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La chambre double | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : La chambre double
Titre : La chambre double
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l'atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu.
L'âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. — C'est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse.
Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les meubles ont l'air de rêver ; on les dirait doués d'une vie somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants.
Sur les murs nulle abomination artistique. Relativement au rêve pur, à l'impression non analysée, l'art défini, l'art positif est un blasphème. Ici, tout a la suffisante clarté et la délicieuse obscurité de l'harmonie.
Une senteur infinitésimale du choix le plus exquis, à laquelle se mêle une très-légère humidité, nage dans cette atmosphère, où l'esprit sommeillant est bercé par des sensations de serre-chaude.
La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et devant le lit ; elle s'épanche en cascades neigeuses. Sur ce lit est couchée l'Idole, la souveraine des rêves. Mais comment est-elle ici ? Qui l'a amenée ? quel pouvoir magique l'a installée sur ce trône de rêverie et de volupté ? Qu'importe ? la voilà ! je la reconnais.
Voilà bien ces yeux dont la flamme traverse le crépuscule ; ces subtiles et terribles mirettes, que je reconnais à leur effrayante malice ! Elles attirent, elles subjuguent, elles dévorent le regard de l'imprudent qui les contemple. Je les ai souvent étudiées, ces étoiles noires qui commandent la curiosité et l'admiration.
À quel démon bienveillant dois-je d'être ainsi entouré de mystère, de silence, de paix et de parfums ? Ô béatitude ! ce que nous nommons généralement la vie, même dans son expansion la plus heureuse, n'a rien de commun avec cette vie suprême dont j'ai maintenant connaissance et que je savoure minute par minute, seconde par seconde !
Non ! il n'est plus de minutes, il n'est plus de secondes ! Le temps a disparu ; c'est l'Éternité qui règne, une éternité de délices !
Mais un coup terrible, lourd, a retenti à la porte, et, comme dans les rêves infernaux, il m'a semblé que je recevais un coup de pioche dans l'estomac.
Et puis un Spectre est entré. C'est un huissier qui vient me torturer au nom de la loi ; une infâme concubine qui vient crier misère et ajouter les trivialités de sa vie aux douleurs de la mienne ; ou bien le saute-ruisseau d'un directeur de journal qui réclame la suite du manuscrit.La chambre paradisiaque, l'idole, la souveraine des rêves, la Sylphide, comme disait le grand René, toute cette magie a disparu au coup brutal frappé par le Spectre.
Horreur ! je me souviens ! je me souviens ! Oui ! ce taudis, ce séjour de l'éternel ennui, est bien le mien. Voici les meubles sots, poudreux, écornés ; la cheminée sans flamme et sans braise, souillée de crachats ; les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière ; les manuscrits, raturés ou incomplets ; l'almanach où le crayon a marqué les dates sinistres !
Et ce parfum d'un autre monde, dont je m'enivrais avec une sensibilité perfectionnée, hélas ! il est remplacé par une fétide odeur de tabac mêlée à je ne sais quelle nauséabonde moisissure. On respire ici maintenant le ranci de la désolation.
Dans ce monde étroit, mais si plein de dégoût, un seul objet connu me sourit : la fiole de laudanum ; une vieille et terrible amie ; comme toutes les amies, hélas ! féconde en caresses et en traîtrises.
Oh ! oui ! Le Temps a reparu ; Le Temps règne en souverain maintenant ; et avec le hideux vieillard est revenu tout son démoniaque cortége de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs, d'Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses.
Je vous assure que les secondes maintenant sont fortement et solennellement accentuées, et chacune, en jaillissant de la pendule, dit : — « Je suis la Vie, l'insupportable, l'implacable Vie ! »
Il n'y a qu'une Seconde dans la vie humaine qui ait mission d'annoncer une bonne nouvelle, la bonne nouvelle qui cause à chacun une inexplicable peur.
Oui ! le Temps règne ; il a repris sa brutale dictature. Et il me pousse, comme si j'étais un bœuf, avec son double aiguillon. — « Et hue donc ! bourrique ! Sue donc, esclave ! Vis donc, damné ! » | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-la-chambre-double.php | charles-baudelaire-poeme-la-chambre-double |
À la Pologne | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : À la Pologne
Titre : À la Pologne
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Poésies posthumes (1888).
Jusqu'au jour, ô Pologne ! où tu nous montreras
Quelque désastre affreux, comme ceux de la Grèce,
Quelque Missolonghi d'une nouvelle espèce,
Quoi que tu puisses faire, on ne te croira pas.
Battez-vous et mourez, braves gens. — L'heure arrive.
Battez-vous ; la pitié de l'Europe est tardive ;
Il lui faut des levains qui ne soient point usés.
Battez-vous et mourez, car nous sommes blasés ! | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-a-la-pologne.php | alfred-de-musset-poeme-a-la-pologne |
Et maintenant aux Fesses ! | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Et maintenant aux Fesses !
Titre : Et maintenant aux Fesses !
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Et maintenant, aux Fesses !
Je veux que tu confesses,
Muse, ces miens trésors
Pour quels — et tu t'y fies —
Je donnerais cent vies
Et, riche, tous mes ors
Avec un tas d'encors.
Mais avant la cantate
Que mes âme et prostate
Et mon sang en arrêt
Vont dire à la louange
De son cher Cul que l'ange,
O déchu ! saluerait,
Puis il l'adorerait,
Posons de lentes lèvres
Sur les délices mièvres
Du dessous des genoux,
Souple papier de Chine,
Fins tendons, ligne fine
Des veines sans nul pouls
Sensible, il est si doux !
Et maintenant, aux Fesses !
Déesses de déesses,
Chair de chair, beau de beau.
Seul beau qui nous pénètre
Avec les seins, peut-être.
D'émoi toujours nouveau,
Pulpe dive, alme peau !
Elles sont presques ovales,
Presque rondes. Opales,
Ambres, roses (très peu)
S'y fondent, s'y confondent
En blanc mat que répondent
Les noirs, roses par jeu,
De la raie au milieu.
Déesses de déesses !
Du repos en liesses,
De la calme gaîté,
De malines fossettes
Ainsi que des risettes,
Quelque perversité
Dans que de majesté... !
Et quand l'heure est sonnée
D'unir ma destinée
A Son Destin fêté,
Je puis aller sans crainte
Et bien tenter l'étreinte
Devers l'autre côté :
Leur concours m'est prêté.
Je me dresse et je presse
Et l'une et l'autre fesse
Dans mes heureuses mains.
Toute leur ardeur donne,
Leur vigueur est la bonne
Pour aider aux hymens
Des soirs aux lendemains...
Ce sont les reins ensuite,
Amples, nerveux qu'invite
L'amour aux seuls élans
Qu'il faille dans ce monde,
C'est le dos gras et monde,
Satin tiède, éclairs blancs.
Ondulements troublants.
Et c'est enfin la nuque
Qu'il faudrait être eunuque
Pour n'avoir de frissons,
La nuque damnatrice,
Folle dominatrice
Aux frisons polissons
Que nous reconnaissons.
Ô nuque proxénète,
Vaguement déshonnête
Et chaste vaguement,
Frisons, joli symbole
Des voiles de l'Idole
De ce temple charmant,
Frisons chers doublement ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-et-maintenant-aux-fesses.php | paul-verlaine-poeme-et-maintenant-aux-fesses |
Le Rhin | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : Le Rhin
Titre : Le Rhin
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Poésies posthumes (1888).
Sonnet.
Ô Rhin, sais-tu pourquoi les amants insensés,
Abandonnant leur âme aux tendres rêveries,
Par tes bois verdoyants, par tes larges prairies
S'en vont par leur folie incessamment poussés ?
Sais-tu pourquoi jamais les tristes railleries,
Les exemples d'hier, ni ceux des temps passés,
De tes monts adorés, de tes rives chéries,
Ne les ont fait descendre et ne les ont chassés ?
C'est que, dans tous les temps, ceux que l'homme sépare
Et que Dieu réunit iront chercher les bois,
Et des vastes torrents écouteront les voix.
L'homme libre viendra, loin d'un monde barbare,
Sur les rocs et les monts, comme au pied d'un autel,
Protester contre l'homme en regardant le ciel. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-le-rhin.php | alfred-de-musset-poeme-le-rhin |
L'invitation au voyage | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : L'invitation au voyage
Titre : L'invitation au voyage
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté. | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-l-invitation-au-voyage.php | charles-baudelaire-poeme-l-invitation-au-voyage |
Printemps marin | Auguste Angellier (1848-1911) | Poésie : Printemps marin
Titre : Printemps marin
Poète : Auguste Angellier (1848-1911)
Les premiers azurs printaniers
Reculent au loin les écumes
Des flots verts, longtemps prisonniers
Sous les brouillards gris et les brumes ;
Les mouettes, de nouveau blanches,
S'entrecroisent dans le ciel pur ;
Les falaises, en lignes franches,
Redressent dans l'air leur grand mur,
Dont hier encor le contour,
Presque effacé par les nuées,
Flottait confusément autour
De leurs pentes diminuées ;
Les dunes blondes reparaissent ;
Et même le vieux cap lointain
Nos yeux surpris le reconnaissent,
Encor sombre et presque indistinct.
Les matelots sortant du port
Tournent un plus joyeux visage
Vers leurs femmes qui, sur le bord,
Crient des souhaits d'heureux voyage ;
Et, dans les flancs vitreux de Fonde
Entrant en lumineux frissons,
Le soleil réveille et féconde
Les amours obscurs des poissons. | https://www.poesie-francaise.fr/auguste-angellier/poeme-printemps-marin.php | auguste-angellier-poeme-printemps-marin |
Chanson de Fortunio | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : Chanson de Fortunio
Titre : Chanson de Fortunio
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Poésies nouvelles (1850).
Si vous croyez que je vais dire
Qui j'ose aimer,
Je ne saurais, pour un empire,
Vous la nommer.
Nous allons chanter à la ronde,
Si vous voulez,
Que je l'adore et qu'elle est blonde
Comme les blés.
Je fais ce que sa fantaisie
Veut m'ordonner,
Et je puis, s'il lui faut ma vie,
La lui donner.
Du mal qu'une amour ignorée
Nous fait souffrir,
J'en porte l'âme déchirée
Jusqu'à mourir.
Mais j'aime trop pour que je die
Qui j'ose aimer,
Et je veux mourir pour ma mie
Sans la nommer. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-chanson-de-fortunio.php | alfred-de-musset-poeme-chanson-de-fortunio |
L'autographe | Anatole France (1844-1924) | Poésie : L'autographe
Titre : L'autographe
Poète : Anatole France (1844-1924)
Recueil : Revue L'Artiste (1870).
À Étienne Charavay.
Cette feuille soupire une étrange élégie,
Car la reine d'Écosse aux lèvres de carmin
Qui récitait Ronsard et le Missel romain,
A mis là pour jamais un peu de sa magie.
La Reine blonde avec sa débile énergie
Signa Marie au bas de ce vieux parchemin,
Et le feuillet pensif a tiédi sous sa main
Que bleuissait un sang fier et prompt à l'orgie.
Là de merveilleux doigts de femme sont passés
Tout empreints du parfum des cheveux caressés
Dans le royal orgueil d'un sanglant adultère.
J'y retrouve l'odeur et les reflets rosés
De ces doigts aujourd'hui muets, décomposés,
Changés peut-être en fleurs dans un champ solitaire. | https://www.poesie-francaise.fr/anatole-france/poeme-l-autographe.php | anatole-france-poeme-l-autographe |
Le revenant | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : Le revenant
Titre : Le revenant
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Ma santé fuit ; cette infidèle
Ne promet pas de revenir,
Et la nature qui chancelle
À déjà su me prévenir
De ne pas trop compter sur elle.
Au second acte brusquement
Finira donc la comédie :
Vite je passe au dénouement ;
La toile tombe, et l'on m'oublie.
J'ignore ce qu'on fait là-bas.
Si du sein de la nuit profonde
On peut revenir en ce monde,
Je reviendrai, n'en doutez pas.
Mais je n'aurai jamais l'allure
De ces revenants indiscrets,
Qui, précédés d'un long murmure,
Se plaisent à pâlir leurs traits,
Et dont la funèbre parure,
Inspirant toujours la frayeur,
Ajoute encore à la laideur
Qu'on reçoit dan la sépulture.
De vous plaire je sais jaloux,
Et je veux rester invisible.
Souvent du zéphyr le plus doux
Je prendrai l'haleine insensible ;
Tous mes soupirs seront pour vous.
Ils feront vaciller la plume
Sur vos cheveux noués sans art,
Et disperseront au hasard
La faible odeur qui les parfume.
Si la rose que vous aimez
Renaît sur son trône de verre ;
Si de vos flambeaux rallumés
Sort une plus vive lumière ;
Si l'éclat d'un nouveau carmin
Colore soudain votre joue,
Et si souvent d'un joli sein
Le nœud trop serré se dénoue ;
Si le sofa plus mollement
Cède au poids de votre paresse,
Donnez un sourire seulement
À tous ces soins de ma tendresse.
Quand je reverrai les attraits
Qu'effleura ma main caressante,
Ma voix amoureuse et touchante
Pourra murmurer des regrets ;
Et vous croirez alors entendre
Cette harpe qui, sous mes doigts,
Sut vous redire quelquefois
Ce que mon cœur savait m'apprendre.
Aux douceurs de votre sommeil
Je joindrai celles du mensonge ;
Moi-même, sous les traits d'un songe,
Je causerai votre réveil.
Charmes nus, fraîcheur du bel âge,
Contours parfaits, grâce, embonpoint,
Je verrai tout ; mais quel dommage !
Les morts ne ressuscitent point. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-le-revenant.php | evariste-de-parny-poeme-le-revenant |
Le Dernier Dizain | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Le Dernier Dizain
Titre : Le Dernier Dizain
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Parallèlement (1889).
Ô Belgique qui m'as valu ce dur loisir,
Merci ! J'ai pu du moins réfléchir et saisir
Dans le silence doux et blanc de tes cellules
Les raisons qui fuyaient comme des libellules
À travers les roseaux bavards d'un monde vain,
Les raisons de mon être éternel et divin,
Et les étiqueter comme en un beau musée
Dans les cases en fin cristal de ma pensée.
Mais, ô Belgique, assez de ce huis-clos têtu !
Ouvre enfin, car c'est bon pour une fois, sais-tu ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-le-dernier-dizain.php | paul-verlaine-poeme-le-dernier-dizain |
Obsession | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Obsession
Titre : Obsession
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les fleurs du mal (1857).
Sonnet.
Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales ;
Vous hurlez comme l'orgue ; et dans nos coeurs maudits,
Chambres d'éternel deuil où vibrent de vieux râles,
Répondent les échos de vos De profundis.
Je te hais, Océan ! tes bonds et tes tumultes,
Mon esprit les retrouve en lui ; ce rire amer
De l'homme vaincu, plein de sanglots et d'insultes,
Je l'entends dans le rire énorme de la mer.
Comme tu me plairais, ô nuit ! sans ces étoiles
Dont la lumière parle un langage connu !
Car je cherche le vide, et le noir et le nu !
Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles
Où vivent, jaillissant de mon oeil par milliers,
Des êtres disparus aux regards familiers. | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-obsession.php | charles-baudelaire-poeme-obsession |
L'écartement des bras | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : L'écartement des bras
Titre : L'écartement des bras
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
L'écartement des bras m'est cher, presque plus cher
Que l'écartement autre :
Mer puissante et que belle et que bonne de chair,
Quel appât est la vôtre !
Ô seins, mon grand orgueil, mon immense bonheur,
Purs, blancs, joie et caresse,
Volupté pour mes yeux et mes mains et mon cœur
Qui bat de votre ivresse,
Aisselles, fins cheveux courts qu'ondoie un parfum
Capiteux où je plonge,
Cou gras comme le miel, ambré comme lui, qu'un
Dieu fit bien mieux qu'en songe.
Fraîcheur enfin des bras endormis et rêveurs
Autour de mes épaules,
Palpitantes et si doux d'étreinte à mes ferveurs
Toutes à leurs grands rôles,
Que je ne sais quoi pleure en moi, peine et plaisir.
Plaisir fou, chaste peine,
Et que je ne puis mieux assouvir le désir
De quoi mon âme est pleine
Qu'en des baisers plus langoureux et plus ardents
Sur le glorieux buste
Non sans un sentiment comme un peu triste dans
L'extase comme auguste !
Et maintenant vers l'ombre blanche — et noire un peu,
L'amour il peut détendre
Plus par en bas et plus intime son fier jeu
Dès lors naïf et tendre ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-lecartement-des-bras.php | paul-verlaine-poeme-lecartement-des-bras |
Le vintieme d'Avril couché sur l'herbelette | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Le vintieme d'Avril couché sur l'herbelette
Titre : Le vintieme d'Avril couché sur l'herbelette
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Le second livre des Amours (1556).
Le vintieme d'Avril couché sur l'herbelette,
Je vy, ce me sembloit, en dormant un chevreuil,
Qui ça, puis là, marchoit où le menoit son vueil,
Foulant les belles fleurs de mainte gambelette.
Une corne et une autre encore nouvellette
Enfloit son petit front, petit, mais plein d'orgueil
Comme un Soleil luisoit par les prets son bel oeil,
Et un carcan pendoit sus sa gorge douillette.
Si tost que je le vy, je voulu courre après,
Et lui qui m'avisa print sa course es forés,
Où se moquant de moi, ne me voulut attendre.
Mais en suivant son trac, je ne m'avisay pas
D'un piege entre les fleurs, qui me lia mes pas,
Et voulant prendre autry moimesme me fis prendre. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-le-vintieme-davril-couche-sur-lherbelette.php | pierre-de-ronsard-poeme-le-vintieme-davril-couche-sur-lherbelette |
Le lever | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : Le lever
Titre : Le lever
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Assez dormir, ma belle !
Ta cavale isabelle
Hennit sous tes balcons.
Vois tes piqueurs alertes,
Et sur leurs manches vertes
Les pieds noirs des faucons.
Vois écuyers et pages,
En galants équipages,
Sans rochet ni pourpoint,
Têtes chaperonnées,
Traîner les haquenées,
Leur arbalète au poing.
Vois bondir dans les herbes
Les lévriers superbes,
Les chiens trapus crier.
En chasse, et chasse heureuse !
Allons, mon amoureuse,
Le pied dans l'étrier !
Et d'abord, sous la moire,
Avec ce bras d'ivoire
Enfermons ce beau sein,
Dont la forme divine,
Pour que l'oeil la devine,
Reste aux plis du coussin.
Oh ! sur ton front qui penche,
J'aime à voir ta main blanche
Peigner tes cheveux noirs ;
Beaux cheveux qu'on rassemble
Les matins, et qu'ensemble
Nous défaisons les soirs !
Allons, mon intrépide,
Ta cavale rapide
Frappe du pied le sol,
Et ton bouffon balance,
Comme un soldat sa lance,
Son joyeux parasol !
Mets ton écharpe blonde
Sur ton épaule ronde,
Sur ton corsage d'or,
Et je vais, ma charmante,
T'emporter dans ta mante,
Comme un enfant qui dort ! | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-le-lever.php | alfred-de-musset-poeme-le-lever |
Vos beaux yeux | Pierre Corneille (1606-1684) | Poésie : Vos beaux yeux
Titre : Vos beaux yeux
Poète : Pierre Corneille (1606-1684)
Recueil : Poésies diverses.
Chanson.
Vos beaux yeux sur ma franchise
N'adressent pas bien leurs coups,
Tête chauve et barbe grise
Ne sont pas viande pour vous ;
Quand j'aurais l'heure de vous plaire,
Ce serait perdre du temps ;
Iris, que pourriez-vous faire
D'un galant de cinquante ans ?
Ce qui vous rend adorable
N'est propre qu'à m'alarmer,
Je vous trouve trop aimable
Et crains de vous trop aimer :
Mon cœur à prendre est facile,
Mes vœux sont des plus constants ;
Mais c'est un meuble inutile
Qu'un galant de cinquante ans.
Si l'armure n'est complète,
Si tout ne va comme il faut,
Il vaut mieux faire retraite
Que d'entreprendre un assaut :
L'amour ne rend point la place
À de mauvais combattants,
Et rit de la vaine audace
Des galants de cinquante ans. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-corneille/poeme-vos-beaux-yeux.php | pierre-corneille-poeme-vos-beaux-yeux |
Séparés dans la vie | Auguste Angellier (1848-1911) | Poésie : Séparés dans la vie
Titre : Séparés dans la vie
Poète : Auguste Angellier (1848-1911)
Recueil : À l'amie perdue (1896).
Ainsi nous resterons séparés dans la vie,
Et nos cœurs et nos corps s'appelleront en vain
Sans se joindre jamais en un instant divin
D'humaine passion d'elle-même assouvie.
Puis, quand nous gagnera le suprême sommeil,
Ils t'enseveliront loin de mon cimetière ;
Nous serons exilés l'un de l'autre en la terre,
Après l'avoir été sous l'éclatant soleil ;
Des marbres différents porteront sur leur lame
Nos noms, nos tristes noms, à jamais désunis,
Et le puissant amour qui brûle dans notre âme,
Sans avoir allumé d'autre vie à sa flamme,
Et laissant moins de lui que le moindre des nids,
Tombera dans la nuit des néants infinis. | https://www.poesie-francaise.fr/auguste-angellier/poeme-separes-dans-la-vie.php | auguste-angellier-poeme-separes-dans-la-vie |
Si mon grand Roy n'eust veincu meinte armee | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Si mon grand Roy n'eust veincu meinte armee
Titre : Si mon grand Roy n'eust veincu meinte armee
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Amours diverses (1578).
Si mon grand Roy n'eust veincu meinte armee,
Son nom n'iroit, comme il fait, dans les cieux:
Les ennemis l'ont fait victorieux,
Et des veincuz il prend sa renommee.
Si de plusieurs je te voy bien-aimee,
C'est mon trophee, et n'en suis envieux :
D'un tel honneur je deviens glorieux,
Ayant choisy chose tant estimee.
Ma jalousie est ma gloire de voir
Mesmes Amour soumis à ton pouvoir.
Mais s'il advient que de luy je me vange,
Vous honorant d'un service constant,
Jamais mon Roy par trois fois combatant
N'eut tant d'honneur, que j'auray de louange. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-si-mon-grand-roy-neust-veincu-meinte-armee.php | pierre-de-ronsard-poeme-si-mon-grand-roy-neust-veincu-meinte-armee |
Propos aériens | André Lemoyne (1822-1907) | Poésie : Propos aériens
Titre : Propos aériens
Poète : André Lemoyne (1822-1907)
À madame Ernest Courbet.
LE PAPILLON.
Où t'endors-tu, le soir, pauvre petite abeille,
Butineuse des fleurs, qui t'en vas picorant
Dès la pointe du jour, quand l'aube se réveille,
Jusqu'au dernier rayon du soleil expirant ?
L'ABEILLE.
Sans trop hâter mon vol, c'est à moins d'un quart d'heure
Dans le creux d'un vieux chêne, à ma ruche des bois,
Juste au pied du grand arbre où, tous les ans, demeure
Un couple de ramiers dans son nid d'autrefois.
LE PAPILLON.
Pour tes gâteaux de miel rapidement tu voles...
Je te vois disparaître au bord des grands lys blancs,
Roulée à corps perdu dans le fond des corolles
Qui doivent t'enivrer de leurs parfums troublants ;
Mais j'admire toujours l'active travailleuse,
Dont le travail est pur, dont le travail est saint,
Faite pour accomplir sa tâche merveilleuse,
Dont s'honore à bon droit la reine de l'essaim.
L'ABEILLE.
Toi qui pars en zigzag comme un éclat de foudre,
Pourquoi donc ce caprice ?
LE PAPILLON.
Afin que dans son vol
Un bec d'oiseau jaseur ne puisse nous découdre.
Je ris d'un martinet passant au ras du sol.
Que faites- vous l'hiver ?
L'ABEILLE.
En grappes léthargiques,
Sans oreilles, sans yeux, sans entendre, sans voir,
Longuement nous rêvons de belles fleurs magiques
Dans la ruche bien close où dès lors tout est noir.
LE PAPILLON.
Nous, dans la saison froide et sombre de l'année,
Nous n'aimons pas à voir nos grands lys se flétrir ;
Notre vie est bien courte, hélas ! mais fortunée.
Quand sont mortes les fleurs, nous préférons mourir. | https://www.poesie-francaise.fr/andre-lemoyne/poeme-propos-aeriens.php | andre-lemoyne-poeme-propos-aeriens |
Le réveil | René-François Sully Prudhomme (1839-1907) | Poésie : Le réveil
Titre : Le réveil
Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907)
Si tu m'appartenais (faisons ce rêve étrange !),
Je voudrais avant toi m'éveiller le matin
Pour m'accouder longtemps près de ton sommeil d'ange,
Egal et murmurant comme un ruisseau lointain.
J'irais à pas discrets cueillir de l'églantine,
Et, patient, rempli d'un silence joyeux,
J'entr'ouvrirais tes mains, qui gardent ta poitrine,
Pour y glisser mes fleurs en te baisant les yeux.
Et tes yeux étonnés reconnaîtraient la terre
Dans les choses où Dieu mit le plus de douceur,
Puis tourneraient vers moi leur naissante lumière,
Tout pleins de mon offrande et tout pleins de ton cœur.
Oh ! Comprends ce qu'il souffre et sens bien comme il aime,
Celui qui poserait, au lever du soleil,
Un bouquet, invisible encor, sur ton sein même,
Pour placer ton bonheur plus près de ton réveil ! | https://www.poesie-francaise.fr/rene-francois-sully-prudhomme/poeme-le-reveil.php | rene-francois-sully-prudhomme-poeme-le-reveil |
L'éclatante victoire de Sarrebruck | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : L'éclatante victoire de Sarrebruck
Titre : L'éclatante victoire de Sarrebruck
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Recueil : Poésies (1870-1871).
Remportée aux cris de Vive l'Empereur !
Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, - car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. Piton remet sa veste,
Et, tourné vers le Chef, s'étourdit de grands noms !
A droite, Dumanet, appuyé sur la crosse
De son chassepot, sent frémir sa nuque en brosse,
Et : " Vive l'Empereur !!! " - Son voisin reste coi...
Un schako surgit, comme un soleil noir... - Au centre,
Boquillon rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, - présentant ses derrières - : " De quoi ?..." | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-l-eclatante-victoire-de-sarrebruck.php | arthur-rimbaud-poeme-l-eclatante-victoire-de-sarrebruck |
À l'homme qui a livré une femme | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À l'homme qui a livré une femme
Titre : À l'homme qui a livré une femme
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Ô honte ! ce n'est pas seulement cette femme,
Sacrée alors pour tous, faible cœur, mais grande âme,
Mais c'est lui, c'est son nom dans l'avenir maudit,
Ce sont les cheveux blancs de son père interdit,
C'est la pudeur publique en face regardée
Tandis qu'il s'accouplait à son infâme idée,
C'est l'honneur, c'est la foi, la pitié, le serment,
Voilà ce que ce juif a vendu lâchement !
Juif : les impurs traitants à qui l'on vend son âme
Attendront bien longtemps avant qu'un plus infâme
Vienne réclamer d'eux, dans quelque jour d'effroi,
Le fond du sac plein d'or qu'on fit vomir sur toi !
Ce n'est pas même un juif ! C'est un payen immonde,
Un renégat, l'opprobre et le rebut du monde,
Un fétide apostat, un oblique étranger
Qui nous donne du moins le bonheur de songer
Qu'après tant de revers et de guerres civiles
Il n'est pas un bandit écumé dans nos villes,
Pas un forçat hideux blanchi dans les prisons,
Qui veuille mordre en France au pain des trahisons !
Rien ne te disait donc dans l'âme, ô misérable !
Que la proscription est toujours vénérable,
Qu'on ne bat pas le sein qui nous donna son lait,
Qu'une fille des rois dont on fut le valet
Ne se met point en vente au fond d'un antre infâme,
Et que, n'étant plus reine, elle était encor femme !
Rentre dans l'ombre où sont tous les monstres flétris
Qui depuis quarante ans bavent sur nos débris !
Rentre dans ce cloaque ! et que jamais ta tête,
Dans un jour de malheur ou dans un jour de fête,
Ne songe à reparaître au soleil des vivants !
Qu'ainsi qu'une fumée abandonnée aux vents,
Infecte, et don chacun se détourne au passage,
Ta vie erre au hasard de rivage en rivage !
Et tais-toi ! que veux-tu balbutier encor !
Dis, n'as-tu pas vendu l'honneur, le vrai trésor ?
Garde tous les soufflets entassés sur ta joue.
Que fait l'excuse au crime et le fard sur la boue !
Sans qu'un ami t'abrite à l'ombre de son toit,
Marche, autre juif errant ! marche avec l'or qu'on voit
Luire à travers les doigts de tes mains mal fermées !
Tous les biens de ce monde en grappes parfumées
Pendent sur ton chemin, car le riche ici-bas
A tout, hormis l'honneur qui ne s'achète pas !
Hâte-toi de jouir, maudit ! et sans relâche
Marche ! et qu'en te voyant on dise : C'est ce lâche !
Marche ! et que le remords soit ton seul compagnon !
Marche ! sans rien pouvoir arracher de ton nom !
Car le mépris public, ombre de la bassesse,
Croît d'année en année et repousse sans cesse,
Et va s'épaississant sur les traîtres pervers
Comme la feuille au front des sapins toujours verts !
Et quand la tombe un jour, cette embûche profonde
Qui s'ouvre tout à coup sous les choses du monde,
Te fera, d'épouvante et d'horreur agité,
Passer de cette vie à la réalité,
La réalité sombre, éternelle, immobile !
Quand, d'instant en instant plus seul et plus débile,
Tu te cramponneras en vain à ton trésor ;
Quand la mort, t'accostant couché sur des tas d'or,
Videra brusquement ta main crispée et pleine
Comme une main d'enfant qu'un homme ouvre sans peine,
Alors, dans cet abîme où tout traître descend,
L'un roulé dans la fange et l'autre teint de sang,
Tu tomberas damné, désespéré, banni !
Afin que ton forfait ne soit pas impuni,
Et que ton âme, errante au milieu de ces âmes,
Y soit la plus abjecte entre les plus infâmes !
Et lorsqu'ils te verront paraître au milieu d'eux,
Ces fourbes dont l'histoire inscrit les noms hideux,
Que l'or tenta jadis, mais à qui d'âge en âge
Chaque peuple en passant vient cracher au visage,
Tous ceux, les plus obscurs comme les plus fameux,
Qui portent sur leur lèvre un baiser venimeux,
Judas qui vend son Dieu, Leclerc qui vend sa ville,
Groupe au louche regard, engeance ingrate et vile,
Tous en foule accourront joyeux sur ton chemin,
Et Louvel indigné repoussera ta main !
Novembre 1832. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-l-homme-qui-a-livre-une-femme.php | victor-hugo-poeme-a-l-homme-qui-a-livre-une-femme |
L'horloge | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : L'horloge
Titre : L'horloge
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : " Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible,
Le plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! " | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-l-horloge.php | charles-baudelaire-poeme-l-horloge |
La mort du singe | Anatole France (1844-1924) | Poésie : La mort du singe
Titre : La mort du singe
Poète : Anatole France (1844-1924)
Dans la serre vitrée où de rigides plantes,
Filles d'une jeune île et d'un lointain soleil,
Sous un ciel toujours gris, sommeillant sans réveil,
Dressent leurs dards aigus et leurs floraisons lentes,
Lui, tremblant, secoué par la fièvre et la toux,
Tordant son triste corps sous des lambeaux de laine,
Entre ses longues dents pousse une rauque haleine
Et sur son sein velu croise ses longs bras roux.
Ses yeux, vides de crainte et vides d'espérance,
Entre eux et chaque chose ignorent tout lien ;
Ils sont empreints, ces yeux qui ne regardent rien,
De la douceur que donne aux brutes la souffrance.
Ses membres presque humains sont brûlants et frileux ;
Ses lèvres en s'ouvrant découvrent les gencives ;
Et, comme il va mourir, ses paumes convulsives
Ont caché pour jamais ses pouces musculeux.
Mais voici qu'il a vu le soleil disparaître
Derrière les huniers assemblés dans le port ;
Il l'a vu : son front bas se ride sous l'effort
Qu'il tente brusquement pour rassembler son être.
Songe-t-il que, parmi ses frères forestiers,
Alors qu'un chaud soleil descendait des cieux calmes,
Repu du lait des noix et couché sur les palmes,
Il s'endormait heureux dans ses frais cocotiers,
Avant qu'un grand navire, allant vers des mers froides,
L'emportât au milieu des clameurs des marins,
Pour qu'un jour, dans le vent, qui lui mordît les reins,
La toile, au long des mâts, glaçât ses membres roides ?
À cause de la fièvre aux souvenirs vibrants
Et du jeûne qui donne aux âmes l'allégeance,
Grâce à cette suprême et brève intelligence
Qui s'allume si claire au cerveau des mourants,
Ce muet héritier d'une race stupide
D'un rêve unique emplit ses esprits exaltés :
Il voit les bons soleils de ses jeunes étés,
Il abreuve ses yeux de leur flamme limpide.
Puis une vague nuit pèse en son crâne épais.
Laissant tomber sa nuque et ses lourdes mâchoires,
Il râle. Autour de lui croissent les ombres noires :
Minuit, l'heure où l'on meurt, lui versera la paix. | https://www.poesie-francaise.fr/anatole-france/poeme-la-mort-du-singe.php | anatole-france-poeme-la-mort-du-singe |
À George Sand II | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : À George Sand II
Titre : À George Sand II
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Lettres à George Sand.
Telle de l'Angelus, la cloche matinale
Fait dans les carrefours hurler les chiens errants,
Tel ton luth chaste et pur, trempé dans l'eau lustrale,
Ô George, a fait pousser de hideux aboiements,
Mais quand les vents sifflaient sur ta muse au front pâle,
Tu n'as pu renouer tes longs cheveux flottants ;
Tu savais que Phébé, l'Étoile virginale
Qui soulève les mers, fait baver les serpents.
Tu n'as pas répondu, même par un sourire,
A ceux qui s'épuisaient en tourments inconnus,
Pour mettre un peu de fange autour de tes pieds nus.
Comme Desdémona, t'inclinant sur ta lyre,
Quand l'orage a passé tu n'as pas écouté,
Et tes grands yeux rêveurs ne s'en sont pas douté. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-a-george-sand-II.php | alfred-de-musset-poeme-a-george-sand-II |
À un écrivain | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À un écrivain
Titre : À un écrivain
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Prends garde à Marchangy. La prose poétique
Est une ornière où geint le vieux Pégase étique.
Tout autant que le vers, certes, la prose a droit
À la juste cadence, au rhythme divin ; soit ;
Pourvu que, sans singer le mètre, la cadence
S'y cache et que le rhythme austère s'y condense.
La prose en vain essaie un essor assommant.
Le vers s'envole au ciel tout naturellement ;
Il monte ; il est le vers ; je ne sais quoi de frêle
Et d'éternel, qui chante et plane et bat de l'aile ;
Il se mêle, farouche et l'éclair dans les yeux,
À toutes ces lueurs du ciel mystérieux
Que l'aube frissonnante emporte dans ses voiles.
Quand même on la ferait danser jusqu'aux étoiles,
La prose, c'est toujours le sermo pedestris.
Tu crois être Ariel et tu n'es que Vestris.
Le 24 juillet 1859. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-un-ecrivain.php | victor-hugo-poeme-a-un-ecrivain |
L'an se rajeunissait en sa verte jouvence | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : L'an se rajeunissait en sa verte jouvence
Titre : L'an se rajeunissait en sa verte jouvence
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Le second livre des Amours (1556).
L'an se rajeunissait en sa verte jouvence
Quand je m'épris de vous, ma Sinope cruelle ;
Seize ans étaient la fleur de votre âge nouvelle,
Et votre teint sentait encore son enfance.
Vous aviez d'une infante encor la contenance,
La parole, et les pas ; votre bouche était belle,
Votre front et vos mains dignes d'une Imrnortelle,
Et votre oeil, qui me fait trépasser quand j'y pense.
Amour, qui ce jour-là si grandes beautés vit,
Dans un marbre, en mon coeur d'un trait les écrivit ;
Et si pour le jourd'hui vos beautés si parfaites
Ne sont comme autrefois, je n'en suis moins ravi,
Car je n'ai pas égard à cela que vous êtes,
Mais au doux souvenir des beautés que je vis. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-lan-se-rajeunissait-en-sa-verte-jouvence.php | pierre-de-ronsard-poeme-lan-se-rajeunissait-en-sa-verte-jouvence |
Je devine, à travers un murmure | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Je devine, à travers un murmure
Titre : Je devine, à travers un murmure
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Romances sans paroles (1874).
Je devine, à travers un murmure,
Le contour subtil des voix anciennes
Et dans les lueurs musiciennes,
Amour pâle, une aurore future !
Et mon âme et mon coeur en délires
Ne sont plus qu'une espèce d'oeil double
Où tremblote à travers un jour trouble
L'ariette, hélas ! de toutes lyres !
O mourir de cette mort seulette
Que s'en vont, cher amour qui t'épeures,
Balançant jeunes et vieilles heures !
O mourir de cette escarpolette ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-je-devine-a-travers-un-murmure.php | paul-verlaine-poeme-je-devine-a-travers-un-murmure |
À Éléonore (III) | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : À Éléonore (III)
Titre : À Éléonore (III)
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Ah ! si jamais on aima sur la terre,
Si d'un mortel on vit les dieux jaloux,
C'est dans le temps où, crédule et sincère,
J'étais heureux, et l'étais avec vous.
Ce doux lien n'avait point de modèle :
Moins tendrement le frère aime sa sœur,
Le jeune époux son épouse nouvelle,
L'ami sensible un ami de son cœur.
Ô toi, qui fus ma maîtresse fidèle,
Tu ne l'es plus ! Voilà donc ces amours
Que ta promesse éternisait d'avance !
Ils sont passés ; déjà ton inconstance
En tristes nuits a changé mes beaux jours.
N'est-ce pas moi de qui l'heureuse adresse
Aux voluptés instruisit ta jeunesse ?
Pour le donner, ton cœur est-il à toi ?
De ses soupirs le premier fut pour moi,
Et je reçus ta première promesse.
Tu me disais : « Le devoir et l'honneur
Ne veulent point que je sois votre amante.
N'espérez rien ; si je donnais mon cœur,
Vous tromperiez ma jeunesse imprudente
On me l'a dit, votre sexe est trompeur. »
Ainsi parlait ta sagesse craintive ;
Et cependant tu ne me fuyais pas ;
Et cependant une rougeur plus vive
Embellissait tes modestes appas ;
Et cependant tu prononçais sans cesse
Le mot d'amour qui causait ton effroi ;
Et dans ma main la tienne avec mollesse
Venait tomber pour demander ma foi.
Je la donnais, je te la donne encore.
J'en fais serment au seul dieu que j'adore,
Au dieu chéri par toi-même adoré ;
De tes erreurs j'ai causé la première ;
De mes erreurs tu seras la dernière.
Et si jamais ton amant égaré
Pouvait changer, s'il voyait sur la terre
D'autre bonheur que celui de te plaire,
Ah ! puisse alors le ciel, pour me punir,
De tes faveurs m'ôter le souvenir !
Bientôt après, dans ta paisible couche
Par le plaisir conduit furtivement,
J'ai malgré toi recueilli de ta bouche
Ce premier cri si doux pour un amant !
Tu combattais, timide Eléonore ;
Mais le combat fut bientôt terminé :
Ton cœur ainsi te l'avait ordonné.
Ta main pourtant me refusait encore
Ce que ton cœur m'avait déjà donné.
Tu sais alors combien je fus coupable !
Tu sais comment j'étonnai ta pudeur !
Avec quels soins au terme du bonheur
Je conduisis ton ignorance aimable !
Tu souriais, tu pleurais à la fois ;
Tu m'arrêtais dans mon impatience ;
Tu me nommais, tu gardais le silence :
Dans les baisers mourut ta faible voix.
Rappelle-toi nos heureuses folies.
Tu médisais en tombant dans mes bras :
Aimons toujours, aimons jusqu'au trépas.
Tu le disais ! je t'aime, et tu m'oublies. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-a-eleonore-III.php | evariste-de-parny-poeme-a-eleonore-III |
Le voyage | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Le voyage
Titre : Le voyage
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
À Maxime Du Camp.
I
Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers :
Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,
La Circé tyrannique aux dangereux parfums.
Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
D'espace et de lumière et de cieux embrasés ;
La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
Ceux-là dont les désirs ont la forme des nues,
Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom !
II
Nous imitons, horreur ! la toupie et la boule
Dans leur valse et leurs bonds ; même dans nos sommeils
La Curiosité nous tourmente et nous roule,
Comme un Ange cruel qui fouette des soleils.
Singulière fortune où le but se déplace,
Et, n'étant nulle part, peut être n'importe où !
Où l'homme, dont jamais l'espérance n'est lasse,
Pour trouver le repos court toujours comme un fou !
Notre âme est un trois-mâts cherchant son Icarie ;
Une voix retentit sur le pont : " Ouvre l'oeil ! "
Une voix de la hune, ardente et folle, crie .
" Amour... gloire... bonheur ! " Enfer ! c'est un écueil !
Chaque îlot signalé par l'homme de vigie
Est un Eldorado promis par le Destin ;
L'Imagination qui dresse son orgie
Ne trouve qu'un récif aux clartés du matin.
Ô le Pauvre amoureux des pays chimériques !
Faut-il le mettre aux fers, le jeter à la mer,
Ce matelot ivrogne, inventeur d'Amériques
Dont le mirage rend le gouffre plus amer ?
Tel le vieux vagabond, piétinant dans la boue,
Rêve, le nez en l'air, de brillants paradis ;
Son oeil ensorcelé découvre une Capoue
Partout où la chandelle illumine un taudis.
III
Etonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.
Dites, qu'avez-vous vu ?
IV
" Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici.
La gloire du soleil sur la mer violette,
La gloire des cités dans le soleil couchant,
Allumaient dans nos coeurs une ardeur inquiète
De plonger dans un ciel au reflet alléchant.
Les plus riches cités, les plus grands paysages,
Jamais ne contenaient l'attrait mystérieux
De ceux que le hasard fait avec les nuages.
Et toujours le désir nous rendait soucieux !
- La jouissance ajoute au désir de la force.
Désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d'engrais,
Cependant que grossit et durcit ton écorce,
Tes branches veulent voir le soleil de plus près !
Grandiras-tu toujours, grand arbre plus vivace
Que le cyprès ? - Pourtant nous avons, avec soin,
Cueilli quelques croquis pour votre album vorace,
Frères qui trouvez beau tout ce qui vient de loin !
Nous avons salué des idoles à trompe ;
Des trônes constellés de joyaux lumineux ;
Des palais ouvragés dont la féerique pompe
Serait pour vos banquiers un rêve ruineux ;
" Des costumes qui sont pour les yeux une ivresse ;
Des femmes dont les dents et les ongles sont teints,
Et des jongleurs savants que le serpent caresse. "
V
Et puis, et puis encore ?
VI
" Ô cerveaux enfantins !
Pour ne pas oublier la chose capitale,
Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché
La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût ;
L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout ;
Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
La fête qu'assaisonne et parfume le sang ;
Le poison du pouvoir énervant le despote,
Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;
Plusieurs religions semblables à la nôtre,
Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;
L'Humanité bavarde, ivre de son génie,
Et, folle maintenant comme elle était jadis,
Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
" Ô mon semblable, ô mon maître, je te maudis ! "
Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
Et se réfugiant dans l'opium immense !
- Tel est du globe entier l'éternel bulletin. "
VII
Amer savoir, celui qu'on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image
Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui !
Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,
Comme le Juif errant et comme les apôtres,
A qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d'autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.
Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier : En avant !
De même qu'autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,
Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le coeur joyeux d'un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent : " Par ici ! vous qui voulez manger
Le Lotus parfumé ! c'est ici qu'on vendange
Les fruits miraculeux dont votre coeur a faim ;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n'a jamais de fin ? "
A l'accent familier nous devinons le spectre ;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous.
" Pour rafraîchir ton coeur nage vers ton Electre ! "
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.
VIII
Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-le-voyage.php | charles-baudelaire-poeme-le-voyage |
Soleils couchants | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Soleils couchants
Titre : Soleils couchants
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Poèmes saturniens (1866).
Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants, sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
A de grands soleils
Couchants sur les grèves. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-soleils-couchants.php | paul-verlaine-poeme-soleils-couchants |
Prière du matin | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Prière du matin
Titre : Prière du matin
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Ô Seigneur, exaucez et dictez ma prière,
Vous la pleine Sagesse et la toute Bonté,
Vous sans cesse anxieux de mon heure dernière,
Et qui m'avez aimé de toute éternité.
Car — ce bonheur terrible est tel, tel ce mystère
Miséricordieux, que, cent fois médité,
Toujours il confondit ma raison qu'il atterre, —
Oui, vous m'avez aimé de toute éternité,
Oui, votre grand souci, c'est mon heure dernière,
Vous la voulez heureuse et pour la faire ainsi,
Dès avant l'univers, dès avant la lumière,
Vous préparâtes tout, ayant ce grand souci.
Exaucez ma prière après l'avoir formée
De gratitude immense et des plus humbles vœux,
Comme un poète scande une ode bien-aimée,
Comme une mère baise un fils sur les cheveux.
Donnez-moi de vous plaire, et puisque pour vous plaire
Il me faut être heureux, d'abord dans la douleur
Parmi les hommes durs sous une loi sévère,
Puis dans le ciel tout près de vous sans plus de pleur,
Tout près de vous, le Père éternel, dans la joie
Éternelle, ravi dans les splendeurs des saints,
Ô donnez-moi la foi très forte, que je croie.
Devoir souffrir cent morts s'il plaît à vos desseins ;
Et donnez-moi la foi très douce, que j'estime
N'avoir de haine juste et sainte que pour moi,
Que j'aime le pécheur en détestant mon crime,
Que surtout j'aime ceux de nous encor sans foi ;
Et donnez-moi la foi très humble, que je pleure
Sur l'impropriété de tant de maux soufferts,
Sur l'inutilité des grâces et sur l'heure
Lâchement gaspillée aux efforts que je perds ;
Et que votre Esprit-Saint qui sait toute nuance
Rende prudent mon zèle et sage mon ardeur ;
Donnez, juste Seigneur, avec la confiance,
Donnez la méfiance à votre serviteur.
Que je ne sois jamais un objet de censure
Dans l'action pieuse et le juste discours ;
Enseignez-moi l'accent, montrez-moi la mesure ;
D'un scandale, d'un seul, préservez mes entours ;
Faites que mon exemple amène à vous connaître
Tous ceux que vous voudrez de tant de pauvres fous,
Vos enfants sans leur Père, un état sans le Maître,
Et que, si je suis bon, toute gloire aille à vous ;
Et puis, et puis, quand tout des choses nécessaires,
L'homme, la patience et ce devoir dicté,
Aura fructifié de mon mieux dans vos serres,
Laissez-moi vous aimer en toute charité,
Laissez-moi, faites-moi de toutes mes faiblesses
Aimer jusqu'à la mort votre perfection,
Jusqu'à la mort des sens et de leurs mille ivresses,
Jusqu'à la mort du cœur, orgueil et passion,
Jusqu'à la mort du pauvre esprit lâche et rebelle
Que votre volonté dès longtemps appelait
Vers l'humilité sainte éternellement belle,
Mais lui, gardait son rêve infernalement laid,
Son gros rêve éveillé de lourdes rhétoriques,
Spéculation creuse et calculs impuissants
Ronflant et s'étirant en phrases pléthoriques.
Ah ! tuez mon esprit et mon cœur et mes sens !
Place à l'âme qui croie, et qui sente et qui voie
Que tout est vanité fors elle-même en Dieu ;
Place à l'âme, Seigneur ; marchant dans votre voie
Et ne tendant qu'au ciel, seul espoir et seul lieu !
Et que cette âme soit la servante très douce
Avant d'être l'épouse au trône non-pareil.
Donnez-lui l'Oraison comme le lit de mousse
Où ce petit oiseau se baigne de soleil,
La paisible oraison comme la fraîche étable
Où cet agneau s'ébatte et broute dans les coins
D'ombre et d'or quand sévit le midi redoutable.
Et que juin fait crier l'insecte dans les foins,
L'oraison bien en vous, fût-ce parmi la foule.
Fût-ce dans le tumulte et l'erreur des cités.
Donnez-lui l'oraison qui sourde et d'où découle
Un ruisseau toujours clair d'austères vérités :
La mort, le noir péché, la pénitence blanche,
L'occasion à fuir et la grâce à guetter ;
Donnez-lui l'oraison d'en haut et d'où s'épanche
Le fleuve amer et fort qu'il lui faut remonter :
Mortification spirituelle, épreuve
Du feu par le désir et de l'eau par le pleur
Sans fin d'être imparfaite et de se sentir veuve
D'un amour que doit seule aviver la douleur,
Sécheresses ainsi que des trombes de sable
En travers du torrent où luttent ses bras lourds,
Un ciel de plomb fondu, la soif inapaisable
Au milieu de cette eau qui l'assoiffe toujours,
Mais cette eau-là jaillit à la vie éternelle,
Et la vague bientôt porterait doucement
L'âme persévérante et son amour fidèle
Aux pieds de votre Amour fidèle, ô Dieu clément !
La bonne mort pour quoi Vous-Même vous mourûtes
Me ressusciterait à votre éternité.
Pitié pour ma faiblesse, assistez à mes luttes
Et bénissez l'effort de ma débilité !
Pitié, Dieu pitoyable ! et m'aidez à parfaire
L'œuvre de votre Cœur adorable en sauvant
L'âme que rachetaient les affres du Calvaire ;
Père, considérez le prix de votre enfant. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-priere-du-matin.php | paul-verlaine-poeme-priere-du-matin |
Le vieux pont | Auguste Angellier (1848-1911) | Poésie : Le vieux pont
Titre : Le vieux pont
Poète : Auguste Angellier (1848-1911)
Recueil : Le chemin des saisons (1903).
Sur le vieux pont verdi de mousse,
Et tout rongé de lichens roux,
Deux amants parlaient à voix douce :
Et c'était nous !
Lui, penché tendrement vers elle,
Lui disait l'amour et la foi
Qu'il portait en son cœur fidèle ;
Et c'était moi !
Elle semblait, pâle, incertaine,
Tremblante et pourtant sans effroi,
Écouter une voix lointaine ;
Et c'était toi !
Sur le vieux pont toujours le même,
Deux amants ont pris rendez-vous :
Il lui dit, elle croit, qu'il l'aime ;
Ce n'est plus nous ! | https://www.poesie-francaise.fr/auguste-angellier/poeme-le-vieux-pont.php | auguste-angellier-poeme-le-vieux-pont |
À ceux qui sont petits | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À ceux qui sont petits
Titre : À ceux qui sont petits
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Est-ce ma faute à moi si vous n'êtes pas grands ?
Vous aimez les hiboux, les fouines, les tyrans,
Le mistral, le simoun, l'écueil, la lune rousse ;
Vous êtes Myrmidon que son néant courrouce ;
Hélas ! l'envie en vous creuse son puits sans fond,
Et je vous plains. Le plomb de votre style fond
Et coule sur les noms que dore un peu de gloire,
Et, tout en répandant sa triste lave noire,
Tâche d'être cuisant et ne peut qu'être lourd.
Tortueux, vous rampez après tout ce qui court ;
Votre oeil furieux suit les grands aigles véloces.
Vous reprochez leur taille et leur ombre aux colosses ;
On dit de vous : - Pygmée essaya, mais ne put.
Qui haïra Chéops si ce n'est Lilliput ?
Le Parthénon vous blesse avec ses fiers pilastres ;
Vous êtes malheureux de la beauté des astres ;
Vous trouvez l'océan trop clair, trop noir, trop bleu ;
Vous détestez le ciel parce qu'il montre Dieu ;
Vous êtes mécontents que tout soit quelque chose ;
Hélas, vous n'êtes rien. Vous souffrez de la rose,
Du cygne, du printemps pas assez pluvieux.
Et ce qui rit vous mord. Vous êtes envieux
De voir voler la mouche et de voir le ver luire.
Dans votre jalousie acharnée à détruire
Vous comprenez quiconque aime, quiconque a foi,
Et même vous avez de la place pour moi !
Un brin d'herbe vous fait grincer s'il vous dépasse ;
Vous avez pour le monde auguste, pour l'espace,
Pour tout ce qu'on voit croître, éclairer, réchauffer,
L'infâme embrassement qui voudrait étouffer.
Vous avez juste autant de pitié que le glaive.
En regardant un champ vous maudissez la sève ;
L'arbre vous plaît à l'heure où la hache le fend ;
Vous avez quelque chose en vous qui vous défend
D'être bons, et la rage est votre rêverie.
Votre âme a froid par où la nôtre est attendrie ;
Vous avez la nausée où nous sentons l'aimant ;
Vous êtes monstrueux tout naturellement.
Vous grondez quand l'oiseau chante sous les grands ormes.
Quand la fleur, près de vous qui vous sentez difformes,
Est belle, vous croyez qu'elle le fait exprès.
Quel souffle vous auriez si l'étoile était près !
Vous croyez qu'en brillant la lumière vous blâme ;
Vous vous imaginez, en voyant une femme,
Que c'est pour vous narguer qu'elle prend un amant,
Et que le mois de mai vous verse méchamment
Son urne de rayons et d'encens sur la tête ;
Il vous semble qu'alors que les bois sont en fête,
Que l'herbe est embaumée et que les prés sont doux,
Heureux, frais, parfumés, charmants, c'est contre vous.
Vous criez : au secours ! quand le soleil se lève.
Vous exécrez sans but, sans choix, sans fin, sans trêve,
Sans effort, par instinct, pour mentir, pour trahir ;
Ce n'est pas un travail pour vous de tout haïr,
Fourmis, vous abhorrez l'immensité sans peine.
C'est votre joie impie, âcre, cynique, obscène.
Et vous souffrez. Car rien, hélas, n'est châtié
Autant que l'avorton, géant d'inimitié !
Si l'oeil pouvait plonger sous la voûte chétive
De votre crâne étroit qu'un instinct vil captive,
On y verrait l'énorme horizon de la nuit ;
Vous êtes ce qui bave, ignore, insulte et nuit ;
La montagne du mal est dans votre âme naine.
Plus le coeur est petit, plus il y tient de haine. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-ceux-qui-sont-petits.php | victor-hugo-poeme-a-ceux-qui-sont-petits |
La dernière feuille | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : La dernière feuille
Titre : La dernière feuille
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : La comédie de la mort (1838).
Dans la forêt chauve et rouillée
Il ne reste plus au rameau
Qu'une pauvre feuille oubliée,
Rien qu'une feuille et qu'un oiseau.
Il ne reste plus dans mon âme
Qu'un seul amour pour y chanter,
Mais le vent d'automne qui brame
Ne permet pas de l'écouter.
L'oiseau s'en va, la feuille tombe,
L'amour s'éteint, car c'est l'hiver.
Petit oiseau, viens sur ma tombe
Chanter, quand l'arbre sera vert ! | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-la-derniere-feuille.php | theophile-gautier-poeme-la-derniere-feuille |
Aimer est un destin charmant | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : Aimer est un destin charmant
Titre : Aimer est un destin charmant
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Recueil : Élégies (1784).
Élégie VIII.
Aimer est un destin charmant ;
C'est un bonheur qui nous enivre,
Et qui produit l'enchantement.
Avoir aimé, c'est ne plus vivre,
Hélas ! c'est avoir acheté
Cette accablante vérité,
Que les serments sont un mensonge,
Que l'amour trompe tôt ou tard,
Que l'innocence n'est qu'un art,
Et que le bonheur n'est qu'un songe. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-aimer-est-un-destin-charmant.php | evariste-de-parny-poeme-aimer-est-un-destin-charmant |
Nature ornant la dame | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Nature ornant la dame
Titre : Nature ornant la dame
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Poésies diverses (1587).
Nature ornant la dame qui devait
De sa douceur forcer les plus rebelles,
Lui fit présent des beautés les plus belles,
Que dès mille ans en épargne elle avait.
Tout ce qu'Amour avarement couvait
De beau, de chaste et d'honneur sous ses ailes,
Emmiella les grâces immortelles
De son bel œil, qui les Dieux émouvait.
Du ciel à peine elle était descendue
Quand je la vu, quand mon âme éperdue
En devint folle, et d'un si poignant trait
Le fier Destin l'engrava dans mon âme,
Que, vif ne mort, jamais d'une autre dame
Empreint au cœur je n'aurai le portrait. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-nature-ornant-la-dame.php | pierre-de-ronsard-poeme-nature-ornant-la-dame |
Lesbos | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Lesbos
Titre : Lesbos
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers, languissants ou joyeux,
Chauds comme les soleils, frais comme les pastèques,
Font l'ornement des nuits et des jours glorieux,
Mère des jeux latins et des voluptés grecques,
Lesbos, où les baisers sont comme les cascades
Qui se jettent sans peur dans les gouffres sans fonds
Et courent , sanglotant et gloussant par saccades,
Orageux et secrets, fourmillants et profonds ;
Lesbos, où les baisers sont comme les cascades !
Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,
Où jamais un soupir ne resta sans écho,
A l'égal de Paphos les étoiles t'admirent,
Et Vénus à bon droit peut jalouser Sapho !
Lesbos, où les Phrynés l'une l'autre s'attirent,
Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Qui font qu'à leurs miroirs, stérile volupté !
Les filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses,
Caressent les fruits mûrs de leur nubilité ;
Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses,
Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère ;
Tu tires ton pardon de l'excès des baisers,
Reine du doux empire, aimable et noble terre,
Et des raffinements toujours inépuisés.
Laisse du vieux Platon se froncer l'oeil austère.
Tu tires ton pardon de l'éternel martyre,
Infligé sans relâche aux coeurs ambitieux,
Qu'attire loin de nous le radieux sourire
Entrevu vaguement au bord des autres cieux !
Tu tires ton pardon de l'éternel martyre !
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge
Et condamner ton front pâli dans les travaux,
Si ses balances d'or n'ont pesé le déluge
De larmes qu'à la mer ont versé tes ruisseaux ?
Qui des Dieux osera, Lesbos, être ton juge ?
Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?
Vierges au coeur sublime, honneur de l'Archipel,
Votre religion comme une autre est auguste,
Et l'amour se rira de l'Enfer et du Ciel !
Que nous veulent les lois du juste et de l'injuste ?
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre
Pour chanter le secret de ses vierges en fleurs,
Et je fus dès l'enfance admis au noir mystère
Des rires effrénés mêlés aux sombres pleurs ;
Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre.
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,
Comme une sentinelle à l'oeil perçant et sûr,
Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate,
Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur ;
Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne,
Et parmi les sanglots dont le roc retentit
Un soir ramènera vers Lesbos, qui pardonne,
Le cadavre adoré de Sapho qui partit
Pour savoir si la mer est indulgente et bonne !
De la mâle Sapho, l'amante et le poète,
Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !
- L'oeil d'azur est vaincu par l'oeil noir que tachète
Le cercle ténébreux tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l'amante et le poète !
- Plus belle que Vénus se dressant sur le monde
Et versant les trésors de sa sérénité
Et le rayonnement de sa jeunesse blonde
Sur le vieil Océan de sa fille enchanté ;
Plus belle que Vénus se dressant sur le monde !
- De Sapho qui mourut le jour de son blasphème,
Quand, insultant le rite et le culte inventé,
Elle fit son beau corps la pâture suprême
D'un brutal dont l'orgueil punit l'impiété
De celle qui mourut le jour de son blasphème.
Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente,
Et, malgré les honneurs que lui rend l'univers,
S'enivre chaque nuit du cri de la tourmente
Que poussent vers les cieux ses rivages déserts.
Et c'est depuis ce temps que Lesbos se lamente ! | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-lesbos.php | charles-baudelaire-poeme-lesbos |
Plaisir d'amour | Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794) | Poésie : Plaisir d'amour
Titre : Plaisir d'amour
Poète : Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794)
Recueil : Nouvelle Célestine (1784).
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.
J'ai tout quitté pour l'ingrate Sylvie,
Elle me quitte et prend un autre amant.
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.
Tant que cette eau coulera doucement
Vers ce ruisseau qui borde la prairie,
Je t'aimerai, me répétait Sylvie ;
L'eau coule encor, elle a changé pourtant !
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie. | https://www.poesie-francaise.fr/jean-pierre-claris-de-florian/poeme-plaisir-d-amour.php | jean-pierre-claris-de-florian-poeme-plaisir-d-amour |
Le remède dangereux | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : Le remède dangereux
Titre : Le remède dangereux
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Recueil : Poésies érotiques (1778).
Ô toi, qui fus mon écolière
En musique, et même en amour,
Viens dans mon paisible séjour
Exercer ton talent de plaire.
Viens voir ce qu'il m'en coûte à moi,
Pour avoir été trop bon maître.
Je serais mieux portant peut-être,
Si moins assidu près de toi,
Si moins empressé, moins fidèle,
Et moins tendre dans mes chansons,
J'avais ménagé des leçons
Où mon cœur mettait trop de zèle.
Ah ! viens du moins, viens apaiser
Les maux que tu m'as faits, cruelle !
Ranime ma langueur mortelle ;
Viens me plaindre, et qu'un seul baiser
Me rende une santé nouvelle.
Fidèle à mon premier penchant,
Amour, je te fais le serment
De la perdre encor avec elle. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-le-remede-dangereux.php | evariste-de-parny-poeme-le-remede-dangereux |
Destinée | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : Destinée
Titre : Destinée
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : La comédie de la mort (1838).
Comme la vie est faite ! Et que le train du monde
Nous pousse aveuglément en des chemins divers !
Pareil au Juif maudit, l'un, par tout l'univers,
Promène sans repos sa course vagabonde ;
L'autre, vrai docteur Faust, baigné d'ombre profonde,
Auprès de sa croisée étroite, à carreaux verts,
Poursuit de son fauteuil quelques rêves amers,
Et dans l'âme sans fond laisse filer la sonde.
Eh bien ! Celui qui court sur la terre était né
Pour vivre au coin du feu ; le foyer, la famille,
C'était son vœu ; mais Dieu ne l'a pas couronné.
Et l'autre, qui n'a vu du ciel que ce qui brille
Par le trou du volet, était le voyageur.
Ils ont passé tous deux à côté du bonheur. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-destinee.php | theophile-gautier-poeme-destinee |
Sur le Point du Jour | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Sur le Point du Jour
Titre : Sur le Point du Jour
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Parallèlement (1889).
Le Point du Jour, le point blanc de Paris,
Le seul point blanc, grâce à tant de bâtisse
Et neuve et laide et que je t'en ratisse,
Le Point du Jour aurore des paris !
Le bonneteau fleurit « dessur » la berge,
La bonne tôt s'y déprave, tant pis
Pour elle et tant mieux pour le birbe gris
Qui lui du moins la croit encore vierge.
Il a raison le vieux, car voyez donc
Comme est joli toujours le paysage :
Paris au loin, triste et gai, fol et sage,
Et le Trocadéro, ce cas, au fond,
Puis la verdure et le ciel et les types
Et la rivière obscène et molle, avec
Des gens trop beaux, leur cigare à leur bec,
Épatants ces metteurs-au-vent de tripes ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-sur-le-point-du-jour.php | paul-verlaine-poeme-sur-le-point-du-jour |
À la Vendée | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : À la Vendée
Titre : À la Vendée
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
À M. le vicomte de Chateaubriand.
I.
« Qui de nous, en posant une urne cinéraire,
N'a trouvé quelque ami pleurant sur un cercueil ?
Autour du froid tombeau d'une épouse ou d'un frère,
Qui de nous n'a mené le deuil ? »
— Ainsi sur les malheurs de la France éplorée
Gémissait la Muse sacrée
Qui nous montra le ciel ouvert,
Dans ces chants où, planant sur Rome et sur Palmyre,
Sublime, elle annonçait les douceurs du martyre
Et l'humble bonheur du désert.
Depuis, à nos tyrans rappelant tous leurs crimes,
Et vouant aux remords ces cœurs sans repentirs,
Elle a dit : « En ces temps la France eut des victimes ;
Mais la Vendée eut des martyrs ! »
— Déplorable Vendée, a-t-on séché tes larmes ?
Marches-tu, ceinte de tes armes,
Au premier rang de nos guerriers ?
Si l'honneur, si la foi n'est pas un vain fantôme,
Montre-moi quels palais ont remplacé le chaume
De tes rustiques chevaliers.
Hélas ! tu te souviens des jours de ta misère !
Des flots de sang baignaient tes sillons dévastés,
Et le pied des coursiers n'y foulait de poussière
Que la cendre de tes cités.
Ceux-là qui n'avaient pu te vaincre avec l'épée
Semblaient, dans leur rage trompée,
Implorer l'enfer pour appui ;
Et, roulant sur la plaine en torrents de fumée,
Le vaste embrasement poursuivait ton armée,
Qui ne fuyait que devant lui.
II.
La Loire, vit alors, sur ses plages désertes,
S'assembler les tribus des vengeurs de nos rois,
Peuple qui ne pleurait, fier de ses nobles pertes,
Que sur le trône et sur la croix.
C'étaient quelques vieillards fuyant leurs toits en flammes
C'étaient des enfants et des femmes,
Suivis d'un reste de héros ;
Au milieu d'eux marchait leur patrie exilée,
Car ils ne laissaient plus qu'une terre peuplée
De cadavres et de bourreaux.
On dit qu'en ce moment, dans un divin délire,
Un vieux prêtre parut parmi ces fiers soldats,
Comme un saint chargé d'ans qui parle du martyre
Aux nobles anges des combats ;
Tranquille, en proclamant de sinistres présages,
Les souvenirs des anciens âges
S'éveillaient dans son cœur glacé ;
Et, racontant le sort qu'ils devaient tous attendre,
La voix de l'avenir semblait se faire attendre,
Dans ses discours pleins du passé.
III.
« Au delà du Jourdain, après quarante années,
Dieu promit une terre aux enfants d'Israël
Au-delà de ces flots, après quelques journées,
Le Seigneur vous promet le ciel.
Ces bords ne verront plus vos phalanges errantes ;
Dieu, sur des plaines dévorantes,
Vous prépare un tombeau lointain ;
Votre astre doit s'éteindre, à peine à son aurore ;
Mais Samson expirant peut ébranler encore
Les colonnes du Philistin.
« Vos guerriers périront ; mais, toujours invincibles,
S'ils ne peuvent punir, ils sauront se venger ;
Car ils verront encor fuir ces soldats terribles
Devant qui fuyait l'étranger.
Vous ne mourrez pas tous sous des bras intrépides ;
Les uns, sur des nefs homicides,
Seront jetés aux flots mouvants ;
Ceux-là promèneront des os sans sépulture,
Et cacheront leurs morts sous une terre obscure,
Pour les dérober aux vivants.
« Et vous, ô jeune chef, ravi par la victoire
Aux hasards de Mortagne, aux périls de Saumur,
L'honneur de vous frapper dans un combat sans gloire
Rendra célèbre un bras obscur.
Il ne sera donné qu'à bien peu de nos frères
De revoir, après tant de guerres,
La place où furent leurs foyers ;
Alors, ornant son toit de ses armes oisives,
Chacun d'eux attendra que Dieu donne à nos rives
Les lys, qu'il préfère aux lauriers.
« Vendée, ô noble terre ! ô ma triste patrie !
Tu dois payer bien cher le retour de tes rois !
Avant que sur nos bords croisse la fleur chérie,
Ton sang l'arrosera deux fois.
Mais aussi, lorsqu'un jour l'Europe réunie
De l'arbre de la tyrannie
Aura brisé les rejetons,
Tous les rois vanteront leurs camps, leur flotte immense,
Et, seul, le roi chrétien mettra dans la balance
L'humble glaive des vieux Bretons.
« Grand Dieu ! – Si toutefois, après ces jours d'ivresse,
Blessant le cœur aigri du héros oublié,
Une voix insultante offrait à sa détresse
Les dons ingrats de la pitié ;
Si sa mère, et sa veuve, et sa fille, éplorées,
S'arrêtaient, de faim dévorées,
Au seuil d'un favori puissant,
Rappelant à celui qu'implore leur misère
Qu'elles n'ont plus ce fils, cet époux et ce père
Qui croyait leur léguer son sang ;
« Si, pauvre et délaissé, le citoyen fidèle,
Lorsqu'un traître enrichi se rirait de sa foi,
Entendait au sénat calomnier son zèle
Par celui qui jugea son roi ;
Si, pour comble d'affronts, un magistrat injuste,
Déguisant sous un nom auguste
L'abus d'un insolent pouvoir,
Venait, de vils soupçons chargeant sa noble tête,
Lui demander ce fer, sa première conquête, —
Peut-être son dernier espoir ;
« Qu'il se résigne alors. — Par ses crimes prospères
L'impie heureux insulte au fidèle souffrant ;
Mais que le juste pense aux forfaits de nos pères,
Et qu'il songe à son Dieu mourant.
Le Seigneur veut parfois le triomphe du vice,
Il veut aussi, dans sa justice,
Que l'innocent verse des pleurs ;
Souvent, dans ses desseins, Dieu suit d'étranges voies,
Lui qui livre Satan aux infernales joies,
Et Marie aux saintes douleurs. »
IV.
Le vieillard s'arrêta. Sans croire à son langage,
Ils quittèrent ces bords, pour n'y plus revenir ;
Et tous croyaient couvert des ténèbres de l'âge
L'esprit qui voyait l'avenir.
Ainsi, faible en soldats, mais fort en renommée,
Ce débris d'une illustre armée
Suivait sa bannière en lambeaux ;
Et ces derniers français, que rien ne put défendre,
Loin de leur temple en deuil et de leur chaume en cendre,
Allaient conquérir des tombeaux !
1819. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-a-la-vendee.php | victor-hugo-poeme-a-la-vendee |
Cythère | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Cythère
Titre : Cythère
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Fêtes galantes (1869).
Un pavillon à claires-voies
Abrite doucement nos joies
Qu'éventent des rosiers amis ;
L'odeur des roses, faible, grâce
Au vent léger d'été qui passe,
Se mêle aux parfums qu'elle a mis ;
Comme ses yeux l'avaient promis,
Son courage est grand et sa lèvre
Communique une exquise fièvre ;
Et l'Amour comblant tout, hormis
La Faim, sorbets et confitures
Nous préservent des courbatures. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-cythere.php | paul-verlaine-poeme-cythere |
Projet de solitude | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : Projet de solitude
Titre : Projet de solitude
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Fuyons ces tristes lieux, ô maîtresse adorée !
Nous perdons en espoir la moitié de nos jours,
Et la crainte importune y trouble nos amours.
Non loin de ce rivage est une île ignorée,
Interdite aux vaisseaux, et d'écueils entourée.
Un zéphyr éternel y rafraîchit les airs.
Libre et nouvelle encor, la prodigue nature
Embellit de ses dons ce point de l'univers :
Des ruisseaux argentés roulent sur la verdure,
Et vont en serpentant se perdre au sein des mers ;
Une main favorable y reproduit sans cesse
L'ananas parfumé des plus douces odeurs ;
Et l'oranger touffu courbé sous sa richesse,
Se couvre en même temps et de fruits et de fleurs.
Que nous faut-il de plus ? cette île fortunée
Semble par la nature aux amants destinée.
L'océan la resserre, et deux fois en un jour
De cet asile étroit on achève le tour.
Là je ne craindrai plus un père inexorable.
C'est là qu'en liberté tu pourras être aimable,
Et couronner l'amant qui t'a donné son cœur.
Vous coulerez alors, mes paisibles journées,
Par les nœuds du plaisir l'une et l'autre enchaînées :
Laissez moi peu de gloire et beaucoup de bonheur.
Viens ; la nuit est obscure et le ciel sans nuage ;
D'un éternel adieu saluons ce rivage,
Où par toi seule encore mes pas sont retenus.
Je vois à l'horizon l'étoile de Vénus :
Vénus dirigera notre course incertaine.
Éole exprès pour nous vient d'enchaîner les vents ;
Sur les flots aplanis Zéphyre souffle à peine ;
Viens ; l'Amour jusqu'au port conduira deux amants. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-projet-de-solitude.php | evariste-de-parny-poeme-projet-de-solitude |
Qu'en avez-vous fait | Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) | Poésie : Qu'en avez-vous fait
Titre : Qu'en avez-vous fait
Poète : Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Vous aviez mon coeur,
Moi, j'avais le vôtre :
Un coeur pour un coeur ;
Bonheur pour bonheur !
Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !
La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur :
Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?
Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,
Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !
Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'amour ?
Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !...
Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte ;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.
Et l'on vous dira :
« Personne !... elle est morte. »
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra ? | https://www.poesie-francaise.fr/marceline-desbordes-valmore/poeme-qu-en-avez-vous-fait.php | marceline-desbordes-valmore-poeme-qu-en-avez-vous-fait |
C'est la nuit ; la nuit noire | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : C'est la nuit ; la nuit noire
Titre : C'est la nuit ; la nuit noire
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
C'est la nuit ; la nuit noire, assoupie et profonde.
L'ombre immense élargit ses ailes sur le monde.
Dans vos joyeux palais gardés par le canon,
Dans vos lits de velours, de damas, de linon,
Sous vos chauds couvre-pieds de martres zibelines
Sous le nuage blanc des molles mousselines,
— Derrière vos rideaux qui cachent sous leurs plis
Toutes les voluptés avec tous les oublis,
Aux sons d'une fanfare amoureuse et lointaine,
Tandis qu'une veilleuse, en tremblant, ose à peine
Eclairer le plafond de pourpre et de lampas,
Vous, duc de Saint-Arnaud, vous, comte de Maupas,
Vous, sénateurs, préfets, généraux, juges, princes,
Toi, César, qu'à genoux adorent tes provinces,
Toi qui rêvas l'empire et le réalisas,
Dormez, maîtres... — Voici le jour. Debout, forçats !
Jersey, le 28 octobre 1852. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-c-est-la-nuit-la-nuit-noire.php | victor-hugo-poeme-c-est-la-nuit-la-nuit-noire |
Le chat (II) | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Le chat (II)
Titre : Le chat (II)
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
I
Dans ma cervelle se promène
Ainsi qu'en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l'entend à peine,
Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s'apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C'est là son charme et son secret.
Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.
Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n'a pas besoin de mots.
Non, il n'est pas d'archet qui morde
Sur mon coeur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,
Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu'harmonieux !
II
De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu'un soir
J'en fus embaumé, pour l'avoir
Caressée une fois, rien qu'une.
C'est l'esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?
Quand mes yeux, vers ce chat que j'aime
Tirés comme par un aimant
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même
Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales,
Qui me contemplent fixement. | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-le-chat-2.php | charles-baudelaire-poeme-le-chat-2 |
Tête de faune | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Tête de faune
Titre : Tête de faune
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Recueil : Poésies (1870-1871).
Dans la feuillée, écrin vert taché d'or,
Dans la feuillée incertaine et fleurie
De fleurs splendides où le baiser dort,
Vif et crevant l'exquise broderie,
Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.
Et quand il a fui - tel qu'un écureuil -
Son rire tremble encore à chaque feuille,
Et l'on voit épeuré par un bouvreuil
Le Baiser d'or du Bois, qui se recueille. | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-tete-de-faune.php | arthur-rimbaud-poeme-tete-de-faune |
Voeu | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Voeu
Titre : Voeu
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Poèmes saturniens (1866).
Ah ! les oaristys ! les premières maîtresses !
L'or des cheveux, l'azur des yeux, la fleur des chairs,
Et puis, parmi l'odeur des corps jeunes et chers,
La spontanéité craintive des caresses !
Sont-elles assez loin toutes ces allégresses
Et toutes ces candeurs ! Hélas ! toutes devers
Le printemps des regrets ont fui les noirs hivers
De mes ennuis, de mes dégoûts, de mes détresses !
Si que me voilà seul à présent, morne et seul,
Morne et désespéré, plus glacé qu'un aïeul,
Et tel qu'un orphelin pauvre sans soeur aînée.
Ô la femme à l'amour câlin et réchauffant,
Douce, pensive et brune, et jamais étonnée,
Et qui parfois vous baise au front, comme un enfant ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-voeu.php | paul-verlaine-poeme-voeu |
La cathédrale est majestueuse | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : La cathédrale est majestueuse
Titre : La cathédrale est majestueuse
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Bonheur (1891).
La cathédrale est majestueuse
Que j'imagine en pleine campagne
Sur quelque affluent de quelque Meuse
Non loin de l'Océan qu'il regagne,
L'Océan pas vu que je devine
Par l'air chargé de sels et d'arômes.
La croix est d'or dans la nuit divine
D'entre l'envol des tours et des dômes.
Des Angélus font aux campaniles
Une couronne d'argent qui chante ;
De blancs hibous, aux longs cris graciles,
Tournent sans fin de sorte charmante ;
Des processions jeunes et claires
Vont et viennent de porches sans nombre,
Soie et perles de vivants rosaires,
Rogations pour de chers fruits d'ombre.
Ce n'est pas un rêve ni la vie,
C'est ma belle et ma chaste pensée,
Si vous voulez ma philosophie,
Ma mort choisie ainsi déguisée. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-la-cathedrale-est-majestueuse.php | paul-verlaine-poeme-la-cathedrale-est-majestueuse |
À Mademoiselle *** | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : À Mademoiselle ***
Titre : À Mademoiselle ***
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Parallèlement (1889).
Rustique beauté
Qu'on a dans les coins,
Tu sens bon les foins,
La chair et l'été.
Tes trente-deux dents
De jeune animal
Ne vont point trop mal
À tes yeux ardents.
Ton corps dépravant
Sous tes habits courts,
— Retroussés et lourds,
Tes seins en avant,
Tes mollets farauds,
Ton buste tentant,
— Gai, comme impudent,
Ton cul ferme et gros,
Nous boutent au sang
Un feu bête et doux
Qui nous rend tout fous,
Croupe, rein et flanc.
Le petit vacher
Tout fier de son cas,
Le maître et ses gas,
Les gas du berger,
Je meurs si je mens,
Je les trouve heureux,
Tous ces culs-terreux,
D'être tes amants. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-a-mademoiselle.php | paul-verlaine-poeme-a-mademoiselle |
L'impudent | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : L'impudent
Titre : L'impudent
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Parallèlement (1889).
La misère et le mauvais œil,
Soit dit sans le calomnier,
Ont fait à ce monstre d'orgueil
Une âme de vieux prisonnier.
Oui, jettatore, oui, le dernier
Et le premier des gueux en deuil
De l'ombre même d'un denier
Qu'ils poursuivront jusqu'au cercueil.
Son regard mûrit les enfants.
Il a des refus triomphants.
Même il est bête à sa façon.
Beautés passant, au lieu de sous,
Faites à ce mauvais garçon
L'aumône seulement... de vous. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-limpudent.php | paul-verlaine-poeme-limpudent |
Elle était pâle, et pourtant rose | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Elle était pâle, et pourtant rose
Titre : Elle était pâle, et pourtant rose
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Elle était pâle, et pourtant rose,
Petite avec de grands cheveux.
Elle disait souvent : je n'ose,
Et ne disait jamais : je veux.
Le soir, elle prenait ma Bible
Pour y faire épeler sa soeur,
Et, comme une lampe paisible,
Elle éclairait ce jeune coeur.
Sur le saint livre que j'admire
Leurs yeux purs venaient se fixer ;
Livre où l'une apprenait à lire,
Où l'autre apprenait à penser !
Sur l'enfant, qui n'eût pas lu seule,
Elle penchait son front charmant,
Et l'on aurait dit une aïeule,
Tant elle parlait doucement !
Elle lui disait: Sois bien sage !
Sans jamais nommer le démon ;
Leurs mains erraient de page en page
Sur Moïse et sur Salomon,
Sur Cyrus qui vint de la Perse,
Sur Moloch et Léviathan,
Sur l'enfer que Jésus traverse,
Sur l'éden où rampe Satan.
Moi, j'écoutais... - Ô joie immense
De voir la soeur près de la soeur !
Mes yeux s'enivraient en silence
De cette ineffable douceur.
Et, dans la chambre humble et déserte,
Où nous sentions, cachés tous trois,
Entrer par la fenêtre ouverte
Les souffles des nuits et des bois,
Tandis que, dans le texte auguste,
Leurs coeurs, lisant avec ferveur,
Puisaient le beau, le vrai, le juste,
Il me semblait, à moi rêveur,
Entendre chanter des louanges
Autour de nous, comme au saint lieu,
Et voir sous les doigts de ces anges
Tressaillir le livre de Dieu ! | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-elle-etait-pale-et-pourtant-rose.php | victor-hugo-poeme-elle-etait-pale-et-pourtant-rose |
Tous deux | François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898) | Poésie : Tous deux
Titre : Tous deux
Poète : François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898)
Recueil : Les loisirs lyriques (1866).
Tous deux, pour nos amours invoquons le mystère,
François-Marie Robert-Dutertre.
Tous deux, pour nos amours invoquons le mystère,
Cachons à tous les yeux nos entretiens si doux ;
Car l'amour, vois-tu bien, c'est la fleur solitaire,
C'est l'oiseau qui s'enfuit au regard des jaloux.
Tous deux, quand le printemps ornera les prairies,
Pour mieux nous sentir seuls loin des bruits d'ici-bas,
Nous irons épancher nos douces rêveries
Sous les bosquets en fleurs où l'on parle tout bas.
Tous deux, nous goûterons des amours infinies,
Ma main pressant ta main, mes yeux cherchant tes yeux,
Nos cœurs se parleront sur nos lèvres unies
Et nous irons un jour ensemble vers les cieux. | https://www.poesie-francaise.fr/francois-marie-robert-dutertre/poeme-tous-deux.php | francois-marie-robert-dutertre-poeme-tous-deux |
La statue (II) | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : La statue (II)
Titre : La statue (II)
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
IL semblait grelotter, car la bise était dure.
C'était, sous un amas de rameaux sans verdure,
Une pauvre statue, au dos noir, au pied vert,
Un vieux faune isolé dans le vieux parc désert,
Qui, de son front penché touchant aux branches d'arbre,
Se perdait à mi-corps dans sa gaine de marbre.
Il était là, pensif, à la terre lié,
Et, comme toute chose immobile, – oublié !
Des arbres l'entouraient, fouettés d'un vent de glace,
Et comme lui vieillis à cette même place ;
Des marronniers géants, sans feuilles, sans oiseaux
Sous leurs tailles brouillés en ténébreux réseaux,
Pâle, il apparaissait, et la terre était brune.
Une âpre nuit d'hiver, sans étoile et sans lune,
Tombait à larges pans dans le brouillard diffus.
D'autres arbres plus loin croisaient leurs sombres fûts ;
Plus loin d'autre encore, estompés par l'espace,
Poussaient dans le ciel gris où le vent du soir passe
Mille petits rameaux noirs, tordus et mêlés,
Et se posaient partout, l'un par l'autre voilés,
Sur l'horizon, perdu dans les vapeurs informes,
Comme un grand troupeau roux de hérissons énormes.
Rien de plus. Ce vieux faune, un ciel morne, un bois noir.
Peut-être dans la brume au loin pouvait-on voir
Quelque longue terrasse aux verdâtres assises,
Ou, près d'un grand bassin, des nymphes indécises,
Honteuses à bon droit dans ce parc aboli,
Autrefois des regards, maintenant de l'oubli.
Le vieux faune riait. – Dans leurs ombres douteuses
Laissant le bassin triste et les nymphes honteuses,
Le vieux faune riait, c'est à lui que je vins ;
Ému, car sans pitié tous ces sculpteurs divins
Condamnent pour jamais, contents qu'on les admire,
Les nymphes à la honte et les faunes au rire.
Moi, j'ai toujours pitié du pauvre marbre obscur.
De l'homme moins souvent, parce qu'il est plus dur.
Et, sans froisser d'un mot son oreille blessée,
Car le marbre entend bien la voix de la pensée,
Je lui dis : – Vous étiez du beau siècle amoureux.
Sylvain, qu'avez-vous vu quand vous étiez heureux ?
Vous étiez de la cour ? Vous assistiez aux fêtes ?
C'est pour vous divertir que ces nymphes sont faites.
C'est pour vous, dans ces bois, que de savantes mains
Ont mêlé les dieux grecs et les césars romains,
Et, dans les claires eaux mirant les vases rares,
Tordu tout ce jardin en dédales bizarres.
Quand vous étiez heureux, qu'avez-vous vu, Sylvain ?
Contez-moi les secrets de ce passé trop vain,
De ce passé charmant, plein de flammes discrètes,
Où parmi les grands rois croissaient les grands poètes.
Que de frais souvenirs dont encor vous riez !
Parlez-moi, beau Sylvain, comme vous parleriez
A l'arbre, au vent qui souffle, à l'herbe non foulée.
D'un bout à l'autre bout de cette épaisse allée,
Avez-vous quelquefois, moqueur antique et grec,
Quand près de vous passait avec le beau Lautrec
Marguerite aux yeux doux, la reine béarnaise,
Lancé votre œil oblique à l'Hercule Farnèse ?
Seul sous votre antre vert de feuillage mouillé,
Ô Sylvain complaisant, avez-vous conseillé,
Vous tournant vers chacun du côté qui l'attire,
Racan comme berger, Regnier comme satyre ?
Avez-vous vu parfois, sur ce banc, vers midi,
Suer Vincent de Paul à façonner Gondi ?
Faune ! avez-vous suivi de ce regard étrange
Anne avec Buckingham, Louis avec Fontange,
Et se retournaient-ils, la rougeur sur le front,
En vous entendant rire au coin du bois profond ?
Étiez-vous consulté sur le thyrse ou le lierre,
Lorsqu'en un grand ballet de forme singulière
La cour du dieu Phœbus ou la cour du dieu Pan
Du nom d'Amaryllis enivraient Montespan ?
Fuyant des courtisans les oreilles de pierre,
La Fontaine vint-il, les pleurs dans la paupière,
De ses nymphes de Vaux vous conter les regrets ?
Que vous disait Boileau, que vous disait Segrais,
A vous, faune lettré qui jadis dans l'églogue
Aviez avec Virgile un charmant dialogue,
Et qui faisiez sauter, sur le gazon naissant,
Le lourd spondée au pas du dactyle dansant ?
Avez-vous vu jouer les beautés dans les herbes,
Chevreuse aux yeux noyés, Thiange aux airs superbes ?
Vous ont-elles parfois de leur groupe vermeil
Entouré follement, si bien que le soleil
Découpait tout à coup, en perçant quelque nue,
Votre profil lascif sur leur gorge ingénue ?
Votre arbre a-t-il reçu sous son abri serein
L'écarlate linceul du pâle Mazarin ?
Avez-vous eu l'honneur de voir rêver Molière ?
Vous a-t-il quelquefois, d'une voix familière,
Vous jetant brusquement un vers mélodieux,
Tutoyé, comme on fait entre les demi-dieux ?
En revenant un soir du fond des avenues,
Ce penseur, qui, voyant les âmes toutes nues,
Ne pouvait avoir peur de votre nudité,
À l'homme en son esprit vous a-t-il confronté ?
Et vous a-t-il trouvé, vous le spectre cynique,
Moins triste, moins méchant, moins froid, moins ironique,
Alors qu'il comparait, s'arrêtant en chemin,
Votre rire de marbre à notre rire humain ? –
Ainsi je lui parlais sous l'épaisse ramure.
Il ne répondit pas même par un murmure.
J'écoutais, incliné sur le marbre glacé,
Mais je n'entendis rien remuer du passé.
La blafarde lueur du jour qui se retire
Blanchissait vaguement l'immobile satyre,
Muet à ma parole et sourd à ma pitié.
À le voir là, sinistre, et sortant à moitié
De son fourreau noirci par l'humide feuillée,
On eût dit la poignée en torse ciselée
D'un vieux glaive rouillé qu'on laisse dans l'étui.
Je secouai la tête et m'éloignai de lui.
Alors des buissons noirs, des branches desséchées
Comme des sœurs en deuil sur sa tête penchées,
Et des antres secrets dispersés dans les bois,
Il me sembla soudain qu'il sortait une voix,
Qui dans mon âme obscure et vaguement sonore
Éveillait un écho comme au fond d'une amphore.
– Ô poète imprudent, que fais-tu ? laisse en paix
Les faunes délaissés sous les arbres épais !
Poète ! ignores-tu qu'il est toujours impie
D'aller, aux lieux déserts où dort l'ombre assoupie,
Secouer, par l'amour fussiez-vous entraînés,
Cette mousse qui pend aux siècles ruinés,
Et troubler, du vain bruit de vos voix indiscrètes,
Le souvenir des morts dans ses sombres retraites ! –
Alors dans les jardins sous la brume enfouis
Je m'enfonçai, rêvant aux jours évanouis,
Tandis que les rameaux s'emplissaient de mystère,
Et que derrière moi le faune solitaire,
Hiéroglyphe obscur d'un antique alphabet,
Continuait de rire à la nuit qui tombait.
J'allais, et contemplant d'un regard triste encore
Tous ces doux souvenirs, beauté, printemps, aurore,
Dans l'air et sous mes pieds épars, mêlés, flottants,
Feuilles de l'autre été, femmes de l'autre temps,
J'entrevoyais au loin, sous les branchages sombres,
Des marbres dans le bois, dans le passé des ombres !
Le 19 mars 1837. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-la-statue-II.php | victor-hugo-poeme-la-statue-II |
J'arrive où je suis étranger | Louis Aragon (1897-1982) | Poésie : J'arrive où je suis étranger
Titre : J'arrive où je suis étranger
Poète : Louis Aragon (1897-1982)
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger
Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon
Passe ton doigt là sur ta tempe
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux
Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus
Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps
C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie
C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux
Ô mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
À l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées
Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre pour le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger. | https://www.poesie-francaise.fr/louis-aragon/poeme-j-arrive-ou-je-suis-etranger.php | louis-aragon-poeme-j-arrive-ou-je-suis-etranger |
La fête chez Thérèse | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : La fête chez Thérèse
Titre : La fête chez Thérèse
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
La chose fut exquise et fort bien ordonnée.
C'était au mois d'avril, et dans une journée
Si douce, qu'on eût dit qu'amour l'eût faite exprès.
Thérèse la duchesse à qui je donnerais,
Si j'étais roi, Paris, si j'étais Dieu, le monde,
Quand elle ne serait que Thérèse la blonde ;
Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant,
Nous avait conviés dans son jardin charmant.
On était peu nombreux. Le choix faisait la fête.
Nous étions tous ensemble et chacun tête à tête.
Des couples pas à pas erraient de tous côtés.
C'étaient les fiers seigneurs et les rares beautés,
Les Amyntas rêvant auprès des Léonores,
Les marquises riant avec les monsignores ;
Et l'on voyait rôder dans les grands escaliers
Un nain qui dérobait leur bourse aux cavaliers.
A midi, le spectacle avec la mélodie.
Pourquoi jouer Plautus la nuit ? La comédie
Est une belle fille, et rit mieux au grand jour.
Or, on avait bâti, comme un temple d'amour,
Près d'un bassin dans l'ombre habité par un cygne,
Un théâtre en treillage où grimpait une vigne.
Un cintre à claire-voie en anse de panier,
Cage verte où sifflait un bouvreuil prisonnier,
Couvrait toute la scène, et, sur leurs gorges blanches,
Les actrices sentaient errer l'ombre des branches.
On entendait au loin de magiques accords ;
Et, tout en haut, sortant de la frise à mi-corps,
Pour attirer la foule aux lazzis qu'il répète,
Le blanc Pulcinella sonnait de la trompette.
Deux faunes soutenaient le manteau d'Arlequin ;
Trivelin leur riait au nez comme un faquin.
Parmi les ornements sculptés dans le treillage,
Colombine dormait dans un gros coquillage,
Et, quand elle montrait son sein et ses bras nus,
On eût cru voir la conque, et l'on eût dit Vénus.
Le seigneur Pantalon, dans une niche, à droite,
Vendait des limons doux sur une table étroite,
Et criait par instants : " Seigneurs, l'homme est divin.
— Dieu n'avait fait que l'eau, mais l'homme a fait le vin. "
Scaramouche en un coin harcelait de sa batte
Le tragique Alcantor, suivi du triste Arbate ;
Crispin, vêtu de noir, jouait de l'éventail ;
Perché, jambe pendante, au sommet du portail,
Carlino se penchait, écoutant les aubades,
Et son pied ébauchait de rêveuses gambades.
Le soleil tenait lieu de lustre ; la saison
Avait brodé de fleurs un immense gazon,
Vert tapis déroulé sous maint groupe folâtre.
Rangés des deux côtés de l'agreste théâtre,
Les vrais arbres du parc, les sorbiers, les lilas,
Les ébéniers qu'avril charge de falbalas,
De leur sève embaumée exhalant les délices,
Semblaient se divertir à faire les coulisses,
Et, pour nous voir, ouvrant leurs fleurs comme des yeux,
Joignaient aux violons leur murmure joyeux ;
Si bien qu'à ce concert gracieux et classique,
La nature mêlait un peu de sa musique.
Tout nous charmait, les bois, le jour serein, l'air pur,
Les femmes tout amour, et le ciel tout azur.
Pour la pièce, elle était fort bonne, quoique ancienne,
C'était, nonchalamment assis sur l'avant-scène,
Pierrot qui haranguait, dans un grave entretien,
Un singe timbalier à cheval sur un chien.
Rien de plus. C'était simple et beau. — Par intervalles,
Le singe faisait rage et cognait ses timbales ;
Puis Pierrot répliquait. — Écoutait qui voulait.
L'un faisait apporter des glaces au valet ;
L'autre, galant drapé d'une cape fantasque,
Parlait bas à sa dame en lui nouant son masque ;
Trois marquis attablés chantaient une chanson ;
Thérèse était assise à l'ombre d'un buisson :
Les roses pâlissaient à côté de sa joue,
Et, la voyant si belle, un paon faisait la roue.
Moi, j'écoutais, pensif, un profane couplet
Que fredonnait dans l'ombre un abbé violet.
La nuit vint, tout se tut ; les flambeaux s'éteignirent ;
Dans les bois assombris les sources se plaignirent.
Le rossignol, caché dans son nid ténébreux,
Chanta comme un poète et comme un amoureux.
Chacun se dispersa sous les profonds feuillages ;
Les folles en riant entraînèrent les sages ;
L'amante s'en alla dans l'ombre avec l'amant ;
Et, troublés comme on l'est en songe, vaguement,
Ils sentaient par degrés se mêler à leur âme,
A leurs discours secrets, à leurs regards de flamme,
A leur coeur, à leurs sens, à leur molle raison,
Le clair de lune bleu qui baignait l'horizon. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-la-fete-chez-therese.php | victor-hugo-poeme-la-fete-chez-therese |
Heureux l'homme occupé | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Heureux l'homme occupé
Titre : Heureux l'homme occupé
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les contemplations (1856).
Heureux l'homme, occupé de l'éternel destin,
Qui, tel qu'un voyageur qui part de grand matin,
Se réveille, l'esprit rempli de rêverie,
Et, dès l'aube du jour, se met à lire et prie !
A mesure qu'il lit, le jour vient lentement
Et se fait dans son âme ainsi qu'au firmament.
Il voit distinctement, à cette clarté blême,
Des choses dans sa chambre et d'autres en lui-même ;
Tout dort dans la maison; il est seul, il le croit ;
Et, cependant, fermant leur bouche de leur doigt,
Derrière lui, tandis que l'extase l'enivre,
Les anges souriants se penchent sur son livre. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-heureux-l-homme-occupe.php | victor-hugo-poeme-heureux-l-homme-occupe |
La société est sauvée | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : La société est sauvée
Titre : La société est sauvée
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
France ! à l'heure où tu te prosternes,
Le pied d'un tyran sur ton front,
La voix sortira des cavernes
Les enchaînés tressailleront.
Le banni, debout sur la grève,
Contemplant l'étoile et le flot,
Comme ceux qu'on entend en rêve,
Parlera dans l'ombre tout haut ;
Et ses paroles qui menacent,
Ses paroles dont l'éclair luit,
Seront comme des mains qui passent
Tenant des glaives dans la nuit.
Elles feront frémir les marbres
Et les monts que brunit le soir,
Et les chevelures des arbres
Frissonneront sous le ciel noir ;
Elles seront l'airain qui sonne,
Le cri qui chasse les corbeaux,
Le souffle inconnu dont frissonne
Le brin d'herbe sur les tombeaux ;
Elles crieront : Honte aux infâmes,
Aux oppresseurs, aux meurtriers !
Elles appelleront les âmes
Comme on appelle des guerriers !
Sur les races qui se transforment,
Sombre orage, elles planeront ;
Et si ceux qui vivent s'endorment,
Ceux qui sont morts s'éveilleront.
Jersey, août 1853. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-la-societe-est-sauvee.php | victor-hugo-poeme-la-societe-est-sauvee |
Tu vis en toutes les femmes | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Tu vis en toutes les femmes
Titre : Tu vis en toutes les femmes
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Chair (1896).
Car tu vis en toutes les femmes
Et toutes les femmes c'est toi.
Et tout l'amour qui soit, c'est moi
Brûlant pour toi de mille flammes.
Ton sourire tendre ou moqueur,
Tes yeux, mon Styx ou mon Lignon,
Ton sein opulent ou mignon
Sont les seuls vainqueurs de mon cœur.
Et je mords à ta chevelure
Longue ou frisée, en haut, en bas,
Noire ou rouge et sur l'encolure
Et là ou là — et quels repas !
Et je bois à tes lèvres fines
Ou grosses, — à la Lèvre, toute !
Et quelles ivresses en route,
Diaboliques et divines !
Car toute la femme est en toi
Et ce moi que tu multiplies
T'aime en toute Elle et tu rallies
En toi seule tout l'amour : Moi ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-tu-vis-en-toutes-les-femmes.php | paul-verlaine-poeme-tu-vis-en-toutes-les-femmes |
La vie | Félix Arvers (1806-1850) | Poésie : La vie
Titre : La vie
Poète : Félix Arvers (1806-1850)
Amis, accueillez-moi, j'arrive dans la vie.
Dépensons l'existence au gré de notre envie :
Vivre, c'est être libre, et pouvoir à loisir
Abandonner son âme à l'attrait du plaisir ;
C'est chanter, s'enivrer des cieux, des bois, de l'onde,
Ou, parmi les tilleuls, suivre une vierge blonde !
— C'est bien là le discours d'un enfant. Écoutez :
Vous avez de l'esprit. — Trop bon. — Et méritez
Qu'un ami plus mûr vienne, en cette circonstance,
D'un utile conseil vous prêter l'assistance.
Il ne faut pas se faire illusion ici ;
Avant d'être poète, et de livrer ainsi
Votre âme à tout le feu de l'ardeur qui l'emporte.
Avez-vous de l'argent ? — Que sais-je ?et que m'importe ?
— Il importe beaucoup ; et c'est précisément
Ce qu'il faut, avant tout, considérer. — Vraiment ?
— S'il fut des jours heureux, où la voix des poètes
Enchaînait à son gré les nations muettes,
Ces jours-là ne sont plus, et depuis bien longtemps :
Est-ce un bien, est-ce un mal, je l'ignore, et n'entends
Que vous prouver un fait, et vous faire comprendre
Que si le monde est tel, tel il faut bien le prendre.
Le poète n'est plus l'enfant des immortels,
A qui l'homme à genoux élevait des autels ;
Ce culte d'un autre âge est perdu dans le nôtre,
Et c'est tout simplement un homme comme un autre.
Si donc vous n'avez rien, travaillez pour avoir ;
Embrassez un état : le tout est de savoir
Choisir, et sans jamais regarder en arrière,
D'un pas ferme et hardi poursuivre sa carrière.
— Et ce monde idéal que je me figurais !
Et ces accents lointains du cor dans les forêts !
Et ce bel avenir, et ces chants d'innocence !
Et ces rêves dorés de mon adolescence !
Et ces lacs, et ces mers, et ces champs émaillés,
Et ces grands peupliers, et ces fleurs ! — Travaillez.
Apprenez donc un peu, jeune homme, à vous connaître :
Vous croyez que l'on n'a que la peine de naître,
Et qu'on est ici-bas pour dormir, se lever,
Passer, les bras croisés, tout le jour à rêver ;
C'est ainsi qu'on se perd, c'est ainsi qu'on végète :
Pauvre, inutile à tous, le monde vous rejette :
Contre la faim, le froid, on lutte, on se débat
Quelque temps, et l'on va mourir sur un grabat.
Ce tableau n'est pas gai, ce discours n'est pas tendre.
C'est vrai ; mais j'ai voulu vous faire bien entendre,
Par amitié pour vous, et dans votre intérêt,
Où votre poésie un jour vous conduirait.
Cet homme avait raison, au fait : j'ai dû me taire.
Je me croyais poète, et me voici notaire.
J'ai suivi ses conseils, et j'ai, sans m'effrayer,
Subi le lourd fardeau d'une charge à payer.
Je dois être content : c'est un très bel office ;
C'est magnifique, à part même le bénéfice.
On a bonne maison, on reçoit les jeudis ;
On a des clercs, qu'on loge en haut, dans un taudis.
Il est vrai que l'état n'est pas fort poétique.
Et rien n'est positif comme l'acte authentique.
Mais il faut pourtant bien se faire une raison,
Et tous ces contes bleus ne sont plus de saison :
Il faut que le notaire, homme d'exactitude,
D'un travail assidu se fasse l'habitude ;
Va, malheureux ! et si quelquefois il advient
Qu'un riant souvenir d'enfance vous revient,
Si vous vous rappelez que la voix des génies
Vous berçait, tout petit, de vagues harmonies ;
Si, poursuivant encor un bonheur qu'il rêva.
L'esprit vers d'autres temps veut se retourner : Va !
Est-ce avec tout cela qu'on mène son affaire ?
N'as-tu pas ce matin un testament à faire ?
Le client est fort mal, et serait en état,
Si tu tardais encor, de mourir intestat.
Mais j'ai trente-deux ans accomplis ; à mon âge
Il faut songer pourtant à se mettre en ménage ;
Il faut faire une fin, tôt ou tard. Dans le temps.
J'y songeais bien aussi, quand j'avais dix-huit ans.
Je voyais chaque nuit, de la voûte étoilée,
Descendre sur ma couche une vierge voilée ;
Je la sentais, craintive, et cédant à mes vœux.
D'un souffle caressant effleurer mes cheveux ;
Et cette vision que j'avais tant rêvée.
Sur la terre, une fois, je l'avais retrouvée.
Oh ! qui me les rendra ces rapides instants,
Et ces illusions d'un amour de vingt ans !
L'automne à la campagne, et ses longues soirées,
Les mères, dans un coin du salon retirées,
Ces regards pleins de feu, ces gestes si connus,
Et ces airs si touchants que j'ai tous retenus ?
Tout à coup une voix d'en haut l'a rappelée :
Cette vie est si triste ! elle s'en est allée ;
Elle a fermé les yeux, sans crainte, sans remords ;
Mais pensent-ils encore à nous ceux qui sont morts ?
Il s'agit bien ici d'un amour platonique !
Me voici marié : ma femme est fille unique ;
Son père est épicier-droguiste retiré,
Et riche, qui plus est : je le trouve à mon gré.
Il n'est correspondant d'aucune académie.
C'est vrai ; mais il est rond, et plein de bonhomie :
Et puis j'aime ma femme, et je crois en effet,
En demandant sa main, avoir sagement fait.
Est-il un sort plus doux, et plus digne d'envie ?
On passe, au coin du feu, tranquillement sa vie :
On boit, on mange, on dort, et l'on voit arriver
Des enfants qu'il faut mettre en nourrice, élever,
Puis établir enfin : puis viennent les années,
Les rides au visage et les couleurs fanées,
Puis les maux, puis la goutte. On vit comme cela
Cinquante ou soixante ans, et puis on meurt. Voilà. | https://www.poesie-francaise.fr/felix-arvers/poeme-la-vie.php | felix-arvers-poeme-la-vie |
Amoureuse du diable | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Amoureuse du diable
Titre : Amoureuse du diable
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
À Stéphane Mallarmé
Il parle italien avec un accent russe.
Il dit : « Chère, il serait précieux que je fusse
Riche, et seul, tout demain et tout après-demain.
Mais riche à paver d'or monnayé le chemin
De l'Enfer, et si seul qu'il vous va falloir prendre
Sur vous de m'oublier jusqu'à ne plus entendre
Parler de moi sans vous dire de bonne foi :
Qu'est-ce que ce monsieur Félice ? Il vend de quoi ? »
Cela s'adresse à la plus blanche des comtesses.
Hélas ! toute grandeurs, toutes délicatesses,
Cœur d'or, comme l'on dit, âme de diamant,
Riche, belle, un mari magnifique et charmant
Qui lui réalisait toute chose rêvée,
Adorée, adorable, une Heureuse, la Fée,
La Reine, aussi la Sainte, elle était tout cela,
Elle avait tout cela.
Cet homme vint, vola
Son cœur, son âme, en fit sa maîtresse et sa chose
Et ce que la voilà dans ce doux peignoir rose
Avec ses cheveux d'or épars comme du feu,
Assise, et ses grands yeux d'azur tristes un peu.
Ce fut une banale et terrible aventure
Elle quitta de nuit l'hôtel. Une voiture
Attendait. Lui dedans. Ils restèrent six mois
Sans que personne sût où ni comment. Parfois
On les disait partis à toujours. Le scandale
Fut affreux. Cette allure était par trop brutale
Aussi pour que le monde ainsi mis au défi
N'eût pas frémi d'une ire énorme et poursuivi
De ses langues les plus agiles l'insensée.
Elle, que lui faisait ? Toute à cette pensée,
Lui, rien que lui, longtemps avant qu'elle s'enfuît,
Ayant réalisé son avoir (sept ou huit
Millions en billets de mille qu'on liasse
Ne pèsent pas beaucoup et tiennent peu de place.)
Elle avait tassé tout dans un coffret mignon
Et le jour du départ, lorsque son compagnon
Dont du rhum bu de trop rendait la voix plus tendre
L'interrogea sur ce colis qu'il voyait pendre
À son bras qui se lasse, elle répondit : « Ça
C'est notre bourse. »
Ô tout ce qui se dépensa !
Il n'avait rien que sa beauté problématique
(D'autant pire) et que cet esprit dont il se pique
Et dont nous parlerons, comme de sa beauté,
Quand il faudra... Mais quel bourreau d'argent ! Prêté,
Gagné, volé ! Car il volait à sa manière,
Excessive, partant respectable en dernière
Analyse, et d'ailleurs respectée, et c'était
Prodigieux la vie énorme qu'il menait
Quand au bout de six mois ils revinrent.
Le coffre
Aux millions (dont plus que quatre) est là qui s'offre
À sa main. Et pourtant cette fois — une fois
N'est pas coutume — il a gargarisé sa voix
Et remplacé son geste ordinaire de prendre
Sans demander, par ce que nous venons d'entendre.
Elle s'étonne avec douceur et dit : « Prends tout
Si tu veux. »
Il prend tout et sort.
Un mauvais goût
Qui n'avait de pareil que sa désinvolture
Semblait pétrir le fond même de sa nature,
Et dans ses moindres mots, dans ses moindres clins d'yeux,
Faisait luire et vibrer comme un charme odieux.
Ses cheveux noirs étaient trop bouclés pour un homme,
Ses yeux très grands, tout verts, luisaient comme à Sodome.
Dans sa voix claire et lente un serpent s'avançait,
Et sa tenue était de celles que l'on sait :
Du vernis, du velours, trop de linge, et des bagues.
D'antécédents, il en avait de vraiment vagues
Ou pour mieux dire, pas. Il parut un beau soir,
L'autre hiver, à Paris, sans qu'aucun pût savoir
D'où venait ce petit monsieur, fort bien du reste
Dans son genre et dans son outrecuidance leste.
Il fit rage, eut des duels célèbres et causa
Des morts de femmes par amour dont on causa.
Comment il vint à bout de la chère comtesse,
Par quel philtre ce gnome insuffisant qui laisse
Une odeur de cheval et de femme après lui
A-t-il fait d'elle cette fille d'aujourd'hui ?
Ah, ça, c'est le secret perpétuel que berce
Le sang des dames dans son plus joli commerce,
À moins que ce ne soit celui du Diable aussi.
Toujours est-il que quand le tour eut réussi
Ce fut du propre !
Absent souvent trois jours sur quatre,
Il rentrait ivre, assez lâche et vil pour la battre,
Et quand il voulait bien rester près d'elle un peu,
Il la martyrisait, en manière de jeu,
Par l'étalage de doctrines impossibles.
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Mia, je ne suis pas d'entre les irascibles,
Je suis le doux par excellence, mais, tenez,
Ça m'exaspère, et je le dis à votre nez,
Quand je vous vois l'œil blanc et la lèvre pincée,
Avec je ne sais quoi d'étroit dans la pensée
Parce que je reviens un peu soûl quelquefois.
Vraiment, en seriez-vous à croire que je bois
Pour boire, pour licher, comme vous autres chattes,
Avec vos vins sucrés dans vos verres à pattes
Et que l'Ivrogne est une forme du Gourmand ?
Alors l'instinct qui vous dit ça ment plaisamment
Et d'y prêter l'oreille un instant, quel dommage !
Dites, dans un bon Dieu de bois est-ce l'image
Que vous voyez et vers qui vos vœux vont monter ?
L'Eucharistie est-elle un pain à cacheter
Pur et simple, et l'amant d'une femme, si j'ose
Parler ainsi consiste-t-il en cette chose
Unique d'un monsieur qui n'est pas son mari
Et se voit de ce chef tout spécial chéri ?
Ah, si je bois c'est pour me soûler, non pour boire.
Être soûl, vous ne savez pas quelle victoire
C'est qu'on remporte sur la vie, et quel don c'est !
On oublie, on revoit, on ignore et l'on sait ;
C'est des mystères pleins d'aperçus, c'est du rêve
Qui n'a jamais eu de naissance et ne s'achève
Pas, et ne se meut pas dans l'essence d'ici ;
C'est une espèce d'autre vie en raccourci,
Un espoir actuel, un regret qui « rapplique »,
Que sais-je encore ? Et quant à la rumeur publique,
Au préjugé qui hue un homme dans ce cas,
C'est hideux, parce que bête, et je ne plains pas
Ceux ou celles qu'il bat à travers son extase,
Ô que nenni !
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
« Voyons, l'amour, c'est une phrase
Sous un mot, — avouez, un écoute-s'il-pleut,
Un calembour dont un chacun prend ce qu'il veut,
Un peu de plaisir fin, beaucoup de grosse joie
Selon le plus ou moins de moyens qu'il emploie,
Ou pour mieux dire, au gré de son tempérament,
Mais, entre nous, le temps qu'on y perd ! Et comment !
Vrai, c'est honteux que des personnes sérieuses
Comme nous deux, avec ces vertus précieuses
Que nous avons, du cœur, de l'esprit, — de l'argent,
Dans un siècle que l'on peut dire intelligent
Aillent !... »
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
Ainsi de suite, et sa fade ironie
N'épargnait rien de rien dans sa blague infinie.
Elle écoutait le tout avec les yeux baissés
Des cœurs aimants à qui tous torts sont effacés,
Hélas !
L'après-demain et le demain se passent.
Il rentre et dit : « Altro ! Que voulez-vous que fassent
Quatre pauvres petits millions contre un sort ?
Ruinés, ruinés, je vous dis ! C'est la mort
Dans l'âme que je vous le dis. »
Elle frissonne
Un peu, mais sait que c'est arrivé.
— « Ça, personne,
« Même vous, diletta, ne me croit assez sot
Pour demeurer ici dedans le temps d'un saut
De puce. »
Elle pâlit très fort et frémit presque,
Et dit : « Va, je sais tout. » — « Alors c'est trop grotesque
Et vous jouez là sans atouts avec le feu.
— « Qui dit non ? » — « Mais je suis spécial à ce jeu. »
— « Mais si je veux, exclame-t-elle, être damnée ? »
— « C'est différent, arrange ainsi ta destinée,
« Moi, je sors. » « Avec moi ! » — « Je ne puis aujourd'hui. »
Il a disparu sans autre trace de lui
Qu'une odeur de soufre et qu'un aigre éclat de rire.
Elle tire un petit couteau.
Le temps de luire
Et la lame est entrée à deux lignes du cœur.
Le temps de dire, en renfonçant l'acier vainqueur :
« À toi, je t'aime ! » et la justice la recense.
Elle ne savait pas que l'Enfer c'est l'absence. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-amoureuse-du-diable.php | paul-verlaine-poeme-amoureuse-du-diable |
Langueur | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Langueur
Titre : Langueur
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Jadis et naguère (1884).
Je suis l'Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D'un style d'or où la langueur du soleil danse.
L'âme seulette a mal au coeur d'un ennui dense.
Là-bas on dit qu'il est de longs combats sanglants.
O n'y pouvoir, étant si faible aux voeux si lents,
O n'y vouloir fleurir un peu cette existence !
O n'y vouloir, ô n'y pouvoir mourir un peu !
Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?
Ah ! tout est bu, tout est mangé ! Plus rien à dire !
Seul, un poème un peu niais qu'on jette au feu,
Seul, un esclave un peu coureur qui vous néglige,
Seul, un ennui d'on ne sait quoi qui vous afflige ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-langueur.php | paul-verlaine-poeme-langueur |
À Ernest Delahaye | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : À Ernest Delahaye
Titre : À Ernest Delahaye
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Amour (1888).
Dieu, nous voulant amis parfaits, nous fit tous deux
Gais de cette gaîté qui rit pour elle-même,
De ce rire absolu, colossal et suprême,
Qui s'esclaffe de tous et ne blesse aucun d'eux.
Tous deux nous ignorons l'égoïsme hideux
Qui nargue ce prochain même qu'il faut qu'on aime
Comme soi-même : tels les termes du problème,
Telle la loi totale au texte non douteux.
Et notre rire étant celui de l'innocence,
Il éclate et rugit dans la toute-puissance
D'un bon orage plein de lumière et d'air frais.
Pour le soin du Salut, qui me pique et m'inspire,
J'estime que, parmi nos façons d'être prêts,
Il nous faut mettre au rang des meilleures ce rire. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-a-ernest-delahaye.php | paul-verlaine-poeme-a-ernest-delahaye |
Qu'est-ce pour nous, mon coeur | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : Qu'est-ce pour nous, mon coeur
Titre : Qu'est-ce pour nous, mon coeur
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Qu'est-ce pour nous, mon coeur, que les nappes de sang
Et de braise, et mille meurtres, et les longs cris
De rage, sanglots de tout enfer renversant
Tout ordre ; et l'Aquilon encor sur les débris ;
Et toute vengeance ? Rien !... - Mais si, toute encor,
Nous la voulons ! Industriels, princes, sénats :
Périssez ! puissance, justice, histoire : à bas !
Ça nous est dû. Le sang ! le sang ! la flamme d'or !
Tout à la guerre, à la vengeance, à la terreur,
Mon esprit ! Tournons dans la morsure : Ah ! passez,
Républiques de ce monde ! Des empereurs,
Des régiments, des colons, des peuples, assez !
Qui remuerait les tourbillons de feu furieux,
Que nous et ceux que nous nous imaginons frères ?
A nous, romanesques amis : ça va nous plaire.
Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux !
Europe, Asie, Amérique, disparaissez.
Notre marche vengeresse a tout occupé,
Cités et campagnes ! - Nous serons écrasés !
Les volcans sauteront ! Et l'Océan frappé...
Oh ! mes amis ! - Mon coeur, c'est sûr, ils sont des frères :
Noirs inconnus, si nous allions ! Allons ! allons !
Ô malheur ! je me sens frémir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond,
Ce n'est rien ! j'y suis ! j'y suis toujours. | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-qu-est-ce-pour-nous-mon-coeur.php | arthur-rimbaud-poeme-qu-est-ce-pour-nous-mon-coeur |
Ce que veut l'amitié | Henri-Frédéric Amiel (1821-1881) | Poésie : Ce que veut l'amitié
Titre : Ce que veut l'amitié
Poète : Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
Recueil : Il penseroso (1858).
Ami, j'entends bien tes maximes,
Tes avis, tes conseils, tes vœux,
Et, dans nos entretiens intimes,
J'ai même entendu tes aveux ;
Et pour tout cela mon cœur t'aime
Mais tout cela n'est pas toi-même,
Et c'est toi-même que je veux. | https://www.poesie-francaise.fr/henri-frederic-amiel/poeme-ce-que-veut-lamitie.php | henri-frederic-amiel-poeme-ce-que-veut-lamitie |
Les veuves | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Les veuves
Titre : Les veuves
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Vauvenargues dit que dans les jardins publics il est des allées hantées principalement par l'ambition déçue, par les inventeurs malheureux, par les gloires avortées, par les cœurs brisés, par toutes ces âmes tumultueuses et fermées, en qui grondent encore les derniers soupirs d'un orage, et qui reculent loin du regard insolent des joyeux et des oisifs. Ces retraites ombreuses sont les rendez-vous des éclopés de la vie.
C'est surtout vers ces lieux que le poète et le philosophe aiment diriger leurs avides conjectures. Il y a là une pâture certaine. Car s'il est une place qu'ils dédaignent de visiter, comme je l'insinuais tout à l'heure, c'est surtout la joie des riches. Cette turbulence dans le vide n'a rien qui les attire. Au contraire, ils se sentent irrésistiblement entraînés vers tout ce qui est faible, ruiné, contristé, orphelin.
Un œil expérimenté ne s'y trompe jamais. Dans ces traits rigides ou abattus, dans ces yeux caves et ternes, ou brillants des derniers éclairs de la lutte, dans ces rides profondes et nombreuses, dans ces démarches si lentes ou si saccadées, il déchiffre tout de suite les innombrables légendes de l'amour trompé, du dévouement méconnu, des efforts non récompensés, de la faim et du froid humblement, silencieusement supportés.
Avez-vous quelquefois aperçu des veuves sur ces bancs solitaires, des veuves pauvres ? Qu'elles soient en deuil ou non, il est facile de les reconnaître. D'ailleurs il y a toujours dans le deuil du pauvre quelque chose qui manque, une absence d'harmonie qui le rend plus navrant. Il est contraint de lésiner sur sa douleur. Le riche porte la sienne au grand complet.
Quelle est la veuve la plus triste et la plus attristante, celle qui traîne à sa main un bambin avec qui elle ne peut pas partager sa rêverie, ou celle qui est tout à fait seule ? Je ne sais... Il m'est arrivé une fois de suivre pendant de longues heures une vieille affligée de cette espèce ; celle-là roide, droite, sous un petit châle usé, portait dans tout son être une fierté de stoïcienne.
Elle était évidemment condamnée, par une absolue solitude, à des habitudes de vieux célibataire, et le caractère masculin de ses mœurs ajoutait un piquant mystérieux à leur austérité. Je ne sais dans quel misérable café et de quelle façon elle déjeuna. Je la suivis au cabinet de lecture ; et je l'épiai longtemps pendant qu'elle cherchait dans les gazettes, avec des yeux actifs, jadis brûlés par les larmes, des nouvelles d'un intérêt puissant et personnel.
Enfin, dans l'après-midi, sous un ciel d'automne charmant, un de ces ciels d'où descendent en foule les regrets et les souvenirs, elle s'assit à l'écart dans un jardin, pour entendre, loin de la foule, un de ces concerts dont la musique des régiments gratifie le peuple parisien.
C'était sans doute là la petite débauche de cette vieille innocente (ou de cette vieille purifiée), la consolation bien gagnée d'une de ces lourdes journées sans ami, sans causerie, sans joie, sans confident, que Dieu laissait tomber sur elle, depuis bien des ans peut-être ! trois cent soixante-cinq fois par an.
Une autre encore :
Je ne puis jamais m'empêcher de jeter un regard, sinon universellement sympathique, au moins curieux, sur la foule de parias qui se pressent autour de l'enceinte d'un concert public. L'orchestre jette à travers la nuit des chants de fête, de triomphe ou de volupté. Les robes traînent en miroitant ; les regards se croisent ; les oisifs, fatigués de n'avoir rien fait, se dandinent, feignant de déguster indolemment la musique. Ici rien que de riche, d'heureux ; rien qui ne respire et n'inspire l'insouciance et le plaisir de se laisser vivre ; rien, excepté l'aspect de cette tourbe qui s'appuie là-bas sur la barrière extérieure, attrapant gratis, au gré du vent, un lambeau de musique, et regardant l'étincelante fournaise intérieure.
C'est toujours chose intéressante que ce reflet de la joie du riche au fond de l'œil du pauvre. Mais ce jour-là, à travers ce peuple vêtu de blouses et d'indienne, j'aperçus un être dont la noblesse faisait un éclatant contraste avec toute la trivialité environnante.
C'était une femme grande, majestueuse, et si noble dans tout son air, que je n'ai pas souvenir d'avoir vu sa pareille dans les collections des aristocratiques beautés du passé. Un parfum de hautaine vertu émanait de toute sa personne. Son visage, triste et amaigri, était en parfaite accordance avec le grand deuil dont elle était revêtue. Elle aussi, comme la plèbe à laquelle elle s'était mêlée et qu'elle ne voyait pas, elle regardait le monde lumineux avec un œil profond, et elle écoutait en hochant doucement la tête.
Singulière vision ! « À coup sûr, me dis-je, cette pauvreté-là, si pauvreté il y a, ne doit pas admettre l'économie sordide ; un si noble visage m'en répond. Pourquoi donc reste-t-elle volontairement dans un milieu où elle fait une tache si éclatante ? »
Mais en passant curieusement auprès d'elle, je crus en deviner la raison. La grande veuve tenait par la main un enfant comme elle vêtu de noir ; si modique que fût le prix d'entrée, ce prix suffisait peut-être pour payer un des besoins du petit être, mieux encore, une superfluité, un jouet.
Et elle sera rentrée à pied, méditant et rêvant, seule, toujours seule ; car l'enfant est turbulent, égoïste, sans douceur et sans patience ; et il ne peut même pas, comme le pur animal, comme le chien et le chat, servir de confident aux douleurs solitaires. | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-les-veuves.php | charles-baudelaire-poeme-les-veuves |
Extase | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Extase
Titre : Extase
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les orientales (1829).
J'étais seul près des flots, par une nuit d'étoiles.
Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles.
Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel.
Et les bois, et les monts, et toute la nature,
Semblaient interroger dans un confus murmure
Les flots des mers, les feux du ciel.
Et les étoiles d'or, légions infinies,
A voix haute, à voix basse, avec mille harmonies,
Disaient, en inclinant leurs couronnes de feu ;
Et les flots bleus, que rien ne gouverne et n'arrête,
Disaient, en recourbant l'écume de leur crête :
C'est le Seigneur, le Seigneur Dieu !
Le 25 novembre 1828. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-extase.php | victor-hugo-poeme-extase |
Va ton chemin sans plus t'inquiéter | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Va ton chemin sans plus t'inquiéter
Titre : Va ton chemin sans plus t'inquiéter
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Va ton chemin sans plus t'inquiéter !
La route est droite et tu n'as qu'à monter,
Portant d'ailleurs le seul trésor qui vaille,
Et l'arme unique au cas d'une bataille,
La pauvreté d'esprit et Dieu pour toi.
Surtout il faut garder toute espérance.
Qu'importe un peu de nuit et de souffrance ?
La route est bonne et la mort est au bout.
Oui, garde toute espérance surtout.
La mort là-bas te dresse un lit de joie.
Et fais-toi doux de toute la douceur.
La vie est laide, encore c'est ta soeur.
Simple, gravis la côte et même chante,
Pour écarter la prudence méchante
Dont la voix basse est pour tenter ta foi.
Simple comme un enfant, gravis la côte,
Humble comme un pécheur qui hait la faute,
Chante, et même sois gai, pour défier
L'ennui que l'ennemi peut t'envoyer
Afin que tu t'endormes sur la voie.
Ris du vieux piège et du vieux séducteur,
Puisque la Paix est là, sur la hauteur,
Qui luit parmi des fanfares de gloire.
Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire.
Déjà l'Ange Gardien étend sur toi
Joyeusement des ailes de victoire. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-va-ton-chemin-sans-plus-tinquieter.php | paul-verlaine-poeme-va-ton-chemin-sans-plus-tinquieter |
À Aimée d'Alton | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : À Aimée d'Alton
Titre : À Aimée d'Alton
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Poésies posthumes (1888).
Déesse aux yeux d'azur, aux épaules d'albâtre,
Belle muse païenne au sourire adoré,
Viens, laisse-moi presser de ma lèvre idolâtre
Ton front qui resplendit sous un pampre doré.
Vois-tu ce vert sentier qui mène à la colline ?
Là, je t'embrasserai sous le clair firmament,
Et de la tiède nuit la lueur argentine
Sur tes contours divins flottera mollement. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-a-aimee-d-alton.php | alfred-de-musset-poeme-a-aimee-d-alton |
There | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : There
Titre : There
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
« Angels », seul coin luisant dans ce Londres du soir,
Où flambe un peu de gaz et jase quelque foule,
C'est drôle que, semblable à tel très dur espoir,
Ton souvenir m'obsède et puissamment enroule
Autour de mon esprit un regret rouge et noir :
Devantures, chansons, omnibus et les danses
Dans le demi-brouillard où flue un goût de rhum,
Décence, toutefois, le souci des cadences,
Et même dans l'ivresse un certain décorum,
Jusqu'à l'heure où la brume et la nuit se font denses.
« Angels » ! jours déjà loin, soleils morts, flots taris ;
Mes vieux péchés longtemps ont rôdé par tes voies,
Tout soudain rougissant, misère ! et tout surpris
De se plaire vraiment à tes honnêtes joies,
Eux pour tout le contraire arrivés de Paris !
Souvent l'incompressible Enfance ainsi se joue,
Fût-ce dans ce rapport infinitésimal,
Du monstre intérieur qui nous crispe la joue
Au froid ricanement de la haine et du mal,
Ou gonfle notre lèvre amère en lourde moue.
L'Enfance baptismale émerge du pécheur,
Inattendue, alerte, et nargue ce farouche
D'un sourire non sans franchise ou sans fraîcheur,
Qui vient, quoi qu'il en ait, se poser sur sa bouche
À lui, par un prodige exquisement vengeur.
C'est la Grâce qui passe aimable et nous fait signe.
Ô la simplicité primitive, elle encor !
Cher recommencement bien humble ! Fuite insigne
De l'heure vers l'azur mûrisseur de fruits d'or !
« Angels » ! ô nom revu, calme et frais comme un cygne ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-there.php | paul-verlaine-poeme-there |
Quand l'été, dans ton lit, tu te couches malade | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Quand l'été, dans ton lit, tu te couches malade
Titre : Quand l'été, dans ton lit, tu te couches malade
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Poésies diverses (1587).
Quand l'été, dans ton lit, tu te couches malade,
Couverte d'un linceul, de roses tout semé,
Amour, d'arc et de trousse et de flèches armé,
Caché sous ton chevet, se tient en embuscade.
Personne ne te voit, qui d'une couleur fade
Ne retourne au logis ou malade ou spasmé ;
Qu'il ne sente d'Amour tout son cœur entamé,
Ou ne soit ébloui des rais de ton œillade.
C'est un plaisir de voir tes cheveux arrangés
Sous un scofion (1) peint d'une soie diverse ;
Voir deçà, voir delà tes membres allongés,
Et ta main qui le lit nonchalante traverse,
Et ta voix qui me charme, et ma raison renverse
Si fort que tous mes sens en deviennent changés.
1. Escofion, scofion : Coiffe de femme. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-quand-l-ete-dans-ton-lit-tu-te-couches-malade.php | pierre-de-ronsard-poeme-quand-l-ete-dans-ton-lit-tu-te-couches-malade |
Batignolles | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Batignolles
Titre : Batignolles
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Amour (1888).
Un grand bloc de grès ; quatre noms : mon père
Et ma mère et moi, puis mon fils bien tard,
Dans l'étroite paix du plat cimetière
Blanc et noir et vert, au long du rempart.
Cinq tables de grès ; le tombeau nu, fruste,
En un carré long, haut d'un mètre et plus,
Qu'une chaîne entoure et décore juste,
Au bas du faubourg qui ne bruit plus.
C'est de là que la trompette de l'ange
Fera se dresser nos corps ranimés
Pour la vie enfin qui jamais ne change,
Ô vous, père et mère et fils bien-aimés. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-batignolles.php | paul-verlaine-poeme-batignolles |
La chanson des ingénues | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : La chanson des ingénues
Titre : La chanson des ingénues
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Nous sommes les Ingénues
Aux bandeaux plats, à l'œil bleu,
Qui vivons, presque inconnues,
Dans les romans qu'on lit peu.
Nous allons entrelacées,
Et le jour n'est pas plus pur
Que le fond de nos pensées,
Et nos rêves sont d'azur ;
Et nous courons par les prés
Et rions et babillons
Des aubes jusqu'aux vesprées,
Et chassons aux papillons ;
Et des chapeaux de bergères
Défendent notre fraîcheur,
Et nos robes — si légères —
Sont d'une extrême blancheur ;
Les Richelieux, les Caussades
Et les chevaliers Faublas
Nous prodiguent les œillades,
Les saluts et les « hélas ! »
Mais en vain, et leurs mimiques
Se viennent casser le nez
Devant les plis ironiques
De nos jupons détournés ;
Et notre candeur se raille
Des imaginations
De ces raseurs de muraille,
Bien que parfois nous sentions
Battre nos cœurs sous nos mantes
À des pensers clandestins,
En nous sachant les amantes
Futures des libertins. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-la-chanson-des-ingenues.php | paul-verlaine-poeme-la-chanson-des-ingenues |
Rosa fâchée | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Rosa fâchée
Titre : Rosa fâchée
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865).
Une querelle. Pourquoi ?
Mon Dieu, parce qu'on s'adore.
À peine s'est-on dit Toi
Que Vous se hâte d'éclore.
Le coeur tire sur son noeud ;
L'azur fuit ; l'âme est diverse.
L'amour est un ciel, qui pleut
Sur les amoureux à verse.
De même, quand, sans effroi,
Dans la forêt que juin dore,
On va rôder, sur la foi
Des promesses de l'aurore,
On peut être pris le soir,
Car le beau temps souvent triche,
Par un gros nuage noir
Qui n'était pas sur l'affiche. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-rosa-fachee.php | victor-hugo-poeme-rosa-fachee |
Si tu le veux bien, divine Ignorante | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Si tu le veux bien, divine Ignorante
Titre : Si tu le veux bien, divine Ignorante
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Si tu le veux bien, divine Ignorante,
Je ferai celui qui ne sait plus rien
Que te caresser d'une main errante.
En le geste expert du pire vaurien,
Si tu le veux bien, divine Ignorante.
Soyons scandaleux sans plus nous gêner
Qu'un cerf et sa biche ès bois authentiques.
La honte, envoyons-la se promener.
Même exagérons et, sinon cyniques,
Soyons scandaleux sans plus nous gêner.
Surtout ne parlons pas littérature.
Au diable lecteurs, auteurs, éditeurs
Surtout ! Livrons-nous à notre nature
Dans l'oubli charmant de toutes pudeurs,
Et, ô ! ne parlons pas littérature !
Jouir et dormir, ce sera, veux-tu ?
Notre fonction première et dernière,
Notre seule et notre double vertu,
Conscience unique, unique lumière.
Jouir et dormir, m'amante, veux-tu ? | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-si-tu-le-veux-bien-divine-ignorante.php | paul-verlaine-poeme-si-tu-le-veux-bien-divine-ignorante |
Pièce à grand spectacle | Louis Aragon (1897-1982) | Poésie : Pièce à grand spectacle
Titre : Pièce à grand spectacle
Poète : Louis Aragon (1897-1982)
Recueil : Feu de joie (1920).
L'AMI sans cœur ou le théâtre
Adieu
Celui qui est trop gai
c'est-à-dire trop rouge
pour vivre loin du feu des rampes
De la salle
ficelles pendantes
Des coulisses
on ne voit qu'un nuage doré
machine-volante
Le Régisseur croyait à l'amour d'André
Lestroiscoups
L'oiseaus'envole
On avait oublié de planter le décor
Tintamarre
Le pantin verse des larmes de bois
Pour Prendre Congé
LOUIS ARAGON *
* Il revient saluer. | https://www.poesie-francaise.fr/louis-aragon/poeme-piece-a-grand-spectacle.php | louis-aragon-poeme-piece-a-grand-spectacle |
Le piano que baise une main frêle | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Le piano que baise une main frêle
Titre : Le piano que baise une main frêle
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Romances sans paroles (1874).
Le piano que baise une main frêle
Luit dans le soir rose et gris vaguement,
Tandis qu'un très léger bruit d'aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant
Rôde discret, épeuré quasiment,
Par le boudoir longtemps parfumé d'Elle.
Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudain
Qui lentement dorlote mon pauvre être ?
Que voudrais-tu de moi, doux Chant badin ?
Qu'as-tu voulu, fin refrain incertain
Qui vas tantôt mourir vers la fenêtre
Ouverte un peu sur le petit jardin ? | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-le-piano-que-baise-une-main-frele.php | paul-verlaine-poeme-le-piano-que-baise-une-main-frele |
Être aimé | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Être aimé
Titre : Être aimé
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Écoute-moi. Voici la chose nécessaire :
Être aimé. Hors de là rien n'existe, entends-tu ?
Être aimé, c'est l'honneur, le devoir, la vertu,
C'est Dieu, c'est le démon, c'est tout. J'aime, et l'on m'aime.
Cela dit, tout est dit. Pour que je sois moi-même,
Fier, content, respirant l'air libre à pleins poumons,
Il faut que j'aie une ombre et qu'elle dise : Aimons !
Il faut que de mon âme une autre âme se double,
Il faut que, si je suis absent, quelqu'un se trouble,
Et, me cherchant des yeux, murmure : Où donc est-il ?
Si personne ne dit cela, je sens l'exil,
L'anathème et l'hiver sur moi, je suis terrible,
Je suis maudit. Le grain que rejette le crible,
C'est l'homme sans foyer, sans but, épars au vent.
Ah ! celui qui n'est pas aimé, n'est pas vivant.
Quoi, nul ne vous choisit ! Quoi, rien ne vous préfère !
A quoi bon l'univers ? l'âme qu'on a, qu'en faire ?
Que faire d'un regard dont personne ne veut ?
La vie attend l'amour, le fil cherche le noeud.
Flotter au hasard ? Non ! Le frisson vous pénètre ;
L'avenir s'ouvre ainsi qu'une pâle fenêtre ;
Où mettra-t-on sa vie et son rêve ? On se croit
Orphelin ; l'azur semble ironique, on a froid ;
Quoi ! ne plaire à personne au monde ! rien n'apaise
Cette honte sinistre ; on languit, l'heure pèse,
Demain, qu'on sent venir triste, attriste aujourd'hui,
Que faire ? où fuir ? On est seul dans l'immense ennui.
Une maîtresse, c'est quelqu'un dont on est maître ;
Ayons cela. Soyons aimé, non par un être
Grand et puissant, déesse ou dieu. Ceci n'est pas
La question. Aimons ! Cela suffit. Mes pas
Cessent d'être perdus si quelqu'un les regarde.
Ah ! vil monde, passants vagues, foule hagarde,
Sombre table de jeu, caverne sans rayons !
Qu'est-ce que je viens faire à ce tripot, voyons ?
J'y bâille. Si de moi personne ne s'occupe,
Le sort est un escroc, et je suis une dupe.
J'aspire à me brûler la cervelle. Ah ! quel deuil !
Quoi rien ! pas un soupir pour vous, pas un coup d'oeil !
Que le fuseau des jours lentement se dévide !
Hélas ! comme le coeur est lourd quand il est vide !
Comment porter ce poids énorme, le néant ?
L'existence est un trou de ténèbres, béant ;
Vous vous sentez tomber dans ce gouffre. Ah ! quand Dante
Livre à l'affreuse bise implacable et grondante
Françoise échevelée, un baiser éternel
La console, et l'enfer alors devient le ciel.
Mais quoi ! je vais, je viens, j'entre, je sors, je passe,
Je meurs, sans faire rien remuer dans l'espace !
N'avoir pas un atome à soi dans l'infini !
Qu'est-ce donc que j'ai fait ? De quoi suis-je puni ?
Je ris, nul ne sourit ; je souffre, nul ne pleure.
Cette chauve-souris de son aile m'effleure,
L'indifférence, blême habitante du soir.
Être aimé ! sous ce ciel bleu, moins souvent que noir,
Je ne sais que cela qui vaille un peu la peine
De mêler son visage à la laideur humaine,
Et de vivre. Ah ! pour ceux dont le coeur bat, pour ceux
Qui sentent un regard quelconque aller vers eux,
Pour ceux-là seulement, Dieu vit, et le jour brille !
Qu'on soit aimé d'un gueux, d'un voleur, d'une fille,
D'un forçat jaune et vert sur l'épaule imprimé,
Qu'on soit aimé d'un chien, pourvu qu'on soit aimé !
14 mars 1874. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-etre-aime.php | victor-hugo-poeme-etre-aime |
Odelette à sa maîtresse | Pierre de Ronsard (1524-1585) | Poésie : Odelette à sa maîtresse
Titre : Odelette à sa maîtresse
Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : Poésies diverses (1587).
Je veux aimer ardemment,
Aussi veux-je qu'également
On m'aime d'une amour ardente :
Toute amitié froidement lente
Qui peut dissimuler son bien
Ou taire son mal, ne vaut rien,
Car faire en amours bonne mine
De n'aimer point, c'est le vrai signe.
Les amants si froids en été
Admirateurs de chasteté,
Et qui morfondus pétrarquisent,
Sont toujours sots, car ils ne prisent
Amour, qui de sa nature est
Ardent et prompt, et à qui plaît
De faire qu'une amitié dure
Quand elle tient de sa nature. | https://www.poesie-francaise.fr/pierre-de-ronsard/poeme-odelette-a-sa-maitresse.php | pierre-de-ronsard-poeme-odelette-a-sa-maitresse |
L'homme pauvre du cœur est-il si rare | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : L'homme pauvre du cœur est-il si rare
Titre : L'homme pauvre du cœur est-il si rare
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
L'homme pauvre du cœur est-il si rare, en somme !
Non. Et je suis cet homme et vous êtes cet homme,
Et tous les hommes sont cet homme ou furent lui,
Ou le seront quand l'heure opportune aura lui.
Conçus dans l'agonie épuisée et plaintive
De deux désirs que, seul, un feu brutal avive,
Sans vestige autre nôtre, à travers cet émoi,
Qu'une larme de quoi! Que pleure quoi! dans quoi !
Nés parmi la douleur, le sang et la sanie
Nus, de corps sans instinct et d'âme sans génie
Pour grandir et souffrir par l'âme et par le corps,
Vivant au jour le jour, bernés de vœux discors,
Pour mourir dans l'horreur fatale et la détresse,
Quoi de nous, dès qu'en nous la question se dresse ?
Quoi ? qu'un être capable au plus de moins que peu
En dehors du besoin d'aimer et de voir Dieu
Et quelque chose, au front, du fond du cœur te monte
Qui ressemble à la crainte et qui tient de la honte,
Quelque chose, on dirait, d'encore incomplété,
Mais dont la Charité ferait l'Humilité.
Lors, à quelqu'un vraiment de nature ingénue
Sa conscience n'a qu'à dire : continue,
Si la chair n'arrivait à son tour, en disant :
Arrête, et c'est la guerre en ce juste à présent.
Mais tout n'est pas perdu malgré le coup si rude :
Car la chair avant tout est chose d'habitude,
Elle peut se plier et doit s'acclimater
C'est son droit, son devoir, la loi de la mater
Selon les strictes lois de la bonne nature.
Or la nature est simple, elle admet la culture ;
Elle procède avec douceur, calme et lenteur.
Ton corps est un lutteur, fais-le vivre en lutteur
Sobre et chaste, abhorrant l'excès de toute sorte,
Femme qui le détourne et vin qui le transporte
Et la paresse pire encore que l'excès.
Enfin pacifié, puis apaisé, — tu sais
Quels sacrements il faut pour cette tâche intense.
Et c'est l'Eucharistie après la Pénitence, —
Ce corps allégé, libre et presque glorieux,
Dûment redevenu, dûment laborieux
Va se rompre au plutôt, s'assouplir au service
De ton esprit d'amour, d'offre et de sacrifice
Subira les saisons et les privations,
Enfin sera le temple embaumé d'actions
De grâce, d'encens pur et de vertus chrétiennes,
Et tout retentissant de psaumes et d'antiennes
Qu'habite l'Esprit-Saint et que daigne Jésus
Visiter comparable aux bons rois bien reçus.
De ce moment, toi, pauvre avec pleine assurance,
Après avoir prié pour la persévérance,
Car, docte charité tout d'abord pense à soi,
Puise au gouffre infini de la Foi — plus de foi. —
Que jamais et présente à Dieu ton vœu bien tendre,
Bien ardent, bien formel et de voir et d'entendre
Les hommes t'imiter, même te dépasser
Dans la course au salut, et pour mieux les pousser
A ces fins que le ciel en extase contemple,
Dieu humble (souviens-toi !), prêcheur, prêche d'exemple ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-lhomme-pauvre-du-coeur-est-il-si-rare.php | paul-verlaine-poeme-lhomme-pauvre-du-coeur-est-il-si-rare |
À des amis qui partaient | Théophile Gautier (1811-1872) | Poésie : À des amis qui partaient
Titre : À des amis qui partaient
Poète : Théophile Gautier (1811-1872)
Recueil : Poésies diverses (1838-1845).
Vous partez, chers amis ; la bise ride l'onde,
Un beau reflet ambré dore le front du jour ;
Comme un sein virginal sous un baiser d'amour,
La voile sous le vent palpite et se fait ronde.
Une écume d'argent brode la vague blonde,
La rive fuit. — Voici Mante et sa double tour,
Puis cent autres clochers qui filent tour à tour ;
Puis Rouen la gothique et l'Océan qui gronde.
Au dos du vieux lion, terreur des matelots,
Vous allez confier votre barque fragile,
Et flatter de la main sa crinière de flots.
Horace fit une ode au vaisseau de Virgile :
Moi, j'implore pour vous, dans ces quatorze vers,
Les faveurs de Thétis, la déesse aux yeux verts. | https://www.poesie-francaise.fr/theophile-gautier/poeme-a-des-amis-qui-partaient.php | theophile-gautier-poeme-a-des-amis-qui-partaient |
Alchimie de la douleur | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Alchimie de la douleur
Titre : Alchimie de la douleur
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les fleurs du mal (1857).
L'un t'éclaire avec son ardeur,
L'autre en toi met son deuil, Nature !
Ce qui dit à l'un : Sépulture !
Dit à l'autre : Vie et splendeur !
Hermès inconnu qui m'assistes
Et qui toujours m'intimidas,
Tu me rends l'égal de Midas,
Le plus triste des alchimistes ;
Par toi je change l'or en fer
Et le paradis en enfer ;
Dans le suaire des nuages
Je découvre un cadavre cher,
Et sur les célestes rivages
Je bâtis de grands sarcophages. | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-alchimie-de-la-douleur.php | charles-baudelaire-poeme-alchimie-de-la-douleur |
Promenade | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : Promenade
Titre : Promenade
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
Recueil : Poésies posthumes (1888).
Dans ces bois qu'un nuage dore,
Que l'ombre est lente à s'endormir !
Ce n'est pas le soir, c'est l'aurore,
Qui gaîment nous semble s'enfuir ;
Car nous savons qu'elle va revenir. —
Ainsi, laissant l'espoir éclore
Meurt doucement le souvenir. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-promenade.php | alfred-de-musset-poeme-promenade |
Les cloches du soir | Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) | Poésie : Les cloches du soir
Titre : Les cloches du soir
Poète : Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
Recueil : Romances (1830).
Quand les cloches du soir, dans leur lente volée,
Feront descendre l'heure au fond de la vallée ;
Quand tu n'auras d'amis, ni d'amours près de toi,
Pense à moi ! pense à moi !
Car les cloches du soir avec leur voix sonore
A ton cœur solitaire iront parler encore ;
Et l'air fera vibrer ces mots autour de toi :
Aime-moi ! aime-moi !
Si les cloches du soir éveillent tes alarmes,
Demande au temps ému qui passe entre nos larmes :
Le temps dira toujours qu'il n'a trouvé que toi,
Près de moi ! près de moi !
Quand les cloches du soir, si tristes dans l'absence,
Tinteront sur mon cœur ivre de ta présence :
Ah ! c'est le chant du ciel qui sonnera pour toi,
Et pour moi ! et pour moi ! | https://www.poesie-francaise.fr/marceline-desbordes-valmore/poeme-les-cloches-du-soir.php | marceline-desbordes-valmore-poeme-les-cloches-du-soir |
Hier, on parlait de choses et d'autres | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Hier, on parlait de choses et d'autres
Titre : Hier, on parlait de choses et d'autres
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : La bonne chanson (1872).
Hier, on parlait de choses et d'autres,
Et mes yeux allaient recherchant les vôtres ;
Et votre regard recherchait le mien
Tandis que courait toujours l'entretien.
Sous le banal des phrases pesées
Mon amour errait après vos pensées ;
Et quand vous parliez, à dessein distrait,
Je prêtait l'oreille à votre secret :
Car la voix, ainsi que les yeux de Celle
Qui vous fait joyeux et triste, décèle,
Malgré tout effort morose ou rieur,
Et met au plein jour l'être intérieur.
Or, hier je suis parti plein d'ivresse :
Est-ce un espoir vain que mon coeur caresse,
Un vain espoir, faux et doux compagnon ?
Oh ! non ! n'est-ce pas ? n'est-ce pas que non ? | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-hier-on-parlait-de-choses-et-d-autres.php | paul-verlaine-poeme-hier-on-parlait-de-choses-et-d-autres |
À une passante | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : À une passante
Titre : À une passante
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les fleurs du mal (1857).
La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-a-une-passante.php | charles-baudelaire-poeme-a-une-passante |
Ma retraite | Évariste de Parny (1753-1814) | Poésie : Ma retraite
Titre : Ma retraite
Poète : Évariste de Parny (1753-1814)
Solitude heureuse et champêtre,
Séjour du repos le plus doux,
La raison me ramène à vous ;
Recevez enfin votre maître.
Je suis libre ; j'échappe à ces soins fatigants,
À ces devoirs jaloux qui surchargent la vie.
Aux tyranniques lois d'un monde que j'oublie
Je ne soumettrai plus mes goûts indépendants.
Superbes orangers, qui croissez sans culture,
Versez sur moi vos fleurs, votre ombre et vos parfums ;
Mais surtout dérobez aux regards importuns
Mes plaisirs, comme vous enfants de la nature.
On ne voit point chez moi ces superbes tapis
Que la Perse à grands frais teignit pour notre usage ;
Je ne repose point sous un dais de rubis ;
Mon lit n'est qu'un simple feuillage.
Qu'importe ? le sommeil est-il moins consolant ?
Les rêves qu'il nous donne en sont-ils moins aimables ?
Le baiser d'une amante en est-il moins brûlant,
Et les voluptés moins durables ?
Pendant la nuit, lorsque je peux
Entendre dégoutter la pluie,
Et les fils bruyants d'Orythie
Ébranler mon toit dans leurs jeux ;
Alors, si mes bras amoureux
Entourent ma craintive amie,
Puis-je encor former d'autres vœux ?
Qu'irais-je demander aux dieux,
À qui mon bonheur fait envie ?
Je suis au port, et je me ris
De ces écueils où l'homme échoue.
Je regarde avec un souris
Cette fortune qui se joue
En tourmentant ses favoris ;
Et j'abaisse un œil de mépris
Sur l'inconstance de sa roue.
La scène des plaisirs va changer à mes yeux.
Moins avide aujourd'hui, mais plus voluptueux,
Disciple du sage Epicure,
Je veux que la raison préside à tous mes jeux.
De rien avec excès, de tout avec mesure ;
Voilà le secret d'être heureux.
Trahi par ma jeune maîtresse,
J'irai me plaindre à l'amitié,
Et confier à sa tendresse
Un malheur bientôt oublié.
Bientôt ? oui, la raison guérira ma faiblesse.
Si l'ingrate Amitié me trahit à son tour,
Mon cœur navré longtemps détestera la vie ;
Mais enfin, consolé par la philosophie,
Je reviendrai peut-être aux autels de l'Amour.
La haine est pour moi trop pénible ;
La sensibilité n'est qu'un tourment de plus :
Une indifférence paisible
Est la plus sage des vertus. | https://www.poesie-francaise.fr/evariste-de-parny/poeme-ma-retraite.php | evariste-de-parny-poeme-ma-retraite |
Immédiatement après le salut somptueux | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Immédiatement après le salut somptueux
Titre : Immédiatement après le salut somptueux
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Bonheur (1891).
Immédiatement après le salut somptueux,
Le luminaire éteint moins les seuls cierges liturgiques,
Les psaumes pour les morts sont dits sur un mode mineur
Par les clercs et le peuple saisi de mélancolie.
Un glas lent se répand des clochers de la cathédrale
Répandu par tous les campaniles du diocèse,
Et plane et pleure sur les villes et sur la campagne
Dans la nuit tôt venue en la saison arriérée.
Chacun s'en fut coucher reconduit par la voix dolente
Et douce à l'infini de l'airain commémoratoire
Qui va bercer le sommeil un peu triste des vivants
Du souvenir des décédés de toutes les paroisses. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-immediatement-apres-le-salut-somptueux.php | paul-verlaine-poeme-immediatement-apres-le-salut-somptueux |
À Victor Hugo (II) | Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869) | Poésie : À Victor Hugo (II)
Titre : À Victor Hugo (II)
Poète : Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869)
Recueil : Les consolations (1830).
Votre génie est grand, Ami ; votre penser
Monte, comme Élysée, au char vivant d'Élie ;
Nous sommes devant vous comme un roseau qui plie ;
Votre souffle en passant pourrait nous renverser.
Mais vous prenez bien garde, Ami, de nous blesser ;
Noble et tendre, jamais votre amitié n'oublie
Qu'un rien froisse souvent les cœurs et les délie ;
Votre main sait chercher la nôtre et la presser.
Comme un guerrier de fer, un vaillant homme d'armes,
S'il rencontre, gisant, un nourrisson en larmes,
Il le met dans son casque et le porte en chemin,
Et de son gantelet le touche avec caresses ;
La nourrice serait moins habile aux tendresses ;
La mère n'aurait pas une si douce main.
Octobre 1829. | https://www.poesie-francaise.fr/charles-augustin-sainte-beuve/poeme-a-victor-hugo-II.php | charles-augustin-sainte-beuve-poeme-a-victor-hugo-II |
L'hiver a cessé : la lumière est tiède | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : L'hiver a cessé : la lumière est tiède
Titre : L'hiver a cessé : la lumière est tiède
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
L'hiver a cessé : la lumière est tiède
Et danse, du sol au firmament clair.
Il faut que le cœur le plus triste cède
À l'immense joie éparse dans l'air.
Même ce Paris maussade et malade
Semble faire accueil aux jeunes soleils
Et, comme pour une immense accolade,
Tend les mille bras de ses toits vermeils.
J'ai depuis un an le printemps dans l'âme
Et le vert retour du doux floréal,
Ainsi qu'une flamme entoure une flamme,
Met de l'idéal sur mon idéal.
Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne
L'immuable azur où rit mon amour.
La saison est belle et ma part est bonne
Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.
Que vienne l'été ! que viennent encore
L'automne et l'hiver ! Et chaque saison
Me sera charmante, ô Toi que décore
Cette fantaisie et cette raison ! | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-lhiver-a-cesse-la-lumiere-est-tiede.php | paul-verlaine-poeme-lhiver-a-cesse-la-lumiere-est-tiede |
Rappelle-toi | Alfred de Musset (1810-1857) | Poésie : Rappelle-toi
Titre : Rappelle-toi
Poète : Alfred de Musset (1810-1857)
(Vergiss mein nicht)
(Paroles faites sur la musique de Mozart)
Rappelle-toi, quand l'Aurore craintive
Ouvre au Soleil son palais enchanté ;
Rappelle-toi, lorsque la nuit pensive
Passe en rêvant sous son voile argenté ;
A l'appel du plaisir lorsque ton sein palpite,
Aux doux songes du soir lorsque l'ombre t'invite,
Ecoute au fond des bois
Murmurer une voix :
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, lorsque les destinées
M'auront de toi pour jamais séparé,
Quand le chagrin, l'exil et les années
Auront flétri ce coeur désespéré ;
Songe à mon triste amour, songe à l'adieu suprême !
L'absence ni le temps ne sont rien quand on aime.
Tant que mon coeur battra,
Toujours il te dira
Rappelle-toi.
Rappelle-toi, quand sous la froide terre
Mon coeur brisé pour toujours dormira ;
Rappelle-toi, quand la fleur solitaire
Sur mon tombeau doucement s'ouvrira.
Je ne te verrai plus ; mais mon âme immortelle
Reviendra près de toi comme une soeur fidèle.
Ecoute, dans la nuit,
Une voix qui gémit :
Rappelle-toi. | https://www.poesie-francaise.fr/alfred-de-musset/poeme-rappelle-toi.php | alfred-de-musset-poeme-rappelle-toi |
Prologue | Paul Verlaine (1844-1896) | Poésie : Prologue
Titre : Prologue
Poète : Paul Verlaine (1844-1896)
Recueil : Jadis et naguère (1884).
En route, mauvaise troupe !
Partez, mes enfants perdus !
Ces loisirs vous étaient dus :
La Chimère tend sa croupe.
Partez, grimpés sur son dos,
Comme essaime un vol de rêves
D'un malade dans les brèves
Fleurs vagues de ses rideaux.
Ma main tiède qui s'agite
Faible encore, mais enfin
Sans fièvre, et qui ne palpite
Plus que d'un effort divin,
Ma main vous bénit, petites
Mouches de mes soleils noirs
Et de mes nuits blanches. Vites,
Partez, petits désespoirs,
Petits espoirs, douleurs, joies,
Que dès hier renia
Mon coeur quêtant d'autres proies.
Allez, 'aegri somnia'. | https://www.poesie-francaise.fr/paul-verlaine/poeme-prologue.php | paul-verlaine-poeme-prologue |
L'éternité | Arthur Rimbaud (1854-1891) | Poésie : L'éternité
Titre : L'éternité
Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891)
Recueil : Derniers vers (1872).
Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons l'aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s'exhale
Sans qu'on dise : enfin.
Là pas d'espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? - L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil. | https://www.poesie-francaise.fr/arthur-rimbaud/poeme-l-eternite.php | arthur-rimbaud-poeme-l-eternite |
Le vin des amants | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Le vin des amants
Titre : Le vin des amants
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Recueil : Les fleurs du mal (1857).
Sonnet.
Aujourd'hui l'espace est splendide !
Sans mors, sans éperons, sans bride,
Partons à cheval sur le vin
Pour un ciel féerique et divin !
Comme deux anges que torture
Une implacable calenture,
Dans le bleu cristal du matin
Suivons le mirage lointain !
Mollement balancés sur l'aile
Du tourbillon intelligent,
Dans un délire parallèle,
Ma soeur, côte à côte nageant,
Nous fuirons sans repos ni trêves
Vers le paradis de mes rêves ! | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-le-vin-des-amants.php | charles-baudelaire-poeme-le-vin-des-amants |
Statue | Louis Aragon (1897-1982) | Poésie : Statue
Titre : Statue
Poète : Louis Aragon (1897-1982)
Recueil : Feu de joie (1920).
VOLUPTÉ Déjeuner de soleil
Je me meurs Salive Sommeil
Sonnez Matines
Masque à chloroforme Amour
je roule de tout mon long
Abime Au fond
La descente de lit n'est pas morte
Elle bouge en chantant très bas
Panthère Panthère
Mon corps n'en finit plus sous les rides des draps
Un homme à la mer Encre
À la dérive. | https://www.poesie-francaise.fr/louis-aragon/poeme-statue.php | louis-aragon-poeme-statue |
À une fleur séchée dans un album | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : À une fleur séchée dans un album
Titre : À une fleur séchée dans un album
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Il m'en souvient, c'était aux plages
Où m'attire un ciel du Midi,
Ciel sans souillure et sans orages,
Où j'aspirais sous les feuillages
Les parfums d'un air attiédi.
Une mer qu'aucun bord n'arrête
S'étendait bleue à l'horizon ;
L'oranger, cet arbre de fête,
Neigeait par moments sur ma tête ;
Des odeurs montaient du gazon.
Tu croissais près d'une colonne
D'un temple écrasé par le temps ;
Tu lui faisais une couronne,
Tu parais son tronc monotone
Avec tes chapiteaux flottants ;
Fleur qui décores la ruine
Sans un regard pour t'admirer !
Je cueillis ta blanche étamine,
Et j'emportai sur ma poitrine
Tes parfums pour les respirer.
Aujourd'hui, ciel, temple, rivage,
Tout a disparu sans retour :
Ton parfum est dans le nuage,
Et je trouve, en tournant la page,
La trace morte d'un beau jour ! | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-a-une-fleur-sechee-dans-un-album.php | alphonse-de-lamartine-poeme-a-une-fleur-sechee-dans-un-album |
Avant que mes chansons aimées | Victor Hugo (1802-1885) | Poésie : Avant que mes chansons aimées
Titre : Avant que mes chansons aimées
Poète : Victor Hugo (1802-1885)
Recueil : Les feuilles d'automne (1831).
Amor de mi pecho,
Pecho de mi amor !
Arbol, que has hecho,
Que has hecho del flor ?
ROMANCE.
Avant que mes chansons aimées,
Si jeunes et si parfumées,
Du monde eussent subi l'affront,
Loin du peuple ingrat qui les foule,
Comme elles fleurissaient en foule,
Vertes et fraîches sur mon front !
De l'arbre à présente détachées,
Fleurs par l'aquilon desséchées,
Vains débris qu'on traîne en rêvant,
Elles errent éparpillées,
De fange ou de poudre souillées,
Au gré du lot, au gré du vent.
Moi, comme des feuilles flétries,
Je les vois, toutes défleuries,
Courir sur le sol dépouillé ;
Et la foule qui m'environne,
En broyant du pied ma couronne,
Passe et rit de l'arbre effeuillé !
Le 6 septembre 1828. | https://www.poesie-francaise.fr/victor-hugo/poeme-avant-que-mes-chansons-aimees.php | victor-hugo-poeme-avant-que-mes-chansons-aimees |
Chant d'amour (III) | Alphonse de Lamartine (1790-1869) | Poésie : Chant d'amour (III)
Titre : Chant d'amour (III)
Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Pourquoi sous tes cheveux me cacher ton visage ?
Laisse mes doigts jaloux écarter ce nuage :
Rougis-tu d'être belle, ô charme de mes yeux ?
L'aurore, ainsi que toi, de ses roses s'ombrage.
Pudeur ! honte céleste ! instinct mystérieux,
Ce qui brille le plus se voile davantage ;
Comme si la beauté, cette divine image,
N'était faite que pour les cieux !
Tes yeux sont deux sources vives
Où vient se peindre un ciel pur,
Quand les rameaux de leurs rives
Leur découvrent son azur.
Dans ce miroir retracées,
Chacune de tes pensées
Jette en passant son éclair,
Comme on voit sur l'eau limpide
Flotter l'image rapide
Des cygnes qui fendent l'air !
Ton front, que ton voile ombrage
Et découvre tour à tour,
Est une nuit sans nuage
Prête à recevoir le jour ;
Ta bouche, qui va sourire,
Est l'onde qui se retire
Au souffle errant du zéphyr,
Et, sur ces bords qu'elle quitte,
Laisse au regard qu'elle invite,
Compter les perles d'Ophyr !
Ton cou, penché sur l'épaule,
Tombe sous son doux fardeau,
Comme les branches du saule
Sous le poids d'un passereau ;
Ton sein, que l'oeil voit à peine
Soulevant à chaque haleine
Le poids léger de ton coeur,
Est comme deux tourterelles
Qui font palpiter leurs ailes
Dans la main de l'oiseleur.
Tes deux mains sont deux corbeilles
Qui laissent passer le jour ;
Tes doigts de roses vermeilles
En couronnent le contour.
Sur le gazon qui l'embrasse
Ton pied se pose, et la grâce,
Comme un divin instrument,
Aux sons égaux d'une lyre
Semble accorder et conduire
Ton plus léger mouvement. | https://www.poesie-francaise.fr/alphonse-de-lamartine/poeme-chant-amour-III.php | alphonse-de-lamartine-poeme-chant-amour-III |
Le vin de l'assassin | Charles Baudelaire (1821-1867) | Poésie : Le vin de l'assassin
Titre : Le vin de l'assassin
Poète : Charles Baudelaire (1821-1867)
Ma femme est morte, je suis libre !
Je puis donc boire tout mon soûl.
Lorsque je rentrais sans un sou,
Ses cris me déchiraient la fibre.
Autant qu'un roi je suis heureux ;
L'air est pur, le ciel admirable...
Nous avions un été semblable
Lorsque j'en devins amoureux !
L'horrible soif qui me déchire
Aurait besoin pour s'assouvir
D'autant de vin qu'en peut tenir
Son tombeau ; - ce n'est pas peu dire :
Je l'ai jetée au fond d'un puits,
Et j'ai même poussé sur elle
Tous les pavés de la margelle.
- Je l'oublierai si je le puis !
Au nom des serments de tendresse,
Dont rien ne peut nous délier,
Et pour nous réconcilier
Comme au beau temps de notre ivresse,
J'implorai d'elle un rendez-vous,
Le soir, sur une route obscure.
Elle y vint ! - folle créature !
Nous sommes tous plus ou moins fous !
Elle était encore jolie,
Quoique bien fatiguée ! et moi,
Je l'aimais trop ! voilà pourquoi
Je lui dis : Sors de cette vie !
Nul ne peut me comprendre. Un seul
Parmi ces ivrognes stupides
Songea-t-il dans ses nuits morbides
A faire du vin un linceul ?
Cette crapule invulnérable
Comme les machines de fer
Jamais, ni l'été ni l'hiver,
N'a connu l'amour véritable,
Avec ses noirs enchantements
Son cortège infernal d'alarmes,
Ses fioles de poison, ses larmes,
Ses bruits de chaîne et d'ossements !
- Me voilà libre et solitaire !
Je serai ce soir ivre mort ;
Alors, sans peur et sans remord,
Je me coucherai sur la terre,
Et je dormirai comme un chien !
Le chariot aux lourdes roues
Chargé de pierres et de boues,
Le wagon enragé peut bien
Ecraser ma tête coupable
Ou me couper par le milieu,
Je m'en moque comme de Dieu,
Du Diable ou de la Sainte Table ! | https://www.poesie-francaise.fr/charles-baudelaire/poeme-le-vin-de-l-assassin.php | charles-baudelaire-poeme-le-vin-de-l-assassin |