombe à flots, pluie ! Dans mon palais, tout noir de suie, Je ris de la pluie et du vent ; En attendant que l'hiver fuie, Je reste au coin du feu, rêvant. C'est moi qui suis l'esprit de l'âtre ! Le gaz, de sa langue bleuâtre, Lèche plus doucement le bois ; La fumée, en filet d'albâtre, Monte et se contourne à ma voix. La bouilloire rit et babille ; La flamme aux pieds d'argent sautille En accompagnant ma chanson ; La bûche de duvet s'habille ; La sève bout dans le tison. Le soufflet au râle asthmatique, Me fait entendre sa musique ; Le tournebroche aux dents d'acier Mêle au concerto domestique Le tic-tac de son balancier. Les étincelles réjouies, En étoiles épanouies, vont et viennent, croisant dans l'air, Les salamandres éblouies, Au ricanement grêle et clair. Du fond de ma cellule noire, Quand Berthe vous conte une histoire, Le Chaperon ou l'Oiseau bleu, C'est moi qui soutiens sa mémoire, C'est moi qui fais taire le feu. J'étouffe le bruit monotone du rouet qui grince et bourdonne ; J'impose silence au matou ; Les heures s'en vont, et personne N'entend le timbre du coucou. Pendant la nuit et la journée, Je chante sous la cheminée ; Dans mon langage de grillon, J'ai, des rebuts de son aînée, Souvent consolé Cendrillon. Le renard glapit dans le piège ; Le loup, hurlant de faim, assiège La ferme au milieu des grands bois ; Décembre met, avec sa neige, Des chemises blanches aux toits. Allons, fagot, pétille et flambe ; Courage, farfadet ingambe, Saute, bondis plus haut encore ; Salamandre, montre ta jambe, Lève, en dansant, ton jupon d'or. Quel plaisir ! Prolonger sa veille, Regarder la flamme vermeille Prenant à deux bras le tison ; A tous les bruits prêter l'oreille ; Entendre vivre la maison ! Tapi dans sa niche bien chaude, Sentir l'hiver qui pleure et rôde, Tout blême et le nez violet, Tâchant de s'introduire en fraude Par quelque fente du volet. Souffle, bise ! Tombe à flots, pluie ! Dans mon palais, tout noir de suie, Je ris de la pluie et du vent ; En attendant que l'hiver fuie Je reste au coin du feu, rêvant. II Regardez les branches, Comme elles sont blanches ; Il neige des fleurs ! Riant dans la pluie, Le soleil essuie Les saules en pleurs, Et le ciel reflète Dans la violette, Ses pures couleurs. La nature en joie Se pare et déploie Son manteau vermeil. Le paon qui se joue, Fait tourner en roue, Sa queue au soleil. Tout court, tout s'agite, Pas un lièvre au gîte ; L'ours sort du sommeil. La mouche ouvre l'aile, Et la demoiselle Aux prunelles d'or, Au corset de guêpe, Dépliant son crêpe, A repris l'essor. L'eau gaîment babille, Le goujon frétille, Un printemps encore ! Tout se cherche et s'aime ; Le crapaud lui-même, Les aspics méchants ; Toute créature, Selon sa nature : La feuille a des chants ; Les herbes résonnent, Les buissons bourdonnent ; C'est concert aux champs. Moi seul je suis triste ; Qui sait si j'existe, Dans mon palais noir ? Sous la cheminée, Ma vie enchaînée, Coule sans espoir. Je ne puis, malade, Chanter ma ballade Aux hôtes du soir. Si la brise tiède Au vent froid succède ; Si le ciel est clair, Moi, ma cheminée N'est illuminée Que d'un pâle éclair ; Le cercle folâtre Abandonne l'âtre : Pour moi c'est l'hiver. Sur la cendre grise, La pincette brise Un charbon sans feu. Adieu les paillettes, Les blondes aigrettes ; Pour six mois adieu La maîtresse bûche, Où sous la peluche, Sifflait le gaz bleu. Dans ma niche creuse, Ma natte boiteuse Me tient en prison. Quand l'insecte rôde, Comme une émeraude, Sous le vert gazon, Moi seul je m'ennuie ; Un mur, noir de suie, Est mon horizon.
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Sonnet héroïque
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sonnet héroïque Titre : Sonnet héroïque Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). La Gueule parle : « L'or, et puis encore l'or, Toujours l'or, et la viande, et les vins, et la viande, Et l'or pour les vins fins et la viande, on demande Un trou sans fond pour l'or toujours et l'or encor ! » La Panse dit : « À moi la chute du trésor ! La viande, et les vins fins, et l'or, toute provende, À moi ! Dégringolez dans l'outre toute grande Ouverte du Seigneur Nabuchodonosor ! » L'œil est de pur cristal dans les suifs de la face : Il brille, net et franc, près du vrai, rouge et faux, Seule perfection parmi tous les défauts. L'Âme attend vainement un remords efficace, Et dans l'impénitence agonise de faim Et de soif, et sanglote en pensant à La Fin
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Âge d'or
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Âge d'or Titre : Âge d'or Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Quelqu'une des voix Toujours angélique - Il s'agit de moi, - Vertement s'explique : Ces mille questions Qui se ramifient N'amènent, au fond, Qu'ivresse et folie ; Reconnais ce tour Si gai, si facile : Ce n'est qu'onde, flore, Et c'est ta famille ! Puis elle chante. Ô Si gai, si facile, Et visible à l'oeil nu... - Je chante avec elle, - Reconnais ce tour Si gai, si facile, Ce n'est qu'onde, flore, Et c'est ta famille !... etc... Et puis une voix - Est-elle angélique ! - Il s'agit de moi, Vertement s'explique ; Et chante à l'instant En soeur des haleines : D'un ton Allemand, Mais ardente et pleine : Le monde est vicieux ; Si cela t'étonne ! Vis et laisse au feu L'obscure infortune. Ô ! joli château ! Que ta vie est claire ! De quel Age es-tu, Nature princière De notre grand frère ! etc... Je chante aussi, moi : Multiples soeurs ! voix Pas du tout publiques ! Environnez-moi De gloire pudique... etc...
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Ce serait une erreur de croire que ces choses
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ce serait une erreur de croire que ces choses Titre : Ce serait une erreur de croire que ces choses Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Ce serait une erreur de croire que ces choses Finiront par des chants et des apothéoses ; Certes, il viendra, le rude et fatal châtiment ; Jamais l'arrêt d'en haut ne recule et ne ment, Mais ces jours effrayants seront des jours sublimes. Tu feras expier à ces hommes leurs crimes, Ô peuple généreux, ô peuple frémissant, Sans glaive, sans verser une goutte de sang, Par la loi ; sans pardon, sans fureur, sans tempête. Non, que pas un cheveu ne tombe d'une tête ; Que l'on n'entende pas une bouche crier ; Que pas un scélérat ne trouve un meurtrier. Les temps sont accomplis ; la loi de mort est morte ; Du vieux charnier humain nous avons clos la porte. Tous ces hommes vivront. — Peuple, pas même lui ! Nous le disions hier, nous venons aujourd'hui Le redire, et demain nous le dirons encore, Nous qui des temps futurs portons au front l'aurore, Parce que nos esprits, peut-être pour jamais, De l'adversité sombre habitent les sommets ; Nous les absents, allant où l'exil nous envoie ; Nous : proscrits, qui sentons, pleins d'une douce joie, Dans le bras qui nous frappe une main nous bénir ; Nous, les germes du grand et splendide avenir Que le Seigneur, penché sur la famille humaine, Sema dans un sillon de misère et de peine. II. Ils tremblent, ces coquins, sous leur nom accablant ; Ils ont peur pour leur tête infâme, ou font semblant ; Mais, marauds, ce serait déshonorer la Grève ! Des révolutions remuer le vieux glaive Pour eux ! y songent-ils ? diffamer l'échafaud ! Mais, drôles, des martyrs qui marchaient le front haut, Des justes, des héros, souriant à l'abîme, Sont morts sur cette planche et l'ont faite sublime ! Quoi ! Charlotte Corday, quoi ! madame Roland Sous cette grande hache ont posé leur cou blanc, Elles l'ont essuyée avec leur tresse blonde, Et Magnan y viendrait faire sa tache immonde ! Où le lion gronda, grognerait le pourceau ! Pour Rouher, Fould et Suin, ces rebuts du ruisseau, L'échafaud des Camille et des Vergniaud superbes ! Quoi, grand Dieu, pour Troplong la mort de Malesherbes ! Traiter le sieur Delangle ainsi qu'André Chénier ! Jeter ces têtes-là dans le même panier, Et, dans ce dernier choc qui mêle et qui rapproche, Faire frémir Danton du contact de Baroche ! Non, leur règne, où l'atroce au burlesque se joint, Est une mascarade, et, ne l'oublions point, Nous en avons pleuré, mais souvent nous en rimes. Sous prétexte qu'il a commis beaucoup de crimes, Et qu'il est assassin autant que charlatan, Paillasse après Saint-Just, Robespierre et Titan, Monterait cette échelle effrayante et sacrée ! Après avoir coupé le cou de Briarée, Ce glaive couperait la tête d'Arlequin ! Non, non ! maître Rouher, vous êtes un faquin, Fould, vous êtes un fat, Suin, vous êtes un cuistre. L'échafaud est le lieu du triomphe sinistre, Le piédestal, dressé sur le noir cabanon, Qui fait tomber la tête et fait surgir le nom, C'est le faîte vermeil d'où le martyr s'envole, C'est la hache impuissante à trancher l'auréole, C'est le créneau sanglant, étrange et redouté, Par où l'âme se penche et voit l'éternité. Ce qu'il faut, ô justice, à ceux de cette espèce, C'est le lourd bonnet vert, c'est la casaque épaisse, C'est le poteau ; c'est Brest, c'est Clairvaux, c'est Toulon C'est le boulet roulant derrière leur talon, Le fouet et le bâton, la chaîne, âpre compagne, Et les sabots sonnant sur le pavé du bagne ! Qu'ils vivent accouplés et flétris ! L'échafaud, Sévère, n'en veut pas. Qu'ils vivent, il le faut, L'un avec sa simarre et l'autre avec son cierge ! La mort devant ces gueux baisse ses yeux de vierge. Jersey, juillet 1853.
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Au mois d'avril quand l'an se renouvelle
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Au mois d'avril quand l'an se renouvelle Titre : Au mois d'avril quand l'an se renouvelle Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Au mois d'avril, quand l'an se renouvelle, L'aube ne sort si fraîche de la mer : Ni hors des flots la déesse (1) d'aimer Ne vint à Cypre en sa conque si belle, Comme je vis la beauté que j'appelle Mon astre saint, au matin s'éveiller, Rire le ciel, la terre s'émailler, Et les Amours voler à l'entour d'elle. Amour, Jeunesse, et les Grâces qui sont Filles du ciel lui pendaient sur le front : Mais ce qui plus redoubla mon service (2), C'est qu'elle avait un visage sans art. La femme laide est belle d'artifice, La femme belle est belle sans du fard. 1. Vénus, née de l'écume de la mer. 2. M'assujettit davantage à son service.
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Aux morts du 4 décembre
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Aux morts du 4 décembre Titre : Aux morts du 4 décembre Poète : Victor Hugo (1802-1885) Jouissez du repos que vous donne le maître. Vous étiez autrefois des coeurs troublés peut-être, Qu'un vain songe poursuit ; L'erreur vous tourmentait, ou la haine, ou l'envie ; Vos bouches, d'où sortait la vapeur de la vie, Étaient pleines de bruit. Faces confusément l'une à l'autre apparues, Vous alliez et veniez en foule dans les rues, Ne vous arrêtant pas, Inquiets comme l'eau qui coule des fontaines, Tous, marchant au hasard, souffrant les mêmes peines, Mêlant les mêmes pas. Peut-être un feu creusait votre tête embrasée, Projets, espoirs, briser l'homme de l'Élysée, L'homme du Vatican, Verser le libre esprit à grands flots sur la terre ; Car dans ce siècle ardent toute âme est un cratère Et tout peuple un volcan. Vous aimiez, vous aviez le coeur lié de chaînes, Et le soir vous sentiez, livrés aux craintes vaines, Pleins de soucis poignants, Ainsi que l'océan sent remuer ses ondes, Se soulever en vous mille vagues profondes Sous les cieux rayonnants. Tous, qui que vous fussiez, tête ardente, esprit sage, Soit qu'en vos yeux brillât la jeunesse, ou que l'âge Vous prît et vous courbât, Que le destin pour vous fût deuil, énigme ou fête, Vous aviez dans vos coeurs l'amour, cette tempête, La douleur, ce combat. Grâce au quatre décembre, aujourd'hui, sans pensée, Vous gisez étendus dans la fosse glacée Sous les linceuls épais ; Ô morts, l'herbe sans bruit croît sur vos catacombes, Dormez dans vos cercueils ! taisez-vous dans vos tombes ! L'empire, c'est la paix. Le 10 novembre, à Jersey.
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Ode pour la paix
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : Ode pour la paix Titre : Ode pour la paix Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) Le noir démon des combats Va quitter cette contrée ; Nous reverrons ici-bas Régner la déesse Astrée. La paix, soeur du doux repos, Et que Jules va conclure, Fait déjà refleurir Vaux ; Dont je retire un bon augure. S'il tient ce qu'il a promis, Et qu'un heureux mariage Rende nos rois bons amis, Je ne plains pas son voyage. Le plus grand de mes souhaits Est de voir, avant les roses, L'Infante avecque la Paix ; Car ce sont deux belles choses. O Paix, infante des cieux, Toi que tout heur accompagne, Viens vite embellir ces lieux Avec l'Infante d'Espagne. Chasse des soldats gloutons La troupe fière et hagarde, Qui mange tous mes moutons, Et bat celui qui les garde. Délivre ce beau séjour De leur brutale furie, Et ne permets qu'à l'Amour D'entrer dans la bergerie. Fais qu'avecque le berger On puisse voir la bergère, Qui court d'un pied léger, Qui danse sur la fougère, Et qui, du berger tremblant Voyant le peu de courage, S'endorme ou fasse semblant De s'endormir à l'ombrage. O Paix ! source de tout bien, Viens enrichir cette terre, Et fais qu'il n'y reste rien Des images de la guerre. Accorde à nos longs désirs De plus douces destinées ; Ramène-nous les plaisirs, Absents depuis tant d'années. Etouffe tous ces travaux, Et leurs semences mortelles : Que les plus grands de nos maux Soient les rigueurs de nos belles ; Et que nous passions les jours Etendus sur l'herbe tendre, Prêts à conter nos amours A qui voudra les entendre.
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L'irrémédiable
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : L'irrémédiable Titre : L'irrémédiable Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) I Une Idée, une Forme, un Être Parti de l'azur et tombé Dans un Styx bourbeux et plombé Où nul oeil du Ciel ne pénètre ; Un Ange, imprudent voyageur Qu'a tenté l'amour du difforme, Au fond d'un cauchemar énorme Se débattant comme un nageur, Et luttant, angoisses funèbres ! Contre un gigantesque remous Qui va chantant comme les fous Et pirouettant dans les ténèbres ; Un malheureux ensorcelé Dans ses tâtonnements futiles, Pour fuir d'un lieu plein de reptiles, Cherchant la lumière et la clé ; Un damné descendant sans lampe, Au bord d'un gouffre dont l'odeur Trahit l'humide profondeur, D'éternels escaliers sans rampe, Où veillent des monstres visqueux Dont les larges yeux de phosphore Font une nuit plus noire encore Et ne rendent visibles qu'eux ; Un navire pris dans le pôle, Comme en un piège de cristal, Cherchant par quel détroit fatal Il est tombé dans cette geôle ; - Emblèmes nets, tableau parfait D'une fortune irrémédiable, Qui donne à penser que le Diable Fait toujours bien tout ce qu'il fait ! II Tête-à-tête sombre et limpide Qu'un coeur devenu son miroir ! Puits de Vérité, clair et noir, Où tremble une étoile livide, Un phare ironique, infernal, Flambeau des grâces sataniques, Soulagement et gloire uniques - La conscience dans le Mal !
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Sarah la marinière
François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898)
Poésie : Sarah la marinière Titre : Sarah la marinière Poète : François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898) A Venise, un grand seigneur A Sarah la marinière Offrit, pour toucher son cœur, Une fortune princière ; Mais en vain il soupira... J'aime mieux, lui dit la belle, Mes filets et ma nacelle ; Non, vous n'aurez pas Sarah. D'Égypte, le vice roi En passant dans sa tartane Lui dit un jour : Sois à moi ! Je te ferai ma sultane ; Mais en vain il soupira... Non, dit Sarah, je préfère Rester simple marinière ; Non, vous n'aurez pas Sarah. Un jeune prélat romain Allant en pèlerinage, La trouva sur son chemin Et la prit par le corsage ; Mais en vain il soupira... Non, Monseigneur, je suis sage, Portez ailleurs votre hommage ; Non, vous n'aurez pas Sarah. Mais un jour, un gondolier Prit une fleur printannière, Puis en galant cavalier L'offrit à la marinière ; Elle à son tour soupira... Et l'on vit au clair de lune S'embarquer sur la lagune Le gondolier et Sarah.
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En sortant du collège (II)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : En sortant du collège (II) Titre : En sortant du collège (II) Poète : Victor Hugo (1802-1885) (Deuxième lettre) Elle habite en soupirant La mansarde mitoyenne. Parfois sa porte, en s'ouvrant, Pousse le coude à la mienne. Elle est fière ; parlons bas. C'est une forme azurée Qui, pour ravauder des bas, Arrive de l'empyrée. J'y songe quand le jour naît, J'y rêve quand le jour baisse. Change en casque son bonnet, Tu croirais voir la Sagesse. Sa cuirasse est un madras ; Elle sort avec la ruse D'avoir une vieille au bras Qui lui tient lieu de Méduse. On est sens dessus dessous Rien qu'à voir la mine altière Dont elle prend pour deux sous De persil chez la fruitière. Son beau regard transparent Est grave sans airs moroses. On se la figure errant Dans un bois de lauriers-roses. Pourtant, comme nous voyons Que parfois de ces Palmyres Il peut tomber des rayons, Des baisers et des sourires ; Un drôle, un étudiant, Rôde sous ces chastes voiles ; Je hais fort ce mendiant Qui tend sa main aux étoiles. Je ne sors plus de mon trou. L'autre jour, étant en verve, Elle m'appela : Hibou. Je lui répondis : Minerve.
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Éblouissements
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Éblouissements Titre : Éblouissements Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ô temps miraculeux ! ô gaîtés homériques ! Ô rires de l'Europe et des deux Amériques ! Croûtes qui larmoyez ! bons dieux mal accrochés Qui saignez dans vos coins ! madones qui louchez ! Phénomènes vivants ! ô choses inouïes ! Candeurs ! énormités au jour épanouies ! Le goudron déclaré fétide par le suif, Judas flairant Shylock et criant : c'est un juif ! L'arsenic indigné dénonçant la morphine, La hotte injuriant la borne, Messaline Reprochant à Goton son regard effronté, Et Dupin accusant Sauzet de lâcheté ! Oui, le vide-gousset flétrit le tire-laine, Falstaff montre du doigt le ventre de Silène, Lacenaire, pudique et de rougeur atteint, Dit en baissant les yeux : J'ai vu passer Castaing ! Je contemple nos temps. J'en ai le droit, je pense. Souffrir étant mon lot, rire est ma récompense. Je ne sais pas comment cette pauvre Clio Fera pour se tirer de cet imbroglio. Ma rêverie au fond de ce règne pénètre, Quand, ne pouvant dormir, la nuit, à ma fenêtre, Je songe, et que là-bas, dans l'ombre, à travers l'eau, Je vois briller le phare auprès de Saint-Malo. Donc ce moment existe ! il est ! Stupeur risible ! On le voit ; c'est réel, et ce n'est pas possible. L'empire est là, refait par quelques sacripants. Bonaparte le Grand dormait. Quel guet-apens ! Il dormait dans sa tombe, absous par la patrie. Tout à coup des brigands firent une tuerie Qui dura tout un jour et du soir au matin ; Napoléon le Nain en sortit. Le destin, De l'expiation implacable ministre, Dans tout ce sang versé trempa son doigt sinistre Pour barbouiller, affront à la gloire en lambeau, Cette caricature au mur de ce tombeau. Ce monde-là prospère. Il prospère, vous dis-je ! Embonpoint de la honte ! époque callipyge ! Il trône, ce cokney d'Eglinton et d'Epsom, Qui, la main sur son cœur, dit : Je mens, ergo sum. Les jours, les mois, les ans passent ; ce flegmatique, Ce somnambule obscur, brusquement frénétique, Que Schœlcher a nommé le président Obus, Règne, continuant ses crimes en abus. Ô spectacle ! en plein jour, il marche et se promène, Cet être horrible, insulte à la figure humaine ! Il s'étale effroyable, ayant tout un troupeau De Suins et de Fortouls qui vivent sur sa peau, Montrant ses nudités, cynique, infâme, indigne, Sans mettre à son Baroche une feuille de vigne ! Il rit de voir à terre et montre à Machiavel Sa parole d'honneur qu'il a tuée en duel. Il sème l'or ; — venez ! — et sa largesse éclate. Magnan ouvre sa griffe et Troplong tend sa patte. Tout va. Les sous-coquins aident le drôle en chef. Tout est beau, tout est bon, et tout est juste ; bref, L'église le soutient, l'opéra le constate. Il vola ! Te Deum. Il égorgea ! cantate. Lois, mœurs, maître, valets, tout est à l'avenant. C'est un bivouac de gueux, splendide et rayonnant. Le mépris bat des mains, admire, et dit : courage ! C'est hideux. L'entouré ressemble à l'entourage. Quelle collection ! quel choix ! quel Œil-de-boeuf ! L'un vient de Loyola, l'autre vient de Babeuf ! Jamais vénitiens, romains et bergamasques N'ont sous plus de sifflets vu passer plus de masques. La société va sans but, sans jour, sans droit, Et l'envers de l'habit est devenu l'endroit. L'immondice au sommet de l'état se déploie. Les chiffonniers, la nuit, courbés, flairant leur proie, Allongent leurs crochets du côté du sénat. Voyez-moi ce coquin, normand, corse, auvergnat : C'était fait pour vieillir bélître et mourir cuistre ; C'est premier président, c'est préfet, c'est ministre. Ce truand catholique au temps jadis vivait Maigre, chez Flicoteaux plutôt que chez Chevet ; Il habitait au fond d'un bouge à tabatière Un lit fait et défait, hélas, par sa portière, Et griffonnait dès l'aube, amer, affreux, souillé, Exhalant dans son trou l'odeur d'un chien mouillé. Il conseille l'état pour ving-cinq mille livres Par an. Ce petit homme, étant teneur de livres Dans la blonde Marseille, au pays du mistral, Fit des faux. Le voici procureur général. Celui-là, qui courait la foire avec un singe, Est député ; cet autre, ayant fort peu de linge, Sur la pointe du pied entrait dans les logis Où bâillait quelque armoire aux tiroirs élargis, Et du bourgeois absent empruntait la tunique Nul mortel n'a jamais, de façon plus cynique, Assouvi le désir des chemises d'autrui ; Il était grinche hier, il est juge aujourd'hui. Ceux-ci, quand il leur plaît, chapelains de la clique, Au saint-père accroupi font pondre une encyclique ; Ce sont des gazetiers fort puissants en haut lieu, Car ils sont les amis particuliers de Dieu Sachez que ces béats, quand ils parlent du temple Comme de leur maison, n'ont pas tort ; par exemple, J'ai toujours applaudi quand ils ont affecté Avec les saints du ciel des airs d'intimité ; Veuillot, certe, aurait pu vivre avec Saint-Antoine. Cet autre est général comme on serait chanoine, Parce qu'il est très gras et qu'il a trois mentons. Cet autre fut escroc. Cet autre eut vingt bâtons Cassés sur lui. Cet autre, admirable canaille, Quand la bise, en janvier, nous pince et nous tenaille, D'une savate oblique écrasant les talons, Pour se garer du froid mettait deux pantalons Dont les trous par bonheur n'étaient pas l'un sur l'autre. Aujourd'hui, sénateur, dans l'empire il se vautre. Je regrette le temps que c'était dans l'égout. Ce ventre a nom d'Hautpoul, ce nez a nom d'Argout. Ce prêtre, c'est la honte à l'état de prodige. Passons vite. L'histoire abrège, elle rédige Royer d'un coup de fouet, Mongis d'un coup de pied, Et fuit. Royer se frotte et Mongis se rassied ; Tout est dit. Que leur fait l'affront ? l'opprobre engraissé. Quant au maître qui hait les curieux, la presse, La tribune, et ne veut pour son règne éclatant Ni regards, ni témoins, il doit être content Il a plus de succès encor qu'il n'en exige ; César, devant sa cour, son pouvoir, son quadrige, Ses lois, ses serviteurs brodés et galonnés, Veut qu'on ferme les veux : on se bouche le nez. Prenez ce Beauharnais et prenez une loupe ; Penchez-vous, regardez l'homme et scrutez la troupe. Vous n'y trouverez pas l'ombre d'un bon instinct. C'est vil et c'est féroce. En eux l'homme est éteint Et ce qui plonge l'âme en des stupeurs profondes, C'est la perfection de ces gredins immondes. À ce ramas se joint un tas d'affreux poussahs, Un tas de Triboulets et de Sancho Panças. Sous vingt gouvernements ils ont palpé des sommes. Aucune indignité ne manque à ces bonshommes ; Rufins poussifs, Verrès goutteux, Séjans fourbus, Selles à tout tyran, sénateurs omnibus. On est l'ancien soudard, on est l'ancien bourgmestre ; On tua Louis seize, on vote avec de Maistre ; Ils ont eu leur fauteuil dans tous les Luxembourgs ; Ayant vu les Maurys, ils sont faits aux Sibours ; Ils sont gais, et, contant leurs antiques bamboches, Branlent leurs vieux gazons sur leurs vieilles caboches. Ayant été, du temps qu'ils avaient un cheveu, Lâches sous l'oncle, ils sont abjects sous le neveu. Gros mandarins chinois adorant le tartare, Ils apportent leur cœur, leur vertu, leur catarrhe, Et prosternent, cagneux, devant sa majesté Leur bassesse avachie en imbécillité. Cette bande s'embrasse et se livre à des joies. Bon ménage touchant des vautours et des oies ! Noirs empereurs romains couchés dans les tombeaux, Qui faisiez aux sénats discuter les turbots, Toi, dernière Lagide, ô reine au cou de cygne, Prêtre Alexandre six qui rêves dans ta vigne, Despotes d'Allemagne éclos dans le Rœmer, Nemrod qui hais le ciel, Xercès qui bats la mer, Caïphe qui tressas la couronne d'épine, Claude après Messaline épousant Agrippine, Caïus qu'on fit césar, Commode qu'on fit dieu, Iturbide, Rosas, Mazarin, Richelieu, Moines qui chassez Dante et brisez Galilée, Saint-office, conseil des dix, chambre étoilée, Parlements tout noircis de décrets et d'olims, Vous sultans, les Mourads, les Achmets, les Sélims, Rois qu'on montre aux enfants dans tous les syllabaires, Papes, ducs, empereurs, princes, tas de Tibères ! Bourreaux toujours sanglants, toujours divinisés, Tyrans ! enseignez-moi, si vous le connaissez, Enseignez-moi le lieu, le point, la borne où cesse La lâcheté publique et l'humaine bassesse ! Et l'archet frémissant fait bondir tout cela ! Bal à l'hôtel de ville, au Luxembourg gala. Allons, juges, dansez la danse de l'épée ! Gambade, ô Dombidau, pour l'onomatopée ! Polkez, Fould et Maupas, avec votre écriteau, Toi, Persil-Guillotine, au profil de couteau ! Ours que Boustrapa montre et qu'il tient par la sangle, Valsez, Billault, Parieu, Drouyn, Lebœuf, Delangle ! Danse, Dupin ! dansez, l'horrible et le bouffon ! Hyènes, loups, chacals, non prévus par Buffon, Leroy, Forey, tueurs au fer rongé de rouilles, Dansez ! dansez, Berger, d'Hautpoul, Murat, citrouilles ! Et l'on râle en exil, à Cayenne, à Blidah ! Et sur le Duguesclin, et sur le Canada, Des enfants de dix ans, brigands qu'on extermine, Agonisent, brûlés de fièvre et de vermine ! Et les mères, pleurant sous l'homme triomphant, Ne savent même pas où se meurt leur enfant ! Et Samson reparaît, et sort de ses retraites ! Et, le soir, on entend, sur d'horribles charrettes Qui traversent la ville et qu'on suit à pas lents, Quelque chose sauter dans des paniers sanglants ! Oh ! laissez ! laissez-moi m'enfuir sur le rivage ! Laissez-moi respirer l'odeur du flot sauvage ! Jersey rit, terre libre, au sein des sombres mers ; Les genêts sont en fleur, l'agneau paît les prés verts ; L'écume jette aux rocs ses blanches mousselines ; Par moments apparaît, au sommet des collines, Livrant ses crins épars au vent âpre et joyeux, Un cheval effaré qui hennit dans les cieux ! Jersey, le 24 mai 1853.
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Une Sainte en son auréole
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Une Sainte en son auréole Titre : Une Sainte en son auréole Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : La bonne chanson (1872). Une Sainte en son auréole, Une Châtelaine en sa tour, Tout ce que contient la parole Humaine de grâce et d'amour ; La note d'or que fait entendre Un cor dans le lointain des bois, Mariée à la fierté tendre Des nobles Dames d'autrefois ; Avec cela le charme insigne D'un frais sourire triomphant Eclos dans des candeurs de cygne Et des rougeurs de femme-enfant ; Des Aspects nacrés, blancs et roses, Un doux accord patricien : Je vois, j'entends toutes ces choses Dans son nom Carlovingien.
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Élégie à Hélène
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Élégie à Hélène Titre : Élégie à Hélène Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Six ans étaient écoulés, et la septième année Etait presque entière en ses pas retournée, Quand loin d'affection, de désir et d'amour, En pure liberté je passais tout le jour, Et franc de tout souci qui les âmes dévore, Je dormais dès le soir jusqu'au point de l'Aurore ; Car seul maître de moi, j'allais, plein de loisir, Où le pied me portait, conduit de mon désir, Ayant toujours les mains pour me servir de guide Aristote ou Platon, ou le docte Euripide, Mes bons hôtes muets qui ne fâchent jamais ; Ainsi que je les prends, ainsi je les remets ; Ô douce compagnie et utile et honnête ! Un autre en caquetant m'étourdirait la tête. Puis, du livre ennuyé, je regardais les fleurs, Feuilles, tiges, rameaux, espèces et couleurs, Et l'entrecoupement de leurs formes diverses, Peintes de cent façons, jaunes, rouges et perses, Ne me pouvant saouler, ainsi qu'en un tableau, D'admirer la Nature, et ce qu'elle a de beau ; Et de dire, en parlant aux fleurettes écloses : « Celui est presque Dieu qui connaît toutes choses. » Eloigné du vulgaire, et loin des courtisans, De fraude et de malice impudents artisans, Tantôt j'errais seul par les forets sauvages, Sur les bords enjonchés des peints rivages, Tantôt par les rochers reculés et déserts, Tantôt par les taillis, verte maison des cerfs. J'aimais le cours suivi d'une longue rivière, Et voir onde sur onde allonger sa carrière, Et flot à l'autre flot en roulant s'attacher ; Et, pendu sur le bord, me plaisait d'y pêcher, Etant plus réjoui d'une chasse muette Troubler des écailles la demeure secrète, Tirer avec la ligne, en tremblant emporté, Le crédule poisson pris à l'hameçon amorcé, Qu'un grand Prince n'est aise ayant pris à la chasse Un cerf, qu'en haletant tout un jour il pourchasse, Heureux, si vous eussiez, d'un mutuel émoi, Pris l'appât amoureux aussi bien comme moi, Que tout seul j'avalais, quand par trop désireux Mon âme en vos yeux bu le poison amoureux. Puis alors que Vesper vient embrunir nos yeux, Attaché dans le Ciel je contemple les Cieux, En qui Dieu nous écrit en notes non obscures Les sorts et les destins de toutes créatures. Car lui, en dédaignant (comme font les humains) D'avoir encre et papier et plume entre les mains, Par les astres du Ciel, qui sont ses caractères, Les choses nous prédit et bonnes et contraires ; Mais les hommes, chargez de terre et du trépas, Méprisent tels écrits, et ne le lisent pas. Or, le plus de mon bien pour décevoir ma peine, C'est de boire à longs traits les eaux de la fontaine Qui de votre beau nom se brave, et, en courant Par les prés, vos honneurs va toujours murmurant, Et la Reine se dit des eaux de la contrée ; Tant vaut le gentil soin d'une Muse sacrée, Qui peut vaincre la Mort et les sorts inconstants, Sinon pour tout jamais, au moins pour un longtemps. Là, couché dessus l'herbe, en mes discours je pense Que pour aimer beaucoup, j'ai peu de récompense, Et que mettre son cœur aux Dames si avant, C'est vouloir peindre en l'onde et arrêter le vent ; M'assurant toutefois, qu'alors que le vieil âge Aura comme un sorcier changé votre visage, Et lorsque vos cheveux deviendront argentés, Et que vos yeux, d'Amour, ne seront plus hantés, Que toujours vous aurez, si quelque soin vous touche, En l'esprit mes écrits, mon nom en votre bouche. Maintenant que voici l'an septième venir, Ne pensez plus, Hélène, en vos lacs me tenir ; La raison m'en délivre et votre rigueur dure ; Puis, il faut que mon âge obéisse à nature.
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Le passant
Charles Le Goffic (1863-1932)
Poésie : Le passant Titre : Le passant Poète : Charles Le Goffic (1863-1932) L'amour ne chante pas ; il ne sourit jamais, Ni le matin, quand l'aube argente les sommets, Ni quand l'ombre, le soir, s'épanche des collines, Ni quand le rouge été flamboie à son midi Et du brouillard qui dort dans l'éther attiédi Perce et dissipe au loin les pâles mousselines. L'amour ne chante pas ; l'amour ne sourit pas. Il vient comme un voleur de nuit, à petits pas, Retenant son haleine et se cachant des mères. Il connaît que nul cœur n'est ferme en son dessein Et qu'on ne dort jamais qu'une fois sur le sein Vêtu par nos désirs de grâces éphémères. L'amour ne chante pas, ne sourit pas. Ses yeux, Brûlés de trop de pleurs, sont lourds de trop d'adieux Pour croire qu'ici-bas quelque chose persiste. Nul ne sait quand il vient, ni comment, ni pourquoi, Et les cœurs ingénus qu'emplit son vague effroi L'attendent qu'il est loin déjà, le Passant triste !
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De la femme au ciel
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : De la femme au ciel Titre : De la femme au ciel Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865). L'âme a des étapes profondes. On se laisse d'abord charmer, Puis convaincre. Ce sont deux mondes. Comprendre est au-delà d'aimer. Aimer, comprendre : c'est le faîte. Le Coeur, cet oiseau du vallon, Sur le premier degré s'arrête ; L'Esprit vole à l'autre échelon. À l'amant succède l'archange ; Le baiser, puis le firmament ; Le point d'obscurité se change En un point de rayonnement. Mets de l'amour sur cette terre Dans les vains brins d'herbe flottants. Cette herbe devient, ô mystère ! Le nid sombre au fond du printemps. Ajoute, en écartant son voile, De la lumière au nid béni. Et le nid deviendra l'étoile Dans la forêt de l'infini.
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Voyelles
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Voyelles Titre : Voyelles Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, Je dirai quelque jour vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles, Golfes d'ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ; I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles Dans la colère ou les ivresses pénitentes ; U, cycles, vibrements divins des mers virides, Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ; O, suprême Clairon plein des strideurs étranges, Silences traversés des Mondes et des Anges ; - O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
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Le loup criait
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Le loup criait Titre : Le loup criait Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Derniers vers (1872). Le loup criait sous les feuilles En crachant les belles plumes De son repas de volailles : Comme lui je me consume. Les salades, les fruits N'attendent que la cueillette ; Mais l'araignée de la haie Ne mange que des violettes. Que je dorme ! que je bouille Aux autels de Salomon. Le bouillon court sur la rouille, Et se mêle au Cédron.
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Chanson
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Chanson Titre : Chanson Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les contemplations (1856). Si vous n'avez rien à me dire, Pourquoi venir auprès de moi ? Pourquoi me faire ce sourire Qui tournerait la tête au roi ? Si vous n'avez rien à me dire, Pourquoi venir auprès de moi ? Si vous n'avez rien à m'apprendre, Pourquoi me pressez-vous la main ? Sur le rêve angélique et tendre, Auquel vous songez en chemin, Si vous n'avez rien à m'apprendre, Pourquoi me pressez-vous la main ? Si vous voulez que je m'en aille, Pourquoi passez-vous par ici ? Lorsque je vous vois, je tressaille : C'est ma joie et mon souci. Si vous voulez que je m'en aille, Pourquoi passez-vous par ici ? Mai 18...
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Sur le balcon
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sur le balcon Titre : Sur le balcon Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Parallèlement (1889). Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles : L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde Et rose, et leurs peignoirs légers de vieille blonde Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles. Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles, Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde, Savouraient à longs traits l'émotion profonde Du soir et le bonheur triste des coeurs fidèles, Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples, Couple étrange qui prend pitié des autres couples, Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes. Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre, Emphatique comme un trône de mélodrames Et plein d'odeurs, le Lit, défait, s'ouvrait dans l'ombre.
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Au roi Louis-Philippe
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Au roi Louis-Philippe Titre : Au roi Louis-Philippe Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les rayons et les ombres (1840). (Après l'arrêt de mort prononcé le 12 juillet 1839). Par votre ange envolée ainsi qu'une colombe ! Par ce royal enfant, doux et frêle roseau ! Grâce encore une fois ! grâce au nom de la tombe ! Grâce au nom du berceau ! Le 12 juillet 1839, à minuit.
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Pareil j'égale au soleil que j'adore
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Pareil j'égale au soleil que j'adore Titre : Pareil j'égale au soleil que j'adore Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Pareil j'égale au soleil que j'adore L'autre soleil. Celui-là de ses yeux Enlustre, enflamme, enlumine les cieux, Et celui-ci toute la terre honore. L'art, la nature et les astres encore, Les éléments, les grâces et les dieux Ont prodigué le parfait de leur mieux Dans son beau jour qui le nôtre décore. Heureux, cent fois heureux, si le Destin N'eut emmuré d'un rempart aimantin Si chaste cœur dessous si belle face ! Et plus heureux si je n'eusse arraché Mon cœur de moi pour l'avoir attaché De clous de feu sur le froid de sa glace !
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À Mademoiselle Augustine Brohan
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Mademoiselle Augustine Brohan Titre : À Mademoiselle Augustine Brohan Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). (Au bas d'un portrait.) J'ai vu ton sourire et tes larmes, J'ai vu ton cœur triste et joyeux : Qui des deux a le plus de charmes ? Dis-moi ce que j'aime le mieux : Les perles de ta bouche ou celles de tes yeux ?
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Bruxelles (Simples fresques)
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Bruxelles (Simples fresques) Titre : Bruxelles (Simples fresques) Poète : Paul Verlaine (1844-1896) I La fuite est verdâtre et rose Des collines et des rampes, Dans un demi-jour de lampes Qui vient brouiller toute chose. L'or sur les humbles abîmes, Tout doucement s'ensanglante, Des petits arbres sans cimes, Où quelque oiseau faible chante. Triste à peine tant s'effacent Ces apparences d'automne. Toutes mes langueurs rêvassent, Que berce l'air monotone. II L'allée est sans fin Sous le ciel, divin D'être pâle ainsi ! Sais-tu qu'on serait Bien sous le secret De ces arbres-ci ? Des messieurs bien mis, Sans nul doute amis Des Royers-Collards, Vont vers le château. J'estimerais beau D'être ces vieillards. Le château, tout blanc Avec, à son flanc, Le soleil couché, Les champs à l'entour... Oh ! que notre amour N'est-il là niché ! Estaminet du Jeune Renard, août 1872.
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Au moment de rentrer en France
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Au moment de rentrer en France Titre : Au moment de rentrer en France Poète : Victor Hugo (1802-1885) Qui peut en ce moment où Dieu peut-être échoue, Deviner Si c'est du côté sombre ou joyeux que la roue Va tourner ? Qu'est-ce qui va sortir de ta main qui se voile, Ô destin ? Sera-ce l'ombre infâme et sinistre, ou l'étoile Du matin ? Je vois en même temps le meilleur et le pire ; Noir tableau ! Car la France mérite Austerlitz, et l'empire Waterloo. J'irai, je rentrerai dans ta muraille sainte, Ô Paris ! Je te rapporterai l'âme jamais éteinte Des proscrits. Puisque c'est l'heure où tous doivent se mettre à l'oeuvre, Fiers, ardents, Écraser au dehors le tigre, et la couleuvre Au dedans ; Puisque l'idéal pur, n'ayant pu nous convaincre, S'engloutit ; Puisque nul n'est trop grand pour mourir, ni pour vaincre Trop petit ; Puisqu'on voit dans les cieux poindre l'aurore noire Du plus fort ; Puisque tout devant nous maintenant est la gloire Ou la mort ; Puisqu'en ce jour le sang ruisselle, les toits brûlent, Jour sacré ! Puisque c'est le moment où les lâches reculent, J'accourrai. Et mon ambition, quand vient sur la frontière L'étranger, La voici : part aucune au pouvoir, part entière Au danger. Puisque ces ennemis, hier encor nos hôtes, Sont chez nous, J'irai, je me mettrai, France, devant tes fautes À genoux ! J'insulterai leurs chants, leurs aigles noirs, leurs serres, Leurs défis ; Je te demanderai ma part de tes misères, Moi ton fils. Farouche, vénérant, sous leurs affronts infâmes, Tes malheurs, Je baiserai tes pieds, France, l'oeil plein de flammes Et de pleurs. France, tu verras bien qu'humble tête éclipsée J'avais foi, Et que je n'eus jamais dans l'âme une pensée Que pour toi. Tu me permettras d'être en sortant des ténèbres Ton enfant ; Et tandis que rira ce tas d'hommes funèbres Triomphant, Tu ne trouveras pas mauvais que je t'adore, En priant, Ébloui par ton front invincible, que dore L'Orient. Naguère, aux jours d'orgie où l'homme joyeux brille, Et croit peu, Pareil aux durs sarments desséchés où pétille Un grand feu, Quand, ivre de splendeur, de triomphe et de songes, Tu dansais Et tu chantais, en proie aux éclatants mensonges Du succès, Alors qu'on entendait ta fanfare de fête Retentir, Ô Paris, je t'ai fui comme noir prophète Fuyait Tyr. Quand l'empire en Gomorrhe avait changé Lutèce, Morne, amer, Je me suis envolé dans la grande tristesse De la mer. Là, tragique, écoutant ta chanson, ton délire, Bruits confus, J'opposais à ton luxe, à ton rève, à ton rire, Un refus. Mais aujourd'hui qu'arrive avec sa sombre foule Attila, Aujourd'hui que le monde autour de toi s'écroule, Me voilà. France, être sur ta claie à l'heure où l'on te traîne Aux cheveux, Ô ma mère, et porter mon anneau de ta chaîne, Je le veux ! J'accours, puisque sur toi la bombe et la mitraille Ont craché ; Tu me regarderas debout sur ta muraille, Ou couché. Et peut-être, en la terre où brille l'espérance, Pur flambeau, Pour prix de mon exil, tu m'accorderas, France, Un tombeau. Bruxelles, 31 août 1870.
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Sur mes vingt ans, pur d'offense et de vice
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Sur mes vingt ans, pur d'offense et de vice Titre : Sur mes vingt ans, pur d'offense et de vice Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Sur mes vingt ans, pur d'offense et de vice, Guidé, mal-caut, d'un trop aveugle oiseau, Ayant encore le menton damoiseau, Sain et gaillard je vins à ton service. Mais, ô cruelle, outré de ta malice, Je m'en retourne en une vieille peau, En chef grison, en perte de mon beau : Tels sont d'Amour les jeux et l'exercice. Hélas, que dis-je ! où veux-je m'en aller ? D'un autre bien je ne me puis soûler. Comme la caille, Amour, tu me fais être, Qui de poison s'engraisse et se repaît. D'un autre bien je ne me veux repaître, Ni vivre ailleurs, tant ta poison me plaît.
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À l'obéissance passive (VI)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À l'obéissance passive (VI) Titre : À l'obéissance passive (VI) Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les châtiments (1853). VI. Hélas ! tout est fini. Fange ! néant ! nuit noire ! Au-dessus de ce gouffre où croula notre gloire, Flamboyez, noms maudits ! Maupas, Morny, Magnan, Saint-Arnaud, Bonaparte ! Courbons nos fronts ! Gomorrhe a triomphé de Sparte ! Cinq hommes ! cinq bandits ! Toutes les nations tour à tour sont conquises : L'Angleterre, pays des antiques franchises, Par les vieux neustriens, Rome par Alaric, par Mahomet Byzance, La Sicile par trois chevaliers, et la France Par cinq galériens. Soit. Régnez ! emplissez de dégoût la pensée, Notre-Dame d'encens, de danses l'Elysée, Montmartre d'ossements. Régnez ! liez ce peuple, à vos yeux populace, Liez Paris, liez la France à la culasse De vos canons fumants ! Jersey, du 7 au 13 janvier 1853.
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Dans l'église de ***
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Dans l'église de *** Titre : Dans l'église de *** Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. C'était une humble église au cintre surbaissé, L'église où nous entrâmes, Où depuis trois cents ans avaient déjà passé Et pleuré bien des âmes. Elle était triste et calme à la chute du jour, L'église où nous entrâmes ; L'autel sans serviteur, comme un cœur sans amour, Avait éteint ses flammes. Les antiennes du soir, dont autrefois saint Paul Réglait les chants fidèles, Sur les stalles du chœur d'où s'élance leur vol Avaient ployé leurs ailes. L'ardent musicien qui sur tous à pleins bords Verse la sympathie, L'homme-esprit n'était plus dans l'orgue, vaste corps Dont l'âme était partie. La main n'était plus là, qui, vivante et jetant Le bruit par tous les pores, Tout à l'heure pressait le clavier palpitant, Plein de notes sonores, Et les faisait jaillir sous son doigt souverain Qui se crispe et s'allonge, Et ruisseler le long des grands tubes d'airain Comme l'eau d'une éponge. L'orgue majestueux se taisait gravement Dans la nef solitaire ; L'orgue, le seul concert, le seul gémissement Qui mêle aux cieux la terre ! La seule voix qui puisse, avec le flot dormant Et les forêts bénies, Murmurer ici-bas quelque commencement Des choses infinies ! L'église s'endormait à l'heure où tu t'endors, Ô sereine nature ! À peine, quelque lampe au fond des corridors Étoilait l'ombre obscure. À peine on entendait flotter quelque soupir, Quelque basse parole, Comme en une forêt qui vient de s'assoupir Un dernier oiseau vole ; Hélas ! et l'on sentait, de moment en moment, Sous cette voûte sombre, Quelque chose de grand, de saint et de charmant S'évanouir dans l'ombre ! Elle était triste et calme à la chute du jour L'église où nous entrâmes ; L'autel sans serviteur, comme un cœur sans amour, Avait éteint ses flammes. Votre front se pencha, morne et tremblant alors, Comme une nef qui sombre, Tandis qu'on entendait dans la ville au dehors Passer des voix sans nombre. II. Et ces voix qui passaient disaient joyeusement « Bonheur ! gaîté ! délices ! À nous les coupes d'or pleines d'un vin charmant ! À d'autres les calices ! Jouissons ! l'heure est courte et tout fuit promptement L'urne est vite remplie ! Le nœud de l'âme au corps, hélas ! à tout moment Dans l'ombre se délie ! Tirons de chaque objet ce qu'il a de meilleur, La chaleur de la flamme, Le vin du raisin mûr, le parfum de la fleur, Et l'amour de la femme ! Épuisons tout ! Usons du printemps enchanté Jusqu'au dernier zéphire, Du jour jusqu'au dernier rayon, de la beauté Jusqu'au dernier sourire ! Allons jusqu'à la fin de tout, en bien vivant, D'ivresses en ivresses, Une chose qui meurt, mes amis, a souvent De charmantes caresses ! Dans le vin que je bois, ce que j'aime le mieux C'est la dernière goutte. L'enivrante saveur du breuvage joyeux Souvent s'y cache toute ! Sur chaque volupté pourquoi nous hâter tous, Sans plonger dans son onde, Pour voir si quelque perle ignorée avant nous N'est pas sous l'eau profonde ? Que sert de n'effleurer qu'à peine ce qu'on tient, Quand on a les mains pleines, Et de vivre essoufflé comme un enfant qui vient De courir dans les plaines ? Jouissons à loisir ! Du loisir tout renaît ! Le bonheur nous convie ! Faisons, comme un tison qu'on heurte au dur chenet, Étinceler la vie ! N'imitons pas ce fou que l'ennui tient aux fers, Qui pleure et qui s'admire. Toujours les plus beaux fruits d'ici-bas sont offerts Aux belles dents du rire ! Les plus tristes d'ailleurs, comme nous qui rions, Souillent parfois leur âme. Pour fondre ces grands cœurs il suffit des rayons De l'or ou de la femme. Ils tombent comme nous, malgré leur fol orgueil Et leur vaine amertume ; Les flots les plus hautains, dès que vient un écueil, S'écroulent en écume ! Vivons donc ! et buvons, du soir jusqu'au matin, Pour l'oubli de nous-même, Et déployons gaîment la nappe du festin, Linceul du chagrin blême ! L'ombre attachée aux pas du beau plaisir vermeil, C'est la tristesse sombre. Marchons les yeux toujours tournés vers le soleil ; Nous ne verrons pas l'ombre ! Qu'importe le malheur, le deuil, le désespoir, Que projettent nos joies, Et que derrière nous quelque chose de noir Se traîne sur nos voies ! Nous ne le savons pas. — Arrière les douleurs, Et les regrets moroses ! Faut-il donc, en fanant des couronnes de fleurs, Avoir pitié des roses ? Les vrais biens dans ce monde, — et l'autre est importun ! C'est tout ce qui nous fête, Tout ce qui met un chant, un rayon, un parfum, Autour de notre tête ! Ce n'est jamais demain, c'est toujours aujourd'hui ! C'est la joie et le rire ! C'est un sein éclatant peut-être plein d'ennui, Qu'on baise et qui soupire ! C'est l'orgie opulente, enviée au-dehors, Contente, épanouie, Qui rit, et qui chancelle, et qui boit à pleins bords, De flambeaux éblouie ! » III. Et tandis que ces voix, que tout semblait grossir, Voix d'une ville entière, Disaient : Santé, bonheur, joie, orgueil et plaisir ! Votre œil disait : Prière ! IV. Elles parlaient tout haut et vous parliez tout bas — « Dieu qui m'avez fait naître, Vous m'avez réservée ici pour des combats Dont je tremble, ô mon maître ! Ayez pitié ! — L'esquif où chancellent mes pas Est sans voile et sans rames. Comme pour les enfants, pourquoi n'avez-vous pas Des anges pour les femmes ? Je sais que tous nos jours ne sont rien, Dieu tonnant, Devant vos jours sans nombre. Vous seul êtes réel, palpable et rayonnant ; Tout le reste est de l'ombre. Je le sais. Mais cette ombre où nos cœurs sont flottants, J'y demande ma route. Quelqu'un répondra-t-il ? Je prie, et puis j'attends ! J'appelle, et puis j'écoute ! Nul ne vient. Seulement par instants, sous mes pas, Je sens d'affreuses trames. Comme pour les enfants, pourquoi n'avez-vous pas Des anges pour les femmes ? Seigneur ! autour de moi, ni le foyer joyeux, Ni la famille douce, Ni l'orgueilleux palais qui touche presque aux cieux, Ni le nid dans la mousse, Ni le fanal pieux qui montre le chemin, Ni pitié, ni tendresse, Hélas ! ni l'amitié qui nous serre la main, Ni l'amour qui la presse, Seigneur, autour de moi rien n'est resté debout ! Je pleure et je végète, Oubliée au milieu des ruines de tout, Comme ce qu'on rejette ! Pourtant je n'ai rien fait à ce monde d'airain, Vous le savez vous-même. Toutes mes actions passent le front serein Devant votre œil suprême. Jusqu'à ce que le pauvre en ait pris la moitié, Tout ce que j'ai me pèse. Personne ne me plaint. Moi, de tous j'ai pitié. Moi, je souffre et j'apaise ! Jamais de votre haine ou de votre faveur Je n'ai dit : Que m'importe ! J'ai toujours au passant que je voyais rêveur Enseigné votre porte. Vous le savez. — Pourtant mes pleurs que vous voyez, Seigneur, qui les essuie ? Tout se rompt sous ma main, tout tremble sous mes pieds, Tout coule où je m'appuie. Ma vie est sans bonheur, mon berceau fut sans jeux. Cette loi, c'est la vôtre ! Tous les rayons de jour de mon ciel orageux S'en vont l'un après l'autre. Je n'ai plus même, hélas ! le flux et le reflux Des clartés et des ombres. Mon esprit chaque jour descend de plus en plus Parmi les rêves sombres. On dit que sur les cœurs, pleins de trouble et d'effroi, Votre grâce s'épanche. Soutenez-moi, Seigneur ! Seigneur, soutenez-moi, Car je sens que tout penche ! » V. Et moi, je contemplais celle qui priait Dieu Dans l'enceinte sacrée, La trouvant grave et douce et digne du saint lieu, Cette belle éplorée. Et je lui dis, tâchant de ne pas la troubler, La pauvre enfant qui pleure, Si par hasard dans l'ombre elle entendait parler Quelque autre voix meilleure, Car au déclin des ans comme au matin des jours, Joie, extase ou martyre, Un autel que rencontre une femme a toujours Quelque chose à lui dire ! VI. « Ô madame ! pourquoi ce chagrin qui vous suit, Pourquoi pleurer encore, Vous, femme au cœur charmant, sombre comme la nuit, Douce comme l'aurore ? Qu'importe que la vie, inégale ici-bas Pour l'homme et pour la femme, Se dérobe et soit prête à rompre sous vos pas ? N'avez-vous pas votre âme ? Votre âme qui bientôt fuira peut-être ailleurs Vers les régions pures, Et vous emportera plus loin que nos douleurs, Plus loin que nos murmures ! Soyez comme l'oiseau, posé pour un instant Sur des rameaux trop frêles, Qui sent ployer la branche et qui chante pourtant, Sachant qu'il a des ailes ! » Octobre 18...
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Chinoiserie
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Chinoiserie Titre : Chinoiserie Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Ce n'est pas vous, non, madame, que j'aime, Ni vous non plus, Juliette, ni vous, Ophélia, ni Béatrix, ni même Laure la blonde, avec ses grands yeux doux. Celle que j'aime, à présent, est en Chine ; Elle demeure, avec ses vieux parents, Dans une tour de porcelaine fine, Au fleuve jaune, où sont les cormorans ; Elle a des yeux retroussés vers les tempes, Un pied petit, à tenir dans la main, Le teint plus clair que le cuivre des lampes, Les ongles longs et rougis de carmin ; Par son treillis elle passe sa tête, Que l'hirondelle, en volant, vient toucher, Et, chaque soir, aussi bien qu'un poète, Chante le saule et la fleur du pêcher.
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Le crépuscule du matin
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le crépuscule du matin Titre : Le crépuscule du matin Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) La diane chantait dans les cours des casernes, Et le vent du matin soufflait sur les lanternes. C'était l'heure où l'essaim des rêves malfaisants Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ; Où, comme un oeil sanglant qui palpite et qui bouge, La lampe sur le jour fait une tache rouge ; Où l'âme, sous le poids du corps revêche et lourd, Imite les combats de la lampe et du jour. Comme un visage en pleurs que les brises essuient, L'air est plein du frisson des choses qui s'enfuient, Et l'homme est las d'écrire et la femme d'aimer. Les maisons çà et là commençaient à fumer. Les femmes de plaisir, la paupière livide, Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ; Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids, Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts. C'était l'heure où parmi le froid et la lésine S'aggravent les douleurs des femmes en gésine ; Comme un sanglot coupé par un sang écumeux Le chant du coq au loin déchirait l'air brumeux ; Une mer de brouillards baignait les édifices, Et les agonisants dans le fond des hospices Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux. Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux. L'aurore grelottante en robe rose et verte S'avançait lentement sur la Seine déserte, Et le sombre Paris, en se frottant les yeux, Empoignait ses outils, vieillard laborieux.
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Je suis comme le roi d'un pays pluvieux
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Je suis comme le roi d'un pays pluvieux Titre : Je suis comme le roi d'un pays pluvieux Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Je suis comme le roi d'un pays pluvieux, Riche, mais impuissant, jeune et pourtant très vieux, Qui, de ses précepteurs méprisant les courbettes, S'ennuie avec ses chiens comme avec d'autres bêtes. Rien ne peut l'égayer, ni gibier, ni faucon, Ni son peuple mourant en face du balcon. Du bouffon favori la grotesque ballade Ne distrait plus le front de ce cruel malade ; Son lit fleurdelisé se transforme en tombeau, Et les dames d'atour, pour qui tout prince est beau, Ne savent plus trouver d'impudique toilette Pour tirer un souris de ce jeune squelette. Le savant qui lui fait de l'or n'a jamais pu De son être extirper l'élément corrompu, Et dans ces bains de sang qui des Romains nous viennent, Et dont sur leurs vieux jours les puissants se souviennent, Il n'a su réchauffer ce cadavre hébété Où coule au lieu de sang l'eau verte du Léthé.
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Correspondances
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Correspondances Titre : Correspondances Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L'homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l'observent avec des regards familiers. Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants, Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, - Et d'autres, corrompus, riches et triomphants, Ayant l'expansion des choses infinies, Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens, Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.
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L'obélisque de Luxor
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : L'obélisque de Luxor Titre : L'obélisque de Luxor Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Je veille, unique sentinelle De ce grand palais dévasté, Dans la solitude éternelle, En face de l'immensité. A l'horizon que rien ne borne, Stérile, muet, infini, Le désert sous le soleil morne, Déroule son linceul jauni. Au-dessus de la terre nue, Le ciel, autre désert d'azur, Où jamais ne flotte une nue, S'étale implacablement pur. Le Nil, dont l'eau morte s'étame D'une pellicule de plomb, Luit, ridé par l'hippopotame, Sous un jour mat tombant d'aplomb ; Et les crocodiles rapaces, Sur le sable en feu des îlots, Demi-cuits dans leurs carapaces, Se pâment avec des sanglots. Immobile sur son pied grêle, L'ibis, le bec dans son jabot, Déchiffre au bout de quelque stèle Le cartouche sacré de Thot. L'hyène rit, le chacal miaule, Et, traçant des cercles dans l'air, L'épervier affamé piaule, Noire virgule du ciel clair. Mais ces bruits de la solitude Sont couverts par le bâillement Des sphinx, lassés de l'attitude Qu'ils gardent immuablement. Produit des blancs reflets du sable Et du soleil toujours brillant, Nul ennui ne t'est comparable, Spleen lumineux de l'Orient ! C'est toi qui faisais crier : Grâce ! A la satiété des rois Tombant vaincus sur leur terrasse, Et tu m'écrases de ton poids. Ici jamais le vent n'essuie Une larme à l'oeil sec des cieux. Et le temps fatigué s'appuie Sur les palais silencieux. Pas un accident ne dérange La face de l'éternité ; L'Égypte, en ce monde où tout change, Trône sur l'immobilité. Pour compagnons et pour amies, Quand l'ennui me prend par accès, J'ai les fellahs et les momies Contemporaines de Rhamsès ; Je regarde un pilier qui penche, Un vieux colosse sans profil Et les canges à voile blanche Montant ou descendant le Nil. Que je voudrais comme mon frère, Dans ce grand Paris transporté, Auprès de lui, pour me distraire, Sur une place être planté ! Là-bas, il voit à ses sculptures S'arrêter un peuple vivant, Hiératiques écritures, Que l'idée épelle en rêvant. Les fontaines juxtaposées Sur la poudre de son granit Jettent leurs brumes irisées ; Il est vermeil, il rajeunit ! Des veines roses de Syène Comme moi cependant il sort, Mais je reste à ma place ancienne, Il est vivant et je suis mort !
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Jocelyn, le 16 septembre 1793
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Jocelyn, le 16 septembre 1793 Titre : Jocelyn, le 16 septembre 1793 Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Mon cœur me l'avait dit : toute âme est sœur d'une âme ; Dieu les créa par couple et les fit homme ou femme ; Le monde peut en vain un temps les séparer, Leur destin tôt ou tard est de se rencontrer ; Et quand ces sœurs du ciel ici-bas se rencontrent, D'invincibles instincts l'une à l'autre les montrent ; Chaque âme de sa force attire sa moitié, Cette rencontre, c'est l'amour ou l'amitié, Seule et même union qu'un mot différent nomme, Selon l'être et le sexe en qui Dieu la consomme, Mais qui n'est que l'éclair qui révèle à chacun L'être qui le complète, et de deux n'en fait qu'un. Quand il a lui, le feu du ciel est moins rapide, L'œil ne cherche plus rien, l'âme n'a plus de vide, Par l'infaillible instinct le cœur soudain frappé, Ne craint pas de retour, ni de s'être trompé, On est plein d'un attrait qu'on n'a pas senti naître, Avant de se parler on croit se reconnaître, Pour tous les jours passés on n'a plus un regard, On regrette, on gémit de s'être vu trop tard, On est d'accord sur tout avant de se répondre, L'âme de plus en plus aspire à se confondre ; C'est le rayon du Ciel, par l'eau répercuté, Qui remonte au rayon pour doubler sa clarté ; C'est le son qui revient de l'écho qui répète, Seconde et même voix, à la voix qui le jette ; C'est l'ombre qu'avec nous le soleil voit marcher, Sœur du corps, qu'à nos pas on ne peut arracher. De la Grotte, 16 septembre 1793.
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J'ay varié ma vie en devidant la trame
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : J'ay varié ma vie en devidant la trame Titre : J'ay varié ma vie en devidant la trame Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) J'ay varié ma vie en devidant la trame Que Clothon me filoit entre malade et sain, Maintenant la santé se logeoit en mon sein, Tantost la maladie extreme fleau de l'ame. La goutte ja vieillard me bourrela les veines, Les muscles et les nerfs, execrable douleur, Montrant en cent façons par cent diverses peines Que l'homme n'est sinon le subject de malheur. L'un meurt en son printemps, l'autre attend la vieillesse, Le trespas est tout un, les accidens divers : Le vray tresor de l'homme est la verte jeunesse, Le reste de nos ans ne sont que des hivers. Pour long temps conserver telle richesse entiere Ne force ta nature, ains ensuy la raison, Fuy l'amour et le vin, des vices la matiere, Grand loyer t'en demeure en la vieille saison. La jeunesse des Dieux aux hommes n'est donnee Pour gouspiller sa fleur, ainsi qu'on void fanir La rose par le chauld, ainsi mal gouvernee La jeunesse s'enfuit sans jamais revenir.
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La spirale sans fin
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La spirale sans fin Titre : La spirale sans fin Poète : Théophile Gautier (1811-1872) La spirale sans fin dans le vide s'enfonce ; Tout autour, n'attendant qu'une fausse réponse Pour vous pomper le sang, Sur leurs grands piédestaux semés d'hiéroglyphes, Des sphinx aux seins pointus, aux doigts armés de griffes, Roulent leur oeil luisant. En passant devant eux, à chaque pas l'on cogne Des os demi-rongés, des restes de charogne, Des crânes sonnant creux. On voit de chaque trou sortir des jambes raides ; Des apparitions monstrueusement laides Fendent l'air ténébreux. C'est ici que l'énigme est encor sans Oedipe, Et qu'on attend toujours le rayon qui dissipe L'antique obscurité. C'est ici que la mort propose son problème, Et que le voyageur, devant sa face blême, Recule épouvanté. Ah ! Que de nobles coeurs et que d'âmes choisies, Vainement, à travers toutes les poésies, Toutes les passions, Ont poursuivi le mot de la page fatale, Dont les os gisent là sans pierre sépulcrale Et sans inscriptions ! Combien, dons juans obscurs, ont leurs listes remplies Et qui cherchent encor ! Que de lèvres pâlies Sous les plus doux baisers, Et qui n'ont jamais pu se joindre à leur chimère ! Que de désirs au ciel sont remontés de terre Toujours inapaisés ! Il est des écoliers qui voudraient tout connaître, Et qui ne trouvent pas pour valet et pour maître De Méphistophélès. Dans les greniers, il est des Faust sans Marguerite, Dont l'enfer ne veut pas et que Dieu déshérite ; Tous ceux-là, plaignez-les ! Car ils souffrent un mal, hélas ! Inguérissable ; Ils mêlent une larme à chaque grain de sable Que le temps laisse choir. Leur coeur, comme une orfraie au fond d'une ruine, Râle piteusement dans leur maigre poitrine L'hymne du désespoir. Leur vie est comme un bois à la fin de l'automne, Chaque souffle qui passe arrache à leur couronne Quelque reste de vert, Et leurs rêves en pleurs s'en vont fendant les nues, Silencieux, pareils à des files de grues Quand approche l'hiver. Leurs tourments ne sont point redits par le poète Martyrs de la pensée, ils n'ont pas sur leur tête L'auréole qui luit ; Par les chemins du monde ils marchent sans cortège, Et sur le sol glacé tombent comme la neige Qui descend dans la nuit.
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Montée sur le Brocken
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Montée sur le Brocken Titre : Montée sur le Brocken Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Lorsque l'on est monté jusqu'au nid des aiglons, Et que l'on voit, sous soi, les plus fiers mamelons Se fondre et s'effacer au flanc de la montagne, Et, comme un lac, bleuir tout au fond la campagne, On s'aperçoit enfin qu'on grimperait mille ans, Tant que la chair tiendrait à vos talons sanglants, Sans approcher du ciel qui toujours se recule, Et qu'on n'est, après tout, qu'un Titan ridicule. On n'est plus dans le monde, on n'est pas dans les cieux, Et des fantômes vains dansent devant vos yeux. Le silence est profond ; la chanson de la terre Ne vient pas jusqu'à vous, et la voix du tonnerre Qui roule sous vos pieds, semble le bâillement Du Brocken, ennuyé de son désœuvrement. Votre cri, sans trouver d'écho qui le répète, S'éteint subitement sous la voûte muette ; C'est un calme sinistre, on n'entend pas encore Les violes d'amour et les cithares d'or, Car le ciel est bien haut et l'échelle est petite ; Votre guide, effrayé, redescend et vous quitte, Et, roulant une larme au fond de son œil bleu, La dernière des fleurs vous jette son adieu. La neige cependant descend silencieuse, Et, sous ses fils d'argent, la lune soucieuse Apparaît à côté d'un soleil sans rayons ; Le ciel est tout rayé de ses pâles sillons, Et la mort, dans ses doigts, tordant ce fil qui tombe, Vous tisse un blanc linceul pour votre froide tombe.
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Le délire du fantassin
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Le délire du fantassin Titre : Le délire du fantassin Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). L'ENFANT fantôme fend de l'homme entre les piliers de pierre : 2ΠR, son tour de tête. (La tour monte, attention au ciel) Comme il mue, avec sa voix de rogomme il effraye à tort ou raison l'orfraie empaillée Qu'on ne voit pas à cause de la chaleur à cause de la couleur à cause de la douleur xxJamais la boule en buis ne pourra retomber Sur le bout de bois blanc du bilboquet.
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Les aveugles
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les aveugles Titre : Les aveugles Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux ! Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ; Terribles, singuliers comme les somnambules, Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux. Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie, Comme s'ils regardaient au loin, restent levés Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés Pencher rêveusement leur tête appesantie. Ils traversent ainsi le noir illimité, Ce frère du silence éternel. Ô cité ! Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles, Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité, Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété, Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?
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Nevermore (2)
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Nevermore (2) Titre : Nevermore (2) Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice, Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux ; Brûle un encens ranci sur tes autels d'or faux ; Sème de fleurs les bords béants du précipice ; Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice ! Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni ; Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides ; Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides : Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ; Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni. Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches ! Car mon rêve impossible a pris corps, et je l'ai Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé Voyageur qui de l'Homme évite les approches. — Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches ! Le Bonheur a marché côte à côte avec moi ; Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve : Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve, Et le remords est dans l'amour : telle est la loi. — Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.
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À M. de Lamartine
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À M. de Lamartine Titre : À M. de Lamartine Poète : Victor Hugo (1802-1885) Te referent fluctus. HORACE. Naguère une même tourmente, Ami, battait nos deux esquifs ; Une même vague écumante Nous jetait aux mêmes récifs ; Les mêmes haines débordées Gonflaient sous nos nefs inondées Leurs flots toujours multipliés, Et, comme un océan qui roule, Toutes les têtes de la foule Hurlaient à la fois sous nos pieds ! Qu'allais-je faire en cet orage, Moi qui m'échappais du berceau ? Moi qui vivais d'un peu d'ombrage Et d'un peu d'air, comme l'oiseau ? A cette mer qui le repousse Pourquoi livrer mon nid de mousse Où le jour n'osait pénétrer ? Pourquoi donner à la rafale Ma belle robe nuptiale Comme une voile à déchirer ? C'est que, dans mes songes de flamme, C'est que, dans mes rêves d'enfant, J'avais toujours présents à l'âme Ces hommes au front triomphant, Qui tourmentés d'une autre terre, En ont deviné le mystère Avant que rien en soit venu, Dont la tête au ciel est tournée, Dont l'âme, boussole obstinée, Toujours cherche un pôle inconnu. Ces Gamas, en qui rien n'efface Leur indomptable ambition, Savent qu'on n'a vu qu'une face De l'immense création. Ces Colombs, dans leur main profonde, Pèsent la terre et pèsent l'onde Comme à la balance du ciel, Et, voyant d'en haut toute cause, Sentent qu'il manque quelque chose A l'équilibre universel. Ce contre-poids qui se dérobe, Ils le chercheront, ils iront ; Ils rendront sa ceinture au globe, A l'univers sont double front. Ils partent, on plaint leur folie. L'onde les emporte ; on oublie Le voyage et le voyageur... - Tout à coup de la mer profonde Ils ressortent avec leur monde, Comme avec sa perle un plongeur ! Voilà quelle était ma pensée. Quand sur le flot sombre et grossi Je risquai ma nef insensée, Moi, je cherchais un monde aussi ! Mais, à peine loin du rivage, J'ai vu sur l'océan sauvage Commencer dans un tourbillon Cette lutte qui me déchire Entre les voiles du navire Et les ailes de l'aquilon. C'est alors qu'en l'orage sombre J'entrevis ton mât glorieux Qui, bien avant le mien, dans l'ombre, Fatiguait l'autan furieux. Alors, la tempête était haute, Nous combattîmes côte à côte, Tous deux, mois barque, toi vaisseau, Comme le frère auprès du frère, Comme le nid auprès de l'aire, Comme auprès du lit le berceau ! L'autan criait dans nos antennes, Le flot lavait nos ponts mouvants, Nos banderoles incertaines Frissonnaient au souffle des vents. Nous voyions les vagues humides, Comme des cavales numides, Se dresser, hennir, écumer ; L'éclair, rougissant chaque lame, Mettait des crinières de flamme A tous ces coursiers de la mer. Nous, échevelés dans la brume, Chantant plus haut dans l'ouragan, Nous admirions la vaste écume Et la beauté de l'océan. Tandis que la foudre sublime Planait tout en feu sur l'abîme, Nous chantions, hardis matelots, La laissant passer sur nos têtes, Et, comme l'oiseau des tempêtes, Tremper ses ailes dans les flots. Echangeant nos signaux fidèles Et nous saluant de la voix, Pareils à deux soeurs hirondelles, Nous voulions, tous deux à la fois, Doubler le même promontoire, Remporter la même victoire, Dépasser le siècle en courroux ; Nous tentions le même voyage ; Nous voyions surgir dans l'orage Le même Adamastor jaloux ! Bientôt la nuit toujours croissante, Ou quelque vent qui t'emportait, M'a dérobé ta nef puissante Dont l'ombre auprès de moi flottait. Seul je suis resté sous la nue. Depuis, l'orage continue, Le temps est noir, le vent mauvais ; L'ombre m'enveloppe et m'isole, Et, si je n'avais ma boussole, Je ne saurais pas où je vais. Dans cette tourmente fatale J'ai passé les nuits et les jours, J'ai pleuré la terre natale, Et mon enfance et mes amours. Si j'implorais le flot qui gronde, Toutes les cavernes de l'onde Se rouvraient jusqu'au fond des mers ; Si j'invoquais le ciel, l'orage, Avec plus de bruit et de rage, Secouait se gerbe d'éclairs. Longtemps, laissant le vent bruire, Je t'ai cherché, criant ton nom. Voici qu'enfin je te vois luire A la cime de l'horizon Mais ce n'est plus la nef ployée, Battue, errante, foudroyée Sous tous les caprices des cieux, Rêvant d'idéales conquêtes, Risquant à travers les tempêtes Un voyage mystérieux. C'est un navire magnifique Bercé par le flot souriant, Qui, sur l'océan pacifique, Vient du côté de l'orient. Toujours en avant de sa voile On voit cheminer une étoile Qui rayonne à l'oeil ébloui ; Jamais on ne le voit éclore Sans une étincelante aurore Qui se lève derrière lui. Le ciel serein, la mer sereine L'enveloppent de tous côtés ; Par ses mâts et par sa carène Il plonge aux deux immensités. Le flot s'y brise en étincelles ; Ses voiles sont comme des ailes Au souffle qui vient les gonfler ; Il vogue, il vogue vers la plage, Et, comme le cygne qui nage, On sent qu'il pourrait s'envoler. Le peuple, auquel il se révèle Comme une blanche vision, Roule, prolonge, et renouvelle Une immense acclamation. La foule inonde au loin la rive. Oh ! dit-elle, il vient, il arrive ! Elle l'appelle avec des pleurs, Et le vent porte au beau navire, Comme à Dieu l'encens et la myrrhe, L'haleine de la terre en fleurs ! Oh ! rentre au port, esquif sublime ! Jette l'ancre loin des frimas ! Vois cette couronne unanime Que la foule attache à tes mâts : Oublie et l'onde et l'aventure. Et le labeur de la mâture, Et le souffle orageux du nord ; Triomphe à l'abri des naufrages, Et ris-toi de tous les orages Qui rongent les chaînes du port ! Tu reviens de ton Amérique ! Ton monde est trouvé ! – Sur les flots Ce monde, à ton souffle lyrique, Comme un oeuf sublime est éclos ! C'est un univers qui s'éveille ! Une création pareille A celle qui rayonne au jour ! De nouveaux infinis qui s'ouvrent ! Un de ces mondes que découvrent Ceux qui de l'âme ont fait le tour ! Tu peux dire à qui doute encore : "J'en viens ! j'en ai cueilli ce fruit. Votre aurore n'est pas l'aurore, Et votre nuit n'est pas la nuit. Votre soleil ne vaut pas l'autre. Leur jour est plus bleu que le vôtre. Dieu montre sa face en leur ciel. J'ai vu luire une croix d'étoiles Clouée à leurs nocturnes voiles Comme un labarum éternel." Tu dirais la verte savane, Les hautes herbes des déserts, Et les bois dont le zéphyr vanne Toutes les graines dans les airs ; Les grandes forêts inconnues ; Les caps d'où s'envolent les nues Comme l'encens des saints trépieds ; Les fruits de lait et d'ambroisie, Et les mines de poésie Dont tu jettes l'or à leurs pieds. Et puis encor tu pourrais dire, Sans épuiser ton univers, Ses monts d'agate et de porphyre, Ses fleuves qui noieraient leurs mers ; De ce monde, né de la veille, Tu peindrais la beauté vermeille, Terre vierge et féconde à tous, Patrie où rien ne nous repousse ; Et ta voix magnifique et douce Les ferait tomber à genoux. Désormais, à tous tes voyages Vers ce monde trouvé par toi, En foule ils courront aux rivages Comme un peuple autour de son roi. Mille acclamations sur l'onde Suivront longtemps ta voile blonde Brillante en mer comme un fanal, Salueront le vent qui t'enlève, Puis sommeilleront sur la grève Jusqu'à ton retour triomphal. Ah ! soit qu'au port ton vaisseau dorme, Soit qu'il se livre sans effroi Aux baisers de la mer difforme Qui hurle béante sous moi, De ta sérénité sublime Regarde parfois dans l'abîme, Avec des yeux de pleurs remplis, Ce point noir dans ton ciel limpide, Ce tourbillon sombre et rapide Qui roule une voile en ses plis. C'est mon tourbillon, c'est ma voile ! C'est l'ouragan qui, furieux, A mesure éteint chaque étoile Qui se hasarde dans mes cieux ! C'est la tourmente qui m'emporte ! C'est la nuée ardente et forte Qui se joue avec moi dans l'air, Et tournoyant comme une roue, Fait étinceler sur ma proue Le glaive acéré de l'éclair ! Alors, d'un coeur tendre et fidèle, Ami, souviens-toi de l'ami Que toujours poursuit à coups d'aile Le vent dans ta voile endormi. Songe que du sein de l'orage Il t'a vu surgir au rivage Dans un triomphe universel, Et qu'alors il levait la tête, Et qu'il oubliait sa tempête Pour chanter l'azur de ton ciel ! Et si mon invisible monde Toujours à l'horizon me fuit, Si rien ne germe dans cette onde Que je laboure jour et nuit, Si mon navire de mystère Se brise à cette ingrate terre Que cherchent mes yeux obstinés, Pleure, ami, mon ombre jalouse ! Colomb doit plaindre La Pérouse. Tous deux étaient prédestinés ! Le 20 juin 1830.
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Albertus (CXI)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Albertus (CXI) Titre : Albertus (CXI) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Albertus (1832). Une flamme jetant une clarté bleuâtre, Théophile Gautier. Une flamme jetant une clarté bleuâtre, Comme celle du punch, éclairait le théâtre. - C'était un carrefour dans le milieu d'un bois. Les nécromants en robe et les sorcières nues, A cheval sur leurs boucs, par les quatre avenues, Des quatre points du vent débouchaient à la fois. Les approfondisseurs de sciences occultes, Faust de tous les pays, mages de tous les cultes, Zingaros basanés, et rabbins au poil roux, Cabalistes, devins, rêvasseurs hermétiques, Noirs et faisant râler leurs soufflets asthmatiques, Aucun ne manque au rendez-vous.
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Autre chanson
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Autre chanson Titre : Autre chanson Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les chants du crépuscule (1836). L'aube naît, et ta porte est close ! Ma belle, pourquoi sommeiller ? À l'heure où s'éveille la rose Ne vas-tu pas te réveiller ? Ô ma charmante, Ecoute ici L'amant qui chante Et pleure aussi ! Tout frappe à ta porte bénie. L'aurore dit : Je suis le jour ! L'oiseau dit : Je suis l'harmonie ! Et mon cœur dit : Je suis l'amour ! Ô ma charmante, Ecoute ici L'amant qui chante Et pleure aussi ! Je t'adore ange et t'aime femme. Dieu qui par toi m'a complété A fait mon amour pour ton âme Et mon regard pour ta beauté ! Ô ma charmante, Ecoute ici L'amant qui chante Et pleure aussi ! Février 1829.
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Un veuf parle
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un veuf parle Titre : Un veuf parle Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Je vois un groupe sur la mer. Quelle mer ? Celle de mes larmes. Mes yeux mouillés du vent amer Dans cette nuit d'ombre et d'alarmes Sont deux étoiles sur la mer. C'est une toute jeune femme Et son enfant déjà tout grand. Dans une barque où nul ne rame, Sans mât ni voile, en plein courant... Un jeune garçon, une femme ! En plein courant dans l'ouragan ! L'enfant se cramponne à sa mère Qui ne sait plus où, non plus qu'en..., Ni plus rien, et qui, folle, espère En le courant, en l'ouragan. Espérez en Dieu, pauvre folle, Crois en notre Père, petit. La tempête qui vous désole, Mon cœur de là-haut vous prédit Qu'elle va cesser, petit, folle ! Et paix au groupe sur la mer, Sur cette mer de bonnes larmes ! Mes yeux joyeux dans le ciel clair, Par cette nuit sans plus d'alarmes, Sont deux bons anges sur la mer.
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Ascension
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Ascension Titre : Ascension Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Jésus au ciel est monté Pour vous envoyer sa grâce Espérance et charité, Foi qui jamais ne se lasse, Patience et tous les dons Que l'esprit porte en ses flamme. Et les trésors de pardons, De zèle au salut des âmes, De courage durant les Tentations de ce monde. Ah ! surtout, oui, devant les Tentations de ce monde, Ces scandales étalés Tour à tour beaux puis immondes, Pauvres cœurs écartelés, Tristes âmes vagabondes ! Jésus au ciel est monté, Mais en nous laissant son ombre : L'Évangile répété Sans cesse aux peuples sans nombre. Jésus au ciel est monté Pour mieux veiller, Lui, fait homme, Sur notre fragilité Qu'il éprouva... Mais nous, comme Jésus au ciel est monté Notre nuit n'y pourrait suivre Avant la mort sa clarté : Ah ! d'esprit allons y vivre !
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À la promenade
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À la promenade Titre : À la promenade Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Le ciel si pâle et les arbres si grêles Semblent sourire à nos costumes clairs Qui vont flottant légers avec des airs De nonchalance et des mouvements d'ailes. Et le vent doux ride l'humble bassin, Et la lueur du soleil qu'atténue L'ombre des bas tilleuls de l'avenue Nous parvient bleue et mourante à dessein. Trompeurs exquis et coquettes charmantes, Coeurs tendres mais affranchis du serment, Nous devisons délicieusement, Et les amants lutinent les amantes De qui la main imperceptible sait Parfois donner un souffle qu'on échange Contre un baiser sur l'extrême phalange Du petit doigt, et comme la chose est Immensément excessive et farouche, On est puni par un regard très sec, Lequel contraste, au demeurant, avec La moue assez clémente de la bouche.
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Le petit endroit
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Le petit endroit Titre : Le petit endroit Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). Vous qui venez ici Dans une humble posture De vos flancs alourdis Décharger le fardeau Veuillez quand vous aurez Soulagé la nature Et déposé dans l'urne Un modeste cadeau Epancher dans l'amphore Un courant d'onde pure Et sur l'autel fumant Placer pour chapiteau Le couvercle arrondi Dont l'auguste jointure Aux parfums indiscrets Doit servir de tombeau.
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La grâce
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La grâce Titre : La grâce Poète : Paul Verlaine (1844-1896) À Armand Silvestre Un cachot. Une femme à genoux, en prière. Une tête de mort est gisante par terre, Et parle, d'un ton aigre et douloureux aussi. D'une lampe au plafond tombe un rayon transi. « Dame Reine. — Encor toi, Satan ! — Madame Reine. — « Ô Seigneur, faites mon oreille assez sereine « Pour ouïr sans l'écouter ce que dit le Malin ! » — « Ah ! ce fut un vaillant et galant châtelain « Que votre époux ! Toujours en guerre ou bien en fête, « (Hélas ! j'en puis parler puisque je suis sa tête.) « Il vous aima, mais moins encore qu'il n'eût dû. « Que de vertu gâtée et que de temps perdu « En vains tournois, en cours d'amour loin de sa dame Qui belle et jeune prit un amant, la pauvre âme ! » — — « Ô Seigneur, écartez ce calice de moi ! » — — « Comme ils s'aimèrent ! Ils s'étaient juré leur foi De s'épouser sitôt que serait mort le maître, Et le tuèrent dans son sommeil d'un coup traître. » — « Seigneur, vous le savez, dès le crime accompli, J'eus horreur, et prenant ce jeune homme en oubli, Vins au roi, dévoilant l'attentat effroyable, Et pour mieux déjouer la malice du diable, J'obtins qu'on m'apportât en ma juste prison La tête de l'époux occis en trahison : Par ainsi le remords, devant ce triste reste, Me met toujours aux yeux mon action funeste, Et la ferveur de mon repentir s'en accroît, Ô Jésus ! Mais voici : le Malin qui se voit Dupe et qui voudrait bien ressaisir sa conquête S'en vient-il pas loger dans cette pauvre tête Et me tenir de faux propos insidieux ? Ô Seigneur, tendez-moi vos secours précieux ! » — « Ce n'est pas le démon, ma Reine, c'est moi-même, Votre époux, qui vous parle en ce moment suprême, Votre époux qui, damné (car j'étais en mourant En état de péché mortel), vers vous se rend, Ô Reine, et qui, pauvre âme errante, prend la tête Qui fut la sienne aux jours vivants pour interprète Effroyable de son amour épouvanté. » — « Ô blasphème hideux, mensonge détesté ! Monsieur Jésus, mon maître adorable, exorcise Ce chef horrible et le vide de la hantise Diabolique qui n'en fait qu'un instrument Où souffle Belzébuth fallacieusement Comme dans une flûte on joue un air perfide ! » — « Ô douleur, une erreur lamentable te guide, Reine, je ne suis pas Satan, je suis Henry ! » — — « Oyez, Seigneur, il prend la voix de mon mari ! À mon secours, les Saints, à l'aide, Notre Dame ! » — — « Je suis Henry, du moins, Reine, je suis son âme Qui, par sa volonté, plus forte que l'enfer, Ayant su transgresser toute porte de fer Et de flamme, et braver leur impure cohorte, Hélas ! vient pour te dire avec cette voix morte Qu'il est d'autres amours encor que ceux d'ici, Tout immatériels et sans autre souci Qu'eux-mêmes, des amours d'âmes et de pensées. Ah, que leur fait le Ciel ou l'enfer. Enlacées, Les âmes, elles n'ont qu'elles-mêmes pour but ! L'enfer pour elles c'est que leur amour mourût, Et leur amour de son essence est immortelle ! Hélas ! moi, je ne puis te suivre aux cieux, cruelle Et seule peine en ma damnation. Mais toi, Damne-toi ! Nous serons heureux à deux, la loi Des âmes, je te dis, c'est l'alme indifférence Pour la félicité comme pour la souffrance Si l'amour partagé leur fait d'intimes cieux. Viens afin que l'enfer jaloux, voie, envieux, Deux damnés ajouter, comme on double un délice, Tous les feux de l'amour à tous ceux du supplice, Et se sourire en un baiser perpétuel ! » « — Âme de mon époux, tu sais qu'il est réel Le repentir qui fait qu'en ce moment j'espère En la miséricorde ineffable du Père Et du Fils et du Saint-Esprit ! Depuis un mois Que j'expie, attendant la mort que je te dois, En ce cachot trop doux encor, nue et par terre, Le crime monstrueux et l'infâme adultère N'ai-je pas, repassant ma vie en sanglotant, Ô mon Henry, pleuré des siècles cet instant Où j'ai pu méconnaître en toi celui qu'on aime ? Va, j'ai revu, superbe et doux, toujours le même, Ton regard qui parlait délicieusement Et j'entends, et c'est là mon plus dur châtiment, Ta noble voix, et je me souviens des caresses ! Or si tu m'as absoute et si tu t'intéresses À mon salut, du haut des cieux, ô cher souci, Manifeste-toi, parle, et démens celui-ci Qui blasphème et vomit d'affreuses hérésies ! » — — « Je te dis que je suis damné ! Tu t'extasies En terreurs vaines, ô ma Reine. Je te dis Qu'il te faut rebrousser chemin du Paradis, Vain séjour du bonheur banal et solitaire Pour l'amour avec moi ! Les amours de la terre Ont, tu le sais, de ces instants chastes et lents : L'âme veille, les sens se taisent somnolents, Le cœur qui se repose et le sang qui s'affaisse Font dans tout l'être comme une douce faiblesse. Plus de désirs fiévreux, plus d'élans énervants, On est des frères et des sœurs et des enfants, On pleure d'une intime et profonde allégresse, On est les cieux, on est la terre, enfin on cesse De vivre et de sentir pour s'aimer au delà, Et c'est l'éternité que je t'offre, prends-la ! Au milieu des tourments nous serons dans la joie, Et le Diable aura beau meurtrir sa double proie, Nous rirons, et plaindrons ce Satan sans amour. Non, les Anges n'auront dans leur morne séjour Rien de pareil à ces délices inouïes ! » — La Comtesse est debout, paumes épanouies. Elle fait le grand cri des amours surhumains, Puis se penche et saisit avec ses pâles mains La tête qui, merveille ! a l'aspect de sourire. Un fantôme de vie et de chair semble luire Sur le hideux objet qui rayonne à présent Dans un nimbe languissamment phosphorescent. Un halo clair, semblable à des cheveux d'aurore Tremble au sommet et semble au vent flotter encore Parmi le chant des cors à travers la forêt. Les noirs orbites ont des éclairs, on dirait De grands regards de flamme et noirs. Le trou farouche Au rire affreux, qui fut, Comte Henry, votre bouche Se transfigure rouge aux deux arcs palpitants De lèvres qu'auréole un duvet de vingt ans, Et qui pour un baiser se tendent savoureuses... Et la Comtesse à la façon des amoureuses Tient la tête terrible amplement, une main Derrière et l'autre sur le front, pâle, en chemin D'aller vers le baiser spectral, l'âme tendue, Hoquetant, dilatant sa prunelle perdue Au fond de ce regard vague qu'elle a devant... Soudain elle recule, et d'un geste rêvant (Ô femmes, vous avez ces allures de faire !) Elle laisse tomber la tête qui profère Une plainte, et, roulant, sonne creux et longtemps : — « Mon Dieu, mon Dieu, pitié ! Mes péchés pénitents Lèvent leurs pauvres bras vers ta bénévolence, Ô ne les souffre pas criant en vain ! Ô lance L'éclair de ton pardon qui tuera ce corps vil ! Vois que mon âme est faible en ce dolent exil Et ne la laisse pas au Mauvais qui la guette ! Ô que je meure ! » Avec le bruit d'un corps qu'on jette, La Comtesse à l'instant tombe morte, et voici : Son âme en blanc linceul, par l'espace éclairci D'une douce clarté d'or blond qui flue et vibre Monte au plafond ouvert désormais à l'air libre Et d'une ascension lente va vers les cieux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La tête est là, dardant en l'air ses sombres yeux Et sautèle dans des attitudes étranges : Telle dans les Assomptions des têtes d'anges, Et la bouche vomit un gémissement long, Et des orbites vont coulant des pleurs de plomb.
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Un scrupule qui m'a l'air sot
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un scrupule qui m'a l'air sot Titre : Un scrupule qui m'a l'air sot Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Un scrupule qui m'a l'air sot comme un péché Argumente. Dieu vit au sein d'un cœur caché, Non d'un esprit épars, en milliers de pages, En millions de mots hardis comme des pages, A tous les vents du ciel ou plutôt de l'enfer, Et d'un scandale tel, précisément tout fier. Il faut, pour plaire à Dieu, pour apaiser sa droite, Suivre le long sentier, gravir la pente étroite, Sans un soupir de trop, fût-il mélodieux, Sans un geste au surplus, même agréable aux yeux, Laisser à d'autres l'art et la littérature Et ne vivre que juste à même la nature Tu pratiquais jadis et naguère ces us Content de reposer à l'ombre de Jésus Y pansant de vin, d'huile de lin tes blessures Et maintenant, ingrat à la Croix, tu t'assures En la gloire profane et le renom païen, Comme si iout cela n'était pas trois fois rien, Comme si tel beau vers, telle phrase sonore, Chantait mieux qu'un grillon, brillait plus qu'un fulgore Va, risque ton salut, ton salut racheté Un temps, par une vie autre, c'est vérité, Que celle de tes ans primes, enfance molle, Age pubère fou, jeunesse molle et folle Risque ton âme, objet de tes soins d'autrefois Pour quels triomphes vains sur quels banals pavois ? Malheureux ! Je réponds avec raison, je pense : Je n'attends, je ne veux pas d'autre récompense A ce mien grand effort d'écrire de mon mieux Que l'amitié du jeune et l'estime du vieux Lettrés qui sont au fond les seules belles âmes, Car où prendre un public en ces foules infâmes D'idioterie en haut et folles par en bas ? Où, — le trouver ou pas, le mériter ou pas, Le conserver ou pas ! — l'assentiment d'un être Simple, naïf et bon, sans même le connaître Que par ce seul lien comme immatériel, C'est tout mon attentat au seul devoir réel, Essentiel gagner le ciel par les mérites, Et je doute, Jésus pieux, que tu t'irrites Pour quelque doux rimeur chantant ta gloire ou bien Étalant ses péchés au pilori chrétien ; Tu ne suscites pas l'aspic et la couleuvre Contre un poème ou contre un poète. Ton œuvre, Consolant les ennuis de ce morne séjour Par un concert de foi, d'espérance et d'amour ; Puis ne me fis-tu pas, avec le don de vivre, Le don aussi, sans quoi je meurs ! de faire un livre, Une œuvre où s'attestât toute ma quantité, Toute, bien mal, la force et l'orgueil révolta Des sens et leur colère encore qui sont la même Luxure au fond et bien la faiblesse suprême, Et la mysticité, l'amour d'aller au ciel Par le seul graduel du juste graduel, Douceur et charité, seule toute-puissance. Tu m'as donné ce don, et par reconnaissance J'en use librement, qu'on me blâme, tant pis. Quant à quêter les voix, quant à tâter les pis De dame Renommée, à ses heures marâtre, Fi ! Mais, pour en finir, leur foyer ou son âtre Souffrent-ils de mon cas ? Quelle poutre en votre œil, Quelle paille en votre œil de ce fait ? De quel deuil, De quel scandale, vers ou proses, sont-ils cause Dont cela vaille un peu la peine qu'on en cause ?
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C
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : C Titre : C Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Les Yeux d'Elsa (1942). J'ai traversé les ponts de Cé C'est là que tout a commencé Une chanson des temps passés Parle d'un chevalier blessé D'une rose sur la chaussée Et d'un corsage délacé Du château d'un duc insensé Et des cygnes dans les fossés De la prairie où vient danser Une éternelle fiancée Et j'ai bu comme un lait glacé Le long lai des gloires faussées La Loire emporte mes pensées Avec les voitures versées Et les armes désamorcées Et les larmes mal effacées Ô ma France ô ma délaissée J'ai traversé les ponts de Cé.
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À une dame créole
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : À une dame créole Titre : À une dame créole Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Au pays parfumé que le soleil caresse, J'ai connu, sous un dais d'arbres tout empourprés Et de palmiers d'où pleut sur les yeux la paresse, Une dame créole aux charmes ignorés. Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse A dans le cou des airs noblement maniérés ; Grande et svelte en marchant comme une chasseresse, Son sourire est tranquille et ses yeux assurés. Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire, Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire, Belle digne d'orner les antiques manoirs, Vous feriez, à l'abri des ombreuses retraites, Germer mille sonnets dans le coeur des poètes, Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.
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Ce qu'on entend sur la montagne
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ce qu'on entend sur la montagne Titre : Ce qu'on entend sur la montagne Poète : Victor Hugo (1802-1885) O altitudo ! Avez-vous quelquefois, calme et silencieux, Monté sur la montagne, en présence des cieux ? Était-ce aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ? Aviez-vous l'océan au pied de la montagne ? Et là, penché sur l'onde et sur l'immensité, Calme et silencieux, avez-vous écouté ? Voici ce qu'on entend : — du moins un jour qu'en rêve Ma pensée abattit son vol sur une grève, Et, du sommet d'un mont plongeant au gouffre amer, Vit d'un côté la terre et de l'autre la mer, J'écoutai, j'entendis, et jamais voix pareille Ne sortit d'une bouche et n'émut une oreille. Ce fut d'abord un bruit large, immense, confus, Plus vague que le vent dans les arbres touffus, Plein d'accords éclatants, de suaves murmures, Doux comme un chant du soir, fort comme un choc d'armures Quand la sourde mêlée étreint les escadrons Et souffle, furieuse, aux bouches des clairons. C'était une musique ineffable et profonde, Qui, fluide, oscillait sans cesse autour du monde, Et dans les vastes cieux, par ses flots rajeunis, Roulait élargissant ses orbes infinis Jusqu'au fond où son flux s'allait perdre dans l'ombre Avec le temps, l'espace et la forme et le nombre ! Comme une autre atmosphère épars et débordé, L'hymne éternel couvrait tout le globe inondé. Le monde, enveloppé dans cette symphonie, Comme il vogue dans l'air, voguait dans l'harmonie. Et pensif, j'écoutais ces harpes de l'éther, Perdu dans cette voix comme dans une mer. Bientôt je distinguai, confuses et voilées, Deux voix dans cette voix l'une à l'autre mêlées, De la terre et des mers s'épanchant jusqu'au ciel, Qui chantaient à la fois le chant universel ; Et je les distinguai dans la rumeur profonde, Comme on voit deux courants qui se croisent sous l'onde. L'une venait des mers ; chant de gloire ! hymne heureux ! C'était la voix des flots qui se parlaient entre eux ; L'autre, qui s'élevait de la terre où nous sommes, Était triste : c'était le murmure des hommes ; Et dans ce grand concert, qui chantait jour et nuit, Chaque onde avait sa voix et chaque homme son bruit. Or, comme je l'ai dit, l'océan magnifique Épandait une voix joyeuse et pacifique, Chantait comme la harpe aux temples de Sion, Et louait la beauté de la création. Sa clameur, qu'emportaient la brise et la rafale, Incessamment vers Dieu montait plus triomphale, Et chacun de ses flots, que Dieu seul peut dompter, Quand l'autre avait fini, se levait pour chanter. Comme ce grand lion dont Daniel fut l'hôte, L'océan par moments abaissait sa voix haute ; Et moi je croyais voir, vers le couchant en feu, Sous sa crinière d'or passer la main de Dieu. Cependant, à côté de l'auguste fanfare, L'autre voix, comme un cri de coursier qui s'effare, Comme le gond rouillé d'une porte d'enfer, Comme l'archet d'airain sur la lyre de fer, Grinçait ; et pleurs, et cris, l'injure, l'anathème, Refus du viatique et refus du baptême, Et malédiction, et blasphème, et clameur, Dans le flot tournoyant de l'humaine rumeur Passaient, comme le soir on voit dans les vallées De noirs oiseaux de nuit qui s'en vont par volées. Qu'était-ce que ce bruit dont mille échos vibraient ? Hélas ! c'était la terre et l'homme qui pleuraient. Frères ! de ces deux voix étranges, inouïes, Sans cesse renaissant, sans cesse évanouies, Qu'écoute l'Eternel durant l'éternité, L'une disait : NATURE ! et l'autre : HUMANITÉ ! Alors je méditai ; car mon esprit fidèle, Hélas ! n'avait jamais déployé plus grande aile ; Dans mon ombre jamais n'avait lui tant de jour ; Et je rêvai longtemps, contemplant tour à tour, Après l'abîme obscur que me cachait la lame, L'autre abîme sans fond qui s'ouvrait dans mon âme. Et je me demandai pourquoi l'on est ici, Quel peut être après tout le but de tout ceci, Que fait l'âme, lequel vaut mieux d'être ou de vivre, Et pourquoi le Seigneur, qui seul lit à son livre, Mêle éternellement dans un fatal hymen Le chant de la nature au cri du genre humain ? Juillet 1829.
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C'est l'hiver
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : C'est l'hiver Titre : C'est l'hiver Poète : Victor Hugo (1802-1885) C'est l'hiver. Ô villes folles, Dansez ! Dans le bal béant Tourbillonnent les paroles De la joie et du néant. L'homme flotte dans la voie Où l'homme errant se perdit ; En bas le plaisir flamboie, En haut l'amour resplendit. Le plaisir, clarté hagarde Du faux rire et des faux biens, Dit au noir passant : Prends garde ! L'amour rayonne et dit: Viens ! Ces deux lueurs, sur la lame Guidant l'hydre et l'alcyon, Nous éclairent ; toute l'âme Vogue à ce double rayon. Mer ! j'ai fui loin des Sodomes ; Je cherche tes grands tableaux ; Mais ne voit-on pas les hommes Quand on regarde les flots ? Les spectacles de l'abîme Ressemblent à ceux du cour ; Le vent est le fou sublime, Le jonc est le-nain moqueur. Comme un ami l'onde croule ; Sitôt que le jour s'enfuit La mer n'est plus qu'une foule Qui querellé dans la nuit ; Le désert de l'eau qui souffre Est plein de cris et de voix, Et parle dans tout le gouffre A toute l'ombre à la fois. Que dit-il ? Dieu seul recueille Ce blasphème ou ce sanglot ; Dieu seul répond à la feuille, Et Dieu seul réplique au flot.
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Je ne veux plus aimer que ma mère Marie
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je ne veux plus aimer que ma mère Marie Titre : Je ne veux plus aimer que ma mère Marie Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Je ne veux plus aimer que ma mère Marie. Tous les autres amours sont de commandement. Nécessaires qu'ils sont, ma mère seulement Pourra les allumer aux coeurs qui l'ont chérie. C'est pour Elle qu'il faut chérir mes ennemis, C'est par Elle que j'ai voué ce sacrifice, Et la douceur de coeur et le zèle au service, Comme je la priais, Elle les a permis ... C'est par Elle que j'ai voulu de ces chagrins, C'est pour Elle que j'ai mon coeur dans les Cinq Plaies, Et tous ces bons efforts vers les croix et les claies, Comme je l'invoquais, Elle en ceignit mes reins. Je ne veux plus penser qu'à ma mère Marie, Siège, de la Sagesse et source des pardons, Mère de France aussi, de qui nous attendons Inébranlablement l'honneur de la patrie. Marie Immaculée, amour essentiel, Logique de la foi cordiale et vivace, En vous aimant qu'est-il de bon que je ne fasse, En vous aimant du seul amour, Porte du ciel ?
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À l'obéissance passive (II)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À l'obéissance passive (II) Titre : À l'obéissance passive (II) Poète : Victor Hugo (1802-1885) II. Oh ! vers ces vétérans quand notre esprit s'élève, Nous voyons leur front luire et resplendir leur glaive, Fertile en grands travaux. C'étaient là les anciens. Mais ce temps les efface ! France, dans ton histoire ils tiennent trop de place. France, gloire aux nouveaux ! Oui, gloire à ceux d'hier ! ils se mettent cent mille, Sabres nus, vingt contre un, sans crainte, et par la ville S'en vont, tambours battants. À mitraille ! leur feu brille, l'obusier tonne, Victoire ! ils ont tué, carrefour Tiquetonne, Un enfant de sept ans ! Ceux-ci sont des héros qui n'ont pas peur des femmes Ils tirent sans pâlir, gloire à ces grandes âmes ! Sur les passants tremblants. On voit, quand dans Paris leur troupe se promène, Aux fers de leurs chevaux de la cervelle humaine Avec des cheveux blancs ! Ils montent à l'assaut des lois ; sur la patrie Ils s'élancent ; chevaux, fantassins, batterie, Bataillon, escadron, Gorgés, payés, repus, joyeux, fous de colère, Sonnant la charge, avec Maupas pour vexillaire Et Veuillot pour clairon. Tout, le fer et le plomb, manque à nos bras farouches, Le peuple est sans fusils, le peuple est sans cartouches, Braves ! c'est le moment ! Avec quelques tribuns la loi demeure seule. Derrière vos canons chargés jusqu'à la gueule Risquez-vous hardiment ! Ô soldats de décembre ! ô soldats d'embuscades Contre votre pays ! honte à vos cavalcades Dans Paris consterné ! Vos pères, je l'ai dit, brillaient comme le phare ; Ils bravaient, en chantant une haute fanfare, La mort, spectre étonné ; Vos pères combattaient les plus fières armées, Le prussien blond, le russe aux foudres enflammées, Le catalan bruni, Vous, vous tuez des gens de bourse et de négoce. Vos pères, ces géants, avaient pris Saragosse, Vous prenez Tortoni ! Histoire, qu'en dis-tu ? les vieux dans les batailles Couraient sur les canons vomissant les mitrailles ; Ceux-ci vont, sans trembler, Foulant aux pieds vieillards sanglants, femmes mourantes Droit au crime. Ce sont deux façons différentes De ne pas reculer. Jersey, du 7 au 13 janvier 1853.
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Amitié de femme
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Amitié de femme Titre : Amitié de femme Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) À Madame L. sur son album. Amitié, doux repos de l'âme, Crépuscule charmant des cœurs, Pourquoi dans les yeux d'une femme As-tu de plus tendres langueurs ? Ta nature est pourtant la même ! Dans le cœur dont elle a fait don Ce n'est plus la femme qu'on aime, Et l'amour a perdu son nom. Mais comme en une pure glace Le crayon se colore mieux, Le sentiment qui le remplace Est plus visible en deux beaux yeux. Dans un timbre argentin de femme Il a de plus tendres accents : La chaste volupté de l'âme Devient presque un plaisir des sens. De l'homme la mâle tendresse Est le soutien d'un bras nerveux, Mais la vôtre est une caresse Qui frissonne dans les cheveux. Oh ! laissez-moi, vous que j'adore Des noms les plus doux tour à tour, O femmes, me tromper encore Aux ressemblances de l'amour ! Douce ou grave, tendre ou sévère, L'amitié fut mon premier bien : Quelque soit la main qui me serre, C'est un cœur qui répond au mien. Non, jamais ma main ne repousse Ce symbole d'un sentiment ; Mais lorsque la main est plus douce, Je la serre plus tendrement.
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Sub Urbe
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Sub Urbe Titre : Sub Urbe Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Les petits ifs du cimetière Frémissent au vent hiémal, Dans la glaciale lumière. Avec des bruits sourds qui font mal, Les croix de bois des tombes neuves Vibrent sur un ton anormal. Silencieux comme les fleuves, Mais gros de pleurs comme eux de flots, Les fils, les mères et les veuves, Par les détours du triste enclos, S'écoulent, — lente théorie, Au rythme heurté des sanglots. Le sol sous les pieds glisse et crie, Là-haut de grands nuages tors S'échevèlent avec furie. Pénétrant comme le remords, Tombe un froid lourd qui vous écœure, Et qui doit filtrer chez les morts, Chez les pauvres morts, à toute heure Seuls, et sans cesse grelottants, — Qu'on les oublie ou qu'on les pleure ! — Ah ! vienne vite le Printemps, Et son clair soleil qui caresse, Et ses doux oiseaux caquetants ! Refleurisse l'enchanteresse Gloire des jardins et des champs Que l'âpre hiver tient en détresse ! Et que, — des levers aux couchants, L'or dilaté d'un ciel sans bornes Berce de parfums et de chants, Chers endormis, vos sommeils mornes !
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L'hymen
Louise Colet (1810-1876)
Poésie : L'hymen Titre : L'hymen Poète : Louise Colet (1810-1876) Ne rêves-tu jamais à ces heures d'extase Qui précèdent l'hymen de deux jeunes époux ? Quand l'amour, de leur cœur, comme ronde d'un vase, Déborde en sentiments mystérieux et doux ! Dis, n'est-ce rien pour toi qu'une vierge qui pleure En recevant l'aveu d'un amour désiré ? Qu'un front pur qui rougit, si ta lèvre l'effleure ; Qu'un céleste regard vers toi seul attiré ? N'est-ce rien, quand tu lis dans sa chaste pensée, D'y découvrir empreinte en sentiments de feu Cette foi que le monde encore n'a pas glacée, Et qui croit au bonheur, comme elle croit à Dieu ! Les pudiques secrets de son âme candide De leur voile à tes yeux sont alors dépouillés ; De ses jours sans amour elle te peint le vide, Puis ses désirs naissants par toi seul éveillés. Après ces doux accents viennent de longs silences ; Sa tête sur ton sein semble s'abandonner : Mais soudain elle fuit ; vers elle tu t'élances. Et tu prends un baiser qu'elle n'osait donner ; A ce larcin d'amour un jeu naïf succède : Ce sont ses longs cheveux que tu veux détacher ; Elle retient ta main ; tu souris, elle cède, Et sous leur blond tissu ton front va se cacher. Ce sont sur tes yeux noirs ses petites mains blanches, Dont folâtre et rieuse elle aime à te couvrir ; C'est, lorsque sans parler vers elle tu le penches, Un maintien languissant à te faire mourir ! Puis l'air manque à son cœur dévoré par la fièvre ; Elle échappe à tes bras : tu la suis dans les champs, Et cette volupté dont sa pudeur te sèvre Tu la trouves encore dans ses regards touchants. Elle revient à toi plus douce, plus aimante ; S'accuse d'avoir fui ; met sa main dans ta main ; Courbe sur ton épaule une tête charmante, Et vous marchez tous deux sans suivre de chemin... Quand tu la vois si belle à ton bras suspendue Répondre aux mots d'amour qu'en tremblant tu lui dis, Alors, qu'est l'univers pour ton âme éperdue, Et la gloire et l'éclat qui t'enivraient jadis ? La terre disparait, mais le ciel se révèle ; A votre immense amour il faut l'immensité ; Il faut à votre espoir une sphère nouvelle Où vous aimiez ainsi durant l'éternité ! Le doute qui luttait dans votre âme orgueilleuse Dans la félicité deviendrait un remords : La foi naît du bonheur : Quand la vie est heureuse. On voudrait l'assurer au-delà de la mort. Et tous les deux alors mêlant votre prière Vous unissez vos cœurs ; et dans un même vœu, Le regard vers le ciel, à genoux sur la pierre, De vous avoir créés vous remerciez Dieu !
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Ballade à la lune
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Ballade à la lune Titre : Ballade à la lune Poète : Alfred de Musset (1810-1857) C'était, dans la nuit brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Lune, quel esprit sombre Promène au bout d'un fil, Dans l'ombre, Ta face et ton profil ? Es-tu l'oeil du ciel borgne ? Quel chérubin cafard Nous lorgne Sous ton masque blafard ? N'es-tu rien qu'une boule, Qu'un grand faucheux bien gras Qui roule Sans pattes et sans bras ? Es-tu, je t'en soupçonne, Le vieux cadran de fer Qui sonne L'heure aux damnés d'enfer ? Sur ton front qui voyage. Ce soir ont-ils compté Quel âge A leur éternité ? Est-ce un ver qui te ronge Quand ton disque noirci S'allonge En croissant rétréci ? Qui t'avait éborgnée, L'autre nuit ? T'étais-tu Cognée A quelque arbre pointu ? Car tu vins, pâle et morne Coller sur mes carreaux Ta corne À travers les barreaux. Va, lune moribonde, Le beau corps de Phébé La blonde Dans la mer est tombé. Tu n'en es que la face Et déjà, tout ridé, S'efface Ton front dépossédé. Rends-nous la chasseresse, Blanche, au sein virginal, Qui presse Quelque cerf matinal ! Oh ! sous le vert platane Sous les frais coudriers, Diane, Et ses grands lévriers ! Le chevreau noir qui doute, Pendu sur un rocher, L'écoute, L'écoute s'approcher. Et, suivant leurs curées, Par les vaux, par les blés, Les prées, Ses chiens s'en sont allés. Oh ! le soir, dans la brise, Phoebé, soeur d'Apollo, Surprise A l'ombre, un pied dans l'eau ! Phoebé qui, la nuit close, Aux lèvres d'un berger Se pose, Comme un oiseau léger. Lune, en notre mémoire, De tes belles amours L'histoire T'embellira toujours. Et toujours rajeunie, Tu seras du passant Bénie, Pleine lune ou croissant. T'aimera le vieux pâtre, Seul, tandis qu'à ton front D'albâtre Ses dogues aboieront. T'aimera le pilote Dans son grand bâtiment, Qui flotte, Sous le clair firmament ! Et la fillette preste Qui passe le buisson, Pied leste, En chantant sa chanson. Comme un ours à la chaîne, Toujours sous tes yeux bleus Se traîne L'océan montueux. Et qu'il vente ou qu'il neige Moi-même, chaque soir, Que fais-je, Venant ici m'asseoir ? Je viens voir à la brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Peut-être quand déchante Quelque pauvre mari, Méchante, De loin tu lui souris. Dans sa douleur amère, Quand au gendre béni La mère Livre la clef du nid, Le pied dans sa pantoufle, Voilà l'époux tout prêt Qui souffle Le bougeoir indiscret. Au pudique hyménée La vierge qui se croit Menée, Grelotte en son lit froid, Mais monsieur tout en flamme Commence à rudoyer Madame, Qui commence à crier. " Ouf ! dit-il, je travaille, Ma bonne, et ne fais rien Qui vaille ; Tu ne te tiens pas bien. " Et vite il se dépêche. Mais quel démon caché L'empêche De commettre un péché ? " Ah ! dit-il, prenons garde. Quel témoin curieux Regarde Avec ces deux grands yeux ? " Et c'est, dans la nuit brune, Sur son clocher jauni, La lune Comme un point sur un i.
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Hymne des transportés
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Hymne des transportés Titre : Hymne des transportés Poète : Victor Hugo (1802-1885) Prions ! voici l'ombre sereine. Vers toi, grand Dieu, nos yeux et nos bras sont levés. Ceux qui t'offrent ici leurs larmes et leur chaîne Sont les plus douloureux parmi les éprouvés. Ils ont le plus d'honneur ayant le plus de peine. Souffrons ! le crime aura son tour. Oiseaux qui passez, nos chaumières, Vents qui passez, nos soeurs, nos mères Sont là-bas, pleurant nuit et jour. Oiseaux, dites-leur nos misères ! Ô vents, portez-leur notre amour ! Nous t'envoyons notre pensée, Dieu ! nous te demandons d'oublier les proscrits, Mais de rendre sa gloire à la France abaissée ; Et laisse-nous mourir, nous brisés et meurtris, Nous que le jour brûlant livre à la nuit glacée ! Souffrons ! le crime — Comme un archer frappe une cible, L'implacable soleil nous perce de ses traits Après le dur labeur, le sommeil impossible ; Cette chauve-souris qui sort des noirs marais, La fièvre, bat nos fronts de son aile invisible. Souffrons ! le crime — On a soif, l'eau brûle la bouche On a faim, du pain noir ; travaillez, malheureux ! À chaque coup de pioche en ce désert farouche La mort sort de la terre avec son rire affreux, Prend l'homme dans ses bras, l'étreint et se recouche. Souffrons ! le crime — Mais qu'importe ! rien ne nous dompte ; Nous sommes torturés et nous sommes contents. Nous remercions Dieu vers qui notre hymne monte De nous avoir choisis pour souffrir dans ce temps Où tous ceux qui n'ont pas la souffrance ont la honte. Souffrons ! le crime — Vive la grande République ! Paix à l'immensité du soir mystérieux ! Paix aux morts endormis dans la tombe stoïque ! Paix au sombre océan qui mêle sous les cieux La plainte de Cayenne au sanglot de l'Afrique ! Souffrons ! le crime aura son tour. Oiseaux qui passez, nos chaumières, Vents qui passez, nos soeurs, nos mères Sont là-bas, pleurant nuit et jour. Oiseaux, dites-leur nos misères ! Ô vents, portez-leur notre amour ! Jersey, le 23 juillet 1853.
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Ténèbres
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Ténèbres Titre : Ténèbres Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Taisez-vous, ô mon cœur ! Taisez-vous, ô mon âme ! Et n'allez plus chercher de querelles au sort ; Le néant vous appelle et l'oubli vous réclame. Mon cœur, ne battez plus, puisque vous êtes mort ; Mon âme, repliez le reste de vos ailes, Car vous avez tenté votre suprême effort. Vos deux linceuls sont prêts, et vos fosses jumelles Ouvrent leur bouche sombre au flanc de mon passé, Comme au flanc d'un guerrier deux blessures mortelles. Couchez-vous tout du long dans votre lit glacé ; Puisse avec vos tombeaux, que va recouvrir l'herbe, Votre souvenir être à jamais effacé ! Vous n'aurez pas de croix ni de marbre superbe, Ni d'épitaphe d'or, où quelque saule en pleurs Laisse les doigts du vent éparpiller sa gerbe. Vous n'aurez ni blasons, ni chants, ni vers, ni fleurs ; On ne répandra pas les larmes argentées Sur le funèbre drap, noir manteau des douleurs. Votre convoi muet, comme ceux des athées, Sur le triste chemin rampera dans la nuit ; Vos cendres sans honneur seront au vent jetées. La pierre qui s'abîme en tombant fait son bruit ; Mais vous, vous tomberez sans que l'onde s'émeuve, Dans ce gouffre sans fond où le remords nous suit. Vous ne ferez pas même un seul rond sur le fleuve, Nul ne s'apercevra que vous soyez absents, Aucune âme ici-bas ne se sentira veuve. Et le chaste secret du rêve de vos ans Périra tout entier sous votre tombe obscure Où rien n'attirera le regard des passants. Que voulez-vous ? Hélas ! Notre mère Nature, Comme toute autre mère, a ses enfants gâtés, Et pour les malvenus elle est avare et dure. Aux uns tous les bonheurs et toutes les beautés ! L'occasion leur est toujours bonne et fidèle : Ils trouvent au désert des palais enchantés ; Ils tètent librement la féconde mamelle ; La chimère à leur voix s'empresse d'accourir, Et tout l'or du Pactole entre leurs doigts ruisselle. Les autres moins aimés, ont beau tordre et pétrir Avec leurs maigres mains la mamelle tarie, Leur frère a bu le lait qui les devait nourrir. S'il éclot quelque chose au milieu de leur vie, Une petite fleur sous leur pâle gazon, Le sabot du vacher l'aura bientôt flétrie. Un rayon de soleil brille à leur horizon, Il fait beau dans leur âme ; à coup sûr, un nuage Avec un flot de pluie éteindra le rayon. L'espoir le mieux fondé, le projet le plus sage, Rien ne leur réussit ; tout les trompe et leur ment. Ils se perdent en mer sans quitter le rivage. L'aigle, pour le briser, du haut du firmament, Sur leur front découvert lâchera la tortue, Car ils doivent périr inévitablement. L'aigle manque son coup ; quelque vieille statue, Sans tremblement de terre, on ne sait pas pourquoi, Quitte son piédestal, les écrase et les tue. Le cœur qu'ils ont choisi ne garde pas sa foi ; Leur chien même les mord et leur donne la rage ; Un ami jurera qu'ils ont trahi le roi. Fils du Danube, ils vont se noyer dans le Tage ; D'un bout du monde à l'autre ils courent à leur mort ; Ils auraient pu du moins s'épargner le voyage ! Si dur qu'il soit, il faut qu'ils remplissent leur sort ; Nul n'y peut résister, et le genou d'Hercule Pour un pareil athlète est à peine assez fort. Après la vie obscure une mort ridicule ; Après le dur grabat, un cercueil sans repos Au bord d'un carrefour où la foule circule. Ils tombent inconnus de la mort des héros, Et quelque ambitieux, pour se hausser la taille, Se fait effrontément un socle de leurs os. Sur son trône d'airain, le Destin qui s'en raille Imbibe leur éponge avec du fiel amer, Et la Nécessité les tord dans sa tenaille. Tout buisson trouve un dard pour déchirer sa chair, Tout beau chemin pour eux cache une chausse-trappe, Et les chaînes de fleurs leur sont chaînes de fer. Si le tonnerre tombe, entre mille il les frappe ; Pour eux l'aveugle nuit semble prendre des yeux, Tout plomb vole à leur cœur, et pas un seul n'échappe. La tombe vomira leur fantôme odieux. Vivants, ils ont servi de bouc expiatoire ; Morts, ils seront bannis de la terre et des cieux. Cette histoire sinistre est votre propre histoire ; Ô mon âme ! Ô mon cœur ! Peut-être même, hélas ! La vôtre est-elle encore plus sinistre et plus noire. C'est une histoire simple où l'on ne trouve pas De grands événements et des malheurs de drame, Une douleur qui chante et fait un grand fracas ; Quelques fils bien communs en composent la trame, Et cependant elle est plus triste et sombre à voir Que celle qu'un poignard dénoue avec sa lame. Puisque rien ne vous veut, pourquoi donc tout vouloir ; Quand il vous faut mourir, pourquoi donc vouloir vivre, Vous qui ne croyez pas et n'avez pas d'espoir ? Ô vous que nul amour et que nul vin n'enivre, Frères désespérés, vous devez être prêts Pour descendre au néant où mon corps vous doit suivre ! Le néant a des lits et des ombrages frais. La mort fait mieux dormir que son frère Morphée, Et les pavots devraient jalouser les cyprès. Sous la cendre à jamais, dors, ô flamme étouffée ! Orgueil, courbe ton front jusque sur tes genoux, Comme un Scythe captif qui supporte un trophée. Cesse de te raidir contre le sort jaloux, Dans l'eau du noir Léthé plonge de bonne grâce, Et laisse à ton cercueil planter les derniers clous. Le sable des chemins ne garde pas ta trace, L'écho ne redit pas ta chanson, et le mur Ne veut pas se charger de ton ombre qui passe. Pour y graver un nom ton airain est bien dur, Ô Corinthe ! Et souvent froide et blanche Carrare, Le ciseau ne mord pas sur ton marbre si pur. Il faut un grand génie avec un bonheur rare Pour faire jusqu'au ciel monter son monument, Et de ce double don le destin est avare. Hélas ! Et le poète est pareil à l'amant, Car ils ont tous les deux leur maîtresse idéale, Quelque rêve chéri caressé chastement : Eldorado lointain, pierre philosophale Qu'ils poursuivent toujours sans l'atteindre jamais, Un astre impérieux, une étoile fatale. L'étoile fuit toujours, ils lui courent après ; Et, le matin venu, la lueur poursuivie, Quand ils la vont saisir, s'éteint dans un marais. C'est une belle chose et digne qu'on l'envie Que de trouver son rêve au milieu du chemin, Et d'avoir devant soi le désir de sa vie. Quel plaisir quand on voit briller le lendemain Le baiser du soleil aux frêles colonnades Du palais que la nuit éleva de sa main ! Il est beau qu'un plongeur, comme dans les ballades, Descende au gouffre amer chercher la coupe d'or Et perce, triomphant, les vitreuses arcades. Il est beau d'arriver où tendait votre essor, De trouver sa beauté, d'aborder à son monde, Et, quand on a fouillé, d'exhumer un trésor ; De faire, du plus creux de son âme profonde, Rayonner son idée ou bien sa passion ; D'être l'oiseau qui chante et la foudre qui gronde ; D'unir heureusement le rêve à l'action, D'aimer et d'être aimé, de gagner quand on joue, Et de donner un trône à son ambition ; D'arrêter, quand on veut, la Fortune et sa roue, Et de sentir, la nuit, quelque baiser royal Se suspendre en tremblant aux fleurs de votre joue. Ceux-là sont peu nombreux dans notre âge fatal. Polycrate aujourd'hui pourrait garder sa bague : Nul bonheur insolent n'ose appeler le mal. L'eau s'avance et nous gagne, et pas à pas la vague, Montant les escaliers qui mènent à nos tours, Mêle aux chants du festin son chant confus et vague. Les phoques monstrueux, traînant leurs ventres lourds, Viennent jusqu'à la table, et leurs larges mâchoires S'ouvrent avec des cris et des grognements sourds. Sur les autels déserts des basiliques noires, Les saints, désespérés et reniant leur Dieu, S'arrachent à pleins poings l'or chevelu des gloires. Le soleil désolé, penchant son œil de feu, Pleure sur l'univers une larme sanglante ; L'ange dit à la terre un éternel adieu. Rien ne sera sauvé, ni l'homme ni la plante ; L'eau recouvrira tout : la montagne et la tour ; Car la vengeance vient, quoique boiteuse et lente. Les plumes s'useront aux ailes du vautour, Sans qu'il trouve une place où rebâtir son aire, Et du monde vingt fois il refera le tour ; Puis il retombera dans cette eau solitaire Où le rond de sa chute ira s'élargissant : Alors tout sera dit pour cette pauvre terre. Rien ne sera sauvé, pas même l'innocent. Ce sera, cette fois, un déluge sans arche ; Les eaux seront les pleurs des hommes et leur sang. Plus de mont Ararat où se pose, en sa marche, Le vaisseau d'avenir qui cache en ses flancs creux Les trois nouveaux Adams et le grand patriarche ! Entendez-vous là-haut ces craquements affreux ? Le vieil Atlas, lassé, retire son épaule Au lourd entablement de ce ciel ténébreux. L'essieu du monde ploie ainsi qu'un brin de saule ; La terre ivre a perdu son chemin dans le ciel ; L'aimant déconcerté ne trouve plus son pôle. Le Christ, d'un ton railleur, tord l'éponge de fiel Sur les lèvres en feu du monde à l'agonie, Et Dieu, dans son Delta, rit d'un rire cruel. Quand notre passion sera-t-elle finie ? Le sang coule avec l'eau de notre flanc ouvert, La sueur rouge teint notre face jaunie. Assez comme cela ! Nous avons trop souffert ; De nos lèvres, Seigneur, détournez ce calice, Car pour nous racheter votre Fils s'est offert. Christ n'y peut rien : il faut que le sort s'accomplisse ; Pour sauver ce vieux monde il faut un Dieu nouveau, Et le prêtre demande un autre sacrifice. Voici bien deux mille ans que l'on saigne l'Agneau ; Il est mort à la fin, et sa gorge épuisée N'a plus assez de sang pour teindre le couteau. Le Dieu ne viendra pas. L'Église est renversée.
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Saints innocents
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Saints innocents Titre : Saints innocents Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Liturgies intimes (1892). Cruel Hérode, noir Péché, De tes sept glaives tu poursuis Les innocents, lesquels je suis Dans mes cinq sens, — et, qu'empêché Me voici pour, las ! me défendre ! L'argile dont Dieu les forma, Leur faiblesse à ces tristes sens Par quoi je suis les innocents Que l'on immole dans Rama, Trahissent leur âge trop tendre. Nulle fuite. Mais mon Sauveur, Assumant mon sort et ma mort, Vit en Égypte dont il sort À temps pour l'insigne faveur Qu'il me fait de donner sa vie Et sa pensée à mon bonheur Éternel, et, par l'action Sûre de l'absolution De son prêtre à lui, le Seigneur, Ressuscite ma chair ravie.
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Vers dorés
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Vers dorés Titre : Vers dorés Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Premiers vers (1864). L'art ne veut point de pleurs et ne transige pas, Voilà ma poétique en deux mots : elle est faite De beaucoup de mépris pour l'homme et de combats Contre l'amour criard et contre l'ennui bête. Je sais qu'il faut souffrir pour monter à ce faîte Et que la côte est rude à regarder d'en bas. Je le sais, et je sais aussi que maint poète A trop étroits les reins ou les poumons trop gras. Aussi ceux-là sont grands, en dépit de l'envie, Qui, dans l'âpre bataille ayant vaincu la vie Et s'étant affranchis du joug des passions, Tandis que le rêveur végète comme un arbre Et que s'agitent, - tas plaintif, - les nations, Se recueillent dans un égoïsme de marbre.
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Fuite en Sologne
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fuite en Sologne Titre : Fuite en Sologne Poète : Victor Hugo (1802-1885) Au poète Mérante. I. Ami, viens me rejoindre. Les bois sont innocents. Il est bon de voir poindre L'aube des paysans. Paris, morne et farouche, Pousse des hurlements Et se tord sous la douche Des noirs événements. Il revient, loi sinistre, Étrange état normal ! À l'ennui par le cuistre Et par le monstre au mal. II. J'ai fui ; viens. C'est dans l'ombre Que nous nous réchauffons. J'habite un pays sombre Plein de rêves profonds. Les récits de grand-mère Et les signes de croix Ont mis une chimère Charmante dans les bois. Ici, sous chaque porte, S'assied le fabliau, Nain du foyer qui porte Perruque in-folio. L'elfe dans les nymphées Fait tourner ses fuseaux ; Ici l'on a des fées Comme ailleurs des oiseaux. Le conte, aimé des chaumes, Trouve au bord des chemins, Parfois, un nid de gnomes Qu'il prend dans ses deux mains. Les follets sont des drôles Pétris d'ombre et d'azur Qui font au creux des saules Un flamboiement obscur. Le faune aux doigts d'écorce Rapproche par moments Sous la table au pied torse Les genoux des amants. Le soir un lutin cogne Aux plafonds des manoirs ; Les étangs de Sologne Sont de pâles miroirs. Les nénuphars des berges Me regardent la nuit ; Les fleurs semblent des vierges ; L'âme des choses luit. III. Cette bruyère est douce ; Ici le ciel est bleu, L'homme vit, le blé pousse Dans la bonté de Dieu. J'habite sous les chênes Frémissants et calmants ; L'air est tiède, et les plaines Sont des rayonnements. Je me suis fait un gîte D'arbres, sourds à nos pas ; Ce que le vent agite, L'homme ne l'émeut pas. Le matin, je sommeille Confusément encor. L'aube arrive vermeille Dans une gloire d'or. — Ami, dit la ramée, Il fait jour maintenant. — Une mouche enfermée M'éveille en bourdonnant. IV. Viens, loin des catastrophes, Mêler sous nos berceaux Le frisson de tes strophes Au tremblement des eaux. Viens, l'étang solitaire Est un poème aussi. Les lacs ont le mystère, Nos coeurs ont le souci. Tout comme l'hirondelle, La stance quelquefois Aime à mouiller son aile Dans la mare des bois. C'est, la tête inondée Des pleurs de la forêt, Que souvent le spondée À Virgile apparaît. C'est des sources, des îles, Du hêtre et du glaïeul Que sort ce tas d'idylles Dont Tityre est l'aïeul. Segrais, chez Pan son hôte, Fit un livre serein Où la grenouille saute Du sonnet au quatrain. Pendant qu'en sa nacelle Racan chantait Babet, Du bec de la sarcelle Une rime tombait. Moi, ce serait ma joie D'errer dans la fraîcheur D'une églogue où l'on voie Fuir le martin-pêcheur. L'ode même, superbe, Jamais ne renia Toute cette grande herbe Où rit Titania. Ami, l'étang révèle Et mêle, brin à brin, Une flore nouvelle Au vieil alexandrin. Le style se retrempe Lorsque nous le plongeons Dans cette eau sombre où rampe Un esprit sous les joncs. Viens, pour peu que tu veuilles Voir croître ton vers La sphaigne aux larges feuilles Et les grands roseaux verts.
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L'étranger
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : L'étranger Titre : L'étranger Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Le Spleen de Paris (1869). - Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ? - Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère. - Tes amis ? - Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu. - Ta patrie ? - J'ignore sous quelle latitude elle est située. - La beauté ? - Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle. - L'or ? - Je le hais comme vous haïssez Dieu. - Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? - J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !
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La mer est plus belle
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La mer est plus belle Titre : La mer est plus belle Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). La mer est plus belle Que les cathédrales, Nourrice fidèle, Berceuse de râles, La mer sur qui prie La Vierge Marie ! Elle a tous les dons Terribles et doux. J'entends ses pardons Gronder ses courroux. Cette immensité N'a rien d'entêté. Ô ! si patiente, Même quand méchante ! Un souffle ami hante La vague, et nous chante : « Vous sans espérance, Mourez sans souffrance ! » Et puis sous les cieux Qui s'y rient plus clairs, Elle a des airs bleus, Roses, gris et verts... Plus belle que tous, Meilleure que nous !
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À une jeune Italienne
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : À une jeune Italienne Titre : À une jeune Italienne Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Poésies diverses (1838-1845). Février grelottait blanc de givre et de neige ; La pluie, à flots soudains, fouettait l’angle des toits ; Et déjà tu disais : « Ô mon Dieu ! Quand pourrai-je Aller cueillir enfin la violette au bois ? » Notre ciel est pleureur, et le printemps de France, Frileux comme l’hiver, s’assied près des tisons ; Paris est dans la boue au beau mois où Florence Égrène ses trésors sous l’émail des gazons. Vois ! Les arbres noircis contournent leurs squelettes ; Ton âme s’est trompée à sa douce chaleur : Tes yeux bleus sont encore les seules violettes, Et le printemps ne rit que sur ta joue en fleur !
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Mon rêve familier
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Mon rêve familier Titre : Mon rêve familier Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend. Car elle me comprend, et mon coeur, transparent Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore. Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila. Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
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Hilaritas
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Hilaritas Titre : Hilaritas Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865). Chantez ; l'ardent refrain flamboie ; Jurez même, noble ou vilain ! Le chant est un verre de joie Dont le juron est le trop-plein. L'homme est heureux sous la tonnelle Quand il a bien empaqueté Son rhumatisme de flanelleEt sa sagesse de gaieté. Le rire est notre meilleure aile ; Il nous soutient quand nous tombons. Le philosophe indulgent mêle Les hommes gais aux hommes bons. Un mot gai suffit pour abattre. Ton fier courroux, ô grand Caton, L'histoire amnistie Henri quatre Protégé par Jarnicoton. Soyons joyeux, Dieu le désire. La joie aux hommes attendris Montre ses dents, et semble dire : Moi qui pourrais mordre, je ris.
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Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre Titre : Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre : La gueuse, de mon âme, emprunte tout son lustre ; Invisible aux regards de l'univers moqueur, Sa beauté ne fleurit que dans mon triste coeur. Pour avoir des souliers elle a vendu son âme. Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme, Je tranchais du Tartufe et singeais la hauteur, Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur. Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque. Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque ; Ce qui n'empêche pas les baisers amoureux. De pleuvoir sur son front plus pelé qu'un lépreux. Elle louche, et l'effet de ce regard étrange Qu'ombragent des cils noirs plus longs que ceux d'un ange, Est tel que tous les yeux pour qui l'on s'est damné Ne valent pas pour moi son oeil juif et cerné. Elle n'a que vingt ans ; - la gorge déjà basse Pend de chaque côté comme une calebasse, Et pourtant, me traînant chaque nuit sur son corps, Ainsi qu'un nouveau-né, je la tette et la mords, Et bien qu'elle n'ait pas souvent même une obole Pour se frotter la chair et pour s'oindre l'épaule, Je la lèche en silence avec plus de ferveur Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur. La pauvre créature, au plaisir essoufflée, A de rauques hoquets la poitrine gonflée, Et je devine au bruit de son souffle brutal Qu'elle a souvent mordu le pain de l'hôpital. Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle, Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle, Car, ayant trop ouvert son coeur à tous venants, Elle a peur sans lumière et croit aux revenants. Ce qui fait que de suif elle use plus de livres Qu'un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres, Et redoute bien moins la faim et ses tourments Que l'apparition de ses défunts amants. Si vous la rencontrez, bizarrement parée, Se faufilant, au coin d'une rue égarée, Et la tête et l'oeil bas comme un pigeon blessé, Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé, Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d'ordure Au visage fardé de cette pauvre impure Que déesse Famine a par un soir d'hiver, Contrainte à relever ses jupons en plein air. Cette bohème-là, c'est mon tout, ma richesse, Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse, Celle qui m'a bercé sur son giron vainqueur, Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon coeur.
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Théra
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Théra Titre : Théra Poète : Anatole France (1844-1924) Recueil : Les poèmes dorés (1873). Cette outre en peau de chèvre, ô buveur, est gonflée De l'esprit éloquent des vignes que Théra, Se tordant sur les flots, noire, déchevelée Étendit au puissant soleil qui les dora. Théra ne s'orne plus de myrtes ni d'yeuses, Ni de la verte absinthe agréable aux troupeaux, Depuis que, remplissant ses veines furieuses, Le feu plutonien l'agite sans repos. Son front grondeur se perd sous une rouge nue ; Des ruisseaux dévorants ouvrent ses mamelons ; Ainsi qu'une Bacchante, elle est farouche et nue, Et sur ses flancs intacts roule des pampres blonds.
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À la mère de l'enfant mort
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À la mère de l'enfant mort Titre : À la mère de l'enfant mort Poète : Victor Hugo (1802-1885) Oh ! vous aurez trop dit au pauvre petit ange Qu'il est d'autres anges là-haut, Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n'y change, Qu'il est doux d'y rentrer bientôt ; Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres, Une tente aux riches couleurs, Un jardin bleu rempli de lis qui sont des astres, Et d'étoiles qui sont des fleurs ; Que c'est un lieu joyeux plus qu'on ne saurait dire, Où toujours, se laissant charmer, On a les chérubins pour jouer et pour rire, Et le bon Dieu pour nous aimer ; Qu'il est doux d'être un coeur qui brûle comme un cierge, Et de vivre, en toute saison, Près de l'enfant Jésus et de la sainte Vierge Dans une si belle maison ! Et puis vous n'aurez pas assez dit, pauvre mère, A ce fils si frêle et si doux, Que vous étiez à lui dans cette vie amère, Mais aussi qu'il était à vous ; Que, tant qu'on est petit, la mère sur nous veille, Mais que plus tard on la défend ; Et qu'elle aura besoin, quand elle sera vieille, D'un homme qui soit son enfant ; Vous n'aurez point assez dit à cette jeune âme Que Dieu veut qu'on reste ici-bas, La femme guidant l'homme et l'homme aidant la femme, Pour les douleurs et les combats ; Si bien qu'un jour, ô deuil ! irréparable perte ! Le doux être s'en est allé !... - Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte, Que votre oiseau s'est envolé ! Avril 1843.
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La bonne journée
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La bonne journée Titre : La bonne journée Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Ce jour, je l'ai passé ployé sur mon pupitre, Sans jeter une fois l'œil à travers la vitre. Par Apollo ! Cent vers ! Je devrais être las ; On le serait à moins ; mais je ne le suis pas. Je ne sais quelle joie intime et souveraine Me fait le regard vif et la face sereine ; Comme après la rosée une petite fleur, Mon front se lève en haut avec moins de pâleur ; Un sourire d'orgueil sur mes lèvres rayonne, Et mon souffle pressé plus fortement résonne. J'ai rempli mon devoir comme un brave ouvrier. Rien ne m'a pu distraire ; en vain mon lévrier, Entre mes deux genoux posant sa longue tête, Semblait me dire : « En chasse ! » en vain d'un air de fête Le ciel tout bleu dardait, par le coin du carreau, Un filet de soleil jusque sur mon bureau ; Près de ma pipe, en vain, ma joyeuse bouteille M'étalait son gros ventre et souriait vermeille ; En vain ma bien-aimée, avec son beau sein nu, Se penchait en riant de son rire ingénu, Sur mon fauteuil gothique, et dans ma chevelure Répandait les parfums de son haleine pure. Sourd comme saint Antoine à la tentation, J'ai poursuivi mon œuvre avec religion, L'œuvre de mon amour qui, mort, me fera vivre ; Et ma journée ajoute un feuillet à mon livre.
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À mon ami Alfred T
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À mon ami Alfred T Titre : À mon ami Alfred T Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Dans mes jours de malheur, Alfred, seul entre mille, Tu m'es resté fidèle où tant d'autres m'ont fui. Le bonheur m'a prêté plus d'un lien fragile ; Mais c'est l'adversité qui m'a fait un ami. C'est ainsi que les fleurs sur les coteaux fertiles Etalent au soleil leur vulgaire trésor ; Mais c'est au sein des nuits, sous des rochers stériles, Que fouille le mineur qui cherche un rayon d'or. C'est ainsi que les mers calmes et sans orages Peuvent d'un flot d'azur bercer le voyageur ; Mais c'est le vent du nord, c'est le vent des naufrages Qui jette sur la rive une perle au pêcheur. Maintenant Dieu me garde ! Où vais-je ? Eh ! que m'importe ? Quels que soient mes destins, je dis comme Byron : "L'Océan peut gronder, il faudra qu'il me porte." Si mon coursier s'abat, j'y mettrai l'éperon. Mais du moins j'aurai pu, frère, quoi qu'il m'arrive, De mon cachet de deuil sceller notre amitié, Et, que demain je meure ou que demain je vive, Pendant que mon coeur bat, t'en donner la moitié.
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Ô nature chérie
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Ô nature chérie Titre : Ô nature chérie Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Ne me sois pas marâtre, ô nature chérie, Redonne un peu de sève à la plante flétrie Qui ne veut pas mourir ; Les torrents de mes yeux ont noyé sous leur pluie Son bouton tout rongé que nul soleil n'essuie Et qui ne peut s'ouvrir. Air vierge, air de cristal, eau, principe du monde, Terre qui nourris tout, et toi, flamme féconde, Rayon de l'oeil de Dieu, Ne laissez pas mourir, vous qui donnez la vie, La pauvre fleur qui penche et qui n'a d'autre envie Que de fleurir un peu ! Étoiles, qui d'en haut voyez valser les mondes, Faites pleuvoir sur moi, de vos paupières blondes, Vos pleurs de diamant ; Lune, lis de la nuit, fleur du divin parterre, Verse-moi tes rayons, ô blanche solitaire, Du fond du firmament ! Oeil ouvert sans repos au milieu de l'espace, Perce, soleil puissant, ce nuage qui passe ! Que je te voie encor, Aigles, vous qui fouettez le ciel à grands coups d'ailes, Griffons au vol de feu, rapides hirondelles, Prêtez-moi votre essor ! Vents, qui prenez aux fleurs leurs âmes parfumées Et les aveux d'amour aux bouches bien-aimées ; Air sauvage des monts, Encor tout imprégné des senteurs du mélèze, Brise de l'océan où l'on respire à l'aise, Emplissez mes poumons ! Avril, pour m'y coucher, m'a fait un tapis d'herbe ; Le lilas sur mon front s'épanouit en gerbe, Nous sommes au printemps. Prenez-moi dans vos bras, doux rêves du poète, Entre vos seins polis posez ma pauvre tête Et bercez-moi longtemps. Loin de moi, cauchemars, spectres des nuits ! Les roses, Les femmes, les chansons, toutes les belles choses Et tous les beaux amours, Voilà ce qu'il me faut. Salut, ô muse antique, Muse au frais laurier vert, à la blanche tunique, Plus jeune tous les jours ! Brune aux yeux de lotus, blonde à paupière noire, Ô grecque de Milet, sur l'escabeau d'ivoire Pose tes beaux pieds nus, Que d'un nectar vermeil la coupe se couronne ! Je bois à ta beauté d'abord, blanche Théone, Puis aux dieux inconnus. Ta gorge est plus lascive et plus souple que l'onde ; Le lait n'est pas si pur et la pomme est moins ronde, Allons, un beau baiser ! Hâtons-nous, hâtons-nous ! Notre vie, ô Théone, Est un cheval ailé que le temps éperonne ; Hâtons-nous d'en user. Chantons Io, péan ! ... mais quelle est cette femme Si pâle sous son voile ? Ah ! C'est toi, vieille infâme ! Je vois ton crâne ras, Je vois tes grands yeux creux, prostituée immonde, Courtisane éternelle environnant le monde Avec tes maigres bras !
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Les souhaits
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Les souhaits Titre : Les souhaits Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Si quelque jeune fée à l'aile de saphir, Sous une sombre et fraîche arcade, Blanche comme un reflet de la perle d'Ophir, Surgissait à mes yeux, au doux bruit du zéphyr, De l'écume de la cascade, Me disant : « Que veux-tu ? larges coffres pleins d'or, Palais immenses, pierreries ? Parle ; mon art est grand. Te faut-il plus encor ? Je te le donnerai ; je puis faire un trésor D'un vil monceau d'herbes flétries ! » Je lui dirais : « Je veux un ciel riant et pur Réfléchi par un lac limpide, Je veux un beau soleil qui luise dans l'azur, Sans que jamais brouillard, vapeur, nuage obscur Ne voile son orbe splendide ; « Et pour bondir sous moi je veux un cheval blanc, Enfant léger de l'Arabie, À la crinière longue, à l'œil étincelant, Et, comme l'hippogriffe, en une heure volant De la Norwège à la Nubie ; « Je veux un kiosque rouge, aux minarets dorés, Aux minces colonnes d'albâtre, Aux fantasques arceaux d'œufs pendant décorés, Aux murs de mosaïque, aux vitraux colorés Par où se glisse un jour bleuâtre ; « Et quand il fera chaud, je veux un bois mouvant De sycomores et d'yeuses, Qui me suive partout au souffle d'un doux vent, Comme un grand éventail sans cesse soulevant Ses masses de feuilles soyeuses. « Je veux une tartane avec ses matelots, Ses cordages, ses blanches voiles Et son corset de cuivre où se brisent les flots, Qui me berce le long de verdoyants îlots Aux molles lueurs des étoiles. « Je veux, soir et matin, m'éveiller, m'endormir Au son de voix italiennes, Et pendant tout le jour entendre au loin frémir Le murmure plaintif des eaux du Bendemir, Ou des harpes éoliennes ; « Et je veux, les seins nus, une Almée agitant Son écharpe de cachemire Au-dessus de son front de rubis éclatant, Des spahis, un harem, comme un riche sultan Ou de Bagdad ou de Palmyre. « Je veux un sabre turc, un poignard indien Dont le manche de saphirs brille ; Mais surtout je voudrais un cœur fait pour le mien, Qui le sentît, l'aimât, et qui le comprît bien, Un cœur naïf de jeune fille ! »
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Les sept vieillards
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les sept vieillards Titre : Les sept vieillards Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) À Victor Hugo. Fourmillante cité, cité pleine de rêves, Où le spectre en plein jour raccroche le passant ! Les mystères partout coulent comme des sèves Dans les canaux étroits du colosse puissant. Un matin, cependant que dans la triste rue Les maisons, dont la brume allongeait la hauteur, Simulaient les deux quais d'une rivière accrue, Et que, décor semblable à l'âme de l'acteur, Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace, Je suivais, roidissant mes nerfs comme un héros Et discutant avec mon âme déjà lasse, Le faubourg secoué par les lourds tombereaux. Tout à coup, un vieillard dont les guenilles jaunes, Imitaient la couleur de ce ciel pluvieux, Et dont l'aspect aurait fait pleuvoir les aumônes, Sans la méchanceté qui luisait dans ses yeux, M'apparut. On eût dit sa prunelle trempée Dans le fiel ; son regard aiguisait les frimas, Et sa barbe à longs poils, roide comme une épée, Se projetait, pareille à celle de Judas. Il n'était pas voûté, mais cassé, son échine Faisant avec sa jambe un parfait angle droit, Si bien que son bâton, parachevant sa mine, Lui donnait la tournure et le pas maladroit D'un quadrupède infirme ou d'un juif à trois pattes. Dans la neige et la boue il allait s'empêtrant, Comme s'il écrasait des morts sous ses savates, Hostile à l'univers plutôt qu'indifférent. Son pareil le suivait : barbe, oeil, dos, bâton, loques, Nul trait ne distinguait, du même enfer venu, Ce jumeau centenaire, et ces spectres baroques Marchaient du même pas vers un but inconnu. A quel complot infâme étais-je donc en butte, Ou quel méchant hasard ainsi m'humiliait ? Car je comptai sept fois, de minute en minute, Ce sinistre vieillard qui se multipliait ! Que celui-là qui rit de mon inquiétude, Et qui n'est pas saisi d'un frisson fraternel, Songe bien que malgré tant de décrépitude Ces sept monstres hideux avaient l'air éternel ! Aurais-je, sans mourir, contemplé le huitième. Sosie inexorable, ironique et fatal, Dégoûtant Phénix, fils et père de lui-même ? - Mais je tournai le dos au cortège infernal. Exaspéré comme un ivrogne qui voit double, Je rentrai, je fermai ma porte, épouvanté, Malade et morfondu, l'esprit fiévreux et trouble, Blessé par le mystère et par l'absurdité ! Vainement ma raison voulait prendre la barre ; La tempête en jouant déroutait ses efforts, Et mon âme dansait, dansait, vieille gabarre Sans mâts, sur une mer monstrueuse et sans bords !
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Les yeux de Berthe
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les yeux de Berthe Titre : Les yeux de Berthe Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Vous pouvez mépriser les yeux les plus célèbres, Beaux yeux de mon enfant, par où filtre et s'enfuit Je ne sais quoi de bon, de doux comme la Nuit ! Beaux yeux, versez sur moi vos charmantes ténèbres ! Grands yeux de mon enfant, arcanes adorés, Vous ressemblez beaucoup à ces grottes magiques Où, derrière l'amas des ombres léthargiques, Scintillent vaguement des trésors ignorés ! Mon enfant a des yeux obscurs, profonds et vastes Comme toi, Nuit immense, éclairés comme toi ! Leurs feux sont ces pensers d'Amour, mêlés de Foi, Qui pétillent au fond, voluptueux ou chastes.
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La poésie sacrée
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : La poésie sacrée Titre : La poésie sacrée Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) DITHYRAMBE. À M. Eugène de Genoude. Son front est couronné de palmes et d'étoiles ; Son regard immortel, que rien ne peut ternir, Traversant tous les temps, soulevant tous les voiles, Réveille le passé, plonge dans l'avenir ! Du monde sous ses yeux ses fastes se déroulent, Les siècles à ses pieds comme un torrent s'écoulent ; A son gré descendant ou remontant leurs cours, Elle sonne aux tombeaux l'heure, l'heure fatale, Ou sur sa lyre virginale Chante au monde vieilli ce jour, père des jours ! ------ Ecoutez ! - Jéhova s'élance Du sein de son éternité. Le chaos endormi s'éveille en sa présence, Sa vertu le féconde, et sa toute-puissance Repose sur l'immensité ! Dieu dit, et le jour fut; Dieu dit, et les étoiles De la nuit éternelle éclaircirent les voiles ; Tous les éléments divers A sa voix se séparèrent ; Les eaux soudain s'écoulèrent Dans le lit creusé des mers ; Les montagnes s'élevèrent, Et les aquilons volèrent Dans les libres champs des airs ! Sept fois de Jéhova la parole féconde Se fit entendre au monde, Et sept fois le néant à sa voix répondit ; Et Dieu dit : Faisons l'homme à ma vivante image. Il dit, l'homme naquit; à ce dernier ouvrage Le Verbe créateur s'arrête et s'applaudit ! ------ Mais ce n'est plus un Dieu ! - C'est l'homme qui soupire Eden a fui !... voilà le travail et la mort ! Dans les larmes sa voix expire ; La corde du bonheur se brise sur sa lyre, Et Job en tire un son triste comme le sort. ------ Ah ! périsse à jamais le jour qui m'a vu naître ! Ah ! périsse à jamais la nuit qui m'a conçu ! Et le sein qui m'a donné l'être, Et les genoux qui m'ont reçu ! Que du nombre des jours Dieu pour jamais l'efface ; Que, toujours obscurci des ombres du trépas, Ce jour parmi les jours ne trouve plus sa place, Qu'il soit comme s'il n'était pas ! Maintenant dans l'oubli je dormirais encore, Et j'achèverais mon sommeil Dans cette longue nuit qui n'aura point d'aurore, Avec ces conquérants que la terre dévore, Avec le fruit conçu qui meurt avant d'éclore Et qui n'a pas vu le soleil. Mes jours déclinent comme l'ombre ; Je voudrais les précipiter. O mon Dieu ! retranchez le nombre Des soleils que je dois compter ! L'aspect de ma longue infortune Eloigne, repousse, importune Mes frères lassés de mes maux ; En vain je m'adresse à leur foule, Leur pitié m'échappe et s'écoule Comme l'onde au flanc des coteaux. Ainsi qu'un nuage qui passe, Mon printemps s'est évanoui ; Mes yeux ne verront plus la trace De tous ces biens dont j'ai joui. Par le souffle de la colère, Hélas ! arraché à la terre, Je vais d'où l'on ne revient pas ! Mes vallons, ma propre demeure, Et cet oeil même qui me pleure, Ne reverront jamais mes pas ! L'homme vit un jour sur la terre Entre la mort et la douleur ; Rassasié de sa misère, Il tombe enfin comme la fleur ; Il tombe ! Au moins par la rosée Des fleurs la racine arrosée Peut-elle un moment refleurir ! Mais l'homme, hélas!, après la vie, C'est un lac dont l'eau s'est enfuie : On le cherche, il vient de tarir. Mes jours fondent comme la neige Au souffle du courroux divin ; Mon espérance, qu'il abrège, S'enfuit comme l'eau de ma main ; Ouvrez-moi mon dernier asile ; Là, j'ai dans l'ombre un lit tranquille, Lit préparé pour mes douleurs ! O tombeau ! vous êtes mon père ! Et je dis aux vers de la terre : Vous êtes ma mère et mes sœurs ! Mais les jours heureux de l'impie Ne s'éclipsent pas au matin ; Tranquille, il prolonge sa vie Avec le sang de l'orphelin ! Il étend au loin ses racines ; Comme un troupeau sur les collines, Sa famille couvre Ségor ; Puis dans un riche mausolée Il est couché dans la vallée, Et l'on dirait qu'il vit encor. C'est le secret de Dieu, je me tais et l'adore ! C'est sa main qui traça les sentiers de l'aurore, Qui pesa l'Océan, qui suspendit les cieux ! Pour lui, l'abîme est nu, l'enfer même est sans voiles ! Il a fondé la terre et semé les étoiles ! Et qui suis-je à ses yeux ? ------ Mais la harpe a frémi sous les doigts d'Isaïe ; De son sein bouillonnant la menace à longs flots S'échappe ; un Dieu l'appelle, il s'élance, il s'écrie : Cieux et terre, écoutez ! silence au fils d'Amos ! ------ Osias n'était plus : Dieu m'apparut; je vis Adonaï vêtu de gloire et d'épouvante ! Les bords éblouissants de sa robe flottante Remplissaient le sacré parvis ! Des séraphins debout sur des marches d'ivoire Se voilaient devant lui de six ailes de feux ; Volant de l'un à l'autre, ils se disaient entre eux : Saint, saint, saint, le Seigneur, le Dieu, le roi des dieux ! Toute la terre est pleine de sa gloire ! Du temple à ces accents la voûte s'ébranla, Adonaï s'enfuit sous la nue enflammée : Le saint lieu fut rempli de torrents de fumée. La terre sous mes pieds trembla ! Et moi ! je resterais dans un lâche silence ! Moi qui t'ai vu, Seigneur, je n'oserais parler ! A ce peuple impur qui t'offense Je craindrais de te révéler ! Qui marchera pour nous ? dit le Dieu des armées. Qui parlera pour moi ? dit Dieu : Qui ? moi, Seigneur ! Touche mes lèvres enflammées ! Me voilà ! je suis prêt !... malheur ! Malheur à vous qui dès l'aurore Respirez les parfums du vin ! Et que le soir retrouve encore Chancelants aux bords du festin ! Malheur à vous qui par l'usure Etendez sans fin ni mesure La borne immense de vos champs ! Voulez-vous donc, mortels avides, Habiter dans vos champs arides, Seuls, sur la terre des vivants ? Malheur à vous, race insensée ! Enfants d'un siècle audacieux, Qui dites dans votre pensée : Nous sommes sages à nos yeux : Vous changez ma nuit en lumière, Et le jour en ombre grossière Où se cachent vos voluptés ! Mais, comme un taureau dans la plaine, Vous traînez après vous la chaîne Des vos longues iniquités ! Malheur à vous, filles de l'onde ! Iles de Sydon et de Tyr ! Tyrans ! qui trafiquez du monde Avec la pourpre et l'or d'Ophyr ! Malheur à vous ! votre heure sonne ! En vain l'Océan vous couronne, Malheur à toi, reine des eaux, A toi qui, sur des mers nouvelles, Fais retentir comme des ailes Les voiles de mille vaisseaux ! Ils sont enfin venus les jours de ma justice ; Ma colère, dit Dieu, se déborde sur vous ! Plus d'encens, plus de sacrifice Qui puisse éteindre mon courroux ! Je livrerai ce peuple à la mort, au carnage ; Le fer moissonnera comme l'herbe sauvage Ses bataillons entiers ! - Seigneur ! épargnez-nous ! Seigneur ! - Non, point de trêve, Et je ferai sur lui ruisseler de mon glaive Le sang de ses guerriers ! Ses torrents sécheront sous ma brûlante haleine ; Ma main nivellera, comme une vaste plaine, Ses murs et ses palais ; Le feu les brûlera comme il brûle le chaume. Là, plus de nation, de ville, de royaume ; Le silence à jamais ! Ses murs se couvriront de ronces et d'épines ; L'hyène et le serpent peupleront ses ruines ; Les hiboux, les vautours, L'un l'autre s'appelant durant la nuit obscure, Viendront à leurs petits porter la nourriture Au sommet de ses tours ! ------ Mais Dieu ferme à ces mots les lèvres d'Isaïe ; Le sombre Ezéchiel Sur le tronc desséché de l'ingrat Israël Fait descendre à son tour la parole de vie. ------ L'Eternel emporta mon esprit au désert : D'ossements desséchés le sol était couvert ; J'approche en frissonnant; mais Jéhova me crie : Si je parle à ces os, reprendront-ils la vie ? - Eternel, tu le sais ! - Eh bien! dit le Seigneur, Ecoute mes accents ! retiens-les et dis-leur : Ossements desséchés ! insensible poussière ! Levez-vous ! recevez l'esprit et la lumière ! Que vos membres épars s'assemblent à ma voix ! Que l'esprit vous anime une seconde fois ! Qu'entre vos os flétris vos muscles se replacent ! Que votre sang circule et vos nerfs s'entrelacent ! Levez-vous et vivez, et voyez qui je suis ! J'écoutai le Seigneur, j'obéis et je dis : Esprits, soufflez sur eux du couchant, de l'aurore ; Soufflez de l'aquilon, soufflez !... Pressés d'éclore, Ces restes du tombeau, réveillés par mes cris, Entrechoquent soudain leurs ossements flétris ; Aux clartés du soleil leur paupière se rouvre, Leurs os sont rassemblés, et la chair les recouvre ! Et ce champ de la mort tout entier se leva, Redevint un grand peuple, et connut Jéhova ! ------ Mais Dieu de ses enfants a perdu la mémoire ; La fille de Sion, méditant ses malheurs, S'assied en soupirant, et, veuve de sa gloire, Ecoute Jérémie, et retrouve des pleurs. ------ Le seigneur, m'accablant du poids de sa colère, Retire tour à tour et ramène sa main ; Vous qui passez par le chemin, Est-il une misère égale à ma misère ? En vain ma voix s'élève, il n'entend plus ma voix ; Il m'a choisi pour but de ses flèches de flamme, Et tout le jour contre mon âme Sa fureur a lancé les fils de son carquois ! Sur mes os consumés ma peau s'est desséchée ; Les enfants m'ont chanté dans leurs dérisions ; Seul, au milieu des nations, Le Seigneur m'a jeté comme une herbe arrachée. Il s'est enveloppé de son divin courroux ; Il a fermé ma route, il a troublé ma voie ; Mon sein n'a plus connu la joie, Et j'ai dit au Seigneur : Seigneur, souvenez-vous, Souvenez-vous, Seigneur, de ces jours de colère ; Souvenez-vous du fiel dont vous m'avez nourri ; Non, votre amour n'est point tari : Vous me frappez, Seigneur, et c'est pourquoi j'espère. Je repasse en pleurant ces misérables jours ; J'ai connu le Seigneur dès ma plus tendre aurore : Quand il punit, il aime encore ; Il ne s'est pas, mon âme, éloigné pour toujours. Heureux qui le connaît ! heureux qui dès l'enfance Porta le joug d'un Dieu, clément dans sa rigueur ! Il croit au salut du Seigneur, S'assied au bord du fleuve et l'attend en silence. Il sent peser sur lui ce joug de votre amour ; Il répand dans la nuit ses pleurs et sa prière, Et la bouche dans la poussière, Il invoque, il espère, il attend votre jour. ------ Silence, ô lyre ! et vous silence, Prophètes, voix de l'avenir ! Tout l'univers se tait d'avance Devant celui qui doit venir ! Fermez-vous, lèvres inspirées ; Reposez-vous, harpes sacrées, Jusqu'au jour où sur les hauts lieux Une voix au monde inconnue, Fera retentir dans la nue : PAIX A LA TERRE, ET GLOIRE AUX CIEUX !
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