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400 | COMM.
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 septembre 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 519 FS-P+B
Pourvoi n° M 19-10.206
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 SEPTEMBRE 2020
Mme F... L..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° M 19-10.206 contre l'arrêt rendu le 11 septembre 2018 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. S... H..., domicilié [...] , pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Leluan Map,
2°/ à la société Leluan Map, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
3°/ à la société Bruno Cambon, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , prise en qualité de représentant des créanciers de la société Leluan Map,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme L..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Leluan Map, M. H... et la société Bruno Cambon, ès qualités, après débats en l'audience publique du 30 juin 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Vaissette, Bélaval, Fontaine, Fevre, M. Riffaud, conseillers, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 11 septembre 2018), Mme L... a fait exécuter en 2009 par la société Leluan Map des travaux de bardage qui ont été réceptionnés avec réserves le 10 septembre 2010. La société Leluan Map a été mise en redressement judiciaire le 26 juillet 2012, M. H... étant désigné administrateur judiciaire et la société Bruno Cambon mandataire judiciaire. Un plan de redressement a été arrêté le 17 juillet 2013, M. H... devenant commissaire à l'exécution du plan.
2. Mme L..., qui n'avait déclaré aucune créance, a, au vu d'un rapport d'expertise, assigné, le 2 octobre 2013, la société Leluan Map ainsi que le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan en demandant en cause d'appel que la responsabilité de la société soit reconnue et sa créance d'indemnisation évaluée.
3. La société Leluan Map et son mandataire judiciaire ont opposé l'irrecevabilité de la demande.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen, réunis
Enoncé du moyen
5. Mme L... fait grief à l'arrêt de déclarer sa demande irrecevable, alors :
« 1°/ qu'eu égard à la généralité des termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice a un effet interruptif de prescription s'agissant de l'action tendant à faire constater l'existence et le quantum d'un créance, peu important que la créance soit inopposable au débiteur faisant l'objet d'une procédure collective à raison d'un défaut de déclaration dans les délais requis ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 4 et 30 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
2°/ qu'une partie peut toujours saisir le juge pour faire statuer sur l'existence et le quantum d'une créance quand bien même elle ne pourrait pas être immédiatement invoquée ou quand bien elle serait conditionnelle ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, tout en concédant qu'en cas de résolution du plan, Mme L... pourrait faire valoir sa créance, les juges du fond ont à tout le moins violé l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. La cour d'appel a énoncé que Mme L..., qui n'a pas déclaré sa créance de dommages-intérêts pour malfaçons, de sorte qu'en application de l'article L. 622-26, alinéa 2, du code de commerce, cette créance est inopposable à la société Leluan Map pendant l'exécution du plan de redressement de celle-ci et après si les engagements pris ont été tenus, ne pourra recouvrer son droit de poursuite individuel qu'en cas de résolution du plan.
7. Dans ce cas, elle pourra agir en paiement de dommages-intérêts contre la société débitrice, sans que puisse lui être opposée la prescription de son action, dès lors que, jusqu'à la clôture de la procédure collective, cette prescription aura été suspendue par suite de l'impossibilité dans laquelle elle se sera trouvée, comme tout créancier, y compris celui qui n'a pas déclaré sa créance, de poursuivre son débiteur.
8. Il en résulte que Mme L... est sans intérêt à demander qu'il soit statué par anticipation au cours de l'exécution du plan sur le principe et le montant de sa créance de dommages-intérêts. En déclarant irrecevable cette demande, la cour d'appel n'a, par conséquent, pas porté atteinte au droit de Mme L... à un procès équitable, ni au droit au respect de ses biens.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour Mme L...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré irrecevable la demande de Madame L... tendant à faire constater l'existence d'une créance à l'encontre de la société LELUAN MAP faisant l'objet d'un plan de continuation ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Madame L..., qui ne conteste pas qu'elle ne peut faire valoir ses droits dans le cadre de la procédure collective ni solliciter à ce stade une quelconque condamnation à paiement, le présent litige étant né avant le placement en redressement judiciaire, fait valoir en revanche que le défaut de déclaration d'une créance n'entraîne pas extinction de ladite créance et que, même si par application des dispositions de l'article L. 622-26 du code de commerce, la créance non déclarée est inopposable au débiteur pendant l'exécution du plan, lorsque les engagements énoncés dans le plan n'ont pas été tenus, la créance devient à nouveau opposable, de sorte qu'elle serait recevable à voir consacrer dès à présent la responsabilité de la société Leluan Map, sa propre qualité de créancière, et le principe comme le montant de sa créance ; qu'il lui serait ainsi seulement interdit de se prévaloir de l'opposabilité de sa créance à la procédure collective pendant la durée du plan et à supposer celui-ci respecté, et la présente procédure permettant de consacrer et de chiffrer la créance d'une part, d'interrompre la prescription d'autre part ; que Madame L... procède toutefois à une analyse erronée des textes applicables à la cause, comme le soulignent à bon droit les intimés, qui rappellent que les dispositions applicables sont celles de l'article L. 622-26 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 12 mai 2009, compte tenu de la date d'ouverture de redressement judiciaire ; que cet article énonce que : « à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait auquel est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande ; que les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan décidé par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie » ; qu'il s'ensuit que ce n'est que si le plan de continuation bénéficiant à la société Leluan Map se trouvait résolu, que Mme L... retrouverait son droit de poursuite et d'action, et agir à l'encontre de la société Leluan Map pour faire consacrer l'obligation née des désordres constatés au jour de la réception, le fondement de l'action étant nécessairement de nature contractuelle et se prescrivant par cinq ans ; que les premiers juges ont pertinemment rappelé en outre que l'article R. 622-20 subordonnent la reprise de l'instance à la production par le créancier de la copie de sa déclaration de créance ; que contrairement à ce qu'elle entend voir juger, Mme L... ne peut agir par anticipation, et tenter de voir reconnaître dans son principe et son montant la créance dont elle se prévaut, les intimés étant de surcroît fondés à faire valoir que dans l'hypothèse d'une procédure collective affectant le débiteur, seule la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure ; que faute d'avoir régulièrement déclaré sa créance, elle ne peut agir contre la société Leluan Map en cours d'exécution du plan à l'effet notamment d'échapper aux règles de la prescription » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « selon les dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce en vigueur à la date du jugement d'ouverture, (ordonnance du 18 décembre 2008) ce jugement interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant 1° à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, 2° à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ; que le jugement d'ouverture arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant son prononcé, les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits étant en conséquence, interrompus ; que l'article R. 622-20 du même code stipule que l'instance interrompue en application de l'article L. 622-22 est reprise à l'initiative du créancier dès que celui-ci a produit à la juridiction saisie de l'instance une copie de sa déclaration de créances ; qu'il découle de ces dispositions combinées que l'instance, qui ne peut être reprise sans production au juge de la déclaration de créances, ne peut être introduite sans cette production, les effets du jugement d'ouverture édictés à l'article L. 622-21 étant communs aux deux situations qu'il évoque ; que par ailleurs, selon les dispositions de l'article L. 622-26 du code de commerce applicable (loi du 12 mai 2009) à défaut de déclaration dans les délais prévu, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion ; que les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ; que c'est à tort que la demanderesse soutient que le concept « d'inopposabilité de la créance » sanction légale nouvelle se substituant à l'ancienne extinction de la créance dans l'hypothèse du défaut de production, doit être interprété comme ayant pour seul effet d'interdire pour le cours du plan de redressement, la demande de condamnation en laissant subsister une instance dont l'objet serait d'interrompre le cours d'une prescription en fixant la créance, le principe édicté aux articles L. 622- 21 et L. 622-22 du code de commerce -et explicité dans ses modalités par l'article R. 622-20- étant d'application générale ; qu'il est constant que le principe de la créance alléguée consécutive aux malfaçons dont est responsable l'entreprise LELUAN MAP est née à la réception de l'ouvrage avec réserves en septembre 2010, que le redressement judiciaire de la sarl LELUAN MAP a été prononcé le 21 juin 2012 alors que les opérations d'expertise judiciaire étaient en cours et que la créancière qui n'a pas produit au passif de sa débitrice, a engagé son instance au fond par exploit du 2 octobre 2013 » ;
ALORS QUE, premièrement, en application du principe dispositif que rappelle l'article 4 du Code de procédure civile, les parties sont libres de fixer comme elles l'entendent l'objet de leurs prétentions ; qu'en outre, dès lors qu'elles s'opposent à une contestation, une partie est en droit de saisir le juge pour faire statuer sur l'existence et le quantum d'une créance, quand bien même le débiteur aurait fait l'objet d'un redressement judiciaire puis d'un plan de continuation ; que décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 4 et 30 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
ALORS QUE, deuxièmement, il importe peu qu'en l'état, la créance ne puisse être invoquée contre la société ayant fait l'objet du redressement puis du plan de continuation dès lors que la créance peut le cas échéant être invoquée en cas de résolution du plan comme le constate l'arrêt ; qu'à cet égard, l'arrêt a été rendu en violation des articles 4 et 30 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
ALORS QUE, troisièmement, eu égard à la généralité des termes de l'article 2241 du Code civil, la demande en justice a un effet interruptif de prescription s'agissant de l'action tendant à faire constater l'existence et le quantum d'un créance, peu important que la créance soit inopposable au débiteur faisant l'objet d'une procédure collective à raison d'un défaut de déclaration dans les délais requis ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 4 et 30 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
SECOND MOYEN DE CASSATION
EN CE QU'il a déclaré irrecevable la demande de Madame L... tendant à faire constater l'existence d'une créance à l'encontre de la société LELUAN MAP faisant l'objet d'un plan de continuation ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Madame L..., qui ne conteste pas qu'elle ne peut faire valoir ses droits dans le cadre de la procédure collective ni solliciter à ce stade une quelconque condamnation à paiement, le présent litige étant né avant le placement en redressement judiciaire, fait valoir en revanche que le défaut de déclaration d'une créance n'entraîne pas extinction de ladite créance et que, même si par application des dispositions de l'article L. 622-26 du code de commerce, la créance non déclarée est inopposable au débiteur pendant l'exécution du plan, lorsque les engagements énoncés dans le plan n'ont pas été tenus, la créance devient à nouveau opposable, de sorte qu'elle serait recevable à voir consacrer dès à présent la responsabilité de la société Leluan Map, sa propre qualité de créancière, et le principe comme le montant de sa créance ; qu'il lui serait ainsi seulement interdit de se prévaloir de l'opposabilité de sa créance à la procédure collective pendant la durée du plan et à supposer celui-ci respecté, et la présente procédure permettant de consacrer et de chiffrer la créance d'une part, d'interrompre la prescription d'autre part ; que Madame L... procède toutefois à une analyse erronée des textes applicables à la cause, comme le soulignent à bon droit les intimés, qui rappellent que les dispositions applicables sont celles de l'article L. 622-26 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 12 mai 2009, compte tenu de la date d'ouverture de redressement judiciaire ; que cet article énonce que : « à défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait auquel est due à une omission volontaire du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande ; que les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan décidé par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie » ; qu'il s'ensuit que ce n'est que si le plan de continuation bénéficiant à la société Leluan Map se trouvait résolu, que Mme L... retrouverait son droit de poursuite et d'action, et agir à l'encontre de la société Leluan Map pour faire consacrer l'obligation née des désordres constatés au jour de la réception, le fondement de l'action étant nécessairement de nature contractuelle et se prescrivant par cinq ans ; que les premiers juges ont pertinemment rappelé en outre que l'article R. 622 20 subordonnent la reprise de l'instance à la production par le créancier de la copie de sa déclaration de créance ; que contrairement à ce qu'elle entend voir juger, Mme L... ne peut agir par anticipation, et tenter de voir reconnaître dans son principe et son montant la créance dont elle se prévaut, les intimés étant de surcroît fondés à faire valoir que dans l'hypothèse d'une procédure collective affectant le débiteur, seule la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure ; que faute d'avoir régulièrement déclaré sa créance, elle ne peut agir contre la société Leluan Map en cours d'exécution du plan à l'effet notamment d'échapper aux règles de la prescription » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « selon les dispositions de l'article L. 622-21 du code de commerce en vigueur à la date du jugement d'ouverture, (ordonnance du 18 décembre 2008) ce jugement interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant 1° à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, 2° à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent ; que le jugement d'ouverture arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant son prononcé, les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits étant en conséquence, interrompus ; que l'article R. 622-20 du même code stipule que l'instance interrompue en application de l'article L. 622-22 est reprise à l'initiative du créancier dès que celui-ci a produit à la juridiction saisie de l'instance une copie de sa déclaration de créances ; qu'il découle de ces dispositions combinées que l'instance, qui ne peut être reprise sans production au juge de la déclaration de créances, ne peut être introduite sans cette production, les effets du jugement d'ouverture édictés à l'article L. 622-21 étant communs aux deux situations qu'il évoque ; que par ailleurs, selon les dispositions de l'article L. 622-26 du code de commerce applicable (loi du 12 mai 2009) à défaut de déclaration dans les délais prévu, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion ; que les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie ; que c'est à tort que la demanderesse soutient que le concept « d'inopposabilité de la créance » sanction légale nouvelle se substituant à l'ancienne extinction de la créance dans l'hypothèse du défaut de production, doit être interprété comme ayant pour seul effet d'interdire pour le cours du plan de redressement, la demande de condamnation en laissant subsister une instance dont l'objet serait d'interrompre le cours d'une prescription en fixant la créance, le principe édicté aux articles L. 622- 21 et L. 622-22 du code de commerce -et explicité dans ses modalités par l'article R. 622-20- étant d'application générale ; qu'il est constant que le principe de la créance alléguée consécutive aux malfaçons dont est responsable l'entreprise LELUAN MAP est née à la réception de l'ouvrage avec réserves en septembre 2010, que le redressement judiciaire de la sarl LELUAN MAP a été prononcé le 21 juin 2012 alors que les opérations d'expertise judiciaire étaient en cours et que la créancière qui n'a pas produit au passif de sa débitrice, a engagé son instance au fond par exploit du 2 octobre 2013 » ;
ALORS QUE une partie peut toujours saisir le juge pour faire statuer sur l'existence et le quantum d'une créance quand bien même elle ne pourrait pas être immédiatement invoquée ou quand bien elle serait conditionnelle ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, tout en concédant qu'en cas de résolution du plan, Madame L... pourrait faire valoir sa créance, les juges du fond ont à tout le moins violé l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales. | Est sans intérêt à demander qu'il soit statué par anticipation, au cours de l'exécution du plan de redressement, sur le principe et le montant de sa créance de dommages-intérêts pour malfaçons, la partie qui n'a pas déclaré cette créance, de sorte qu'en application de l'article L. 622-26, alinéa 2, du code de commerce, celle-ci est inopposable à la société débitrice pendant l'exécution de son plan et après si les engagements pris ont été tenus, dans la mesure où cette partie pourra recouvrer son droit de poursuite individuel en cas de résolution du plan et agir en paiement de dommages-intérêts contre la société débitrice, sans que puisse lui être opposée la prescription de son action, dès lors que, jusqu'à la clôture de la procédure collective, cette prescription aura été suspendue par suite de l'impossibilité dans laquelle elle se sera trouvée, comme tout créancier, y compris celui qui n'a pas déclaré sa créance, de poursuivre son débiteur.
En déclarant irrecevable une telle demande, la cour d'appel ne porte pas, par conséquent, atteinte au droit de cette partie à un procès équitable, ni au droit au respect de ses biens |
401 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 septembre 2020
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 632 F-P+B
Pourvoi n° R 18-22.971
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 SEPTEMBRE 2020
La société SRSI, dont le siège est [...] ), a formé le pourvoi n° R 18-22.971 contre l'arrêt rendu le 17 mai 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. K... A..., domicilié [...] ,
2°/ à la société Regourd aviation, société anonyme, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société SRSI, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. A..., après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire rapporteur, M. Joly, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-7 et L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mai 2018), M. A... a été engagé à compter du 21 mars 2016 par la société SRSI, société de portage international de droit andorran, suivant contrat à durée déterminée d'un an, en qualité de steward exerçant des missions pour des filiales africaines et européennes de la société Regourd aviation ayant son siège social à Paris. Le 12 septembre 2016, la société SRSI a notifié au salarié la rupture de son contrat de travail avec effet au 11 octobre 2016.
2. Le 7 novembre 2016, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes dirigées contre les sociétés Regourd aviation et SRSI et liées à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société SRSI fait grief à l'arrêt de dire qu'en application des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi que de l'article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, le conseil de prud'hommes de Paris est compétent pour connaître de l'ensemble des demandes formées par le salarié à l'encontre de la société SRSI SL et de la SA Regourd aviation et, en conséquence, de renvoyer pour le surplus l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris pour qu'il statue au fond sur le litige, alors :
« 1°/ que pour déterminer le tribunal devant lequel peut être attrait l'employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne par un membre du personnel navigant sur les avions d'une compagnie aérienne, le juge national doit notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail ; qu'à cet égard la notion de « base d'affectation» constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l'identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail et, partant, la compétence d'une juridiction susceptible d'avoir à connaître d'un recours formé par lui ; que ce n'est que dans l'hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque espèce, ses demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la « base d'affectation » que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à constater que le tableau des vols effectués par M. A... pendant la relation contractuelle montre que sur les 41 vols assurés par l'intéressé, 14 vols étaient des vols intérieurs français, 14 vols avaient été opérés entre une ville et un aéroport français et 13 vols entre des villes européennes pour retenir que le lieu à partir duquel M. A... s'acquittait de l'essentiel de ses missions de personnel navigant, c'est-à-dire d'où il partait et où rentrait, était situé en France, et le plus souvent [...], avant de relever par des motifs surabondants que les consignes concernant le « catering » lui avaient été données en France, pour retenir la compétence du conseil de prud'hommes de Paris pour connaître du litige opposant le travailleur à la société andorrane SRSI ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait de se déterminer au regard de l'ensemble des indices sus énumérés, de rechercher la base d'affectation du travailleur et d'apprécier si celle-ci était pertinente pour identifier le lieu à partir duquel le travailleur accomplissait habituellement son travail, la cour d'appel a violé les articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
2°/ qu'en toute hypothèse le tribunal devant lequel peut être attrait l'employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne par un membre du personnel navigant sur les avions d'une compagnie aérienne est celui du lieu à partir duquel le travailleur s'acquitte de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur ; qu'en retenant la compétence du conseil de prud'hommes de Paris pour connaître du litige opposant K... A... à la société andorrane SRSI, quand elle constatait que le lieu à partir duquel K... A... s'acquittait de l'essentiel de ses missions de personnel navigant était situé en France, et le plus souvent à [...], non à Paris, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »
Réponse de la Cour
4. Selon les règles de compétence prévues par l'article 21, paragraphe 1, du Réglement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 septembre 2017, Crewlink et Ryanair, C-168/16 et C-169/16) et la Cour de cassation (Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-12.754 et 16-17.505, Bull. 2018, V, n° 38 et 39), l'employeur peut être attrait devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, c'est-à-dire le lieu où ou à partir duquel il s'acquitte de fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur. S'agissant de personnel navigant d'une compagnie aérienne ou mis à sa disposition, les juridictions nationales doivent notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. A cet égard, la notion de base d'affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l'identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail et, partant, la compétence d'une juridiction susceptible d'avoir à connaître d'un recours formé par eux, au sens de l'article 21 du règlement précité. Ce n'est que dans l'hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque cas d'espèce, des demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la base d'affectation que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail. Il en résulte que si la notion de base d'affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans la notion de lieu où ou à partir duquel le salarié navigant accomplit habituellement son travail, elle ne saurait y être assimilée.
5. Or, il résulte des conclusions de la société SRSI devant la cour d'appel qu'au soutien de la compétence de la juridiction andorrane dans le ressort de laquelle elle a son siège, la société SRSI se bornait à soutenir que le salarié n'avait pas exercé l'essentiel de ses activités en France, sans préciser quelle était sa base d'affectation. Dès lors, la cour d'appel n'était pas tenue de faire une recherche qui ne lui était pas demandée. Par ailleurs, la cour d'appel a retenu que la société Regourd aviation, ayant son siège à Paris, apparaissait comme un défendeur sérieux dès lors que le salarié exerçait contre elle, prise en sa qualité alléguée de coemployeur, une action directe et personnelle connexe à celle engagée à l'encontre de la société SRSI fondée notamment, et selon lui, par l'existence d'une opération de prêt de main d'oeuvre illicite. Elle en a déduit à bon droit que le salarié pouvait bénéficier de la prorogation de compétence prévue par l'article 42 du code de procédure civile et que le conseil de prud'hommes de Paris était territorialement compétent pour statuer sur l'ensemble de ses demandes.
6.Le moyen ne peut donc être accueilli en aucune de ses branches.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SRSI aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SRSI et la condamne à payer à M. A... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour la société SRSI
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'en application des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1235/2012 ainsi que de l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile, le conseil de prud'hommes de Paris est compétent pour connaître de l'ensemble des demandes formées par K... A... à l'encontre de la société SRSI SL et de la SA Regourd Aviation et, en conséquence, d'avoir renvoyé pour le surplus l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris pour qu'il statue au fond sur le litige opposant K... A... à la société SRSI SL et à la société Regourd Aviation ;
AUX MOTIFS QUE la société de droit andorran SRSI SL est une société de portage salarial international ; qu'elle a engagé K... A... selon un contrat de travail à durée déterminée du 21 mars 2016 au 20 mars 2017 un an afin d'assurer les fonctions de personnel navigant affecté au sein des compagnies EQUAFLIGHT et EQUA2C, la première de ces sociétés étant contrôlée à 100 % par la SA Regourd Aviation et la seconde à hauteur de 50 % ; qu'il est précisé dans ce contrat que le lieu de détachement se situe en Afrique ; que K... A... expose que quelques jours avant son départ, il a été informé que son contrat de travail ne serait plus exécuté en Afrique, que le 1er juin 2016, il a été informé de son détachement sur le territoire européen ainsi que de son assujettissement au système de sécurité sociale français « lieu principal de ces missions de détachement », que le 11 septembre 2016, la SA Regourd Aviation l'a informé par téléphone de ce qu'elle mettait fin à la relation de travail et enfin que la société SRSI SL lui a notifié la fin de son contrat de travail par lettre datée du 12 septembre 2016 ; que c'est dans ces conditions que K... A... a, le 7 novembre 2016 saisi le conseil de prud'hommes ; qu'en premier lieu K... A... fait valoir à juste titre que la clause du contrat de travail conclu avec la société SRSI SL attribuant à un arbitre compétence pour statuer sur les litiges pouvant naître à l'occasion de l'exécution du contrat lui est inopposable, une telle clause figurant dans un contrat de travail international ne pouvant faire échec à la compétence du conseil de prud'hommes lorsque le contrat s'exécute en France ; qu'il soutient, en second lieu, que seule à vocation à s'appliquer, non pas le règlement CE du 17 juin 2008 dit ROME 1 relatif à la loi applicable, ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes, mais le règlement (UE) n° 1235/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, section 5 « Compétence en matière de contrats individuels de travail » qui prévoit :
« Article 20 :
1. En matière de contrats individuels de travail, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6, de l'article 7, point 5), et, dans le cas d'une action intentée à l'encontre d'un employeur, de l'articl 8 point 1) ;
2. Lorsqu'un travailleur conclut un contrat individuel de travail avec un employeur qui n'est pas domicilié dans un état membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un état membre, l'employeur est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile dans cet état membre.
Article 21 :
1. Un employeur domicilié sur le territoire d'un état membre peut être attrait :
a) devant les juridictions de l'État membre où il a son domicile, ou
b) dans un autre État membre :
i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli son travail ou
ii) lorsque le travailleur n'accomplit pas ou n'a pas accompli habituellement son travail dans un même pays, devant la juridiction du lieu où se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur.
2. Un employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un état membre peut être attrait devant les juridictions d'un état membre conformément au paragraphe 1 poin b) » ;
qu'il indique que son contrat de travail a été exécuté en France, qu'il n'a quitté la France que pendant 18 jours en sept mois et qu'en conséquence les juridictions françaises sont compétentes pour juger l'affaire ; qu'enfin, K... A... se prévaut de la compétence internationale au titre de l'article 42 du code de procédure civile en ce qui concerne la SA Regourd Aviation, société de droit français ; qu'il est établi, et de plus non contesté, que K... A... n'a pas été affecté comme le prévoyait son contrat de travail en Afrique ; que le tableau des vols qu'il a effectués pendant la durée de la relation contractuelle montre qu'en fait, sur les 41 vols assurés par l'intéressé :
- 14 quatorze vols sont des vols intérieurs français, au départ ou à l'arrivée de [...], Lorient, Rennes, Roissy, Le Bourget, Toulon, Biarritz et Saint-Etienne,
- 14 vols ont été opérés entre une ville européenne et un aéroport français, Roissy, [...], Lyon, Le Bourget, Saint-Etienne, et Toulon
- 13 vols ont eu lieu entre des villes européennes ;
que ce constat suffit à lui seul à démontrer que le lieu à partir duquel K... A... s'acquittait de l'essentiel de ses missions de personnel navigant, c'est dire d'où il partait et ou il rentrait, était situé en France, et le plus souvent à [...] ; de plus les consignes concernant le "catering" lui étaient données en France ; qu'à titre d'exemple, il lui a ainsi été demandé de procéder à l'achat de barres céréales, boissons diverses et fruits à [...] (courriel du 25 septembre 2016 émanant de C. D...) ; qu'il en résulte que c'est généralement à partir d'aéroports français, d'où partaient ou atterrissaient les avions sur lesquels il volait, qu'il accomplissait habituellement son travail ; que par conséquent, et sans préjuger de la loi applicable, il convient, infirmant le jugement déféré, de dire que le conseil de prud'hommes de Paris est compétent pour connaître du litige opposant K... A... à la société SRSI SL ; que par ailleurs, s'agissant de la compétence territoriale à l'égard de la SA Regourd Aviation, la cour, dès lors que la règle édictée par l'article 14 du code de procédure civile relative au privilège de juridiction revêt un caractère subsidiaire, doit d'abord vérifier si K... A... peut bénéficier de la prorogation de compétence prévue par l'article 42 du code de procédure civile qui dispose en ses alinéas 1 et 2 :
"La juridiction territorialement compétente est sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
S'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu ou demeure l'un d'eux" ;
que ces dispositions sont applicables devant les juridictions prud'homales en vertu de l'article L. 1451-1 du code du travail et de l'article 749 du code de procédure civile en l'absence de dispositions contraires du code du travail y compris dans l'ordre public international ; qu'il est établi que le domicile de la SA Regourd Aviation est situé dans le ressort du conseil de prud'hommes de Paris ; qu'elle apparaît de plus comme un défendeur sérieux dès lors que K... A... exerce contre la SA Regourd Aviation prise en sa qualité alléguée de coemployeur, une action directe et personnelle connexe à celle engagée à l'encontre de la société SRSI SL fondée notamment, et selon lui, par l'existence d'une opération de prêt de main d'oeuvre illicite ; qu'il en résulte que le conseil de prud'hommes de Paris est territorialement compétent pour statuer sur l'ensemble des demandes formées par K... A... ; qu'il convient donc d'infirmer le jugement en ce que le conseil de prud'hommes de Paris s'est déclaré territorialement incompétent, de dire qu'en application des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1235/2012 du 12 décembre 2012 ainsi que de l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile, le conseil de prud'hommes de Paris est compétent pour connaître de l'ensemble des demandes formées par K... A... à l'encontre de la société SRSI SL et de la SA Regourd Aviation et de renvoyer pour le surplus l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris pour qu'il statue au fond sur le litige opposant K... A... à ces deux sociétés ;
1) ALORS QUE pour déterminer le tribunal devant lequel peut être attrait l'employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne par un membre du personnel navigant sur les avions d'une compagnie aérienne, le juge national doit notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail ; qu'à cet égard la notion de « base d'affectation » constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l'identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail et, partant, la compétence d'une juridiction susceptible d'avoir à connaître d'un recours formé par lui ; que ce n'est que dans l'hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque espèce, ses demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la « base d'affectation » que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à constater que le tableau des vols effectués par M. A... pendant la relation contractuelle montre que sur les 41 vols assurés par l'intéressé, 14 vols étaient des vols intérieurs français, 14 vols avaient été opérés entre une ville et un aéroport français et 13 vols entre des villes européennes pour retenir que le lieu à partir duquel M. A... s'acquittait de l'essentiel de ses missions de personnel navigant, c'est-à-dire d'où il partait et où rentrait, était situé en France, et le plus souvent [...], avant de relever par des motifs surabondants que les consignes concernant le « catering » lui avaient été données en France, pour retenir la compétence du conseil de prud'hommes de Paris pour connaître du litige opposant le travailleur à la société andorrane SRSI ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait de se déterminer au regard de l'ensemble des indices sus énumérés, de rechercher la base d'affectation du travailleur et d'apprécier si celle-ci était pertinente pour identifier le lieu à partir duquel le travailleur accomplissait habituellement son travail, la cour d'appel a violé les articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
2) ALORS QU'en toute hypothèse le tribunal devant lequel peut être attrait l'employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne par un membre du personnel navigant sur les avions d'une compagnie aérienne est celui du lieu à partir duquel le travailleur s'acquitte de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur ; qu'en retenant la compétence du conseil de prud'hommes de Paris pour connaître du litige opposant K... A... à la société andorrane SRSI, quand elle constatait que le lieu à partir duquel K... A... s'acquittait de l'essentiel de ses missions de personnel navigant était situé en France, et le plus souvent à [...], non à Paris, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. | Selon les règles de compétence prévues par l'article 21, § 1, du règlement (UE) n° 1215/12 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 , telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. / Crewlink Ltd , C-168/16 et Moreno Osacar / Ryanair, C-169/16) et la Cour de cassation (Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-12.754, Bull. 2018, V, n° 38 et 39), l'employeur peut être attrait devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, c'est-à-dire le lieu où ou à partir duquel il s'acquitte de fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur. S'agissant de personnel navigant d'une compagnie aérienne ou mis à sa disposition, les juridictions nationales doivent notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. A cet égard, la notion de base d'affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l'identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail et, partant, la compétence d'une juridiction susceptible d'avoir à connaître d'un recours formé par eux, au sens de l'article 21 du règlement précité. Ce n'est que dans l'hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque cas d'espèce, des demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la base d'affectation que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail. Il en résulte que si la notion de base d'affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans la notion de lieu où ou à partir duquel le salarié navigant accomplit habituellement son travail, elle ne saurait y être assimilée |
402 | N° P 18-82.746 F-P+B+I
N° 1128
CK
9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur les pourvois formés par M. K... F... dit B... E... et la Société Bureau de Vérification Chapiteaux Tentes Structures (société BVCTS) contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6ème chambre, en date du 19 mars 2018, qui a condamné le premier, pour abus de position dominante, prêt illicite de main-d'oeuvre et tromperie aggravée, à 50 000 euros d'amende et la seconde, pour prêt illicite de main d'oeuvre et tromperie aggravée, à 100 000 euros d'amende, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. K... F... et la société Bureau de Vérification Chapiteaux Tentes Structures, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mmes O... I... Q... G... et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M.K... F... est le président du conseil d'administration de la société BVCTS, entreprise habilitée par le ministère de l'intérieur en application de l'arrêté du 23 janvier 1985, dont l'objet est le contrôle des structures et équipements accueillant du public, et notamment les chapiteaux, tentes et structures mobiles (CTS).
3. En décembre 2008, la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a transmis au procureur de la République un procès-verbal faisant état d'anomalies constatées sur des installations vérifiées par la société BVCTS, laissant penser que des manquements auraient pu être commis à l'occasion de ces contrôles.
4. Renvoyé devant le tribunal correctionnel, M. F... a été condamné pour avoir, au cours des années 2007 et 2008, trompé les clients de la société BVCTS sur les qualités substantielles des prestations de services dispensées, avec cette circonstance que ces faits ont eu pour conséquence de rendre l'utilisation de la prestation de service dangereuse pour la santé.
5. Egalement poursuivi du chef d'abus de position dominante, il a été reconnu coupable d'avoir, au cours de la même période, pris part de manière personnelle et déterminante à des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la vérification des chapiteaux, tentes et structures, empêchant les concurrents d'avoir accès à ce marché.
6. En revanche, les premiers juges l'ont relaxé du chef de prêt illicite de main d'oeuvre, troisième délit visé à la prévention.
7. La société BVCTS a été relaxée des chefs d'abus de position dominante et de prêt de main d'oeuvre illicite et condamnée pour tromperie aggravée.
8. La société BVCTS, M. F..., le procureur de la République et certaines parties civiles ont formé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité des mémoires en défense de Mmes G... Q... et I... O... contestée par le demandeur au pourvoi
9. La cour d'appel a déclaré irrecevables les constitutions des parties civiles de Mmes Q... et O....
10. Les parties civiles ne se sont pas pourvues en cassation contre cette décision.
11. Dès lors, elles ne sont pas parties à l'instance en cassation et les mémoires en défense produits pour elles ne sont donc pas recevables.
Examen des moyens
Sur le premier moyen pris en ses troisième et quatrième branches et le troisième moyen pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches
12. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen est pris de la violation des articles L. 125-3 (devenu L. 8241-1) et L. 152-3 (devenu L.8243-1) du code du travail, 591 du code de procédure pénale ;
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. F... et la société BVCTS coupable de prêt de main d'oeuvre illicite et les a condamnés pénalement, alors :
« 1°/ que seules les opérations à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d'oeuvre sont pénalement sanctionnées ; qu'en relevant un prêt de main d'oeuvre illicite, résultant pour la société BVCTS d'avoir mis à disposition de la société CES ses salariés, pendant la période de suspension de son habilitation, tout en constatant qu'en réalité ces salariés continuaient à travailler sous l'autorité et la subordination de la société BVCTS, laquelle percevait le prix des prestations aux clients après déduction d'une commission au profit de CES, tout en constatant que la société CES était elle-même dirigée par un salarié de la société BVCTS, que les associés de cette dernière étaient également ceux de la première, les deux sociétés ayant la même activité, ce dont il résultait que ces sociétés étaient co-employeurs des salariés et que dès lors la convention passée entre elles n'avait pas pour objet exclusif un prêt de main d'oeuvre à but lucratif, mais visait à faire prospérer des intérêts communs, la cour d'appel a méconnu l'article L8241-1 du code du travail ;
2°/ qu'à tout le moins, pour retenir le prêt illicite de main d'oeuvre, la cour d'appel a estimé que la société BVCTS avait prêté sa main d'oeuvre à la société CES, dans un but lucratif ; qu'il résulte cependant des motifs de la Cour d'appel que les salariés n'avaient pas été mis à la disposition de la société CES et continuaient à travailler pour la société BVCTS, laquelle n'était pas rémunérée pour le seul prêt de main d'oeuvre mais pour la prestation que les salariés exécutaient auprès de ses clients ; que la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 8241-1 et L.8243-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
15. L'article L. 8241-1 du code du travail prohibe toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre, y compris entre des sociétés fonctionnant comme une entité unique, lorsqu'elle n'est pas effectuée dans le cadre des dispositions régissant le travail temporaire.
16. Le but lucratif de l'opération conclue entre ces sociétés peut consister, au profit de l'utilisateur ou du prêteur de main-d'oeuvre, en un bénéfice, un profit ou un gain pécuniaire.
17. Pour dire établi le délit de prêt de main d'oeuvre illicite, l'arrêt, après avoir relevé que M. N... R..., le gérant de droit de la société CES, ancien salarié de la société BVCTS, a reconnu que la société CES était en réalité gérée depuis les locaux de la société BVCTS par M. F..., qui en était actionnaire avec son épouse, retient que, l'habilitation de la société BVCTS ayant été suspendue, les contrôles de CTS qu'elle devait réaliser pendant cette période ont été effectués par la société CES à la disposition de laquelle elle avait mis ses salariés.
18. Les juges ajoutent qu'il ressort des déclarations de M. R... que la société CES facturait la prestation mais que les paiements étaient remis à la société BVCTS, qui en rétrocédait une partie à la société CES, les salaires des vérificateurs étant payés par la société BVCTS.
19. Ils en déduisent que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la mise à disposition au profit de la société CES des salariés de la société BVCTS pendant la période où l'habilitation de celle-ci a été suspendue ne revêtait pas un caractère lucratif et qu'il s'agissait bien, au contraire, de lui permettre de continuer à percevoir le prix des opérations de contrôle qu'elle n'était plus censée pouvoir réaliser, et de ne pas perdre ses parts de marché.
20. La cour d'appel en conclut que la convention de sous-traitance signée à cette occasion constituait une opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de la main d'oeuvre de la société BVCTS à la société CES, alors même que les salariés restaient sous l'autorité et la subordination de la société BVCTS.
21. En l'état de ces énonciations, dont il résulte que la société BVCTS, d'une part a mis ses salariés à la disposition de la société CES pour effectuer exclusivement les tâches habituellement dévolues aux salariés de cette dernière, d'autre part en a retiré un bénéfice en étant rémunérée au-delà des salaires versés aux salariés prêtés et des charges sociales afférentes, la cour d'appel a justifié sa décision.
22. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen pris en sa première branche
Enoncé du moyen
23. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-4 et 121-2 du code pénal, L213-1 et L216-1 du code de la consommation (devenus L. 441-1, L. 454-1 à L. 454-5), préliminaire, 388, 459, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
24. Le moyen, pris en sa première branche critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. F... et la société BVCTS pour tromperie aggravées et s'est prononcé sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que, selon les articles L.213-1 et L.216-1 du code de la consommation (devenus L. 441-1 et L.454-1), est punissable la personne qui aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé à l'occasion de l'exécution d'un contrat de prestation de service, en réalisant des prestations ne correspondant pas à celles contractuellement prévues ; que le délit ne s'applique pas aux prestations réalisées dans le cadre d'une mission de service public, ne laissant aux contractants aucun choix des prestations à réaliser ; que l'activité des vérificateurs habilités par le ministère de l'intérieur en vue de s'assurer de la sécurité de structures démontables recevant du public est définie par la voie d'un arrêté ministériel, l'arrêté du 23 janvier 1985, intégré dans l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions du sécurité contre les risques incendie et de panique dans les établissements recevant du public, lequel fixe les obligations des parties, qui s'inscrivent dans le cadre de la police des établissements recevant du public ; qu'ainsi, le contrat passé entre un vérificateur habilité et le propriétaire d'un tel établissement afin d'opérer les vérifications prévues par l'arrêté précité et destinées à permettre d'obtenir un autorisation d'ouverture au public, ne laissant aucun choix des prestations aux contractants ne constitue pas une prestation de service contractuellement prévues ; que le délit ne s'applique pas aux prestations réalisées dans le cadre d'une mission de service public, ne laissant aux contractants aucun choix des prestations à réaliser ; que l'activité des vérificateurs habilités par le ministère de l'intérieur en vue de s'assurer de la sécurité de structures démontables recevant du public est définie par la voie d'un arrêté ministériel, l'arrêté du 23 janvier 1985, intégré dans l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions du sécurité contre les risques incendie et de panique dans les établissements recevant du public, lequel fixe les obligations des parties, qui s'inscrivent dans le cadre de la police des établissements recevant du public ; qu'ainsi, le contrat passé entre un vérificateur habilité et le propriétaire d'un tel établissement afin d'opérer les vérifications prévues par l'arrêté précité et destinées à permettre d'obtenir un autorisation d'ouverture au public, ne laissant aucun choix des prestations aux contractants ne constitue pas une prestation de service visées par l'article L.216-1 du code de commerce ; qu'en estimant que la société BVCTS n'avait pas rempli ses obligations relatives aux vérifications de la sécurité des structures, visées par les dispositions de l'arrêté du 23 janvier 1985, s'inscrivant dans le cadre du pouvoir de police du ministre et des maires et non dans le cadre de prestations de service librement contractées, la cour d'appel a méconnu l'article L.213-1 et L.216-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
25. L'article L. 441-1 du code de la consommation (anciennement L. 213-1 dudit code), qui définit le délit de tromperie, est applicable à la conclusion ou à l'exécution de tout contrat de prestation de service.
26. Les dispositions de l'arrêté du 23 janvier 1985 portant approbation de dispositions complétant et modifiant le règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public (ERP type CTS) intégré à l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, qui réglementent le contrôle des CTS par des bureaux de vérification habilités, ne font pas obstacle à l'application du délit de tromperie aux prestations fournies par ces derniers dans le cadre de contrats passés avec les propriétaires et exploitants de ces structures.
27. Dès lors, le grief n'est pas fondé.
Sur le premier moyen pris en ses première, deuxième, cinquième, sixième, septième, neuvième, douzième et treizième branches
Enoncé du moyen
28. Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-4 du code pénal, L.420-2, L.420-6 du code de commerce, préliminaire, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
29. Le moyen en ses branches critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. F... pour abus de position dominante pénalement et civilement, alors :
« 1°/ que la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article L. 420-6 du code de commerce en ce qu'il incrimine l'abus de position dominante qui ne manquera pas d'être prononcée, impliquant l'abrogation dudit article, entrainera nécessairement la perte de tout fondement légal des poursuites ;
2°/ que le délit d'abus de position dominante qui ne précise pas par rapport à quelle norme s'apprécient les pratiques abusives qu'elle vise, ne donnant que des illustrations des formes qu'elles peuvent prendre, en visant certaines pratiques commerciales, qui ne définit pas plus la matérialité de l'infraction, en l'imputant non pas à l'auteur de la pratique, mais à toute personne qui y prend une part prépondérante et qui ne permet pas de déterminer avec certitude si l'incrimination implique l'intention de tromper méconnaît le principe de légalité des délits ; qu'en en faisant application, la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
5°/ qu'en outre, il appartient aux juges de caractériser l'abus de position dominante ; que cet abus ne peut résulter que de pratiques commerciales indues ; qu'en retenant au titre de l'abus de position dominante, le fait que M. F... aurait engagé ou fait engager des procédures juridictionnelles à l'encontre de ses concurrents, la cour d'appel, qui n'a ainsi pas constaté des pratiques commerciales abusives, a méconnu les articles L. 420-2 et L.420-6 du code de commerce, alors ;
6°/ qu'en outre, s'agissant des actions à l'encontre des concurrents, la cour d'appel qui se contente de faire état de leur témoignage ; que l'ordonnance de renvoi n'en faisant pas expressément état, le prévenu n'ayant pu efficacement se défendre sur de telles allégations, il appartenait aux juges de préciser quels étaient les éléments de preuve établissant les faits présentés comme simplement allégués ; qu'en ne procédant pas à la présentation de ces éléments, la cour d'appel a méconnu le droit à un procès équitable ;
7°/ qu'à tout le moins, le droit d'ester en justice est un droit fondamental ; que l'abus ne peut exceptionnellement être reconnu que, si une entreprise en position dominante intente des actions en justice qui ne peuvent pas être raisonnablement considérées comme visant à faire valoir ses droits, et ne peuvent dès lors servir qu'à harceler le concurrent, et qui sont conçues dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence ; qu'en relevant que le prévenu avait abusé de sa position dominante en engageant des actions en justice contre certains de ses concurrents, soit pour contester leur agrément, soit en alléguant des faux, sans préciser en quoi ces actions étaient abusives, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
9°/ que l'abus de position dominante suppose un lien entre la position dominante et la pratique pouvant avoir un effet anti-concurrentiel ; que des pratiques objectivement justifiées par les conditions d'exécution d'un contrat n'entrent pas dans le cadre de l'abus de position dominante ; qu'en relevant pour retenir le délit que l'un des clients de la société BVCTS, que dirigeait le prévenu, aurait été menacé d'une action en justice, lorsqu'il avait exprimé sa volonté de résilier son contrat, qu'il estimait trop coûteux, quand la sanction du non-respect des obligations contractuelles par un client est objectivement justifiée et sans lien avec la position dominante, la cour d'appel a méconnu l'article L420-6 du code de commerce ;
12°/ qu'en outre, l'article L.420-6 du code de commerce sanctionne le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de pratiques anticoncurrentielles ; qu'en retenant le délit à l'encontre du prévenu, aux motifs qu'il était à l'origine de la politique ayant déterminé les actions, les dénigrements et les courriers aux clients, sans préciser quels éléments permettaient de faire état d'une telle politique, qui plus est établie au nom de la société BVCTS qui aurait abusé de sa position dominante, l'arrêt faisant état de certaines actions engagées au nom de l'ASPEC, association de professionnels ne pouvant abusé d'une position dominante sur un marché ou ne précisant pas qui avait engagé les actions en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
13°/ qu'enfin, l'abus de position dominante n'est punissable que si son auteur a agi frauduleusement en vue d'entraver la concurrence ; qu'en estimant que le prévenu avait agi frauduleusement, sans préciser, en quoi les pratiques en cause manifestaient une intention d'utiliser la position dominante de la société afin d'entraver l'activité des concurrents, et sans préciser en quoi ces actes manifestaient une volonté de tromper ses clients ou toute autre personne à de telles fins, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément moral de l'infraction. »
Réponse de la Cour
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
30. Le moyen est devenu sans objet dès lors que la Cour de cassation a dit, par arrêt du 19 décembre 2018, n'y avoir lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
31. Les dispositions de l'article L. 420-6 du code de commerce, qui renvoient aux articles L. 420-2 et L. 420-1 du même code ne sont pas de nature à méconnaître le principe de légalité posé par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.
32. En effet, d'une part, il résulte de la combinaison des articles L. 420-6, L. 420-1 et L.420-2 du code de commerce que la participation à des pratiques caractérisant l'exploitation abusive d'une position dominante est réprimée lorsque ces pratiques, en lien avec la domination du marché par l'entreprise, ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché et qu'elles ne sont pas justifiées au regard des dispositions de l'article L. 420-4 du même code.
33. D'autre part, l'article L. 420-6 qui incrimine le fait de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre des pratiques prohibées, vise tout acte de participation ayant un lien de causalité avec ces pratiques, commis intentionnellement, de mauvaise foi ou dans le but de tromper.
34. Ainsi, ces textes sont rédigés en des termes suffisamment clairs et précis pour exclure tout risque d'arbitraire et laissent au juge, auquel la loi permet de consulter l'autorité de la concurrence, le soin, conformément à son office, de qualifier des comportements que le législateur, de part leur complexité et leur variété, ne peut énumérer de façon exhaustive.
35. Dès lors le grief n'est pas fondé.
Mais, sur le premier moyen pris en ses cinquième, sixième, septième, neuvième, douzième et treizième branches
Vu les articles L.420-6, L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce et 593 du code de procédure pénale :
36. Il résulte des trois premiers de ces textes qu'est prohibé le fait pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle à l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci lorsque les pratiques mises en oeuvre ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché et qu'elles ne sont pas justifiées au regard des dispositions de l'article L. 420-4 du même code, qui exclut notamment les pratiques résultant de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application.
37. Il s'en déduit que l'exercice d'une action en justice, expression du droit fondamental d'accès au juge, ne peut être qualifié d'abusif, qu'à la double condition d'une part de ne pouvoir être raisonnablement considéré comme visant à faire valoir les droits de l'entreprise concernée, d'autre part, de s'inscrire dans un plan visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré.
38. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
39. En l'espèce, pour condamner le prévenu du chef d'abus de position dominante, l'arrêt attaqué relève notamment que des concurrents de l'entreprise BVCTS ont fait état de ce que leur société avait fait l'objet de recours ou de plaintes à l'occasion de leur demande d'habilitation. Il retient également qu'un des clients de la société a été menacé d'une action en justice après avoir émis le souhait de résilier le contrat conclu avec la société dirigée par M. F....
40. Les juges en déduisent que ces multiples actions en justice, manifestement destinées à intimider, constituent l'exploitation abusive d'une position dominante de la société BVCTS sur le marché.
41. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
42. En effet, elle n'a pas recherché si ces actions en justice, d'une part avaient été déclenchées par la société BVCTS ou son dirigeant, d'autre part étaient manifestement dépourvues de tout fondement et n'avaient pour objet que d'écarter ses concurrents.
43. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 19 mars 2018, mais en ses seules dispositions ayant déclaré M. F... coupable du délit d'abus de position dominante et relatives aux peines ainsi qu'en ses dispositions civiles concernant les sociétés ACEPI et PYRES et M. X..., toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf septembre deux mille vingt. | Il résulte des articles L. 420-6, L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce qu'est prohibé le fait pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle à l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci lorsque les pratiques mises en oeuvre ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur ce marché et qu'elles ne sont pas justifiées au regard des dispositions de l'article L. 420-4 du même code, qui exclut notamment les pratiques résultant de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application.
Il s'en déduit que l'exercice d'une action en justice, expression du droit fondamental d'accès au juge, ne peut être qualifié d'abusif, qu'à la double condition d'une part de ne pouvoir être raisonnablement considéré comme visant à faire valoir les droits de l'entreprise concernée, d'autre part, de s'inscrire dans un plan visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché considéré.
Encourt en conséquence la censure la cour d'appel, qui, pour condamner le prévenu du chef d'abus de position dominante, retient l'existence de multiples actions en justice, manifestement destinées à intimider, dont ont fait état des concurrents ou clients de sa société, sans rechercher si ces actions d'une part avaient été déclenchées par ladite société ou son dirigeant, d'autre part étaient manifestement dépourvues de tout fondement et n'avaient pour objet que d'écarter ses concurrents |
403 | N° M 19-83.139 F-P+B+I
N° 1335
SM12
9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par M. I... Y... contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 11 avril 2019, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'abus de confiance, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. I... Y..., les observations de la SCP Richard, avocat du Comité social et économique de la société Celta venant aux droits du comité d'entreprise de la société Celta, et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. Y... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d'abus de confiance au préjudice du comité d'entreprise de la société Celta dont il était le trésorier.
3. Il lui était reproché d'avoir détourné des fonds en procédant à des achats personnels, ainsi qu'à des retraits d'espèces.
4. Le prévenu a été définitivement déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés par le tribunal qui l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d'amende.
5. Le tribunal a en revanche déclaré irrecevable la constitution de partie civile du comité d'entreprise.
6. Le comité d'entreprise a relevé appel de la décision.
Examens des moyens
Sur les premier et troisième moyens
Enoncé des moyens
7. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement entrepris ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile du comité d'entreprise de la société Celta, d'avoir dit que le comité d'entreprise est valablement constitué partie civile devant la juridiction pénale, d'avoir déclaré M. Y... entièrement responsable des préjudices subis par le comité d'entreprise de la société Celta du fait de l'abus de confiance pour lequel il a été condamné pénalement, et d'avoir condamné M. Y... à payer au comité d'entreprise de la société Celta les sommes de 105 291,08 euros au titre de son préjudice financier, de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et de 5 000 euros au titre de l'indemnité procédurale, alors :
« 1°/ qu'en considérant qu'il suffisait que le comité d'entreprise se fût régulièrement constitué partie civile au stade de l'instruction puis qu'il fût cité devant le tribunal correctionnel par le ministère public et qu'il fût représenté par un avocat, cependant que le comité d'entreprise ne pouvait être partie devant le tribunal correctionnel que s'il avait régulièrement mandaté une personne pour agir en son nom dans le cadre du procès l'opposant à M. Y... et indépendamment d'une constitution d'avocat, la cour d'appel a violé les articles L. 2325-1 ancien du code du travail et 424 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en retenant que depuis l'abrogation de l'article R. 432-1 du code du travail par le décret n° 2008-244 du 7 mars 2008, pour être mandaté pour agir en justice au nom du comité d'entreprise il n'est plus nécessaire d'être membre de celui-ci de sorte que Mme E... pouvait être valablement mandatée à cet effet, la cour d'appel a violé l'article L. 2325-1 ancien du code du travail, dont il résulte qu'il faut être membre du comité d'entreprise pour être habilité à agir en justice en son nom ;
3°/ qu'en se bornant à affirmer que le comité d'entreprise s'était valablement constitué partie civile à l'instruction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2325-1 ancien du code du travail et méconnu les exigences de l'article 593 du code de procédure pénale, en statuant par des motifs n'établissant pas que le comité d'entreprise, à la faveur d'une délibération régulièrement adoptée, avait expressément mandaté une personne pour le représenter en justice et se constituer partie civile. »
8. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement entrepris ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile du comité d'entreprise de la société Celta, d'avoir dit que le comité d'entreprise est valablement constitué partie civile devant la juridiction pénale, d'avoir déclaré M. Y... entièrement responsable des préjudices subis par le comité d'entreprise de la société Celta du fait de l'abus de confiance pour lequel il a été condamné pénalement, et d'avoir condamné M. Y... à payer au comité d'entreprise de la société Celta les sommes de 105 291,08 euros au titre de son préjudice financier, de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et de 5 000 euros au titre de l'indemnité procédurale, alors « qu'en considérant qu'il suffisait que le comité d'entreprise se fût régulièrement constitué partie civile au stade de l'instruction et que cette constitution perdurait devant le tribunal correctionnel, cependant que cette constitution avait été effectuée dans une instruction ouverte contre X et que, pour être partie au jugement sur le fond contre M. Y..., le comité d'entreprise devait valablement se constituer partie civile devant le tribunal correctionnel, la cour d'appel a violé les articles 287, 419 et 420 du code de procédure pénale, et L. 2325-1 ancien du code du travail. »
Réponse de la Cour
9. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et L. 2325-1 du code du travail dont les dispositions demeurent applicables dans les conditions de l'article 9 de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 :
10. Il se déduit de ces textes que l'action civile en réparation du dommage directement causé au comité d'entreprise par un crime, un délit ou une contravention doit être exercée par l'un de ses membres régulièrement mandaté à cet effet.
11. En effet, si l'article R. 432-1 du code du travail, qui disposait que « pour l'application des dispositions de l'alinéa 1er de l'article L. 431-6 qui figurent à l'article L. 2325-1 depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail, le comité est valablement représenté par un de ses membres délégué à cet effet », a été abrogé par le décret n° 2008-244 du 7 mars 2008 relatif au code du travail, cette abrogation, intervenue lors de la recodification du code du travail, ne saurait être interprétée comme permettant que l'action civile du comité d'entreprise soit exercée par une personne qui n'en est pas membre, dès lors que, sauf dispositions expresses contraires, la recodification du code du travail est intervenue à droit constant (Soc., 27 janvier 2010, pourvoi n° 08-44.376, Bull. 2010, V, n° 22).
12. Pour déclarer la constitution de partie civile de la société Celta recevable, en écartant le moyen tiré de ce que Mme E..., munie d'un mandat de représentation en date du 21 février 2018, n'avait pas qualité pour représenter le comité d'entreprise puisqu'elle n'en était plus membre, l'arrêt retient que le comité d'entreprise s'est valablement constitué partie civile au stade de l'instruction préparatoire, les effets de cette constitution de partie civile perdurant devant le tribunal correctionnel, que le comité a d'ailleurs été cité à comparaître par le procureur de la République en la qualité de partie civile à l'audience du tribunal correctionnel, et que, s'il n'avait pas comparu, il aurait été considéré comme se désistant de sa constitution de partie civile.
13. Les juges ajoutent qu'en vertu de l'article 424 du même code, la partie civile peut toujours se faire représenter par un avocat.
14. Ils énoncent enfin qu'en raison de l'abrogation de l'article R. 432-1 du code du travail, qui prévoyait que le comité d'entreprise devait se faire obligatoirement représenter par l'un de ses membres, lors de la recodification du code du travail, le comité d'entreprise n'est plus tenu de se faire représenter par l'un de ses membres.
15. En se déterminant ainsi, sans rechercher si Mme E..., mandatée pour représenter le comité d'entreprise, en était membre, et alors que la circonstance que le comité d'entreprise se soit constitué partie civile pendant l'information judiciaire était indifférente quant à la nécessité pour la personne morale d'être représentée devant la juridiction de jugement, tout comme le fait que la partie civile puisse se faire représenter par un avocat, le mandat ad litem délivré à ce conseil étant distinct du mandat devant être délivré à la personne désignée par le comité d'entreprise pour le représenter, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
16. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquence de la cassation
17. La cassation portant sur la recevabilité de la constitution de partie civile du comité d'entreprise, il n'y pas lieu de prononcer sur le deuxième moyen relatif au fond de l'action civile.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Riom, en date du 11 avril 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Riom, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Riom et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf septembre deux mille vingt. | L'action civile en réparation du dommage directement causé au comité d'entreprise par un crime, un délit ou une contravention doit être exercée par l'un de ses membres régulièrement mandaté à cet effet.
L'abrogation, par le décret n° 2008-244 du 7 mars 2008, lors de la recodification du code du travail, de l'article R. 432-1 de ce code qui énonçait ce principe, ne remet pas en cause ce dernier, cette recodification, sauf dispositions expresses contraires, étant intervenue à droit constant.
Encourt la cassation l'arrêt qui a déclaré la constitution de partie civile d'un comité d'entreprise recevable, sans rechercher si la personne mandatée pour le représenter en était membre |
404 | N° T 19-84.295 F-P+B+I
N° 1336
SM12
9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par M. P... D... contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 3-5, en date du 24 mai 2019, qui, pour organisation frauduleuse d'insolvabilité, l'a condamné à 10 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. P... D..., et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. P... D... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef susvisé.
3. Il lui est reproché d'avoir, en vue de se soustraire à l'exécution du jugement de divorce rendu le 27 septembre 2010 par le juge aux affaires familiales le condamnant à verser à son ex-épouse, Mme S... W..., la somme de 80 000 euros à titre de prestation compensatoire, organisé ou aggravé son insolvabilité.
4. Par jugement du 30 janvier 2017, le prévenu a été déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés et condamné à 5 000 euros d'amende. Le tribunal a par ailleurs statué sur les intérêts civils.
5. Le conseil du prévenu, puis le ministère public, ont relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. D... coupable des faits d'organisation frauduleuse d'insolvabilité qui lui étaient reprochés, alors ;
« 2°/ que si l'article 314-7 du code pénal sanctionne l'organisation ou l'aggravation d'insolvabilité en vue de se soustraire à l'exécution d'une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction, il ne sanctionne pas le silence gardé par l'agent en vue de tromper la religion du juge sur ses ressources et de voir diminué le montant auquel il risque d'être condamné ; qu'en déclarant M. D... coupable d'organisation frauduleuse d'insolvabilité pour avoir omis de déclarer un compte courant au notaire, omission qui, à la supposer réelle, ne pouvait avoir pour but de le soustraire à l'exécution du jugement rendu le 27 septembre 2010 par le juge aux affaires familiales de Bordeaux mais, tout au plus, tendre à la minoration du montant de sa condamnation, but qui n'est pas un élément constitutif du délit de l'article 314-7 du code pénal, la cour d'appel a méconnu l'article 314-7 du code pénal ainsi que les articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ en toute hypothèse, que l'organisation d'insolvabilité par dissimulation de ressources constitue un délit de commission ; qu'en déclarant M. D... coupable d'organisation frauduleuse d'insolvabilité pour une simple abstention consistant à avoir omis de déclarer un compte courant, la cour d'appel a méconnu les articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 6 et 7 de la Convention des droits de l'homme, 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 111-3, 111-4 du code pénal, 314-7 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/que si l'article 314-7 du code pénal sanctionne l'organisation ou l'aggravation d'insolvabilité en vue de se soustraire à l'exécution d'une condamnation de nature patrimoniale prononcée par une juridiction, il ne sanctionne pas le silence gardé par l'agent en vue de tromper la religion du juge sur ses ressources et de voir diminué le montant auquel il risque d'être condamné ; qu'en déclarant M. D... coupable d'organisation frauduleuse d'insolvabilité pour avoir minoré le prix de son bateau, ce qui ne pouvait avoir pour but de le soustraire à l'exécution du jugement rendu le 27 septembre 2010 par le juge aux affaires familiales de Bordeaux mais, tout au plus, tendre à la minoration du montant de sa condamnation, but qui n'est pas un élément constitutif du délit de l'article 314-7 du code pénal, la cour d'appel a de nouveau méconnu l'article 314-7 du code pénal ainsi que les articles préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ».
Réponse de la Cour
Vu l'article 314-7 du code pénal :
8. Il résulte de ce texte que le délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité n'est caractérisé que lorsque les actes poursuivis ont pour objet ou effet d'organiser ou d'aggraver l'insolvabilité de leur auteur.
9. Pour confirmer le jugement attaqué sur la culpabilité, l'arrêt retient notamment que le prévenu a omis de déclarer au notaire désigné pour établir le projet d'état liquidatif du régime matrimonial le compte-courant n°[...] ouvert au CCSO le 28 février 1995, qui était créditeur de 47 502,83 euros au 13 novembre 2007, date de l'ordonnance de non conciliation.
10. Les juges ajoutent que, dans le projet d'état liquidatif établi le 23 mars 2011, le notaire a mentionné un bateau Cap Camarat évalué à la somme de 75 000 euros seulement, soit 15 000 euros de moins que le prix fixé pour la vente de mai 2009.
11. Ils en concluent que ces éléments suffisent à caractériser la volonté du prévenu de dissimuler certains de ses biens et de diminuer certains actifs de son patrimoine, aux fins de se soustraire, au préjudice de la partie civile, aux obligations et conséquences financières découlant de la décision prononcée par le juge aux affaires familiales, l'intention coupable du prévenu résultant, en l'espèce, de la chronologie des faits comme de la pratique de ventes fictives ou d'omettre de déclarer un compte créditeur.
12. En se déterminant ainsi, alors que le silence gardé par une personne sur un élément d'actif de son patrimoine ou la minoration de son évaluation est sans effet sur la solvabilité et ne peut en conséquence caractériser le délit, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
13. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation des dispositions de l'arrêt ayant déclaré le prévenu coupable d'organisation frauduleuse d'insolvabilité entraîne celle des dispositions relatives aux peines sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen proposé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 mai 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf septembre deux mille vingt. | Le délit d'organisation frauduleuse d'insolvabilité n'est caractérisé que lorsque les actes poursuivis ont pour objet ou effet d'organiser ou d'aggraver l'insolvabilité de leur auteur.
Encourt la cassation l'arrêt qui, pour déclarer un prévenu coupable de ce délit, a relevé que l'intéressé a gardé le silence sur un élément d'actif de son patrimoine et a minoré l'évaluation d'un autre, alors que ces actes sont sans effet sur la solvabilité et ne peuvent en conséquence caractériser l'infraction |
405 | N° Z 18-84.619 FS-P+B+I
N° 1342
CK
9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Rennes a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 11e chambre, en date du 21 juin 2018, qui a prononcé sur la requête de Mme H... D... soulevant un incident contentieux relatif à l'exécution de l'arrêt de ladite cour d'appel du 22 juin 2017.
Des mémoires en demande et en défense, et des observations complémentaires, ont été produits.
La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un avis en date du 5 mars 2020 (pourvoi n° Z 18-84.619).
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de Mme H... D... F... , et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, Zerbib, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, conseillers de la chambre, Mme Pichon, M. Ascensi, Mme Fouquet, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt du 22 juin 2017, la cour d'appel de Rennes a déclaré M. N... F... coupable d'abus de confiance et, notamment, a ordonné la confiscation à titre de produit indirect de l'infraction d'un appartement situé à Rennes (35), ainsi que d'une maison d'habitation située à Vern-sur-Seiche (35), appartenant au condamné et à Mme D..., mariés sous le régime de la communauté légale.
3. Par requête enregistrée au greffe de la cour d'appel le 5 mars 2018, l'avocat de Mme D... a demandé à la cour d'appel de rectifier l'arrêt du 22 juin 2017 en précisant que la confiscation ne portait que sur la seule part indivise des immeubles appartenant au condamné, la requérante, non poursuivie pénalement, étant de bonne foi.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 1441 et 1467 du code civil.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a « limité les effets de la confiscation des immeubles saisis à la seule quote-part indivise de M. N... F... et a ordonné la restitution à Mme H... F... des droits indivis qu'elle détient sur lesdits immeubles, alors que mariés le [...] 1987 sans contrat préalable à leur union, les époux F... étaient soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts, communauté non dissoute à ce jour, que, dans ces conditions, les biens saisis puis confisqués dépendent de leur communauté et appartiennent donc en commun aux époux, que, tant que la liquidation de la communauté n'est pas intervenue, il ne peut être déterminé la quote-part de chacun des époux sur les biens, que, en limitant les effets de la confiscation à la seule quote-part indivise de M. N... F... et en ordonnant la restitution à Mme H... F... de ses droits indivis sur les biens immobiliers communs confisqués, la cour a procédé à une liquidation anticipée partielle de la communauté alors même que celle-ci n'est pas dissoute ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 131-21 du code pénal, 1417, 1441 et 1467 du code civil :
7. Selon l'article 131-21, alinéa 1er, du code pénal, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement.
8. La Cour de cassation juge qu'elle réserve cependant les droits des propriétaires de bonne foi, même lorsque le bien constitue le produit direct ou indirect de l'infraction (Crim., 7 novembre 2018, pourvoi n° 17-87.424, Bull. crim. 2018, n° 188).
9. Lorsque le bien confisqué constitue un bien indivis appartenant à la personne condamnée et à un tiers, ce bien est dévolu en situation d'indivision à l'Etat, de sorte que les droits du tiers de bonne foi sont préservés (Crim., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-85.751, Bull. crim. 2016, n° 289).
10. Lorsque le bien confisqué constitue un bien commun à la personne condamnée et à son conjoint, la situation présente une spécificité tenant à ce qu'en application de l'article 1413 du code civil, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu. Il en est ainsi des dettes nées d'une infraction commise par un époux seul.
11. Il résulte par ailleurs des articles 1441 et 1467 du code civil que, lorsque des époux sont mariés sous le régime de la communauté légale, il n'y a lieu à liquidation de la masse commune, laquelle a pour finalité la fixation des droits des époux dans celle-ci, qu'après dissolution de la communauté, et que le législateur, qui a limitativement énuméré les motifs de dissolution, n'a pas prévu de cause de dissolution partielle.
12. Il s'en déduit que la confiscation d'un bien commun prononcée en répression d'une infraction commise par l'un des époux ne peut qu'emporter sa dévolution pour le tout à l'Etat, sans qu'il demeure grevé des droits de l'époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi.
13. Cette dévolution ne méconnaît pas les droits de l'époux non condamné pénalement, dès lors que la confiscation, qui constitue une pénalité évaluable en argent, est susceptible de faire naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci, déduction faite du profit retiré par elle, en application de l'article 1417 du code civil, au même titre qu'une amende encourue par un seul époux et payée par la communauté.
14. Il n'y a pas lieu de transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, contrairement à ce qui est soutenu au mémoire en défense, dès lors que l'époux non condamné pénalement, qui est titulaire de droits sur l'éventuel avantage économique tiré de l'infraction commise par son conjoint par le seul effet du régime matrimonial, et n'a donc pas acquis, ni ne s'est vu transférer, directement ou indirectement, ce produit, n'est pas un tiers au sens de l'article 6 de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, lequel n'est donc pas applicable.
15. Pour faire droit à la requête en décidant que la confiscation porterait sur la seule quote-part indivise de M. F... et ordonner la restitution à Mme D... de ses droits indivis, l'arrêt retient notamment que les époux, mariés depuis le 11 juillet 1987, sont, en l'absence de contrat de mariage, soumis au régime légal de la communauté réduite aux acquêts et, qu'au vu des actes authentiques produits, les deux biens immobiliers objet de la peine de confiscation prononcée ont été acquis par eux postérieurement à leur mariage, en sorte qu'ils constituent des biens communs.
16. Les juges ajoutent que la communauté est un type d'indivision patrimoniale dans le cadre duquel, sauf récompenses issues d'opérations de compte et liquidation de leurs intérêts patrimoniaux, les biens communs appartiennent aux époux à parts égales, tandis que dans l'indivision au sens du code civil, les parts peuvent être inégales.
17. Ils constatent par ailleurs que Mme D... est de bonne foi, dès lors que son époux a toujours soutenu qu'elle n'était pas au courant des détournements d'argent par lui commis au préjudice de son employeur, qu'il n'a pu être établi que Mme D... avait profité en connaissance de cause de l'argent et des biens acquis frauduleusement avec les sommes détournées, au regard de la profession de comptable exercée par son époux et du peu d'immixtion de l'intéressée dans la gestion du budget du ménage et de la constitution des dossiers de prêt, qu'en l'absence d'indices graves ou concordants existant à son encontre, Mme D... n'a d'ailleurs pas été mise en examen du chef de recel d'abus de confiance et qu'enfin elle a bénéficié d'une décision de non-lieu par ordonnance de règlement conforme du juge d'instruction en date du 22 avril 2015.
18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les immeubles confisqués constituaient des biens communs, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
19. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
20. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué, la cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 21 juin 2018 ;
REJETTE la requête enregistrée au greffe de la cour d'appel le 5 mars 2018 ;
DIT que les biens confisqués par arrêt définitif de la cour d'appel de Rennes en date du 22 juin 2017 et mentionnés au dispositif de l'arrêt attaqué sont dévolus à l'Etat dans leur totalité ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf septembre deux mille vingt. | La confiscation d'un bien commun prononcée en répression d'une infraction commise par l'un des époux emporte sa dévolution pour le tout à l'Etat, sans qu'il demeure grevé des droits de l'époux non condamné pénalement, y compris lorsque ce dernier est de bonne foi.
Cependant, la confiscation, qui constitue une pénalité évaluable en argent, est susceptible de faire naître un droit à récompense pour la communauté lors de la dissolution de celle-ci, déduction faite du profit retiré par elle, en application de l'article 1417 du code civil.
Encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui, saisie d'un incident contentieux relatif à l'exécution d'un arrêt ayant ordonné la confiscation de biens communs en répression du délit d'abus de confiance commis par un époux seul, ordonne la restitution à l'époux de bonne foi de ses droits indivis sur les biens confisqués |
406 | N° J 19-82.263 FS-P+B+I
N° 1345
EB2
9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par l'administration des douanes et droits indirects, partie poursuivante, contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 31 janvier 2019, qui, pour transfert de capitaux sans déclaration, a condamné M. T... M... à une amende douanière et l'a partiellement déboutée de ses demandes.
Des mémoires en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Pichon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction régionale des douanes de Bayonne, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. T... M..., et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, Zerbib, MM. d'Huy, Wyon, M. Pauthe, Turcey, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, conseillers référendaires, M. Valleix, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 14 février 2014, les agents des douanes ont contrôlé, sur l'autoroute entre l'Espagne et la France, un véhicule conduit par M. T... M... qui a déclaré ne pas transporter de fonds d'un montant supérieur à 10 000 euros. Les opérations de contrôle ont permis la découverte d'une cache aménagée contenant des liasses de billets d'une valeur de 498 000 euros. M. M... a déclaré que ces sommes provenaient de son activité de bijoutier.
3. A l'issue d'une information judiciaire, M. M... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel afin d'y être jugé pour transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment du produit d'infractions à la législation sur les stupéfiants et blanchiment douanier de ce produit.
4. Le tribunal correctionnel a relaxé le prévenu des chefs de blanchiment et l'a condamné pour transfert de capitaux sans déclaration à une amende de 124 500 euros. Il a débouté l'administration des douanes et droits indirects de sa demande tendant à la confiscation des fonds saisis.
5. L'administration des douanes et droits indirects a relevé appel des dispositions douanières de cette décision. A l'audience, elle a déclaré limiter son appel aux seules dispositions relatives au délit de transfert de capitaux sans déclaration et se désister pour le surplus.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 464 et 465 du code des douanes L. 152-1 et L. 152-4 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de la direction régionale des douanes d'Aquitaine en confiscation de la somme de 498 000 euros, alors :
« 1°/ que la confiscation des sommes de plus de 10 000 euros qui ont été transférées sans déclaration peut être prononcée si, pendant la durée de leur consignation, il y avait des raisons plausibles de penser que l'auteur de ce transfert non déclaré a commis une ou plusieurs infractions prévues et réprimées par le code des douanes ou qu'il a participé à la commission de telles infractions, peu important qu'il n'ait pas été ultérieurement poursuivi du chef de ces infractions douanières et que celles-ci n'aient pas été judiciairement établies ; qu'en rejetant la demande de l'administration des douanes tendant à voir confisquer la somme de 498 000 euros transportée sans déclaration par M. M... aux motifs inopérants qu'il avait été définitivement relaxé du chef du délit de blanchiment douanier pour lequel il avait été poursuivi et qu'aucune autre infraction douanière n'était établie, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, durant la consignation des sommes non déclarées, il n'existait pas des raisons plausibles de penser que M. M... avait participé à la commission d'une infraction douanière en lien avec des stupéfiants autre que celle de blanchiment douanier, ce qui suffisait à fonder la confiscation de la somme de 498 000 euros, sans qu'il importe que M. M... n'ait pas été poursuivi du chef de cette autre infraction douanière en lien avec les stupéfiants et qu'elle n'ait pas été judiciairement établie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
2°/ que la confiscation des sommes de plus de 10 000 euros qui ont été transférées sans déclaration peut être prononcée si, pendant la durée de leur consignation, il y avait des raisons plausibles de penser que l'auteur de ce transfert non déclaré a commis une ou plusieurs infractions prévues et réprimées par le code des douanes ou qu'il a participé à la commission de telles infractions, peu important qu'il ait été ultérieurement relaxé du chef de ces infractions douanières ; qu'en rejetant la demande de l'administration des douanes tendant à voir confisquer la somme de 498 000 euros transportée sans déclaration par M. M... au motif inopérant qu'il avait été définitivement relaxé du chef du délit de blanchiment douanier pour lequel il avait été poursuivi, sans rechercher si, durant la consignation des sommes non déclarées, il n'existait pas des raisons plausibles de penser que M. M... avait commis ou participé à la commission d'une infraction de blanchiment douanier, ce qui suffisait à fonder la confiscation de la somme de 498 000 euros, sans qu'il importe que M. M... ait été relaxé du chef de ce délit de blanchiment douanier, la cour d'appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 152-4, II, alinéa 2, du code monétaire et financier :
8. Selon ce texte, la somme transférée en méconnaissance des obligations déclaratives énoncées notamment à l'article L. 152-1 du code monétaire et financier et saisie peut être confisquée si, pendant la durée de la consignation, il est établi que l'auteur de ce délit est ou a été en possession d'objets laissant présumer sa participation passée ou actuelle à la commission d'une infraction au code des douanes ou s'il y a des raisons plausibles de penser qu'il a commis ou participé à la commission d'une telle infraction.
9. Il s'en déduit que le prononcé de la peine de confiscation n'impose pas que l'auteur du transfert de capitaux sans déclaration soit poursuivi du chef de cette autre infraction douanière.
10. Il ne saurait a fortiori être exigé que cette autre infraction douanière soit établie dès lors que la réunion d'éléments tendant à sa plausibilité est nécessaire mais suffisante pour permettre la confiscation des fonds.
11. Il s'en déduit également qu'il importe peu que le prévenu ait été relaxé du chef de cette autre infraction douanière. En effet, si l'autorité de la chose jugée assortissant la relaxe prohibe toute nouvelle poursuite, elle ne peut constituer un obstacle au prononcé d'une peine en répression du délit de transfert de capitaux sans déclaration pour lequel l'intéressé a été déclaré coupable.
12. Ces dispositions ne méconnaissent pas l'article 48-1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union qui protège la présomption d'innocence pour les raisons qui suivent.
13. En premier lieu, la sanction fiscale de confiscation n'est encourue qu'en cas de déclaration préalable de culpabilité du chef de transfert de capitaux sans déclaration dont les éléments constitutifs doivent être établis par l'autorité poursuivante. D'ailleurs, aux termes de l'article L. 152-4, II, alinéa 3, du code monétaire et financier, une décision de non-lieu ou de relaxe emporte de plein droit mainlevée des mesures de consignation et de saisie.
14. En second lieu, l'atteinte au principe de la présomption d'innocence ne saurait résulter de ce que les juges, après avoir retenu la culpabilité du prévenu, ne peuvent prononcer la confiscation que si sont réunies certaines circonstances de fait, appréciées au cas par cas, dont il résulte une vraisemblance raisonnable de commission ou de participation à la commission d'une autre infraction douanière, laquelle peut être discutée par la défense.
15. L'application ainsi faite de l'article 48-1 de la Charte ne laissant place à aucun doute raisonnable et le règlement n° 1889/2005 du Parlement et du Conseil du 26 octobre 2005, qui porte sur les contrôles de l'argent liquide entrant ou sortant de la Communauté et non sur ceux des mouvements d'argent liquide au sein de celle-ci, n'étant pas applicable au présent litige, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice des questions préjudicielles proposées par le défendeur.
16. Pour confirmer le jugement et rejeter la demande de l'administration des douanes et droits indirects tendant à la confiscation des fonds transférés sans déclaration et saisis, l'arrêt attaqué, après avoir déclaré le prévenu coupable de transfert de capitaux sans déclaration et constaté le caractère définitif de la relaxe des chefs de blanchiments de droit commun et douanier, énonce que ladite administration ne peut, sauf à méconnaître le principe de l'autorité de la chose jugée, se fonder sur la même infraction à la législation sur les stupéfiants, définitivement écartée par la relaxe.
17. Les juges ajoutent qu'aucune autre infraction prévue par le code des douanes n'est établie à l'égard du prévenu.
18. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.
19. En effet, les juges ne pouvaient, pour refuser de rechercher s'il existait des raisons plausibles de penser que le prévenu avait commis une infraction douanière autre que le transfert de capitaux sans déclaration, ou participé à la commission d'une telle infraction, se fonder uniquement sur la relaxe du chef de blanchiment douanier et sur le défaut de caractérisation d'une autre infraction douanière.
20. Ainsi, la cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Pau, en date du 31 janvier 2019, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de la direction régionale des douanes d'Aquitaine en confiscation de la somme de 498 000 euros, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Pau et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf septembre deux mille vingt. | Selon l'article L. 152-4, II, alinéa 2, du code monétaire et financier, la somme transférée en méconnaissance des obligations déclaratives énoncées notamment à l'article L. 152-1 du même code, et saisie peut être confisquée si, pendant la durée de la consignation, il est établi que l'auteur de ce délit est ou a été en possession d'objets laissant présumer sa participation passée ou actuelle à la commission d'une infraction au code des douanes ou s'il y a des raisons plausibles de penser qu'il a commis ou participé à la commission d'une telle infraction.
Il s'en déduit que le prononcé de la peine de confiscation n'impose pas que l'auteur du transfert de capitaux sans déclaration soit poursuivi du chef de cette autre infraction douanière.
Il ne saurait a fortiori être exigé que cette autre infraction douanière soit établie dès lors que la réunion d'éléments tendant à sa plausibilité est nécessaire mais suffisante pour permettre la confiscation des fonds.
Il s'en déduit également qu'il importe peu que le prévenu ait été relaxé du chef de cette autre infraction douanière. En effet, si l'autorité de la chose jugée assortissant la relaxe prohibe toute nouvelle poursuite, elle ne peut constituer un obstacle au prononcé d'une peine en répression du délit de transfert de capitaux sans déclaration pour lequel l'intéressé a été déclaré coupable.
Ces dispositions ne méconnaissent pas l'article 48.1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union qui protège la présomption d'innocence.
Par conséquent, les juges ne pouvaient, pour refuser de rechercher s'il existait des raisons plausibles de penser que le prévenu avait commis une infraction douanière, autre que le transfert de capitaux sans déclaration pour lequel il a été condamné, ou participé à la commission d'une telle infraction, se fonder uniquement sur la relaxe du chef de blanchiment douanier et sur le défaut de caractérisation d'une autre infraction douanière |
407 | N° R 19-84.983 FS-P+B+I
N° 1490
CK
8 SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
REJET du pourvoi formé par la société Assurances du Crédit mutuel, partie intervenante, contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 22 février 2019, qui, dans la procédure suivie contre Mme C... T... des chefs d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Goanvic, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la société Assurances du Crédit mutuel, les observations de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des assurances obligatoires, les observations de la SARL Cabinet Coutaud et Munier-Apaire, avocats de MM. J... U..., W... U..., Mmes N... E..., R... V..., L... O... et les conclusions de Mme Le Dimna, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Goanvic, conseiller rapporteur, M. Pers, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, MM. Bellenger, Lavielle, Samuel, conseillers de la chambre, Mmes Chauchis, Méano, M. Leblanc, conseillers référendaires, Mme Le Dimna, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 13 novembre 2014, est survenu un accident de la circulation entre un véhicule conduit par Mme T..., assurée par la société Assurance du Crédit mutuel, et un motocycliste, H... U..., qui est décédé des suites de ses blessures.
3. Par jugement du 9 septembre 2016, le tribunal correctionnel, statuant sur les intérêts civils, a déclaré irrecevable l'exception de nullité pour réticence ou fausse déclaration du contrat d'assurance présentée par la société Assurances du Crédit mutuel et a jugé que l'assureur devrait garantir Mme T..., déclarée responsable des préjudices subis par les parties civiles et condamnée à leur payer diverses sommes.
4. La société Assurance du Crédit mutuel a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'exception de nullité du contrat d'assurance présentée par la société Assurances du Crédit mutuel et ordonné la mise hors de cause du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages alors « que le principe selon lequel la nullité du contrat d'assurance pour fausse déclaration intentionnelle est opposable à tout bénéficiaire de la garantie de l'assureur n'est pas contraire aux articles 3 et 13 de la directive n° 2009/103/CE du 16 septembre 2009 concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité ; qu'en jugeant néanmoins que la nullité pour fausse déclaration intentionnelle du contrat d'assurance souscrit par Mme T... était inopposable aux ayants droit de M. U..., la cour d'appel a violé les articles L. 113-8, R. 211-13 du code des assurances et 385-1 du code de procédure pénale tels qu'interprétés à la lumière de la directive susvisée. »
Réponse de la Cour
6. Pour déclarer irrecevable l'exception de nullité du contrat d'assurance et mettre hors de cause le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO), l'arrêt retient notamment que, ne figurant pas à la liste des exceptions et déchéances inopposables aux tiers, prévues par l'article R. 211-3 du code des assurances, l'exception de nullité fondée sur la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré en application de l'article L. 113-8 du code des assurances est opposable aux victimes. Pour autant, une telle exception n'est recevable que si elle est de nature à exonérer totalement l'assureur de toute obligation.
7. Puis, il énonce, que par arrêt du 20 juillet 2017, C-287/16, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « L'article 3, paragraphe 1, de la directive 72/166/CEE du Conseil, du 24 avril 1972, concernant le rapprochement des législations des états membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs, et au contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, et l'article 2, paragraphe 1, de la deuxième directive 84/5/CEE du Conseil, du 30 décembre 1983, concernant le rapprochement des législations des états membres relatives à l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui aurait pour effet que soit opposable aux tiers victimes, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, la nullité d'un contrat d'assurance de responsabilité civile automobile résultant de fausses déclarations initiales du preneur d'assurance en ce qui concerne l'identité du propriétaire et du conducteur habituel du véhicule concerné ou de la circonstance que la personne pour laquelle ou au nom de laquelle ce contrat d'assurance est conclu n'avait pas d'intérêt économique a la conclusion dudit contrat ».
8. Les juges ajoutent que les directives visent à assurer une indemnisation rapide des victimes d'accidents corporels par l'assureur du responsable, sans que puissent leur être opposées les nullités fondées sur les rapports existant entre l'assureur et l'assuré susceptibles de retarder leur indemnisation et qu'au regard de l'arrêt du 20 juillet 2017 de la Cour de justice de l'Union européenne, le droit communautaire prime sur le droit national telles les dispositions de l'article R. 211-3 du code des assurances.
9. En statuant par ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions visées au moyen.
10. Elle a, à bon droit, interprété les articles L. 113-8 et R. 211-3 du code des assurances au regard des finalités et de la portée générale des dispositions du droit de l'Union européenne telles que précisées par l'arrêt du 20 juillet 2017, Fidelidade, (C 287-16) de la Cour de justice de l'Union européenne et codifiées par la directive du Parlement et du Conseil n° 2009/103/CE du 16 septembre 2009 concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité.
11. Au demeurant, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a tiré les mêmes conséquences des dispositions du droit de l'Union européenne (2e Civ., 29 août 2019, pourvoi n° 18-14.768 et 2e Civ., 16 janvier 2020, pourvoi n° 18-23.381, en cours de publication).
12. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société Assurances du Crédit mutuel devra payer aux parties civiles, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à application des autres demandes au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt. | En application de la directive du n° 2009/103/CE du 16 septembre 2009, concernant l'assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l'obligation d'assurer cette responsabilité, codifiant des dispositions du droit de l'Union européenne précisées par l'arrêt du 20 juillet 2017, Fidelidade (C287-16) de la CJUE, la nullité du contrat d'assurance édictée par l'article L. 113-8 du code des assurances n'est pas opposable aux victimes et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) ne peut, dans ce cas, être appelé à les indemniser de leurs dommages matériels.
Justifie sa décision la cour d'appel qui déclare irrecevable l'exception de nullité du contrat d'assurance et met hors de cause le FGAO, en écartant les dispositions de droit national contraires au droit de l'Union européenne |
408 | N° V 19-84.021 F-P+B+I
N° 1491
EB2
8 SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par la Métropole de Lyon, partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 15 mai 2019, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de Mme G... Y... du chef de déclaration fausse ou incomplète à une administration publique en vue d'obtenir un avantage indu.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Ingall-Montagnier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Métropole de Lyon, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme G... Y..., et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ingall-Montagnier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Sur plainte de la Métropole de Lyon, Mme Y..., allocataire du revenu de solidarité active (RSA) depuis l'année 2009, a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour déclarations fausses ou incomplètes, entre le 5 avril 2013 et le 21 octobre 2015, en vue d'obtenir de la dite métropole, le versement du RSA à hauteur de 17 558, 01 euros, alors qu'elle est associée, pour moitié des parts, d'une société civile immobilière qui détient une maison aménagée en appartements loués à des étudiants.
3. Les juges du premier degré l'ont déclarée coupable des faits reprochés, condamnée à deux mois d'emprisonnement avec sursis et à payer à la Métropole de Lyon, partie civile, la somme de 17 558, 01 euros au titre du préjudice subi.
4. Mme Y... a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a renvoyé Mme Y... des fins de la poursuite, a débouté la metropole de Lyon de ses demandes indemnitaires dirigées contre Mme Y..., alors « que doivent être pris en compte, pour la détermination du montant du revenu de solidarité active, les ressources que l'allocataire a vocation à retirer des biens mobiliers et immobiliers dont il est propriétaire ; qu'il en résulte que doit être déclaré l'ensemble des éléments de patrimoine donnant vocation à la perception de ressources ; qu'en jugeant au contraire, pour dire que Mme Y... n'avait commis aucune faute pénale ou civile en omettant de déclarer être propriétaire de la moitié des parts sociales de la SCI JVTS, qui possédait un immeuble ayant généré des revenus locatifs au titre de la période de la prévention, que cette société n'avait « distribué ni bénéfice ni dividendes », quand elle constatait que la SCI dont Mme Y... détenait la moitié des parts avait généré, au cours de la période de la prévention, des revenus locatifs ayant vocation à profiter à ses associés, et qui étaient en conséquence constitutifs de ressources devant être déclarées, la cour d'appel a violé les articles L. 262-3, R. 262-6 et L. 132-1 du code de l'action sociale et des familles, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 262-2, L. 132-1, R. 262-6 du code de l'action sociale et des familles et 593 du code de procédure pénale :
6. Il résulte des premiers de ces textes que pour déterminer le montant des ressources retirées par l'allocataire du revenu de solidarité active des parts qu'il détient dans une société civile immobilière il convient de tenir compte des seuls bénéfices de la société dont il a effectivement disposé, c'est-à-dire qui lui ont été distribués. A défaut de bénéfices distribués il y a lieu d'évaluer ces ressources sur la base forfaitaire, applicable aux capitaux non productifs de revenus, prévue par les articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles, en appliquant le taux de 3 % à la valeur de ces parts.
7. Cette interprétation est celle retenue par le Conseil d'Etat dans sa décision du 26 février 2020 (n° 424379).
8. Selon le dernier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour débouter la partie civile de ses demandes indemnitaires, après relaxe de la prévenue, l'arrêt attaqué énonce que si les loyers des appartements loués par la SCI JSTV ont été encaissés par et pour le compte de cette SCI, Mme Y... justifie que, sur la période de prévention, cette société, soumise à l'impôt sur les sociétés, n'a distribué ni bénéfice ni dividende.
10. Les juge en déduisent que les sommes versées au titre des loyers ne peuvent dès lors être regardées comme des ressources et qu'eu égard aux conditions d'attribution du RSA comme de l'absence démontrée de revenus, la demande de RSA formée par Mme Y... ne peut en soi être constitutive d'une faute.
11. En se déterminant ainsi sans rechercher si, malgré l'absence de bénéfices distribués, l'omission de déclaration par Mme Y... de la propriété de la moitié des parts sociales de la SCI, génératrices de ressources forfaitairement évaluables, ne pouvait pas caractériser une faute, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
12. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 15 mai 2019 et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt. | Pour déterminer le montant des ressources retirées par un allocataire du RSA de parts sociales dans une SCI, il convient de tenir compte des seuls bénéfices de la société dont il a effectivement disposé, c'est-à-dire qui lui ont été distribués, et, à défaut de bénéfices distribués, d'évaluer ces ressources sur la base forfaitaire, applicable aux capitaux non productifs de revenus, prévue par les articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles, en appliquant le taux de 3 % à la valeur de ces parts.
Ne justifie pas sa décision la cour d'appel qui, statuant sur intérêts civils, dans l'hypothèse d'absence de distribution de bénéfices par la SCI, ne recherche pas si l'omission de déclaration par l'allocataire du RSA à l'administration publique des parts sociales qu'il détient, génératrices de ressources forfaitairement évaluables, ne pouvait pas caractériser une faute |
409 | N° H 19-87.252 F-P+B+I
N° 1494
SM12
8 SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
REJET du pourvoi formé par la société Aquaculture Jaouen contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 24 octobre 2019 qui, pour pratique commerciale trompeuse et infractions au code du travail, au code de commerce, au code de l'urbanisme et au code rural et de la pêche maritime, l'a condamnée à 20 000 euros d'amende, à cent trente six amendes de 5 euros et a ordonné une mesure de publication.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la société Aquaculture Jaouen, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l'occasion d'un contrôle effectué sur ses activités de production de produits de la mer, la société Aquaculture Jaouen n'a pas été en mesure de présenter les documents d'enregistrement relatifs à cent trente six livraisons de palourdes, coques et moules qu'elle a réceptionnées et traitées entre décembre 2015 et mai 2016.
3. Elle a été poursuivie notamment pour avoir omis de respecter les exigences relatives aux certificats ou documents requis par les règlements communautaires mentionnés à l'article R. 231-42 du code rural et de la pêche maritime et déclinés par l'arrêté ministériel du 6 novembre 2013 fixant les conditions sanitaires de transfert et de traçabilité des coquillages.
4. Les juges du premier degré l'ont déclarée coupable de ce chef. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
5. Il ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré la société Aquaculture Jaouen coupable de transfert de lot de coquillages vivants sans document d'enregistrement, alors « que toute personne responsable d'un transfert de coquillages vivants émet pour chaque lot de coquillages un document d'enregistrement conforme au modèle en annexe et remet l'original au destinataire du lot de coquillages et chacun en conserve une copie pendant un an dans un registre dans lequel les documents d'enregistrement sont archivés chronologiquement ; qu'il en résulte que l'infraction de transfert de lot de coquillages vivants sans document d'enregistrement ne peut être retenue qu'à l'encontre du responsable du transfert, qui n'a pas émis ce document lors du transfert, et non à l'encontre du destinataire du lot de coquillages ; que dès lors, en déclarant la société Aquaculture Jaouen coupable de transfert de lot de coquillages vivants sans document d'enregistrement, aux motifs que « s'il incombe effectivement aux pêcheurs livreurs d'émettre un document, il incombe au destinataire du lot de coquillage de conserver ce document pendant un an, en sorte que la société Aquaculture Jaouen est inopérante à faire valoir que seraient seuls fautifs les pêcheurs qui lui auraient livré ces lots de coquillages sans avoir émis les documents d'enregistrement exigés pour chaque livraison, alors que ayant elle-même l'obligation de conserver ces documents il lui incombait de veiller à ce que chaque livraison dans ses parcs soit accompagnée d'un tel document » (arrêt, p. 20), cependant qu'étant le destinataire et non le responsable des transferts de coquillages, la société Aquaculture Jaouen ne pouvait être condamnée pour transfert de lot de coquillages vivants sans document d'enregistrement, la cour d'appel a violé les articles R. 237-2 et R. 231-42 du code rural et de la pêche maritime et l'article 2 de l'arrêté ministériel du 6 novembre 2013 fixant les conditions sanitaires de transfert et de traçabilité des coquillages vivants. »
Réponse de la Cour
7. Pour confirmer le jugement, l'arrêt attaqué énonce qu'aux termes de l'article 2 de l'arrêté ministériel du 6 novembre 2013 relatif au classement, à la surveillance et à la gestion sanitaire des eaux de production et de zone de reparcage de coquillages vivants, toute personne responsable de transferts de coquillages vivants émet, pour chaque lot, un document d'enregistrement dont il remet l'original au destinataire, chacun en conservant une copie pendant un an dans un registre tenu chronologiquement.
8. Les juges ajoutent que l'argumentation de la prévenue, selon laquelle seuls seraient fautifs les pêcheurs ayant livré les lots sans avoir émis les documents d'enregistrement, est inopérante dès lors que s'il incombe aux pêcheurs livreurs d'émettre le document d'enregistrement pour chaque livraison, il appartient au destinataire de conserver ce document pendant un an et donc de veiller à ce que chaque livraison en soit accompagnée.
9. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.
10. En effet, selon le paragraphe 2 du chapitre I, de la section VII de l'annexe III du règlement (CE) n° 853/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d'hygiène applicables aux denrées alimentaires d'origine animale auquel se réfère l'article R.231-42 du code rural et de la pêche maritime visé à la prévention, les exploitants du secteur alimentaire ne peuvent accepter de lots de mollusques bivalves vivants que si sont respectées les exigences en matière de documentation figurant aux paragraphes 3 à 7, parmi lesquelles figure l'obligation que le lot soit accompagné jusqu'à son arrivée du document d'enregistrement qu'ils doivent conserver et à partir duquel ils doivent enregistrer la date de réception.
11. Dès lors, le moyen doit être écarté.
12. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt. | Selon le paragraphe 2 du chapitre I, de la section VII de l'annexe III du règlement (CE) n° 853/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d'hygiène applicables aux denrées alimentaires d'origine animale auquel se réfère l'article R. 231-42 du code rural et de la pêche maritime, les exploitants du secteur alimentaire ne peuvent accepter de lots de mollusques bivalves vivants que si est notamment respectée l'obligation que le lot soit accompagné jusqu'à son arrivée du document d'enregistrement qu'ils doivent conserver et à partir duquel ils doivent enregistrer la date de réception.
Justifie par conséquent sa décision, la cour d'appel qui, pour condamner un exploitant poursuivi sur le fondement du dit article R. 231-42 pour n'avoir pas été en mesure de présenter les documents d'enregistrement relatifs à de telles livraisons, déclare inopérante son argumentation selon laquelle seraient seuls fautifs les pêcheurs qui ont livré les lots sans émettre les documents d'enregistrement |
410 | N° D 19-84.995 F-P+B+I
N° 1501
EB2
8 SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
REJET des pourvois formés par l'association Ecologie sans frontière et l'association Générations futures, parties civiles, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 4e section, en date du 3 juillet 2019, qui dans l'information contre personne non dénommée du chef de mise en danger d'autrui et tromperie aggravée, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable leurs constitutions de parties civiles.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Ingall-Montagnier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'association Ecologie sans frontière, l'association Générations futures, parties civiles, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ingall-Montagnier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'association Ecologie sans frontière a, le 11 mars 2014, déposé une plainte simple au parquet de Paris, du chef de mise en danger d'autrui en raison de la pollution atmosphérique, qui a été classée sans suite le 4 mai 2015.
3. Le 8 juillet 2015, les associations Ecologie sans frontière et Générations futures ont déposé plainte et se sont constituées parties civiles devant le doyen des juges d'instruction de Paris des chefs de mise en danger d'autrui en raison de cette pollution.
4. Par ordonnance du 5 juillet 2018, le juge d'instruction a constaté l'irrecevabilité des constitutions de parties civiles desdites associations.
5. Les associations ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l'association Générations futures, alors « qu'aucun formalisme tant sur la forme que sur le contenu de la plainte simple n'est exigée à peine d'irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile, si ce n'est qu'elle doit seulement révéler les faits susceptibles de causer au plaignant ou à un tiers un préjudice ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de l'association Générations futures, qu'il résulte de la lecture combinée des alinéas 1 et 2 de l'article 85 du code de procédure pénale que le bénéfice de la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile doit être propre au plaignant, auteur de la simple plainte, de sorte que la plainte ne saurait bénéficier « par ricochet » à une personne qui n'aurait pas elle-même suivi le circuit imposé par l'article 85 alinéa 2 du code de procédure pénale, lorsqu'il est seulement exigé de cet article l'existence d'une plainte déposée devant le procureur de la République ou un service de police judiciaire, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction et dire irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de l'association Générations futures, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de la lecture combinée des alinéas 1 et 2 de l'article 85 du code de procédure pénale que le bénéfice de la plainte avec constitution de partie civile, accordé en raison d'un dépôt préalable d'une plainte simple pour les mêmes faits, est propre au plaignant auteur de la plainte simple, et ne saurait bénéficier « par ricochet » à une personne qui n'aurait pas elle-même suivi le circuit imposé par l'article 85 alinéa 2 du code de procédure pénale.
9. Les juges ajoutent qu'il est constant que l'association n'a pas déposé de plainte simple préalable pour les faits pour lesquels elle s'est constituée partie civile le 8 juillet 2015.
10. En l'état de ces énonciations la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
11. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l'association Ecologie sans frontière du chef de mise en danger d'autrui, alors :
« 1°/ qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l'association Écologie sans frontière du chef de mise en danger d'autrui, qu'elle s'était vue refuser le renouvellement de son agrément à compter du 31 décembre 2013, lorsque l'association n'a à justifier que d'une atteinte aux intérêts collectifs qu'elle défend, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 142-2 du code de l'environnement, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en dehors de toute habilitation légale, une association est recevable à se constituer partie civile dès lors qu'elle est susceptible de subir un préjudice personnel directement causé par l'infraction ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l'association Écologie sans frontière, que, par essence, une personne morale ne peut exciper une exposition au risque d'atteinte à l'intégrité physique, lorsque le délit de mise en danger d'autrui ne limite pas la faculté de se constituer partie civile aux seules personnes physiques, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 223-1 du code pénal, 2, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'une association est recevable, en tout état de cause, à se constituer partie civile dès lors que l'infraction est susceptible de porte atteinte aux intérêts collectifs que celle-ci a pour mission de défendre conformément à son objet ; que l'association Écologie sans frontière qui, selon ses statuts, a pour objet l'amélioration de la qualité de vie dans un cadre de développement durable et la lutte contre toutes formes de pollutions et nuisances ayant un impact sur la santé humaine, est susceptible de subir un préjudice direct et personnel découlant du délit de mise en danger d'autrui ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l'association Écologie sans frontière du chef de délit de mise en danger d'autrui, que cette association ne pouvait se prévaloir d'un préjudice personnel, lorsque ce délit, en ce qu'il vise la protection de la vie ou de l'intégrité d'autrui, est susceptible de porter atteinte aux intérêts collectifs que l'association défend, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 223-1 du code pénal, 2, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
13. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction et dire irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de l'association Écologie sans frontière du chef de mise en danger d'autrui en raison de la pollution atmosphérique, l'arrêt attaqué énonce, d'une part, que ladite association n'était pas recevable sur le fondement de l'article L. 142-2 du code de l'environnement à se constituer partie civile, le renouvellement d'agrément lui ayant été refusé.
14. L'arrêt relève, d'autre part, que sur le fondement du droit commun, l'action civile devant les juridictions répressives est un droit exceptionnel qui, en raison, de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites des articles 2 et 3 du code de procédure pénale et qu'en application du premier de ces deux articles, l'action civile en réparation du dommage causé par une infraction appartient uniquement à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l'infraction.
15. Les juges retiennent ensuite qu'alors que le délit dénoncé de mise en danger d'autrui se définit comme le fait d'exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une association personne morale ne peut, par essence, exciper d'une telle exposition au risque d'atteinte à l'intégrité physique.
16. Ils en déduisent que l'association plaignante ne saurait arguer d'un préjudice personnel, tel que requis par l'article 2 du code de procédure pénale, pour admettre, sur ce fondement de droit commun, la recevabilité de l'action civile.
17. En statuant ainsi, en l'absence d'agrément de l'association plaignante et dès lors que celle-ci n'était pas susceptible de subir un préjudice propre, directement causé par le délit de mise en danger d'autrui, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
18. Ainsi le moyen doit être écarté.
19. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt. | La plainte préalable à la constitution de partie civile doit avoir été déposée personnellement par la partie civile et ne peut bénéficier à une personne qui n'a pas suivi le circuit imposé par l'article 85, alinéa 2, du code de procédure pénale. (1er moyen) |
411 | N° P 19-85.004 F-P+B+I
N° 1502
SM12
8 SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
REJET sur le pourvoi formé par l'association Générations futures, partie civile, contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 4e section, en date du 3 juillet 2019, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction refusant d'informer sur sa plainte du chef de mise en danger d'autrui.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Ingall-Montagnier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de l'association Générations Futures, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ingall-Montagnier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'association Générations futures a, le 13 janvier 2017, déposé auprès du procureur de la République une plainte simple du chef de mise en danger d'autrui, qui en substance visait les carences des pouvoirs publics dans les actions susceptibles d'être menées pour lutter contre l'exposition de la population aux polluants atmosphériques.
3. La plainte a été classée sans suite. L'association a alors déposé une plainte et s'est constituée partie civile devant le doyen des juges d'instruction.
4. Par ordonnance du 26 septembre 2017, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de refus d'informer pour irrecevabilité de la plainte avec constitution de partie civile, dont l'association a relevé appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Générations futures, alors :
« 1°/ que les associations agréées peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives notamment à la protection de la nature et de l'environnement ou à l'amélioration du cadre de vie ; qu'il ressort des motifs de l'arrêt que la mise en danger est éventuellement une conséquence d'une atteinte à l'environnement ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de Générations futures du chef de délit de mise en danger d'autrui, que la mise en danger ne peut être assimilée à l'atteinte à l'environnement, lorsque ce délit implique, pour assurer la protection de la vie et de l'intégrité d'autrui, de veiller à ce qu'aucune atteinte ne soit portée à son cadre de vie, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a méconnu les articles L. 142-2 du code de l'environnement, 223-1 du code pénal, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de Générations futures que le délit de mise en danger s'attache à la protection des êtres humains appelés à vivre dans le cadre de vie tandis que l'article L. 142-2 du code de l'environnement a pour objet de protéger le cadre de vie, autrement dit la nature et l'environnement, lorsque ce délit implique, pour assurer la protection de la vie et de l'intégrité d'autrui, de veiller à ce qu'aucune atteinte ne soit portée à son cadre de vie, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
6. Pour confirmer l'ordonnance entreprise l'arrêt énonce que l'action civile devant les juridictions répressives est un droit exceptionnel qui en raison, de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites des articles 2 et 3 du code de procédure pénale et que l'article L.142-2 du code de l'environnement qui permet aux associations agréées pour la défense de l'environnement de se constituer partie civile, d'interprétation stricte s'agissant d'un texte spécial, ne s'applique qu'à la condition que l'infraction dénoncée relève de la liste limitative des infractions aux dispositions législatives relatives à la protection de l'environnement ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions ou les nuisances énumérées par cet article.
7. Les juges retiennent, par ailleurs, que la mise en danger d'autrui, qui est éventuellement une conséquence d'une atteinte à l'environnement, ne peut être assimilée à cette atteinte elle-même, que l'article L.142-2 du code de l'environnement a pour objet de protéger le cadre de vie, la nature et l'environnement, le délit de mise en danger s'attachant lui, au contraire, à la protection des êtres humains, appelés à vivre dans le-dit cadre ; qu'ainsi l'association ne peut se constituer partie civile sur le fondement de cet article pour le délit de mise en danger d'autrui.
8. Par ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes spéciaux d'interprétation stricte visés au moyen.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Générations futures, alors :
« 1°/ qu'en dehors de toute habilitation légale, une association est recevable à se constituer partie civile dès lors qu'elle est susceptible de subir un préjudice personnel directement causé par l'infraction ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de l'association, que, par essence, une personne morale ne peut exciper une exposition au risque d'atteinte à l'intégrité physique, lorsque le délit de mise en danger d'autrui vise la protection de la vie ou de l'intégrité de toute personne sans distinction, de sorte que la mise en danger d'autrui, à la supposer établie, est susceptible de causer un danger à la vie de Générations futures, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 223-1 du code pénal, 2, 85, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'une association est recevable, en tout état de cause, à se constituer partie civile dès lors que l'infraction est susceptible de porte atteinte aux intérêts collectifs qu'elle a conformément à son objet pour mission de défendre ; que Générations futures qui agit notamment pour la défense de la santé publique en relation avec les nuisances causées à l'environnement, est susceptible de subir un préjudice direct et personnel découlant du délit de mise en danger d'autrui ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile de Générations futures du chef de délit de mise en danger d'autrui, que cette association ne pouvait se prévaloir d'un préjudice personnel lorsque ce délit, en ce qu'il vise la protection de la vie ou de l'intégrité d'autrui, est susceptible porte atteinte aux intérêts collectifs que l'association défend, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
10. Pour confirmer l'ordonnance l'arrêt relève que l'action civile devant les juridictions répressives est un droit exceptionnel qui. en raison, de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites des articles 2 et 3 du code de procédure pénale, qu'en application de l'article 2 précité, l'action civile en réparation du dommage causé par une infraction appartient uniquement à ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé par l'infraction.
11. Les juges ajoutent que le délit de mise en danger d'autrui se définit comme le fait d'exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement et que par essence, l'association, personne morale, ne peut exciper d'une telle exposition à ce risque d'atteinte à l'intégrité physique.
12. Ils en déduisent que la plaignante ne saurait arguer d'un préjudice personnel, requis par l'article 2 du code de procédure pénale, pour admettre, sur ce fondement de droit commun, la recevabilité de l'action civile.
13. En statuant ainsi, dès lors que l'association n'était pas susceptible de subir un préjudice personnel directement causé par le délit dénoncé de mise en danger d'autrui, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
14. Ainsi, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt. | L'article L. 142-2 du code de l'environnement qui permet aux associations agréées pour la défense de l'environnement de se constituer partie civile, texte spécial d'interprétation stricte, ne s'applique qu'à la condition que l'infraction dénoncée relève de la liste limitative des infractions aux dispositions législatives relatives à la protection de l'environnement ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions ou les nuisances énumérées par cet article.
Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui retient qu'une association ne peut, sur le fondement de l'article L. 142-2 du code de l'environnement qui a pour objet de protéger le cadre de vie, la nature et l'environnement, se constituer partie civile pour le délit de mise en danger d'autrui, qui s'attache à la protection des êtres humains (premier moyen) |
412 | N° Z 19-84.301 FS-P+B+I
N° 1520
EB2
9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par Mme B... M... contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-14, en date du 21 mai 2019, qui pour escroquerie, faux et usage, l'a condamnée à trois ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve devenu sursis probatoire et cinq ans d'interdiction professionnelle, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Pichon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme B... M..., les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, Zerbib, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, conseillers référendaires, M. Valat, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Des caisses d'assurance maladie et des mutuelles, alertées par une forte progression d'activité, ont porté plainte contre Mme M..., infirmière libérale, après avoir constaté la déclaration d'actes fictifs ou surcotés en vue d'obtenir le remboursement indu de prestations et ce, via un système de transmission dématérialisée ou l'établissement de feuilles de soins papier, pour un montant global de l'ordre d'un million d'euros.
3. A l'issue d'une information judiciaire, Mme M... a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour y être jugée des chefs d'escroquerie, de faux et d'usage.
4. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable des faits reprochés et condamnée notamment à des mesures de confiscation. Il a prononcé sur les intérêts civils.
5. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen, pris en sa seconde branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré Mme B... M... coupable de faux et escroquerie, alors :
« 2°/ que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu'en déclarant Mme M... coupable de faux « constitués de fausses ordonnances et leur usage » et d'escroquerie « grâce à des manoeuvres frauduleuses constituées
par des fausses ordonnances », au préjudice des mêmes caisses, la cour d'appel a violé la règle ne bis in idem. »
Réponse de la Cour
8. Il se déduit du principe ne bis in idem que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes.
9. Il n'en est pas ainsi en cas de double déclaration de culpabilité pour faux et escroquerie, faute d'action et intention coupable uniques, lorsque l'infraction de faux consiste en une altération de la vérité dans un support d'expression de la pensée qui se distingue de son utilisation constitutive du délit d'usage de faux et, le cas échéant, d'un élément des manoeuvres frauduleuses de l'infraction d'escroquerie. Dans cette hypothèse, seuls les faits d'usage sont de nature à procéder des mêmes faits que ceux retenus pour les manoeuvres frauduleuses.
10. En l'espèce, pour confirmer la déclaration de culpabilité des chefs d'escroquerie, faux et usage, l'arrêt attaqué énonce notamment que la prévenue a facturé, au préjudice de diverses caisses d'assurance maladie et mutuelles, un grand nombre d'actes infirmiers fictifs, surcotés ou comportant une modification du taux de prise en charge.
11. Il relève, pour caractériser l'escroquerie, que l'utilisation de la carte vitale d'un assuré tend à accréditer et conforter la réalité de soins fictifs facturés et constitue une manoeuvre frauduleuse, que, dans un premier temps, Mme M... a demandé le remboursement des soins par le réseau SESAME grâce aux cartes vitales des patients, qu'elle a aussi récupéré les cartes vitales pour établir sa facturation sans que les intéressés ne soient en mesure de vérifier la réalité des prestations, cette captation des cartes vitales participant à la manoeuvre et qu'après le blocage de son compte, elle a sollicité le paiement direct des assurés qui devaient solliciter un remboursement, l'envoi de feuilles de soins papier étant constitutif d'une manoeuvre frauduleuse. Il ajoute que Mme M... a commis d'autres manoeuvres frauduleuses, en modifiant le taux de prise en charge des malades et en surcotant des actes réalisés, et qu'elle a eu recours à plusieurs fausses ordonnances médicales ayant pour seul objet de permettre des facturations fictives.
12. Les juges retiennent, pour les délits de faux et d'usage, la réalisation et l'utilisation de fausses prescriptions censées avoir été rédigées par des médecins.
13. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître, s'agissant du cumul critiqué de qualifications de faux et d'escroquerie, le principe ne bis in idem.
14. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que les juges se sont fondés, au titre du faux, sur des faits de falsification d'ordonnances médicales qui sont distincts des faits d'utilisation de ces documents retenus comme élément de l'escroquerie à des fins de facturation de soins fictifs.
15. Dès lors, le grief doit être écarté.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la confiscation de la créance du contrat d'assurance-vie ouvert auprès de la société Swiss Life, du local commercial détenu par la SCI Odig sise 12 rue Ernest Cresson 75014 Paris en la cantonnant à la somme de 331 000 euros, de l'appartement sis [...] à Chatenay-Malabry ainsi que celle des scellés et des biens meubles saisis, alors « qu'en énonçant d'une part, que la peine complémentaire de confiscation, fondée sur le produit de l'infraction, ordonnée en valeur, est justifiée en ce qu'elle a pour seule conséquence de priver la prévenue du produit de l'infraction évalué à 750 000 euros, et en ordonnant d'autre part, outre la confiscation en valeur du contrat d'assurance vie et des immeubles à hauteur de 750 000 euros, celle des scellés et des biens meubles saisis comprenant notamment 4 véhicules, un violoncelle et des bouteilles de vins, la cour d'appel s'est contredite, la valeur de l'ensemble des biens ainsi confisqués excédant nécessairement le produit constaté de l'infraction ; qu'elle a ainsi violé les articles 131-21 alinéa 3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
17. Il résulte du premier de ces textes que la peine complémentaire de confiscation porte notamment sur les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime et que la confiscation peut être ordonnée en valeur.
18. Il résulte du second que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
19. Pour confirmer partiellement le jugement et prononcer, pour un montant global de 750 000 euros, la confiscation en valeur de la créance inscrite sur un contrat d'assurance vie d'un montant de 73 000 euros, d'un appartement sis à Chatenay Malabry d'une valeur de 346 000 euros, tous deux propriété de la prévenue, et d'un local commercial détenu par la SCI Odig cantonnée à la somme de 331 000 euros, l'arrêt attaqué retient que le préjudice causé par les escroqueries s'établit de manière certaine à 750 000 euros, qu'il constitue le montant du produit de l'infraction et qu'il convient de respecter le principe de la limitation de la confiscation en valeur à ce montant.
20. Les juges confirment également la confiscation de biens meubles placés sous main de justice, à savoir quatre véhicules de marque Saab, Jaguar, Toyota et Smart, un violoncelle et des bouteilles de vins et ordonnent leur remise à l'AGRASC en vue de leur cession.
21. En prononçant ainsi par des énonciations dont il résulte que la valeur de l'ensemble des biens confisqués au titre de la confiscation en valeur du produit de l'infraction ne pouvait qu'excéder celle du produit de l'infraction, la cour d'appel, qui s'est contredite, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
22. La cassation sera encourue de ce chef et limitée aux peines prononcées.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 21 mai 2019, mais en ses seules dispositions relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf septembre deux mille vingt. | Il se déduit du principe ne bis in idem que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes.
Il n'en est pas ainsi en cas de double déclaration de culpabilité pour faux et escroquerie, faute d'action et intention coupable uniques, lorsque l'infraction de faux consiste en une altération de la vérité dans un support d'expression de la pensée qui se distingue de son utilisation constitutive du délit d'usage de faux et, le cas échéant, d'un élément des manoeuvres frauduleuses de l'infraction d'escroquerie. Dans cette hypothèse, seuls les faits d'usage sont de nature à procéder des mêmes faits que ceux retenus pour les manoeuvres frauduleuses.
Par conséquent, n'a pas méconnu le principe ne bis in idem la cour d'appel qui condamne une infirmière libérale des chefs d'escroquerie et de faux dès lors que les juges se sont fondés, au titre du faux, sur des faits de falsification d'ordonnances médicales qui sont distincts des faits d'utilisation de ces documents retenus comme élément des manoeuvres frauduleuses de l'escroquerie à des fins de facturation de soins fictifs au préjudice de caisses d'assurance maladie et mutuelles de santé |
413 | N° C 20-82.146 F-P+B+I
N° 1703
CK
1ER SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
REJET du pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour, en date du 21 avril 2020, qui, dans l'information suivie contre M. B... S... du chef de viol sur personne vulnérable, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 4 avril 2019, M. S..., mis en examen pour viol sur personne vulnérable, a fait l'objet d'un mandat de dépôt criminel.
3. Par ordonnance du 30 mars 2020, le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de prolongation de détention provisoire par le juge d'instruction, a, après débat contradictoire, ordonné celle-ci pour six mois.
4. Le ministère public a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi d'urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020 pour faire face à l'épidémie de Covid-19.
6. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a refusé d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant prolongé la détention provisoire de l'intéressé, alors que cette détention était prolongée de plein droit en application de l'article 16 de l'ordonnance susvisée.
Réponse de la Cour
7. Pour refuser d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 30 mars 2020, l'arrêt attaqué énonce que, nonobstant la possibilité de prolonger la détention de l‘intéressé en application de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 en cas d'impossibilité de statuer du juge des libertés et de la détention due au Covid-19, il ne saurait être fait grief à ce dernier d'avoir statué sur une prolongation de la détention qui lui était soumise s'il en avait la possibilité dans les conditions de droit commun.
8. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
9. En premier lieu, la prolongation de plein droit des détentions provisoires ne constituait qu'une faculté à laquelle le juge pouvait renoncer en considérant qu'il était en mesure, malgré les circonstances sanitaires, d'assurer le plein exercice de son office de gardien de la liberté individuelle, sans avoir à attendre d'être saisi, après prolongation automatique du titre de détention, de l'examen de la situation du détenu dans le délai imparti par les arrêts de la chambre criminelle du 26 mai 2020 (n° 20-81.910 et 20-81.971).
10. En second lieu, il était de l'intérêt du détenu de voir examiner la nécessité de sa détention provisoire le plus rapidement possible.
11 Ainsi, le moyen doit être écarté.
12. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | Il ne saurait être fait grief au juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de prolongation de la détention provisoire pendant la période d'application de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, de n'avoir pas constaté la prolongation de plein droit prévue par cet article et d'avoir statué sur le bien-fondé de ladite prolongation après débat contradictoire, dès lors que, d'une part, la prolongation de plein droit ne constitue qu'une faculté à laquelle le juge peut renoncer au profit du plein exercice de son office de gardien de la liberté individuelle, sans avoir à attendre d'être saisi à cette fin dans le délai imparti par les arrêts de la chambre criminelle du 26 mai 2020 (n°20-81.910 et 20-81.971), d'autre part, il était de l'intérêt du détenu de voir sa situation examinée le plus rapidement possible. |
414 | N° P 20-82.938 F-P+B+I
N° 1705
EB2
1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par M. H... N... A... B... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 5 mai 2020, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de viol en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention constatant la prolongation de plein droit de sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. H... N... A... B..., et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. N... A... B... a été mis en examen le 15 avril 2019 du chef de viol en récidive et placé en détention provisoire le même jour.
3. Le 10 mars 2020, le juge d'instruction a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la détention provisoire de l'intéressé, dont le titre de détention expirait le 14 avril 2020.
4. Le juge des libertés et de la détention a annulé le débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire prévu le 31 mars 2020 et rendu le 1er avril suivant une ordonnance constatant la prolongation de plein droit de la détention provisoire et disant en conséquence n'y avoir lieu de statuer sur la saisine du juge d'instruction.
5. M. N... A... B... a interjeté appel de cette ordonnance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention avait constaté la prolongation d'office de la détention provisoire de M. N... A... B... par l'effet de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 et dit en conséquence n'y avoir lieu de statuer sur la saisine du juge d'instruction à fin de prolongation de la détention provisoire, alors « que si l'article 16 de l'ordonnance n° 202-303 du 25 mars 2020 s'interprète comme prolongeant, sans intervention judiciaire, pour les durées qu'il prévoit, tout titre de détention provisoire venant à expiration, une telle prolongation n'est régulière que si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend, dans un délai rapproché courant à compter de la date d'expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention, de sorte qu'il appartient à la juridiction saisie aux fins de prolongation de la détention provisoire de statuer sur la nécessité du maintien en détention de cette personne ; qu'en retenant que le juge des libertés et de la détention avait à bon droit constaté qu'en application de l'article 16 précité, « la détention provisoire [d'H... N... A... B...] était prolongée de plein droit » cependant qu'il lui appartenait - en tant qu'elle était saisie aux fins de prolongation de la détention provisoire de l'exposant - de statuer sur la nécessité du maintien en détention de ce dernier, la chambre de l'instruction a violé l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, les articles 137, 137-1, 143-1, 144-1, 144, 145, 145-2, 145-3, 591 et 593 du code de procédure pénale, ainsi que les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. Vu les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme et 145-2 du code de procédure pénale :
8. Il résulte du premier de ces textes que lorsque la loi prévoit, au-delà de la durée initiale qu'elle détermine pour chaque titre concerné, la prolongation d'une mesure de détention provisoire, l'intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre l'arbitraire.
9. Il résulte du second qu'en matière criminelle, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà d'un an. Toutefois, sous réserve des dispositions de l'article 145-3 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention peut, à l'expiration de ce délai, prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois par une ordonnance motivée conformément aux dispositions de l'article 137-3 dudit code et rendue après un débat contradictoire.
10. Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant de plein droit la détention provisoire de M. N... A... B..., l'arrêt attaqué énonce, notamment, qu'il résulte de l'article 16 de l'ordonnance n°2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale que les délais maximums de détention provisoire sont prolongés de plein droit en matière criminelle de six mois.
11. Les juges ajoutent que cette disposition s'applique de plein droit aux détentions provisoires en cours à la date de la publication de l'ordonnance précitée jusqu'à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.
12. Ils précisent que les faits pour lesquels M. N... A... B... est mis en examen lui font encourir une peine criminelle, de sorte que le juge des libertés et de la détention a, à bon droit, constaté que la détention provisoire du mis en examen doit être prolongée de plein droit.
13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
14. En effet, saisie de la question de la prolongation de la détention provisoire, il appartenait à la chambre de l'instruction de statuer sur la nécessité du maintien en détention de la personne mise en examen.
15. La cassation est dès lors encourue.
Portée et conséquences de la cassation.
16. Il résulte des pièces de la procédure qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la mise en liberté immédiate de M. N... A... B... dès lors que, par ordonnance en date du 23 juin 2020 prise après débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention s'est prononcé sur le bien-fondé de la prolongation de la détention provisoire de six mois à compter du 15 avril 2020.
17. La prolongation sans intervention judiciaire du titre de détention venant à expiration prévue à l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 est, en effet, régulière si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend, en matière criminelle, dans les trois mois de la date d'expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention (Crim., 26 mai 2020, pourvoi n° 20-81.910).
18. En conséquence, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3, alinéa 3, du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 5 mai 2020, en toutes ses dispositions.
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que la détention provisoire de M. N... A... B... a été prolongée régulièrement de six mois, à compter du 15 avril 2020 ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | Il résulte des articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme et 145-2 du code de procédure pénale que, d'une part, lorsque la loi prévoit, au-delà de la durée initiale qu'elle détermine pour chaque titre concerné, la prolongation d'une mesure de détention provisoire, l'intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre l'arbitraire, d'autre part, en matière criminelle, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà d'un an. Toutefois, sous réserve des dispositions de l'article 145-3 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention peut, à l'expiration de ce délai, prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois par une ordonnance motivée conformément aux dispositions de l'article 137-3 dudit code et rendue après un débat contradictoire.
Encourt la cassation l'arrêt qui, pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant de plein droit la détention provisoire du mis en examen, énonce que l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale s'applique de plein droit aux détentions provisoires en cours à la date de la publication de l'ordonnance précitée jusqu'à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire dès lors que, saisie de la question de la prolongation de la détention provisoire, il appartenait à la chambre de l'instruction de statuer sur la nécessité du maintien en détention de la personne mise en examen.
La cassation, qui intervient sans renvoi, n'entraîne toutefois pas la mise en liberté immédiate du mis en examen dès lors qu'il résulte des pièces de la procédure que le juge des libertés et de la détention s'est prononcé, après tenue d'un débat contradictoire, dans les trois mois de la date d'expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, sur le bien-fondé du maintien en détention |
415 | N° E 20-82.470 F-P+B+I
N° 1808
SM12
8 SEPTEMBRE 2020
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. V... D... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 mars 2020, qui, dans l'information suivie contre lui, notamment des chefs de tentative d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire commis en bande organisée, récidive de violences aggravées, participation à une association de malfaiteurs, infractions à la législation sur les stupéfiants, détention non autorisée de matériel de guerre, arme, munition, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ordonnant son placement en détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Schneider, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. V... D..., et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 septembre 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Schneider, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M.V... D... a été mis en examen des chefs susvisés le 6 mars 2020 par un juge d'instruction, lequel a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire.
3. Lors du débat contradictoire, le juge des libertés et de la détention estimant que le conseil de M.D... était «menaçant tant à l'égard de Mme la procureure qu'à son égard», a suspendu quelques instants l'audience «pour plus de sérénité».
4. La défense de M. D... l'ayant informé qu'elle n'assisterait pas le mis en examen à l'issue de la suspension d'audience, le juge des libertés et de la détention, après avoir repris celle-ci, a constaté l'absence de l'avocat et entendu le mis en examen qui lui a déclaré : « Je suis désolé de son comportement [de son avocat], ce n'était pas voulu de ma part. Je ne comprends pas pourquoi je suis là c'est aux marseillais d'être là, j'ai ma fille et j'ai mon travail. Me A... a été désigné par ma famille. Je ne veux pas qu'on m'en tienne rigueur. J'ai une fille de 24 jours, je croyais bien faire c'est les marseillais qui sont venus à Perpignan ».
5. Par ordonnance du 6 mars 2020, le juge des libertés et de la détention a différé le débat contradictoire.
6. Par ordonnance du 11 mars 2020, le juge des libertés et de la détention a placé M.D... en détention provisoire. Ce dernier a fait appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé d'annuler l'ordonnance de placement en détention provisoire et de l'avoir confirmée, alors « que le juge des libertés et de la détention ne peut délivrer une ordonnance d'incarcération provisoire, avant de se prononcer au fond sur la détention, que s'il est saisi d'une demande de report du débat contradictoire émanant du mis en examen ou de son conseil ; qu'hors cette hypothèse, l'incarcération provisoire est une atteinte illégale à la liberté, en sorte que le placement en détention provisoire ne peut plus être légalement ordonné; qu'en l'espèce le procès-verbal des débats du 6 mars 2020 mentionne que le juge des libertés et de la détention a décidé de renvoyer d'office en débat différé et que le mis en examen a déclaré, après que le juge eut fait part de sa décision de renvoyer d'office en débat différé : « je suis désolé de son comportement, ce n'est pas voulu de ma part. Je ne comprends pas pourquoi je suis là c'est aux marseillais d'être là, j'ai ma fille et j'ai mon travail. Me A... a été désigné par ma famille. Je ne veux pas qu'on m'en tienne rigueur. J'ai une fille de 24 jours, je croyais bien faire c'est les marseillais qui sont venus à Perpignan » ; qu'en affirmant néanmoins, pour refuser d'annuler l'ordonnance de placement en détention subséquente à cette incarcération illégale, que le juge de libertés et de la détention était saisi d'une demande de débat différé, la chambre de l'instruction, qui s'est mise en contradiction avec les mentions claires du PV du débat contradictoire et de l'ordonnance d'incarcération provisoire précisant que le juge des libertés et de la détention décide d'office de renvoyer en débat différé, a violé les articles 144, 145 du code de procédure pénale et 5 de la convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 145 alinéas 7, 8 et 9 du code de procédure pénale :
8. Selon ce texte, le juge des libertés et de la détention ne peut différer le débat contradictoire et prescrire l'incarcération de la personne mise en examen que lorsque cette dernière ou son avocat sollicite un délai pour préparer sa défense, où de sa propre initiative afin qu'il soit procédé à des vérifications.
9. Pour écarter la demande d'annulation de l'ordonnance d'incarcération provisoire et du débat contradictoire , la chambre de l'instruction, après avoir rappelé les dispositions de l'article 145 alinéa 7 du code de procédure pénale énonce que si le juge des libertés et de la détention pouvait statuer sur le placement en détention en l'absence de l'avocat, le magistrat pouvait aussi valablement considérer qu'il était saisi de la sollicitation d'un débat différé par la personne mise en examen.
10. Elle ajoute que le départ de l'avocat pendant le débat contradictoire laissant la personne mise en examen sans avocat choisi, alors que la désignation d'un avocat d'office s'avérait impossible en raison de la grève des avocats, ainsi que les observations formulées par le mis en examen s'analysent nécessairement comme une sollicitation d'un délai pour préparer sa défense laquelle n'est soumise à aucune condition de forme particulière.
11. Elle en déduit que le juge des libertés et de la détention a pu valablement considérer qu'il était saisi d'une demande de débat différé par le mis en examen même si elle était exprimée dans des termes non juridiques : «je suis désolé de son comportement.. je ne veux pas que l'on m'en tienne rigueur...» la loi n'interdisant pas que la demande soit présentée à tout moment, notamment pendant le débat contradictoire.
12. Elle ajoute que le juge des libertés et de la détention a statué avec impartialité, les observations du mis en examen pouvant témoigner d'une crainte que le magistrat statue sur son placement en détention avec partialité à son encontre en adoptant la thèse du ministère public en l'absence de son avocat.
13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé, alors qu'il résulte de ses propres énonciations et de celles du juge des libertés et de la détention que la personne mise en examen n'a pas sollicité le report du débat contradictoire.
14. En effet, le juge des libertés et de la détention doit , après comparution de l'intéressé devant lui et malgré le départ de la défense au cours du débat contradictoire, statuer immédiatement sur le placement en détention provisoire.
15. En conséquence, la cassation est encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 19 mars 2020.
DIT n'y avoir lieu à renvoi.
ORDONNE la libération immédiate de M. D... s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt. | En l'absence de demande de report du débat contradictoire par la personne mise en examen, le juge des libertés et de la détention doit, après comparution de l'intéressé devant lui et malgré le départ de la défense au cours du débat contradictoire, statuer immédiatement sur le placement en détention provisoire |
416 | CIV. 1
JT
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 septembre 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 463 FS-P+B
Pourvoi n° E 19-50.013
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 SEPTEMBRE 2020
Le procureur général près la cour d'appel de Toulouse, domicilié en son parquet général, 10 place du Salin, BP 7008, 31068 Toulouse cedex 7, a formé le pourvoi n° E 19-50.013 contre l'ordonnance rendue le 21 janvier 2019 par le premier président de la cour d'appel de Toulouse, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. A... X..., domicilié [...] ,
2°/ au préfet de la Haute-Corse, représenté par M. D..., domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gargoullaud, conseiller référendaire, et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Gargoullaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Toulouse, 21 janvier 2019), et les pièces de la procédure, le 14 janvier 2019, à l'occasion d'une opération de contrôle menée à Ghisonaccia, en exécution de réquisitions de contrôle d'identité prises par le procureur de la République les 26 et 31 décembre 2018, sur le fondement des articles 78-2, 78-2-1 et 78-2-2 du code de procédure pénale, les militaires de la gendarmerie nationale ont procédé au contrôle d'identité de M. X..., de nationalité marocaine, en situation irrégulière sur le territoire national. Le lendemain, le préfet a pris à l'encontre de l'intéressé une décision portant obligation de quitter le territoire national et une décision de placement en rétention.
2. Le juge des libertés et de la détention a été saisi, par M. X..., d'une requête en contestation de cette décision et, par le préfet, d'une demande de prolongation de la mesure.
Examen du moyen
Il est statué sur ce moyen après avis de la chambre criminelle (Crim., 24 mars 2020, n° 19-87.843), sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Enoncé du moyen
3. Le procureur général fait grief à l'ordonnance de déclarer irrégulière la procédure et de dire n'y avoir lieu à prolongation de la mesure, alors qu'en exigeant que la réquisition soit expressément motivée et que le procureur y mentionne les considérations ou motifs qui lui ont permis de penser qu'existe en ces endroits particuliers une délinquance réelle et recensée relative aux infractions recherchées pouvant justifier des contrôles systématiques des personnes en dehors de leur comportement, le premier président a ajouté à la loi et excédé la réserve posée par le Conseil constitutionnel, dans la décision 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, en violation des articles 78-2, 78-2-2 et 78-2-1 du code de procédure pénale.
Réponse de la Cour
4. Si la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, selon laquelle les dispositions contestées des articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale « ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions », n'impose pas qu'un tel lien résulte nécessairement des mentions des réquisitions, il incombe au juge judiciaire, saisi d'une contestation, d'apprécier l'effectivité dudit lien sur la base de ces mentions ou, à défaut, des pièces au vu desquelles les réquisitions ont été prises.
5. Ayant retenu que ni les réquisitions du procureur de la République ni aucune autre pièce de la procédure ne permettaient d'établir l'effectivité, contestée, du lien entre le lieu des contrôles d'identité et la recherche des infractions visées par ces réquisitions, le premier président en a exactement déduit, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant, que la procédure était irrégulière et que la mesure de rétention ne pouvait être prolongée.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux septembre deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Toulouse
Moyen de cassation, violation de la loi :
Ce pourvoi est fondé sur l'unique moyen de cassation pris en la violation des articles 78-2-2, 78-2 et 78-2-1 du Code de procédure pénale.
En ce que, l'ordonnance du 21 janvier 2019, confirmant dans son dispositif la décision du juge des libertés et de la détention du 18 janvier 2019, a déclaré la procédure irrégulière pour les raisons suivantes :
« Le conseil constitutionnel dans sa décision du 24 janvier 2017 n° 2016-606/607 et plus particulièrement au paragraphe 23, a exposé que les contrôles d'identité ordonnés par le procureur de la république ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et venir, autoriser ce dernier à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions.
Il en résulte que les réquisitions prises par le procureur de la république doivent énoncer les motifs permettant d'établir l'existence de ce lien ce qui seul permet au juge d'exercer le contrôle exigé par le conseil constitutionnel relativement à la liberté d'aller et venir.
Il sera d'abord précisé qu'il n'est fourni dans la procédure aucun procès-verbal de police ou de gendarmerie ou rapport permettant d'établir un lien entre le lieu et la recherche des infractions mentionnées. Un tel lien n'apparaît pas non plus explicité dans les réquisitions du procureur de la république.
En effet, les deux premières réquisitions du 26 décembre 2018, si elles fixent avec précision le périmètre géographique des lieux ainsi que les jour et créneau horaire au cours desquels les contrôles devront être effectués, n'exposent en revanche aucunement les considérations ou motifs qui ont permis au procureur de la république de penser qu'il existe en ces endroits particuliers une délinquance réelle et recensée relative aux infractions recherchées, pouvant justifier des contrôles systématiques des personnes en dehors de leur comportement. En cela, ses réquisitions sont insuffisamment motivées et donc irrégulières.
S'agissant de la réquisition du 31 décembre 2018 relative aux infractions au droit du travail, outre qu'elle souffre de la même irrégularité dans la mesure où elfe ne mentionne pas les considérations ou motifs qui ont permis au procureur de la république de penser qu'il existe en ces endroits particuliers une délinquance réelle et recensée relative aux infractions recherchées, il apparaît au surplus qu'aucun élément du procès-verbal dressé par les gendarmes, visant exclusivement la réquisition du 31 décembre 2018, commençant par l'exposé des conditions dans lesquelles ils ont été amenés à contrôler l'identité de la personne, ne fait référence au fait qu'il était en train de travailler, alors que la réquisition ne permettait le contrôle d'identité que pour une personne dans cette situation de travail.
Dans ces conditions, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention sera confirmée par substitution de motifs. »
Alors que,
Les dispositions de l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale énoncent que sur réquisitions écrites du procureur de la République, dans les lieux et pour la période de temps que ce magistrat détermine et qui ne peut excéder vingt-quatre heures, renouvelables sur décision expresse et motivée selon la même procédure, les officiers de police judiciaire et sur I'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, peuvent procéder aux contrôles d'identité prévus au septième alinéa de l'article 78-2, aux fins de recherche et de poursuite de différents types d'infractions, dont la liste est précisée dans cet article.
L'article 78-2 alinéa 7 précise que sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, I'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat.
L'article 78-2-1 indique que sur réquisitions du procureur de la République, les officiers de police judiciaire et, sur I'ordre ou la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21 (1°) sont habilités à entrer dans les lieux à usage professionnel, en vue de procéder à différents contrôles, dont l'identité des personnes occupées, dans le seul but de vérifier qu'elles figurent sur le registre ou qu'elles ont fait l'objet des déclarations mentionnées à l'alinéa précédent. Les réquisitions du procureur de la République sont écrites et précisent les infractions, parmi celles visées à différents articles du code du travail, qu'il entend faire rechercher et poursuivre, ainsi que les lieux dans lesquels l'opération de contrôle se déroulera. Ces réquisitions sont prises pour une durée maximum d'un mois et sont présentées à la personne disposant des lieux ou à celle qui la représente.
Les trois réquisitions de contrôle d'identité produites à la procédure sont conformes à ces dispositions en ce qu'elles visent la recherche d'infractions précises et mentionnent les dates, lieux et heures des contrôles, lesquels ne se cumulent pas.
Dans le cadre de deux questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel par décision du 24 janvier 2017 a déclaré les dispositions des articles 78-2 aliéna 7 et 78-2-2 du Code de procédure pénale conformes à la constitution, mais a formulé deux réserves d'interprétation dont l'une précise que « les contrôles d/identité autorisés par le procureur de la République ne sauraient sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, autoriser ce dernier à retenir des lieux et des périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans les réquisitions. »
Les réquisitions produites respectent cette réserve d'interprétation dès lors qu'elles indiquent les infractions recherchées en lien avec les lieux objets du contrôle.
Dès lors, la décision attaquée ajoute aux textes de loi précités et excède la réserve posée par le conseil constitutionnel en exigeant que la réquisition soit expressément motivée et que le procureur y mentionne « les considérations ou motifs qui (lui) ont permis de penser qu'il existe en ces endroits particuliers une délinquance réelle et recensée relative aux infractions recherchées, pouvant justifier des contrôles systématiques des personnes en dehors de leur comportement ».
Ainsi en posant une exigence de motivation spécifique des réquisitions, non prévue par le législateur, la décision attaquée viole les dispositions des articles 78-2 aliéna 7, 78-2-2 et 782-1 du Code de procédure pénale et doit en conséquence être cassée. | Si la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, selon laquelle les dispositions contestées des articles 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale « ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions », n'impose pas qu'un tel lien résulte nécessairement des mentions des réquisitions, il incombe au juge judiciaire, saisi d'une contestation, d'apprécier l'effectivité dudit lien sur la base de ces mentions ou, à défaut, des pièces au vu desquelles les réquisitions ont été prises |
417 | CIV. 1
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 septembre 2020
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 465 FS-P+B
Pourvoi n° K 19-15.955
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 SEPTEMBRE 2020
M. M... I..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° K 19-15.955 contre l'arrêt rendu le 13 mars 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. Q... I...,
2°/ à M. X... I...,
3°/ à M. S... I...,
domiciliés tous trois [...],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vigneau, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. M... I..., de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. S... I..., et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Vigneau, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, M. Hascher, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 mars 2019), J... I... est décédé le 16 mars 2004, laissant pour lui succéder son épouse U..., et ses deux fils, S... et M.... Par acte du 21 décembre 1978, il avait consenti une donation-partage au profit de ses deux fils d'un bien immobilier. M. M... I... et sa mère ont renoncé à la succession tandis que M. S... I... l'a acceptée sous bénéfice d'inventaire.
2. Le 4 janvier 2007, M. M... I... a assigné son frère en partage du bien immobilier donné par leur père, puis a assigné en intervention forcée les deux fils de ce dernier, Q... et X..., à qui celui-ci avait donné la nue-propriété de sa moitié indivise du bien. Le 22 mai 2013, M. S... I... a assigné son frère pour faire constater qu'il avait bénéficié de donations déguisées de la part de son père et que celles-ci devaient être rapportées à la succession, ainsi que sa condamnation à lui payer les sommes correspondantes. Ses deux fils sont intervenus à la procédure. Les deux instances ont été jointes.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième à quatrième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur la première branche du moyen
Enoncé du moyen
4. M. M... I... fait grief à l'arrêt de dire que ses agissements constituent un recel successoral portant sur la somme de 3 779 000 euros, en conséquence, que cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession doit être rapportée à celle-ci, que, nonobstant sa renonciation à la succession, il est réputé accepter purement et simplement ladite succession, qu'il ne peut prétendre à aucune part dans la somme recelée, de le condamner à verser à M. S... I... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et de rejeter ses demandes, alors « que les demandes en rapport d'une donation dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu'à l'occasion d'une instance en partage judiciaire ; qu'en accueillant les demandes formées par M. S... I... en application des sanctions du recel successoral à l'encontre de M. M... I... et en rapport des libéralités dont il aurait été gratifié par J... I..., cependant qu'elle n'était saisie d'aucune demande en partage judiciaire au titre de la succession de J... I..., la cour d'appel a violé les articles 822, 843, et 792 du code civil, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. M. S... I... conteste la recevabilité du moyen au motif que, M. M... I... n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que les juges ne pouvaient pas se prononcer sur le recel successoral et le rapport à succession, faute d'avoir été saisis d'une action judiciaire en partage, il est irrecevable à invoquer ce moyen pour la première fois devant la Cour de cassation.
6. Cependant, le moyen est de pur droit. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 792, 822 et 843 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 :
7. Aux termes du premier de ces textes, les héritiers qui auraient diverti ou recelé des effets d'une succession sont déchus de la faculté d'y renoncer ; ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recelés.
8. Selon le dernier de ces textes, tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense de rapport.
9. Les demandes en rapport d'une donation déguisée dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu'à l'occasion d'une instance en partage successoral.
10. En accueillant les demandes formées par M. S... I... à l'encontre de M. M... I... en application des sanctions du recel successoral et en rapport des libéralités dont celui-ci aurait été gratifié par J... I..., alors qu'elle n'était pas saisie d'une demande concomitante en partage de la succession, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les agissements de M. M... I... constituent un recel successoral portant sur la somme de 3 779 000 euros, en conséquence, que cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession de J... I... doit être rapportée à celle-ci, que, nonobstant sa renonciation à la succession, il est réputé accepter purement et simplement ladite succession, qu'il ne peut prétendre à aucune part dans la somme recelée, le condamne à verser à M. S... I... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et rejette la demande de M. M... I... aux fins de licitation du bien immobilier indivis sis [...] ainsi que du surplus de ses demandes, l'arrêt rendu le 13 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne M. S... I... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. S... I... et le condamne à payer à M. M... I... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux septembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. M... I....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Marseille le 17 mai 2016 en ce qu'il avait dit que les agissements de M. M... I... constituent un recel successoral portant sur la somme de 3 779 000 euros, en conséquence, dit que la somme de 3 779 000 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession doit être rapportée à la succession de J... I..., dit que M. M... I..., nonobstant sa renonciation à la succession de J... I... en date du 29 mars 2005, est réputé accepter purement et simplement ladite succession, dit que M. M... I... ne peut prétendre à aucune part dans la somme recelée de 3 779 000 euros, condamné M. M... I... à verser à M. S... I... la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, débouté M. M... I... de sa demande aux fins de licitation du bien immobilier indivis sis [...] , et débouté M. M... I... du surplus de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE « Sur le recel successoral
Que J... I... étant décédé le 16 mars 2004, en application de l'article 47-II de la loi n° 2006-1805 du 23 juin 2006, ce sont les dispositions antérieures à la réforme des successions qui sont applicables en l'espèce ;
Qu'il ressort de l'ancien article 792 du code civil, applicable à la présente espèce, que les héritiers qui auraient diverti ou recelé des effets d'une succession, sont déchus de la faculté d'y renoncer : ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recelés ;
Que le recel successoral est la fraude ou l'omission commise intentionnellement par l'héritier pour rompre l'égalité du partage, par la dissimulation d'effets de la succession ; qu'il y a recel, en outre, en cas de dissimulation par un héritier d'une donation ;
Que le recel est également constitué d'un élément moral ; qu'est receleur l'héritier qui, dans une intention frauduleuse, a voulu s'assurer un avantage à l'encontre de ses cohéritiers ; que de plus, la fraude ne résulte pas du seul fait de la dissimulation ; qu'il faut, en outre, établir un acte positif constitutif de la mauvaise foi, tel qu'un mensonge ou même une réticence ou encore des manoeuvres dolosives ; que la charge de la preuve du recel successoral incombe à la partie qui l'invoque ;
Que les avis de dépôt émanant du Crédit Suisse de Lausanne, produits aux débats, permettent d'établir qu'ont été transférés sur le compte n° [...], ouvert au nom de J... I... auprès de cette banque, les sommes de 2 070 000 USD et de 2 295 000 €, les 15 et 18 août 2003, outre celle de 63 012 USD, le 24 décembre 2003 ; qu'il résulte, par ailleurs, d'un courrier du Crédit Suisse à M. S... I..., le 6 novembre 2006, que les fonds portés au crédit du compte de son père ont été transférés sur le compte n° [...] de son frère, ouvert auprès de cette même banque, sur ordre téléphonique de J... I..., le 28 novembre 2003 ;
Qu'afin de démontrer que ces fonds lui appartenaient, M. M... I... produit un contrat de ‘'fiducie'', conclu avec [...] , située aux Iles Caïmans, le 22 octobre 1993, par lequel a été constitué un trust au bénéfice de l'appelant, avec comme bénéficiaire subsidiaire J... I... et comme bénéficiaires finaux sa femme et son fils, P... et J... I... ; qu'est également produite une ‘'lettre de desiderata'' signée de M. M... I..., le 11 octobre 1993, relative à la gestion des fonds et à leurs bénéficiaires ; que l'appelant verse également aux débats un courrier du 8 août 2013 de [...] confirmant que le trust en cause, dénommé Palexpo, était constitué du seul M. M... I..., également unique bénéficiaire de l'ensemble des actifs détenus ; qu'il était précisé que J... I... n'avait, quant à lui, jamais été bénéficiaire des actifs du trust et n'était titulaire d'aucune procuration, l'instruction du transfert des fonds vers la Suisse ayant été donnée le 11 août 2003 par M. M... I... ; qu'il ressort toutefois de l'audition de M. H... K..., gestionnaire chez [...], dans le cadre de la procédure diligentée en Suisse par M. S... I..., que c'était en réalité J... I..., et non son fils M..., qui avait pris en main la gestion du trust, ce qui revient à remettre en cause la position officielle de l'établissement bancaire ;
Qu'en regard de l'ensemble des éléments produits aux débats, il n'est pas contestable que les fonds transférés à destination du Crédit Suisse proviennent du trust Palexpo ouvert au nom de M. M... I... ; qu'il convient toutefois de s'intéresser, en amont, à l'origine de ces fonds afin de déterminer si ceux-ci proviennent ou non d'une donation consentie par J... I... à son fils M..., comme l'affirment les intimés ;
Que l'appelant prétend, pour sa part, que les fonds litigieux ont, pour partie, pour origine la vente de parts sociales qu'il détenait dans une entreprise familiale, dénommée ‘'Midi Oxygène'', à la suite d'une donation-partage consentie par sa mère, U... I..., à ses deux fils, le 2 juillet 1986 ;
Qu'il produit, par ailleurs, un protocole d'accord en date du 24 octobre 1988 par lequel il a cédé les 3 000 parts qu'il possédait dans la SARL "Midi Oxygène'' à la société ‘'VitalAire'', moyennant le prix de 7 499 700 Frs, soit 1 143 320 € ; que les bordereaux de remise de chèques communiqués par l'appelant confirment que celui-ci a bien encaissé cette somme en plusieurs versements courant décembre 1998 ;
Que toutefois, aucun élément des débats ne permet de faire le lien entre les fonds transférés en Suisse fin 2003 et le produit de la vente des parts de la SARL ‘'Midi Oxygène'' fin 1988, soit 15 ans auparavant ;
Qu'il ressort, en revanche, de l'audition de Mme T... G... , conseillère en placements auprès du Crédit Suisse, réalisée dans le cadre de la procédure diligentée auprès du tribunal civil de Genève, que M. M... I... lui a déclaré avoir menti sur l'origine des fonds transférés sur le compte de son père, à propos desquels il avait, dans un premier temps, expliqué qu'ils provenaient d'un héritage maternel au titre d'une société "Oxygène" ; qu'il devait finalement indiquer à sa conseillère, lors d'une réunion en date du 1er mars 2007, en présence d'un fiscaliste français, que les avoirs transférés étaient en réalité des fonds que son père lui avait donnés plusieurs années auparavant, sans que cette donation ait jamais été déclarée en France ; que le compte-rendu écrit de cet entretien, mené avec M. M... I... le 1er mars 2007, communiqué à la justice suisse et versé aux débats, vient confirmer que l'intéressé a fini par déclarer à sa conseillère en placements que les fonds ayant alimenté le trust ouvert à son nom, avant leur transfert au Crédit Suisse, lui avaient été donnés par son père ;
Qu'il ressort dès lors de ces éléments, obtenus dans le cadre des investigations diligentées sur le territoire suisse, que les fonds litigieux constituent des libéralités consenties par le défunt à son fils M... ;
Que si l'appelant reconnaît, aux termes de ses dernières écritures, qu'une partie des fonds litigieux lui a été donnée par J... I..., il conteste toutefois toute intention frauduleuse dans la mesure où cette donation, consentie à son profit le 25 août 1999, était, selon lui, parfaitement connue de son frère, qui aurait également bénéficié de libéralités dès 1996 pour un montant supérieur, à la suite de la dissolution d'une fondation dénommée "Coulon-Vaduz'' ; qu'au soutien de cette assertion, il produit aux débats un courrier attribué à la main de son père, faisant état de ce que M. S... I... aurait reçu les sommes de 1 000 000 dollars et de 850 000 dollars, le 18 décembre 1996, afin de l'aider à racheter une pharmacie ; que ces opérations sont confirmées dans un courrier du 10 avril 1997 adressé au conseil de la fondation Coulon, également attribué par l'appelant à son père ; qu'est jointe une confirmation de sortie de fonds à l'en-tête d'UBS pour un montant de 1 850 000 dollars à la date du 17 décembre 1996 ; que toutefois, en raison de l'opacité des transferts de fonds opérés à travers cette fondation, il n'est nullement établi que M. S... I... ait perçu la somme de 1 850 000 dollars invoquée par son frère, les seuls documents venant en attester étant les deux pièces précitées, présentées comme étant de la main du défunt, mais difficilement identifiables et ne présentant, pour cette raison, qu'un caractère probant limité ;
Qu'en toute hypothèse, même si l'on admettait que M. S... I... a reçu des libéralités de son père, cela ne vient nullement établir que celui-ci avait, de ce seul fait, connaissance de celles consenties à son frère plus de deux ans plus tard ;
Que par courrier en date du 14 octobre 2004, le notaire en charge du règlement de la succession de J... I... communiquait à M. M... I... les interrogations de son frère sur l'éventuelle existence de comptes bancaires non communiqués à la succession, lui demandant de livrer son opinion à ce sujet ; que par courriel en date du 15 octobre 2004, l'intéressé devait lui répondre lui avoir adressé une copie de tous les documents en sa possession relatifs aux comptes bancaires de son père et ne pas avoir d'informations supplémentaires à lui apporter dans la mesure où il ne contrôlait pas les dépenses du défunt ; qu'eu égard aux éléments précédemment relevés sur l'origine des fonds transférés au Crédit Suisse, cette déclaration apparaît mensongère ;
Qu'enfin, il résulte du témoignage précité de Mme T... G... que les fonds litigieux ont rapidement été transférés de Suisse à Singapour, avant que M. S... I... ne saisisse la justice helvétique d'une demande de séquestre sur les avoirs de son père à Genève ; qu'il ressort, par ailleurs, de l'audition précitée de Mme G... que c'est en raison du refus de M. M... I... de régulariser, auprès des services fiscaux français, la situation des fonds transférés au Crédit Suisse, en ce qu'ils provenaient d'une donation non déclarée, que l'établissement bancaire avait pris la décision de cesser toute relation avec l'intéressé ;
Que dès lors, il résulte de ces éléments qu'en dissimulant à l'administration française et au notaire en charge de la succession de J... I... l'existence de fonds provenant de libéralités consenties par son père, dans un contexte de mésentente familiale, M. M... I... a manifesté l'intention de rompre l'égalité du partage ;
Qu'en conséquence, le recel successoral étant établi à l'encontre de M. M... I..., il devra rapporter à la succession de J... I... la somme non contestée de 3 779 000 €, avec intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession et devra supporter les sanctions du recel successoral en application des dispositions de l'ancien article 792 du code civil ; que le jugement sera donc confirmé ;
Sur les demandes de dommages et intérêts :
Que c'est par une juste appréciation des circonstances de la cause que le premier juge, retenant le comportement de M. M... I..., à l'origine d'un préjudice moral pour M. S... I..., l'a condamné à payer à celui-ci la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts ;
Que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. M... I..., partie succombante ;
Sur la demande de licitation du bien indivis :
Que s'agissant de la demande de licitation du bien immobilier indivis, ayant fait l'objet d'une donation-partage consentie par J... I... à ses deux fils, par acte du 21 décembre 1978, c'est également à bon droit que le tribunal l'a écartée en considération des sommes dues à la succession par M. M... I... » ;
1°/ ALORS QUE les demandes en rapport d'une donation dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu'à l'occasion d'une instance en partage judiciaire ; qu'en accueillant les demandes formées par M. S... I... en application des sanctions du recel successoral à l'encontre de M. M... I... et en rapport des libéralités dont il aurait été gratifié par J... I..., cependant qu'elle n'était saisie d'aucune demande en partage judiciaire au titre de la succession de J... I..., la cour d'appel a violé les articles 822, 843, et 792 du code civil, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable en la cause ;
2°/ ALORS QUE, subsidiairement, le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé « qu'eu égard aux éléments précédemment relevés sur l'origine des fonds transférés au Crédit Suisse », à savoir l'existence, avant le décès de J... I..., d'un compte ouvert au nom de ce dernier auprès du Crédit Suisse par lequel avaient transité des fonds appartenant à l'exposant, M. M... I... aurait commis une déclaration « mensongère » en indiquant au notaire « lui avoir adressé une copie de tous les documents en sa possession relatifs aux comptes bancaires de son père et ne pas avoir d'informations supplémentaires à lui apporter » (arrêt, p. 9, antépénult. al.) ; qu'en statuant ainsi, sans répondre au moyen des écritures de l'exposant faisant valoir que cette déclaration était « l'exacte vérité, le compte n° [...] ouvert au Crédit Suisse ayant été fermé bien avant le décès » (conclusions de l'exposant, p. 17, antépénult. et pénult. al.), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QUE le recel successoral suppose non seulement un fait matériel mais encore un élément intentionnel manifestant la volonté de porter atteinte à l'égalité du partage ; qu'en reprochant à M. M... I... d'avoir « dissimul[é] (...) au notaire en charge de la succession de J... I... l'existence de fonds provenant de libéralités consenties par le défunt », sans avoir constaté qu'il aurait effectivement été interrogé par le notaire sur ce point, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 792 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable en la cause ;
4°/ ALORS QU'en reprochant encore à M. M... I... d'avoir « dissimul[é] à l'administration française (...) l'existence de fonds provenant de libéralités consenties par le défunt », la cour d'appel a statué par un motif impropre à caractériser la volonté de rompre à son profit l'égalité du partage entre héritiers, en violation de l'article 792 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable en la cause. | N'est pas recevable une demande en rapport d'une donation et en application de la sanction du recel successoral formée contre un héritier ayant renoncé à la succession, qui n'est pas formée concomitamment à une demande en partage successoral |
418 | CIV. 1
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 septembre 2020
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt n° 466 FS-P+B
Pourvoi n° S 19-14.604
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 SEPTEMBRE 2020
M. I... L..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° S 19-14.604 contre l'arrêt rendu le 22 février 2019 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. R... H..., domicilié [...] ,
2°/ à M. Q... H..., domicilié [...] ,
3°/ à Mme S... H..., domiciliée [...] ,
4°/ à la société Trianon, société civile immobilière, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société [...] , société civile professionnelle, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vigneau, conseiller, les observations de la SCP Ghestin, avocat de M. L..., de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de MM. R... et Q... H..., de Mme S... H... et de la société Trianon, et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Vigneau, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, M. Hascher, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Guihal, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. L... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société V... F... et E... F....
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 février 2019), W... N... et E... H..., mariés sous le régime de la communauté, ont constitué avec les deux frères de ce dernier, R... et Q..., la société civile immobilière Trianon (la SCI). Sur les 4 002 parts sociales, E... H... en possédait 1 334, dont 700 en propre et 634 en communauté avec son épouse.
3. E... H... est décédé le 5 janvier 2010, laissant pour lui succéder son épouse, en l'état d'un testament olographe du 14 octobre 2003 désignant MM. R... et Q... H... en qualité de légataires particuliers pour la pleine propriété de 1 017 parts dans le capital de la SCI. A la suite de la liquidation de la communauté consécutive à ce décès, les 1 334 parts du couple ont été réparties entre la succession d'E... H... à hauteur de 1 017 parts et W... N... à hauteur de 317 parts.
4. Celle-ci est décédée le 18 mars 2011, laissant pour lui succéder son neveu, M. L..., venant par représentation de sa mère, en l'état d'un testament olographe du 14 octobre 2003 désignant MM. R... et Q... H... en qualité de légataires particuliers pour la pleine propriété de ses parts dans le capital de la SCI.
5. M. L... a assigné MM. R... et Q... H... et Mme S... H..., ainsi que la SCI pour obtenir la réduction des legs particuliers et leur condamnation à lui payer diverses sommes. MM. R... et Q... H... ayant parallèlement assigné M. L... aux fins d'obtenir la délivrance de leurs legs, il a été constaté que celui-ci les avait délivrés volontairement les 22 et 26 novembre 2012.
Examen des moyens
Sur les deux premiers moyens et le sixième moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
7. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à le voir dire et juger que, comme seul et unique héritier de W... N... et, par voie de conséquence, d'E... H..., il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1 017 parts léguées à titre particulier par celui-ci à MM. R... et Q... H... et, à ce titre, aux bénéfices distribués par la SCI après encaissement du prix de deux cessions d'actifs, pour la période allant du décès d'E... H... à la délivrance volontairement consentie du legs particulier, alors :
« 1°/ que le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie ; que les bénéfices réalisés par une société y compris une société civile immobilière dans le cadre de son objet social, participent de la nature de fruits dès leur attribution sous forme de dividendes dont l'existence juridique résulte de la constatation de l'existence de sommes distribuables par l'organe social compétent et de la détermination de la part attribuée à chaque associé ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt, qu'avant la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H..., des assemblées générales de la SCI Trianon avaient voté la distribution d'un acompte sur dividendes sans attendre la clôture de l'exercice et l'approbation des comptes par l'assemblée générale, sous la forme de répartition du bénéfice résultant du prix de ventes d'actifs immobiliers proportionnellement aux droits des associés dans le capital social sans que celui-ci ait été réduit ; que ces constatations opérées, la cour d'appel devait accueillir la demande de M. L... tendant à dire et juger que comme seul et unique héritier de W... N... et par voie de conséquence d'E... H..., saisi de plein droit et possesseur de bonne foi, il avait droit à ces dividendes, lesquels constituaient des fruits et intérêts antérieurs à la délivrance du legs particulier ; qu'en jugeant du contraire a violé l'article 1014, alinéa 2, du code civil ensemble l'article 1832 du même code ensemble encore les articles 547 et suivants du code civil ;
2°/ que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'en déduisant du simple fait que les cessions d'actifs avaient engendré une diminution des loyers, une absence de fixité et une altération de la substance de la chose, de deux cessions d'actifs immobiliers de la SCI Trianon en deux ans, ce dont il aurait résulté que les dividendes auraient été des « produits » et non des fruits revenant à l'héritier, cependant qu'elle avait elle-même nécessairement constaté que, conformément à son objet social qui ne se limitait pas à la gestion locative, la SCI avait régulièrement procédé à des cessions d'actifs et avait non moins régulièrement voté la distribution des bénéfices consécutifs devenus des dividendes sans qu'il soit porté atteinte à son capital social, d'où la qualification de fruits, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil, ensemble les articles 547 et suivants, 1014, alinéa 2, et 1832 du même code ;
3°/ que lorsque le legs particulier porte sur des parts d'une société civile immobilière, l'héritier peut prétendre aux distributions de dividendes qui constituent des fruits dans les termes de l'article 1014, alinéa 2, du code civil ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'avant le décès de W... N... associé fondateur (18 mars 2011), et avant la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société avait cédé un actif sis à Montrouge (décembre 2010) puis une assemblée générale des associés avait voté la répartition du produit de la vente aux associés au prorata de leurs parts (22 décembre 2010) ; qu'en jugeant que M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N..., n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas, lui-même, été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé, ensemble l'article 1832 du code civil et, par fausse application, l'article 1870-1 du même code ;
4°/ que lorsque le legs particulier porte sur des parts d'une société civile immobilière, l'héritier peut prétendre aux distributions de dividendes qui constituent des fruits dans les termes de l'article 1014, alinéa 2, du code civil ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'entre le décès de W... N... associé fondateur (18 mars 2011) et la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société avait cédé un actif sis à Clamart (juin 2011) puis une assemblée générale des associés avait voté la répartition du produit de la vente aux associés au prorata de leurs parts (8 septembre 2011) ; qu'en jugeant que M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N..., n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas, lui-même, été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé, ensemble l'article 1832 du même code et, par fausse application l'article 1870-1 du même code. »
Réponse de la Cour
8. L'arrêt n'énonce ni que les assemblées générales de la SCI ont voté la distribution d'un acompte sur dividendes sous la forme de la répartition d'un bénéfice résultant du prix de vente d'actifs, ni que l'objet social de celle-ci ne se limitait pas à la gestion locative, ni que ces cessions étaient conformes à celui-ci, ni que M. L..., à la suite de la décision de répartir le produit des ventes d'immeubles, n'avait pas droit à des dividendes. Au contraire, il retient que la seule circonstance que l'assemblée générale ait décidé la répartition du prix de cession de ces éléments d'actif de la société n'est pas de nature à conférer aux sommes distribuées la nature de dividende.
9. Il s'ensuit que le moyen manque en fait.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
10. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à le voir dire et juger que, comme seul et unique héritier de W... N... et, par voie de conséquence, d'E... H..., il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1 017 parts léguées à titre particulier par celui-ci à MM. R... et Q... H... et, à ce titre, aux bénéfices distribués par la SCI après encaissement des loyers pour la période allant du décès de W... N... à la délivrance volontairement consentie du legs particulier, alors « que le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie ; qu'après avoir constaté qu'entre le décès de W... N... (18 mars 2011) et la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société civile immobilière avait procédé à des distributions au titre des loyers tant en 2011 qu'en 2012, ces dividendes étant dès lors entrés dans la succession de W... N..., la cour d'appel devait accueillir prorata temporis la demande de M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N... (pour 2011 du 19 mars au 31 décembre soit 9 160,16 euros x 288 jours / 365 jours = 7 227,44 € et pour 2012 du 1er janvier au 21 novembre soit 7 952,11 euros x 324 jours / 365 jours = 7 058,86 euros) ; qu'en jugeant que M. L... n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas lui-même été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1014, alinéa 2, du code civil, ensemble l'article 1832 du même code et par fausse application l'article 1870-1 du même code. »
Réponse de la Cour
11. Selon l'article 1870, alinéa 1, du code civil, la société civile n'est pas dissoute par le décès d'un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu'ils doivent être agréés par les associés.
12. L'article 1870-1 du même code prévoit que les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur.
13. Il en résulte que, s'il n'est associé, l'héritier n'a pas qualité pour percevoir les dividendes, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire.
14. Après avoir relevé qu'après le décès de W... N..., M. L... n'avait pas été agréé comme associé de la SCI, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il ne pouvait prétendre aux bénéfices distribués après encaissement des loyers, postérieurement au décès de son auteur, avant la délivrance de leur legs à MM. R... et Q... H....
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le sixième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
16. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire contre MM. R... et Q... H... et la SCI pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive à ses demandes alors :
« 1°/ que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le troisième moyen en ce que l'arrêt a rejeté la demande en paiement des fruits sur les 1 017 parts léguées, et, à ce titre, aux bénéfices distribués après encaissement du prix de deux cessions d'actifs, pour la période allant du décès d'E... H... (5 janvier 2010) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012), atteindra le chef de l'arrêt par lequel la cour d'appel a débouté M. I... L... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°/ que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le quatrième moyen en ce que l'arrêt a rejeté la demande en paiement des fruits sur les 1 017 parts léguées, et, à ce titre, aux bénéfices distribués aux bénéfices distribués après encaissement des loyers pour la période allant du décès de W... N... (18 mars 2011) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012), atteindra le chef de l'arrêt par lequel la cour d'appel a débouté M. I... L... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
17. Les troisième et quatrième moyens étant rejetés, le moyen est sans portée.
Mais sur le cinquième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches
Enoncé du moyen
18. M. L... fait grief à l'arrêt de limiter l'indemnité de réduction due au titre des legs particuliers consentis par E... H... à MM. R... et Q... H..., à hauteur de 118 655,81 euros, alors :
« 1°/ que, dans ses conclusions d'appel, M. L... avait demandé aux juges du second degré de procéder au calcul de l'indemnité de réduction d'après la déclaration de succession déposée par MM. H..., à laquelle il prêtait la valeur d'aveu extrajudiciaire et à laquelle il avait adhéré sous réserve de la rectification de certaines estimations, et elle seule ; qu'en considérant que M. L... avait déterminé sa demande d'après le « projet d'état liquidatif » rédigé par M. F... en vue d'un partage, la cour a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ que, dans leurs conclusions d'appel, tout en contestant devoir une indemnité de réduction, de même que M. L..., MM. H... avaient demandé aux juges du second degré de se déterminer d'après la déclaration de succession qu'ils avaient déposée et, de même que M. L..., MM. H... s'étaient expliqués sur les trois estimations contestées par celui-ci ; qu'en se déterminant pour partie d'après le « projet d'état liquidatif rédigé par M. F... » en vue d'un partage, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
19. Pour évaluer la masse des biens existant au jour du décès d'E... H..., l'arrêt retient que le projet d'état liquidatif établi par M. F..., notaire, fait état d'un actif successoral net d'un montant de 948 037,17 euros, en ce compris la moitié indivise de la maison de [...] pour un montant de 160 000 euros, alors que cet immeuble doit être évalué à 180 000 euros, de sorte que l'actif successoral net s'élève en conséquence à 968 037,17 euros.
20. En statuant ainsi, alors que les parties s'étaient référées exclusivement, pour calculer la masse successorale et, par voie de conséquence, l'indemnité de réduction, à la déclaration de succession, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 118 655,81 euros l'indemnité de réduction due par MM. R... et Q... H... au titre des legs particuliers consentis par E... H..., l'arrêt rendu le 22 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne MM. R... et Q... H... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. R... et Q... H..., Mme S... H... et la soiciété Trianon et condamne MM. R... et Q... H... à payer à M. L... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux septembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour M. L....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à la Cour d'appel de Versailles d'avoir débouté M. L... de sa demande tendant à voir juger MM. R... et Q... H..., légataires particuliers de la nue-propriété de l'appartement correspondant à la moitié indivise de la résidence secondaire sise [...] , responsables de fautes graves en méconnaissant le droit d'usufruit de W... N..., majeure protégée, sur ces droits immobiliers et, par voie de conséquence, condamnés à lui payer des dommages et intérêts ;
Aux motifs que s'agissant de la résidence secondaire de [...], celle-ci a été léguée par E... H... à ses frères ; qu'en vertu de l'article 1014 du code civil, tout legs pur et simple donnera aux légataires, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée ; que si certes le légataire ne peut entrer en possession qu'à compter de la délivrance du legs et si M. L... soutient dans ses écritures que MM. R... et Q... H... ont pris possession du bien irrégulièrement, en l'absence d'opposition justifiée de la part de W... N... puis de M. L..., le legs a été délivré tacitement en laissant MM. H... occuper le bien ; que cette circonstance démontre que ce bien n'a pas généré de fruits ; que la demande de M. L... à ce titre n'est donc pas fondée (cf. arrêt, p. 15) ; que c'est par d'exacts motifs que la cour adopte que le premier juge a considéré qu'il n'était pas établi que W... N... avait été privée de son usufruit de la résidence secondaire de [...] ; que de plus, la faute ne saurait résulter de ce que les meubles du couple H... N... aient été jetés, M. H... ayant déclaré lors de l'inventaire qu'il avait remeublé le bien à ses frais (cf. arrêt, p. 19) ;
Et aux motifs du jugement que les demandes relatives aux biens immobiliers sis à [...] et à Clamart, dont M. L... indique lui-même qu'ils sont inoccupés en raison du litige, ne sauraient prospérer faute de l'existence de fruits (cf. jugement, p. 10) ; qu'il n'est établi par aucune pièce que W... H... se serait vue privée de son droit d'usufruit sur la résidence de [...], droit qu'elle était libre d'exercer ou non, de sorte que la demande d'indemnisation de M. I... L... est rejetée (cf. jugement, p. 12) ;
1/ Alors que les juges sont tenus d'examiner toutes les pièces produites par les parties au soutien de leurs prétentions ; que pour démontrer l'atteinte aux droits de J. N..., usufruitière de l'appartement correspondant à la moitié indivise de la résidence secondaire sise à Villeneuve Loubet, au sens de l'article 599 du Code civil, M. L... avait soutenu que, du vivant de celle-ci, MM. H... avaient vidé l'appartement de ses meubles meublants et l'avaient occupé ; qu'à l'appui de ces prétentions, M. L... avait produit l'intitulé d'inventaire successoral où étaient consigné les aveux de M. R... H... « avoir vidé l'appartement dont Mme Veuve H... était usufruitière, à savoir l'entier premier étage de la villa sise à [...] . L'ensemble de ces meubles, selon Monsieur R... H..., n'avait aucune valeur marchande, et a été jeté en mai 2010. Et depuis est occupé par les membres de la famille (fille et frère) occasionnellement. Monsieur R... H... a meublé à ses frais ledit premier étage. Une copie des factures d'achats sont demeurées jointes et annexées aux présentes » (cf. intitulé d'inventaire successoral authentique en production) ; qu'en écartant la faute alléguée sans avoir examiné cette pièce, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2/ Alors que la renonciation à un droit ne se présume pas mais doit résulter d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu'elle ne peut résulter de l'abstention ou du silence du titulaire ; qu'en déduisant la renonciation de J. N... vulnérable puis sous tutelle, à ses droits d'usufruitière sur l'appartement correspondant à la moitié indivise de la résidence secondaire et la délivrance tacite du legs particulier de la nue-propriété de ces droits à MM. H..., de « l'absence d'opposition justifiée de la part de W... N... » au débarras de ses meubles et à l'occupation de l'appartement par les Crts H..., la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil, ensemble l'article 440 du même code ;
3/ Alors que dans leurs conclusions d'appel, aussi bien M. L... que MM. H... avaient fait valoir que la délivrance du legs particulier de la nue-propriété de l'appartement correspondant à la moitié indivise de la résidence secondaire, n'était intervenue que par la délivrance de l'assignation de M. L... les 22 et 26 novembre 2012, après le décès de J. N... le 18 mars 2011 (conclusions L..., p. 12 et 13 H... p. 4, 13) ; qu'en faisant état d'une délivrance tacite du legs particulier du vivant de J. N..., héritière et usufruitière par ailleurs majeure protégée, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4/ Alors que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office, sans provoquer préalablement les observations des parties, le moyen tiré de la délivrance tacite du legs particulier portant sur la nue-propriété de l'appartement correspondant à la moitié indivise de la résidence secondaire, du vivant de J. N..., héritière et usufruitière par ailleurs majeure protégée, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à la Cour d'appel de Versailles d'avoir dit que le « legs consenti par W... N... de ses 317 parts de la Sci Trianon est valable », limitant ainsi l'annulation des dispositions contenues dans les deux testaments du même jour non horodatés de W... N... à celles par lesquelles elle léguait « la nue-propriété des biens immobiliers et parts de sociétés immobilières autres que la Sci Trianon et dont l'usufruit est légué à son époux ;
Aux motifs qu'en vertu de l'article 1036 du code civil, les testaments postérieurs qui ne révoqueront pas d'une manière expresse les précédents, n'annuleront, dans ceux-ci, que celles des dispositions y contenues qui se trouveront incompatibles avec les nouvelles, ou qui seront contraires ; que par testament olographe, déposé au rang des minutes de la SCP F..., W... N... a pris les dispositions testamentaires suivantes :
« Je soussigné, W... N..., demeurant à [...] , ai fait mon testament ainsi qu'il suit : je déclare révoquer la donation que j'avais consentie à mon époux par acte de Maître F..., notaire à [...] le 24 mai 1959
J'institue pour héritiers :
1°) M. E... H... mon époux
Pour l'usufruit de tous les biens et droits immobiliers ou parts de sociétés immobilières m'appartenant et pour la pleine propriété de tous les autres biens m'appartenant notamment objets mobiliers, véhicules économies etc
2°) Et les membres de la famille H... en application des règles de la dévolution légale et de la représentation - pour la pleine propriété des parts que je détiens dans la SCI Trianon
Et pour la nue-propriété des biens immobiliers ou des autres parts de sociétés immobilières dont l'usufruit est ci-dessus légué à mon époux.
Pour jouir de son usufruit mon époux sera dispensé de faire état des immeubles et de fournir caution. Faits et écrit en entier de ma main à Clamart le 14 octobre 2003. »
Fait et écrit de ma main à Clamart le 14 octobre 2003 »
Suit la signature : W... H...
que M. I... L..., à l'occasion de l'inventaire de la maison de Clamart des époux H..., a trouvé dans la bibliothèque un testament rédigé de la manière suivante :
«Je soussigné, W... N..., demeurant à [...] , ait fait mon testament ainsi qu'il suit :
Je déclare révoquer la donation que j'avais consentie à mon époux par acte de Me F..., notaire à [...] le 24 mai 1959
J'institue pour héritiers :
1°) M. E... H... mon époux
Pour l'usufruit de tous les biens et droits immobiliers ou parts de sociétés immobilières m'appartenant et pour la pleine propriété de tous les autres biens m'appartenant notamment objets mobiliers, véhicules économies etc
2°) Et les membres de ma famille N... en application des règles de dévolution légale et de la représentation
Pour la nue-propriété des biens immobiliers et parts de sociétés immobilières dont l'usufruit est ci-dessus légué à mon époux
Pour jouir de son usufruit, mon époux sera dispensé de faire état des immeubles et de fournir caution
Fait et écrit en entier de ma main à Clamart le 14 octobre 2003. »
Suit la signature : W... N... H... ;
que ces deux testaments sont datés du même jour ; que toutefois l'heure n'y est pas mentionnée ; qu'il n'est donc pas possible de déterminer lequel constitue les dernières volontés de la de cujus ; que de plus, aucun ne mentionne qu'il révoque les dispositions du précédent ; qu'il y a donc lieu de faire application des dispositions ci-dessus rappelées ; que c'est de manière exacte que le premier juge a retenu que ces deux testaments n'étaient pas incompatibles en ce qui concerne les volontés de la testatrice relatives aux parts de la SCI Trianon, ces parts n'étant pas mentionnées dans le testament dans lequel elle indique instituer pour héritiers les membres de sa famille N... en application des règles de dévolution légale et de la représentation pour la nue-propriété des biens immobiliers et parts de sociétés immobilières dont l'usufruit est légué à son époux ; que, de plus, ce testament n'emporte aucune disposition révocatoire de ses volontés concernant les parts de la SCI Trianon ; que c'est donc à bon droit que le tribunal a considéré que celles-ci demeuraient valables ; que le legs par W... N... à MM. Q... et R... H... de ces 317 parts de la SCI Trianon est donc valable ; qu'il devra donc être délivré en tant que de besoin ; qu'il n'y a toutefois pas lieu de prononcer une astreinte à ce titre ; que MM. Q... et R... H... seront donc déboutés de cette demande ; qu'en outre, MM. Q... et R... H... ne motivant nullement cette demande et ne justifiant en rien en quoi les droits d'enregistrement de ce legs devraient être mis à la charge de la succession de W... N..., ils seront également déboutés de cette demande ; qu'en revanche les dispositions concernant la nue-propriété des biens immobiliers et parts de sociétés immobilières dont l'usufruit est légué à son époux dans les deux testaments sont incompatibles puisque dans l'un, W... N... institue pour héritiers les membres de la famille H... et dans l'autre les membres de la famille N... ; que celles-ci seront donc annulées ;
Et aux motifs du jugement que l'absence d'horodatage des deux testaments litigieux est sans conséquence sur leur validité dès lors que les legs exprimés ne sont nullement incompatibles et dès lors qu'aucun d'eux n'exprime de révocation de volontés antérieures hormis celle de la donation consentie à son époux, E..., le 24 mai 1959 ; que le tribunal observe par ailleurs que ces deux actes sont rédigés en termes quasiment mais pas totalement identiques : si, dans l'un comme dans l'autre, W... N... lègue à son époux l'usufruit de tous ses biens immobiliers ou parts de sociétés immobilières dont elle gratifie de la nue-propriété soit la famille H... soit la famille N..., en revanche, elle a réservé à la seule famille H... le legs des parts qu'elle détenait dans la Sci Trianon, disposition nullement incompatible avec les précédentes et qui constitue un legs à titre particulier ; que par ailleurs, W... N... a entendu léguer en pleine propriété à M. I... L... l'ensemble des objets mobiliers, véhicules, économies dépendant de sa succession dont ceux léguées par E... H... à son épouse W..., disposition qui constitue un legs à titre universel au sens de l'article 1010 du code civil, parfaitement compatible avec celles qui précèdent ; que les demandes d'annulation des testaments seront donc rejetées (cf. jugement, p. 8) ;
ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; qu'il résulte des termes clairs des deux testaments de W... N... du même jour et non horodatés, que ses 317 parts de la Sci Trianon étaient léguées, selon l'un, en pleine propriété à « la famille H... » ce testament distinguant les parts qu'elle possédait dans la Sci Trianon des parts qu'elle possédait dans d'autres sci et, selon l'autre, en nue-propriété à « ma famille N... », ce testament ne distinguant pas les parts qu'elle possédait dans différentes sci, d'où l'incompatibilité de ces dispositions successives ; qu'en jugeant que des deux testaments, seul celui prévoyant un legs particulier en faveur de la famille H... comportait des dispositions relatives aux parts de la Sci Trianon, la cour d'appel a méconnu l'obligation susvisée, violant l'article 1192 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à la Cour d'appel de Versailles d'avoir débouté M. L... de sa demande tendant à voir dire et juger que comme seul et unique héritier de W... N... et, par voie de conséquence, d'E... H..., il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1.017 parts léguées à titre particulier par celui-ci à MM. R... et Q... H... et, à ce titre, aux bénéfices distribués par la sci après encaissement du prix de deux cessions d'actifs, pour la période allant du décès d'E... H... (5 janvier 2010) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012) ;
Aux motifs que l'article 1014 du code civil dispose que tout legs pur et simple donnera aux légataires, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée ; que néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l'ordre établi par l'article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie ; qu'en vertu de l'article 1870-1 du code civil, les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur ; qu'il résulte de l'application combinée de ces dispositions que W... N..., héritier saisi d'E... H... et associée de la SCI Trianon, disposait d'un droit aux fruits sur les 1017 parts, soit 700 parts propres outre 317 parts communes, de la SCI Trianon léguées par son époux à ses deux frères en l'absence durant cette période de toute demande de délivrance de leur part ; sur les cessions d'actifs de la SCI Trianon, que celle-ci possédait en particulier deux biens immobiliers, l'un situé à Montrouge, l'autre situé à Clamart ; que le premier a été vendu 1 300 000 euros le 17 décembre 2010 alors que W... N... était en vie (pièce n° 28 de MM. H...) ; qu'il n'est pas contesté qu'elle s'est vue régler la portion correspondant à ses 317 parts, soit une somme de 102 973,53 euros ; que sur la portion correspondant aux 1017 parts léguées par son époux, il n'est pas contestable que les bénéfices réalisés par une société y compris une société civile, participent de la nature des fruits dès leur attribution sous forme de dividendes ; que l'assemblée générale de la SCI Trianon du 22 décembre 2010 a distribué le produit du prix de vente du bien de Montrouge ; que, le 8 septembre 2011, la même assemblée générale a décidé la répartition proportionnelle du prix de vente du bien de Clamart proportionnellement aux droits des associés dans le capital social ; que toutefois, au sens de l'article 547 du code civil comme de l'article 1014 de ce même code, les fruits en ce qu'ils émanent de manière périodique et régulière de la chose, sans provoquer aucun appauvrissement de sa substance se distinguent des produits qui n'ont pas en principe de périodicité et surtout, altèrent ou épuisent la substance de la chose ; que tel est bien le cas d'une cession d'actif social, la preuve en étant que les biens de Montrouge et de Clamart, vendus, ne pourront plus produire les loyers qu'ils produisaient auparavant ; que leur prix de vente constitue donc un produit, qui plus est exceptionnel, et non un fruit ; que la seule circonstance que l'assemblée générale ait décidé leur répartition n'est pas de nature à leur conférer la nature d'un dividende ; que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. L... de sa demande ; que le même raisonnement doit être suivi s'agissant de la vente du bien de Clamart postérieure au décès de W... N... ; que M. L... sera donc également débouté de sa demande à ce titre ;
Et aux motifs que le tribunal constate que W... N... et donc M. I... L... n'ont jamais eu aucun autre droit sur les 1074 parts d'E... H..., dès lors qu'ils n'en ont jamais été propriétaires, que celui éventuel d'en percevoir les fruits jusqu'à la délivrance amiable ou judiciaire aux légataires à titre particuliers que sont les consorts H... conformément aux dispositions de l'article 1014 alinéa 2 du code civil ; que le tribunal juge cependant que ce droit général de perception ne peut trouver application en l'espèce en raison des règles particulières aux sociétés civiles édictées par le code civil dont l'article 1870-1 dispose que les héritiers qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur (cf. jugement, p. 10) ;
1/ ALORS QUE le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie ; que les bénéfices réalisés par une société y compris une société civile immobilière dans le cadre de son objet social, participent de la nature de fruits dès leur attribution sous forme de dividendes dont l'existence juridique résulte de la constatation de l'existence de sommes distribuables par l'organe social compétent et de la détermination de la part attribuée à chaque associé ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt, qu'avant la délivrance du legs particulier des 1017 parts de la Sci Trianon à MM. H..., des assemblées générales de la sci Trianon avaient voté la distribution d'un acompte sur dividendes sans attendre la clôture de l'exercice et l'approbation des comptes par l'assemblée générale, sous la forme de répartition du bénéfice résultant du prix de ventes d'actifs immobiliers proportionnellement aux droits des associés dans le capital social sans que celui-ci ait été réduit ; que ces constatations opérées, la cour d'appel devait accueillir la demande de M. L... tendant à dire et juger que comme seul et unique héritier de W... N... et par voie de conséquence d'E... H..., saisi de plein droit et possesseur de bonne foi, il avait droit à ces dividendes, lesquels constituaient des fruits et intérêts antérieurs à la délivrance du legs particulier ; qu'en jugeant du contraire a violé l'article 1014 al. 2 du Code civil ensemble l'article 1832 du même code ensemble encore les articles 547 et s. du Code civil ;
2/ ALORS QUE les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'en déduisant du simple fait que les cessions d'actifs avaient engendré une diminution des loyers, une absence de fixité et une altération de la substance de la chose, de deux cessions d'actifs immobiliers de la sci Trianon en deux ans, ce dont il aurait résulté que les dividendes auraient été des « produits » et non des fruits revenant à l'héritier, cependant qu'elle avait elle-même nécessairement constaté que, conformément à son objet social qui ne se limitait pas à la gestion locative, la sci avait régulièrement procédé à des cessions d'actifs et avait non moins régulièrement voté la distribution des bénéfices consécutifs devenus des dividendes sans qu'il soit porté atteinte à son capital social, d'où la qualification de fruits, la cour d'appel a violé l'article 1103 du Code civil, ensemble les articles 547 et s., 1014 al. 2 et 1832 du même code ;
3/ ALORS QUE lorsque le legs particulier porte sur des parts d'une société civile immobilière, l'héritier peut prétendre aux distributions de dividendes qui constituent des fruits dans les termes de l'article 1014 al. 2 du Code civil ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'avant le décès de W... N... associé fondateur (18.03.2011), et avant la délivrance du legs particulier des 1017 parts de la sci Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société avait cédé un actif sis à Montrouge (décembre 2010) puis une assemblée générale des associés avait voté la répartition du produit de la vente aux associés au prorata de leurs parts (22 décembre 2010) ; qu'en jugeant que M. L... unique héritier de W... N... veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N..., n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas, lui-même, été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé, ensemble l'article 1832 du Code civil et, par fausse application, l'article 1870-1 du même code ;
4/ ALORS QUE lorsque le legs particulier porte sur des parts d'une société civile immobilière, l'héritier peut prétendre aux distributions de dividendes qui constituent des fruits dans les termes de l'article 1014 al. 2 du Code civil ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'entre le décès de W... N... associé fondateur (18.03.2011) et la délivrance du legs particulier des 1017 parts de la sci Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société avait cédé un actif sis à Clamart (juin 2011) puis une assemblée générale des associés avait voté la répartition du produit de la vente aux associés au prorata de leurs parts (8 septembre 2011) ; qu'en jugeant que M. L... unique héritier de W... N... veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N..., n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas, lui-même, été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé, ensemble l'article 1832 du même code et, par fausse application l'article 1870-1 du même code.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à la Cour d'appel de Versailles d'avoir débouté M. L... de sa demande tendant à dire et juger que comme seul et unique héritier de W... N... et, par voie de conséquence, d'E... H..., il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1.017 parts léguées à titre particulier à MM. R... et Q... H... et, à ce titre, aux bénéfices distribués après encaissement des loyers pour la période allant du décès de W... N... (18 mars 2011) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012) ;
Aux motifs que M. I... L..., au visa des articles 1014 et 1015 du Code civil, revendique le droit aux fruits de sa tante, W... N... puis de lui-même entre le décès d'E... H... le 5 janvier 2010 et la délivrance du legs particulier les 22 et 26 novembres 2012 ; qu'ainsi, il prétend à des fruits sur les loyers encaissés par la SCI Trianon ; qu'à l'appui, il fait valoir qu'en application de l'article 1014 alinéa 1 du code civil, les consorts H... ont droit à la chose léguée à compter du décès d'E... H... ; que néanmoins, en vertu du deuxième alinéa de ce texte, ils n'ont pu se mettre en possession des droits immobiliers et des parts de la SCI Trianon légués qu'à compter de la délivrance volontaire du legs, soit les 22 et 26 novembres 2012 ; qu'entre le décès de leur frère et la délivrance volontaire, les fruits et intérêts auraient dû rester entre les mains des possesseurs, à savoir l'héritière W... N..., puis lui-même en tant qu'héritier de cette dernière ; qu'il reproche au tribunal de l'avoir débouté de sa demande au motif qu'il ne rapportait pas la preuve de l'existence de fruits ; que l'article 1014 du code civil dispose que tout legs pur et simple donnera aux légataires, du jour du décès du testateur, un droit à la chose léguée ; que néanmoins le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu'à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l'ordre établi par l'article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie ; qu'en vertu de l'article 1870-1 du code civil, les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur ; qu'il résulte de l'application combinée de ces dispositions que W... N..., héritier saisi d'E... H... et associée de la SCI Trianon, disposait d'un droit aux fruits sur les 1017 parts, soit 700 parts propres outre 317 parts communes, de la SCI Trianon léguées par son époux à ses deux frères en l'absence durant cette période de toute demande de délivrance de leur part ; qu'elle disposait également de son propre droit aux distributions de la SCI Trianon attaché aux 317 parts de sa propre part de communauté ; qu'il n'est pas contesté qu'en 2010 la SCI Trianon a encaissé 90 081 euros de loyers ; qu'il était donc dû à W... N..., en tant qu'héritier saisi d'E... H... et associée de la SCI Trianon, la somme de 90 081 euros : 1017/4002 = 22 891,64 euros ; qu'or, il n'est justifié d'aucun versement à ce titre par la SCI Trianon et les consorts H... à leur belle-soeur ; que cette somme revient par conséquent à sa succession et donc à M. I... L... ; que la SCI Trianon et les consorts H... seront donc condamnés in solidum à la lui payer avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 22 novembre 2012 et capitalisation des intérêts dus sur une année entière par application de l'article 1153 du code civil ; que le même raisonnement doit être suivi pour les loyers encaissés en 2011 jusqu'au décès de W... N... le 18 mars 2011 ; que celle-ci avait droit en tant qu'associée au montant des loyers correspondant à ses 317 parts personnelles de la communauté ; qu'en tant qu'héritier saisi d'E... H..., elle avait également droit au montant des loyers correspondant aux 1017 parts léguées par son époux ; que ces sommes sont entrées dans sa succession et reviennent en conséquence à M. I... L... ; que, faute de justifier qu'elles auraient été versées à la de cujus, la SCI Trianon et Mrs R... et Q... H... seront donc condamnés, sachant qu'il n'est pas contesté qu'en 2011 la SCI Trianon a encaissé 37 817 euros de loyers, la somme de 37 817 euros : 1 334/4002 : 78/360 = 2 731,22 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 22 novembre 2012 et capitalisation des intérêts dus pour une année entière par application de l'article 1153 du code civil ; qu'à compter du décès de W... N..., et conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, M. I... L... ne peut prétendre à aucun droit aux fruits compte tenu des dispositions de l'article 1870-1 du code civil étant précisé que la SCI Trianon a refusé de l'agréer comme associé ;
ALORS QUE le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie ; qu'après avoir constaté qu'entre le décès de W... N... (18 mars 2011) et la délivrance du legs particulier des 1017 parts de la sci Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société civile immobilière avait procédé à des distributions au titre des loyers tant en 2011 qu'en 2012, ces dividendes étant dès lors entrés dans la succession de W... N..., la cour d'appel devait accueillir prorata temporis la demande de M. L... unique héritier de W... N... veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N... (pour 2011 du 19 mars au 31 décembre soit 9.160, 16 € x 288 jours/ 365 jours = 7.227, 44 € et pour 2012 du 1er janvier au 21 novembre soit 7.952,11 € x 324 jours / 365 jours = 7.058,86 €) ; qu'en jugeant que M. L... n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas lui-même été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1014 al. 2 du code civil, ensemble l'article 1832 du même code et par fausse application l'article 1870-1 du même code.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à la Cour d'appel de Versailles d'avoir limité le montant de l'indemnité de réduction due au titre des legs particuliers consentis par E... H... à MM. R... et Q... H..., à hauteur de 118.655,81 € ;
Aux motifs que M. I... L... soutient que les legs effectués par E... H... au profit de ses frères, Q... et R... H..., excèdent la quotité disponible prévue par ce texte ; qu'il en demande donc la réduction ; que la quotité disponible se calcule sur l'actif net de la succession ; qu'ainsi, en ce qui concerne la masse active de la succession d'E... H..., M. I... L... conteste certains des montants indiqués dans la déclaration de succession en soutenant que certains biens légués à W... N... ont été surévalués tandis que d'autres, légués à Mrs Q... et R... H... ont été sous-évalués ; qu'en application de l'article 922 du code civil, la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existants au décès du donateur testateur ; que les biens dont il a été disposé par donation entre vifs sont fictivement réunis à cette masse, d'après leur état à l'époque de la donation et leur valeur à l'ouverture de la succession, après qu'en ont été déduites les dettes ou les charges les grevant ; qu'en vertu de ce texte, doivent également être réunies fictivement à la masse les biens légués ; que la valeur des biens s'apprécie au jour de l'ouverture de la succession ; que M. I... L... conteste en premier lieu la valeur du bien de Montrouge possédé par la SCI Trianon, mentionnée à 1 300 000 euros dans le projet d'état liquidatif rédigé par Maître F... alors selon lui que ce même bien entrait dans l'estimation de la valeur de la part de la SCI Trianon et au prorata de ses parts dans la déclaration de succession d'après la déclaration ISF des époux H... N... faits par M. Q... H... au 1er janvier 2010 pour 915 000 euros ; que Mrs H... répliquent à juste titre qu'a été mentionné dans le projet d'état liquidatif le montant effectif du prix de vente, cette vente étant intervenue dans l'année du décès du de cujus ; qu'il est en effet justifié (pièce n° 28 des intimés) que ce bien, situé [...] a été vendu le 17 décembre 2010 au prix de 1 300 000 euros ; que ce prix correspond donc à l'exacte valeur du bien à l'ouverture de la succession qui doit être prise en compte pour le calcul de la masse successorale ; que M. I... L... conteste ensuite la valeur du véhicule Mercédès fixée à 32 000 euros dans le projet d'état liquidatif alors que la valeur indiquée dans la déclaration ISF des époux H... N... au 1er janvier 2010 établi par M. Q... H... fait état d'une valeur de 22 000 euros ; qu'il reproche au tribunal de ne pas avoir pris en compte ce document qui constitue une offre de preuve émanant de l'un des intimés et est donc selon lui opposable à Mrs H... ; qu'il estime de plus cette estimation au 1er janvier 2010, soit à cinq jours du décès d'E... H..., particulièrement pertinente ; que Mrs H... répliquent que la valeur de 32 000 euros mentionnée dans la déclaration de succession est tout à fait cohérente eu égard au modèle du véhicule acheté neuf à peine plus d'un an avant la mort d'E... H... ; qu'ils invoquent la cotation au jour du décès de ce dernier que leur a fournie un garage automobile qui démontre selon eux que la valeur indiquée dans la déclaration de succession est juste ; qu'il est justifié de la cotation exacte du véhicule à 18 mois de son achat, c'est-à-dire à une date également très proche du décès d'E... H... ; qu'il n'est pas contesté que cette cotation représente le modèle exact du véhicule d'E... H... ; que celle-ci fait état d'une valeur de 31 284 euros, tout à fait proche de celle retenue dans le projet d'état liquidatif établi par Maître F... ; que cette valeur sera donc retenue quand bien même la déclaration fiscale au titre de l'ISF pour l'année 2010 fait état d'une valeur inférieure, cette valeur ne correspondant pas à la valeur exacte du véhicule ; que M. I... L... critique également le montant retenu dans le projet d'état liquidatif pour la résidence secondaire de [...] qui chiffre la moitié indivise de cette valeur à 160 000 euros tandis que la déclaration ISF des époux H... N..., établie par Q... H..., porte une valeur de 180 000 euros dont il reproche au tribunal de ne pas avoir tenu compte alors qu'elle constitue une offre de preuve incontestable émanant de l'un des époux et opposable à Mrs H... ; que Mrs H... répliquent que l'évaluation de Maître F... ne saurait être remise en question ; que la valeur du bien figurant dans la déclaration ISF de janvier 2010 correspond à la valeur pour l'année 2009 ; que le notaire a donc, à bon droit, pris en compte une évolution baissière du marché de l'immobilier ancien à cette époque dans la déclaration de succession par lui établie en 2010 ; qu'ils sollicitent en conséquence l'infirmation du jugement qui a retenu la moyenne des deux valeurs ; qu'aucune estimation du bien à la date du décès d'E... H... n'est fournie ; que les seules références statistiques ne sauraient en tenir lieu ; que le bien est situé dans un secteur géographique où le prix de l'immobilier est particulièrement onéreux ; que sera donc retenue la valeur inscrite dans la déclaration ISF dès lors que, compte tenu des incidences fiscales, aucun intérêt ne justifiait de surévaluer le bien ; que M. I... L... conteste l'application du forfait mobilier de 5 % qui a conduit à évaluer les meubles du couple H... N... à la somme de 47 401,79 euros dans la déclaration de succession d'E... H... ; qu'il fait valoir qu'il a fait inventorier les meubles du domicile des époux à Clamart ; qu'il en ressort une valeur de 953 euros ; que de même, il a fait procéder à l'inventaire des meubles de leur résidence secondaire de [...] en présence de R... H... ; que celui-ci a répondu que les meubles du couple avaient été jetés et que le bien a été remeublé par ses soins ; que Mrs H... maintiennent que le mobilier du couple H... N... doivent être évalués au montant indiqué dans la déclaration de succession ; qu'à l'appui, ils font valoir que le couple possédait de nombreux biens mobiliers, en ce compris des bijoux et un tableau de A... X... ; qu'aucun commencement de preuve de ses allégations n'est rapporté alors que les deux inventaires démontrent l'absence de valeur du mobilier des défunts ; que l'évaluation contestée vise à démontrer que les biens légués à W... N... ont été surévalués tandis que les biens légués à Mrs Q... et R... H... ont été sous-évalués de sorte que le legs dont ils ont bénéficié serait réductible selon M. L... ; qu'il est rappelé que le caractère réductible d'un legs s'apprécie en faisant masse de tous les biens existants au décès du de cujus ; qu'or, le projet d'état liquidatif de la succession d'E... H... ne tient pas compte de ce mobilier ; que celui-ci n'a donc pas d'incidence sur la masse successorale telle qu'elle résulte du projet d'état liquidatif ; que ce projet fait état d'un actif successoral net d'un montant de 948 037,17 euros en ce compris la moitié indivise de la maison de [...] pour un montant de 160 000 euros ; que la cour est d'avis au contraire que cette dernière doit être évaluée à 180 000 euros ; que l'actif successoral net s'élève en conséquence à 968 037,17 euros ; que par application de l'article 914-1 du code civil, les legs consentis à Mrs H... ne pouvaient excéder la somme de 968 037,17 euros : 3/4 = 726 027,87 euros ; qu'or, il résulte du projet d'état liquidatif de la succession d'E... H... établi par Me F... que le montant total des legs consentis à Mrs R... et Q... H... s'élève à la somme de 844 683,68 euros ; que ces legs excèdent la quotité disponible de trois quarts entre époux n'ayant pas de descendants ; qu'ils portent par conséquente atteinte à la réserve du conjoint survivant à la date de l'ouverture de la succession d'E... H... ; qu'ils doivent donc être réduits ; que, des calculs qui précèdent, il résulte que les legs consentis à Mrs Q... et R... H... excèdent la quotité disponible d'un montant de 804 34 683,68 euros -726 027,87 euros, soit 118 655,81 euros ; que ces légataires se bornent à affirmer que leurs legs n'excèdent pas la quotité disponible sans apporter le moindre commencement de preuve de nature à établir le bien-fondé de cette allégation ; qu'il n'est pas contesté que M. I... L... vient à la succession de W... N..., conjoint survivant d'E... H..., par représentation de sa propre mère prédécédée, soeur unique de la défunte ; que les droits successoraux de celle-ci, dont la réserve à laquelle elle avait droit en vertu de l'article 914-1 du code civil n'a pas été respecté par les dispositions testamentaires de son époux, lui sont dévolus ; que l'indemnité de réduction se calcule en valeur ; que Mrs Q... et R... H... seront donc condamnés à verser à la succession W... N... la somme de 118 655,81 euros à proportion pour chacun de son propre legs ; que le jugement sera donc infirmé en ce sens ; qu'en vertu de l'article 1014 du code civil, tout legs pure et simple donnera aux légataires du jour du décès du testament, un droit à la chose léguée ; que par le testament dont les termes ont été ci-dessus réglés, E... H... a légué l'ensemble de ses biens, à son conjoint survivant d'une part et à ses frères d'autre part ; que chacun dispose par conséquent, depuis son décès, de droits privatifs sur les biens qui lui ont été légués ; qu'il n'y a donc pas d'indivision successorale entre les différents légataires et par conséquent pas de partage à réaliser ; que c'est donc à tort que le premier juge a décidé qu'il appartiendrait au notaire de calculer le montant de l'indemnité de réduction ;
1/ Alors que la réduction se détermine en formant une masse de tous les biens existant au jour du décès du testateur ; qu'en l'absence d'indivision successorale entre l'héritier et les légataires particuliers et, par conséquent, en l'absence de partage à intervenir, la cour d'appel devait, ainsi qu'elle y avait été invitée, procéder au calcul de l'indemnité de réduction d'après la déclaration de succession déposée par les légataires particuliers à laquelle l'héritier avait adhéré sous réserve de la rectification de certaines estimations ; que ces rectifications opérées, la cour d'appel s'est fixée, tout à la fois, d'après cette déclaration de succession et d'après un « projet d'état liquidatif de la succession » qui, selon ses constatations, comportait des chiffres distincts de la déclaration de succession ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 922 du code civil ;
2/ Alors que dans ses conclusions d'appel, M. L... avait demandé aux juges du second degré de procéder au calcul de l'indemnité de réduction d'après la déclaration de succession déposée par MM. H..., à laquelle il prêtait la valeur d'aveu extrajudiciaire et à laquelle il avait adhéré sous réserve de la rectification de certaines estimations, et elle seule ; qu'en considérant que M. L... avait déterminé sa demande d'après le « projet d'état liquidatif » rédigé par Me F... en vue d'un partage, la cour a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3/ Alors que dans ses conclusions d'appel, en vue du calcul de l'indemnité de réduction, M. L... avait limité ses contestations sur les chiffres de la déclaration de succession déposée par MM. H... à trois (l'estimation de la valeur du véhicule Mercedes, l'estimation de la moitié indivise de la résidence secondaire de Villeneuve Loubet et l'estimation du mobilier) ; qu'en considérant que M. L... avait également contesté « la valeur du bien de Montrouge mentionnée à 1.300 000 euros dans le projet d'état liquidatif rédigé par Maître F... » en vue du calcul de ladite indemnité, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4/ Alors que dans leurs conclusions d'appel tout en contestant devoir une indemnité de réduction, de même que M. L..., MM. H... avaient demandé aux juges du second degré de se déterminer d'après la déclaration de succession qu'ils avaient déposée et, de même que M. L..., MM. H... s'étaient expliqués sur les trois estimations contestées par celui-ci ; qu'en se déterminant pour partie d'après le « projet d'état liquidatif rédigé par Me F... » en vue d'un partage, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
SIXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à la Cour de Versailles d'avoir débouté M. L... de sa demande indemnitaire contre MM. R... et Q... H... et contre la Sci Trianon pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive aux demandes de M. L... ;
Aux motifs que M. L... sollicite la condamnation in solidum de Mrs R... et Q... H... à lui payer la somme de 200 000 euros de dommages et intérêts ; qu'à l'appui, il fait valoir que ceux-ci ont commis des fautes graves en demandant l'ouverture de la tutelle de W... N... sans informer son seul neveu par le sang, en utilisant des fonds revenant à la majeure protégée pour payer les droits de succession qui leur incombaient comme légataires particuliers, en méconnaissant le droit d'usufruit de W... N..., en préparant un projet de partage délictueux qui n'a pu être signé du fait du décès de W... N... et en résistant abusivement à ses demandes ; que ces fautes lui ont causé un préjudice ; que comme le relèvent Mrs H..., le premier juge a constaté qu'il résultait de l'expertise médicale réalisée en vue de la mesure de tutelle dont avait bénéficié W... N... que celle-ci avait exprimé le souhait que son beau-frère, Q... H..., veille à ses intérêts ; que c'est dans ces conditions que le juge des tutelles l'a désigné tuteur de sa belle-soeur ; qu'aucune faute n'est donc établie de ce chef à l'encontre de Mrs H... ; que, s'agissant du paiement des droits relatifs à la succession d'E... H..., il n'est pas contesté que ce dernier leur avait légué les parts qu'il possédait dans la SCI Trianon ; que la cour a jugé que la cession du bien de Montrouge n'était pas un fruit auquel l'héritier avait droit jusqu'à la délivrance du legs ; que par suite Mrs H... étaient libres d'utiliser une partie du produit de leur legs en acquit des droits de succession ; que W... N... a elle-même perçu la part du prix de vente qui lui revenait ; que de plus c'est par d'exacts motifs que la cour adopte que le premier juge a considéré qu'il n'était pas établi que W... N... avait été privée de son usufruit de la résidence secondaire de [...] ; que de plus, cette seule circonstance ne saurait résulter de ce que les meubles du couple H... N... aient été jetés, M. H... ayant déclaré lors de l'inventaire qu'il avait remeublé le bien à ses frais ; que la faute qui est reprochée à Mrs H... à cet égard n'est donc pas plus établie ; qu'enfin, les dissensions relatives à la liquidation des successions d'E... H... et de W... N..., nécessairement complexe du fait des dispositions testamentaires ambiguës de W... N..., ne sont pas plus imputables à faute aux consorts H... ; que, dans ces conditions, leur résistance abusive à ses demandes n'est pas plus établie ; que de plus, la cour a jugé que le legs par W... N... de ses 317 parts de la SCI Trianon à ses beaux-frères était valable ; qu'aucune faute tenant au refus par Mrs H... de racheter à M. L... ces parts au prix auquel il prétendait ne saurer donc être invoquée ; qu'en ce qui concerne la demande en paiement de 20 000 euros de dommages et intérêts que M. I... L... forme à l'encontre de M. Q... H... en sa qualité de tuteur de W... N... dans le corps de ses écritures, celle-ci n'est pas reprise dans leur dispositif qui seul lie la cour par application de l'article 954 du code de procédure civile, l'appelant se bornant à y solliciter une condamnation globale qui ne saurait être inférieure à 200 000 euros ; que M. I... L... sera donc débouté de toutes ses demandes indemnitaires à l'encontre des consorts H... ;
1/ ALORS QUE saisie d'une demande en réparation du préjudice causé par la résistance abusive de MM. R... et Q... H... à la demande en paiement d'une indemnité de réduction présentée par assignation des 22 et 26 novembre 2012, la cour d'appel qui a accueilli la demande à hauteur de 118.655,81 €, devait rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les défendeurs avait commis une faute ayant fait dégénérer en abus leur droit de défendre en justice par une résistance opposée de mauvaise foi six ans durant et si celle-ci avait généré un préjudice financier dès lors que toute indemnité de réduction n'est productive d'intérêts au taux légal qu'à compter de la date à laquelle son montant a été fixée ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1382 devenu 1240 du Code civil ensemble l'article 924-3 al. 2 du même code ;
2/ ALORS QUE saisie d'une demande en réparation du préjudice causé par la résistance abusive de MM. R... et Q... H... à la demande en paiement au titre des distributions au titre des loyers présentée par assignation des 22 et 26 novembre 2012, la cour d'appel qui a accueilli la demande à hauteur de 25.694, 19 €, devait rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les défendeurs avait commis une faute ayant fait dégénérer en abus leur droit de défendre en justice par une résistance opposée de mauvaise foi six ans durant et si celle-ci avait généré un préjudice économique indépendant de ceux réparés par les intérêts moratoires ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
3/ ALORS QUE la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le troisième moyen en ce que l'arrêt a rejeté la demande en paiement des fruits sur les 1017 parts léguées, et, à ce titre, aux bénéfices distribués après encaissement du prix de deux cessions d'actifs, pour la période allant du décès d'E... H... (5 janvier 2010) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012), atteindra le chef de l'arrêt par lequel la cour d'appel a débouté M. I... L... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
4/ ALORS QUE la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le quatrième moyen en ce que l'arrêt a rejeté la demande en paiement des fruits sur les 1017 parts léguées, et, à ce titre, aux bénéfices distribués aux bénéfices distribués après encaissement des loyers pour la période allant du décès de W... N... (18 mars 2011) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012), atteindra le chef de l'arrêt par lequel la cour d'appel a débouté M. I... L... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive en application de l'article 624 du code de procédure civile. | Il résulte de l'article 1870-1 du code civil que l'héritier, s'il n'est associé, n'a pas qualité pour percevoir les dividendes afférents aux parts sociales d'une société civile dépendant de la succession, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire |
419 | CIV. 1
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 septembre 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 470 F-P+B
Pourvoi n° F 19-10.477
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 SEPTEMBRE 2020
M. H... S..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° F 19-10.477 contre l'arrêt rendu le 16 octobre 2018 par la cour d'appel de Toulouse (1re chambre, section 2), dans le litige l'opposant à Mme X... E..., épouse S..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Auroy, conseiller doyen, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. S..., de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme E..., après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents Mme Batut, président, Mme Auroy, conseiller doyen rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 16 octobre 2018), Mme E... et M. S..., qui vivaient alors en concubinage, ont souscrit deux emprunts pour financer les travaux d'une maison d'habitation édifiée sur le fonds dont Mme E... était propriétaire.
2. Après leur séparation, M. S... s'est prévalu d'une créance sur le fondement de l'article 555 du code civil.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. S... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors « que l'article 555 du code civil a vocation à régir les rapports entre concubins, sauf le cas où il existe entre eux une convention réglant le sort de la construction ; que lorsque l'un des concubins a participé, sans intention libérale, par des fonds ou par sa propre main d'oeuvre, à la réalisation ou au financement de constructions édifiées sur le terrain de l'autre concubin, le premier a droit à une indemnisation, sans que puisse faire obstacle à son droit à remboursement la considération que les sommes qu'il a versées constitueraient une participation normale aux charges de la vie commune ; qu'en retenant au contraire que la demande de M. S... en remboursement des versements faits pour financer une construction sur le terrain de sa concubine ne pouvait être accueillie, par la considération que les versements en cause auraient constitué une participation normale aux charges de la vie commune, la cour d'appel a violé le texte susvisé, par refus d'application, ensemble l'article 214 du code civil, par fausse application. »
Réponse de la Cour
4. Après avoir énoncé à bon droit qu'aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d'eux doit, en l'absence de convention contraire, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a engagées, l'arrêt constate, d'une part, que l'immeuble litigieux a constitué le logement de la famille, d'autre part, que Mme E... et M. S..., dont les revenus représentaient respectivement 45 et 55 pour cent des revenus du couple, ont chacun participé au financement des travaux et au remboursement des emprunts y afférents. Il observe que M. S..., qui n'a pas eu à dépenser d'autres sommes pour se loger ou loger sa famille, y a ainsi investi une somme de l'ordre de 62 000 euros entre 1997 et 2002, soit environ 1 000 euros par mois.
5. De ces énonciations et constatations, faisant ressortir la volonté commune des parties, la cour d'appel a pu déduire que M. S... avait participé au financement des travaux et de l'immeuble de sa compagne au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante et non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l'article 555 du code civil, de sorte que les dépenses qu'il avait ainsi exposées devaient rester à sa charge.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. S... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. S... et le condamne à payer à Mme E... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux septembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. S....
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D'AVOIR débouté au fond monsieur S... de sa demande sur le fondement de l'article 555 du code civil ;
AUX MOTIFS QUE monsieur S... revendiquait une créance sur madame E... pour avoir avant le mariage, durant la vie commune entre les concubins, personnellement effectué et participé au financement de nombreux travaux sur l'immeuble ayant constitué le domicile de la famille, bien propre de madame E... par « accession » pour avoir été édifié sur un terrain lui appartenant en propre ; qu'il résultait des dispositions de l'article 555 du code civil que « lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire du fonds a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever
/ Si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages, il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d'oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages » ; que sauf convention particulière relative à la construction, qu'aucune des parties n'alléguait en l'espèce, les dispositions de cet article avaient effectivement vocation à régir les rapports entre concubins qui restaient tiers dans leurs rapports patrimoniaux et ce, que l'immeuble appartenant à l'un d'entre eux ait été édifié à frais communs ou aux seuls frais de l'autre ; que l'immeuble restant la propriété du concubin propriétaire du terrain après la séparation, les dispositions de l'article 555 du code civil qui prévoyaient le remboursement à l'autre soit de la plus-value procurée à l'immeuble par les travaux, soit du coût des travaux et de la main d'oeuvre, s'appliquaient tant au coût des travaux réalisés directement par le concubin, même s'il n'avait pas été le seul à intervenir, qu'aux sommes investies par celui-ci pour le financement de la construction ; que cependant, aucunes dispositions légales ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d'eux devait en conséquence et en l'absence de convention contraire, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a engagées ; qu'ainsi que l'observait justement madame E..., lorsque, comme en l'espèce, l'immeuble litigieux avait constitué le logement de la famille, à savoir des concubins et de leurs enfants communs nés avant le mariage, la participation aux travaux ou le remboursement des emprunts ayant permis de financer l'édification et l'aménagement de l'immeuble constituait une charge de la vie commune ; qu'en l'espèce, il résultait du rapport d'expertise que les revenus du couple étaient avant le mariage constitué à 45 % par les revenus de madame E... et à 55 % par les revenus de monsieur S... et aucun élément ne permettait de remettre en cause la participation de chacune des parties à la charge de la vie commune que constituait le financement des travaux sur le logement familial ou le remboursement des emprunts y afférents, monsieur S... n'établissant pas avoir seul contribué au remboursement des emprunts ; que monsieur S... se référait également au rapport d'expertise pour mettre en avant le fait qu'il avait pris en charge avant le mariage l'achat de matériaux par le remboursement d'emprunts à hauteur de 8 274 € et investi sa main d'oeuvre à hauteur de 54 000 €, l'expert ayant par ailleurs retenu sur ce point une participation égale de monsieur S... et du père de madame E..., et c'est sur cette base qu'il avait évalué sa créance à la somme de 81 500 € tenant compte de la plus-value ainsi procurée à l'immeuble ; que cependant, dans le même temps, il n'avait pas eu à dépenser d'autres sommes pour se loger ni loger sa famille et la somme ainsi investie avait été de l'ordre de 62 000 € sur un peu plus de cinq années entre 1997 et 2002, soit de l'ordre de 1 000 € par mois, de sorte qu'il serait retenu que les versements qu'il avait effectués au titre de sa participation aux travaux et au financement de l'immeuble de sa compagne l'avaient été en exécution de sa participation aux charges de la vie commune et non en qualité de tiers possesseur des travaux au sens des dispositions précitées ; que monsieur S... serait donc débouté de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 555 du code civil (arrêt, pp. 6 et 7) ;
ALORS QUE l'article 555 du code civil a vocation à régir les rapports entre concubins, sauf le cas où il existe entre eux une convention réglant le sort de la construction ; que lorsque l'un des concubins a participé, sans intention libérale, par des fonds ou par sa propre main d'oeuvre, à la réalisation ou au financement de constructions édifiées sur le terrain de l'autre concubin, le premier a droit à une indemnisation, sans que puisse faire obstacle à son droit à remboursement la considération que les sommes qu'il a versées constitueraient une participation normale aux charges de la vie commune ; qu'en retenant au contraire que la demande de monsieur S... en remboursement des versements faits pour financer une construction sur le terrain de sa concubine ne pouvait être accueillie, par la considération que les versements en cause auraient constitué une participation normale aux charges de la vie commune, la cour d'appel a violé le texte susvisé, par refus d'application, ensemble l'article 214 du code civil, par fausse application. | De ses énonciations et constatations faisant ressortir la volonté commune des concubins, une cour d'appel a pu déduire que les frais exposés par l'un pour la construction et le financement de l'immeuble édifié sur le terrain dont l'autre est propriétaire et ayant constitué le logement de famille l'avaient été au titre de sa contribution aux dépenses de la vie courante et non en sa qualité de tiers possesseur des travaux au sens de l'article 555 du code civil, de sorte qu'ils devaient rester à sa charge |
420 | CIV. 1
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 septembre 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 473 F-P+B
Pourvoi n° Y 19-13.483
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. M....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 8 janvier 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 SEPTEMBRE 2020
M. R... M..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° Y 19-13.483 contre l'arrêt rendu le 27 juin 2018 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (6e chambre D), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, [...], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. M..., après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 juin 2018), un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 13 juin 2008 a constaté l'extranéité de M. M..., originaire du Sénégal, et un jugement du tribunal de grande instance de Nice du 16 décembre 2009 a prononcé, en raison de l'autorité de chose jugée par cette décision, l'irrecevabilité d'une nouvelle action déclaratoire de nationalité française engagée par l'intéressé. Le 27 juillet 2011, celui-ci a obtenu la délivrance d'un certificat de nationalité française par le tribunal d'instance de Nice. Le ministère public l'a assigné afin de faire juger que ce certificat avait été délivré à tort.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. M. M... fait grief à l'arrêt de juger que le certificat de nationalité française qui lui a été délivré le 27 juillet 2011 par le tribunal d'instance de Nice l'a été à tort, alors « que la charge de la preuve incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants du code civil ; que pour accueillir l'action négatoire du ministère public et confirmer le jugement ayant admis que le certificat de nationalité française n° 580/2011 établi le 27 juillet 2011 au nom de M. R... M... l'avait été à tort, la cour d'appel a considéré que toute demande visant à établir la nationalité française de M. M... se heurtait à l'autorité de chose jugée des jugements du 13 juin 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté l'extranéité de ce dernier et du 16 décembre 2009 du tribunal de grande instance de Nice ayant déclaré sa demande en déclaration de nationalité française irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008 ; qu'en statuant ainsi, alors que le certificat de nationalité française dont M. M... s'est prévalu a été délivré postérieurement à ces décisions, si bien que le ministère public devait établir que les documents en vertu desquels il avait été délivré étaient erronés, ainsi qu'il l'alléguait, la cour d'appel a violé l'article 30, alinéa 2, du code civil ». Réponse de la Cour
3. En premier lieu, aux termes de l'article 1355 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
4. Une offre de preuve nouvelle ne constitue pas un fait ou un événement modifiant la situation antérieurement reconnue en justice qui aurait pour effet d'exclure l'autorité de chose jugée.
5. En second lieu, selon l'article 30 du code civil, la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.
6. Il résulte de la combinaison de ces textes, que lorsqu'un jugement a constaté l'extranéité d'une personne, un certificat de nationalité française ne peut être délivré ultérieurement à cette même personne sur le même fondement juridique, fût-ce en vertu de pièces nouvelles, sans violer l'autorité de chose jugée.
7. L'arrêt retient que les éléments versés aux dossiers permettent d'établir que l'extranéité de M. M... a été constatée par deux décisions de justice successives, la dernière ayant déclaré l'action irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée. Il ajoute que même si l'instance a été introduite par le ministère public afin de faire établir que le certificat de nationalité délivré à l'intéressé l'a été à tort, il n'en demeure pas moins que toute demande visant à établir qu'il a la nationalité française se heurte à l'autorité de la chose jugée. L'arrêt relève que les parties sont en effet identiques, que la chose demandée demeure pour M. M... l'obtention de la nationalité française et que la cause reste identique en ce que la demande se fonde sur l'établissement de la nationalité par filiation.
8. La cour d'appel en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que le certificat de nationalité française, délivré en violation de l'autorité de chose jugée, l'avait été à tort.
9. Le moyen n'est donc pas fondé. Sur la deuxième branche du moyen
Enoncé du moyen
10. M. M... fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice ; que pour juger que le certificat de nationalité française établi le 27 juillet 2011 au nom de M. M... l'avait été à tort, la cour d'appel a opposé l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008 rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté l'extranéité de M. M... et celle dont était revêtue le jugement rendu le 16 décembre 2009 par le tribunal de grande instance de Nice ayant déclaré irrecevable la demande de M. M... en reconnaissance de nationalité française en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement précité du 13 juin 2008 ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le certificat de nationalité française délivré le 21 juillet 2011 à M. M... ne constituait pas un fait nouveau, comme le soutenait ce dernier, qui permettait d'écarter l'autorité de chose jugée des décisions précédentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1355 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
11. Il résulte de l'article 30 du code civil, ainsi que des articles 31 et 31-3 du même code, suivant lesquels le certificat de nationalité française est délivré par le greffier en chef, un refus de sa part pouvant faire l'objet d'un recours gracieux devant le ministre de la Justice, que ce certificat ne constitue pas un titre de nationalité, mais un document établi par une autorité administrative afin de faciliter la preuve de la nationalité française (1ère Civ., 4 avril 2019, QPC n° 19-40.001, publié).
12. La délivrance d'un tel document, en raison de sa nature, ne saurait constituer un fait nouveau modifiant la situation antérieurement reconnue en justice, de sorte que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à un moyen inopérant, a légalement justifié sa décision en retenant l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008.
Sur la troisième branche du moyen
Enoncé du moyen
13. M. M... fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que la signification d'un jugement ne fait courir le délai de recours que si elle est régulière ; qu'en l'espèce, M. M... a fait valoir que le jugement du 13 juin 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté son extranéité ne lui avait pas été régulièrement signifié ; qu'en considérant que l'extranéité de M. M... était acquise sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
14. Il résulte de l'article 480 du code de procédure civile qu'un jugement a, dès son prononcé, l'autorité de chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. La cour d'appel n'était dès lors pas tenue de répondre au moyen inopérant tiré du défaut de signification régulière du jugement ayant constaté l'extranéité de l'intéressé.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. M... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la SCP Boulloche ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux septembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. M....
Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le certificat de nationalité française n° 580/2011 établi le 27 juillet 2011 au nom de M. R... M... né le [...] à Ziguinchor (Sénégal) par le tribunal d'instance de Nice l'a été à tort ;
Aux motifs que « l'article 1355 du code civil dispose :
"L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité".
Les éléments versés aux dossiers permettent d'établir que l'extranéité de M. M... a été constatée à deux reprises une première fois par un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 13 juin 2008, puis par le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nice du 16 décembre 2009, ce dernier déclarant M. M... irrecevable en sa demande en raison de l'autorité de la chose jugée.
En l'espèce, même si la présente instance a été introduite par le ministère public afin de faire établir que le certificat de nationalité délivré à M. M... l'a été à tort, il n'en demeure pas moins que toute demande visant à établir la nationalité française de M. M... se heurte à l'autorité de la chose jugée. Les parties sont en effet identiques, la chose demandée demeure pour M. M... l'obtention de la nationalité française et la cause reste identique en ce que la demande se fonde sur l'établissement de la nationalité par filiation.
De plus, le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nice, en constatant l'irrecevabilité de l'action de M. M... sur le fondement de l'autorité de chose jugée s'est prononcé de manière définitive à ce sujet. Il appartenait à l'intéressé de faire appel de ce jugement s'il entendait contester utilement l'application de l'autorité de la chose jugée.
La question de l'autorité de la chose jugée étant définitivement tranchée, cette dernière fait alors elle-même l'objet de l'autorité de la chose jugée.
Toute demande visant à contester l'autorité de la chose jugée est donc irrecevable. Les arguments avancés en ce sens par M. M... sont alors inopérants.
L'extranéité de M. M... est donc acquise. Le jugement entrepris sera donc confirmé. Il convient de préciser au surplus, la question de l'obtention de la nationalité par la filiation étant définitivement tranchée et soumise à l'autorité de la chose jugée, qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise biologique afin de démontrer la réalité du lien de filiation.
L'expertise biologique n'est en effet de droit qu'en matière de filiation. Or, la demande formée par M. M... n'a pas pour but d'établir ou de contester un lien de filiation, mais d'apporter une preuve de la filiation comme moyen de satisfaire une demande étrangère à ce domaine strict » (arrêt p 4, § 3 et suiv.) ;
Et aux motifs, éventuellement adoptés du jugement, que « l'article 29-3 du code civil dispose que "toute personne a le droit d'agir pour faire décider qu'elle a ou qu'elle n'a point la qualité de français.
Le procureur de la République a le même droit à l'égard de toute personne"
C'est à ce titre qu'agit le ministère public à l'encontre d'R... M... qui a obtenu le 27 juillet 2011 un certificat de nationalité française, de sorte qu'il lui appartient, en sa qualité de demandeur, de rapporter la preuve de l'extranéité du défendeur, conformément aux dispositions de l'article 30 du code civil.
A cette fin, le ministère public produit un jugement rendu le 13 juin 2008 par la 5ème chambre du tribunal de grande instance de Nanterre qui avait été saisi par R... M... d'une action déclaratoire de nationalité sur le fondement de l'article 18 du code civil ayant constaté son extranéité, cette décision étant définitive pour n'avoir pas fait l'objet d'un appel.
Bien que cette décision soit sans incidence sur la nationalité du défendeur, il est également produit un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nice en date du 16 décembre 2009 également saisi par R... M... dans les mêmes conditions, et ayant déclaré l'action irrecevable constatant l'autorité de la chose jugée du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre.
Ainsi, le ministère public, sur qui pèse la charge de la preuve de l'extranéité d'R... M..., la démontre suffisamment par la production du jugement définitif rendu le 13 juin 2008, dès lors que ce jugement avait été rendu sur le même fondement que le certificat de nationalité française.
Dans ces conditions, il y a lieu de faire droit aux demandes du ministère public » (jugement p. 2, § 6 et suiv.) ;
1°) Alors que la charge de la preuve incombe à celui qui conteste la qualité de français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants du code civil ; que pour accueillir l'action négatoire du ministère public et confirmer le jugement ayant admis que le certificat de nationalité française n° 580/2011 établi le 27 juillet 2011 au nom de M. R... M... l'avait été à tort, la cour d'appel a considéré que toute demande visant à établir la nationalité française de M. M... se heurtait à l'autorité de chose jugée des jugements du 13 juin 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté l'extranéité de ce dernier et du 16 décembre 2009 du tribunal de grande instance de Nice ayant déclaré sa demande en déclaration de nationalité française irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008 ; qu'en statuant ainsi, alors que le certificat de nationalité française dont M. M... s'est prévalu a été délivré postérieurement à ces décisions si bien que le ministère public devait établir que les documents en vertu desquels il a été délivré étaient erronés, ainsi qu'il l'alléguait, la cour d'appel a violé l'article 30, alinéa 2, du code civil ;
2°) Alors que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice ; que pour juger que le certificat de nationalité française établi le 27 juillet 2011 au nom de M. M... l'avait été à tort, la cour d'appel a opposé l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008 rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté l'extranéité de M. M... et celle dont était revêtue le jugement rendu le 16 décembre 2009 par le tribunal de grande instance de Nice ayant déclaré irrecevable la demande de M. M... en reconnaissance de nationalité française en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement précité du 13 juin 2008 ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le certificat de nationalité française délivré le 21 juillet 2011 à M. M... ne constituait pas un fait nouveau, comme le soutenait ce dernier, qui permettait d'écarter l'autorité de chose jugée des décisions précédentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1355 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°) Alors que la signification d'un jugement ne fait courir le délai de recours que si elle est régulière ; qu'en l'espèce, M. M... a fait valoir que le jugement du 13 juin 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté son extranéité ne lui avait pas été régulièrement signifié ; qu'en considérant que l'extranéité de M. M... était acquise sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Il résulte de la combinaison des articles 30 et 1355 du code civil que lorsqu'un jugement a constaté l'extranéité d'une personne, un certificat de nationalité française ne peut être délivré ultérieurement à cette même personne sur le même fondement juridique, fût-ce en vertu de pièces nouvelles, sans violer l'autorité de chose jugée |
421 | COMM.
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 septembre 2020
Rejet
et irrecevabilité
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 494 FS-P+B
Pourvois n°
H 18-18.501
V 18-18.582
P 18-19.933 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 SEPTEMBRE 2020
I - 1°/ La société Umicore France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ la société Umicore, société anonyme, dont le siège est [...],
ont formé le pourvoi n° H 18-18.501 contre un arrêt n° RG : 16/16621 rendu le 17 mai 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige les opposant :
1°/ à la présidente de l'Autorité de la concurrence, dont le siège est [...] ,
2°/ au ministre de l'économie de l'industrie et du numérique, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
II - la présidente de l'Autorité de la concurrence,
a formé le pourvoi n° V 18-18.582 contre le même arrêt n° RG : 16/16621 rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Umicore France, société par actions simplifiée,
2°/ à la société Umicore, société anonyme,
3°/ au ministre de l'Economie et des Finances,
défendeurs à la cassation.
III - 1°/ la société Umicore France, société par actions simplifiée,
2°/ la société Umicore, société anonyme,
ont formé le pourvoi n° P 18-19.933 contre l'arrêt RG : 18/10061 rendu le 5 juillet 2018, dans le litige les opposant :
1°/ à la présidente de l'Autorité de la concurrence,
2°/ au ministre de l'économie de l'industrie et du numérique,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses aux pourvois n° H 18-18.501 invoquent, à l'appui de leur recours, sept moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La demanderesse aux pourvois n° V 18-18.582 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Les demanderesses aux pourvois n° P 18-19.933 invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Umicore France et Umicore, de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de la présidente de l'Autorité de la concurrence, et l'avis de Mme Pénichon, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mmes Darbois, Champalaune, Daubigney, M. Ponsot, Mme Boisselet, conseillers, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1.Il y a lieu de joindre les pourvois n° H 18-18.501, formé par les sociétés Umicore France et Umicore, et n° V 18-18.582, formé par la présidente de l'Autorité de la concurrence, qui attaquent le même arrêt.
Il y a lieu de leur joindre le pourvoi n° P 18-19.933, formé par les sociétés Umicore France et Umicore, qui attaque l'arrêt rectificatif du précédent.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 17 mai 2018, rectifié le 5 juillet 2018), la société Umicore SA/NV, établie en Belgique, est la société faîtière d'un groupe mondial spécialisé dans la technologie des matériaux, notamment du zinc, qui comprend une branche d'activité sur les métaux de performance au sein de laquelle se trouve l'unité de production des produits de construction en zinc.
3. La filiale française de cette société, la société Umicore France, a mis en place, en 1993, pour la vente des produits de sa marque VM Zinc, un réseau de distributeurs composé de points de ventes dénommés « Centres VM Zinc », agréés par elle sur la base de critères qualitatifs fixés dans un contrat de collaboration technique et commerciale. La société Umicore France refusait, en principe, d'approvisionner directement des distributeurs non agréés ou acceptait de le faire, mais à des conditions moins favorables que celles accordées aux centres VM Zinc.
4. A la suite de la réception d'un rapport de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) s'est saisie d'office des pratiques mises en oeuvre dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment et a, par une décision du 23 juin 2016, dit qu'il était établi que la société Umicore France, en tant qu'auteure des pratiques, et la société Umicore SA/NV, en sa qualité de société mère de la société Umciore France, avaient enfreint les dispositions de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et celles de l'article L. 420-2 du code de commerce, en liant les centres VM Zinc et divers autres distributeurs par des obligations d'achats exclusifs en produits VM Zinc, entre 1999 et 2007, sur les deux marchés de produits de couverture en zinc et de produits d'évacuation des eaux pluviales (produits EEP) en zinc, et a infligé une sanction pécuniaire, solidairement, aux sociétés Umicore France et Umicore SA/NV (les sociétés Umicore).
5 Sur le recours des sociétés Umicore, la cour d'appel de Paris, par un arrêt du 17 mai 2018, a retenu une durée moindre de l'infraction et réduit, en conséquence, le montant de la sanction.
6. Se saisissant ultérieurement d'office, elle a, par un arrêt du 5 juillet 2018, relevé une erreur matérielle dans le dispositif de son précédent arrêt et l'a modifié pour majorer la sanction au titre de l'appartenance des entreprises à un groupe.
Examen de la recevabilité du pourvoi n° V 18-18.582, contestée par les sociétés Umicore
7. Selon l'article L. 464-8 du code de commerce, le président de l'Autorité de la concurrence peut former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision de l'Autorité dans le délai d'un mois suivant sa notification.
8. Il résulte des productions que l'arrêt attaqué du 17 mai 2018 a été notifié à l'Autorité le 18 mai 2018. Le délai du pourvoi en cassation expirant le 18 juin 2018, le pourvoi n° V 18-18.582, formé par la présidente de l'Autorité le mardi 19 juin 2018, tardif, n'est pas recevable.
Sur le pourvoi n° P 18-19.933
Examen du moyen unique
Enoncé du moyen :
9. Les sociétés Umicore font grief à l'arrêt rectificatif du 5 juillet 2018 de dire que le chef du dispositif de l'arrêt du 17 mai 2018 par lequel la cour a : « DIT qu'au titre des pratiques visées à l'article 1er de la décision n° 16-D-14, il est infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA/NV, une sanction pécuniaire d'un montant de 56 653 000 euros » est entaché d'une erreur matérielle sur le montant prononcé et, en conséquence, de dire que ce chef du dispositif doit être rédigé de la façon suivante : « DIT qu'au titre des pratiques visées à l'article 1er de la décision n° 16-D-14, il est infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA/NV, une sanction pécuniaire d'un montant de 62 318 900 euros », alors :
« 1°/ que le juge ne peut sous couvert de rectification d'erreur matérielle, procéder à une nouvelle appréciation des éléments de la cause et modifier les droits et obligations des parties ;que si une simple erreur arithmétique de calcul peut être rectifiée, le juge ne saurait, en revanche, modifier les règles de calcul du montant d'une condamnation sous prétexte de rectifier une erreur matérielle ; qu'en décidant, sous couvert de rectifier une erreur matérielle, d'appliquer un coefficient d'aggravation de la sanction de 10 %, la cour d'appel qui a modifié les règles de calcul de la sanction et les droits et obligations des parties a violé l'article 462 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en affirmant que l'omission de l'application du coefficient d'aggravation de la sanction de 10 % par la cour n'est pas une erreur de raisonnement ou une erreur d'appréciation, mais une erreur matérielle qu'il convient de rectifier, tout en justifiant cette rectification par l'interdiction de statuer ultra petita ou de soulever un moyen d'office sans que les parties aient pu s'expliquer, ce qui au contraire confirmerait l'existence d'une possible erreur intellectuelle et non matérielle, la cour d'appel a, encore, violé l'article 462 du code de procédure civile ;
3°/ que le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires prévoyant notamment la possibilité de majorer le montant de la sanction en fonction de la puissance économique du groupe sanctionné a désormais une valeur normative et son application relève du contrôle de la Cour de cassation : qu'en considérant qu'une prétendue erreur commise dans l'application des règles du communiqué du 16 mai 2011, et spécialement du coefficient de majoration de 10 % relatif à la puissance économique du groupe sanctionné pouvait constituer une simple erreur matérielle susceptible d'être rectifiée quand une telle erreur de droit, à la supposer établie, ne peut être réparée qu'en se livrant à une nouvelle appréciation des éléments de la cause, sous le contrôle de la Cour de cassation, la cour d'appel a violé de plus fort l'article 462 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. L'arrêt relève que l'arrêt du 17 mai 2018 a remplacé par un coefficient moindre le coefficient multiplicateur retenu par l'Autorité, au regard de la durée effective de la pratique, a rejeté tous les autres moyens de réformation de la sanction soulevés par les sociétés Umicore et a recalculé le montant de la sanction sur la base de ce coefficient diminué, sans appliquer ensuite la majoration de 10 % relative à la puissance économique du groupe sanctionné, telle qu'elle avait été retenue par la décision de l'Autorité. Relevant ensuite que l'influence déterminante de la société Umicore SA sur la société Umicore France n'est pas contestée, l'arrêt ajoute que, sauf à statuer ultra petita, la cour d‘appel est tenue d'appliquer au montant de base de la sanction la majoration de 10 % que les sociétés Umicore ne contestait pas.
11. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui, dans l'arrêt rectificatif, n'a pas modifié les règles de calcul de la sanction mais en a corrigé la mise en oeuvre erronée, a exactement retenu que, par cette omission, elle avait commis une erreur, qui n'était pas une erreur de raisonnement ni une erreur d'appréciation mais une erreur matérielle, qu'il convenait de rectifier pour rétablir le montant de la sanction telle qu'elle aurait dû être au regard de la raison et du dossier.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le pourvoi n° H 18-18.501
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
13 . En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
14.Les sociétés Umicore font grief à l'arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de la prescription quinquennale alors :
« 1°/ qu'en déniant tout caractère pénal à la décision du juge des libertés et de la détention ayant statué sur la validité d'opérations de visites domiciliaires, pour décider que celle-ci n'avait pas autorité de la chose jugée, bien que les recours contre les décisions en cause sont formés, instruits et jugés selon les règles du code de procédure pénale, la cour d'appel a violé les articles L. 450-4 et L. 462-7 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
2°/ que la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles relève de la matière répressive et les sanctions prononcées par l'Autorité qui ont le caractère d'une punition, sont assimilées à des sanctions pénales ; qu'en affirmant que le ministre chargé de l'économie, à la demande duquel les opérations de visite et saisie ont eu lieu « n'est pas chargé de poursuites pénales" mais agit "dans l'objectif de poursuivre des pratiques anticoncurrentielles, qui ne font pas l'objet d'une incrimination pénale », la cour d'appel a violé les articles 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L. 462-7 du code de commerce ;
3°/que lorsque le ministre a prescrit une enquête aux fins de rechercher des pratiques susceptibles d'être relevées dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment et qu'une autorisation de procéder à des visites domiciliaires a été sollicitée et obtenue, l'article L. 420-6 du code de commerce punissait déjà le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2, d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 75 000 euros et prévoyait aussi que les actes interruptifs de la prescription devant le Conseil de la concurrence en application de l'article L. 462-7 sont également interruptifs de la prescription de l'action publique ; qu'en affirmant que les pratiques anticoncurrentielles recherchées par le ministre dans le cadre d'opérations de visite et saisie ne font pas l'objet d'une incrimination pénale, la cour d'appel a violé l'article L. 420-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause ;
4°/ que pour faire droit à la demande de restitution de trente documents antérieurs au 10 avril 2002 en raison de la prescription quinquennale, le juge des libertés et de la détention a retenu "qu'aucune poursuite ne peut (
) être exercée pour des faits remontant à plus de 5 ans (et) qu'une saisie d'un document de plus de cinq ans concernerait nécessairement la saisie d'un document concernant des faits, à les supposer reprochables, prescrits" ; qu'en affirmant que le juge des libertés et de la détention a seulement dit que des documents datés de plus de cinq années avant l'ouverture de la procédure concerneraient des faits qui seraient prescrits, (mais n'a pas) statué sur la prescription des pratiques, ni sur l'extinction de poursuites qui pourraient être mises en oeuvre, quand le juge a expressément retenu qu'une partie des faits, à les supposer reprochables, étaient d'ores et déjà prescrits, la cour d'appel a dénaturé l'ordonnance susvisée en violation du principe lui interdisant de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
5°/ que les sociétés mises en cause doivent pouvoir bénéficier d'un recours effectif de pleine juridiction leur permettant de contester les ordonnances d'autorisation de visites domiciliaires et le déroulement des opérations de visite et saisie ; qu'un tel recours n'est effectif que si, en cas de constat d'irrégularité d'une opération ayant déjà eu lieu, ce recours fournit à l'intéressé un redressement approprié ; qu'en considérant que la solution consistant à retenir que l'Autorité ne serait pas liée par une décision précédente rendue dans la même affaire en matière de visites domiciliaires ne revient pas à priver d'effectivité le recours, qui portait sur la validité des opérations de visite et saisie, exercé par les parties devant le juge des libertés et de la détention, quand elle prive de tout effet la constatation d'une irrégularité d'une opération de visite et ne permet donc pas aux intéressés d'obtenir un redressement approprié, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
6°/ qu'en considérant, pour écarter la prescription quinquennale, que l'Autorité avait exactement retenu que la décision du juge des libertés et de la détention n'avait pas à son égard autorité de la chose jugée, dans la mesure où elle n'était pas partie à la procédure devant le juge des libertés et de la détention et que l'objet de la saisine de ce dernier – la validité des opérations de visite et saisie – n'était pas identique à celui de sa propre saisine – la conformité au droit de la concurrence des pratiques de la société Umicore France – quand l'Autorité s'est expressément fondée sur le rapport administratif établi par la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes à la suite des opérations de visite et saisie litigieuses pour se saisir d'office, ce dont il résulte que les deux procédures n'étaient pas distinctes et poursuivaient les mêmes objectifs, à savoir démontrer l'existence de pratiques anticoncurrentielles, la cour d'appel a violé l'article L. 462-7 du code de commerce ;
7°/ que la circonstance qu'une infraction ait été qualifiée de continue ne permet pas de poursuivre des faits déjà prescrits ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 462-7 du code de commerce et 1355 du code civil. »
Réponse de la Cour
15. En premier lieu, après avoir énoncé que le principe jurisprudentiel de l'autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil, invoqué par les sociétés Umicore, signifie que ce qui a été définitivement jugé par le juge pénal quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé s'impose au juge civil et a effet à l'égard de tous, l'arrêt précise que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s'attache qu'à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé et que les décisions de la justice pénale ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé. Il en déduit que, pour avoir autorité absolue de la chose jugée, il faut que la décision statue sur une action pénale.
Ayant relevé, ensuite, qu'en l'espèce, le juge des libertés et de la détention avait statué sur des opérations qui ne sont pas de nature pénale, effectuées à la demande du ministre chargé de l'économie, lequel n'est pas chargé de poursuites pénales, et dans l'objectif de poursuivre des pratiques anticoncurrentielles qui ne font pas l'objet d'une incrimination pénale, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le principe de l'autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil n'était pas applicable.
En deuxième lieu, après avoir retenu que l'ordonnance litigieuse avait été rendue dans le cadre d'un recours formé contre le déroulement d' opérations de visite et de saisie, sans que la question de la prescription des pratiques ait été en cause, la cour d‘appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, en a, à bon droit, déduit que la solution ne privait pas d'effectivité ce recours formé par les sociétés Umicore.
16. En troisième lieu, ayant relevé que l'Autorité n'était pas partie à la procédure de contestation des opérations de visites et de saisies dont l'objet n'était pas identique à celui de sa propre saisine, la conformité au droit de la concurrence des pratiques de la société Umicore France, c'est exactement que la cour d'appel en a déduit que la décision du juge des libertés et de la détention n'avait pas autorité de la chose jugée à l'égard de l'Autorité et, partant, que la prescription quinquennale n'était pas acquise lors de la saisine de celle-ci, le 11 janvier 2011.
17. En quatrième lieu, après avoir énoncé que la prescription d'une infraction continue ne commence à courir qu'à compter de sa cessation, et constaté que la pratique litigieuse avait été continue de 1999 à 2007, c'est à bon droit que la cour d‘appel en a déduit que la prescription quinquennale n'était pas acquise lors de la saisine de l'Autorité, le 11 janvier 2011.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
19. Les sociétés Umicore font grief à l'arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de l'incompétence des services d'instruction, pour leur refuser l'ouverture d'une procédure d'engagements, alors :
« 1°/ que seul le collège de l'Autorité est compétent pour se prononcer sur une demande de procédure d'engagements présentée par une entreprise mise en cause ; qu'en considérant que l'Autorité avait pu valablement retenir que "le refus opposé par les services d'instruction à la demande d'ouverture d'une procédure d'engagements était légitime et justifié", quand les services d'instruction étaient incompétents pour prendre une telle décision, la cour d'appel a violé les articles L. 464-2, I et R. 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
2°/ qu'en considérant que l'Autorité avait pu valablement retenir que les services d'instruction pouvaient refuser de répondre favorablement à la demande d'ouverture d'une procédure d'engagements d'une entreprise, après avoir pourtant constaté que le collège de l'Autorité, qui envisagerait d'accepter des engagements proposés par une entreprise, peut demander au rapporteur d'établir une évaluation préliminaire et que celui-ci serait tenu de la faire quand bien même ne serait-il pas favorable à cette procédure, ce dont il résulte que les services d'instruction ne sont pas compétents pour refuser d'ouvrir une telle procédure, mais seulement pour procéder à une évaluation préalable, la cour d'appel a derechef violé les articles L. 464-2, I et R. 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
3°/que si le collège de l'Autorité dispose d'une grande latitude pour statuer favorablement ou non sur une demande de procédure d'engagements, il est néanmoins tenu de répondre de manière expresse et motivée à une demande d'ouverture d'une procédure d'engagements adressée par une partie mise en cause ; qu'en affirmant au contraire que le refus de recourir à la procédure d'engagements découlait en l'espèce d'une décision négative implicite du collège, la cour d'appel a violé les articles L. 464-2, I et R. 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
4°/ qu'en affirmant "que le refus de recourir à la procédure d'engagements découle de la décision négative implicite du collège qui, alors qu'il avait tout loisir de demander aux rapporteurs une évaluation préliminaire des pratiques, ne l'a pas fait", quand la décision déférée avait au contraire retenu à tort que "c'est aux services d'instruction de se prononcer, au cours de l'instruction conduite sous la seule direction du rapporteur général, sur la question de savoir s'il convient de mettre en oeuvre la procédure d'engagements prévue aux articles L. 464-2 et R. 464-2 du code de commerce", la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la cour
20. Après avoir constaté que les sociétés Umicore n'alléguaient pas que le collège, qui n'était pas dessaisi ni privé d'accès au dossier pendant la phase d'instruction, aurait envisagé d'accepter les engagements proposés par elles, la cour d'appel a énoncé que le collège peut toujours demander au rapporteur, qui serait tenu de le faire quand bien même il n'y serait pas favorable, d'établir une évaluation préliminaire et n'a donc pas affirmé que les services d'instruction pouvaient refuser de répondre favorablement à la demande d'ouverture d'une procédure d'engagement.
21. Si l'article L.464-2, I du code de commerce permet à l'Autorité d'accepter les engagements de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence, proposés par les entreprises, ces dernières ne disposent pas d'un droit aux engagements, l'Autorité jouissant d'un pouvoir discrétionnaire en la matière. C'est donc exactement que la cour d'appel, qui, pour se prononcer sur la régularité de la procédure suivie devant l'Autorité, n'était pas tenue par l'analyse de celle-ci, a retenu que le collège n'avait pas à formaliser sa décision ni, a fortiori, à la motiver et, partant, que son refus des engagements pouvait résulter, comme en l'espèce, de sa décision négative, implicite, de ne pas demander au rapporteur de procéder à l'évaluation préliminaire d'une telle mesure.
22. Le moyen, qui manque en fait en ses première, deuxième et quatrième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
23.Les sociétés Umicore font grief à l'arrêt, tel que rectifié, du rejet de leur moyen pris de la violation, par les services d'instruction ainsi que par l'Autorité, des obligations d'objectivité, d'impartialité et de loyauté leur incombant, alors «que les garanties du procès équitable s'appliquent dès la phase de l'instruction lorsque leur inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès ; que l'exigence d'impartialité s'impose aux services d'instruction de l'Autorité ; qu'en considérant que les services d'instruction n'avaient pas préjugé de la culpabilité des sociétés Umicore quand il ressort du point 115 du rapport qu'en janvier 2003, quatorze mois avant la clôture de l'instruction, les services d'instruction considéraient déjà que "les pratiques en cause ont été mises en oeuvre à partir de 1999 et sont toujours en cours aujourd'hui et sont, par ailleurs, constitutives d'abus de position dominante ayant causé un dommage à l'économie important", ce qui constitue une affirmation péremptoire et prématurée de culpabilité laissant peser un doute sur l'impartialité des services d'instruction à tout le moins de janvier 2003 à mars 2004, la cour d'appel a violé les articles 6 §3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne. »
Réponse de la cour
24. Ayant rappelé que les rapporteurs ont pour fonction d'instruire et de décrire dans la notification des griefs, puis dans le rapport, ce qui, à leurs yeux, doit conduire à la qualification et à la sanction de pratiques anticoncurrentielles, l'Autorité ayant en charge d'examiner le bien-fondé des éléments ainsi retenus, c'est exactement que la cour d'appel a retenu que les énonciations du rapport, reprises par le moyen, relèvent des hypothèses que les services de l'instruction avaient à examiner, et éventuellement à établir, et ne démontrent pas leur prétendue partialité.
25. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen, pris en ses deuxième, troisième, et quatrième branches
Enoncé du moyen
26.Les sociétés Umicore font grief à l'arrêt, tel que rectifié, de dire qu'il est établi que la société Umicore France, en tant qu'auteure des pratiques, et la société Umicore SA, en sa qualité de société mère de la société Umicore France, ont enfreint les dispositions de l'article 102 du TFUE et celles de l'article L. 420-2 du code de commerce, en liant les centres VM Zinc, l'enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d'achats exclusifs en produits VM Zinc entre 2000 et la fin 2007 et, en conséquence, de leur infliger solidairement une sanction pécuniaire d'un montant de 62 318 900 euros alors :
« 1°/ que le marché pertinent est celui où se confrontent l'offre et la demande de produits ou de services considérés par les demandeurs comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande ; que la substituabilité entre différents biens ou services du point de vue de la demande, qui constitue le critère déterminant pour la délimitation du marché pertinent, s'apprécie en fonction d'un faisceau d'indices tenant compte de la réalité du fonctionnement du marché et pouvant comprendre notamment, les besoins et perceptions des utilisateurs, les caractéristiques spécifiques du produit, son usage, son coût et ses conditions de commercialisation ; qu'en se fondant sur les seules caractéristiques du segment de la rénovation pour considérer que le zinc n'était pas substituable aux autres matériaux, après avoir pourtant admis que seulement 55% de la superficie du zinc posé en couverture l'est sur le segment de la rénovation mais aussi qu'en 2011 le zinc a représenté en France 3,5% des produits de couverture, tous matériaux confondus, et 8,5% des produits de couverture en métal, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
2°/ qu'en considérant qu'il existerait un marché spécifique de la couverture en zinc en raison d'une prétendue "insubstituabilité du zinc par un autre matériau" tout en constatant que le zinc est peu substituable dans le seul secteur de la rénovation ou encore que selon l'Autorité "il n'existe pas de règles générales prescrivant le remplacement à l'identique des couvertures en zinc", ce dont il résultait que le remplacement du zinc par un autre matériau demeurait possible pour de nombreux usages ce qui le rendait substituable dans bon nombre d'hypothèses, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
3°/ qu'en affirmant, pour définir le marché pertinent comme étant celui des EEP en zinc sans distinguer selon les usages du produit, que pour les produits EEP, le zinc est un matériau choisi pour des caractéristiques qui lui sont spécifiques et qui le rendent insubstituable par d'autres matériaux sans qu'aucune de ces spécificités ne justifie de réduire les marchés à un périmètre plus étroit, tout en constatant que le zinc n'était pas substituable à d'autres matériaux pour certains usages seulement, ce qui le rend, en réalité, très souvent substituable, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
27. Ayant relevé que l'espèce ne concerne pas un bien gratuit ou un secteur dans lequel les prix sont régulés et retenu que, dans ce contexte, la mise en oeuvre du test du monopoleur hypothétique n'est pas opérante puis que, concernant le zinc laminé destiné à la couverture, il ne peut être affirmé que le prix soit sans impact, la cour d'appel, qui a mis en oeuvre de multiples indices pour retenir que le marché de référence est le marché du zinc laminé destiné à la couverture, ne s‘est pas fondée sur les seules caractéristiques du segment de la renovation.
28. Après avoir relevé que le zinc est un matériau qualifié de noble, souvent utilisé sur des immeubles de caractère ou relevant du patrimoine ancien ou sur des bâtiments à valeur patrimoniale, et que, s'il n'existe pas de règle générale prescrivant le remplacement à l'identique des couvertures en zinc, il est néanmoins de pratique courante de remplacer le zinc par le zinc, la cour d‘appel a pu retenir que, sur le segment de la rénovation, le zinc est peu substituable par d'autres matériaux.
29. Pour les produits EEP, la cour d'appel, qui a relevé différents indices pour déterminer le marché de référence soit, l'absence de diminution des quantités de produits EEP vendues lors de la forte hausse des prix du zinc en 2006, l'existence d'écarts de prix significatifs entre le zinc et le PVC, qui traduisaient de fortes différences de qualité et de durabilité, des déclarations concordantes de professionnels faisant état d'une substituabilité limitée entre le zinc et d'autres matériaux sur le segment de la rénovation, l'existence de circuits de distribution distincts et celle d'une analyse tarifaire effectuée par rapport aux seuls produits en zinc, a pu en déduire que, pour ces produits EEP, le zinc est un matériau choisi pour des caractéristiques qui lui sont spécifiques et qui le rendent insubstituable par d'autres matériaux, sans qu'il soit justifié de caractériser un marché pertinent réduit à chacune de ces situations propres et diverses.
30. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
31. Les sociétés Umicore font le même grief à l'arrêt, tel que rectifié, alors :
« 1°/ qu'en affirmant que l'Autorité avait pu valablement considérer que la puissance d'achat des distributeurs ne pouvait être qualifiée de compensatrice de la position dominante de la société Umicore en raison d'une très forte préférence des clients des distributeurs en question pour la marque VM Zinc ou encore de la difficulté pour un distributeur de changer rapidement de fournisseur, après avoir constaté que certains distributeurs avaient fait le choix de ne pas référencer les produits VM Zinc et de changer de fournisseur, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
2°/ qu'en se bornant à affirmer, pour dire que l'Autorité avait pu valablement considérer que la puissance d'achat des distributeurs ne pouvait être qualifiée de compensatrice de la position dominante de la société Umicore, qu'il est loin d'être exclu que les clients de distributeurs non référencés ne reporteraient pas leurs achats vers d'autres distributeurs proposant la marque VM Zinc, quand il lui appartenait au contraire de démontrer positivement que les clients étaient attachés à la marque, plus qu'au distributeur, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à démontrer que la puissance avérée des distributeurs ne pouvait pas compenser la position dominante de la société Umicore, a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
32. Après avoir constaté que la part de marché des sociétés Umicore s'élevait à plus de 70% pour les produits de couverture en zinc et se situait entre 64 et 53% pour les produits EEP en zinc, l'arrêt relève que la pression exercée par les clients dans le cadre des négociations annuelles n'a pas empêché que, pour la période considérée, les prix de la société Umicore France soient supérieurs à ceux de ses concurrents. Il relève encore que les cas de rupture des relations commerciales avec certains distributeurs n'ont pas remis en cause la préférence des clients pour la marque VM Zinc et que la faculté du groupe de s'adapter aux critères esthétiques du marché rendait difficile, pour un distributeur, le changement rapide de fournisseur. Il énonce ensuite que le pouvoir de grands distributeurs vis-à-vis de leurs fournisseurs s'exerce plus difficilement lorsque ceux-ci disposent de marques à forte notoriété et retient que la société Umicore France était, au regard de ses parts de marchés ainsi que de sa notoriété, la plus à même d'absorber les conséquences de la perte de certains clients, d'autant que, compte tenu des préférences affichées par les clients des distributeurs, il était loin d'être exclu que ceux-ci ne reporteraient pas leurs achats vers d'autres distributeurs proposant la marque VM Zinc.
33. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d‘appel a pu déduire qu'en dépit du choix de certains distributeurs de ne pas référencer les produits VM Zinc et de la part très importante des trois principaux clients dans l'ensemble des ventes de la société Umicore France, la puissance d'achat de ces derniers ne pouvait être qualifiée de compensatrice de la position dominante de cette société.
34. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
35. Les sociétés Umicore font le même grief à l'arrêt, tel que rectifié, alors :
« 1°/ que pour caractériser l'existence d'un abus de position dominante consistant en des obligations d'achats exclusifs, l'Autorité est tenue, sous le contrôle du juge, non seulement d'analyser l'importance de la position dominante de l'entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d'octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais de manière plus générale l'ensemble des circonstances pertinentes ; qu'il s'ensuit que les mesures prises par une entreprise en position dominante pour inciter ou récompenser les achats exclusifs ou quasi exclusifs de ses clients ne sont pas interdites per se ; qu'en décidant au contraire que le "système de bonification élaboré (par la société Umicore) de façon à inciter à la fidélité et la loyauté ainsi qu'à la mise en avant d'une gamme" était nécessairement abusif de sorte que le retrait de ladite bonification en cas de non-respect de l'exclusivité à laquelle elle était prétendument attachée, devait être assimilé à des représailles ou à une menace de représailles, elles aussi interdites, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
2°/ que pour établir le caractère anticoncurrentiel d'un abus de position dominante consistant en des obligations d'achats exclusifs, le juge de la concurrence est tenu d'examiner l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'analyser la capacité d'éviction de concurrents au moins aussi efficaces, inhérente à la pratique en cause, dans tous les cas où une entreprise soutient, comme en l'espèce, au cours de la procédure administrative que sa politique commerciale n'a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d'éviction reprochés ; qu'en affirmant au contraire que l'Autorité avait pu valablement s'abstenir de procéder à cet examen et à cette analyse, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
3°/ que la capacité d'éviction d'un abus de position dominante ne peut plus être présumée ; qu'en présumant des obstacles auxquels un concurrent aussi efficace se serait trouvé confronté à partir de la situation actuelle sans concurrent aussi efficace, tout en admettant que le test du concurrent aussi efficace consistant à imaginer la situation concurrentielle en présence d'un concurrent hypothétique aussi efficace n'avait pas été réalisé, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
4°/ que pour établir le caractère anticoncurrentiel d'un abus de position dominante et spécialement d'un rabais d'exclusivité, l'Autorité est tenue sous le contrôle du juge, non seulement d'analyser l'importance de la position dominante de l'entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d'octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais aussi de manière plus générale l'ensemble des circonstances pertinentes ; qu'en affirmant, pour considérer que l'Autorité avait pu valablement s'abstenir de procéder à cette analyse, que l'ensemble des concurrents était moins connu et moins réputé que la société Umicore France, fournisseur historique, quand il lui incombait de déterminer si la politique commerciale d'Umicore était capable de produire un effet d'éviction des concurrents au moins aussi efficaces, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;
5°/ qu'en affirmant, pour décider qu'il n'y avait pas lieu en l'espèce de réaliser le test du concurrent aussi efficace, que ce test se justifie lorsque l'instrument de la fidélisation est de nature financière et pourrait être mis en oeuvre, au bénéfice des clients, par un concurrent au moins aussi efficace, après avoir admis (i) que les bonifications consistaient en des remises dont le taux était variable et (ii) qu'Umicore ne refusait pas d'approvisionner les distributeurs non centres VM Zinc mais les approvisionnait à des conditions moins favorables (§6), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 102 du TFUE et L.420-2 du code de commerce ; »
Réponse de la Cour
36. L'arrêt expose que le test du concurrent le plus efficace, qui consiste à estimer le prix qu'un concurrent devrait offrir pour indemniser le client pour la perte du rabais conditionnel, si ce dernier s'adressait à lui plutôt qu'à l'entreprise en position dominante, pour une partie de la demande ou une fraction pertinente de celui-ci, n'est approprié que lorsque l'instrument de la fidélisation est de nature financière. Il relève que les pratiques reprochées ne se bornaient pas à l'application de remises d'exclusivité ou fidélisantes, mais à la mise en oeuvre d'une politique commerciale d'ensemble visant, notamment, à dissuader les distributeurs d'offrir d'autres produits que ceux de la marque VM Zinc, et, lorsqu'ils procédaient à de telles offres, à les empêcher d'en faire la promotion, en vue d'entraver la pénétration sur le marché et le développement de ses concurrents en empêchant, autant que faire se peut, ses clients de s'approvisionner auprès de ces derniers par l'application de diverses clauses contractuelles, de mesures de surveillance et de rétorsion. Il ajoute que cette politique s'appliquait à l'ensemble des produits concernés par les marchés pertinents.
37. L'arrêt retient que les concurrents aussi efficaces, cependant moins connus et moins réputés que la société Umicore France, auraient-ils compensé la perte pour leurs clients des avantages financiers consentis par cette dernière, se seraient heurtés, d'abord, à son insistance pour que ses clients ne distribuassent que ses produits, ensuite, à l'interdiction contractuelle faite à ces clients de promouvoir les produits concurrents de ceux de la marque VM Zinc, enfin, à l'application de la clause obligeant les clients à maintenir un stock, les empêchant de diversifier leurs approvisionnements et en déduit que, pour l'ensemble des concurrents de la société Umicore France, moins connus et réputés qu'elle, fournisseur historique, ces obstacles ne pouvaient qu'être de nature à les évincer du marché, ou tout au moins à les empêcher de s'y développer, y compris les concurrents aussi efficaces en termes de prix.
38. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à une analyse de l'ensemble des circonstances et établi les effets potentiels, sur les concurrents aussi efficaces, de la politique globale de la société Umicore France et ainsi mis en évidence, sans la présumer, sa capacité d'éviction de ces derniers et qui n'avait pas, compte tenu des caractéristiques des pratiques en cause, qu'elle a décrites, à recourir au test du concurrent le plus efficace, a pu statuer comme elle a fait.
39. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne sur les questions soulevées par le moyen, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.
40. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le septième moyen
Enoncé du moyen
41. Les sociétés Umicore font grief à l'arrêt, tel que rectifié, de leur infliger solidairement une sanction pécuniaire d'un montant de 62 318 900 euros, alors :
« 1°/ que pour fixer le montant de la valeur des ventes constituant la base de calcul du montant de la sanction, le juge de la concurrence ne doit pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs de ventes sans lien avec l'infraction ; qu'ainsi il ne peut pas englober les ventes qui ne relèvent pas du champ d'application de la pratique incriminée ; qu'en retenant pour inclure dans la valeur des ventes les ventes aux façonniers et aux distributeurs qui n'ont pas le statut de centre VM Zinc au prétexte que la pratique en cause a renforcé la position dominante de la société Umicore France sur le marché des produits de couverture en zinc et a ainsi nécessairement impacté les ventes de ces produits aux façonniers et aux distributeurs qui n'ont pas le statut de centre VM Zinc bien que les sociétés Umicore n'ont été condamnées que pour avoir abusé de leur position dominante "en liant les centres VM Zinc, l'enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d'achats exclusifs en produits VM Zinc entre 1999 et la fin 2007", ce dont il résulte que les façonniers n'ont jamais été concernés par la pratique en cause, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce et le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;
2°/ qu'il incombe à l'Autorité de délimiter les marchés pertinents et de déterminer la valeur des ventes en relation avec l'infraction pour fixer le montant de la sanction ; qu'en reprochant au contraire aux sociétés Umicore de ne pas démontrer, "ce qui leur appartient de faire, que la valeur des ventes retenue aurait inclus" des ventes sans lien avec l'infraction, "ni quel montant serait concerné", la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles 102 du TFUE, L. 420-2 et L 464-2 du code de commerce ainsi que du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;
3°/ que pour fixer le montant de la valeur des ventes constituant la base de calcul du montant de la sanction, le juge de la concurrence ne doit pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs de ventes sans lien avec l'infraction ; qu'en affirmant "qu'il importe peu que les produits destinés à recouvrir les façades aient été inclus dans la valeur des ventes des produits EEP plutôt que dans celle des produits de couverture dès lors que l'Autorité a établi une moyenne des valeurs des ventes réalisées sur ces deux marchés", quand la décision déférée reconnaît elle-même expressément que les produits de "façades" et "ornements" constituent des « marchés distincts » et que leur chiffre d'affaires doit être exclu de la valeur des ventes et quand il appartient au contraire au juge de la concurrence de déterminer avec une grande précision la valeur des seules ventes en relation avec l'infraction, ce qui exclut nécessairement toute approximation, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce et le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires. »
Réponse de la Cour
42. D'une part, l'arrêt retient que la pratique en cause a renforcé la position dominante de la société Umicore France sur le marché des produits de couverture en zinc. De cette appréciation, la cour d'appel a justement déduit que les ventes de ces produits aux façonniers et aux distributeurs, n'auraient-ils pas eu le statut de centre VM Zinc, entraient dans le champ des ventes en relation avec l'infraction.
43. D'autre part, c'est sans inverser la charge de la preuve que, répondant aux sociétés Umicore qui soutenaient, à propos des marchés pertinents, que l'Autorité avait retenu dans ces marchés des produits qui n'auraient pas dû s'y trouver, la cour d'appel a retenu que les tableaux produits à l'appui de cette contestation ne permettaient pas de constater que des ventes de produits qui ne concerneraient pas les marchés pertinents auraient été, de façon erronée, repris dans le calcul de la moyenne de valeur des ventes entre 1999 et 2007 opéré par l'Autorité.
44. Enfin, le grief de la troisième branche exploite une erreur de plume qui a fait écrire à la cour d'appel « les produits destinés à recouvrir les façades » au lieu des « accessoires et des profilés », pour répondre à la contestation, par les sociétés Umicore, de l'intégration de ces éléments dans la valeur des vente, et qui doit être rectifiée selon ce que la raison commande.
45. Le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° V 18-18.582 ;
REJETTE les pourvois n° P 18-19.933 et n° H 18-18.501 ;
Condamne les sociétés Umicore France et Umicore SA/NV aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Umicore France et Umicore SA/NV et les condamne à payer à la présidente de l'Autorité de concurrence la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux septembre deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi n° H 18-18.501 par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les sociétés Umicore France et Umicore SA/NV
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué rectifié par l'arrêt du 5 juillet 2018 d'avoir rejeté le moyen des sociétés Umicore pris de la prescription quinquennale ;
AUX MOTIFS QUE sur la prescription quinquennale
27.Dans le cadre de leur défense au fond, les sociétés Umicore invoquent l'acquisition de deux types de prescription. La prescription quinquennale, prévue par l'article L. 462-7, alinéa 1er, du code de commerce, qui dispose que l'Autorité de la concurrence ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans (moyen 8) et la prescription décennale énoncée par l'article L. 462-7, alinéa 3, du code de commerce, selon lequel la prescription est acquise lorsqu'un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s'est écoulé, sans que l'Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci (moyen 9) (
).
34.Le principe jurisprudentiel de l'autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil, invoqué en l'espèce par les requérantes, signifie que ce qui a été définitivement jugé par le juge pénal quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auquel le fait est imputé, s'impose au juge civil et a effet à l'égard de tous.
35.Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'invoquent expressément les requérantes, « l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s'attache qu'à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé » ( Voir Com., 3 mai 2006, pourvoi n° 03-14.171, Bull. 2006, IV, n° 105 ; 2ème Civ., 4 juin 2009, pourvoi n° 08-11.163, Bull. 2009, II, n° 140 ; 1ère Civ., 22 octobre 2014, pourvoi n° 13-24.32 ; Com., 8 juin 2017, pourvoi n° 16-11.110 ) et « les décisions de la justice pénale ont au civil autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé » (Voir Com., 9 février 2010, pourvoi n° 09-10.388).
36.Il s'en déduit que pour avoir autorité absolue de la chose jugée, il faut que la décision statue sur une action pénale. Or tel n'est pas le cas en l'espèce où le JLD a statué sur des opérations qui ne sont pas de nature pénale, effectuées à la demande du Ministre chargé de l'économie, lequel n'est pas chargé de poursuites pénales, et dans l'objectif de poursuivre des pratiques anticoncurrentielles, qui ne font pas l'objet d'une incrimination pénale.
37.Au surplus et à titre surabondant, si tant est que la décision du JLD puisse être qualifiée de décision pénale, celui-ci, n'a, en tout état de cause, pas décidé que les pratiques antérieures à 2002 étaient prescrites.
38.En effet, l'ordonnance rendue le 30 octobre 2009 par le JLD de Bobigny (pièce n°6 des sociétés Umicore) indique, après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 462-7, alinéa, 1er du code de commerce, qu'« aucune poursuite ne peut être exercée pour des faits remontant à plus de cinq ans » et « qu'une saisie d'un document de plus de cinq ans concernerait nécessairement la saisie d'un document concernant des faits à les supposer reprochables, prescrits ». Le dispositif énonce ensuite « Ordonnons la restitution des pièces 17 (documents couverts par la prescription) ». Par cette motivation, le JLD a seulement dit que des documents datés de plus de cinq années avant l'ouverture de la procédure concerneraient des faits qui seraient prescrits. Il n'a, ce faisant, pas statué sur la prescription des pratiques, ni sur l'extinction de poursuites qui pourraient être mises en oeuvre, mais seulement ordonné la restitution de pièces qui pourraient concerner des faits prescrits en vertu du principe selon lequel des faits remontant à plus de cinq ans ne peuvent être poursuivis. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Umicore, cette ordonnance n'a pas retenu que « sont prescrits les faits antérieurs au 10 avril 2002 ». Cette phrase qui n'est énoncé que dans l'exposé des moyens des demandeurs, n'a pas été reprise à son compte par le JLD ni dans le dispositif, ni dans les motifs de l'ordonnance.
39.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Umicore, cette solution ne revient pas à priver d'effectivité le recours, qui portait sur la validité des opérations de visite et saisie, exercé par les parties devant le JLD.
40.Il s'en déduit que l'Autorité n'a pas commis d'erreur de droit au regard du principe de l'autorité absolue de la chose jugée en considérant que les pratiques objet des griefs n° 1 et 2 ne seraient pas atteintes par la prescription prévue par l'article L. 462-7, alinéa, 1er du code de commerce.
Elle n'a, par voie de conséquence, pas non plus méconnu les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le principe de légalité, le principe de séparation des pouvoirs, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les articles 2 et 4 de ladite Déclaration consacrant le droit au secret du domicile privé, au secret de la vie privée et au secret des correspondances.
41.En conséquence, c'est par une juste motivation que la cour adopte que l'Autorité a considéré que, dans la mesure où elle n'était pas partie à la procédure devant le JLD et que l'objet de la saisine de ce dernier – la validité des opérations de visites et saisies – n'était pas identique à celui de sa propre saisine – la conformité au droit de la concurrence des pratiques de la société Umicore France –, la décision du JLD n'avait pas à son égard autorité de la chose jugée (décision attaquée, § 410 à 413).
42.Par ailleurs, il est constant que, pour les pratiques à caractère continu, la prescription ne commence à courir qu'à compter de leur cessation. Dès lors, ayant constaté à juste titre, ainsi qu'il sera examiné ci-dessous, que la pratique en cause avait été continue depuis 1999 jusqu'en 2007, l'Autorité a exactement considéré, aux paragraphes 414 et 415 de la décision attaquée, que la prescription quinquennale n'était pas acquise lors de sa saisine le 11 janvier 2011 ;
1°) ALORS QU'en déniant tout caractère pénal à la décision du juge des libertés et de la détention ayant statué sur la validité d'opérations de visites domiciliaires, pour décider que celle-ci n'avait pas autorité de la chose jugée, bien que les recours contre les décisions en cause sont formés, instruits et jugés selon les règles du code de procédure pénale, la cour d'appel a violé les articles L 450-4 et L 462-7 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
2°) ALORS QUE la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles relève de la matière répressive et les sanctions prononcées par l'Autorité de la concurrence qui ont le caractère d'une punition, sont assimilées à des sanctions pénales ; qu'en affirmant que le ministre chargé de l'économie, à la demande duquel les opérations de visite et saisie ont eu lieu « n'est pas chargé de poursuites pénales » mais agit « dans l'objectif de poursuivre des pratiques anticoncurrentielles, qui ne font pas l'objet d'une incrimination pénale », la cour d'appel a violé les articles 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et L 462-7 du code de commerce ;
3°) ALORS QUE lorsque le ministre a prescrit une enquête aux fins de rechercher des pratiques susceptibles d'être relevées dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment et qu'une autorisation de procéder à des visites domiciliaires a été sollicitée et obtenue, l'article L 420-6 du code de commerce punissait déjà le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de pratiques visées aux articles L 420-1 et L 420-2, d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 75.000 euros et prévoyait aussi que les actes interruptifs de la prescription devant le Conseil de la concurrence en application de l'article L 462-7 sont également interruptifs de la prescription de l'action publique ; qu'en affirmant que les pratiques anticoncurrentielles recherchées par le ministre dans le cadre d'opérations de visite et saisie ne font pas l'objet d'une incrimination pénale, la cour d'appel a violé l'article L 420-6 du code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause ;
4°) ALORS QUE pour faire droit à la demande de restitution de 30 documents antérieurs au 10 avril 2002 en raison de la prescription quinquennale, le juge des libertés et de la détention a retenu « qu'aucune poursuite ne peut (
) être exercée pour des faits remontant à plus de 5 ans (et) qu'une saisie d'un document de plus de cinq ans concernerait nécessairement la saisie d'un document concernant des faits, à les supposer reprochables, prescrits » ; qu'en affirmant que le juge des libertés et de la détention a seulement dit que des documents datés de plus de cinq années avant l'ouverture de la procédure concerneraient des faits qui seraient prescrits, (mais n'a pas) statué sur la prescription des pratiques, ni sur l'extinction de poursuites qui pourraient être mises en oeuvre, quand le juge a expressément retenu qu'une partie des faits, à les supposer reprochables, étaient d'ores et déjà prescrits, la cour d'appel a dénaturé l'ordonnance susvisée en violation du principe lui interdisant de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
5°) ALORS QUE les sociétés mises en cause doivent pouvoir bénéficier d'un recours effectif de pleine juridiction leur permettant de contester les ordonnances d'autorisation de visites domiciliaires et le déroulement des opérations de visite et saisie ; qu'un tel recours n'est effectif que si, en cas de constat d'irrégularité d'une opération ayant déjà eu lieu, ce recours fournit à l'intéressé un redressement approprié ; qu'en considérant que la solution consistant à retenir que l'Autorité de la concurrence ne serait pas liée par une décision précédente rendue dans la même affaire en matière de visites domiciliaires ne revient pas à priver d'effectivité le recours, qui portait sur la validité des opérations de visite et saisie, exercé par les parties devant le juge des libertés et de la détention, quand elle prive de tout effet la constatation d'une irrégularité d'une opération de visite et ne permet donc pas aux intéressés d'obtenir un redressement approprié, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
6°) ALORS QU'en considérant, pour écarter la prescription quinquennale, que l'Autorité avait exactement retenu que la décision du juge des libertés et de la détention n'avait pas à son égard autorité de la chose jugée, dans la mesure où elle n'était pas partie à la procédure devant le juge des libertés et de la détention et que l'objet de la saisine de ce dernier – la validité des opérations de visite et saisie – n'était pas identique à celui de sa propre saisine – la conformité au droit de la concurrence des pratiques de la société Umicore France – quand l'Autorité de la concurrence s'est expressément fondée sur le rapport administratif établi par la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes à la suite des opérations de visite et saisie litigieuses pour se saisir d'office, ce dont il résulte que les deux procédures n'étaient pas distinctes et poursuivaient les mêmes objectifs, à savoir démontrer l'existence de pratiques anticoncurrentielles, la cour d'appel a violé l'article L 462-7 du code de commerce ;
7°) ALORS QUE la circonstance qu'une infraction ait été qualifiée de continue ne permet pas de poursuivre des faits déjà prescrits ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L 462-7 du code de commerce et 1355 du code civil.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué rectifié par l'arrêt du 5 juillet 2018 d'avoir rejeté le moyen des sociétés Umicore pris de l'incompétence des services d'instruction pour refuser aux sociétés Umicore l'ouverture d'une procédure d'engagements ;
AUX MOTIFS QUE sur la contestation de la compétence des services d'instruction pour refuser aux sociétés Umicore l'ouverture d'une procédure d'engagements et la discrimination alléguée par celles-ci
56.Les sociétés Umicore demandent l'annulation de la décision attaquée en ce qu'elle a conclu à la compétence des rapporteures pour leur refuser de façon arbitraire l'ouverture d'une procédure d'acceptation d'engagements et en ce qu'elle a rejeté leur demande tendant à l'ouverture d'une telle procédure (moyen 1, branche 1).
57.Elles exposent que la société Umicore France a demandé à plusieurs reprises à l'Autorité de la concurrence (dans leurs lettres des 15 janvier 2013 et 16 décembre 2013, puis dans leurs observations en réponse à la notification de griefs déposées le 23 juin 2015) d'explorer la voie d'un recours à des engagements afin de remédier aux éventuelles préoccupations de concurrence que l'affaire pourrait soulever. Elles indiquent que leurs demandes ont été rejetées oralement par les services d'instruction : une première fois au motif qu'un grief d'entente devait également être retenu, alors que ce grief a cependant été abandonné et n'est pas repris dans la décision attaquée ; une deuxième fois au motif que les griefs à notifier auraient concerné des pratiques trop longues, qui auraient perduré dans le temps (jusqu'au 14 avril 2015 selon le rapport).
58.Elles font valoir que le pouvoir d'exclure la voie des engagements appartient à l'Autorité, et non aux services d'instruction, et que l'Autorité a commis une erreur de droit en écartant leur moyen de nullité fondé sur cette incompétence des services d'instruction. Elles ajoutent que le point 16 du communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence (ci-après le communiqué engagements) est, à cet égard, illégal, car c'est en violation des articles L. 464-2 et R. 464-2 du code de commerce, qu'il confère aux rapporteurs un pouvoir de décision qui n'appartient qu'à l'Autorité, à savoir le collège. Elles précisent que la répartition de compétences entre les services d'instruction et le collège de l'Autorité est fondamentale, car ce n'est pas du tout la même chose pour celui-ci d'avoir à statuer sur une évaluation préliminaire, positive ou négative, des rapporteurs ou sur un dossier d'instruction complet, avec notification des griefs et rapport. En effet, dans ce dernier cas, des moyens humains et du temps ont déjà été investis dans l'instruction et l'ouverture d'une procédure d'engagements à ce stade est complètement illusoire, puisqu'elle n'a plus aucun intérêt pour l'Autorité. Selon elles, la décision attaquée est donc bien entachée d'une illégalité qui s'étend à la régularité de l'ensemble de la procédure.
59.L'Autorité oppose que l'application de la procédure d'engagements est une faculté dont disposent les autorités de concurrence, sans qu'elles soient tenues de satisfaire aux demandes des mis en cause. Elle ajoute que la procédure suivie a été régulière et conforme aux règles procédurales qui la gouvernent.
60.Le Ministre chargé de l'économie expose, en se fondant sur les dispositions de l'article L. 463-2, alinéa 1er, du code de commerce et sur le point 16 du communiqué engagements, qu'il appartient aux seuls services d'instruction, et non au collège de l'Autorité, de se prononcer, au cours de l'instruction, conduite sous la seule direction du rapporteur général, sur l'opportunité de régler l'affaire dont ils sont saisis en passant par la voie contentieuse ou par celle de la procédure d'engagements.
61.Le Ministère public partage cette analyse.
62.L'article L. 464-2 I, alinéa 1er, du code de commerce, dans sa version applicable à l'espèce, dispose :
« L'Autorité de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Elle peut aussi accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-2-1 et L. 420-5 ou contraires aux mesures prises en application de l'article L. 410-3 ».
63.L'article R. 464-2 du code de commerce pris pour l'application de ce texte, énonce : « Lorsque l'Autorité de la concurrence envisage de faire application du I de l'article L. 464-2 relatif à l'acceptation d'engagements proposés par les entreprises, le rapporteur fait connaître aux entreprises ou organismes concernés son évaluation préliminaire des pratiques en cause.
Cette évaluation peut être faite par courrier, par procès-verbal ou, lorsque l'Autorité est saisie d'une demande de mesures conservatoires, par la présentation d'un rapport oral en séance. Une copie de l'évaluation est adressée à l'auteur de la saisine et au commissaire du Gouvernement, sauf lorsqu'elle est présentée oralement lors d'une séance en présence des parties.
Le délai imparti aux entreprises ou organismes pour formaliser leurs engagements à l'issue de l'évaluation préliminaire est fixé, soit par le rapporteur dans le cas où l'évaluation a été faite par courrier ou par procèsverbal, soit par l'Autorité de la concurrence dans le cas où cette évaluation a été présentée oralement en séance. Ce délai ne peut, sauf accord des entreprises ou organismes concernés, être inférieur à un mois.
A réception des engagements proposés par les entreprises ou organismes concernés à l'issue du délai mentionné au deuxième alinéa, le rapporteur général communique leur contenu à l'auteur ou aux auteurs de la saisine ainsi qu'au commissaire du Gouvernement. Il publie également, par tout moyen, un résumé de l'affaire et des engagements pour permettre aux tiers intéressés de présenter leurs observations. Il fixe un délai, qui ne peut être inférieur à un mois à compter de la date de communication ou de publication du contenu des engagements, pour la production des observations des parties, du commissaire du Gouvernement et, le cas échéant, des tiers intéressés. Ces observations sont versées au dossier.
Les parties et le commissaire du Gouvernement sont convoqués à la séance par l'envoi d'une lettre du rapporteur général accompagnée de la proposition d'engagements trois semaines au moins avant le jour de la séance. Ils peuvent présenter des observations orales lors de la séance ».
64.Il ressort du libellé même de l'article R. 464-2 du code de commerce que c'est uniquement si le collège envisage de recourir à la procédure d'engagements que le rapporteur est tenu d'établir une évaluation préliminaire des pratiques, préalable à l'enclenchement de cette procédure.
Dans le cas contraire, le rapporteur n'a aucune obligation de le faire.
65.Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le communiqué de procédure du 2 mars 2009 relatif aux engagements en matière de concurrence, n'est en rien contraire aux dispositions légales et réglementaires précitées.
66.Aux termes du point 16 de ce communiqué, « le rapporteur n'établit pas d'évaluation préliminaire s'il estime nécessaire de notifier des griefs à l'entreprise concernée ou s'il n'est pas en mesure d'identifier des préoccupations de concurrence sans mettre en oeuvre des mesures d'instruction ou d'investigation approfondies ».
67.S'il résulte d'une lecture a contrario de ce point que l'Autorité a prévu la possibilité pour le rapporteur d'établir d'initiative une évaluation préliminaire – éventualité qui ne prive pas le collège du pouvoir de refuser d'enclencher formellement ou non la procédure, cette faculté relevant de son appréciation en opportunité –, rien dans ledit communiqué n'interdit au collège, qui envisagerait d'accepter des engagements proposés par une entreprise, de demander au rapporteur d'établir une telle évaluation, lequel serait alors tenu de le faire, quand bien même il ne serait pas favorable à cette procédure.
68.En l'espèce, les requérantes n'allèguent pas que le collège, qui n'est ni dessaisi ni privé d'accès au dossier pendant la phase d'instruction, aurait envisagé de faire application du I de l'article L. 464-2 relatif à l'acceptation d'engagements proposés par les entreprises.
69.Il s'ensuit que le refus de recourir à la procédure d'engagements découle de la décision négative implicite du collège qui, alors qu'il avait tout loisir de demander aux rapporteures une évaluation préliminaire des pratiques, ne l'a pas fait, la cour rappelant que la décision de recourir ou non à la procédure d'engagements est discrétionnaire et que le collège n'a donc pas à formaliser ni, a fortiori, à motiver sa décision.
70.La cour ajoute, au surplus, qu'il ne saurait être reproché aux rapporteures d'avoir refusé d'établir de leur seule initiative une évaluation préliminaire des pratiques dès lors que, ainsi qu'elles l'ont indiqué aux sociétés Umicore, elles jugeaient inopportun le recours à la procédure d'engagements. Elle souligne, en tant que de besoin, que les motifs ayant justifié ce refus et qui sont, selon les sociétés Umicore, pour le premier refus, la possible notification d'un grief d'entente qui aurait été finalement été abandonné et, pour le second refus, la durée importante de mise en oeuvre des pratiques, sont des motifs objectifs et pertinents de refus d'ouvrir une procédure d'engagements, peu important que le grief d'entente n'ait finalement pas été repris par le collège dans la décision attaquée.
71.Les sociétés Umicore contestent la décision attaquée pour ne pas avoir répondu à leurs arguments fondés sur la méconnaissance de l'obligation d'impartialité et sur le traitement discriminatoire, dont elles auraient fait l'objet par rapport à la décision de l'Autorité n° 10-D-27 du 15 septembre 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre par les sociétés Manufacture française des pneumatiques Michelin et Pneumatiques Kléber. Elles font observer que, dans cette affaire, où les pratiques reprochées étaient « similaires » et mettaient en cause une entreprise, dont à la fois la position dominante et les pratiques abusives avaient été qualifiées à plusieurs reprises par des décisions antérieures, l'Autorité avait néanmoins accepté d'appliquer la procédure d'engagements (moyen 1, branches 2 et 3).
72.Elles font valoir que la société Umicore France et le groupe auquel elle appartient n'avaient, jusqu'à la décision attaquée, jamais fait l'objet d'une condamnation par une autorité de concurrence européenne ou nationale et avaient bénéficié d'une décision de concentration de la Commission de l'Union européenne (ci-après la Commission), dans laquelle cette dernière avait adopté une approche différente de celle des services d'instruction et de l'Autorité sur la question de la définition des marchés pertinents, laquelle aboutissait à une définition plus vaste. Elles estiment qu'en référence à l'affaire Michelin, elles auraient dû bénéficier de la procédure d'engagements.
73.Sur ce point, la cour relève que, si une procédure d'engagements peut être ouverte lorsqu'il est, ou pourrait être, constaté une atteinte actuelle à la concurrence, l'objectif assigné à cette procédure est de mettre fin rapidement à cette atteinte et d'obtenir de l'entreprise en cause des modifications de son comportement pour l'avenir. Dans ce cadre, les services d'instruction et le collège, lorsque la demande lui est adressée, apprécient discrétionnairement l'opportunité d'ouvrir une telle procédure au regard des circonstances juridiques et économiques propres à l'affaire en cause et au contexte économique dans lequel elle s'inscrit. En conséquence, le fait que l'Autorité ait pu, dans d'autres affaires similaires ou semblables, mais dans des contextes différents, accepter la mise en oeuvre de la procédure d'engagements ne démontre pas que les sociétés Umicore, auxquelles elle a été refusée, auraient fait l'objet d'une discrimination.
74.Il convient d'observer à ce sujet que les pratiques concernées par l'affaire Michelin, invoquée par les sociétés Umicore, avaient été de faible durée, puisqu'elles avaient débuté dix-huit mois avant la lettre de prise d'engagements, qu'elles n'avaient concerné que certains distributeurs et n'avaient pas été considérées comme susceptibles de porter une atteinte grave et immédiate à la concurrence dans le cadre de l'examen de la demande de mesures conservatoires ayant accompagnée la saisine (décision de l'Autorité n° 09-D-12 du 18 mars 2009 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Vulco développement et le groupement d'intérêt économique Pneuman à l'égard de pratiques des sociétés Manufacture française des pneumatiques Michelin et pneumatiques Kléber). L'affirmation que la procédure d'engagements aurait été ouverte dans des affaires où le dommage à l'économie était, selon les requérantes, important (moyen 1, branche 4), est dépourvue de fondement. En effet, ainsi que le relève l'Autorité, dans ses observations, sa décision n° 15-D-06 du 21 avril 2015 sur les pratiques mises en oeuvre par les sociétés Booking.com B.V., Booking.com France SAS et Booking.com Customer Service France SAS dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne, n'évoque pas l'ampleur du dommage à l'économie, mais une potentielle atteinte à la concurrence résultant de la pratique, ce qui ne relève pas du même domaine. Par ailleurs, si la décision de l'Autorité n°14-D-09 du 4 septembre 2014 sur les pratiques mises en oeuvre par les sociétés Nestlé, Nestec, Nestlé Nespresso, Nespresso France et Nestlé Entreprises dans le secteur des machines à café expresso, fait état, dans l'extrait cité par les sociétés Umicore, de l'invocation par une société tierce d'un dommage à l'économie, ce dommage à l'économie invoqué n'est pas repris ou confirmé par la décision.
75.Le fait que le marché pertinent ait, par le passé, été défini de façon plus large que ce qu'il a été dans la décision attaquée est sans influence, puisque l'analyse ainsi invoquée était réalisée dans le cadre d'une opération de concentration, opérations pour lesquelles l'examen prospectif est différent de celui relatif aux pratiques anticoncurrentielles, cette différence d'analyse justifiant, à rebours de ce que prétendent les sociétés Umicore, une instruction approfondie. Le fait encore que les sociétés Umicore n'aient jamais jusqu'alors fait l'objet d'une sanction pour des pratiques anticoncurrentielles est lui aussi impuissant à démontrer qu'elles auraient fait l'objet d'un traitement discriminatoire, compte tenu des différences circonstancielles précédemment décrites (moyen 1, branches 1 et 2).
76.Enfin, en exposant, au paragraphe 438 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle a considéré que le refus opposé par les services d'instruction à la demande d'ouverture d'une procédure d'engagements était légitime et justifié, l'Autorité a suffisamment répondu aux moyens par lesquels les sociétés Umicore soutenaient l'existence d'une discrimination qu'elles auraient subies au regard du traitement dont a bénéficié la société Michelin.
77.Il se déduit de l'ensemble de ce qui précède que le moyen par lequel les sociétés Umicore soutiennent l'annulation de la procédure d'instruction est rejeté en chacune de ses branches.
1°) ALORS QUE seul le collège de l'Autorité de la concurrence est compétent pour se prononcer sur une demande de procédure d'engagements présentée par une entreprise mise en cause ; qu'en considérant que l'Autorité de la concurrence avait pu valablement retenir que « le refus opposé par les services d'instruction à la demande d'ouverture d'une procédure d'engagements était légitime et justifié », quand les services d'instruction étaient incompétents pour prendre une telle décision, la cour d'appel a violé les articles L 464-2 I et R 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause.
2°) ALORS QU'en considérant que l'Autorité de la concurrence avait pu valablement retenir que les services d'instruction pouvaient refuser de répondre favorablement à la demande d'ouverture d'une procédure d'engagements d'une entreprise, après avoir pourtant constaté que le collège de l'Autorité, qui envisagerait d'accepter des engagements proposés par une entreprise, peut demander au rapporteur d'établir une évaluation préliminaire et que celui-ci serait tenu de la faire quand bien même ne serait-il pas favorable à cette procédure, ce dont il résulte que les services d'instruction ne sont pas compétents pour refuser d'ouvrir une telle procédure, mais seulement pour procéder à une évaluation préalable, la cour d'appel a derechef violé les articles L 464-2 I et R 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
3°) ALORS QUE si le collège de l'Autorité de la concurrence dispose d'une grande latitude pour statuer favorablement ou non sur une demande de procédure d'engagements, il est néanmoins tenu de répondre de manière expresse et motivée à une demande d'ouverture d'une procédure d'engagements adressée par une partie mise en cause ; qu'en affirmant au contraire que le refus de recourir à la procédure d'engagements découlait en l'espèce d'une décision négative implicite du collège, la cour d'appel a violé les articles L 464-2 I et R 464-2 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause ;
4°) ALORS QU'en affirmant « que le refus de recourir à la procédure d'engagements découle de la décision négative implicite du collège qui, alors qu'il avait tout loisir de demander aux rapporteures une évaluation préliminaire des pratiques, ne l'a pas fait » (§69), quand la décision déférée avait au contraire retenu à tort que « c'est aux services d'instruction de se prononcer, au cours de l'instruction conduite sous la seule direction du rapporteur général, sur la question de savoir s'il convient de mettre en oeuvre la procédure d'engagements prévue aux articles L. 464-2 et R. 464-2 du code de commerce » (§437), la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué rectifié par l'arrêt du 5 juillet 2018 d'avoir rejeté le moyen des sociétés Umicore pris de la violation par les services d'instruction ainsi que par l'Autorité des obligations d'objectivité, d'impartialité et de loyauté leur incombant ;
AUX MOTIFS QUE D) Sur la violation par les services d'instruction et par l'Autorité des obligations d'objectivité, d'impartialité et de loyauté leur incombant
81.Les sociétés Umicore font valoir que les motifs qui soutiennent la décision attaquée ainsi que l'enquête qui l'a précédée font apparaître un préjugé de leur culpabilité, attentatoire à leurs droits de la défense et à leur droit à un procès équitable (moyen 3, branche 1). Elles ajoutent que le principe de l'égalité des armes, principe inhérent à la notion de procès équitable, n'a pas été respecté (moyen 3, branche 2).
1. Sur le préjugé de culpabilité allégué
82.Les sociétés Umicore soutiennent que le préjugé de culpabilité des services d'instruction ressort de plusieurs éléments qu'elles ont détaillés dans leurs observations en réponse au rapport et qu'elles énoncent à nouveau comme étant les suivants :
«- le constat d'une position dominante dans le chef de la société Umicore France avant même que ne soit défini le marché sur lequel cette prétendue dominance trouverait à s'exercer (et même avant toute évaluation préliminaire et avant instruction) ;
- des questions formulées de façon manifestement orientée aux professionnels du secteur ;
- l'écartement systématique des réponses et données non conformes aux préjugés des services d'instruction ;
- une interprétation tronquée d'autres données du dossier ;
- une intransigeance injustifiée dans le traitement procédural d'Umicore, et - la position selon laquelle les services d'instruction n'auraient en toute hypothèse pas égard aux éléments permettant à la société Umicore de renverser la présomption d'influence déterminante d'une maison mère (Umicore) sur sa filiale (Umicore France) ».
83.Cependant, elles n'apportent devant la cour d'appel aucun élément permettant d'étayer leurs accusations selon lesquelles, d'une part, les questions aux professionnels du secteur auraient été, de façon déloyale, « formulées de façon manifestement orientée », d'autre part, les réponses et données « non conformes aux préjugés des services d'instruction » auraient été systématiquement écartées, enfin, les données du dossier auraient fait l'objet « d'une interprétation tronquée » ou d'un traitement procédural injustifié.
84.L'ensemble de ces accusations repose, en effet, sur une divergence d'interprétation d'éléments de preuve ou d'analyse des données du dossier, qui relèvent de l'appréciation des questions de fond qui seront traitées dans le cadre des moyens de légalité interne ci-dessous. Il en va de même de la question de la présomption d'influence déterminante de la société mère Umicore sur sa filiale Umicore France qui, elle, n'est pas contestée au fond.
85.En outre, le fait que les services d'instruction aient pu envisager que la société Umicore France puisse se trouver en position dominante, avant même d'avoir circonscrit le marché pertinent, relève des hypothèses qu'ils avaient à examiner et éventuellement à établir, et ne démontre pas leur prétendue partialité. Il en va de même des motifs pour lesquels ils ont justifié leur refus d'ouverture d'une procédure d'engagements en s'appuyant sur des éléments de leur propre analyse du dossier.
86.Enfin, il ne peut être reproché aux rapporteurs d'avoir retenu les éléments « à charge » des entreprises et écarté les éléments que celles-ci invoquaient à leur décharge, dès lors qu'ils ont pour fonction d'instruire et de décrire dans la notification de griefs, puis dans le rapport, ce qui à leurs yeux doit conduire à la qualification et à la sanction de pratiques anticoncurrentielles, l'Autorité ayant en charge d'examiner le bien-fondé des éléments ainsi retenus. À ce titre, seule la déloyauté dans l'interprétation ou la présentation des pièces, ou encore dans la façon d'interroger les personnes en cause ou les tiers, peut conduire à constater une atteinte aux droits de la défense des parties, ce qui n'est en l'espèce nullement démontré.
87.C'est ainsi à juste titre que le collège de l'Autorité a écarté les critiques développées précédemment au motif que celles-ci portaient, sous couvert d'une prétendue déloyauté, sur des questions de fond.
88.À ce sujet, la cour relève que les sociétés Umicore soutiennent, au point 92 de leurs conclusions récapitulatives, que, à l'instar de la notification de griefs et du rapport, la décision attaquée inverse les stades du raisonnement, ce qu'elles ont signalé à plusieurs reprises dans le contexte d'une instruction effectuée sur la base d'un préjugé de culpabilité du groupe Umicore. Elles n'apportent, toutefois, aucun élément qui permettrait de comprendre en quoi les stades du raisonnement auraient été inversés dans l'analyse de l'Autorité et en quoi cette inversion, qui ne ressort pas de la décision attaquée, aurait été de nature à porter atteinte à l'objectivité de l'Autorité ou à nuire à leur défense.
89.Enfin, pour les raisons précédemment exposées, aucune déloyauté ne saurait résider dans la prétendue contradiction qui pourrait résulter entre l'analyse du marché pertinent par l'Autorité et la justification du rejet de la pertinence du sondage présenté par les sociétés Umicore, cette contradiction, quand bien même existerait-elle, ne démontrerait pas, à elle seule, la partialité de l'Autorité, mais seulement, éventuellement, une erreur d'appréciation. Il en va de même des désaccords relevés par les sociétés Umicore sur les éléments d'analyse du fond de l'affaire énumérés dans les notes de bas de page 65 et 67 de leurs dernières conclusions qui ne concernent que l'interprétation du sens ou de la portée des documents.
ALORS QUE les garanties du procès équitable s'appliquent dès la phase de l'instruction lorsque leur inobservation initiale risque de compromettre gravement le caractère équitable du procès ; que l'exigence d'impartialité s'impose aux services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ; qu'en considérant que les services d'instruction n'avaient pas préjugé de la culpabilité des sociétés Umicore quand il ressort du point 115 du rapport qu'en janvier 2003, quatorze mois avant la clôture de l'instruction, les services d'instruction considéraient déjà que « les pratiques en cause ont été mises en oeuvre à partir de 1999 et sont toujours en cours aujourd'hui et sont, par ailleurs, constitutives d'abus de position dominante ayant causé un dommage à l'économie important », ce qui constitue une affirmation péremptoire et prématurée de culpabilité laissant peser un doute sur l'impartialité des services d'instruction à tout le moins de janvier 2003 à mars 2004, la cour d'appel a violé les articles 6 §3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne.
QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué rectifié par l'arrêt du 5 juillet 2018 d'avoir dit qu'il est établi que la société Umicore France, en tant qu'auteure des pratiques, et la société Umicore SA, en sa qualité de société mère de la société Umicore France, ont enfreint les dispositions de l'article L 420-2 du code de commerce et celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en liant les centres VM Zinc, l'enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d'achats exclusifs en produits VM Zinc entre 2000 et la fin 2007 et d'avoir, en conséquence, infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA, une sanction pécuniaire d'un montant de 62.318.900 euros ;
AUX MOTIFS QUE sur les marchés de produits pertinents (
) sur la mise en oeuvre du monopoleur hypothétique pour la définition des deux marchés (
),
125.Les sociétés Umicore reprochent encore à l'Autorité d'avoir écarté le caractère probant du sondage qu'elles ont fait réaliser par l'institut I+C et qu'elles avaient produit (décision attaquée, § 505) au motif que la question du prix n'était pas posée aux personnes interrogées, motif qui serait inopérant compte tenu du caractère inapproprié du critère du prix.
126.Ce reproche est dépourvu de fondement. Il constitue une dénaturation de la décision attaquée, dont le paragraphe 505 relève seulement que les résultats de ce sondage apparaissent en contradiction avec les comportements observés au moment de la hausse du prix des produits de couverture en zinc. Par ailleurs, le fait que 76 % des architectes interrogés pour ce sondage aient déclaré ne jamais utiliser de zinc ne permet pas, contrairement à ce que font valoir les requérantes, de conclure à la substituabilité de ce matériau. En effet, ainsi qu'il sera précisé ci-dessous, le zinc est utilisé dans des situations particulières et il n'est pas démontré que les architectes interrogés aient été concernés par ces situations.
127.Il s'ensuit que l'Autorité n'a pas commis d'erreur d'appréciation ni entaché sa décision de contradiction interne en relevant, dans le cadre de son analyse des marchés pertinents, que la demande de matériau en zinc pour les produits de couverture et d'évacuation des eaux de pluie était peu sensible aux prix et que ce constat constituait un indice de l'existence de marchés pertinents de ces produits.
128. Les moyens contestant cette analyse sont en conséquence rejetés.
AUX MOTIFS ENCORE QUE 2. Sur l'examen de la non-substituabilité au regard des données de nature qualitative a) S'agissant des produits destinés à la couverture
129.Il ressort de la décision attaquée que, selon les estimations des sociétés Umicore, en 2011, le zinc a représenté en France 3,5 % des produits de couverture, tous matériaux confondus, et 8,5 % des produits de couverture en métal, lesquels représentent un peu plus de 40 % des matériaux de couverture (décision attaquée, § 508). Ces données chiffrées ne sont pas contestées.
130.Il s'en déduit que, concernant les matériaux utilisés pour la couverture des bâtiments, d'autres matériaux que le zinc sont utilisés.
131.Dans la situation de l'espèce, où le critère du prix n'est à lui seul pas suffisamment déterminant pour permettre de considérer qu'il existe un marché du zinc pour les produits de couverture, la question de la substituabilité de ce matériau au regard de tous ceux qui peuvent être utilisés pour la couverture des bâtiments, conduit à s'interroger sur le point de savoir si, lorsque le zinc est choisi, il l'est pour des raisons rendant ce choix incontournable ou difficilement modifiable, que celles-ci relèvent des caractéristiques propres de ce matériau ou soient extérieures.
132.En l'espèce, l'Autorité a relevé, au paragraphe 483 de la décision attaquée, que, sur le segment de la rénovation, qui représente 55 % de la superficie du zinc posé en couverture, soit une part substantielle, celui-ci est peu substituable par les autres matériaux pour des raisons à la fois techniques et liées aux règles d'urbanisme. Elle précise à ce titre que le zinc est un matériau qualifié de noble, souvent utilisé sur des immeubles de caractère ou relevant du patrimoine ancien ou sur des bâtiments à valeur patrimoniale. Elle ajoute que, s'il n'existe pas de règles générales prescrivant le remplacement à l'identique des couvertures en zinc, il est néanmoins de pratique courante de remplacer le zinc par du zinc.
133.Les sociétés Umicore soutiennent qu'il est inexact de soutenir que, sur le segment de la rénovation tout comme sur celui des constructions neuves, le zinc serait peu substituable par les autres matériaux pour des raisons liées aux règles d'urbanisme.
134.Elles font valoir que la décision attaquée établit une confusion entre la rénovation et la préservation du patrimoine, laquelle ne représente qu'une fraction infime du chiffre d'affaires de la société Umicore France. Elles contestent le postulat selon lequel le zinc ne pourrait, dans tous les cas, être remplacé que par du zinc, qui n'est étayé par aucun élément. De même un tel postulat ne trouverait, selon elles, pas à s'appliquer pour le neuf ou la rénovation à proprement parler.
135.Ce moyen n'est pas fondé. En effet, l'affirmation selon laquelle, dans le secteur de la rénovation, il est de pratique courante que le zinc soit remplacé par le zinc est étayée par de nombreuses déclarations d'opérateurs de divers corps de métiers, architectes ou dirigeants de sociétés de couverture, citées aux paragraphes 489 à 498 de la décision attaquée, dont la crédibilité n'est pas contestée et auxquelles la cour renvoie. Cette affirmation s'explique, en outre, par les réglementations d'urbanisme et par le fait que ce matériau est utilisé pour des immeubles de caractère, souvent présents dans les centres villes où l'existence d'un patrimoine historique protégé, ou la recherche d'une certaine unité, impliquent des exigences particulières des services municipaux. À ce sujet, l'Autorité a relevé de manière pertinente, au paragraphe 484 de la décision attaquée, que, pour ce type d'immeubles, les travaux entraînant une modification de l'aspect extérieur de la toiture requièrent une déclaration préalable et que, sans être explicitement prescrite par les règles applicables, l'utilisation dans la rénovation des matériaux précédemment mis en oeuvre, comme le zinc, permet d'éviter tout obstacle tel qu'une décision défavorable des services municipaux, ce qu'établissent suffisamment les déclarations précédemment évoquées.
136.Sur ce point, les sociétés Umicore ne démontrent pas que l'Autorité aurait confondu les activités de rénovation avec la préservation du patrimoine, qui, si elle est mentionnée, ne l'est que comme l'une des préoccupations conduisant, en matière de rénovation, à préférer utiliser le matériau d'origine. Par ailleurs, rien dans les développements de la décision attaquée ne permet de constater que l'Autorité n'aurait pas considéré l'activité de rénovation comme « le remplacement intégral d'une toiture » ou aurait confondu cette activité avec la simple réparation. Le fait que, dans le cadre de la rénovation, et ainsi qu'en témoigne un chef d'entreprise dont l'attestation est produite dans les conclusions des sociétés Umicore, « [t]ous les types de matériaux sont envisageables à ce stade », n'est pas exclusif du constat selon lequel, de façon générale, le matériau de remplacement est identique au matériau d'origine.
137.S'agissant des bâtiments neufs, l'Autorité a relevé, au paragraphe 486 de la décision attaquée, sans que ce point soit contesté, que les plans locaux d'urbanisme comportent souvent un article spécifique édictant les règles d'insertion de la construction dans le bâti environnant, conduisant à ce que les toitures soient d'un type similaire à celui qui est utilisé dans le secteur où la construction nouvelle est appelée à s'insérer.
138.À ce sujet, le fait, invoqué par les sociétés Umicore, que, selon l'étude de l'institut I+C qu'elles ont produit, les installateurs interrogés n'ont mentionné une absence d'alternative au zinc que dans 10 % des cas, pour le neuf, et dans 5 % des cas, pour la rénovation, n'est pas probant.
139.En effet, cette étude est le résultat d'une enquête réalisée par contacts téléphoniques auprès de 100 architectes et 100 installateurs (entreprises de couverture et entreprises générales) intervenant principalement dans le secteur des maisons individuelles, et non dans ceux pour lesquels le zinc est principalement utilisé, c'est-à-dire celui des immeubles collectifs des grandes villes. De plus, les trois quarts des architectes interrogés ont indiqué ne jamais prescrire de zinc. Cette base insuffisamment représentative ne permet donc pas de considérer cette étude comme un élément fiable.
140.En outre, la question de la substituabilité est, ainsi que l'a relevé l'Autorité au paragraphe 505 de la décision attaquée, posée de façon insuffisamment précise aux personnes interrogées pour que les réponses puissent être exploitées. Non parce qu'elle ne se référerait pas à d'éventuelles hausses de prix, comme l'a relevé à tort l'Autorité dans la décision attaquée, mais parce que, ainsi qu'il a été retenu précédemment, de nombreux autres matériaux sont utilisés en matière de couverture des bâtiments, et que ce n'est qu'au regard d'un certain nombre de considérations et de situations précises que le choix de ce matériau ne peut être remplacé par un autre. Or la question sur la substituabilité posée de manière générale, sans référence à ces situations, conduit à des réponses nécessairement générales, sans qu'il soit possible de discerner si la personne interrogée a pris en compte les situations spécifiques qui ont conduit au choix du zinc par rapport à d'autres matériaux.
141.Les sociétés Umicore opposent encore à ce titre que, s'agissant de la préservation du patrimoine, la décision attaquée ignore l'existence de nombreux matériaux esthétiquement comparables au zinc et ne répond pas aux arguments soulevés par elles dans leurs observations en réponse au rapport.
142.Cependant, ainsi qu'il a été dit précédemment, la préservation du patrimoine n'est qu'une des raisons parmi d'autres considérations qui conduit au constat de l'insubstituabilité du zinc par un autre matériau ; de plus, les requérantes n'apportent aucune démonstration de l'existence de ces matériaux prétendument substituables au zinc, qu'elles ne citent d'ailleurs pas. Enfin, l'Autorité ayant suffisamment motivé sa décision en fait et en droit sur ce point, elle n'était pas tenue de répondre à la totalité des arguments développés par les parties.
143.La cour relève au surplus que les allégations énoncées dans les documents commerciaux de certains fournisseurs d'acier, de PVC, d'aluminium ou de polyisobutylène, selon lesquels leurs produits seraient semblables au zinc, ou auraient l'aspect de celui-ci, cités par les sociétés Umicore au point 242 de leurs observations en réponse au rapport, ne sont pas de nature à contredire les indications émanant des professionnels utilisateurs de zinc et reprises dans la décision attaquée.
144.Les requérantes invoquent aussi un certain nombre de pièces qui démontreraient, selon elles, que, sans leur travail important de démarchage des architectes, le zinc ne serait plus utilisé comme produit du bâtiment en France. Cependant, les pièces citées ne rapportent pas la preuve de cette affirmation.
145.En effet, le rapport de l'institut I+C (pièce Umicore n° 41) ne peut, ainsi qu'il a déjà été expliqué, être retenu comme un élément probant. La liste des chantiers de couverture en zinc perdus au profit d'autres matériaux entre 2009 et 2010 (pièce Umicore n° 34), qui, au demeurant, ne concerne pas la période des pratiques, lesquelles, pour mémoire, ont pris fin en 2007, comporte pour de nombreux cas signalés, la mention « Autre zinc », ce dont il se déduit que, si les sociétés Umicore n'ont pas été attributaires de ces marchés, du zinc a néanmoins été utilisé. L'étude de juin 2015, intitulée « Observatoire de la construction neuve – Le marché de la couverture dans la construction en 2014 » (pièce Umicore n° 44), qui ne concerne pas, elle non plus, la période des pratiques, est-elle aussi insuffisamment précise dans la mesure où rien ne permet de constater quel a été le périmètre de l'enquête réalisée. Les deux documents, intitulés « Quelques exemples de chantiers perdus au profit d'autres matériaux que le zinc » et « Quelques exemples de chantiers en zinc gagnés au détriment d'autres matériaux en 2014 » (pièces Umicore n° 56 et 57), qui, comme leurs titres l'indiquent, ne concernent que quelques exemples et ne portent pas sur la période des pratiques, sont aux aussi insuffisamment complets et précis pour contredire utilement les éléments précédemment retenus.
146.Les sociétés Umicore opposent encore qu'aucune raison technique n'imposerait le choix du zinc. Cette affirmation est cependant démentie par deux attestations, reprises au paragraphe 489 de la décision attaquée, selon lesquelles la pratique du remplacement du zinc par du zinc « répond à une raison technique et architecturale. Le changement de matériau nécessite des études particulières avec en pratique des travaux additionnels au niveau de la charpente (...) ». Cette indication, émanant d'un responsable d'une société de couverture, est confirmée par un professionnel de l'Union nationale des chambres syndicales de couverture et de plomberie de France (décision attaquée, § 498). La cour relève que les sociétés Umicore n'apportent aucun élément qui permettrait de démontrer le caractère erroné des indications ainsi reprises.
147.Les sociétés Umicore contestent, par ailleurs, la pertinence des réponses apportées, aux paragraphes 503 et 504 de la décision attaquée, à un certain nombre de leurs moyens. Elles font valoir à ce titre qu'elles ont apporté des éléments démontrant que les producteurs de matériaux concurrents offrent des produits esthétiquement comparables et que la décision attaquée méconnaît le fonctionnement du marché en matière de rénovation tel qu'elles le décrivent dans leurs propres conclusions.
148.C'est cependant à juste titre que l'Autorité a considéré que les prétentions publicitaires mises en avant par des fabricants sur leurs sites Internet étaient à elles seules impropres à démontrer que les produits présentés par ces sites sont substituables au zinc, ces mentions publicitaires ne permettant pas d'apprécier la réalité et l'ampleur de la substituabilité ainsi invoquée. Par ailleurs, si l'affirmation selon laquelle « les feuilles d'acier galvanisé n'ont pas de comparaison avec le zinc », n'est, comme les requérantes le relèvent, pas davantage étayée, elle est toutefois confortée par plusieurs déclarations qui seront reprises ci-dessous (voir § 161). De même, l'appréciation de l'acier comme étant un produit « bas de gamme » est confortée par d'autres déclarations, notamment, celle du délégué régional Nord-Pas-de-Calais de l'association des architectes du Patrimoine, selon lequel « Il s'agit de deux mondes différents. Le zinc est connoté qualité à la différence du bac acier qui lui est un matériau économique » (décision attaquée, § 547), ou celles du directeur de la société Pliage moderne du Nord, pour qui « [l]es bâtiments collectifs et habitation sont du ressort des produits en zinc plus esthétiques que les bacs en acier » (décision attaquée, § 549). La cour relève que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la présentation, par certains fabricants sur leurs sites Internet, de l'acier comme étant, de façon générale, substituable au zinc, sans autre précision, ne permet pas de contredire utilement les déclarations reprises par l'Autorité dans la décision attaquée démontrant que sur le segment de la rénovation des toitures en zinc, ce matériau n'est, dans les faits, pas substituable par un autre.
149.Les sociétés Umicore contestent le bien-fondé de l'analyse de l'Autorité selon laquelle « les caractéristiques intrinsèques des produits de couverture en zinc les rendent peu substituables » (décision attaquée, § 508 à 582).
150.Elles font valoir qu'elles s'interrogent sur la pertinence de cette analyse au regard des indications des lignes directrices de l'Autorité relatives au contrôle des concentrations, qui mettent l'accent sur la fonction des produits. Elles indiquent qu'en ne se plaçant pas du point de vue de l'architecte, qui pourtant choisit le matériau, l'Autorité commet une erreur d'appréciation et que l'on ne peut déduire l'existence d'un marché pertinent de prétendues caractéristiques intrinsèques différentes de chacun des produits puisque, dans ce cas, chacun des produits représenterait à lui seul un marché. Elles ajoutent qu'il ressort de la pratique de la Commission que la fonction du produit est un critère plus important que le matériau dont il est composé, lorsqu'il s'agit de lui trouver des substituts pour définir le marché pertinent.
151.Toutefois, si la fonction des produits constitue certainement un élément important dans le cadre de la recherche du marché pertinent, il n'en demeure pas moins que leurs caractéristiques intrinsèques sont elles aussi des indices utiles à l'analyse, dans la mesure où elles peuvent permettre de déceler ce qui conduit les demandeurs à sélectionner, dans l'éventail des offres, tel produit plutôt que tel autre et de vérifier si des raisons objectives permettent de constater la non-substituabilité des produits entre eux. En l'espèce, l'Autorité s'est bien référée, dans une première étape de son analyse, à la fonction des produits en cause, puisqu'elle a examiné les secteurs des produits de couverture des bâtiments, d'une part, des produits EEP, d'autre part. C'est dans une seconde étape de son analyse qu'elle a examiné les caractéristiques intrinsèques des produits, après avoir étudié d'autres éléments, comme le test dit du monopoleur hypothétique (décision attaquée, § 466 à 472) et les témoignages attestant de l'absence de substituabilité entre le zinc et d'autres matériaux pour une part très substantielle de la demande (décision attaquée, § 483 à 507). Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, l'Autorité n'a pas déduit l'existence d'un marché pertinent des caractéristiques intrinsèques des produits, mais a intégré les conclusions qu'elle pouvait tirer de l'examen de ces caractéristiques à l'ensemble des indices.
152.Les sociétés Umicore contestent les constatations tirées par l'Autorité, au paragraphe 563 de la décision attaquée, d'un rapport MSI de 2004, faisant valoir, d'une part, que ce rapport n'était pas destiné à définir un marché pertinent au regard du droit de la concurrence, d'autre part, que la présentation faite par l'Autorité témoigne d'une méconnaissance totale du marché.
153.Elles indiquent que le « concept de matériaux en feuilles métalliques »
ne veut rien dire dans le contexte d'une définition du marché de la couverture et expliquent à ce sujet qu'aucune feuille n'est jamais placée en couverture sous son aspect feuille, mais comme un produit intermédiaire qui sera transformé avant d'être utilisé. En effet ces feuilles sont transformées en bac soit en usine (acier, aluminium, inox) ou sur le site (plomb, zinc, cuivre).
154.Elles font valoir que, sachant que les feuilles d'acier représentent de loin la majeure partie des matériaux de couverture métalliques, l'Autorité a commis une erreur manifeste d'appréciation en omettant d'inclure l'acier en tant que matériau en feuilles métalliques et en laissant ouverte la question de l'inclusion des produits de couverture en feuilles métalliques dans le marché de la couverture. Elles estiment que la décision attaquée n'est pas motivée à suffisance de droit lorsque l'Autorité y considère que cela ne changerait rien à l'analyse.
155.Enfin, elles contestent l'interprétation faite par l'Autorité des notes de M. Q..., directeur général de la société Larivière, et soutiennent que ces notes traitent des tonnages de zinc de cuivre et d'inox dans le bâtiment en France et n'affirment pas que le zinc représenterait plus de 85 % des surfaces de couverture.
156.L'étude MSI a été produite par la société Savoie Métal Toiture, lorsqu'elle a été interrogée par les rapporteures. Elle date de 2004 et porte sur le « marché français des matériaux de couvertures de toit », dont elle étudie la situation entre 2000 et 2004 et ses possibilités d'évolution. Elle précise qu'elle présente le marché français des matériaux de couvertures de toit installés lors de la construction neuve ou de l'entretien-rénovation de logements et de bâtiments non résidentiels.
157.La cour observe que l'objectivité de cette étude, qui reprend les indications des professionnels du secteur, n'est pas contestée. Il était loisible à l'Autorité de la retenir comme élément de preuve dans sa recherche du marché pertinent, sans qu'importe que tel n'ait pas été son objectif.
158.Selon cette étude, sur le segment de la couverture métallique, « on distingue les matériaux non-ferreux, [le zinc, le cuivre, le plomb] de l'acier car leurs propriétés sont très différentes ». Selon cette même étude, en 2004, l'acier devait représenter 79 % du marché de la couverture métallique, le zinc devant représenter « 13 % du total [...] contre 6 % pour les couvertures en aluminium. Les couvertures en cuivre compteront pour les 2 % restant » (annexe 255, cote 15 346). Le tableau n° 52 de ladite étude, auquel se réfèrent les sociétés Umicore, permet de constater que, sur les cinq années de 2000 à 2004, l'acier a représenté entre 23 % et 20 % des ventes de couvertures métalliques, tandis que le zinc a représenté un peu plus de 3 % et l'aluminium, le cuivre et le plomb environ 1,5 % pour le premier, 0,3 % pour le deuxième et 0,1 % pour le dernier.
159.Il se déduit de l'ensemble de ces indications que, si l'on examine les matériaux utilisés pour les couvertures métalliques en distinguant les matériaux ferreux (l'acier) des non-ferreux (le zinc, l'aluminium, le cuivre, le plomb), qui, pour les professionnels, n'ont pas les mêmes propriétés et ne répondent donc pas aux mêmes attentes, c'est à juste titre et sans erreur d'appréciation que l'Autorité a relevé que « parmi les matériaux utilisés pour la couverture en feuilles métalliques (le zinc, l'aluminium, le cuivre, le plomb)
le zinc représente plus de 85 % des surfaces ». Comme le relève à juste titre l'Autorité au paragraphe 510 de la décision attaquée, ces indications sont de surcroît confirmées par les notes manuscrites prises par le directeur général de la société Larivière lors d'une réunion avec le directeur commercial de la société Umicore France, sans que les circonstances dans lesquelles ces notes ont été prises et invoquées par les sociétés requérantes ne permettent de remettre en doute la concordance des informations qui en résultent.
160.C'est par ailleurs en vain que les sociétés Umicore soutiennent que l'Autorité aurait commis une erreur d'appréciation en comparant, pour l'exclure, l'acier avec des produits se trouvant à des stades de transformation différents, alors que, dans tous les cas, tous les grands éléments de couverture métalliques sont des feuilles ayant été profilées pour être transformées en bac de couverture avant leur pose.
161.En effet, la différence entre le zinc et l'acier résultant d'une part, de la taille de la couverture à réaliser, d'autre part, de la technique de pose, a été signalée par de nombreuses personnes, dont les déclarations sont reprises par la décision attaquée. Ainsi, selon un ingénieur du Centre scientifique et technique du bâtiment (le CSTB), « Le zinc fait partie de la couverture en feuilles métalliques, alors que le bac acier fait partie de la couverture en grands éléments. La couverture en feuilles métalliques est posée sur un support continu en raison de son absence de rigidité. Rien qu'en considération de ce critère de rigidité, les feuilles métalliques constituent un marché spécifique par rapport aux autres matériaux. Le choix de la technique va être fonction du prix global de la couverture, de l'esthétisme et des règles d'urbanisme. La couverture en zinc nécessite un support absorbant la condensation (volige en bois), ainsi qu'une ventilation de ce support. Ces deux critères correspondent aux couvertures en feuilles métalliques. (...). ([Annexe 105], cote 6998, soulignement ajouté) » (décision attaquée, § 541). Cette affirmation est confortée par plusieurs déclarations selon lesquelles les bacs en acier sont principalement utilisés pour les bâtiments industriels dont les surfaces à couvrir sont plus vastes (décision attaquée, § 544,545, 546, 547, 554), ce matériau permet une longueur de pose plus importante que le zinc (décision attaquée, § 545, 556, 557), le savoir-faire de mise en oeuvre est totalement différent entre les deux matériaux (décision attaquée, § 547) et, enfin, l'acier est deux fois moins onéreux (décision attaquée, § 546, 547) et sa durée de vie moins longue que celle du zinc (décision attaquée, § 545).
162.L'ensemble de ces éléments montrent que le zinc correspond à des usages différents de l'acier et répond une demande spécifique pour laquelle l'acier n'est pas substituable à ce matériau, et que c'est donc à juste titre que l'Autorité a considéré qu'ils ne se trouvaient pas dans le même marché pertinent.
ET AUX MOTIFS ENFIN QUE b) concernant les produits EEP
163.Les sociétés Umicore critiquent la décision attaquée en ce que l'Autorité a estimé que les accessoires et profilés étaient compris dans le marché des produits EEP. Elles font valoir que la motivation de la décision attaquée sur ce point est contradictoire, qu'elle constitue une erreur manifeste de raisonnement et que l'Autorité n'ayant pas analysé les accessoires et profilés, elle a manqué à l'obligation de motivation de sa décision.
164.Toutefois, l'Autorité a précisé, au paragraphe 588 de la décision attaquée, que les produits EEP « sont des produits servant à l'évacuation des eaux de toitures : gouttières, chéneaux, tuyaux de descentes et divers accessoires façonnés en zinc faisant partie des systèmes d'évacuation des eaux pluviales (descentes, moignons, talons, crochets, joints de dilatation, bagues, manchons, cuvettes, etc.) » (soulignement ajouté par la cour). Elle a donc, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Umicore, détaillé ce qu'étaient les produits accessoires et suffisamment motivé sa décision sur ce point. Par ailleurs, rien dans cette liste ne permet de considérer que l'Autorité aurait compris dans les accessoires des produits qui ne seraient pas liés aux systèmes d'évacuation des eaux pluviales, ou qui n'en feraient pas partie en tant qu'accessoires, comme les chatières, les faîtages, les bandes de rive ou les solins. La cour observe, à ce sujet, que le paragraphe 373 de la notification de griefs, auquel les sociétés requérantes renvoient en se référant à leurs observations en réponse au rapport, indique que « [l]es produits destinés à recouvrir les façades (ou « bardage »), dans la mesure où ils mettent en jeu des quantités marginales de zinc, ne feront pas l'objet d'une définition de marché spécifique et seront pris en compte parmi les produits en zinc laminé destinés à la couverture ». Rien ne permet de constater que ces produits auraient, en tout cas au stade de la définition des marchés, été inclus dans le marché des produits EEP. La question de leur éventuelle intégration dans le montant de base de la sanction sera, si cela est nécessaire, examinée dans la partie du présent arrêt consacrée au calcul de la sanction. Les critiques formulées par les sociétés Umicore ne sont en conséquence pas fondées.
165.Enfin, il convient de relever que l'analyse de la substituabilité à laquelle l'Autorité a procédé et qui fait l'objet des moyens que la cour examinera dans les développements qui suivent, concerne bien les éléments de système EEP, notamment, lorsqu'ils sont évoqués par les déclarations reprises dans la décision attaquée, et non d'autres éléments qui ne concerneraient pas ces systèmes. Il s'en déduit que le moyen qui critique la prise en compte au titre des systèmes EEP d'éléments qui n'en seraient pas les accessoires, est en tout état de cause inopérant.
166.L'Autorité a fondé son constat de l'existence d'un marché pertinent des produits EEP en zinc sur la réunion de cinq indices. Le premier est l'absence de diminution des quantités de produits EEP vendues lors de la forte hausse des prix du zinc en 2006 (décision attaquée, § 592 et suivants), le deuxième consiste dans l'existence d'écarts de prix significatifs entre le zinc et le PVC, qui traduisent de fortes différences de qualité et de durabilité (décision attaquée, § 597 et suivants), le troisième repose sur la réunion de plusieurs déclarations concordantes de professionnels faisant état d'une substituabilité limitée entre le zinc et d'autres matériaux sur le segment de la rénovation (décision attaquée, § 607 et suivants), le quatrième réside dans l'existence de circuits de distribution distincts (décision attaquée, § 624 et suivants), et le dernier relève du constat de l'existence d'une analyse tarifaire effectuée par rapport aux seuls produits en zinc (décision attaquée, § 632).
167.Le fait qu'il existe, en matière de système EEP, des produits en cuivre, en aluminium, en acier galvanisé, en acier galvanisé laqué, en acier inoxydable et en PVC n'implique pas que ceux-ci soient substituables au sens du droit des pratiques anticoncurrentielles.
168.Par ailleurs, et ainsi qu'il a été précisé précédemment, il n'y a pas lieu d'écarter les constatations relatives à l'évolution des prix dans l'analyse des marchés des produits en zinc, puisque, si la demande est d'une sensibilité relative à ce paramètre, elle ne peut cependant en être totalement détachée. La cour adopte l'analyse de l'Autorité sur ces points et renvoie en tant que de besoin aux paragraphes 592 à 606 de la décision attaquée, qui ne sont pas autrement critiqués par les requérantes.
169.Les sociétés Umicore opposent l'insuffisante force probante des déclarations retenues par l'Autorité. Elles exposent que celle-ci a indiqué, au paragraphe 607 de la décision attaquée, que « certaines déclarations » confirment que le marché des produits EEP n'est pas limité au zinc, ce qui était aussi la conclusion du rapport administratif d'enquête de la DGCCRF.
Elles soutiennent que plusieurs déclarations indiquent qu'il conviendrait de regarder le type de bâtiment concerné et que, si ce constat était exact, ce qu'il n'est pas, il aurait dû conduire à une délimitation plus étroite du marché pertinent. Elles ajoutent que l'Autorité a repris des déclarations sans tenir compte, d'une part, de ce que l'une d'entre elles ferait une distinction entre le neuf et la rénovation, d'autre part, de ce qu'une autre préciserait que l'on peut respecter les formes avec des matériaux différents du zinc. Elles contestent l'affirmation selon laquelle le chéneau devrait nécessairement être en zinc.
170.Les déclarations reprises dans la décision attaquée (§ 609 à 623) montrent que, pour les produits EEP, comme pour les produits de couverture des bâtiments, un choix entre plusieurs matériaux s'offre aux professionnels et que plusieurs critères entrent dans la détermination de ces choix, parmi lesquels on retrouve la nature des bâtiments (maisons individuelles, immeubles de logements collectifs, locaux industriels), mais aussi leur caractère neuf ou ancien, ou la nature des travaux (construction ou rénovation). À l'instar de ce qui a été relevé précédemment pour les produits de couverture, il résulte des déclarations que le zinc est considéré par les professionnels comme étant un matériau de qualité et correspondant à certaines exigences esthétiques (décision attaquée, § 610, 611, 616), lequel est fréquemment utilisé pour remplacer du zinc (décision attaquée, § 613), mais aussi qu'il est mieux adapté aux bâtiments qui ne sont pas standardisés et pour lesquels il est nécessaire d'adapter la forme de l'élément à la géométrie de la construction à laquelle il s'intègre (décision attaquée, § 613, 614, 615) et de mettre en oeuvre un savoir-faire particulier (décision attaquée, § 626 et 627).
171.Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, pour les produits EEP, le zinc est un matériau choisi pour des caractéristiques qui lui sont spécifiques et qui le rendent insubstituable par d'autres matériaux.
172.Il est sans portée que des produits EEP existent en d'autres matériaux que le zinc, dès lors que celui-ci est choisi pour ses propriétés propres et des usages spécifiques pour lesquels les professionnels estiment qu'il n'est pas substituable par d'autres. Il est tout autant dépourvu de conséquence que le rapport administratif d'enquête de la DGCCRF ait conclu différemment, l'Autorité n'étant nullement tenue par cette appréciation. Enfin, le fait que, s'agissant de bâtiments neufs, d'autres matériaux soient préférés au zinc n'est pas contradictoire avec le constat que, pour un certain nombre d'usages, le zinc est le seul matériau utilisé et qu'il n'est pas substituable par un autre.
173.Par ailleurs, si les déclarations citées dans la décision attaquée exposent que le zinc correspond à certains types d'immeubles ou de travaux, il en résulte qu'il dispose, pour ces situations variées, un caractère insubstituable qui conduit à considérer qu'il existe bien un marché des produits EEP en zinc, sans qu'il soit justifié de caractériser un marché pertinent réduit à chacune de ces situations propres et diverses. S'agissant des chéneaux, les sociétés Umicore n'apportent aucun élément qui permettrait de contredire utilement les déclarations selon lesquelles « [l]es chéneaux sont à 95 % en zinc [...] » ou « les chéneaux sont obligatoirement en zinc [...] » ou encore celle selon laquelle « le chéneau doit toujours être façonné en zinc car il faut tenir compte de la quantité d'eau à évacuer » (décision attaquée, § 621, 622, 623).
174.Sur ce point, les sociétés Umicore renvoient, dans leurs dernières conclusions, à un document issu d'un site internet intitulé « goutière.comprendrechoisir.com », produit en annexe de leurs observations en réponse au rapport, qui indique, au sujet du chéneau : « dans les constructions anciennes, il était en pierre, en terre-cuite ou en bois recouvert de plomb. Aujourd'hui le chéneau est disponible dans le même matériau que les gouttières PVC, zinc, cuivre ou aluminium ». Toutefois, si ce document démontre qu'il peut exister des chéneaux en d'autre matériau que le zinc, il n'infirme pas le constat d'une préférence exprimée par les professionnels dans les déclarations rappelées ci-dessus.
175.De plus, contrairement à ce que soutiennent les sociétés Umicore, le fait, non contesté par elles, que les produits EEP en zinc soient distribués par des circuits différents de ceux en PVC, contribue à montrer que ces produits ne s'adressent pas à la même clientèle, et constitue un indice complémentaire du caractère spécifique du zinc pour ces produits.
176.De la même façon, les documents internes montrant que les sociétés Umicore procédaient à une veille concurrentielle au regard des seuls produits concurrents en zinc, et non de ceux réalisés en d'autres matériaux, ajouté aux autres indices précédemment examinés, contribuent à démontrer l'existence d'un marché pertinent des produits EEP en zinc. Le fait, invoqué par les sociétés requérantes, que ces documents n'avaient pas été préparés dans une perspective de définition des marchés, s'il doit conduire à ne pas se référer à eux seuls pour circonscrire le marché, n'empêche toutefois pas que les constats qui en résultent puissent être utilisés dans un faisceau d'indices.
177.Les sociétés Umicore font encore valoir que l'Autorité n'a pas pris en compte le fait que le groupe Umicore consacre une partie importante de ses ressources à démarcher les architectes en vue de faire la promotion des produits en zinc et de les convaincre de leurs avantages par rapport aux produits concurrents. Elles exposent qu'aucune entreprise n'effectuerait de telles dépenses pour assurer une demande qu'elle sait captive. Elles renvoient aussi à la liste qu'elles ont produite de projets (neufs ou en rénovation) que la société Umicore France a perdus sur la période de 2009 à 2013, au profit d'autres matériaux que le zinc.
178.Cependant, il résulte des éléments du dossier relatifs au travail de prescription développé auprès des architectes et maîtres d'oeuvre par la société Umicore France (cf. notamment, annexe 187, cote 11954, ou annexe 196, cote 20311 et s.) que le travail de démarchage du groupe vise à renforcer et appuyer la notoriété de la marque VM Zinc afin qu'elle soit mentionnée dans les cahiers des clauses techniques particulières (CC TP).
Si ces efforts contribuent, dans un même mouvement, à promouvoir le zinc, il ne peut en être déduit que, sans ces investissements, les produits en zinc qui correspondent à des usages spécifiques auraient vocation à disparaître.
179.S'agissant des listes produites par les sociétés Umicore énumérant les marchés de couverture qu'elle qualifie de « perdus » entre 2009 et 2013, la cour relève que, outre qu'elles concernent une période postérieure à celle des pratiques, en l'absence d'informations sur les caractéristiques de ces chantiers permettant de vérifier s'ils correspondaient aux situations dans lesquelles le zinc est difficilement remplaçable par un autre matériau, c'est à juste titre que l'Autorité a considéré que ces listes ne démontraient pas la substituabilité soutenue par les sociétés Umicore. Le fait que, sur un certain nombre de ces marchés, un autre produit que le zinc ait été choisi, bien que la société Umicore France ait été « active pour la fourniture de zinc », ne permet pas, à lui seul et faute des informations précitées, de contredire l'ensemble des éléments précédemment relevés.
180.Ainsi, contrairement à ce que prétendent les sociétés Umicore, ce n'est pas le seul épisode de forte hausse des prix du zinc en 2006, mais l'ensemble des indices retenus par l'Autorité qui démontrent qu'il existe, compte tenu des caractéristiques du zinc propres à satisfaire une demande spécifique, un marché des produits de couverture en zinc et un marché des produits EEP en zinc, sans qu'aucune de ces spécificités ne justifie de réduire les marchés à un périmètre plus étroit.
181.Les moyens des sociétés Umicore sur l'ensemble des points qui précèdent sont en conséquence rejetés.
1°) ALORS QU'en affirmant que le moyen des sociétés Umicore reprochant à l'Autorité de la concurrence d'avoir écarté le caractère probant du sondage qu'elles ont fait réaliser par l'institut I+C et qu'elles avaient produit (décision attaquée, § 505) au motif que la question du prix n'était pas posée aux personnes interrogées, motif qui serait inopérant compte tenu du caractère inapproprié du critère du prix, reposerait sur une dénaturation de la décision déférée « dont le paragraphe 505 relève seulement que les résultats de ce sondage apparaissent en contradiction avec les comportements observés au moment de la hausse du prix des produits de couverture en zinc », quand la décision déférée indiquait aussi que « ce sondage ne permet pas de rendre compte du degré de substituabilité entre matériaux tel qu'on l'entend en droit de la concurrence puisque la question posée (« Dans le cadre de vos réalisations/chantiers, pensez-vous que le zinc est substituable dans ses applications d'évacuation des eaux pluviales ? ») repose sur une acception erronée de la notion de « substituabilité », appréhendée dans l'absolu, sans référence à un prix de départ et à une hausse des prix déterminée », la cour d'appel a violé le principe lui interdisant de dénaturer l'écrit qui lui est soumis et sur lequel elle s'est fondée ;
2°) ALORS QUE le marché pertinent est celui où se confrontent l'offre et la demande de produits ou de services considérés par les demandeurs comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande ; que la substituabilité entre différents biens ou services du point de vue de la demande, qui constitue le critère déterminant pour la délimitation du marché pertinent, s'apprécie en fonction d'un faisceau d'indices tenant compte de la réalité du fonctionnement du marché et pouvant comprendre notamment, les besoins et perceptions des utilisateurs, les caractéristiques spécifiques du produit, son usage, son coût et ses conditions de commercialisation ; qu'en se fondant sur les seules caractéristiques du segment de la rénovation pour considérer que le zinc n'était pas substituable aux autres matériaux, après avoir pourtant admis que seulement 55% de la superficie du zinc posé en couverture l'est sur le segment de la rénovation mais aussi qu'en 2011 le zinc a représenté en France 3,5% des produits de couverture, tous matériaux confondus, et 8,5% des produits de couverture en métal , la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du code de commerce ;
3°) ALORS QU'en considérant qu'il existerait un marché spécifique de la couverture en zinc en raison d'une prétendue « insubstituabilité du zinc par un autre matériau » tout en constatant que le zinc est peu substituable dans le seul secteur de la rénovation ou encore que selon l'Autorité « il n'existe pas de règles générales prescrivant le remplacement à l'identique des couvertures en zinc », ce dont il résultait que le remplacement du zinc par un autre matériau demeurait possible pour de nombreux usages ce qui le rendait substituable dans bon nombre d'hypothèses, la cour d'appel a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du code de commerce ;
4°) ALORS QU'en affirmant, pour définir le marché pertinent comme étant celui des EEP en zinc sans distinguer selon les usages du produit, que pour les produits EEP, le zinc est un matériau choisi pour des caractéristiques qui lui sont spécifiques et qui le rendent insubstituable par d'autres matériaux sans qu'aucune de ces spécificités ne justifie de réduire les marchés à un périmètre plus étroit, tout en constatant que le zinc n'était pas substituable à d'autres matériaux pour certains usages seulement, ce qui le rend, en réalité, très souvent substituable, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du code de commerce.
CINQUIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué rectifié par l'arrêt du 5 juillet 2018 d'avoir dit qu'il est établi que la société Umicore France, en tant qu'auteure des pratiques, et la société Umicore SA, en sa qualité de société mère de la société Umicore France, ont enfreint les dispositions de l'article L 420-2 du code de commerce et celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en liant les centres VM Zinc, l'enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d'achats exclusifs en produits VM Zinc entre 2000 et la fin 2007 et d'avoir, en conséquence, infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA, une sanction pécuniaire d'un montant de 62.318.900 euros ;
AUX MOTIFS QUE sur la position dominante
194.Les sociétés Umicore reprochent à l'Autorité d'avoir commis une erreur manifeste d'appréciation (moyen 7, branche 1) et entaché sa décision d'un défaut de motivation (moyen 7, branche 2) en décidant que la société Umicore France se trouvait en position dominante, sans tenir compte de la puissance d'achat compensatrice de ses clients et sans examiner les éléments factuels qu'elles avaient produits pour démontrer cette circonstance de fait.
195.Elles rappellent que dans sa communication 2009/C 045/02 intitulée « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes », publiée au Journal officiel de l'Union européenne du 24 février 2009 (C 45, p. 7), la Commission précise que la puissance d'achat des clients d'une entreprise doit être prise en compte afin de déterminer l'existence d'une position dominante, et ce même en présence d'une part de marché prétendument élevée (point 18), principe que l'Autorité met elle-même en oeuvre.
196.Elles précisent que les deux principaux clients de la société Umicore France, les groupes Saint-Gobain et SIG, représenteraient à eux seuls environ 50 % du chiffre d'affaires de l'activité zinc bâtiment en France sur l'intégralité de la période 1999-2007, et que cette puissance d'achat des groupes de distributeurs est par ailleurs expressément admise par les distributeurs eux-mêmes.
197.Elles ajoutent que les « contrats européens » témoignent de la puissance d'achat de ces distributeurs. Ainsi, ces contrats ne constitueraient nullement une rémunération pour « monomarquisme », mais seraient des contrats imposés par les grands groupes afin d'augmenter leur marge. Selon elles, la société Umicore France n'avait d'autre choix que de les accepter si elle voulait demeurer un fournisseur pouvant livrer à ces groupes.
198.Elles exposent que l'appréciation de l'Autorité méconnaît la réalité du marché et font valoir, d'une part, que la société Umicore France a fait l'objet de menaces de déréférencement, ainsi que l'illustre une lettre de la société Yvon du 15 janvier 2007, d'autre part, que la décision attaquée passe sous silence la faible part de ses produits dans le chiffre d'affaires de ses fournisseurs. Elles indiquent avoir fourni de très nombreux éléments démontrant que les distributeurs (centres VM Zinc et autres) vendent et présentent côte à côte des produits de couverture et des produits EEP de différents types de matériaux métalliques et non métalliques. Elles soutiennent que la société Umicore France se trouve ainsi à la merci de ses plus gros clients, et ce d'autant plus que le secteur est caractérisé par des coûts fixes élevés nécessitant un taux d'activité élevé pour atteindre un niveau de rentabilité satisfaisant.
199.L'Autorité, le Ministre chargé de l'économie et le Ministère public concluent au rejet du moyen.
200.Ainsi que le rappelle l'Autorité aux paragraphes 649 et suivants de la décision attaquée, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la Cour de justice ou la CJUE), la position dominante visée par l'article 102 du TFUE s'entend d'une situation de puissance économique qui donne à l'entreprise concernée le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui permettant de se comporter, dans une certaine mesure, de manière indépendante vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement des consommateurs (CJUE, arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission., 85/76, point 38, et du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C-457/10 P, point 175). La preuve de la position détenue par une entreprise sur un marché s'apprécie au moyen d'un faisceau d'indices (décision attaquée, § 650), parmi lesquels les parts de marché constituent un paramètre essentiel (décision attaquée, § 651), la Cour de justice ayant précisé sur ce point, sans que cette jurisprudence ait été à ce jour modifiée, que « des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante. Tel est le cas d'une part de marché de 50 % comme celle constatée en l'espèce » (CJUE, arrêt du 3 juillet 1991, Akzo/Commission, C-62/86, point 60 ; voir également, TUE, arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission,T-321/05, point 288).
201.En l'espèce, l'Autorité a tenu compte de l'importance des parts de marché au cours de la période de mise en oeuvre des pratiques sur les deux marchés concernés (produits de couverture en zinc et produits EEP). Sur le marché des produits de couverture en zinc, ces parts ont été supérieures à 70 %, en incluant la part de marché de la société de droit péruvien Ieqsa, acquise par le groupe Umicore en 2003, et plus de trois fois supérieures aux parts de marché de son concurrent le plus puissant, la société Rheinzink, aucun des autres intervenants ne dépassant 8 % de parts de marché (décision attaquée, § 658). De même, sur le marché des produits EEP, ces parts ont été comprises, sur la période concernée par les pratiques, entre 64, pour le début, à 53 %, à la fin, soit trois fois plus que celles de la société Rheinzink (décision attaquée, § 661).
202.L'Autorité a complété cet indice par quatre autres. En premier lieu, la forte notoriété de la société Umicore France, acteur historique sur le marché français et déployant un important travail de promotion auprès des clients (décision attaquée, § 666), en deuxième lieu, la reconnaissance au sein de son personnel de sa position dominante, établie par un courrier électronique de son directeur commercial (décision attaquée, § 669), en troisième lieu, le constat que, sur les deux marchés, l'ensemble de la profession se fonde sur les prix des produits Umicore pour établir sa tarification (décision attaquée, § 670), en quatrième lieu, le fait que la société Umicore France soit parvenue à maintenir, sur l'ensemble de la période concernée par les pratiques, des parts de marché élevées, tout en pratiquant des prix de 5 à 15 % supérieurs à ceux de ses concurrents sur le marché français (décision attaquée, § 671).
203.Enfin, l'Autorité a examiné la puissance d'achat des clients de la société Umicore France, invoquée par les requérantes. Elle a estimé que, bien que la part très importante de ces clients dans l'ensemble des ventes (les trois principaux représentant à eux seuls 72 % en 2012 et les deux premiers – groupes Point P et Larivière – 57 % en 2013), cette puissance d'achat ne pouvait être qualifiée de compensatrice. Elle a fondé cette appréciation sur la très forte préférence des clients des distributeurs en question pour la marque VM Zinc et la faculté du groupe de s'adapter aux critères esthétiques du marché français, dont elle a déduit qu'il était difficile pour un distributeur de changer rapidement de fournisseur (décision attaquée, § 675).
204.Ainsi qu'il ressort de cette motivation, que la cour adopte, l'Autorité n'a pas négligé la puissance d'achat des clients de la société Umicore France, ni refusé d'examiner les moyens et les pièces afférentes des parties.
205.Il convient encore de rappeler que le pouvoir de grands distributeurs vis-à-vis de leurs fournisseurs s'exerce plus difficilement lorsque ceux-ci disposent de marques à forte notoriété.
206.En l'espèce, le fait que les groupes, principaux clients de la société Umicore France, exercent davantage de pression dans le cadre des négociations annuelles avec cette société est, comme l'indiquent les requérantes, une démonstration de leur puissance d'achat. Cette pression n'a toutefois pas empêché que, sur la période considérée, les prix pratiqués par la société Umicore France ont été de 5 à 15 % supérieurs à ceux de ses concurrents sur le marché français, ce qui conduit à conforter l'analyse selon laquelle cette puissance d'achat n'est pas compensatrice de la position dominante. À ce sujet, il convient d'observer que l'ancien directeur des achats de la société Larivière a déclaré, lors de l'enquête, « avec Umicore il n'y a pas de discussion possible. Le prix de vente du fournisseur est fonction du LME et les bonifications de fin d'année sont décidées unilatéralement par Umicore » (annexe 145, cote 5984) [la cour précise que l'acronyme LME signifie « London metal exchange » et qu'il est défini au paragraphe 07 de la décision attaquée]. S'agissant des contrats européens, qui, selon les sociétés requérantes, sont imposés par les grands groupes, la cour relève que ces contrats, décrits aux paragraphes 176 et suivants de la décision attaquée et conclus à partir de juillet 2008, soit après la cessation des pratiques, comportent des clauses très avantageuses pour la société Umicore France, incitatives pour le groupe Point P-Saint Gobain à la référencer préférentiellement. En outre, les sociétés Umicore n'apportent aucun élément qui permettrait à la cour de constater que les clauses de ces contrats ne seraient pas conformes à leurs intérêts ni, comme elles le prétendent, qu'elles n'auraient pas pu les négocier.
207.Au surplus, la lettre du directeur commercial de la société Yvon adressée à la société Umicore le 15 janvier 2007, indiquant « Nous vous confirmons notre décision de ne plus travailler avec la société Umicore (...) », est motivée par le fait que celle-ci « n'est pas référencée GEDIMAT » et que la société Yvon a « opté pour un fournisseur référencé ». Cette rupture de relations commerciales pour un motif qui n'a aucun lien avec la pratique tarifaire ou contractuelle de la société Umicore France, ne témoigne pas, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, de la menace de déréférencement qui pèserait sur la société Umicore France et ne démontre pas la puissance d'achat compensatrice de ses clients. De même, les deux lettres des 19 septembre 2012 et 3 avril 2013 produites par les requérantes (pièces 32 et 33) par lesquelles le directeur commercial de la société Umicore France prend acte de la décision de la société Larivière d'arrêter la distribution de la marque VM Zinc dans trois, puis quatorze points de vente, sont postérieures aux pratiques et ne peuvent témoigner d'une puissance particulière de cette société à l'égard de la société Umicore France à la période concernée par la décision attaquée. De plus, le fait que la société Larivière, qui, selon le graphique figurant au paragraphe 60 de la décision attaquée, regroupait quatre-vingt-neuf « centres VM Zinc cible », ait souhaité arrêter la distribution de la marque VM Zinc pour dix-sept d'entre eux ne rapporte pas la preuve d'une soumission de la société Umicore France à la menace de déréférencement de ses distributeurs, d'autant que cette enseigne ne regroupe que 20 % des ventes de la société Umicore en 2012 (Voir décision attaquée, § 65).
208.C'est en vain que les requérantes soutiennent que, réalisant leurs chiffres d'affaires, lesquels sont de surcroît très importants, avec d'autres produits que ceux de la société Umicore France, les quatre plus gros distributeurs clients de cette société ne seraient pas substantiellement dépendants d'elle. En effet, le caractère compensateur de la puissance de marché des clients de l'entreprise en position dominante ne dépend nullement d'une telle condition. Il n'est, de surcroît, pas contesté qu'il existe sur les marchés pertinents une forte préférence des clients des distributeurs pour la marque VM Zinc, ce qui a pour conséquence que la capacité à changer rapidement de fournisseur pour un distributeur apparaît très limitée (décision attaquée, § 675). À ce sujet, le fait que certains distributeurs vendent et présentent, côte à côte, des produits de couverture et des produits EEP de différents types de matériaux métalliques et non métalliques, qui, ainsi qu'il a été relevé précédemment, ne se trouvent pas en concurrence avec les produits en zinc, n'est pas de nature à rapporter la preuve contraire à la position dominante de la société Umicore France, telle qu'elle a été établie. En outre, cette préférence marquée des clients distingue la situation de la société Umicore France, en France, de celle de la société Rheinzink, en Allemagne, et justifie que l'Autorité ait, en l'espèce, procédé à une analyse différente de celle suivie par l'Autorité de concurrence allemande dans la décision du 28 janvier 1998, dite Rheinzink I.
209.Enfin, le fait que le secteur soit caractérisé par des coûts fixes élevés nécessitant un taux d'activité élevé pour atteindre un niveau de rentabilité satisfaisant, n'est lui non plus pas suffisant pour remettre en cause la position dominante de la société Umicore France, opérateur historique en France. Cette société est en effet, au regard de ses parts de marchés, ainsi que de sa notoriété, la plus à même d'absorber les pertes que peuvent causer la perte de certains clients, d'autant que, compte tenu des préférences affichées par les clients des distributeurs, il est loin d'être exclu que ceux-ci ne reporteraient pas leurs achats vers d'autres distributeurs proposant la marque VM Zinc.
210.Il se déduit de ce qui précède que le moyen des sociétés Umicore contestant l'existence d'une position dominante est rejeté.
1°) ALORS QU'en affirmant que l'Autorité de la concurrence avait pu valablement considérer que la puissance d'achat des distributeurs ne pouvait être qualifiée de compensatrice de la position dominante de la société Umicore en raison d'une très forte préférence des clients des distributeurs en question pour la marque VM Zinc ou encore de la difficulté pour un distributeur de changer rapidement de fournisseur, après avoir constaté que certains distributeurs avait fait le choix de ne pas référencer les produits VM Zinc et de changer de fournisseur, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du code de commerce ;
2°) ALORS QU'en se bornant à affirmer, pour dire que l'Autorité de la concurrence avait pu valablement considérer que la puissance d'achat des distributeurs ne pouvait être qualifiée de compensatrice de la position dominante de la société Umicore, qu'il est loin d'être exclu que les clients de distributeurs non référencés ne reporteraient pas leurs achats vers d'autres distributeurs proposant la marque VM Zinc, quand il lui appartenait au contraire de démontrer positivement que les clients étaient attachés à la marque, plus qu'au distributeur, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à démontrer que la puissance avérée des distributeurs ne pouvait pas compenser la position dominante de la société Umicore, a privé sa décision de base légale au regard des articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du code de commerce.
SIXIÈME MOYEN DE CASSATION (sur l'abus)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué rectifié par l'arrêt du 5 juillet 2018 d'avoir dit qu'il est établi que la société Umicore France, en tant qu'auteure des pratiques, et la société Umicore SA, en sa qualité de société mère de la société Umicore France, ont enfreint les dispositions de l'article L 420-2 du code de commerce et celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en liant les centres VM Zinc, l'enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d'achats exclusifs en produits VM Zinc entre 2000 et la fin 2007 et d'avoir, en conséquence, infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA, une sanction pécuniaire d'un montant de 62.318.900 euros ;
AUX MOTIFS QUE sur l'abus
211.À titre liminaire, la cour relève qu'en dehors des moyens relatifs à la prescription (moyens 8 et 9), qui ont été précédemment rejetés, les sociétés Umicore ne contestent pas la décision attaquée en ce qu'elle a qualifié d'abus de position dominante les pratiques mises en oeuvre pendant la période écoulée entre 1999 et fin 2003.
212.La cour adopte, sur ce point, les motifs de la décision attaquée par lesquels l'Autorité a conclu qu'il est établi d'une part que, de 1999 à 2004, la société Umicore France a imposé à tous les centres VM Zinc, y compris ceux appartenant aux enseignes Point P, Asturienne et Larivière, une obligation d'achat exclusif fondée sur des stipulations contractuelles explicites (décision attaquée, § 693) et, d'autre part, que plusieurs documents internes datés de 2002 montraient que cette fidélisation participait de la politique commerciale d'Umicore consistant à poursuivre une stratégie tendant à « repousser la deuxième marque » (décision attaquée, § 694).
1. Sur l'application du contrat VM Zinc entre 2004 et 2007 (moyen 10, branche 1)
213.Concernant la période de 2004 à 2007, l'Autorité a constaté que la suppression, à partir de 2004, de la clause expresse d'achat exclusif dans les contrats avait été suivie de la mise en oeuvre d'une politique commerciale tendant à une exclusivité de fait. Elle a, à ce titre, relevé que de nouvelles stipulations avaient été introduites permettant d'inciter dans les faits à l'exclusivité, telle la clause interdisant d'utiliser la marque VM Zinc ou les produits et services comme vecteur de vente pour des produits de marques concurrentes, la clause de stock correspondant à un mois de vente, et l'instauration d'un système de bonification élaboré de façon à inciter à la fidélité et la loyauté ainsi qu'à la mise en avant d'une gamme spécifique de produits (décision attaquée, § 697 à 700).
214.Elle a également constaté qu'en mai 2004, la société Umicore France avait conclu avec la société Asturienne une « Charte de partenariat Umicore/Asturienne » (ci-après, la charte de partenariat) qui prévoyait que les agences Asturienne agréées VM Zinc devaient assurer « exclusivement la promotion de la gamme Umicore » et qui indiquait ensuite que « 5 dépôts, Villeneuve d'Ascq, Saint-Malo, Saint-Denis, Libourne, Toulouse distribueront une marque concurrente », ces dépôts se voyant simultanément interdire de faire « la double cotation (offre VM ZINC et offre concurrente pour une même affaire ou un même client) » (annexe 27, cote 1491) (décision attaquée, § 701).
215.Enfin l'Autorité a relevé qu'à partir de 2005, la société Larivière, alors que ses centres s'approvisionnaient pour plus de 95 % de leurs besoins auprès de la société Umicore France, avait obtenu de celle-ci une bonification supplémentaire intitulée « Bonification de fin d'année développement » (ci-après la BFAD), s'ajoutant à une première bonification intitulée, jusqu'en 2007, « Bonification de Fin d'Année Établissement », puis renommée, à partir de 2007, « Bonification Qualitative Semestrielle Agence » (ci-après la BFAE). La BFAD a été versée hors contrat au début et a été officialisée en 2009 (décision attaquée, § 702 et s.). Elle a, ensuite, constaté la concomitance de l'octroi de cette nouvelle prime avec le choix de la société Larivière de déréférencer les produits de la société Rheinzink (décision attaquée, § 851 et constat au § 184).
216.L'Autorité a ensuite précisé que les éléments du dossier montraient que la société Umicore France interprétait toujours ces dispositions comme le fondement d'une obligation d'exclusivité (décision attaquée, § 704 à 715), et qu'il en était de même pour les centres VM Zinc, en particulier les centres des enseignes Asturienne et Larivière (décision attaquée, § 716 à 756).
217.Enfin, elle a détaillé les éléments de fait démontrant l'application d'une politique commerciale incitant à l'exclusivité, fondée, notamment, sur un système de surveillance et de représailles applicable de façon générale aux centres VM Zinc au travers, d'une part, de l'application des clauses de promotion, de stock, de prévision unilatérale d'achat (décision attaquée, § 757 à 815), d'autre part, de l'application de mesures de représailles consistant à réduire voire à supprimer la bonification des distributeurs VM Zinc ayant distribué du zinc concurrent, mais aussi dans certains cas, à retirer le statut de centres VM Zinc (décision attaquée, § 816 à 836) (
).
a) Sur l'absence de clause contractuelle empêchant les centres VM Zinc de s'approvisionner auprès de concurrents (
)
225.Ainsi que l'a jugé le Tribunal de l'Union européenne (ci-après le Tribunal de l'Union ou le TUE) dans son arrêt du 9 septembre 2010, Tomra Systems e.a./Commission T-155/06, point 59), « il n'est pas nécessaire que les pratiques d'une entreprise en position dominante lient les acheteurs par une obligation formelle pour établir qu'elles constituent une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 82 CE [devenu l'article 102 du TFUE]. Il suffit que ces pratiques comportent une incitation, vis-àvis des clients, à ne pas passer par des fournisseurs concurrents et à s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise ».
226.En l'espèce, l'exposé du cadre contractuel applicable aux centres VM Zinc à partir de 2004, tel qu'il est rappelé par l'Autorité aux paragraphes 697 à 700 de la décision attaquée, permet de constater que, ainsi que le soutiennent les sociétés Umicore, le contrat liant la société Umicore France aux centres VM Zinc ne contenait plus de clause explicite interdisant à ces centres de vendre des produits concurrents de ceux de cette société.
227.Cependant, cette clause, ainsi que certaines autres, avait été remplacée par d'autres clauses qui, ajoutées aux incitations financières à l'achat de produits Umicore, lesquelles avaient été renforcées, avaient pour résultat d'inciter les distributeurs à ne distribuer que les produits VM Zinc, ou à tout le moins à entraver le plus possible la distribution de produits concurrents (
).
b) Sur l'approvisionnement des centres VM Zinc auprès d'autres distributeurs invoqués par les sociétés requérantes (
)
229.Les sociétés Umicore soutiennent, dans leur moyen 10, qu'il ressort clairement du dossier que, contrairement à ce qu'indique la décision attaquée, à partir de 2004, les centres VM Zinc n'ont pas continué à se conformer à une prétendue obligation d'exclusivité. Elles relèvent plusieurs déclarations reprises dans la décision attaquée qui démontrent, selon elles, que les centres VM Zinc restaient libres du choix de leurs sources d'approvisionnement.
230.La cour relève que les passages repris dans les conclusions des sociétés Umicore sont toutefois contestés par d'autres passages des mêmes déclarations ou par d'autres éléments du dossier (
).
234.Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la société Umicore France entendait, même après la suppression de la clause d'exclusivité des contrats, faire respecter ce principe par les distributeurs et que ceux-ci interprétaient bien comme telle la volonté de leur fournisseur. Il est sans portée que les responsables des sociétés Schmerber et Comafranc, aient déclaré que les courriers qui leur avaient été adressés n'avaient eu aucune suite (annexe 95, cote 5436 et s., Annexe 147, cote 5460 et s., Annexe 99, cote 5472), dès lors que la seule menace ainsi énoncée suffisait à faire connaître la volonté d'exclusivité de la société Umicore France. Par ailleurs, il ne peut être tiré argument du fait que ces distributeurs aient, en dépit de ces lettres, distribué des produits concurrents, dès lors qu'il résulte de leurs déclarations qu'ils procédaient déjà à ces ventes avant 2004, c'est à dire sous l'empire du contrat cont[en]ant des clauses d'exclusivité.
c) Sur l'interprétation du cadre contractuel modifié (
)
i) Sur le défaut de motivation (
)
ii) S'agissant de l'interprétation des contrats par la société Umicore France 240.Il ressort des éléments relevés aux § 705 à 714 de la décision attaquée que la société Umicore France a invoqué la clause de promotion (article 6 du contrat VM Zinc), énonçant que les distributeurs ne pouvaient « [u]tiliser la marque VM Zinc, ses produits, ses services et ses supports de communication comme vecteur de vente pour des produits de marque concurrente », l'utilisant de manière extensive, comme un instrument permettant de reprocher aux distributeurs de commercialiser des produits concurrents aux siens. Elle a, par ailleurs, utilisé l'octroi des bonifications afin de sanctionner ceux qui distribuaient de tels produits, ce qui, selon elle, perturbait sa politique commerciale.
241.Contrairement à ce que soutiennent les sociétés Umicore, le fait que tous les clients VM Zinc de la société Umicore France aient signé le nouveau contrat en 2004 ne permet pas de constater que « le changement de politique commerciale a (...) été signifié de manière claire et non équivoque aux centres VM Zinc ». En effet, aucun élément du dossier ne permet de constater que la société Umicore France aurait donné une quelconque publicité ou explication à ses distributeurs quant à la suppression de la clause d'exclusivité auparavant contenue dans le contrat.
242.Cette interprétation du contrat comme comportant une obligation d'exclusivité est encore confirmée par les déclarations reprises ci-dessus aux § 231, 232 et 233.
243.Les indications des responsables des sociétés Au Faîte 21 et Comptoir des fers, selon lesquelles ils auraient néanmoins distribué des produits d'autres fournisseurs n'apparaissent nullement contradictoires avec cette interprétation qu'ils donnaient au contrat, puisqu'eux-mêmes ont précisé qu'ils procédaient à ces ventes de produits concurrents en dépit des contrats et de la volonté de la société Umicore France. La cour renvoie sur ces points aux déclarations reprises ci-dessus au § 231 pour la société Comptoir des fers. S'agissant de la société Au Faîte 21, la cour relève qu'il résulte du procès-verbal d'audition de son dirigeant qu'elle a commencé son activité en distribuant uniquement des produits de la société Rheinzink et que c'est lorsque cette activité s'est accrue, que la société Umicore France lui a proposé de distribuer ses propres produits. Celle-ci lui a ensuite reproché de faire de la promotion pour les produits Rheinzink. Le dirigeant de la société Au Faîte 21 a précisé aux enquêteurs que « [l]es griefs qui m'ont été formulés par la suite dans le cadre du contrat doivent s'entendre très clairement comme une volonté d'Umicore d'être le seul fournisseur » (annexe 95, cotes 5436 et s.).
244.Il n'est pas non plus contradictoire de relever que la société Comafranc, qui distribuait d'autres produits que ceux de la société Umicore France, a reçu en octobre 2006 une lettre d'un responsable régional de celle-ci lui indiquant que, « [c]ette année, vous avez, à plusieurs reprises et ce, malgré nos recommandations, mis en avant une autre marque sur votre agence de Belfort et donc failli à votre engagement contractuel » et concluant que, dès lors, la société Comafranc ne pouvait prétendre à la bonification qualitative (annexe 99, cote 5475). Il en est de même du distributeur Desanfans dont les déclarations sont reprises au paragraphe 721 de la décision attaquée.
245.À l'inverse de ce que prétendent les sociétés Umicore, ces déclarations démontrent bien que la société Umicore France invoquait l'article 6 de son contrat non seulement pour empêcher les distributeurs de faire la promotion de produits concurrents liée à ses propres produits ou services, mais aussi pour empêcher la vente même ou la promotion de produits concurrents. Cette interprétation extensive de cette clause tendait bien à maintenir, dans l'esprit de ses distributeurs, la croyance qu'ils restaient tenus à une obligation d'exclusivité.
iii) S'agissant de l'interprétation des stipulations contractuelles par les centres VM Zinc exploitant sous l'enseigne Asturienne
246.L'Autorité a relevé, aux paragraphes 723 à 725 de la décision attaquée, que les centres de l'enseigne Asturienne interprétaient les dispositions contractuelles de façon identique à celle qui vient d'être exposée. Elle fonde son constat sur la charte de partenariat signée par le directeur général de la société Asturienne (cotes 1490 et 24826) et le directeur commercial de la société Umicore France en mai 2004. Elle précise que, selon ce texte, les agences Asturienne agréées VM Zinc devaient assurer « exclusivement la promotion de la gamme Umicore », mais que « 5 dépôts, Villeneuve d'Ascq, Saint-Malo, Saint-Denis, Libourne, Toulouse distribueront une marque concurrente », ces dépôts se voyant simultanément interdire de faire « la double cotation (offre VM ZINC et offre concurrente pour une même affaire ou un même client) » (annexe 27, cote 1491).
247.C'est par une exacte interprétation, que la cour adopte, que l'Autorité a considéré, au paragraphe 726 de la décision attaquée, qu' « [e]n restreignant la distribution de la marque Rheinzink à quelques agences, choisies d'un commun accord avec Umicore, la deuxième phrase de la Charte illustre parfaitement le fait que l'exclusivité "de promotion" exigée par la première phrase de ce document s'entend comme une exclusivité de vente » (
).
250.Les sociétés Umicore ne contestent pas que la charte de partenariat entre le directeur général de la société Asturienne et le directeur commercial France de la société Umicore France a été conclue le 12 mai 2004, soit juste après la conclusion des nouveaux contrats. Or celle-ci, en prévoyant, d'une part, que « l'ensemble des points de vente CVMZ assurera exclusivement la promotion de la gamme Umicore », d'autre part, que « 5 dépôts (Villeneuve d'Ascq, Saint-Malo, Saint-Denis, Libourne Toulouse) distribueront 1 marque concurrente (...) », rétablissait, entre les distributeurs sous enseigne Asturienne et la société Umicore France, l'exclusivité qui avait été retirée du contrat.
251.Si, ainsi que le soulignent les sociétés Umicore, il ressort des déclarations de trois personnes entendues dans le cadre de l'enquête (M. M..., cote 6992 et s., M. J..., cote 5430 et s., et M. I..., cote 5468 et s.) que d'autres centres VM Zinc sous enseigne Asturienne que ceux énoncés dans la convention distribuaient des produits de marques concurrentes, il n'en demeure pas moins que 92 % des produits en zinc distribués par cette enseigne étaient des produits VM Zinc, ce que les sociétés Umicore France ne contestent pas, et tant à démontrer que la charte de partenariat était appliquée quoiqu'en aient dit ces personnes.
252.La cour relève à ce sujet que, si l'ancien directeur général de la société Asturienne a déclaré que cette charte avait pour objet d'« apaiser les esprits chez Umicore » ou « rassurer les équipes Umicore », il n'a pas nié qu'elle était néanmoins destinée à ce que le moins d'agences possibles de l'enseigne Asturienne puissent vendre des produits concurrents de ceux de la marque VM Zinc. En outre, la déclaration de ce dernier, selon laquelle, « à ma connaissance il n'y a pas eu de pression de la part d'Umicore pouvant mettre en jeu l'octroi des bonifications », est démentie par les lettres adressées par M. A..., responsable région de la société Umicore France, adressées à M. I..., gestionnaire de centre VM Zinc sous l'enseigne Asturienne à Illzach les 10 novembre 2006 et 8 décembre 2006. La première de ces lettres rappelle que l'un des engagements du contrat de collaboration commerciale VM Zinc « consiste à assurer un soutien sans faille à notre marque et la promotion de nos produits et services auprès des clients appartenant à votre zone de chalandise », reproche à son destinataire d'avoir substitué aux produits laminés VM Zinc, des produits concurrents et indique « Nous avons pris bonne note de ce que vous présentez un épiphénomène, vous rappelant néanmoins à vos devoirs envers VM Zinc ainsi que les enjeux économiques engendrés par de tels choix. ». La seconde lettre, reproche au même gestionnaire de centre d'avoir vendu des produits de la société Rheinzink et indique « En conséquence devant l'analyse de vos réponses, nous considérons que les engagements qui nous lient n'ont pas été respectés pour l'exercice 2006. Les critères liés à l'obtention de la BFAE ne sont donc pas atteints » (annexe 89, cote 5468 et s.). Les termes de ces lettres sont semblables à ceux des lettres reprises au paragraphe 719 de la décision attaquée et montrant que l'agence sous enseigne Asturienne de Saint-Grégoire a fait l'objet de menaces relatives aux bonifications au motif qu'elle proposait des produits de marque Rheinzink.
253.Ces déclarations et courriers sont complétés par des notes manuscrites prises par le directeur général de la société Larivière lors d'un entretien avec le directeur commercial France de la société Umicore France et décrites aux paragraphes 736 et 737 de la décision attaquée. Il se déduit de ces notes que l'enseigne Asturienne distribuait des produits Rheinzink dans les cinq agences énoncées par la charte de partenariat et que ce système fonctionnait encore en 2008. Il est sans portée que ces notes n'émanent pas d'une personne attachée à la société Asturienne et qu'elles ne mentionnent pas ladite charte.
254.Enfin, les sociétés Umicore n'apportent aucun élément qui permettrait à la cour de constater que les bonifications qualitatives que les agents commerciaux de la société Umicore France menaçaient de retirer aux centres ne respectant pas l'exclusivité, n'auraient finalement pas été supprimées. La seule déclaration de l'ancien directeur général de la société Asturienne selon laquelle « A ma connaissance il n'y a jamais eu de suppression par Umicore de bonification qualitative au motif de la vente de produits concurrents », qui se limite à la mobilisation de souvenirs personnels de cette personne, alors que figurent au dossier au moins trois lettres invoquant cette menace à l'égard de distributeurs exerçant sous l'enseigne Asturienne, est insuffisante à rapporter cette preuve. En tout état de cause, il convient d'observer qu'à elle seule la menace de suppression des bonifications au motif de la distribution de produits concurrents suffit à démontrer que le contrat de 2004, auquel s'est ajoutée la charte de partenariat énonçant expressément une obligation d'exclusivité de la part des centres exploitant sous l'enseigne Asturienne, était interprété comme maintenant cette obligation en dépit de sa suppression formelle dans le contrat de 2004.
255.Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, ainsi que de ceux rappelés dans la décision attaquée, en particulier les contrôles visant à vérifier que les centres VM Zinc ne vendaient pas ou très marginalement de produits R[h]einzink (décision attaquée, § 738 à 740), il est sans portée que l'ancien directeur commercial de la société Asturienne ait déclaré qu'après 2004, il n'avait plus entendu parler de la charte de partenariat, dès lors que celle-ci a bien été mise en oeuvre. De même, il est indifférent que M. I..., interrogé sur les lettres des 10 novembre 2006 et 8 décembre 2006, précitées, ait déclaré ne plus en avoir de souvenir et que n'ayant pas de dossier concernant Umicore et Rheinzink, il ne pouvait retrouver sa réponse à ces lettres.
iiii) S'agissant de l'interprétation des stipulations contractuelles par les centres VM Zinc exploitant sous l'enseigne Larivière
256.[L]'Autorité a relevé, aux paragraphes 742 à 754 de la décision attaquée, que les centres exploitant sous l'enseigne Larivière appréhendaient aussi les dispositions du contrat de 2004 dans le sens de l'exclusivité. Elle cite à ce sujet plusieurs déclarations explicites du directeur général de la société Larivière (décision attaquée, § 743), de l'ancien directeur des achats de cette enseigne (décision attaquée, §744) et d'un ancien directeur d'agence (décision attaquée, §745). Dans son analyse, l'Autorité a écarté un nouveau témoignage du directeur général de la société Larivière, postérieur à son audition par les enquêteurs, par lequel celui-ci a indiqué : « Je n'ai jamais considéré que la relation contractuelle en place depuis 2004 avec la société Umicore France / UBPF ("Umicore") imposait à notre société une interdiction de revendre des produits concurrents à ceux d'Umicore. En pratique, notre société a revendu des produits concurrents depuis 2004. Par ailleurs, à ma connaissance, notre société n'a pas fait l'objet de représailles ou de pressions de la part d'Umicore pour non-respect d'une hypothétique obligation d'achats exclusifs auprès d'Umicore » (cote 27295) (
).
261.La cour relève que, le 11 février 2013, interrogé par les enquêteurs, le directeur général de la société Larivière a déclaré : « Contractuellement, le stockage de produits de marque fait perdre à l'agence le statut de centre VM Zinc (...) la vente de zinc concurrent n'est pas compatible avec le statut de centre VM Zinc » (décision attaquée, § 743). Il a aussi précisé, lors de la même audition, que « la vente de zinc concurrent n'est pas compatible avec le statut de centre VM Zinc » (décision attaquée, § 753).
262.C'est à juste titre que l'Autorité a considéré que la contradiction entre des déclarations émanant de la même personne, l'une recueillie par les enquêteurs, le 11 février 2013, l'autre établie à la demande des sociétés Umicore, le 11 juin 2015, c'est-à-dire à une période où celles-ci avaient reçu la notification de griefs, n'était pas de nature à remettre en cause, à tout le moins, les autres éléments du dossier démontrant que les centres VM Zinc exploitant sous l'enseigne Larivière s'estimaient liés à l'égard de la société Umicore France par une exclusivité, laquelle n'était pourtant plus inscrite dans les contrats.
263.C'est, par ailleurs, vainement que les sociétés requérantes invoquent une contradiction entre le paragraphe 749 de la décision attaquée et l'article 1er de son dispositif.
264.À l'article 1er du dispositif de la décision attaquée, l'Autorité a dit que l'infraction consiste à avoir lié non seulement les centres VM Zinc, mais également « l'enseigne Larivière » elle-même. Or, cette référence à l'enseigne Larivière renvoie aux points de vente exploitant des centres VM Zinc sous l'enseigne Larivière, et non à la société Larivière, qui exploite également d'autres points de vente qui n'ont pas le statut de centre VM Zinc, ainsi que l'expliquent au demeurant les sociétés Umicore. Partant, ledit article ne contredit pas le constat, fait au paragraphe 749 de la décision attaquée, que l'exclusivité de vente des produits de marque VM Zinc s'était imposée, « non pas au niveau de la société Larivière, mais au niveau des points de vente Larivière ayant la qualité de centres VM Zinc ».
265.La demande formée sur ce point doit en conséquence être rejetée.
266.Les sociétés Umicore invoquent encore de « nombreux éléments » qui démontreraient que les distributeurs VM Zinc exploitant sous l'enseigne Larivière « ne se sentai[en]t aucunement liés par une obligation d'achat exclusif auprès de la société Umicore France » qu'elles ont développés dans leurs observations en réponse au rapport.
267.Cependant, l'Autorité, qui n'avait pas à répondre à l'ensemble des arguments développés par les sociétés Umicore, a, par la motivation pertinente contenue dans les paragraphes 743 à 754 de la décision attaquée, que la cour adopte, écarté ces éléments. En particulier, c'est à juste titre que l'Autorité a considéré comme non fondé le moyen soutenant que ce serait dans son propre intérêt que la société Larivière aurait décidé que les centres exploitant sous son enseigne accorderaient une exclusivité à la société Umicore, en soulignant que l'intérêt que peut trouver le distributeur d'un fournisseur en position dominante dans une obligation d'exclusivité ne fait pas pour autant disparaître l'effet anticoncurrentiel de cette pratique, qui a pour objectif et pour effet de détourner les distributeurs des fournisseurs concurrents et de freiner leur entrée ou leur développement sur le marché.
268.S'agissant des déclarations de l'ancien directeur des ventes de la société Larivière (annexe 125, cotes 5981 et s.) invoquées par les sociétés Umicore, la cour observe que ce dernier a confirmé l'exclusivité accordée à la société Umicore en déclarant : « Lorsque je suis arrivé dans l'entreprise, il y avait deux fournisseurs de zinc Umicore et Rheinzink France. En comité de direction, le référencement a amené à choisir Umicore pour fournisseur de zinc. (...) Les centres VM Zinc ne pouvaient pas vendre de produits en zinc de marque concurrente, sauf exceptions sur prescription. L'approvisionnement pour ces exceptions se faisait via un point de vente Larivière non centre VM Zinc. Il m'est arrivé de prévenir Umicore de ces cas d'exception par courtoisie. Les centres VM Zinc sont exclusifs Umicore (...) ».
269.Si, comme le soutiennent les requérantes, il ressort aussi de ces déclarations que la « bonification hors contrat de développement » qu'il qualifie ensuite de « bonification de développement » était destinée à couvrir le besoin de trésorerie permettant de financer les stocks à l'ouverture des points de vente, plutôt que l'exclusivité, il n'en demeure pas moins que cette exclusivité était respectée par les centres VM Zinc de l'enseigne Larivière, alors qu'elle n'était plus précisée dans les contrats.
270.Il s'ensuit que les moyens relatifs à l'interprétation des dispositions contractuelles par les centres VM Zinc exploités sous enseigne Larivière sont rejetés.
d) S'agissant de la mise en oeuvre d'un système de surveillance et de représailles
271.L'Autorité a considéré qu'il était établi que la société Umicore France avait veillé au respect des obligations d'achat exclusif par les centres VM Zinc au moyen de différentes modalités. Premièrement, une surveillance exercée par ses forces de vente sous prétexte de vérification de l'application de la clause de stock, afin de vérifier la présence de zinc concurrent au sein des centres. Deuxièmement, des reproches formulés à l'encontre des centres ayant soi-disant violé les clauses de prévision de tonnage, afin de les dissuader de s'approvisionner et de vendre du zinc concurrent. Troisièmement, des représailles consistant en la suppression de la bonification qualitative et/ou en le retrait du statut de centre VM Zinc infligées à ceux qui avaient distribué du zinc concurrent (décision attaquée, § 757 à 794) (
).
278.S'il résulte de quelques témoignages figurant au dossier et repris dans la pièce 30 que les reproches adressés par la société Umicore France à ces distributeurs n'avaient, finalement, pas eu d'incidence sur les bonifications de fin d'année (responsables de la société Comptoirs des fers, pièce 30, p. 6 ; de la société Descours et Cabaud, pièce 30, p. 11 ; de la société Desenfans, pièce 30, p. 12, et de la société Coverpro, pièce 30, p. 7), il n'en demeure pas moins, d'une part, que les reproches d'avoir fait la « promotion » ou d'avoir « mis en avant » des marques concurrentes (voir décision attaquée, § 267 et s.) ont été formulés, d'autre part, que la clause de stock a été appliquée, mais aussi, que des visites de stocks ont été effectuées dans le but de détecter la présence de produits concurrents (décision attaquée, § 784, 786, 787,789, 790 et 792) et que des reproches ont été adressés aux distributeurs chez lesquels avaient été trouvés des produits concurrents (décision attaquée, § 813 et 814).
279.Au regard de l'ensemble de ces éléments, auxquels s'ajoutent, notamment, les documents internes à la société Umicore France qui démontrent que la BFAE était utilisée pour sanctionner les ventes de produits concurrents (voir décision attaquée, § 818, 825 et 827), l'attitude de la société Umicore France concernant les sociétés Comptoirs des fers, Descours et Cabaud, Désenfans et Coverpro conduit à considérer que les pratiques de surveillance et de reproches sont établies.
280.C'est, ainsi, à juste titre que l'Autorité a retenu que, si ces menaces et représailles n'ont concerné qu'un nombre limité de distributeurs, dans la mesure où la majorité des centres VM Zinc se sont conformés à l'exigence de la société Umicore France, ce qui est démontré par le fait qu'en 2006, ces centres s'approvisionnaient, dans leur ensemble pour 93 % de leurs besoins en produits en zinc auprès de cette société (décision attaquée, § 832), elles ont permis, par effet de signal, de discipliner ceux de ses distributeurs qui seraient tentés de vendre des produits concurrents (décision attaquée, § 835).
281.Sur ce dernier point, la cour relève qu'il ne peut être reproché à l'Autorité de ne pas s'être interrogée sur les raisons de la préférence des clients pour les produits VM Zinc comme l'y invitaient les sociétés Umicore dans leurs observations en réponse au rapport. En effet, quand bien même est-il incontestable que la marque VM Zinc jouit d'une forte notoriété auprès des clients finaux, les pratiques reprochées tendant à imposer une exclusivité de fait aux distributeurs, laquelle faisait obstacle au libre jeu de la concurrence et donc à une comparaison entre les produits, faussent par elles-mêmes les conclusions que l'on pourrait tirer des raisons des préférences exprimées par les clients. La cour relève au surplus que les raisons ainsi invoquées n'ont pas été suffisantes pour dissuader la société Umicore de mettre en oeuvre les pratiques d'exclusivité reprochées.
e) Sur les incitations spécifiques applicables aux grandes enseignes
282.L'Autorité a constaté que la société Umicore France avait, au surplus, conclu avec les sociétés Larivière et Asturienne des dispositions spécifiques destinées à les inciter à ne distribuer qu'une seule marque VM Zinc.
283.S'agissant de la société Larivière, comme il a été mentionné au paragraphe 215 du présent arrêt, l'Autorité a relevé que, alors que les centres VM Zinc exerçant sous l'enseigne Larivière s'approvisionnaient pour plus de 95 % de leurs besoins auprès d'elle, la société Umicore France leur avait accordé une bonification supplémentaire, la BFAD, s'ajoutant à la bonification de fin d'année la BFAE. La BFAD, versée au début hors contrat, a été officialisée en 2009. Son taux, initialement fixé à 0,75 %, a progressivement augmenté pour atteindre 1,25 % en 2008 (décision attaquée, § 849 et s.)
284.S'agissant de la société Asturienne, l'Autorité a relevé qu'en 2004, la société Umicore France avait conclu avec elle la charte de partenariat, au terme de laquelle il était convenu que seulement cinq centres VM Zinc exerçant sous l'enseigne Asturienne, choisis en accord avec la société Umicore France, pourraient distribuer, outre les produits VM Zinc, ceux de la société Rheinzink.
285.L'Autorité a considéré que ces conventions particulières avaient bien été exécutées et qu'ainsi, les centres VM Zinc appartenant aux grandes enseignes étaient doublement incités à l'exclusivité, dans la mesure où ils étaient, comme tous les centres VM Zinc, soumis au système de surveillance et de représailles mis en place par la société Umicore France et étaient, en outre, contraints par des dispositions nouvelles spécifiques (décision attaquée, § 858) (
).
289.Ainsi qu'il a déjà été précisé, l'Autorité n'est pas tenue de répondre à la totalité des arguments développés dans leurs observations en réponse au rapport, dès lors qu'elle expose clairement les raisons pour lesquelles elle estime que les griefs notifiés sont fondés et permet aux parties de comprendre les motifs de la sanction qui leur est infligée et à la cour d'appel d'exercer son contrôle du bien-fondé de la motivation.
290.La cour relève qu'en l'espèce, l'Autorité a, dans la décision attaquée, exposé de façon claire et précise les motifs pour lesquels elle estimait qu'il existait un lien entre l'octroi de la BFAD et le déréférencement des produits de la société Rheinzink par les centres Larivière qui distribuaient ces produits. Elle a à ce titre relevé la concomitance de l'octroi de cette bonification, sa désignation identique à celle qu'elle octroyait précédemment à « Asturienne et Point P pendant la période où Rheinzink n'était pas référencé chez Asturienne » ainsi que des notes prises dans le cadre d'un entretien entre le directeur général de la société Larivière et un responsable de la société Umicore France, d'où il ressortait que, pour 2005, avait été exprimé un « souhait 100 % Umicore » en contrepartie de « commissions de fidélité ». Elle a en outre, relevé que le lien entre ces bonifications supplémentaires et l'exclusivité accordée à la société Umicore France a été confirmé par les déclarations de l'ancien directeur général de la société Larivière, dont les déclarations en sens inverse produites ensuite par les sociétés Umicore ont à juste titre été écartées par l'Autorité, ainsi qu'il a été précisé précédemment (décision attaquée, § 849 et s.).
291.Par ailleurs, l'Autorité a considéré que les éléments du dossier démontraient que l'application de la charte de partenariat conclue avec la société Asturienne avait conduit à limiter la distribution des produits en zinc Rheinzink à cinq agences de cette enseigne seulement, de surcroît choisies en accord avec la société Umicore France (décision attaquée, § 856 et s.).
292.Ainsi l'Autorité a-t-elle, par une analyse que la cour approuve, démontré que, quand bien même les contrats et la charte de partenariat conclus avec les représentants des enseignes Larivière et Asturienne ne contenaient pas de clause d'exclusivité expresse, un tel engagement s'appliquait bien entre les parties et avait été mis en oeuvre. Cette analyse répond, en les écartant, aux moyens et arguments développés par les sociétés Umicore. La cour rappelle à ce titre qu'ainsi qu'il a été jugé par le Tribunal de l'Union dans l'arrêt Tomra Systems e.a./Commission, précité (§ 59), il n'est pas nécessaire que les pratiques lient les acheteurs par une obligation formelle, il suffit que les pratiques comportent une incitation vis-à-vis des clients à ne pas s'adresser à des fournisseurs concurrents et à s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de l'entreprise en position dominante.
293.Il est, en conséquence, sans portée qu'une obligation d'exclusivité n'ait pas été expressément formulées dans les conventions des parties et c'est de manière fondée que l'Autorité a invoqué et appliqué les principes énoncés par l'arrêt de la Cour de Justice Hoffmann-La Roche/Commission, précité.
294.Il s'ensuit que les moyens sont rejetés.
f) Sur la question des raisons de la préférence des clients (
)
297.L'Autorité a, comme le soulignent les sociétés Umicore, retenu qu'en 2006, les centres VM Zinc s'approvisionnaient pour 93 % de leurs besoins en produits en zinc auprès de la société Umicore France. Elle a aussi relevé que les ventes de cette société aux centres VM Zinc Asturienne ont représenté 92 % des approvisionnements de la société Asturienne en 2005 et que la part d'Umicore dans les tonnages des centres de la société Larivière atteignait respectivement 94,9 %, 99,1 % et 99,9 % en 2005, 2006, 2007 (décision attaquée, § 832)
298.Dans leurs observations en réponse au rapport, les sociétés Umicore exposaient que la notification de griefs reprochait à la société Umicore France d'obliger ses clients à acheter exclusivement ou quasiexclusivement des produits de la marque VM Zinc et qu'elle fondait ce reproche sur le fait que beaucoup de clients achetaient exclusivement ou quasi-exclusivement leurs produits en zinc auprès de cette société.
299.Elles faisaient valoir que les raisons de ces achats préférentiels étaient diverses et liées, notamment, à la qualité des produits VM Zinc, à l'étendue de la gamme, à l'adéquation de ces produits avec le marché français, à la faiblesse des offres concurrentes ou encore à des considérations logistiques propres aux distributeurs. Elles rappelaient, en outre, les importants efforts qu'elles déployaient en matière de recherche et d'innovation, de développement et de promotion. Elles en concluaient que les choix de ceux-ci n'étaient pas motivés par la politique commerciale de la société Umicore France ou une prétendue obligation d'exclusivité, mais qu'ils étaient déterminés librement au regard de leurs besoins et de l'attractivité des offres.
300.La cour relève, cependant, qu'après avoir lié ses clients distributeurs par des contrats contenant une clause explicite d'exclusivité, jusqu'en 2004, la société Umicore France a supprimé cette clause, mais a inséré dans ses nouveaux contrats de nouvelles clauses qu'elle a interprétées et fait interpréter par ses distributeurs comme conduisant à une quasi-exclusivité de fait. Elle a, de plus, renforcé ces clauses par des dispositions spécifiques à l'égard de deux enseignes particulièrement importantes de ses acheteurs et regroupant de nombreux distributeurs en France, qui ont conduit ces enseignes, pour la première, l'enseigne Larivière, à déréférencer le principal concurrent de la société Umicore France, la société Rheinzink, pour la seconde, l'enseigne Asturienne, à n'accepter la distribution des produits de ce concurrent que dans cinq centres ayant le statut VM Zinc.
301.Dans ces circonstances, les sociétés Umicore ne sont pas fondées à soutenir que les achats préférentiels des produits de sa marque par les distributeurs seraient dus aux qualités intrinsèques de ceux-ci et à son travail de démarchage, lesquels ne leur ont, en tout état de cause, pas semblés suffisants pour qu'elles s'abstiennent de la mise en oeuvre des pratiques sanctionnées.
302.Il ne peut donc être reproché à l'Autorité de ne pas avoir procédé à l'analyse que les requérantes réclamaient, puisqu'elle aurait été inopérante.
303.Enfin, s'agissant de la contestation des données en cause, la cour relève que les sociétés Umicore ont seulement fait observer que la part du marché « disputable », c'est-à-dire celle sur laquelle on peut observer des variations de demandes, pouvait être d'au moins 30 % et pourrait atteindre 50 % (observations en réponse au rapport, § 397) et que les données chiffrées dataient de 2006 sans être corroborées par des données d'autres années (observations en réponse au rapport, § 508). Ce faisant, elles n'ont pas contesté l'exactitude des données.
304.Par ailleurs, elles n'ont apporté aucun autre élément qui permettraient de constater que les données utilisées par l'Autorité ne correspondaient pas à la réalité de ses parts de marché ni ne donnaient une image exacte de celles-ci pour les autres années durant lesquelles se sont déroulées les pratiques.
305.Enfin, il est inexact de soutenir que l'Autorité aurait reconnu que les distributeurs VM Zinc ne se sentaient nullement liés par une quelconque obligation d'achat exclusif. Si l'Autorité a relevé que les contrats ne contenaient plus de clause d'exclusivité, ce que déclaraient d'ailleurs plusieurs distributeurs, il n'en demeure pas moins qu'il a été démontré que ceux-ci se s'estimaient liés dans les faits par une telle obligation.
306.Il s'ensuit que les moyens contestant la mise en oeuvre dans les faits d'une obligation d'exclusivité sont rejetés.
2. Sur l'examen de l'ensemble des circonstances permettant de constater que le rabais tendait à fausser le jeu de la concurrence et l'analyse de la capacité d'éviction de concurrents au moins aussi efficaces (moyen 10, branche 2)
307.Rappelant les principes énoncés par la Cour de justice dans ses arrêts du 9 novembre 1983, Michelin/Commission (C-322/81), du 6 octobre 2015, Post Danmark (C-23/14) et du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C-413/14 P), les sociétés Umicore soutiennent que l'Autorité aurait dû examiner si la politique commerciale mise en oeuvre par la société Umicore France était susceptible de produire un effet anticoncurrentiel d'éviction de concurrents au moins aussi efficaces [Test AEC (As-efficient- competitor)].
308.Répliquant aux observations de l'Autorité et du Ministre chargé de l'économie, qui opposent que cette analyse est dénuée de pertinence, dans la mesure où le système des rabais appliqués aux centres VM Zinc ne rend pas compte à lui seul de la réalité des pratiques reprochées, qui concernent la politique commerciale globale mise en oeuvre par la société Umicore France et non pas seulement sa politique de rabais, les sociétés Umicore font valoir que l'Autorité n'a pas sanctionné un abus per se et qu'en tout état de cause elle aurait dû examiner l'ensemble des circonstances afin de déterminer si la politique commerciale en cause était susceptible de produire un effet anticoncurrentiel d'éviction de concurrents au moins aussi efficaces, ce qu'elles avaient contesté dans leurs observations en réponse au rapport.
309.Elles ajoutent que, si les services d'instruction avaient procédé à cet examen ils auraient constaté que cet effet d'éviction n'était pas constitué, puisque la politique commerciale n'empêchait pas un concurrent aussi efficace que la société Umicore France d'entrer ou de se développer de façon profitable sur le marché.
310.Ainsi que l'a énoncé la Cour de justice au point 89 de son arrêt Hoffmann-La Roche, précité), :
« (...) pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier, fût-ce à leur demande, des acheteurs par une obligation ou une promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité [devenu l'article 102 du TFUE], soit que l'obligation est stipulée sans plus, soit qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi d'un rabais ; (...) il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d'accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c'est-à-dire de remises liées à la condition que le client, quel que soit par ailleurs le montant de ces achats, s'approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante ».
311.La Cour de justice a précisé, au point 90 du même arrêt, que « les engagements d'approvisionnement exclusifs de cette nature, avec ou sans contrepartie de rabais ou l'octroi de rabais de fidélité en vue d'inciter l'acheteur à s'approvisionner exclusivement auprès de l'entreprise en position dominante, sont incompatibles avec l'objectif d'une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu'ils ne reposent pas (...) sur une prestation économique justifiant cette charge ou cet avantage, mais tendent à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement et à barrer l'accès au marché aux autres producteurs ».
312.L'arrêt de la Cour de justice Intel/Commission, précité, invoqué par les requérantes, rappelle que tout effet d'éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence, puisque, par définition, la concurrence par les mérites peut conduire à la disparition du marché ou à la marginalisation des concurrents moins efficaces (Voir aussi, notamment, CJUE, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C-209/10, point 22). Il ajoute qu'il convient de préciser la jurisprudence des arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, du 27 mars 20012, Post Danmark, et Michelin/Commission, précités, sur les remises fidélisantes et que, s'agissant de remises d'exclusivité, qui étaient en cause dans ces affaires, « dans le cas où l'entreprise concernée soutient, au cours de la procédure administrative, éléments de preuve à l'appui, que son comportement n'a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d'éviction reprochés (...), la Commission est non seulement tenue d'analyser, d'une part, l'importance de la position dominante de l'entreprise sur le marché pertinent et, d'autre part, le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d'octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais elle est également tenue d'apprécier l'existence éventuelle d'une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces (voir, par analogie, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C-209/10, EU:C:2012:172, point 29) » (points 138 et 139).
313.En l'espèce, bien que les sociétés Umicore aient produit une étude concluant que la pratique de rabais ne pouvait empêcher un concurrent aussi efficace que la société Umicore France de la concurrencer, l'Autorité ne s'est pas appuyée, pour qualifier les pratiques au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, sur les résultats d'un test du concurrent aussi efficace, qui consiste à estimer le prix qu'un concurrent devrait offrir pour indemniser le client pour la perte du rabais conditionnel, si ce dernier s'adressait à ce concurrent plutôt qu'à l'entreprise en position dominante, pour une partie de sa demande ou une fraction pertinente de celle-ci.
314.La cour relève que, si, dans le cadre de son analyse aboutissant à la qualification d'un abus prohibé par les articles 102 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, l'Autorité n'a pas non plus précisément relevé que la position dominante de la société Umicore était particulièrement forte, ce point se déduit des constatations opérées dans le cadre de l'examen de cette position et reprises au paragraphe 201 du présent arrêt. Il est rappelé en particulier que ces parts de marché dépassent, sur les deux marchés, 50 % et qu'elles sont plus de trois fois supérieures aux parts du concurrent le plus puissant, la société Rheinzink, aucun des autres intervenants ne dépassant 8 % de parts de marché.
315.Par ailleurs, la cour rappelle que les pratiques reprochées ne se bornaient pas à l'application de remises d'exclusivité ou fidélisantes, mais à la mise en oeuvre d'une politique commerciale d'ensemble visant, notamment, à dissuader les distributeurs d'offrir d'autres produits de ceux de la marque VM zinc et, lorsqu'ils procédaient à de telles offres, à les empêcher d'en faire la promotion. Au surplus, cette politique s'appliquait à l'ensemble des produits concernés par les marchés pertinents.
316.Dans ces circonstances, il ne peut être reproché à l'Autorité de ne pas avoir procédé à l'application du test du concurrent au moins aussi efficace.
317.En effet, l'arrêt Intel n'a pas remis en cause l'affirmation de la jurisprudence européenne selon laquelle « il n'est pas possible de déduire de l'article 82 CE [devenu l'article 102 du TFUE] ou de la jurisprudence de la Cour une obligation juridique de se fonder systématiquement sur le critère du concurrent aussi efficace pour constater le caractère abusif d'un système de rabais pratiqué par une entreprise en position dominante » (CJUE, arrêt du 6 octobre 2015, Post Danmark, C-23/14, point 57).
318.En outre, ce test se justifie lorsque l'instrument de la fidélisation est de nature financière et pourrait être mis en oeuvre, au bénéfice des clients, par un concurrent au moins aussi efficace que l'entreprise en position dominante. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce, où est en cause une politique commerciale globale appliquée par la société Umicore France, fournisseur historique, qui tendait à entraver la pénétration sur le marché et le développement de ses concurrents en empêchant, autant que faire se peut, ses clients de s'approvisionner auprès de ces derniers par l'application de diverses clauses contractuelles, de mesures de surveillance et de rétorsion.
319.Dans ce cas de figure, même si un concurrent aussi efficace que la société Umicore France avait pu, par sa propre pratique de prix, compenser, pour les clients qui se seraient adressés à lui pour la part disputable du marché, la perte des avantages que constituaient les remises fidélisantes de la société Umicore France, il n'en demeure pas moins que ce concurrent aussi efficace se serait heurté, d'abord, à l'insistance de la société Umicore France pour que ces clients ne distribuent que ses produits, ensuite, à l'interdiction contractuelle faite à ces clients de promouvoir les produits concurrents de ceux de la marque VM Zinc, enfin, à l'application de la clause de stock obligeant les clients à maintenir un stock les empêchant de diversifier leurs approvisionnements. Or, l'ensemble des concurrents étant moins connus et moins réputés que la société Umicore France, fournisseur historique, ces obstacles ne pouvait qu'être de nature à les évincer du marché, ou tout au moins à les empêcher de s'y développer, y compris les concurrents aussi efficaces en termes de prix.
320.Ainsi, s'appuyant sur un mécanisme autre que celui de la concurrence par les mérites, la politique commerciale de la société Umicore tendait à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement et à barrer l'accès au marché aux autres producteurs, sans que les concurrents, même ceux qui auraient été aussi efficaces qu'elle, en terme de prix, puissent réagir à son comportement. Cette politique produisait en conséquence un effet d'éviction, y compris des concurrents aussi efficaces, effets au demeurant constatés par l'Autorité aux paragraphes 875 à 893 de la décision attaquée, auxquels la cour renvoie. Ces effets ont consisté en un verrouillage de l'accès à la « distribution de premier niveau », lequel était le plus rentable, ainsi qu'en un verrouillage de l'accès aux grandes enseignes de la distribution de produits en zinc. Il est rappelé, s'agissant de la « distribution de premier niveau », qu'en 2006, les centres VM Zinc s'approvisionnaient pour 93 % des produits en zinc auprès de la société Umicore France, alors que ces centres représentaient 70 % des ventes en tonnage de produits de construction en zinc (décision attaquée, § 883 et s.). S'agissant des grandes enseignes de la distribution de produits en zinc il est établi par les pièces du dossier qu'en 2012, le groupe Point P s'est approvisionné, toutes enseignes confondues, à 95 % auprès de la société Umicore France, la société Larivière pour 97 % et l'enseigne Descours et Cabaud pour 89 %.321.Il s'ensuit que le moyen reprochant à l'Autorité de ne pas avoir procédé au test du concurrent aussi efficace (Test AEC) est rejeté.
1°) ALORS QUE pour caractériser l'existence d'un abus de position dominante consistant en des obligations d'achat exclusif, l'Autorité de la concurrence est tenue, sous le contrôle du juge, non seulement d'analyser l'importance de la position dominante de l'entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d'octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais de manière plus générale l'ensemble des circonstances pertinentes ; qu'il s'ensuit que les mesures prises par une entreprise en position dominante pour inciter ou récompenser les achats exclusifs ou quasi exclusifs de ses clients ne sont pas interdites per se ; qu'en décidant au contraire que le « système de bonification élaboré (par la société Umicore) de façon à inciter à la fidélité et la loyauté ainsi qu'à la mise en avant d'une gamme » était nécessairement abusif de sorte que le retrait de ladite bonification en cas de non-respect de l'exclusivité à laquelle elle était prétendument attachée, devait être assimilé à des représailles ou à une menace de représailles, elles aussi interdites, la cour d'appel a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE pour établir le caractère anticoncurrentiel d'un abus de position dominante consistant en des obligations d'achat exclusif, le juge de la concurrence est tenu d'examiner l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'analyser la capacité d'éviction de concurrents au moins aussi efficaces, inhérente à la pratique en cause, dans tous les cas où une entreprise soutient, comme en l'espèce, au cours de la procédure administrative que sa politique commerciale n'a pas eu la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d'éviction reprochés ; qu'en affirmant au contraire que l'Autorité de la concurrence avait pu valablement s'abstenir de procéder à cet examen et à cette analyse, la cour d'appel a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du Code de commerce ;
3°) ALORS QUE la capacité d'éviction d'un abus de position dominante ne peut plus être présumée ; qu'en présumant des obstacles auxquels un concurrent aussi efficace se serait trouvé confronté à partir de la situation actuelle sans concurrent aussi efficace, tout en admettant que le test du concurrent aussi efficace consistant à imaginer la situation concurrentielle en présence d'un concurrent hypothétique aussi efficace n'avait pas été réalisé, la cour d'appel a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du code de commerce ;
4°) ALORS QUE pour établir le caractère anticoncurrentiel d'un abus de position dominante et spécialement d'un rabais d'exclusivité, l'Autorité de la concurrence est tenu sous le contrôle du juge, non seulement d'analyser l'importance de la position dominante de l'entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d'octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais aussi de manière plus générale l'ensemble des circonstances pertinentes ; qu'en affirmant, pour considérer que l'Autorité de la concurrence avait pu valablement s'abstenir de procéder à cette analyse, que l'ensemble des concurrents était moins connu et moins réputé que la société Umicore France, fournisseur historique, quand il lui incombait de déterminer si la politique commerciale d'Umicore était capable de produire un effet d'éviction des concurrents au moins aussi efficaces, la cour d'appel a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L 420-2 du code de commerce ;
5°) ALORS QU'en affirmant, pour décider qu'il n'y avait pas lieu en l'espèce de réaliser le test du concurrent aussi efficace, que ce test se justifie lorsque l'instrument de la fidélisation est de nature financière et pourrait être mis en oeuvre, au bénéfice des clients, par un concurrent au moins aussi efficace, après avoir admis (i) que les bonifications consistaient en des remises dont le taux était variable et (ii) qu'Umicore ne refusait pas d'approvisionner les distributeurs non centres VM Zinc mais les approvisionnait à des conditions moins favorables (§6), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L. 420-2 du code de commerce.
SEPTIÈME MOYEN DE CASSATION (sanction)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué rectifié par l'arrêt du 5 juillet 2018 d'avoir infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA, une sanction pécuniaire d'un montant de 62.318.900 euros ;
AUX MOTIFS QUE sur la valeur des ventes (moyen 14)
339.Dans le cadre de l'évaluation du montant de base, l'Autorité a précisé, au paragraphe 952 de la décision attaquée, que, compte tenu des marchés pertinents pour la mise en oeuvre et pour les effets des pratiques, il convenait de retenir, pour la valeur des ventes, le chiffre d'affaires relatif aux produits en zinc de couverture et aux produits EEP. Elle a précisé que le premier de ces marchés incluait le segment du zinc laminé destiné aux façonniers et que le second comprenait aussi les « accessoires » et les « profilés ».
340.Les sociétés Umicore contestent cette analyse. Elles estiment que l'Autorité a commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant dans la valeur des ventes, d'une part, le chiffre d'affaires relatif au zinc laminé destiné aux façonniers, d'autre part, celui relatif à ses ventes à des distributeurs qui n'étaient pas des centres VM Zinc, enfin, celui relatif aux ventes d'accessoires et de profilés. Elles ajoutent que la décision attaquée est à ce titre insuffisamment motivée, en ce qu'elle n'applique pas la règle de droit qu'elle rappelle pourtant dans ses principes, et que ce défaut de motivation viole leurs droits de la défense.
341.L'Autorité rappelle le point 33 du communiqué sanctions, selon lequel l'assiette de la sanction est « la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction ou s'il y a lieu avec les infractions, vendues par l'entreprise ou l'organisme concerné durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle(s)-ci ».
342.Elle fait observer que les ventes de produits de couverture et de produits EEP en zinc réalisées par Umicore avec les distributeurs qui ne sont pas agréés VM Zinc, ne forment pas un marché distinct des ventes effectuées avec les distributeurs ayant cet agrément, que les produits de couverture en zinc vendus aux façonniers se trouvent sur le même marché et que de même, les produits accessoires et profilés en zinc se trouvent sur le même marché que les produits EEP en zinc.
343.Le Ministre chargé de l'économie ainsi que le Ministère public concluent que l'analyse de l'Autorité est conforme aux principes énoncés par la jurisprudence nationale et européenne et que dans ces conditions le moyen doit être rejeté (
).
ET QUE sur la prise en compte des ventes de zinc laminé destiné aux façonniers, aux distributeurs non centres VM Zinc et des ventes d'accessoires et de profilés
348.Ainsi qu'il a déjà été jugé à de nombreuses reprises tant en droit national qu'en droit de l'Union, la valeur des ventes est celle des ventes réalisées sur le marché pertinent et concernent les produits en relation avec l'infraction. Le Ministre chargé de l'économie rappelle à juste titre, à ce sujet, que la notion de valeur des ventes ne peut être entendue comme ne visant que le chiffre d'affaires réalisé avec les seules ventes pour lesquelles il est établi qu'elles ont réellement été affectées par l'infraction (en ce sens, CJUE, arrêt du 9 mars 2017, Samsung SDI e.a./Commission, C-615/15 P, point 52 et jurisprudence citée).
349.Par ailleurs, l'Autorité a, dans le cadre de son analyse des marchés pertinents, précisé, d'une part, que le zinc laminé à destination des façonniers était substituable au zinc laminé destiné à la couverture (décision attaquée, § 460 et suivants), d'autre part, que les accessoires et profilés faisaient partie du marché pertinent des produits EEP en zinc (décision attaquée, § 589 et suivants). Son analyse, non contestée pour le zinc destiné aux façonniers, a été, pour ce qui concerne les accessoires et profilés, validée par la cour aux paragraphes 164 du présent arrêt.
350.S'agissant du marché des produits de couverture en zinc, les sociétés Umicore contestent en vain que les ventes aux façonniers et aux distributeurs qui n'ont pas le statut de centre VM Zinc puissent être mises en relation avec l'infraction, dès lors que la pratique en cause a renforcé la position dominante de la société Umicore France sur le marché des produits de couverture en zinc et a ainsi nécessairement impacté les ventes de ces produits aux façonniers et aux distributeurs qui n'ont pas le statut de centre VM Zinc.
351.Il en est de même s'agissant du marché des produits EEP en zinc. La pratique ne pouvait en effet avoir d'effet sur ces produits sans en avoir sur les accessoires et les profilés qui appartiennent au même marché.
352.Par ailleurs, les sociétés Umicore, qui soutenaient, dans le cadre de leurs moyens concernant les marchés pertinents, que l'Autorité aurait retenu dans ces marchés des produits qui n'auraient pas dû s'y trouver (voir § 164 du présent arrêt), ne démontrent pas, ce qui leur appartient de faire, que la valeur des ventes retenue aurait inclus celle des ventes de ces produits, ni quel montant serait concerné. Les tableaux produits aux cotes 26041 et 26042, auxquels elles renvoient, ne permettent pas, en effet, pas de constater que des ventes de produits qui ne concerneraient pas les marchés pertinents auraient été, de façon erronée, repris dans le calcul de la moyenne de valeur des ventes entre 1999 et 2007 opéré par l'Autorité (décision attaquée, § 956 et 957). Sur ce point, encore, la cour relève qu'il importe peu que les produits destinés à recouvrir les façades aient été inclus dans la valeur des ventes des produits EEP plutôt que dans celle des produits de couverture dès lors que l'Autorité a établi une moyenne des valeurs des ventes réalisées sur ces deux marchés.
353.Il est sans portée sur ces deux points que la pratique reprochée soit une pratique d'abus de position dominante et non de cartel.
354.Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les moyens portant sur la valeur des ventes sont rejetés.
1°) ALORS QUE pour fixer le montant de la valeur des ventes constituant la base de calcul du montant de la sanction, le juge de la concurrence ne doit pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs de ventes sans lien avec l'infraction ; qu'ainsi il ne peut pas englober les ventes qui ne relèvent pas du champ d'application de la pratique incriminée ; qu'en retenant pour inclure dans la valeur des ventes les ventes aux façonniers et aux distributeurs qui n'ont pas le statut de centre VM Zinc au prétexte que la pratique en cause a renforcé la position dominante de la société Umicore France sur le marché des produits de couverture en zinc et a ainsi nécessairement impacté les ventes de ces produits aux façonniers et aux distributeurs qui n'ont pas le statut de centre VM Zinc bien que les sociétés Umicore n'ont été condamnées que pour avoir abusé de leur position dominante « en liant les centres VM Zinc, l'enseigne Asturienne, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Point P, appartenant au groupe Point P-Saint-Gobain, l'enseigne Larivière, appartenant au groupe Larivière-SIG, par des obligations d'achats exclusifs en produits VM Zinc entre 1999 et la fin 2007 », ce dont il résulte que les façonniers n'ont jamais été concernés par la pratique en cause, la cour d'appel a violé l'article L 464-2 du code de commerce et le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;
2°) ALORS QU'il incombe à l'Autorité de la concurrence de délimiter les marchés pertinents et de déterminer la valeur des ventes en relation avec l'infraction pour fixer le montant de la sanction ; qu'en reprochant au contraire aux sociétés Umicore de ne pas démontrer, « ce qui leur appartient de faire, que la valeur des ventes retenue aurait inclus » des ventes sans lien avec l'infraction, « ni quel montant serait concerné », la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, L 420-2 et L 464-2 du code de commerce ainsi que du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;
3°) ALORS QUE pour fixer le montant de la valeur des ventes constituant la base de calcul du montant de la sanction, le juge de la concurrence ne doit pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs de ventes sans lien avec l'infraction ; qu'en affirmant « qu'il importe peu que les produits destinés à recouvrir les façades aient été inclus dans la valeur des ventes des produits EEP plutôt que dans celle des produits de couverture dès lors que l'Autorité a établi une moyenne des valeurs des ventes réalisées sur ces deux marchés », quand la décision déférée (§952) reconnait elle-même expressément que les produits de « façades » et « ornements » constituent des « marchés distincts » et que leur chiffre d'affaires doit être exclu de la valeur des ventes et quand il appartient au contraire au juge de la concurrence de déterminer avec une grande précision la valeur des seules ventes en relation avec l'infraction, ce qui exclut nécessairement toute approximation, la cour d'appel a violé l'article L 464-2 du code de commerce et le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
Moyen produit au pourvoi n° V 18-18.582 par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour La présidente de l'Autorité de la concurrence
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt du 17 mai 2018, dans sa rédaction initiale, d'avoir réformé l'article 3 de la décision de l'Autorité de la concurrence n°16-D-14 du 23 juin 2016 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment et, statuant à nouveau sur ce point, d'avoir infligé, au titre des pratiques visées à l'article 1er de la décision n°16-D-14, solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore une sanction pécuniaire d'un montant de 56.653.000 euros ;
AUX MOTIFS QUE (§326 à §331) après avoir précisé que les dispositions du livre IV du code de commerce applicables en l'espèce sont celles issues de la loi n° 2001-420, du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, dite « loi NRE », l'Autorité a indiqué qu'elle appliquait les critères légaux de détermination de la sanction, énoncés par l'article L. 464-2 I, alinéas 3 et 4, selon les modalités pratiques décrites dans le communiqué sanctions. Par application de cette méthode, elle a fixé la sanction infligée solidairement à la société Umicore France, en tant qu'auteurs des pratiques, et à la société Umicore SA/NV, en sa qualité de société mère de la société Umicore France, à la somme de 69.243.000 euros. L'Autorité a retenu que les pratiques s'étaient déroulées à compter de 1999, année de la signature du contrat de collaboration technique avec les centres VM Zinc, et jusqu'au 31 décembre 2007, date de la dernière manifestation avérée, à savoir la suppression de la bonification qualitative du distributeur Baty fin 2007 (décision attaquée, §1015). Les pratiques ayant duré 9 années, elle a appliqué un coefficient multiplicateur de 5 au montant de base. Les sociétés Umicore soutiennent que l'Autorité a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que le « contrat de collaboration technique et commerciale Zinc - opération préférence » de 1999 (auquel la décision attaquée fait référence sous l'intitulé « contrat de 1999 ») aurait pris cours le 1er janvier 1999. Elles exposent à ce titre que ce contrat a effectivement été signé en 1999, mais en fin d'année, avec prise d'effet au 1er janvier 2000, et qu'en conséquence, la durée des pratiques est de maximum 8 ans soit un coefficient multiplicateur de 4,5 au maximum, au lieu de celui de 5 retenu (moyen 12). Elles font valoir que, selon une jurisprudence constante des juridictions de l'Union, il importe de tenir compte, lors de l'application d'un coefficient multiplicateur reflétant la durée de participation d'une entreprise donnée, de la durée exacte (au jour près) de la participation de cette entreprise à l'infraction. L'Autorité précise que, selon les principes instaurés par les dispositions des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, ainsi que par la jurisprudence, la pratique débute le jour même de la signature du contrat prévoyant une exclusivité, sans attendre sa mise en oeuvre, et qu'elle pouvait donc retenir que l'infraction avait débuté en 1999. C'est à juste titre que l'Autorité soutient que l'infraction débute à la date de conclusion du contrat par lequel elle se manifeste, sans qu'importe le moment de sa mise en oeuvre. Cependant, elle ne peut, en l'absence d'éléments qui démontreraient que les faits auraient débuté antérieurement, faire remonter au début d'une année la durée d'une pratique matérialisée par la signature d'un contrat qui ne l'aurait été qu'à la fin de cette année, point qu'elle ne conteste pas. Dans ces circonstances, la décision attaquée devra être réformée sur ce point et la sanction doit être réévaluée au montant qui sera précisé dans le dispositif en prenant en considération un coefficient multiplicateur de 4, 5 au lieu de 5 ;
ALORS QUE le juge ne peut modifier l'objet du litige ; qu'en l'espèce, dans sa décision du 23 juin 2016, l'Autorité de la concurrence a déterminé le montant de la sanction pécuniaire à infliger à la société Umicore France solidairement avec sa société mère Umicore conformément aux principes du communiqué sanctions du 16 mai 2011 ; qu'elle a ainsi retenu un pourcentage de 10% de la valeur des ventes en relation avec l'infraction, auquel elle a appliqué un coefficient multiplicateur de 5, exprimant la durée de l'abus de position dominante, puis un coefficient d'augmentation de 10 % pour tenir compte de la puissance économique du groupe sanctionné ; qu'à l'appui de leurs recours, les sociétés Umicore France et Umicore ont contesté le montant de la valeur des ventes retenu par l'Autorité de la concurrence, ainsi que le coefficient multiplicateur de 5, relatif à la durée de l'abus de position dominante, mais pas l'application du coefficient de majoration de 10% relatif à la puissance économique du groupe sanctionné (conclusions p. 86 à 92) ; que l'Autorité de la concurrence a conclu au rejet du recours de ces sociétés, sans argumenter spécialement sur la majoration pour l'appartenance à un groupe puisque celleci n'était pas contestée ; que la cour d'appel a retenu une durée de l'abus de position dominante moindre que celle qui avait été retenue par l'Autorité et, en conséquence, un coefficient multiplicateur de 4,5, au lieu de 5, appliqué à la proportion de la valeur des ventes prise en compte ; qu'elle n'a cependant pas appliqué ensuite la majoration de 10% pour appartenance à un groupe ; qu'en statuant de la sorte, quand cette majoration de 10% n'était pas contestée, la cour d'appel, excédant les limites de sa saisine, a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.
Moyen produit au pourvoi n° P 18-19.933 par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les sociétés Umicore France et Umicore SA/NV
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le chef du dispositif de l'arrêt du 17 mai 2018 par lesquels la cour a : « DIT qu'au titre des pratiques visées à l'article 1er de la décision n° 16-D-14, il est infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA/NV, une sanction pécuniaire d'un montant de 56 653 000 euros » est entaché d'une erreur matérielle sur le montant prononcé et d'avoir, en conséquence, dit que ce chef du dispositif doit être rédigé de la façon suivante : « DIT qu'au titre des pratiques visées à l'article 1er de la décision n° 16-D-14, il est infligé solidairement à la société Umicore France et à la société Umicore SA/NV, une sanction pécuniaire d'un montant de 62 318 900 euros. »
AUX MOTIFS QUE aux termes de l'article 462 du code de procédure civile, « [l]es erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande » ; qu'en l'espèce, il y a lieu de rappeler que, dans la décision attaquée, l'Autorité a déterminé la sanction selon les principes du communiqué sanctions ; qu'en effet, après avoir constaté que la valeur des ventes en relation avec l'infraction était de 125 896 778 euros (décision attaquée § 957), elle a retenu un pourcentage de cette valeur de 10 %, traduisant la gravité de l'infraction et l'importance du dommage causé à l'économie (décision attaquée § 1010), auquel elle a appliqué un coefficient multiplicateur de 5, exprimant la durée de l'infraction (décision attaquée, § 1015) ; qu'elle a abouti à un montant de base de la sanction de 62 948 389 euros (décision attaquée, § 1016), auquel elle a appliqué un coefficient d'augmentation de 10 % pour proportionner la sanction à la puissance économique de la société Umicore SA (décision attaquée § 1037), portant le montant final de la sanction à 69 243 000 euros (décision attaquée § 1046) ; que la cour a jugé que le montant de la sanction infligée aux sociétés Umicore devait être réformé en tant que l'Autorité avait appliqué un coefficient multiplicateur de durée de 5 au montant de base ; qu'elle a, en effet, estimé que le montant de ce coefficient multiplicateur était trop élevé au regard de la durée effective de la pratique et qu'il convenait de le remplacer par un coefficient de 4,5 (arrêt du 17 mai 2018 § 331) ; que la cour a en revanche rejeté tous les autres moyens de réformation de la sanction soulevés par les sociétés Umicore ; qu'elle a ensuite recalculé le montant de la sanction en appliquant au pourcentage de 10 % de la valeur des ventes, le coefficient multiplicateur de durée de 4,5, pour obtenir le résultat de 56 653 000 euros, montant arrondi auquel elle a fixé la sanction ; que ce faisant, elle n'a pas appliqué le coefficient de majoration de 10 % relatif à la puissance économique du groupe sanctionné ; qu'or, comme toute juridiction, la cour est tenue, dans son appréciation du recours, par les prétentions des parties et elle ne peut statuer ultra petita, ni soulever un moyen d'office, à moins qu'il ne soit de pur droit et que les parties aient pu s'exprimer sur ce moyen ; qu'au paragraphe 84 de l'arrêt du 17 mai 2018, la cour a écarté l'argument des sociétés Umicore selon lequel la preuve de la partialité des services d'instruction et de l'Autorité à leur encontre résultait notamment du fait qu'ils n'auraient en toute hypothèse pas eu égard aux éléments permettant à la société Umicore SA de renverser la présomption de son influence déterminante sur la société Umicore France SAS ; qu'à cette occasion, la cour a expressément souligné que cette influence déterminante n'était pas critiquée au fond ; qu'il s'en déduit que, sauf à statuer ultra petita, la cour était tenue d'appliquer au montant de base de la sanction de 56 653 550 euros (125 896 778 euros x 10 % x 4,5 ], auquel aboutissait la réduction du coefficient multiplicateur de durée de 5 à 4,5, la majoration de 10 % que les sociétés Umicore ne contestaient pas ; que par ailleurs, la cour n'avait pas à remettre en cause le caractère proportionné de la sanction, alors que les requérantes ne le faisaient pas elles-mêmes ; qu'il s'en déduit qu'en omettant d'appliquer le coefficient d'aggravation de la sanction de 10 %, la cour a commis une erreur, qui n'est pas une erreur de raisonnement ni une erreur d'appréciation, mais une erreur matérielle qu'il convient de rectifier ; que cette rectification ne fait que rétablir la sanction au montant de ce qu'elle devait être en l'absence de contestation sur le fond, par les sociétés Umicore, de l'analyse relative à l'influence déterminante de la société mère Umicore SA sur sa filiale Umicore France SAS, sans qu'importe que la cour ne soit pas tenue d'appliquer le communiqué sanctions ; qu'elle ne porte donc pas atteinte aux droits des sociétés Umicore, celles-ci ne pouvant prétendre détenir un droit au maintien d'un montant de sanction résultant non d'une appréciation de la cour, mais d'une erreur matérielle évidente de sa part ; qu'enfin, aux termes de l'article 462 du code de procédure civile, il appartient à la juridiction qui a rendu la décision comportant une erreur matérielle de réparer cette erreur, l'alinéa 2 de cette disposition précisant que la juridiction peut se saisir d'office, ce qui a été le cas en l'espèce ; que ce faisant la cour ne tranche pas un litige, mais ne fait que rétablir sa décision telle qu'elle aurait dû être au regard de la raison et du dossier et son impartialité pour examiner l'erreur ne peut être mise en cause du seul fait qu'elle a rendu la décision à rectifier ; qu'en conséquence de ce qui précède la sanction prononcée devait être calculée comme suit : [(125 896 778 euros X 10 % (coefficient de gravité)) X 4,5 ] + 10 % = 62 318 905 euros, arrondie à 62 318 900 euros et il convient de rectifier l'arrêt du 17 mai 2018 en ce sens ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut sous couvert de rectification d'erreur matérielle, procéder à une nouvelle appréciation des éléments de la cause et modifier les droits et obligations des parties ; que si une simple erreur arithmétique de calcul peut être rectifiée, le juge ne saurait, en revanche, modifier les règles de calcul du montant d'une condamnation sous prétexte de rectifier une erreur matérielle ; qu'en décidant, sous couvert de rectifier une erreur matérielle, d'appliquer un coefficient d'aggravation de la sanction de 10 %, la cour d'appel qui a modifié les règles de calcul de la sanction et les droits et obligations des parties a violé l'article 462 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en affirmant que l'omission de l'application du coefficient d'aggravation de la sanction de 10 % par la cour n'est pas une erreur de raisonnement ou une erreur d'appréciation, mais une erreur matérielle qu'il convient de rectifier, tout en justifiant cette rectification par l'interdiction de statuer ultra petita ou de soulever un moyen d'office sans que les parties aient pu s'expliquer, ce qui au contraire confirmerait l'existence d'une possible erreur intellectuelle et non matérielle, la cour d'appel a, encore, violé l'article 462 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires prévoyant notamment la possibilité de majorer le montant de la sanction en fonction de la puissance économique du groupe sanctionné a désormais une valeur normative et son application relève du contrôle de la Cour de cassation : qu'en considérant qu'une prétendue erreur commise dans l'application des règles du communiqué du 16 mai 2011, et spécialement du coefficient de majoration de 10 % relatif à la puissance économique du groupe sanctionné pouvait constituer une simple erreur matérielle susceptible d'être rectifiée quand une telle erreur de droit, à la supposer établie, ne peut être réparée qu'en se livrant à une nouvelle appréciation des éléments de la cause, sous le contrôle de la Cour de cassation, la cour d'appel a violé de plus fort l'article 462 du code de procédure civile. | Si l'article L. 464-2, I, du code de commerce permet à l'Autorité de la concurrence d'accepter les engagements, de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence, proposés par les entreprises, ces dernières ne disposent pas d'un droit aux engagements, l'Autorité jouissant d'un pouvoir discrétionnaire en la matière.
C'est donc exactement que la cour d'appel a retenu que le collège n'avait pas à formaliser sa décision de refus d'engagement ni, a fortiori, à la motiver |
422 | COMM.
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 septembre 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 495 FS-P+B
Pourvoi n° X 18-24.863
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 SEPTEMBRE 2020
Le syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs (Synhorcat), dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° X 18-24.863 contre l'arrêt n° RG : 17/18436 rendu le 5 septembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 3), dans le litige l'opposant à Mme S... T..., domiciliée [...] (Royaume-Uni), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SARL Corlay, avocat du syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs (Synhorcat), de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme T..., et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 23 juin 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mmes Darbois, Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Daubigney, M. Ponsot, Mme Boisselet, M. Mollard, conseillers, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 septembre 2018), rendu en matière de référé, Mme T... proposait, sur une plateforme numérique d'échanges, l'organisation, à son domicile, de repas préparés par elle, moyennant le paiement d'une certaine somme. Le syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers, traiteurs (le Synhorcat), association de défense des intérêts économiques, matériels et moraux des hôtels, restaurants, cafés et des établissements ressortissant habituellement à cette branche ainsi que des commerces connexes, a, en s'appuyant sur un constat d'huissier de justice établi au domicile de Mme T..., assigné celle-ci en référé afin qu'il lui soit fait interdiction de proposer, par quelque moyen que ce soit, notamment par plateforme électronique, ou de fournir, sous quelque forme que ce soit, des prestations de restauration en violation des dispositions légales et réglementaires, notamment la législation relative à la délivrance d'alcool, celle portant sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics et celle, désignée comme le « Paquet hygiène », contenue dans les règlements du Parlement européen et du Conseil (CE) n° 178/2002 du 28 janvier 2002, n° 852/2004 et n° 853/2004 du 29 avril 2004.
Examen du moyen unique
Sur le moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
2. Le Synhorcat fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que constitue un trouble manifestement illicite le fait, pour un particulier, de proposer contre rémunération dépassant la simple participation aux frais exposés à un repas à son domicile par un particulier, en dehors du cadre familial ou amical, sans respecter la réglementation d'ordre public pour la protection de la santé publique applicable en matière de restauration et de débit de boissons ; qu'en l'espèce il est établi que Mme T... propose de façon régulière par l'intermédiaire d'une plateforme numérique et contre une rémunération dépassant la simple participation aux frais exposés, un service de restauration avec boissons alcoolisées ; qu'en considérant qu'il n'était pas certain que les dispositions d'ordre public pour la protection de la santé publique soient applicables malgré la rémunération avérée d'une prestation de restauration avec boissons alcoolisées proposée de façon régulière sur des plateformes numériques, la cour d'appel a violé les articles 12 et 873 du code de procédure civile ensemble les articles L. 3331-2 du Code de la santé publique et les règles européen CE n° 178/2002, 852/2004 et 853/2004 ;
2°/ qu'en toute hypothèse a un but lucratif la prestation de restauration avec boissons alcoolisées réalisée en contrepartie d'une rémunération dépassant la simple participation aux frais exposés ; qu'en disant le "but non lucratif" non établi aux motifs inopérants que Mme T... exercerait par ailleurs une activité professionnelle, sans rechercher si la rémunération demandée (entre 96 euros et 132 euros par personne) n'excédait pas la simple participation aux frais de restauration avec boisson alcoolisée, la cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles 873 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 3331-2 et suivants du code de la santé publique ;
3°/ que les règlements européens établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires s'appliquent "à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution des denrées alimentaires et des aliments pour animaux. Il ne s'applique pas à la production primaire destinée à un usage domestique privé, ni à la préparation, la manipulation et l'entreposage domestiques de denrées alimentaires à des fins de consommation domestique privée" ; qu'en l'espèce il est acquis que la défenderesse proposait régulièrement sur des plateformes numériques spécialisées une prestation de restauration contre rémunération sans respecter les règles d'ordre public d'hygiène et de sécurité imposées par la législation européenne ; qu'en refusant de rechercher si une telle prestation ne dépassait le cadre d'un usage domestique privé, la cour d'appel a manqué de base légale au regard articles 12 et 873 du code de procédure civile ensemble les règlements européens CE n° 178/2002, 852/2004 et 853/2004. »
Réponse de la Cour
3. Après avoir rappelé que le trouble manifestement illicite visé par l'article 873 du code de procédure civile désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou non, constitue une violation évidente de la règle de droit, l'arrêt énonce qu'il résulte des règlements n° 178/2002 du 28 janvier 2002, n° 852/2004 et n° 853/2004 du 29 avril 2004 que « les règles communautaires ne devraient s'appliquer ni à la production primaire destinée à un usage domestique privé ni à la préparation, la manipulation et l'entreposage domestique de denrées alimentaires à des fins de consommation privée » et que, en outre, « elles ne devraient s'appliquer qu'aux entreprises dont le concept suppose une certaine continuité et un certain degré d'organisation ».
4. Après avoir, ensuite, relevé que Mme T... n'est pas commerçante, qu'il n'est pas établi qu'elle ait organisé les dîners en cause dans un but lucratif, qu'elle exerce une activité professionnelle sans rapport avec la restauration et qu'elle ne dispose d'aucun établissement au sens des dispositions invoquées, puisque ces dîners ont eu lieu à son domicile, l'arrêt retient que la pratique de Mme T... ne peut être qualifiée d'activité de restauration commerciale relevant manifestement de la réglementation nationale applicable à cette matière ainsi que de la législation européenne.
5. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il résulte qu'il n'était pas établi que l'activité occasionnelle, limitée et non professionnelle de Mme T..., relevait avec l'évidence requise devant le juge des référés des dispositions invoquées à l'appui de sa demande par le Synhorcat, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, a pu rejeter cette demande.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. Le Synhorcat fait le même grief à l'arrêt, alors « que le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en refusant de faire droit aux demandes de mesures conservatoires du Synhorcat aux motifs qu'il y aurait "un doute sur l'applicabilité des législations invoquées par l'appelant et partant sur leur violation manifeste laquelle requiert une analyse de l'activité litigieuse et de ses caractéristiques ainsi qu'une appréciation qui ne relèvent pas du juge des référés", la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les articles 12 et 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 873 du code de procédure civile, ainsi que les articles L. 3331-1 et L. 3331-2 du code de la santé publique :
8. Selon le premier de ces textes, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de sa compétence, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Il résulte de la combinaison des deux autres que la vente de boissons alcooliques n'est autorisée qu'aux détenteurs d'une des licences qu'ils prévoient.
9. Pour rejeter la demande du Synhorcat, qui invoquait un trouble manifestement illicite résultant de ce que Mme T... servait, au cours des repas qu'elle organisait, des boissons alcooliques sans détenir aucune licence restaurant ou de troisième ou quatrième catégorie, en violation des articles L. 3331-1 et L. 3331-2 du code de la santé publique, l'arrêt, après avoir énoncé que ces dispositions prévoient que la vente d'alcool est conditionnée à l'obtention d'une licence, retient que s'il ne fait aucun doute que les bars et cafés entrent dans la catégorie des débits de boissons à consommer sur place, il n'en est pas de même d'autres pratiques au cours desquelles des boissons alcoolisées sont vendues. Il ajoute que toute personne offrant des boissons ne devient pas de ce fait un débit de boissons de sorte qu'il est nécessaire pour déterminer la législation applicable à la pratique incriminée de procéder à un examen concret de celle-ci au regard de plusieurs critères, tels, par exemple, le caractère lucratif de l'offre de boissons ou le caractère privé ou non de la réunion à laquelle participaient les personnes en cause. L'arrêt énonce encore qu'il en est de même de la pratique consistant à offrir des boissons en même temps qu'une restauration pour laquelle la législation impose d'être titulaire d'une licence spécifique et relève que la réglementation applicable en la matière concerne les établissements qualifiés de restaurants, la qualification de l'activité de restauration ayant elle-même évolué au fil du temps pour tenir compte des habitudes alimentaires des clients. Enfin, après avoir relevé que Mme T... n'est pas commerçante et qu'il n'est pas établi qu'elle ait organisé des dîners par l'intermédiaire d'une plateforme numérique dans un but lucratif, alors que, par ailleurs, elle exerce une activité professionnelle sans aucun lien avec la restauration ou le débit de boissons et que les dîners litigieux ont eu lieu à son domicile, l'arrêt retient que l'organisation par cette dernière de dîners ponctuels au cours desquels des boissons étaient consommées ne permet pas au juge des référés, juge de l'évidence, de considérer que cette pratique peut manifestement être qualifiée d'une activité de restauration commerciale ou de débitant de boissons relevant de la législation applicable à ces matières.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que Mme T..., à l'occasion de dîners rémunérés, organisés pour des convives s'inscrivant par par l'intermédiaire d'une plateforme numérique, servait des boissons alcooliques sans être titulaire d'aucune des licences prévues par les articles L. 3331-1 et L. 3331-2 du code de la santé publique, ce qui constituait un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance, il dit n'y avoir lieu à référé au titre du trouble manifestement illicite causé par l'organisation de dîners rémunérés comportant la fourniture de boissons alcooliques, l'arrêt rendu le 5 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne Mme T... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme T... et la condamne à payer au syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers, traiteurs (Synhorcat) la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux septembre deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour le Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs (Synhorcat)
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « en application de l'article 873 du code de procédure civile le président du tribunal de commerce peut "même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire" ; Considérant que le trouble manifestement illicite résulte de "toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit" ; Considérant qu'au soutien de son appel le Synhorcat fait valoir que le cadre légal et réglementaire en matière de prestations de restauration s'applique aux utilisateurs de plateformes numériques comme Mme T..., et que le non-respect de cette législation par cette dernière constitue un trouble manifestement illicite ; Considérant s'agissant de la législation en matière de vente d'alcool, que les articles L 3331-1 et suivants du code de la santé publique prévoient que la vente d'alcool est conditionnée à l'obtention d'une licence, l'article L 3331-2 précisant les licences nécessaires pour les débits de boissons à consommer sur place ainsi que pour les restaurants servant de l'alcool dans le cadre d'un repas ; Considérant, ainsi que l'appelant le reconnaît dans ses écritures, que le code de la santé publique ne donne pas de définition du débit de boissons ; que le Synhorcat précise qu'une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation avait défini les débits de boissons comme "tout établissement où des boissons à consommer de toute nature sont servies ou offertes pour être consommées surplace" ; que s'il ne fait aucun doute que les bars et cafés entrent dans la catégorie des débits de boissons à consommer sur place, il n'en est pas de même s'agissant d'autres pratiques aux cours desquelles des boissons alcoolisées sont vendues ; qu'en effet toute personne offrant des boissons ne devient pas ipso facto un débitant de boissons de sorte qu'il est nécessaire pour déterminer la législation applicable à la pratique incriminée de procéder à un examen in concreto de celle-ci au regard de l'existence de plusieurs critères tels par exemple que le caractère lucratif de l'offre de boissons ou le caractère privé ou non de la réunion à laquelle participaient les personnes en cause ; Considérant que le juge doit se livrer à la même interprétation s'agissant d'une pratique consistant à offrir des boissons en même temps qu'une restauration pour laquelle la législation impose d'être titulaire d'une licence spécifique, l'application de la réglementation applicable en la matière ne concernant que les établissements qualifiés de restaurant, l'activité de restauration ayant elle-même évolué au fil du temps pour tenir compte des modifications des habitudes alimentaires des clients ; qu'ainsi l'heure des repas a pu constituer un critère en faveur de l'existence de l'activité de restauration pour finalement devenir un critère indifférent ; que de la même manière la vente de sandwiches a également été considérée comme ne caractérisant pas un repas au sens de la loi et notamment de l'article L 3331-2 du code de la santé publique ; Considérant qu'au cas d'espèce Mme T... n'est pas commerçante et il n'est pas établi qu'elle a organisé des dîners par l'intermédiaire d'une plate-forme numérique dans un but lucratif, alors par ailleurs qu'elle exerce une activité professionnelle sans aucun lien avec la restauration ou le débit de boisson ; qu'elle ne dispose pas d'un établissement professionnel au sens des dispositions précitées et les dîners litigieux ont eu lieu à son domicile ; que l'organisation par l'intimée de dîners ponctuels au cours desquels des boissons étaient consommées ne permet pas au juge des référés, juge de l'évidence, de considérer que cette pratique peut manifestement être qualifiée d'une activité de restauration commerciale ou de débitant de boisson relevant de la législation applicable à ces matières ; Considérant que l'appelant invoque encore la violation par l'intimée de la législation en matière d'affichage dans les lieux publics prévue par le décret 2002-1465 du 17 décembre 2002, relatif à l'étiquetage des viandes bovines ; que ce texte ne concerne que "les établissements de restauration proposant des repas à consommer sur place ou dans les établissements proposant des repas à consommer sur place et à emporter" et le domicile de Mme T... ne peut manifestement pas être qualifié comme tel ; Considérant s'agissant de l'interdiction de fumer, l'article R 3512-7 du code de la santé publique dispose que "Dans les lieux mentionnés à l'article R. 3512-2, une signalisation apparente rappelle le principe de l'interdiction de fumer. Un modèle de signalisation accompagné d'un message sanitaire de prévention est déterminé par arrêté du ministre chargé de la santé.", l'article R 35 122 précisant que "L'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif mentionnée à l'article L. 3512-8 s'applique : « Dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail ; 2° Dans les moyens de transport collectif ; 3° Dans les espaces non couverts des écoles, collèges et lycées publics et privés, ainsi que des établissements destinés à l'accueil, à la formation ou à l'hébergement des mineurs ; 4° Dans les aires collectives de jeux telles que définies par le décret n° 96-1136 du 18 décembre 1996 fixant les prescriptions de sécurité relatives aux aires collectives de jeux. » ; qu'à l'évidence le domicile de Mme T... ne peut être assimilé à aucun de ces lieux de sorte que le juge des référés ne peut en déduire qu'à l'évidence cette législation lui serait applicable ; Considérant que l'appelant allègue encore la violation de la réglementation européenne dite "Paquet hygiène" composée de 5 règlements adoptés en avril 2004 par l'Union Européenne et d'un règlement CE 178/2002 posant les principes généraux de la législation alimentaire ; qu'il résulte de ces règlements lesquels précisent leur champ d'application que "les règles communautaires ne devraient s'appliquer ni à la production primaire destinée à un usage domestique privé ni à la préparation, la manipulation et l'entreposage domestique de denrées alimentaires à des fins de consommation domestique privée" et que "en outre elles ne devraient s'appliquer qu'aux entreprises dont le concept suppose une certaine continuité et un certain degré d'organisation" ; que force est de constater que la preuve n'est nullement rapportée que cette législation serait manifestement applicable à l'intimée, dont l'activité d'hôte n'a été qu'occasionnelle ; Considérant que vainement l'appelant se prévaut de l'instruction interministérielle du 23 décembre 2016 qui rappelle que bien que n'étant pas définie réglementairement, l'activité dite de "table d'hôte" est soumise à un certain nombre de réglementation notamment en ce qui concerne l'affichage des prix, l'hygiène des aliments, le permis d'exploitation pour la délivrance de boissons alcoolisées, la maîtrise de la chaîne du froid, dès lors qu'un tel document est dépourvu de force normative, celui-ci précisant au demeurant que l'activité dont s'agit n'est pas définie réglementairement ; que la note d'analyse de la direction générale des entreprises du ministère de l'économie de septembre 2016, qui exposait que "l'activité rémunérée de service d'un repas à son domicile par un particulier doit être considérée comme une activité de restauration", n'a aucune valeur normative pas plus que la réponse ministérielle du 27 novembre 2017 dans laquelle le ministère de l'économie et des finances indique à propos de plateformes numériques qui mettent en relation des particuliers qui cuisinent chez eux pour d'autres particuliers qu'il "ne s 'agit pas d'un repas privé dans le mesure où il sort du cercle familial ou amical, le repas donnant lieu à rémunération en contrepartie d'une prestation de service" ; Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il existe un doute sur l'applicabilité des législations invoquées par l'appelant et partant sur leur violation manifeste laquelle requiert une analyse de l'activité litigieuse et de ses caractéristiques ainsi qu'une appréciation qui ne relèvent pas du juge des référés, juge de l'évidence, que dès lors le trouble allégué fondé sur la concurrence déloyale que constituerait l'organisation des dîners par un particulier à son domicile n'est pas manifeste ; qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que le premier juge, qui n'a commis aucune violation de l'article 12 du code de procédure civile, n'a pas fait droit aux demandes du Synhorcat, et l'ordonnance doit être confirmé (
) Considérant que le sort des dépens et de l'indemnité de procédure a été exactement réglé par le premier juge ; Qu'à hauteur de cour, il convient d'accorder à Mme T..., contrainte d'exposer de nouveaux frais pour se défendre, une indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile dans les conditions précisées au dispositif ci-après ; Que partie perdante le Synhorcat ne peut prétendre à l'allocation d'une indemnité de procédure et supportera les dépens d'appel sous le bénéfice des dispositions prévues par l'article 699 du code de procédure civile. »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « Nous retenons que constitue un trouble manifestement illicite la violation évidente d'une règle de droit résultant d'un fait matériel ou juridique ; Nous retenons ainsi que le Synhorcat ne nous démontre pas avec l'évidence requise en référé que la législation sur le tabac, la vente d'alcool, le « paquet hygiène », l'affichage de l'origine de la viande bovine et les textes en découlant soient applicables à des prestations très occasionnelles de restauration, réalisées par des particuliers depuis leur domicile, ce qui ne saurait être assimilable à une activité de restauration commerciale régulière, faute de précision de la loi, expressément applicable à cette nouvelle activité ; En conséquence nous dirons que le trouble manifestement illicite n'est pas rapporté et dirons n'y avoir lieu à référé. Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive Nous relevons que Madame T... propose toujours ses prestations sur les sites de mise en relation présents sur internet »
ALORS QUE 1°) constitue un trouble manifestement illicite le fait, pour un particulier de proposer contre rémunération dépassant la simple participation aux frais exposés à un repas à son domicile par un particulier, en dehors du cadre familial ou amical, sans respecter la réglementation d'ordre public pour la protection de la santé publique applicable en matière de restauration et de débit de boisson ; qu'en l'espèce il est établi que Madame T... propose de façon régulière par l'intermédiaire d'une plateforme numérique et contre une rémunération dépassant la simple participation aux frais exposés un service de restauration avec boissons alcoolisées ; qu'en considérant qu'il n'était pas certains que les dispositions d'ordre public pour la protection de la santé publique soient applicables malgré la rémunération avérée d'une prestation de restauration avec boissons alcoolisées proposée de façon régulière sur des plateformes numériques, la Cour d'appel a violé les articles 12 et 873 du Code de procédure civile ensemble les articles L. 3331-2 du Code de la santé publique et les règles européen CE n° 178/2002, 852/2004 et 853/2004 ;
ALORS QUE 2°) le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en refusant de faire droit aux demandes de mesures conservatoires de l'exposant aux motifs qu'il y aurait « un doute sur l'applicabilité des législations invoquées par l'appelant et partant sur leur violation manifeste laquelle requiert une analyse de l'activité litigieuse et de ses caractéristiques ainsi qu'une appréciation qui ne relèvent pas du juge des référés », la Cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les articles 12 et 873 du Code de procédure civile.
ALORS QUE 3°) en toute hypothèse a un but lucratif la prestation de restauration avec boissons alcoolisées réalisée en contrepartie d'une rémunération dépassant la simple participation aux frais exposés ; qu'en disant le « but non lucratif » non établi aux motifs inopérants que la défenderesse exercerait par ailleurs une activité professionnelle, sans rechercher si la rémunération demandée (entre 96 € et 132 € par personne) n'excédait pas la simple participation aux frais de restauration avec boisson alcoolisée, la Cour d'appel a manqué de base légale au regard des articles 873 du Code de procédure civile, ensemble les articles L. 3331-2 et suivants du Code de la santé publique ;
ALORS QUE 4°) les règlements européens établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires s'appliquent « à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution des denrées alimentaires et des aliments pour animaux. Il ne s'applique pas à la production primaire destinée à un usage domestique privé, ni à la préparation, la manipulation et l'entreposage domestiques de denrées alimentaires à des fins de consommation domestique privée » ; qu'en l'espèce il est acquis que la défenderesse proposait régulièrement sur des plateformes numériques spécialisées une prestation de restauration contre rémunération sans respecter les règles d'ordre public d'hygiène et de sécurité imposées par la législation européenne ; qu'en refusant de rechercher si une telle prestation ne dépassait le cadre d'un usage domestique privé, la Cour d'appel a manqué de base légale au regard articles 12 et 873 du Code de procédure civile ensemble les règlements européens CE n° 178/2002, 852/2004 et 853/2004. | Il résulte de la combinaison des articles L. 3331-1 et L. 3331-2 du code de la santé publique que la vente de boissons alcooliques n'est autorisée qu'aux détenteurs d'une des licences qu'ils prévoient. Constitue en conséquence un trouble manifestement illicite la pratique d'un particulier consistant à servir des boissons alcooliques à l'occasion de repas rémunérés, préparés et servis à son domicile à des clients s'inscrivant par l'intermédiaire d'une plate-forme numérique, sans être titulaire d'aucune des licences prévues par ces textes. |
423 | N° R 18-82.150 FS-P+B+I
N° 1076
EB2
8 SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
REJET des pourvois formés par MM. L... I..., V... W..., C... T..., la Fédération nationale des victimes d'accidents collectifs, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 13 février 2018, qui, pour homicides involontaires, a condamné les prévenus à trois ans d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires en demande, en défense et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Bellenger, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. V... W..., les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. L... I..., les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. C... T..., les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs, les observations de la SCP Boullez, avocat de Mme M... U... et les conclusions de Mme Le Dimna, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, MM. Lavielle, Samuel, conseillers de la chambre, Mme Méano, M. Leblanc, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que MM. L... I..., V... W... et C... T... ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel du chef d'homicides involontaires à la suite d'un accident survenu dans la nuit du [...] au [...] lors d'un décollage de nuit à un avion de type Beechcraft C90 King air, exploité par la société Flowair aviation et piloté par H... F..., qui n'était pas titulaire de la qualification IFR professionnelle ; qu'après un décollage long et une pente de montée faible, l'avion a percuté des arbres situés dans l'axe de la piste, accident à la suite duquel le pilote, un employé de cette même compagnie et deux médecins embarqués comme passagers ont trouvé la mort ; que les juges du premier degré ont déclaré les prévenus coupables ; que, les prévenus, le procureur de la République et la partie civile ont relevé appel de cette décision;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation proposé par M. W... :
Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale :
Attendu que le moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par M. I..., pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
En ce que la cour d'appel a déclaré M. I... coupable d'homicide involontaire ;
1°/ alors que, la faute délibérée n'est établie que si l'obligation particulière de prudence ou de sécurité méconnue est prévue par la loi ou le règlement ; que le manuel d'exploitation (MANEX) dont les termes n'ont pas été respectés est rédigé par l'exploitant lui-même et n'est pas un texte réglementaire, même si son existence est prévue par l'arrêté du 12 mai 1997 concernant le SADE ; qu'ainsi, la cour d'appel ne pouvait, sans violer l'article 121-3 du code pénal, juger que la méconnaissance du MANEX par le prévenu constituait une faute délibérée au sens de ce texte ;
2°/ alors que, la faute délibérée n'est établie que si les juges du fond caractérisent le caractère délibéré du manquement ; qu'en se bornant à relever que M. I... n'a pas veillé à la stricte et constante application de la réglementation, sans établir la violation intentionnelle et délibérée des obligations particulières de prudence ou de sécurité prétendument violées, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
3°/ alors que, la faute caractérisée, qui est celle qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité qu'on ne peut ignorer, suppose de son auteur la conscience d'un tel danger, les juges du fond devant démontrer que la personne physique auteur indirect du dommage avait connaissance du risque ou disposait d'informations suffisantes pour lui permettre de l'envisager comme probable ; qu'en déclarant que l'accumulation des fautes commises par M. I... ne lui a pas permis d'apprécier avec la rigueur nécessaire les véritables compétences et faiblesses de H... F..., ce dont il résulte nécessairement que le prévenu ignorait les insuffisances professionnelles de son pilote, tout en jugeant que ses négligences ont exposé autrui à un danger d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations ;
4°/ alors qu'en reprochant tout à la fois à M. I... de ne pas s'être mis en mesure d'apprécier les compétences professionnelles de H... F..., et d'avoir, en l'employant comme commandant de bord, exposé autrui à un danger d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires, le prévenu ne pouvant à la fois ignorer les insuffisances professionnelles de son pilote et savoir qu'elles exposeraient autrui à un danger au sens de l'article 121-3 du code pénal ;
5°/ alors que, l'article 221-6 du code pénal ne peut recevoir application que si le lien de causalité, même indirect, est établi avec certitude entre la faute du prévenu et le décès de la victime ; que les causes certaines de l'accident n'ont jamais pu être déterminées, les rapports officiels se bornant, faute d'enregistreur de vol, à émettre des hypothèses ; qu'en se bornant à déduire, sur le fondement de quelques témoignages portant sur le comportement de H... F..., d'ailleurs contredits, que l'accident aurait été causé par une faute de pilotage, la Cour d'appel, qui s'est limitée à émettre une hypothèse, serait-elle probable, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
6°/ alors que, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de répondre au moyen péremptoire de défense qui faisait valoir que le SADE prétendument non respecté n'a en tout état de cause pas vocation à former le pilote, seulement à l'adapter aux procédures internes de la compagnie, de sorte que le non respect du SADE ne peut pas être à l'origine d'aucune faute de pilotage.
7°/ alors que, la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de répondre au moyen péremptoire de défense qui faisait valoir que le non respect du SADE n'avait pas causé l'accident, la soumission au SADE ne pouvant déceler ou empêcher, en tout état de cause, des comportements délibérément dangereux en vol d'un pilote, commandant de bord ;
8°/ alors que, la cour d'appel ne juger que « le responsable du recrutement devait contrôler les brevets et licences de l'impétrant et à tout le moins se renseigner auprès de ses précédents employeurs sur les qualités du pilote et sa réputation professionnelle », pour en déduire que M. I... avait agi « avec une légèreté blâmable pour un chef d'entreprise responsable » sans répondre au moyen péremptoire de défense selon lequel la disparition du scellé « DOC 10 – Neuf copies de document remis par la société Flowair concernant H... F...» avait privé le prévenu de la possibilité de démontrer l'ensemble des diligences effectuées au cours de l'embauche de H... F... et, notamment, qu'il avait vérifié sa licence et son triptyque. »
Sur le deuxième moyen de cassation proposé par M. W..., pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 et 221-6 du code pénal, préliminaire, 384, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale, violation du principe du contradictoire ;
En ce que la cour d'appel a déclaré M. W... coupable d'homicide involontaire commis par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, l'a condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement avec sursis, a déclaré recevable les constitutions de partie civile et l'a condamné à verser diverses sommes au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
1°/ alors que le règlement au sens du quatrième alinéa de l'article 121-3 et du second aliéna l'article 221-6 du code pénal s'entend uniquement des actes des autorités administratives à caractère général et impersonnel ; qu'il ne résulte pas des dispositions de l'arrêté du 12 mai 1997 relatif aux conditions techniques d'exploitation d'avions par une entreprise de transport aérien public (OPS 1) un ordre précis de passage des épreuves du stage d'adaptation de l'exploitant en ce qui concerne les deux épreuves de vol hors ligne et de vol en ligne, ni un nombre d'étapes minimum ; qu'en retenant comme un manquement à une obligation prévue par le règlement le fait de ne pas respecter l'ordre de ces épreuves et le nombre d'étapes minimum fixés, non pas par le décret précité, mais par le manuel en ligne établi par l'exploitant et validé par la direction générale de l'aviation civile au motif inopérant que ce document tirait sa force obligatoire du décret précité qui en impose l'adoption, la cour d'appel a méconnu les textes précités ;
2°/ alors que le délit d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement suppose le constat de la violation en connaissance de cause de cette obligation ; qu'en l'état des constatations de l'arrêt dont il résulte que M. W... ne connaissait pas le changement de la réglementation et la prétendue obligation réglementaire qui en résulterait de faire subir l'épreuve de vol hors ligne avant celle du vol en ligne (arrêt, p. 37, § 2 ; jugement, p. 22, §9), la cour d'appel, en retenant une faute délibérée dans le fait de méconnaître cette obligation, a entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;
3°/ alors en tout état de cause qu'en condamnant le prévenu du chef d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement et réprimé par le second alinéa de l'article 221-6 du code pénal en ne constatant à son encontre qu'une faute caractérisée et qui exposait autrui à un danger que son auteur ne pouvait ignorer, la cour d'appel a méconnu les textes précités ;
4°/ alors en dernier état de cause qu'en requalifiant les manquements visés par la prévention et retenus par le premier juge en tant qu'une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement en faute caractérisée, sans en informer préalablement le prévenu et sans mettre ce dernier en mesure de présenter des observations sur le point de savoir si une faute pouvait lui être reprochée au-delà des manquements visés par la prévention, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et les textes cités au moyen ;
5°/ alors enfin qu'en retenant à l'encontre du prévenu l'absence de manuel à sa disposition à bord de l'avion et en déduisant de cette seule circonstance que le stage d'adaptation de l'exploitation aurait alors présenté un caractère artificiel et révélé une faute caractérisée cependant que ce prétendu manquement n'est pas mentionné au sein de la prévention et ne participe pas des faits au regard desquels la prévention vise un manquement à une obligation légale ou réglementaire, la cour d'appel a excédé les termes de sa saisine et méconnu l'article 384 du code de procédure pénale. »
Sur le troisième moyen de cassation proposé par M. W..., pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale ;
En ce que la cour d'appel a déclaré M. W... coupable d'homicide involontaire commis par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, l'a condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement avec sursis, a déclaré recevable les constitutions de partie civile et l'a condamné à verser diverses sommes au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale ;
1°/ alors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'avion avait roulé sur une distance anormalement longue de 950 mètres, soit une distance qui avait été relevée comme étant très supérieure à celle nécessaire (jugement, p. 20, § 6 ; arrêt, p. 21, §1 et 3) ; qu'en retenant néanmoins que la faute de pilotage résultait de ce que, comme il en aurait eu l'habitude, le pilote aurait pratiqué la technique du décollage par palier permettant de décoller indépendamment de la longueur de la piste, circonstance radicalement contradictoire avec le roulement de l'avion sur une distance excessive, la cour d'appel a entaché ses motifs d'une contradiction quant aux faits au regard desquels elle a estimé que l'accident était dû à une faute de pilotage et non à un incident technique ;
2°/ alors encore que le délit d'homicide involontaire suppose un lien certain entre la faute et le dommage, et ne peut résulter de la perte d'une chance d'éviter ce dernier ; qu'en retenant que la faute consistant à avoir fait subir les épreuves du stage d'adaptation de l'exploitant dans un ordre différent à celui qui était préconisé était en lien avec l'accident sans répondre au moyen pris de ce que la DGAC valide les stages dans de telles situations (conclusions d'appel, p. 11 et 12) ni constater la certitude qu'en cas de respect de l'ordre préconisé le pilote aurait manifesté une insuffisance que le prévenu aurait pu déceler et qui aurait dissuadé son employeur de le conserver au sein des effectifs de l'entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;
3°/ alors enfin que le délit d'homicide involontaire suppose un lien certain entre la faute et le dommage, et ne peut résulter de la perte d'une chance d'éviter ce dernier ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que les fautes commises par les trois prévenus auraient été en lien avec l'accident imputable à une erreur humaine du pilote dans la mesure où ce dernier n'aurait pas été embauché par la société Flowair Aviation et n'aurait pas piloté l'avion si les fautes de l'un ou l'autre des prévenus n'avait pas été commises ; qu'il résulte également des constatations de l'arrêt que le pilote avait réussi les épreuves du stage d'adaptation de l'exploitant avec son précédent employeur, lequel avait néanmoins décidé de ne pas le maintenir dans l'entreprise à raison des insuffisances remarquées au cours de ce stage ; qu'il résulte encore des constatations de l'arrêt l' « aveuglement » de M. I..., dirigeant de la société Flowair Aviation, qui avait adopté un parti pris en faveur du pilote face aux remarques qui lui avaient été présentées par des pilotes de la compagnie lui faisant part de leurs craintes et de leurs analyses après avoir réalisé des vols avec H... F... et qu'il n'avait pas cru bon de conserver un certain recul face à ce pilote en raison de l'urgence de recruter un candidat correspondant à son profil et qui souhaitait se stabiliser pour un temps au sein de la compagnie ; que, dès lors, en retenant en lien avec l'accident la prétendue défaillance dans la mise en oeuvre du stage d'adaptation de l'exploitant imputable à M. W..., qui aurait empêché ce dernier de déceler les insuffisances du pilote, par des motifs dont il ne ressort pas qu'il est certain que, si ce stage s'était déroulé conformément à la réglementation le pilote n'aurait pas, comme avec son précédent employeur, réussi l'ensemble des tests et si, à supposer que des insuffisances aient tout de même été détectées, il est certain qu'en l'état de cette réussite aux épreuves ces insuffisances auraient réussi à convaincre le dirigeant de la société Flowair Aviation, pressé de recruter ce pilote et ignorant tout des avertissements donnés par les autres pilotes de sa compagnie, de ne pas embaucher l'intéressé, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision. »
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer M. I... coupable d'homicides involontaires, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que celui-ci était le gérant de la société Flowair, qu'il a embauché H... F... sans se renseigner sur ses qualités de pilote auprès de ses précédents employeurs, qu'il a agi ainsi avec une légèreté blâmable qui l'a privé d'être informé des conditions de la rupture du précédent contrat de travail en raison de l'incapacité de ce pilote à effectuer du transport public de passagers, qu'il a poursuivi son aveuglement sans tenir compte des craintes des autres pilotes de sa compagnie ; que les juges ajoutent que le stage d'adaptation de l'exploitant (SADE) n'a pas été effectué conformément à l'arrêté du 12 mai 1997 qui est un règlement au sens de l'article 121-3 du code pénal, que même si l'OPS 1 et le manuel d'exploitation (Manex) ne sont pas en eux-mêmes des règlements, c'est bien de l'arrêté du 12 mai 1997 qu'ils tirent leur force obligatoire puisque ledit arrêté y renvoie expressément pour préciser le contenu des obligations liées aux conditions techniques d'exploitation et que l'OPS 1.945 relate les conditions du stage d'adaptation en précisant que l'exploitant doit le suivre effectivement ; que les juges retiennent que ce stage doit comprendre une formation et un contrôle au sol couvrant les systèmes de l'avion, les procédures normales, anormales et d'urgence, une formation et un contrôle de sécurité-sauvetage qui doivent être effectués avant le début de la formation sur avion, une adaptation et le contrôle associé requis au paragraphe OPS 1.965 (b) sur avion ou entraîneur synthétique de vol, une adaptation en ligne sous supervision et le contrôle requis au paragraphe OPS 1.965 (c), et que le stage d'adaptation de l'exploitant doit être effectué dans l'ordre fixé au sous-paragraphe (a) ; que les juges retiennent encore que le manuel d'exploitation (MANEX) de la société Flowair, qui fait référence à ce stage, a été approuvé par l'Autorité le 8 avril 2005, et que de ce fait, le respect des dispositions de l'arrêté du 12 mai 1997 concernant le SADE implique le respect du manuel d'exploitation mis en place par le dirigeant de l'entreprise; que les juges ajoutent que l'ordre de formation prévu par le SADE n'a pas été respecté, que le livret de progression ne fait état que de l'accomplissement de quatre étapes de vol au lieu des huit prescrites au minimum, ce qui n' a pas permis de jauger réglementairement H... F..., que ce dernier a volé comme pilote de l'avion, alors qu'il n'était pas lâché, sous la supervision de Mme A... qui n'avait pas la qualité de pilote superviseur ; que les juges en concluent que l'accumulation de ces fautes qualifiées n'a pas permis d'apprécier avec la rigueur nécessaire les véritables compétences de H... F... et ses faiblesses structurelles, que ces négligences ont exposé objectivement la clientèle à un risque d'une particulière gravité que le prévenu ne pouvait ignorer, que l'intention coupable est caractérisée par le fait que M. I... était le rédacteur du manuel d'exploitation et devait personnellement veiller au strict respect du SADE, qu'il existe un lien indirect mais certain avec l'accident causé par une faute de pilotage, comme cela résulte du recoupement des conclusions du Bureau d'enquêtes et d'analyses (B.E.A) de la Direction générale de l'armement (D.G.A) et de l'expertise judiciaire avec les témoignages ; que les juges retiennent encore que H... F... a choisi la piste la plus défavorable pour décoller en raison de la présence d'obstacles en bout de piste, que les témoins ont déclaré que ce pilote, pour qui c'était une habitude, après avoir effectué un roulage anormalement long de 950 mètres au lieu de 457 mètres, avait pris une pente de montée insuffisante de 3 % alors que celle nécessaire était de 7,8 %, et qu'en conséquence les éléments constitutifs du délit d'homicide involontaire sont réunis ;
Attendu que, pour déclarer M. W... coupable d'homicides involontaires, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que celui-ci, pilote contrôleur agréé par l'aviation civile, mandaté par la compagnie Flowair pour faire passer un examen à H... F... entre le 7 août et le 7 septembre 2006, a déclaré ignorer le changement de réglementation impliquant la réalisation de vols en supervision préalablement à un vol de contrôle en ligne, qu'il n'a respecté ni l'ordre du déroulement du stage d'exploitation en ligne (SADE), ni son contenu, qu'il ne disposait pas à bord du manuel d'exploitation de la société Flowair, ce qui conférait un caractère artificiel au SADE qu'il était censé faire passer à H... F..., qu'il n'a pas sollicité de dérogations quant aux étapes du SADE, qu'agissant en dehors du cadre réglementaire sans respecter les contraintes en matière de sécurité imposées aux représentants de l'aviation civile, dont lui-même, M. W... a commis une faute caractérisée ; que les juges ajoutent qu'en tant que professionnel, son accréditation par la DGAC lui donne la compétence mais aussi la connaissance précise des enjeux de l'examen dont il devait assumer le contrôle, qu'il avait un devoir de vigilance qu'offraient les exigences du SADE qu'il n'a pas respecté et qu'il a déclaré H... F... apte sans avoir intentionnellement utilisé les outils à sa disposition pour le lâcher en ligne ; que les juges retiennent encore, par motifs propres et adoptés, qu'il existe un lien indirect mais certain entre le non respect du SADE par M. W... et l'accident survenu au décollage, que les rapports du BEA, de la DGA et de l'expert judiciaire vont dans le sens de la faute de pilotage, liée aux insuffisances de H... F..., dont l'inaptitude à exercer les fonctions de commandant de bord a été dénoncée par plusieurs témoins dont son ancien employeur ; que les juges retiennent encore que H... F... a choisi la piste la plus défavorable pour décoller en raison de la présence d'obstacles en bout de piste, que les témoins ont déclaré que ce pilote, pour qui c'était une habitude, après avoir effectué un roulage anormalement long de 950 mètres au lieu de 457 mètres, avait pris une pente de montée insuffisante de 3 % alors que celle nécessaire était de 7,8 %, et qu'en conséquence les éléments constitutifs du délit d'homicide involontaire sont réunis ; que les juges concluent de l'exécution d'un stage bâclé, effectué sans professionnalisme ni rigueur par M. W..., qu'il existe un lien indirect mais certain entre la non réalisation réglementaire du SADE et l'accident survenu au décollage ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs dont il résulte que les prévenus, ont commis des violations manifestement délibérées d'obligations de prudence ou de sécurité imposées par la loi ou le règlement, en l'espèce l'arrêté du 12 mai 1997, l'OPS 1.945 et son appendice 1 que le manuel d'exploitation (MANEX) se borne à reprendre en les adaptant à l'entreprise, et que ces violations étaient en lien certain avec l'accident, la cour d'appel, a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens, qui manquent en fait dans les troisième, quatrième et cinquième branche du deuxième moyen proposé par M. W..., doivent être écartés ;
Sur le premier moyen de cassation proposé par M. T..., pris de la violation des articles 6 de la Convention des droits de l'homme, 11 bis 1 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, 121-3 et 221-6 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de base légale ;
En ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. C... T... coupable des faits qui lui sont reprochés pour les faits d'homicide involontaire commis les [...] et [...] à Bron, Lyon et La Veze et l'a condamné à un emprisonnement délictuel de trois ans avec sursis ;
« 1°/ alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; qu'il résulte de l'information que H... F... se prévalait mensongèrement de la qualification IFR professionnel depuis 2002, consécutivement à l'erreur d'un examinateur qui avait coché à tort la case « prorogation IFR » sur le formulaire d'examen en vol comportant le numéro de la licence professionnelle de H... F..., que cette case avait été cochée à nouveau par erreur chaque année jusqu'en 2006 par différents examinateurs et que consécutivement quatre agents du bureau central des licences de Paris avaient, avant M. T..., prorogé par erreur la qualification IFR professionnel de Barthélémy F..., que ce dernier s'était mensongèrement prévalu de la qualification IFR requise pour voler aux instruments en tant que pilote professionnel auprès de ses trois employeurs successifs, en leur présentant à cette fin l'intercalaire jaune associé à sa licence professionnelle, sur lequel figurait à tort la qualification IFR pour les périodes du 1er juin 2003 au 31 mai 2005 (D438), que le 27 mai 2005, un nouvel intercalaire erroné avait été établi par Mme N... D..., agent de la DGAC du bureau central des licences à Paris, attestant que H... F... était titulaire d'une qualification « IFR professionnel » (D615), que si cet intercalaire erroné a été retiré le 29 mai 2006 par Mme O... , un autre agent de la DGAC chargée de la délivrance des licences à Paris, à l'issue d'un contrôle approfondi (D1412), H... F... a continué à utiliser une copie qu'il en avait faite pour tromper ses interlocuteurs et leur faire croire qu'il était titulaire de ladite qualification, que M. T... n'avait quant à lui pas de mission de délivrance des licences des pilotes mais uniquement de renouvellement et de prorogation de ces dernières après leur attribution par l'administration centrale au terme d'un contrôle strict, que cette mission annexe à ses missions principales s'exerçait deux demi-journées par mois dans le hall d'entrée du bureau de piste de Lyon-Bron, sans disposer du dossier papier des pilotes, contrairement à Mme O... lorsqu'elle avait découvert la falsification effectuée par H... F..., tandis que selon les dires de cette dernière « le système informatique ne comportait aucune mention spécifique sur ce point » » (conclusions d'appel de l'exposant, p.26) et qu'en l'espèce « H... F... a présenté à M. T... tous les documents nécessaires à la prorogation, c'est à dire un test en vol contenant la qualification « IFR » et son carnet de vol comprenant les étapes requises » (conclusions, p.27) ; qu'en jugeant que M. T..., à qui H... F... avait produit une copie de l'intercalaire erroné du 27 mai 2005 ainsi que le test en vol du 7 août 2006 de M. V... W... contenant la qualification « IFR » prorogée pour la licence professionnelle, avait commis une faute caractérisée pour, après avoir effectué l'ensemble des vérifications formelles requises pour accorder une prorogation, n'avoir pas découvert que plusieurs examinateurs et agents de la DGAC du bureau central des licences à Paris avaient été dupés par H... F... avant lui et lui avaient attribué une qualification IFR professionnelle qu'il ne possédait pas, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les textes précités ;
2°/ alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en jugeant dans le même temps « qu'en l'espèce, la licence de pilote privée en date du 25 octobre 2005 portait la mention de 1'existence de la mention IFR, mais la licence professionnelle du 29 mai 2006 n'en portait aucune, car cette qualification ne lui avait jamais été attribuée ; que M. T... n'avait aucunement analysé le contenu du titre qu'il lui avait été demandé de proroger ; qu'en effet, la seule lecture par un agent de la DGAC de la licence professionnelle présentée ne laissait apparaître aucune mention antérieure sur l'existence de la qualification IFR, et ce avant même de s'intéresser aux moyens de contrôle qui n'ont pas été sollicités » (arrêt, p.39 in fine) et que « la mention portée par erreur sur la licence professionnelle du 27 mai 2005 de M. F... par un agent de la DGAC lui attribuant l'IFR professionnel était valable jusqu'au 31 octobre 2006 et lui aurait permis de voler le soir de l'accident avec une apparence de légalité » (arrêt, p.40, antépénultième §), la cour d'appel, qui s'est contredite, a méconnu les principes et les textes susvisés ;
3°/ alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en jugeant que « la lecture du classeur mis à sa disposition dans son bureau et dont il était chargé des mises à jour n'est pas suffisante pour l'absoudre de son manque de professionnalisme » (arrêt, p.40 § 4), dès lors que M. T... « disposait, en cas de simple doute sur sa propre technicité, de la possibilité de téléphoner aux services du BRIA de Lyon, comme cela avait été confirmé par M. K..., chef du Bureau régional d'information et d'assistance » (ibid. §5), sans relever aucun élément permettant d'établir l'existence d'un tel doute, la cour d'appel ayant au contraire relevé que « la mention portée par erreur sur la licence professionnelle du 27 mai 2005 de M. F... par un agent de la DGAC lui attribuant l'IFR professionnel était valable jusqu'au 31 octobre 2006 et lui aurait permis de voler le soir de l'accident avec une apparence de légalité » (arrêt, page 40, antépénultième §) et M. T... ayant rappelé qu'« il résulte de ses déclarations constantes qu'il n'a eu aucun doute sur la validité des qualifications présentées par H... F... » (conclusions de l'exposant, p.9), la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les principes et les textes susvisés ;
4°/ alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que M. T... rappelait, page 26 de ses écritures d'appel, que seule la consultation du dossier papier du pilote aurait permis de déceler la falsification commise par H... F..., que « c'est précisément la consultation du dossier papier du pilote, doublée de la présentation par H... F... d'un test en vol sans mention de l'épreuve « IR », qui a permis à Mme J... O... de déceler l'échec de H... F... au teste d'anglais », que « Mme J... P... O... a précisé que le système informatique ne comportait « aucune mention spécifique sur ce point ». Son attention a été attirée par la mention « absence langue anglaise » figurant dans le dossier papier de H... F... (D1414, D148), ce qu'elle a confirmé à l'audience du 10 octobre 2017 » et qu'il a été établi lors de l'instruction qu'un « bug » entraînait sur les dossiers informatiques des pilotes l'affichage intempestif, bien que non systématique, de la mention « restreint pilote privé » pour les qualifications IFR, même lorsque les pilotes étaient bien qualifiés « IFR professionnel », de telle sorte que « les agents étaient invités à ne pas en tenir compte D1414, D1422) » (conclusions d'appel de l'exposant, p.39 in fine), raison pour laquelle le tribunal avait retenu que « la question de savoir si cette consultation (du dossier informatique) aurait permis à M. T... de vérifier l'acquisition du privilège de l'IFR n'a pas été résolue » (jugement, p.23) ; qu'en jugeant que dès lors que M. T... avait ouvert son ordinateur « il avait été à même de vérifier l'état du dossier de M. F... (et) qu'ainsi, et même en l'absence du dossier « papier » qui avait été contrôlé par Mme O... , et sans comparaison entre eux, M. T... disposait des outils nécessaires pour mener à bien sa mission », aux motifs contradictoires que le « bug » informatique a été « révélé très tardivement dans l'instruction judiciaire » (arrêt, p.40 § 2) et que cette existence « n'est nullement démontrée » (ibid.), absence de démonstration tirée au surplus des motifs inopérants aux termes desquels la copie informatique du dossier de H... F... d'octobre 2006 laissait apparaître la mention « restreint au privilège de pilote privé » tandis que celle de M. U... à la même date ne la comportait pas, et en ignorant ainsi qu'il n'avait jamais été soutenu que ce « bug » était systématique, la cour d'appel, qui n'a pas justifié sa décision, a méconnu les principes et textes susvisés ;
5°/ alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en jugeant « qu'en sa qualité de professionnel, il (M. T...) avait ainsi une obligation positive de vérification des titres présentés, obligation qu'il n'a pas remplie, alors que la DGAC lui reconnaissait une aptitude à cette mission pour laquelle il avait reçu une formation, ce qu'il ne nie pas » (arrêt, p.39), sans vérifier, comme il lui était demandé, si cette formation ne différait pas de celle des autres agents du bureau central des licences, qui « recevaient une formation adaptée et permanente (D1413). Ils avaient ainsi une connaissance très poussée de la technique administrative relative à la délivrance et à la prorogation de licence » (conclusions, p.26, antépénultième §), ce qui « n'était évidemment pas le cas de M. T... » (ibid. pénultième §), la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les textes précités.
Sur le second moyen de cassation proposé par M. T..., pris de la violation des articles 6 de la Convention des droits de l'homme, 11 bis 1 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983, 121-3 et 221-6 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, défaut de base légale ;
En ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. T... coupable des faits qui lui sont reprochés pour les faits d'homicide involontaire commis les [...] et [...] à Bron, Lyon et La Veze et l'a condamné à un emprisonnement délictuel de trois ans avec sursis ;
« 1°/ alors que l'article 221-6 du Code pénal exige, pour recevoir application, que soit constatée l'existence certaine d'un lien de causalité entre la faute du prévenu et le décès de la victime ; qu'en retenant que M. T... avait causé indirectement l'accident après avoir relevé que « selon la direction générale de l'armement (DGAT), le rapport d'investigation laisse apparaître "comme hautement improbable un dysfonctionnement mécanique comme cause de l'accident" ; que l'expert judiciaire, Mme Q... validait les conclusions de la DGAT et du BEA et considérait quant à elle comme "quasi improbable une défaillance technique de l'avion" ; que selon le rapport du BEA, deux scénario permettaient d'expliquer simultanément la longueur de roulement et la faible prise de hauteur de l'avion, sachant qu'il existait pas d'enregistreur de vol » (arrêt, pp.35-36), de telle sorte qu'il n'existait aucune certitude sur la cause de l'accident et que le dysfonctionnement mécanique, bien que « quasi-improbable », n'avait pas été définitivement exclu et ne pouvait l'être faute d'enregistreur de vol, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes susvisés ;
2°/ alors que l'article 221-6 du code pénal exige, pour recevoir application, que soit constatée l'existence certaine d'un lien de causalité entre la faute du prévenu et le décès de la victime ; qu'en retenant que M. T... avait causé indirectement l'accident après avoir relevé que « la mention portée par erreur sur la licence professionnelle du 27 mai 2005 de H... F... par un agent de la DGAC lui attribuant l'IFR professionnel était valable jusqu'au 31 octobre 2006 et lui aurait permis de voler le soir de l'accident avec une apparence de légalité » (arrêt, p.40, antépénultième §), au motif « que le pilote n'aurait pas pu voler s'il (M. T...) avait prévenu son employeur » (ibid., pénultième §), sans prendre en considération ni les manoeuvres entretenues depuis des années par H... F... pour tromper ses interlocuteurs en leur laissant croire qu'il possédait l'IFR professionnel, ni le fait qu'à supposer que M. T... ait rencontré une difficulté il aurait sans doute invité H... F... à se présenter au bureau des licences de Saint-Exupéry avant le 31 octobre 2006, date d'expiration de sa qualification, ce qui n'aurait pas suffi à éviter l'accident survenu antérieurement, ni du fait que le jour de l'accident, H... F... était le seul pilote disponible et qu'il était impossible de préjuger de la réaction de son employeur, M. I..., co-prévenu de M. T..., si ce dernier avait décelé l'existence d'un problème concernant l'attribution de l'IFR professionnel antérieurement attribué à H... F..., la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard du principe et des textes susvisés. »
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable d'homicides involontaires, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que M. C... T... a apposé une mention non réglementaire en apposant la mention «oui» dans la colonne IFR sur la licence professionnelle de H... F... alors que ce document ne faisait pas mention de cette qualification; que les juges ajoutent que cette lecture incorrecte du titre présenté a été aggravée par l'absence d'utilisation des outils mis à sa disposition et notamment de l'informatique à laquelle M. T... s'est pourtant raccordé pour effectuer la prorogation de la licence, qu'aucun bug informatique n'est avéré et que M. T... s'est abstenu de contacter le Bureau régional d'information aéronautique (BRIA) ; que les juges retiennent que le fait qu'il y ait eu une erreur antérieure sur la licence de 2005 attribuant à H... F... l'IFR professionnel qui lui aurait permis de voler le soir de l'accident avec une apparente légalité n'est pas pertinent dans la mesure où le prévenu aurait dû s'apercevoir de l'erreur lors de la prorogation de la licence ; que les juges retiennent encore que le prévenu ne peut arguer du fait qu'il a été induit en erreur par le document signé par M. W... sur lequel apparaissait la qualification de type et celle de la prorogation de l'IFR en apparence liée à la licence professionnelle, un tel argument ne pouvant être invoqué par un agent de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) formé à des missions de contrôle et que M. T... a ainsi commis une faute caractérisée; que les juges ajoutent que M. T..., affecté à temps partiel au bureau des licences, avait eu une formation assurée par la DGAC, qu'il disposait d'un manuel technique et d'un accès à une base informatique, outre la possibilité de joindre le BRIA de Lyon-Bron, qu'il avait, en sa qualité de professionnel, une obligation positive de vérification des titres présentés, et qu'il a accompli les opérations de prorogation en une dizaine de minutes ; que les juges en concluent que le manque cruel de vigilance de M. T..., par une lecture erronée des données, une absence de contrôle effectif et l'apposition d'une qualification inexistante, a eu des conséquences connues sur le vol du [...] ; que les juges retiennent encore que le rôle de M. T... s'arrêtait au contrôle et à l'alerte de M. I..., présent sur place, qui n'aurait pas donné le poste de pilote en fonction à H... F... s'il avait su que ce dernier n'avait pas l'IFR professionnel et que le lien entre l'accident et la faute aggravée de M. T... est ainsi indirect mais certain; que les juges retiennent encore que les rapports du BEA, de la DGA et de l'expert judiciaire sur les causes de l'accident et les témoignages vont dans le sens de la faute de pilotage, que H... F... a choisi la piste la plus défavorable pour décoller en raison de la présence d'obstacles en bout de piste, que les témoins ont déclaré que H... F..., pour qui c'était une habitude, après avoir effectué un roulage anormalement long de 950 mètres au lieu de 457 mètres, avait suivi une pente de montée insuffisante de 3 % alors que celle nécessaire était de 7,8 %, que ces éléments démontrent qu'une manoeuvre inappropriée de pilotage est à l'origine de l'accident et en est la cause directe et que cette faute de pilotage est liée aux insuffisances de H... F..., dont l'inaptitude à exercer les fonctions de commandant de bord a été dénoncée par plusieurs témoins dont son ancien employeur ;
Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs dénués d'insuffisance comme de contradiction, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions légales et conventionnelles invoquées ;
D'où il suit que les moyens ne sont pas fondés ;
Sur le moyen unique de cassation proposé par la Fenvac, partie civile, pris de la violation des articles 1er du règlement (CE) n° 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997, 1er du règlement (CE) no 889/2002 du Parlement européen et du Conseil du 13 mai 2002, 29, 33 et 55 de la convention de Montréal du 28 mai 1999, 1er du premier protocole et 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 1382, devenu 1240 du code civil, 2, 2-15, 382, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit ;
En ce que la cour d'appel s'est déclarée incompétente pour connaître des demandes formées par les parties civiles en réparation des dommages causés par MM. I... et W... ainsi que par les associations Fenvac et avec sur leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 2-15 du code de procédure pénale et les a renvoyées à se pourvoir devant le tribunal de grande instance de Lyon ;
« 1°/ alors que la convention de Montréal du 28 mai 1999, pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international, applicable aux opérations de transport de passagers effectuées sur le territoire d'un seul État, a remplacé la convention de Varsovie du 12 octobre 1929, dès son entrée en vigueur en droit français, intervenue le 28 juin 2004 ; qu'en jugeant, pour se déclarer incompétente pour connaître des demandes formées par les parties civiles et les renvoyer à se pourvoir devant le tribunal de grande instance de Lyon, que la convention de Varsovie exclurait la compétence des juridictions pénales et imposerait la seule compétence du tribunal du lieu de destination de l'aéronef ou du siège social de la compagnie, quand, rationae temporis, la convention de Varsovie était inapplicable à un accident survenu le [...], la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°/ alors que le juge pénal saisi, à la suite d'un accident aérien, de poursuites dirigées contre une compagnie aérienne, ses dirigeants ou préposés, est compétent pour allouer des dommages intérêts aux parties civiles victimes du dommage causé par l'infraction ; qu'en se déclarant incompétente pour connaître des demandes formées par la Fenvac sur le fondement de l'article 2-15 du code de procédure pénale, et en la renvoyant à se pourvoir devant le tribunal de grande instance de Lyon, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°/ alors que l'action en responsabilité est portée, au choix du demandeur, dans le territoire d'un des états parties, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination, soit, sur le territoire d'un Etat partie où le passager a sa résidence principale et permanente au moment de l'accident et vers lequel ou à partir duquel le transporteur exploite des services de transport aérien, soit avec ses propres aéronefs, soit avec les aéronefs d'un autre transporteur en vertu d'un accord commercial, et dans lequel ce transporteur mène ses activités de transport aérien à partir de locaux que lui-même ou un autre transporteur avec lequel il a conclu un accord commercial loue ou possède ; qu'en jugeant que « seules les juridictions visées à l'article 28 de la convention de Varsovie, modifié par le protocole de La Haye en 1955, sont compétentes pour statuer sur la responsabilité du transporteur aérien, soit le tribunal du lieu de destination de l'aéronef, soit celui du siège social de Flowair » (arrêt, p. 42, § 5), quand, à raison du domicile des passagers victimes, les juridictions françaises, et spécialement les juridictions pénales bisontines à raison du lieu de l'infraction, étaient également compétentes pour connaître des demandes formulées par la Fenvac, conformément à l'article 33 de la convention de Montréal, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Attendu que, pour se déclarer incompétente pour statuer sur les demandes de réparations civiles formées à l'encontre de MM. I... et W... , la cour d'appel énonce que la jurisprudence a posé le principe de l'incompétence matérielle des juridictions répressives pour condamner un transporteur aérien à réparer les préjudices subis par les victimes d'un accident survenu dans le cadre d'un transport aérien, que la responsabilité de ce dernier ne peut être recherchée que dans les conditions prévues par l'article 24 de la Convention de Varsovie et de l'article L. 321-3 du code de l'aviation civile devenu l'article L. 6421-3 du code des transports et qu'en vertu de ces textes, il y a lieu de renvoyer les parties civiles à se pourvoir devant la juridiction civile du tribunal de grande instance de Lyon ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et si c'est à tort que la cour d'appel a considéré que la Convention de Varsovie était applicable aux demandes en réparation formées par les parties civiles alors que seule la Convention de Montréal l'était aux termes de l'article 1 du règlement CE 889/2002 du 13 mai 2002, repris par l'article L. 6421-3 du code des transports, pour les transports aériens effectués dans un même Etat membre par une entreprise de transport aérien titulaire d'une licence d'exploitation, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que l'action en responsabilité du transporteur aérien et de ses préposés échappe à la compétence matérielle des juridictions répressives ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 6[...]-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt. | Sont coupables d'homicide involontaire les prévenus qui ont commis des violations manifestement délibérées d'obligations de prudence ou de sécurité imposées par la loi ou le règlement, en l'espèce l'arrêté du 12 mai 1997, l'OPS 1.945 et son appendice 1 que le manuel d'exploitation (MANEX) se borne à reprendre en les adaptant à l'entreprise |
424 | N° A 19-82.761 FS-P+B+I
N° 1077
CK
8 SEPTEMBRE 2020
DECHEANCE
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 SEPTEMBRE 2020
DECHEANCE et CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par M. W... P... et M. J... Q..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 21 février 2019, qui, pour mise en danger de la vie d'autrui et maintien en circulation d'un aéronef ne répondant pas aux conditions de navigabilité, les a condamnés chacun à un an d'emprisonnement avec sursis et un an d'interdiction d'exercice de leur activité professionnelle.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
I. - Sur le pourvoi de M. J... Q... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II. - Sur le pourvoi formé par M. W... P... :
Vu le mémoire produit ;
Sur le rapport de M. Bellenger, conseiller, les observations de la SCP Colin-Stoclet, avocat de M. W... P..., et les conclusions de Mme Le Dimna, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, Mmes Schneider, Ingall-Montagnier, MM. Lavielle, Samuel, conseillers de la chambre, Mme Méano, M. Leblanc, conseillers référendaires, Mme Le Dimna, avocat général, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. W... P..., mécanicien de la société Air Moorea, et M. Q..., contrôleur de production, chargé de signer l' Approbation pour remise en service (APRS) ont été poursuivis des chefs de maintien en circulation d'un aéronef ne présentant pas les conditions de navigabilité et de mise en danger de la vie d'autrui pour avoir fait effectuer en novembre 2007 par du personnel d'entretien non qualifié et sans contrôle le montage d'un câble de commande des ailerons d'un avion «Twin Otter » qui s'est avéré défectueux ; qu'un mois environ après ces travaux, à la suite de la perception d'une dureté des commandes, il est apparu que le câble passait en dehors de la gorge d'une poulie, au dessus de l'arrêtoir de celle-ci, ce qui avait eu pour effet de provoquer une usure rapide de ce câble sur une longueur de 2,5 cm, susceptible d'entraîner sa rupture ; que le tribunal a déclaré les prévenus coupables ; que les prévenus et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485, 486, 510, 512 et 591 du code de procédure pénale, violation de la loi et manque de base légale ;
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. W... P... coupable d'avoir mis en circulation un aéronef ne répondant pas aux conditions de navigabilité et d'avoir, par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, exposé directement l'équipage et les passagers de l'aéronef à un risque de mort, d'infirmité ou de blessures, et est entrée en voie de condamnation ; alors qu' « en vertu du principe du secret du délibéré, seuls doivent participer au délibéré les juges devant lesquels l'affaire a été plaidée, à l'exclusion du greffier et du représentant du ministère public ; que l'arrêt, qui mentionne que le ministère public a été « représenté aux débats et au délibéré par Mme Angibaud, substitut général » (arrêt, p. 2), a méconnu ce principe. »
Attendu que si l'arrêt indique que le ministère public était représenté aux débats et au délibéré, il mentionne également que le président et ses deux assesseurs ont participé aux débats et au délibéré, puis que l'arrêt a été lu par le président conformément à l'article 485 du code de procédure pénale en présence du ministère public et du greffier, mettant ainsi la Cour de cassation en mesure de s'assurer de sa régularité, le nom du ministère public figurant avant ces constatations ne pouvant qu'établir la présence de ce dernier au moment du prononcé de l'arrêt ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article L. 150-1 du code de l'aviation civile, l'arrêté ministériel du 12 avril 1997 – OPS article 1.420 b, des articles 223-1, 223-18, 223,20 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. W... P... coupable d'avoir mis en circulation un aéronef ne répondant pas aux conditions de navigabilité et d'avoir, par la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement exposé directement l'équipage et les passagers de l'aéronef à un risque de mort, d'infirmité ou de blessures, et est entré en voie de condamnation alors :
« 1°/ qu'en application de l'article L. 150-1 du code de l'aviation civile, sont punis d'une amende de 75 000 euros et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement, le propriétaire, l'exploitant commercial, ou l'exploitant technique qui auront fait ou laissé circuler un aéronef ne répondant pas à tout moment aux conditions techniques de navigabilité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait déclarer M. P..., dont elle a seulement relevé qu'il était mécanicien salarié de la société Air Mooréa, coupable de mise en circulation ou maintien en circulation d'un aéronef ne répondant pas aux conditions de navigabilité sans constater qu'il aurait eu la qualité de propriétaire, d'exploitant commercial ou d'exploitant technique de l'aéronef ;
2°/ que constitue un délit le fait d'exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que n'impose pas une obligation particulière de prudence ou de sécurité un texte de portée générale qui impose qu'un aéronef soit apte au vol en respectant à tout moment les conditions techniques de navigabilité ; qu'en se bornant à retenir que M. P... n'avait pas effectué ou vérifié le remplacement des câbles de commande d'aileron, ce qui était une préconisation du constructeur de l'aéronef, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'obligation particulière de prudence imposée par la loi ou le règlement qu'il aurait violée ;
3°/ que constitue un délit le fait d'exposer autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que ne constitue pas une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement le manuel des spécifications de l'organisme d'entretien (MOE) écrites par un atelier d'entretien ; qu'en se bornant à retenir que M. P... n'avait pas effectué ou vérifié le remplacement des câbles de commande d'aileron, ce qui était une préconisation du constructeur de l'aéronef, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'obligation particulière de prudence imposée par la loi ou le règlement que M. P... aurait violée ;
4°/ que, subsidiairement, le délit de mise en danger d'autrui prévu à l'article 223-1 du code pénal suppose la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; qu'un manquement, une faute d'imprudence ou de négligence ne constituent pas une violation manifestement délibérée ; qu'en se bornant à retenir que M. P... n'avait pas effectué ou vérifié le remplacement des câbles de commande d'aileron ce qui était une préconisation du constructeur de l'aéronef sans constater qu'il aurait délibérément choisi de méconnaître ces préconisations, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision. »
Sur le moyen pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de mise en danger de la vie d'autrui, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que la réalisation de travaux sensibles portant sur les commandes de vol a été effectuée par des techniciens non habilités B1, comme l'exigeait le Manuel des spécifications de l'organisme de maintenance (MOE) et que M. P..., qualifié B1, n'a pas procédé à la réparation ni à son contrôle bien qu'il ait signé les fiches d'instruction technique ; que les juges ajoutent que l'absence de contrôle réel et effectif, malgré les recommandations précises des documents techniques et le défaut grossier de montage du câble engage sa responsabilité alors même que des vérifications s'imposaient de plus fort quelques semaines après un accident mortel survenu à un aéronef du même type, ce qui ne constitue pas une simple négligence mais une violation manifestement délibérée du code de l'aviation civile et du Manuel des spécifications des opérations de maintenance sur le contrôle des travaux critiques touchant les systèmes sensibles ; que les juges retiennent que le prévenu a été défaillant sur la surveillance des techniciens sous son contrôle qui n'ont pas effectué correctement la vérification croisée, ce qui relève directement de sa responsabilité ; que les juges ajoutent que le mauvais positionnement du câble en dehors de la gorge de la poulie, au dessus de l'arrêtoir, a provoqué une usure importante de ce câble, après 44 heures d'utilisation seulement, susceptible d'entraîner sa rupture, ce qui était de nature à mettre en danger l'équipage et les passagers de l'aéronef transportés;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que le Manuel des spécifications de l'organisme de maintenance (MOE) de la société Air Moorea, se borne à reprendre, en y ajoutant l'organisation interne de l'entreprise, les dispositions des parties 145 et M du règlement CE n° 2042/2003, directement applicables dans les pays de l'Union européenne, concernant les organismes chargés de la maintenance et les normes d'entretien, et pour les personnels chargés de l'entretien, les compétences prévues par la partie 66.A du même règlement, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel le délit de mise en danger de la vie d'autrui par la violation délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement dont elle a déclaré le prévenu coupable, a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions légales invoquées ;
D'où il suit que les griefs ne sont pas fondés ;
Mais sur le moyen pris en sa première branche
Vu l'article L. 150-1 du code de l'aviation civile, dans sa rédaction alors en vigueur, devenu l'article L. 6232-4 du code des transports ;
Attendu que, selon ce texte, sont punissables tout propriétaire, exploitant technique ou commercial d'un avion qui a fait ou laissé circuler un aéronef ne répondant pas à tout moment tant aux conditions techniques de navigabilité ayant servi de base à la délivrance du document de navigabilité qu'aux règles relatives au maintien en état de validité de ce document ;
Attendu que pour déclarer le prévenu coupable de maintien en circulation d'un aéronef ne répondant pas aux conditions de navigabilité, l'arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que le remplacement des câbles de commande des ailerons devait être effectué par un technicien B1, qu'il a été effectué par deux techniciens n'ayant pas cette qualité, que M. P... a signé les fiches d'intervention technique en qualité d'exécutant, tout en admettant qu'il n'avait pas procédé lui-même aux travaux, ni contrôlé le cheminement des câbles ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi alors qu'il ne résulte pas de ses constatations que M. W... P... avait la qualité de propriétaire ou d'exploitant, la cour d'appel a méconnu le texte précité et le principe ci-dessus énoncé ;
I.- Sur le pourvoi de M. J... Q... :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
II. - Sur le pourvoi de M. W... P... :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, en date du 21 février 2019, mais en ses seules dispositions relatives au délit de maintien en circulation d'un aéronef ne répondant pas aux conditions de navigabilité et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
ET pour qu'il soit statué dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée, à ce désignée par décision spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Papeete, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit septembre deux mille vingt. | Est coupable de mise en danger de la vie d'autrui par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement le prévenu, technicien aéronautique B1, qui ne respecte pas les préconisations du Manuel des spécifications de l'organisme de maintenance (MOE) de la société de transport aérien, dès lors que ce document se borne à reprendre, en y ajoutant l'organisation interne de l'entreprise, les dispositions des parties 145 et M du règlement CE n° 2042/2003, directement applicables dans les pays de l'Union européenne, concernant les organismes chargés de la maintenance et les normes d'entretien, et pour les personnels chargés de l'entretien, les compétences prévues par la partie 66.A du même règlement |
425 | N° X 19-85.495 F-D
N° 1372
EB2
1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par la société Guadeloupe Plus et M. E... L... contre l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, chambre correctionnelle, en date du 23 juillet 2019, qui, dans la procédure suivie contre Mmes K... D... et R... C... du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Guadeloupe Plus, et M. E... L..., les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme R... A..., épouse C... et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 5 novembre 2016, la chaîne de télévision Canal 10 a diffusé une émission intitulée "Avis d'experts", comportant une interview de Mme R... C... mettant en cause M. E... L..., journaliste, et le journal "Le courrier de Guadeloupe", édité par la société Guadeloupe Plus, propos mis en ligne, le 16 décembre suivant, sur le site internet de cette chaîne de télévision, dont la directrice de publication est Mme D....
3. Le 2 février 2017, M. L... et la société Guadeloupe Plus ont porté plainte et se sont constitués partie civile du chef de diffamation publique envers particuliers et, par ordonnance du 17 mai 2018, Mmes D... et C... ont été renvoyées de ce chef devant le tribunal correctionnel.
4. Par jugement du 28 février 2019, les premiers juges ont relaxé les prévenus, après avoir estimé que les propos incriminés ne comportaient aucune imputation de faits précis et ont débouté les parties civiles de leurs demandes.
5. Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu par la chambre correctionnelle de la cour d'appel composée d'un juge unique, alors :
« 1°/ que la chambre des appels correctionnels, même lorsqu'elle statue sur les seuls intérêts civils, est composée d'un président de chambre et de deux conseillers qui doivent assister à toutes les audiences au cours de laquelle la cause est instruite, plaidée ou jugée ; que ces règles sont d'ordre public, les parties ne pouvant y renoncer ; qu'il s'ensuit que l'arrêt qui mentionne que la cour d'appel était présidée par Mme Marie-Noëlle Abba, président de chambre en qualité de juge unique (arrêt p. 2), n'est pas conforme aux exigences de l'article 510 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'article 62-V de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019.
2°/ que, en tout état de cause, ce n'est que lorsque le jugement attaqué a été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398 ou selon celles prévues au troisième (i.e. quatrième) alinéa de l'article 464 que la chambre des appels correctionnels est composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre ; que le jugement du tribunal correctionnel ayant été rendu par trois magistrats statuant sur les poursuites pour diffamation publique envers un particulier, qui ne peuvent de surcroît, en application de l'article 398-1, avant-dernier alinéa, du code de procédure pénale être jugée par une formation à juge unique, l'appel ne pouvait être jugé que par la chambre des appels correctionnels composée d'un président de chambre et de deux conseillers ; qu'il s'ensuit que l'arrêt qui mentionne que la cour d'appel était présidée par Mme Marie-Noëlle Abba, président de chambre en qualité de juge unique, n'est pas conforme aux exigences de l'article 510 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l'article 62-V de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 510 du code de procédure pénale :
7. Aux termes de cet article, dans sa rédaction issue de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, en vigueur à compter du 1er juin 2019, la chambre des appels correctionnels, qui siège en principe en formation collégiale, peut statuer à juge unique lorsque le jugement attaqué a lui-même été rendu à juge unique, soit en application de l'article 398, alinéa 3, du code de procédure pénale renvoyant à l'article 398-1 dudit code fournissant la liste des délits le permettant, soit en vertu de l'article 464, alinéa 3, lorsque sont seuls en cause les intérêts civils.
8. L'arrêt attaqué énonce que les débats ont eu lieu le 25 juin 2019, devant un président de chambre désigné par ordonnance du premier président, en qualité de juge unique.
9. En statuant à juge unique alors que le tribunal correctionnel avait lui-même siégé en formation collégiale puisque l'infraction poursuivie ne figurait pas dans la liste limitative prévue par l'article 398-1 du code de procédure pénale et que les premiers juges n'étaient pas saisis de la seule action civile, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
10. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Basse-Terre, en date du 23 juillet 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Basse-Terre dans une formation collégiale autrement présidée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Basse-Terre et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | Dès lors que le tribunal correctionnel a siégé en formation collégiale pour statuer sur une infraction ne figurant pas dans la liste prévue par l'article 398-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel, bien que siégeant le 25 juin 2019 soit après la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ayant modifié les dispositions de l'article 510 du code de procédure pénale, ne pouvait statuer à juge unique, bien que n'ait été en cause, du fait de l'appel de la seule partie civile, que l'action civile |
426 | N° K 19-83.092 F-P+B+I
S 19-86.433
N° 939
SM12
1ER SEPTEMBRE 2020
REJET
NON-ADMISSION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
REJET et NON-ADMISSION sur les pourvois formés par l'officier du ministère public prés le tribunal de police d'Orléans contre :
1- le jugement dudit tribunal, en date du 19 mars 2019 qui, dans la procédure suivie contre M. R... Y... du chef d'excès de vitesse, a ordonné la réouverture des débats.
2- le jugement dudit tribunal en date du 10 septembre 2019, qui, pour le chef précité a condamné M. Y... à 150 euros d'amende.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents, M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte des jugements attaqués et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par requête en date du 10 mai 2018, M. K... D... , avocat, formulait auprès du Centre national de traitement des infractions routières de Rennes une requête en exonération d'une amende forfaitaire consécutive à un excès de vitesse d'au moins 20 et inférieur à 30 km/h par conducteur de véhicule à moteur, relevé par la gendarmerie nationale le 29 mars 2018 à l'encontre de M. Y....
3. Par courrier en date du 23 mai 2018, l'officier du ministère public notifiait à M. D... l'irrecevabilité de sa requête et l'invitait à demander à son client de se charger lui-même de cette formalité.
4. A la suite de la confirmation de sa décision par l'officier du ministère public après que M. D... eut exprimé le refus de son client de formuler lui-même une réclamation, M. D... a saisi le tribunal de police d'une requête en incident contentieux.
5. Par jugement en date du 19 mars 2019, le tribunal de police a reçu M.
Y... en son opposition et ordonné la réouverture des débats.
6. Le jugement avant-dire droit a fait l'objet d'un pourvoi de l'officier du
ministère public avec demande d'examen immédiat en application de l'article
570 du code de procédure pénale. Par ordonnance en date du 3 juin 2019,
le président de la chambre criminelle a rejeté cette demande.
7. Par jugement en date du 10 septembre 2019, le tribunal de police a statué
au fond sur les poursuites engagées contre M. Y... du chef d'excès de vitesse.
Examen des moyens
Sur le moyen visant le jugement en date du 10 septembre 2019
Et sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, visant le jugement en date du 19 mars 2019
8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en sa première branche, visant le jugement en date du 19 mars 2019
Enoncé du moyen
9. Le moyen est pris de la violation des articles 453, 529-2, 591 et 593 du code de procédure pénale.
10. Le moyen critique le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la requête en exonération formulée pat Me K... D... , avocat de M. R... Y... coupable des faits poursuivis, alors que les dispositions de l'article 529-2 du code de procédure pénale relatives à la possibilité, pour le contrevenant de formuler, à défaut de paiement, une requête en exonération et l'interprétation qu'en a fait la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son attendu de principe en tête de l'arrêt n°08-87.773 du 7 avril 2009 en réservant la possibilité au « seul contrevenant » de formuler ladite requête, auraient dû conduire le juge à se borner à constater que le tribunal de police était irrégulièrement saisi au fond de cette affaire plutôt que de statuer et de violer, par là même, les dispositions de cet article.
Réponse de la Cour
11. Pour déclarer l'opposition de M. Y... recevable et décider de la réouverture des débats, le tribunal de police énonce, notamment, en référence aux articles 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et 6 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, que si un tiers ne peut faire opposition, pour un contrevenant, devant le tribunal de police, une lecture a contrario de l'article 4 autorise l'avocat, en qualité d'auxiliaire de justice et de profession réglementée, à représenter, en l'absence de disposition contraire, son client et à agir en son nom, à tout moment de la procédure et devant toutes les juridictions.
12. Il ajoute que si «l'intéressé» au sens de l'article 530-2 du code de procédure pénale doit s'entendre au sens large, c'est à dire le contrevenant mais également quand il est mandataire à son conseil, le mandant, les garanties de l'article 6§3 de la Convention européenne des droits de l'Homme comprennent toutes les phases de la procédure, et donc aussi la phase contentieuse des amendes forfaitaires majorées.
13. Il conclut que l'opposition ayant été réalisée par le conseil de M. Y..., en son nom et dans son intérêt, elle est recevable.
15. Il se déduit de la combinaison des articles 529-2 et 530 du code de procédure pénale, des dispositions de la loi n ° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ainsi que des stipulations de l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme que le contrevenant ou l'intéressé, lorsqu'il entend présenter une requête en exonération d'une infraction au code de la route qui lui est reprochée ou une réclamation en contestation d'une amende forfaitaire majorée, a la faculté, s'il l'estime nécessaire à la défense de ses intérêts et sans préjudice des prérogatives que l'autorité de poursuite tient de l'article 530-1 dudit code, d'être représenté dans ses démarches par un avocat.
16. Ainsi, le moyen doit être écarté.
17. Par ailleurs, le jugement est régulier en la forme ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE NON ADMIS le pourvoi contre le jugement du tribunal de police d'Orléans en date du 10 septembre 2019 ;
REJETTE le pourvoi contre le jugement dudit tribunal en date du 19 mars 2019 ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | Il se déduit de la combinaison des articles 529-2 et 530 du code de procédure pénale, des dispositions de la loi n ° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ainsi que des stipulations de l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme que le contrevenant ou l'intéressé, lorsqu'il entend présenter une requête en exonération d'une infraction au code de la route qui lui est reprochée ou une réclamation en contestation d'une amende forfaitaire majorée, a la faculté, s'il l'estime nécessaire à la défense de ses intérêts et sans préjudice des prérogatives que l'autorité de poursuite tient de l'article 530-1 dudit code, d'être représenté dans ses démarches par un avocat |
427 | N° D 19-87.157 F-P+B+I
N° 948
CK
1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par l'officier du ministère public près le tribunal de police de Paris contre le jugement dudit tribunal, en date du 7 octobre 2019, qui, dans la procédure suivie contre M. F... K... du chef d'infraction à la réglementation sur le stationnement des véhicules, a constaté l'extinction de l'action publique par prescription.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte du jugement attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. K... a été cité devant le tribunal de police pour avoir à Paris, le 17 juillet 2018, commis l'infraction de stationnement gênant de véhicule sur un emplacement réservé aux livraisons.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen est pris de la violation de l'article 9 du code de procédure pénale.
4. Le moyen critique le jugement attaqué en ce qu'il a accueilli l'exception de prescription de l'action publique soulevée par le prévenu et l'a relaxé du chef de stationnement gênant alors que la seule consultation du fichier national du permis de conduire en date du 1er juillet 2019 avec émission du relevé intégral de points manifestant la volonté de poursuivre, constitue un acte positif d'instruction lorsqu'elle intervient dans les délais de la prescription, quand bien même l'infraction au code de la route poursuivie ne prévoyait pas de retrait de point.
Réponse de la Cour
Vu les articles 9 et 9-2 du code de procédure pénale :
5. Il résulte du premier de ces textes, qu'en matière de contravention, l'action publique se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise si dans cet intervalle il n'a été effectué aucun acte d'instruction ou de poursuite.
6. Il résulte du second de ces textes que la consultation du fichier national des permis de conduire constitue, dans tous les cas, un acte d'instruction ou de poursuite, interruptif de prescription de l'action publique. Il en est de même lorsque la consultation vise une infraction ne donnant pas lieu à retrait de points du permis de conduire.
7. Pour constater la prescription de l'action publique soulevée par le prévenu et le renvoyer des fins de la poursuite, le jugement attaqué énonce que l'infraction a été commise le 17 juillet 2018 et le réquisitoire aux fins de citation a été émis le 19 juillet 2019.
8. Le juge ajoute que l'officier du ministère public se prévaut d'une demande de relevé intégral le 1er juillet 2019 pour considérer que cette impression est un acte interruptif de la prescription.
9. Il relève que plus d'un an s'est écoulé entre l'infraction et le réquisitoire aux fins de citation.
10. Il en conclut que la simple impression d'un relevé intégral, sans objet en l'espèce puisqu'aucune perte de point n'est encourue, ne saurait valoir acte interruptif.
11. En statuant ainsi, la juridiction a violé les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
12. La cassation est, par conséquent, encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement susvisé du tribunal de police de Paris, en date du 7 octobre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant le tribunal de police de Paris, autrement composé, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du tribunal de police de Paris et sa mention en marge ou à la suite du jugement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | Il résulte de la combinaison des articles 9 et 9-2 du code de procédure pénale que si, en matière de contravention, l'action publique se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise, la consultation du fichier national des permis de conduire constitue, dans tous les cas, un acte d'instruction ou de poursuite, interruptif de prescription de l'action publique.
Il en est ainsi même lorsque la consultation vise une infraction ne donnant pas lieu à retrait de points du permis de conduire.
Méconnaît ces dispositions le tribunal qui énonce que la simple impression d'un relevé intégral, jugée sans objet puisqu'aucune perte de point n'est encourue, ne saurait valoir acte interruptif |
428 | N° Q 19-85.465 FS-P+B+I
N° 1157
EB2
1ER SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
REJET du pourvoi formé par la société TTLS a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 682 de la cour d'appel de Rennes, 10e chambre, en date du 3 juin 2019, qui, pour non-transmission de l'identité et de l'adresse du conducteur du véhicule, l'a condamnée à 450 euros d'amende.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Barbier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société TTLS, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Barbier, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, M. Bonnal, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Seys, conseillers de la chambre, M. Violeau, conseiller référendaire, M. Croizier, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Un procès-verbal a été établi le 24 mars 2017 relevant à l'encontre de la société TTLS, qui a pour activité la location de véhicules, la contravention de non-transmission de l'identité et de l'adresse du conducteur du véhicule immatriculé [...] , qui avait été contrôlé en excès de vitesse le 23 mars 2017.
3. Par jugement du 15 novembre 2018, le tribunal de police a déclaré la société TTLS coupable de cette infraction et a prononcé une peine.
4. L'intéressée, ainsi que le ministère public, ont interjeté appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement du 15 novembre 2018 en ce qu'il a déclaré la société TTLS coupable des faits qui lui sont reprochés et l'a condamnée à une amende contraventionnelle de 450 euros, alors :
« 1°/ que lorsque la personne morale titulaire du certificat d'immatriculation a loué à une autre personne morale le véhicule ayant servi à l'infraction, c'est le dirigeant de la personne morale locataire qui doit désigner le conducteur du véhicule et c'est la personne morale locataire, non la personne morale loueuse, qui peut être poursuivie si son représentant légal ne désigne pas le conducteur ; qu'en retenant dans les liens de la prévention la société TTLS, laquelle soutenait qu'elle avait loué à une personne morale le véhicule ayant servi à l'excès de vitesse, au prétexte qu'il incombait à son représentant légal de dénoncer la personne physique qui conduisait le véhicule ou qui le détenait et que cela n'avait pas été fait, la cour d'appel a violé les articles L. 121-6 du code de la route et 121-2 du code pénal ;
2°/ qu'en toute hypothèse, en ne s'expliquant pas sur le point de savoir si le véhicule ayant servi à l'excès de vitesse avait été loué par la société TTLS à une autre personne morale au moment des faits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 121-6 du code de la route et 121-2 du code pénal ;
3°/ que la personne morale poursuivie sur le fondement de l'article L. 121-6 du code de la route peut parfaitement démontrer qu'elle avait loué le véhicule à une autre personne morale au moment des faits, sans avoir à préalablement soumettre ce moyen au service indiqué dans l'avis de contravention à la faveur de la requête en exonération visée par l'article 529-2 du code de procédure pénale ; qu'à supposer qu'elle ait adopté le motif du premier juge selon lequel, si la société TTLS entendait se prévaloir d'un contrat de location du véhicule à une autre personne morale il lui appartenait de former sur ce fondement une requête en exonération dans les 45 jours conformément à l'article 529-2 du code de procédure pénale, la cour d'appel a violé ce texte. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article L. 121-6 du code de la route, qui prévoit la responsabilité pénale du représentant légal de la personne morale bailleresse, titulaire du certificat d'immatriculation, comme celle de celui de la personne morale qui détient le véhicule, que peuvent être poursuivies tant la personne morale titulaire du certificat d'immatriculation que la personne morale locataire du véhicule.
7. Il se déduit de l'article L. 121-6 du code de la route que, lorsqu'une infraction constatée selon les modalités prévues à l'article L. 130-9 du même code a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d'immatriculation est une personne morale ayant donné en location ledit véhicule à une autre personne morale, il appartient au représentant légal de la première d'indiquer, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de l'envoi ou de la remise de l'avis de contravention, l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule.
8. Dans le cas où ledit représentant ne connaît pas l'identité du conducteur, il ne peut s'exonérer de sa responsabilité pénale qu'en indiquant, dans les mêmes conditions, l'identité et l'adresse de la personne morale ayant pris ledit véhicule en location.
9. Cette interprétation des textes est la seule à même de permettre à l'autorité de poursuite d'avoir connaissance de l'identité du conducteur du véhicule, et de respecter ainsi l'intention du législateur comme l'intérêt des usagers de la route.
10. Pour écarter l'argumentation de la prévenue, qui soutenait que seul le locataire du véhicule pouvait être poursuivi, à l'exclusion du bailleur, et qu'en tout état de cause le moyen de défense pris de l'existence d'un contrat de location pouvait être produit pour la première fois devant le tribunal, les juges retiennent qu'il appartenait au représentant légal de la société TTLS d'indiquer, dans le délai de quarante-cinq jours suivant l'envoi ou la remise des avis de contravention d'excès de vitesse à la société, l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait le véhicule contrôlé en excès de vitesse ou à défaut celui qui le détenait.
11. En prononçant ainsi, et dès lors qu'il résulte des pièces de procédure, ainsi que la Cour de cassation a pu s'en assurer, que la prévenue n'a indiqué à l'autorité mentionnée sur l'avis, dans le délai imparti, ni le nom et l'adresse du conducteur, ni ceux de la personne morale ayant pris le véhicule en location, la cour d'appel a justifié sa décision.
12. Il s'ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.
13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | Il résulte de l'article L. 121-6 du code de la route, qui prévoit la responsabilité pénale du représentant légal de la personne morale bailleresse, titulaire du certificat d'immatriculation, comme celle de celui de la personne morale qui détient le véhicule, que peuvent être poursuivies tant la personne morale titulaire du certificat d'immatriculation que la personne morale locataire du véhicule.
Il se déduit de ce même texte que, lorsqu'une infraction constatée selon les modalités prévues à l'article L. 130-9 du code de la route a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d'immatriculation est une personne morale ayant donné en location ledit véhicule à une autre personne morale, il appartient au représentant légal de la première d'indiquer, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de l'envoi ou de la remise de l'avis de contravention, l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule.
Dans le cas où ledit représentant ne connaîtrait pas l'identité du conducteur, il lui est permis de s'exonérer de sa responsabilité pénale en indiquant, dans les mêmes conditions, l'identité et l'adresse de la personne morale ayant pris ledit véhicule en location |
429 | N° Y 19-81.448 F-P+B+I
N° 1166
EB2
1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. N... V..., partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 11 janvier 2019, qui, dans la procédure suivie contre M. C... D... du chef de refus d'insertion d'une réponse, a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. N... V..., et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. À la suite de la publication, dans le quotidien Sud Ouest, d'un article intitulé « Sanction béton pour le promoteur » et sous titré « Le Haillan - Le promoteur N... V... a été lourdement condamné financièrement pour ne pas avoir vérifié si son sous-traitant bulgare n'était pas un adepte du travail dissimulé », M. V... a demandé l'insertion d'une réponse au directeur de la publication du quotidien.
3. Cette réponse n'ayant pas été publiée, M. V... a fait citer M. D..., en sa qualité de directeur de la publication, devant le tribunal correctionnel, du chef précité.
4. Les juges du premier degré ont déclaré irrecevable la constitution de partie civile, renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et condamné la partie civile à lui payer une somme sur le fondement des dispositions de l'article 472 du code de procédure pénale.
5. M. V... a seul relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 2, 3, 427, 285, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs et manque de base légale.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. V... de sa demande d'insertion en exécution de son droit de réponse, de sa demande en dommages et intérêts et de sa demande d'application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que le droit de réponse est général et absolu ; que celui qui en use est seul juge de la teneur, de l'étendue, de l'utilité et de la forme de la réponse dont il requiert l'insertion ; que le refus d'insérer ne se justifie que si la réponse est contraire aux lois, aux bonnes moeurs, à l'intérêt légitime des tiers ou à l'honneur du journaliste ; que pour rejeter la demande de M. V... tendant à l'insertion de sa réponse à l'article le mettant nommément en cause et à l'obtention de dommages et intérêts du fait du refus implicite qui lui a été opposé par le directeur de la publication du journal Sud-Ouest, la cour d'appel retient que cette réponse ne serait pas en corrélation, ni proportionnée avec l'article publié le 22 décembre 2018 et qu'elle est contraire à l'honneur du journaliste, auteur dudit article ; que cependant il résulte des propres constatations et énonciations de l'arrêt relatives à la teneur de la réponse et à celle de l'article litigieux que la vivacité de la réponse ne dépassait pas celle exprimée dans l'article auquel il était demandé de répondre, lequel comportait des erreurs factuelles, approximations et mises en cause personnelle sur un ton sarcastique et virulent de M. V..., présumé innocent, sans la moindre enquête contradictoire ni vérification des sources ; que la réponse apportée, liée aux propos proférés et en corrélation avec ceux-ci, se rattachait aux propos et était justifiée par le ton adopté par le journaliste et proportionnée aux attaques dont M. V... avait fait l'objet dans l'article en question ; que l'honneur du journaliste n'était, de surcroît, pas mis en jeu par des termes injurieux ou des allégations excessives ou diffamatoires et les critiques s'appuyant sur les propos contenus dans l'article dont le caractère non contradictoire, incorrect, caricatural était mis en exergue, peu important que la réponse mette en cause le non-respect par le journaliste des obligations qui sont siennes en sa qualité de professionnel tenu à un devoir particulier de prudence et de mesure dans l'expression, de vérifier ses sources, de procéder à une enquête sérieuse et de disposer d'une base factuelle suffisante ; qu'ainsi en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas caractérisé un abus du droit de réponse et a violé les textes susvisés ;
2°/ que l'arrêt qui relève que la réponse dont M. V... a demandé la publication se place sur le même terrain que l'article litigieux ne pouvait considérer ensuite, sans se contredire, qu'elle n'est pas en corrélation ni proportionnée avec l'article dont s'agit, privant ainsi sa décision de motifs ;
3°/ que la mise en cause du non-respect des obligations fondamentales auxquelles tout journaliste est tenu, autrement dit du respect de sérieux de l'enquête, de la prudence dans l'expression et de l'existence d'une base factuelle suffisante, ne saurait dégénérer en abus ni constituer une atteinte à l'honneur privant la personne visée nommément par l'article litigieux de son droit de réponse, sauf à méconnaître les textes et principes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
8. Il se déduit de ce texte que la réponse dont l'insertion est demandée ne porte pas, dans des conditions de nature à interdire sa publication, atteinte à l'honneur du journaliste, auteur de l'article auquel il est répondu, lorsqu'elle se contente de critiquer, dans des termes proportionnés à cet article, la légitimité du but poursuivi par celui-ci, le sérieux de l'enquête conduite par son auteur, sa prudence dans l'expression ou son absence d'animosité personnelle.
9. Pour débouter la partie civile de sa demande d'insertion d'une réponse, l'arrêt attaqué, qui a reproduit le texte de l'article initial comme celui de la réponse, énonce que l'article auquel il est répondu rend compte de la condamnation de M. V... du chef de travail dissimulé et commente, non sans ironie, le jugement récemment rendu contre lui.
10. Les juges ajoutent que l'auteur de la réponse détaille les circonstances des faits qui lui ont été reprochés, mais met également en cause les qualités et l'honnêteté intellectuelles du journaliste, lui reprochant de n'avoir pas vérifié les informations publiées, de cacher la vérité ou de travestir la réalité, y compris de façon déplaisante ou ridicule, ce qu'implique le recours au qualificatif « caricatural », et d'avoir manqué d'objectivité.
11. Ils concluent que la réponse n'est pas en corrélation avec l'article ni proportionnée à lui et est contraire à l'honneur du journaliste, de sorte que le directeur de la publication était fondé à en refuser l'insertion.
12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
13. La Cour de cassation est, en effet, en mesure de constater que, dans sa réponse, qui restait intégralement en corrélation avec l'article initial, M. V... se contente de contredire plusieurs des affirmations de celui-ci, en regrettant à trois reprises que son auteur n'ait pas pris contact avec lui ou avec son avocat, ce qui aurait, selon lui, évité la publication de ce qu'il qualifie d'approximations ou d'informations inexactes, et aurait permis d'informer les lecteurs sur le fait que le jugement dont il était rendu compte était frappé d'appel.
14. Cette critique des méthodes du journaliste, exprimée en termes sévères mais mesurés, est restée proportionnée à la teneur de l'article initial, dont l'arrêt a exactement retenu le ton ironique.
15. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation intervenue sur le premier moyen s'étend à l'ensemble du dispositif de l'arrêt, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de M. V....
17. Il n'y a pas lieu, en conséquence, d'examiner le second moyen.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 11 janvier 2019, sauf en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de M. V... ,
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | La réponse dont l'insertion est demandée en application de l'article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne porte pas, dans des conditions de nature à interdire sa publication, atteinte à l'honneur du journaliste, auteur de l'article auquel il est répondu, lorsqu'elle se contente de critiquer, dans des termes proportionnés à cet article, la légitimité du but poursuivi par celui-ci, le sérieux de l'enquête conduite par son auteur, sa prudence dans l'expression ou son absence d'animosité personnelle.
Encourt en conséquence la censure l'arrêt qui approuve le refus d'insertion d'une réponse au motif que celle-ci porterait atteinte à l'honneur du journaliste, alors que la critique des méthodes ce dernier, exprimée en termes sévères mais mesurés, est restée proportionnée à la teneur de l'article initial, dont les juges ont exactement retenu le ton ironique |
430 | N° W 19-84.505 F-P+B+I
N° 1168
SM12
1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par Mme V... K... épouse I... contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 13 juin 2019, qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, les observations de la SCP Le Griel, avocat de Mme V... K... I..., et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le groupe Alternative libertaire a mis en ligne, le 20 février 2017, sur son site internet, un communiqué contenant les propos suivants : « La coordination fédérale d'Alternative libertaire a voté le 28 janvier 2017 l'exclusion de J..., membre du groupe local de Moselle, à la suite d'une accusation de viol. Cette décision résulte d'une procédure fédérale déclenchée au sein de l'organisation au mois de novembre 2016, suspendant provisoirement le militant concerné. À l'issue de cette procédure, l'organisation a estimé que les faits recueillis étaient extrêmement graves et que la présence de ce militant à nos côtés était devenue impossible. Nous souhaitons informer largement le milieu militant de notre décision afin de s'assurer que de tels agissements de sa part ne trouvent plus leur place nulle part, et nous invitons les autres cadres dans lesquels il peut agir à prendre leurs dispositions pour assurer la sécurité de leurs militant.es et sympathisant.es. Il nous semble primordial de briser le silence qui permet à de tels actes de continuer à exister ».
3. Le syndicat CNT Santé, social, collectivités territoriales (SSCL) de Lorraine, dont le prénommé J... était adhérent, a ultérieurement, le 5 mars 2017, publié un texte se référant à ce communiqué, critiquant les procédures internes au groupe Alternative libertaire, faisant savoir que les éléments en sa possession ne le conduisaient pas à la même conclusion, s'agissant des faits de viol reprochés à l'intéressé, et rappelant que le groupe Alternative libertaire avait précédemment agi différemment avec deux autres de ses membres, également accusés de viol, mais qu'il n'avait pas exclus.
4. Le 9 mars suivant, ces deux textes ont été reproduits intégralement sur un site internet tiers, accessible à l'adresse fdesouche.com, introduits par le titre « Accusé de viol, J... P... provoque une crise chez les antifas (MàJ) ».
5. Le même jour, Mme I..., élue locale, a mis en ligne, sur son compte au sein du réseau Facebook, un lien hypertexte renvoyant à ladite publication, précédé notamment des mots « Où un groupuscule **antifa** qui fait régner sa loi à Metz se justifie de couvrir son chef accusé de viol... en accusant le groupuscule antifa qui le dénonce de couvrir... deux violeurs dans leurs rangs. On en rirait, si le fond n'était pas aussi grave ».
6. Le 27 mai 2017, M. J... P... a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de diffamation publique à raison du seul texte émanant du groupe Alternative libertaire, mais en ce qu'il avait été reproduit ultérieurement sur divers sites, dont celui de Mme I....
7. Celle-ci a été renvoyée devant le tribunal correctionnel qui l'a déclarée coupable.
8. Elle a relevé appel de ce jugement.
L'éventuelle prescription de l'action publique évoquée dans le rapport
9. Les poursuites ayant été engagées le 27 mai 2017, soit plus de trois mois après la première mise en ligne de l'écrit litigieux, le 20 février 2017, il convient d'abord de s'interroger sur le point de savoir si le lien hypertexte incriminé, qui y renvoie, inséré le 9 mars 2017, a pu faire courir un nouveau délai de prescription.
10. La Cour de cassation juge que, lorsque des poursuites pour diffamation et injures publiques sont engagées à raison de la diffusion d'un message sur le réseau internet, le point de départ du délai de prescription de l'action publique prévu par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit être fixé à la date du premier acte de publication, et que cette date est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau (Crim., 16 octobre 2001, pourvoi n° 00-85.728, Bull. crim. 2001, n° 210, rejet).
11. À l'égard de publications réalisées sur papier, elle juge que le fait de publication étant l'élément par lequel les infractions sont consommées, toute reproduction dans un écrit rendu public d'un texte déjà publié est elle-même constitutive d'infraction, et que le point de départ de la prescription, lorsqu'il s'agit d'une publication nouvelle, est fixé au jour de cette publication (Crim., 8 janvier 1991, pourvoi n° 90-80.593, Bull. crim. 1991, n° 13, cassation ; Crim., 2 octobre 2012, pourvoi n° 12-80.419, Bull. crim. 2012, n° 204, rejet). Elle juge de même pour les rediffusions à la radio ou à la télévision (Crim., 8 juin 1999, pourvoi n° 98-84.175, Bull. crim. 1999, n° 128, rejet).
12. Sur le réseau internet, elle rappelle ce même principe et, l'appliquant au cas d'une nouvelle mise à disposition du public d'un contenu litigieux précédemment mis en ligne sur un site internet dont le titulaire a volontairement réactivé ledit site sur le réseau internet, après l'avoir désactivé, juge qu'il s'agit d'une reproduction faisant courir un nouveau délai de prescription (Crim., 7 février 2017, pourvoi n° 15-83.439, Bull. crim. 2017, n° 38, cassation).
13. Elle a, en revanche, précisé que la simple adjonction d'une seconde adresse pour accéder à un site existant ne saurait caractériser un nouvel acte de publication de textes figurant déjà à l'identique sur ce site (Crim., 6 janvier 2009, pourvoi n° 05-83.491, Bull. crim. 2009, n° 4, rejet), étant observé qu'une telle adjonction avait été le fait de l'éditeur du site.
14. S'agissant enfin spécifiquement du recours à un lien hypertexte, elle juge que l'insertion, sur internet, par l'auteur d'un écrit, d'un tel lien renvoyant directement audit écrit, précédemment publié, caractérise une telle reproduction (Crim., 2 novembre 2016, pourvoi n° 15-87.163, Bull. crim. 2016, n° 283, cassation).
15. Il en résulte qu'un lien hypertexte qui, comme au cas présent, renvoie directement à un écrit qui a été mis en ligne par un tiers sur un site distinct, constitue une reproduction de ce texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription, de sorte que l'action publique n'était pas prescrite.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris ayant déclaré Mme I... coupable de diffamation publique envers M. P..., alors :
« 1°/ que les propos publiés par Mme I... sur son compte facebook fustigent un groupuscule « antifa » qui se justifie de couvrir son chef accusé de viol en accusant un autre groupuscule « antifa », qui dénonce ce dernier, de couvrir lui-même deux de ses membres également accusés de viol ; qu'ils sont assortis d'un lien hypertexte qui renvoie sur un site internet reproduisant, sous le titre « Accusé de viol, J... P... provoque une crise chez les antifas », d'une part, le communiqué publié par Alternative Libertaire sur son propre site et relatif à l'exclusion de ce mouvement de J... à la suite d'une accusation de viol et, d'autre part, le communiqué publié ensuite par le syndicat SSCT de Lorraine CNT sur son propre site critiquant la manière dont Alternative Libertaire avait traité cette affaire, contestant la crédibilité de l'accusation de viol portée contre J... P... et reprochant à Alternative Libertaire d'avoir, peu de temps auparavant, blanchi deux autres adhérents également accusés de viol ; qu'en redirigeant les utilisateurs de facebook vers ces informations, déjà mises à la disposition du public sur des sites internet, relatives à l'exclusion d'un groupement de la mouvance « antifa » d'un militant accusé de viol et aux remous que cette exclusion ont provoqué dans cette mouvance, Mme I... n'a imputé à M. P... aucun fait précis de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération ; qu'en retenant néanmoins la qualification de diffamation publique envers un particulier, la cour d'appel a violé les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'insertion d'un lien hypertexte n'engage la responsabilité pénale de son auteur à raison du contenu vers lequel renvoie ce lien que si celui-ci a approuvé ce contenu ou l'a repris à son compte et savait qu'il était diffamatoire ; qu'en l'espèce, Mme I... s'est contentée de créer un lien hypertexte vers le contenu du site Fdesouche, sans l'avoir ni repris ni approuvé ; que, quant à lui, ce site reproduisait, sans les approuver non plus, les communiqués respectivement publiés par le mouvement Alternative Libertaire et le syndicat SSCT de Lorraine CNT sur leurs propres sites ; que Mme I..., qui n'est pas une professionnelle de l'information, ne pouvait raisonnablement supposer que le fait d'insérer sur son compte facebook un lien qui renvoyait vers le site Fdesouche, lequel se limitait à reproduire le communiqué d'Alternative Libertaire et l'assortissait au surplus du communiqué du syndicat SSCT de Lorraine CNT, pouvait être considéré comme constituant le délit de diffamation publique à l'égard de M. P..., au motif qu'il s'analyserait comme un nouvel acte de publication de l'accusation de viol révélée dans le premier communiqué qui serait lui-même diffamatoire ; qu'en énonçant que le texte publié par Alternative Libertaire et « rediffusé » par la prévenue renfermait à l'encontre de J... P... une accusation pure et simple d'avoir commis un viol et que le fait que la diffamation ait eu pour support un lien hypertexte était « sans emport », l'insertion d'un tel lien « valant reproduction » et « publication », sans procéder à un examen concret des circonstances de l'espèce et à une mise en balance des intérêts en présence, la cour d'appel a méconnu les articles 10 de la convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 alinéa 1, 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :
17. Il résulte du premier de ces textes, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 4 décembre 2018, X... S... Zrt c. Hongrie, n° 11257/16), que les liens hypertextes contribuent au bon fonctionnement du réseau internet, en rendant les très nombreuses informations qu'il contient aisément accessibles, de sorte que, pour apprécier si l'auteur d'un tel lien, qui renvoie à un contenu susceptible d'être diffamatoire, peut voir sa responsabilité pénale engagée en raison de la nouvelle publication de ce contenu à laquelle il procède, les juges doivent examiner en particulier si l'auteur du lien a approuvé le contenu litigieux, l'a seulement repris ou s'est contenté de créer un lien, sans reprendre ni approuver ledit contenu, s'il savait ou était raisonnablement censé savoir que le contenu litigieux était diffamatoire et s'il a agi de bonne foi.
18. Un tel examen concerne des éléments extrinsèques au contenu incriminé, de la nature de ceux dont la Cour de cassation juge qu'il appartient aux juges de les prendre en compte pour apprécier le sens et la portée des propos poursuivis comme diffamatoires, au sens du deuxième de ces textes (Crim., 27 juillet 1982, pourvoi n° 81-90.901, Bull. crim. 1982, n° 199, rejet ; Crim., 11 décembre 2018, pourvoi n° 17-84.899, Bull. crim. 2018, n° 214, cassation).
19. Si la Cour de cassation juge également que l'appréciation des juges sur ces éléments extrinsèques est souveraine (Crim., 8 octobre 1991, pourvoi n° 90-83.336, Bull. crim. 1991, n° 334, rejet), il lui incombe cependant de s'assurer qu'un tel examen a été effectué dans le respect des exigences résultant de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme telles qu'interprétées par la Cour européenne des droits de l'homme.
20. Enfin, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
21. Pour déclarer la prévenue coupable, l'arrêt attaqué, après avoir exactement relevé qu'en lui-même, le propos incriminé renferme l'insinuation que la partie civile s'est rendue coupable du crime de viol, énonce que la circonstance que cette diffamation ait eu pour support un lien hypertexte est indifférente, dès lors que, la réactivation d'un contenu sur le réseau internet valant reproduction, l'insertion d'un tel lien constitue un nouvel acte de publication.
22. Les juges constatent que le lecteur, en activant le lien hypertexte, prend ainsi connaissance de cette accusation de viol dirigée contre M. P....
23. En se déterminant ainsi, sans examiner les éléments extrinsèques au contenu incriminé que constituaient les modalités et le contexte dans lesquels avait été inséré le lien hypertexte y renvoyant, et spécialement le sens de l'autre texte auquel renvoyait le lien, qui contredisait le propos poursuivi, et les conclusions que tirait la prévenue de l'ensemble formé par ces deux textes, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
24. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 13 juin 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi.
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | L'insertion d'un lien hypertexte qui renvoie directement à un écrit qui a été précédemment mis en ligne par un tiers sur un site distinct, constitue une reproduction de ce texte, qui fait courir un nouveau délai de prescription |
431 | N° T 18-84.682 FS-P+B+I
N° 1213
SM12
2 SEPTEMBRE 2020
REJET
M. MOREAU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 SEPTEMBRE 2020
REJET du pourvoi formé par M. K... V..., M. D... S... Q... et les associations AFD International et la Voix libre contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 13 février 2018, qui a déclaré irrecevable leur plainte avec constitution de partie civile
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. K... V..., M. D... S... Q... et les associations AFD International et la Voix libre et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, en dernier, après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Moreau, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Guéry, conseiller rapporteur, Mme Drai, M. de Larosière de Champfeu, Mme Slove, M. Guéry, Mme Issenjou, M. Turbeaux, conseillers de la chambre, Mme Carbonaro, Mme Barbé, M. Mallard, conseillers référendaires, Mme Zientara-Logeay, avocat général, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. MM. K... V... et D... S... Q... et les associations AFD International et La Voix libre ont déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction de Paris, le 26 novembre 2014, des chefs de torture et actes de barbarie, à l'encontre de M B... E... H... , président de la République d' Egypte. Ils ont indiqué que ce dernier devait séjourner en France du 26 au 28 novembre 2014 dans le cadre d'une visite officielle.
3. M. V... a exposé qu'étant alors étudiant, il avait exprimé son opposition au coup d'Etat du 3 juillet 2013 et s'était retrouvé avec des milliers de manifestants sur la place Rabaa Al Adawiya au Caire. Le 27 juillet 2013, à 23 heures, les forces de l'ordre avaient lancé des explosifs lacrymogènes et avaient tiré à balles réelles atteignant souvent les victimes à la tête. M. V... avait été blessé et hospitalisé à la suite d'une importante hémorragie oculaire.
4.M. S... Q..., avocat, a expliqué qu'il avait été arrêté, alors qu'il faisait des investigations sur des violations des droits de l 'homme, sur la place Tahrir, le 17 novembre 2013 ; il avait été entravé et emmené dans un poste de police improvisé, avait été entendu puis transféré dans le commissariat de Qasr le Nil où il avait été dénudé et torturé à plusieurs reprises.
5. Par ordonnance du 27 avril 2016, le juge d'instruction du tribunal de grande Instance de Paris a dit n'y avoir lieu à informer sur la plainte déposée par MM. V... et S... Q..., l'association AFD International et l'association La Voix libre, et a déclaré irrecevables les constitutions de parties civiles de ces associations.
6. L'avocat des parties civiles a interjeté appel de cette ordonnance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation des articles 3, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 416 du code de procédure civile, 2, 2-1, 3, 485 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, en confirmation de l'ordonnance en date du 27 avril 2016, déclaré irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile de l'association AFD International et de l'association La Voix libre, alors :
« 1°/ que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'une association défendant des intérêts collectifs de portée générale peut exercer l'action civile si elle subit un préjudice direct et personnel en raison de la spécificité de son but et de l'objet de sa mission, causé par l'infraction poursuivie ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des associations AFD International et La Voix libre, que ces dernières ne justifieraient pas avoir reçu de MM. V... et S... Q... l'accord prévu par le deuxième alinéa de l'article 2-1 du code de procédure pénale, sans rechercher s'il n'était pas établi par les pièces du dossier que ces associations qui ont pour objet, pour la première, la défense et la promotion des droits de l'homme dans le monde et, pour la seconde, l'information de l'opinion publique sur les violations des droits de l'homme dans le monde et la défense des victimes contre les répressions menées par les régimes autoritaires, avaient subi du fait des infractions dénoncées un préjudice direct et personnel au regard de la spécificité de leur but et de l'objet de leur mission, la cour d'appel a violé les textes et principes visés au moyen ;
2°/ que si l'article 2-1 du code de procédure pénale dispose, en son second alinéa, que « lorsque l'infraction aura été commise envers une personne considérée individuellement, l'association ne sera recevable dans son action que si elle justifie avoir reçu l'accord de la personne intéressée », l'accord des victimes n'est pas nécessaire dans le cas où l'infraction a été commise envers un groupe de personnes non individualisées ; qu'en déclarant les associations AFD International et La Voix libre irrecevables à agir comme n'ayant pas justifié « avoir reçu un accord de MM. V... et S... Q..., personnes concernées par les crimes », cependant que ces associations dénonçaient des infractions commises envers un groupe de personnes non individualisées, à savoir les victimes de la répression des sit-in qui se sont tenus au Caire, sur la place Rabaa al-Adawiya (Nasr City) et sur la place Nada (Gizeh) en août 2013, répression qui a fait plus de 1 000 morts tués par balle à la tête et au thorax, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
3°/ que toute atteinte au droit au juge ne peut être justifiée que par un motif d'intérêt général proportionné à l'objectif recherché ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les constitutions de parties civiles de l'association AFD International et de l'association La Voix libre, que ces dernières ne justifieraient pas avoir reçu de MM. V... et S... Q... l'accord prévu par le deuxième alinéa de l'article 2-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit d'agir de deux associations de défense des droits de l'homme intervenant dans l'urgence aux côtés de victimes étrangères vivant à l'étranger, ayant subi de très graves atteintes à leur intégrité physique, en violation des textes et principes visés au moyen ;
4°/ que l'avocat qui représente une partie est dispensé de justifier de son mandat ; qu'en exigeant, pour déclarer la constitution de partie civile des associations recevables, que Maître ..., avocat, justifie d'un mandat lui donnant le pouvoir de les représenter, la cour d'appel a violé l'article 416 du code de procédure civile ;
5°/ que selon les stipulations de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne morale a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal indépendant et impartial ; que la réglementation relative aux formalités et aux délais ou l'application qui en est faite ne doit pas avoir pour effet de restreindre l'accès au tribunal d'une manière ou à un point tel que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même ; qu'en déclarant irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile des associations dénommées FD International et La Voix libre, régulièrement déclarées, en raison de l'absence d'une décision du conseil d'administration ou de l'assemblée générale donnant pouvoir à une personne de les représenter, la cour d'appel a porté atteinte à la substance même de leur droit d'accès à un tribunal, en violation des stipulations de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile des associations AFD International et La Voix libre, l'arrêt retient notamment qu'aux termes de l'article 416 du code de procédure civile, quiconque entend représenter ou assister une partie doit justifier qu'il en a reçu le mandat ou la mission, que les statuts des associations ne désignent pas de représentant en cas d'action en justice, que ces associations n'ont pas produit de décision du conseil d'administration ou de l'assemblée générale donnant pouvoir à une personne de les représenter, contrairement à ce que soutient leur avocat.
10. Par ce seul motif, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
11. Le moyen doit en conséquence être rejeté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen est pris de la violation du droit international coutumier, des articles 3 et 15, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er , 2, paragraphe 2, et 6, paragraphe 2, et 12 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 2, 4, paragraphe 2, et 7 du Pacte international des droits civils et politiques, 2, 3, 85 et 86 du code de procédure pénale, ensemble violation des principes du droit international relatifs à l'immunité de juridiction des États étrangers, défaut de motifs, manque de base légale ;
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la cour d'appel de Paris a déclaré irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile de M. K... V... et de M. D... O... S... Q... , alors :
« 1°/ que le juge d'instruction a l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte, sous toutes les qualifications possibles, et que cette obligation n'est pas contraire, en son principe, à l'immunité de juridiction pénale des États étrangers et de leurs représentants ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile de M. V... et de M. S... Q..., que M. B... E... H..., président de la République arabe d'Égypte, bénéficierait d'une immunité de la juridiction pénale française, la cour d'appel a violé les textes et principes visés au moyen ;
2°/ que la prohibition de la torture constitue un interdit fondamental en droit international ; que la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile de M. V... et de M. S... Q..., que M. B... E... H..., président de la République arabe d'Égypte, bénéficierait d'une immunité de la juridiction pénale française, quand l'interdiction de la torture en droit international public présente un caractère impératif qui constitue bien une « disposition internationale contraire » s'imposant aux parties concernées, la cour d'appel a violé les textes et principes visés au moyen ;
3°/ que le droit international impose aux États une obligation procédurale d'enquêter en cas d'actes de torture ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les plaintes avec constitution de partie civile de M. V... et de M. S... Q..., que M. B... E... H..., président de la République arabe d'Égypte, bénéficierait d'une immunité de la juridiction pénale française, la cour d'appel a violé les textes et principes visés au moyen. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
14. Pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile, l'arrêt rappelle que, selon l'article 689 du code de procédure pénale, les auteurs ou complices d'infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du livre premier du code pénal ou d'un autre texte législatif, la loi française est applicable, soit lorsque la convention internationale ou un acte pris en application du traité instituant les communautés européennes donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l'infraction.
15. Les juges ajoutent que, d'une part, selon l'article 689-1 du même code, en application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s'est rendue coupable hors du territoire de la République de l'une des infractions énumérées par ces articles, d'autre part, l'article 689-2 précise que, pour l'application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l'article 689-1 toute personne coupable de tortures au sens de l'article 1er de la convention.
16. Ils précisent, en substance, que le droit coutumier international, dont s'est inspirée la convention de New York du 8 décembre 1969, accorde au chef d'Etat d'envoi, quand il se trouve à la tête d'une mission spéciale, des privilèges et immunités dans le pays de réception, et notamment l'immunité de la juridiction pénale de l'Etat où il effectue une visite officielle.
17. La chambre de l'instruction juge que, dans ces conditions, le magistrat saisi ne pouvait valablement instruire sur les faits dénoncés à l'encontre de M. H..., président de la République Arabe d'Egypte qui était en visite officielle en France les 26, 27 et 28 novembre 2014, la constitution de partie civile étant de ce fait irrecevable, en raison de l'immunité sus évoquée.
18. Elle conclut, qu'au vu de ces éléments, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile des deux associations, et de l'infirmer s'agissant du refus d'informer, les constitutions de partie civile de MM. V... et S... Q... étant également irrecevables.
19. C'est à tort que l'arrêt a estimé que les constitutions de partie civile de MM. V... et S... Q... devaient être déclarées irrecevables. D'une part, les faits dénoncés, à les supposer établis, étaient de nature à causer aux plaignants un préjudice personnel et direct, d'autre part, l'obligation d'instruire de la juridiction d'instruction, régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile, cesse si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à les supposer démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale.
20. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure.
21. Si le juge d'instruction a généralement l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte, sous toutes les qualifications possibles, et si cette obligation n'est pas contraire en son principe à l'immunité de juridiction des États étrangers et de leurs représentants, celle-ci trouve son fondement dans la seule nécessité pour le juge de ne pas retenir une immunité pénale avant d'avoir vérifié les conditions de son application dans le dossier dont il est saisi.
22. La Cour de cassation est en mesure de s'assurer que la plainte avec constitution de partie civile déposée à l'encontre de M. W... est claire et précise dans ses imputations des faits dénoncés à la seule personne visée, à savoir le chef de l'Etat, de sorte qu'aucun acte d'information n'est nécessaire pour dire que le principe d'immunité pénale, reconnue par la coutume internationale au bénéfice des Etats et des chefs d'Etat en exercice, doit être retenu.
23. En conséquence, le moyen doit être écarté.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
24. La coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger.
25. Il appartient à la communauté internationale de fixer les éventuelles limites de ce principe, lorsqu'il peut être confronté à d'autres valeurs reconnues par cette communauté, et notamment celle de la prohibition de la torture.
26. En l'état du droit international, le crime dénoncé, quelle qu'en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l'immunité de juridiction des chefs d'Etat étrangers en exercice.
27. Par ailleurs, le droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, n'est pas absolu et ne s'oppose pas à une limitation à ce droit, découlant de l'immunité des États étrangers et de leurs représentants, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en matière d'immunité des États. En l'espèce, l'octroi de l'immunité, conformément au droit international, ne constitue pas une restriction disproportionnée au droit d'un particulier d'avoir accès à un tribunal.
28. Dès lors, le moyen doit être écarté.
29. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le deux septembre deux mille vingt. | Si le juge d'instruction a généralement l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte, sous toutes les qualifications possibles, et si cette obligation n'est pas contraire en son principe à l'immunité de juridiction des États étrangers et de leurs représentants, celle-ci trouve son fondement dans la seule nécessité pour le juge de ne pas retenir une immunité pénale avant d'avoir vérifié les conditions de son application dans le dossier dont il est saisi.
Cette obligation cesse si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à les supposer démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale.
Tel est le cas de la plainte avec constitution de partie civile déposée à l'encontre d'un chef d'État étranger en exercice, claire et précise dans ses imputations des faits dénoncés à la seule personne visée, à savoir le chef de l'État, de sorte qu'aucun acte d'information n'est nécessaire pour dire que le principe d'immunité pénale, reconnue par la coutume internationale doit être retenu |
432 | N° V 19-84.665 F-P+B+I
N° 1235
CK
2 SEPTEMBRE 2020
CASSATION
M. MOREAU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par l'officier du ministère public près le tribunal de police de Bayonne contre le jugement dudit tribunal, en date du 3 juillet 2019, qui a relaxé M. C... P... du chef de conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique.
Des mémoires, en demande et en défense, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Barbé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. C... P..., et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Moreau, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Barbé, conseiller rapporteur, Mme Drai, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement rendu par défaut le 5 février 2018, M. P... a été condamné, pour conduite d'un véhicule en état alcoolique, à payer 350 euros d'amende et à un mois de suspension du permis de conduire à titre de peine complémentaire. Ayant fait opposition à ce jugement le 16 avril 2018, il a été cité à comparaître devant le tribunal de police, qui, par jugement en date du 3 juillet 2019, l'a relaxé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen est pris de la violation des articles 591, 593 et 537 du code de procédure pénale,
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que le jugement attaqué a relaxé M. P..., poursuivi du chef de conduite d'un véhicule avec une concentration d'alcool par litre d'au moins 0,50 gramme dans le sang ou 0,25 milligramme dans l'air expiré, alors que l'article 537 du code de procédure pénale énonce que les contraventions sont prouvées soit par procès-verbaux ou rapport, soit par témoins à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui et que sauf dans le cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux ou rapports établis par les officiers et agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints, ou les fonctionnaires ou agents chargés de certaine fonctions de police judiciaire auxquels la loi a attribué le pouvoir de constater les contraventions, font foi jusqu'à preuve du contraire et que la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou témoin ; que le procès-verbal constate et énonce que, sur initiative de l'officier de police judiciaire, un dépistage a été effectué sur la personne de l'intéressé, lequel s'est révélé positif, et que ce dernier a déclaré n'avoir ni fumé, ni consommé de l'alcool, ni absorbé un produit dans les 30 minutes précédant le dépistage, puis accepté d'être soumis immédiatement au contrôle par éthylomètre homologué, que ledit procès verbal est signé par l'officier de police judiciaire et supporte la mention « refus de signer » en lieu et place de la signature de l'intéressé et que ce dernier n'apporte aucune preuve contraire aux énonciations du procès-verbal, que ce soit par écrit ou par témoins.
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
5. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
6. Pour relaxer M. P..., le jugement retient que les résultats des vérifications de l'imprégnation alcoolique d'une personne prévenue de conduite sous l'empire d'un état alcoolique sont soumis à l'appréciation des juges du fond qui conservent, aux termes de l'article 427 du code de procédure pénale, le droit de se décider d'après leur intime conviction en se fondant sur les preuves qui leur sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant eux.
7. Le juge relève que le procès-verbal de vérification et de notification de l'état d'alcoolémie, établi le 31 juillet 2016, n'a pas été signé par M. P.... Il en déduit que cette absence de signature est de nature à remettre en cause la mention selon laquelle il n'avait pas fumé ni bu d'alcool dans les trente minutes précédant le contrôle.
8. Il énonce que le respect du délai de trente minutes entre la dernière absorption de produits et le test par éthylomètre est imposé par l'arrêté du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres et que, dès lors, le non-respect de ce délai est susceptible de compromettre la fiabilité de la mesure.
9. En se déterminant ainsi, alors que le refus de signer le procès-verbal n'affecte en rien sa validité et que l'officier de police judiciaire avait mentionné que M. P... refusait de signer ledit procès-verbal, le tribunal de police n'a pas justifié sa décision.
10. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement susvisé du tribunal de police de Bayonne, en date du 3 juillet 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant le tribunal de police de Pau, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil. ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du tribunal de police de Bayonne et sa mention en marge ou à la suite du jugement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le deux septembre deux mille vingt. | Le refus de signer le procès-verbal n'affecte en rien sa validité.
Méconnaît la valeur probante attachée aux procès-verbaux le jugement qui, relevant que le procès-verbal de vérification et de notification de l'état d'alcoolémie n'a pas été signé par le contrevenant, en déduit que cette absence de signature est de nature à remettre en cause la mention selon laquelle il n'avait pas fumé ni bu d'alcool dans les trente minutes précédant le contrôle, délai imposé par l'arrêté du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres en vue de s'assurer de la fiabilité de la mesure |
433 | N° A 19-87.499 FS-P+B+I
N° 1367
SM12
1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par M. E... W... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 22 novembre 2019, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'association de malfaiteurs et recel, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 27 janvier 2020, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. E... W..., et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, M. Bonnal, Mme Ménotti, MM. Maziau, Seys, conseillers de la chambre, M. Barbier, M. Violeau, conseillers référendaires, Mme Caby, avocat général référendaire, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 27 septembre 2018, à 14 heures 30, les services de police, intervenant en exécution de réquisitions du procureur de la République prises sur le fondement de l'article 78-2-1 du code de procédure pénale, sont entrés dans les locaux de la société KDM autos gérée par M. E... W... et exploitant un garage.
3. Etait seule présente Mme N... Y..., fille de Mme I..., associée à 50 % de cette société, et belle-fille de M.T... P... W... , tous trois occupant un logement situé au-dessus du garage précité.
4. Lors du contrôle, à 14 heures 50, les policiers ont constaté la présence d'un véhicule partiellement démonté dont le numéro de série, après vérification au fichier, est apparu comme correspondant à un véhicule volé.
5. Agissant alors en flagrance, les policiers ont procédé, en présence de Mme Y..., à une perquisition du garage, qui a mis en évidence la présence d'autres véhicules volés.
6. M.E... W... a été mis en examen des chefs susvisés.
7. Le 28 mars 2019, il a saisi la chambre de l'instruction d'une requête tendant à voir annuler la procédure de contrôle du garage, la perquisition de celui-ci et les actes de procédure subséquents.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé de constater la nullité du PV D 18 d'investigation des locaux professionnels de la société KDM AUTOS et d'interpellation de N... Y... ainsi que toute la procédure subséquente poursuivie en flagrant délit, alors :
« 1°/ que les réquisitions délivrées par le procureur de la République autorisaient les officiers de police judiciaire, conformément aux dispositions de l'article 78-2-1 du code de procédure pénale en application desquelles elles étaient prises, à pénétrer dans les locaux professionnels où une activité était en cours et pour y rechercher des infractions de travail illégal ; que selon les constatations du PV litigieux, reprises par l'arrêt attaqué, les locaux de la société KDM Autos étaient fermés à l'arrivée des policiers et ayant réussi à pénétrer dans les lieux ils n'y ont trouvé que N... Y... qui a déclaré ne pas s'occuper du garage, mais avoir son domicile au-dessus des locaux professionnels à usage de garage ; que les constatations ainsi faites établissent qu'il n'y avait aucune activité professionnelle en cours dans les locaux de la société KDM Autos lors de l'arrivée des policiers qui ne pouvaient dès lors, sans excéder l'habilitation sur laquelle ils agissaient, poursuivre leurs investigations ; qu'en refusant néanmoins d'annuler ledit procès-verbal en affirmant que les constations faites par les fonctionnaires leur permettaient de présumer l'existence d'une activité « réelle » l'arrêt attaqué a violé l'article 78-2-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que les réquisitions du procureur de la République, prises conformément aux dispositions de l'article 78-2-1 du code de procédure pénale pour autoriser les enquêteurs à pénétrer dans les locaux de la société KDM Autos, fixaient limitativement les investigations pour lesquelles les enquêteurs étaient habilités, soit, vérification de l'immatriculation de l'activité exercée au répertoire des métiers ou registre du commerce, vérification du registre du personnel et des déclarations d'embauche, vérification de l'identité des personnes occupées pour vérifier leur inscription au registre du personnel ; que la vérification du numéro de série d'un véhicule en cours de réparation, stationné dans les locaux visités, auprès de la liste des véhicules déclarés volés n'est pas au nombre des investigations limitativement énumérées dans l'habilitation ; que dès lors, et à supposer même qu'elle puisse avoir pour objectif la recherche d'un travail illégal ou d'une activité dissimulée, les officiers de police judiciaire n'étaient pas autorisés à y procéder en exécution des réquisitions sur le fondement desquelles ils agissaient ; qu'en décidant le contraire l'arrêt attaqué a violé l'article 78-2-1du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 78-2-1 du code de procédure pénale :
9. Il se déduit de ce texte qu'excèdent les pouvoirs qu'ils tiennent de la réquisition du procureur de la République aux fins de recherche et poursuite des infractions visées audit texte les policiers qui, après être entrés dans des lieux à usage professionnel, sans constater qu'une activité était en cours, effectuent néanmoins des actes d'investigation.
10. Pour rejeter le moyen de nullité des opérations de contrôle dans le garage de la société KDM autos, pris de ce qu'aucune activité n'était en cours, l'arrêt attaqué énonce que le seul fait que le portail d'accès au lieu soit fermé lors de l'arrivée des fonctionnaires requis ne démontre pas une absence d'activité dès lors que les infractions de travail dissimulé sont, par nature, des infractions qui se commettent à l'abri des regards.
11. Les juges ajoutent que plusieurs véhicules étaient stationnés à l'extérieur du bâtiment, ce qui pouvait laisser supposer la réalité d'une activité de réparation, se déroulant à l'intérieur de celui-ci.
12. Ils relèvent encore qu'une fois ouvert le portail d'accès au lieu, les enquêteurs ont pénétré dans le bâtiment lui-même, par un portail ouvert à l'arrière de celui-ci.
13. Ils en déduisent que ces éléments permettaient aux enquêteurs de présumer l'existence d'une activité réelle dans les locaux lors de leur arrivée sur les lieux et d'y pénétrer légalement.
14. Ils énoncent encore que le simple contrôle visuel du numéro de série d'un véhicule en travaux, dont le capot est ouvert, ne constitue ni une perquisition de celui-ci ni une fouille.
15. Ils ajoutent en substance que les opérations contestées avaient pour objet la possible constatation d'une activité dissimulée, la vérification des véhicules sur lesquels il est procédé à des réparations et celle de leur provenance licite ou non, étant nécessaires pour contrôler le volume d'activité ainsi que la véracité des déclarations faites à l'administration fiscale et des registres tenus.
16. Ils en déduisent que les actes contestés n'outrepassaient pas les pouvoirs que les officiers de police judiciaire tenaient des réquisitions du procureur de la République.
17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
18. En effet, si c'est à bon droit que la chambre de l'instruction a constaté, au vu des circonstances qu'elle a relevées, que les enquêteurs étaient entrés régulièrement dans les locaux de la société KDM autos, il se déduit du procès-verbal de contrôle qu'aucune activité de réparation n'était en cours, de sorte que lesdits enquêteurs ne pouvaient s'y maintenir et procéder à des actes d'investigation, hors le cas de flagrance.
19. Il s'ensuit que les opérations ainsi effectuées sont irrégulières.
20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
21. L'état de flagrance, seul susceptible de donner une base légale à la perquisition, résulte uniquement des constatations irrégulières opérées antérieurement par les enquêteurs.
22. Il en résulte que l'irrégularité de ces investigations s'étend à la mesure de perquisition qui en découle.
23. Dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner le second moyen.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 22 novembre 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | Il se déduit de l'article 78-2-1 du code de procédure pénale qu'excèdent les pouvoirs qu'ils tiennent de la réquisition du procureur de la République aux fins de recherche et poursuite des infractions visées audit texte les policiers qui, après être entrés dans des lieux à usage professionnel, sans constater qu'une activité était en cours, effectuent néanmoins des actes d'investigation.
Encourt dès lors la cassation l'arrêt, qui, après avoir constaté à bon droit, au vu des circonstances relevées, que les enquêteurs étaient entrés régulièrement dans les locaux d'une société, énonce que la vérification du numéro de série d'un véhicule n'outrepassait pas les pouvoirs que les officiers de police judiciaire tenaient des réquisitions du procureur de la République, alors qu'il se déduit du procès-verbal de contrôle qu'aucune activité de réparation n'était en cours dans les locaux, de sorte que lesdits enquêteurs ne pouvaient s'y maintenir et procéder à des actes d'investigation, hors le cas de flagrance |
434 | N° Z 19-84.600 F-P+B+I
N° 1371
SM12
1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI sur les pourvois formés par M. O... H... et l'association Union nationale de l'apiculture française contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 23 mai 2019, qui, pour refus d'insertion d'une réponse, a condamné le premier à 500 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, les observations de Me Brouchot, avocat de l'union nationale de l'apiculture française, M. O... H..., les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Famille C... Apiculteurs, et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par lettre recommandée adressée au directeur de la publication de la revue Abeilles et fleurs, organe de l'Union nationale de l'apiculture française (UNAF), M. K... C... a sollicité l'insertion d'une réponse à un éditorial publié dans la revue sous le titre « M. C... et le marché du miel ».
3. Cette réponse n'ayant pas été publiée dans le numéro suivant le surlendemain de sa réception, la société Famille C... Apiculteurs a fait citer M. H..., directeur de la publication de la revue, et l'UNAF du chef précité devant le tribunal correctionnel.
4. Les juges du premier degré ont constaté l'irrecevabilité de la citation directe, sans ordonner le versement d'une consignation, faute de production par la partie civile de son bilan et de son compte de résultat.
5. La société Famille C... Apiculteurs a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
Enoncé des moyens
6. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la citation directe de la société Famille C... Apiculteurs en admettant la production pour la première fois devant la cour d'appel de ses bilan et compte de résultat, suivie d'une consignation dont le montant a été fixé par la cour d'appel, alors « que la personne morale à but lucratif dont la citation directe a été déclarée par le jugement frappé d'appel, non recevable faute de production de son bilan et de son compte de résultat ayant mis obstacle à la fixation de la consignation, ne peut pour la première fois devant la cour d'appel, produire ces justifications et obtenir la fixation d'une consignation permettant aux juges du second degré, après son versement, d'infirmer le jugement, de déclarer la citation directe recevable et de statuer sur l'action publique et sur l'action civile ; que la cour d'appel a décidé que le jugement prononçant l'irrecevabilité de la citation directe de la SA Famille C... Apiculteurs faute par celle-ci d'avoir produit son bilan et son compte de résultat dans le délais imparti, devait être infirmé sur appel de cette société, en raison de la production des justificatifs pour la première fois devant la cour d'appel après la déclaration d'appel et en raison de la fixation d'une consignation et de son versement, permettant ainsi aux juges du second degré d'évoquer l'affaire au fond sur la culpabilité des prévenus et sur les intérêts civils ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe constitutionnel d'égalité devant la justice, les articles 392-1 du code de procédure pénale, 13 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble le principe du double degré de juridiction garanti par le protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
7. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a évoqué et statué au fond sur la citation directe qui n'avait pas régulièrement saisi les premiers juges, alors « que la cour d'appel qui, statuant sur l'appel de la personne morale à but lucratif auteur d'une citation directe déclarée irrecevable par le jugement du fait de son abstention délibérée de produire devant le tribunal son bilan et son compte de résultat, et qui infirme ce jugement en admettant la production de ces justificatifs pour la première fois en appel, en fixant et en admettant le versement de la consignation, ne peut procéder par voie d'évocation dès lors que les premiers juges n'avaient pas été régulièrement saisis de la prévention ; qu'en effet, ayant pour objet de permettre à la cour d'appel de remplir directement la mission des premiers juges, l'évocation ne peut intervenir que lorsque la cour d'appel est en mesure de constater que ceux-ci avaient été régulièrement saisis, ce qui n'est pas le cas ; qu'ayant constaté l'absence de production devant le tribunal par la SA Famille C... Apiculteurs du bilan et du compte de résultat, qui a entraîné l'irrecevabilité de la citation directe devant les premiers juges, la cour d'appel faute de pouvoir constater que ceux-ci avaient été régulièrement saisis et à supposer qu'elle ait pu admettre la régularisation de la citation directe par production des justificatifs pour la première fois à hauteur d'appel, ne pouvait procéder par voie d'évocation et remplir directement la mission du tribunal, celui-ci n'ayant jamais été régulièrement saisi ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le principe constitutionnel d'égalité devant la justice, les articles 392-1 et 520 du code de procédure pénale, 13 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble le principe du double degré de juridiction garanti par le protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Les moyens sont réunis.
9. Pour infirmer le jugement et évoquer, l'arrêt attaqué énonce que l'obligation faite à la partie civile, personne morale à but lucratif, par l'article 392-1 du code de procédure pénale de produire son bilan et son compte de résultat a pour objet de permettre la détermination du montant de la consignation, de sorte que son non-respect devant les premiers juges peut être régularisé en cause d'appel.
10. Les juges ajoutent notamment que la société Famille C... Apiculteurs a communiqué les documents exigés par ce texte à la cour d'appel, qui a pu ainsi fixer une consignation, versée dans les délais, et que la partie civile est donc recevable.
11. Ils en concluent que la cour d'appel doit évoquer l'affaire au fond en application de l'article 520 du code de procédure pénale.
12. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.
13. La Cour de cassation juge que la personne morale à but lucratif qui, s'étant constituée partie civile en portant plainte devant le juge d'instruction, a omis de justifier de ses ressources en joignant son bilan et son compte de résultat, ainsi que l'exige l'article 85, alinéa 4, du code de procédure pénale, demeure recevable à apporter ces justifications devant la chambre de l'instruction au soutien de son appel de l'ordonnance du magistrat instructeur ayant sanctionné sa carence en déclarant sa constitution de partie civile irrecevable (Crim., 13 novembre 2018, pourvoi n° 18-81.194, Bull. crim. 2018, n° 189, cassation).
14. Il n'existe aucune raison de ne pas juger de même s'agissant de la délivrance d'une citation directe par la partie civile.
15. En effet, de première part, l'objet de l'article 392-1, alinéa 2, du code de procédure pénale comme de l'article 85, alinéa 4, précité, ces deux textes étant issus de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, est de permettre au juge d'instruction ou au tribunal correctionnel de fixer une consignation en adéquation avec les capacités financières d'une personne morale à but lucratif.
16. De deuxième part, interdire à une telle personne, qui a vu sa citation déclarée irrecevable en première instance, faute par elle d'avoir produit les documents comptables exigés, en vue de la fixation de la consignation, par l'article 392-1, alinéa 2, précité et qui fait appel de ce jugement, la possibilité de produire lesdits documents en appel, porterait atteinte, par un formalisme excessif, au droit de la partie civile d'accéder à une juridiction.
17. Enfin, lorsque la cour d'appel, infirmant sur la recevabilité, évoque et statue au fond, il n'est pas porté atteinte au principe d'égalité, la partie civile et le prévenu ayant tous les deux eu la possibilité de comparaître devant les juges du premier degré puis d'appel.
18. Il en résulte que la personne morale à but lucratif qui, ayant fait délivrer une citation directe devant le tribunal correctionnel, a omis de justifier de ses ressources en joignant son bilan et son compte de résultat demeure recevable à apporter ces justifications devant la cour d'appel au soutien de son appel du jugement ayant sanctionné sa carence en déclarant sa citation irrecevable.
19. Ainsi, les moyens ne sont pas fondés.
Mais sur le moyen relevé d'office dont il a été fait mention au rapport
Vu les articles 1er, 2 et 3 du code de procédure pénale et 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
20. Il résulte de ces textes que seule est recevable à mettre en mouvement l'action publique du chef du délit de refus d'insertion d'une réponse, prévu par le dernier d'entre eux, la personne, nommée ou désignée dans un journal ou écrit périodique, qui a demandé en vain au directeur de la publication l'insertion forcée de ladite réponse.
21. Pour déclarer le directeur de la publication du périodique Abeilles et fleurs coupable du délit de refus d'insertion, l'arrêt attaqué énonce notamment que la société Famille C... Apiculteurs est expressément visée et citée dans le texte auquel il est répondu, de sorte que, quand bien même M. C... en personne serait également nommément cité dans le même éditorial, cette société a bien qualité à agir sur le fondement de l'article 13 précité.
22. En prononçant ainsi, alors que la demande en insertion forcée d'une réponse avait été adressée au directeur de la publication par M. C... en son nom propre, et non par la société Famille C... Apiculteurs, qui, seule, a fait délivrer une citation directe du chef de refus d'insertion de ladite réponse, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé.
23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
24 N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
25. La société Famille C... Apiculteurs sera dite irrecevable en sa constitution de partie civile.
26. Il n'y a en conséquence pas lieu d'examiner les autres moyens de cassation.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 23 mai 2019, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a constaté que la partie civile avait régulièrement versé la consignation fixée et constaté l'irrecevabilité des exceptions de nullité ;
DIT la partie civile irrecevable en sa constitution ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | La personne morale à but lucratif qui, ayant fait délivrer une citation directe devant le tribunal correctionnel, a omis de justifier de ses ressources en joignant son bilan et son compte de résultat demeure recevable à apporter ces justifications devant la cour d'appel au soutien de son appel du jugement ayant sanctionné sa carence en déclarant sa citation irrecevable |
435 | N° A 20-80.281 F-P+B+I
N° 1373
EB2
1ER SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
REJET du pourvoi formé par M. V... Q... contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, en date du 22 novembre 2019, qui, sur renvoi après cassation (Crim.,18 juin 2019, pourvoi n°18-86.593), dans la procédure suivie contre M. N... C... des chefs de diffamation publique envers un particulier et diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, et les conclusions de Mme Caby, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. Q..., agriculteur et maire de la commune de Monts (Oise) a porté plainte et s'est constitué partie civile, du chef de diffamation publique envers un particulier et de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, en raison de plusieurs passages d'un article le mettant en cause, rédigé notamment par M. M... I..., contenu dans le "Bulletin de liaison 2015" de l'association Maisons paysannes de l'Oise, présidée par M. F... R..., laquelle l'a fait figurer sur le site internet de l'association et l'a fait distribuer dans les boites aux lettres des habitants de la commune de Maisoncelle Saint-Pierre par M. N... C....
3. MM. R... et I... ont fait l'objet d'une ordonnance de renvoi du juge d'instruction devant le tribunal correctionnel de Beauvais des chefs susvisés.
4. Parallèlement, M. C... a été cité par M. Q... devant cette juridiction, des mêmes chefs.
5. Par jugement du 19 décembre 2017, les deux procédures ont été jointes, MM. R... et I... ont été déclaré coupables des délits de diffamation, tandis que M. C... a été relaxé, au motif que celui-ci a été cité en qualité d'auteur des délits de diffamation alors qu'il ne pouvait l'être qu'en qualité de complice.
6. Par arrêt du 22 octobre 2018, la cour d'appel d'Amiens a confirmé le jugement en toutes ses dispositions.
7. Le 18 juin 2019, la chambre criminelle a cassé cette décision en ses seules dispositions ayant débouté M. Q... de ses demandes dirigées contre M. C... et a renvoyé l'affaire devant la même cour autrement composée.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen est pris de la violation des articles 2, 459, 485, 496 et suivants, 509, 515 et 593 du code procédure pénale, 23, 42, 43 4°, 53 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 121-6 et 121-7 du code pénal, ensemble l'article 1240 (1382 ancien) du code civil.
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a débouté de sa demande vis à vis de M. C..., alors :
- « que la cour d'appel de renvoi n'a pas apprécié, le mode de participation de M. C... en qualité d'auteur ou de complice et a relaxé M. C... en considérant qu'il avait agi dans le seul but de faire bénéficier les lecteurs d'un autre article figurant dans la publication incriminée, alors que le mobile est indifférent à la constitution de l'infraction ;
- que il importe peu que M. C... ait eu, ou non, conscience, du caractère diffamatoire du support distribué. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter la responsabilité de M. C... des chefs de diffamation publique envers un particulier et de diffamation publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci a indiqué avoir diffusé le bulletin litigieux dans le seul but de faire bénéficier chaque habitant de la commune de Maisoncelle Saint-Pierre du compte-rendu d'une sortie qui avait eu lieu en octobre 2015 et n'avoir pas été parfaitement conscient des propos visant M. Q... du fait que ceux-ci concernaient le village de Monts et non le sien.
11. Les juges en déduisent qu'il ne ressort pas du dossier que M. C... ait eu une connaissance entière et certaine des propos litigieux, de sorte qu'il ne peut être regardé comme ayant commis une faute au sens de l'article 1240 du code civil.
12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
13. En premier lieu et dès lors que la responsabilité de M. R..., président de l'association éditrice du bulletin litigieux, était engagée en qualité d'auteur, M. C... ne pouvait voir sa propre responsabilité engagée en cette même qualité d'auteur sur le fondement de l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881.
14. En second lieu, la présomption de responsabilité en qualité de complice étant réservée à l'auteur des propos en application de l'article 43 alinéa 1 de ladite loi, la responsabilité de M. C... ne pouvait être retenue qu'au titre d'une complicité de droit commun, ce qui supposait la preuve de l'élément intentionnel que la cour d'appel a pu estimer non rapportée du fait des circonstances particulières ayant motivé la distribution, par M. C..., du bulletin litigieux.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | La personne qui a distribué, dans des boites aux lettres, un bulletin publié par une association ne peut être poursuivie du chef d'une infraction de presse prévue par la loi du 29 juillet 1881 qu'en qualité de complice de droit commun, dès lors qu'est poursuivi, en qualité d'auteur, le président de l'association directeur de la publication en vertu de l'article 42 de ladite loi et que, dans cette hypothèse, ne peut être poursuivi en qualité de complice présumé responsable que l'auteur du propos en cause conformément à l'article 43 alinéa 1 du même texte. Il en résulte la nécessité d'établir, à la charge de ce distributeur, la preuve de l'élément intentionnel de l'infraction de diffamation |
436 | N° K 19-85.070 F-D
N° 952
EB2
1ER SEPTEMBRE 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER SEPTEMBRE 2020
REJET du pourvoi formé par la société Assistance industrie service (AIS) contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 9e chambre, en date du 1er juillet 2019, qui, pour violation des stipulations d'une convention collective, l'a condamné à cinq amendes de 500 euros chacune.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de la société Assistance Industrie Service (AIS), et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre, et Mme Guichard, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A la suite d'un contrôle effectué le 3 novembre 2015, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Nord-Pas de Calais a constaté que courant mai, juin et septembre 2015, cinq salariés de la société AIS, société spécialisée dans le désamiantage, ont effectué de grands déplacements entre leur domicile, situé dans le département du Nord (59), et des chantiers localisés à Cordemais (44), Donge (44) et Le Havre (76), sans percevoir de contrepartie pour indemniser leurs temps de trajet, hormis une indemnité forfaitaire.
3. Citée du chef de violation des stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail étendu relatives aux accessoires du salaire, la société AIS a été déclarée coupable par le tribunal de police, qui l'a condamnée à cinq amendes de 200 euros chacune.
4. Appel a été interjeté par la société prévenue, à titre principal, et par le ministère public, à titre incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen pris en sa première branche et sur le second moyen
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société Assistance industrie service coupable d'avoir violé les stipulations d'une convention ou d'un accord collectif du travail étendu relatives aux accessoires du salaire au titre des mois de mai, juin et juillet 2015, s'agissant de MM. D..., P..., Q..., M... et H... et de l'avoir condamnée à payer 5 amendes de 500 euros chacune, alors :
« 2°/ qu' en statuant comme elle l'a fait, motif pris que « des lieux de résidence mentionnés sur les fiches de paie et des temps de trajets mentionnés supra, de plusieurs heures, il est parfaitement établi que les 5 salariés concernés par la poursuite se trouvaient, (
) en situation de grand déplacement », quand l'indemnité de grand déplacement prévue par l'article 8.24 de la Convention collective des ouvriers du bâtiment du 8 octobre 1990, étendue, n'est due que si le grand déplacement est effectué « soit du siège social dans un chantier ou inversement, soit d'un chantier dans un autre », la cour d'appel a violé les articles L. 3121-4, R. 2263-4 du code du travail, 8.24 Convention collective des Ouvriers du Bâtiment du 8 octobre 1990, étendue, et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer la société AIS coupable du délit poursuivi, l'arrêt attaqué énonce, en substance, que les temps de route des salariés, au départ de l'entreprise, ont été estimés par l'inspection du travail, à 6 heures 07 jusqu'à Cordemais (44), 6 heures 16 jusqu'à Donges (44), et 3 heures 06 jusqu'au Havre (76).
8. Les juges retiennent que ces temps de trajet restent globalement valables, à quelques minutes ou dizaines de minutes près, au départ des domiciles mentionnés sur les fiches de paie des cinq salariés concernés, qui résident dans le secteur de Valenciennes.
9. Ils ajoutent qu'au regard de ces éléments, il est parfaitement établi qu'ils se trouvaient, sur les semaines considérées, en situation de grand déplacement, leurs fiches de paie mentionnant d'ailleurs le versement d'une indemnité de grand déplacement, conformément aux stipulations de l'article 8-22 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés du 8 octobre 1990.
10. Les juges relèvent qu'il résulte de l'étude des fiches de paie et des fiches de pointage que ce temps de trajet n'était pas rémunéré comme du temps de travail.
11. Ils en déduisent que la société AIS devait, conformément au 1 de l'article 8-24 de la convention collective applicable, verser une indemnité des frais de trajet, laquelle est distincte de l'indemnité de grand déplacement prévue par l'article 8-22 précité.
12. En statuant ainsi, et dès lors que la situation de grand déplacement des salariés concernés est appréciée au regard de leur lieu de résidence, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
13. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
14. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le premier septembre deux mille vingt. | Il se déduit des articles 8-21 et 8-24 de la convention collective nationale des ouvriers employés dans les entreprises du bâtiment visées par le décret du 1er mars 1962, du 8 octobre 1990, étendue par arrêté du 8 février 1991, que la situation de grand déplacement des salariés est appréciée au regard de leur lieu de résidence.
Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer une société coupable de violation des stipulations d'une convention ou d'un accord collectif du travail étendu relatives aux accessoires du salaire, retient, après avoir constaté l'éloignement du domicile des salariés de leur chantier, que la société devait leur verser l'indemnité des frais de trajet prévue à l'article 8-24 de la convention collective applicable, outre l'indemnité de grand déplacement versée au titre de l'article 8-22 de la même convention collective |
437 | N° B 20-82.858 F-P+B+I
N° 1658
SM12
19 AOÛT 2020
CASSATION SANS RENVOI
M. PERS conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 AOÛT 2020
CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. S... G... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 28 mai 2020, qui, dans la procédure d' extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement russe, a rejeté ses demandes de mise en liberté.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. S... G..., et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 août 2020 où étaient présents M. Pers, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Samuel, conseiller rapporteur, MM. Bellenger, d'Huy, Wyon, Turbeaux, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Ascensi, Violeau, conseillers référendaires, M. Valleix, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le gouvernement russe a demandé l'extradition de M. S... G... pour l'exercice de poursuites des chefs d'escroquerie à très grande échelle, détournement d'argent à très grande échelle et banqueroute volontaire.
3. M. G... a été placé sous écrou extraditionnel à compter du 5 novembre 2019.
4. Par arrêt du 27 février 2020, la chambre de l'instruction a émis un avis favorable à la demande d'extradition.
5. M. G... a déposé entre le 4 et le 20 mai 2020, dix demandes de mise en liberté qui ont été jointes.
6. Il a demandé à titre principal à la chambre de l'instruction d'ordonner sa mise en liberté d'office pour dépassement du délai de vingt jours imparti pour statuer sur une demande de mise en liberté en matière d'écrou extraditionnel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il n'a pas ordonné la remise en liberté de M. G..., alors « que la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions du d) du 2° de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 habilitant le Gouvernement à prendre des mesures adaptant les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires pour permettre l'allongement des délais en matière d'audiencement, en ce que ces dispositions, à supposer qu'elles autorisent le Gouvernement à allonger les délais d'audiencement des demandes de mise en liberté présentées par une personne placée sous écrou extraditionnel, ne précisent pas les limites de cet allongement et privent de ce fait les personnes intéressées des garanties légales, pour le respect du droit à la sûreté et du droit à un recours effectif garantis par les articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, qu'impose la situation particulière des personnes incarcérées pour les seuls besoins de l'exécution d'une demande d'extradition sur la seule décision rendue en premier et dernier ressort par le premier président de la cour d'appel pour une durée dont la loi ne fixe pas la limite et qui peut se prolonger sans intervention périodique et systématique d'un juge, privera l'arrêt attaqué de son fondement légal. »
Réponse de la Cour
8. Par arrêt de ce jour, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, posée par le demandeur et portant sur les dispositions du d) du 2° de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020.
9. Cette décision rend sans objet le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de ces dispositions.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé d'ordonner la remise en liberté de M. G..., « alors que, mesure de privation de liberté destinée à assurer l'exécution d'une demande d'extradition ou d'un mandat d'arrêt européen pour les besoins de la coopération internationale, l'écrou extraditionnel n'est pas une mesure de détention provisoire et les demandes de mise en liberté présentées par celui qui en fait l'objet ne constituent pas des recours en matière de détention provisoire ; qu'en retenant le contraire, et en appliquant les dispositions de l'article 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 en tant qu'elles prévoient que sont augmentés d'un mois les délais impartis à la chambre de l'instruction pour statuer sur les recours en matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction a violé les articles 696-19 et 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, ensemble les articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de 1789. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 696-19 du code de procédure pénale :
11. Il se déduit de ce texte que, faute pour une chambre de l'instruction appelée à statuer sur une demande de mise en liberté formée par une personne placée sous écrou extraditionnel, de s'être prononcée dans les vingt jours de la réception de la demande, il est mis fin à l'écrou et l'intéressé est mis d'office en liberté, s'il n'est pas détenu pour autre cause.
12. Pour refuser d'ordonner la mise en liberté de M. G... qui invoquait l'expiration du délai de vingt jours imparti à la chambre de l'instruction pour statuer sur ses demandes de liberté formées entre le 4 et le 7 mai 2020, l'arrêt énonce que ces demandes sont relatives à sa détention provisoire dans l'attente de la décision des autorités françaises sur la demande d'extradition des autorités russes et qu'elles entrent dans le cadre des recours en matière de détention provisoire pour lesquels l'article 18 de l'ordonnance du 25 mars 2020 a prévu un allongement du délai d'audiencement.
13. En statuant ainsi, alors que, d'une part, l'article 18 de l'ordonnance précitée, dont la portée est limitée au contentieux de la détention provisoire, n'est pas applicable lorsque la chambre de l'instruction statue en matière d'écrou extraditionnel sur le fondement de l'article 696-19 du code de procédure pénale, d'autre part, il n'a pas été statué avant l'expiration du délai imparti par ce dernier texte sur les demandes de mise en liberté formées entre le 4 et le 7 mai 2020, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire. Elle aura pour conséquence la levée de l'écrou extraditionnel et la remise en liberté de M. S... G....
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 28 mai 2020 ;
ORDONNE la mise en liberté de M. G..., s'il n'est détenu pour autre cause ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi.
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf août deux mille vingt. | Il se déduit de l'article 696-19 du code de procédure pénale que, faute pour une chambre de l'instruction appelée à statuer sur une demande de mise en liberté formée par une personne placée sous écrou extraditionnel de s'être prononcée dans les vingt jours de la réception de la demande, il est mis fin à l'écrou et l'intéressé est mis d'office en liberté, s'il n'est pas détenu pour autre cause.
Encourt par conséquent la cassation l'arrêt qui statue sur des demandes de mise en liberté formées par une telle personne après l'expiration de ce délai en se fondant sur l'allongement du délai d'audiencement prévu à l'article 18 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, alors que cette disposition, dont la portée est limitée au contentieux de la détention provisoire, n'est pas applicable à l'écrou extraditionnel |
438 | N° E 20-82.171 F-P+B+I
N° 1659
EB2
19 AOÛT 2020
REJET
M. PERS conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 AOÛT 2020
REJET du pourvoi formé par M. E... K... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 23 avril 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'escroquerie, recel et blanchiment en bande organisée, en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. E... K..., et les conclusions de M. Valleix, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 août 2020 où étaient présents M. Pers, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Ascensi, conseiller rapporteur, MM. Bellenger, d'Huy, Wyon, Samuel, Turbeaux, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Violeau, conseillers référendaires, M. Valleix, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. M. E... K... a saisi le juge d'instruction d'une demande de mise en liberté en date du 19 mars 2020.
2. Cette demande a été rejetée par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 24 mars 2020.
3. L'avocat de l'intéressé a interjeté appel de la décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de mise en liberté formée par le demandeur, alors :
« 1°/ que l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit à la vie ; que selon l'article 3 de ladite Convention « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; que ce droit est absolu et impose notamment à l'Etat de protéger l'intégrité physique et la santé des personnes privées de liberté ; que le juge a l'obligation de veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en oeuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et notamment de s'assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant ; qu'à défaut, elle doit ordonner la mise en liberté de l'intéressé en l'astreignant, le cas échéant, à une assignation à résidence avec surveillance électronique ou à un contrôle judiciaire ; que l'exposant avait fait valoir et démontré que son maintien en détention provisoire, dans le contexte de la crise sanitaire française liée à l'épidémie du virus Covid-19, dans un établissement pénitentiaire en situation de surpopulation carcérale à hauteur de 124,6 % impliquant une grande promiscuité et où il n'est notamment pas possible de bénéficier ni de respecter les mesures de distanciation sociale et les gestes barrières imposés par les autorités, l'exposait à un risque sanitaire très élevé portant atteinte à son droit à la vie et à sa dignité comme constituant un traitement inhumain et dégradant en violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en énonçant de manière générale et impersonnelle, que la situation actuelle de risque sanitaire lié à la pandémie du virus covid-19 « ne saurait transformer, en soi, une mesure de sûreté et notamment la détention provisoire décidée en conformité avec les textes internes et les conventions qui lient la France en un traitement inhumain et dégradant ou une atteinte au droit à la vie, une atteinte au droit à l'intégrité physique et mentale et l'interdiction des peines ou traitements inhumains ou dégradants» et que « la situation sanitaire d'un pays si elle est susceptible de requérir la prise de mesures spécifiques, ne saurait constituer un obstacle légal au maintien en détention provisoire lorsqu'il y a notamment, comme en l'espèce, des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis une infraction », quand il lui appartenait au contraire, face à la description par l'exposant de ses conditions personnelles de détention supposément indignes comme constitutives de mauvais traitement en raison d'un risque élevé pour sa santé et sa sécurité en période de crise pandémique liée à un virus potentiellement mortel, d'apprécier, au besoin après avoir fait procéder à des vérifications complémentaires, la réalité d'un tel risque et d'une telle atteinte en la personne de l'exposant et, dans l'affirmative, d'ordonner sa remise en liberté en lui imposant, éventuellement, une assignation à résidence avec surveillance électronique ou un contrôle judiciaire, a violé les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ qu'une personne en détention provisoire peut solliciter sa mise en liberté, au besoin assortie de mesures contraignantes, du fait de l'existence de conditions de détention lui faisant courir un risque sanitaire grave et avéré et portant par là même atteinte à sa dignité comme constituant un traitement inhumain et dégradant en violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en ajoutant, pour rejeter la demande de mise en liberté de l'exposant, qu'en l'espèce, ce dernier « ne produit aucun certificat relatif à son état de santé émanant du médecin intervenant en milieu pénitentiaire comme prévu par l'article 147-1 du code de procédure pénale » et que « ce médecin n'a pas avisé le chef de l'établissement pénitentiaire que l'état de santé de (l'exposant) ne serait pas compatible avec un maintien en détention ou avec le régime pénitentiaire qui lui est appliqué conformément à l'article D. 382 du code de procédure pénale », la chambre de l'instruction qui a subordonné la remise en liberté d'une personne en détention provisoire invoquant les conditions personnelles indignes de sa détention comme constitutives d'un mauvais traitement au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, en raison d'un risque sanitaire très élevé, dans un milieu carcéral surpeuplé, en période de crise pandémique liée à un virus mortel, à la réunion des conditions posées par l'article 147-1 du code de procédure ou de l'article D382 dudit code, tenant à la fourniture d'une expertise médicale ou d'un avis médical du médecin intervenant en milieu pénitentiaire, a violé lesdits textes ensemble les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
5. Pour confirmer l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention, en écartant le moyen pris de ce que la crise sanitaire justifiait la remise en liberté du demandeur en l'état de la surpopulation carcérale et de l'état de délabrement des établissements pénitentiaires français qui placent l'administration pénitentiaire dans l'incapacité de mettre en oeuvre les mesures de distanciation sociale prescrites par le Gouvernement, sauf à méconnaître le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, l'arrêt relève que la situation actuelle de risque sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, qui affecte tous les citoyens en France et dans le monde, ne saurait transformer, en soi, une mesure de sûreté et notamment la détention provisoire décidée en conformité avec les textes internes et les conventions qui lient la France en un traitement inhumain et dégradant ou une atteinte au droit la vie tel que visés par les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
6. Les juges ajoutent que la situation sanitaire d'un pays, si elle est susceptible de requérir la prise de mesures spécifiques, ne saurait constituer un obstacle légal au maintien en détention provisoire prévue par l'article 5, § 1, c), de la Convention européenne des droits de l'homme, lorsqu'il y a notamment, comme en l'espèce, des raisons plausibles de soupçonner que la personne concernée a commis une infraction.
7. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
8. D'une part, le moyen pris de la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme est infondé, dès lors que, faute pour le demandeur d'avoir fait état devant les juges de ses conditions personnelles de détention au sein de la maison d'arrêt où il était détenu, de façon suffisamment crédible, précise et actuelle pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne, la chambre de l'instruction n'était pas tenue de faire vérifier les conditions de détention de l'intéressé avant de confirmer le rejet de sa demande de mise en liberté.
9. D'autre part, l'argumentation développée par le requérant au visa de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ne saurait prospérer, l'intéressé n'ayant pas préalablement allégué que sa vie a été exposée à un risque réel et imminent en raison de conditions personnelles de détention dans le contexte de l'épidémie de Covid-19.
10. Enfin, la seconde branche du moyen est inopérante comme portant sur des motifs surabondants de l'arrêt attaqué, tirés de l'article 147-1 du code de procédure pénale dont la mise en oeuvre n'avait pas été sollicitée.
10. En conséquence, le moyen est infondé.
11. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf août deux mille vingt. | A défaut d'allégation de conditions personnelles de détention, de façon suffisamment crédible, précise et actuelle pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne, la chambre de l'instruction n'est pas tenue de faire vérifier les conditions de détention de l'intéressé avant de confirmer le rejet de sa demande de mise en liberté.
L'invocation de la méconnaissance de son droit à la vie par un détenu a, par ailleurs, pour condition préalable que l'intéressé allègue que sa vie a été exposée à un risque réel et imminent en raison de ses conditions personnelles de détention.
Justifie sa décision, sans méconnaître les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction qui confirme l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant une demande de mise en liberté, en écartant le moyen pris de ce que l'épidémie de Covid-19 justifiait la remise en liberté du demandeur en l'état de la surpopulation carcérale et du délabrement des établissements pénitentiaires français mettant l'administration pénitentiaire dans l'incapacité de mettre en oeuvre les mesures de distanciation sociale prescrites par le Gouvernement |
439 | CIV. 2 / ELECT
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 août 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 946 F-P+B+I
Pourvoi n° 20-60.214
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 AOÛT 2020
Mme F... E..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° 20-60.214 contre le jugement rendu le 13 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Foix (contentieux des élections politique), dans le litige l'opposant à M. S... N..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Touati, conseiller référendaire, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juillet 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Touati, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Foix, 13 mars 2020), rendu en dernier ressort, M. N..., agissant en qualité de tiers électeur, a, par requête du 6 mars 2020, sollicité la radiation de Mme E... de la liste électorale de la commune d'Ignaux.
2. A l'audience des débats, Mme E..., représentée par un avocat ,a conclu que la procédure était nulle faute de respect du délai de trois jours prévu à l'article R. 18 du code électoral et soutenu que le non-respect du délai de convocation l'avait empêché de préparer sa défense.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Mme E... fait grief au jugement de rejeter son exception de nullité, de rejeter sa demande tendant à écarter des débats les pièces produites en cours d'audience et d'ordonner sa radiation de la liste électorale de la commune d'Ignaux, alors « que selon l'article R. 18 du code électoral, le tribunal statue, sans forme et sur simple avertissement donné trois jours à l'avance à toutes les parties intéressées ; que le tribunal a lui-même constaté que l'avis qui lui avait été délivré ne respectait pas ce délai ; que cette irrégularité lui a causé un grief, dès lors qu'elle n'a pas été en mesure de préparer sa défense ; qu'en refusant d'annuler la procédure aux motifs inopérants que la requête avait été déposée tardivement en raison du défaut de publication des listes électorales et qu'il était de toute façon impossible de respecter ce délai, le tribunal a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 18 et R. 21 du code électoral et 114 du code de procédure civile :
4. Selon le premier de ces textes, le tribunal statue sur les contestations relatives à la composition de la liste électorale d'une commune sur simple avertissement donné trois jours à l'avance à toutes les parties intéressées. Aux termes du second, le délai prévu à l'article R. 18 du code électoral, est exprimé en jours calendaires. Il en résulte d'une part, que sont exclus de la computation du délai le jour où l'audience doit être tenue et le jour où l'avertissement est donné, d'autre part que ce délai peut inclure des jours fériés ou chômés. En vertu du dernier de ces textes, la nullité de l'avertissement doit être prononcée dès lors que l'irrégularité cause un grief à la partie qui l'invoque.
5. Pour rejeter l'exception de nullité présentée par Mme E..., rejeter sa demande tendant à écarter des débats les pièces produites en cours d'audience et ordonner sa radiation des listes électorales de la commune d'Ignaux, le jugement, après avoir constaté l'irrégularité de l'avis écrit délivré à Mme E... le 10 mars 2020 pour l'audience du 13 mars 2020, retient d'abord qu'il convient de prendre en compte le fait que la requête du tiers électeur a été déposée tardivement en raison de l'absence de publication de la liste électorale, que la requête n'a pu être traitée par le greffe que le 9 mars 2020 et qu'il était ainsi impossible de respecter le délai prévu à l'article R. 18 du code électoral au regard des règles de computation.
6. Le jugement relève ensuite que compte tenu de l'article 3 du protocole n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales imposant aux Etats signataires la tenue d'élections libres « dans des conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple » et du principe fondamental d'accès au juge, l'application stricte du délai réglementaire aurait dans le cas de l'espèce, eu pour conséquence de priver le requérant, en raison d'un fait qui ne lui était pas imputable, de la possibilité de solliciter la radiation d'un électeur indûment inscrit.
7. En se déterminant ainsi par des motifs inopérants, dès lors que le respect des exigences de l'article R. 18 du code électoral n'était ni matériellement impossible, ni incompatible avec le droit d'accès au juge du tiers électeur, ni contraire aux exigences de l'article 3 du protocole n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui implique la reconnaissance de droits subjectifs comme le droit de voter ou d'être éligible, et sans rechercher comme il y était invité, si l'inobservation du délai d'avertissement de l'électrice contestée ne lui avait pas causé grief en la privant de la possibilité de préparer sa défense, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 13 mars 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Foix ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Toulouse ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. N... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six août deux mille vingt. | Selon l'article R. 18 du code électoral, le tribunal statue sur les contestations relatives à la composition de la liste électorale d'une commune sur simple avertissement donné trois jours à l'avance à toutes les parties intéressées. Aux termes de l'article R. 21 du même code, le délai prévu à l'article R. 18 du code électoral est exprimé en jours calendaires. Il en résulte d'une part, que sont exclus de la computation du délai le jour où l'audience doit être tenue et le jour où l'avertissement est donné, d'autre part, que ce délai peut inclure des jours fériés ou chômés.
En vertu de l'article 114 du code de procédure civile, la nullité de l'avertissement doit être prononcée dès lors que l'irrégularité cause un grief à la partie qui l'invoque |
440 | N° W 20-82.094 F-P+B+I
N° 1593
CK
22 JUILLET 2020
ANNULATION
Mme DE LA LANCE conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 JUILLET 2020
ANNULATION sur le pourvoi formé par M. W... L... contre l'ordonnance n° 62/2020 du président de la chambre de l'instruction de Versailles, en date du 21 avril 2020, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a déclaré irrecevable sa demande d'examen immédiat de l'appel interjeté contre l'ordonnance de placement en détention provisoire.
Un mémoire ampliatif et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Lavielle, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. W... L..., et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 juillet 2020 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Lavielle, conseiller rapporteur, Mme Planchon, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. W... L..., mis en examen des chefs susvisés a fait l'objet d'une ordonnance de placement en détention après débat différé, le vendredi 17 avril 2020.
3. Le lundi 20 avril 2020, le conseil de M. L... a formé appel de cette ordonnance et, conformément aux dispositions de l'article 187-1 du code de procédure pénale, a sollicité du président de la chambre de l'instruction qu'il examine immédiatement cet appel.
4. Suivant ordonnance du 21 avril 2020, le président de la chambre de l'instruction a jugé la demande d'examen immédiat de l'appel irrecevable au motif que l'appel, assorti d'une demande d'examen immédiat, a été interjeté le 20 avril 2020, soit plus d'un jour après la décision de placement en détention.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande d'examen immédiat de l'appel formé par M. L... contre l'ordonnance de placement en détention provisoire de ce dernier, alors « que commet un excès de pouvoir et viole les articles 187-1, 801, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme le président de la chambre de l'instruction qui, saisi d'une demande d'examen immédiat de l'appel interjeté contre une ordonnance de placement en détention provisoire, déclare cette demande irrecevable au motif que l'appel a été interjeté plus d'un jour après l'ordonnance de placement, quand le délai d'un jour suivant une décision de placement en détention pour interjeter appel de cette décision et en demander l'examen immédiat par le président de la chambre de l'instruction, qui expirerait normalement un samedi ou un dimanche, est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant à vingt-quatre heures, de sorte qu'en l'espèce M. L... était recevable à demander au président de la chambre de l'instruction d'examiner immédiatement l'appel qu'il avait interjeté le lundi 20 avril 2020 de l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. L... du vendredi 17 avril 2020. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 187-1 et 801 du code de procédure pénale :
6. En application du premier de ces textes, en cas d'appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire, la personne mise en examen ou le procureur de la République peut, si l'appel est interjeté au plus tard le jour suivant la décision de placement en détention, demander au président de la chambre de l'instruction d'examiner immédiatement son appel sans attendre l'audience de cette juridiction. Cette demande doit, à peine d'irrecevabilité, être formée en même temps que l'appel devant la chambre de l'instruction.
7. En vertu du second de ces textes, le délai qui expirerait normalement un samedi ou un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant.
8. En déclarant irrecevable la demande d'examen immédiat de l'appel interjeté contre l'ordonnance de placement en détention provisoire, comme formée plus d'un jour après la décision de placement en détention alors que cette décision intervenue le vendredi 17 avril 2020, pouvait encore faire l'objet d'un appel et d'une demande d'examen immédiat, le lundi 20 avril, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs.
9. L'annulation est par suite encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 21 avril 2020 ;
ORDONNE le retour du dossier de la procédure à cette juridiction ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du président de la chambre de l'Instruction de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux juillet deux mille vingt. | En déclarant la demande d'examen immédiat de l'appel interjeté contre son ordonnance de placement en détention provisoire irrecevable, alors qu'intervenue le vendredi 17 avril 2020, cette décision pouvait encore faire l'objet d'un appel et d'une demande d'examen immédiat le lundi 20 avril 2020, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs |
441 | N° P 20-82.294 F-P+B+I
N° 1614
EB2
22 JUILLET 2020
REJET
Mme DE LA LANCE conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 JUILLET 2020
REJET sur le pourvoi formé par M. B... P... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 5 mars 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Slove, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. B... P..., et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 juillet 2020 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Slove, conseiller rapporteur, Mme Planchon, MM. Lavielle, Guéry, Mmes Labrousse, Goanvic, M. Seys, conseillers de la chambre, Mmes Fouquet, de-Lamarzelle, conseillers référendaires, Mme Bellone, avocat général référendaire, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 5 février 2020, M. P..., mis en examen par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Lille des chefs précités, a comparu devant le juge des libertés et de la détention en vue de son placement en détention provisoire et a sollicité un délai pour préparer sa défense, de telle sorte que l'examen de l'affaire a été renvoyé au 10 février suivant à 9h30, avec incarcération provisoire de l'intéressé.
3. Par des conclusions déposées en vue de ce débat contradictoire, Maître Jankielewicz, avocat choisi par le demandeur lors de l'interrogatoire de première comparution, a sollicité son renvoi en indiquant avoir demandé un permis de communiquer auprès du juge d'instruction le vendredi 7 février 2020 à 10h28 qui ne lui avait toujours pas été délivré au jour du débat.
4. Le 10 février 2020, l'avis de libre communication a été délivré à l'avocat du mis en examen et le débat différé, initialement fixé à 9h30, s'est tenu le même jour à 18h00 ainsi qu'en atteste le procès-verbal de débat contradictoire différé.
5. M. P... a été placé en détention provisoire par ordonnance du même jour, dont il a interjeté appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de placement en détention provisoire alors :
« 1°/ que l'avocat choisi par la personne mise en examen pour l'assister lors du débat contradictoire relatif à sa détention provisoire doit être informé sans délai, qu'il s'agisse du débat contradictoire différé ou non ; que dès lors, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 137, 145, 591 et 593 du code de procédure pénale et a porté une atteinte excessive aux droits de la défense, la chambre de l'instruction qui, pour considérer que l'avocat choisi n'avait pas à être informé sans délai, a indiqué « qu'il résulte de la lecture de l'article 145 du code de procédure pénale que l'avis sans délai à l'avocat est prévu avant le débat contradictoire par l'alinéa cinq alors que les dispositions relatives au débat différé prévues par l'alinéa huit renvoient à l'alinéa six mais pas à l'alinéa cinq de sorte que l'avis sans délai n'est pas prévu pour le débat différé »
2°/ que l'absence de délivrance en temps utile d'un permis de communiquer entre une personne détenue et son avocat, indispensable à l'exercice des droits de la défense, non justifié par une circonstance insurmontable, fait nécessairement grief à la personne mise en examen ; que n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 137, 145, 591 et 593 du Code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui relevait que « le conseil du mis en examen a été avisé par télécopie en date du jeudi 6 février 2020 à 17h01 de sa convocation pour l'assister dans le cadre du débat contradictoire différé pour placement en détention provisoire le lundi 10 février 2020 à 9h30 et que ce n'est que par télécopie du vendredi 7 février à 10h29, le lendemain de la réception de la convocation que la demande de permis de communiquer a été adressée par le conseil du mis en examen au cabinet du juge d'instruction » quand le fait de solliciter la délivrance d'un permis de communiquer le vendredi matin après réception de la convocation le jeudi à 17h01 démontrait que l'avocat avait pris ses dispositions pour obtenir ce permis avant la tenue du débat contradictoire ;
3°/ qu'en tout état de cause, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 137, 145, 591 et 593 du code de procédure pénale et a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure, la chambre de l'instruction qui a indiqué que « le 5 février 2020, la date de renvoi n'a pas été fixée immédiatement par le juge des libertés et de la détention car le débat se déroulait tard dans la soirée et que ce n'est donc que le lendemain que l'audiencement a pu être organisé » en qualifiant de « raisonnable » le délai de délivrance du permis de communiquer, quand il résultait des pièces du dossier que l'audience du 10 février avait été fixée dès le 5 février, une convocation ayant été remise à l'avocat commis d'office et qu'à cette date, informé du choix du mis en examen d'être assisté par Maître Jankielewicz, le greffe du juge des libertés et de la détention n'avait convoqué ce conseil que le jeudi 6 février 2020 à 17h01, sans s'expliquer sur l'impossibilité de délivrer ce permis le vendredi 7 février dans la journée, la demande ayant été formulée le matin-même.»
Réponse de la Cour
Sur le moyen pris en sa première branche
7. Pour rejeter la demande de nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. P... prise de la convocation tardive de l'avocat désigné au débat différé, l'arrêt attaqué relève qu'il résulte de l'article 145 du code de procédure pénale qu'aucun texte de loi ne réglemente le délai de convocation en vue du débat différé ; que par télécopie du jeudi 6 février 2020 à 17h01 Maître Jankielewicz a été convoquée pour assister le mis en examen dans le cadre du débat contradictoire différé pour placement en détention provisoire le lundi 10 février 2020 à 9h30.
8. Il résulte des pièces de la procédure que, d'une part, lors de l'audience qui s'est tenue le 5 février 2020 devant le juge des libertés et de la détention au cours de laquelle M. P... a sollicité un délai pour préparer sa défense, celui-ci n'a pas demandé à être assisté de l'avocat choisi pour le débat différé, d'où il résulte que ce dernier n'avait pas à être convoqué en vue d'assister son client lors dudit débat, d'autre part, l'avocat commis d'office qui a assisté le demandeur lors de cette audience a reçu le jour même des mains du juge des libertés et de la détention une convocation pour le débat différé fixé au 10 février 2020 à 9h30.
Sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches
9. Pour rejeter la demande de nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. P... prise de l'absence de délivrance d'un permis de communiquer avant le débat différé, l'arrêt attaqué énonce qu'à l'audience du 10 février 2020 à 9h30, Maître Jankielewicz, a déposé des conclusions et sollicité un renvoi qui lui a été accordé, que le permis de communiquer lui a alors été délivré et le débat différé reporté le même jour à 18h00 dans la limite permise par les délais légaux en la matière.
10. Ils en déduisent que toutes les diligences ont été accomplies afin de permettre l'exercice des droits de la défense et que la procédure suivie par le juge des libertés et de la détention est régulière.
11. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
12. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux juillet deux mille vingt. | La personne mise en examen qui, au cours du débat contradictoire initial, a sollicité un délai pour préparer sa défense sans demander à être assistée pour le débat différé par l'avocat qu'il a préalablement choisi lors de l'interrogatoire de première comparution, n'est pas fondée à invoquer la nullité de l'ordonnance de placement en détention provisoire prise de la tardiveté de la convocation de cet avocat choisi pour le débat différé dès lors que l'avocat commis d'office qui l'a assistée lors du débat initial, a été informé de la date et de l'heure du débat différé, peu important que l'avocat choisi ait ou non été convoqué |
442 | N° A 20-82.213 F-P+B+I
N° 1615
CK
22 JUILLET 2020
REJET
Mme DE LA LANCE conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 JUILLET 2020
REJET sur le pourvoi formé par M. R... V... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 5 mai 2020, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire ampliatif a été produit.
Sur le rapport de M. Lavielle, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. R... V..., et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 juillet 2020 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Lavielle, conseiller rapporteur, Mmes Planchon, Slove, M. Guéry, Mmes Labrousse, Goanvic, M. Seys, conseillers de la chambre, Mmes Fouquet, de-Lamarzelle, conseillers référendaires, Mme Bellone, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. R... V... a été mis en examen le 14 avril 2020, a sollicité un délai pour préparer sa défense conformément à l'article 145 du code de procédure pénale et a fait l'objet d'une ordonnance d'incarcération provisoire.
3. A l'issue du débat différé tenu par visioconférence, au visa des dispositions de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, il a fait l'objet, le 17 avril 2020, d'une ordonnance de placement en détention provisoire.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré du recours à la visioconférence lors du débat de placement en détention provisoire de M. V... devant le juge des libertés et de la détention, confirmé l'ordonnance entreprise et ordonné son maintien en détention provisoire alors :
« 1°/ qu'il résulte de la première phrase du 4e alinéa de l'article 706-71 du code de procédure pénale qu'il ne peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour le débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire que pour les personnes détenues pour une autre cause ; qu'en affirmant, pour considérer qu'il pouvait être passé outre au refus de M. V... qui n'était pas détenu pour autre cause mais incarcéré en vertu d'un mandat de dépôt provisoire consécutif à une demande de débat différé – de comparaître par visioconférence pour le débat sur son placement en détention provisoire, qu'il se déduisait de la dernière phrase du même alinéa, relative aux conditions dans lesquelles il peut être passé outre au refus d'utilisation d'un moyen de télécommunication, qu'un tel moyen pouvait être utilisé à l'occasion de tout placement en détention, quand cette dernière phrase régit les conditions dans lesquelles il peut être passé outre, en matière de placement en détention provisoire, le refus de « la personne détenue », ce qui établit qu'il ne peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle que pour le placement en détention provisoire d'une personne déjà détenue pour une autre cause, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-71, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'article 706-71 du code de procédure pénale prohibant l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle en matière de placement en détention provisoire hors le seul cas des personnes détenues pour une autre cause, l'éventuelle irrégularité du refus opposé par M. V... à l'utilisation d'un tel moyen était sans incidence sur l'irrégularité de son placement en détention à l'issue d'un débat tenu par visioconférence ; qu'en affirmant, pour dire la procédure suivie régulière, que M. V... n'avait manifesté son refus de l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle que le jour du débat contradictoire, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-71, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la possibilité offerte aux juridictions pénales, par l'article 5 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, de se dispenser de l'accord des parties pour recourir à un moyen de télécommunication audiovisuelle ne vaut que dans les hypothèses dans lesquelles le recours à un tel moyen est prévu par la loi ; qu'en affirmant qu'il résulte de cette ordonnance qu'il pourrait être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle y compris devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur le placement en détention provisoire d'une personne non détenue pour autre cause, pour en déduire que M. V... avait été valablement placé en détention provisoire à l'issue d'un débat tenu par visioconférence, auquel il avait d'ailleurs refusé de participer, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-71, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que viole les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme la chambre de l'instruction qui retient qu'une personne qui n'est pas détenue pour autre cause peut se voir imposer que le débat préalable à son placement en détention provisoire se fasse par des moyens de télécommunication audiovisuelle ; qu'en l'espèce, a méconnu ces stipulations conventionnelles la chambre de l'instruction qui a estimé régulier le recours, pour le placement en détention provisoire de M. V..., à la visioconférence en dépit de l'opposition manifestée par ce dernier à l'utilisation de ce mode de communication ».
Réponse de la Cour
5. L'article 5 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, dispose que « Par dérogation à l'article 706-71 du code de procédure pénale, il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans qu'il soit nécessaire de recueillir l'accord des parties ».
6. En premier lieu, ces dispositions dérogent explicitement, pour un temps limité, à celles de l'article 706-71 du code de procédure pénale, qui prohibent le recours à la visioconférence pour le placement en détention provisoire hors le cas où la personne est détenue pour autre cause.
7. En second lieu, elles ne sont pas contraires aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que même prises dans un contexte sanitaire d'urgence, elles posent in fine l'exigence que le juge organise et conduise la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats.
8. Pour rejeter le moyen de nullité tiré du recours à la visioconférence, l'arrêt énonce notamment au visa de l'article 5 sus-visé, que l'ensemble des dispositions de l'article 706-71 du code de procédure pénale, sans exclusion, est visé par cette disposition dérogatoire qui s'appliquait à la date du débat et permettait au juge des libertés et de la détention de passer outre au refus de visioconférence exprimé par le mis en examen.
9. En l'état de ces seules énonciations la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
10. Enfin, la chambre de l'instruction a justifié sa décision par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
11. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
12. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux juillet deux mille vingt. | Les dispositions de l'article 5 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dérogent explicitement à celles de l'article 706-71 du code de procédure pénale, qui prohibent le recours à la visioconférence pour le placement en détention provisoire hors le cas où la personne est détenue pour autre cause et l'autorisent à passer outre le refus de visioconférence exprimé par le mis en examen. Ces dispositions ne sont pas contraires aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que même prises dans un contexte sanitaire d'urgence, elles posent in fine l'exigence que le juge organise et conduise la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats |
443 | N° P 20-82.087 F-P+B+I
N° 1636
EB2
5 AOÛT 2020
CASSATION SANS RENVOI
M. MOREAU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 AOÛT 2020
CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. F... U... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 12 mars 2020, qui, dans l'information suivie contre lui notamment des chefs d'escroquerie, recel et association de malfaiteurs, a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention se déclarant incompétent et ordonné son placement sous contrôle judiciaire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. F... U..., et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 août 2020 où étaient présents M. Moreau, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et M. Bétron, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. U... a été mis en examen, le 22 novembre 2019, notamment des chefs susvisés.
3. Par une ordonnance du 26 novembre 2019, le juge des libertés et de la détention a ordonné son placement en détention provisoire. Par arrêt en date du 3 décembre suivant, la chambre de l'instruction de la cour d'appel a confirmé cette décision.
4. Sur pourvoi de l'intéressé, la chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim., 26 février 2020, pourvoi n° 19-87.769) a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt de la chambre de l'instruction, dit n'y avoir lieu à renvoi et ordonné la mise en liberté de M. U..., s'il n 'est détenu pour autre cause.
5. M. U... a été libéré le 26 février 2020. Le même jour, le procureur de la République a saisi le juge des libertés et de la détention, en application de l'article 803-7 alinéa 2 du code de procédure pénale, d'une demande de placement de l'intéressé sous contrôle judiciaire.
6. Par ordonnance en date du 27 février suivant, le juge des libertés et de la détention s'est déclaré incompétent. Le procureur de la République a interjeté appel de cette ordonnance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention s'étant déclaré incompétent pour statuer sur la demande présentée par le procureur de la République visant au placement sous contrôle judiciaire de M. U..., puis d'avoir ordonné son placement sous contrôle judiciaire, alors :
« 1°/ qu'en application de l'article 803-7 alinéa 2 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention ne peut être saisi par le procureur de la République aux fins de placement immédiat de la personne concernée sous contrôle judiciaire que dans l'hypothèse où la remise en liberté a été ordonnée par le procureur de la République ; que la remise en liberté immédiate de M. U... ayant été ordonnée par la Cour de cassation, seul le juge d'instruction était compétent, sur le fondement de l'article 139 du code de procédure pénale, pour éventuellement le placer sous contrôle judiciaire ; que la chambre de l'instruction a violé les articles 803-7 alinéa 2 du code de procédure pénale par fausse application et 139 du code de procédure par refus d'application ;
2°/ que la chambre de l'instruction ne disposant pas du pouvoir d'évocation en matière de contrôle judiciaire, la cassation interviendra sans renvoi. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 803-7 et 207 du code de procédure pénale :
8. Il résulte de l'alinéa 2 du premier de ces textes que le procureur de la République ne peut saisir le juge des libertés et de la détention de réquisitions tendant au placement sous contrôle judiciaire d'une personne remise en liberté par suite d'une irrégularité de procédure que lorsqu'il a lui-même pris l'initiative de cette remise en liberté.
9. En application du second de ces textes, la chambre de l'instruction n'a pas le pouvoir d'évoquer lorsqu'elle statue sur l'appel d'une ordonnance rendue en matière de détention provisoire.
10. Pour infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention se déclarant incompétent pour statuer sur la demande de placement sous contrôle judiciaire du ministère public et ordonner elle-même cette mesure, la chambre de l'instruction énonce que la chambre criminelle ne peut faire application des dispositions de l'alinéa 1er de l'article 803-7 du code de procédure pénale et organiser un contrôle judiciaire à l'encontre de la personne qu'elle remet en liberté, de sorte qu'il incombe au procureur de la République de saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mise en uvre d'une telle mesure de sûreté sur le fondement de l'alinéa 2 de cet article.
11. Les juges ajoutent que l'effet dévolutif de l'appel permet à la chambre de l'instruction de prononcer ce placement sous contrôle judiciaire.
12. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a violé les textes et les principes ci-dessus rappelés.
13. En effet, lorsque la mise en liberté d'une personne irrégulièrement détenue résulte d'un arrêt de la Cour de cassation, le procureur de la République ne peut saisir le juge des libertés et de la détention de réquisitions aux fins de placement sous contrôle judiciaire, mesure que seul le juge d'instruction peut alors ordonner en application de l'article 139 du code de procédure pénale.
14. En outre, la chambre de l'instruction, saisie de l'appel du ministère public contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention se déclarant incompétent pour placer l'intéressé sous contrôle judiciaire, ne peut elle-même ordonner cette mesure.
15. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 12 mars 2020 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge où à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq août deux mille vingt. | L'article 803-7, alinéa 2, du code de procédure pénale ne permet pas au procureur de la République de saisir le juge des libertés et de la détention de réquisitions tendant au placement sous contrôle judiciaire d'une personne remise en liberté pour non-respect des formalités prévues au code de procédure pénale constaté par un arrêt de la Cour de cassation |
444 | N° B 20-81.915 F-P+B+I
N° 1572
SM12
8 JUILLET 2020
CASSATION
Mme DURIN-KARSENTY conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JUILLET 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par M. J... X... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 6 février 2020, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'assassinat, a annulé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Méano, conseiller référendaire, les observations de Me Ridoux, avocat de M. J... X..., et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2020 où étaient présents Mme Durin-Karsenty, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Méano, conseiller rapporteur, Mme Drai, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. J... X..., mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire, a fait l'objet, le 21 janvier 2020, d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté, dont il a interjeté appel ; devant la chambre de l'instruction, M. X... a invoqué la nullité de cette ordonnance, demandé sa libération d'office et, subsidiairement, a contesté la nécessité et le bien fondé de la mesure de détention provisoire.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa première branche
3. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il s'est limité à annuler l'ordonnance de rejet de demande de mise en liberté du 21 janvier 2020, sans faire droit à la demande de mise en liberté de M. X..., alors :
« 2°/ que, subsidiairement, en raison de l'effet dévolutif de l'appel, il appartient à la chambre de l'instruction, saisie de l'appel d'une ordonnance ayant rejeté une demande de mise en liberté, d'examiner le bien-fondé de la détention provisoire et de statuer sur la nécessité de cette mesure ; que dès lors, en se bornant en l'espèce à annuler l'ordonnance entreprise en raison de son absence de signature, sans examiner le bien-fondé et la nécessité de la détention provisoire, contestés par M. X..., ni statuer sur sa demande de mise en liberté, la chambre de l'instruction a violé l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 144, 148, 186, 207, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 148 alinéa 5 et 593 du code de procédure pénale :
5. Selon le premier de ces textes, faute par le juge des libertés et de la détention d'avoir statué dans le délai fixé au troisième alinéa du même article, la personne peut saisir directement de sa demande la chambre de l'instruction qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine faute de quoi la personne est mise d'office en liberté sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées.
6. Selon le second, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
7. Pour écarter l'argumentation de l'intéressé, la chambre de l'instruction énonce qu'il convient d'annuler, faute de signature du juge, l'ordonnance entreprise et ajoute que cette annulation concernant une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, n'entraîne pas en elle-même la nullité du titre de détention.
8. En s'abstenant de prononcer, comme il le lui était demandé, sur la nécessité du maintien en détention, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et les principes susvisés.
9. En effet, en premier lieu, c'est à tort que la chambre de l'instruction a annulé ladite ordonnance, au lieu de constater son inexistence à défaut de signature du juge.
10. En second lieu, faute par le juge d'avoir statué dans le délai légal de trois jours, le recours de l'intéressé devant la chambre de l'instruction devait nécessairement s'analyser en une saisine directe de cette juridiction, au sens de l'article 148 alinéa 5 du code de procédure pénale.
11. D'où il suit que la cassation est encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, en date du 6 février 2020, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi.
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Cayenne, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de la cour d'appel de Cayenne et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juillet deux mille vingt. | Méconnaît les dispositions des articles 148 alinéa 5 et 593 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui, après avoir annulé, faute de signature du juge, une ordonnance de rejet de demande de mise en liberté, se borne à retenir que cette annulation n'entraîne pas en elle même la nullité du titre de détention.
En effet, en premier lieu, c'est à tort que la chambre de l'instruction a annulé ladite ordonnance, au lieu de constater son inexistence à défaut de signature du juge.
En second lieu, faute par le juge d'avoir statué dans le délai légal de trois jours, le recours de l'intéressé devant la chambre de l'instruction devait nécessairement s'analyser en une saisine directe de cette juridiction, au sens de l'article 148 alinéa 5 du code de procédure pénale |
445 | CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 675 F-P+B+I
Pourvoi n° 19-16.922
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
M. W... G..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° 19-16.922 contre l'arrêt rendu le 11 avril 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société Generali vie, dont le siège est 2 rue Pillet-Will, 75009 Paris, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Touati, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. G..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Generali vie, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Touati, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 avril 2019), M. G... a souscrit, le 21 février 1997, par l'intermédiaire de son courtier, un contrat d'assurance sur la vie, libellé en unités de compte, auprès de la société Fédération continentale, aux droits de laquelle vient désormais la société Generali vie (l'assureur).
2. Le 12 décembre 2016, M. G... a procédé à l'arbitrage de l'intégralité des sommes investies sur un unique support, dénommé « Optimiz presto 2 », produit structuré indexé sur un panier d'actions de référence, émis par une filiale du groupe Société générale et coté sur le marché de la Bourse de Luxembourg.
3. A la suite des mauvaises performances de ce support, M. G..., soutenant que celui-ci n'était pas éligible à l'assurance sur la vie et reprochant à l'assureur et au courtier d'avoir manqué à leur obligation d'information et de conseil, a assigné ces derniers en paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens :
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
6. M. G... fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes dirigées contre l'assureur, alors :
« 1°/ que le capital investi sur un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation peut être exprimé en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat ; que la seule circonstance que la valeur mobilière ou l'actif en cause figure parmi les unités de compte éligibles énumérées par les articles R. 131-1 et R. 332-2 du code des assurances ne suffit pas à établir que cette valeur mobilière ou cet actif offre une protection suffisante de l'épargne ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que le produit Optimiz Presto 2 était éligible en tant qu'unité de compte du contrat d'assurance-vie souscrit par M. W... G..., que « l'article L. 131-1, alinéa 2, du code des assurances, mentionnant des unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat renvoie, par l'article R. 131-1-1° à l'article R. 332-2 A 2° visant les obligations », quand les conditions d'éligibilité posées par l'article L. 131-1 du code des assurances – faire partie de la liste prévue à l'article R. 131-1 du code des assurances, et offrir une protection suffisante de l'épargne – sont cumulatives, la cour d'appel a violé l'article L. 131-1 du code des assurances ;
2°/ que le respect de l'exigence de protection suffisante de l'épargne que doivent remplir les valeurs mobilières ou actifs éligibles en qualité d'unités de comptes d'un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation s'apprécie au regard de la probabilité de perte en capital et de l'importance de celle-ci ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que la liquidité et la sécurité des actifs sur lesquels M. G... avait investi ses fonds étaient assurées au sens de l'article L. 131-1 du code des assurances, qu' « au surplus, étaient prévues la possibilité annuelle de remboursement anticipé du capital investi, ainsi que l'assurance de ce remboursement jusqu'au seuil de 40 % de la valeur du panier de référence », la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la protection suffisante de l'épargne assurée par le produit Optimiz Presto 2, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article L. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, en matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat.
8. Il résulte de ce texte, interprété à la lumière des travaux préparatoires de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992, que les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 du code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l'épargne prévue par ce texte.
9. Selon l'article R. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige, les unités de compte visées à l'article L. 131-1 du code des assurances incluent les actifs énumérés au 1°, 2°, 2° bis, 2° ter, 3°, 4°, 5° et 8° de l'article R. 332-2 du code des assurances, au nombre desquels figurent les obligations négociées sur un marché reconnu.
10. Ayant retenu que le produit Optimiz Presto 2 s'analysait en une obligation au sens de l'article L. 213-5 du code monétaire et financier, soit un titre négociable conférant les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale dans une même émission, en dépit de l'absence de garantie de remboursement intégral du capital, puis relevé qu'il avait été officiellement admis à la cote de la Bourse de Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l'article R. 232-2 2° du code monétaire et financier et que sa liquidité effective était établie par cinq mille deux-cent-vingt négociations par les clients de la société Generali vie, intervenues de 2007 à 2013, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il était éligible comme unité de compte dans un contrat d'assurance sur la vie.
11. Le moyen, inopérant en sa seconde branche comme s'attaquant à des motifs surabondants, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. G... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt, et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. G...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. G... de toutes ses demandes dirigées contre la société Generali Vie ;
Aux motifs propres que « Sur l'éligibilité du produit Optimiz Presto 2 comme unité de compte du contrat d'assurance-vie : (
) Considérant que selon l'article L. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable à l'espèce, En matière d'assurance sur la vie et d'assurance contre les accidents atteignant les personnes, les sommes assurées sont fixées par le contrat ; En matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat. (...) ; Qu'aux termes de l'article R. 131-1 du même code, 1.- Les unités de comptes visées à l'article L. 131-1 sont : 1° Les actifs énumérés aux 1°, 2°, 2° bis, 2° ter, 3°, 4°, 5° et 8° de l'article R. 332-2 ; (
) Ill.- Le contrat doit prévoir les modalités selon lesquelles, en cas de disparition d'une unité de compte, une autre unité de compte de même nature lui est substituée, par un avenant au contrat ; Que selon l'article R. 332-2 auquel il est ainsi renvoyé, dans sa version applicable à la cause, En application des dispositions de l'article R. 332-1 et sous réserve des dérogations prévues à ce même article, à l'article R. 332-1-1 ainsi qu'aux articles R. 332-3-3 à R. 332-10, les engagements réglementés mentionnés à l'article R. 331-1 sont représentés par les actifs suivants : A. - Valeurs mobilières et titres assimilés : (...) 2° Obligations, parts de fonds communs de créance et titres participatifs négociés sur un marché reconnu autres que celles ou ceux visés au 1°. (...) ; que l'article L. 213-5 du code monétaire et financier dispose que Les obligations sont des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale ; qu'en l'espèce, si le produit Optimiz Presto 2 constitue un produit structuré, reposant sur un panier de référence de titres, sa forme juridique d'obligation de droit français, à laquelle l'AMF ne s'est pas opposée, figure clairement à sa documentation ; qu'il n'est pas contesté qu'il confère les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale de 1 000 euros dans une même émission ; Que la société Generali Vie justifie de la constitution, dans les conditions définitives du produit, d'une masse des obligataires et de la désignation d'un représentant de la masse, dans les termes prévus aux articles L. 228-46 et L. 228-47 du code de commerce ; Que le produit Optimiz Presto 2 a été officiellement admis à la cote de la Bourse du Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l'article R. 232-2 2° ; que sa liquidité effective est établie par 5 220 négociations par les clients de la société Generali Vie, intervenues de 2007 à 2013, dont il est justifié ; Que l'analyse de M. G..., apparentant ce produit structuré à un Euro,Medium Term Note (EMTN), repose, pour l'essentiel, sur l'absence de garantie de remboursement du capital, condition que la loi française ne requiert pas pour la qualification d'obligation ; Que l'article L. 131-1 alinéa 2 du code des assurances, mentionnant des unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat renvoie, par l'article R. 131-1-1° à l'article R. 332-2 A 2° visant les obligations ; qu'en l'espèce et au surplus, étaient prévues la possibilité annuelle de remboursement anticipé du capital investi, ainsi que l'assurance de ce remboursement jusqu'au seuil de 40 % de la valeur du panier de référence ; que la valeur du produit était publiée sur le site de la Bourse de Luxembourg ; que la liquidité et la sécurité des actifs étaient ainsi assurées au sens de l'article L. 131-1, se référant à une protection suffisante et non pas absolue ; que la circonstance d'une durée du produit Optimiz Presto 2 inférieure à celle du contrat d'assurance-vie est dépourvue d'effets, en raison de l'engagement de substitution d'autres supports de même nature, dans les conditions de l'article R. 131-1 III du même code ; que le produit Optimiz Presto 2 s'analyse donc en une obligation au sens de L. 213-5 du code monétaire et financier, soit un titre négociable conférant les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale dans une même émission, en dépit de l'absence de garantie de remboursement intégral du capital ; qu'il résulte de ce qui précède que le rejet de la demande de M. G..., fondée sur une proposition de souscription d'une unité de compte qui n'était pas éligible aux contrats d'assurance-vie sera confirmé » ;
Et aux motifs, à les supposer adoptés des premiers juges, que « Sur les manquements imputés à la société Generali : que l'article L 131-1 du Code des assurances énonce notamment qu'en matière d'assurance sur la vie et d'assurance contre les accidents atteignant les personnes, les sommes assurées sont fixées par le contrat. En matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat. Attendu que monsieur G... soutient que la société Generali a contrevenu aux deux obligations mises à sa charge par ces dispositions. * En premier lieu, s'agissant de la liste des unités de compte prévues par le texte susvisé : Attendu d'une part, qu'il faut observer que le prospectus du support Optimiz Presto 2 prévoit qu'il s'agit d'une obligation ; Que selon les dispositions des articles R 131-1 1° et R 332-2 du Code des assurances les obligations sont éligibles en tant que support en unité de compte ; Que cependant monsieur G... affirme qu'en réalité Optimiz Presto 2 n'est pas une obligation mais qu'il s'agit d'un produit structuré à propos duquel l' Autorité des marchés financiers (ci-après AMF), dans un rapport établi en octobre 2008, a précisé que ce produit n'intègre pas obligatoirement de protection du capital (à la différence d'une obligation "traditionnelle') (page 31 du rapport) et indique, également, que la qualification juridique d'obligations au sens des articles L 22838 du Code de commerce et L 213-5 du Code monétaire et financier doit être écartée puisque cette qualification implique par principe un remboursement effectif par 1 'émetteur du montant de l'obligation à 1 'échéance convenue ce qui... n'est pas garanti dans le cadre des produits d'investissement structurés (page 32 du rapport) ; Que, dès lors, monsieur G... soutient que le produit Optimiz Presto 2 ne répond pas aux exigences de la loi. Attendu que le tribunal observe que le demandeur souligne que la notion de produit structuré est une notion protéiforme recouvrant une même réalité, savoir une grande complexité et technicité ; Que pour justifier le qualificatif revendiqué il se réfère, à ce propos, aux observations formées le 27 décembre 2005 par l'AMF évoquant des instruments financiers émis sur la base d'un droit étranger, indexés sur un ou plusieurs sous-jacents ou ayant une des composantes optionnelles, à l'exclusion des instruments financiers donnant accès au capital qui font l'objet de dispositions législatives ou réglementaires spécifiques ; Que, toutefois, au-delà de cette seule référence, le demandeur n'explique en aucune façon et de manière concrète, les raisons pour lesquelles le produit Optimiz Presto 2 répondrait à la définition retenue par l'autorité considérée ; Qu'il n'apparaît pas, en cet état, que monsieur G... soit fondé à remettre en cause la qualité d'obligation mentionnée sur les documents relatifs au support litigieux. Attendu d'autre part, que monsieur G... rappelle que selon les dispositions combinées des articles R 131-1-1° et R 332-2-2° du Code des assurances les produits proposés comme unité de compte dans un contrat d'assurance-vie ne peuvent l'être que dans la mesure où ils sont négociés sur un marché reconnu ; Que le demandeur observe que si la plaquette de présentation du fonds Optimiz Presto 2 relève que celui-ci est coté sur la Bourse du Luxembourg dont il convient qu'il s'agit d'un marché reconnu, il fait valoir que l'inscription à la cote d'un marché reconnu n'entraîne pas automatiquement négociabilité effective de l'instrument financier telle qu'elle est exigée par le Code des assurances ; Qu'il fait état, à ce propos, du rapport établi au cours de l'année 2005 par l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ci-après ACAM) et souligne que les parts du fonds Optimiz Presto 2 ne reposent sur aucune transaction, mais sur des formules mathématiques et que seules des opérations de vente sont possibles sur le marché secondaire ce qui n'entre pas dans les prévisions de la loi. Attendu cependant que la Bourse du Luxembourg est un marché réglementé au sens de la Directive 93/22/CE comme au sens de la Directive 2004/39/CE laquelle précise en son article 40 notamment les Etats membres exigent que les marchés réglementés établissent des règles claires et transparentes concernant l'admission des instruments financiers à la négociation. Ces règles garantissent que tout instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé est susceptible de faire l'objet d'une négociation équitable, ordonnée et efficace et, dans le cas des valeurs mobilières, d'être négociées librement ; Qu'il doit être noté que le marché réglementé de la Bourse du Luxembourg est contrôlé par la Commission de surveillance du secteur financier laquelle veille à ce que les émetteurs respectent les obligations prévues par les Directives précitées ; Qu'il apparaît, ainsi, que le produit Optimiz Presto 2, admis sur le marché officiel de la Bourse du Luxembourg, répond aux exigences de liquidité et de négociabilité sur un marché reconnu. Attendu en définitive, au regard de ce qui précède, que les griefs formulés par monsieur G... ne sont pas fondés. * En second lieu, s'agissant de la protection suffisante de l'épargne investie : Attendu qu'il doit être rappelé qu'en matière d'assurance-vie, il existe deux types de garanties : celles exprimées en euros et celles exprimées en unités de compte ; Qu'il est constant que pour les garanties libellées en unités de compte, l'entreprise d'assurance s'engage sur le nombre d'unités de compte mais non sur la valeur de celles-ci et ainsi, l'assureur ne peut-il être tenu de combler les pertes enregistrées sur les marchés financiers ; Que c'est dans ces circonstances que le législateur a fait appel à la notion d'offre d'une protection suffisante de l'épargne investie (article L I 3 1 -1 précité). Attendu que monsieur G... soutient que le support Optimiz Presto 2 ne répond pas à cette exigence ; Qu'il fait valoir, à ce propos, que le produit litigieux n'est pas prévu ni géré pour être performant au jour le jour ; qu'en outre, une demande de rachat qui serait faite en dehors des conditions qui sont prévues dans la formule gui encadre l 'unité de compte entraînerait de manière certaine une importante perte en capital et enfin, que le support considéré ne peut répondre aux conditions de la loi dans la mesure où le support en unité de compte a une durée inférieure à la durée du contrat lui-même ; que toutefois il n'est pas sérieusement contestable que le rôle de l'assureur consiste à vérifier que l'actif qu'il souhaite référencer comme support d'adossement à une unité de compte fait partie de la liste dressée par l'article R 131-1 du Code des assurances et de prendre en compte les règles d'investissement liées à cet actif ; Qu'il apparaît, au regard de ce qui précède, que la société Generali a satisfait à ses obligations légales en vérifiant que l'actif présentait une protection suffisante et en conséquences, les griefs formulés par le demandeur, dans la mesure où ils n'entrent pas dans ce cadre, ne peuvent être retenus. Attendu, en définitive, qu'il ne ressort pas des éléments de l'espèce que la société Generali ait manqué à ses obligations telles qu'elles sont énoncées par l'article L. 131-1 précité » ;
Alors 1°) que le capital investi sur un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation peut être exprimé en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat ; que la seule circonstance que la valeur mobilière ou l'actif en cause figure parmi les unités de compte éligibles énumérées par les articles R. 131-1 et R. 332-2 du code des assurances ne suffit pas à établir que cette valeur mobilière ou cet actif offre une protection suffisante de l'épargne ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que le produit Optimiz Presto 2 était éligible en tant qu'unité de compte du contrat d'assurance-vie souscrit par M. W... G..., que « l'article L. 131-1 alinéa 2 du code des assurances, mentionnant des unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'Etat renvoie, par l'article R. 131-1-1° à l'article R. 332-2 A 2° visant les obligations », quand les conditions d'éligibilité posées par l'article L. 131-1 du code des assurances – faire partie de la liste prévue à l'article R. 131-1 du code des assurances, et offrir une protection suffisante de l'épargne – sont cumulatives, la cour d'appel a violé l'article L. 131-1 du code des assurances ;
Alors 2°) et en tout état de cause que le respect de l'exigence de protection suffisante de l'épargne que doivent remplir les valeurs mobilières ou actifs éligibles en qualité d'unités de comptes d'un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation s'apprécie au regard de la probabilité de perte en capital et de l'importance de celle-ci ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que la liquidité et la sécurité des actifs sur lesquels M. G... avait investi ses fonds étaient assurées au sens de l'article L. 131-1 du code des assurances, qu' « au surplus, étaient prévues la possibilité annuelle de remboursement anticipé du capital investi, ainsi que l'assurance de ce remboursement jusqu'au seuil de 40 % de la valeur du panier de référence », la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la protection suffisante de l'épargne assurée par le produit Optimiz Presto 2, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 131-1 du code des assurances ;
Alors 3°) qu'aux termes de l'article R. 332-2-2° du code des assurances, sont exclusivement éligibles comme unités de comptes d'un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation les « obligations parts de fonds communs de créance et titres participatifs négociés sur un marché reconnu, autres que celles ou ceux visés au 1° » ; que M. G... faisait valoir (ses conclusions d'appel, p. 32-35) que le produit Optimiz Presto 2 ne pouvait être considéré comme faisant l'objet de négociations sur un marché reconnu dans la mesure où son cours était fixé par l'émetteur de ce produit, la Société Générale ; qu'il soulignait également (ses conclusions, p. 27-28) que le nombre comme le montant des transactions dont faisait état la société Generali Vie étaient dérisoires au regard de l'encours des investissements effectués sur le produit Optimiz Presto 2 (200.000.000 euros) ; qu'en se contentant de retenir, pour dire que le produit Optimiz Presto 2 était négocié sur un marché reconnu, que cet instrument financier « a été officiellement admis à la cote de la Bourse du Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l'article R. 232-2 2° ; que sa liquidité effective est établie par 5 220 négociations par les clients de la société Generali Vie, intervenues de 2007 à 2013, dont il est justifié », sans répondre aux conclusions de M. G... contestant le caractère effectif de ces négociations, auquel était subordonnée l'éligibilité de l'instrument financier en tant qu'unité de compte d'un contrat d'assurance-vie ou de capitalisation, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile. | Selon l'article L. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n° 92-665 du 16 juillet 1992, en matière d'assurance sur la vie ou d'opération de capitalisation, le capital ou la rente garantis peuvent être exprimés en unités de compte constituées de valeurs mobilières ou d'actifs offrant une protection suffisante de l'épargne investie et figurant sur une liste dressée par décret en Conseil d'État.
Il résulte de ce texte, interprété à la lumière des travaux préparatoires de la loi du 16 juillet 1992, que les valeurs mobilières et actifs visés par l'article R. 131-1 du code des assurances remplissent la condition de protection suffisante de l'épargne prévue par ce texte.
Selon l'article R. 131-1 du code des assurances, dans sa rédaction issue du décret n° 2005-875 du 25 juillet 2005, applicable au litige, les unités de compte visées à l'article L. 131-1 du code des assurances incluent les actifs énumérés au 1°, 2°, 2° bis, 2° ter, 3°, 4°, 5° et 8° de l'article R. 332-2 du code des assurances, au nombre desquels figurent les obligations négociées sur un marché reconnu.
Ayant retenu qu'un produit financier s'analysait en une obligation au sens de l'article L. 213-5 du code monétaire et financier, soit un titre négociable conférant les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale dans une même émission, en dépit de l'absence de garantie de remboursement intégral du capital, puis relevé qu'il avait été officiellement admis à la cote de la Bourse de Luxembourg, marché réglementé figurant sur la liste établie par la Commission européenne et reconnu au sens de l'article R. 232-2, 2°, du code monétaire et financier et que sa liquidité effective était établie par 5 220 négociations, une cour d'appel en a exactement déduit qu'il était éligible comme unité de compte dans un contrat d'assurance sur la vie |
446 | CIV. 2
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 678 F-P+B+I
Pourvoi n° 19-17.331
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
La société CSF Jurco, prise en la personne de M. K... L..., société d'exercice libéral par actions simplifiée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° 19-17.331 contre l'ordonnance rendue le 2 avril 2019 par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-11 OP), dans le litige l'opposant à Mme A... M..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société CSF Jurco, de Me Balat, avocat de Mme M..., et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 2 avril 2019), Mme M... a confié, en mai 2016, la défense de ses intérêts dans divers litiges à la société CSF Jurco (l'avocat).
2. Dessaisi le 20 octobre 2016 par sa cliente, l'avocat a saisi le bâtonnier de l'ordre pour fixer le montant des honoraires lui restant dus.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'avocat fait grief à l'ordonnance de limiter les honoraires restant dus par Mme M... à la somme de 919,67 euros toutes taxes comprises, alors que « la sanction du défaut de respect des règles de facturation ne consiste pas en la nullité de la facture émise, de sorte que l'absence de précision, sur la facture adressée par l'avocat à son client, de la nature des diligences accomplies ne confère pas un caractère indu aux sommes réclamées par l'avocat ; que le premier président a retenu, pour dire que les sommes réclamées au titre des factures n° 1610057 du 19 octobre 2016 d'un montant de 3 390 euros et n° 1611074 du 23 novembre 2016 d'un montant de 6 970,50 euros, adressées par l'avocat à sa cliente, n'étaient pas dues, que même si des précisions sur la nature des diligences effectuées par l'avocat avaient été apportées dans des documents extérieurs remis ultérieurement à la cliente, aucune précision n'avait été donnée dans ces factures elles-mêmes sur la nature desdites diligences, de sorte que les sommes réclamées n'étaient pas justifiées et que ces factures ne pouvaient donner lieu à versement d'honoraires ; qu'en statuant ainsi, quand l'absence de précision relative à la nature des diligences effectuées par l'avocat sur lesdites factures, n'avait pas pour conséquence de conférer un caractère indu aux sommes réclamées, le premier président a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article L. 441-3 du code de commerce ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et L. 441-3 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, applicable au litige ;
4. Il résulte de ces textes que le juge saisi d'une contestation des honoraires d'un avocat en fixe le montant conformément aux dispositions du premier, nonobstant les irrégularités pouvant affecter la facturation de ceux-ci au regard des prescriptions du second.
5. Pour infirmer la décision du bâtonnier et fixer à la somme de 919,67 euros TTC les honoraires restant dus par Mme M... à l'avocat, l'ordonnance retient que les factures des 19 octobre et 23 novembre 2016 concernent les diligences accomplies respectivement en août 2016 et de septembre à novembre 2016 par l'avocat, calculées au temps passé, mais qu'aucune précision n'a été donnée dans les factures même sur la nature des diligences effectuées et que même si ces précisions sont apportées dans un document extérieur remis ultérieurement, ces factures ne peuvent donner lieu à versement d'honoraires.
6. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 2 avril 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de cour d'appel d'Aix en Provence autrement composée ;
Condamne Mme M... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme M... et la condamne à payer à la société CSF Jurco une somme de 1 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt, et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société CSF Jurco.
Il est fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir limité les honoraires restant dus par madame A... M..., cliente, à la société CSF Jurco, avocat, à la somme de 919,67 euros toutes taxes comprises ;
Aux motifs que « - la facture n° 1609008 du 5 septembre 2016 = cette facture concerne des frais d'huissier ; il résulte de la pièce 13 de la société Csf Jurco Avocats que madame A... M... ayant refusé de régler ces frais à la demande de l'huissier, ce dernier s'est adressé au cabinet Csf Jurco ; aucun élément ne permet de remettre en cause le montant de ces frais, facturés 919,67 euros TTC ; - la facture n° 1610057 du 19 octobre 2016 = cette facture concerne les diligences accomplies en août 2016 par la société Csf Jurco Avocats calculées au temps passé ; toutefois, aucune précision n'a été donnée dans la facture même sur la nature des diligences effectuées ; même si ces précisions sont apportées dans un document extérieur remis ultérieurement, la facture susdite ne peut donner lieu à versement d'honoraires ; la somme de 3 390 euros, non justifiée, n'est donc pas due ; - la facture n°1611074 du 23 novembre 2016 = cette facture concerne les diligences accomplies pour septembre-octobre et novembre 2016 par la société Csf Jurco Avocats calculées au temps passé ; toutefois, aucune précision n'a été donnée dans la facture même sur la nature des diligences effectuées ; même si ces précisions sont apportées dans un document extérieur remis ultérieurement, la facture susdite ne peut donner lieu à versement d'honoraires ; la somme de 6 970,50 euros, non justifiée, n'est donc pas due ; il reste donc à régler par madame A... M... à la société Csf Jurco Avocats la somme de 919,67 euros TTC ; la décision déférée sera donc infirmée en ce qu'elle fixe les honoraires dus à la somme totale de 11 280,17 euros TTC » (ordonnance, p. 4) ;
1°) Alors que la sanction du défaut de respect des règles de facturation ne consiste pas en la nullité de la facture émise, de sorte que l'absence de précision, sur la facture adressée par l'avocat à son client, de la nature des diligences accomplies ne confère pas un caractère indu aux sommes réclamées par l'avocat ; que le premier président a retenu, pour dire que les sommes réclamées au titre des factures n°1610057 du 19 octobre 2016 d'un montant de 3 390 euros et n°1611074 du 23 novembre 2016 d'un montant de 6 970,50 euros, adressées par l'avocat à sa cliente, n'étaient pas dues, que même si des précisions sur la nature des diligences effectuées par l'avocat avaient été apportées dans des documents extérieurs remis ultérieurement à la cliente, aucune précision n'avait été donnée dans ces factures elles-mêmes sur la nature desdites diligences, de sorte que les sommes réclamées n'étaient pas justifiées et que ces factures ne pouvaient donner lieu à versement d'honoraires ; qu'en statuant ainsi, quand l'absence de précision relative à la nature des diligences effectuées par l'avocat sur lesdites factures, n'avait pas pour conséquence de conférer un caractère indu aux sommes réclamées, le premier président a violé l'article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article L. 441-3 du code de commerce ;
2°) Alors que le premier président de cour d'appel, saisi d'une contestation d'honoraires d'avocat, ne peut rejeter la demande en fixation d'honoraires qu'en l'état d'un défaut complet de diligences de la part de l'avocat ou de diligences toutes manifestement inutiles ; que le premier président a constaté que des précisions relatives à la nature des diligences effectuées au titre des factures n°1610057 du 19 octobre 2016 d'un montant de 3 390 euros et n°1611074 du 23 novembre 2016 d'un montant de 6 970,50 euros, adressées par l'avocat à sa cliente, avaient été apportées par l'avocat au moyen de documents extérieurs à ces factures remis ultérieurement à sa cliente ; qu'en retenant néanmoins que les sommes réclamées au titre de ces factures n'étaient pas dues, sans constater que les diligences mentionnées par ces documents remis ultérieurement auraient été inexistantes ou toutes manifestement inutiles, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. | Le juge saisi d'une contestation des honoraires d'un avocat en fixe le montant conformément aux dispositions de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, nonobstant les irrégularités pouvant affecter la facturation de ceux-ci au regard des prescriptions de l'article L. 441-3 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, applicable en la cause |
447 | CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 682 F-P+B+I
Pourvoi n° X 19-14.678
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
M. H... I..., domicilié [...] , exerçant sous l'enseigne Manade du Seden, a formé le pourvoi n° X 19-14.678 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2019 par la cour d'appel de Nîmes (chambre civile, 1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. A... U..., domicilié [...] ,
2°/ à M. E... T..., domicilié [...] ,
3°/ à l'association Club taurin Lou Rastouble, dont le siège est [...] ,
4°/ à la caisse Mutualité sociale agricole du Languedoc, dont le siège est [...] ,
5°/ à la société Gan assurances Iard, société anonyme, dont le siège est [...] ,
6°/ à la société Aviva assurances, société anonyme, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
L'association Club Taurin Lou Rastouble et la société Gan assurances Iard ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat de M. I..., de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de M. U..., de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de M. T..., de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de l'association Club taurin Lou Rastouble et de la société Gan assurances Iard, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 17 janvier 2019), l'association Club taurin Lou Rastouble (l'association), assurée auprès de la société Gan assurances (la société Gan), a organisé, le 28 juillet 2012, une manifestation taurine supervisée par M. I..., manadier, consistant en un lâcher de deux taureaux entourés de cavaliers, au nombre desquels se trouvait M. T..., qui montait son propre cheval.
2. M. U..., qui assistait au défilé, a été blessé par le cheval de M. T..., qui s'est emballé.
3. M. U... a assigné M. T..., l'association, la société Gan et M. I... en réparation de ses préjudices, en présence de la mutualité sociale agricole du Languedoc et de son propre assureur, la société Aviva assurances.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident de l'association et de la société Gan, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. I... fait grief à l'arrêt de dire qu'il est responsable, sur le fondement de l'article 1385 du code civil, de l'accident du 28 juillet 2012, de dire que la victime devait être indemnisée intégralement des préjudices subis du fait de cet accident, de dire qu'il serait tenu in solidum avec l'association à l'indemniser de l'intégralité de ses préjudices, d'ordonner une expertise médicale, et de le condamner, in solidum avec l'association, à payer à M. U... une provision à valoir sur son indemnisation définitive à hauteur de 6 000 euros, alors « que le cavalier propriétaire de son cheval n'en transfère la garde à un tiers que si ce dernier a reçu les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle sur l'animal ; que tel n'est pas le cas du tiers qui dispose de prérogatives limitées consistant à donner des directives au cavalier, lequel conserve seul la maîtrise de sa monture ; qu'en l'espèce, M. T..., propriétaire et cavalier du cheval qui a causé l'accident, gardait l'usage, la direction et le contrôle de son cheval, même s'il recevait des instructions de M. I..., manadier ; que pour juger que M. I... était le gardien du cheval, la cour d'appel a relevé que M. T... agissait sous ses ordres et directives (arrêt, p. 10 § 3) ; qu'en statuant ainsi, tandis que le pouvoir d'instruction du manadier ne suffisait pas à lui transférer la garde du cheval, la cour d'appel a violé l'article 1385 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1385, devenu 1243, du code civil :
6. La responsabilité édictée par ce texte à l'encontre du propriétaire d'un animal ou de celui qui s'en sert est fondée sur l'obligation de garde corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d'usage qui la caractérisent.
7. Pour confirmer le jugement en ce qu'il dit que M. I... est responsable, sur le fondement de l'article 1385 du code civil, de l'accident du 28 juillet 2012, que l'association et M. I... seront tenus in solidum à l'intégralité des préjudices subis par M. U... et condamne in solidum l'association et M. I... à payer à M. U... une provision de 6 000 euros à valoir sur son indemnisation définitive, l'arrêt retient qu'il est admis que le manadier, propriétaire des animaux, conserve leur garde directement ou par l'intermédiaire de ses préposés, et supporte la responsabilité des dommages occasionnés par les animaux intervenant dans la manifestation taurine ; qu'il est constant que M. I..., directeur de la manade Le Seden, n'était pas le propriétaire du cheval monté par M. T..., et que ce dernier n'était pas son préposé ; que M. T... en qualité de propriétaire du cheval en est présumé gardien en application de l'article 1385 du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 ; que pour autant, il revient au manadier d'établir le parcours de l'abrivado, de sélectionner les chevaux et les cavaliers et de leur assigner la place qui convient dans l'escorte ; que M. T..., bien que n'étant pas le salarié de M. I..., s'intégrait avec son cheval dans la manifestation taurine aux côtés de sept autres cavaliers et dirigeait les taureaux en tête.
8. L'arrêt en déduit que bien que non salarié de M. I..., M. T... agissait en qualité de gardian sous les ordres et directives du manadier M.I..., lequel bénéficiait, de ce fait, d'un transfert de garde de l'animal impliquant une responsabilité de plein droit, sur le fondement de l'article 1385 du code civil, pour les dommages occasionnés par le cheval qui, s'étant emballé, a échappé à la manade et renversé M. U....
9. En statuant ainsi, alors que le seul pouvoir d'instruction du manadier, dont elle constatait qu'il n'avait pas la qualité de commettant, ne permettait pas de caractériser un transfert de garde et qu'il résultait de ses propres constatations que M. T..., propriétaire du cheval, en était également le cavalier, ce dont il résultait qu'il avait conservé au moins les pouvoirs d'usage et de contrôle de l'animal, dont la garde ne pouvait pas avoir été transférée, de ce fait, la cour d'appel a violé le texte sus-visé.
Sur la portée et l'étendue de la cassation
10. La cassation partielle de l'arrêt déféré ne remet en cause ni les condamnations prononcées à l'encontre de l'association ni les chefs de dispositif de l'arrêt relatifs au droit à indemnisation intégrale de la victime et à la mise en oeuvre d'une mesure d'expertise médicale.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen unique du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement qui a dit que M. I... est responsable, sur le fondement de l'article 1385 du code civil, de l'accident du 28 juillet 2012, dit que M. I... sera tenu d'indemniser M. U... de l'intégralité de ses préjudices et condamné M. I... à payer, in solidum avec l'association Club taurin Lou Rastouble, à M. U... une provision de 6 000 euros, l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne l'association Club taurin Lou Rastouble et la société Gan assurances aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. I..., la société Gan assurances, l'association Club taurin Lou Rastouble et M. T... et condamne in solidum l'association Club taurin Lou Rastouble et la société Gan assurances à payer à M. U... la somme de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt et signé par lui et Mme Gelbard Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour M. I...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que M. I... était responsable, sur le fondement de l'article 1385 du code civil, de l'accident du 28 juillet 2012, d'avoir dit que la victime devait être indemnisée intégralement des préjudices subis du fait de cet accident, d'avoir dit que M. I... serait tenu in solidum avec l'association Lou Rastouble à l'indemniser de l'intégralité de ses préjudices, d'avoir ordonné une expertise médicale, et d'avoir condamné M. I..., in solidum avec l'association Lou Rastouble, à payer à M. U... une provision à valoir sur son indemnisation définitive à hauteur de 6.000 € ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur la responsabilité du fait de la garde des animaux, il est admis que le manadier propriétaire des animaux conserve leur garde directement ou par l'intermédiaire de ses préposés ; qu'il supporte la responsabilité des dommages occasionnés par les animaux intervenant dans la manifestation taurine, que ces dommages aient été occasionnés sur le parcours de l'abrivado ou à proximité ; qu'en l'espèce M. I..., directeur de la manade Seden, n'était pas le propriétaire du cheval monté par M. T... ; que ce dernier n'était pas son préposé ; que M. T..., en qualité de propriétaire du cheval, en est présumé gardien en application de l'article 1385 du code civil dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 ; que pour autant il revient au manadier d'établir le parcours de l'abrivado, de sélectionner les chevaux et les cavaliers et de leur assigner la place qui convient dans l'escorte ; qu'il résulte des éléments de l'enquête que M. T..., bien que n'étant pas le salarié de M. I..., s'intégrait avec son cheval dans la manifestation taurine aux côtés de ses autres cavaliers et qu'il dirigeait les taureaux en tête ; qu'il s'en déduit que, bien que non salarié de M. I..., M. T... agissait en qualité de gardian sous les ordres et directives du manadier M. I..., lequel bénéficiait de ce fait d'un transfert de garde de l'animal impliquant une responsabilité de plein droit sur le fondement de l'article 1385 du code civil pour les dommages occasionnés par le cheval qui s'est emballé, a échappé à la manade et renversé M. U... ; qu'eu égard à l'absence de protection du parcours emprunté par les animaux, à l'étroitesse de l'espace protégé par les barrières et à l'absence de consigne donnée au public de rejoindre l'espace protégé, le fait que M. U... se soit trouvé à proximité à quelques mètres de la buvette en dehors de la zone protégée ne saurait caractériser une faute revêtant les caractéristiques d'irrésistibilité et d'imprévisibilité de la force majeure, seule susceptible d'exonérer M. I... de sa responsabilité de plein droit ; que par suite le jugement mérite confirmation en ce qu'il retenu la responsabilité de M. I... en qualité de manadier sur le fondement de la garde de l'animal et écarté la faute imputée à tort à M. U... ; que le manquement de l'association Lou Rastouble à l'obligation de sécurité qui lui imposait de sécuriser le parcours des animaux par la pose de barrières est en lien direct avec l'accident subi par M. U..., qui ne se serait trouvé sur la trajectoire du cheval ; que de même la perte de contrôle de l'animal qui était sous la garde de M. I..., à qui il revenait de prendre toute disposition de nature à prévenir toute fuite d'un animal vers le public, a contribué au dommage subi par M. U... ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré M. I... et l'association Lou Rastouble responsables du dommage subi par M. U..., tenus in solidum d'indemniser ce dernier de son préjudice, et déclaré la décision opposable à la SA Gan Assurances Iard, la MSA du Gard et la compagnie Aviva Assurances ; que la provision allouée à M. U... à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice est justifiée en considération de l'ampleur du préjudice résultant des certificats médicaux produits, mettant en évidence un traumatisme crânien, un coma post-traumatique et une hospitalisation pendant plus d'un mois ; que la demande de la MSA du Languedoc tendant au versement à son profit de la somme de 49 299,74 € est prématurée en l'état de l'expertise ordonnée avant dire droit sur l'indemnisation du préjudice patrimonial et extrapatrimonial de M. U... ; que son action subrogatoire sera réservée jusqu'à liquidation définitive du préjudice ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE, sur l'existence d'une faute du gardien de I'animal, aux termes de l'article 1385 du code civil, le propriétaire d'un animal ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que I'animal a causé, soit que I'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé ; que la jurisprudence considère que la responsabilité édictée par l'article 1385 du code civil à l'encontre du propriétaire de l'animal ou de celui qui s'en sert est fondée sur l'obligation de garde corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d'usage qui la caractérisent ; que celui qui exerce lesdits pouvoirs est responsable même s'il n'est pas le propriétaire de l'animal ; que s'agissant des abrivados ou des bandidos, manifestations qui consistent à faire traverser une localité par un groupe de taureaux encadrés par des cavaliers, il résulte d‘une jurisprudence établie que le manadier, propriétaire des animaux, conserve leur garde, directement ou par l'intermédiaire de ses préposés et, qu'il est au conséquence responsable des dommages que ceux-ci ont provoqués. Il lui incombe ainsi de mesurer les risques de fuite et de prendre les précautions nécessaires pour les éviter, par exemple lorsque le taureau s'enfuit lors de l'opération d'embarquement et renverse la victime en sautant une barrière ; qu'en l'espèce, M. T... fait valoir qu'il agissait comme préposé de la manade Le Seden dirigée par H... I..., laquelle faisait partie des manades participant à la journée taurine ; qu'il justifie effectivement d'un bulletin d'adhésion et d'une attestation qui permettent d'établir qu'au moment des faits il était licencié en tant que W... non salarié à la manade Le Seden ; que par ailleurs, s'il n'apporte pas d'éléments pouvant attester que lors de cette journée précise il intervenait comme préposé de ladite manade, cette affirmation est conforme aux déclarations que M. T... a pu faire lors de son audition devant les enquêteurs ; qu'il leur avait en effet déclaré que le propriétaire de la manade était M. H... I... et que ce dernier était même présent sur les lieux en tant que cavalier participant à la manade ; que cette affirmation de M. T... n'est pas contredite par M. I..., qui ne s'est pas constitué ; que par conséquent, il convient de considérer qu'au moment de l'accident, M. T... était bien sous les ordres et directives de la manade Le Seden dirigée par M. H... I..., lequel était donc gardien de l'animal à l'origine des dommages causés à M. U... ; qu'en outre, l'absence de contrôle et de direction de l'animal au moment de l'accident est incontestable, le cheval ayant brutalement quitté sa trajectoire pour arriver au galop sur M. U..., sans que son cavalier ne parvienne à le maîtriser même après le choc ; que, sur les responsabilités, aucune faute de M. U... n'ayant été retenue, il convient d'apprécier si les fautes de l‘association organisatrice et du manadier ont toutes deux concouru à la réalisation du dommage ou si l‘une de ces fautes est exclusivement la cause du dommage causé à la victime ; que les manquements commis de part et d'autre ont contribué à Ia survenance de l‘accident ; qu'en effet, il est d'abord manifeste que le fait pour l'association d'avoir manqué à son obligation de sécurité est en lien direct avec le préjudice subi par M. U... ; qu'en effet, si des barrières avaient été posées le long du parcours, le demandeur n'aurait pu se retrouver sur la trajectoire, déviée ou non, du cheval appartenant à M. I... ; qu'il incombait également à ce dernier, en tant que manadier propriétaire et gardien de l'animal participant à la manifestation, de mesurer les risques de fuite et de prendre les précautions nécessaires pour les éviter ; que la collision s'est produite par le fait que le cheval se s'est retrouvé totalement incontrôlable, le cavalier préposé n'étant pas parvenu à l'arrêter alors qu‘il galopait en direction de la victime ; que par conséquent, l'association Lou Rastouble et M. I... seront tous deux déclarés responsables de l'accident du 28 juillet 2012 et tenus à ce titre in solidum à indemniser M. U... de l'ensemble de ses préjudices ;
1°) ALORS QUE le cavalier propriétaire de son cheval n'en transfère la garde à un tiers que si ce dernier a reçu les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle sur l'animal ; que tel n'est pas le cas du tiers qui dispose de prérogatives limitées consistant à donner des directives au cavalier, lequel conserve seul la maîtrise de sa monture ; qu'en l'espèce, M. T..., propriétaire et cavalier du cheval qui a causé l'accident, gardait l'usage, la direction et le contrôle de son cheval, même s'il recevait des instructions de M. I..., manadier ; que pour juger que M. I... était le gardien du cheval, la cour d'appel a relevé que M. T... agissait sous ses ordres et directives (arrêt, p. 10 § 3) ; qu'en statuant ainsi, tandis que le pouvoir d'instruction du manadier ne suffisait pas à lui transférer la garde du cheval, la cour d'appel a violé l'article 1385 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
2°) ALORS QUE le juge ne peut accueillir une demande ou la rejeter sans examiner, même sommairement, l'ensemble des pièces versées aux débats ; que M. I... produisait une attestation de M. T... dans laquelle ce dernier affirmait que son cheval, mis en cause dans l'accident, était sous sa garde et qu'il n'était ni sous les ordres, ni sous les directives de M. I... ; qu'en jugeant que M. I... avait la garde ce cheval sans procéder à l'analyse de cette attestation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour l'association Club taurin Lou Rastouble et la société Gan assurances IARD
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir jugé que l'association était responsable de l'accident du 28 juillet 2012 sur le fondement de l'article 1383 du code civil, que M. U... devait être indemnisé intégralement des préjudices subis du fait de l'accident et en conséquence que l'association et M. I... étaient tenus in solidum à l'indemniser de l'intégralité de ses préjudices, Aux motifs que M. U... avait été blessé par un cheval à l'occasion d'une abrivado organisée par l'association Lou Rastouble sur la commune de [...] le 28 juillet 2012 ; qu'au cours d'une telle manifestation taurine des taureaux passaient au pas de course encadrés par des cavaliers à cheval sur un parcours ; qu'il résultait de l'enquête de gendarmerie que les faits s'étaient produits vers 19h alors que la manifestation taurine prenait fin, que le cheval mené par M. T... avait dévié du parcours en raison de la présence de personnes agitant des banderoles au centre, que le cheval s'était emballé et s'était rapproché d'un groupe de personnes, qu'en dépit des cris d'alerte de M. T..., M. U... situé de dos, avait été percuté de plein fouet par le cheval ; que M. G..., présent aux côtés de M. U... lors de la manifestation taurine, précisait qu'ils étaient tous deux à côté de la buvette, hors du circuit emprunté par les animaux, soit à une centaine de mètres des animaux lorsque l' accident était survenu ; que des témoins présents lors de l'accident indiquaient que M. U... se trouvait en dehors de l'enclos protégé entouré de barrières ; que, sur la responsabilité de l'organisateur, en vertu de la jurisprudence, eu égard à la dangerosité potentielle d'une manifestation taurine telle qu'une abrivado, il incombait à l'organisateur d'assurer la sécurité des spectateurs et passants ; que, s'agissant d'une obligation de moyen, il incombait au demandeur à l'indemnisation de justifier du manquement de l'organisateur à l'obligation de sécurité ; qu'aux termes de l'arrêté municipal pris par le maire de [...] le 19 juillet 2012, l'association Lou Rastouble avait été autorisée à organiser la manifestation taurine le 28 juillet 2012 et avait en charge d'en assurer la sécurité intégrale en vertu de l'article 5, ce qui impliquait une « installation de barrières de sécurité le long du parcours et (une) signalisation appropriée interdisant tout stationnement... », un service d'ordre et la surveillance du parcours et des carrefours en liaison avec la gendarmerie ; que la présence de barrières de sécurité à proximité de la buvette était insuffisante à assurer la sécurité des spectateurs alors qu'il résultait des procès-verbaux d'enquête et photographies jointes au constat d'huissier établi par Me B... le 4 avril 2014 à partir du visionnage d'une vidéo mise en ligne sur internet que le parcours n'était pas sécurisé par des barrières, la seule pose alléguée mais non établie de rubalise n'étant pas de nature à assurer la sécurité des passants, que de plus le seul espace sécurisé par la pose de barrières autour de la buvette était très restreint et ne permettait pas d'accueillir l'ensemble des spectateurs. ; qu'en tout état de cause, et nonobstant les contestations émises par l'association Lou Rastouble sur le caractère sous-dimensionné de l'espace protégé par rapport au public présent, le directeur de l'association M. F... avait admis lors de son audition que les personnes présentes n'avaient à aucun moment été invitées à se placer dans l'espace protégé par les barrières à la buvette ; que par suite le manquement de l'association organisatrice à son obligation de sécurité était établi et celle-ci ne saurait s'en exonérer en excipant d'une faute imprévisible et irrésistible de M. U... tenant à sa présence à l'extérieur de l'enclos protégé par les barrières ; que la responsabilité de l'association organisatrice est donc justement engagée sur le fondement de l'article 1383 du code civil ; et aux motifs adoptés des premiers juges qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à M. U... ; qu'en effet il résultait à la fois des attestations, des procès-verbaux d'enquête et du constat d'huissier de Me B..., que la victime n'avait pu d'abord avoir conscience du danger auquel elle s'exposait ; qu'en effet un certain nombre de spectateurs se trouvait en dehors de l'espace sécurisé par les barrières, voire même devant les barrières ; que par ailleurs, le passage des animaux n'était même pas balisé, ce qui signifiait que les spectateurs ne pouvaient connaître le parcours exact qui serait emprunté et en tout cas de cause ce parcours n'était pas canalisé, un témoin évoquant ainsi « un circuit ouvert », « sans passage bien précis pour les animaux » ; que de plus, le président de l'association avait lui-même déclaré qu'au moment de l'accident tout le monde croyait la manifestation terminée ; qu'ainsi au moment de l'accident M. U... avait pu légitiment penser que la manifestation était terminée et qu'il ne se trouvait donc pas sur le parcours de l'animal ; que d'ailleurs, il apparaissait que la victime ne se trouvait effectivement pas sur la trajectoire initiale du cheval de M. T... mais que c'est l'animal qui avait subitement dévié sur la droite pour se diriger vers le groupe de personnes dont faisait partie M. U..., Alors, d'une part, que la faute de la victime, qui ne présente pas les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de la force majeure, est de nature à conduire à une limitation de son droit à réparation si elle a contribué, en même temps que le fait personnel de l'auteur du dommage, à son préjudice ; que les juges du fond doivent donc rechercher si le comportement fautif reproché à la victime, sans être imprévisible et irrésistible, n'était pas de nature à la faire regarder comme partiellement responsable du dommage subi ; qu'en l'espèce la cour d'appel s'est attachée exclusivement à vérifier que la faute de la victime, M. U..., n'était pas imprévisible et irrésistible, c'est-à-dire si elle présentait les caractères de la force majeure, sans rechercher, comme elle y avait été invitée, si le comportement de celle-ci, alors même qu'il ne présentait pas un caractère imprévisible et irrésistible, n'était pas fautif et n'avait pas contribué à son dommage, ce qui était de nature à conduire à une limitation de son droit à indemnisation ; que ce faisant elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1383 du code civil dans sa version applicable à l'espèce, Alors, d'autre part, que l'association organisatrice et de son assureur avaient invoqué, à titre subsidiaire, un comportement fautif de la victime de nature à limiter le droit à indemnisation de celle-ci (cf. conclusions d'intimé et d'appel à titre incident n°3, p. 18 et s., spéc. p. 22) ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | La responsabilité édictée par l'article 1385, devenu 1243, du code civil à l'encontre du propriétaire d'un animal ou de celui qui s'en sert est fondée sur l'obligation de garde corrélative aux pouvoirs de direction, de contrôle et d'usage qui la caractérisent.
Dès lors, viole ce texte, la cour d'appel qui, saisie d'une action engagée par un spectateur blessé par un cheval lors d'une manifestation taurine, énonce, pour retenir la responsabilité du manadier, que la garde de l'animal lui a été transférée, alors que le seul pouvoir d'instruction du manadier, dont elle constatait qu'il n'avait pas la qualité de commettant, ne permettait pas de caractériser un transfert de garde et qu'il résultait de ses propres constatations que le propriétaire du cheval en était également le cavalier, ce dont il résultait qu'il avait conservé au moins les pouvoirs d'usage et de contrôle de l'animal, dont la garde ne pouvait pas avoir été transférée, de ce fait |
448 | CIV. 2
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 687 F-P+B+I
Pourvoi n° 19-18.795
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
1°/ M. W... P...,
2°/ Mme E... P...,
domiciliés [...] ,
3°/ M. A... P...,
4°/ Mme L... P...,
domiciliés ...,
ont formé le pourvoi n° 19-18.795 contre l'arrêt rendu le 3 mai 2019 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile, section A), dans le litige les opposant :
1°/ à la société MACIF centre Europe, dont le siège est 21 avenue du Luxembourg, BP 149, 68137 Illzach,
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, dont le siège est 16 rue de Lausanne, 67090 Strasbourg cedex,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. W... P..., Mme E... P..., M. A... P... et Mme L... P..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MACIF centre Europe, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 3 mai 2019), M. W... P... a été victime, le 11 avril 2016, d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société Macif Centre Europe (l'assureur).
2. M. W... P..., Mme E... P..., M. A... P... et Mme L... P... (les consorts P...) ont assigné l'assureur en indemnisation de leurs préjudices devant le tribunal de grande instance de Strasbourg, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin.
3. L'assureur a soulevé devant le juge de la mise en état l'incompétence territoriale de la juridiction saisie.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Les consorts P... font grief à l'arrêt de déclarer le tribunal de grande instance de Strasbourg incompétent territorialement et de renvoyer la cause et les parties devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, chambre civile, pour continuation de la procédure alors «que la victime exerçant l'action directe peut se prévaloir soit des règles de l'article R. 114-1 du code des assurances, impératives dans les seuls litiges entre assureur et assuré quand ils ont trait à la fixation et au règlement de l'indemnité, soit des règles des articles 42 et suivants du code de procédure civile ; qu'il en résulte que la victime exerçant l'action directe peut saisir le tribunal de son domicile pour obtenir réparation de son préjudice dans le cadre d'une action dirigée contre de l'assureur ; qu'en déclarant néanmoins le tribunal de grande instance de Strasbourg, juridiction du domicile des consorts P... qui exerçaient une action directe, incompétent territorialement, au motif inopérant que cette juridiction n'est le tribunal du domicile de l'assuré, la cour d'appel a violé l'article R. 114-1 du code des assurances.»
Réponse de la Cour
5. Pour confirmer l'incompétence territoriale du tribunal de Strasbourg, l'arrêt énonce qu'il est de jurisprudence constante que la victime exerçant l'action directe peut se prévaloir soit des règles de compétence issues des articles 42 et suivants du code de procédure civile, soit de celles de l'article R. 114-1 du code des assurances, qui donne compétence au tribunal du domicile de l'assuré.
6. La décision relève en premier lieu que les consorts P... exercent leur action directe contre l'assureur en application de l'article L. 124-3 du code des assurances et que la juridiction du lieu où est situé le siège social de ce défendeur, au sens de l'article 42 du code de procédure civile, est le tribunal de grande instance de Mulhouse.
7. Elle rappelle en deuxième lieu les termes de l'article 46 du même code qui, en matière délictuelle, dispose que le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi et relève qu'en l'espèce, l'accident de la circulation s'est produit à Mollkirch, situé dans le ressort du tribunal de grande instance de Saverne.
8. L'arrêt retient en dernier lieu que le domicile de l'assuré, conducteur du véhicule impliqué dans l'accident, est également situé à Mollkirch.
9. En déduisant de ces constatations et énonciations qu'aucun texte ne permettait de retenir la compétence territoriale de la juridiction dans le ressort de laquelle demeurait la victime, la cour d'appel a légalement justifié sa décision. PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. W... P..., Mme E... P..., M. A... P... et Mme L... P... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt, et signé par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. W... P..., Mme E... P..., M. A... P... et Mme L... P....
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré le tribunal de grande instance de Strasbourg incompétent territorialement et d'AVOIR renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de grande instance de Mulhouse, chambre civile, pour continuation de la procédure.
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « les consorts P... exercent contre la Macif Centre Europe l'action directe que l'article L. 124-3 confère à la victime d'un dommage contre l'assureur de la personne tenue à l'indemnisation de ce dommage. Il est de jurisprudence constante que la victime exerçant l'action directe peut se prévaloir soit des règles issues des articles 42 et suivants du code civil, soit de celles de l'article R. 114-1 du code des assurances. L'article 42 du code de procédure civile prévoit qu'est territorialement compétente la juridiction du lieu où demeure le défendeur. Cette juridiction est en l'espèce le tribunal de grande instance de Mulhouse, dans le ressort duquel est situé le siège social de la Macif Centre Europe. Selon l'article 46 du même code, en matière délictuelle, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. En l'espèce, le fait dommageable s'est produit et le dommage a été subi à Mollkirch, situé dans le ressort du tribunal de grande instance de Saveme. L'article R. 141-1 du code des assurances donne compétence au tribunal du domicile de l'assuré. L'assuré est en l'espèce le conducteur du véhicule impliqué dans l'accident, dont le domicile est situé à Mollkirch, dans le ressort du tribunal de grande instance de Saverne. Dès lors, aucun texte ne permet en l'espèce de retenir la compétence territoriale du domicile de la victime. L'ordonnance déférée doit par conséquent être confirmée » ;
ALORS QUE la victime exerçant l'action directe peut se prévaloir soit des règles de l'article R. 114-1 du code des assurances, impératives dans les seuls litiges entre assureur et assuré quand ils ont trait à la fixation et au règlement de l'indemnité, soit des règles des articles 42 et suivants du code de procédure civile ; qu'il en résulte que la victime exerçant l'action directe peut saisir le tribunal de son domicile pour obtenir réparation de son préjudice dans le cadre d'une action dirigée contre de l'assureur ; qu'en déclarant néanmoins le tribunal de grande instance de Strasbourg, juridiction du domicile des consorts P... qui exerçaient une action directe, incompétent territorialement, au motif inopérant que cette juridiction n'est le tribunal du domicile de l'assuré, la cour d'appel a violé l'article R. 114-1 du code des assurances. | La victime exerçant l'action directe contre l'assureur peut se prévaloir soit de l'article R. 114-1 du code des assurances, qui donne compétence au tribunal du domicile de l'assuré dans les instances relatives à la fixation du règlement de l'indemnité, soit des règles des articles 42 et suivants du code de procédure civile.
Justifie légalement sa décision une cour d'appel qui en déduit qu'aucun texte ne permet de retenir en ce cas la compétence territoriale de la juridiction dans le ressort de laquelle demeure la victime |
449 | CIV. 2
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 695 F-P+B+I sur les deuxième et troisième moyens
Pourvoi n° 18-14.351
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
La société Humanis prévoyance, institut de prévoyance, dont le siège est 29 boulevard Edgard Quinet, 75014 Paris, venant aux droits de la société Aprionis prévoyance, venant elle-même aux droits de la société Apri prévoyance, a formé le pourvoi n° 18-14.351 contre les deux arrêts rendus les 25 janvier 2018 et 9 mars 2017 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. E... C..., domicilié [...] ,
2°/ à la société Florimo, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Touati, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Humanis prévoyance, institut de prévoyance, de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. C..., de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de la société Florimo, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Touati, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Paris, 9 mars 2017 et 25 janvier 2018), M. C..., gérant des sociétés [...] , Société d'exploitation des magasins de détail [...] et Florimo, a, conformément aux dispositions de l'article 7 de la convention collective de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947, souscrit les 8 novembre 1996 et 31 mai 1998, pour le personnel cadre de chacune de ces sociétés, trois contrats de prévoyance à adhésion obligatoire couvrant les risques d'incapacité, d'invalidité, de décès et d'invalidité absolue et définitive auprès de l'institution de prévoyance Apri prévoyance, aux droits de laquelle se trouve l'institution Humanis prévoyance (l'institution de prévoyance).
2. M. C... a, en tant que cadre, adhéré à ces régimes de prévoyance et rempli un questionnaire de santé.
3. A la demande des sociétés souscriptrices, les garanties prévues dans ces contrats ont été étendues au plafond de la tranche C de la sécurité sociale à compter du 1er juillet 1998.
4. A la suite de trois accidents du travail survenus les 14 février 1997, 12 juillet 1997 et 11 mai 1999, M. C... s'est vu attribuer le 1er octobre 2000 par la caisse primaire d'assurance maladie de Sarreguemines un taux d'incapacité permanente de 100 %.
5. Après avoir servi des indemnités journalières et une rente d'incapacité, l'institution de prévoyance a interrompu ses versements et refusé à M. C... le bénéfice d'un capital décès anticipé et d'une rente d'éducation en invoquant une fausse déclaration intentionnelle.
6. Les trois contrats de prévoyance collective ont été résiliés par les sociétés [...] , Société d'exploitation des magasins de détail [...] et Florimo à effet du 31 décembre 2004.
7. M. C... a assigné l'institution de prévoyance en exécution des garanties souscrites.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. L'institution de prévoyance fait grief à l'arrêt du 9 mars 2017 de dire recevable l'intervention volontaire de la société Florimo, alors « que l'intervention accessoire est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir les prétentions d'une partie ; que, dès lors, en affirmant, pour admettre l'intervention accessoire de la société Florimo, qu'aux termes de ses conclusions, cette dernière appuyait les prétentions de M. E... C... et qu'elle avait intérêt à voir trancher la question de l'applicabilité de l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale aux contrats d'adhésion qu'elle a souscrits pour en faire bénéficier son salarié, sans caractériser en quoi la société Florimo avait un intérêt à intervenir pour la conservation de ses droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 330 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Ayant relevé qu'aux termes de ses conclusions, la société Florimo appuyait les prétentions de M. C... et qu'elle avait intérêt à voir trancher la question de l'applicabilité de l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale aux contrats d'adhésion qu'elle avait souscrits pour en faire bénéficier son salarié, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'existence de l'intérêt de la société Florimo à soutenir M. C... pour la conservation de ses droits , que la cour d'appel a estimé que l'intervention accessoire de la société Florimo était recevable en application de l'article 330 du code de procédure civile.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois premières branches
Enoncé du moyen
11. L'institution de prévoyance fait grief aux arrêts de la condamner à verser à M. C... les sommes suivantes : 972 294,79 euros au titre de la rente invalidité revalorisée, somme de laquelle il conviendra de déduire, avant paiement les CSG, CRDS et CASA prévus par les textes en vigueur ; 665 799,68 euros au titre du capital IAD ; 1 878 520,58 euros au titre des rentes éducation revalorisées et arrêtées au 30 septembre 2017, somme de laquelle il conviendra de déduire, avant paiement, les CSG, CRDS et CASA prévus par les textes en vigueur, alors :
« 1°/ que lorsque la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle du participant à une opération collective change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'institution de prévoyance, la garantie accordée par l'institution à ce participant est nulle, même si le risque omis ou dénaturé par le participant a été sans influence sur la réalisation du risque ; que l'exception à cette règle ne concerne que les hypothèses dans lesquelles « l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou accord professionnel ou interprofessionnel », c'est-à-dire d'une désignation ou d'une recommandation de l'institution par une convention de branche ou un accord professionnel ; qu'en l'espèce, l'article 7 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 fait obligation aux employeurs de souscrire un régime de prévoyance complémentaire pour leurs cadres salariés tout en les laissant libres de choisir l'institution à laquelle ils désirent adhérer ; que, dès lors, en retenant, pour refuser à l'institution Humanis prévoyance le droit d'invoquer la nullité des garanties accordées à M. E... C..., que ce serait ajouter à la loi que de dire les dispositions de l'article L. 932-7, alinéa 4, du code de la sécurité sociale inapplicables à la situation de M. E... C... en raison de la liberté laissée à l'entreprise adhérente de choisir l'institution de prévoyance ou la société d'assurance auprès de laquelle les garanties doivent être souscrites, la cour d'appel a violé l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale ;
2°/ que, subsidiairement, lorsque la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle du participant à une opération collective change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'institution de prévoyance, la garantie accordée par l'institution à ce participant est nulle, même si le risque omis ou dénaturé par le participant a été sans influence sur la réalisation du risque ; que l'exception à cette règle ne concerne que les hypothèses dans lesquelles « l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou accord professionnel ou interprofessionnel » et ne s'applique donc pas à la fraction des garanties qui dépasse l'obligation imposée par la convention de branche ou l'accord professionnel ; que, dès lors, en retenant, pour refuser à l'institution Humanis prévoyance tout droit d'invoquer la nullité des garanties accordées à M. E... C..., que ce serait ajouter à la loi que de dire les dispositions de l'article L. 932-7, alinéa 4, du code de la sécurité sociale inapplicables à la situation de M. E... C... en raison de la souscription par l'entreprise d'une garantie supérieure à la garantie légale obligatoire, la cour d'appel a violé l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale ;
3°/ que, subsidiairement, lorsque la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle du participant à une opération collective change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'institution de prévoyance, la garantie accordée par l'institution à ce participant est nulle, même si le risque omis ou dénaturé par le participant a été sans influence sur la réalisation du risque ; que l'exception à cette règle, ne concernant que les hypothèses dans lesquelles « l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou accord professionnel ou interprofessionnel », ne s'applique pas lorsque le groupe de salariés à garantir est uniquement composé de l'employeur souscripteur ; que, dès lors, en retenant, pour refuser à l'institution Humanis prévoyance tout droit d'invoquer la nullité des garanties accordées à M. E... C..., que ce serait ajouter à la loi que de dire les dispositions de l'article L. 932-7, alinéa 4, du code de la sécurité sociale inapplicables à la situation de M. E... C... en raison de la souscription au bénéfice d'une seule personne dès lors que l'entreprise ne salarie qu'un unique cadre, la cour d'appel a violé l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
12. L'exception prévue par l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale aux sanctions qu'il édicte lorsque l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou un accord professionnel ou inter-professionnel n'opérant aucune distinction selon les modalités de désignation de l'institution, le niveau des garanties souscrites, le nombre ou la qualité des salariés bénéficiaires, c'est par une juste application de ce texte, que la cour d'appel a décidé que les dispositions de son dernier alinéa s'appliquaient même si l'employeur conservait le choix de l'institution de prévoyance, s'il n'avait pas souscrit les seules garanties minimales prévues par la convention collective nationale et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et si le groupe assuré était composé d'un unique cadre salarié.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en quatrième branche
14. L'institution de prévoyance fait le même grief aux arrêts, alors « que, subsidiairement, lorsque des participants sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d'incapacité ou d'invalidité, la résiliation du contrat d'adhésion est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution ; que le versement des prestations de toute nature se poursuit à un niveau au moins égal à celui de la dernière prestation due ou payée avant la résiliation ou le non-renouvellement, sans préjudice des révisions prévues dans le contrat ou la convention ; qu'il en résulte que le contrat peut valablement prévoir qu'en cas de résiliation, la clause de revalorisation cesse de produire ses effets dès lors que le versement des prestations se poursuit au niveau de la dernière prestations due ou payée ; que, par conséquent, en affirmant que la clause de l'article 6 § B des conditions générales des contrats de prévoyance prévoyant la cessation de l'indexation des rentes en cas de résiliation de l'adhésion était incompatible avec l'article 7 de la loi n° 1989-1009 du 31 décembre 1989, la cour d'appel a violé ce dernier article, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
15. Il résulte de l'article 7 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, dont les dispositions sont d'ordre public en application de l'article 10 de cette loi, ,que lorsque le droit aux prestations prévues au contrat et à leur revalorisation est né durant son exécution, la résiliation ou le non-renouvellement du contrat ou de la convention est sans effet sur leur versement, toute clause contraire étant réputée non écrite.
16. Ayant constaté que si en vertu de l'article 12 des conditions générales des contrats de prévoyance, les rentes éducation et invalidité étaient revalorisables, l'article 6 paragraphe B de ces mêmes conditions générales stipulait qu' « en cas de résiliation de l'adhésion, la clause de revalorisation cesse de produire ses effets », puis relevé que le principe de l'indexation prévue à l'article 12 des conditions générales était acquis à l'ouverture des droits à prestation de M. C..., la cour d'appel en a exactement déduit que les dispositions contractuelles prévoyant la cessation de l'indexation des rentes en cas de résiliation de l'adhésion étaient contraires aux dispositions d'ordre public de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1989 et devaient être réputées non écrites.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
18. L'institution de prévoyance fait grief à l'arrêt du 25 janvier 2018 de rejeter toutes autres demandes, et notamment l'action en responsabilité civile exercée par l'institution de prévoyance contre M. C..., alors « que la responsabilité du participant, qui a effectué une fausse déclaration intentionnelle du risque avant la conclusion d'un contrat d'adhésion auprès d'une institution de prévoyance, ne peut être recherchée que sur le fondement de la responsabilité délictuelle ; que, dès lors, en estimant qu'en application du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, l'institution Humanis prévoyance, qui était liée à M. E... C... par un contrat d'adhésion, ne pouvait rechercher la responsabilité de ce dernier dans l'exécution de ses obligations à son égard sur le fondement de la responsabilité délictuelle, après avoir pourtant constaté que l'institution Humanis prévoyance recherchait la responsabilité de M. E... C... à raison de sa fausse déclaration intentionnelle du risque, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
19. Lorsqu'en application de l'article L. 932-7, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, l'institution de prévoyance doit sa garantie, nonobstant la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle d'un participant dès lors que l'adhésion résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel, cette institution de prévoyance ne peut échapper à son obligation de garantie en invoquant la responsabilité civile du salarié participant.
20. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'institution de prévoyance Humanis prévoyance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt et signé par lui et Mme Gelbard Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Humanis prévoyance, institut de prévoyance
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief au premier arrêt attaqué (CA Paris, 9 mars 2017) d'AVOIR dit recevable l'intervention volontaire en cause d'appel de la SARL Florimo ;
AUX MOTIFS QUE la société Florimo affirme avoir un intérêt à agir par la voie de l'intervention volontaire en cause d'appel dès lors qu'il est demandé la nullité de contrats qu'elle a conclu avec l'institution de prévoyance et qu'en application notamment des articles 4 du code de procédure civile et 6-1 de la convention européenne des droits de l'homme, l'exception de nullité du contrat ne peut être jugée en l'absence du souscripteur du contrat d'assurance lorsqu'il est différent de l'assuré ; que l'institution Humanis Prévoyance sollicite devant la cour l'application à M. C... des sanctions prévues en cas de fausse déclaration intentionnelle et ne demande pas que soit prononcée la nullité des contrats d'adhésion souscrits par la société Florimo avec Apri Prévoyance ; que toutefois, force est de constater qu'aux termes de ses conclusions, la société Florimo appuie les prétentions de M. C... et qu'elle a intérêt à voir trancher la question de l'applicabilité de l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale aux contrats d'adhésion qu'elle a souscrits pour en faire bénéficier son salarié ; que, dans ces conditions, en application de l'article 330 du code de procédure civile, l'intervention accessoire de la société Florimo est recevable ;
ALORS QUE l'intervention accessoire est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir les prétentions d'une partie ; que, dès lors, en affirmant, pour admettre l'intervention accessoire de la société Florimo, qu'aux termes de ses conclusions, cette dernière appuyait les prétentions de M. E... C... et qu'elle avait intérêt à voir trancher la question de l'applicabilité de l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale aux contrats d'adhésion qu'elle a souscrits pour en faire bénéficier son salarié, sans caractériser en quoi la société Florimo avait un intérêt à intervenir pour la conservation de ses droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 330 du code de procédure civile ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief aux arrêts attaqués ( CA Paris 9 mars 2017 et CA Paris, 25 janvier 2018) d'AVOIR condamné l'institution Humanis Prévoyance venant aux droits de l'institution Apri Prévoyance à verser à M. E... C... les sommes suivantes : 972 294,79 euros au titre de la rente invalidité revalorisée, somme de laquelle il conviendra de déduire, avant paiement les CSG, CRDS et CASA dues par les textes en vigueur ; 665 799,68 euros au titre du capital IAD ; 1 878 520,58 euros au titre des rentes éducation revalorisées et arrêtées au 30 septembre 2017, somme de laquelle il conviendra de déduire, avant paiement, les CSG, CRDS et CASA dues par les textes en vigueur ;
Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du 12 juillet 2004 sur les sommes afférentes aux rentes dues pour les mois d'avril, mai et juin 2004 et pour chaque échéance de rente ultérieure à compter de sa date d'exigibilité ;
Ordonne la capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1154 devenu 1343-2 du code civil ;
Condamne l'institution Humanis prévoyance à maintenir le versement des rentes éducation revalorisées pour les enfants U... et N... à partir du 1er octobre 2017 jusqu'à l'âge de 26 ans à charge pour M. C... de justifier qu'ils poursuivent leurs études supérieures et qu'ils sont toujours à sa charge, ceci par envoi des justificatifs par lettre recommandée avec accusé de réception au début de chaque année concernée ;
Condamne l'institution Humanis prévoyance à verser à M. C... la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS DE L'ARRÊT AVANT-DIRE DROIT DU 9 MARS 2017 QU'aux termes de son nouvel article 1er, alinéa 1, la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 s'applique aux opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité de la personne physique ou liés à la maternité ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité ou du risque chômage ; que l'alinéa 2 de la loi prévoit que ces opérations ne peuvent être mises en oeuvre que par certains organismes limitativement énumérés, au nombre desquels se trouvent les entreprises régies par le code des assurances, les institutions de prévoyance relevant du code de la sécurité sociale ou du code rural et les mutuelles du code de la mutualité ; qu'aux termes de l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale, créé par la loi n° 94-678 du 8 août 1994, Lorsque la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle du participant change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour cette institution, alors même que le risque omis ou dénaturé par le participant a été sans influence sur la réalisation du risque, la garantie accordée par l'institution à ce participant est nulle. Les cotisations payées à ce titre demeurent acquises à l'institution. Les dispositions de l'alinéa qui précède ne sont pas applicables aux opérations dépendant de la durée de la vie humaine qui comportent une valeur de rachat. Lorsque l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel, les dispositions des deux premiers alinéas ne s'appliquent pas ; que ces dispositions délimitant les cas dans lesquels une sanction est prévue pour fausse déclaration intentionnelle du participant à un contrat collectif de prévoyance à adhésion obligatoire proposé par le une institution de prévoyance, sont applicables à une opération régie par la loi du 31 décembre 1989, lorsque l'organisme assureur est une institution de prévoyance relevant du code de la sécurité sociale ; qu'en l'espèce, les régimes de prévoyance complémentaire des trois sociétés gérées par M. C... ont été mis en oeuvre en application des dispositions de l'article 7 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 faisant obligation aux employeurs de souscrire un régime de prévoyance complémentaire pour leurs cadres salariés ; qu'ils ont été souscrits auprès de l'institution de prévoyance APRI Prévoyance régie par le code de la sécurité sociale ; que les dispositions de l'article L. 932-7 alinéa 4 sont donc applicables ; qu'en effet, après avoir rappelé que la loi du 8 août 1994, dite loi Veil qui a transposé les directives n° 92-49 et 92-96 des 18 t 10 novembre 1992 du Conseil des communautés européennes, avait pour objet de compléter et de renforcer la protection des salariés mise en place par la loi du 31 décembre 1989, dite loi Évin, dans le domaine de la protection sociale complémentaire, puis observé que la rédaction de cet article de loi est claire et sans ambiguïté, ce serait ajouter à la loi que de dire ces dispositions inapplicables à la situation de M. C... en raison de la liberté laissée à l'entreprise adhérente de choisir l'institution de prévoyance ou de la société d'assurance auprès de laquelle les garanties doivent être souscrites ou de la souscription par l'entreprise d'une garantie supérieure à la garantie légale obligatoire ou encore de la souscription au bénéfice d'une seule personne dès lors que l'entreprise ne salarie qu'un unique cadre ; que par conséquent, la discussion portant sur la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de M. C..., cadre bénéficiaire de ces adhésions, est sans conséquence sur la solution du litige ;
ET AUX MOTIFS DE L'ARRÊT DU 25 JANVIER 2018 QU'aux termes de sa motivation, la cour a dit que les dispositions de l'article L. 932-7 alinéa 4 du code de la sécurité sociale sont applicables à la cause dès lors que les régimes de prévoyance complémentaire des trois sociétés gérées par M. C... ont été mis en oeuvre en application des dispositions de l'article 7 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 faisant obligation aux employeurs de souscrire un régime de prévoyance complémentaire pour leurs cadres salariés et qu'il en résulte que la discussion portant sur la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de M. C..., cadre bénéficiaire des adhésions à trois contrats de prévoyance couvrant les risques d'incapacité, de décès et d'invalidité absolue et définitive, souscrits auprès de la société Apri prévoyance aux droits de laquelle vient l'institution Humanis prévoyance, est sans conséquence sur la solution du litige ; qu'elle a aussi relevé qu' « En l'état des pièces produites, force est de constater que l'institution Humanis prévoyance fixe les sommes dues à M. C... jusqu'au 31 décembre 2007 en application des trois contrats de prévoyance complémentaire souscrits par les sociétés [...] , Société d'exploitation des magasins de détail [...] et Florimo qui ont fait l'objet d'une extension valable à la tranche C ainsi : ...( Suit l'indication des sommes proposées par l'institution de prévoyance) » ; que la nullité du jugement n'est pas encourue dès lors que, contrairement aux affirmations de la société Florimo, les premiers juges n'ont pas statué sur la nullité des contrats souscrits par elle auprès de la société Apri prévoyance mais ont constaté que la société de prévoyance était en droit de se prévaloir de la nullité des garanties accordées à M. C..., bénéficiaire des contrats, en application des articles 2 de la loi du 31 décembre 1999 et de l'article 932-7 du code de la sécurité sociale ; que par ailleurs, les développements effectués à nouveau par l'institution Humanis prévoyance aux termes de ses dernières conclusions signifiées après l'arrêt du 9 mars 2017 sur l'application de l'article L. 932-7 alinéa 4 du code de la sécurité sociale excèdent l'autorisation qui a été donnée aux parties aux termes du dispositif de cet arrêt de formuler des observations, lesquelles devaient nécessairement porter sur la seule production de pièces par M. C... et sur la présentation de calculs détaillés par l'institution de prévoyance ; qu'après avoir posé, aux termes de l'arrêt du 9 mars 2017, le principe de l'application des dispositions de l'article L. 932-7 alinéa 4 du code de la sécurité sociale aux contrats de prévoyance souscrits au bénéfice de M. C..., y compris les extensions de garantie, la cour qui relève que ces dispositions ne se référant qu'à la seule adhésion à l'institution de prévoyance sans distinguer entre les niveaux de garantie, ce serait ajouter à la loi que de les appliquer aux seules garanties minimum prévues par la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947, doit statuer sur le montant des rentes et capitaux dus en application des contrats souscrits au bénéfice de M. C... ; qu'à la date de survenue du risque, soit l'accident du travail du 11 mai 1999 ayant entraîné un arrêt de travail puis une décision de la CPAM le 10 avril 2000 de placement en incapacité à 80%, transformée, le 18 juin 2000, en incapacité permanente de 100% avec nécessité d'assistance d'une tierce personne, les contrats souscrits auprès de l'institution Humanis prévoyance garantissaient les tranches A, B et C, l'extension de garantie à la tranche C ayant été formalisée par trois contrats signés le 28 août 1998 ; que M. C... accepte le récapitulatif établi par l'institution Humanis prévoyance pour les salaires de référence et les plafonds de la sécurité sociale ; que ce document fait apparaître au titre des salaires de référence, de mai 1998 à avril 1999, un total de : - 480 000 francs, soit 73 175,53 euros, versés par la SARL Florimo, - 917 255 francs, soit 139 834,62 euros, versés par la société [...] , - 787 706 francs, soit 120 085,01 euros, versés par la [...] ; qu'il fait ressortir le plafond de la sécurité sociale à 1 364 800 francs, soit 208 062,40 euros, pour la tranche C que l'institution Humanis prévoyance a procédé au calcul des garanties dues avec l'extension à la tranche C dans un document intitulé « RÉCAPITULATIF HYPOTHÈSE N°1 », faisant apparaître un capital dû à M. C..., après déduction d'une provision de 69 608,38 euros versée en 2004, s'élevant à la somme nette de 3 040 699,15 euros et des rentes éducation à régler sous réserve de la poursuite de la scolarité jusqu'au terme de la rente s'élevant à la somme nette de 506 059,43 euros ; que M. C... ne conteste ces calculs que sur trois points : la revalorisation des rentes invalidité absolue et définitive ( IAD ) et des rentes éducation, le doublement du capital décès-IAD et le caractère brut des sommes offertes ; que, sur la revalorisation des rentes IAD et éducation : M. C... reproche à l'institution Humanis prévoyance d'avoir, de manière définitive, fixé les montants de ces rentes à la date de résiliation des contrats, soit le 31 décembre 2004, alors d'une part que cette résiliation est intervenue quand il n'y avait « aucune prestation en cours » par la faute exclusive de l'institution de prévoyance qui avait refusé de remplir ses obligations contractuelles et ne répondait pas à ses demandes légitimes, le contraignant à saisir la justice et d'autre part, que la clause de l'article 6 § B des conditions générales qui prévoit la cessation des droits et des effets de la revalorisation des rentes à la date de la résiliation du contrat lui est inopposable et réputée non écrite comme étant contraire à l'article 7 de la loi du 31 décembre 1989 d'ordre public ; que l'institution Humanis prévoyance considère que les conditions générales du contrat de prévoyance collective à adhésion obligatoire sont parfaitement compatibles avec l'article 7 de la loi du 31 décembre 1989 ; que si en vertu de l'article 12 des conditions générales des contrats de prévoyance, les rentes éducation et invalidité sont revalorisables, l'article 6 paragraphe B de ces mêmes conditions générales, intitulé « Sort des prestations en cours de service en cas de cessation des droits du participant », stipule que « Dans tous les cas, les prestations en cours de service à la date de cessation des droits du participant sont maintenues dans leur montant atteint à cette date », que « La clause de revalorisation prévue à l'article 12 continue de produire ses effets tant que l'adhésion reste en vigueur » mais que « En cas de résiliation de l'adhésion, la clause de revalorisation cesse de produire ses effets » ; que cependant, l'article 7 de la loi du 31 décembre 1989 dite loi Evin, maintenu dans une rédaction identique par la loi du 8 Août 1994 dite loi Veil, dispose que : « Lorsque des assurés ou des adhérents sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d'incapacité ou d'invalidité, la résiliation ou le non-renouvellement du contrat ou de la convention est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution. ; Le versement des prestations de toute nature se poursuit à un niveau au moins égal à celui de la dernière prestation due ou payée avant la résiliation ou le non- renouvellement, sans préjudice des révisions prévues dans le contrat ou la convention. De telles révisions ne peuvent être prévues à raison de la seule résiliation ou du seul non-renouvellement (...) » ; que le principe de l'indexation prévue à l'article 12 des conditions générales étant acquis à l'ouverture des droits à prestation, les dispositions contractuelles qui prévoient la cessation de l'indexation des rentes en cas de résiliation de l'adhésion sont donc incompatibles avec cet article 7 d'ordre public ; qu'il en résulte que la clause contractuelle prévoyant la cessation des effets de la clause de revalorisation en cas de résiliation de l'adhésion doit être réputée non écrite, l'institution Humanis prévoyance étant tenue au versement des prestations dont les droits étaient ouverts à la résiliation des contrats de prévoyance, ces droits prévoyant la revalorisation des rentes telles que prévue aux contrats ( article 12) ; que, sur le doublement du capital décès-IAD, les parties ne s'opposent pas sur le calcul du capital décès, dû à M. C... du fait de son incapacité absolue et définitive en application de l'article 16 B des conditions générales des contrats, qui ressort à la somme de 665 799,68 euros au total pour les trois contrats ; mais que M. C... sollicite le doublement de ce capital au titre de la majoration prévue en cas de décès par accident, faisant valoir qu'aux termes d'attestations qu'elle lui a délivrées le 28 mai 1999, Apri prévoyance avait prévu le doublement du capital en cas d'invalidité absolue et définitive à la suite d'un accident, que les conditions contractuelles de cette majoration sont remplies dès lors qu'il a bien été victime d'un accident du travail, qu'au demeurant l'institution Humanis prévoyance est forclose à lui opposer une déchéance à garantie en application de l'art. L. 932-13 du code de la sécurité sociale ; que l'institution Humanis prévoyance répond qu'à la date de résiliation des contrats, soit le 31 décembre 2004, M. C... n'était plus couvert contre le décès accidentel, qu'aux termes des conditions générales, une telle majoration n'est pas versée si l'invalidité est due à un accident, qu'au demeurant, l'accident du travail dont M. C... fait état ne correspond pas à la définition de l'accident ouvrant droit à la majoration du capital ; qu'il ressort clairement de l'article 16 B des conditions générales des contrats que « La Majoration Décès par Accident n'est pas versée si l'invalidité est due à un accident » ; que la demande de doublement du capital décès versé par anticipation doit être rejetée ; que, sur le caractère brut ou net des sommes dues, M. C... fait observer qu'au vu de son récapitulatif des sommes dues, l'institution Humanis prévoyance a déduit d'importantes sommes pour un total de 343 990,92 euros au titre des diverses cotisations sociales (CSG, CRDS, CASA), qu'elle ne pouvait procéder ainsi alors que les cotisations sont calculées à partir des salaires bruts, qu'il est contractuellement garanti des prestations brutes (article 10 des conditions générales ) et que les contrats ne prévoyaient pas expressément la retenue par l'institution de prévoyance des cotisations sociales ; que l'institution Humanis prévoyance réplique que les prestations versées à l'adhérent ne peuvent en aucun cas dépasser 100% du salaire de référence net à la date de l'arrêt de travail, que la CSG et la CRDS ont été déduites en application des articles L.136-1 à L. 136-8 du code de la sécurité sociale et de l'article 14 de la loi n°96-50 du 24 janvier 1996 ; que l'exonération de CSG et de CRDS ne s'applique qu'aux rentes et capitaux servis par la sécurité sociale à la suite d'un accident du travail, de sorte que ceux qui sont servis par un organisme de prévoyance sont bien assujettis à ces deux contributions qui sont prélevées à la source ; qu'il ne peut donc être reproché à l'institution Humanis prévoyance de proposer le versement de rentes et capitaux nets de toute contribution fiscale ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que la cour est en mesure de déterminer les sommes dues à M. C... sans avoir recours à une mesure d'expertise et que l'institution Humanis prévoyance doit verser à M. C... en exécution des contrats de prévoyance souscrits par les sociétés Florimo, [...] et Société d'exploitation des magasins de détail [...] les sommes suivantes : - 972 294,79 euros au titre de la rente invalidité revalorisée, somme de laquelle il conviendra de déduire, avant paiement, les CSG, CRDS et CASA dues ; - 665 799,68 euros au titre du capital IAD ; -1 878 520,58 euros au titre des rentes éducation revalorisées et arrêtées au 30 septembre 2017, somme de laquelle il conviendra de déduire, avant paiement, les CSG, CRDS et CASA dues ; que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure du 12 juillet 2004 sur les sommes afférentes aux rentes dues pour les mois d'avril, mai et juin 2004 et pour chaque échéance de rente ultérieure à compter de sa date d'exigibilité ; que par ailleurs, M. C... est bien fondé à solliciter la condamnation de l'institution de prévoyance à verser les rentes éducation revalorisées, dues à partir d'octobre 2017 pour les enfants U... et N... dans les conditions décrites au dispositif ;
1°) ALORS QUE lorsque la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle du participant à une opération collective change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'institution de prévoyance, la garantie accordée par l'institution à ce participant est nulle, même si le risque omis ou dénaturé par le participant a été sans influence sur la réalisation du risque ; que l'exception à cette règle ne concerne que les hypothèses dans lesquelles « l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou accord professionnel ou interprofessionnel », c'est-à-dire d'une désignation ou d'une recommandation de l'institution par une convention de branche ou un accord professionnel ; qu'en l'espèce, l'article 7 de la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 fait obligation aux employeurs de souscrire un régime de prévoyance complémentaire pour leurs cadres salariés tout en les laissant libres de choisir l'institution à laquelle ils désirent adhérer ; que, dès lors, en retenant, pour refuser à l'institution Humanis Prévoyance le droit d'invoquer la nullité des garanties accordées à M. E... C..., que ce serait ajouter à la loi que de dire les dispositions de l'article L. 932-7, alinéa 4, du code de la sécurité sociale inapplicables à la situation de M. E... C... en raison de la liberté laissée à l'entreprise adhérente de choisir l'institution de prévoyance ou la société d'assurance auprès de laquelle les garanties doivent être souscrites, la cour d'appel a violé l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale ;
2°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, lorsque la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle du participant à une opération collective change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'institution de prévoyance, la garantie accordée par l'institution à ce participant est nulle, même si le risque omis ou dénaturé par le participant a été sans influence sur la réalisation du risque ; que l'exception à cette règle ne concerne que les hypothèses dans lesquelles « l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou accord professionnel ou interprofessionnel » et ne s'applique donc pas à la fraction des garanties qui dépasse l'obligation imposée par la convention de branche ou l'accord professionnel ; que, dès lors, en retenant, pour refuser à l'institution Humanis Prévoyance tout droit d'invoquer la nullité des garanties accordées à M. E... C..., que ce serait ajouter à la loi que de dire les dispositions de l'article L. 932-7, alinéa 4, du code de la sécurité sociale inapplicables à la situation de M. E... C... en raison de la souscription par l'entreprise d'une garantie supérieure à la garantie légale obligatoire, la cour d'appel a violé l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale ;
3°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, lorsque la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle du participant à une opération collective change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'institution de prévoyance, la garantie accordée par l'institution à ce participant est nulle, même si le risque omis ou dénaturé par le participant a été sans influence sur la réalisation du risque ; que l'exception à cette règle, ne concernant que les hypothèses dans lesquelles « l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou accord professionnel ou interprofessionnel », ne s'applique pas lorsque le groupe de salariés à garantir est uniquement composé de l'employeur souscripteur ; que, dès lors, en retenant, pour refuser à l'institution Humanis Prévoyance tout droit d'invoquer la nullité des garanties accordées à M. E... C..., que ce serait ajouter à la loi que de dire les dispositions de l'article L. 932-7, alinéa 4, du code de la sécurité sociale inapplicables à la situation de M. E... C... en raison de la souscription au bénéfice d'une seule personne dès lors que l'entreprise ne salarie qu'un unique cadre, la cour d'appel a violé l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale ;
4°) ALORS QUE, SUBSIDIAIREMENT, lorsque des participants sont garantis collectivement contre les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, le risque décès ou les risques d'incapacité ou d'invalidité, la résiliation du contrat d'adhésion est sans effet sur le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées durant son exécution ; que le versement des prestations de toute nature se poursuit à un niveau au moins égal à celui de la dernière prestation due ou payée avant la résiliation ou le non-renouvellement, sans préjudice des révisions prévues dans le contrat ou la convention ; qu'il en résulte que le contrat peut valablement prévoir qu'en cas de résiliation, la clause de revalorisation cesse de produire ses effets dès lors que le versement des prestations se poursuit au niveau de la dernière prestations due ou payée ; que, par conséquent, en affirmant que la clause de l'article 6 § B des conditions générales des contrats de prévoyance prévoyant la cessation de l'indexation des rentes en cas de résiliation de l'adhésion était incompatible avec l'article 7 de la loi n° 1989-1009 du 31 décembre 1989, la cour d'appel a violé ce dernier article, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief au second arrêt attaqué (CA Paris, 25 janvier 2018) d'AVOIR rejeté toutes autres demandes et notamment l'action en responsabilité civile exercée par Humanis Prévoyance contre M. C... ;
AUX MOTIFS QUE l'institution Humanis Prévoyance invoque les dispositions de la responsabilité civile, « en ce compris les dispositions de l'article 1240 du code civil », pour solliciter la condamnation de M. C... qui a commis une fauss déclaration intentionnelle ayant entraîné pour elle le préjudice résultant des condamnations précuniaires mises à sa charge à lui verser, par voie de compensation, l'intégralité de ces condamnations ; que M. C... rétorque que cette demande est irrecevable parce qu'elle est nouvelle, formée apr une personne dépourvue du droit d'agir, l'assureur ne pouvant plus opposer une quelconque fraude, fausse déclaration ou omission du salarié en application de l'article L. 932-7, alinéa 4 du code de la sécurité sociale, constitutive d'une fraude et d'une violation de la loi, dénuée de tout fondement en fait et contraire au principe « nemo auditur » ; que la demande formée par l'institution Humanis Prévoyance aux fins de dommages et intérêts destinée à venir compenser sa condamnation aux sommes dues en application des contrats de prévoyance est recevable sur le fondement de l'article 564 du code civil ; que les dispositions de l'article L. 932-7 alinéa 4 du code de la sécurité sociale n'ont pas vocation à ôter à l'institution tout qualité à agir à l'encontre du bénéficiaire d'un contrat de prévoyance souscrit en application d'une obligation prévue par une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel, de sorte qu'aucune fin de non-recevoir pour défaut de qualité ou d'intérêt à agir ne peut être retenue ; qu'après avoir constaté que les autres moyens d'irrecevabilité sont en réalité des arguments portant sur le fond, la cour rejette la fin de non-recevoir soulevée par M. C... ; qu'en application du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, l'institution Humanis Prévoyance, qui est liée à M. C... par un contrat d'adhésion, ne peut rechercher la responsabilité de ce dernier dans l'exécution de ses obligations à son égard sur le fondement de la responsabilité délictuelle telle qu'énoncée à l'article 1382 devenu 1240 du code civil ; que sa demande de compensation doit être rejetée comme mal fondée ;
ALORS QUE la responsabilité du participant, qui a effectué une fausse déclaration intentionnelle du risque avant la conclusion d'un contrat d'adhésion auprès d'une institution de prévoyance, ne peut être recherchée que sur le fondement de la responsabilité délictuelle ; que, dès lors, en estimant qu'en application du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, l'institution Humanis Prévoyance, qui était liée à M. E... C... par un contrat d'adhésion, ne pouvait rechercher la responsabilité de ce dernier dans l'exécution de ses obligations à son égard sur le fondement de la responsabilité délictuelle, après avoir pourtant constaté que l'institution Humanis Prévoyance recherchait la responsabilité de M. E... C... à raison de sa fausse déclaration intentionnelle du risque, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil ; | L'exception prévue par l'article L. 932-7 du code de la sécurité sociale aux sanctions qu'il édicte lorsque l'adhésion à l'institution résulte d'une obligation prévue par une convention de branche ou un accord professionnel ou inter-professionnel n'opérant aucune distinction selon les modalités de désignation de l'institution, le niveau des garanties souscrites, le nombre ou la qualité des salariés bénéficiaires, c'est par une juste application de ce texte, qu'une cour d'appel décide que les dispositions de son dernier alinéa s'appliquaient même si l'employeur conservait le choix de l'institution de prévoyance, s'il n'avait pas souscrit les seules garanties minimales prévues par la convention collective nationale et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et si le groupe assuré était composé d'un unique cadre salarié |
450 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 699
Pourvoi n° R 19-18.145
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
La société [...], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° R 19-18.145 contre l'ordonnance rendue le 19 avril 2019 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 6), dans le litige l'opposant à la société Parc Montmorency, société civile immobilière, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société [...], de la SCP Richard, avocat de la société Parc Montmorency, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, et Mme Cos, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 19 avril 2019), la société Immobilière Parc Montmorency (SIPM) a confié la défense de ses intérêts dans un litige relatif au recouvrement d'appels de fonds à la société [...] (l'avocat). A la suite d'un différend sur le montant des honoraires, la SIPM a saisi le bâtonnier de l'ordre d'une contestation de ceux-ci.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. L'avocat fait grief à l'ordonnance de fixer à la seule somme de 26 163,59 euros hors-taxes le reliquat des honoraires dus par la SIPM et, en conséquence, de la condamner à lui verser cette somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 février 2016 et de la TVA au taux de 20 %, alors « que le juge de l'honoraire n'est pas habilité à se prononcer sur une éventuelle responsabilité de l'avocat envers son client, qui serait liée à un prétendu manquement à son devoir de conseil et d'information quant aux conditions de sa rémunération et à l'évolution prévisible de ses honoraires ; que dès lors, en retenant, pour réduire les honoraires dus par SIPM au cabinet ... au titre du dossier F... à la somme de 20 000 euros, que ce dernier n'avait pas informé sa cliente, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à son obligation d'information pouvait conduire à une réfection des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge, le premier Président de la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret du 27 novembre 1991. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 :
3. La procédure spéciale prévue par le second de ces textes ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats. Il en résulte que le bâtonnier et, sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information.
4. Pour fixer à la somme de 20 000 euros hors-taxes les honoraires dus dans le dossier SIPM/F..., soit un reliquat à devoir de 7 925 euros après versement des provisions, l'ordonnance énonce que dans ce dossier, la SIPM n'a jamais été informée, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à l'obligation d'information préalable du client concernant le tarif horaire pratiqué ne peut aboutir à priver l'avocat de toute rémunération mais peut conduire à une réfaction des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge.
5. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. L'avocat fait grief à l'ordonnance de fixer à la seule somme de 26 163,59 euros hors-taxes le reliquat des honoraires dus par la SIPM et de la condamner, en conséquence à lui verser seulement cette somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 février 2016 et de la TVA au taux de 20 %, alors « que le juge de l'honoraire n'a pas le pouvoir de se prononcer sur une éventuelle responsabilité de l'avocat à l'égard de son client liée au manquement à son devoir de conseil et d'information quant aux conditions de sa rémunération et à l'évolution prévisible de ses honoraires ; que dès lors, en retenant, pour réduire les honoraires dus par SIPM au cabinet ... au titre du dossier « Divers » à la somme de 35 000 euros, que ce dernier n'avait pas informé sa cliente, autrement qu'à la réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à son obligation d'information pouvait conduire à une réfection des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge, le premier Président de la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret du 27 novembre 1991. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 :
7. La procédure spéciale prévue par le second de ces textes ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats. Il en résulte que le bâtonnier et, sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information.
8. Pour fixer à la somme de 35 000 euros hors-taxes les honoraires dus dans le dossier « Divers » soit un reliquat à devoir de 16 310 euros après versement des provisions, l'ordonnance énonce que dans ce dossier, la SIPM n'a jamais été informée, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à l'obligation d'information préalable du client concernant le tarif horaire pratiqué ne peut aboutir à priver l'avocat de toute rémunération mais peut conduire à une réfaction des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge.
9. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 19 avril 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Immobilière Parc Montmorency aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Immobilière Parc Montmorency et la condamne à payer à la société [...] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt et par lui et Mme Gelbard-Le Dauphin, conseiller doyen, en remplacement du conseiller référendaire rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société [...]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir fixé à seulement la somme de 26 163,59 € hors-taxes le reliquat des honoraires dus par la SIPM à la société ... et, en conséquence, d'avoir condamné celle-là à lui verser cette somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 février 2016 et de la TVA au taux de 20% ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Les parties n'ayant pas signé de convention, les honoraires revenant à l'avocat doivent être fixés, hors le cas des interventions au forfait, en application des critères de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction applicable à la date des faits, c'est-à-dire selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de la notoriété et des diligences de celui-ci. L'avocat doit informer son client dès sa saisine et régulièrement ensuite, des modalités de détermination de ses honoraires ainsi que de l'évolution prévisible de leur montant conformément à l'article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 dans sa rédaction applicable à la date des faits ; s'il n'appartient pas au juge de l'honoraire d'apprécier la qualité des diligences accomplies, il lui revient par contre d'en vérifier l'utilité au regard de la mission confiée à l'avocat. (
) La société immobilière parc Montmorency admet le principe d'un dépassement de l'honoraire forfaitaire convenu mais elle estime que les sommes déjà versées, soit 12 075 € HT au total, correspondent aux diligences peu nombreuses effectivement accomplies, l'évaluation du temps passé étant très excessive et en disproportion avec l'enjeu financier des litiges, alors qu'elle n'a jamais été informée du mode de calcul des honoraires au-delà du forfait. La société d'avocats ... réplique que la gestion des contestations opposées par M. F..., lui-même avocat, a généré un temps de travail considérable de nombreuses diligences dont elle justifie avec précision ce qui justifie pleinement le montant réclamé, son ancienne cliente ayant été tenue informée du taux horaire pratiqué. Contrairement à ce que soutient la société immobilière parc Montmorency, elle a bien été informée du taux horaire pratiqué par le cabinet d'avocat par courriel du 4 février 2015 (pièce 163 ...). Elle a d'ailleurs réglé sans difficulté les trois premières factures des 30 novembre 2014, 31 janvier 2015 du 28 février 2015. Il est toutefois exact qu'elle n'a jamais été informée, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires. Ce manquement à l'obligation rappelée à titre liminaire ne peut aboutir à priver l'avocat de toute rémunération, mais il peut conduire à une réfaction des honoraires réclamés, dans une proportion appréciée par le juge. La société d'avocat produit un état des diligences accomplies entre le 2 novembre 2014 et le 15 juin 2015 faisant apparaître les temps d'entretien physique et téléphonique, de rédaction de courriels, d'étude du dossier de recherche documentaire, de rédaction de conclusions, de préparation et d'assistance aux audiences pour un total de 175 heures et 2 minutes, le taux horaire variant de 300 à 450 euros HT en fonction de l'expérience de l'intervenant. Il y est joint copie de très nombreux courriels adressés et reçus, certains étant particulièrement charpentés, mais d'autres au contraire très laconiques, qui illustrent les diligences revendiquées. Concrètement, l'avocat est intervenu, jusqu'à son dessaisissement, dans les domaines suivants : - la défense à l'opposition à injonction de payer formée par M. F... dans le cadre de laquelle ce dernier s'était constitué dans son propre intérêt comportant l'étude de deux jeux de conclusions de 16 pages et des 21 pièces jointes, - la saisine de la juridiction ordinale d'un référé déontologique qui aboutira à l'obligation pour M. F... de saisir un avocat du litige lequel il était directement impliqué, - le contentieux avec M. F... se traduisant par un échange de courriels particulièrement fournis et la rédaction d'un courrier dactylographié modifié à plusieurs reprises. Si le fait que le temps passé excède l'enjeu financier du litige n'est pas en soi un motif de réduction des honoraires et qu'il est incontestable que la gestion du dossier « F... » a pris une ampleur sans commune mesure avec le forfait initialement convenu comme l'indique à juste titre le bâtonnier, il reste que l'évaluation unilatérale du temps passé au regard des diligences effectivement accomplies est excessive. Ainsi : - la description des différentes actions est souvent très vague (« suivi, « suivi général du dossier », « call », « classement », « debrief », « recherche » etc
) de sorte qu'il est impossible de vérifier la réalité et la consistance de l'action entreprise. - la rédaction de la mise en demeure, incluant recherche et projets, est comptabilisée pour un total de plus de 15 heures, celle d'une lettre en réponse aux mises en demeure de M. F... à plus de 13 heures et celle destinée à la commission de déontologie à 8 heures. - de nombreux intitulés sont très proches les uns des autres. C'est donc à bon droit que le Bâtonnier a fixé la rémunération de la société d'avocat dans ce dossier à la somme de 20 000 euros HT soit un reliquat à devoir de 7 925 euros d'après déduction des provisions versées pour un total de 12 075 euros » ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTES QU'« un cinquième dossier concerne Monsieur F..., à l'origine dit classique de recouvrement d'appels de fonds impayés pour lequel la SELARL ... a, dans un premier temps, délivré une injonction de payer sur laquelle le débiteur a fait opposition ; qu'un problème déontologique est survenu dans la mesure où Monsieur F..., avocat, s'est constitué pour lui-même et pour son cabinet d'avocats, l'AARPI TOLOMEI AVOCATS ; que cette difficulté ordinale a donné au suivi par la SELARL ... d'un dossier devant le Conseil de l'Ordre par le biais d'un référé déontologique ; que parallèlement et à la demande de la SIPM, la SELARL ... a été amenée à intervenir à partir de la fin du mois de janvier 2015 dans le cadre de réunion avec Monsieur F..., débiteur, et d'autres actionnaires, à adresser de multiples projets de lettres pour répondre aux diatribes de ce dernier ; que la SELARL ... précise qu'au total elle a facturé, honoraires et frais, la somme de 32 235,00 € hors taxes, soit 29 235,00 € hors taxes de plus que le forfait prévu initialement ; que cependant il ressort des pièces versées aux débats que ce dossier de recouvrement de charges particulièrement complexe du fait de l'obstruction du débiteur a pris une ampleur sans commune mesure avec le montant du forfait initialement convenu ; que d'ailleurs un certain nombre de factures émises hors forfaits ont été librement réglées par la SIPM sans aucune contestation ; qu'en effet, a été réglée honoraires et frais, la somme de 12 075,00 € hors-taxes alors qu'est réclamée aujourd'hui la somme de 32 235,00 € hors taxes ; que ce montant apparaît cependant excessif au regard des diligences accomplies ; qu'il conviendra donc de ramener le montant des honoraires dans ce dossier à la somme totale hors taxe de 20 000 €, déduction faite de la somme de 12 000,00 € hors-taxes réglée soit un solde d'honoraires de 7 925,00 € hors-taxes » ;
1°) ALORS QUE le juge de l'honoraire n'est pas habilité à se prononcer sur une éventuelle responsabilité de l'avocat envers son client, qui serait liée à un prétendu manquement à son devoir de conseil et d'information quant aux conditions de sa rémunération et à l'évolution prévisible de ses honoraires ; que dès lors, en retenant, pour réduire les honoraires dus par SIPM au cabinet ... au titre du dossier F... à la somme de 20 000 €, que ce dernier n'avait pas informé sa cliente, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à son obligation d'information pouvait conduire à une réfection des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge, le premier Président de la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ;
2°) ALORS, subsidiairement, QUE le paiement libre et spontané des honoraires par le client à réception de factures adressées après services rendus ne peut être remis en cause ; que dès lors, en réduisant les honoraires dus par SIPM au cabinet ... au titre de l'ensemble des diligences ayant été effectuées dans le dossier F... entre le 2 novembre 2014 et le 15 juin 2015, à la somme de 20 000 €, après avoir pourtant constaté que la SIPM avait réglé sans difficulté après services rendus les trois premières factures des 30 novembre 2014, 31 janvier 2015 et 28 février 2015, d'un montant total de 12 075 €, ce dont il se déduisait que seuls les honoraires versés au titre des diligences postérieures au 28 février 2015 pouvaient faire l'objet d'une appréciation par le juge, le premier Président de la cour d'appel a violé l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 1134 du Code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
3°) ALORS, en outre, QUE il est interdit au juge de dénaturer les pièces versées aux débats ; qu'en l'espèce, les factures établies les 30 novembre 2014, 31 janvier 2015 et 28 février 2015, dans le dossier « F... » et spontanément payées par la société SIPM, précisaient que les honoraires dus correspondaient à des services rendus dans le dossier en référence pour la période du 1er novembre 2014 au 28/02/2015 et comportaient une description détaillée des diligences effectuées ; que dès lors, en qualifiant ces sommes de « provisions » devant seulement être déduites du montant global de l'honoraire fixé, pour l'ensemble des diligences ayant été effectuées dans le dossier « F... » entre le 2 novembre 2014 et le 15 juin 2015 à 35 000 €, le premier Président de la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis des factures précitées, et violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
4°) ALORS, encore plus subsidiairement, QUE tout jugement ou arrêt doit être motivé, à peine de nullité ; que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, pour réduire les honoraires dus par SIPM au cabinet ... au titre du dossier F... à la somme de 20 000 €, le premier Président de la cour d'appel a retenu que l'évaluation unilatérale du temps passé au regard des diligences effectivement accomplies était excessive dans la mesure où « la description des différentes actions est souvent très vague (« suivi, « suivi général du dossier », « call », « classement », « debrief », « recherche » etc
) de sorte qu'il (serait) impossible de vérifier la réalité et la consistance de l'action entreprise » (p. 6, § 7), après avoir pourtant constaté que la société d'avocat avait « produit un état des diligences accomplies entre le 2 novembre 2014 et le 15 juin 2015 faisant apparaître les temps d'entretien physique et téléphonique, de rédaction de courriels, d'étude du dossier de recherche documentaire, de rédaction de conclusions, de préparation et d'assistance aux audiences pour un total de 175 heures et 2 minutes » (p. 6, § 1), qu'« il y est joint copie de très nombreux courriels adressés et reçus, certains étant particulièrement charpentés, mais d'autres au contraire très laconiques, qui illustrent les diligences revendiquées » (p. 6 § 2), et enfin que « concrètement, l'avocat est intervenu, jusqu'à son dessaisissement, dans les domaines suivants : - la défense à l'opposition à injonction de payer formée par M. F... dans le cadre de laquelle ce dernier s'était constitué dans son propre intérêt comportant l'étude de deux jeux de conclusions de 16 pages et des 21 pièces jointes, - la saisine de la juridiction ordinale d'un référé déontologique qui aboutira à l'obligation pour M. F... de saisir un avocat du litige lequel il était directement impliqué, - le contentieux avec M. F... se traduisant par un échange de courriels particulièrement fournis et la rédaction d'un courrier dactylographié modifié à plusieurs reprises » (p. 6, § 3-4), ce dont il résultait qu'il avait été en mesure de vérifier précisément la réalité et la consistance des diligences du cabinet ..., le premier Président la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS, enfin, QU'en n'explicitant pas en quoi les nombreuses pièces justificatives versées aux débats par ... n'étaient pas de nature à l'éclairer suffisamment sur les prestations accomplies et facturées, le premier Président de la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 10 de la loi du 31 décembre 1971 et 174 du décret du 27 novembre 1991.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée D'AVOIR fixé à la somme de 26 163,59 € hors-taxes le reliquat des honoraires dus par la SIPM au cabinet ... et de l'avoir condamnée, en conséquence à lui verser seulement cette somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 février 2016 et de la TVA au taux de 20% ;
AUX MOTIFS QUE « Les parties n'ayant pas signé de convention, les honoraires revenant à l'avocat doivent être fixés, hors le cas des interventions au forfait, en application des critères de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction applicable à la date des faits, c'est-à-dire selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de la notoriété et des diligences de celui-ci. L'avocat doit informer son client dès sa saisine et régulièrement ensuite, des modalités de détermination de ses honoraires ainsi que de l'évolution prévisible de leur montant conformément à l'article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 dans sa rédaction applicable à la date des faits ; s'il n'appartient pas au juge de l'honoraire d'apprécier la qualité des diligences accomplies, il lui revient par contre d'en vérifier l'utilité au regard de la mission confiée à l'avocat. (
) « la société immobilière parc Montmorency soutient qu'elle n'a pas été informée de l'estimation prévisible du montant des honoraires, que les diligences facturées ne correspondent pas uniquement à la mission confiée à l'avocat et que les diligences concrètes et utiles sont peu nombreuses de sorte que le montant des honoraires ne peut excéder 24 190 € HT, somme qu'elle accepte de payer. La société d'avocats ... réplique que la forme juridique particulière de sa cliente a généré un travail très lourd et de longue haleine afin de répondre aux interrogations des dirigeants sociaux dont elle justifie avec précision. Elle critique les contestations adverses dont le caractère inopérant et artificiel est avéré. Les parties s'accordent sur l'information préalable donnée à la cliente par l'avocat en ce qui concerne le tarif horaire pratiqué. Par contre, comme dans le dossier « F... », la SIPM n'a jamais été informée, autrement qu'à réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires. Ce manquement à l'obligation rappelée à titre liminaire ne peut aboutir à priver l'avocat de toute rémunération mais il peut conduire à une réfaction des honoraires réclamés, dans une proportion appréciée par le juge. Contrairement à ce que soutient la SIPM, il n'existe pas de doublons avec les factures dressées dans les autres dossiers mais seulement quelques erreurs d'imputation et il n'est pas anormal que le nom de M. F... apparaisse dans le détail des diligences accomplies dans le dossier « Divers » puisque ce dernier était impliqué à divers degrés dans le litige global, la même observation valant pour M. L... en sa qualité d'administrateur de la société. La société d'avocats produit un état détaillé des diligences accomplies entre le 3 février et le 14 mai 2015 faisant apparaître les temps d'entretien physique et téléphonique, de rédaction de lettres et de courriels, d'étude du dossier et de recherche documentaire pour un total de 222 heures et 84 minutes, le taux horaire variant de 200 à 450 € en fonction de l'expérience de l'intervenant. Il y est joint copie de nombreux courriels reçus et envoyés ainsi que de documents de travail illustrant les diligences accomplies. Concrètement, l'avocat est intervenu à la demande de sa cliente afin d'établir une note d'information relative aux avantages du mode de fonctionnement actuel de la SIPM compte tenu de sa structure spécifique par rapport à celui d'une copropriété et à l'intérêt qu'il pourrait y avoir de passer de l'une à l'autre ainsi que sur les conséquences du retrait d'un ou plusieurs actionnaires/copropriétaires. Il a ainsi examiné les statuts de la société et les documents sociaux, mené plusieurs entretiens avec sa cliente, le notaire choisi par celle-ci et les actionnaires et préparer les documents de travail tout en répondant aux nombreuses questions de son interlocutrice. Il est exact que cette mission justifiait des recherches et un travail importants mais il reste que, encore, l'évaluation unilatérale du temps passé au regard des diligences effectivement accomplies est excessif. Ainsi : - la description des différentes actions est souvent très vague (« suivi, « suivi général du dossier », « call », « classement », « debrief », « recherche » etc
) de sorte qu'il est impossible de vérifier la réalité et la consistance de l'action entreprise ». - pour ce seul dossier « Divers », un membre du cabinet a consacré une très grande partie de son temps de travail journalier à plusieurs reprises ce qui n'est pas compatible avec le volume de clientèle d'une telle structure. - un unique document « power point » de sept pages, très simple, a été établi au terme de 223 heures de travail, sa présentation ne pouvant raisonnablement être comptabilisée pour 1h50. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le montant des honoraires dus dans le dossier « Divers » sera fixé à la somme de 35 000 euros HT soit, après déduction de la provision versée de 18 690 euros HT, à un reliquat de 16 310 euros HT » ;
1°) ALORS QUE le juge de l'honoraire n'a pas le pouvoir de se prononcer sur une éventuelle responsabilité de l'avocat à l'égard de son client liée au manquement à son devoir de conseil et d'information quant aux conditions de sa rémunération et à l'évolution prévisible de ses honoraires ; que dès lors, en retenant, pour réduire les honoraires dus par SIPM au cabinet ... au titre du dossier « Divers » à la somme de 35 000 €, que ce dernier n'avait pas informé sa cliente, autrement qu'à la réception des factures, de l'évolution prévisible du montant des honoraires et que ce manquement à son obligation d'information pouvait conduire à une réfection des honoraires réclamés dans une proportion appréciée par le juge, le premier Président de la cour d'appel a violé, ensemble, l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ;
2°) ALORS, subsidiairement, QUE le paiement libre et spontané des honoraires par le client à réception de factures adressées après service rendu ne peut être remis en cause ; qu'en l'espèce, la facture du 28 février 2015, d'un montant de 18 690 € HT, établie dans le dossier « Divers » et spontanément payée par la société SIPM, précise que les honoraires dus correspondent à des services rendus dans le dossier en référence pour la période du 01/02/2015 au 28/02/2015 et comporte une description détaillée des diligences effectuées ; que dès lors, en qualifiant ces sommes de « provisions » devant seulement être déduites du montant global de l'honoraire fixé, pour l'ensemble des diligences ayant été effectuée dans le dossier « Divers » entre le 3 février 2015 et le 19 mai 2015 à 35 000 €, le premier Président de la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis de la facture précitée, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
3°) ALORS, encore plus subsidiairement, QUE tout jugement ou arrêt doit être motivé, à peine de nullité ; que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, pour réduire les honoraires dus par SIPM au cabinet ... au titre du dossier « Divers » à la somme de 35 000 €, le premier Président de la cour d'appel a retenu que l'évaluation unilatérale du temps passé au regard des diligences effectivement accomplies était excessive dans la mesure où « la description des différentes actions est souvent très vague (« suivi, « suivi général du dossier », « call », « classement », « debrief », « recherche » etc
) de sorte qu'il (serait) impossible de vérifier la réalité et la consistance de l'action entreprise » (p. 7, § 11), après avoir constaté que la société d'avocat avait « produit un état détaillé des diligences accomplies entre le 3 février et le 14 mai 2015 faisant apparaître les temps d'entretien physique et téléphonique, de rédaction de lettres et de courriels, d'étude du dossier et de recherche documentaire pour un total de 222 heures et 84 minutes, le taux horaire variant de 200 à 450 € en fonction de l'expérience de l'intervenant » (p. p. 6, § 6), qu'y était « joint copie de nombreux courriels reçus et envoyés ainsi que de documents de travail illustrant les diligences accomplies » (p. 7, § 7) et que « Concrètement, l'avocat est intervenu à la demande de sa cliente afin d'établir une note d'information relative aux avantages du mode de fonctionnement actuel de la SIPM compte tenu de sa structure spécifique par rapport à celui d'une copropriété et à l'intérêt qu'il pourrait y avoir de passer de l'une à l'autre ainsi que sur les conséquences du retrait d'un ou plusieurs actionnaires/copropriétaires. Il a ainsi examiné les statuts de la société et les documents sociaux, mené plusieurs entretiens avec sa cliente, le notaire choisi par celle-ci et les actionnaires et préparer les documents de travail tout en répondant aux nombreuses questions de son interlocutrice » (p. 7, § 8-9), ce dont il résultait qu'il avait été en mesure d'apprécier la réalité et la consistance des diligences du cabinet ..., le premier Président de la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS, aussi, QU' en statuant comme elle l'a fait, en appréciant l'ensemble des prestations fournies par le cabinet ... du 3 février 2015 au 14 mai 2015, sans vérifier si la facture du 28 février 2015, librement acquittée, ne portait sur des services rendus précisément détaillés, dont la rémunération ne pouvait donc plus être contestée, le premier Président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 et l'article 1134 du Code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
5°) ALORS, enfin, QUE les juges ne peuvent fonder leur décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, en retenant d'office, pour considérer que l'évaluation des honoraires faite par le cabinet ... était excessive, que le fait qu'un membre du cabinet aurait consacré une très grande partie de son temps de travail journalier à plusieurs reprises au dossier « Divers » ne serait pas compatible avec le volume de clientèle d'un tel cabinet d'avocats, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur cette circonstance qui n'avait pas été invoquée par la SIPM à l'appui de sa demande et qui ne figurait pas dans le débat, le premier Président de la cour d'appel a violé, ensemble, les articles 7 et 16 du code de procédure civile. | La procédure spéciale prévue par l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats. Il en résulte que le bâtonnier et, sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat à l'égard de son client résultant d'un manquement à son devoir de conseil et d'information.
Dès lors, encourt la cassation l'ordonnance qui pour fixer le montant des honoraires dus, retient que le manquement de l'avocat à son obligation d'information préalable du client concernant le tarif horaire pratiqué, s'il ne peut le priver de toute rémunération, peut conduire à une réfaction de ses honoraires dans une proportion appréciée par le juge |
451 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 769 FS-P+B+I
Pourvoi n° 18-24.942
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
La Caisse des Français de l'étranger, dont le siège est 160 rue des Meuniers, 77950 Rubelles, a formé le pourvoi n° 18-24.942 contre l'arrêt rendu le 26 septembre 2018 par la cour d'appel de Rennes (9e chambre sécurité sociale, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. E... N..., domicilié [...] ,
2°/ à la société CGG Services, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , anciennement dénommée CGG Veritas,
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique, dont le siège est 9 rue Gaëtan Rondeau, 44958 Nantes cedex 9,
défendeurs à la cassation.
M. N... a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Caisse des Français de l'étranger, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. N..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société CGG Services, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mmes Vieillard, Taillandier-Thomas, Coutou, M. Rovinski, conseillers, Mmes Brinet, Palle, Le Fischer, M. Gauthier, Mmes Vigneras, Dudit, conseillers référendaires, Mme Ceccaldi, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 26 septembre 2018), M. N... (la victime), salarié de la société CGG Services, anciennement CGG Veritas (la société) du 11 septembre 1978 au 31 mars 2012, en qualité de prospecteur mécanicien, a déclaré, le 17 décembre 2009, une maladie consistant en des plaques pleurales auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique (la caisse primaire d'assurance maladie), laquelle a reconnu le caractère professionnel de la maladie par une décision du 26 mars 2010 qui a été déclarée inopposable à la société.
2. La victime, ayant souscrit une assurance volontaire « accidents du travail et maladies professionnelles » auprès de la Caisse des Français de l'étranger (la CFE), en tant que salarié expatrié, du 1er mai 2008 au 30 novembre 2011, la CFE a fixé le taux d'incapacité permanente partielle résultant de la maladie professionnelle déclarée à 5 %, à compter du 28 octobre 2011, et lui a attribué une indemnité en capital.
3. La victime a saisi une juridiction de sécurité sociale pour voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé, qui est préalable
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. La CFE fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la majoration de rente serait versée directement par la caisse primaire d'assurance maladie à la victime et de dire que la majoration de capital sera versée directement par la CFE à la victime, de dire que la somme allouée à cette dernière au titre de la réparation du préjudice moral subi sera versée directement par la CFE et de dire n'y avoir lieu de statuer sur la récupération des sommes versées par la CFE en l'absence de toute action récursoire de celle-ci, alors « que le régime de la faute inexcusable de l'employeur n'est pas applicable au salarié expatrié qui souscrit à l'assurance volontaire ''accidents du travail et maladies professionnelles'' auprès de la Caisse des Français de l'Etranger ; qu'en affirmant le contraire pour condamner la CFE à faire l'avance à la victime des indemnités dues au titre de la faute inexcusable de la société CGG Services, la cour d'appel a violé l'article L. 762-8 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 762-1, alinéa 1er, et L. 762-8 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1214 du 24 décembre 2018, applicable au litige :
6. Aux termes du premier de ces textes, les travailleurs salariés ou assimilés de nationalité française qui exercent leur activité dans un pays étranger et qui ne sont pas ou ne sont plus soumis à la législation française de sécurité sociale en vertu d'une convention internationale ou de l'article L. 761-2, ont la faculté de s'assurer volontairement, notamment, contre les risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
7. Selon le second, l'assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donne droit à l'ensemble des prestations prévues par le livre IV.
8. Il résulte du premier de ces textes, qui déroge au principe de l'application territoriale de la législation française de sécurité sociale, que la couverture des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles qu'il ouvre au travailleur expatrié qui y adhère, est limitée aux seules prestations prévues au titre de la législation professionnelle, à l'exclusion de l'indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l'employeur.
9. Pour dire que la majoration du capital attribuée à la victime au titre de l'incapacité permanente et la somme allouée à celle-ci à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral seront versées directement par la CFE et qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la récupération des sommes ainsi versées en l'absence de toute action récursoire de celle-ci, l'arrêt, après avoir constaté que lors de la première constatation médicale de la maladie professionnelle, le 2 décembre 2009, la victime était affiliée à la CFE, relève que la cour d'appel est saisie d'une demande aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de la société, afférente à la maladie dont le caractère professionnel a été reconnu par la CFE qui a versé à la victime une indemnité en capital après avoir fixé le taux d'incapacité permanente partielle à 5 %, et retient que cette dernière est en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice subi conformément aux dispositions des articles L. 452-1, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, et qu'en application du troisième alinéa de ce dernier article, les sommes dues sont avancées par la CFE, qui dispose d'un recours subrogatoire contre l'employeur qui a commis une faute inexcusable.
10. En statuant ainsi, alors que la CFE ne peut être tenue de faire l'avance des prestations et indemnités allouées à la victime au titre de la faute inexcusable de la société, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident formé par M. N... ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a infirmé le jugement en ce qu'il a dit que la majoration de rente sera versée directement par la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique à M. N..., en ce qu'il a dit que la majoration de capital sera versée directement par la Caisse des Français de l'étranger à M. N..., dit que la somme de 12 000 euros allouée à M. N... au titre de la réparation du préjudice moral subi, sera versée directement par la Caisse des Français de l'étranger et dit n'y avoir lieu de statuer sur la récupération des sommes versées par la Caisse des Français de l'étranger en l'absence de toute action récursoire de la caisse, l'arrêt rendu le 26 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne la société CGG Services, la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique et M. N... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette l'ensemble des demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la Caisse des Français de l'étranger (CFE)
Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR infirmé le jugement déféré en ce qu'il a dit que la majoration de rente sera versée directement par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de Loire Atlantique à M. E... N... et en ses dispositions relatives à l'expertise, d'AVOIR dit que la majoration de capital sera versée directement par la Caisse des Français à l'Etranger à M. N..., d'AVOIR alloué à M. E... N... la somme de 12.000 € au titre de la réparation du préjudice moral subi, qui sera versée directement par la Caisse des Français de l'Etranger et d'AVOIR dit n'y avoir lieu de statuer sur la récupération des sommes versées par la Caisse des Français à l'Etranger en l'absence de toute action récursoire de la caisse ;
AUX MOTIFS QUE Sur la demande en reconnaissance de la faute inexcusable dans les rapports avec la Caisse Primaire d'Assurance Maladie et la CFE, l'article D. 461-24 du code de la sécurité sociale applicable à l'espèce dispose que : "Conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 431-1 et des articles L. 432-1 et L. 461-1, la charge des prestations, indemnités et rentes incombe à la caisse d'assurance maladie ou à l'organisation spéciale de sécurité sociale à laquelle la victime est affiliée à la date de la première constatation médicale définie à l'article D. 461-7. Dans le cas où, à cette date, la victime n'est plus affiliée à une caisse primaire ou à une organisation spéciale couvrant les risques mentionnés au présent livre, les prestations et indemnités sont à la charge de la caisse ou de l'organisation spéciale à laquelle la victime a été affiliée en dernier lieu, quel que soit l'emploi alors occupé par elle" ; qu'en l'espèce lors de la première constatation médicale de la maladie professionnelle, soit le 2 décembre 2009, M. N... était affilié à la CFE ainsi qu'il résulte du certificat médical initial du 10 décembre 2009 mentionnant au titre du régime de l'assuré" CFE" (pièce n° 2 de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie) ainsi que de l'attestation d'affiliation produite par la CFE mentionnant une adhésion du 01/05/2008 au 30111/2011 (annexe n° 1 de la CFE) ; que du reste il convient de relever que seule la CFE a versé à M. N... une indemnité en capital en fonction du taux d'incapacité attribué ainsi qu'il résulte de la notification d'attribution du 16 novembre 2011 adressée à M. N... (annexe n° 2 de la CFE) ; qu'il apparaît ainsi que M. N... était affilié à la CFE lors de la première constatation médicale de sa maladie, laquelle a reconnu le caractère professionnel de sa maladie, lui a versé une indemnité en capital en réparation de la maladie professionnelle et ne saurait se prévaloir de ce que les prestations et indemnités sont à la charge de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie en sa qualité de dernier organisme de sécurité sociale couvrant le risque maladie professionnelle ; que la CFE ne peut utilement opposer qu'en tant qu'expatrié et adhérent à la CFE, M. N... ne bénéficie pas de la protection prévue en cas de faute inexcusable de l'employeur en se prévalant à tort des dispositions des articles L. 762-1 et R. 762-30 et suivants du code de la sécurité sociale au motif que s'agissant d'un organisme de sécurité sociale volontaire, les cotisations sont mises à la charge du salarié ; qu'en effet la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle imputable à une faute inexcusable de son employeur peut demander, devant les juridictions du contentieux général de la sécurité sociale, une indemnisation complémentaire dans les conditions prévues par le chapitre 2 du titre V du livre IV du code de la sécurité sociale ; que par ailleurs aux termes des dispositions de l'article L. 762-8 du code de la sécurité sociale, l'assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donne droit à l'ensemble des prestations prévues par le livre IV ; que ce bénéfice s'étend à l'ensemble des dispositions du livre IV et concerne tant la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie que l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ; que M. N... sollicite la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur afférente à une maladie, dont le caractère professionnel a été reconnu par la CFE qui a versé une indemnité en capital en indemnisation d'un taux d'incapacité fixé à 5 % ; qu'il convient d'en déduire qu'il est en droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice subi conformément aux dispositions des articles L. 452-1, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, et qu'en application du troisième alinéa de ce dernier article, les sommes dues sont avancées par la caisse soit la CFE qui dispose d'un recours subrogatoire contre l'employeur qui a commis une faute inexcusable ;
(
)
que c'est à bon droit que les premiers juges ont ordonné la majoration au maximum du capital alloué à M. N... ainsi que son évolution en fonction du taux d'incapacité permanente ; qu'en revanche, c'est à tort qu'ils ont dit que cette majoration sera versée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie, ladite majoration devant être versée par la CFE ; que la cour dispose des éléments suffisants pour fixer la réparation des autres préjudices non réparés au titre du capital majoré, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une expertise ; qu'il convient par suite et conformément à la demande de M. N... d'évoquer sur l'indemnisation de ses préjudices ; qu'en l'espèce, au titre des souffrances physiques, M. N..., atteint de plaques pleurales bilatérales ayant entraîné la fixation d'un taux d'incapacité permanente de 5 % chez ce dernier alors âgé de 55 ans se plaint de difficultés respiratoires et de douleurs thoraciques, Toutefois, il résulte des éléments médicaux ayant fondé l'évaluation du taux d'incapacité tels que notifiés par la CFE à M. N... le 16 novembre 2011 (pièce n° 13 de ses productions) l'existence de "Plaques pleurales bilatérales diaphragmatiques sans retentissement fonctionnel respiratoire" ; que par suite il convient de retenir que M. N... n'établit pas le préjudice physique allégué ; qu'en revanche les plaques pleurales constituent des marqueurs d'exposition à l'amiante et sont source d'incertitude et d'angoisse face à l'avenir pour les personnes qui en sont atteintes ; qu'en l'espèce, M. N... invoque le retentissement psychologique lié à la découverte de sa pathologie ; qu'il justifie par l'attestation de son épouse (pièce n° 16 de ses productions) que "touché par l'amiante" il ressent "des" inquiétudes sur cette maladie et son évolution" et "est en colère contre son employeur qui l'a empoisonné" ; qu'au regard de ces éléments, il convient d'évaluer l'indemnisation du préjudice subi avant consolidation du fait des souffrances morales à la somme de 12.000 € ;
(
)
que par application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale la réparation du préjudice moral sera versée directement à M. N... par la CFE ; que la CFE ne se prévalant pas de son action récursoire, il n'y a pas lieu de statuer sur la récupération des sommes versées par la caisse au titre de la majoration du capital et de l'indemnisation du préjudice moral ;
ALORS QUE le régime de la faute inexcusable de l'employeur n'est pas applicable au salarié expatrié qui souscrit à l'assurance volontaire « accidents du travail et maladies professionnelles » auprès de la Caisse des Français à l'Etranger ; qu'en affirmant le contraire pour condamner la CFE à faire l'avance à la victime des indemnités dues au titre de la faute inexcusable de la société CGG SERVICES, la cour d'appel a violé l'article L. 762-8 du code de la sécurité sociale. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. N...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré parfait le désistement d'appel de la Caisse des français de l'étranger et d'AVOIR débouté Monsieur N... de sa fin de non recevoir au titre de l'irrecevabilité des demandes d'appel de la Caisse des français de l'étranger ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Sur le désistement d'appel de la CFE : Par lettre du 4 janvier 2018, la CFE s'est désistée de son appel. A l'audience du 27 juin 2018, toutes les autres parties ont accepté le désistement. Le désistement d'appel de la CFE est parfait et emporte acquiescement du jugement qui a dit n'y avoir lieu à mise hors de cause la CFE. Sur la recevabilité des demandes de la CFE ; M. N... soulève à tort l'irrecevabilité des demandes de la CFE sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile. En effet, ledit article dispose que : "A peine d'irrecevabilité soulevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait". En l'espèce, force est de relever que les prétentions de la CFE tendant à voir infirmer le jugement sur la reconnaissance de la faute inexcusable et à débouter M. N... de ses demandes sont recevables comme étant soumises à la cour pour faire écarter les prétentions adverses aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Par suite la CFE sera déclarée recevable en ses demandes » ;
1) ALORS QUE l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ; que, symétriquement, le désistement d'appel emporte acquiescement aux chefs du jugement qui ne sont plus critiqués et à ceux qui en dépendent ; que la cour d'appel a constaté que « par lettre du 4 janvier 2018, la CFE s'est désistée de son appel - à l'audience du 27 juin 2018, toutes les autres parties ont accepté le désistement - le désistement d'appel de la CFE est parfait et emporte acquiescement du jugement qui a dit n'y avoir lieu à mise hors de cause la CFE » ; qu'elle a ensuite relevé « que les prétentions de la CFE tendant à voir infirmer le jugement sur la reconnaissance de la faute inexcusable et à débouter M. N... de ses demandes sont recevables comme étant soumises à la cour pour faire écarter les prétentions adverses aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur » ; qu'en admettant que la Caisse des français de l'étranger pouvait solliciter l'infirmation du jugement après s'être désistée de son appel, la cour d'appel a violé les articles 403 et 562 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE l'étendue de la saisine du juge d'appel est limitée par les énonciations de l'acte qui a déféré le jugement à la cour, et ne peut être élargie aux conclusions subséquentes ; que la cour d'appel a constaté que « par lettre du 4 janvier 2018, la CFE s'est désistée de son appel - à l'audience du 27 juin 2018, toutes les autres parties ont accepté le désistement - le désistement d'appel de la CFE est parfait et emporte acquiescement du jugement qui a dit n'y avoir lieu à mise hors de cause la CFE » ; qu'elle a ensuite relevé « que les prétentions de la CFE tendant à voir infirmer le jugement sur la reconnaissance de la faute inexcusable et à débouter M. N... de ses demandes sont recevables comme étant soumises à la cour pour faire écarter les prétentions adverses aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur » ; qu'en admettant ainsi, que, nonobstant son désistement d'appel concernant le chef du jugement ayant dit n'y avoir lieu à la mise hors de cause de la Caisse des français de l'étranger, celle-ci pouvait élargir, par ses conclusions subséquentes, son appel à l'infirmation du jugement concernant la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la cour d'appel a violé les articles 403 et 562 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE le droit d'intimer en appel tous ceux qui ont été parties en première instance n'emporte pas celui de présenter des prétentions à l'encontre des parties contre lesquelles l'appelant n'avait pas conclu en première instance ; que, dans le dispositif de ses écritures devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, la Caisse des français de l'étranger sollicitait que « la Caisse primaire d'assurance maladie soit déboutée de toutes ses demandes à l'égard de la Caisse des français de l'étranger », de « constater qu'aucune demande n'est formée ni par Monsieur N... ni par la société CGG Services à l'égard de la Caisse des français de l'étranger » et en conséquence « prononcer sa mise hors de cause » (conclusions p. 6) ; que dans le dispositif de ses écritures d'appel, la Caisse des français de l'étranger sollicitait que la cour d'appel « déboute Monsieur N... de l'ensemble de ses demandes » (conclusions p. 3) ; qu'en estimant que « les prétentions de la CFE tendant à voir infirmer le jugement sur la reconnaissance de la faute inexcusable et à débouter M. N... de ses demandes sont recevables comme étant soumises à la cour pour faire écarter les prétentions adverses aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur », la cour d'appel admet ainsi que la Caisse des français de l'étranger pouvait présenter des prétentions à l'encontre de Monsieur N... contre lequel elle n'avait pas conclu en première instance, violant ainsi l'article 564 du code de procédure civile. | Aux termes de l'article L. 762-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-1214 du 24 décembre 2018, applicable au litige, les travailleurs salariés ou assimilés de nationalité française qui exercent leur activité dans un pays étranger et qui ne sont pas ou ne sont plus soumis à la législation française de sécurité sociale en vertu d'une convention internationale ou de l'article L. 761-2, ont la faculté de s'assurer volontairement, notamment, contre les risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
Selon l'article L. 762-8 du même code, l'assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donne droit à l'ensemble des prestations prévues par le livre IV.
Il résulte du premier de ces textes, qui déroge au principe de l'application territoriale de la législation française de sécurité sociale, que la couverture des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles qu'il ouvre au travailleur expatrié qui y adhère, est limitée aux seules prestations prévues au titre de la législation professionnelle, à l'exclusion de l'indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l'employeur |
452 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 770 FS-P+B+I
Pourvoi n° R 19-13.706
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 JUILLET 2020
La caisse de mutualité sociale agricole de Loire-Atlantique Vendée, dont le siège est [...] , et son établissement en Loire-Atlantique, [...] , a formé le pourvoi n° R 19-13.706 contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2019 par la cour d'appel de Rennes (9e chambre, sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique-Vendée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse de mutualité sociale agricole de Loire-Atlantique Vendée, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique-Vendée, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mmes Vieillard, Taillandier-Thomas, Coutou, M. Rovinski, conseillers, Mmes Brinet, Palle, Le Fischer, M. Gauthier, Mmes Vigneras, Dudit, conseillers référendaires, Mme Ceccaldi, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 janvier 2019), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique-Vendée (la CRCAM) a fait l'objet de la part de la caisse de mutualité sociale agricole de Loire-Atlantique Vendée (la CMSA) d'un contrôle d'assiette sur salaires portant sur les années 2009 à 2011, à la suite duquel la CMSA lui a notifié le 5 octobre 2012 plusieurs chefs de redressement.
2. La CRCAM a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La CMSA fait grief à l'arrêt d'annuler le redressement, alors « que la formalité de la lettre recommandée avec avis de réception, prévue par l'article D. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, n'est destinée qu'à régler toute contestation sur la date à laquelle l'avis est parvenu au cotisant ; qu'à ce titre, il ne s'agit pas d'une formalité substantielle, participant de la sauvegarde des droits de la défense, dont l'inobservation emporte nullité du contrôle indépendamment de la démonstration de tout grief ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article D. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, applicable à l'époque des faits. »
Réponse de la Cour
Vu l'article D. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du décret n° 2005-368 du 19 avril 2005, applicable au contrôle litigieux :
4. Aux termes de ce texte, sauf s'il est diligenté par un fonctionnaire cité à l'article L. 724-2 du même code ou s'il est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l'article L. 8221-1 du code du travail, tout contrôle effectué en application de l'article L. 724-11 est précédé de l'envoi par la caisse de mutualité sociale agricole d'un avis adressé, par lettre recommandée avec avis de réception, à l'employeur, au chef d'exploitation ou au titulaire d'allocation de vieillesse agricole ou de pension de retraite intéressé.
5. L'avis avant contrôle peut être délivré par l'organisme par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa réception.
6. Pour annuler les opérations de contrôle et de redressement, l'arrêt retient essentiellement que l'avis de contrôle de la CMSA du 6 avril 2012 n'a pas été adressé à la CRCAM, employeur, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, mais remis en mains propres contre décharge au responsable du service pilotage et gestion administrative des ressources humaines, et qu'en conséquence, faute d'avoir été précédé de l'envoi par la CMSA d'un avis adressé à l'employeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le redressement subséquent est entaché de nullité, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice.
7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la CMSA rapportait la preuve qu'elle avait avisé en temps utile la CRCAM du contrôle envisagé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique-Vendée aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Atlantique-Vendée et la condamne à payer à la caisse de mutualité sociale agricole de Loire-Atlantique Vendée la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse de mutualité sociale agricole de Loire-Atlantique Vendée
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a, infirmant le jugement, annulé les opérations de contrôle et l'entier redressement ayant donné lieu à la mise en demeure du 21 décembre 2012 ;
AUX MOTIFS QUE « Par son courrier du 18 janvier 2013, le conseil de la CRCAM a saisi la commission de recours amiable d'une contestation portant sur le redressement objet de la lettre d'observations datée du 5 octobre 2012, il convient d'en déduire que la CRCAM était recevable à invoquer devant le tribunal des affaires de sécurité sociale la nullité de ce redressement ainsi que le tribunal l'a retenu à bon droit. L'article D. 723-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version issue du décret n° 2005-368 du 19 avril 2005 applicable au litige, disposait que : "Sauf s'il est diligenté par un fonctionnaire cité à l'article L. 724-2 du présent code ou s'il est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l'article L. 324-9 du code du travail, tout contrôle effectué en application de l'article L. 724-11 du présent code est précédé de l'envoi par la caisse de mutualité sociale agricole d'un avis adressé par lettre recommandée avec avis de réception à l'employeur, au chef d'exploitation ou au titulaire d'allocation de vieillesse agricole ou de pension de retraite intéressé." Il résulte de l'article D. 723-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa version issue du décret n° 2005-368 du 19 avril 2005 applicable au redressement litigieux, que tout contrôle effectué en application de l'article L. 724-11 est précédé de l'envoi par la caisse de mutualité sociale agricole d'un avis adressé à l'employeur par lettre recommandée avec avis de réception, sauf dans le cas où le contrôle est diligenté par un fonctionnaire cité à l'article L. 724-2 du code rural et de la pêche maritime ou s'il est effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l'article L. 324-9 du code du travail. Les agents de contrôle de la CMSA sont tenus d'informer par lettre recommandée avec demande d'avis de réception le cotisant du contrôle à venir afin d'assurer le respect du principe du contradictoire, à peine de nullité du redressement subséquent sans que soit exigée la preuve d'un préjudice. En l'espèce, le contrôle n'a pas été diligenté par un fonctionnaire cité à l'article L. 724-2 du code rural et de la pêche maritime mais par les agents de contrôle agréés et assermentés de la CMSA Loire Atlantique-Vendée et n'a pas été effectué pour rechercher des infractions aux interdictions mentionnées à l'article L. 324-9 du code du travail mais pour effectuer la vérification de l'assiette de calcul des cotisations légales et conventionnelles et des contributions sociales dues pour l'emploi du personnel salarié sur la période courant du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011 ainsi qu'il résulte notamment du document de fin de contrôle du 5 octobre 2012 (pièce n° 1 des productions de l'appelante). L'avis de contrôle de la CMSA du 6 avril 2012 n'a pas été adressé à la CRCAM, employeur, par lettre recommandée avec avis de réception, mais remis en mains propres à Mme T..., responsable du service pilotage et gestion administrative des ressources humaines contre décharge, (Pièce n° 1 des productions de l'intimée). En conséquence faute d'avoir été précédé de l'envoi par la CMSA d'un avis adressé à l'employeur par lettre recommandée avec avis de réception, le redressement subséquent est entaché de nullité, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice. Par infirmation du jugement déféré, il convient dès lors d'annuler les opérations de contrôle et le redressement subséquent ayant donné lieu au document de fin de contrôle du 5 octobre 2012 et à la mise en demeure du 21 décembre 2012. » ;
ALORS QUE la formalité de la lettre recommandée avec avis de réception, prévue par l'article D. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, n'est destinée qu'à régler toute contestation sur la date à laquelle l'avis est parvenu au cotisant ; qu'à ce titre, il ne s'agit pas d'une formalité substantielle, participant de la sauvegarde des droits de la défense, dont l'inobservation emporte nullité du contrôle indépendamment de la démonstration de tout grief ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article D. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, applicable à l'époque des faits. | L'avis avant contrôle prévu par l'article D. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du décret n° 2005-368 du 19 avril 2005, peut être délivré par l'organisme par tout moyen ayant force probatoire.
Par suite, satisfait aux exigences de ce texte, la remise en mains propres à l'employeur, contre décharge, de l'avis préalable au contrôle |
453 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juillet 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 473 FS-P+B+R
Pourvoi n° K 17-16.200
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 JUILLET 2020
1°/ M. A... X...,
2°/ Mme J... C...,
domiciliés tous deux [...],
ont formé le pourvoi n° K 17-16.200 contre l'arrêt rendu le 3 janvier 2017 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant à M. M... F... B..., domicilié [...] (Royaume-Uni), pris en qualité de liquidateur de M. V... W... X..., défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. X... et de Mme C..., de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. B..., ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Vaissette, M. Riffaud, conseillers, Mme Henry, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 3 janvier 2017), la « County Court » de Luton (Royaume-Uni) a, le 8 juin 2010, prononcé la mise en faillite personnelle de M. X.... Le 18 juin suivant, cette même juridiction a désigné M. B..., en qualité de liquidateur du patrimoine de M. X..., à compter du 23 juin 2010.
2. Le 7 juin 2013, M. B..., ès qualités, a assigné M. X... et Mme C... devant le tribunal de grande instance de Bonneville, pour voir ordonner les opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision existant entre eux sur un immeuble situé sur le territoire français.
Examen du moyen unique
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
3. M. X... et Mme C... font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de M. B..., d'ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision relativement aux immeubles situés sur le territoire de la commune de la [...] et désigner à cette fin M. R..., notaire, et d'ordonner sous le ministère de la société Briffod et Puthod, avocat au barreau de Bonneville, les formalités préalables à la vente de l'immeuble aux enchères publiques à la barre du tribunal de grande instance de Bonneville, sur la mise à prix de 400 000 euros, avec faculté de baisse de mise à prix en cas de désertion d'enchères, alors :
« 1°/ qu'il résulte des articles 18, paragraphe 1, et 18, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité que le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité peut exercer sur le territoire d'un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'État d'ouverture, à la double condition, d'une part, que, dans l'exercice de ses pouvoirs, il respecte la loi de l'État membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens, et, d'autre part, que ces pouvoirs n'incluent pas l'emploi de moyens contraignants, ni le droit de statuer sur un litige ou un différend ; qu'il s'ensuit que, même prévu par la loi de l'État d'ouverture pour la réalisation de l'actif du débiteur, le transfert au syndic de la propriété des biens appartenant au débiteur figure au nombre des procédés contraignants qu'il n'est pas en son pouvoir d'accomplir sur le territoire d'un autre État membre que celui de l'État d'ouverture, sur le fondement de l'article 18 du règlement précité ; qu'en décidant en l'absence de tout exequatur, que la procédure principale ouverte par la "County Court" de Luton bénéficie d'une reconnaissance de plein droit permettant à M. B..., trustee de M. X..., en vertu de l'article 18 du règlement, d'exercer sur le territoire d'un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'État d'ouverture, dont l'exercice, à la place de M. X..., d'une action en partage d'un immeuble dont il était propriétaire indivis avec Mme C..., dès lors que la propriété en a été transférée au syndic par le seul effet du jugement d'ouverture, en vertu du droit anglais, la cour d'appel a violé cette disposition, ensemble les articles 3 et 6 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité ;
2°/ qu'il résulte de l'article 5 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité que l'ouverture de la procédure d'insolvabilité n'affecte pas le droit réel d'un créancier ou d'un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, appartenant aux débiteurs et qui se trouvent, au moment de l'ouverture de la procédure, sur le territoire d'un autre État membre ; qu'il s'ensuit que le partage d'un immeuble indivis, à la demande du syndic, relève de la loi du lieu de situation du bien, à l'exclusion de la loi de l'État d'ouverture ; qu'en accueillant l'action en partage d'un immeuble indivis, dès lors que la propriété de la quote-part indivise du débiteur a été transférée au trustee comme le prévoit le droit anglais, sans qu'il soit au pouvoir du coïndivisaire, Mme C..., d'arrêter l'action en partage, en désintéressant les créanciers personnels de M. X..., comme le prévoit l'article 815-17 du code civil, ce qui aurait exigé du syndic que la créance soit certaine, liquide et exigible, la cour d'appel qui a fait application de la loi de l'Etat d'ouverture, a violé l'article 5 du règlement précité ;
3°/ que l'article 18, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité impose au syndic de se conformer à la loi du lieu de situation de l'immeuble indivis lorsqu'il en provoque le partage, en vue de réaliser l'actif du débiteur contre lequel une procédure principale d'insolvabilité a été ouverte dans un autre Etat membre ; qu'en affirmant que l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à l'encontre de M. X..., selon les règles du droit anglais, permettait à son trustee de provoquer le partage de l'immeuble dont le débiteur était propriétaire indivis, dès lors que la propriété en a été transférée au syndic selon les règles du droit anglais, pour exclure l'application de l'article 815-17 du code civil qui subordonne l'exercice de l'action en partage par le mandataire à la condition que le coïndivisaire puisse en arrêter le cours, en désintéressant les créanciers personnels de M. X..., ce qui aurait supposé que Mme C... connaisse le montant de la dette qu'elle devrait payer, la cour d'appel a violé l'article 18, § 3, du règlement précité, ensemble l'article 815-17 du code civil par refus d'application. »
Réponse de la Cour
4. L'article 16 du règlement (CE) n° 1346-2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité pose le principe de la reconnaissance dans tous les autres Etats membres de toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente en vertu de l'article 3.
5. Il résulte de l'article 18, § 1, que, en dehors d'hypothèses étrangères à l'espèce, le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l'article 3, § 1, peut exercer sur le territoire d'un autre Etat membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'Etat d'ouverture. L'article 18, § 3, dispose que, dans l'exercice de ses pouvoirs, le syndic doit respecter la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens, et que ses pouvoirs ne peuvent inclure l'emploi de moyens contraignants.
6. En premier lieu, la cour d'appel, après avoir constaté que l'ordonnance de faillite du 8 juin 2010 était une décision d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité principale, en a exactement déduit qu'elle produisait, sans aucune autre formalité dans tout Etat membre, les effets que lui attribuait la loi de l'Etat d'ouverture et en particulier le transfert au syndic de la propriété des biens de M. X..., incluant sa quote-part indivise de l'immeuble situé en France, lui permettant d'exercer sur le territoire de cet Etat tous les pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété et en conséquence celui d'agir en partage de l'indivision.
7. En second lieu, l'arrêt retient que M. B..., devenu propriétaire des biens de M. X..., est coïndivisaire de l'immeuble avec Mme C... et qu'il agit en conséquence sur le fondement de l'article 815 du code civil et non sur celui de l'article 815-17 du même code. Ce faisant, la cour d'appel, reconnaissant les effets de la procédure d'insolvabilité attribués par la loi anglaise sur la propriété des biens du débiteur, a fait application de la loi de situation de l'immeuble pour déterminer le fondement et le régime de l'action engagée devant les juridictions françaises. C'est donc à tort que le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, postule que la cour d'appel aurait appliqué la loi anglaise sans exiger du syndic qu'il respecte la loi française, dans l'exercice de ses pouvoirs, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens et sans inclure l'emploi de moyens contraignants.
8. Par conséquent, le moyen n'est fondé en aucune de ses branches.
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
M. X... et Mme C... font le même grief à l'arrêt alors :
« 1°/ que la conception française de l'ordre public international s'oppose à ce qu'il soit donné effet à la règle de droit anglais transférant au syndic la propriété des biens du débiteur contre laquelle une procédure d'insolvabilité a été ouverte ; qu'en décidant le contraire, au motif inopérant que les systèmes juridiques européens ont en commun de permettre l'appréhension des biens du débiteur failli, au lieu d'apprécier la contrariété à l'ordre public de la règle transférant au trustee la propriété de l'actif à partager, à la différence du transfert du droit d'administration qui entraîne à l'encontre du débiteur, un simple dessaisissement, la cour d'appel a violé les articles 3, 6 et 26 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, ensemble l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme ;
2°/ que la conception française de l'ordre public international s'oppose à l'application de la règle de droit anglais privant le coïndivisaire du pouvoir d'arrêter le cours de l'action en partage de l'immeuble indivis, en s'acquittant de la dette du débiteur insolvable ; qu'en affirmant le contraire, au motif inopérant que nul n'est tenu de demeurer dans l'indivision, la cour d'appel a violé les articles 3, 6 et 26 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, ensemble l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme. »
Réponse de la Cour
9. L'article 26 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 permet à tout Etat membre de refuser de reconnaître une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre ou d'exécuter une décision prise dans le cadre d'une telle procédure lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa constitution. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que ce recours à la clause d'ordre public ne devait jouer que dans des cas exceptionnels (CJUE, arrêt du 21 janvier 2010, Mg Probud Gdynia, C-444/07, point 34).
10. La règle du transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur, personne physique, mis en liquidation judiciaire, résultant de la loi anglaise, ne produit pas des effets manifestement contraires à la conception française de l'ordre public international. La cour d'appel, qui a reconnu le droit d'agir de M. B... en partage de l'indivision entre M. X... et Mme C... sur un bien situé sur le territoire français comme étant une conséquence de la reconnaissance de l'ouverture en Angleterre de la procédure d'insolvabilité de M. X..., a fait l'exacte application des textes visés par le moyen.
11. Par conséquent, le moyen n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... et Mme C... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize juillet deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. X... et Mme C....
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR déclaré recevable l'action de M. B..., en qualité de liquidateur de M. X..., D'AVOIR ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision existant entre M. X... et Mme J... C... relativement aux immeubles sis sur le territoire de la commune de la [...], lieu-dit « [...] », cadastrés section [...] sous les numéros [...], [...], [...], [...], [...] et [...], d'une contenance totale de 18 a 60 ca, D'AVOIR désigné Me R..., notaire à [...] (74), pour procéder auxdites opérations, sous la surveillance du président du tribunal de grande instance de Bonneville, D'AVOIR dit qu'en cas d'empêchement du notaire commis il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance sur requête à la demande de la partie la plus diligente. Il a ordonné, sous le ministère de la SCP BRIFFOD PUTHOD, avocats au barreau de Bonneville, qui déposera le cahier des charges et fera paraître les publicités légales, la vente aux enchères publiques à la barre du tribunal de grande instance de Bonneville des biens et des droits immobiliers, sis à la [...] (74), suivants : un chalet, lieu-dit « [...] », cadastrés section [...] sous les numéros [...], [...], [...], [...], [...] et [...], d'une contenance totale de 18 a 60 ca, et ce sur la mise à prix de 400.000 €, avec faculté de baisse de la mise à prix du quart, puis d'un tiers et, enfin, de moitié, en cas de désertion d'enchères ;
AUX MOTIFS QUE, sur la compétence territoriale des juridictions anglaises, la question de la compétence a été tranchée par la county court de Luton, au surplus après que M. X... ait exercé un recours devant cette juridiction ; que l'article 16, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CE) n° 1346/2000 doit être interprété en ce sens que la procédure d'insolvabilité principale ouverte par une juridiction d'un État membre doit être reconnue par les juridictions des autres états membres, sans que celles-ci puissent contrôler la compétence de la juridiction de l'État d'ouverture ; que, sur la recevabilité de l'action de M. B... en considération de la nécessité d'un exequatur, les décisions rendues par les juridictions de l'union européenne n'ont pas besoin d'exequatur en application du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 ; que M. X... et Mme C... invoquent cependant l'article 25 - 1 du même règlement selon lequel les décisions relatives au déroulement et à la clôture sont exécutées conformément aux articles 31 à 51 (à l'exception de l'article 34, paragraphe 2) de la convention de Bruxelles concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dispositions qui exigent un exequatur ; que cependant l'ordonnance de faillite prononcée par la county court de Luton est un jugement d'ouverture d'une procédure collective principale et non une décision relative au déroulement ou à la clôture d'une procédure d'insolvabilité, de sorte que par application des articles 16 et 17 du règlement, l'exception invoquée par M. X... et Mme C... au principe d'application immédiate ne peut s'appliquer, puisque la décision d'ouverture d'une procédure produit, sans aucune autre formalité dans tout autre état membre les effets que lui attribue la loi de l'état d'ouverture, et aussi longtemps qu'aucune procédure secondaire n'est ouverte dans cet autre état ; qu'en l'espèce, le caractère exécutoire est confirmé par l'ordonnance générale du 20 février 2014 dont il résulte par ailleurs que le failli a demandé le 7 juillet 2013 l'annulation d'une précédente ordonnance du 18 mars 2010 et que cette demande a été rejetée ; qu'il convient en conséquence de confirmer les dispositions du jugement déféré qui ont déclaré l'action recevable ; que, sur la contrariété de la procédure à l'ordre public français, selon l'article 18 du règlement 1346/2000, le syndic désigné par une juridiction compétente peut exercer sur le territoire d'un autre état membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'état d'ouverture, aussi longtemps qu'aucune autre procédure d'insolvabilité n'y a été ouverte ou qu'aucune mesure conservatoire contraire n'y a été prise à la suite d'une demande d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité dans cet état ; que les appelants invoquent l'article 26 du règlement 1346/2000 qui autorise tout état membre à refuser de reconnaître une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre état membre ou d'exécuter une décision prise dans le cas d'une telle procédure, lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public ; que les appelants font valoir à juste titre que les deux fondements invoqués, à savoir d'une part, l'article 815, et d'autre part l'article 815-17 du code civil ne peuvent être utilisés simultanément ; que M. B... est devenu propriétaire des biens de M. X... par l'effet du jugement d'ouverture de sorte qu'il se trouve en indivision avec Mme C..., qu'ainsi, l'action se fonde uniquement sur l'article 815 du code civil ; que ce droit ne peut être admis que si la décision rendue heurte de manière inacceptable l'ordre juridique de l'état requis en portant atteinte à un principe ou à un droit fondamental reconnu dans cet état ; que les explications de M. X... ne font pas apparaître en quoi la règle du droit d'Angleterre et du Pays de Galle selon laquelle le syndic devient propriétaire des biens du failli serait contraire aux règles d'ordre public françaises, et notamment au droit de propriété, puisque le droit des procédures collectives de tous les systèmes juridiques européens a comme point commun de permettre l'appréhension des biens du débiteur failli ; que cependant la règle de droit d'Angleterre et du Pays de Galles a pour effet de priver Mme C... du droit d'arrêter l'action en partage en acquittant les dettes de M. X..., que toutefois, la perte de ce droit ne heurte pas de manière inacceptable l'ordre juridique français dès lors que ce droit constitue une simple exception à la règle selon laquelle nul ne peut être contraint de rester dans l'indivision ; que, sur les modalités de l'action en partage, les appelants font valoir que le bien a été financé à hauteur de 32,52 % par M. X... et de 67,48 % par Mme C... et qu'en outre, cette dernière a remboursé l'intégralité des échéances du prêt du fait de son incapacité due à de graves ennuis de santé, qu'il en résulterait que M. B..., s'il entend poursuivre la vente du bien, n'en retirerait aucun actif ; que la présente instance a seulement pour objet l'ouverture des opérations de partage de sorte que le moyen est dépourvu de pertinence, étant observé, au surplus que les appelants ne sont pas mariés ; qu'enfin, les premiers juges ont tiré les conséquences qui résultaient de l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage, qu'il convient donc de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
1. ALORS QU'il résulte des article 18, paragraphe 1, et 18, paragraphe 3, du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité que le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l'article 3, paragraphe 1, du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité peut exercer sur le territoire d'un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'État d'ouverture, à la double condition, d'une part, que, dans l'exercice de ses pouvoirs, il respecte la loi de l'État membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens, et, d'autre part, que ces pouvoirs n'incluent pas l'emploi de moyens contraignants, ni le droit de statuer sur un litige ou un différend ; qu'il s'ensuit que, même prévu par la loi de l'État d'ouverture pour la réalisation de l'actif du débiteur, le transfert au syndic de la propriété des biens appartenant au débiteur figure au nombre des procédés contraignants qu'il n'est pas en son pouvoir d'accomplir sur le territoire d'un autre État membre que celui de l'État d'ouverture, sur le fondement de l'article 18 du règlement précité ; qu'en décidant en l'absence de tout exequatur, que la procédure principale ouverte par la County Court de Luton bénéficie d'une reconnaissance de plein droit permettant à M. B..., trustee de M. X..., en vertu de l'article 18 du règlement, d'exercer sur le territoire d'un autre État membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'État d'ouverture, dont l'exercice, à la place de M. X..., d'une action en partage d'un immeuble dont il était propriétaire indivis avec Mme C..., dès lors que la propriété en a été transférée au syndic par le seul effet du jugement d'ouverture, en vertu du droit anglais, la cour d'appel a violé cette disposition, ensemble les articles 3 et 6 du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité ;
2. ALORS QU'il résulte de l'article 5 du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité que l'ouverture de la procédure d'insolvabilité n'affecte pas le droit réel d'un créancier ou d'un tiers sur des biens corporels ou incorporels, meubles ou immeubles, appartenant aux débiteurs et qui se trouvent, au moment de l'ouverture de la procédure, sur le territoire d'un autre État membre ; qu'il s'ensuit que le partage d'un immeuble indivis, à la demande du syndic, relève de la loi du lieu de situation du bien, à l'exclusion de la loi de l'État d'ouverture ; qu'en accueillant l'action en partage d'un immeuble indivis, dès lors que la propriété de la quote-part indivise du débiteur a été transférée au trustee comme le prévoit le droit anglais, sans qu'il soit au pouvoir du coindivisaire, Mme C..., d'arrêter l'action en partage, en désintéressant les créanciers personnels de M. X..., comme le prévoit l'article 815-17 du code civil, ce qui aurait exigé du syndic que la créance soit certaine, liquide et exigible, la cour d'appel qui a fait application de la loi de l'Etat d'ouverture, a violé l'article 5 du règlement précité ;
3. ALORS si tel n'est pas le cas QUE l'article 18, paragraphe 3, du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité impose au syndic de se conformer à la loi du lieu de situation de l'immeuble indivis lorsqu'il en provoque le partage, en vue de réaliser l'actif du débiteur contre lequel une procédure principale d'insolvabilité a été ouverte dans un autre Etat membre ; qu'en affirmant que l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité à l'encontre de M. X..., selon les règles du droit anglais, permettait à son trustee de provoquer le partage de l'immeuble dont le débiteur était propriétaire indivis, dès lors que la propriété en a été transférée au syndic selon les règles du droit anglais, pour exclure l'application de l'article 815-17 du code civil qui subordonne l'exercice de l'action en partage par le mandataire à la condition que le coindivisaire puisse en arrêter le cours, en désintéressant les créanciers personnels de M. X..., ce qui aurait supposé que Mme C... connaisse le montant de la dette qu'elle devrait payer, la cour d'appel a violé l'article 18, §3, du règlement précité, ensemble l'article 815-17 du code civil par refus d'application ;
4. ALORS QUE la conception française de l'ordre public international s'oppose à ce qu'il soit donné effet à la règle de droit anglais transférant au syndic la propriété des biens du débiteur contre laquelle une procédure d'insolvabilité a été ouverte ; qu'en décidant le contraire, au motif inopérant que les systèmes juridiques européens ont en commun de permettre l'appréhension des biens du débiteur failli, au lieu d'apprécier la contrariété à l'ordre public de la règle transférant au trustee la propriété de l'actif à partager, à la différence du transfert du droit d'administration qui entraîne à l'encontre du débiteur, un simple dessaisissement, la cour d'appel a violé les articles 3, 6 et 26 du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, ensemble l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme ;
5. ALORS QUE la conception française de l'ordre public international s'oppose à l'application de la règle de droit anglais privant le coindivisaire du pouvoir d'arrêter le cours de l'action en partage de l'immeuble indivis, en s'acquittant de la dette du débiteur insolvable ; qu'en affirmant le contraire, au motif inopérant que nul n'est tenu de demeurer dans l'indivision, la cour d'appel a violé les articles 3, 6 et 26 du règlement CE n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité, ensemble l'article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme. | L'article 16 du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité pose le principe de la reconnaissance dans tous les autres Etats membres de toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente en vertu de l'article 3.
Il résulte de l'article 18, § 1, que, en dehors d'hypothèses étrangères à l'espèce, le syndic désigné par une juridiction compétente en vertu de l'article 3, § 1, peut exercer sur le territoire d'un autre Etat membre tous les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi de l'Etat d'ouverture. L'article 18, § 3, dispose que, dans l'exercice de ses pouvoirs, le syndic doit respecter la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel il entend agir, en particulier quant aux modalités de réalisation des biens et que ses pouvoirs ne peuvent inclure l'emploi de moyens contraignants.
En conséquence, doit être approuvée la cour d'appel qui, après avoir constaté que l'ordonnance ouvrant, au Royaume-Uni, la faillite personnelle d'un débiteur était une décision d'ouverture d'une procédure d'insolvabilité principale, en déduit que cette procédure produisait, sans aucune autre formalité dans tout Etat membre, les effets que lui attribuait la loi de l'Etat d'ouverture, et en particulier le transfert au syndic de la propriété des biens du débiteur, incluant sa quote-part indivise sur un immeuble situé en France, lui permettant d'exercer sur le territoire de cet Etat tous les pouvoirs qui lui sont conférés par ce transfert de propriété et, en conséquence, celui d'agir en partage de l'indivision existant sur cet immeuble.
Doit encore être approuvée la cour d'appel qui, après avoir reconnu les effets de cette procédure d'insolvabilité attribués par la loi anglaise sur la propriété des biens du débiteur, a fait application de la loi française, loi du lieu de situation de l'immeuble, pour déterminer le fondement et le régime de l'action engagée par le syndic devant les juridictions françaises, et retenu que le syndic, devenu propriétaire des biens du débiteur, était coïndivisaire de l'immeuble avec un tiers et qu'il agissait en conséquence sur le fondement de l'article 815 du code civil, et non sur celui de l'article 815-17 du même code |
454 | COMM.
JT
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 314 FS-P + B
Pourvoi n° E 17-31.536
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 JUILLET 2020
1°/ La société Expedia France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ la société Expedia Inc., dont le siège est [...],
3°/ la société Travelscape LLC, dont le siège est [...] (États-Unis),
4°/ la société Hotels.com LP, dont le siège est [...] (États-Unis),
5°/ la société Vacationspot SL, dont le siège est [...],
ont formé le pourvoi n° E 17-31.536 contre l'arrêt rendu le 21 juin 2017 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant au ministre de l'économie et des finances, domicilié [...] ,
défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les six moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat des sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape LLC, Hotels.com LP et Vacationspot SL, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat du ministre de l'économie et des finances, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 3 mars 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller doyen, Mmes Darbois, Poillot-Peruzzetto, Pomonti, Daubigney, Sudre, Michel-Amsellem, M. Ponsot, Mme Boisselet, M. Mollard, conseillers, Mmes Le Bras, de Cabarrus, Lion, Lefeuvre, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 2017), la société Expedia Inc. et les sociétés Expedia France, Travelscape LLC, Vacationspot SL ainsi que Hotels.com LP (les sociétés du groupe Expedia) exploitent plusieurs agences de voyage en ligne qui proposent aux internautes de réserver, via leurs moteurs de recherche, des hébergements dans un grand nombre d'hôtels en France et à l'étranger.
2. Les relations commerciales entre les sociétés du groupe Expedia et les hôteliers pour les ventes de nuitées sont régies par des contrats organisant la mise en ligne de l'offre des hôteliers sur les canaux de réservation des sociétés du groupe Expedia.
3. En février 2011, dans le cadre d'une enquête diligentée par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF), cinquante-trois contrats conclus entre 2008 et 2011 par les sociétés Travelscape LLC, Hotels.com LP et Vacationspot SL avec des hôteliers ont été communiqués aux enquêteurs, à leur demande.
4. En 2013, le ministre chargé de l'économie a assigné les sociétés Expedia Inc., Travelscape LLC, Vacationspot SL, Expedia France et Hotels.com LP en annulation des clauses de parité tarifaires, non tarifaires et promotionnelles présentes dans quarante-sept des contrats précités sur le fondement de l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce et, subsidiairement, sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°, du même code, en annulation de la clause dite « de la dernière chambre disponible » présente dans quarante-sept de ces contrats sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, et aux fins qu'il soit enjoint aux sociétés en cause de faire cesser les pratiques consistant à mentionner de telles clauses dans leurs contrats et qu'elles soient condamnées au paiement d'une amende civile de deux millions d'euros.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches, et le quatrième moyen, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Les sociétés du groupe Expedia font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté leur demande tendant à voir écarter de la procédure les contrats retenus comme pièces à la procédure alors :
« 1°/ que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle-ci ; qu'il en résulte que des pièces recueillies à l'occasion d'une enquête portant sur un contexte donné ne peuvent être utilisées dans un contexte différent ; qu'au cas présent, les contrats ont été recueillis par la DGCCRF dans le cadre d'une enquête portant sur de prétendues pratiques trompeuses à l'égard des consommateurs ; qu'elles ne pouvaient donc être utilisées dans le cadre de la présente procédure, qui portait exclusivement sur de prétendues pratiques restrictives de concurrence ; qu'en admettant la recevabilité des contrats, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
2°/ que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle-ci ; qu'au cas présent, la cour d'appel a observé que le procès-verbal de 2011 ne comportait pas la mention écrite littérale de l'objet de l'enquête, mais une mention pré-imprimée selon laquelle les enquêteurs ont justifié de leur qualité et indiqué l'objet de l'enquête ; que la cour d'appel a considéré que cette mention "faisait foi jusqu'à preuve contraire" ; qu'en statuant ainsi cependant que si une telle mention pouvait faire foi de l'existence d'une information donnée par les enquêteurs, elle ne fournissait aucun élément quant au contenu de ladite information, de laquelle dépendait la recevabilité des pièces recueillies par les enquêteurs de la DGCCRF ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
3°/ que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle-ci ; que la simple mention, dans le procès-verbal de la DGCCRF, de l'article L. 450-3 du code de commerce, qui concerne de manière absolument générale les pouvoirs d'enquête de la DGCCRF, n'était pas de nature à satisfaire cette obligation ; qu'en estimant que la mention de l'article L. 450-3 du code de commerce dans le procès-verbal aurait permis aux personnes destinataires de déterminer l'objet de l'enquête, la cour d'appel a méconnu l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
4°/ que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle- ci ; que ce principe exclut donc une enquête à objet indéterminé ; qu'au cas présent, en considérant par motifs éventuellement adoptés des premiers juges que l'objet de l'enquête diligentée par la DGCCRF en 2011 portait sur la conformité des contrats "à l'ensemble des textes en vigueur", la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ensemble le principe de loyauté de la preuve. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir rappelé que les enquêteurs de la DGCCRF mettent en oeuvre, pour la recherche des infractions et manquements au livre IV du code de commerce constitués par des pratiques anticoncurrentielles ou des pratiques restrictives de concurrence, les pouvoirs prévus à l'article L. 450-3 du même code et qu'ils disposent par ailleurs de pouvoirs d'enquête pour rechercher des infractions au code de la consommation sur le fondement des articles L. 215-1 et suivants du code de la consommation, la cour d'appel a constaté que c'est l'article L. 450-3 du code de commerce qui est mentionné sur le procès-verbal d'audition du 28 février 2011 de représentants de la société Expedia France et d'une société Expedia.com LTD. Le grief de la première branche, qui soutient que l'enquête portait sur des pratiques contraires au droit de la consommation, procède donc d'un postulat erroné.
8. L'arrêt relève également que, si le procès-verbal de déclaration du 28 février 2011 et de prise de copie de documents ne comporte pas la mention écrite littérale de l'objet de l'enquête, il indique, par une mention pré-imprimée, que les enquêteurs ont justifié de leur qualité et indiqué l'objet de l'enquête et en déduit que les deux personnes entendues étaient parfaitement informées qu'elles étaient interrogées sur le modèle marchand des plate-formes en ligne, concernant leurs relations tant avec les clients finals qu'avec les hôtels partenaires, ainsi que sur la répartition des diverses responsabilités au sein du groupe. De cette appréciation, faisant ressortir que ces personnes connaissaient le contenu concret de l'objet de l'enquête, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la quatrième branche, la cour d'appel a pu déduire que l'obtention, à la demande d'un des enquêteurs ayant procédé à l'audition et postérieurement à celle-ci, des conditions générales de la société Expedia adressées aux hôteliers ainsi que des contrats signés avec ces derniers, transmis par les personnes ainsi entendues, n'était pas déloyale.
9. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
10. Les sociétés du groupe Expedia font grief à l'arrêt de dire que la loi française est applicable alors :
« 1°/ que si l'action du ministre, fondée sur de prétendues pratiques restrictives de concurrence, visant au retrait de clauses contractuelles et à la mise en jeu de la responsabilité d'un des contractants, relève d'une qualification délictuelle, l'appréciation des clauses contractuelles en cause relève d'une qualification contractuelle ; qu'au cas présent, en soumettant la question de la licéité des clauses contestées incluses dans les contrats litigieux à une qualification délictuelle et donc au règlement Rome II, cependant que cette question, tributaire d'une qualification contractuelle, relevait du règlement Rome I, la cour d'appel a méconnu l'article 1er du règlement CE n° 593/2008 dit Rome I ;
2°/ que subsidiairement, à supposer que la question aurait relevé d'une qualification délictuelle, la loi applicable à une obligation non contractuelle n'est la loi du lieu du dommage que si une autre loi n'entretient pas des liens manifestement supérieurs avec la situation ; que de tels liens peuvent se fonder, notamment, sur une relation contractuelle sous-jacente ; qu'au cas présent, les prétendus dommages résultaient de clauses insérées dans des contrats qui étaient tous soumis à la loi anglaise ; qu'à supposer que la question relevait d'une qualification non contractuelle, la loi anglaise, qui régissait les relations contractuelles sous-jacentes entretenait donc des liens manifestement plus étroits et devait donc être appliquée à la place de la loi du lieu du dommage ; qu'en appliquant la loi française en tant que loi du lieu du dommage, la cour d'appel a violé l'article 4 § 3 du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 (dit Rome II) ;
3°/ qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application ; que l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce n'a pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais uniquement d'organiser des intérêts catégoriels, et que son application n'est pas cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, économique et sociale ; qu'il ne s'agit par conséquent pas d'une loi de police ; qu'au cas présent, pour dire l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce applicable, la cour d'appel l'a qualifié de loi de police ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil, ensemble l'article 9 § 1 du règlement Rome I ;
4°/ qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application ; que l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce n'a pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais uniquement d'organiser des intérêts catégoriels, et que son application n'est pas cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, économique et sociale ; qu'il ne s'agit par conséquent pas d'une loi de police ; qu'au cas présent, pour dire l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce applicable, la cour d'appel l'a qualifié de loi de police ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil, ensemble l'article 9 § 1 du règlement Rome I ;
5°/ que, en tout état de cause, les lois de police ne s'appliquent qu'aux situations entrant dans leur champ d'application, déterminé en considération de l'objectif qu'elles poursuivent ; qu'au cas présent, pour dire les articles L. 442-6, I, 2°, et L. 442-6, II, d) du code de commerce applicables, la cour d'appel s'est bornée à relever leur nature de lois de police ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un lien de rattachement de la situation avec la France au regard de l'objectif poursuivi par ces deux textes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil, ensemble l'article 9 § 1 du règlement Rome I. »
Réponse de la Cour
11. Après avoir relevé que le régime spécifique commun aux délits civils prévus par l'article L. 442-6 du code de commerce se caractérise par l'intervention, prévue au III de cet article, du ministre chargé de l'économie pour la défense de l'ordre public, et souligné que les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment pour demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions, la cour d'appel a exactement retenu que l'article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, ce dont elle a déduit, à bon droit, qu'elles constituent des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles qu'à l'article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable.
12. Ayant ensuite relevé que les hôtels signataires des contrats en cause et victimes des pratiques alléguées étaient situés sur le territoire français, la cour d'appel a caractérisé un lien de rattachement de l'action du ministre au regard de l'objectif de préservation de l'organisation économique poursuivi par les lois de police en cause.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
14. Les sociétés du groupe Expedia font grief à l'arrêt de dire que la clause de parité de tarifs et de conditions ainsi que la clause de disponibilité et de dernière chambre disponible sont contraires à l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, mais seulement en tant qu'elles visent l'alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non pratiquées par l'hôtelier lui-même, de dire que la clause de parité et la clause de disponibilité des chambres, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, de dire que les sociétés Expedia France et Expedia Inc. sont également responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, de prononcer la nullité de ces clauses dans les quarante-sept contrats du dossier, d'enjoindre aux sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com LP, Vacationspot SL et Travelscape LLC de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses précitées dans leurs contrats signés avec les hôteliers adhérents de leur plate-forme et de condamner les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Hotels.com LP, Vacationspot SL et Travelscape LLC in solidum, au paiement d'une amende d'un million d'euros au ministre de l'économie alors « que les clauses de disponibilité de la dernière chambre insérées dans les quarante-sept contrats litigieux prévoient uniquement que l'hôtelier devra nécessairement proposer aux plates-formes cocontractantes (Hotels.com, Vacationspot SL et Travelscape) sa dernière chambre disponible, qu'il n'est en aucun cas prévu qu'il devra la lui réserver, que, pour retenir le caractère fautif de cette clause, la cour d'appel a jugé que "cette clause dite "de la dernière chambre disponible" prévoit que, quel que soit le nombre de chambres disponibles à la vente, l'hôtel doit réserver à Expedia la dernière chambre qui serait disponible sur son site", qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
15. L'article L. 442-6, I, d) du code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, dispose que sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant. La cour d'appel a prononcé l'annulation de la clause dite « de disponibilité de la dernière chambre » sur le fondement de ce texte, après avoir retenu qu'elle instituait une garantie d'alignement des conditions faites aux sociétés du groupe Expedia sur les meilleures conditions en terme d'accès à la dernière chambre disponible. Ainsi, il importe peu que la clause litigieuse ait pour objet de permettre la réservation de la dernière chambre disponible de l'hôtel partenaire par le biais des sociétés du groupe Expedia comme par d'autres canaux, mais aux meilleures conditions de ceux-ci, ou de contraindre les hôteliers partenaires à réserver à ces sociétés leur dernière chambre disponible, dès lors que, dans les deux cas, elle les fait bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes en matière de disponibilité des chambres, ce qui suffit à justifier son annulation en application du texte précité.
16. Le moyen est donc inopérant.
Mais sur le cinquième moyen, pris en sa première branche :
Enoncé du moyen
17. Les sociétés du groupe Expedia font le même grief à l'arrêt alors « que les clauses de disponibilité de la dernière chambre insérées dans les quarante-sept contrats litigieux prévoient uniquement que l'hôtelier devra nécessairement proposer aux plates-formes cocontractantes (Hotels.com, Vacationspot et Travelscape) sa dernière chambre disponible ; que ces clauses n'imposent aucunement aux hôteliers de la vendre par l'intermédiaire d'Expedia ; que, pour retenir l'existence d'un déséquilibre significatif, la cour d'appel a jugé que "la clause de la dernière chambre disponible impose aux hôteliers de la vendre par l'intermédiaire d'Expedia et donc de payer une commission sur elle ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
18. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
19. Pour retenir que la clause dite « de la dernière chambre disponible », corrélée à la clause de parité tarifaire, non tarifaire et promotionnelle, entraîne un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, l'arrêt retient que cette clause oblige l'hôtelier qui dispose de chambres encore disponibles à les vendre par l'intermédiaire des sociétés du groupe Expedia.
20. En statuant ainsi, alors que les clauses relatives à la dernière chambre disponible imposaient seulement aux hôteliers de permettre la réservation de cette chambre par le canal des sociétés du groupe Expedia dans les conditions prévues pour d'autres canaux, la cour d'appel, qui a méconnu la volonté exprimée par les parties dans les clauses litigieuses, a violé le texte susvisé.
Portée de la cassation
21. Il résulte du rejet du troisième moyen que l'annulation de la clause de parité de tarifs et de conditions et de la clause dite « de la dernière chambre disponible » est justifiée sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, avec les conséquences qui en résultent en termes d'injonction. La cassation encourue sur le cinquième moyen ne porte donc que sur les chefs de dispositif de l'arrêt disant que ces clauses, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, que les sociétés Expedia Inc. et Expedia France sont responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce et les condamnant, in solidum, au paiement d'une amende d'un million d'euros au ministre de l'économie.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la clause de parité et la clause de disponibilité des chambres, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, dit que les sociétés Expedia France et Expedia Inc. sont également responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code du commerce et les condamne, in solidum avec les sociétés Hotels.com LP, Vacationspot SL et Travelscape LLC, au paiement d'une amende d'un million d'euros au ministre de l'économie, l'arrêt rendu le 21 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, en conséquence, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne le ministre chargé de l'économie aux dépens ;
En application de l'article700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour les sociétés Expedia France, Expedia Inc., Travelscape LLC, Hôtels.com LP et Vacationspot SL
PREMIER MOYEN DE CASSATION
(Déloyauté de l'enquête)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a débouté les défenderesses de leur demande visant à écarter les contrats visés comme pièces à la procédure ;
Aux motifs propres que « l'intervention du ministre de l'économie à l'instance repose notamment sur un « procès verbal de déclaration et de prise de copie de documents » du 28 février 2011, « réalisé en application de l'article L. 450-3 du code de commerce », par un agent de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi de Paris (DIRECCTE), P... C..., accompagné par deux inspecteurs du Service National des Enquêtes de Paris ; que ce procès-verbal de déclaration du 28 février 2011 ne comporte pas la mention écrite littérale de l'objet de l'enquête, mais une mention préimprimée selon laquelle les enquêteurs ont justifié de leur qualité et indiqué l'objet de l'enquête, cette mention faisant foi jusqu'à preuve contraire. Il appartient donc aux sociétés du groupe Expedia de rapporter cette preuve, ce qu'elles ne font pas ; qu'en outre, s'il est exact que les enquêteurs de la DGCCRF ont des pouvoirs d'enquête pour rechercher les infractions au code de la consommation, sur le fondement des articles L. 215-1 et suivants, du code de la consommation, alors en vigueur, la mention expresse de l'article L. 450-3 du code de commerce sur le procès-verbal permettait aux deux personnes entendues, respectivement « senior director » et « conseiller général assistant » de la société Expedia France et Expedia.com LTD, de ne pas se méprendre sur l'objet de l'enquête et de savoir qu'elles étaient entendues au titre du livre IV du code de commerce ; qu'en effet, les enquêteurs de la DGCCRF, habilités par l'article A.450-1 du code de commerce pris en application de l'article L.450-1 du code de commerce, mettent en oeuvre, pour la recherche des infractions et manquements au livre IV du code de commerce les pouvoirs prévus à l'article L. 450-3 du code de commerce ; que ces pouvoirs prévoient notamment la possibilité de « recueillir sur convocation ou sur place les renseignements et justifications » ; qu'en vertu de l'article L.450-2, « les enquêtes donnent lieu à l'établissement de procès-verbaux et, le cas échéant, de rapports ; que les procès-verbaux sont transmis à l'autorité compétente. Un double en est laissé aux parties intéressées. Ils font foi jusqu'à preuve du contraire » ; que l'article L. 450-1 du code de commerce, en vigueur au moment des faits, ajoute que « les procès-verbaux prévus à l'article L.450-2 7 énoncent la nature, la date et le lieu des constatations ou des contrôles effectués. Ils sont signés d'un agent mentionné à l'article L. 450-1 et de la personne concernée par les investigations. En cas de refus de celle-ci, mention en est faite au procès-verbal » ; que par ailleurs, il ressort du contenu de ce procès-verbal que les deux représentants d'Expedia étaient parfaitement informés qu'ils étaient interrogés sur le modèle marchand des plate-formes en ligne, concernant tant leurs relations avec les clients finals, qu'avec les hôtels partenaires, ainsi que sur la répartition des diverses responsabilités au sein du groupe ; que nulle violation du principe de non auto incrimination ne peut donc s'en inférer ; que dès lors, le message électronique du 7 mars 20 Il de P... C... demandant, à la suite de leur audition, à ses deux interlocuteurs d'Expedia de lui faire parvenir, entre autre document, « les conditions générales d'Expedia adressées aux hôteliers » et « 50 contrats signés avec des hôteliers (contrats et annexes le cas échéant) » ainsi que « les contrats signés avec le groupe Accor, Concorde Hôtels, Louvre Hôtels », est dépourvu de toute déloyauté, ceux-ci étant parfaitement informés de l'objet de l'enquête ; qu'il n'est donc pas démontré qu'ils auraient communiqué des documents compromettants leur défense, dans l'ignorance de leur destination véritable ; que la circonstance que la DGCCRF ait enquêté en 2011 sur des pratiques commerciales trompeuses imputables aux plate-formes de réservation hôtelières ne saurait la priver de la faculté d'enquêter sur d'autres pratiques du même secteur, les contrats figurant au dossier étant ceux recueillis à la suite du message électronique du 7 mars 2011 et non dans le cadre de l'enquête de consommation ; qu'il convient donc de rejeter l'exception d'irrecevabilité des contrats versés aux débats » (arrêt attaqué, p. 17 et s.) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « que les pièces versées montrent que la transmission des contrats incriminés aux services du ministère de l'économie a été faite conformément à ses pouvoirs prévus à l'article L 450 du code de commerce ; que l'enquête, dans le cadre de laquelle, les contrats ont été recueillis visait leur conformité à l'ensemble des textes en vigueur et donc également à l'article L 442-6 du code de commerce ; que s'agissant d'une procédure visant la constatation et l'éventuelle sanction de l'irrégularité de clauses contractuelles, "envoi d'une mise en demeure est sans objet; que le tribunal déboutera les défenderesses de leur demande tendant à écarter les contrats visés comme pièces à la procédure » (jugement, p. 13) ;
1°) Alors que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle-ci ; qu'il en résulte que des pièces recueillies à l'occasion d'une enquête portant sur un contexte donné ne peuvent être utilisées dans un contexte différent ; qu'au cas présent, les contrats ont été recueillis par la DGCCRF dans le cadre d'un enquête portant sur de prétendues pratiques trompeuses à l'égard des consommateurs ; qu'elles ne pouvaient donc être utilisées dans le cadre de la présente procédure, qui portait exclusivement sur de prétendues pratiques restrictives de concurrence ; qu'en admettant la recevabilité des contrats, la cour d'appel a violé l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
2°) Alors que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celleci ; qu'au cas présent, la cour d'appel a observé que le procès-verbal de 2011 ne comportait pas la mention écrite littérale de l'objet de l'enquête, mais une mention préimprimée selon laquelle les enquêteurs ont justifié de leur qualité et indiqué l'objet de l'enquête ; que la cour d'appel a considéré que cette mention « faisait foi jusqu'à preuve contraire » (arrêt, p. 17, § 7) ; qu'en statuant ainsi cependant que si une telle mention pouvait faire foi de l'existence d'une information donné par les enquêteurs, elle ne fournissait aucun élément quant au contenu de ladite information, de laquelle dépendait la recevabilité des pièces recueillies par les enquêteurs de la DGCCRF ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
3°) Alors que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celleci ; que la simple mention, dans le procès-verbal de la DGCCRF, de l'article L. 450-3 du code de commerce, qui concerne de manière absolument générale les pouvoirs d'enquête de la DGCCRF, n'était à pas de nature à satisfaire cette obligation ; qu'en estimant que la mention de l'article L. 450-3 du code de commerce dans le procès-verbal aurait permis aux personnes destinataires de déterminer l'objet de l'enquête, la cour d'appel a méconnu l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ensemble le principe de loyauté de la preuve ;
4°) Alors que le principe de loyauté impose à la DGCCRF d'indiquer précisément à la société visée par une enquête l'objet de celle-ci ; que ce principe exclut donc une enquête à objet indéterminé ; qu'au cas présent, en considérant par motifs éventuellement adoptés des premiers juges que l'objet de l'enquête diligentée par la DGCCRF en 2011 portait sur la conformité des contrats « à l'ensemble des textes en vigueur », la cour d'appel a violé l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ensemble le principe de loyauté de la preuve.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
(Loi applicable)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la loi française est applicable ;
Aux motifs que « les parties sont en désaccord sur le règlement applicable, le ministre soutenant l'application du Règlement Rome l, et les sociétés Expedia l'application du Règlement Rome II ; qu'en l'espèce, l'action du ministre n'est pas une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations contractuelles, mais une action publique fondée sur le comportement fautif d'une des parties à la relation commerciale ayant consisté à violer une disposition légale (en imposant à l'autre partie des clauses affectées de nullité) ; que de plus, le comportement reproché à ces parties ne peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu'elles peuvent être déterminées compte tenu de l'objet du contrat, mais comme la violation de règles d'ordre public ; que l'objet de la procédure ne relève donc pas de la « matière contractuelle », mais de la « matière délictuelle », d'où il découle que le règlement Rome Il du Il juillet 2007 s'applique ; qu'en application de l'article 14.1 de ce règlement, « 1. Les parties peuvent choisir la loi applicable à l'obligation non contractuelle: a) par un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage; ou b) lorsqu'elles exercent toutes une activité commerciale, par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage. Ce choix est exprès ou résulte de façon certaine des circonstances et ne porte pas préjudice aux droits des tiers » ; qu'en l'espèce, les parties ont adopté une clause désignant la loi anglaise ; mais que le ministre, tiers au contrat, ne peut être considéré comme ayant librement consenti à cette clause ; que la clause des contrats désignant la loi anglaise lui est donc manifestement inopposable et inapplicable au présent litige ; que l'article 4.1 du règlement dispose par ailleurs: « Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent » ; qu'il s'agit bien du territoire français ; que la loi applicable est donc le droit français et le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ; mais que, à titre surabondant, à supposer même que la règle de conflit aboutirait à la désignation d'une loi étrangère, à partir du moment où l'action du ministre est portée devant une juridiction française, les lois de police s'appliquent, selon l'article 16 qui dispose : « Les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l'application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l'obligation non contractuelle » ; que les lois de police sont définies à l'article 9§1 du règlement Rome I (sur les obligations contractuelles) comme des « disposition(s) impérative(s) dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociales ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement » ; que l'article L. 442-6, l, 2° et l'article L. 442-6, Il, d) du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et s'avèrent donc indispensable pour l'organisation économique et sociale ; que le régime spécifique commun à ces délits civils prévu au III, caractérisé par l'intervention du ministre de l'économie pour la défense de l'ordre public, et les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions ; qu'il s'agit donc de lois de police qui s'imposent au juge du for, même si la loi applicable est une loi étrangère » (arrêt attaqué, p. 22 et s.) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « Sur l'application de la loi prévue par les contrats : que les contrats faisant l'objet de la présente instance comportent tous une clause prévoyant l'application du droit anglais ; qu'aucun signataire desdits contrats n'a contesté son consentement à l'égard de cette clause, tant sur son caractère apparent que sur un quelconque vice du consentement ; qu'un éventuel conflit de loi est réglé par deux règlements européens : - Règlement (CE) N° 593/2008 dit « ROME 1 » sur la loi applicable aux obligations contractuelles du 17 juin 2008, - Règlement (CE) N 864/2007 dit « ROME 2 » sur la loi applicable aux obligations non contractuelles du 17 juillet 2007 ; que l'article L 442-6, sur lequel le ministre de l'économie fonde son action, entend réprimer aussi bien : - des comportements (comme l'indiquent les termes « tenter d'obtenir, .... tenter de soumettre
, participer à ... ) qui ressortent d'une responsabilité quasi-délictuelle, - des obligations contractuelles, acceptées par les parties, contraires à l'ordre public économique que le législateur a voulu instaurer ; qu'en l'espèce les écritures du ministre de l'économie ne font aucunement référence à un quelconque comportement quaskiélictuel et tendent dans leur dispositif, à la seule nullité des clauses qu'il conteste ; que l'on doit donc considérer que les obligations faisant l'objet du présent litige sont bien des « obligations contractuelles », même si le demandeur n'est pas partie au contrat ; que « ROME 1 » dispose dans son article 1 : « Le présent règlement s'applique, dans des situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles relevant de la matière civile et commerciale .... » ; que le ministre de l'économie soutient, à contrario, que le caractère délictuel de son action doit conduire fi retenir « ROME 2 » pour la loi applicable ; que, compte tenu de la portée extrêmement large de l'article L 442-6 du code de commerce, l'interprétation du ministre de l'économie conduirait, dès qu'il Intervient, à priver de toute force juridique le règlement « ROME 1 » qui affirme très clairement dans son article 1, son application aux « obligations contractuelles » ; que ces termes montrent bien que c'est la matière qui emporte la règle de conflits de lois; Attendu par ailleurs que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne doit conduire à donner une interprétation large de la notion « d'obligation contractuelle ») ; enfin, que la protection de l'ordre public économique national revendiquée par le ministre de l'économie n'est pas écartée par « ROME 1 » qui prévoit dans son article 9, "application impérative des lois de police par le juge saisi, qui seraient en contradiction avec la loi choisie par les parties ; que l'article 3 de « ROME 1 », intitulé « Liberté de choix », dispose en 1. : « Le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause ...... » ; qu'en l'espèce les parties ont clairement choisi ra loi anglaise ; que la réserve sur J'application de la loi choisie par les parties, contenue dans l'article 3.3 de ROME 1. ne peut être retenue dans la mesure où tous les autres éléments de ra situation ne sont pas localisés dans un seul autre pays, en l'occurrence la France ; que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu d'appliquer le choix exprès des parties, à savoir la loi anglaise ; que le tribunal dira que la loi applicables aux contrats visés dans l'assignation est la loi anglaise ; que, sur le caractère de loi de police impérative de l'article L 442-6 du code de commerce ; que « ROME 1 » dispose dans son artide 9 « Lois de police » : « 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement. 2. Les dispositions du présent réglement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi. 3. Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent étre ou ont été exécutées, dans la mesure ou lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit étre donné a ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de Jeur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non.application » ; que le caractère de loi de police de l'artide L 442·6 du code de commerce est affirmé par le ministre de l'économie ; qu'il faut donc de rechercher si l'article L 442-6 du code de commerce doit être considéré comme une loi de police ; que si l'article L 442-6 est, à l'évidence, un texte d'ordre public économique en droit français, il convient en l'espèce, de vèrifier son caractère de loi de police au sens du règlement européen « ROME 1 » ; qu'au sens de « ROME 1 », « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, .... » ; que par ailleurs, le point 37 de l'exposé des motifs dudit règlement ROME 1 souligne : « Des considérations d'intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l'exception d'ordre public et les lois de police. La notion de « lois de police » devrait être distinguée de celle de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » et devrait être interprétée de façon plus reslrictive. » ; que les termes « crucial » ou « circonstances exceptionnelles », « plus restrictive », présent dans le texte de ROME 1, montrent que le règlement européen entend définir strictement la loi de police. et donc de la distinguer de la simple loi d'ordre public ; que l'article L 442-6 du code de commerce ne porte pas sur les pratiques concurrentielles régies par le règlement 1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence, mais des pratiques restrictives de concurrence lesquelles sont prohibées spécifiquement par l'article L 442-6 du code de commerce, sans nécessiter une prise en compte de la notion de marché ; qu'il n'y a donc pas lieu de faire application des règles du règlement 1/2003 en l'espèce ; que l'article L 442-6 regroupe les comportements prohibés à travers deux grands titres, comportant respectivement 12 et 5 interdictions : que la portée de ces interdictions est très variable, certaines visant notamment des problématiques de financement « d'animations commerciales ..... en particulier dans le cadre de la rénovation de magasin .... », d'autres, « D'obtenir d'un revendeur exploitant une surface de vente au détail inférieure â 300 mètres carrés .... » ; que l'examen de ces dispositions montre qu'elles n'ont pas toutes, à l'évidence, la même portée pour la sauvegarde de l'organisation économique française ; que si l'ensemble des dispositions de cet article ressort bien de l'ordre public économique inteme, le caractère restrictif de la définition de « ROME 1 » doit conduire à écarter la qualification de loi de police au sens du règlement européen, pour l'ensemble de l'article L 442-6 du code de commerce ; néanmoins que le texte contient le terme « disposition », ce qui permet de considérer qu'une disposition contenue dans une loi, peut être définie comme loi de pouce, à l'exdusion des autres ; que le ministre de l'économie entend fonder son action sur deux dispositions précises d'interdiction de l'article L 442-6 du code de commerce, à savoir : - L 442-6 " d « De bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant », - L 442-6 1 2° « De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; qu'il convient donc d'examiner si ces dispositions peuvent être qualifiées de « loi de police » ; que sur l'article L 442-6 Il d : que l'article L 442-6 Il d, édicte une interdiction qui n'a pas de portée générale, car elle vise des secteurs dans lesquels plusieurs petits foumisseurs concurrents sont face à un seul acheteur, et particulièrement la grande distribution ; qu'elle ne peut donc pas être considérée, comme « cruciale» pour la sauvegarde de l'ensemble de l'économie ; que le tribunal dira que l'article L 442-6 Il d) n'est pas une disposition dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police ; que sur l'article L 442-6 1 2° : que l'article L 442-612° est une des dispositions visant à assurer, comme l'explique l'exposé des motifs de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie « la réforme juridique du cadre juridique des relations commerciales ... » ; que cette disposition vise à assurer la protection d'une « partie faible » au contrat ; que, par cette disposition, le législateur a clairement jugé que les règles fondamentales de la formation et du consentement s'appliquant aux contrats commerciaux, n'étaient pas suffisantes et qu'il est nécessaire de renforcer le contrôle de l'équilibre et de la réciprocité ; que cette protection, déjà assurée dans les textes européens et français pour les consommateurs, traduit la volonté de rétablir un équilibre contractuel que le législateur estime menacé par l'évolution des pratiques commerciales, notamment du fait des concentrations nationales ou intemationales de nombreux acteurs économiques ; que cette protection ne doit pas être considérée comme s'attachant à des intérêts catégoriels, rien n'indiquant qu'elle se limite au secteur de la grande distribution ; que compte tenu de ces éléments, il faut donc considérer que l'article L 442-6 1 2° du code de commerce est une disposition dont J'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays au point de régil impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police ; qu'en l'espèce, les établissements hôteliers, objet des contrats, sont situés sur le territoire français ; que la qualification de loi de police de l'article l 442-6 12°, n'est pas susceptible d'introduire une distorsion de concurrence avec d'autres établissements pour lesquels les contrats ne seraient pas soumis à la même loi impérative ; que le tribunal dira que, pour des établissements situés en France, l'article L 442-612° est une disposition dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays au point de régir impérativement la situation quelle que soit la loi applicable et de constituer une loi de police » (jugement, p. 13 et s.) ;
1°) Alors que si l'action du ministre, fondée sur de prétendues pratiques restrictives de concurrence, visant au retrait de clauses contractuelles et à la mise en jeu de la responsabilité d'un des contractants, relève d'une qualification délictuelle, l'appréciation des clauses contractuelles en cause relève d'une qualification contractuelle ; qu'au cas présent, en soumettant la question de la licéité des clauses contestées incluses dans les contrats litigieux à une qualification délictuelle et donc au règlement Rome II, cependant que cette question, tributaire d'une qualification contractuelle, relevait du règlement Rome I, la cour d'appel a méconnu l'article 1er du règlement CE n° 593/2008 dit Rome I ;
2°) Alors que, subsidiairement, à supposer que la question aurait relevé d'une qualification délictuelle, la loi applicable à une obligation non contractuelle n'est la loi du lieu du dommage que si une autre loi n'entretient pas des liens manifestement supérieurs avec la situation ; que de tels liens peuvent se fonder, notamment, sur une relation contractuelle sous-jacente ; qu'au cas présent, les prétendus dommage résultaient de clauses insérés dans des contrats qui étaient tous soumis à la loi anglaise ; qu'à supposer que la question relevait d'une qualification non contractuelle, la loi anglaise, qui régissait les relations contractuelles sous-jacente entretenait donc des liens manifestement plus étroits et devait donc être appliquée à la place de la loi du lieu du dommage ; qu'en appliquant la loi française en tant que loi du lieu du dommage, la cour d'appel a violé l'article 4§3 du règlement n° 864/2007 du 11 juillet 2007 (dit Rome II) ;
3°) Alors qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application ; que l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce n'a pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais uniquement d'organiser des intérêts catégoriels, et que son application n'est pas cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, économique et sociale ; qu'il ne s'agit par conséquent pas d'une loi de police ; qu'au cas présent, pour dire l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce applicable, la cour d'appel l'a qualifié de loi de police ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 du Code civil, ensemble l'article 9§1 du règlement Rome I ;
4°) Alors qu'une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application ; que l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce n'a pas pour objet de défendre un intérêt public du pays, mais uniquement d'organiser des intérêts catégoriels, et que son application n'est pas cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, économique et sociale ; qu'il ne s'agit par conséquent pas d'une loi de police ; qu'au cas présent, pour dire l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce applicable, la cour d'appel l'a qualifié de loi de police ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 3 du Code civil, ensemble l'article 9§1 du règlement Rome I ;
5°) Alors que, en tout état de cause, les lois de police ne s'appliquent qu'aux situations entrant dans leur champ d'application, déterminé en considération de l'objectif qu'elles poursuivent ; qu'au cas présent, pour dire les articles L. 442-6, I, 2° et L. 442-6, II, d) du code de commerce applicables, la cour d'appel s'est bornée à relever leur nature de lois de police ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un lien de rattachement de la situation avec la France au regard de l'objectif poursuivi par ces deux textes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du Code civil, ensemble l'article 9§1 du règlement Rome I.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
(Conformité des clauses à l'article L. 442-6, II, d))
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la clause de parité de tarifs et de conditions ainsi que la clause de disponibilité et de dernière chambre disponible sont contraires à l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, mais seulement en tant qu'elles visent l'alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non pratiquées par l'hôtelier lui-même, d'avoir dit que la clause de parité et la clause de disponibilité des chambres, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, d'avoir dit que les sociétés Expedia France et Expedia Inc sont également responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, d'avoir prononcé la nullité de ces clauses dans les 47 contrats du dossiers, d'avoir enjoint aux sociétés Expedia France, Expedia Inc, Hotels.com, Vacationspot et Travelscape de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses précitées dans leurs contrats signés avec les hôteliers adhérents de leur plate-forme et d'avoir condamné les sociétés Expedia France, Expedia Inc, Hotels.com, Vacationspot et Travelscape in solidum, au paiement d'une amende de 1 million d'euros au ministre de l'économie ;
Aux motifs propres que « le ministre de l'économie et l'UMIH soutiennent à titre principal que les clauses de parité et de disponibilité violent l'interdiction édictée par l'article L. 442-6 II d) du code de commerce ; que selon l'article L. 442-6, II, d) : « Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité .' (. .. ) d) De bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant » ; que l'alinéa d) de cet article, dit de la clause de « la nation la plus favorisée », interdit à un commerçant d'exiger de son partenaire qu'il lui consente les mêmes avantages qu'à ses concurrents ; qu'il concerne toutes les conditions, tarifaires ou non tarifaires ; que la clause de parité est ainsi rédigée, avec quelques nuances dans certains contrats : « 2. TARIFS. La propriété fixera les tarifs des chambres de telle sorte qu'ils seront (a) au moins aussi intéressants en terme de tarif, de règles, de termes et de conditions que ceux proposés ou fixés par la propriété pour les chambres proposées à la réservation par le biais de tout canal de la propriété ou canal tiers, et (b) au moins 25 % ou 20 euros (suivant lequel est le plus bas) inférieure au meilleur tarif disponible, y compris les tarifs de réservation promotionnels », « 4. Primes/offres spéciales : la propriété proposera les mêmes primes, dérogations, promotions et autres offres spéciales que par le biais de tout canal de la propriété ou de tout autre canal tiers et ce pour chaque société » ; que cette clause impose à l'hôtelier signataire de faire bénéficier automatiquement les sociétés du groupe Expedia des conditions (tarifaires, non tarifaires et promotionnelles) au moins aussi favorables que celles accordées via les autres réseaux de distribution (plate-formes concurrentes, autres formes de distribution par des tiers concurrents, ventes par l'hôtelier lui-même sur son propre site ou dans le cadre de la vente directe de ses nuités) ; que les sociétés du groupe Expedia profitent donc non seulement du tarifie plus bas pratiqué par l'hôtelier partenaire sur son propre site ou dans le cadre de la vente directe de ses nuités, mais aussi de tout avantage supplémentaire, tel un surclassement, un petit-déjeuner gratuit, des conditions d'annulation plus souples, des avantages de fidélisation ; que la clause litigieuse excède le champ d'application de l'article L. 442-6, II, d) à plusieurs titres ; qu'en premier lieu, elle s'étend aussi aux conditions les plus favorables accordées par l'hôtelier lui-même ; qu'or, ce cas de figure semble exclu par la rédaction même de l'article L. 442-6, II, d) qui sanctionne seulement l'alignement automatique sur les conditions plus favorables consenties aux "entreprises concurrentes" par l'hôtelier partenaire, et non celles pratiquées par l'hôtelier lui-même sur son propre site et dans le cadre de ventes directes ; qu'en second lieu, la clause des contrats garantit également à Expedia des tarifs inférieurs d'au moins 25 % aux meilleurs tarifs disponibles pour des réservations de chambre seule ou d'au moins 10 % pour des réservations de chambre dans le cadre de forfait voyage ; qu'elle n'entraîne donc pas seulement un alignement sur les conditions les plus favorables, mais garantit en plus à Expedia des réductions supplémentaires significatives par rapport à ces conditions les plus favorables, ce qui lui permet de proposer à la vente des tarifs inférieurs aux meilleurs tarifs du marché ; que les sociétés du groupe Expedia exposent vainement que la clause concernerait les conditions consenties aux consommateurs finals et non à elles et, qu'ainsi l'article en cause serait inapplicable ; que les conditions consenties sont en réalité celles donc le consommateur bénéficiera s'il réserve un chambre par l'intermédiaire des sociétés du groupe Expedia. Elles constituent donc des conditions de distribution des nuités. En ce sens, l'article L. 442-6, II, d) est bien applicable ; qu'en conclusion, cette clause, dans ses diverses variantes, est donc bien contraire à l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, mais seulement en tant qu'elle vise l'alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non celles pratiquées par les canaux de distribution de l'hôtelier lui-même (vente en ligne ou vente directe) ; qu'elle ne couvre pas davantage les hypothèses où sont garanties à Expedia des conditions plus favorables que celles octroyées à ses concurrents ; que, sur la clause de disponibilité de la chambre : la clause est ainsi rédigée dans la plupart des contrats, avec quelques menues variantes: « 1. CHAMBRES : (...) En plus de toute attribution de chambres, la propriété mettra également toute chambre non réservée existant au sein de la propriété à la disposition des clients pour réservation, même si toutes les chambres ont été réservées ou ne sont plus attribuées à une société (accès à la dernière chambre disponible) » ; que la variante de la clause est ainsi rédigée : « L'Etablissement acceptera aussi de laisser ses chambres encore disponibles être réservées par le biais du système aussi longtemps que les dites chambres sont réservables sur ses propres canaux de distribution (accès à la derrière chambre disponible) » ; que cette clause dite « de la dernière chambre disponible » prévoit que, quel que soit le nombre de chambres disponibles à la vente, l'hôtel doit réserver à Expedia la dernière chambre qui serait disponible sur son site ; qu'une exigence plus large de parité des disponibilités figure dans le contrat conclu avec Groupe Concorde Hotels qui stipule que l'hôtel « devra rendre disponible à la réservation sur la plateforme de réservation d'Expedia au moins le même nombre et type de chambre que celui disponible sur tout canal de distribution de l'hôtel ou d'un tiers » et que l'hôtel « devra mettre des Chambres à disposition pour réservation tous les jours pendant la durée de l'Accord » (traduction libre) ;
qu'il s'agit là encore d'une garantie d'alignement d'Expedia sur les meilleures conditions en terme de disponibilité de chambres. Mais cette clause garantit aussi que l'hôtelier ne pourra faire bénéficier ses propres clients de conditions plus favorables. Elle échappe donc, dans cette mesure, à la qualification de l'article L. 442-6, II, d) à cause de la rédaction de cet article, qui distingue bien l'hôtelier du "partenaire concurrent" ; que cette clause dans ses diverses versions est donc contraire à l'article L. 442-6,II, d), mais sous les mêmes réserves d'interprétation que la clause de parité ; que ces clauses sont donc nulles au sens de l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, mais seulement sous ces réserves ; que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il n'a pas appliqué cet article » (arrêt attaqué, p. 24 et s.) ;
1°) Alors que aux termes de l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, sont nulles les clauses permettant à un professionnel de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes ; qu'en revanche, ne sont aucunement nulles les clauses permettant à un professionnel de faire bénéficier les consommateurs des conditions plus favorables consenties aux clients consommateurs d'un autre professionnel ; qu'au cas présent, la clause de parité contestée prévoyait que les tarifs proposés aux consommateurs devraient être au moins aussi intéressant que ceux proposés aux consommateurs par tout autre canal ; qu'une telle clause ne faisait pas bénéficier les sociétés exposantes de tarifs ou conditions plus favorables mais uniquement les consommateurs ; qu'en jugeant néanmoins la clause de parité nulle, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce ;
2°) Alors que aux termes de l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, sont nulles les clauses permettant à un professionnel de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes ; qu'en revanche, ne sont aucunement nulles les clauses permettant à un professionnel de faire bénéficier les consommateurs des conditions plus favorables consenties aux clients consommateurs d'un autre professionnel ; qu'au cas présent, la clause de disponibilité de la dernière chambre prévoyait que les consommateurs pourraient bénéficier de la même disponibilité que celle accessible aux consommateurs par tout autre canal ; qu'une telle clause ne faisait pas bénéficier les sociétés exposantes de tarifs ou conditions plus favorables mais uniquement les consommateurs ; qu'en jugeant néanmoins la clause de parité nulle, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce ;
3°) Alors que les clauses de disponibilité de la dernière chambre insérées dans les 47 contrats litigieux prévoient uniquement que l'hôtelier devra nécessairement proposer aux plates-formes cocontractantes (Hotels.com, Vacationspot et Travelscape) sa dernière chambre disponible ; qu'il n'est en aucun cas prévu qu'il devra la lui réserver ; que, pour retenir le caractère fautif de cette clause, la cour d'appel a jugé que « cette clause dite « de la dernière chambre disponible » prévoit que, quel que soit le nombre de chambres disponibles à la vente, l'hôtel doit réserver à Expedia la dernière chambre qui serait disponible sur son site » (p. 26, in limine) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
(Sur la soumission ou tentative de soumission)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la clause de parité de tarifs et de conditions ainsi que la clause de disponibilité et de dernière chambre disponible sont contraires à l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, mais seulement en tant qu'elles visent l'alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non pratiquées par l'hôtelier lui-même, d'avoir dit que la clause de parité et la clause de disponibilité des chambres, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, d'avoir dit que les sociétés Expedia France et Expedia Inc sont également responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, d'avoir prononcé la nullité de ces clauses dans les 47 contrats du dossiers, d'avoir enjoint aux sociétés Expedia France, Expedia Inc, Hotels.com, Vacationspot et Travelscape de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses précitées dans leurs contrats signés avec les hôteliers adhérents de leur plate-forme et d'avoir condamné les sociétés Expedia France, Expedia Inc, Hotels.com, Vacationspot et Travelscape, in solidum, au paiement d'une amende de 1 million d'euros au ministre de l'économie ;
Aux motifs propres que « selon l'article L. 442-6, l, 2° du code de commerce: « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (
) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont donc, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties ; que les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie du contrat et in concreto ; que la preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve ; qu'enfin, les effets des pratiques n'ont pas à être pris en compte ou recherchés ; que, sur la soumission ou tentative de soumission : si le ministre de l'économie et l'UMIH concluent à l'absence de toute négociation, les sociétés appelantes prétendent que les contrats ne sont pas le fruit d'une contrainte ou d'une soumission et versent aux débats, à titre d'exemples, sept contrats de référencement signés avec d'autres fournisseurs ; mais que le groupe Expedia est le leader mondial du voyage en ligne, comme l'a constaté l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 15-D-06 du 21 avril 2015 sur les pratiques mises en oeuvre par les sociétés Booking.com dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne ; qu'il se situe au deuxième rang dans ce secteur de la réservation hôtelière en ligne et dans un rapport de force défavorable aux hôteliers, ainsi que l'a souligné une étude Xerfi publiée en septembre 2012 sur l'hôtellerie, qui décrit la force de frappe des agences de voyage en ligne par rapport aux hôtels indépendants, qui maîtrisent mal la distribution de leurs produits ; qu'en outre, pendant la période sous revue, les commissions versées par les hôtels aux agences en ligne sont passées de 4 à 6 % du chiffre d'affaires total hébergement hôtels, et la commssion versée aux sociétés Expedia s'élève à 25 % du prix de la chambre, ce qui traduit une évolution défavorable aux hôtels indépendants ; que les clauses litigieuses étaient insérées dans tous les contrats signés par les hôtels, lesquels ne disposaient pas du pouvoir réel de les négocier, et il a été relevé que les hôtels, dont aucun ne disposait d'une réelle force de négociation, ne pouvaient pas prendre le risque d'être déréférencés par les sociétés du groupe Expedia qui détenaient, en 2009, des parts importantes du marché de la vente de nuités ; que ce type de partanariat est devenu incontournable pour les hôteliers, 70 % des chambres réservées en ligne l'étant par le biais des agences de voyage en ligne ou des plate-formes de réservation (OTA). Ce canal représente 24 % du chiffre d'affaires des hôteliers. En outre, le poids d'Expedia lui permet d'acheter aux moteurs de recherche les plus importants les mots clés et liens commerciaux qui lui permettent d'être mise en avant dans le listing des sites correspondant à la recherche d'un consommateur sur Internet ; que l'Autorité de la concurrence, dans son avis précité, a, ainsi, considéré qu'une plateforme de réservation hôtelière en ligne, comme Booking.com ou Expedia, n'était pas en concurrence avec les autres canaux tels que les méta-moteurs de recherche ou les moteurs de recherche (§ 100), ces différents services n'étant pas substituables, tant du point de vue du consommateur que du point de vue des hôtels ; qu'elle a estimé que le marché pertinent à considérer pour apprécier le pouvoir de marché des plateformes de réservation hôtelière en ligne était plutôt celui de l'offre de services de nuitées seules d'hôtels français sur des plateformes de réservation hôtelière en ligne et agences de voyages en ligne ; que, sur ce marché, Expedia minimise sa part de marché en prétendant que le site expedia.fr ne dispose que d'une part de marché de 4 % ; qu'en effet, Expedia n'exploite pas que ce site, mais aussi hotels.com (13 %), venere.com (8 %), ebookers.fr depuis le rachat du groupe Orbitz en 2015 pour 1,3 milliard de dollars (3 %) et voyages-sncf.fr grâce à son partenariat privilégié historique avec la SNCF (4 %) ; qu'l'UMIH évalue sa part de marché à partir de ses propres données, sans être sérieusement contredite par Expedia, à environ 32 % ; que face à cet opérateur, les hôtels, quelle que soit leur taille, sont dépourvus de tout moyen de pression ; que cela se traduit tout d'abord par l'absence de toute négociation possible par l'hôtelier des conditions générales et des contrats qui lui sont imposés par les plateformes ; qu'ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence dans sa décision Booking.com précitée, les conditions générales support des contrats de distribution « ne sont en principe pas négociables pour les hôtels indépendants » ; qu'ainsi que l'a également souligné l'Autorité de la concurrence, l'ensemble des OTA, même petites, semblent disposer d'un pouvoir de marché suffisant pour imposer leurs clauses de parité aux hôtels partenaires (§ 127) ; que les différences signalées dans certains contrats produits par les sociétés du groupe Expedia, pour démontrer l'absence de contrainte pesant sur les hôtels, sont de pure forme, et tiennent au seul fait que deux versions des contrats coexistent dans les contrats soumis à l'appréciation de la cour, selon que le contrat pré rédigé est celui de Vacation Sport ou de WWTE Travel Ltd ; que ces différences de détail ne sauraient en elles-mêmes témoigner de l'existence de véritables négociations ; que les sociétés du groupe Expedia, acteur important de la réservation hôtelière en ligne, étaient donc en mesure de « soumettre ou tenter de soumettre » les hôteliers à des obligations déséquilibrées » (arrêt attaqué, p. 27 et s.) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « sur la nullité alléguée des clauses dite « d'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires » ; que tous les contrats visés comprennent une ou plusieurs clauses tendant à assurer aux défenderesses signataires, un alignement automatique sur les meilleures conditions tarifaires ; que la loi anglaise, loi du contrat, ne contient pas de disposition spécifique prohibant ce type de clause ; qu'il n'y pas lieu de faire application de l'interdiction édictée au L 442-6 " d) qui n'est pas qualifiée de loi de police par le tribunal, les parties ayant opté pour la loi anglaise qui ne comporte pas une telle interdiction ; qu'il convient néanmoins de rechercher si de telles clauses ne sont pas prohibées au sens de l'article L 442-6 1 20 , qu'il convient d'appliquer au titre de son caractère de loi de police ; que l'article L 442-6 1 20 interdit : « De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que si les formulations des différents contrats ne sont pas identiques, ils contiennent tous des dispositions visant à l'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires ; que la rédaction exacte de chaque clause importe peu, le débat ne portant que sur le mécanisme inscrit dans le contrat ; que, selon les défenderesses, cette obligation ne peut être considérée en ellemême, comme créant un déséquilibre significatif, cette notion devant s'apprécier au regard de l'équilibre général du contrat ; que la notion de déséquilibre doit s'analyser, pour une clause précise, au regard d'éventuelles autres clauses venant rétablir un équilibre, sauf â créer, par la nullité d'une clause en faveur d'un contractant, un nouveau déséquilibre en faveur de l'autre ; qu'il convient néanmoins aux défenderesses de faire la preuve que fa clause incriminée s'inscrit dans un contexte contractuel plus large, et que d'autres clauses rétablissent l'équilibre contesté ; qu'en l'espèce, les défenderesses soutiennent que le prix le plus bas, est en fait celui, in fine, accordé au consommateur et que donc la clause n'est pas à leur bénéfice et n'est que la contrepartie des investissements importants qu'elles consentent et du modèle de rémunération à la réservation et non à la simple visite ; que le fait d'assurer au consommateur le prix le plus bas (ce qui est mis en avant sur les sites Internet) est assuré par les défenderesses en conservant intégralement leur marge relative (fixée en pourcentage, avec éventuellement un plancher en valeur absolue) et non en faisant un effort sur leurs propres taux de marge, même en cas de promotion accordée par l'hôtel ; que ces dispositions peuvent peser très fortement sur la marge réelle des dernières chambres vendues à des tarifs promotionnels, sans impacter significativement la marge des défenderesses ; que, comme le soulignent les défenderesses elles-mêmes dans leurs écritures sur la compétence « materiae » : « Les défenderesses n'achètent ni ne revendent les nuitées et ne supportent donc aucun risque lié à la réservation ou non d'une chambre (pas de risque d'invendu, de stocks etc .. ). Notamment elles ne perdent pas le prix de la nuitée si la réservation est annulée. » ; que ces éléments montrent bien que la clause « d'alignement automatique sur les meilleures conditions tarifaires » n'est pas la contrepartie d'un risque ou d'un engagement d'achat minimum justifiant un tel avantage ; que l'ensemble de ces éléments montrent que les obligations des parties sont significativement déséquilibrées et que les clauses d'alignement automatique sur les meilleures conditions tarifaires, compte tenu de l'équilibre général des contrats objet du litige, sont contraires à l'article L442-6 1 20 du code de commerce qui est d'application impérative ; que le fait que ces clauses ne soient pas systématiquement appliquées par les défenderesses n'a pas d1ncidence sur leur légalité ; que le code de commerce prévoit que le ministre de l'économie peut faire constater la nullité des clauses contraires aux dispositions de l'article L 442-6, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'une telle décision ne peut être assimilée à une immixtion du juge dans la fixation du prix dans la mesure où elle ne fait qu'interdire une fixation de prix ne tenant pas compte réellement de la volonté des parties ; que le tribunal dira que, faute de contrepartie suffisante, les clauses visant à J'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles, dans les contrats des hôtels incriminés situés sur le territoire français, sont constitutives d'un déséquilibre significatif au sens de J'article L 442-6 1 20 et sont nulles ; que, sur la nullité alléguée de la clause dite « de la demière chambre disponible » ; que la loi anglaise, loi du contrat ne contient pas d'interdiction de ce type de clause ; que le ministre de l'économie et les organisations professionnelles soutiennent que cette clause, corrélée à la clause visant à l'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles constitue un déséquilibre significatif prohibé par l'article L 442-6 J 20 qui est une loi de police ; qu'il n'y a pas lieu de considérer la coexistence des deux clauses, dans la mesure où le tribunal a retenu la nullité des clauses visant à robtennon automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles dans les contrats faisant l'objet de la présente instance ; que concemant la « clause dite de demière chambre disponible », dans la mesure où l'hôtelier reste libre de fixer son prix, selon le canal de distribution, on doit considérer qu'elle est la contrepartie de la visibilité offerte par les défenderesses sans rémunération financière fixe ; que cette visibilité perdrait toute crédibilité si le visiteur du site internet n'avait pas au moins la certitude d'une information fiable sur la disponibilité réelle des chambres ; qu'il faut donc considérer, qu'en elle-même, cette clause ne crée pas un déséquilibre significatif ; que le tribunal déboutera les demandeurs au titre de la nullité de la clause dite « de la demière chambre disponible » » (jugement, p. 17 et s.) ;
1°) Alors que l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce sanctionne la pratique consistant à « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif » et non le fait d'être en mesure de « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif » ; qu'au cas présent, la cour d'appel a condamné les sociétés exposantes sur le fondement de ce texte au motif qu'elles auraient été « en mesure de « soumettre ou tenter de soumettre » les hôteliers à des obligations déséquilibrées » (arrêt attaqué, p. 29, § 3) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
2°) Alors que l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce sanctionne la pratique consistant à « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif » ; que ce texte implique donc, outre l'existence d'un déséquilibre significatif, d'établir que l'un des contractants a positivement imposé la clause contestée à l'autre en la soustrayant à toute négociation ; qu'au cas présent, la cour d'appel a considéré que les clauses contestées seraient prohibées par le texte précité au motif qu'elles créeraient un déséquilibre significatif, sans rechercher si elles avaient effectivement été soustraites à la négociation ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
3°) Alors que l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce sanctionne la pratique consistant à « soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif » ; que ce texte implique donc, outre l'existence d'un déséquilibre significatif, d'établir que l'un des contractants a effectivement imposé la clause contestée à l'autre en la soustrayant à toute négociation ; que cette démonstration ne saurait être présumée à partir de la simple circonstance que l'un des contractants est une agence de tourisme en ligne (OTA) ; que, pourtant, pour établir la soumission ou tentative de soumission, la cour d'appel s'est uniquement fondée sur la circonstance que les sociétés exposantes étaient des OTA, estimant que « l'ensemble des OTA, même petites, semblent disposer d'un pouvoir de marché suffisant pour imposer leurs clauses de parité aux hôtels » (arrêt attaqué, p. 29, in limine) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
4°) Alors que le juge, pour motiver sa décision, doit se déterminer d'après les circonstances particulières du procès et non par référence à des causes déjà jugées dans un litige différent ; que, pour retenir que les clauses des sociétés du groupe Expedia ne seraient pas négociables, l'arrêt se fonde exclusivement sur des remarques faites par l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 15-D-06 du 21 avril 2015 relative à Booking.com ; qu'en motivant ainsi sa décision par référence à une autre décision, rendue dans un autre litige, et concernant une autre partie, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) Alors que, dans sa décision n° 15-D-06 du 21 avril 2015, l'Autorité de la concurrence a observé que le groupe Booking.com était leader européen et français du voyage en ligne avec une part deux fois plus importante qu'Expedia (décision, § 108) ; que la même décision ne comporte aucune indication quant au leader mondial ; qu'en énonçant, au contraire, que « le groupe Expedia est le leader mondial du voyage en ligne, comme l'a constaté l'Autorité de la concurrence dans sa décision n° 15-D-06 du 21 avril 2015 » (arrêt, p. 28, § 3), la cour d'appel a dénaturé ladite décision, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause ;
6°) Alors que, dans sa décision n° 15-D-06 du 21 avril 2015, l'Autorité de la concurrence a constaté, au sujet des conditions générales de booking.com, que celles-ci « ne sont en principe pas négociables pour les hôtels indépendants et franchisés » (§ 53) ; qu'en se fondant sur ce passage, exclusivement relatif aux pratiques mises en oeuvre par booking.com, et non par Expedia, pour en déduire que les conditions générales des contrats conclus par Expedia ne seraient pas négociables (arrêt attaqué, p. 29, in limine), la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
7°) Alors que le tableau produit par Expedia (conclusions Expedia, p. 56, in limine), et sur lequel se fonde l'UMIH pour affirmer que les sociétés du groupe Expedia disposeraient de « 32 % de parts de marché » (conclusions UMIH, pt. 111), concerne, non les parts de marché, mais « les sites marchands les plus visités par les e-shoppeurs » (conclusions Expedia, p. 56, in limine) ; qu'en affirmant, en reprenant mot à mot les affirmations de l'UMIH, que la part de marché d'Expedia serait de 32 %, la cour d'appel a dénaturé le tableau en cause, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable en la cause ;
8°) Alors que les sociétés exposantes contestaient longuement détenir une part de marché importante, en produisant de très nombreux éléments de preuve au soutien de leurs affirmations (conclusions Expedia, p. 55-57) ; qu'en affirmant que « l'UMIH évalue sa part de marché à partir de ses propres données, sans être sérieusement contredite par Expedia, à environ 32 % » (arrêt attaqué, p. 28), cependant que Expedia contredisait très sérieusement, de manière argumentée et documentée, cette affirmation, la cour d'appel a dénaturé les conclusions du groupe Expedia, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable en la cause ;
9°) Alors que les juges du fond doivent analyser, même de manière sommaire, les éléments de preuve qu'ils décident d'écarter ; que les sociétés exposantes contestaient longuement détenir une part de marché importante, et produisaient de très nombreux éléments de preuve au soutien de leurs affirmations (conclusions Expedia, p. 55-57) ; qu'en affirmant que « l'UMIH évalue sa part de marché à partir de ses propres données, sans être sérieusement contredite par Expedia, à environ 32 % » (arrêt attaqué, p. 28), sans analyser, même de manière sommaire les éléments de preuve produits par les exposantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
10°) Alors que l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce réprime le fait de soumettre ou tenter de soumettre un cocontractant à des clauses entraînant un déséquilibre significatif ; que la cour d'appel n'a relevé aucun élément de nature à établir que les sociétés Expedia France et Expedia Inc, qui ne sont pas signataires des contrats concernés, auraient soumis ou tenté de soumettre les hôteliers aux clauses contractuelles contestées ; qu'en les condamnant néanmoins, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce ;
11°) Alors que, subsidiairement, l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce réprime le fait de soumettre ou tenter de soumettre un cocontractant à des clauses entraînant un déséquilibre significatif ; qu'aucun texte ne permet de sanctionner la complicité au même titre que la soumission ou tentative de soumission envisagée par le texte précité ; qu'à supposer que la condamnation des sociétés Expedia France et Expedia Inc. repose, dans l'esprit de la cour d'appel, sur l'idée de complicité qui l'a conduite à écarter la demande de mise hors de cause de ces sociétés (arrêt attaqué, p. 21), la cour d'appel a également violé l'article . 442-6, I, 2° du code de commerce.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION
(Sur le déséquilibre significatif)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la clause de parité de tarifs et de conditions ainsi que la clause de disponibilité de la dernière chambre sont contraires à l'article L. 442-6, II, d) du code de commerce, mais seulement en tant qu'elles visent l'alignement sur les meilleures conditions consenties aux concurrents tiers et non pratiquées par l'hôtelier lui-même, d'avoir dit que la clause de parité et la clause de disponibilité des chambres, par leurs effets cumulés, constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, d'avoir dit que les sociétés Expedia France et Expedia Inc sont également responsables de la violation de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, d'avoir prononcé la nullité de ces clauses dans les 47 contrats du dossiers, d'avoir enjoint aux sociétés Expedia France, Expedia Inc, Hotels.com, Vacationspot et Travelscape de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses précitées dans leurs contrats signés avec les hôteliers adhérents de leur plate-forme et d'avoir condamné les sociétés Expedia France, Expedia Inc, Hotels.com, Vacationspot et Travelscape, in solidum, au paiement d'une amende de 1 million d'euros au ministre de l'économie ;
Aux motifs propres que « selon l'article L. 442-6, l, 2° du code de commerce: « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (
) 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence sont donc, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif. L'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément. L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties ; que les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l'économie du contrat et in concreto ; que la preuve d'un rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l'entreprise mise en cause, sans que l'on puisse considérer qu'il y a inversion de la charge de la preuve ; qu'enfin, les effets des pratiques n'ont pas à être pris en compte ou recherchés (
) ; que lorsque l'hôtelier dispose encore de chambres disponibles, il doit les accorder au groupe Expedia, ce qui le contraint à payer une commission, mais il doit en plus les lui proposer au tarifie plus bas proposé par ailleurs ; que ceci limite ainsi l'autonomie de l'hôtelier dans sa politique commerciale et tarifaire ; qu'il ne lui est pas possible de gérer une partie de ses chambres sans la confier à Expedia et de développer sur ces chambres des offres promotionnelles ; qu'il ne peut proposer une promotion à ses clients directs sans être obligé de la proposer aux clients des sites Internet du groupe Expedia, ce qui ampute encore plus sa marge, puisqu'il doit s'acquitter en plus de la commission d'Expedia ; que, de même, la destination qu'il souhaite donner à ses chambres est limitée par la clause de disponibilité qui lui impose de mettre à disposition des sites internet l'ensemble des chambres disponibles ; que ces clauses ont donc pour effet de faire bénéficier les sociétés du groupe Expedia des tarifs les plus concurrentiels du marché et d'imposer des réductions significatives sur ces montants déjà compétitifs ; que l'avantage tarifaire et concurrentiel dont bénéficient les sociétés Expedia est entièrement pris en charge par les hôteliers, via ces clauses, sans que celles-ci ne prennent en retour aucun risque, ce qui traduit un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ; que de même, les clauses de parité des disponibilités des chambres entraînent un risque de surréservation entièrement supporté et pris en charge par les hôteliers, Expedia ne supportant en contrepartie aucun risque lié à la réservation ou pas d'une chambre ; que de plus fort, la clause de la dernière chambre disponible impose aux hôteliers de la vendre par l'intermédiaire d'Expedia et donc de payer une commission sur elle ; que la cour d'appel, qui a procédé à une analyse globale et concrète du contrat et apprécié le contexte dans lequel il était conclu ou proposé à la négociation, n'est pas tenue de rechercher les effets précis du déséquilibre significatif, en l'espèce non démontrés ; que la clause dite « de la dernière chambre disponible », corrélée à la clause de parité tarifaire, non tarifaire et promotionnelle, contrevient donc à l'article L. 442-6, l, 20 du code de commerce ; que, sur l'existence de contreparties des clauses, le ministre de l'économie et l'UMIH contestent l'existence des contreparties aux clauses alléguées par le groupe Expedia (investissements consentis par Expedia pour la promotion des hôtels partenaires, publicité gratuite réalisée via l'effet « panneau publicitaire », possibilité réservée aux hôtels de ne les rémunérer qu'en cas de réservation) ; que la rémunération de la plate-forme, via le paiement d'une commission par les hôtels, pour payer l'accès à une large clientèle que leur permet la plate-forme, ne suffirait pas, selon Expedia, à compenser ces investissements et ces dépenses publicitaires ; mais que la promotion réalisée par les sites internet du partenaire est rémunérée par les commissions versées par les hôtels aux sociétés du groupe Expedia, sans que celles-ci ne parviennent à établir que l'importance des investissements réalisés par elles serait sans commune mesure avec les commissions, dont le montant est important, de l'ordre de 25 % des chambres ; que selon le groupe Expedia, sans les clauses de parité et si 1'hôtelier pouvait proposer librement des prix et conditions différenciés selon les canaux de distribution, les internautes utiliseraient massivement son site Expedia comme une sorte de catalogue ou d'annuaire permettant aux internautes de comparer des offres puis ensuite d'aller réserver une nuitée sur un autre site ; que ce faisant, l'internaute priverait Expedia d'une juste rémunération de ses investissements puisque Expedia ne percevrait aucune commission sur la réservation de la nuitée réalisée sur un autre site que le sien ; qu'ainsi l'hôtel aurait bénéficié des investissements d'Expedia qui lui aurait permis d'attirer un nouveau client, lequel, sans Expedia, n'aurait jamais réservé dans cet hôtel ; qu'elle soutient donc que ces clauses évitent des pratiques de parasitisme ; mais qu'il convient de noter que cette affirmation n'est pas valablement démontrée par Expedia ; que, d'une part, les sites des plateformes sont conçus pour capter le consommateur et faire en sorte que le taux de conversion du visiteur d'un site soit le plus élevé possible (pourcentage de visiteurs qui recherchent et réservent sur la plate-forme, ce qui limite le risque de déport de la demande vers les concurrents, Expédia ayant de ce point de vue, un taux de 5 %, ce qui est considéré comme élevé) ; que, d'autre part, beaucoup d'hôtels ne seraient pas facilement joignables, soit parce que leur site ne permet pas de réserver en ligne, soit parce qu'ils ne sont pas joignables par téléphone à tout moment ; que donc le risque que le consommateur consulte les sites Expedia pour choisir son hôtel et réserve par un autre canal n'est pas démontré ; que les sociétés du groupe Expedia ne démontrent donc pas que les clauses de parité et de disponibilité étaient nécessaires à l'équilibre des contrats ou que ce déséquilibre était compensé par d'autres dispositions du contrat ; qu'elles peuvent d'autant moins le prétendre que les clauses sont caduques depuis l'entrée en vigueur de la loi Macron, et doivent avoir été supprimées des contrats, sans qu'elles justifient aujourd'hui d'un quelconque problème de rentabilité ou d'une remise en cause de leur modèle économique ; qu'enfin, l'UMIH soutient à juste titre que le déséquilibre résultant des pratiques est encore aggravé par la présence de nombreuses autres clauses, prévoyant des obligations unilatérales et non réciproques pesant exclusivement sur les hôteliers ; mais qu'aucune conséquence juridique ne peut en être tirée, ces clauses n'ayant pas fait l'objet de la saisine du ministre de l'économie ; qu'au regard de tous ces éléments, il y a donc lieu de dire que ces deux clauses, par leur effet cumulé, créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et d'en prononcer la nullité ; que le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point » (arrêt attaqué, p. 27 et s.) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « sur la nullité alléguée des clauses dite « d'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires » ; que tous les contrats visés comprennent une ou plusieurs clauses tendant à assurer aux défenderesses signataires, un alignement automatique sur les meilleures conditions tarifaires ; que la loi anglaise, loi du contrat, ne contient pas de disposition spécifique prohibant ce type de clause ; qu'il n'y pas lieu de faire application de l'interdiction édictée au L 442-6 " d) qui n'est pas qualifiée de loi de police par le tribunal, les parties ayant opté pour la loi anglaise qui ne comporte pas une telle interdiction ; qu'il convient néanmoins de rechercher si de telles clauses ne sont pas prohibées au sens de l'article L 442-6 1 20 , qu'il convient d'appliquer au titre de son caractère de loi de police ; que l'article L 442-6 1 20 interdit : « De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » ; que si les formulations des différents contrats ne sont pas identiques, ils contiennent tous des dispositions visant à l'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires ; que la rédaction exacte de chaque clause importe peu, le débat ne portant que sur le mécanisme inscrit dans le contrat ; que, selon les défenderesses, cette obligation ne peut être considérée en ellemême, comme créant un déséquilibre significatif, cette notion devant s'apprécier au regard de l'équilibre général du contrat ; que la notion de déséquilibre doit s'analyser, pour une clause précise, au regard d'éventuelles autres clauses venant rétablir un équilibre, sauf â créer, par la nullité d'une clause en faveur d'un contractant, un nouveau déséquilibre en faveur de l'autre ; qu'il convient néanmoins aux défenderesses de faire la preuve que fa clause incriminée s'inscrit dans un contexte contractuel plus large, et que d'autres clauses rétablissent l'équilibre contesté ; qu'en l'espèce, les défenderesses soutiennent que le prix le plus bas, est en fait celui, in fine, accordé au consommateur et que donc la clause n'est pas à leur bénéfice et n'est que la contrepartie des investissements importants qu'elles consentent et du modèle de rémunération à la réservation et non à la simple visite ; que le fait d'assurer au consommateur le prix le plus bas (ce qui est mis en avant sur les sites Internet) est assuré par les défenderesses en conservant intégralement leur marge relative (fixée en pourcentage, avec éventuellement un plancher en valeur absolue) et non en faisant un effort sur leurs propres taux de marge, même en cas de promotion accordée par l'hôtel ; que ces dispositions peuvent peser très fortement sur la marge réelle des dernières chambres vendues à des tarifs promotionnels, sans impacter significativement la marge des défenderesses ; que, comme le soulignent les défenderesses elles-mêmes dans leurs écritures sur la compétence « materiae » : « Les défenderesses n'achètent ni ne revendent les nuitées et ne supportent donc aucun risque lié à la réservation ou non d'une chambre (pas de risque d'invendu, de stocks etc .. ). Notamment elles ne perdent pas le prix de la nuitée si la réservation est annulée. » ; que ces éléments montrent bien que la clause « d'alignement automatique sur les meilleures conditions tarifaires » n'est pas la contrepartie d'un risque ou d'un engagement d'achat minimum justifiant un tel avantage ; que l'ensemble de ces éléments montrent que les obligations des parties sont significativement déséquilibrées et que les clauses d'alignement automatique sur les meilleures conditions tarifaires, compte tenu de l'équilibre général des contrats objet du litige, sont contraires à l'article L442-6 1 20 du code de commerce qui est d'application impérative ; que le fait que ces clauses ne soient pas systématiquement appliquées par les défenderesses n'a pas d1ncidence sur leur légalité ; que le code de commerce prévoit que le ministre de l'économie peut faire constater la nullité des clauses contraires aux dispositions de l'article L 442-6, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'une telle décision ne peut être assimilée à une immixtion du juge dans la fixation du prix dans la mesure où elle ne fait qu'interdire une fixation de prix ne tenant pas compte réellement de la volonté des parties ; que le tribunal dira que, faute de contrepartie suffisante, les clauses visant à J'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles, dans les contrats des hôtels incriminés situés sur le territoire français, sont constitutives d'un déséquilibre significatif au sens de J'article L 442-6 1 20 et sont nulles ; que, sur la nullité alléguée de la clause dite « de la demière chambre disponible » ; que la loi anglaise, loi du contrat ne contient pas d'interdiction de ce type de clause ; que le ministre de l'économie et les organisations professionnelles soutiennent que cette clause, corrélée à la clause visant à l'obtention automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles constitue un déséquilibre significatif prohibé par l'article L 442-6 J 20 qui est une loi de police ; qu'il n'y a pas lieu de considérer la coexistence des deux clauses, dans la mesure où le tribunal a retenu la nullité des clauses visant à robtennon automatique des meilleures conditions tarifaires et promotionnelles dans les contrats faisant l'objet de la présente instance ; que concemant la « clause dite de demière chambre disponible », dans la mesure où l'hôtelier reste libre de fixer son prix, selon le canal de distribution, on doit considérer qu'elle est la contrepartie de la visibilité offerte par les défenderesses sans rémunération financière fixe ; que cette visibilité perdrait toute crédibilité si le visiteur du site internet n'avait pas au moins la certitude d'une information fiable sur la disponibilité réelle des chambres ; qu'il faut donc considérer, qu'en elle-même, cette clause ne crée pas un déséquilibre significatif ; que le tribunal déboutera les demandeurs au titre de la nullité de la clause dite « de la demière chambre disponible » » (jugement, p. 17 et s.) ;
1°) Alors que les clauses de disponibilité de la dernière chambre insérées dans les 47 contrats litigieux prévoient uniquement que l'hôtelier devra nécessairement proposer aux plates-formes cocontractantes (Hotels.com, Vacationspot et Travelscape) sa dernière chambre disponible ; que ces clauses n'imposent aucunement aux hôteliers de la vendre par l'intermédiaire d'Expedia ; que, pour retenir l'existence d'un déséquilibre significatif, la cour d'appel a jugé que « la clause de la dernière chambre disponible impose aux hôteliers de la vendre par l'intermédiaire d'Expedia et donc de payer une commission sur elle » (p. 29, in fine) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause ;
2°) Alors que la marge relative des sociétés exposantes est fixée en pourcentage du tarif de enregistré par l'hôtel dans le système de l'OTA de telle sorte que si le tarif baisse, la commission baisse également ; que, pour relever un déséquilibre significatif, la cour d'appel a estimé, par motifs propres et adoptés, que « le fait d'assurer au consommateur le prix le plus bas est assuré par les défenderesses en conservant intégralement leur marge relative » (jugement, p. 18) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la marge, étant exprimée en pourcentage, baissait avec les tarifs auxquels elle s'appliquait, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause ;
3°) Alors que Expedia faisaient valoir que la baisse des prix consentie aux consommateurs, en application de la clause de parité, avait pour conséquence une augmentation du taux de remplissage des hôtels et était donc, à leur égard, bénéfique, ce qui excluait que la clause de parité fut constitutive d'un déséquilibre (conclusions Expedia, p. 59-61) ; que la cour d'appel n'a aucunement répondu à ce moyen, pourtant opérant et étayé ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) Alors que la cour d'appel doit indiquer, même de manière sommaire, les éléments de preuve sur lesquels elle fonde sa décision ; qu'au cas présent, la cour d'appel a énoncé que les sociétés du groupe Expedia prélèveraient des commissions de l'ordre de 25 %, sans indiquer sur quel élément elle fondait ce chiffre (arrêt attaqué, p. 30, § 3) ; que, de fait, ce chiffre est inexact et n'était étayé par aucune pièce de fond ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) Alors que, pour apprécier le déséquilibre significatif, les juges du fond sont tenus de traiter toutes les parties au contrat sur un pied d'égalité ; que la cour d'appel a estimé qu'il appartenait aux sociétés Expedia de démontrer que les clauses contestées étaient nécessaires à l'équilibre du contrat et que leur absence entraînerait pour elle un problème de rentabilité (arrêt attaqué, p. 30, § 6 et 7) ; qu'elle a pourtant considéré que les hôteliers, ou le ministre, n'étaient pas tenus de prouver que les clauses litigieuses auraient eu un effet sur la rentabilité des hôtels et que le déséquilibre significatif pouvait être retenu malgré l'absence d'effet avéré des clauses contestées sur la rentabilité des hôtels (arrêt attaqué, p. 32, § 3) ; que la cour d'appel a ainsi traité différemment les sociétés Expedia et le ministre de l'Economie, s'agissant de la même question : l'impact des clauses contestées sur la rentabilité des parties aux contrats ; qu'en soumettant ainsi les sociétés Expedia et les autres parties à des standards de preuve différents, la cour d'appel a violé le principe d'égalité des armes, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
6°) Alors que le motif hypothétique équivaut à un défaut de motifs ; que, pour écarter le moyen d'Expedia selon lequel, en l'absence des clauses contestées, il y aurait un risque que les internautes utilisent massivement Expedia comme un catalogue afin de comparer les prix et, ensuite, réserve autrement, notamment via l'hôtel lui-même, la cour d'appel a retenu que « beaucoup d'hôtels ne seraient pas facilement joignables, soit parce que leur site ne permet pas de réserver en ligne, soit parce qu'ils ne sont pas joignables par téléphone à tout moment » (arrêt attaqué, p. 30, § 5) ; qu'en statuant ainsi, par un motif hypothétique, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
7°) Alors qu'Expedia faisait valoir qu'en l'absence des clauses contestées, il y aurait un risque que les internautes utilisent massivement Expedia comme un catalogue afin de comparer les prix et, ensuite, réserve autrement, notamment par d'autres agences de voyage en ligne ; qu'en écartant ce moyen au seul motif que beaucoup d'hôtels ne seraient pas joignables, sans rechercher si le moyen n'était pas fondé s'agissant des autres agences de voyage en ligne, la cour d'appel a également violé l'article 455 du code de procédure civile ;
8°) Alors que, pour écarter le moyen d'Expedia selon lequel, en l'absence des clauses contestées, il y aurait un risque que les internautes utilisent massivement Expedia comme un catalogue afin de comparer les prix et, ensuite, réserve autrement, notamment via l'hôtel lui-même, la cour d'appel a retenu que les sites des agences de voyage en ligne étaient conçus de manière à ce que le taux de conversion soit le plus élevé possible, de l'ordre de 5 % pour Expedia, ce qui est élevé (arrêt attaqué, p. 30, § 5) ; que, toutefois, le taux de conversion résulte, précisément, des contrats en cause en l'espèce et donc, notamment, des clauses contestées ; qu'il ne dit donc rien de ce qui se passerait en l'absence de ces clauses ; qu'en statuant ainsi, par un motif inopérant, la cour d'appel a donc privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.
SIXIEME MOYEN DE CASSATION
(Sur l'amende prononcée)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné les sociétés Expedia France, Expedia Inc, Hotels.com, Vacationspot et Travelscape, in solidum, au paiement d'une amende de 1 million d'euros au ministre de l'économie ;
Aux motifs propres que « que l'article L.442-6 III du code de commerce, dans sa version en vigueur au moment des faits précise que le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent « demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros ; que toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées » ; qu'il appartient au juge saisi d'une demande tendant à l'imposition d'une amende au titre de l'article L. 442-6, III du code de commerce, d'apprécier en premier lieu, s'il y a lieu de prononcer une amende civile et en second lieu quel quantum de sanction doit être fixé ; que s'agissant des critères à prendre en considération pour la fixation du quantum, l'amende civile doit viser à prévenir et dissuader les pratiques restrictives prohibées, ainsi qu'à éviter leur réitération ; la gravité du comportement en cause et le dommage à l'économie en résultant doivent donc être pris en compte, ainsi que la situation individuelle de l'entreprise poursuivie, en vertu du principe d'individualisation des peines ; que le trouble à l'ordre public économique résultant des pratiques en cause, consistant dans la violation combinée des articles L. 442-6, II, b) et L. 442-6, l, 20 du code de commerce, justifie, en l'espèce, l'infliction de sanction pécuniaire ; que la gravité de ces pratiques est importante, puisqu'elles émanent d'opérateurs dont l'intervention est indispensable aux hôteliers pour vendre leurs services ; que le dommage à l'économie est constitué, compte tenu de l'effet conjugué des deux clauses et des importants taux de commissions versés à Expedia, aboutissant à une réduction de la liberté commerciale des hôtels ; qu'il y a lieu en outre de prendre en compte une certaine persistance des pratiques ; qu'ainsi que le souligne l'UMIH, dans la plus récente version des conditions générales et contrats standards imposés par Expedia aux hôteliers (pièce n07), il est en effet prévu au IIIb): « b. Tarifs. Vous acceptez que les Tarifs et les Formules tarifaires fournis à Expedia soient équivalents à ou plus favorables que ceux disponibles par le biais de Vos propres canaux de réservation publique en ligne ou de distribution. Toutes règles, restrictions, politiques et/ou conditions ry compris les règles relatives à l'annulation) applicables à toute chambre que Vous proposez par le biais du Système Expedia ne devront pas être plus restrictives que celles applicables à une chambre analogue que Vous proposez par le biais de Vos propres canaux de réservation publique en ligne ou de distribution. Sous réserve des Sections CO,3.b et CO,3.e, et sauf accord contraire, Vous demandez à Expedia de ne pas afficher des Réservations de chambres seules à un Prix par chambre inférieur au Meilleur tarif disponible pertinent. Vous reconnaissez qu'Expedia déterminera le Prix par chambre pour les Réservations de forfaits voyage et Réservations opaques à sa seule discrétion. » ; qu'il convient de prendre également en considération l'importance du chiffre d'affaires des sociétés du groupe Expedia et de l'effet d'entraînement que peut avoir le comportement de sociétés de cette taille et de cette notoriété sur les autres opérateurs économiques du secteur, et notamment les agences de voyage en ligne (Online Travel Agency ou "OTA") plus petites ; que toutefois, l'absence d'effets avérés des pratiques sur les prix aux consommateurs et sur la rentabilité des hôtels partenaires doit entraîner une réduction du montant de la sanction ; qu'au vu de tous ces éléments, il y a lieu de prononcer une amende pécuniaire de 1 million d'euros au paiement de laquelle les sociétés seront condamnées in solidum, puisqu'elles ont, chacune, concouru aux mêmes pratiques contraires à l'article L. 442-6, l, 2° du code de commerce, soit en signant avec les hôteliers les contrats comportant les clauses litigieuses, soit en fournissant aide et assistance pour favoriser la signature de ces contrats et leur application ; qu'il ne sera en revanche pas tenu compte de la violation de l'article L. 442-6, II, d) au titre de la fixation de cette amende, seules les sociétés signataires des contrats en étant justiciables comme il a été vu supra » (arrêt attaqué, p. 31 et s.) ;
1°) Alors que il appartient au juge saisi d'une demande tendant au prononcé d'une amende au titre de l'article L. 442-6, III du code de commerce, d'apprécier la nécessité de prononcer une telle amende en considération des circonstances particulières de l'affaire ; que le simple constat que des actes constitutifs de pratiques restrictives de concurrence ont été commis ne suffit, en soi, à justifier le prononcé d'une amende ; qu'au cas présent, pour justifier le prononcé d'une amende, la cour d'appel s'est bornée à énoncé que les pratiques poursuivies auraient été contraires aux articles L. 442-6, II, b) et L. 442-6, I, 2° du code de commerce ; qu'en statuant ainsi, sans établir la nécessité du prononcé d'une amende, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, III du code de commerce ;
2°) Alors que il appartient au juge saisi d'une demande tendant à l'imposition d'une amende au titre de l'article L. 442-6, III du code de commerce, d'exposer de manière suffisamment précise et prévisible les modalités de calcul du montant de l'amende ; qu'au cas présent, la cour d'appel n'a aucune explicité les modalités de calcul de l'amende prononcée ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, III du code de commerce. | Le régime spécifique commun aux délits civils prévus par l'article L. 442-6 du code de commerce se caractérise par l'intervention, prévue au III de cet article, du ministre chargé de l'économie pour la défense de l'ordre public, et les instruments juridiques dont celui-ci dispose, notamment pour demander le prononcé de sanctions civiles, illustrent l'importance que les pouvoirs publics accordent à ces dispositions. L'article L. 442-6, I, 2° et II, d, du code de commerce prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, de sorte qu'elles constituent des lois de police dont l'application, conformément tant à l'article 9 du règlement (CE) n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) qu'à l'article 16 du règlement (CE) n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable.
Une cour d'appel, qui relève que les prestataires signataires de contrats comportant des clauses arguées de nullité au regard des textes susvisés étaient situés sur le territoire français, caractérise un lien de rattachement de l'action du Ministre exerçant les pouvoirs qui lui sont dévolus au regard de l'objectif de préservation de l'organisation économique poursuivi par les lois de police en cause |
455 | SOC.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 646 FS-P+B
Pourvoi n° H 19-13.767
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
1°/ M. N... P..., domicilié [...],
2°/ le syndicat SNTU CFDT, dont le siège est [...],
ont formé le pourvoi n° H 19-13.767 contre le jugement rendu le 16 janvier 2019 par le conseil de prud'hommes de Lorient (section commerce (départage section)), dans le litige les opposant à la société Keolis Rennes, société anonyme, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. P... et du syndicat SNTU CFDT, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Keolis Rennes, et l'avis de Mme Berriat, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Berriat, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Lorient, 16 janvier 2019), un préavis de grève a été déposé par deux organisations syndicales au sein de la société Keolis Rennes le 29 mai 2015, prévoyant des débrayages de 7 heures 30 à 8 heures 29 et de 17 heures à 17 heures 59 à compter du 4 juin 2015. La grève s'est achevée le 5 juin 2015, et la société Keolis a opéré une retenue sur le salaire de M. P..., conducteur de bus au sein de la société, et représentant syndical du syndicat SNUD CGT, équivalente à quatre fois cinquante-neuf minutes pour deux jours.
2. Contestant le montant des retenues, et la modification de ses horaires de prise de service, le salarié a saisi la juridiction prud'homale. Le syndicat SNTU CFDT est intervenu à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief au jugement de le débouter de ses demandes de rappel de salaire et congés payés afférents et de dommages-intérêts au titre de l'atteinte au droit de grève, alors « qu'il résulte de la combinaison des articles L. 2512-1 et L. 2512-5 du code du travail renvoyant à l'article 2 de la loi du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publics et de l'article L. 1324-1 du code des transports renvoyant aux articles L. 2512-1 et s. du code du travail que pour le personnel des établissements privés chargés de la gestion d'un service public, la cessation concertée du travail donne lieu, pour chaque journée, lorsqu'elle n'excède pas une heure, à une retenue égale à cent soixantième du traitement mensuel, lorsqu'elle dépasse une heure, sans excéder une demi-journée, à une retenue égale à un cinquantième du traitement et lorsqu'elle dépasse une demi-journée sans excéder une journée, à une retenue égale à un trentième ; que le conseil de prud'hommes a jugé que la société était fondée à procéder à une retenue sur salaire proportionnelle à la durée non travaillée pendant la suspension du contrat de travail résultant de l'exercice du droit de grève, en application de l'article L. 1324-11 du code des transports ; qu'en statuant ainsi, il a violé les articles L. 2512-1 et L. 2512-5 du code du travail, l'article 2 de la loi du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publics et les articles L. 1324-1 et L. 1324-11 du code des transports par fausse application. »
Réponse de la Cour
4. Si l'article L. 2512-5 du code du travail, complété par l'article 2 de la loi n° 82-889 du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publics, s'applique de manière générale aux retenues effectuées sur les rémunérations des personnels des établissements privés chargés d'un service public, il en va autrement lorsqu'un texte spécifique prévoit un autre mode de calcul de ces retenues pour un service public particulier, en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel n° 87-230 du 28 juillet 1987.
5. S'agissant des transports terrestres réguliers de voyageurs, l'article L. 1324-11 du code des transports, issu de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, prévoit que « la rémunération d'un salarié participant à une grève, incluant le salaire et ses compléments directs et indirects à l'exclusion des suppléments pour charges de famille, est réduite en fonction de la durée non travaillée en raison de la participation à cette grève. »
6. Il en résulte que c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a dit que l'employeur était fondé à appliquer une retenue sur salaire proportionnelle aux heures non travaillées en raison de la grève en application de l'article L. 1324-11 du code des transports.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. Le salarié fait grief au jugement de le débouter de ses demandes de rappel de salaire et congés payés afférents et de dommages-intérêts au titre de l'atteinte au droit de grève, alors que « selon l'article 5 de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, applicable au litige, dans les entreprises de transports l'employeur et les organisations syndicales représentatives concluent un accord collectif de prévisibilité du service applicable en cas de perturbation prévisible du trafic ou de grève, fixant les conditions dans lesquelles l'organisation du travail est révisée et les personnels disponibles réaffectés afin de permettre la mise en oeuvre du plan de transports adapté et qu'à défaut d'accord applicable au 1er janvier 2008, un plan de prévisibilité est défini par l'employeur ; qu'en cas de grève, les personnels disponibles sont les personnels de l'entreprise non-grévistes ; que l'accord du 3 décembre 2007 « relatif au développement du dialogue social, à la prévention des conflits et à la continuité du service public » dispose en son article 18-1, alinéa 3, intitulé modalités de révision de l'organisation du travail, que l'accord d'entreprise ou, à défaut, le chef d'entreprise fixe les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible, l'organisation du travail est révisée et les personnels disponibles qui peuvent être réaffectés sur des lignes ou services pour lesquels ils ont été formés afin de permettre la mise en oeuvre du plan de transport adapté sont les personnels permanents non-grévistes de l'entreprise ou de l'établissement ; que le conseil de prud'hommes a relevé que la direction de la société avait décalé l'heure de début de la prise de poste du salarié exposant après 8 heures 30 les jeudi 4 et vendredi 5 juin, soit après la fin des débrayages, de sorte que celui-ci n'a pas pu participer effectivement à la grève prévue de 7h30 à 8h29 ; qu'il en résultait que l'employeur avait eu recours aux grévistes pour réorganiser le service ; qu'en jugeant pourtant que cette modification de l'heure de prise de poste s'inscrivait dans le cadre de la possibilité de réorganisation du travail en cas de grève consacrée par la loi et déclinée dans l'article 18-1 de l'accord de branche du 3 décembre 2007, le conseil de prud'hommes a violé l'article L. 1222-7 du code des transports, l'article 18-1, alinéa 3, de l'accord du 3 décembre 2007 relatif au développement du dialogue social, à la prévention des conflits et à la continuité du service public, ensemble l'article L. 1324-11 du code des transports. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte de l'article L. 1222-7 du code des transports que dans les entreprises de transports l'employeur et les organisations syndicales représentatives concluent un accord collectif de prévisibilité du service applicable en cas de perturbation prévisible du trafic ou de grève, fixant les conditions dans lesquelles l'organisation du travail est révisée et les personnels disponibles réaffectés afin de permettre la mise en oeuvre du plan de transports adapté et qu'à défaut d'accord applicable, un plan de prévisibilité est défini par l'employeur ; qu'en cas de grève, les personnels disponibles sont les personnels non grévistes de l'entreprise.
10. Un accord a été signé le 3 décembre 2007 au sein de la branche transport urbain de voyageurs mettant en oeuvre cette disposition à l'article 18-1, alinéa 3.
11. Le conseil de prud'hommes a constaté qu'à la suite de la déclaration du salarié informant son employeur de sa volonté de participer au mouvement de grève, l'employeur a modifié l'horaire de prise de service du salarié, le décalant pour le 5 juin 2015 de 7 heures 18 à 8 heures 30, que cette modification n'avait pas pour finalité de réaffecter le salarié en le considérant comme personnel disponible non gréviste, mais de permettre à l'employeur de respecter son obligation de sécurité en s'assurant que le véhicule conduit par le salarié ne soit pas arrêté sur la voie publique durant la période de débrayage et qu'il s'agissait d'un simple décalage de l'heure de départ du bus conduit par le salarié mais non d'un changement de ses horaires de travail, le salarié ayant sur les journées de grève, effectué une durée de travail inférieure à celle initialement prévue équivalente à quatre périodes de 59 minutes et ayant terminé son service à l'horaire prévu initialement.
12. Le conseil de prud'hommes en a exactement déduit que, s'agissant d'une révision de l'organisation du travail rendue nécessaire par des raisons de sécurité et n'ayant pas eu d'incidence sur l'exercice du droit de grève, la mesure était conforme aux prescriptions de l'article L. 1222-7 du code du travail.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
14. Le syndicat fait grief au jugement de le débouter de sa demande, alors que « l'atteinte à l'exercice du droit de grève cause un préjudice à l'intérêt collectif que le syndicat représente et dont il est bien-fondé à demander réparation ; que la cassation sur le premier et/ou le deuxième moyen entraînera la censure par voie de conséquence du chef du jugement ayant débouté le syndicat de sa demande, en application des articles L. 1221-1, L. 2131-1 et L. 2132-3 du code du travail, de l'article L. 1222-7 du code des transports, l'article 18-1, alinéa 3, de l'accord du 3 décembre 2007 relatif au développement du dialogue social, à la prévention des conflits et à la continuité du service public et l'article L. 1324-11 du code des transports, ensemble les articles 624 et 625 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Le rejet des premier et deuxième moyens rend sans portée le troisième moyen tiré d'une cassation par voie de conséquence.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. P... et le syndicat SNTU CFDT aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. P... et le syndicat SNTU CFDT
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief au jugement attaqué d'AVOIR débouté le salarié de ses demandes de rappel de salaire et congés payés afférents et de dommages et intérêts au titre de l'atteinte au droit de grève.
AUX MOTIFS QUE l'article L2512-5 du Code du travail, sous le chapitre II « dispositions particulières dans les services publics » dispose qu'en ce qui concerne les personnels mentionnés à l'article L2512-1, non soumis aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 82889 du 19 octobre 1982, l'absence de service fait par suite de cessation concertée du travail entraîne pour chaque journée une retenue du traitement ou du salaire et de ses compléments autres que les suppléments pour charges de famille ; que les retenues sont opérées en fonction des durées d'absence définies à l'article 2 de la loi précitées ; que l'article 2 de la loi du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publiques, édicte la règle suivante : L'absence de service fait, résultant d'une cessation concertée du travail, donne lieu, pour chaque journée : - Lorsqu'elle n'excède pas une heure, à une retenue égale à cent soixantième du traitement mensuel (
) ; que par décision du 28 juillet 1987, le Conseil constitutionnel a décidé que malgré l'abrogation de la loi, les références faites aux articles 1 et 2 de la loi 19 octobre 1982 produisent toujours leurs effets ; qu'il en ressort que ces dispositions instituant un prélèvement forfaitaire en cas de grève, constituent le droit commun s'appliquant aux établissements publics ou privés lorsqu'ils sont chargés de la gestion d'un service public ; que la loi n°2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public clans les transports terrestres réguliers de voyageurs dont le champ d'application défini dans son article 1 s'étend aux services publics de transport terrestre régulier de personnes à vocation non touristique prévoit dans son article 10 une retenue proportionnelle à la durée non travaillée en raison de la participation à la grève ; que les dispositions issues de cette loi codifiées aux articles L.1324-1 et suivants du code du transports constituent donc un régime dérogatoire au droit commun de l'exercice du droit de grève dans les services publics évoqué ci-dessus applicable aux seuls services publics de transport terrestre réguliers de personnes à vocation non touristique ; que Monsieur N... P... et le syndicat national des transport SNTU CFDT soutiennent que la formule « sans préjudice des dispositions du chapitre II du titre Intérêts du livre V de la deuxième partie du code du travail » figurant à l'article L.1324-1 du code des transports a pour effet d'écarter l'application de l'article L1324-11 au profit des articles L.2512-1 à L.25I2-5 du code du travail ; que cependant cette formule ne figurait ni dans l'article 1er de la loi 2007-1224 du 21 août 2007 définissant son champ d'application ni dans les dispositions suivantes de cette loi et a été ajouté à l'occasion de la création du code des transports, par ordonnance n°2010-1307 du 28 octobre 2010 pour sa partie législative, ratifiée par la loi 2012-375 du 19 mars 2012, ayant pour objet précis d'ordonner et de structurer des législations diverses à droit constant, comme le prévoit précisément l'article 92 de la loi du 2009-526 du 16 mai 2009 autorisant le gouvernement à procéder par ordonnance en application de l'article 38 de la constitution ; or, qu'une telle interprétation, de cette formule, de portée générale, aurait pour conséquence de rendre sans objet une partie importante des dispositions des articles L.1324-1 et suivants du code des transports n'apparaissant pas conforme à la volonté du législateur en 2007, mais également lors du vote de la loi d'habilitation en 2009 ; que l'article L1324-11 du code des transports doit donc s'appliquer au cas d'espèce ; qu'il en résulte que la SA KEOLlS RENNES est fondée à procéder à une retenue sur salaire proportionnelle à la durée non travaillée pendant la suspension du contrat de travail résultant de l'exercice du droit de grève.
ALORS QU'il résulte de la combinaison des articles L.2512-1 et L.2512-5 du code du travail renvoyant à l'article 2 de la loi du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publics et de l'article L.1324-1 du code des transports renvoyant aux articles L.2512-1 et s. du code du travail que pour le personnel des établissements privés chargés de la gestion d'un service public, la cessation concertée du travail donne lieu, pour chaque journée, lorsqu'elle n'excède pas une heure, à une retenue égale à cent soixantième du traitement mensuel, lorsqu'elle dépasse une heure, sans excéder une demi-journée, à une retenue égale à un cinquantième du traitement et lorsqu'elle dépasse une demi-journée sans excéder une journée, à une retenue égale à un trentième ; que le conseil de prud'hommes a jugé que la société était fondée à procéder à une retenue sur salaire proportionnelle à la durée non travaillée pendant la suspension du contrat de travail résultant de l'exercice du droit de grève, en application de l'article L.1324-11 du code des transports ; qu'en statuant ainsi, il a violé les articles L.2512-1 et L.2512-5 du code du travail, l'article 2 de la loi du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publics et les articles L.1324-1 et L.1324-11 du code des transports par fausse application.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief au jugement attaqué d'AVOIR débouté le salarié de ses demandes de rappel de salaire et congés payés afférents et de dommages et intérêts au titre de l'atteinte au droit de grève.
AUX MOTIFS QUE Monsieur N... P... a informé son employeur de sa volonté de participer au mouvement de grève initié par- les sections syndicales CGT/UGIC-CGT et le SNIIP-CPDT pour les journées du 4 et du 5 juin 2015 ; que la bandelette de service Imprimée le matin du 4 juin. 2015 prévoyait que Monsieur P... commencerait à 8h30 le 4 juin 2015, soit après le 1er débrayage de la journée, et à 7h18 le 5 juin 2015 et que celle imprimée le matin du 5 juin 2015, portait modification de l'heure de prise de poste de Monsieur P... à 8h30 pour le 5 juin 2015 ; que Monsieur N... P... et le syndicat national des transport SNTU CFDT soutiennent que cette réorganisation a eu pour effet de porter atteinte au droit de grève de celui-ci l'empêchant de débrayer à deux reprises et que la SA KEOLIS RENNES n'est donc pas fondé à lui déduire l'équivalent de 4 périodes de débrayage de 59 minutes ; que cependant cette modification de l'heure de prise de poste s'inscrit dans le cadre de la possibilité de réorganisation du travail en cas de grève consacrée par la loi et déclinée dans l'article 18-1 de l'accord de branche du 3 décembre 2007 prévoyant que l'accord d'entreprise ou, à défaut, le chef d'entreprise fixe les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible, l'organisation du travail est révisée et les personnels disponibles peuvent être réaffectés sur des lignes ou services pour lesquels ils ont été formés afin de permettre la mise en oeuvre du plan de transport adapté ; qu'or, la fixation d'une prise de service le 5 juin à 8h30 au lieu de 7hl 8 a eu pour objectif d'éviter la présence de Monsieur N... P... au dépôt à 7h18 compte tenu de sa volonté de participer au mouvement de grève ; que ce décalage de l'heure de prise de poste n'a pas eu pour effet d'entraîner un décalage identique de l'heure de fin de service, Monsieur N... P... ayant terminé celui-ci à 19h42 comme prévu initialement ; que par ailleurs un retour au dépôt a été organisé dans l'après-midi afin de permettre à Monsieur N... P... d'exercer son droit de grève ; que Monsieur N... P... a donc, sur ces journées, effectué une durée de travail inférieure à celle initialement prévue équivalente à quatre périodes de 59 minutes ; que contrairement à ce qu'allègue Monsieur N... P... et le syndicat national des transport SNTU CFDT, le service a nécessairement été perturbé d' une part, par la nécessité de pré voir un remplacement sur la période de 7h18 à 8h30 par un personnel disponible ou par l'absence de service sur cette période, et d'autre part, par la suspension de sa tournée d'après-midi pour permettre un retour au dépôt durant ta période de débrayage ; qu'il ne peut être fait grief à la SA KEOLIS RENNES de n'avoir pas permis à Monsieur N... P... de prendre son service à 7hl8 au regard de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur justifiant que le véhicule ne soit pas arrêté sur la voie publique durant la période de débrayage ; qu'il en résulte que les modalités organisationnelles mises en place par la SA KEOLIS RENNES ne constitue pas une riposte illicite à l'exercice du droit de grève de Monsieur N... P... et que celle-ci est fondée à procéder à la retenue de 4 périodes de 59 minutes compte tenu des périodes effectivement non travaillées par ce dernier.
ALORS QUE selon l'article 5 de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, applicable au litige, dans les entreprises de transports l'employeur et les organisations syndicales représentatives concluent un accord collectif de prévisibilité du service applicable en cas de perturbation prévisible du trafic ou de grève, fixant les conditions dans lesquelles l'organisation du travail est révisée et les personnels disponibles réaffectés afin de permettre la mise en oeuvre du plan de transports adapté et qu'à défaut d'accord applicable au 1er janvier 2008, un plan de prévisibilité est défini par l'employeur ; qu'en cas de grève, les personnels disponibles sont les personnels de l'entreprise non-grévistes ; que l'accord du 3 décembre 2007 « relatif au développement du dialogue social, à la prévention des conflits et à la continuité du service public » dispose en son article 18-1 alinéa 3 intitulé modalités de révision de l'organisation du travail, que l'accord d'entreprise ou, à défaut, le chef d'entreprise fixe les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible, l'organisation du travail est révisée et les personnels disponibles qui peuvent être réaffectés sur des lignes ou services pour lesquels ils ont été formés afin de permettre la mise en oeuvre du plan de transport adapté sont les personnels permanents non-grévistes de l'entreprise ou de l'établissement ; que le conseil de prud'hommes a relevé que la direction de la société avait décalé l'heure de début de la prise de poste du salarié exposant après 8h30 les jeudi 4 et vendredi 5 juin, soit après la fin des débrayages, de sorte que celui-ci n'a pas pu participer effectivement à la grève prévue de 7h30 à 8h29 ; qu'il en résultait que l'employeur avait eu recours aux grévistes pour réorganiser le service ; qu'en jugeant pourtant que cette modification de l'heure de prise de poste s'inscrivait dans le cadre de la possibilité de réorganisation du travail en cas de grève consacrée par la loi et déclinée dans l'article 18-1 de l'accord de branche du 3 décembre 2007, le conseil de prud'hommes a violé l'article L.1222-7 du code des transports, l'article 18-1 alinéa 3 de l'accord du 3 décembre 2007 relatif au développement du dialogue social, à la prévention des conflits et à la continuité du service public, ensemble l'article L.1324-11 du code des transports.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief au jugement attaqué d'AVOIR débouté le syndicat de sa demande.
AUX MOTIFS énoncés aux premier et deuxième moyens.
ALORS QUE l'atteinte à l'exercice du droit de grève cause un préjudice à l'intérêt collectif que le syndicat représente et dont il est bien-fondé à demander réparation ; que la cassation sur le premier et/ou le deuxième moyen entraînera la censure par voie de conséquence du chef du jugement ayant débouté le syndicat de sa demande, en application des articles L.1221-1, L.2131-1 et L.2132-3 du code du travail, de l'article L.1222-7 du code des transports, l'article 18-1 alinéa 3 de l'accord du 3 décembre 2007 relatif au développement du dialogue social, à la prévention des conflits et à la continuité du service public et l'article L.1324-11 du code des transports, ensemble les articles 624 et 625 du code de procédure civile. | Si l'article L. 2512-5 du code du travail, complété par l'article 2 de la loi n° 82-889 du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publics, s'applique de manière générale aux retenues effectuées sur les rémunérations des personnels des établissements privés chargés d'un service public, il en va autrement lorsqu'un texte spécifique prévoit un autre mode de calcul de ces retenues pour un service public particulier, en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel n° 87-230 du 28 juillet 1987.
S'agissant des transports terrestres de voyageurs, l'article L. 1324-11 du code des transports, issu de la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, prévoit que « la rémunération d'un salarié participant à une grève, incluant le salaire et ses compléments directs et indirects à l'exclusion des suppléments pour charges de famille, est réduite en fonction de la durée non travaillée en raison de la participation à cette grève ».
Il en résulte que c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a dit que l'employeur était fondé à appliquer une retenue sur salaire proportionnelle aux heures non travaillées en raison de la grève en application de l'article L. 1324-11 du code des transports |
456 | SOC.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 647 FS-P+B
Pourvoi n° T 19-10.534
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. L....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation en date du 14 juin 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
La société Bongard, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° T 19-10.534 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. G... L..., domicilié [...],
2°/ à Pôle emploi - Direction régionale Grand-Est, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Bongard, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. L..., et l'avis de Mme Berriat, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Berriat, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 14 décembre 2018), M. L..., salarié de la société Bongard depuis mars 2000, et titulaire de divers mandats représentatifs depuis 2002, a été licencié pour faute grave le 9 août 2012, après obtention d'une autorisation préalable de licenciement datée du 7 août 2012. L'autorisation administrative a été annulée par la cour administrative d'appel le 23 juin 2015, et le pourvoi formé sur cette décision a été déclaré irrecevable par le Conseil d'Etat. Le salarié a été réintégré dans ses fonctions le 21 juillet 2015.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 2422-4 du code du travail en cas d'annulation d'une autorisation administrative de licenciement. Par ailleurs, l'employeur a repris la procédure de licenciement et obtenu, le 15 février 2016, une autorisation de licenciement du ministre du travail.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme au titre de l'indemnité de l'article L. 2422-4 du code du travail alors :
« 1°/ que l'indemnisation correspondant à la réparation du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement d'un salarié protégé et sa réintégration n'est due que lorsque l'annulation de la décision autorisant le licenciement est devenue définitive ; que tel n'est pas le cas lorsque l'employeur poursuit, à la suite de la réintégration d'un salarié protégé, la procédure de licenciement initialement engagée en considération des mêmes faits ; qu'en l'espèce, la société soutenait que les dispositions de l'article L. 2422-4 du code du travail, prévoyant l'indemnisation du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement du salarié protégé et sa réintégration, n'étaient pas applicables dès lors que, l'employeur ayant repris la même procédure de licenciement à la suite de la réintégration du salarié et cette procédure ayant abouti au licenciement du salarié, il s'agissait d'une seule et même procédure et donc qu'aucune annulation définitive de la dernière décision d'autorisation de licenciement n'était intervenue ; que pour accueillir les demandes indemnitaires formées par le salarié à l'encontre de la société exposante, la cour d'appel a considéré par motifs propres et adoptés que la circonstance que l'employeur ait repris un processus de licenciement du salarié en obtenant une nouvelle autorisation administrative de licenciement à son encontre fondée sur les mêmes faits était sans emport puisqu'elle reposait sur une autre autorisation administrative de licenciement et que la première décision d'autorisation de licenciement du 7 août 2012 était définitive ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 2422-4 du code du travail.
2°/ que l'indemnisation correspondant à la réparation du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement d'un salarié protégé et sa réintégration n'est due que lorsque l'annulation de la décision autorisant le licenciement est devenue définitive ; que tel n'est pas le cas lorsque l'employeur poursuit, à la suite de la réintégration d'un salarié protégé, la procédure de licenciement initialement engagée en considération des mêmes faits ; qu'en l'espèce, pour accueillir les demandes indemnitaires formées par le salarié à l'encontre de la société exposante, la cour d'appel a considéré par motifs propres que l'indemnisation du salarié protégé pour le préjudice subi entre son licenciement et sa réintégration suite à l'annulation de la décision d'autorisation du licenciement, reposait sur le caractère définitif de cette annulation et non sur le fait que son licenciement serait infondé, ce qui pourrait être à nouveau discuté dans le cadre de la nouvelle procédure de licenciement ; que cependant, l'appréciation du caractère définitif de l'annulation de la décision autorisant le licenciement ne pouvait être réalisée indépendamment de la poursuite de la procédure initiale par l'employeur fondée sur les mêmes motifs et de la justification des motifs ayant présidé au licenciement du salarié protégé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 2422-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. En application de l'article L. 2422-4 du code du travail le salarié protégé, licencié après l'obtention d'une autorisation administrative de licenciement ultérieurement annulée, peut demander indemnisation de son préjudice lorsque la décision d'annulation est devenue définitive.
6. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation (Soc., 10 décembre 1997, pourvoi n° 94-45.337, Bull. 1997, V, 435) que l'annulation par le juge administratif d'un refus d'autorisation de licencier ne vaut pas autorisation de licencier et une autorisation administrative de licencier délivrée postérieurement à l'annulation par le juge administratif d'une précédente autorisation ne peut avoir pour effet de régulariser a posteriori le licenciement prononcé sur la base de l'autorisation annulée et tenir en échec le droit à réintégration que le salarié tient de l'annulation par le juge administratif de la précédente autorisation. Par ailleurs, la Cour a déjà jugé (Soc., 2 février 2006, pourvoi n° 05-41.811, Bull. 2006, V, n° 61) que le caractère définitif de la décision administrative privant le licenciement d'un salarié protégé de validité n'a d'effet que sur l'exigibilité du paiement de l'indemnité prévue à l'article L. 412-19 du code du travail destinée à réparer le préjudice subi par le salarié évincé de l'entreprise, qui perdure tant que la réintégration qu'il a demandée ne lui est pas accordée.
7. Une décision d'annulation d'une autorisation administrative devient définitive lorsqu'il n'a pas été formé de recours dans les délais, ou lorsqu'aucune voie de recours ordinaire ne peut plus être exercée à son encontre. Le fait qu'après l'annulation par une décision définitive de l'autorisation administrative de licenciement, l'employeur puisse reprendre la procédure de licenciement pour les mêmes faits et demander une nouvelle autorisation de licenciement est sans emport sur le caractère définitif de la décision d'annulation de la première décision d'autorisation et sur l'application des dispositions de l'article L. 2422-4 du code du travail.
8.C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel, constatant que le salarié avait été licencié le 9 août 2012 en vertu d'une autorisation administrative ultérieurement annulée par une décision définitive, a fait droit à la demande d'indemnité formée par le salarié en application de l'article L. 2422-4 du code du travail.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bongard aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bongard et la condamne à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 000 euros, à charge pour cette dernière de renoncer à percevoir l'indemnité prévue par l'Etat.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Bongard
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société à payer au salarié les sommes de 61 423 euros au titre de l'indemnité de l'article L. 2422-4 du code du travail et de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « l'article L. 2422-4 alinéa 1 du code du travail dispose que : "Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L.2422-l a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision" ; il est constant que par décision du 7 août 2012, le licenciement de Monsieur L... a été autorisé par l'inspecteur du travail et qu'il a été licencié sur la base de cette décision le 9 août 2012 ; il est également constant que par un arrêt de la cour administrative d'appel du 23 juin 2015, la décision d'autorisation de son licenciement a été annulée et est devenue définitive le 27 janvier 2016, date à laquelle le Conseil d'Etat a déclaré irrecevable le pourvoi formé par 1'employeur à son encontre ; auparavant,1'employeur avait procédé à la réintégration du salarié dans1'entreprise le 21 juillet 2015 ; dans ces conditions que la cour ne peut que constater, comme les premiers juges, que les conditions de mise en oeuvre des dispositions susvisées sont remplies ; la décision autorisant le licenciement du salarié en date du 7 août 2012 a été définitivement annulée le 27 janvier 2016 ; le salarié était investi d'un des mandats mentionnés à l'article L.2422-1 du code du travail ; il a formulé une demande en réparation du préjudice subi entre son licenciement et sa réintégration dans 1'entreprise dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision ; l'employeur affirme que, dès la réintégration du salarié, il aurait repris la procédure de licenciement à son encontre fondée sur les mêmes faits et obtenu l'autorisation administrative de le licencier, laquelle ne serait toutefois pas définitive au jour où la cour statue ; l'indemnisation du salarié protégé pour le préjudice subi entre son licenciement et sa réintégration suite à l'annulation de la décision d'autorisation du licenciement, repose sur le caractère définitif de cette annulation et non sur le fait que son licenciement serait infondé, ce qui pourrait être à nouveau discuté dans le cadre de la nouvelle procédure de licenciement ; la circonstance que l'employeur ait repris un processus de licenciement du salarié en obtenant une nouvelle autorisation administrative de licenciement à son encontre fondée sur les mêmes faits, est sans emport puisqu'elle repose sur une autre autorisation administrative de licenciement ; force est de constater que la première décision d'autorisation de licenciement du 7 août 2012 est définitive, ce qui ouvrait droit à l'indemnisation du salarié sur le fondement de l'article L.2422-4 du code du travail dont il remplissait par ailleurs les autres conditions ; les premiers juges ont intégralement réparé le préjudice subi par le salarié en lui allouant les sommes de 61 423 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice matériel et 1500 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ; c'est à juste titre qu'ils l'ont débouté de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour perte de chance d'obtenir des avantages salariaux tels que primes de congés annuels ou majorations pour heures supplémentaires ; en effet il ne justifie pas que, dans la période de trois ans qui a séparé son licenciement de sa réintégration dans l'entreprise, il ait été privé de l'éventualité de percevoir ces avantages ; le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur, partie perdante, à payer au salarié la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance ; à hauteur d'appel, l'équité commande que l'employeur soit condamné à payer au salarié la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance ; à hauteur d'appel, l'équité commande que l'employeur soit condamné à payer au salarié la somme de 1500 € de l'article 700 du code de procédure civile ; il supportera les dépens d'appel » ;
ET AUX MOTIFS QUE, aux termes du jugement attaqué, « La présente décision est contradictoire en application des dispositions de l'article 467 du code de procédure civile. Aux termes de l'article L. 1235-1 du Code du travaille juge a pour mission d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement. Il est acquis que M. L... G... avait un statut de salarié protégé en raison de son mandat de délégué syndical, de sa qualité de membre titulaire du comité d'entreprise, de candidat au CHSCT lors de la désignation du 3 juillet 2012 et de conseiller prud'homal. Son licenciement pour être régulier nécessitait de requérir l'avis du comité d'entreprise et l'accord de l'inspecteur du travail. Le comité d'entreprise, réuni le 5 juillet 2012, a donné un avis favorable. L'inspecteur du travail a donné l'autorisation de licencier M. L... le 7 août 2012, mais cette décision a fait l'objet d'une annulation par arrêt du 23 juin 2015 de la Cour Administrative d'Appel de NANCY. L'article L. 2422-4 du code du travail dispose que "Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire". Le droit à indemnisation ne peut être exercé que lorsque l'annulation de la décision d'autorisation est devenue définitive. Il en résulte que ce droit est subordonné au fait qu'aucun recours (hiérarchique ou contentieux) ne peut plus être exercé à l'encontre de la décision d'annulation. La décision d'annulation de la décision d'autorisation du 7 août 2012 est l'arrêt du 23 juin 2015 rendu par la Cour Administrative d'Appel de NANCY. Cet arrêt était susceptible d'un pourvoi devant le Conseil d'État. La SAS BONGARD a formé pourvoi de cet arrêt du 23 juin 2015 et le Conseil d'État, statuant le 27 janvier 2016 a décidé que le pourvoi de la Société BONGARD n'était pas admis. Plus aucun recours n'étant possible, l'arrêt du 23 juin 2015 est devenu définitif. La SAS BONGARD soutient qu'elle n'a pas, suite à la réintégration de M. L..., entamé une nouvelle procédure de licenciement mais qu'elle n'a fait que poursuivre celle commencée antérieurement. Elle en conclut que la décision d'annulation, soit l'arrêt du 23 juin 2015 n'est pas devenu définitif puisque lui a succédé une décision du Ministre du 15 février 2016, venant autoriser le licenciement. Ce distinguo quant à une nouvelle procédure ou la poursuite d'une procédure ancienne est sans aucune incidence sur la question de l'indemnisation de M. L.... En effet, la décision du Ministre du 15 février 2016 ne constitue pas une décision venant annuler celle de l'inspecteur du travail du 7 août 2012 ou l'arrêt du 23 juin 2015 mais celle du 4 septembre 2015. Or le licenciement du 9 août 2012 est bien fondé sur la décision du 7 août 2012 et non sur celle du 4 septembre 2015 et1'arrêt du 23 juin 2015, ayant annulé la décision du 4 septembre 2012 est bien devenu définitif. L'article L 2422-4 du code du travail trouve par conséquent à s'appliquer ».
ALORS, en premier lieu, QUE l'indemnisation correspondant à la réparation du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement d'un salarié protégé et sa réintégration n'est due que lorsque l'annulation de la décision autorisant le licenciement est devenue définitive ; que tel n'est pas le cas lorsque l'employeur poursuit, à la suite de la réintégration d'un salarié protégé, la procédure de licenciement initialement engagée en considération des mêmes faits ; qu'en l'espèce, la société soutenait que les dispositions de l'article L. 2422-4 du code du travail, prévoyant l'indemnisation du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement du salarié protégé et sa réintégration, n'étaient pas applicable dès lors que, l'employeur ayant repris la même procédure de licenciement à la suite de la réintégration du salarié et cette procédure ayant abouti au licenciement du salarié, il s'agissait d'une seule et même procédure et donc qu'aucune annulation définitive de la dernière décision d'autorisation de licenciement n'était intervenue ; que pour accueillir les demandes indemnitaires formées par le salarié à l'encontre de la société exposante, la cour d'appel a considéré par motifs propres et adoptés que la circonstance que l'employeur ait repris un processus de licenciement du salarié en obtenant une nouvelle autorisation administrative de licenciement à son encontre fondée sur les mêmes faits était sans emport puisqu'elle reposait sur une autre autorisation administrative de licenciement et que la première décision d'autorisation de licenciement du 7 août 2012 était définitive ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 2422-4 du code du travail ALORS, en second lieu, QUE l'indemnisation correspondant à la réparation du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement d'un salarié protégé et sa réintégration n'est due que lorsque l'annulation de la décision autorisant le licenciement est devenue définitive ; que tel n'est pas le cas lorsque l'employeur poursuit, à la suite de la réintégration d'un salarié protégé, la procédure de licenciement initialement engagée en considération des mêmes faits ; qu'en l'espèce, pour accueillir les demandes indemnitaires formées par le salarié à l'encontre de la société exposante, la cour d'appel a considéré par motifs propres que l'indemnisation du salarié protégé pour le préjudice subi entre son licenciement et sa réintégration suite à l'annulation de la décision d'autorisation du licenciement, reposait sur le caractère définitif de cette annulation et non sur le fait que son licenciement serait infondé, ce qui pourrait être à nouveau discuté dans le cadre de la nouvelle procédure de licenciement ; que cependant, l'appréciation du caractère définitif de l'annulation de la décision autorisant le licenciement ne pouvait être réalisée indépendament de la poursuite de la procédure initiale par l'employeur fondée sur les mêmes motifs et de la justification des motifs ayant présidé au licenciement du salarié protégé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 2422-4 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société à payer au salarié la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral et de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, précités au premier moyen
ET AUX MOTIFS QUE, aux termes du jugement attaqué, « Sur les conséquences financières : Le préjudice de M. L... est un préjudice financier, en termes de pertes de salaires et un préjudice moral. S'agissant des salaires, il y a lieu de prendre en compte les salaires bruts (article L1234-9 du code du travail, Cass Soc 7 juin 2005 n° 03-44.969). Il est acquis que le salaire brut de M. L... était en 2012 de 1.756,82 euros brut, qu'il bénéficiait aussi d'une prime d'ancienneté mensuelle de 114,00 euros bruts ainsi que d'une indemnité de transport d'un montant de 103,36 euros brut. M . L... a droit à une indemnisation du 27 juin 2012, date de sa mise à pieds conservatoire jusqu'au 20 juillet 2015, date de sa réintégration. Compte tenu des montants servant de base aux calculs et de la durée, la SAS BONGARD aurait dû lui verser la somme de 87.742,20 euros. Le juge doit déduire du montant de l'indemnité légale, les revenus perçus par le salarié entre son licenciement et sa réintégration (Cass. soc., 29-9-14, n°13-15733; Cass. soc., 13-11-08, n"07-41331), soit en l'espèce les allocations chômage. M. L... ayant perçu du POLE EMPLOI la somme de 26.319,20 euros, cette somme devra être déduite et la SAS BONGARD sera condamnée à verser à M. L... la somme de 61.423 euros au titre de sa perte de revenus. M. V... ne rapporte aucun élément quant à l'existence d'une perte de chance d'obtenir des avantages salariaux tels que primes de congés annuels ou majorations pour heures supplémentaires. II sera débouté de ce chef de demande. S'agissant du préjudice moral, un licenciement cause inévitablement un préjudice moral, qui au regard des éléments produits, sera évalué forfaitairement à la somme de 1.500 euros. L'exécution provisoire, compatible avec la nature de l'affaire est nécessaire en raison de son ancienneté, et surtout de la nature salariale des créances sera ordonnée. Il serait inéquitable que M. G... L... supporte l'intégralité de ses frais irrépétîbles. En conséquence, la S.A.S. BONGARD sera condamnée à lui verser la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. La S.A.S. BONGARD succombant sera condamnée aux dépens.
ALORS, en premier lieu, QUE pour allouer au salarié la somme de 1 500 euros au titre de la réparation du préjudice moral subi du fait de l'annulation de la première procédure de licenciement, la cour d'appel a considéré, par motifs propres et adoptés, que, s'agissant du préjudice moral, un licenciement causait inévitablement un préjudice moral qui, au regard de éléments produits, sera évalué forfaitairement à la somme de 1 500 euros ; que le premier moyen a permis de démontrer que le demande d'indemnisation fondée sur l'article L. 2422-4 du code du travail au titre de la réparation préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration n'était pas fondée ; que la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen entrainera, par voie de conséquence et par application de l'article 624 du Code de procédure civile, la censure des chefs de l'arrêt ayant fait droit à la demande d'indemnisation du préjudice moral du salarié ;
ALORS, en second lieu, et en tout état de cause, QUE, l'employeur qui licencie un salarié sur le fondement d'une autorisation par la suite annulée ne commet aucune faute ; que les juges ne peuvent tirer de la seule demande d'indemnisation formulée par le salarié l'existence d'un préjudice moral nécessaire ; qu'en l'espèce, pour allouer au salarié la somme de 1 500 euros au titre de la réparation du préjudice moral subi du fait de l'annulation de la première procédure de licenciement, la cour d'appel a considéré, par motifs adoptés, que, s'agissant du préjudice moral, un licenciement causait inévitablement un préjudice moral qui, au regard de éléments produits, serait évalué forfaitairement à la somme de 1 500 euros ; qu'en retenant l'existence d'un préjudice nécessaire, la cour d'appel a violé l'article L. 2422-4 du code du travail, ensemble de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. | Une décision d'annulation d'une autorisation administrative devient définitive lorsqu'il n'a pas été formé de recours dans les délais, ou lorsqu'aucune voie de recours ordinaire ne peut plus être exercée à son encontre. Le fait qu'après l'annulation par une décision définitive de l'autorisation administrative de licenciement, l'employeur puisse reprendre la procédure de licenciement pour les mêmes faits et demander une nouvelle autorisation de licenciement est sans emport sur le caractère définitif de la décision d'annulation de la première décision d'autorisation et sur l'application des dispositions de l'article L. 2422-4 du code du travail |
457 | SOC. / ELECT
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 648 FS-P+B
Pourvoi n° T 19-14.605
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
La société Vandemoortele bakery products France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° T 19-14.605 contre le jugement rendu le 22 mars 2019 par le tribunal d'instance de Foix (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. U... G..., domicilié [...],
2°/ à l'union départementale des syndicats CGT de l'Ariège, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Les parties ou leurs mandataires ont produit des mémoires.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Vandemoortele bakery products France, et l'avis écrit de M. Weissmann, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Pécaut-Rivolier, Ott, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Foix, 22 mars 2019), le 11 février 2019, le syndicat UD CGT de l'Ariège (le syndicat) a notifié à la société Vandemoortele bakery products France (la société) la désignation de M. G..., simple adhérent, en qualité de délégué syndical au sein de l'établissement du Fossat, en remplacement de M. Y... .
2. Invoquant la présence au sein de l‘établissement de candidats lors des dernières élections professionnelles, la société a saisi le tribunal d'instance afin d'obtenir l'annulation de cette désignation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief au jugement de la débouter de sa demande d'annulation de la désignation de M. G... en qualité de délégué syndical sur le site du Fossat, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 2141-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-2017 du 29 mars 2018, applicable au litige, que l'organisation syndicale représentative, qui ne peut désigner comme délégué syndical un candidat ayant recueilli à titre personnel au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections, soit parce qu'aucun des candidats qu'elle a présentés ne remplit cette condition, soit parce que l'« ensemble des élus » remplissant cette condition ont renoncé par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, doit désigner par priorité un délégué syndical « parmi les autres candidats » et que ce n'est qu'à défaut de pouvoir procéder à une telle désignation, que l'organisation peut procéder à la désignation d'un adhérent ou d'un ancien élu ; qu'il en résulte que ce n'est qu'à défaut d'autres candidats susceptibles d'être désignés que le syndicat peut désigner comme délégué syndical un de ses adhérents dans l'entreprise ; qu'au cas présent, la société Vandemoortele Bakery Products France faisait valoir qu'il existait plusieurs candidats, dont MM. D..., S... et P..., qui avaient été élus et n'avaient manifestement pas renoncé à être désignés délégué syndical, de sorte que le syndicat CGT ne pouvait prétendre nommer un adhérent qui ne s'était pas porté candidat aux élections ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant que les candidats n'ayant pas renoncé à être désignés délégué syndical n'appartenaient pas au syndicat CGT, le tribunal d'instance a violé le texte susvisé ;
2°/ que les prérogatives légales sont conférées au délégué syndical non pas dans l'intérêt du syndicat représentatif qui l'a désigné, mais dans celui de l'ensemble des salariés de l'entreprise ou de l'établissement ; qu'en énonçant, pour débouter l'employeur de sa demande d'annulation comme délégué syndical d'un adhérent du syndicat qui ne s'était pas présenté aux dernières élections professionnelles, que « le délégué syndical n'est pas une institution représentative du personnel à proprement parler, mais un représentant du syndicat qu'il a désigné », le tribunal d'instance a violé par fausse application les articles L. 2121-1, L. 2122-1 et L. 2143-1 du code du travail ;
3°/ qu'en toute hypothèse, en cas de renonciation de l'ensemble des élus présentés par l'organisation syndicale, cette dernière ne peut procéder à la désignation d'un adhérent au sein de l'établissement ou de l'entreprise qu'à défaut d'autres candidats aux élections susceptibles d'être désignés ; que le texte ne prévoit aucune faculté de désigner un simple adhérent en cas de renonciation de l'ensemble des candidats ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir, sans être contredite, que le syndicat CGT disposait de candidats non élus, de sorte qu'il ne pouvait prétendre désigner un adhérent qui ne s'était pas présenté aux dernières élections ; qu'en refusant d'annuler la désignation au motif que l'ensemble des candidats, même ceux qui n'avaient pas été élus, avaient renoncé à être désignés, le tribunal d'instance a violé l'article L. 2143-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
4. L'article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique. Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa de ce texte, ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit ces conditions, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33.
5. S'agissant de l'article L. 2143-3, alinéa 2, du code du travail, tel qu'issu de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, qui disposait « S'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement », la Cour, après consultation de l'ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés et d'employeurs, a décidé que cette obligation n'a pas pour objet ou pour effet de priver l'organisation syndicale du droit de disposer du nombre de représentants syndicaux prévus par le code du travail ou les accords collectifs dès lors qu'elle a présenté des candidats à ces élections dans le périmètre de désignation. Elle en avait déduit que s'il n'est pas exclu qu'un syndicat représentatif puisse désigner un salarié candidat sur la liste d'un autre syndicat qui a obtenu au moins 10 % des voix et qui l'accepte librement, l'article L. 2143-3 du code du travail n'exige pas de l'organisation syndicale qu'elle propose, préalablement à la désignation d'un délégué syndical en application de l'alinéa 2 de cet article, à l'ensemble des candidats ayant obtenu au moins 10 %, toutes listes syndicales confondues, d'être désigné délégué syndical (Soc., 27 février 2013, pourvoi n° 12-15.807, Bull. 2013, V, n° 65).
6. Par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le législateur a entendu éviter l'absence de délégué syndical dans les entreprises.
7. Il en résulte qu'il y a lieu à nouveau de juger que, s'il n'est pas exclu qu'un syndicat puisse désigner un salarié candidat sur la liste d'un autre syndicat, qui a obtenu au moins 10 % des voix et qui l'accepte librement, l'article L. 2143-3 du code du travail n'exige pas de l'organisation syndicale qu'elle propose, préalablement à la désignation d'un délégué syndical en application de l'alinéa 2 de l'article précité, à l'ensemble des candidats ayant obtenu au moins 10 %, toutes listes syndicales confondues, d'être désigné délégué syndical.
8. Par ailleurs, eu égard aux travaux préparatoires à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, la mention du même texte selon laquelle « si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, le syndicat peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L. 2314-33 », doit être interprétée en ce sens que lorsque tous les élus ou tous les candidats qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique.
9. Dès lors, ayant constaté que M. Y... , précédent délégué syndical désigné par le syndicat, avait démissionné de ses fonctions et que les autres candidats de la liste du syndicat avaient renoncé à exercer les fonctions de délégué syndical sur le site du [...], le tribunal en a déduit à bon droit que le syndicat avait valablement désigné l'un de ses adhérents, M. G..., en qualité de délégué syndical de l'établissement.
10. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Vandemoortele bakery products France et la condamne à payer à M. G... et au syndicat UD CGT de l'Ariège, chacun, la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Vandemoortele bakery products France
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR débouté la société Vandemoortele Bakery Products France de sa demande d'annulation de la désignation de M. G... en qualité de délégué syndical CGT sur son site de Le Fossat ;
AUX MOTIFS QU'« en droit, l'article L.2143-3 du code de travail dans sa rédaction issue de la Loi 20182017 du 29 mars 2018 portant rénovation de la démocratie sociale, dispose que « Chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement d'au moins cinquante salariés, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l'article L.2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l'employeur. Si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions mentionnées au premier alinéa du présent article ou s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au même premier alinéa, ou si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées audit premier alinéa renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats, ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou parmi ses anciens élus ayant atteint la limite de durée d'exercice du mandat au comité social et économique fixée au deuxième alinéa de l'article L.2314-33... ». Cet article, issu de la réforme de 2008 qui a voulu renforcer la représentation dans les désignations et permettre aux salariés de choisir ceux qui étaient les plus aptes à les représenter, instaure un système de désignation par subsidiarité en donnant la priorité aux représentants présentés aux élections qui ont obtenu au moins 10% des voix. C'est ainsi que le syndicat a l'obligation, par principe et par priorité, de désigner un candidat ayant recueilli à titre personnel au moins 10 % des voix. Cependant, cette obligation n'a pas pour objet ou pour effet de priver le syndicat du droit de disposer d'un représentant dès lors qu'il a présenté des candidats aux élections de référence. C'est ainsi que l'article L.2143-3 prévoit un système de désignation subsidiaire et que s'il lui est impossible de désigner un de ses candidats ayant obtenu 10% des voix, le syndicat peut désigner un candidat (éventuellement sur une autre liste) qui n'a pas obtenu ce score, ou à défaut, de désigner un adhérent. La question qui se pose dans le cas présent est de dire si le syndicat qui se trouve, au jour de la désignation, dans l'impossibilité de désigner un candidat adhérent à l'organisation ayant obtenu 10% des voix, ni même un candidat appartenant à l'organisation n'ayant pas obtenu ce score, a l'obligation de désigner un candidat d'une autre liste (avec l'accord de celui-ci) ou si la loi lui offre un choix entre une telle désignation et la possibilité de désigner un de ses adhérents. Malgré le manque de précision de l'article L.2143-3 sur ce point précis, on ne peut considérer que l'appartenance ou non du délégué désigné au syndicat qui le désigne est indifférente (voir en ce sens SOC 27-02-2013 N°12-18828 relatif à la désignation d'un adhérent non candidat alors qu'il existait encore dans l'entreprise un candidat ayant participé aux élections pour le syndicat mais qui l'avait ensuite quitté pour un autre syndicat concurrent et avait démissionné de ses fonctions de délégué, et qui se réfère à la notion de désignation « au profit » du syndicat désignant), alors même que les candidats dudit syndicat ont obtenu plus de 10% des voix. Il ne doit pas être perdu de vue que le délégué syndical n'est pas une institution représentative des salariés à proprement parler, mais un représentant du syndicat qui l'a désigné. En l'espèce, il n'est pas contesté que M. G... n'a pas participé au scrutin et par définition ne peut remplir la condition d'audience personnelle. Cependant, il est établi que par courrier du 7 février 2019 remis à la DRH le 11 février 2009 que l'Union Départementale des Syndicats CGT de l'Ariège a désigné M. G... en qualité de délégué syndical sur le site de LE FOSSAT, en remplacement de M. L... Y.... II est justifié que ce dernier a notifié au syndicat, postérieurement à son assemblée du 1er février 2019, qu'il démissionnait de l'usine et renonçait à assumer tout mandat dont celui de délégué syndical. Il est également produit les courriers du 04 février 2019, par lesquels les autres candidats, Messieurs et Mesdames E... X..., Q... A..., B... C..., H... J..., T... N..., I... K... et M... V... ont notifié au syndicat qu'ils renonçaient à exercer les fonctions de délégué syndical au site de LE FOSSAT, de telle façon qu'il ne restait plus de candidat aux élections, ayant obtenu ou pas 10% des voix, pouvant être désigné. L'employeur soulève le caractère frauduleux de cette désignation et le risque de détournement qu'elle comporte. Il n'échappe pas au tribunal que le fait de désigner finalement un adhérent non candidat pourrait permettre de contourner la volonté du législateur que les délégués soient des salariés s'étant soumis au processus électoral et choisis par les autres salariés pour les représenter. Cependant, c'est la loi qui instaure le principe de subsidiarité et la possibilité de désigner un simple adhérent si la désignation d'un candidat n'est pas possible. Il appartient à Celui qui invoque une fraude de la prouver, et en l'espèce, on vient de voir que les conditions posées par le texte ont été respectées et aucun élément objectif ne permet de dire que la suite de renonciations qui a permis de désigner M. G... correspondrait à une fraude ou à un plan destiné à contourner la loi. Dans ces conditions, la société VANDEMOORTELE BAKERY PRODUCTS FRANCE sera déboutée de sa demande d'annulation » ;
1. ALORS QU' il résulte de l'article L. 2141-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2018-2017 du 29 mars 2018, applicable au litige, que l'organisation syndicale représentative, qui ne peut désigner comme délégué syndical un candidat ayant recueilli à titre personnel au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections, soit parce qu'aucun des candidats qu'elle a présentés ne remplit cette condition, soit parce que l'« ensemble des élus » remplissant cette condition ont renoncé par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical, doit désigner par priorité un délégué syndical « parmi les autres candidats » et que ce n'est qu'à défaut de pouvoir procéder à une telle désignation, que l'organisation peut procéder à la désignation d'un adhérent ou d'un ancien élu ; qu'il en résulte que ce n'est qu'à défaut d'autres candidats susceptibles d'être désignés que le syndicat peut désigner comme délégué syndical un de ses adhérents dans l'entreprise ; qu'au cas présent, la société Vandemoortele Bakery Products France faisait valoir qu'il existait plusieurs candidats, dont MM. D..., S... et P..., qui avaient été élus et n'avaient manifestement pas renoncé à être désignés délégué syndical, de sorte que le syndicat CGT ne pouvait prétendre nommer un adhérent qui ne s'était pas porté candidat aux élections ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant que les candidats n'ayant pas renoncé à être désignés délégué syndical n'appartenaient pas au syndicat CGT, le tribunal d'instance a violé le texte susvisé ;
2. ALORS QUE les prérogatives légales sont conférées au délégué syndical non pas dans l'intérêt du syndicat représentatif qui l'a désigné, mais dans celui de l'ensemble des salariés de l'entreprise ou de l'établissement ; qu'en énonçant, pour débouter l'employeur de sa demande d'annulation comme délégué syndical d'un adhérent du syndicat qui ne s'était pas présenté aux dernières élections professionnelles, que « le délégué syndical n'est pas une institution représentative du personnel à proprement parler, mais un représentant du syndicat qu'il a désigné », le tribunal d'instance a violé par fausse application les articles L. 2121-1, L. 2122-1 et L.2143-1 du Code du travail ;
3. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU' en cas de renonciation de l'ensemble des élus présentés par l'organisation syndicale, cette dernière ne peut procéder à la désignation d'un adhérent au sein de l'établissement ou de l'entreprise qu'à défaut d'autres candidats aux élections susceptibles d'être désignés ; que le texte ne prévoit aucune faculté de désigner un simple adhérent en cas de renonciation de l'ensemble des candidats ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir, sans être contredite, que le syndicat CGT disposait de candidats non élus, de sorte qu'il ne pouvait prétendre désigner un adhérent qui ne s'était pas présenté aux dernières élections ; qu'en refusant d'annuler la désignation au motif que l'ensemble des candidats, même ceux qui n'avaient pas été élus, avaient renoncé à être désignés, le tribunal d'instance a violé l'article L.2143-3 du code du travail. | S'il n'est pas exclu qu'un syndicat puisse désigner un salarié candidat sur la liste d'un autre syndicat, qui a obtenu au moins 10 % des voix et qui l'accepte librement, l'article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, n'exige pas de l'organisation syndicale qu'elle propose, préalablement à la désignation d'un délégué syndical en application de l'alinéa 2 de l'article précité, à l'ensemble des candidats ayant obtenu au moins 10%, toutes listes syndicales confondues, d'être désigné délégué syndical.
En vertu du même texte, lorsque tous les élus ou tous les candidats ayant obtenu au moins 10% des voix qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique.
Dès lors, ayant constaté que le précédent délégué syndical désigné par le syndicat avait démissionné de ses fonctions et que les autres candidats de la liste du syndicat avaient renoncé à exercer les fonctions de délégué syndical, un tribunal d'instance en déduit à bon droit que le syndicat a valablement désigné l'un de ses adhérents en qualité de délégué syndical |
458 | SOC. / ELECT
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 650 FS-P+B+R
Pourvois n°
X 19-11.918
B 19-60.107 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
I - 1°/ Le syndicat SNEC-CFE-CGC, dont le siège est [...], pris en la personne de M. O... G..., en qualité de président du syndicat,
2°/ la Fédération CGT du commerce, de la distribution et des services, dont le siège est [...], prise en la personne de Mme X... D..., en qualité d'administratrice de la fédération,
3°/ La Fédération des employé et cadres - Force ouvrière, dont le siège est [...], prise en la personne de M. C... L..., en qualité de secrétaire général,
ont formé le pourvoi n° B 19-60.107 contre un jugement rendu le 29 janvier 2019 par le tribunal d'instance de Lagny-sur-Marne (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Conforama France, dont le siège est [...],
2°/ à la Fédération des services confédération française démocratique du travail CFDT, dont le siège est [...],
défenderesses à la cassation.
II La Fédération des services CFDT a formé le pourvoi n° X 19-11.918 contre le même jugement rendu dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Conforama France,
2°/ au syndicat SNEC-CFE-CGC,
3°/ à la Confédération générale du travail,
4°/ à la Fédération des employés et cadres FO,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° X 19-11.918 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Les parties ou leurs mandataires ont produit des mémoires.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération des services CFDT, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Conforama France, et l'avis de Mme Berriat, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Pécaut-Rivolier, Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Joly, conseillers référendaires, Mme Berriat, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° 19-60.107 et 19-11.918 ;
Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Lagny-sur-Marne, 29 janvier 2019), que, à la suite de l'échec des négociations avec les organisations syndicales représentatives pour la détermination du nombre et des périmètres des établissements distincts de la société Conforama France, cette entreprise a, par une décision unilatérale du 7 septembre 2018, fixé ce nombre à vingt et délimité le périmètre de ces établissements ; que, par des décisions implicites et par une décision du 26 novembre 2018, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France (le Direccte) a rejeté les recours formés contre cette décision unilatérale ; que le tribunal a accueilli la contestation formée contre la décision du Direccte et fixé, dans des termes identiques à la décision unilatérale de l'employeur, le nombre et le périmètre des établissements de l'entreprise ;
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième à neuvième branches, du pourvoi n° 19-11.918, le premier moyen, le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, du pourvoi n° 19-60.107, qui est recevable :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens, ci-après annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi n° 19-60.107 et sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi n° 19-11.918 :
Attendu que les organisations syndicales font grief au jugement de fixer le nombre et le périmètre des établissements distincts de la société de la façon suivante : seize établissements distincts pour le réseau commercial de magasins sous enseigne Conforama correspondant au périmètre de chacune des directions régionales de la direction de l'exploitation, un établissement distinct correspondant au périmètre des quatre magasins du site logistique de Saint-Georges-d'Esperanche, un établissement distinct correspondant au périmètre du centre national de service après-vente de Compiègne auquel sont rattachés les centres fermés sans activité, un établissement distinct correspondant au périmètre du siège social, alors, selon le moyen :
1°/ que selon l'article L. 2313-4 du code du travail en l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3, l'employeur fixe le nombre et le périmètres des établissements distincts, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel ; que l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement doit nécessairement être appréciée au regard de l'organisation réelle et effective de l'entreprise au jour de la décision de l'employeur fixant le nombre et le périmètres des établissements distincts ; que, en se fondant, pour juger que le nombre et le périmètre des établissements distincts de la société sont déterminés dans les termes de la décision unilatérale de l'employeur du 7 septembre 2018, sur des délégations de pouvoir établies le 1er octobre 2018, soit postérieurement à ladite décision unilatérale de l'employeur et à sa contestation par les organisations syndicales auprès de la DIRECCTE en septembre 2018, quand la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts de l'entreprise ne pouvait avoir été fixée par l'employeur au regard d'une organisation et d'une répartition des compétences qui n'existaient pas au jour de sa décision, le tribunal a violé l'article L. 2313-4 du code du travail ;
2°/ que la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts doit prioritairement intervenir par accord collectif loyalement négocié ; que ce n'est qu'à défaut d'accord d'entreprise que l'employeur, puis, en cas de contestation, l'administration et le cas échéant le juge, fixent le nombre et le périmètre des établissements distincts ; qu'en l'espèce, il est constant que la dernière réunion de négociation est intervenue le 28 août 2018 et que la décision unilatérale de l'employeur a été prise le 7 septembre 2018 ; qu'il est tout aussi constant et non contesté que, durant cette période, les partenaires sociaux ont négocié le nombre et le périmètre des établissements distincts selon une organisation de l'entreprise dans laquelle les directeurs de magasins disposaient de larges délégations de pouvoirs en matière de gestion du personnel [« embauches, sanctions y compris licenciement du personnel cadre de votre magasin »] et d'exécution du service ; qu'il est constaté que les délégations de pouvoir des directeurs de magasin ont été réduites par nouvelles délégations du 1er octobre 2018, soit postérieurement à la clôture de la négociation ; qu'en jugeant qu'il lui appartenait d'apprécier « le découpage des établissements distincts au regard de l'organisation actuelle de la société, même si cette organisation a connu des modifications récentes », quand il ne pouvait statuer sur une situation de l'entreprise qui était méconnue des organisations syndicales et qui n'a pas été prise en compte lors des négociations, sauf à vider de toute substance la priorité donnée à l'accord collectif pour la mise en place des établissements distincts, le tribunal a violé les articles L. 2313-2, L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail, ensemble le principe de loyauté de la négociation collective ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 2313-5 du code du travail que, lorsqu'il est saisi de contestations de la décision de l'autorité administrative quant à la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, il appartient au juge de se prononcer sur la légalité de cette décision au regard de l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date de la décision administrative et, en cas d'annulation de cette dernière décision, de statuer à nouveau, en fixant ce nombre et ce périmètre d'après l'ensemble des circonstances de fait à la date où le juge statue ;
Et attendu que, après avoir accueilli la contestation de la décision explicite de rejet de l'autorité administrative du 26 novembre 2018, le tribunal d'instance, statuant à nouveau, a constaté que les délégations de pouvoir établies le 1er octobre 2018 pour les directeurs de magasin mentionnent uniquement l'application de la réglementation en matière de gestion individuelle du personnel, que ne sont donc plus déléguées aux directeurs de magasin les compétences relatives aux procédures disciplinaires, y compris les licenciements, et à la procédure d'embauche, que le processus de recrutement en place depuis le mois d'avril 2016 est tel que ces directeurs ne jouissent plus que d'un pouvoir de proposition d'embauche, la décision relevant des directions régionales et nationales, que, depuis le mois de juillet 2018, ces directeurs sont privés de tout pouvoir de prononcer des sanctions autres que des rappels à l'ordre et des avertissements, les sanctions les plus graves ressortant, in fine, au niveau supérieur, en sorte que, le recrutement et les procédures disciplinaires relevant de la compétence des services des ressources humaines régionaux ou nationaux, il n'existe pas à l'échelon des magasins une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel pour retenir que chaque magasin constitue un établissement distinct ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi n° X 19-11.918 par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la Fédération des services CFDT.
Le moyen fait grief au jugement attaqué d'AVOIR débouté l'organisation syndicale exposante de ses demandes et d'AVOIR fixé le nombre et le périmètre des établissements distincts de la façon suivante : 16 établissements pour le réseau commercial de magasins sous enseigne Conforama correspondants au périmètre de chacune des directions régionales de la direction de l'exploitation ; 1 établissement distinct correspondant au périmètre des 4 magasins sous enseigne Maison Dépôt ; 1 établissement distinct correspondant au périmètre du site logistique ; 1 établissement distinct correspondant au périmètre du centre national de SAV auquel seront rattachés les centres fermés sans activité ; 1 établissement distinct correspondant au périmètre du siège.
AUX MOTIFS QU'il convient de déterminer si les directeurs de magasin disposent, notamment au regard de leurs délégations de compétence, de cette autonomie suffisante, essentiellement en matière de gestion du personnel et pour l'exécution du service. À titre liminaire, il convient de relever que les organisations syndicales dénoncent les délégations de compétence produites par l'employeur comme réalisées « pour les besoins de la cause », étant toutes datées du 1er octobre 2018. Cependant si le tribunal constate bien que ces délégations sont parfaitement identiques et toutes datées du 1er octobre 2018, et que manifestement elles vont dans le sens d'une diminution de l'autonomie des directeurs de magasin, notamment en matière de gestion des ressources humaines, il n'en demeure pas moins que le tribunal doit apprécier le découpage des établissements distincts au regard de l'organisation actuelle de la société, même si cette organisation a connu des modifications récentes. Pour exemple une délégation de pouvoir établie le 9 septembre 2013 accordait notamment au directeur de magasin la délégation suivante en matière sociale et de réglementation du travail application de la réglementation en matière de gestion individuelle et collective du personnel comprenant expressément les « embauches, sanctions y compris licenciement du personnel cadre de votre magasin ». Sur le même point, les délégations de pouvoir établies le 1er octobre 2018 mentionnent uniquement l'application de la réglementation en matière de gestion individuelle du personnel : respect de la législation sociale et le « respect des déclarations et formalités d'embauche après mise en oeuvre de la procédure de validation interne préalable à toute embauche ». Ne sont donc plus déléguées aux directeurs de magasin les compétences relatives aux procédures disciplinaires y-compris les licenciements, et la procédure d'embauche met désormais le directeur de magasin uniquement en position de proposer une embauche, soumise ensuite à un processus de validation faisant intervenir, selon les niveaux d'emploi et les types de contrats, jusqu'à 3 échelons des directions régionales et de la direction nationale. Il convient d'ailleurs de noter que ce processus de recrutement est en place depuis avril 2016. Concernant les procédures disciplinaires un nouveau processus est applicable depuis juillet 2018. Les sanctions de premier niveau (du rappel à l'ordre à l'avertissement) sont encore prises par le directeur de magasin mais qui a obligation d'informer le niveau régional ou national de sa volonté de prononcer une sanction. Concernant les sanctions les plus graves, jusqu'au licenciement, la décision est nécessairement collégiale, et en cas de désaccord le niveau supérieur décide. Il convient de relever que le directeur de magasin ne fait partie de la collégialité que pour les décisions concernant les employés et agents de maîtrise. Pour les cadres, la collégialité s'entend uniquement entre le niveau régional et national. Il apparaît donc que si les directeurs de magasin conservent des compétences en matière de gestion du personnel, notamment sur les inscriptions en formation, ou encore la gestion quotidienne (congés, temps de travail etc...) les éléments particulièrement décisifs que sont le recrutement et les procédures disciplinaires relèvent désormais de la compétence des services RH régionaux et ou national. L'autonomie de gestion des directeurs de magasin est donc particulièrement réduite. Cette réduction est d'ailleurs confirmée dans le rapport rendu en décembre 2018 par l'expert missionné par le Comité central d'entreprise qui déplore précisément « une perte progressive de capacité de décision» des acteurs en magasin et « une perte d'autonomie des directeurs de magasin ». À l'inverse il ressort des descriptions de fonction des directeurs RH régionaux et Réseau ainsi que des différents processus internes de la société que l'échelon régional, sous-direction de l'échelon national, impulse, coordonne et contrôle toutes les actions principales en terme de gestion du personnel : recrutements et procédures disciplinaires, mais aussi périodes d'intégration, catalogue et politique de formation continue, grilles de rémunérations et politiques de développement des carrières, accompagnement et pilotage de la politique d'apprentissage, etc... S'agissant enfin de l'exécution du service, il ressort également des délégations de compétence que si la marche quotidienne du magasin relève de la compétence du directeur de magasin (gestion des commandes, du stock, application de la réglementation relative aux prix et à l'affichage...), les orientations commerciales et budgétaires de l'enseigne sont fixées au plan national et non dans chaque magasin. Il apparaît donc que les moyens et arguments produits par les demanderesses sont insuffisants à démontrer qu'il existe à l'échelon des magasins une autonomie de gestion suffisante en terme de gestion du personnel et d'exécution du service pour retenir que chaque magasin constitue un établissements distincts. Il convient donc de juger que le nombre et le périmètre des établissements distincts de la société CONFORAMA FRANCE sont déterminés dans les termes de la décision unilatérale du 7 septembre 2018.
1° ALORS QUE la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts doit prioritairement intervenir par accord collectif loyalement négocié ; que ce n'est qu'à défaut d'accord d'entreprise que l'employeur, puis, en cas de contestation, l'administration et le cas échéant le juge, fixent le nombre et le périmètre des établissements distincts ; qu'en l'espèce, il est constant que la dernière réunion de négociation est intervenue le 28 août 2018 et que la décision unilatérale de l'employeur a été prise le 7 septembre 2018 ; qu'il est tout aussi constant et non contesté que, durant cette période, les partenaires sociaux ont négocié le nombre et le périmètre des établissements distincts selon une organisation de l'entreprise dans laquelle les directeurs de magasins disposaient de larges délégations de pouvoirs en matière de gestion du personnel [« embauches, sanctions y compris licenciement du personnel cadre de votre magasin »] et d'exécution du service ; qu'il est constaté que les délégations de pouvoir des directeurs de magasin ont été réduites par nouvelles délégations du 1er octobre 2018, soit postérieurement à la clôture de la négociation ; qu'en jugeant qu'il lui appartenait d'apprécier « le découpage des établissements distincts au regard de l'organisation actuelle de la société, même si cette organisation a connu des modifications récentes », quand il ne pouvait statuer sur une situation de l'entreprise qui était méconnue des organisations syndicales et qui n'a pas été prise en compte lors des négociations, sauf à vider de toute substance la priorité donnée à l'accord collectif pour la mise en place des établissements distincts, le tribunal a violé les articles L. 2313-2, L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail, ensemble le principe de loyauté de la négociation collective.
2° ALORS QUE à défaut d'accord, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont déterminés compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement ; qu'en l'espèce, il est constant que, par délégations de pouvoirs datées du 1er octobre 2018, les directeurs de magasin assument « le fonctionnement, l'organisation et la gestion administrative et commerciale » de leur magasin, disposent à ce titre de « tous les pouvoirs fonctionnels et organisationnels utiles » dans leur domaine, représentent et engagent « l'entreprise dans l'ordre interne et auprès des tiers », dirigent et supervisent « l'activité du site placé sous leur responsabilité dans le cadre de la gestion courante du magasin », exercent leur autorité « de manière indépendante et autonome » sur leur périmètre à hauteur de leur budget annuel, veillent « efficacement à l'observation et à la bonne application des dispositions législatives et réglementaires applicables et notamment en matière économique, de la législation sociale et des prescriptions concernant l'hygiène et la sécurité des salariés », disposent d'une délégation en matière commerciale, sociale, de réglementation du travail et d'hygiène et sécurité, de représentation de l'entreprise devant les administrations, les entreprises extérieures, les juridictions et les assurances, disposent de « tous pouvoirs pour négocier, signer et gérer tous contrats concernant des prestations relatives » à leur magasin, engagent leur responsabilité pénale en cas de non-respect par eux-mêmes ou par le personnel placé sous leurs ordres de la réglementation ; qu'en jugeant néanmoins que les directeurs de magasin ne bénéficieraient plus d'une autonomie suffisante aux seuls motifs inopérants que les recrutements et sanctions disciplinaires sont soumis à une procédure de validation au niveau des directions régionales, le tribunal a violé les articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail.
3° ALORS QUE le juge est tenu d'analyser, serait-ce sommairement, les pièces soumises à son examen ; qu'en jugeant que depuis juillet 2018, les procédures disciplinaires au-delà de l'avertissement relèvent de la compétence des directions régionales, quand les organisations syndicales faisaient valoir que cette compétence n'était pas conforme à la réalité des faits et versaient au soutien de leur démonstration une lettre de convocation à entretien préalable pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave signée par un directeur de magasin et notifiée par ce directeur en septembre 2018, soit postérieurement au prétendu processus mis en oeuvre en juillet 2018, le tribunal a violé les articles 455 et 9 du code de procédure civile.
4° ALORS QUE à défaut d'accord, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont déterminés compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations du tribunal que les directeurs de magasin « conservent des compétences en matière de gestion du personnel, notamment sur les inscriptions en formation, ou encore la gestion quotidienne (congés, temps de travail, etc
) » ainsi qu'en matière de prononcé des sanctions de premiers niveaux (jusqu'à l'avertissement), ce dont il résultait que les directeurs de magasin assurent la gestion quotidienne de leur personnel en toute autonomie ; qu'en déboutant néanmoins l'exposante de sa contestation aux seuls motifs que « les éléments particulièrement décisifs que sont le recrutement et les procédures disciplinaires relèvent désormais de la compétence des services RH régionaux et/ou national », quand l'exclusion de ces seuls évènements, qui n'interviennent pas quotidiennement dans la gestion du personnel, n'atténuait en rien l'autonomie des directeurs de magasin dans la gestion de l'ensemble des autres aspects quotidiens de la gestion du personnel, le tribunal a violé les articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail.
5° ALORS QUE l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement est appréciée compte tenu de la délégation de compétences qui lui est attribuée ; qu'en l'espèce, en jugeant que « les éléments particulièrement décisifs que sont le recrutement et les procédures disciplinaires relèvent désormais de la compétence des services RH régionaux et/ou national », sans rechercher, comme il y était expressément invité, si les responsables régionaux disposaient d'une délégation de compétences établie par l'employeur, et alors que les organisations syndicales mettaient en doute la réalité de ces compétences établies sur des fiches de poste récentes et démontraient notamment que la prétendue procédure de contrôle des sanctions disciplinaires déployée depuis juillet 2018 n'était pas appliquée dans les faits en raison de la convocation à entretien préalable au licenciement pour faute grave notifiée par des directeurs d'établissement postérieurement à juillet 2018, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail.
6° ALORS QUE l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement est appréciée compte tenu de la délégation de compétences qui lui est attribuée ; qu'en l'espèce, en se bornant à juger qu'« il ressort des descriptions de fonction des directeurs RH régionaux et Réseau ainsi que des différents processus internes de la société que l'échelon régional, sous-direction de l'échelon national, impulse, coordonne et contrôle toutes les actions principales en terme de gestion du personnel », sans constater que ces directeurs régionaux et réseau prenaient des décisions concrètes concernant la gestion du personnel ou l'exécution du service, au-delà des seuls impulsion, coordination et contrôle de certaines activités des directeurs de magasin, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail.
7° ALORS QUE à défaut d'accord, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont déterminés compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel ou d'exécution du service ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constations du tribunal qu'outre une autonomie de gestion quotidienne du personnel, les directeurs de magasin assurent la marche quotidienne du magasin (« gestion des commandes, du stock, application de la réglementation relative aux prix et à l'affichage ») ; qu'en déboutant néanmoins l'exposante de sa contestation, quand la gestion quotidienne par les directeurs de magasin du personnel et de leur magasin, prise dans son ensemble, démontrait l'autonomie suffisante de ces magasins par rapport à l'entreprise, le tribunal a violé les articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail.
8° ALORS QUE à défaut d'accord, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont déterminés compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière d'exécution du service ; que la loi n'exige pas une autonomie du responsable et dans la gestion du personnel et dans la gestion de l'exécution du service ; qu'en l'espèce, en déboutant l'exposante de sa contestation tout en constatant que la marche quotidienne du magasin relève de la seule responsabilité des directeurs de magasin, peu important la fixation au niveau national des orientations commerciales et budgétaire, le tribunal a violé les articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail.
9° ALORS QUE l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement est appréciée compte tenu de la délégation de compétences qui lui est attribuée ; que cette délégation peut résulter d'un mandat apparent, indépendamment de l'existence ou des termes d'une délégation écrite ; qu'en l'espèce, en jugeant que « les éléments particulièrement décisifs que sont le recrutement et les procédures disciplinaires relèvent désormais de la compétence des services RH régionaux et/ou national », en se fondant principalement sur le contenu des délégations de pouvoir des directeurs de magasin modifiés par l'employeur le 1er octobre 2018, sans rechercher, comme il y était expressément invité, si dans les faits les directeurs de magasin ont préservé l'apparence d'une autonomie de gestion suffisante du personnel, quand les organisations syndicales faisaient valoir et démontraient que les directeurs de magasins ont toujours notifié les licenciements des salariés, pour motif personnel ou disciplinaire, tout au long des années 2017 et 2018, ce dont il résultait que les directeurs de magasins ont conservé au sein de leur magasin l'apparence d'un mandat de gestion autonome du personnel, nonobstant la mise en place de procédures de validation interne des licenciements ou la modification des délégations de pouvoirs par l'employeur, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2313-4 et L. 2313-5 code du travail et de l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 1985 du code civil. | Il résulte de l'article L. 2313-5 du code du travail que, lorsqu'il est saisi de contestations de la décision de l'autorité administrative quant à la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts, il appartient au juge de se prononcer sur la légalité de cette décision au regard de l'ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date de la décision administrative et, en cas d'annulation de cette dernière décision, de statuer à nouveau, en fixant ce nombre et ce périmètre d'après l'ensemble des circonstances de fait à la date où le juge statue |
459 | SOC.
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 651 FS-P+B
Pourvois n°
U 18-26.585
V 18-26.586
W 18-26.587
X 18-26.588
Y 18-26.589
Z 18-26.590
A 18-26.591
B 18-26.592
C 18-26.593
D 18-26.594
E 18-26.595
F 18-26.596
H 18-26.597
G 18-26.598
J 18-26.599
K 18-26.600
M 18-26.601
N 18-26.602
P 18-26.603
Q 18-26.604
R 18-26.605
S 18-26.606
T 18-26.607
U 18-26.608
V 18-26.609
W 18-26.610
X 18-26.611
Y 18-26.612
Z 18-26.613
A 18-26.614
B 18-26.615
C 18-26.616
D 18-26.617
E 18-26.618
F 18-26.619
H 18-26.620
G 18-26.621
J 18-26.622
K 18-26.623
M 18-26.624
N 18-26.625
P 18-26.626
Q 18-26.627
R 18-26.628
S 18-26.629
T 18-26.630
U 18-26.631
V 18-26.632
W 18-26.633
X 18-26.634
Z 18-26.636
A 18-26.637
B 18-26.638
C 18-26.639
D 18-26.640
E 18-26.641
F 18-26.642
H 18-26.643
G 18-26.644
J 18-26.645
K 18-26.646
M 18-26.647
N 18-26.648
P 18-26.649
Q 18-26.650
R 18-26.651
S 18-26.652
T 18-26.653
U 18-26.654
V 18-26.655 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
1°/ M. O... E..., domicilié [...],
2°/ M. U... K..., domicilié [...],
3°/ M. U... F..., domicilié [...],
4°/ M. C... UL..., domicilié [...],
5°/ M. A... H..., domicilié [...],
6°/ M. S... M..., domicilié [...],
7°/ M. C... V..., domicilié [...],
8°/ Mme B... Y..., domiciliée [...],
9°/ M. R... P..., domicilié [...],
10°/ M. J... G..., domicilié [...],
11°/ M. N... Q..., domicilié [...],
12°/ M. W... T..., domicilié [...],
13°/ M. D... G..., domicilié [...],
14°/ M. I... X..., domicilié [...],
15°/ M. L... RL..., domicilié [...],
16°/ M. U... IN..., domicilié [...],
17°/ M. O... YO..., domicilié [...],
18°/ M. XC... XO..., domicilié [...],
19°/ M. L... CN..., domicilié [...],
20°/ M. XC... JH..., domicilié [...],
21°/ M. KJ... WY..., domicilié [...],
22°/ M. IZ... TA..., domicilié [...],
23°/ M. FG... WX..., domicilié [...],
24°/ M. FR... TI..., domicilié [...],
25°/ M. U... WK..., domicilié [...],
26°/ M. J... MU..., domicilié [...],
27°/ M. N... GX..., domicilié [...],
28°/ M. OS... AG... , domicilié [...],
29°/ M. SD... NM..., domicilié [...],
30°/ M. FG... AP..., domicilié [...],
31°/ M. GC... TD... , domicilié [...],
32°/ M. US... AN..., domicilié [...],
33°/ M. TR... OF..., domicilié [...],
34°/ M. HC... QA..., domicilié [...],
35°/ M. US... NF..., domicilié [...],
36°/ M. TR... NF..., domicilié [...],
37°/ M. QW... VP..., domicilié [...],
38°/ M. OS... WO..., domicilié [...],
39°/ M. XC... IT..., domicilié [...],
40°/ M. IV... KI..., domicilié [...],
41°/ M. MI... GG..., domicilié [...],
42°/ M. MB... NQ..., domicilié [...],
43°/ M. US... WM..., domicilié [...],
44°/ M. L... WM..., domicilié [...],
45°/ M. CX... VN..., domicilié [...],
46°/ M. RX... KD..., domicilié [...],
47°/ M. CX... UG..., domicilié [...],
48°/ M. OS... AV..., domicilié [...],
49°/ M. L... AQ..., domicilié [...] ,
50°/ M. FG... JA..., domicilié [...],
51°/ M. JY... NZ..., domicilié [...],
52°/ M. L... NZ..., domicilié [...],
53°/ M. ED... EN..., domicilié [...],
54°/ M. I... EN..., domicilié [...],
55°/ M. QN... GL..., domicilié [...],
56°/ M. VW... MV..., domicilié [...],
57°/ M. RX... YQ..., domicilié [...],
58°/ M. C... YC..., domicilié [...],
59°/ M. YW... BG..., domicilié [...],
60°/ M. OS... OX..., domicilié [...],
61°/ M. D... QA..., domicilié [...],
62°/ M. NH... YA..., domicilié [...],
63°/ M. L... DN...'homme, domicilié [...],
64°/ M. RT... OQ..., domicilié [...],
65°/ M. PH... PC..., domicilié [...],
66°/ M. U... AR..., domicilié [...],
67°/ M. I... AX..., domicilié [...],
68°/ M. LF... NR..., domicilié [...],
69°/ M. JS... NB..., domicilié [...],
70°/ M. U... HB..., domicilié [...],
ont formé respectivement les pourvois n° U 18-26.585 à X 18-26.634 et Z 18-26.636 à V 18-26.655 contre soixante-dix arrêts rendus le 5 septembre 2018 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale), dans les litiges les opposant à la société SNCF voyageurs, venant aux droits de l'EPIC SNCF mobilités, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leurs pourvois, les deux moyens de cassation communs annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. E... et des soixante-neuf autres agents de la SNCF, de la SCP Colin-Stoclet, avocat de la société SNCF voyageurs, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion, Ricour, Mmes Capitaine, Gilibert, conseillers, MM. Silhol, Duval, Mmes Valéry, Pecqueur, conseiller référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 18-26.585 à 18 26-634, et 18-26.636 à 18-26.655 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Reims, 5 septembre 2018 ), M. E... et d'autres agents de la SNCF, devenue SNCF mobilités, travaillant au sein du Technicentre de [...], ont saisi la juridiction prud'homale, le 28 mai 2015, aux fins d'obtenir la condamnation de leur employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété et pour violation de l'obligation de sécurité.
3. Par arrêts infirmatifs du 5 septembre 2018, la cour d'appel a déclaré leur action irrecevable.
4. La société SNCF voyageurs est venue aux droits de la société SNCF mobilités.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le second moyen pris en sa seconde branche, les moyens étant réunis Enoncé du moyen
5. Les salariés font grief aux arrêts de dire irrecevable leur action tendant à l'indemnisation de leur préjudice d'anxiété et de leur préjudice résultant de la violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation de bonne foi alors :
« 1°/ que la prescription des actions ouvertes aux salariés aux fins d'indemnisation du préjudice lié à l'exposition à l'amiante ne court qu'à compter du jour où ces salariés ont eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété, c'est-à-dire à compter du jour où ils détiennent l'ensemble des éléments nécessaires à la connaissance de la dangerosité de l'exposition à laquelle ils ont été soumis ; qu'en refusant de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action des agents à la date à laquelle avait été mis en service le local de confinement de l'amiante le 1er janvier 2014, c'est-à-dire à la date à laquelle ils avaient été mis en possession de l'ensemble des éléments nécessaires à la connaissance du risque à l'origine de leur anxiété, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme.
2°/ que la prescription des actions des salariés aux fins d'indemnisation du préjudice résultant d'un manquement de leur employeur à ses obligations de sécurité et de bonne foi en matière d'amiante ne court qu'à compter du jour où les salariés ont cessé d'être exposés à l'amiante ; qu'en refusant de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action des agents à la date à laquelle avait été mis en service le local de confinement de l'amiante le 1er janvier 2014, c'est-à-dire à la date à laquelle leurs conditions de travail avaient été mises en conformité avec le régime de protection en matière d'amiante dit du retrait et à laquelle ils avaient eu connaissance de la déloyauté avec laquelle la SNCF Mobilités les avaient jusqu'alors exposés à l'amiante, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 :
6. Aux termes de ce texte, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
7. Par ailleurs, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.
8. Le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d'anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin.
9. Pour déclarer prescrite l'action des salariés, les arrêts retiennent que le 30 janvier 2001, lors de la réunion du CHSCT, les représentants du personnel ont fait grief à l'employeur de ne pas appliquer le décret n° 96/98 du 7 février 1998 traitant de la protection des travailleurs exposés aux fibres d'amiante, après la découverte par des agents d'un produit amiantifère lors d'une intervention sous le plancher d'un chaudron, qu'en 2004, une cabine de désamiantage a été installée dans le bâtiment N, et que donc au plus tard en 2004, les salariés avaient ou auraient dû avoir conscience d'un risque d'exposition à l'amiante, présente sur le site où ils exerçaient leur activité professionnelle, qu'a confirmé en 2005, l'interdiction d'utilisation des enduits Becker, compte tenu de la concentration en fibres d'amiante qu'ils contenaient, puis les interventions particulièrement fermes à compter de 2011 de la DIRECCTE.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher à quelle date les salariés avaient cessé d'être exposés à un risque élevé de développer une pathologie grave résultant d'une exposition à l'amiante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la première branche du second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 5 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société SNCF voyageurs aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SNCF voyageurs et la condamne à payer aux agents la somme globale de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens communs produits aux pourvois n° U 18-26.585 à X 18-26.634 et Z 18-26.636 à V 18-26.655 par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. E... et soixante-neuf autres agents.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief aux arrêts infirmatifs attaqués d'AVOIR dit irrecevable l'action des agents de la SNCF Mobilités tendant à l'indemnisation de leur préjudice d'anxiété.
AUX MOTIFS QUE par l'effet des lois n° 2008-568 du 17 juin 2008 et n° 2013-504 du 14 juin 2013, le délai dont dispose le salarié pour saisir le juge afin d'obtenir réparation des préjudices nés d'un manquement de l'employeur à ses obligations a été réduit successivement de 30 à 5 ans, puis de 5 à 2 ans ; que les dispositions transitoires de chacun de ces textes prévoyaient que lorsque l'ancienne prescription serait encore en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le délai de la prescription ancienne continuerait à s'appliquer, sans toutefois que le délai déjà écoulé de cette prescription ancienne, majoré du délai de la nouvelle prescription, puisse au total excéder le délai de l'ancienne prescription ; que désormais, l'article L. 1471-1 du code du travail prévoit que « toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit » ; qu'il ne ressort pas de ces dispositions que l'ouverture du droit d'agir résulte de la connaissance individuelle de son auteur, de sorte qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre connaissance ou conscience collective et connaissance ou conscience individuelle ; que le conseil de prud'hommes de Troyes, conformément à la demande du salarié, a fixé au 1er janvier 2014 le point de départ du délai de prescription, correspondant à la mise en service du local de confinement des matériaux amiantifères au sein du Technicentre de Romilly-sur-Seine ; qu'il ne ressort toutefois des pièces produites aux débats (pièce 8/1 dossier salarié) que le 30 janvier 2001, lors de la réunion du CHSCT, les représentants du personnel ont fait grief à l'employeur de ne pas appliquer le décret n° 96/98 du 7 février 1998 traitant de la protection des travailleurs exposés aux fibres d'amiante, après la découverte par des agents d'un produit amiantifère lors d'une intervention sous le plancher d'un chaudron ; qu'il est également constant qu'en 2004, une cabine de désamiantage a été installée dans le bâtiment N ; qu'il résulte de ces éléments que dès le 30 janvier 2001, date du CHSCT et au plus tard en 2004, le salarié avait ou aurait dû avoir conscience d'un risque d'exposition à l'amiante, présente sur le site où il exerçait son activité professionnelle, qu'a confirmée en 2005, l'interdiction d'utilisation des enduits Becker, compte tenu de la concentration en fibres d'amiante qu'ils contenaient, puis les interventions particulièrement fermes à compter de 2011 de la DIRECCTE ; qu'au surplus, l'EPIC SNCF Mobilités produit aux débats la fiche individuelle de formation du salarié, par laquelle il établit que son salarié a suivi des formations en 2009 sur la prévention du risque amiante ou des risques amiante et autres fibres ; que surabondamment, les fiches d'aptitude délivrée par le médecin du travail produites aux débats établissent que [depuis le 10 août 2001], le salarié est soumis à une surveillance médicale particulière au regard notamment du risque amiante ; que de plus, il est également produit aux débat un document intitulé « fiche individuelle d'exposition au risque lié à l'amiante » en date du [12 janvier 2010], signée par le responsable d'établissement et par le salarié ; que par l'effet des dispositions transitoires de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le salarié pouvait agir pendant 5 ans à compter du 19 juin 2008 ; que par l'effet des dispositions transitoires de la loi n° 013-504 du 14 juin 2013, sans que la durée totale du délai écoulé, majoré du nouveau délai de prescription ne puisse excéder celui de l'ancienne prescription, le salarié pouvait agir jusqu'au 18 juin 2013 inclus, conformément aux prescriptions de l'article 2228 du code civil ; que l'EPIC SNCF Mobilités soulève donc, à bon droit, la prescription de l'action intentée par le salarié ; que l'agent doit en être déclaré irrecevable, tant sur le fondement du préjudice d'anxiété que sur le fondement du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat qu'il invoque, ou encore sur le fondement de l'exécution déloyale, par l'employeur, du contrat de travail ; que bien que l'agent mentionne dans le corps de ses écritures que des incidents ont été signalés, notamment auprès du CHSCT, dès la première année de mise en service du local de confinement, cette situation n'est pas de nature à réouvrir, au profit du salarié, un nouveau délai de prescription, en l'espèce, acquise, d'autant que dans le corps des mêmes écritures, il ne conteste pas que la date de mise en service du local de confinement correspond à la date à laquelle il a cessé d'être exposé au risque amiante.
ALORS QUE la prescription des actions ouvertes aux salariés aux fins d'indemnisation du préjudice lié à l'exposition à l'amiante ne court qu'à compter du jour où ces salariés ont eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété, c'est-à-dire à compter du jour où ils détiennent l'ensemble des éléments nécessaires à la connaissance de la dangerosité de l'exposition à laquelle ils ont été soumis ; qu'en refusant de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action des agents à la date à laquelle avait été mis en service le local de confinement de l'amiante le 1er janvier 2014, c'est-à-dire à la date à laquelle ils avaient été mis en possession de l'ensemble des éléments nécessaires à la connaissance du risque à l'origine de leur anxiété, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme. SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief aux arrêts infirmatifs attaqués d'AVOIR dit irrecevable l'action des agents de la SNCF Mobilités tendant à l'indemnisation de leur préjudice résultant de la violation de l'obligation de sécurité et de l'obligation de bonne foi de la SNCF Mobilités.
AUX MOTIFS QUE par l'effet des lois n° 2008-568 du 17 juin 2008 et n° 2013-504 du 14 juin 2013, le délai dont dispose le salarié pour saisir le juge afin d'obtenir réparation des préjudices nés d'un manquement de l'employeur à ses obligations a été réduit successivement de 30 à 5 ans, puis de 5 à 2 ans ; que les dispositions transitoires de chacun de ces textes prévoyaient que lorsque l'ancienne prescription serait encore en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le délai de la prescription ancienne continuerait à s'appliquer, sans toutefois que le délai déjà écoulé de cette prescription ancienne, majoré du délai de la nouvelle prescription, puisse au total excéder le délai de l'ancienne prescription ; que désormais, l'article L. 1471-1 du code du travail prévoit que « toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par 2 ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit » ; qu'il ne ressort pas de ces dispositions que l'ouverture du droit d'agir résulte de la connaissance individuelle de son auteur, de sorte qu'il n'y a pas lieu de distinguer entre connaissance ou conscience collective et connaissance ou conscience individuelle ; que le conseil de prud'hommes de Troyes, conformément à la demande du salarié, a fixé au 1er janvier 2014 le point de départ du délai de prescription, correspondant à la mise en service du local de confinement des matériaux amiantifères au sein du Technicentre de Romilly-sur-Seine ; qu'il ne ressort toutefois des pièces produites aux débats (pièce 8/1 dossier salarié) que le 30 janvier 2001, lors de la réunion du CHSCT, les représentants du personnel ont fait grief à l'employeur de ne pas appliquer le décret n° 96/98 du 7 février 1998 traitant de la protection des travailleurs exposés aux fibres d'amiante, après la découverte par des agents d'un produit amiantifère lors d'une intervention sous le plancher d'un chaudron ; qu'il est également constant qu'en 2004, une cabine de désamiantage a été installée dans le bâtiment N ; qu'il résulte de ces éléments que dès le 30 janvier 2001, date du CHSCT et au plus tard en 2004, le salarié avait ou aurait dû avoir conscience d'un risque d'exposition à l'amiante, présente sur le site où il exerçait son activité professionnelle, qu'a confirmée en 2005, l'interdiction d'utilisation des enduits Becker, compte tenu de la concentration en fibres d'amiante qu'ils contenaient, puis les interventions particulièrement fermes à compter de 2011 de la DIRECCTE ; qu'au surplus, l'EPIC SNCF Mobilités produit aux débats la fiche individuelle de formation du salarié, par laquelle il établit que son salarié a suivi des formations en 2009 sur la prévention du risque amiante ou des risques amiante et autres fibres ; que surabondamment, les fiches d'aptitude délivrée par le médecin du travail produites aux débats établissent que [depuis le 10 août 2001], le salarié est soumis à une surveillance médicale particulière au regard notamment du risque amiante ; que de plus, il est également produit aux débat un document intitulé « fiche individuelle d'exposition au risque lié à l'amiante » en date du [12 janvier 2010], signée par le responsable d'établissement et par le salarié ; que par l'effet des dispositions transitoires de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le salarié pouvait agir pendant 5 ans à compter du 19 juin 2008 ; que par l'effet des dispositions transitoires de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, sans que la durée totale du délai écoulé, majoré du nouveau délai de prescription ne puisse excéder celui de l'ancienne prescription, le salarié pouvait agir jusqu'au 18 juin 2013 inclus, conformément aux prescriptions de l'article 2228 du code civil ; que l'EPIC SNCF Mobilités soulève donc, à bon droit, la prescription de l'action intentée par le salarié ; que l'agent doit en être déclaré irrecevable, tant sur le fondement du préjudice d'anxiété que sur le fondement du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat qu'il invoque, ou encore sur le fondement de l'exécution déloyale, par l'employeur, du contrat de travail ; que bien que l'agent mentionne dans le corps de ses écritures que des incidents ont été signalés, notamment auprès du CHSCT, dès la première année de mise en service du local de confinement, cette situation n'est pas de nature à réouvrir, au profit du salarié, un nouveau délai de prescription, en l'espèce, acquise, d'autant que dans le corps des mêmes écritures, il ne conteste pas que la date de mise en service du local de confinement correspond à la date à laquelle il a cessé d'être exposé au risque amiante.
1° ALORS QUE les exposants faisaient valoir que la SNCF Mobilités était réputée ne pas soutenir la prescription de la demande des cheminots tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de la violation des obligations de sécurité et de bonne foi de la SNCF Mobilités, à défaut pour celle-ci d'avoir présenté dès les premières écritures ses prétentions à ce propos conformément à l'article 910-4 du code de procédure civile (v. leurs écritures, p. 18, § 60) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a privé sa décision de motifs en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2° ALORS QUE la prescription des actions des salariés aux fins d'indemnisation du préjudice résultant d'un manquement de leur employeur à ses obligations de sécurité et de bonne foi en matière d'amiante ne court qu'à compter du jour où les salariés ont cessé d'être exposés à l'amiante ; qu'en refusant de fixer le point de départ du délai de prescription de l'action des agents à la date à laquelle avait été mis en service le local de confinement de l'amiante le 1er janvier 2014, c'est-à-dire à la date à laquelle leurs conditions de travail avaient été mises en conformité avec le régime de protection en matière d'amiante dit du retrait et à laquelle ils avaient eu connaissance de la déloyauté avec laquelle la SNCF Mobilités les avaient jusqu'alors exposés à l'amiante, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'Homme. | Le point de départ du délai de prescription de l'action par laquelle un salarié demande à son employeur, auquel il reproche un manquement à son obligation de sécurité, réparation de son préjudice d'anxiété, est la date à laquelle le salarié a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante. Ce point de départ ne peut être antérieur à la date à laquelle cette exposition a pris fin |
460 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 654 FS-P+B
Pourvois n°
F 19-12.340
H 19-12.341
B 19-12.359
à F 19-12.363
P 19-12.370 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
La société Ugitech, société anonyme, dont le siège est [...], a formé les pourvois n° F 19-12.340, H 19-12.341, B 19-12.359, C 19-12.360, D 19-12.361, E 19-12.362, F 19-12.363 et P 19-12.370 contre huit arrêts rendus le 18 décembre 2018 par la cour d'appel de Chambéry (chambre sociale), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à Mme W... J..., domiciliée [...],
2°/ à Mme M... R..., épouse H..., domiciliée [...],
3°/ à Mme A... D..., domiciliée [...],
4°/ à M. I... M..., domicilié [...],
5°/ à Mme G... P..., épouse U..., domiciliée [...],
6°/ à Mme M... C..., veuve N..., domiciliée [...],
7°/ à Mme L... Q..., domiciliée [...],
8°/ à M. B... O..., domicilié [...],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, le moyen unique de cassation commun annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Capitaine, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Ugitech, de la SCP Boulloche, avocat de M. M..., et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Capitaine, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, MM. Pion Ricour, Mmes Van Ruymbeke, Gilibert, conseillers, MM. Silhol, Duval, Mmes Valéry, Pecqueur, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-12.340, 19-12.341, 19-12.359 à 19-12.363 et 19-12.370 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Chambéry, 18 décembre 2018), la société Ugitech (la société), ayant pour activité principale les fabrication, transformation et vente de tous produits métallurgiques et notamment les produits en acier inoxydable, a été inscrite pour le site d'Ugine sur la liste des établissements de fabrication, de flocage et de calorifugeage à l'amiante ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), pour la période allant de 1967 à 1996, par arrêté du 23 décembre 2014, publié le 3 janvier 2015.
3. Mme J... et sept autres salariés de la société ont saisi la juridiction prud'homale de demandes en réparation d'un préjudice d'anxiété.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser à chacun des défendeurs aux pourvois une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété, alors :
« 1°/ que la réparation du préjudice spécifique d'anxiété des salariés ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante repose sur les règles de la responsabilité civile et, plus précisément, sur un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; qu'il en résulte que le régime probatoire attaché à l'existence de ce préjudice ne peut être fondé que sur des présomptions simples que l'employeur peut renverser en établissant que, nonobstant le classement de l'établissement, le salarié n'a pas, compte tenu des fonctions qu'il exerçait, été exposé au risque de contracter une maladie liée à l'amiante au cours de son activité au sein de l'établissement ; qu'au cas présent, la société Ugitech faisait valoir, en produisant une importante offre de preuve, que les défendeurs aux pourvois n'avaient pas pu être exposés au risque au sein de l'établissement dès lors qu'ils n'avaient occupé que des emplois administratifs ; que le conseil de prud'hommes avait débouté les défendeurs aux pourvois de leur demande de réparation en relevant qu'il était établi que, compte tenu des emplois qu'ils avaient occupés, ils n'avaient pas été exposés au risque lié à l'amiante ; qu'en se bornant, pour infirmer les jugements qui lui étaient déférés et dont il était demandé confirmation, à énoncer que « l'employeur ne peut s'exonérer de la présomption de responsabilité pesant sur lui en application des dispositions précitées qu'en établissant un cas de force majeure de sorte que l'absence de faute ou le respect de la réglementation, quand bien même ils seraient démontrés, ne peuvent valablement être opposés à l'action en réparation du salarié», sans rechercher si l'absence d'exposition au risque n'excluait pas l'existence d'un préjudice d'anxiété, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, L. 4121-1 du code du travail et 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;
2°/ que le salarié qui n'a pas pu, au regard des postes occupés, être exposé de manière habituelle au risque d'inhalation de poussières d'amiante n'est fondé à se prévaloir ni d'un manquement de l'employeur aux règles de protection en matière d'amiante, ni d'un quelconque risque de survenance de maladie de nature à engendrer une inquiétude ; qu'en se bornant à énoncer que la société Ugitech ne justifiait pas de « la prise de mesures de prévention et de sécurité pertinentes en adéquation avec le risque lié à l'amiante », sans rechercher au préalable, comme cela lui était expressément demandé, si la société Ugitech ne démontrait pas que les défendeurs aux pourvois n'avaient pas pu, compte tenu du fait qu'ils avaient exclusivement occupé des postes administratifs, être exposés au risque d'inhalation de poussières d'amiante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, L. 4121-1 du code du travail et 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;
3°/ qu'en refusant à la société Ugitech toute possibilité d'établir que les salariés n'avaient pas été exposés au risque d'inhalation de poussières d'amiante, de sorte qu'ils ne pouvaient se prévaloir d'aucun manquement de l'employeur à leur égard, la cour d'appel a fait reposer le droit à réparation du travailleur sur des présomptions irréfragables et conféré aux défendeurs aux pourvois un droit automatique à indemnisation du seul fait de l'accomplissement d'un travail au sein l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en conférant au salarié un droit à indemnisation automatique, qui ne peut dès lors se justifier par l'application des règles de la responsabilité civile et l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur et qui se trouve donc dépourvu de tout fondement juridique, la cour d'appel a violé les articles 41 de la loi du 23 décembre 1998, 5 du code civil, 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
4°/ que le salarié qui recherche la responsabilité de son employeur doit justifier des préjudices qu'il invoque en faisant état d'éléments personnels et circonstanciés pertinents ; que la circonstance qu'il ait travaillé dans un établissement susceptible d'ouvrir droit à l'ACAATA ne dispense pas l'intéressé, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir qu'aucun des défendeurs aux pourvois n'établissait la réalité du préjudice d'anxiété dont il demandait la réparation ; que la cour d'appel s'est bornée à relever, de manière strictement identique pour chacun des défendeurs aux pourvois que « le préjudice d'anxiété ouvrant droit à réparation répare l'ensemble des troubles psychologiques y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence résultant de l'inquiétude issue du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'indépendamment de toute autre justification, ces éléments conduisent à évaluer le préjudice subi par le salarié à la somme de 8 000 € » ; qu'en dispensant ainsi les défendeurs aux pourvois de justifier de leur situation par des éléments personnels et circonstanciés, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un préjudice d'anxiété personnellement subi par chacun des défendeurs aux pourvois et a donc privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel, qui a constaté que les salariés, qui avaient travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient, par le fait de l'employeur, lequel n'était pas parvenu à démontrer l'existence d'une cause d'exonération de responsabilité, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, a ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice d'anxiété dont elle a souverainement apprécié le montant.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Ugitech aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Ugitech et la condamne à payer à M. M... la somme de 1 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen commun produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Ugitech, demanderesse aux pourvois n° F 19-12.340, H 19-12.341, B 19-12.359, C 19-12.360, D 19-12.361, E 19-12.362, F 19-12.363 et P 19-12.370
Il est reproché aux arrêts attaqués d'AVOIR condamné la société Ugitech à verser à chacun des défendeurs aux pourvois une somme de 8 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété ;
AUX MOTIFS QUE « Attendu qu'en application de l'article L. 4121-1 du code du travail l'employeur est tenu, vis à vis de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat, en vertu de laquelle il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale et physique de chaque salarié ;
Que sur ce fondement, le salarié qui a travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouve de par le fait de l'employeur dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, dont il peut demander réparation à ce dernier ;
Attendu que la société UGITECH conteste sa responsabilité et fait valoir que le classement d'un établissement en vertu de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 en faveur des salariés qui y travaillaient n'instaure qu'une présomption simple d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat, laquelle est renversée par la preuve contraire, en ce qu'elle justifie avoir satisfait à ses obligations légales et réglementaires ; qu'elle se prévaut avoir mis en place les moyens adaptés à la prévention des risques liés à l'exposition al 'amiante, au titre de l'empoussièrement de l'air, des dispositifs d'aération et des systèmes de dépoussiérage; et la substitution progressive de 1973 à 1983 des produits de substitution de l'amiante dès lors que cela était techniquement possible ; que les rapports des prélèvements opérés établissent des taux inférieurs à ceux déterminés par décret ; qu'elle a également mis à disposition de chaque salarié exposé à l'inhalation de poussières des équipements respiratoires individuels et des vêtements de protection ; qu'elle a satisfait aux obligations d'information qui lui incombaient en remettant aux salariés affectés aux travaux liés à l'amiante, différentes notes et consignes en prévention des risques sur le site d'Ugine ; que l'anxiété alléguée n'est pas en relation causale avec un hypothétique manquement à l'obligation de sécurité et de résultat ;
Que cependant, il est établi par les pièces produites que le site d'Ugine a été inscrit par arrêté ministériel du 23 décembre 2014 sur la liste des établissements ouvrant droit à l'ACAATA pour la période allant de 1967 à 1996, et que le salarié y a travaillé depuis le 02 octobre 1975, soit au cours d'une période visée par l'arrêté, pour le compte de la société UGITECH dont relève l'établissement d'Ugine ;
Que dès lors que le salarié satisfait aux conditions du droit à réparation énoncées ci-dessus, l'employeur ne peut s'exonérer de la présomption de responsabilité pesant sur lui en application des dispositions précitées qu'en établissant un cas de force majeure de sorte que l'absence de faute ou le respect de la réglementation, ne peuvent valablement être opposés à l'action en réparation du salarié ; que l'employeur ne justifie, ni au demeurant ne se prévaut, d'un événement extérieur, imprévisible et irrésistible constitutif d'une force majeure ;
Qu'en outre l'employeur, titulaire du pouvoir de direction, d'organisation et disciplinaire au sein de l'entreprise, n'établit pas avoir mis en oeuvre tous les moyens de prévention des risques professionnels, tant sur le plan collectif qu'individuel ; qu'en effet, les rapports d'études du laboratoire d'étude et de contrôle de l'environnement sidérurgique LECES qu'il produit aux débats pour les années 1984, 1986, 1987, 1989, 1991, 1993, 1995, ne mentionnent pas les teneurs en poussières d'amiante, mais simplement la concentration de poussières à l'aune d'une valeur réglementaire générale ; que ce ne sera que par un premier rapport du 27 septembre 1996, faisant suite au décret n° 96-98 du 7 février 1996 qu'une analyse de poussière d'amiante sera effectivement réalisée ; que ce faisant l'employeur, qui n'avait pas préalablement et précisément évalué le risque lui-même, ne peut sérieusement soutenir avoir pris des mesures de prévention en adéquation au risque lié à l'amiante, matériau utilisé en tant que principal moyen d'isolation et de protection au sein de différents ateliers et dont il ne pouvait ignorer la présence au sein de l'entreprise ;
Que de surcroît les quelques moyens de prévention, tels les masques respiratoires destinés de manière générale et ainsi sans discrimination à lutter contre les "poussières de diverses origines et de dimensions du micron (y compris les poussières d'amiante)" ou les appareils pulmonaires acquis au titre du seul risque silicose sont dans ces conditions pour le moins inappropriés et par voie de conséquence notoirement insuffisants au regard du risque encouru lié à l'amiante ;
Que par ailleurs, ce n'est que de manière tardive, lors de la réunion du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail tenue le 22 mars 1996, que l'employeur engagera, sur la base d'une note du médecin du travail en date du 12 mars 1996, un dialogue sur le risque lié à l'amiante sur le site d'Ugine ;
Qu'enfin, l'existence du préjudice d'anxiété dont le salarié demande réparation se caractérise par l'inquiétude qu'il éprouve face au risque de développer une maladie en lien direct avec son affectation dans un établissement de fabrication, de flocage et de calorifugeage figurant sur une liste établie par un arrêté, et ce que celui-ci se soumette ou non à des contrôles et examens médicaux réguliers ou qu'il développe ou non une pathologie, et ce quelles que soient les nature et durée de l'exposition fonctionnelle ou environnementale sur le site inscrit d'Ugine, l'existence ou non de carences étatiques dans la gestion de l'information ainsi que d'éventuels dévoiements médiatiques concernant les débats sur l'amiante ;
Qu'en conséquence, la société UGITECH, qui n'établit ni la cause étrangère ni la prise de mesures de prévention et de sécurité pertinentes en adéquation avec le risque lié à l'amiante ne justifie pas d'une cause exonératoire de responsabilité, que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu le principe du droit à réparation du salarié ;
Attendu que s'agissant du montant de l'indemnisation, le préjudice d'anxiété ouvrant droit à réparation répare l'ensemble des troubles psychologiques y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence résultant de l'inquiétude issue du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'indépendamment de toute autre justification, ces éléments conduisent à évaluer le préjudice subi par le salarié à la somme de 8 000 €, le jugement prud'homal étant sur ce point infirmé » ;
1. ALORS QUE la réparation du préjudice spécifique d'anxiété des salariés ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante repose sur les règles de la responsabilité civile et, plus précisément, sur un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; qu'il en résulte que le régime probatoire attaché à l'existence de ce préjudice ne peut être fondé que sur des présomptions simples que l'employeur peut renverser en établissant que, nonobstant le classement de l'établissement, le salarié n'a pas, compte tenu des fonctions qu'il exerçait, été exposé au risque de contracter une maladie liée à l'amiante au cours de son activité au sein de l'établissement ; qu'au cas présent, la société Ugitech faisait valoir, en produisant une importante offre de preuve, que les défendeurs aux pourvois n'avaient pas pu être exposés au risque au sein de l'établissement dès lors qu'ils n'avaient occupé que des emplois administratifs ; que le conseil de prud'hommes avait débouté les défendeurs aux pourvois de leur demande de réparation en relevant qu'il était établi que, compte tenu des emplois qu'ils avaient occupés, ils n'avaient pas été exposés au risque lié à l'amiante ; qu'en se bornant, pour infirmer les jugements qui lui étaient déférés et dont il était demandé confirmation, à énoncer que « l'employeur ne peut s'exonérer de la présomption de responsabilité pesant sur lui en application des dispositions précitées qu'en établissant un cas de force majeure de sorte que l'absence de faute ou le respect de la réglementation, quand bien même ils seraient démontrés, ne peuvent valablement être opposés à l'action en réparation du salarié », sans rechercher si l'absence d'exposition au risque n'excluait pas l'existence d'un préjudice d'anxiété, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, L. 4121-1 du code du travail et 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;
2. ALORS QUE le salarié qui n'a pas pu, au regard des postes occupés, être exposé de manière habituelle au risque d'inhalation de poussières d'amiante n'est fondé à se prévaloir ni d'un manquement de l'employeur aux règles de protection en matière d'amiante, ni d'un quelconque risque de survenance de maladie de nature à engendrer une inquiétude ; qu'en se bornant à énoncer que la société Ugitech ne justifiait pas de « la prise de mesures de prévention et de sécurité pertinentes en adéquation avec le risque lié à l'amiante », sans rechercher au préalable, comme cela lui était expressément demandé, si la société Ugitech ne démontrait pas que les défendeurs aux pourvois n'avaient pas pu, compte tenu du fait qu'ils avaient exclusivement occupé des postes administratifs, être exposés au risque d'inhalation de poussières d'amiante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, L. 4121-1 du code du travail et 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;
3. ALORS QU'en refusant à la société Ugitech toute possibilité d'établir que les salariés n'avaient pas été exposés au risque d'inhalation de poussières d'amiante, de sorte qu'ils ne pouvaient se prévaloir d'aucun manquement de l'employeur à leur égard, la cour d'appel a fait reposer le droit à réparation du travailleur sur des présomptions irréfragables et conféré aux défendeurs aux pourvois un droit automatique à indemnisation du seul fait de l'accomplissement d'un travail au sein l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en conférant au salarié un droit à indemnisation automatique, qui ne peut dès lors se justifier par l'application des règles de la responsabilité civile et l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur et qui se trouve donc dépourvu de tout fondement juridique, la cour d'appel a violé les articles 41 de la loi du 23 décembre 1998, 5 du code civil, 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
4. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le salarié qui recherche la responsabilité de son employeur doit justifier des préjudices qu'il invoque en faisant état d'éléments personnels et circonstanciés pertinents ; que la circonstance qu'il ait travaillé dans un établissement susceptible d'ouvrir droit à l'ACAATA ne dispense pas l'intéressé, qui sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété, de justifier de tels éléments personnels et circonstanciés ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir qu'aucun des défendeurs aux pourvois n'établissait la réalité du préjudice d'anxiété dont il demandait la réparation ; que la cour d'appel s'est bornée à relever, de manière strictement identique pour chacun des défendeurs aux pourvois que « le préjudice d'anxiété ouvrant droit à réparation répare l'ensemble des troubles psychologiques y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence résultant de l'inquiétude issue du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; qu'indépendamment de toute autre justification, ces éléments conduisent à évaluer le préjudice subi par le salarié à la somme de 8 000 € » ; qu'en dispensant ainsi les défendeurs aux pourvois de justifier de leur situation par des éléments personnels et circonstanciés, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un préjudice d'anxiété personnellement subi par chacun des défendeurs aux pourvois et a donc privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. | La cour d'appel, qui a constaté que les salariés, qui avaient travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient, par le fait de l'employeur, lequel n'était pas parvenu à démontrer l'existence d'une cause d'exonération de responsabilité, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, a ainsi caractérisé l'existence d'un préjudice d'anxiété dont elle a souverainement apprécié le montant |
461 | SOC.
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 676 FS-P+B
sur le deuxième moyen
du pourvoi n° X 17-10.622
Pourvois n°
et
X 17-10.622
A 17-11.131 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
I. Mme A... R... P..., domiciliée [...], a formé le pourvoi n° X 17-10.622 contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2016 par la cour d'appel de Reims (chambre sociale) et l'arrêt rendu le 26 novembre 2015 par la cour d'appel de Versailles (11e chambre), dans le litige l'opposant à :
1°/ Mme M... B... V..., domiciliée [...],
2°/ M. J... E..., domicilié [...],
défendeurs à la cassation.
II. M. J... E... a formé le pourvoi n° A 17-11.131 contre les mêmes arrêts rendus dans le litige l'opposant à :
1°/ Mme A... R... P...,
2°/ Mme M... B... V...,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° X 17-10.622 invoque, à l'appui de son recours, cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi n° A 17-11.131 invoque, à l'appui de son recours, huit moyens de cassation également annexés au présent arrêt ;
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme R... P..., de la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. E..., de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme V..., et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, M. Sornay, M. Rouchayrole, Mme Mariette, conseillers, M. David, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 17-10.622 et 17-11.131 sont joints.
Déchéance partielle des pourvois examinée d'office, en ce qu'ils sont dirigés contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2015 par la cour d'appel de Versailles
2. Conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il est fait application de l'article 978 du code de procédure civile.
3. Mme R... P... et M. E... se sont pourvus en cassation contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2015 par la cour d'appel de Versailles de renvoi devant une juridiction limitrophe en application de l'article 47 du code de procédure civile, en même temps qu'ils se sont pourvus contre l'arrêt rendu au fond le 23 novembre 2016 par la cour d'appel de Reims.
4. Aucun des moyens contenus dans les mémoires n'étant dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 26 novembre 2015, il y a lieu de constater la déchéance des pourvois en ce qu'ils sont formés contre cette décision.
Faits et procédure
5. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 23 novembre 2016), Mme V... a été engagée le 6 novembre 2008 par M. E... en qualité de garde d'enfant au domicile de Mme R... P... pour leur enfant commun. La relation de travail relève de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.
6. Contestant son licenciement intervenu le 31 mai 2011, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur les troisième et cinquième moyens du pourvoi n° 17-10.622, et les deuxième, troisième, quatrième moyens, cinquième moyen pris en sa troisième branche, sixième, septième et huitième moyens du pourvoi n° 17-11.131, ci-après annexés.
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur les premiers moyens des pourvois, réunis.
Enoncé du moyen
8. Mme R... P... fait grief à l'arrêt de dire qu'elle est « co-employeur » avec M. E... de la salariée, alors « que hors l'existence d'une situation de co-emploi caractérisée au sein d'un groupe de sociétés par une confusion d'intérêts, d'activités et de direction, le co-emploi suppose que soit caractérisé un lien de subordination entre le salarié et les deux co-employeurs ; que l'existence d'une telle relation salariée présuppose l'existence d'un lien de subordination, qui est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que la preuve de l'existence d'un lien de subordination pèse sur celui qui s'en prévaut ; qu'en l'espèce, pour retenir que Mme R... P... était co-employeur de Mme V..., aux côtés de M. E..., la cour d'appel s'est bornée à constater qu'elle exerçait un pouvoir de direction et de contrôle vis-à-vis de l'employée de maison en lui donnant des directives, ce que Mme R... P... expliquait par le fait qu'elle entendait disposer d'un droit de regard sur la façon dont Mme V... s'occupait de son enfant ; qu'en statuant ainsi sans constater ni rechercher si Mme R... P... détenait également un pouvoir de sanction à l'égard de l'intéressée, condition indispensable pour que le lien de subordination soit caractérisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail. »
9. M. E... fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur ; qu'en retenant la qualité de co-employeur de M. E..., sans rechercher, comme l'y avait invitée celui-ci, si son intervention à l'égard de Mme V... ne résultait pas exclusivement, d'une part, du jugement rendu le 26 juillet 2007 par le tribunal de grande instance de Versailles, ayant homologué le protocole conclu entre M. E... et Mme R... P... relativement aux modalités d'exercice de l'autorité parentale sur leur enfant commun, par lequel M. E... était obligé à la prise en charge du salaire de la garde de leur enfant, d'autre part, de sa qualité de parent de l'enfant gardé par Mme V..., d'où il résultait que les interventions de M. E..., loin de constituer de véritables directives ni un contrôle du travail de l'employée, se cantonnaient à des aspects financiers ou à l'exercice de sa propre autorité parentale sur l'enfant, excluant l'existence d'un véritable lien de subordination entre Mme V... et M. E... et donc la qualité d'employeur de celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ qu'en disant que Mme R... P... et M. E... poursuivaient un intérêt commun par l'emploi de Mme V..., intérêt tenant à la garde de leur enfant commun, tout en relevant que Mme R... P... chargeait cette dernière de faire les courses pour elle ou sa fille (pressing, pharmacie, supermarché, alimentation), laquelle n'était pas la fille de M. E..., la cour d'appel, qui a statué par des motifs contradictoires en fait, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. La cour d'appel a constaté que M. E... et Mme R... P... donnaient tous deux des directives à la salariée, que celle-ci rendait compte à M. E... qui versait la rémunération prévue au contrat, que Mme R... P... contrôlait l'accomplissement des tâches confiées à l'intéressée, que M. E... et Mme R... P... avaient pris en concertation la décision de rompre le contrat de travail.
11. Ayant ainsi caractérisé l'existence d'un lien de subordination entre la salariée, d'une part, et M. E... et Mme R... P..., d'autre part, la cour d'appel a, sans se contredire, pu en déduire que ces derniers avaient tous les deux la qualité d'employeur.
12. Elle a donc légalement justifié sa décision.
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° 17-10.622, pris en ses trois premières et sa cinquième branches.
Enoncé du moyen
13. Mme R... P... fait grief à l'arrêt de la condamner, avec M. E..., à verser à la salariée diverses sommes au titre des heures supplémentaires, des heures de nuit et des congés payés, alors :
« 1°/ que les employés de maison sont exclus du champ d'application de la législation relative à la durée du travail telle que prévue par le code du travail et relèvent exclusivement sur ces questions des règles fixées par les dispositions de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur ; que les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail - texte qui n'est pas mentionné par l'article L. 7221-2 du code du travail fixant les règles du code du travail applicables par exception aux employés de maison - ne trouvent donc pas à s'appliquer dans les litiges relatifs à la preuve de l'accomplissement d'heures de travail impayées par les employés de maison ; qu'il n'est pas contesté en l'espèce que Mme V... disposait de la qualité d'employée de maison assurant une "garde d'enfants" ; qu'en se fondant néanmoins sur les règles de répartition de la preuve prévues par l'article L. 3171-4 du code du travail pour faire droit à ses demandes à titre de rappel d'heures de nuit et de rappel d'heures supplémentaires, la cour d'appel a violé les articles L. 7221-2 du code du travail et 1315 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;
2°/ qu'en se fondant sur les règles de répartition de la preuve prévues par l'article L. 3171-4 du code du travail pour faire droit aux demandes de l'employée de maison à titre de rappel de rappel d'heures de nuit et de rappel d'heures supplémentaires, la cour d'appel a violé les articles 6 et 15 de convention collective nationale des salariés du particulier employeur ;
3°/ que les employés de maison sont exclus du champ d'application de la législation relative à la durée du travail telle que prévue par le code du travail et relèvent exclusivement sur ces questions des règles fixées par les dispositions de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur ; qu'en se fondant néanmoins, pour faire droit aux demandes de Mme V..., sur les décomptes établis par l'employée de maison sur la base des règles de fixation et de calcul du temps de travail prévues par le code du travail, la cour d'appel a violé les articles 6 et 15 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur ;
5°/ qu'en matière prud'homale la preuve est libre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a refusé de prendre en considération, sans les examiner, les deux attestations de Mme Y... P..., au seul motif qu'il s'agissait de la fille de Mme R... P... ; que la cour d'appel a ainsi retenu que "la fille de Mme R... P... vient au secours de sa mère, mais sa partialité filiale ne peut être exclue" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe de liberté de la preuve en matière prud'homale, ensemble l'article L. 7221-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
14. Si les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, il n'en va pas de même de celles de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la preuve de l'existence ou du nombre des heures effectuées.
15. La cour d'appel, qui a constaté que la salariée produisait des décomptes journaliers précisant entre 8 h et 20 h ses activités selon les plages horaires, faisant ainsi ressortir que la demande était fondée sur des éléments suffisamment précis quant aux heures qu'elle prétendait avoir accomplies, afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre en produisant ses propres éléments, a, sans encourir les griefs des deux premières branches du moyen, fait une exacte application de l'article L. 3171-4 du code du travail.
16. Consécutivement, la cour d'appel a souverainement évalué les créances salariales se rapportant aux heures supplémentaires et de nuit effectuées au-delà de l'horaire hebdomadaire de 40 heures de travail effectif, ainsi qu'aux congés payés afférents.
17. Le moyen qui, en sa dernière branche, ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui leur ont été soumis, n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen du pourvoi n° 17-10.622 et le cinquième moyen du pourvoi n° 17-11.131, pris en ses deux premières branches, réunis.
Enoncé du moyen
18. Mme R... P... fait grief à l'arrêt de la condamner solidairement avec M. E... à payer à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse, alors :
« 1°/ qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 12 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, étendue par arrêté du 2 mars 2000, et des articles L. 1111-1 et L. 7221-2 du code du travail, que le bien-fondé du licenciement de l'employé de maison pour une cause réelle et sérieuse n'est soumis qu'aux dispositions de la convention collective ; que constitue un motif réel et sérieux de rupture d'un contrat de garde d'un enfant la décision du particulier employeur de ne plus confier ledit enfant en garde compte tenu de son entrée au collège ; que c'est précisément le motif de licenciement qui était invoqué à l'appui du licenciement de Mme V..., la cour d'appel ayant elle-même constaté que le licenciement a été justifié par l'entrée au collège de l'enfant de Mme R... P... qui, dans ces conditions, n'avait plus besoin d'être gardé ; qu'en écartant néanmoins la cause réelle et sérieuse du licenciement, la cour d'appel a violé l'article 12 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, étendue par arrêté du 2 mars 2000, et les articles L. 1111-1 et L. 7221-2 du code du travail ;
2°/ que tout jugement doit être motivé, les motifs hypothétiques, dubitatifs, contradictoires ou inintelligibles équivalant à une absence de motifs ; qu'aussi en retenant, pour écarter le cause réelle et sérieuse du licenciement, que "l'animosité exprimée simultanément par Mme R... P... à l'encontre de Mme V... n'exclut pas que le motif exprimé dans la lettre de licenciement constituait un opportun prétexte pour rompre la relation contractuelle, la vraie cause de licenciement étant un sentiment subjectif de l'employeur envers la salariée, ce qui ne caractérise pas un motif licite de rupture", la cour d'appel - qui a statué de manière dubitative - a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
19. M. E... fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le contrat de travail peut être rompu par l'employeur pour tout motif constituant une cause réelle et sérieuse ; qu'en constatant, pour dire le licenciement de Mme V... dénué de cause réelle et sérieuse en raison de l'absence de suppression de son poste, que Mme R... P... avait recruté quelques mois après le licenciement de Mme V... une salariée comme employée de maison et non comme garde d'enfant, ce dont il résultait pourtant que la nouvelle salariée exerçait des fonctions de nature différente et que le poste de Mme V... avait effectivement été supprimé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 12 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 ;
2°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée par M. E..., si ce dernier avait recruté un salarié pour assurer la garde de son enfant en remplacement de Mme V..., cependant qu'elle constatait par ailleurs que c'était Mme R... P... qui avait à nouveau besoin d'un salarié travaillant à son domicile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »
Réponse de la Cour
20. Il résulte des dispositions combinées de l'article 12 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 et des articles L. 1111-1 et L. 7221-2 du code du travail, que le bien-fondé du licenciement de l'employé de maison pour une cause réelle et sérieuse n'est soumis qu'aux dispositions de la convention collective, qui prévoit que le contrat de travail peut être rompu par l'employeur pour tout motif constituant une cause réelle et sérieuse.
21. La cour d'appel, recherchant, à la demande de la salariée, la véritable cause du licenciement, sans s'en tenir à l'apparence des motifs allégués dans la lettre de licenciement, a retenu par une décision motivée que le véritable motif du licenciement était un sentiment subjectif de l'employeur envers la salariée, et a décidé, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1235-1 du code du travail, qu'il ne procédait pas d'une cause réelle et sérieuse.
22. Le moyen, inopérant en ses troisième et quatrième branches, comme s'attaquant à des motifs surabondants, n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi n° 17-10.622, pris en sa quatrième branche, en ce qu'elle critique le chef de dispositif relatif aux repos compensateurs.
Enoncé du moyen
23. Mme R... P... fait grief à l'arrêt de la condamner, avec M. E..., à verser à la salariée des sommes au titre des repos compensateurs outre les congés payés afférents, alors « qu'en se fondant sur les dispositions des articles L. 3121-11 et D. 3121-7 du code du travail - textes qui ne sont pas mentionnés par l'article L. 7221-2 du code du travail fixant les règles du code du travail applicables par exception aux employés de maison - et ne trouvent donc pas à s'appliquer dans les litiges relatifs au travail des employés de maison, pour condamner Mme R... P... au paiement de repos compensateurs, la cour d'appel a violé l'article L. 7221-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 7221-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011, L. 3121-11 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, D. 3121-14-1 devenu D. 3121-24 du même code, et la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 :
24. Aux termes du premier de ces textes, sont seules applicables au salarié défini à l'article L. 7221-1 les dispositions relatives :
1° Au harcèlement moral, prévues aux articles L. 1152-1 et suivants, au harcèlement sexuel, prévues aux articles L. 1153-1 et suivants ainsi qu'à l'exercice en justice par les organisations syndicales des actions qui naissent du harcèlement en application de l'article L. 1154-2 ;
2° A la journée du 1er mai, prévues par les articles L. 3133-4 à L. 3133-6 ;
3° Aux congés payés, prévues aux articles L. 3141-1 à L. 3141-33, sous réserve d'adaptation par décret en Conseil d'Etat ;
4° Aux congés pour événements familiaux, prévues à la sous-section 1 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie ;
5° A la surveillance médicale définie au titre II du livre VI de la quatrième partie.
25. Selon le deuxième texte, une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel, la majoration des heures supplémentaires étant fixée selon les modalités prévues à l'article L. 3121-22. Cette convention ou cet accord collectif peut également prévoir qu'une contrepartie en repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent.
26. Selon l'article 15, b) 3. de la convention collective applicable, les heures supplémentaires sont rémunérées, ou récupérées dans les 12 mois, suivant accord entre les parties. Elles ne pourront excéder une moyenne de 8 heures par semaine calculée sur une période quelconque de 12 semaines consécutives sans dépasser 10 heures au cours de la même semaine. Elles donneront lieu en rémunération ou en récupération à une majoration de 25 % (pour les 8 premières heures) et à une majoration de 50 % (pour les heures supplémentaires au-delà de 8 heures).
27. Il résulte de la combinaison des articles L. 3121-11 et L. 7221-2 du code du travail que les dispositions de ce code relatives à la durée du travail et au repos compensateur ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.
28. Pour condamner Mme R... P... et M. E... à payer à la salariée des sommes au titre des repos compensateurs outre les congés payés afférents, l'arrêt retient que par voie de dépendance nécessaire la salariée sollicite additionnellement avec pertinence l'indemnité pour repos compensateur, en asseyant un exact calcul par référence au contingent annuel réglementaire de 220 heures en l'absence d'accord collectif, les obligations de l'employeur résultant dans ce cas des articles L. 3121-11 et D. 3121-7 et suivants du code du travail.
29. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CONSTATE la déchéance des pourvois en ce qu'ils sont dirigés contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2015 par la cour d'appel de Versailles ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum Mme R... P... et M. E... à payer à Mme V... les sommes de 9 312 euros au titre des repos compensateurs, outre 931,20 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 23 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens afférents à son pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi n° X 17-10.622 par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour Mme R... P...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR retenu que Monsieur E... et Madame R... P... étaient co-employeurs de Madame V..., d'AVOIR condamné solidairement Monsieur J... E... et Madame A... R... P... à verser à Madame M... V... les sommes de 35.026 € au titre des heures supplémentaires, 4.988 € au titre des heures de nuit, 2.976 € au titre des congés payés, 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, d'AVOIR ordonné à Monsieur J... E... et Madame R... P... de remettre à Madame M... V... un certificat de travail et d'AVOIR condamné in solidum Madame A... R... P... et Monsieur J... E... à payer à Madame M... B... V... les sommes suivantes : 8.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 3.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, 500 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale, 9.312 € au titre de repos compensateurs, 931,20 € à titre de congés payés, 15.198 € à titre d'indemnité pour travail dissimulé et 2.000 € au titre des frais irrépétibles d'appel ;
AUX MOTIFS QUE « les premiers juges ont exactement cité l'enchaînement et les mentions des documents contractuels signés entre Monsieur E... et Madame V... étant en outre observé qu'aucune des parties, même à titre subsidiaire ne vient soutenir que ce serait, s'agissant de la durée du travail, le contrat du 6 novembre 2008 (qui visant expressément des heures de présence responsable) et non celui du 21 novembre 2008 (précisant 174 heures par mois) qui aurait vocation à régir la relation contractuelle ; Que cette précision est importante dans la mesure où si l'avenant du 26 juin 2009 prévoit la poursuite du contrat à durée déterminée du 21 novembre 2008 en contrat à durée indéterminée, il stipule aussi 'la poursuite des liens contractuels se fera aux même conditions de rémunération et d'emploi que celles prévues dans le contrat à durée déterminée initial' ce dernier adjectif pouvant introduire une équivoque sur le contrat auquel il était ainsi renvoyé vu la chronologie citée ; Que cependant c'est bien à partir des conditions du contrat du 21 novembre 2008 que les parties discutent ; Attendu que sauf à compléter leur motivation les premiers juges doivent être approuvés en ce qu'ils ont retenu que Madame R... P... et Monsieur E... avaient été les co-employeurs de Madame V..., de sorte qu'ils sont in solidum tenus des obligations découlant du contrat de travail et de sa rupture ainsi que de la réparation des préjudices de la salariée qu'ils ont par suite chacun contribué à créer entièrement ; Qu'en effet il importe à cet égard, comme le fait valoir Madame V..., que le juge conformément à l'article 12 du Code de Procédure Civile restitue aux faits et actes juridiques leur exacte qualification au-delà de leur dénomination conférée par les parties, et il y a lieu de rechercher les conditions effectives d'exécution du contrat de travail, et plus particulièrement du lien de subordination par l'exercice du pouvoir de donner des directives qui est l'élément constitutif essentiel de la qualité d'employeur ; Attendu que vainement Monsieur E... tente contre l'évidence de soutenir qu'il ne saurait rien et qu'il devrait être mis hors de cause, s'étant borné à accomplir les actes apparents et formels du contrat de travail (rédaction des documents, paiement du salaire, notification du licenciement) et que seule Madame R... P... agissait comme employeur effectif ; Que déjà l'accomplissement des actes précités démontre cette exécution par lui des prérogatives de l'employeur, et des mails produits aux débats, tant échangés entre Monsieur E... et Madame V... ou Madame R... P... il apparaît qu'il donnait des directives (sur les congés, les horaires notamment pour que l'enfant soit prêt lorsqu'il viendrait le chercher, sur les projets d'augmentations de salaires) ; Que du reste Madame V... lui rendait compte de l'exécution de ses tâches ; Que sur tous ces points et sur la rupture du contrat Monsieur E... se concertait avec Madame R... P... ; Attendu que de même Madame R... P... exerçait le pouvoir de direction, étant observé que les conventions conclues entre elle-même et Monsieur E... quant à la prise en charge financière de l'emploi de Madame V... sont inopposables à la salariée ; Qu'ainsi c'était Madame R... P... qui mettait à disposition le lieu de travail - à savoir son domicile - ainsi que la nourriture et le logement de fonction qui était un accessoire du contrat de travail ; Qu'elle exerçait un contrôle sur l'accomplissement de ses tâches par Madame V..., et ainsi notamment elle écrit elle-même dans des mails à Monsieur E... (et ce dernier lui mettait en copie tous ses échanges avec la salariée) qu'elle rentrait parfois à l'improviste pour s'assurer du travail fourni et de la qualité de celui-ci, de prétendus manquements de l'intimée lui ayant été signalés par ses autres employés de maison ; Qu'elle chargeait à l'évidence Madame V... de faire les courses pour elle ou sa fille (pressing, pharmacie, Monoprix, alimentation...) - ce qui ne relevait du reste pas des fonctions contractuelles qualifiées de garde d'enfant - et elle fournissait le moyen de paiement par la remise d'une carte bancaire ; Que les multiples factures, tickets de caisse (portant pour certains le nom de P... comme le compte Pharmacie) avec un numéro de carte bancaire sans que Madame R... P... ne contredise que ce moyen de paiement était à son nom constituent une preuve suffisante du constat qui précède ; Attendu que Madame V... souligne exactement que Madame R... P... et Monsieur E... poursuivaient en l'employant un intérêt commun - la garde de leur enfant - et qu'ils contribuaient chacun par leurs directives et la fourniture des salaires et avantages en nature à l'exécution de la relation contractuelle ; Que les critères du co-emploi sont ainsi réunis ; Que du reste par mail de janvier 2014 en écrivant à Monsieur E... : 'Je ne vois pas pourquoi tu as demandé à B... de réfléchir à sa situation à compter de septembre 2011 et de nous faire des propositions. C'est à nous de réfléchir ensemble à cela (je te rappelle que c'est moi qui la loge) et de lui faire s'il y a lieu une proposition tenant compte de ce qui peut être bien pour K.... Je suis à ta disposition pour en parler', Madame R... P... confirmait bien sa volonté effective non équivoque de donner conformément avec celui-là des directives et de faire des propositions contractuelles » ;
ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, EN LES SUPPOSANT ADOPTES, QUE « sur la situation de co-employeurs de Mr E... et Mme R... P.... Attendu la définition du salariat selon la jurisprudence, qui est caractérisée par 3 critères Un travail pour autrui, Une rémunération, Une subordination dans l'exécution du travail. Attendu qu'en l'espèce Madame V... a signé ses contrats de travail avec Monsieur E..., et qu'il s'est chargé de su rémunération ; qu'il n'est pas contesté qu'elle exerçait son activité exclusivement au domicile de Madame R... P..., avec en mission principale de veiller sur leur enfant commun ; qu'il ressort des débats qu'elle recevait ses directives que de la part de Madame R... P..., Il ressort des débats que Monsieur E... et Madame R... P... détenaient ensemble les prérogatives de la qualité d'employeur. En conséquence, le Conseil dit que Monsieur E... et Madame R... P... sont co-employeurs de Madame V... » ;
ALORS QUE hors l'existence d'une situation de coemploi caractérisée au sein d'un groupe de sociétés par une confusion d'intérêts, d'activités et de direction, le coemploi suppose que soit caractérisé un lien de subordination entre le salarié et les deux coemployeurs ; que l'existence d'une telle relation salariée présuppose l'existence d'un lien de subordination, qui est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que la preuve de l'existence d'un lien de subordination pèse sur celui qui s'en prévaut ; qu'en l'espèce, pour retenir que Madame R... P... était coemployeur de Madame V..., aux côtés de Monsieur E..., la cour d'appel s'est bornée à constater qu'elle exerçait un pouvoir de direction et de contrôle vis-à-vis de l'employée de maison en lui donnant des directives, ce que Madame R... P... expliquait par le fait qu'elle entendait disposer d'un droit de regard sur la façon dont Madame V... s'occupait de son enfant ; qu'en statuant ainsi sans constater, ni rechercher si Madame R... P... détenait également un pouvoir de sanction à l'égard de l'intéressée, condition indispensable pour que le lien de subordination soit caractérisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné Monsieur E... et Madame R... P... à verser à Madame V... les sommes de 35.026 € au titre des heures supplémentaires, 4.988 € au titre des heures de nuit, 2.976 € au titre des congés payés, 9.312 € de repos compensateurs, 931,20 € de congés-payés, et 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « la confirmation du jugement s'impose aussi sur les heures supplémentaires ; Que les premiers juges ont exactement appliqué l'article 3171-4 du Code du Travail ainsi que l'article 15 de la convention collective afférent à la durée du travail, au seuil de déclenchement des heures supplémentaires et des majorations applicables ; Qu'en effet Madame V... étaye très précisément sa réclamation au moyen de décomptes journaliers précisant entre 8 h et 20 h les activités - qui constituent du travail effectif - exécutées selon les plages horaires (accompagnement de l'enfant, surveillance des devoirs scolaires, entretien de sa chambre et de sa salle de bains, ainsi que des vêtements et du linge - lavage, repassage, couture - les courses, mais aussi les mêmes travaux d'entretien pour la fille de Madame R... P... ) ; Que ces allégations sont parfaitement corroborées par les tickets et factures de courses déjà analysés ; Qu'ainsi que le souligne Madame V... la circonstance que pendant les absences de l'autre employé de maison Monsieur S..., il lui avait été demandé de pourvoir à d'autres tâches ménagères ainsi qu'à la préparation des repas est révélée par le motif du licenciement de celui-ci énoncé dans la lettre du 5 mai 2011 et visant son absence prolongée rendant nécessaire son remplacement, Madame R... P... exposant qu'absente de chez elle de 8 h du matin à 20 h le soir elle a besoin de quelqu'un de fiable pour les nombreux travaux de ménage ; Que pendant l'absence de Monsieur S... il n'est pas justifié d'une embauche, de sorte que Madame V... comme elle l'indique palliait cette carence ; Que ce constat prive aussi de valeur probante le témoignage de Monsieur S... qui affirme que lui-même s'occupait du ménage et des repas, et que Madame V... pouvait quitter son lieu de travail à 18 h 30, tout en demeurant taisant sur sa longue absence début 2011 ; Attendu que Madame R... P... et Monsieur E... sont défaillants pour justifier des horaires de la salariée ; Que les plannings expressément prévus au contrat n'ont pas été établis ; Qu'il a déjà été observé que contractuellement aucune répartition avec des heures de présence responsable n'était fixée ; Que les témoignages produits pour contredire les horaires étayés par Madame V... sont dépourvus de valeur probante suffisante ; Que la fille de Madame R... P... vient au secours de sa mère, mais sa partialité filiale ne peut être exclue ; Que Monsieur U... ouvrier ayant ponctuellement réalisé des travaux chez Madame R... P... , que madame H... gardienne de l'immeuble où logeait la salariée mais pas de celui où elle travaillait, ni madame W... qui n'était plus salariée de Madame R... P... , et qui n'ont donc pas assisté à l'exécution du contrat de travail, et ne faisant par suite que des déductions sur la durée de service de l'intimée, ne peuvent convaincre ; Que Madame H... une autre salariée exprime surtout sa vindicte contre Madame V... ce qui fait trop suspecter l'impartialité se son témoignage pour lui conférer valeur probante ; Qu'en l'absence des plannings contractuels - qui auraient constitué le seul moyen de preuve efficace - la description confuse de Madame R... P... du temps de travail de Madame V... ne permet pas d'exclure pour partie le travail effectif ce qui ne permet pas de caractériser des heures de présence responsables ; Attendu que par voie de dépendance nécessaire Madame V... sollicite additionnellement avec pertinence l'indemnité pour repos compensateur, en asseyant un exact calcul par référence au contingent annuel réglementaire de 220 heures en l'absence d'accord collectif, les obligations de l'employeur résultant dans ce cas des articles L. 3121-11 et D. 3121-7 et suivants du Code du Travail ; Que vainement Madame R... P... entend opposer que ces repos auraient été pris pendant les vacances scolaires, le caractère en l'espèce illicite de ces congés ayant été déjà observé ; Que Madame R... P... et Monsieur E... seront donc in solidum condamnés outre congés payés à payés à ce titre la somme de 9.312,00 € ; Que cependant cette indemnité couvre les droits au repos et le défaut d'information y afférents de sorte que Madame V... doit être déboutée de sa demande au titre d'une seconde indemnité de 9.312 € » ;
ET AUX MOTIFS QUE « la confirmation du jugement est justifiée sur la condamnation au titre du travail de nuit, le montant ayant été calculé conformément à l'équivalence forfaitaire de 1/6ème prévue par l'article 6 de la convention collective ; Que là encore Madame V... étaye suffisamment sa demande sans contradiction suffisante de l'employeur ; Que ces nuits dites baby sitting avaient bien été incluses dans la sphère contractuelle ainsi que cela résulte de leurs mails du 1er octobre 2008 de Monsieur E... et du 20 septembre 2011 de Madame R... P... , le premier les validant mais sans juger utile de les inscrire expressément dans le contrat, et le second faisant état de leur prévision contractuelle, Madame R... P... écrivant à propos de Madame V... 'comme je ne la supportais pas je ne lui faisais même pas faire les 2 baby sitting prévus dans son contrat si j'en avais besoin (à l'exception des premiers mois, le temps que je réalise à qui j'avais à faire), j'ai toujours demandé aux ami(e) de L.... Je crois que l'on peut contourner la question de la durée légale du travail par le système des récupérations, certes non prévues dans son contrat mais je pense que cela se plaide. Il faut des attestations.' ; Que faute de production des plannings contractuellement prévus les témoignages dont excipe Madame R... P... , déjà analysés, sont inefficaces à contredire les demandes suffisamment étayées de Madame V... ; Attendu qu'enfin sur le tout l'argument tiré de ce que Madame V... n'aurait rien revendiqué avant la fin du lien de subordination se trouve inopérant alors que celle-là n'a jamais sans équivoque renoncé à être remplie de ses droits ; Que c'est vainement que Madame R... P... excipe de la mauvaise foi de la salariée sans autre moyen que la circonstance que celle-ci émette des prétentions ce qui n'est pas en soi reprochable, aucune dégénérescence en abus n'étant caractérisée et celle-ci ne se présumant pas » ;
ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, EN LES SUPPOSANT ADOPTES, QUE « Sur le rappel de salaire d'heures supplémentaires. Attendu les termes de l'article L. 3121-1 du code du travail qui donnent la définition du temps de travail effectif, Attendu que Madame V... verse aux débats ses contrats de travail qui prévoient une durée de travail do 48 heures effectives pour le premier contrat à durée déterminée, puis de 40 heures par semaine pour le second contrat à durée déterminée ensuite pour le contrat à durée indéterminée sur une amplitude de 8 heures à 20 heures à préciser entre les parties chaque semaine, Attendu que L. 3171-4 du code du travail stipule qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier los horaires effectivement réalisés par le salarié, Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Attendu qu'il résulte de l'article précité que la preuve des heures de travail effectuées n'incombent spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande. Attendu que Madame V... verse aux débats un tableau hebdomadaire récapitulatif des toutes ses tâches prévues pour chacune des journées, démontrant qu'elle était toujours à dispositions de ses employeurs. Attendu qu'en l'espèce les employeurs ne contestent pas l'emploi du temps présenté ; en conséquence, Madame V... est bien fondée à réclamer devant le Conseil de céans un rappel de salaire d'une valeur de 20 heures par semaine au titre d'heures supplémentaires effectuées mais non réglées depuis le 6 novembre 2008, selon le calcul qu'elle présente, soit 2 533/174 = 14,55 (14,55 x 8h x 25%) + (14,55 x 12h x 50%) - 145,44 + 261,84 = 407,28 euros par semaine travaillée, 52 semaines - 17 semaines congés annuels = 35 x 407,28 = 14 254,80 euros annuels. De novembre 2008 à novembre 2010 28 509,60 euros. De décembre 2010 à avril 2011 - 5 mois - 4 semaines de congés scolaires 6 516,48 euros. Soit un total à 35 026 €. Sur la présence de nuit Attendu que l'article L. 3171-4 du code du travail stipule qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles, Attendu qu'il résulte de l'article précité que la preuve des heures de travail effectuées n'incombent spécialement à aucune des parties et que l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande. Attendu qu'en l'espèce, Madame V... verse, aux débats les attestations de Madame I... qui précise qu'elle avait acheté avec la demanderesse des places de concert, projetant une sortie ensemble, et que Madame V... n'a pas pu s'y rendre, devant rester dormir chez Madame R... P... pour garder son enfant ; Madame X..., employée elle aussi chez Madame R... P... qui atteste que Madame V... restait dormir chez Madame R... P... pour garder K... Madame G..., voisine de Madame V... qui témoigne qu'elle la prévenait quand elle restait dormir chez Madame R... P..., En conséquence, Madame V... fait la démonstration qu' elle était amenée à rester chez son employeur la nuit. Elle est bien fondée en sa demande d'indemnisation de ses heures de présence de nuit, conformément à la Convention Collective applicable, calculées sur la base de 1/6 du salaire correspondant pour une même durée de travail effectif. Soit de 20 heures à 8 heures = 12 heures x (14,55 x 1 : 6) = 29,10 euros par nuit. Madame V... indique au Conseil qu'elle a effectué 2 nuits de garde par semaine, 29 x 2 x 35 semaines = 2 030 par an, soit de novembre 2008 à novembre 2010 : 4 060 euros, auxquels s'ajoutent 16 semaines au titre de décembre 2010 à avril 2011 : 928 euros, Soit un total de 4 988 euros conformément à sa demande, Sur les congés payés acquis sur la période 2010/2011. Attendu l'article 17 de la Convention Collective qui stipule que si l'employeur impose à un employé de maison un repos annuel d'une durée supérieure à celle de congé légal auquel il a droit, il est tenu de lui verser une indemnité qui ne saurait être inférieure au salaire qui serait dû pour la même période travaillée. Attendu que Madame V... n'avait pas la garde de l'enfant K... pendant les vacances scolaires, il lui était due une indemnité pendant cette période. Attendu que Madame V.... verse aux débats ses bulletins de salaires des 3 derniers mois, sur lesquels il est indiqué 65 jours de périodes de vacances scolaires pris en « jours de congés pris par anticipation », faisant paraître un droit à congés payés sur la période à 0, En conséquence, c'est à tort que l'employeur a retenu sur les droits à congés payés les périodes de vacances scolaires pendant lesquelles il ne donnait pas l'enfant en garde, Madame V... est bien fondée à réclamer le paiement de ses congés payés en application de la règle du dixième sur les salaires versés, soit 2 976 euros » ;
1) ALORS QUE les employés de maison sont exclus du champ d'application de la législation relative à la durée du travail telle que prévue par le code du travail et relèvent exclusivement sur ces questions des règles fixées par les dispositions de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur ; que les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail - texte qui n'est pas mentionné par l'article L. 7221-2 du code du travail fixant les règles du code du travail applicables par exception aux employés de maison - ne trouvent donc pas à s'appliquer dans les litiges relatifs à la preuve de l'accomplissement d'heures de travail impayées par les employés de maison ; qu'il n'est pas contesté en l'espèce que Madame V... disposait de la qualité d'employée de maison assurant une « garde d'enfants » ; qu'en se fondant néanmoins sur les règles de répartition de la preuve prévues par l'article L. 3171-4 du code du travail pour faire droit à ses demandes à titre de rappel d'heures de nuit et de rappel d'heures supplémentaires, la cour d'appel a violé les articles L. 7221-2 du code du travail et 1315 du code civil dans sa rédaction applicable au litige ;
2) ALORS QU'en se fondant sur les règles de répartition de la preuve prévues par l'article L. 3171-4 du code du travail pour faire droit aux demandes de l'employée de maison à titre de rappel de rappel d'heures de nuit et de rappel d'heures supplémentaires, la cour d'appel a violé les articles 6 et 15 de convention collective nationale des salariés du particulier employeur ;
3) ALORS QUE les employés de maison sont exclus du champ d'application de la législation relative à la durée du travail telle que prévue par le code du travail et relèvent exclusivement sur ces questions des règles fixées par les dispositions de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur ; qu'en se fondant néanmoins, pour faire droit aux demandes de Madame V..., sur les décomptes établis par l'employée de maison sur la base des règles de fixation et de calcul du temps de travail prévues par le code du travail, la cour d'appel a violé les articles 6 et 15 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur ;
4) ALORS POUR LA MEME RAISON, QU'en se fondant sur les dispositions des articles L. 3121-11 et D. 3121-7 du code du travail - textes qui ne sont pas mentionnés par l'article L. 7221-2 du code du travail fixant les règles du code du travail applicables par exception aux employés de maison – et ne trouvent donc pas à s'appliquer dans les litiges relatifs au travail des employés de maison, pour condamner Madame R... P... au paiement de repos compensateurs, la cour d'appel a violé l'article L. 7221-2 du code du travail.
5) ALORS QU'en matière prud'homale la preuve est libre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a refusé de prendre en considération, sans les examiner, les deux attestations de Madame Y... P..., au seul motif qu'il s'agissait de la fille de Madame R... P... ; que la cour d'appel a ainsi retenu que « la fille de Madame R... P... vient au secours de sa mère, mais sa partialité filiale ne peut être exclue » (arrêt p. 5 § 8) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe de liberté de la preuve en matière prud'homale, ensemble l'article L. 7221-2 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum Madame R... P... et Monsieur E... à payer à Madame V... la somme de 15.198 € d'indemnité pour travail dissimulé ;
AUX MOTIFS QUE « au vu de ce qui précède Madame V... est fondée à demander additionnellement l'indemnité pour travail dissimulé prévue par l'article 8223-1 du Code du Travail à hauteur de 15.198 € représentant six mois de salaires ; Qu'au contraire de ce que soutient Madame R... P... l'élément intentionnel des deux employeurs - leurs échanges de mails faisait ressortir leur conscience conjointe de ne pas faire figurer toutes les heures accomplies sur les bulletins de paye - est suffisamment caractérisé ; Que celui cité ci-avant du 21 septembre 2011 est éloquent ; Que le 18 janvier 2011 répondant à Monsieur E... qui envisageait d'argumenter le salaire de Madame V... (mais sans s'inquiéter de la durée de travail effectif), Madame R... P... écrivait : 'Tu fais comme bon te semble sur l'augmentation ; il m'apparaît au demeurant que si l'on ajoute le logement, les repas qu'elle prend à la maison et les 17 semaines de vacances à sa rémunération on frôle l'indécence. Si tu souhaites c'est ton problème pas le mien ; Que Madame R... P... et Monsieur E... seront donc in solidum condamnés à ce titre » ;
1) ALORS QUE les employés de maison sont exclus du champ d'application de la législation relative à la durée du travail telle que prévue par le code du travail et relèvent exclusivement sur ces questions des règles fixées par les dispositions de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur ; qu'à ce titre ne leur sont pas applicables les dispositions du code du travail afférentes au travail dissimulé, dont l'article L. 8223-1 du code du travail fixant des dommages-intérêts planchers à hauteur de 6 mois de salaire ; qu'en condamnant néanmoins Madame R... P... au versement de la somme de 15.198 € à titre de dommages intérêts « pour travail dissimulé prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail », la cour d'appel a violé ce texte par fausse application, ensemble l'article L. 7221-2 du code du travail ;
2) ALORS POUR LA MEME RAISON, QU'en se fondant sur les dispositions de l'article L. 8223-1 du code du travail pour considérer que la dissimulation d'activité était caractérisée pour condamner Madame R... P... au versement de la somme de 15.198 €, la cour d'appel a violé l'article 15 de convention collective nationale des salariés du particulier employeur.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum Madame R... P... et Monsieur E... à payer à Madame V... la somme de 8.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE « Madame V... fait justement grief aux premiers juges d'avoir considéré que son licenciement procédait d'une cause réelle sérieuse ; Attendu que la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi libellée : 'Comme indiqué depuis longtemps et comme vous le savez, mon fils K... Monsieur E... rentre en 6ème à compter de septembre 2011 et n'aura dans ces conditions plus besoin d'une garde d'enfant, du fait notamment que son collège est près de son domicile et qu'il est maintenant suffisamment indépendant pour son âge. Cette réorganisation de la vie familiale constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.' ; Que Madame V... contribue suffisamment à établir un doute sur la réalité du motif invoqué, celle-ci étant requise même dans le cadre spécifique de la convention collective à laquelle était soumise la relation contractuelle ; Qu'ainsi comme le fait valoir Madame V... la prétendue suppression de son poste - telle est la qualification du motif énoncé qui vise l'absence totale de besoin d'une garde d'enfant - n'est pas indubitablement avérée ; Que le 20 janvier 2011 Monsieur E... avait écrit à Madame R... P... pour envisager une réduction de l'horaire de Madame V... estimant que la présence de 16 h 30 à 20 h 30 auprès de leurs fils d'une personne de confiance demeurait nécessaire ; Que néanmoins il n'est pas établi sans équivoque que Madame V... a été destinataire d'une proposition de modification du contrat, et ainsi qu'elle le relève dans ce cas son refus aurait constitué une cause réelle sérieuse de rupture ; Que l'animosité exprimée simultanément par Madame R... P... à l'encontre de Madame V... n'exclut pas que le motif exprimé dans la lettre de licenciement constituait un opportun prétexte pour rompre la relation contractuelle, la vraie cause de licenciement étant un sentiment subjectif de l'employeur envers la salariée, ce qui ne caractérise pas un motif licite de rupture ; Que du reste quelque mois plus tard (en octobre 2011) Madame R... P... a embauché B
- qui était la personne qu'initialement Madame V... avait remplacée pour cause de congé de maternité - selon un contrat à temps plein, certes comme employée de maison pour effectuer les tâches ménagères et non comme garde d'enfant, mais les premières fonctions n'excluent pas les secondes, alors que Madame R... P... avait antérieurement chargé Madame V... tant de tâches de garde d'enfant que de travaux ménagers ; qu'il s'en évince que Madame R... P... avait besoin d'un salarié pour la même durée de travail que celle du poste de Madame V... prétendument supprimé ; Attendu qu'en considération de son âge (née en [...] ) de son ancienneté, de son salaire, mais en l'absence de justification autres que ses affirmations sur sa situation professionnelle depuis la rupture, c'est la somme de 8.000 € qui remplira Madame V... de ses droits à réparation du préjudice consécutif au licenciement » ;
1) ALORS QU'il résulte des dispositions combinées de l'article 12 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, étendue par arrêté du 2 mars 2000, et des articles L. 1111-1 et L. 7221-2 du code du travail, que le bien-fondé du licenciement de l'employé de maison pour une cause réelle et sérieuse n'est soumis qu'aux dispositions de la convention collective ; que constitue un motif réel et sérieux de rupture d'un contrat de garde d'un enfant la décision du particulier employeur de ne plus confier ledit enfant en garde compte tenu de son entrée au collège ; que c'est précisément le motif de licenciement qui était invoqué à l'appui du licenciement de Madame V..., la cour d'appel ayant elle-même constaté que le licenciement a été justifié par l'entrée au collège de l'enfant de Madame R... P... qui, dans ces conditions, n'avait plus besoin d'être gardé ; qu'en écartant néanmoins la cause réelle et sérieuse du licenciement, la cour d'appel a violé l'article 12 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, étendue par arrêté du 2 mars 2000, et les articles L. 1111-1 et L. 7221-2 du code du travail ;
2) ALORS QUE tout jugement doit être motivé, les motifs hypothétiques, dubitatifs, contradictoires ou inintelligibles équivalant à une absence de motifs ; qu'aussi en retenant, pour écarter le cause réelle et sérieuse du licenciement, que « l'animosité exprimée simultanément par Madame R... P... à l'encontre de Madame V... n'exclut pas que le motif exprimé dans la lettre de licenciement constituait un opportun prétexte pour rompre la relation contractuelle, la vraie cause de licenciement étant un sentiment subjectif de l'employeur envers la salariée, ce qui ne caractérise pas un motif licite de rupture », la cour d'appel – qui a statué de manière dubitative – a violé l'article 455 du code de procédure civile.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum Madame R... P... et Monsieur E... à payer à Madame V... les sommes de 3.000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral et 500 € de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale ;
AUX MOTIFS QUE « Madame V... au soutien de sa prétention additionnelle indemnitaire pour harcèlement établit suffisamment la matérialité de faits de nature pris dans leur ensemble à faire présumer de cette situation, avec une dégradation subséquente de ses conditions de travail et de sa santé, sans que les employeurs ne parviennent à démontrer que les faits étaient étrangers à un harcèlement ; Attendu que les écrits de Madame R... P...- et Monsieur E... destinataire était au courant, d'autant plus que la salariée le 2 mai 2011 lui avait écrit pour se plaindre sans qu'il ne justifie avoir pris de mesures protectrices déjà cités témoignent de son attitude non exclusive de mépris envers Madame V... ; Que le mail de janvier 2011 poursuivait comme suit : 'Pour septembre il faut à mon sens trouver quelqu'un de plus performant intellectuellement pour stimuler K... et le faire travailler, il la manipule assez facilement et elle a du mal à se faire respecter, je trouve que cela se ressent dans les notes, la tenue des cahiers etc ... Je rentre très souvent à l'improviste à l'heure des devoirs parce ce que cela m'inquiète, je trouve K... devant la télé et elle totalement dépassée, je pense qu'elle est dans un confort dans lequel elle pense qu'elle peut s'installer parce qu'elle peut jouer sur notre mésentente et que cela n'est pas bien pour K.... Maintenant c'est toi son employeur, tu fais donc ce que tu veux et si tu penses qu'elle est bien et qu'elle peut rester en septembre il n'y a pas de problème elle est certes pas maligne mais très charmante, je vais juste être vigilante et être plus souvent à la maison en fin d'après midi.' ; Que le 20 septembre 2011 Madame R... P... relatait que ses autres salariés surnommaient Madame V... 'la peste' ou le 'poison' et elle ne s'en offusquait pas, ni n'indiquait avoir réagi, y trouvant au contraire une approbation de sa propre aversion envers celle-ci ; Que Madame V... produit des pièces médicales concomitantes, et dans le milieu de travail très restreint des employés de maison, salariés et employeurs partageant une grande partie de leur vie quotidienne, il n'est pas douteux que ces faits créaient pour Madame V... une tension très forte ; Attendu que Madame R... P... fait à tort grief à Madame V... de se prévaloir pour établir la matérialité du harcèlement de pièces - à savoir les mails écrits par l'appelante qui ont été précédemment cités - au motif qu'elle ne les aurait découverts qu'en cours de procédure lorsqu'ils ont été communiqués ; Que l'utilisation d'une pièce régulièrement produite aux débats par quelque partie que ce soit, compte tenu du respect du contradictoire ne s'avère pas critiquable, ni déloyale, d'autant qu'en la matière la preuve est libre ; Que Madame V... n'a mis en exergue avec ces pièces que la confirmation des faits qu'elle avait dénoncés à Monsieur E... avant la rupture de son contrat de travail ; Attendu que Madame V... sera remplie de ses droits à réparation de ce chef par la condamnation additionnelle des employeurs à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de 3.000 € ; Qu'il sera aussi ajouté la somme de 500 € en réparation du nécessaire préjudice résultant du défaut d'organisation des visites médicales périodiques ».
1) ALORS QU'en accordant à Madame V... des dommages et intérêts pour harcèlement moral sans caractériser quels agissements de l'employeur seraient constitutifs d'un tel harcèlement, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 7221-2 et L. 1152-1 du code du travail ;
2) ALORS QU'en accordant des dommages et intérêts à Madame V... pour défaut de visite médicale, cependant que le particulier employeur n'est pas tenu d'organiser de telles visites médicales, la cour d'appel a violé l'article L. 7221-2 du code du travail, ensemble la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, étendue par arrêté du 2 mars 2000 ;
3) ALORS ET EN TOUTE HYPOTHESE QUE le juge ne peut condamner l'employeur au paiement de dommages et intérêts au motif que le salarié a subi un préjudice nécessaire ; qu'en accordant des dommages et intérêts à Madame V... « en réparation du nécessaire préjudice résultant du défaut d'organisation des visites médicales périodiques », la cour d'appel a derechef violé l'article 1147 du code civil dans sa version applicable au litige, ensemble le principe de réparation intégrale. Moyens produits au pourvoi n° A 17-11.131 par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. E...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, D'AVOIR dit que monsieur J... E... était, avec madame A... R... P..., co-employeur de madame M... V... ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE les premiers juges avaient exactement cité l'enchaînement et les mentions des documents contractuels signés entre monsieur E... et madame V..., étant en outre observé qu'aucune des parties, même à titre subsidiaire, ne venait soutenir que cela aurait été, s'agissant de la durée du travail, le contrat du 6 novembre 2008 (qui visait expressément des heures de présence responsable) et non celui du 21 novembre 2008 (précisant 174 heures par mois) qui aurait eu vocation à régir la relation contractuelle ; que cette précision était importante dans la mesure où si l'avenant du 26 juin 2009 prévoyait la poursuite du contrat à durée déterminée du 21 novembre 2008 en contrat à durée indéterminée, il stipulait aussi que « la poursuite des liens contractuels se ferait aux mêmes conditions de rémunération et d'emploi que celles prévues dans le contrat à durée déterminée initial », ce dernier adjectif pouvant introduire une équivoque sur le contrat auquel il était ainsi renvoyé, vu la chronologie citée ; que cependant c'était bien à partir des conditions du contrat du 21 novembre 2008 que les parties discutaient ; que sauf à compléter leur motivation, les premiers juges devaient être approuvés en ce qu'ils avaient retenu que madame R... P... avaient été les co-employeurs de madame V..., de sorte qu'ils étaient in solidum tenus des obligations découlant du contrat de travail et de sa rupture ainsi que de la réparation des préjudices de la salariée qu'ils avaient par suite chacun contribué à créer entièrement ; qu'en effet, il importait à cet égard, comme le faisait valoir madame V..., que le juge conformément à l'article 12 du code de procédure civile restituât aux faits et actes juridiques leur exacte qualification au-delà de leur dénomination conférée par les parties et qu'il y avait lieu de rechercher les conditions effectives d'exécution du contrat de travail, et plus particulièrement du lien de subordination par l'exercice du pouvoir de donner des directives qui était l'élément constitutif essentiel de la qualité d'employeur ; que vainement monsieur E... tentait contre l'évidence de soutenir qu'il ne saurait rien et qu'il devrait être mis hors de cause, s'étant borné à accomplir les actes apparents et formels du contrat de travail (rédaction des documents, paiement du salaire, notification du licenciement) et que seule madame R... P... agissait comme employeur effectif ; que déjà l'accomplissement des actes précités démontrait cette exécution par lui des prérogatives de l'employeur, et des mails produits aux débats, tant échangés entre monsieur E... et madame V... ou madame R... P..., il apparaissait qu'il donnait des directives sur les congés, les horaires notamment pour que l'enfant soit prêt lorsqu'il viendrait le chercher, sur les projets d'augmentation de salaires) ; que du reste madame V... lui rendait compte de l'exécution de ses tâches ; que sur tous ces points et sur la rupture du contrat, monsieur E... se concertait avec madame R... P... ; que de même madame R... P... exerçait le pouvoir de direction, étant observé que les conventions conclues entre elle-même et monsieur E... quant à la prise en charge financière de l'emploi de madame V... était inopposables à la salariée ; qu'ainsi c'était madame R... P... qui mettait à disposition le lieu de travail – à savoir son domicile – ainsi que la nourriture et le logement de fonction qui était un accessoire du contrat de travail ; qu'elle exerçait un contrôle sur l'accomplissement de ses tâches par madame V..., et ainsi notamment elle écrivait elle-même dans des mails à monsieur E... (et ce dernier lui mettait en copie tous ses échanges avec la salariée) qu'elle rentrait parfois à l'improviste pour s'assurer du travail fourni et de la qualité de celui-ci, de prétendus manquements de l'intimée lui ayant été signalés par ses autres employés de maison ; qu'elle chargeait à l'évidence madame V... de faire les courses pour elle ou sa fille (pressing, pharmacie, monoprix, alimentation) – ce qui ne relevait du reste pas des fonctions contractuelles qualifiées de garde d'enfant – et elle fournissait le moyen de paiement par la remise d'une carte bancaire ; que les multiples factures, tickets de caisse (portant certains le nom de P... comme le compte Pharmacie) avec un numéro de carte bancaire sans que madame R... P... n'ait contredit que ce moyen de paiement était à son nom constituaient une preuve suffisante du constat qui précédait ; que madame V... soulignait exactement que madame R... P... et monsieur E... poursuivaient en l'employant un intérêt commun – la garde de leur enfant – et qu'ils contribuaient chacun par leurs directives et la fournitures des salaires et avantages en nature à l'exécution de la relation contractuelle ; que les critères du co-emploi étaient ainsi réunis ; que du reste par mail de janvier 2014 en écrivant à monsieur E... : « Je ne vois pas pourquoi tu as demandé à B... de réfléchir à sa situation à compter de septembre 2011 et de nous faire des propositions. / C'est à nous de réfléchir ensemble à cela (je te rappelle que c'est moi qui la loge) et de lui faire si il y a lieu une proposition tenant compte de ce qui peut être bien pour K.... / Je suis à ta disposition pour en parler », madame R... P... confirmait bien sa volonté effective non équivoque de donner conformément avec celui-là des directives et de faire des propositions contractuelles (arrêt, pp. 2 à 4) ; que la définition du salariat, selon la jurisprudence, était caractérisée par trois critères : un travail pour autrui, une rémunération, une subordination dans l'exécution du travail ; qu'en l'espèce madame V... avait signé ses contrats de travail avec monsieur E..., et qu'il s'était chargé de sa rémunération ; qu'il n'était pas contesté qu'elle exerçait son activité exclusivement au domicile de madame R... P..., avec en mission principale, de veiller sur leur enfant commun ; qu'il ressortait des débats qu'elle ne recevait ses directives que de la part de madame R... P... ; qu'il ressortait des débats que monsieur E... et madame R... P... détenaient ensemble les prérogatives de la qualité d'employeur ; qu'en conséquence, le conseil disait que monsieur E... et madame R... P... étaient co-employeurs de madame V... (jugement, pp. 4 et 5) ;
ALORS, D'UNE PART, QUE l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité du travailleur ; qu'en retenant la qualité de co-employeur de monsieur E..., sans rechercher, comme l'y avait invitée celui-ci (conclusions, p. 3 et pp. 5-6), si son intervention à l'égard de madame V... ne résultait pas exclusivement, d'une part, du jugement rendu le 26 juillet 2007 par le tribunal de grande instance de Versailles, ayant homologué le protocole conclu entre monsieur E... et madame R... P... relativement aux modalités d'exercice de l'autorité parentale sur leur enfant commun, par lequel monsieur E... était obligé à la prise en charge du salaire de la garde de leur enfant, d'autre part, de sa qualité de parent de l'enfant gardé par madame V..., d'où il résultait que les interventions de monsieur E..., loin de constituer de véritables directives ni un contrôle du travail de l'employée, se cantonnaient à des aspects financiers ou à l'exercice de sa propre autorité parentale sur l'enfant, excluant l'existence d'un véritable lien de subordination entre madame V... et monsieur E... et donc la qualité d'employeur de celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en disant que madame R... P... et monsieur E... poursuivaient un intérêt commun par l'emploi de madame V..., intérêt tenant à la garde de leur enfant commun, tout en relevant que madame R... P... chargeait cette dernière de faire les courses pour elle ou sa fille (pressing, pharmacie, supermarché, alimentation), laquelle n'était pas la fille de monsieur E..., la cour d'appel, qui a statué par des motifs contradictoires en fait, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, partiellement confirmatif de ces chefs, D'AVOIR condamné monsieur J... E..., solidairement avec madame R... P..., à verser à madame V... les sommes de 35 026 euros au titre des heures supplémentaires, 9 312 euros au titre du repos compensateur et 931,20 euros au titre des congés payés y afférents ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE la confirmation du jugement s'imposait aussi sur les heures supplémentaires ; que les premiers juges avaient exactement appliqué l'article L. 3171-4 du code du travail ainsi que l'article 15 de la convention collective afférent à la durée du travail, au seuil de déclenchement des heures supplémentaires et des majorations applicables ; qu'en effet, madame V... étayait très précisément sa réclamation au moyen de décomptes journaliers précisant entre 8 heures et 20 heures les activités – qui constituaient du travail effectif – exécutées selon les plages horaires (accompagnement de l'enfant, surveillance des devoirs scolaires, entretien de sa chambre et de sa salle de bains, ainsi que des vêtements et du linge – lavage, repassage, couture – les courses, mais aussi les mêmes travaux d'entretien pour la fille de madame R... P...) ; que ces allégations étaient parfaitement corroborées par les tickets et factures de courses déjà analysés ; qu'ainsi que le soulignait madame V..., la circonstance que pendant les absences de l'autre employé de maison, monsieur S..., il lui avait été demandé de pourvoir à d'autres tâches ménagères ainsi qu'à la préparation des repas était révélée par le motif du licenciement de celui-ci énoncé dans la lettre du 5 mai 2011 et visant son absence prolongée rendant nécessaire son remplacement, madame R... P... exposant qu'absente de chez elle de 8 heures du matin à 20 heures le soir, elle avait besoin de quelqu'un de fiable pour les nombreux travaux de ménage ; que pendant l'absence de monsieur S..., il n'était pas justifié d'une embauche, de sorte que madame V..., comme elle l'indiquait, palliait cette carence ; que ce constat privait aussi de valeur probante le témoignage de monsieur S... qui affirmait que lui-même s'occupait du ménage et des repas et que madame V... pouvait quitter son lieu de travail à 18 heures 30, tout en demeurant taisant sur sa longue absence début 2011 ; que madame R... P... et monsieur E... étaient défaillants pour justifier des horaires de la salariée ; que les plannings expressément prévus au contrat n'avaient pas été établis ; qu'il avait déjà été observé que contractuellement aucune répartition avec des heures de présence responsable n'avait été fixée ; que les témoignages produits pour contredire les horaires étayés par madame V... étaient dépourvus de valeur probante suffisante ; que la fille de madame R... P... venait au secours de mère, mais sa partialité filiale ne pouvait être exclue ; que monsieur U..., ouvrier ayant ponctuellement réalisé des travaux chez madame R... P..., que madame H..., gardienne de l'immeuble où logeait la salariée mais pas de celui où elle travaillait, ni madame W... qui n'était plus salariée de madame R... P..., et qui n'avaient donc pas assisté à l'exécution du contrat de travail, et ne faisant par suite que des déductions sur la durée de service de l'intimée, ne pouvaient convaincre ; que madame H..., une autre salariée, exprimait surtout sa vindicte contre madame V..., ce qui faisait trop suspecter l'impartialité de son témoignage pour lui conférer valeur probante ; qu'en l'absence des plannings contractuels – qui auraient constitué le seul moyen de preuve efficace – la description confuse de madame R... P... du temps de travail de madame V... ne permettait pas d'exclure pour partie le travail effectif, ce qui ne permettait pas de caractériser des heures de présence responsable ; que par voie de dépendance nécessaire, madame V... sollicitait additionnellement avec pertinence l'indemnité pour repos compensateur, en asseyant un exact calcul par référence au contingent annuel réglementaire de 220 heures en l'absence d'accord collectif, les obligations de l'employeur résultant dans ce cas des articles L. 3121-11 et D. 3121-7 et suivants du code du travail ; que vainement madame R... P... entendait opposer que ces repos auraient été pris pendant les vacances scolaires, le caractère en l'espèce illicite de ces congés ayant été déjà observé ; que madame R... P... et monsieur E... seraient donc in solidum condamnés outre congés payés à payer à ce titre la somme de 9 312 euros (arrêt, pp. 4 à 6) ; que les termes de l'article L. 3121-1 du code du travail donnaient la définition du temps de travail effectif ; que madame V... versait aux débats ses contrats de travail qui prévoyaient une durée de travail de 48 heures effectives pour le premier contrat à durée déterminée, puis de 40 heures par semaine pour le second contrat à durée déterminée ensuite pour le contrat à durée indéterminée sur une amplitude de 8 heures à 20 heures à préciser entre les parties chaque semaine ; que l'article L. 3171-4 du code du travail stipulait qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur devait fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge formait sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estimait utiles ; qu'il résultait de l'article précité que la preuve des horaires de travail effectuées n'incombaient spécialement à aucune des parties et que l'employeur devait fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, qu'il appartenait cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ; que madame V... versait aux débats un tableau hebdomadaire récapitulatif de toutes ses tâches prévues pour chacune des journées, démontrant qu'elle était toujours à disposition de ses employeurs ; qu'en l'espèce, les employeurs ne contestaient pas l'emploi du temps présenté ; qu'en conséquence, madame V... était bien fondée à réclamer devant le conseil de prud'hommes un rappel de salaire d'une valeur de 20 heures par semaine au titre d'heures supplémentaires effectuées mais non réglées depuis le 6 novembre 2008, selon le calcul qu'elle présentait, soit : 2533/174 = 14,55 // (14,55x8hx25%) + (14,55x12hx50%) = 145,44+261,84 = 407,28 euros par semaine travaillée // 52 semaines - 17 semaines congés annuels = 35x407,28 = 14 254,80 euros annuels // De novembre 2008 à novembre 2010 = 28 509,60 euros // De décembre 2010 à avril 2011 = 5 mois - 4 semaines de congés scolaires = 6 516,48 euros // Soit un total de 35 026 euros (jugement, pp. 4 et 5) ;
ALORS QUE seules les heures supplémentaires effectuées à la demande ou avec l'accord de l'employeur peuvent donner lieu à rémunération ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée par monsieur E... (conclusions, p. 3 et pp. 7 et 8), si ce dernier avait demandé à la garde d'enfant d'effectuer des heures supplémentaires, cependant qu'elle constatait au demeurant que celle-ci travaillait au seul domicile de madame R... P... et réalisait également des travaux d'entretien pour cette dernière et la fille de celle-ci, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'un accord de monsieur E... à l'accomplissement d'heures supplémentaires, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-22 du code du travail ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE la qualification d'employeur de monsieur E... est le soutien indispensable de toute condamnation à sa charge au titre du contrat de travail, de sorte qu'en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant les diverses dispositions de l'arrêt, la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de cette qualification d'employeur, emportera, par voie de conséquence, cassation des chefs de dispositif portant condamnations pécuniaires attaqués par le présent moyen, en vertu de l'article 624 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, D'AVOIR condamné monsieur J... E..., solidairement avec madame R... P..., à verser à madame V... la somme de 4 988 euros au titre du travail de nuit ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE la confirmation du jugement était justifiée sur la condamnation au titre du travail de nuit, le montant ayant été calculé conformément à l'équivalence forfaitaire de 1/6ème prévue par l'article 6 de la convention collective ; que là encore madame V... étayait suffisamment sa demande sans contradiction suffisante de l'employeur ; que ces nuits de dites baby sitting avaient bien été incluses dans la sphère contractuelle ainsi que cela résulte de leurs mails du 1er octobre 2008 de monsieur E... et du 20 septembre 2011 de madame R... P..., le premier les validant mais sans juger utile de les inscrire expressément dans le contrat, et le second faisant état de leur prévision contractuelle, madame R... P... écrivant à propos de madame V... « comme je ne la supportais pas je ne lui faisais même pas faire les 2 baby sitting prévus dans son contrat si j'en avais besoin (à l'exception des premiers mois, le temps que je réalise à qui j'avais à faire), j'ai toujours demandé aux ami(e)s de L.... Je crois que l'on peut contourner la question de la durée légale du travail par le système des récupérations, certes non prévues dans son contrat mais je pense que cela se plaide. Il faut des attestations » ; que faute de production des plannings contractuellement prévus, les témoignages dont excipait madame R... P..., déjà analysés, étaient inefficaces à contredire les demandes suffisamment étayées de madame V... (arrêt, p. 6) ; que l'article L. 3171-4 du code du travail stipulait qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur devait fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge formait sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estimait utiles ; qu'il résultait de l'article précité que la preuve des heures de travail effectuées n'incombaient spécialement à aucune des parties et que l'employeur devait fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, qu'il appartenait cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ; qu'en l'espèce, madame V... versait aux débats les attestations de madame I... qui précisait qu'elle avait acheté avec la demanderesse des places de concert, projetant une sortie ensemble, et que madame V... n'avait pas pu s'y rendre, devant rester dormir chez madame R... P... pour garder son enfant, de madame X..., employée elle aussi chez madame R... P..., qui attestait que madame V... restait dormir chez madame R... P... pour garder K..., de madame G..., voisine de madame V..., qui témoignait qu'elle la prévenait quand elle restait dormir chez madame R... P... ; qu'en conséquence, madame V... faisait la démonstration qu'elle était amenée à rester chez son employeur la nuit ; qu'elle était bien fondée en sa demande d'indemnisation de ses heures de présence de nuit, conformément à la convention collective applicable, calculées sur la base de 1/6 du salaire correspondant pour une même durée de travail effectif, soit de 20 heures à 8 heures = 12 heures x (14,55x1 :6) = 29,10 euros par nuit ; que madame V... indiquait au conseil qu'elle avait effectué deux nuits de garde par semaine, 29x2x35 semaines = 2 030 par an, soit de novembre 2008 à novembre 2010 : 4 060 euros, auxquels s'ajoutent 16 semaines au titre de décembre 2010 à avril 2011 : 928 euros, soit un total de 4 988 euros conformément à sa demande (jugement, pp. 5 et 6) ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE la présence de nuit du salarié du particulier employeur doit être prévue au contrat de travail, lequel est obligatoirement écrit ; qu'en se bornant à retenir, pour condamner monsieur E... au paiement d'heures de nuit au profit de madame V..., que les nuits de « baby sitting » avaient été contractuellement incluses dans les tâches de la salariée car évoquées dans des courriers électroniques, sans constater que la présence de nuit de madame V... était prévue à son contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article 6, 1, de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE par un courrier électronique du 1er octobre 2008, monsieur E... indiquait à madame V... : « je n'avais pas noté les deux soirs par semaines de baby sitting que vous devez à madame P... ; je ne pense pas utile de la rajouter dans le contrat » ; qu'aux termes clairs et précis de ce document, monsieur E... n'avait pas consenti à ce que les heures de nuit entrent dans le champ contractuel ; qu'en retenant néanmoins, pour dire que les heures de nuit avaient été incluses dans la sphère contractuelle, qu'un tel courrier électronique validait en leur principe les heures de nuit, la cour d'appel a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE la qualification d'employeur de monsieur E... est le soutien indispensable de toute condamnation à sa charge au titre du contrat de travail, de sorte qu'en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant les diverses dispositions de l'arrêt, la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de cette qualification d'employeur, emportera, par voie de conséquence, cassation du chef de dispositif portant condamnation pécuniaire attaqué par le présent moyen, en vertu de l'article 624 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, D'AVOIR condamné monsieur J... E..., solidairement avec madame R... P..., à verser à madame V... la somme de 2 976 euros au titre des congés payés ;
AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES QUE le jugement devait être confirmé en ce qu'il avait accueilli la demande au titre des congés payés, les premiers juges ayant procédé à un exact calcul au vu des bulletins de paye qui tirait les exactes conséquences de leur constat que les employeurs avaient méconnu l'article 17 de la convention collective de travail des salariés du particulier employeur en ayant imposé à madame V... des congés pendant la durée des vacances scolaires et en les ayant imputés sur les congés annuels auquel l'emploi à temps plein ouvrait droit ; que sans contester avoir eu recours à une telle imputation, madame R... P... soutenait que celle-ci résultait de l'accord de madame V... qui du reste mettait ce temps à profit pour louer ses services à d'autres employeurs ; que cependant l'accord allégué ne résultait sans équivoque d'aucun moyen de preuve ; que ne peut être regardé comme tel le mail de monsieur E... du 1er octobre 2008 indiquant à madame V... qu'il n'avait pas de problèmes à ajouter dans le contrat qu'elle disposerait comme vacances de toutes les vacances scolaires, alors d'une part qu'aucune mention en ce sens n'avait finalement été insérée dans les documents contractuels, et que de deuxième part le document contenant la question de la salariée à laquelle aurait répondu les propos précités n'était pas produit en sorte qu'il ne pouvait sans équivoque s'en inférer une rencontre des consentements sur le point litigieux ; que la circonstance que madame V... avait travaillé pour d'autres employeurs pendant ces périodes n'était pas davantage révélatrice d'un acquiescement aux congés imposés par l'employeur, la salariée ne saurait se voir reprocher d'avoir ainsi pallié la perte de revenus qu'elle subissait du fait de la décision unilatérale de madame R... P... et monsieur E... (arrêt, p. 4) ; que l'article 17 de la convention collective stipulait que si l'employeur imposait à un employé de maison un repos annuel d'une durée supérieure à celle de congé légal auquel il avait droit, il était tenu de lui verser une indemnité qui ne saurait être inférieure au salaire qui serait dû pour la même période travaillée ; que madame V... n'avait pas la garde de l'enfant K... pendant les vacances scolaires, il lui était dû une indemnité pendant cette période ; que madame V... versait aux débats ses bulletins de salaire de salaires des trois derniers mois, sur lesquels il était indiqué 65 jours de périodes de vacances scolaires pris en « jours de congés pris par anticipation », faisant paraître un droit à congés payés sur la période à 0 ; qu'en conséquence, c'était à tort que l'employeur avait retenu sur les droits à congés payés les périodes de vacances scolaires pendant lesquelles il ne donnait pas l'enfant en garde ; que madame V... était bien fondée à réclamer le paiement de ses congés payés en application de la règle du dixième sur les salaires versés, soit 2 976 euros (jugement, p. 6) ;
ALORS QUE par un courrier électronique en date du 1er octobre 2008, monsieur E... indiquait à madame V... : « je n'ai pas de problème à rajouter dans ce contrat le fait que vous disposez comme vacances de toutes les vacances scolaires, même si je ne sais pas ce que ça vaut juridiquement » ; qu'aux termes clairs et précis de ce document, madame V... avait souhaité disposer de congés pendant l'ensemble des vacances scolaires et fait une demande en ce sens, de sorte que lesdits congés n'avaient pas été imposés par l'employeur ; qu'en retenant néanmoins qu'aucun des documents produit aux débats n'établissait qu'une telle modalité de prise des congés n'avait pas été imposée par l'employeur, la cour d'appel a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE la qualification d'employeur de monsieur E... est le soutien indispensable de toute condamnation à sa charge au titre du contrat de travail, de sorte qu'en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant les diverses dispositions de l'arrêt, la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de cette qualification d'employeur, emportera, par voie de conséquence, cassation du chef de dispositif portant condamnation pécuniaire attaqué par le présent moyen, en vertu de l'article 624 du code de procédure civile.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, D'AVOIR condamné monsieur J... E..., solidairement avec madame R... P..., à verser à madame V... la somme de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE madame V... faisait justement grief aux premiers juges d'avoir considéré son licenciement procédait d'une cause réelle et sérieuse ; que la lettre de licenciement qui fixait les limites du litige était ainsi libellée : « Comme indiqué depuis longtemps et comme vous le savez, mon fils K... E... rentre en 6ème à compter de septembre 2011 et n'aura dans ces conditions plus besoin d'une garde d'enfant, du fait notamment que son collège est près de son domicile et qu'il est maintenant suffisamment indépendant pour son âge. / Cette réorganisation de la vie familiale constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement » ; que madame V... contribuait suffisamment à établir un doute sur la réalité du motif invoqué, celle-ci étant requise même dans le cadre spécifique de la convention collective à laquelle était soumise la relation contractuelle ; qu'ainsi comme le faisait valoir madame V..., la prétendue suppression de son poste – telle était la qualification du motif énoncé qui visait l'absence totale de besoin d'une garde d'enfant – n'était pas indubitablement avérée ; que le 20 janvier 2011, monsieur E... avait écrit à madame R... P... pour envisager une réduction de l'horaire de madame V... estimant que la présence de 16 heures 30 à 20 heures 30 auprès de leur fils d'une personne de confiance demeurait nécessaire ; que néanmoins il n'était pas établi sans équivoque que madame V... avait été destinataire d'une proposition de modification du contrat, et ainsi qu'elle le relevait dans ce cas son refus aurait constitué une cause réelle et sérieuse de rupture ; que l'animosité exprimée simultanément par madame R... P... à l'encontre de madame V... n'excluait pas que le motif exprimé dans la lettre de licenciement constituait un opportun prétexte pour rompre la relation contractuelle, la vraie cause de licenciement étant un sentiment subjectif de l'employeur envers la salariée, ce qui ne caractérisait pas un motif licite de rupture ; que du reste quelques mois plus tard (en octobre 2011) madame R... P... avait embauché madame W... qui était la personne qu'initialement madame V... avait remplacée pour cause de congé de maternité – selon un contrat à temps plein, certes comme employée de maison pour effectuer les tâches ménagères et non comme garde d'enfant, mais les premières fonctions n'excluaient pas les secondes, alors que madame R... P... avait antérieurement chargé madame V... tant de tâches de gardes d'enfant que de travaux ménagers ; qu'il s'en évinçait que madame R... P... avait besoin d'un salarié pour la même durée de travail que celle du poste de madame V... prétendument supprimé ; qu'en considération de son âge (née en [...] ), de son ancienneté, de son salaire, mais en l'absence de justification autres que ses affirmations sur sa situation professionnelle depuis la rupture, c'était la somme de 8 000 euros qui remplirait madame V... de ses droits à réparation du préjudice consécutif au licenciement ; qu'en infirmant le jugement il échoyait de condamner in solidum les employeurs à ce paiement (arrêt, pp. 8 et 9) ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le contrat de travail peut être rompu par l'employeur pour tout motif constituant une cause réelle et sérieuse ; qu'en constatant, pour dire le licenciement de madame V... dénué de cause réelle et sérieuse en raison de l'absence de suppression de son poste, que madame R... P... avait recruté quelques mois après le licenciement de madame V... une salariée comme employée de maison et non comme garde d'enfant, ce dont il résultait pourtant que la nouvelle salariée exerçait des fonctions de nature différente et que le poste de madame V... avait effectivement été supprimé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 12 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée par monsieur E... (conclusions, p. 7), si ce dernier avait recruté un salarié pour assurer la garde de son enfant en remplacement de madame V..., cependant qu'elle constatait par ailleurs que c'était madame R... P... qui avait à nouveau besoin d'un salarié travaillant à son domicile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE la qualification d'employeur de monsieur E... est le soutien indispensable de toute condamnation à sa charge au titre du contrat de travail, de sorte qu'en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant les diverses dispositions de l'arrêt, la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de cette qualification d'employeur, emportera, par voie de conséquence, cassation du chef de dispositif portant condamnation pécuniaire attaqué par le présent moyen, en vertu de l'article 624 du code de procédure civile.
SIXIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné monsieur J... E..., solidairement avec madame R... P..., à verser à madame V... la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
AUX MOTIFS QUE madame V... au soutien de sa prétention additionnelle indemnitaire pour harcèlement établissait suffisamment la matérialité de faits de nature pris dans leur ensemble à faire présumer de cette situation, avec une dégradation subséquente de ses conditions de travail et de sa santé, sans que les employeurs n'aient parvenu à démontrer que les faits auraient été étrangers à un harcèlement ; que les écrits de madame R... P... et monsieur E... destinataire était au courant, d'autant plus que la salariée le 2 mai 2011 lui avait écrit pour se plaindre sans qu'il ne justifiât avoir pris de mesures protectrices – déjà cités témoignaient de son attitude non exclusive de mépris envers madame V... ; que le mail de janvier 2011 poursuivait comme suit : « Pour septembre il faut à mon sens trouver quelqu'un de plus performant intellectuellement pour stimuler K... et le faire travailler, il la manipule assez facilement et elle a du mal à se faire respecter, je trouve que cela se ressent dans les notes, la tenue des cahiers etc
/ Je rentre très souvent à l'improviste à l'heure des devoirs parce que cela m'inquiète, je trouve K... devant la télé et elle est totalement dépassée, je pense qu'elle est dans un confort dans lequel elle pense qu'elle peut s'installer parce qu'elle peut jouer sur notre mésentente et que cela n'est pas bien pour K.... / Maintenant c'est toi son employeur, tu fais donc ce que tu veux et si tu penses qu'elle est bien et qu'elle peut rester en septembre il n'y a pas de problème elle est certes pas maligne mais très charmante je vais juste être vigilante et être plus souvent à la maison en fin d'après-midi » ; que le 20 septembre 2011 madame R... P... relatait que ses autres salariés surnommaient madame V... « la peste » ou le « poison » et elle ne s'en offusquait pas, ni n'indiquait avoir réagi, y trouvant au contraire une approbation de sa propre aversion envers celle-ci ; que madame V... produisait des pièces médicales concomitantes, et dans le milieu de travail très restreint des employés de maison, salariés et employeurs partageant une grande partie de leur vie quotidienne, il n'était pas douteux que ces faits créaient pour madame V... une tension très forte ; que madame R... P... faisait à tort grief à madame V... de se prévaloir pour établir la matérialité du harcèlement de pièces – à savoir les mails écrits par l'appelante qui avaient été précédemment cités – au motif qu'elle ne les aurait découverts qu'en cours de procédure lorsqu'ils avaient été communiqués ; que l'utilisation d'une pièce régulièrement produite aux débats par quelque partie que ce soit, compte tenu du respect du contradictoire ne s'avérait pas critiquable, ni déloyale, d'autant qu'en la matière la preuve était libre ; que madame V... n'avait mis en exergue avec ces pièces que la confirmation des faits qu'elle avait dénoncés à monsieur E... avant la rupture de son contrat de travail ; que madame V... serait remplie de ses droits à réparation de ce chef par la condamnation additionnelle des employeurs à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de 3 000 euros (arrêt, pp. 7 et 8) ;
ALORS QU'en se bornant à retenir, pour condamner monsieur E... au titre d'un prétendu harcèlement moral envers madame V..., que les employeurs ne parvenaient pas à démontrer que les faits allégués par la salariée étaient étrangers à un harcèlement, la cour d'appel, qui a statué par voie de simple affirmation, n'a pas donné de motifs à sa décision ni donc satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE la qualification d'employeur de monsieur E... est le soutien indispensable de toute condamnation à sa charge au titre du contrat de travail, de sorte qu'en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant les diverses dispositions de l'arrêt, la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de cette qualification d'employeur, emportera, par voie de conséquence, cassation du chef de dispositif portant condamnation pécuniaire attaqué par le présent moyen, en vertu de l'article 624 du code de procédure civile.
SEPTIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné monsieur J... E..., solidairement avec madame R... P..., à verser à madame V... la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale ;
AUX MOTIFS QU'il serait aussi ajouté la somme de 500 euros en réparation du nécessaire préjudice résultant du défaut d'organisation des visites médicales ou périodiques (arrêt, p. 8) ;
ALORS QUE tout manquement de l'employeur ne cause pas nécessairement un préjudice au salarié, de sorte qu'il appartient au juge de caractériser le préjudice subi par le salarié en suite dudit manquement ; qu'en retenant au contraire que le défaut d'organisation des visites médicales causerait nécessairement un préjudice au salarié, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE la qualification d'employeur de monsieur E... est le soutien indispensable de toute condamnation à sa charge au titre du contrat de travail, de sorte qu'en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant les diverses dispositions de l'arrêt, la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de cette qualification d'employeur, emportera, par voie de conséquence, cassation du chef de dispositif portant condamnation pécuniaire attaqué par le présent moyen, en vertu de l'article 624 du code de procédure civile.
HUITIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné monsieur J... E..., solidairement avec madame R... P..., à verser à madame V... la somme de 15 198 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;
AUX MOTIFS QU'au vu de ce qui précédait, madame V... était fondée à demander additionnellement l'indemnité pour travail dissimulé prévue par l'article L. 8223-1 du code du travail à hauteur de 15 198 euros représentant six mois de salaires ; qu'au contraire de ce que soutenait madame R... P..., l'élément intentionnel des deux employeurs – leurs échanges de mails faisaient ressortir leur conscience conjointe de ne pas faire figurer toutes les heures accomplies sur les bulletins de paye – était suffisamment caractérisé ; que celui cité ci-avant du 21 septembre 2011 était éloquent ; que le 18 janvier 2011, répondant à monsieur E... qui envisageait d'augmenter le salaire de madame V... (mais sans s'inquiéter de la durée de travail effectif), madame R... P... écrivait : « Tu fais comme bon te semble sur l'augmentation ; il m'apparaît au demeurant que si l'on ajoute le logement, les repas qu'elle prend à la maison et les 17 semaines de vacances à sa rémunération on frôle l'indécence. Si tu souhaites c'est ton problème pas le mien » ; que madame R... P... et monsieur E... seraient donc in solidum condamnés à ce titre (arrêt, pp. 6 et 7) ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la dissimulation d'emploi salarié n'est caractérisée que si l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que les échanges de courriers électroniques entre monsieur E... et madame R... P... faisaient ressortir leur prétendue conscience conjointe de ne pas faire figurer sur les bulletins de paie toutes les heures accomplies par la salariée, que le courrier électronique en date du 21 septembre 2011 était éloquent, sans préciser en quoi cette pièce aurait laissé apparaître une dissimulation intentionnelle d'emploi salarié, la cour d'appel a violé l'article L. 8221-5 du code du travail ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE par un courrier électronique en date du 18 janvier 2011, madame R... P... écrivait à monsieur E... : « Tu fais comme bon te semble sur l'augmentation ; il m'apparaît au demeurant que si l'on ajoute le logement, les repas qu'elle prend à la maison et les 17 semaines de vacances à sa rémunération on frôle l'indécence. Si tu souhaites c'est ton problème pas le mien » ; qu'il ne résultait pas de ce courrier électronique que monsieur E... ou madame R... P... auraient entendu dissimuler le nombre d'heures de travail réellement accomplies par madame V... ; qu'en retenant néanmoins que les échanges de courriers électroniques entre monsieur E... et madame R...-P... auraient fait ressortir leur prétendue conscience conjointe de ne pas faire figurer sur les bulletins de paie toutes les heures accomplies par la salariée, la cour d'appel a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
ALORS, DE SURCROIT, QUE la qualification d'employeur de monsieur E... est le soutien indispensable de toute condamnation à sa charge au titre du contrat de travail, de sorte qu'en l'état du lien de dépendance nécessaire unissant les diverses dispositions de l'arrêt, la cassation à intervenir sur le premier moyen du présent pourvoi, du chef de cette qualification d'employeur, emportera, par voie de conséquence, cassation du chef de dispositif portant condamnation pécuniaire attaqué par le présent moyen, en vertu de l'article 624 du code de procédure civile. | Si les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999, il n'en va pas de même de celles de l'article L. 3171-4 du code du travail relatives à la preuve de l'existence ou du nombre des heures effectuées.
Doit en conséquence être approuvée une cour d'appel qui a fait ressortir que la demande du salarié était fondée sur des éléments suffisamment précis quant aux heures qu'il prétendait avoir accomplies, afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre en produisant ses propres éléments.
Consécutivement, elle a souverainement évalué les créances salariales se rapportant aux heures supplémentaires et de nuit effectuées au-delà de l'horaire hebdomadaire de 40 heures de travail effectif, ainsi qu'aux congés payés afférents |
462 | SOC.
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 677 FS-P+B
sur premier moyen
Pourvoi n° G 18-21.584
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
M. E... B..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° G 18-21.584 contre l'arrêt rendu le 18 avril 2018 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme U... K..., domiciliée [...], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. B..., de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme K..., et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Mme Mariette, conseillers, M. David, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 18 avril 2018), Mme K... a été engagée le 1er mars 2013 par M. B... en qualité d'employée de maison dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée à temps partiel. La relation de travail est soumise à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.
2. Ayant pris acte de la rupture de son contrat le 29 septembre 2014, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes en requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse, de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein et en paiement de sommes au titre de l'exécution et de la rupture de la relation contractuelle.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps complet à compter du 1er octobre 2013 et de le condamner au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire pour la période du 1er octobre 2013 au 29 septembre 2014, outre les congés payés afférents, alors « que les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et au temps partiel ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 ; qu'en requalifiant en l'espèce le contrat de travail de l'employée de maison à temps partiel en contrat de travail à temps plein au motif pris de la violation de l'article L. 3123-17 du code du travail en raison du dépassement de la durée légale du travail sur deux mois, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-17, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L. 7221-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et L. 7221-2, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail, ensemble la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3123-14 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n°2008-789 du 20 août 2008, L. 3123-17 et L. 7221-1 du même code, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L. 7221-2 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011, et la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 :
4. Aux termes du quatrième de ces textes, sont seules applicables au salarié défini à l'article L. 7221-1 les dispositions relatives :
1° Au harcèlement moral, prévues aux articles L. 1152-1 et suivants, au harcèlement sexuel, prévues aux articles L. 1153-1 et suivants ainsi qu'à l'exercice en justice par les organisations syndicales des actions qui naissent du harcèlement en application de l'article L. 1154-2 ;
2° A la journée du 1er mai, prévues par les articles L. 3133-4 à L. 3133-6 ;
3° Aux congés payés, prévues aux articles L. 3141-1 à L. 3141-33, sous réserve d'adaptation par décret en Conseil d'Etat ;
4° Aux congés pour événements familiaux, prévues à la sous-section 1 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie ;
5° A la surveillance médicale définie au titre II du livre VI de la quatrième partie.
5. Selon le premier texte, le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit. Il mentionne, notamment, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au-delà de la durée de travail fixée par le contrat.
6. Selon le deuxième texte, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié à temps partiel au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement.
7. Selon l'article 15 de la convention collective applicable, tout salarié dont la durée normale de travail calculée sur une base hebdomadaire, ou en moyenne sur une période d'emploi pouvant aller jusqu'à 1 an, est inférieure à 40 heures hebdomadaires, est un «travailleur à temps partiel ». [...]
La durée conventionnelle du travail effectif est de 40 heures hebdomadaires pour un salarié à temps plein.
8. Il résulte de la combinaison des articles L. 3123-14 et L. 7221-2 du code du travail que les dispositions de ce code relatives à la durée du travail et au travail à temps partiel ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.
9. Pour requalifier le contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps complet à compter du 1er octobre 2013 et condamner en conséquence l'employeur à payer un rappel de salaire, outre les congés payés afférents, l'arrêt retient qu'à l'appui du manquement reproché à son employeur, la salariée produit ses bulletins de paie des mois d'octobre et de décembre 2013 faisant état respectivement de 159 heures et de 152 heures 50 effectuées soit 7 h 33 et 0 h 83 d'heures complémentaires rémunérées à 25 %, qu'elle soutient qu'ayant travaillé durant un mois au-delà de la durée légale du travail, elle doit bénéficier d'une requalification de son contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet et qu'elle est en droit de revendiquer un rappel de salaire pendant les périodes intercalaires ou interstitielles (périodes non travaillées).
10. Il ajoute qu'aux termes de l'article L. 3123-17 alinéa 2 du code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement, peu importe que le passage temporaire à temps complet résulte d'un commun accord voire qu'il procède d'une demande pressante du salarié, que le contrat de travail, à temps partiel, que ce soit dans ses mentions ou dans les modalités de son exécution, doit assurer à son titulaire une prévisibilité de son temps de travail qui le mette à même d'exercer un autre emploi ou de se consacrer à sa vie familiale et personnelle, ce qui exclut que ses horaires soient soumis à d'importantes variations, que dans l'hypothèse où la durée du travail a été portée temporairement au niveau de la durée légale ou conventionnelle, le salarié peut obtenir la requalification de son contrat de travail à temps partiel en un contrat de travail à temps complet et ce à compter de la première irrégularité, qu'aucune disposition légale, réglementaire, conventionnelle ou interprétation jurisprudentielle ne prévoit l'exclusion des services aux personnes à leur domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales tels que définit par l'article L.7231-1 du code du travail de ces dispositions, qu'en l'espèce il résulte de l'examen du bulletin de paie du mois d'octobre 2013 que la salariée a vu la durée de son travail portée temporairement au-delà de la durée légale du travail, que cette irrégularité a été commise une seconde fois en décembre 2013.
11. Il conclut qu'elle est en droit de solliciter la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet à compter du 1er octobre 2013 et d'obtenir un rappel de salaire à partir de cette période.
12. En statuant comme elle l'a fait, alors, d'une part, qu'un employé de maison travaillant au domicile privé de son employeur ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre de la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que les heures de travail accomplies par la salariée avaient été rémunérées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation à intervenir sur le premier moyen du chef de l'arrêt requalifiant le contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps plein et condamnant l'employeur au paiement d'un rappel de salaire entraîne, par voie de conséquence, celle des chefs de l'arrêt visés par le deuxième moyen, pris en sa première branche, et troisième moyen, relatifs à la rupture du contrat de travail.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne Mme K... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. B...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR requalifié le contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps complet à compter du 1er octobre 2013 et d'AVOIR condamné M. B... au paiement de la somme de 2.429,51 euros brut à titre de rappel de salaire pour la période du 1er octobre 2013 au 29 septembre 2014, outres les sommes de 242,95 euros brut à titre de congés payés afférents et de 1.500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit, dans le contraire, d'une démission, qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve d'un manquement suffisamment grave de l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail. En l'espèce madame K... a informé son employeur de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par lettre recommandée avec avis de réception le 29 septembre 2014 dont la teneur était la suivante :... il m 'apparaît clairement que certains de vos agissements à mon égard sont d'une légèreté certaine à savoir l'oubli de verser un élément de salaire et ce malgré mes deux courriers simples rester sans réponse. Ces actes prohibés par le code du travail, viennent en violation de vos obligations légales et réglementaires et je considère qu'ils sont constitutifs d'une grave défaillance à vos devoirs à mon égard Je me vois placée dans l'impossibilité de poursuivre mon contrat de travail. Par la présente, je prends actes de rupture de mon contrat de travail, laquelle me libère de mes obligations à votre égard et de toute période de préavis ... de plus je vous informe de la saisine du conseil de prud'hommes de Creil afin qu'il soit jugé que cette prise d'acte de la rupture a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse... ". Cette prise d'acte faisait suite à deux courriers adressés à l'employeur les 15 mars et 5 juillet 2014 dans lesquels madame K... indiquait avoir effectué depuis le 1er juin 2013 de nombreuses heures complémentaires non rémunérées au taux légal. Le 2 octobre 2014 monsieur B... a répondu à madame K..., faisant valoir d'une part qu'il n'avait pas été destinataire des courriers précédents évoqués, d'autre part qu'elle n'avait pas justifié du motif de son absence depuis le 29 septembre 2014 et enfin que la salariée n'évoquait pas de faits précis sur le prétendu "oubli de verser un élément de salaire". II considérait ce courrier comme une démission et sollicitait dans le cadre du litige prud'homal évoqué le paiement du préavis non effectué. A l'appui du manquement reproché à son employeur, madame K... produit ses bulletins de paie des mois d'octobre et de décembre 2013 faisant état respectivement de 159 heures et de 152 heures 50 effectuées soit 7h33 et 0h 83 d'heures complémentaires rémunérées à 25 % . Elle soutient qu'ayant travaillé durant un mois au-delà de la durée légale du travail, elle doit bénéficier d'une requalification de son contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet et qu'elle est en droit de revendiquer un rappel de salaire pendant les périodes intercalaires ou interstitielles (périodes non travaillées). Au terme de l'article L3123-17 alinéa 2 du code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement, peu importe que le passage temporaire à temps complet résulte d'un commun accord voire qu'il procède d'une demande pressante du salarié. Le contrat de travail, à temps partiel, que ce soit dans ses mentions ou dans les modalités de son exécution, doit assurer à son titulaire une prévisibilité de son temps de travail qui le mette à même d'exercer un autre emploi ou de se consacrer à sa vie familiale et personnelle, ce qui exclut que ses horaires soient soumis à d'importantes variations. Dans l'hypothèse où la durée du travail a été portée temporairement au niveau de la durée légale ou conventionnelle, le salarié peut obtenir la requalification de son contrat de travail à temps partiel en un contrat de travail à temps complet et ce à compter de la première irrégularité, qu'aucune disposition légale, réglementaire, conventionnelle ou interprétation jurisprudentielle ne prévoit l'exclusion des services aux personnes à leur domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales tels que définit par l'article L723l-1 du code du travail de ces dispositions. En l'espèce il résulte de l'examen du bulletin de paie du mois d'octobre 2013 que madame K... a vu sa durée de son travail portée temporairement au-delà de la durée légale du travail, que cette irrégularité a été commise une seconde fois en décembre 2013, qu'elle est en droit de solliciter la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet à compter du 1er octobre 2013 et d'obtenir un rappel de salaire à partir de cette période. II sera alloué à ce titre à madame K... la somme qui sera indiquée dans le dispositif de l'arrêt, correspondant à la différence entre le temps complet et le temps effectivement effectué, en tenant compte toutefois des mois d'octobre et de décembre 2013 où la salariée a effectué plus de 151 heures 61 et du fait qu'elle a cessé de travailler à compter du 10 septembre 2014 date du début de son arrêt maladie soit la différence entre la somme de 13 420 euros brut perçue et celle de 15849,51 euros brut qu'elle aurait dû percevoir à savoir 2429,51 euros brut. (...) - sur les frais irrépétibles et dépens: II paraît inéquitable de laisser à la charge de madame K... les frais irrépétibles exposés par elle pour l'ensemble de l'instance et il convient, de lui accorder à ce titre la somme qui sera indiquée dans le dispositif. Monsieur B..., partie succombant, sera condamné aux dépens de l'ensemble de la procédure et sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée» ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « La Cour de Cassation - chambre sociale dans son audience publique du mercredi 12 mars 2014 (N° de pourvoi: 12-15014) a rendu l'arrêt suivant : « Sur le moyen unique : Attendu selon l'arrêt attaqué (Montpellier, le 4 janvier 2012), que Mme X.. a été engagée le 19 octobre 2002, suivant contrat de travail à temps partiel, par l'association ADMR Agde Bessan en qualité d'aide à domicile ; que son horaire mensuel ayant, au cours du mois d'octobre 2004, dépassé la durée légale du travail, la salariée a saisi en juillet 2009 la juridiction prud'homale d'une demande de requalification du contrat à temps partiel en un contrat à temps complet à compter du 1er octobre 2004 ;Attendu que l'association ADMR Agde Bessan fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande et de la condamner au paiement d'un rappel de salaire sur la base d'un temps complet depuis cette date alors, selon le moyen, que la requalification du contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en un contrat à durée indéterminée à temps complet suppose que le salarié, en raison des modifications fréquentes, sinon incessantes, apportées par l'employeur à son temps de travail, est dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il doit travailler, de sorte qu'il doit se tenir à la disposition constante de son employeur; qu'en requalifiant le contrat de travail de Mme .. en contrat à temps complet sans s'interroger, comme l'y invitait l'association ADMR Agde Bessan, si le dépassement de la durée légale de travail pour le seul mois d'octobre 2004, suivi de la signature par la salariée d'un nouvel avenant du 29 août 2008, soit quatre ans après pour un autre temps partiel, n'impliquait pas que Mme X.., dont les horaires contractuels de travail à temps partiel ont par ailleurs été toujours respectés, avait donné son accord pour cette unique modification d'octobre 2004 et ne s'était ainsi jamais trouvée à la disposition de l'association ADMR Adge Bessan depuis cette dates dont il résulterait que ce dépassement de la durée légale de travail, isolé - un mois sur huit années de relations contractuelles au moins -, ne pouvait avoir pour conséquence qu'un complément de salaire pour la période d'un mois considérée ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel de Montpellier a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3123-17 du code du travail »; Mais attendu qu'ayant constaté que le recours par l'employeur à des heures complémentaires avait pour effet de porter, fût-ce pour une période limitée au mois d'octobre 2004, la durée de travail de la salariée au-delà de la durée légale, la cour d'appel a, par ce seul motif légalement justifié sa décision » ;Attendu que Madame U... K... a signé un contrat à durée déterminée sur la base de 72 heure mensuelles le 1er mars 2013 en remplacement pour raison de maladie de la titulaire du poste qui bénéficie d'un contrat à durée indéterminée ; Attendu que les fiches de paie produites par Madame U... K... montrent que le contrat a normalement été exécuté par les deux parties pour cette période ; Attendu que Madame U... K... a signé un nouveau contrat à durée déterminée sur la base de 32 heures mensuelles le 1er juin 2013 toujours en remplacement pour raison de maladie de la titulaire du poste qui bénéficie d'un contrat durée indéterminée ; Attendu que les fiches de paie produites par Madame U... K... attestent que le contrat n'a pas été exécuté correctement dans les mois qui suivent ce nouveau contrat avec des variations situées dans la fourchette de 72 à 159 heures mensuelles ; Attendu que les fiches de paie présentées sont établies par une structure spécialisée sous le contrôle de Monsieur E... B... et hors du contrôle de Madame U... K... ; Attendu que par courrier simple daté du 15 mars 2014, Madame U... K... alerte son employeur Monsieur E... B... sur les dépassements d'horaires et demande la régularisation des heures complémentaires effectuées ; Attendu que sans réponse de son employeur, par courrier simple daté du 15 juillet 2014, Madame U... K... réitère sa demande de paiement de ses heures complémentaires (pièce n°6 du demandeur) ; Il conviendra de requalifier le contrat de travail à durée déterminée à temps partiel de Madame U... K... en contrat à durée déterminée à temps plein » ;
ALORS QUE les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et au temps partiel ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 ; qu'en requalifiant en l'espèce le contrat de travail de l'employée de maison à temps partiel en contrat de travail à temps plein au motif pris de la violation de l'article L. 3123-17 du code du travail en raison du dépassement de la durée légale du travail sur deux mois, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-17, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L. 7221-1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et L. 7221-2, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail, ensemble la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 ;
ALORS, subsidiairement, QUE les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement ; que l'article 15 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 fixe la durée conventionnelle hebdomadaire d'un travail à temps plein à 40 heures ; qu'en jugeant que l'employée de maison avait dépassé sur deux mois la durée légale de travail en travaillant 159 heures au mois d'octobre 2013 et 152,50 heures au mois de décembre 2013, cependant que, dans ces deux cas, elle n'avait pas dépassé la durée hebdomadaire conventionnelle de travail de 40 heures qui lui était applicable, soit 173,33 heures par mois, de sorte qu'elle demeurait salariée à temps partiel en application de la convention collective nationale du particulier employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 3123-17 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et l'article 15 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR, par conséquent, condamné l'exposant au paiement des sommes de 538,32 euros à titre d'indemnité de licenciement, de 1.668,37 euros brut à titre de rappel sur l'indemnité de préavis, de 166, 83 euros brut à titre de congés payés sur préavis et de 3. 400 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre le paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit, dans le contraire, d'une démission, qu'il appartient au salarié de rapporter la preuve d'un manquement suffisamment grave de l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail. En l'espèce madame K... a informé son employeur de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par lettre recommandée avec avis de réception le 29 septembre 2014 dont la teneur était la suivante :... il m'apparaît clairement que certains de vos agissements à mon égard sont d'une légèreté certaine à savoir l'oubli de verser un élément de salaire et ce malgré mes deux courriers simples rester sans réponse. Ces actes prohibés par le code du travail, viennent en violation de vos obligations légales et réglementaires et je considère qu'ils sont constitutifs d'une grave défaillance à vos devoirs à mon égard Je me vois placée dans l'impossibilité de poursuivre mon contrat de travail. Par la présente, je prends actes de rupture de mon contrat de travail, laquelle me libère de mes obligations à votre égard et de toute période de préavis ... de plus je vous informe de la saisine du conseil de prud'hommes de Creil afin qu'il soit jugé que cette prise d'acte de la rupture a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse... ". Cette prise d'acte faisait suite à deux courriers adressés à l'employeur les 15 mars et 5 juillet 2014 dans lesquels madame K... indiquait avoir effectué depuis le 1er juin 2013 de nombreuses heures complémentaires non rémunérées au taux légal. Le 2 octobre 2014 monsieur B... a répondu à madame K..., faisant valoir d'une part qu'il n'avait pas été destinataire des courriers précédents évoqués, d'autre part qu'elle n'avait pas justifié du motif de son absence depuis le 29 septembre 2014 et enfin que la salariée n'évoquait pas de faits précis sur le prétendu "oubli de verser un élément de salaire". II considérait ce courrier comme une démission et sollicitait dans le cadre du litige prud'homal évoqué le paiement du préavis non effectué. A l'appui du manquement reproché à son employeur, madame K... produit ses bulletins de paie des mois d'octobre et de décembre 2013 faisant état respectivement de 159 heures et de 152 heures 50 effectuées soit 7h33 et 0h 83 d'heures complémentaires rémunérées à 25 % . Elle soutient qu'ayant travaillé durant un mois au-delà de la durée légale du travail, elle doit bénéficier d'une requalification de son contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet et qu'elle est en droit de revendiquer un rappel de salaire pendant les périodes intercalaires ou interstitielles (périodes non travaillées). Au terme de l'article L3123-17 alinéa 2 du code du travail, les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement, peu importe que le passage temporaire à temps complet résulte d'un commun accord voire qu'il procède d'une demande pressante du salarié. Le contrat de travail, à temps partiel, que ce soit dans ses mentions ou dans les modalités de son exécution, doit assurer à son titulaire une prévisibilité de son temps de travail qui le mette à même d'exercer un autre emploi ou de se consacrer à sa vie familiale et personnelle, ce qui exclut que ses horaires soient soumis à d'importantes variations. Dans l'hypothèse où la durée du travail a été portée temporairement au niveau de la durée légale ou conventionnelle, le salarié peut obtenir la requalification de son contrat de travail à temps partiel en un contrat de travail à temps complet et ce à compter de la première irrégularité, qu'aucune disposition légale, réglementaire, conventionnelle ou interprétation jurisprudentielle ne prévoit l'exclusion des services aux personnes à leur domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales tels que définit par l'article L723l-1 du code du travail de ces dispositions. En l'espèce il résulte de l'examen du bulletin de paie du mois d'octobre 2013 que madame K... a vu sa durée de son travail portée temporairement au-delà de la durée légale du travail, que cette irrégularité a été commise une seconde fois en décembre 2013, qu'elle est en droit de solliciter la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet à compter du 1er octobre 2013 et d'obtenir un rappel de salaire à partir de cette période. II sera alloué à ce titre à madame K... la somme qui sera indiquée dans le dispositif de l'arrêt, correspondant à la différence entre le temps complet et le temps effectivement effectué, en tenant compte toutefois des mois d'octobre et de décembre 2013 où la salariée a effectué plus de 151 heures 61 et du fait qu'elle a cessé de travailler à compter du 10 septembre 2014 date du début de son arrêt maladie soit la différence entre la somme de 13 420 euros brut perçue et celle de 15849,51 euros brut qu'elle aurait dû percevoir à savoir 2429,51 euros brut. En l'état, madame K... a pu légitimement déduire de ces circonstances l'existence de manquements de son employeur a ses obligations légales d'une gravité suffisante pour justifier une prise d'acte de la rupture des relations de travail devant produire tous les effets attachés à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Madame K... est par conséquent, en droit de prétendre, à hauteur des sommes qui seront indiquées dans le dispositif, aux indemnités de rupture, indemnité compensatrice de préavis, et congés payés afférents, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de congés payés ainsi qu'à des dommages-intérêts au titre du caractère illégitime de la rupture en tenant compte du salaire mensuel de référence de 1668, 37 euros brut non utilement contredit par l'employeur. Justifiant d'une ancienneté inférieure à deux ans, la salariée peut prétendre à l'indemnisation du caractère illégitime de son licenciement sur le fondement de l'article L.1235-5 du code du travail. En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge, à l'ancienneté de ses services, à sa formation, et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l'arrêt. II convient de débouter monsieur B... de sa demande relative au non-respect du préavis de démission. La cour rappelle que le présent arrêt, qui infirme partiellement la décision de première instance, ouvre droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement et que les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution. - sur les frais irrépétibles et dépens: II paraît inéquitable de laisser à la charge de madame K... les frais irrépétibles exposés par elle pour l'ensemble de l'instance et il convient, de lui accorder à ce titre la somme qui sera indiquée dans le dispositif. Monsieur B..., partie succombant, sera condamné aux dépens de l'ensemble de la procédure et sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « La Cour de Cassation - chambre sociale dans son audience publique du mercredi 12 mars 2014 (N° de pourvoi: 12-15014) a rendu l'arrêt suivant : « Sur le moyen unique : Attendu selon l'arrêt attaqué (Montpellier, le 4janvier 2012), que Mme X.. a été engagée le 19 octobre 2002, suivant contrat de travail à temps partiel, par l'association ADMR Agde Bessan en qualité d'aide à domicile ; que son horaire mensuel ayant, au cours du mois d'octobre 2004, dépassé la durée légale du travail, la salariée a saisi en juillet 2009 la juridiction prud'homale d'une demande de requalification du contrat à temps partiel en un contrat à temps complet à compter du 1er octobre 2004 ;Attendu que l'association ADMR Agde Bessan fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande et de la condamner au paiement d'un rappel de salaire sur la base d'un temps complet depuis cette date alors, selon le moyen, que la requalification du contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en un contrat à durée indéterminée à temps complet suppose que le salarié, en raison des modifications fréquentes, sinon incessantes, apportées par l'employeur à son temps de travail, est dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il doit travailler, de sorte qu'il doit se tenir à la disposition constante de son employeur; qu'en requalifiant le contrat de travail de Mme .. en contrat à temps complet sans s'interroger, comme l'y invitait l'association ADMR Agde Bessan, si le dépassement de la durée légale de travail pour le seul mois d'octobre 2004, suivi de la signature par la salariée d'un nouvel avenant du 29 août 2008, soit quatre ans après pour un autre temps partiel, n'impliquait pas que Mme X.., dont les horaires contractuels de travail à temps partiel ont par ailleurs été toujours respectés, avait donné son accord pour cette unique modification d'octobre 2004 et ne s'était ainsi jamais trouvée à la disposition de l'association ADMR Adge Bessan depuis cette dates dont il résulterait que ce dépassement de la durée légale de travail, isolé - un mois sur huit années de relations contractuelles au moins -, ne pouvait avoir pour conséquence qu'un complément de salaire pour la période d'un mois considérée ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel de Montpellier a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3123-17 du code du travail »; Mais attendu qu'ayant constaté que le recours par l'employeur à des heures complémentaires avait pour effet de porter, fût-ce pour une période limitée au mois d'octobre 2004, la durée de travail de la salariée au-delà de la durée légale, la cour d'appel a, par ce seul motif légalement justifié sa décision » ;Attendu que Madame U... K... a signé un contrat à durée déterminée sur la base de 72 heure mensuelles le 1er mars 2013 en remplacement pour raison de maladie de la titulaire du poste qui bénéficie d'un contrat à durée indéterminée ; Attendu que les fiches de paie produites par Madame U... K... montrent que le contrat a normalement été exécuté par les deux parties pour cette période ; Attendu que Madame U... K... a signé un nouveau contrat à durée déterminée sur la base de 32 heures mensuelles le 1er juin 2013 toujours en remplacement pour raison de maladie de la titulaire du poste qui bénéficie d'un contrat durée indéterminée ; Attendu que les fiches de paie produites par Madame U... K... attestent que le contrat n'a pas été exécuté correctement dans les mois qui suivent ce nouveau contrat avec des variations situées dans la fourchette de 72 à 159 heures mensuelles ; Attendu que les fiches de paie présentées sont établies par une structure spécialisée sous le contrôle de Monsieur E... B... et hors du contrôle de Madame U... K... ; Attendu que par courrier simple daté du 15 mars 2014, Madame U... K... alerte son employeur Monsieur E... B... sur les dépassements d'horaires et demande la régularisation des heures complémentaires effectuées ; Attendu que sans réponse de son employeur, par courrier simple daté du 15 juillet 2014, Madame U... K... réitère sa demande de paiement de ses heures complémentaires (pièce n°6 du demandeur) ; Il conviendra de requalifier le contrat de travail à durée déterminée à temps partiel de Madame U... K... en contrat à durée déterminée à temps plein ». Attendu que le code du travail précise par son article L. 1222-1 : « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi.» Attendu que le code civil dispose dans son article 1102 : «Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres. » ; Attendu que le code civil dispose dans son article 1184 que : « La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. » ; Attendu que dans son arrêt du 21 décembre 2006 (N° de pourvoi : 04-43886). la Cour de cassation précise dans ses attendus : «Qu'un salarié qui agit en justice contre son employeur en exécution d'une obligation née du contrat de travail peut toujours prendre acte de la rupture du contrat, que ce soit en raison des faits dont il a saisi le Conseil de prud'hommes ou pour d'autres faits. Qu'une telle prise d'acte produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, Soit, dans le cas contraire, d'une démission »; Attendu que la Cour de cassation - chambre sociale en son audience publique du mercredi 30 mai 2007 (N° de pourvoi : 06-41240) précise dans ses attendus : «Mais attendu qu'en application de l'article L. 1243-1 du code du travail, lorsqu'un salarié rompt le contrat de travail à durée déterminée et qu'il invoque des manquements de l'employeur, il incombe au juge de vérifier si les faits invoqués sont ou non constitutifs d'une faute grave »; Attendu que la Cour de cassation - chambre sociale en son audience publique du mardi 15 mars 2005 (N0 de pourvoi :03-41555) a rendu l'arrêt suivant: «Sur le moyen unique: Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 20 décembre2002), que Mlle X.., qui avait été engagée le 1er avril 1999 par la société Domenico en qualité de serveuse, a saisi le 17 juillet 2001 la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur avec paiement de diverses indemnités de rupture; Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt confirmatif d'avoir prononcé la résiliation judiciaire à ses torts et de l'avoir condamné à payer des indemnités à ce titre alors, selon le moyen: 1 / que la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur ne peut être prononcée qu'à raison d'un manquement de l'employeur à une obligation déterminée présentant une certaine gravité et rendant impossible la poursuite des relations de travail ; Mais attendu qu'il relève du pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier si l'inexécution de certaines des obligations résultant d'un contrat synallagmatique présente une gravité suffisante pour en justifier la résiliation (
) Attendu que Madame U... K... a signé un nouveau contrat à durée déterminée sur la base de 32 heures mensuelles le 1er juin 2013 ; Attendu que les fiches de paie produites par Madame U... K... attestent que les heures travaillées varient dans la fourchette de 72 à 159 heures mensuelles ; Attendu que les fiches de paie de Madame U... K... ne font jamais mention d'heures complémentaires, alors que le nombre d'heures réellement travaillées excède largement l'horaire prévu au contrat de travail ; Attendu que les fiches de paie présentées sont établies par une structure spécialisée sous le contrôle de Monsieur E... B... et hors du contrôle de Madame U... K... ; Attendu que par courrier recommandé daté de 29 septembre 2014, Madame U... K... informé Monsieur E... B... à son domicile de Lamorlaye (France) et à son domicile de Bruxelles (Belgique, de sa décision de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail au motif que Monsieur E... B... ne répond pas à ses courriers et ne respecte pas ses obligations légales (pièce n°8 du demandeur); Attendu que par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 2 octobre 2014, Monsieur E... B... répond à Madame U... K... et conteste les arguments présentés par Madame U... K... ayant abouti à sa décision de prise d'acte de rupture de son contrat de travail (pièce n°9 du demandeur); Attendu que Monsieur E... B... évoque dans son courrier : « (
) ou encore l'oubli prétendu de viser un élément de salaire, lequel.... » au regard des heures complémentaires non mentionnées dans les fiches de paie de Madame U... K... ; II conviendra de prendre acte de la prise d'acte de rupture du contrat de travail de Madame U... K... qui est qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse ; Sur la somme de 538,32 Euros à titre d'indemnité de licenciement ; la somme de 1.668,37 Euros à titre de rappel sur l'indemnité de préavis ; la somme de 166.83 Euros au titre des congés payés sur préavis : (
) Attendu que Madame U... K... a signé son premier contrat le 1er mars 2013 et son contrat a été rompu par la prise d'acte de rupture de son contrat de travail en octobre 2013 à la fin de son préavis ; Attendu que l'ancienneté de Madame U... K... est de 17 mois; Attendu que l'indemnité de licenciement est calculée sur la base d'un coefficient de 0,31667 applicable sur son salaire mensuel reconstitué ; Attendu que Madame U... K... bénéficie d'un préavis d'un mois puisque son ancienneté est inférieure à deux ans ; Attendu que les congés payés sont dus sur le préavis ; II conviendra de condamner Monsieur E... B... à payer à Madame U... K... la somme de 538,32€ à titre d'indemnité de licenciement ; la somme de 1.668,37€ à titre de rappel sur l'indemnité de préavis et la somme de 166,83€ au titre des congés payés sur préavis » ;
ALORS, premièrement, QUE la cassation à intervenir sur le fondement du premier moyen, du chef de l'arrêt attaqué ayant requalifié le contrat de travail de la salariée à temps partiel en contrat à temps plein, entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, l'annulation du chef de dispositif de l'arrêt ayant décidé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par la salariée produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, motif pris de la requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps plein ;
ALORS, deuxièmement, QUE la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle sérieuse en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur ayant empêché la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que la salariée a dénoncé le dépassement de la durée légale du travail les mois d'octobre et de décembre 2013 seulement le 29 septembre 2014, soit près d'un an après la première irrégularité ; qu'en jugeant néanmoins que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, cependant que les irrégularités dénoncés par la salariée n'avaient nullement empêché la poursuite du contrat de travail pendant près d'un an, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qu'imposaient ses propres constatations, a violé les articles L. 1222-1, L. 1231-1 et L. 1232-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS, troisièmement, QUE la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle sérieuse en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur ayant empêché la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce, en jugeant que les circonstances ayant justifié la requalification du contrat de travail à temps partiel de la salariée en contrat à temps plein caractérisaient l'existence de manquements de son employeur à ses obligations légales d'une gravité suffisante pour justifier une prise d'acte de la rupture du contrat de travail, sans rechercher, comme elle y était expressément invité par les conclusions oralement soutenues de l'employeur, si les faits anciens dénoncés par la salariée avaient empêché la poursuite normale des relations de travail pendant près d'un an, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1231-1 et L. 1232-1 du code du travail, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté l'exposant de sa demande d'indemnisation au titre du préavis de démission non-exécuté par la salariée ;
AUX MOTIFS QUE, aux termes de l'arrêt attaqué, « II convient de débouter monsieur B... de sa demande relative au non-respect du préavis de démission. » ;
ALORS QUE la cassation à intervenir sur le fondement du deuxième moyen, du chef de l'arrêt attaqué ayant jugé que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, l'annulation du chef de dispositif de l'arrêt ayant débouté l'exposant de sa demande d'indemnisation au titre du préavis de démission non-exécuté. | Il résulte de la combinaison des articles L. 3123-14 et L. 7221-2 du code du travail que les dispositions de ce code relatives à la durée du travail et au travail à temps partiel ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.
Encourt en conséquence la cassation l'arrêt qui, pour requalifier un contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet et condamner l'employeur à payer un rappel de salaire, à compter de la première irrégularité, retient que la durée du travail a été portée temporairement au niveau de la durée légale, alors, d'une part, qu'un employé de maison travaillant au domicile privé de son employeur ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre de la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat à temps complet et, d'autre part, qu'il résultait de ses constatations que les heures de travail accomplies par la salariée avaient été rémunérées |
463 | SOC.
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 678 FS-P+B
Pourvoi n° P 18-21.681
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
La société Rhenus Logistics Satl, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° P 18-21.681 contre l'arrêt rendu le 26 juin 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. P... G..., domicilié [...],
2°/ à Pôle emploi de Molsheim, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Rhenus Logistics Satl, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. G..., et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, M. Sornay, M. Rouchayrole, Mme Mariette, conseillers, M. David, Mmes Ala, Thomas-Davost, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 26 juin 2018), M. G... a été engagé le 29 octobre 2007 par la société Rhenus Logistics Satl en qualité de conducteur poids lourds.
2. Le salarié a été en arrêt à la suite d'un accident du travail, du 11 juillet au 18 octobre 2015.
3. Il a été licencié pour faute grave le 16 novembre 2015, aux motifs d'une absence injustifiée de longue durée à compter du jour de sa visite de reprise le 20 octobre 2015, et un refus d'appliquer les procédures internes de l'entreprise, pour avoir refusé de signer une fiche de demande de congés reportés et une fiche de demande de récupération imposés par l'employeur.
4. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en ses troisième à cinquième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié, de le condamner à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, au titre des retenues sur salaires afférentes à l'absence du salarié à compter du 20 octobre 2015, ainsi qu'à rembourser aux organismes payeurs les allocations de privation d'emploi servies au salarié dans la limite de six mois, alors :
« 1°/ que l'obligation pesant sur l'employeur d'organiser l'ordre des départs en congés et d'en avertir les salariés deux mois à l'avance et, à titre individuel, un mois à l'avance, sans être admis à imposer au salarié la prise de congés hors de la période légale ou conventionnelle ne concerne que le congé annuel légal ; que lorsque l'employeur et le salarié, de leur accord exprès, ont accepté le report du congé annuel d'une année sur l'autre, la détermination des dates de prise effective de ce congé reporté relève du pouvoir de direction de l'employeur ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, que les congés que la société Rhenus Logistics Satl avait prétendu imposer à M. G... le 20 octobre 2015, à l'issue de la suspension de son contrat de travail pour accident du travail, et jusqu'au 9 novembre suivant, et dont le refus avait justifié son licenciement, étaient des congés reportés et non son congé annuel légal, de sorte que l'employeur n'était soumis à aucun délai de prévenance ou obligation de respecter une période de prise de congés ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-3 et D. 3141-1 du code du travail ;
2°/ qu'il résulte des dispositions des articles L. 3121-24 et D. 3121-10 du code du travail que l'employeur peut, en l'absence de demande du salarié de prise de la contrepartie obligatoire en repos, imposer à ce salarié, dans le délai maximum d'un an, le ou les jours de prise effective de repos ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, qu'après refus, par M. G..., de la prise de congés payés reportés, la société Rhenus Logistics Satl lui avait demandé de prendre des congés de récupération, ce que ce dernier avait également refusé bien qu'il fût créancier de 796 heures à ce titre ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
7. Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, les droits à congés reportés ou acquis ont la même nature, de sorte que les règles de fixation de l'ordre des départs en congé annuel s'appliquent aux congés annuels reportés.
8. Ayant constaté qu'il résultait des termes de la lettre de licenciement que l'employeur avait entendu contraindre le salarié à prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés payés en retard, en lui imposant sans délai de prévenance de solder l'intégralité de ses congés reportés, la cour d'appel a pu en déduire que l'exercice abusif par l'employeur de son pouvoir de direction privait le refus du salarié de caractère fautif.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Rhenus Logistics Satl aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Rhenus Logistics Satl ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Rhenus Logistics Satl
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de M. G... par la société Rhenus logistics, condamné la société Rhenus logistics à verser à M. G... les sommes de 4 840,40 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents, 3 510,43 € à titre d'indemnité de licenciement, 29 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, 1 735,30 € au titre des retenues sur salaires afférentes à l'absence du salarié à compter du 20 octobre 2015, 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à rembourser aux organismes payeurs les allocations de privation d'emploi servies à M. G... dans la limite de six mois ;
AUX MOTIFS QUE "La lettre de licenciement est ainsi libellée :
"Monsieur,
Pour les motifs qui vous ont été exposés lors de votre entretien préalable du 10 novembre 2015 en présence de Monsieur Y... et pour lesquels vous n'avez pas fourni d'explication satisfaisante, nous entendons par la présente vous notifier votre licenciement pour faute grave.
Nous vous reprochons une absence injustifiée de longue durée et un refus d'appliquer les procédures internes de l'entreprise.
Vous étiez en arrêt suite à un accident du travail jusqu'au 19 octobre 2015. Vous avez passé une visite de reprise auprès du médecin du travail le 20 octobre 2015. Le jour même, vous avez déposé votre fiche d'aptitude au service exploitation.
A... B... vous a demandé de signer une fiche de congés : l'exploitation ne vous avait en effet pas intégré au planning, ne sachant pas si vous seriez apte à reprendre votre poste.
Vous avez refusé.
P... W... vous a formulé la même demande. Vous avez à nouveau refusé et vous avez quitté l'entreprise. Vous êtes revenu l'après-midi et avez refusé de signer une fiche de demande de récupération.
Lors de l'entretien préalable, vous avez confirmé votre refus. Vous estimez que les congés payés et les récupérations ne peuvent être imposés par l'employeur.
M. Y... a confirmé lors de l'entretien préalable que vous aviez déjà signé par le passé des feuilles de récupération à la demande de vos supérieurs hiérarchiques.
Au jour de votre reprise du travail le 20 octobre 2015, vous totalisiez 796 heures de récupération à prendre (le compteur est déjà majoré) et 24,5 jours de congés reportés en plus des congés acquis sur la nouvelle période.
Or, c'est à l'employeur de décider des dates de prises des congés reportés. Les heures de récupération sont elles aussi intégrées dans le planning établi par l'exploitation.
Vous ne pouviez pas, par conséquent, refuser de prendre les congés payés décidés par l'exploitation. L'explication qui vous a été donnée à votre retour est parfaitement légitime. En refusant de signer le document de demande de congés, vous avez tenté de porter atteinte à l'autorité qui s'attache à la fonction de vos supérieurs hiérarchiques.
Le document de demande de congés est conservé dans le dossier du salarié pour éviter tout litige ultérieur sur le nombre de jours de congés ou d'heures de récupération décomptées.
Vous avez refusé de vous conformer à la procédure interne. Votre licenciement prend effet ce jour (...)" ;
QUE "La cour rappelle que, s'il appartient à l'employeur de décider des périodes de congés de ses salariés dans l'exercice de son pouvoir de direction, il résulte également des articles L. 3141-1 et suivants du code du travail que l'employeur est tenu d'organiser les congés payés de ses salariés et de les mettre en mesure de prendre dans des conditions adaptées l'intégralité des congés auxquels ils ont droit ;
QU'en l'espèce, la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir correctement exercé ses prérogatives à ce titre et prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congés de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise suite à un accident du travail ;
QUE l'exercice, par l'employeur, de son pouvoir de direction apparaît dès lors abusif, ce qui suscite à tout le moins un doute sur le caractère fautif du refus par l'appelant de prendre ses congés et jours de récupération qui doit lui profiter ;
QUE par ailleurs, il est suffisamment établi que M. G... a quitté l'entreprise le jour de sa reprise parce qu'il n'avait pas été intégré au planning de travail par son employeur, ce qui caractérise un manquement de ce dernier à son obligation de fournir du travail à son salarié, étant observé que la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant ;
QU'il en résulte que le licenciement de M. G... est sans cause réelle et sérieuse. De même, la retenue sur salaire effectuée au titre de son absence à compter du 20 octobre 2015 est irrégulière ; que le jugement entrepris sera confirmé à ce titre (
)" (arrêt p. 4 alinéas 1 à 5).
1°) ALORS QUE l'obligation pesant sur l'employeur d'organiser l'ordre des départs en congés et d'en avertir les salariés deux mois à l'avance et, à titre individuel, un mois à l'avance, sans être admis à imposer au salarié la prise de congés hors de la période légale ou conventionnelle ne concerne que le congé annuel légal ; que lorsque l'employeur et le salarié, de leur accord exprès, ont accepté le report du congé annuel d'une année sur l'autre, la détermination des dates de prise effective de ce congé reporté relève du pouvoir de direction de l'employeur ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, que les congés que la société Rhenus logistics avait prétendu imposer à M. G... le 20 octobre 2015, à l'issue de la suspension de son contrat de travail pour accident du travail, et jusqu'au 9 novembre suivant, et dont le refus avait justifié son licenciement, étaient des congés reportés et non son congé annuel légal, de sorte que l'employeur n'était soumis à aucun délai de prévenance ou obligation de respecter une période de prise de congés ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les articles L. 3141-1, L. 3141-3 et D. 3141-1 du code du travail ;
2°) ALORS en outre QU' il résulte des dispositions des articles L. 3121-24 et D. 3121-10 du code du travail que l'employeur peut, en l'absence de demande du salarié de prise de la contrepartie obligatoire en repos, imposer à ce salarié, dans le délai maximum d'un an, le ou les jours de prise effective de repos ; qu'en l'espèce, il ressort des termes de la lettre de licenciement rappelés par la cour d'appel, comme des écritures des parties, qu'après refus, par M. G..., de la prise de congés payés reportés, la société Rhenus logistics lui avait demandé de prendre des congés de récupération, ce que ce dernier avait également refusé bien qu'il fût créancier de 796 heures à ce titre ; qu'en jugeant cependant que l'employeur était fautif pour n'avoir "pas prévu suffisamment à l'avance l'ordre et la période des départs en congé de ses salariés de manière à ce que M. G... ne soit pas contraint de prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés en retard, et ce le jour de sa reprise à la suite d'un accident du travail", la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°) ALORS subsidiairement QU'en matière de licenciement pour motif disciplinaire, la lettre de licenciement fixe les termes du litige quant aux faits reprochés et aux conséquences que l'employeur entend en tirer ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que la lettre de licenciement du 16 novembre 2015 reprochait au salarié, à titre de faute grave, d'avoir refusé, le jour de la visite de reprise, de prendre des congés payés reportés ou des jours de récupération que l'employeur entendait lui imposer à l'issue de son arrêt de travail pour accident du travail, motif pris que "l'exploitation ne [l'avait] pas intégré au planning, ne sachant pas [s'il serait] déclaré apte à reprendre son poste" ; qu'en retenant, pour exclure toute faute du salarié, un abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction, déduit de son manquement à une obligation générale de "prévoir suffisamment à l'avance l'ordre et la période de départ en congés de ses salariés" qui l'aurait conduit à imposer à M. G... de "prendre du jour au lendemain l'intégralité de ses congés en retard", la cour d'appel, qui a dénaturé les termes du litige, a violé les articles L. 1236-1 du code du travail, 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) ALORS subsidiairement QUE la bonne foi contractuelle est présumée ; que l'abus de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction ne peut résulter que de la démonstration par le salarié de ce qu'une décision a été prise pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise ou mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle ; qu'en prétendant déduire l'exercice abusif, par la société Rhenus logistics, de son pouvoir de direction dans la fixation des congés reportés de ce "
que
la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant" la cour d'appel, qui a renversé la charge de la preuve, a violé les articles L. 1222-1 du code du travail, 1134 devenu 1103 et 1104 et 1315 devenu 1353 du code civil ;
5°) ALORS très subsidiairement QUE l'employeur, tenu d'une obligation de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs que le médecin du travail est habilité à faire en application de l'article L. 4624-1 du code du travail ; qu'en retenant à l'appui de sa décision "
que la société Rhenus logistics ne justifie pas avoir été dans l'incapacité de prévoir ou d'intégrer à son planning le retour de l'appelant" sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette incapacité ne résultait pas de l'incertitude de l'employeur quant aux résultats de la visite de reprise et, après sa réalisation, des nécessités d'adapter l'organisation du travail aux restrictions d'aptitude émises par ce praticien, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. | Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, les droits à congés reportés ou acquis ont la même nature, de sorte que les règles de fixation de l'ordre des départs en congé annuel s'appliquent aux congés annuels reportés.
Doit en conséquence être approuvée une cour d'appel qui, ayant constaté qu'il résultait des termes de la lettre de licenciement que l'employeur avait entendu contraindre le salarié à prendre, du jour au lendemain, l'intégralité de ses congés payés en retard, en lui imposant sans délai de prévenance de solder l'intégralité de ses congés reportés, a pu en déduire que l'exercice abusif par l'employeur de son pouvoir de direction privait le refus du salarié de caractère fautif |
464 | SOC.
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 693 FS-P+B
Pourvoi n° H 18-15.603
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
1°/ la société Thomas Cook, société par actions simplifiée, dont le siège est [...],
2°/ la société BTSG, société civile professionnelle, dont le siège est [...], représentée par M. P... V..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Thomas Cook,
3°/ la société [...], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , représentée par M. I... K..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Thomas Cook,
ont formé le pourvoi n° H 18-15.603 contre l'arrêt rendu le 23 février 2018 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige les opposant à Mme F... Y..., domiciliée [...], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Richard, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Thomas Cook, des sociétés BTSG et [...], ès qualités, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme Y..., et l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Richard, conseiller rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, MM. Maron, Pietton, conseillers, Mmes Depelley, Duvallet, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Sur le moyen unique, qui est recevable :
Vu les articles 55.4, 58.1, 58.3 et 58.4 de la convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de tourisme du 12 mars 1993, dans sa rédaction en vigueur au 1er juillet 2014 ;
Attendu que selon le premier des textes susvisés, la commission de conciliation d'entreprise est appelée à formuler un avis sur les sanctions que l'employeur se propose d'infliger à un salarié, à l'exception de l'avertissement et du blâme ; que selon le second, les avis de la commission de conciliation sont formulés à la majorité des membres la constituant ; que selon l'article 58.3, en cas d'avis défavorable à la mesure disciplinaire envisagée à l'encontre du salarié, l'employeur conserve son droit d'appliquer la mesure ; qu'enfin, l'article 58.4 prévoit que les avis de la commission de conciliation d'entreprise sont consignés dans un document signé par ses membres, lequel sera notifié au salarié par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai maximum de cinq jours à compter du jour de la réunion de la commission ; la sanction éventuelle fera l'objet d'un envoi d'avis, la sanction pouvant prendre effet dès après la réunion de la commission et avant cette notification ;
Attendu selon l'arrêt attaqué, que Mme Y... a été engagée à compter du 1er janvier 1991 par la société Aquatour, aux droits de laquelle est venue la société Thomas Cook SAS, en qualité d'employée qualifiée selon contrat de travail régi par la convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyage et de tourisme du 12 mars 1993 et a été nommée à compter du 1er avril 2000 en qualité de responsable d'agence ; qu'elle a été licenciée pour faute grave le 19 décembre 2014 après que la commission de conciliation de l'entreprise, réunie à sa demande le 5 décembre 2014, a rendu à la majorité de ses membres un avis favorable au licenciement ; qu'elle a contesté celui-ci devant la juridiction prud'homale ; qu'un jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société Thomas Cook SAS le 28 novembre 2019, la société BTSG et la société [...] sont intervenues à la procédure en qualité de liquidateurs de cette société par conclusions de reprise d'instance du 27 mai 2020 ;
Attendu que pour dire le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à lui payer diverses sommes, l'arrêt retient que la transmission au salarié dans le délai de cinq jours à compter de la date de réunion de la commission de conciliation d'entreprise de l'avis de cette dernière, émargé par ses membres, constitue une garantie de fond dont la violation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'il ajoute que le procès-verbal n'ayant pas été signé par l'ensemble des membres de la commission et n'ayant pas été transmis à l'issue de la réunion à la salariée, la garantie de fond de la procédure conventionnelle a été méconnue ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ses constatations que le défaut de signature du procès-verbal par l'ensemble des membres de la commission et de transmission de celui-ci à l'issue de la réunion, qui ne constituent pas des garanties de fond, avaient porté atteinte aux droits de la défense de la salariée, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en ses dispositions ayant débouté Mme Y... de ses demandes en paiement de rappel de salaire ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier et préjudice moral, l'arrêt rendu le 23 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par le Président et Mme Leprieur, conseiller doyen en ayant délibéré conformément aux dispositions des articles 452 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Thomas Cook et les sociétés BTSG et [...] , ès qualités
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement sauf en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de rappel de salaire et de ses demandes indemnitaires pour licenciement irrégulier et préjudice moral, d'AVOIR, statuant à nouveau et y ajoutant, dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné l'employeur à payer à la salariée les sommes de 8 171,37 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis outre 817,14 euros de congés payés afférents, de 39 948,92 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, de 16 400 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2015 s'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité conventionnelle de licenciement et à compter du présent arrêt s'agissant des dommages et intérêts, d'AVOIR ordonné à l'employeur de délivrer à la salariée une attestation destinée à Pôle emploi et un certificat de travail conformes à la décision, d'AVOIR débouté les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile tant au titre de la première instance que de l'appel, et d'AVOIR condamné l'employeur aux dépens de première instance et d'appel ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la contestation du licenciement :
La procédure de licenciement peut être renforcée par les conventions collectives, le règlement intérieur ou les statuts de l'employeur.
La consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle, de donner un avis sur une mesure disciplinaire envisagée par l'employeur constitue pour le salarié une garantie de fond, de même que le respect des formalités particulières imposées par la convention collective. Ainsi, l'avis de l'organisme consulté doit être donné selon une procédure régulière et le licenciement prononcé sans que la commission ait rendu son avis selon une procédure conforme aux exigences conventionnelles n'a pas de cause réelle et sérieuse.
Au cas particulier, la convention collective applicable du 12 mars 1993 étendue par un arrêté du 21 juillet 1993 et révisée le 10 décembre 2013, énonce en sa version entrée en vigueur au 1er juillet 2014, applicable en l'espèce :
'54.1. Aucune sanction ne peut être infligée à un salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps, par lettre recommandée ou remise contre décharge, des griefs retenus à son égard.
54.2. Constitue une sanction toute mesure prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré comme fautif, à l'exclusion des observations verbales.
54.3. Les mesures disciplinaires sont les suivantes :
' l'avertissement ;
' le blâme ;
' la mise à pied disciplinaire limitée à 5 jours maximum ;
' la rétrogradation ;
' le licenciement.
54.4. Les deux premières sont prononcées par le chef d'entreprise sur les rapports qui lui sont adressés par les responsables hiérarchiques du salarié ; celui-ci a la possibilité d'être entendu à sa demande en présence d'un salarié de l'entreprise. Le salarié a par ailleurs toute possibilité de contester par écrit la sanction prise contre lui, cette pièce étant, tout comme la notification de la mesure, versée à son dossier.
54.5. Concernant les autres mesures, l'entretien préalable à une éventuelle sanction est de droit.
Concernant la rétrogradation ou le licenciement, les parties ont la faculté de saisir pour avis la commission de conciliation de l'entreprise ; dans les entreprises ne comportant pas de commission de conciliation, les parties ont la faculté de saisir pour avis la commission paritaire nationale, prévue au chapitre X de la présente convention collective.
54.6. Cette faculté devra être indiquée au salarié dans la lettre de convocation à l'entretien préalable.
54.7. La saisine de l'une ou l'autre de ces commissions doit être faite dans un délai de 2 jours ouvrés à l'issue de l'entretien préalable.
54.8. L'employeur suspend sa décision de sanction durant ce délai, dans l'attente de la décision qui sera prise par le salarié. En cas de saisine, la décision de l'employeur est suspendue jusqu'à l'avis de la commission.
Dans ce cas, les motifs de la mesure envisagée par l'employeur doivent être indiqués par écrit au salarié et être communiqués à la commission.
54.9. L'employeur a la possibilité de procéder à une mise à pied conservatoire, dans l'attente de la décision prise par lui à l'issue de la réunion de la commission de conciliation ou de la commission paritaire nationale.
54.10. Aucun fait fautif ne peut donner lieu, à lui seul, à l'engagement d'une poursuite disciplinaire au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
54.11. Aucune sanction antérieure de plus de 3 ans à l'engagement d'une poursuite disciplinaire ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction, sauf interruption du contrat de travail
55.4. La commission de conciliation d'entreprise est appelée à formuler un avis sur les sanctions que l'employeur se propose d'infliger à un salarié, à l'exception de l'avertissement et du blâme
56. Cette commission peut en outre être appelée à se réunir sur demande des salariés qui la saisissent au titre des articles 7, 30 et 54 de la présente convention.
57.1. La date de la réunion est fixée par l'employeur 4 jours avant sa tenue, les éléments du dossier sont tenus à la disposition du salarié concerné et des membres désignés de la commission, dans le cadre de l'examen d'une mesure disciplinaire. L'intéressé peut se faire assister, pendant la réunion, par un salarié de son choix appartenant à l'entreprise.
57.2. Si le salarié fait défaut, exception faite du cas de force majeure dûment constaté, la commission siège et délibère valablement hors sa présence. Toute personne susceptible d'éclairer la commission peut être appelée par celle-ci à être entendue sur demande du salarié ou de l'un des membres de la commission
58.1. Les avis de la commission de conciliation sont formulés à la majorité des membres la constituant.
58.2. En matière disciplinaire, en cas de partage des voix, le différend pourra être porté dans les 8 jours, à la demande de l'une ou de l'autre des parties, devant la commission paritaire nationale, prévue au chapitre X de la présente convention.
58.3. En cas d'avis défavorable à la mesure disciplinaire envisagée à l'encontre du salarié, l'employeur conserve son droit d'appliquer la mesure.
58.4. Les avis de la commission de conciliation d'entreprise sont consignés dans un document signé par ses membres, lequel sera notifié au salarié par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai maximum de 5 jours à compter du jour de la réunion de la commission; la sanction éventuelle fera l'objet d'un envoi d'avis, la sanction pouvant prendre effet dès après la réunion de la commission et avant cette notification, sous réserve des dispositions, non suspensives, prévues à l'article 58.2.'
Il ressort des articles susvisés qu'en cas de licenciement de nature disciplinaire du salarié qui a demandé la réunion de la commission, la décision de l'employeur est suspendue jusqu'à l'avis de la commission. L'employeur ne prend ainsi sa décision qu'après avoir pris connaissance des avis exprimés lors de la réunion de la commission.
Le document établi à l'issue de cette réunion, qui consigne l'avis de chacun des membres de la commission ayant participé, doit être transmis au salarié dans le délai de 5 jours à compter de la date de la réunion, émargé par les membres de la commission.
Cette exigence constitue une garantie de fond dont la violation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.
Or, il ressort du procès verbal du 5 décembre 2014 de la commission de conciliation d'entreprise saisie par l'employeur à la demande de la salariée, versé aux débats par la société Thomas Cook, que le document n'a été signé que par deux membres sur quatre.
Par ailleurs, la notification à la salariée dans les conditions de forme et de délais prévues à l'article 58.4 de la convention collective n'est pas prouvée ni même alléguée par l'employeur qui n'a informé Mme Y... de l'avis de la commission que dans la lettre de licenciement du 19 décembre 2014, de manière générale, sans détail et sans joindre le procès verbal.
Mme Y..., qui n'était pas présente lors de cette réunion, n'a donc pas reçu notification du procès verbal dans les formes et délais prévus par l'article 58.4.
Par conséquent, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens, le procès-verbal n'ayant pas été signé par l'ensemble des membres du conseil et n'ayant pas été transmis à l'issue de la réunion à la salariée, la garantie de fond de la procédure conventionnelle a été méconnue de telle sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse de rupture.
Le jugement entrepris sera donc infirmé.
Mme Y... est en droit de recevoir :
- le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis équivalente à trois mois de salaire calculés sur la base du salaire moyen de 2 723,79 euros (montant non remis en cause par l'employeur en son principe ou son quantum), soit la somme de 8 171,37 euros brut, outre 817,14 euros brut au titre des congés payés afférents, en vertu de l'article 19.1 de la convention collective des agences de voyage et de tourisme ;
- le paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement de 2 723,79 euros x 22 = 39948,92 euros en vertu de l'article 20.1 de la convention collective applicable, au regard de l'ancienneté de 22 ans à la date du licenciement, l'employeur relevant à juste titre que la salariée, qui reconnaît avoir cette ancienneté, effectue sans raison valable son calcul sur la base de 24 ans d'ancienneté.
Conformément aux dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, Mme Y... est également en droit de solliciter la réparation du préjudice subi du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement, l'indemnisation ne pouvant être inférieure à six mois de salaire.
Au regard de l'ancienneté de Mme Y... (22 ans), de son âge (52 ans), de son salaire moyen (2 723,79 euros) au moment du licenciement et de l'absence de tout élément sur sa situation professionnelle depuis la mesure, il y a lieu d'indemniser ce préjudice à hauteur de 16 400 euros.
La société Thomas Cook sera donc condamnée à verser ces sommes, avec intérêts au taux légal à compter de l'audience devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes (en l'absence d'information sur la date à laquelle l'employeur a reçu sa convocation) sur les sommes de nature salariale et à compter de la présente décision pour les autres.
Mme Y... formule une demande tendant à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle ne demande pas sa réintégration. Cette demande ne vise pas à la reconnaissance d'un droit. Elle ne tend qu'à une simple constatation, au sujet de laquelle la cour n'a pas lieu de statuer.
Sur la demande 'rappel de salaire : pour mémoire' :
La salariée formule cette demande, au demeurant non chiffrée, sans l'expliquer et sans fournir le moindre élément permettant d'en apprécier le bien fondé. La cour n'est donc saisie d'aucune autre contestation sur les dispositions du jugement ayant rejeté cette demande, qui sont donc confirmées comme n'étant pas discutées.
Sur la régularité de la procédure de licenciement :
Il résulte des dispositions de l'article L 1235-2 du code du travail que, le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, aucune indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement ne peut être accordée à Mme Y.... Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande » ;
1°) ALORS QUE l'irrégularité tenant au défaut de signature d'un procès-verbal de réunion par certains des membres de la commission de conciliation appelée à donner son avis sur une mesure de licenciement disciplinaire, ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse, à moins que cette irrégularité empêche le salarié d'assurer utilement sa défense ; qu'en application des articles 54 et suivants de la convention collective nationale du personnel des agences de voyage et de tourisme, le salarié a la faculté, en cas de licenciement disciplinaire, de saisir pour avis la commission de conciliation d'entreprise, composée de minimum quatre membres, et formulant, à la majorité de ces derniers, des avis qui sont consignés dans un document signé par eux ; qu'en l'espèce, il résultait du procès-verbal de la réunion de la commission de conciliation d'entreprise signé par deux de ses quatre membres, l'un représentant l'employeur, l'autre le salarié, et comportant l'avis de chacun de ses membres, que la majorité d'entre eux (3/4) avait donné un avis favorable à la mesure de licenciement envisagée à l'encontre de la salariée ; que pour dire que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a relevé que le procès-verbal de la commission de conciliation d'entreprise saisie par l'employeur à la demande de la salariée n'était signé que par deux membres sur quatre ; qu'en statuant ainsi, sans préciser en quoi le défaut de signature par une partie des membres de la commission de conciliation aurait empêché la salariée d'assurer utilement sa défense, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 54 et suivants de la convention collective nationale du personnel des agences de voyage et de tourisme, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;
2°) ALORS QUE le défaut de notification de l'avis consultatif de la commission de conciliation sur une mesure de licenciement disciplinaire, ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse dès lors que la sanction peut prendre effet avant cette notification ; qu'il résulte des articles 54 et suivants de la convention collective nationale du personnel des agences de voyage et de tourisme que si l'employeur, qui n'est pas lié par l'avis de la commission de conciliation d'entreprise, doit notifier au salarié cet avis dans un délai de 5 jours à compter de la réunion de cette commission, la sanction peut prendre effet dès après cette réunion et avant cette notification ; qu'en l'espèce, pour dire que le licenciement de la salariée était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a relevé que la notification à la salariée de l'avis de la commission de conciliation d'entreprise prévue à l'article 58.4 de la convention collective nationale du personnel des agences de voyage et de tourisme n'était pas prouvée ni alléguée par l'employeur, qui n'avait informé la salariée de cet avis que dans la lettre de licenciement du 19 décembre 2014 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 54 et suivants de la convention collective nationale du personnel des agences de voyage et de tourisme, ensemble les articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. | La signature par ses membres du document consignant l'avis de la commission de conciliation d'entreprise sur une sanction disciplinaire envisagée par l'employeur et la transmission de ce document au salarié, prévues à l'article 58.4 de la convention collective nationale de travail du personnel des agences de voyages et de tourisme du 12 mars 1993, dans sa rédaction en vigueur au 1er juillet 2014, ne constituent pas des garanties de fond.
Encourt en conséquence la cassation l'arrêt qui juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de la méconnaissance de ces dispositions conventionnelles, sans constater une atteinte aux droits de la défense du salarié |
465 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 694 FS-P+B
Pourvoi n° K 18-26.140
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme L....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 18 octobre 2018.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
Mme X... L..., domiciliée [...], a formé le pourvoi n° K 18-26.140 contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2017 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société K... et Y..., société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...], prise en qualité de mandataire liquidateur de la société [...], sise [...],
2°/ à la délégation régionale UNEDIC AGS Nord-Est, dont le siège est [...],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme L..., et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, MM. Maron, Pietton, Mme Richard, conseillers, Mme Depelley, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz,12 septembre 2017), Mme L... a été engagée le 1er janvier 2000 par la société [...] en qualité de secrétaire comptable.
2. Par jugement du 26 juin 2013, la chambre commerciale du tribunal de grande instance, statuant sur requête du ministère public, a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société, la société K... et Y..., représentée par Mme K..., étant désignée liquidateur.
3. La salariée a été licenciée pour motif économique le 9 juillet 2013 en raison de la liquidation judiciaire impliquant la cessation d'activité de l'entreprise.
4. Par jugement du 13 octobre 2015, la chambre commerciale du tribunal de grande instance a condamné le gérant de la société [...] à payer au liquidateur judiciaire une somme correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actif en raison notamment d'un défaut de déclaration d'état de cessation des paiements et d'un détournement d'actif.
5. La salariée, soutenant que la cessation d'activité de l'entreprise résultait d'une faute ou d'une légèreté blâmable de l'employeur, a saisi la juridiction prud'homale afin de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et voir fixer sa créance dans la procédure collective à ce titre.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. La salariée fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1° / que la cessation d'activité de l'entreprise résultant de sa liquidation judiciaire ne constitue pas un motif économique réel et sérieux lorsqu'elle est en rapport avec une faute ou une légèreté blâmable de l'employeur ; qu'en retenant que la cessation d'activité de la société [...] ne résultait pas d'une décision de son gérant, mais de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire sur requête du ministère public pour défaut persistant de paiement des salaires et des charges, pour exclure que la légèreté blâmable du gérant de l'entreprise puisse priver de cause réelle et sérieuse le licenciement de la salariée prononcé par le liquidateur judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2°/ que la cessation d'activité de l'entreprise résultant de sa liquidation judiciaire ne constitue pas un motif économique réel et sérieux lorsqu'elle est en rapport avec une faute ou une légèreté blâmable de l'employeur ; que la salariée faisait valoir que la société [...] avait fait preuve de légèreté blâmable en rapport avec sa liquidation judiciaire en se prévalant du jugement du 13 octobre 2015 de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz ayant condamné le dirigeant de la société [...] à payer au liquidateur de la société [...] l'intégralité du passif social de cette dernière pour n'avoir pas déclaré l'état de cessation des paiements de la société en dépit de l'alerte donnée par la salariée en sa qualité d'associée, et pour avoir détourné les actifs de la société [...] en mettant ses locaux à la disposition d'une autre société BG2M dont il détenait 95 % des parts sans cession de fonds de commerce ou de droit au bail, ces fautes, antérieures à la liquidation judiciaire, ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [...] ; qu'en retenant qu'il importait peu que le gérant de la société ait été condamné à supporter le passif social pour défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal et détournement d'actifs, dès lors que ces éléments n'avaient pas d'influence sur la réalité du motif économique du licenciement, sans rechercher comme elle y était invitée si les fautes précitées ne caractérisaient pas que l'employeur avait fait preuve de légèreté blâmable à l'origine de la liquidation judiciaire de son entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Le fait que la cessation d'activité de l'entreprise résulte de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié de la possibilité d'invoquer l'existence d'une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse.
8. Cependant, ayant fait ressortir que le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements de la société et le détournement d'actif commis par le dirigeant postérieurement à l'ouverture de la procédure collective n'étaient pas à l'origine de la liquidation judiciaire, la cour d'appel, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme L... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour Mme L...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme L... de toutes ses demandes et de l'AVOIR condamnée au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la Selarl K...-Y..., ès qualités de liquidateur de la société [...]
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Conformément aux dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques, à une réorganisation de l'entreprise ou à une cessation d'activité. Pour que la réorganisation d'une entreprise soit une cause légitime de licenciement économique, elle doit être justifiée, soit par des difficultés économiques ou des mutations technologiques, soit par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.
Madame L... a été licenciée par lettre recommandée avec accusé de réception du mandataire judiciaire le 9 juillet 2013 en ces termes:
« Je vous rappelle ma nomination en qualité de Liquidateur de [...], [...], nommée par jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de METZ en date du 26/06/2013.
Cette liquidation judiciaire implique la cessation d'activité de votre employeur, l'impossibilité juridique, financière et matérielle de maintenir les contrats de travail et de procéder à votre reclassement interne.
En conséquence, le licenciement de l'ensemble du personnel s'avère inéluctable et résulte d'une cause économique découlant notamment de l'état de liquidation judiciaire de l'employeur.
Je me vois ainsi contrainte de vous notifier par lettre recommandée avec AR votre licenciement pour motif économique .... »
L'appelante, qui fait grief à l'employeur d'avoir tardé à déclarer l'état de cessation des paiements de la SARL [...], ne conteste nullement le motif économique, mais elle estime que la cessation d'activité résulte d'une faute ou d'une légèreté blâmable de l'employeur.
Si la faute de l'employeur peut affecter la cause réelle et sérieuse du licenciement liée à la cessation d'activité, même en présence des difficultés économiques, il y a lieu de relever que la cessation d'activité de la SARL [...] ne résulte nullement d'une décision du gérant, mais de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire sur requête du ministère public pour défaut persistant de paiement des salaires et des charges, tel qu'il ressort du jugement du 26 juin 2013.
Il importe peu à ce propos que l'appelante fasse état d'une mauvaise gestion, qui non seulement n'est pas établie, mais qui ne caractériserait pas à elle seule la légèreté blâmable de l'employeur;
de pareille façon, peu importe encore que le gérant de la société ait été condamné à supporter le passif social pour défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours prévu par la loi et détournement d'actifs au préjudice de la procédure, dès lors que ces éléments n'ont pas d'influence sur la réalité du motif économique du licenciement.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce que les premiers juges ont dit justifié le motif économique du licenciement et ont débouté Madame L... de sa demande indemnitaire »
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « A l'appui de sa demande, Madame X... L... produit un jugement de la chambre commerciale du tribunal de Grande Instance de Metz en date du 13 octobre 2015 relevant des fautes de gestion, ayant entraîné l'insuffisance d'actif, et condamnant le gérant de droit de la société [...] à régler au Liquidateur Judiciaire la totalité de l'insuffisance d'actif constatée.
Toutefois, il est constaté que la notion de légèreté blâmable n'apparait pas dans cette décision.
Il y a lieu de retenir que la légèreté blâmable est une notion de jurisprudence concernant le comportement de l'employeur pour retenir, à son encontre, comme abusif l'usage du droit de licencier des salariés, lorsqu'une telle mesure est rendue vexatoire par l'arbitraire des motifs invoqués ou la particulière inopportunité de la décision.
Or, sauf lorsqu'elle procède d'une faute de légèreté blâmable, la cessation totale de l'activité économique de l'employeur constitue une cause économique de licenciement.
Il convient de rappeler que le motif économique d'un licenciement ne se présume pas et doit être démontré, notamment par la cessation totale de l'activité de l'entreprise.
Tel est le cas en l'espèce puisque la cessation des paiements et la mise en liquidation judiciaire ont été constatées et prononcées par jugement du 26 juin 2013.
Le motif économique du licenciement est donc pertinent et de nature à fonder le licenciement de Madame X... L....
En conséquence le Conseil déboute Madame X... L... de sa demande à ce titre »
1/ ALORS QUE la cessation d'activité de l'entreprise résultant de sa liquidation judiciaire ne constitue pas un motif économique réel et sérieux lorsqu'elle est en rapport avec une faute ou une légèreté blâmable de l'employeur; qu'en retenant que la cessation d'activité de la société [...] ne résultait pas d'une décision de son gérant, mais de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire sur requête du ministère public pour défaut persistant de paiement des salaires et des charges, pour exclure que la légèreté blâmable du gérant de l'entreprise puisse priver de cause réelle et sérieuse le licenciement de Mme L... prononcé par le liquidateur judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;
2/ ALORS QUE la cessation d'activité de l'entreprise résultant de sa liquidation judiciaire ne constitue pas un motif économique réel et sérieux lorsqu'elle est en rapport avec une faute ou une légèreté blâmable de l'employeur ; que Mme L... faisait valoir que la société [...] avait fait preuve de légèreté blâmable en rapport avec sa liquidation judiciaire en se prévalant du jugement du 13 octobre 2015 de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz ayant condamné le dirigeant de la société [...] à payer au liquidateur de la société [...] l'intégralité du passif social de cette dernière pour n'avoir pas déclaré l'état de cessation des paiements de la société en dépit de l'alerte donnée par Mme L... en sa qualité d'associée, et pour avoir détourné les actifs de la société [...] en mettant ses locaux à la disposition d'une autre société BG2M dont il détenait 95 % des parts sans cession de fonds de commerce ou de droit au bail, ces fautes, antérieures à la liquidation judiciaire, ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société [...] (conclusions d'appel de l'exposante p. 3-4); qu'en retenant qu'il importait peu que le gérant de la société ait été condamné à supporter le passif social pour défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal et détournement d'actifs, dès lors que ces éléments n'avaient pas d'influence sur la réalité du motif économique du licenciement, sans rechercher comme elle y était invitée si les fautes précitées ne caractérisaient pas que l'employeur avait fait preuve de légèreté blâmable à l'origine de la liquidation judiciaire de son entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail. | Le fait que la cessation d'activité de l'entreprise résulte de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié de la possibilité d'invoquer l'existence d'une faute de l'employeur à l'origine de la cessation d'activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse |
466 | SOC.
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 712 FS-P+B
Pourvoi n° H 18-24.320
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
Mme M... O..., domiciliée [...], a formé le pourvoi n° H 18-24.320 contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2018 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige l'opposant au groupement d'intérêt économique (GIE) AG2R Réunica, dont le siège est [...], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de Mme O..., de Me Le Prado, avocat du groupement d'intérêt économique (GIE) AG2R Réunica, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Pécaut-Rivolier, Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 septembre 2018), Mme O... a été engagée le 2 juin 2003 par la société Bayard Retraite Prévoyance, aux droits de laquelle vient le groupement d'intérêt économique (GIE) AG2R Réunica, en qualité de gestionnaire carrières.
2. La salariée a, le 26 septembre 2015, pris acte de la rupture de son contrat de travail et, le 23 octobre 2015, saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir dire que sa prise d'acte produisait les effets d'un licenciement nul et condamner le groupement d'intérêt économique AG2R Réunica à lui payer des sommes à titre de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur les deuxième et quatrième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et, en conséquence, de dire que sa prise d'acte s'analysait comme une démission et de la débouter de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, alors :
« 1°/ que lorsque la personne invoquant un harcèlement sexuel à son encontre établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon elle un tel harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; que, pour débouter Mme O... de ses demandes au titre du harcèlement sexuel, la cour d'appel a retenu que ''l'analyse des pièces susvisées montre donc que les agissements imputés à M. W... reposent sur les seules déclarations de Mme O..., lesquelles ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel considéré'' ; qu'en statuant ainsi, cependant que, pris dans leur ensemble, le courriel de M. W... invitant la salariée à déjeuner et insistant, en dépit de ses refus, pour qu'ils aient un rendez-vous privé, les courriels de dénonciation des agissements de harcèlement sexuel de M. W... adressés à l'employeur, aux délégués du personnel, à une déléguée syndicale, à l'inspecteur du travail et au procureur de la République, ainsi que le procès-verbal d'audition de plainte pour harcèlement sexuel du 24 juillet 2015, dont elle constatait l'existence, laissaient présumer l'existence du harcèlement sexuel invoqué, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
2°/ subsidiairement, qu'en se déterminant de la sorte, cependant que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même étant inapplicable à la preuve des faits juridiques, l'adminicule de preuve mis à la charge de la salariée pouvait être rapporté par la dénonciation des agissements de M. W... que Mme O... avait faite à l'employeur, à plusieurs reprises, ainsi qu'aux délégués du personnel, à une déléguée syndicale, à l'inspecteur du travail, aux services de police et au procureur de la République, la cour d'appel a, derechef, violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
3°/ plus subsidiairement, qu'en l'espèce, l'échange de courriels du 9 octobre 2009, intitulé par M. W... ''privé'', mentionne explicitement ''est-ce que tu veux on mange ensemble midi. Réponde par mail et supprime'', ce à quoi l'exposante avait répondu ''à midi je mange avec Q...'', M. W... insistant alors en ces termes ''OK, mais j'ai prendre une rendez-vous avec toi'', ce que la salariée avait une fois de plus poliment décliné en lui répondant ''suis pas loguée car je fais de l'interlocution'', M. W... revenant néanmoins une nouvelle fois à la charge, en ces termes ''oui, j'ai compris ; et pour la rendez-vous'', ce à quoi Mme O... a préféré ne pas répondre ; qu'après avoir constaté que ''l'échange de courriels du 9 octobre 2009 est relatif à une proposition de repas faite par M. K... W... pour le midi même, refusée par Mme M... O..., au motif qu'elle était déjà engagée à l'égard de quelqu'un d'autre'', la cour d'appel a retenu ''qu'une telle proposition, courante entre collègues de travail, n'est pas caractéristique par elle-même d'agissements de nature sexuelle'' et que ''le reste de cet échange, écrit par M. K... W... en français approximatif, est trop peu explicite pour en tirer une quelconque conclusion quant au comportement de l'intéressé'' ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait des termes de cet échange que M. W... avait insisté pour prendre un rendez-vous ''privé'' avec Mme O..., et ce, dans une volonté de discrétion incompatible avec des relations courantes entre collègues et manifestement destinée à obtenir le rendez-vous en question à l'insu de l'épouse de l'intéressé, également salariée de l'entreprise, ce qui ne laissait aucun doute quant à la nature des rapports envisagés par M. W..., la cour d'appel a violé le principe faisant interdiction au juge de dénaturer les documents de la cause. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des dispositions des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
6. La cour d'appel, par une appréciation souveraine des éléments de preuve et de fait qui lui étaient soumis, a, d'une part constaté que certains des éléments de fait invoqués par la salariée comme étant susceptibles de constituer un harcèlement sexuel n'étaient pas établis et, d'autre part estimé, sans dénaturation et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, s'agissant des autres faits qu'elle a examinés dans leur ensemble, qu'ils ne permettaient pas de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat et, en conséquence, de dire que sa prise d'acte s'analysait comme une démission et de la débouter de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que tenu d'une obligation de sécurité de résultat quant à la santé physique et mentale de ses salariés dont il doit assurer l'effectivité, l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires à leur assurer des conditions de travail qui ne nuisent pas à leur santé ; qu'il incombe à l'employeur, dès lors que cela est contesté par le salarié dont il est objectivement établi une dégradation de son état de santé, de prouver qu'il a respecté son obligation de sécurité, en prenant en temps utile les mesures prévention et de protection nécessaires ; qu'à cet égard, la seule circonstance que le harcèlement moral invoqué par le salarié ne soit pas retenu ne suffit pas, en soi, à justifier du respect par l'employeur de son obligation de sécurité ; que, pour débouter Mme O... de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel a énoncé - après avoir retenu que la salarié n'établissait pas l'existence d'éléments laissant présumer qu'elle eût été victime de harcèlement sexuel ou moral - que, ''dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué'' ; qu'en statuant ainsi, quand l'absence – supposée – de harcèlement, n'était pas en soi de nature à justifier du respect par l'employeur de son obligation de sécurité, ni réciproquement à écarter tout manquement de sa part à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil, ensemble les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 et l'article L. 4121-2 du même code dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
9. L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et des agissements de harcèlement sexuel instituée par l'article L. 1153-1 du même code et ne se confond pas avec elle.
10. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que dès lors que les seules déclarations de la salariée ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel et que celle-ci n'établit pas l'existence de faits qui, pris dans leur ensemble, seraient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. La cassation du chef de dispositif relatif au manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif relatifs à la prise d'acte et aux demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du troisième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la prise d'acte de Mme O... s'analyse comme une démission et déboute Mme O... de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 12 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne le groupement d'intérêt économique (GIE) AG2R Réunica aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le groupement d'intérêt économique (GIE) AG2R Réunica et le condamne à payer à Mme O... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour Mme O....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme M... O... de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement sexuel et d'AVOIR, en conséquence, dit que la prise d'acte de Mme M... O... s'analysait comme une démission et débouté la salariée de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement nul, de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, ainsi que de sa demande en paiement des sommes de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles en première instance et de 3.000 € en cause d'appel ;
AUX MOTIFS QUE, sur l'exécution du contrat de travail : Mme M... O... fait valoir : - qu'elle a été victime d'agissements de harcèlement sexuel et moral dans le cadre de son travail et que le GIE AG2R Reunica a manqué à son obligation de sécurité de résultat quant à ces faits ; - qu'elle a été victime de harcèlement sexuel de la part de M. K... W..., autre salarié de la société ; que bien qu'elle ait informé sa hiérarchie depuis décembre 2014 des agissements considérés et que le directeur des ressources humaines ait reconnu en avoir eu connaissance le 30 juin 2015, l'employeur n'a répondu qu'en août 2015 à sa dénonciation des faits ; qu'au surplus, le GIE AG2R Reunica n'a pas réagi de manière adaptée à la situation, n'ayant pas pris de mesures immédiates pour la préserver et ayant tardé à saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions du travail (CHSCT) ; qu'enfin, l'enquête dudit comité n'a pas été diligentée de manière sérieuse ; - qu'elle a été également victime de harcèlement moral ; que suite à la révélation du harcèlement sexuel dont elle était victime à Mme I... L..., sa supérieure hiérarchique, elle a été agressée par Mme D... U... épouse de M. K... W..., sous la responsabilité de laquelle elle réalisait une mission de hotline téléphonique, dite « call »; que Mme I... L... étant une amie proche de Mme W..., sa hiérarchie a refusé qu'elle soit assistée lors des entretiens auxquels elle a été convoquée suite à cette agression et a tenté de la déstabiliser ; qu'au surplus, Mme I... L... n'a pas donné suite à ses demandes de chaise adaptée à ses problèmes de vertèbres ; - que les attestations produites par l'employeur ne permettent pas de prouver l'absence des faits dénoncés par elle ; que l'employeur ne démontre pas non plus avoir pris de mesures sérieuses en matière de risques psycho-sociaux ; que compte tenu des éléments susvisés, sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul ; - qu'en outre, elle n'a connu aucune évolution professionnelle ou salariale depuis le 1er janvier 2008, à la différence d'autres salariés ayant une expérience et des qualités professionnelles équivalentes ou inférieures ; que ce fait caractérise une exécution déloyale du contrat par l'employeur ; que le GIE AG2R Reunica fait valoir : - que les agissements de harcèlement sexuel dont Mme M... O... se plaint ne reposent que sur sa seule déclaration et ne sont pas corroborés par les personnes citées par elle comme témoins de ces faits ; qu'au contraire, de nombreux salariés attestent du comportement respectueux dont faisait preuve M. K... W... à l'égard des autres membres de l'entreprise ; que si Mme M... O... a eu des difficultés relationnelles et des désaccords avec sa hiérarchie, les témoignages qu'elle produit ne prouvent pas non plus qu'elle aurait été victime de harcèlement moral ; qu'elle a satisfait à son obligation de sécurité de résultat, dans le domaine de la prévention du harcèlement moral et sexuel ainsi que dans le traitement des faits dénoncés par la salariée ; - que Mme M... O... ne s'est pas rendue à la convocation du CHSCT en charge d'une enquête sur les agissements dénoncées par elle, préférant prendre acte de la rupture du contrat le lendemain de la date à laquelle elle aurait dû être entendue par le comité ; - que Mme M... O... a bénéficié d'augmentations de rémunération et que son salaire se situe dans la moyenne de ceux de ses collègues de même niveau, de telle sorte qu'elle a exécuté loyalement le contrat sur ce point ; que Mme M... O..., qui travaillait sur le site AG2R Reunica de Lyon, dont Mme C... N... était responsable, a intégré à compter du 13 octobre 2010 une nouvelle équipe dirigée par Mme I... L... ; qu'elle a été en congé de maternité de juin 2012 à janvier 2013 puis d'avril 2013 à janvier 2014 ; que, quant au harcèlement et à l'obligation de sécurité de résultat : aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail dans sa rédaction applicable, « aucun salarié ne doit subir des faits : 1°) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 2°) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers » ; qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ; que l'article L. 1154-1 du code du travail dispose que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'à l'appui des faits de harcèlement sexuel, Mme M... O... produit les éléments suivants : - un échange de courriels entre M. K... W... et elle du 9 octobre 2009 ; - différents écrits rédigés par elle : courriels des 9 décembre 2014, 29 juin 2015, 2, 3, 23 et 31 juillet 2015, courrier du 17 août 2015, une réponse à une enquête « qualité de vie au travail » de l'employeur de mai 2015 ; - deux courriers de son avocat en date des 31 août et 17 novembre 2015 ; - des courriers de M. R... S..., responsable département ressources humaines au GIE AG2R Reunica en date des 6 août et 25 septembre 2015 ; - des arrêts de travail, des certificats médicaux ainsi qu'une fiche d'aptitude médicale ; - un procès-verbal d'audition de plainte en date du 24 juillet 2015 ; qu'il ressort des pièces susvisées que : - Mme M... O... s'est plainte auprès de son employeur et des services de police de propos et de gestes déplacés de la part de M. K... W..., autre salarié de la société, décrits de la manière suivante : - le 14 janvier 2014, M. K... W... a proposé à Mme M... O... de lui faire un quatrième enfant, « une fille » alors qu'elle a des garçons, et lui a indiqué avoir des problèmes sexuels avec son épouse ; - fin octobre 2014, elle a croisé M. K... W... à l'accueil, ce dernier lui déclarant: « va-t'en de là car je ne sais pas ce que je vais te faire » en simulant le fait de lui attraper le visage avec la main ; - début novembre 2014, lors d'un arrêt de l'ascenseur, où elle se trouvait avec M. Y... H... et Mme YW... F..., M. K... W... est entré dans l'ascenseur, s'est placé derrière elle et lui a caressé le bas du dos. Choquée, elle s'est adressée à ses collègues en ces termes : « il est fou ce K....
II m'a touché le bas du dos » ; que M. Y... H... s'est alors adressé à Mme YW... F... en ces termes : « tu vois YW... t'es pas la seule à qui il fait ça ! » ; que, manifestement gênée, cette dernière n'a pas répondu, et est partie sans ne rien dire ; - le 1er décembre 2014, alors qu'elle était avec Mme I... L..., en train d'attendre l'ascenseur, M. K... W... est sorti de celui-ci ; qu'en la croisant, il lui a attrapé le fessier, et particulièrement choquée, elle est restée tétanisée devant l'ascenseur ; - Mme M... O... a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail successifs : du 7 au 14 novembre 2014 pour syndrome anxiodépressif, dorsalgie et contracture musculaire invalidante, du 10 au 14 décembre 2014 et du 22 au 23 janvier 2015 ; - Mme M... O..., qui prend un traitement anti hypertenseur depuis décembre 2014 suite à une péricardite, a été adressée par son médecin traitant à un confrère en vue d'une psychothérapie de soutien, le médecin faisant état de ce que l'intéressée présentait un syndrome anxiodépressif en réaction avec des mauvaises relations à son travail (harcèlement de sa supérieure) ; - le 1er juillet 2015, le médecin du travail, qui a vu la salariée à la demande de celle-ci, l'a déclarée apte mais a mentionné « il serait hautement souhaitable qu'elle puisse travailler dans un autre service dans les meilleurs délais, par exemple au service « entreprises » où un poste serait paraît-il bientôt vacant - la situation sera réévaluée à la rentrée » ; que les propos et gestes déplacés reprochés par Mme M... O... à M. K... W... ne sont corroborés par aucun témoignage ; que par ailleurs, l'enquête décidée le 17 septembre 2015 par le CHSCT et diligentée en octobre et novembre 2015 fait apparaître que Mmes F..., L... et M. Y... H..., cités par Mme M... O... comme présents lors de certains faits, ont indiqué à la délégation du comité, chargée de l'enquête, qu'ils n'avaient pas été témoins d'agissements particuliers éventuellement répétés ou encore d'un comportement irrespectueux (propos, allusions, gestes impudiques, pression), pouvant s'apparenter à du harcèlement sexuel de la part de M. K... W... à l'égard de Mme M... O... ; que, si la salariée conteste le sérieux de l'enquête du CHSCT, elle ne produit aucun élément de nature à contredire ce que les salariés précités ont déclaré au CHSCT ; que l'échange de courriels du 9 octobre 2009 est relatif à une proposition de repas faite par M. K... W... pour le midi même, refusée par Mme M... O..., au motif qu'elle était déjà engagée à l'égard de quelqu'un d'autre ; qu'une telle proposition, courante entre collègues de travail, n'est pas caractéristique par elle-même d'agissements de nature sexuelle ; que le reste de cet échange, écrit par M. K... W... en français approximatif, est trop peu explicite pour en tirer une quelconque conclusion quant au comportement de l'intéressé ; qu'enfin, les documents médicaux ne contiennent aucun élément à l'encontre de M. K... W... ; que l'analyse des pièces susvisées montre donc que les agissements imputés à M. K... W... reposent sur les seules déclarations de Mme M... O..., lesquelles ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel considéré ; qu'à l'appui des faits de harcèlement moral, Mme M... O... produit les éléments suivants : - différents écrits rédigés par elle : des courriels datés des 1er avril, 8 septembre 2014, 9 octobre 2014, 2, 9 décembre 2014, 20 janvier 2015, 29 juin 2015, des comptes rendus retraçant l'incident qu'elle a eu avec Mme W... début décembre 2014, l'entretien qu'elle a eu avec Mme C... N... le 14 janvier 2015 à la suite de cet incident ainsi que l'entretien qu'elle a eu avec Mmes N... et W... quant à cet incident ; - un plan de l'étage où elle travaille ; - un courriel de Mme P..., déléguée syndicale, en date du 15 janvier 2015 rappelant à Mme C... N... le droit que Mme M... O... a d'être accompagnée par un représentant du personnel lors d'un entretien quelle qu'en soit la nature ; - deux attestations établies respectivement par Mme VS..., ancienne salariée de la société et M. X..., compagnon de Mme M... O... ; - une photographie de Mme I... L... avec trois autres salariés, dont Mme E... et Mme G..., compagne de M. A..., étant précisé que l'employeur verse aux débats les témoignages de Mme E... et M. A... ; - une étude du Docteur B..., intitulée « pour en finir avec le déni et la culture du viol » ; que, si Mme VS... témoigne qu'elle a quitté son emploi au sein de la société en raison du harcèlement moral de Mme I... L..., elle ne donne aucun élément d'information sur la date des faits dont elle aurait été victime et ne fait aucune allusion à Mme M... O... ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu de retenir le témoignage de M. X..., compagnon de Mme M... O..., qui ne relate pas de faits personnellement constatés au sein de l'entreprise, mais reprend seulement les dires de sa compagne ; que les autres pièces font apparaître que Mme M... O... ne s'entendait pas bien avec sa supérieure hiérarchique, Mme I... L..., et a demandé à deux reprises à celle-ci de changer d'équipe par courriels des 2 décembre 2014 et 29 juin 2015 ; que le fait que Mme I... L..., amie de Mme W..., n'aurait pas volontairement attribué une chaise adaptée aux problèmes de dos à Mme M... O... malgré les demandes de celle-ci, aurait tenté de déstabiliser Mme M... O... lors d'un entretien d'évaluation du 1er décembre 2014 et que Mme C... N... aurait également participé à cette déstabilisation lors d'un entretien du 14 janvier 2015 ne repose que sur les déclarations de la salariée ; qu'or, les écrits de Mme M... O... révèlent eux-mêmes une distorsion d'appréciation des faits entre Mmes N... et L... d'une part et la salariée d'autre part ; que, par ailleurs, suite au courriel de Mme P..., déléguée syndicale, en date du 15 janvier 2015, Mme M... O... ne démontre pas qu'elle n'a pas pu se faire assister par un représentant du personnel lors de ses entretiens avec sa hiérarchie lorsqu'elle le souhaitait ; qu'au vu de ces éléments, Mme M... O... n'établit pas l'existence de faits qui, pris dans leur ensemble, seraient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué ; que, Mme M... O... sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre et le jugement infirmé sur ce point ; que, sur la rupture du contrat : la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à l'employeur, mode unilatéral et autonome de rupture de la relation contractuelle, entraîne la cessation immédiate du contrat de travail ; que la prise d'acte produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse si les faits invoqués par le salarié à l'encontre de son employeur sont justifiés et suffisamment graves pour justifier la rupture aux torts de l'employeur, soit à l'inverse ceux d'une démission ; que la preuve des faits qui fondent la prise d'acte incombe au salarié ; que la Cour a dit que Mme M... O... n'établissait pas la réalité de faits laissant présumer un harcèlement sexuel ou moral ; que la prise d'acte de Mme M... O... n'est donc pas justifiée par les faits allégués, et doit être analysée comme une démission et non un licenciement nul ; qu'en conséquence, Mme M... O... sera déboutée de ses demandes en paiement au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents ainsi que de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
qu'elle sera également déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et le jugement infirmé sur l'ensemble de ces points ;
1) ALORS QUE lorsque la personne invoquant un harcèlement sexuel à son encontre établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon elle un tel harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; que, pour débouter Mme O... de ses demandes au titre du harcèlement sexuel, la cour d'appel a retenu que « l'analyse des pièces susvisées montre donc que les agissements imputés à M. W... reposent sur les seules déclarations de Mme O..., lesquelles ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel considéré » ; qu'en statuant ainsi, cependant que, pris dans leur ensemble, le courriel de M. W... invitant la salariée à déjeuner et insistant, en dépit de ses refus, pour qu'ils aient un rendez-vous privé, les courriels de dénonciation des agissements de harcèlement sexuel de M. W... adressés à l'employeur, aux délégués du personnel, à une déléguée syndicale, à l'inspecteur du travail et au procureur de la République, ainsi que le procès-verbal d'audition de plainte pour harcèlement sexuel du 24 juillet 2015, dont elle constatait l'existence, laissaient présumer l'existence du harcèlement sexuel invoqué, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
2) ALORS, subsidiairement, QU'en se déterminant de la sorte, cependant que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même étant inapplicable à la preuve des faits juridiques, l'adminicule de preuve mis à la charge de la salariée pouvait être rapporté par la dénonciation des agissements de M. W... que Mme O... avait faite à l'employeur, à plusieurs reprises, ainsi qu'aux délégués du personnel, à une déléguée syndicale, à l'inspecteur du travail, aux services de police et au procureur de la République, la cour d'appel a, derechef, violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
3) ET ALORS, plus subsidiairement, QU'en l'espèce, l'échange de courriels du 9 octobre 2009, intitulé par M. W... « privé », mentionne explicitement « est-ce que tu veux on mange ensemble midi. Réponde par mail et supprime », ce à quoi l'exposante avait répondu « à midi je mange avec Q... », M. W... insistant alors en ces termes « OK, mais j'ai prendre une rendez-vous avec toi », ce que la salariée avait une fois de plus poliment décliné en lui répondant « suis pas loguée car je fais de l'interlocution », M. W... revenant néanmoins une nouvelle fois à la charge, en ces termes « oui, j'ai compris ; et pour la rendez-vous », ce à quoi Mme O... a préféré ne pas répondre ; qu'après avoir constaté que « l'échange de courriels du 9 octobre 2009 est relatif à une proposition de repas faite par M. K... W... pour le midi même, refusée par Mme M... O..., au motif qu'elle était déjà engagée à l'égard de quelqu'un d'autre », la cour d'appel a retenu « qu'une telle proposition, courante entre collègues de travail, n'est pas caractéristique par elle-même d'agissements de nature sexuelle » et que « le reste de cet échange, écrit par M. K... W... en français approximatif, est trop peu explicite pour en tirer une quelconque conclusion quant au comportement de l'intéressé » ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il résultait des termes de cet échange que M. W... avait insisté pour prendre un rendez-vous « privé » avec Mme O..., et ce, dans une volonté de discrétion incompatible avec des relations courantes entre collègues et manifestement destinée à obtenir le rendez-vous en question à l'insu de l'épouse de l'intéressé, également salariée de l'entreprise, ce qui ne laissait aucun doute quant à la nature des rapports envisagés par M. W..., la cour d'appel a violé le principe faisant interdiction au juge de dénaturer les documents de la cause.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme M... O... de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et d'AVOIR, en conséquence, dit que la prise d'acte de Mme M... O... s'analysait comme une démission et débouté la salariée de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture, de dommages-intérêts pour licenciement nul et de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, ainsi que de sa demande en paiement des sommes de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles en première instance et de 3.000 € en cause d'appel ;
AUX MOTIFS QUE, sur l'exécution du contrat de travail : Mme M... O... fait valoir : - qu'elle a été victime d'agissements de harcèlement sexuel et moral dans le cadre de son travail et que le GIE AG2R Reunica a manqué à son obligation de sécurité de résultat quant à ces faits ; - qu'elle a été victime de harcèlement sexuel de la part de M. K... W..., autre salarié de la société ; que bien qu'elle ait informé sa hiérarchie depuis décembre 2014 des agissements considérés et que le directeur des ressources humaines ait reconnu en avoir eu connaissance le 30 juin 2015, l'employeur n'a répondu qu'en août 2015 à sa dénonciation des faits ; qu'au surplus, le GIE AG2R Reunica n'a pas réagi de manière adaptée à la situation, n'ayant pas pris de mesures immédiates pour la préserver et ayant tardé à saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions du travail (CHSCT) ; qu'enfin, l'enquête dudit comité n'a pas été diligentée de manière sérieuse ; - qu'elle a été également victime de harcèlement moral ; que suite à la révélation du harcèlement sexuel dont elle était victime à Mme I... L..., sa supérieure hiérarchique, elle a été agressée par Mme D... U... épouse de M. K... W..., sous la responsabilité de laquelle elle réalisait une mission de hotline téléphonique, dite « call »; que Mme I... L... étant une amie proche de Mme W..., sa hiérarchie a refusé qu'elle soit assistée lors des entretiens auxquels elle a été convoquée suite à cette agression et a tenté de la déstabiliser ; qu'au surplus, Mme I... L... n'a pas donné suite à ses demandes de chaise adaptée à ses problèmes de vertèbres ; - que les attestations produites par l'employeur ne permettent pas de prouver l'absence des faits dénoncés par elle ; que l'employeur ne démontre pas non plus avoir pris de mesures sérieuses en matière de risques psycho-sociaux ; que compte tenu des éléments susvisés, sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul ; - qu'en outre, elle n'a connu aucune évolution professionnelle ou salariale depuis le 1er janvier 2008, à la différence d'autres salariés ayant une expérience et des qualités professionnelles équivalentes ou inférieures ; que ce fait caractérise une exécution déloyale du contrat par l'employeur ; que le GIE AG2R Reunica fait valoir : - que les agissements de harcèlement sexuel dont Mme M... O... se plaint ne reposent que sur sa seule déclaration et ne sont pas corroborés par les personnes citées par elle comme témoins de ces faits ; qu'au contraire, de nombreux salariés attestent du comportement respectueux dont faisait preuve M. K... W... à l'égard des autres membres de l'entreprise ; que si Mme M... O... a eu des difficultés relationnelles et des désaccords avec sa hiérarchie, les témoignages qu'elle produit ne prouvent pas non plus qu'elle aurait été victime de harcèlement moral ; qu'elle a satisfait à son obligation de sécurité de résultat, dans le domaine de la prévention du harcèlement moral et sexuel ainsi que dans le traitement des faits dénoncés par la salariée ; - que Mme M... O... ne s'est pas rendue à la convocation du CHSCT en charge d'une enquête sur les agissements dénoncées par elle, préférant prendre acte de la rupture du contrat le lendemain de la date à laquelle elle aurait dû être entendue par le comité ; - que Mme M... O... a bénéficié d'augmentations de rémunération et que son salaire se situe dans la moyenne de ceux de ses collègues de même niveau, de telle sorte qu'elle a exécuté loyalement le contrat sur ce point ; que Mme M... O..., qui travaillait sur le site AG2R Reunica de Lyon, dont Mme C... N... était responsable, a intégré à compter du 13 octobre 2010 une nouvelle équipe dirigée par Mme I... L... ; qu'elle a été en congé de maternité de juin 2012 à janvier 2013 puis d'avril 2013 à janvier 2014 ; que, quant au harcèlement et à l'obligation de sécurité de résultat : aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail dans sa rédaction applicable, « aucun salarié ne doit subir des faits : 1°) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 2°) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers » ; qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ; que l'article L. 1154-1 du code du travail dispose que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'à l'appui des faits de harcèlement sexuel, Mme M... O... produit les éléments suivants : - un échange de courriels entre M. K... W... et elle du 9 octobre 2009 ; - différents écrits rédigés par elle : courriels des 9 décembre 2014, 29 juin 2015, 2, 3, 23 et 31 juillet 2015, courrier du 17 août 2015, une réponse à une enquête « qualité de vie au travail » de l'employeur de mai 2015 ; - deux courriers de son avocat en date des 31 août et 17 novembre 2015 ; - des courriers de M. R... S..., responsable département ressources humaines au GIE AG2R Reunica en date des 6 août et 25 septembre 2015 ; - des arrêts de travail, des certificats médicaux ainsi qu'une fiche d'aptitude médicale ; - un procès-verbal d'audition de plainte en date du 24 juillet 2015 ; qu'il ressort des pièces susvisées que : - Mme M... O... s'est plainte auprès de son employeur et des services de police de propos et de gestes déplacés de la part de M. K... W..., autre salarié de la société, décrits de la manière suivante : - le 14 janvier 2014, M. K... W... a proposé à Mme M... O... de lui faire un quatrième enfant, « une fille » alors qu'elle a des garçons, et lui a indiqué avoir des problèmes sexuels avec son épouse ; - fin octobre 2014, elle a croisé M. K... W... à l'accueil, ce dernier lui déclarant: « va-t'en de là car je ne sais pas ce que je vais te faire » en simulant le fait de lui attraper le visage avec la main ; - début novembre 2014, lors d'un arrêt de l'ascenseur, où elle se trouvait avec M. Y... H... et Mme YW... F..., M. K... W... est entré dans l'ascenseur, s'est placé derrière elle et lui a caressé le bas du dos. Choquée, elle s'est adressée à ses collègues en ces termes : « il est fou ce K.... II m'a touché le bas du dos » ; que M. Y... H... s'est alors adressé à Mme YW... F... en ces termes : « tu vois YW... t'es pas la seule à qui il fait ça ! » ; que, manifestement gênée, cette dernière n'a pas répondu, et est partie sans ne rien dire ; - le 1er décembre 2014, alors qu'elle était avec Mme I... L..., en train d'attendre l'ascenseur, M. K... W... est sorti de celui-ci ; qu'en la croisant, il lui a attrapé le fessier, et particulièrement choquée, elle est restée tétanisée devant l'ascenseur ; - Mme M... O... a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail successifs : du 7 au 14 novembre 2014 pour syndrome anxiodépressif, dorsalgie et contracture musculaire invalidante, du 10 au 14 décembre 2014 et du 22 au 23 janvier 2015 ; - Mme M... O..., qui prend un traitement anti hypertenseur depuis décembre 2014 suite à une péricardite, a été adressée par son médecin traitant à un confrère en vue d'une psychothérapie de soutien, le médecin faisant état de ce que l'intéressée présentait un syndrome anxiodépressif en réaction avec des mauvaises relations à son travail (harcèlement de sa supérieure) ; - le 1er juillet 2015, le médecin du travail, qui a vu la salariée à la demande de celle-ci, l'a déclarée apte mais a mentionné « il serait hautement souhaitable qu'elle puisse travailler dans un autre service dans les meilleurs délais, par exemple au service « entreprises » où un poste serait paraît-il bientôt vacant - la situation sera réévaluée à la rentrée » ; que les propos et gestes déplacés reprochés par Mme M... O... à M. K... W... ne sont corroborés par aucun témoignage ; que par ailleurs, l'enquête décidée le 17 septembre 2015 par le CHSCT et diligentée en octobre et novembre 2015 fait apparaître que Mmes F..., L... et M. Y... H..., cités par Mme M... O... comme présents lors de certains faits, ont indiqué à la délégation du comité, chargée de l'enquête, qu'ils n'avaient pas été témoins d'agissements particuliers éventuellement répétés ou encore d'un comportement irrespectueux (propos, allusions, gestes impudiques, pression), pouvant s'apparenter à du harcèlement sexuel de la part de M. K... W... à l'égard de Mme M... O... ; que, si la salariée conteste le sérieux de l'enquête du CHSCT, elle ne produit aucun élément de nature à contredire ce que les salariés précités ont déclaré au CHSCT ; que l'échange de courriels du 9 octobre 2009 est relatif à une proposition de repas faite par M. K... W... pour le midi même, refusée par Mme M... O..., au motif qu'elle était déjà engagée à l'égard de quelqu'un d'autre ; qu'une telle proposition, courante entre collègues de travail, n'est pas caractéristique par elle-même d'agissements de nature sexuelle ; que le reste de cet échange, écrit par M. K... W... en français approximatif, est trop peu explicite pour en tirer une quelconque conclusion quant au comportement de l'intéressé ; qu'enfin, les documents médicaux ne contiennent aucun élément à l'encontre de M. K... W... ; que l'analyse des pièces susvisées montre donc que les agissements imputés à M. K... W... reposent sur les seules déclarations de Mme M... O..., lesquelles ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel considéré ; qu'à l'appui des faits de harcèlement moral, Mme M... O... produit les éléments suivants : - différents écrits rédigés par elle : des courriels datés des 1er avril, 8 septembre 2014, 9 octobre 2014, 2, 9 décembre 2014, 20 janvier 2015, 29 juin 2015, des comptes rendus retraçant l'incident qu'elle a eu avec Mme W... début décembre 2014, l'entretien qu'elle a eu avec Mme C... N... le 14 janvier 2015 à la suite de cet incident ainsi que l'entretien qu'elle a eu avec Mmes N... et W... quant à cet incident ; - un plan de l'étage où elle travaille ; - un courriel de Mme P..., déléguée syndicale, en date du 15 janvier 2015 rappelant à Mme C... N... le droit que Mme M... O... a d'être accompagnée par un représentant du personnel lors d'un entretien quelle qu'en soit la nature ; - deux attestations établies respectivement par Mme VS..., ancienne salariée de la société et M. X..., compagnon de Mme M... O... ; - une photographie de Mme I... L... avec trois autres salariés, dont Mme E... et Mme G..., compagne de M. A..., étant précisé que l'employeur verse aux débats les témoignages de Mme E... et M. A... ; - une étude du Docteur B..., intitulée « pour en finir avec le déni et la culture du viol » ; que, si Mme VS... témoigne qu'elle a quitté son emploi au sein de la société en raison du harcèlement moral de Mme I... L..., elle ne donne aucun élément d'information sur la date des faits dont elle aurait été victime et ne fait aucune allusion à Mme M... O... ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu de retenir le témoignage de M. X..., compagnon de Mme M... O..., qui ne relate pas de faits personnellement constatés au sein de l'entreprise, mais reprend seulement les dires de sa compagne ; que les autres pièces font apparaître que Mme M... O... ne s'entendait pas bien avec sa supérieure hiérarchique, Mme I... L..., et a demandé à deux reprises à celle-ci de changer d'équipe par courriels des 2 décembre 2014 et 29 juin 2015 ; que le fait que Mme I... L..., amie de Mme W..., n'aurait pas volontairement attribué une chaise adaptée aux problèmes de dos à Mme M... O... malgré les demandes de celle-ci, aurait tenté de déstabiliser Mme M... O... lors d'un entretien d'évaluation du 1er décembre 2014 et que Mme C... N... aurait également participé à cette déstabilisation lors d'un entretien du 14 janvier 2015 ne repose que sur les déclarations de la salariée ; qu'or, les écrits de Mme M... O... révèlent eux-mêmes une distorsion d'appréciation des faits entre Mmes N... et L... d'une part et la salariée d'autre part ; que, par ailleurs, suite au courriel de Mme P..., déléguée syndicale, en date du 15 janvier 2015, Mme M... O... ne démontre pas qu'elle n'a pas pu se faire assister par un représentant du personnel lors de ses entretiens avec sa hiérarchie lorsqu'elle le souhaitait ; qu'au vu de ces éléments, Mme M... O... n'établit pas l'existence de faits qui, pris dans leur ensemble, seraient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué ; que, Mme M... O... sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre et le jugement infirmé sur ce point ; que, sur la rupture du contrat : la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à l'employeur, mode unilatéral et autonome de rupture de la relation contractuelle, entraîne la cessation immédiate du contrat de travail ; que la prise d'acte produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse si les faits invoqués par le salarié à l'encontre de son employeur sont justifiés et suffisamment graves pour justifier la rupture aux torts de l'employeur, soit à l'inverse ceux d'une démission ; que la preuve des faits qui fondent la prise d'acte incombe au salarié ; que la Cour a dit que Mme M... O... n'établissait pas la réalité de faits laissant présumer un harcèlement sexuel ou moral ; que la prise d'acte de Mme M... O... n'est donc pas justifiée par les faits allégués, et doit être analysée comme une démission et non un licenciement nul ; qu'en conséquence, Mme M... O... sera déboutée de ses demandes en paiement au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents ainsi que de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
qu'elle sera également déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et le jugement infirmé sur l'ensemble de ces points ;
1) ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral, à charge pour l'employeur, en ce cas, de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral ; qu'en procédant à une appréciation séparée des éléments présentés par la salariée, et sans rechercher si l'attestation de Mme VS... relatant les agissements de harcèlement moral qu'elle avait elle-même subi de la part de Mme L..., le refus de cette dernière - en dépit de problèmes relationnels avérés - d'accéder aux deux demandes de changement d'équipe de Mme O... et les documents médicaux versés aux débats par la salariée ne permettaient pas, pris dans leur ensemble, de présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail ;
2) ET ALORS, subsidiairement, QU'en énonçant que, « si Mme VS... témoigne qu'elle a quitté son emploi au sein de la société en raison du harcèlement moral de Mme I... L..., elle ne donne aucun élément d'information sur la date des faits dont elle aurait été victime et ne fait aucune allusion à Mme M... O... », cependant que, même en l'absence de datation des faits relatés par l'intéressée et de référence à la situation personnelle de Mme O..., cette attestation était de nature à laisser supposer l'institutionnalisation de pratiques managériales condamnables par Mme L..., supérieure hiérarchique de l'exposante, et donc à laisser présumer qu'elle ait pu, de la même manière, les subir à son tour, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Mme M... O... de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat et d'AVOIR, en conséquence, dit que la prise d'acte de Mme M... O... s'analysait comme une démission et débouté la salariée de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de sa demande en paiement des sommes de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles en première instance et de 3.000 € en cause d'appel ;
AUX MOTIFS QUE, sur l'exécution du contrat de travail : Mme M... O... fait valoir : - qu'elle a été victime d'agissements de harcèlement sexuel et moral dans le cadre de son travail et que le GIE AG2R Reunica a manqué à son obligation de sécurité de résultat quant à ces faits ; - qu'elle a été victime de harcèlement sexuel de la part de M. K... W..., autre salarié de la société ; que bien qu'elle ait informé sa hiérarchie depuis décembre 2014 des agissements considérés et que le directeur des ressources humaines ait reconnu en avoir eu connaissance le 30 juin 2015, l'employeur n'a répondu qu'en août 2015 à sa dénonciation des faits ; qu'au surplus, le GIE AG2R Reunica n'a pas réagi de manière adaptée à la situation, n'ayant pas pris de mesures immédiates pour la préserver et ayant tardé à saisir le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions du travail (CHSCT) ; qu'enfin, l'enquête dudit comité n'a pas été diligentée de manière sérieuse ; - qu'elle a été également victime de harcèlement moral ; que suite à la révélation du harcèlement sexuel dont elle était victime à Mme I... L..., sa supérieure hiérarchique, elle a été agressée par Mme D... U... épouse de M. K... W..., sous la responsabilité de laquelle elle réalisait une mission de hotline téléphonique, dite « call »; que Mme I... L... étant une amie proche de Mme W..., sa hiérarchie a refusé qu'elle soit assistée lors des entretiens auxquels elle a été convoquée suite à cette agression et a tenté de la déstabiliser ; qu'au surplus, Mme I... L... n'a pas donné suite à ses demandes de chaise adaptée à ses problèmes de vertèbres ; - que les attestations produites par l'employeur ne permettent pas de prouver l'absence des faits dénoncés par elle ; que l'employeur ne démontre pas non plus avoir pris de mesures sérieuses en matière de risques psycho-sociaux ; que compte tenu des éléments susvisés, sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul ; - qu'en outre, elle n'a connu aucune évolution professionnelle ou salariale depuis le 1er janvier 2008, à la différence d'autres salariés ayant une expérience et des qualités professionnelles équivalentes ou inférieures ; que ce fait caractérise une exécution déloyale du contrat par l'employeur ; que le GIE AG2R Reunica fait valoir : - que les agissements de harcèlement sexuel dont Mme M... O... se plaint ne reposent que sur sa seule déclaration et ne sont pas corroborés par les personnes citées par elle comme témoins de ces faits ; qu'au contraire, de nombreux salariés attestent du comportement respectueux dont faisait preuve M. K... W... à l'égard des autres membres de l'entreprise ; que si Mme M... O... a eu des difficultés relationnelles et des désaccords avec sa hiérarchie, les témoignages qu'elle produit ne prouvent pas non plus qu'elle aurait été victime de harcèlement moral ; qu'elle a satisfait à son obligation de sécurité de résultat, dans le domaine de la prévention du harcèlement moral et sexuel ainsi que dans le traitement des faits dénoncés par la salariée ; - que Mme M... O... ne s'est pas rendue à la convocation du CHSCT en charge d'une enquête sur les agissements dénoncées par elle, préférant prendre acte de la rupture du contrat le lendemain de la date à laquelle elle aurait dû être entendue par le comité ; - que Mme M... O... a bénéficié d'augmentations de rémunération et que son salaire se situe dans la moyenne de ceux de ses collègues de même niveau, de telle sorte qu'elle a exécuté loyalement le contrat sur ce point ; que Mme M... O..., qui travaillait sur le site AG2R Reunica de Lyon, dont Mme C... N... était responsable, a intégré à compter du 13 octobre 2010 une nouvelle équipe dirigée par Mme I... L... ; qu'elle a été en congé de maternité de juin 2012 à janvier 2013 puis d'avril 2013 à janvier 2014 ; que, quant au harcèlement et à l'obligation de sécurité de résultat : aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail dans sa rédaction applicable, « aucun salarié ne doit subir des faits : 1°) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 2°) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers » ; qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ; que l'article L. 1154-1 du code du travail dispose que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'à l'appui des faits de harcèlement sexuel, Mme M... O... produit les éléments suivants : - un échange de courriels entre M. K... W... et elle du 9 octobre 2009 ; - différents écrits rédigés par elle : courriels des 9 décembre 2014, 29 juin 2015, 2, 3, 23 et 31 juillet 2015, courrier du 17 août 2015, une réponse à une enquête « qualité de vie au travail » de l'employeur de mai 2015 ; - deux courriers de son avocat en date des 31 août et 17 novembre 2015 ; - des courriers de M. R... S..., responsable département ressources humaines au GIE AG2R Reunica en date des 6 août et 25 septembre 2015 ; - des arrêts de travail, des certificats médicaux ainsi qu'une fiche d'aptitude médicale ; - un procès-verbal d'audition de plainte en date du 24 juillet 2015 ; qu'il ressort des pièces susvisées que : - Mme M... O... s'est plainte auprès de son employeur et des services de police de propos et de gestes déplacés de la part de M. K... W..., autre salarié de la société, décrits de la manière suivante : - le 14 janvier 2014, M. K... W... a proposé à Mme M... O... de lui faire un quatrième enfant, « une fille » alors qu'elle a des garçons, et lui a indiqué avoir des problèmes sexuels avec son épouse ; - fin octobre 2014, elle a croisé M. K... W... à l'accueil, ce dernier lui déclarant: « va-t'en de là car je ne sais pas ce que je vais te faire » en simulant le fait de lui attraper le visage avec la main ; - début novembre 2014, lors d'un arrêt de l'ascenseur, où elle se trouvait avec M. Y... H... et Mme YW... F..., M. K... W... est entré dans l'ascenseur, s'est placé derrière elle et lui a caressé le bas du dos. Choquée, elle s'est adressée à ses collègues en ces termes : « il est fou ce K.... II m'a touché le bas du dos » ; que M. Y... H... s'est alors adressé à Mme YW... F... en ces termes : « tu vois YW... t'es pas la seule à qui il fait ça ! » ; que, manifestement gênée, cette dernière n'a pas répondu, et est partie sans ne rien dire ; - le 1er décembre 2014, alors qu'elle était avec Mme I... L..., en train d'attendre l'ascenseur, M. K... W... est sorti de celui-ci ; qu'en la croisant, il lui a attrapé le fessier, et particulièrement choquée, elle est restée tétanisée devant l'ascenseur ; - Mme M... O... a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail successifs : du 7 au 14 novembre 2014 pour syndrome anxiodépressif, dorsalgie et contracture musculaire invalidante, du 10 au 14 décembre 2014 et du 22 au 23 janvier 2015 ; - Mme M... O..., qui prend un traitement anti hypertenseur depuis décembre 2014 suite à une péricardite, a été adressée par son médecin traitant à un confrère en vue d'une psychothérapie de soutien, le médecin faisant état de ce que l'intéressée présentait un syndrome anxiodépressif en réaction avec des mauvaises relations à son travail (harcèlement de sa supérieure) ; - le 1er juillet 2015, le médecin du travail, qui a vu la salariée à la demande de celle-ci, l'a déclarée apte mais a mentionné « il serait hautement souhaitable qu'elle puisse travailler dans un autre service dans les meilleurs délais, par exemple au service « entreprises » où un poste serait paraît-il bientôt vacant - la situation sera réévaluée à la rentrée » ; que les propos et gestes déplacés reprochés par Mme M... O... à M. K... W... ne sont corroborés par aucun témoignage ; que par ailleurs, l'enquête décidée le 17 septembre 2015 par le CHSCT et diligentée en octobre et novembre 2015 fait apparaître que Mmes F..., L... et M. Y... H..., cités par Mme M... O... comme présents lors de certains faits, ont indiqué à la délégation du comité, chargée de l'enquête, qu'ils n'avaient pas été témoins d'agissements particuliers éventuellement répétés ou encore d'un comportement irrespectueux (propos, allusions, gestes impudiques, pression), pouvant s'apparenter à du harcèlement sexuel de la part de M. K... W... à l'égard de Mme M... O... ; que, si la salariée conteste le sérieux de l'enquête du CHSCT, elle ne produit aucun élément de nature à contredire ce que les salariés précités ont déclaré au CHSCT ; que l'échange de courriels du 9 octobre 2009 est relatif à une proposition de repas faite par M. K... W... pour le midi même, refusée par Mme M... O..., au motif qu'elle était déjà engagée à l'égard de quelqu'un d'autre ; qu'une telle proposition, courante entre collègues de travail, n'est pas caractéristique par elle-même d'agissements de nature sexuelle ; que le reste de cet échange, écrit par M. K... W... en français approximatif, est trop peu explicite pour en tirer une quelconque conclusion quant au comportement de l'intéressé ; qu'enfin, les documents médicaux ne contiennent aucun élément à l'encontre de M. K... W... ; que l'analyse des pièces susvisées montre donc que les agissements imputés à M. K... W... reposent sur les seules déclarations de Mme M... O..., lesquelles ne sont pas suffisantes pour établir des faits permettant de présumer l'existence du harcèlement sexuel considéré ; qu'à l'appui des faits de harcèlement moral, Mme M... O... produit les éléments suivants : - différents écrits rédigés par elle : des courriels datés des 1er avril, 8 septembre 2014, 9 octobre 2014, 2, 9 décembre 2014, 20 janvier 2015, 29 juin 2015, des comptes rendus retraçant l'incident qu'elle a eu avec Mme W... début décembre 2014, l'entretien qu'elle a eu avec Mme C... N... le 14 janvier 2015 à la suite de cet incident ainsi que l'entretien qu'elle a eu avec Mmes N... et W... quant à cet incident ; - un plan de l'étage où elle travaille ; - un courriel de Mme P..., déléguée syndicale, en date du 15 janvier 2015 rappelant à Mme C... N... le droit que Mme M... O... a d'être accompagnée par un représentant du personnel lors d'un entretien quelle qu'en soit la nature ; - deux attestations établies respectivement par Mme VS..., ancienne salariée de la société et M. X..., compagnon de Mme M... O... ; - une photographie de Mme I... L... avec trois autres salariés, dont Mme E... et Mme G..., compagne de M. A..., étant précisé que l'employeur verse aux débats les témoignages de Mme E... et M. A... ; - une étude du Docteur B..., intitulée « pour en finir avec le déni et la culture du viol » ; que, si Mme VS... témoigne qu'elle a quitté son emploi au sein de la société en raison du harcèlement moral de Mme I... L..., elle ne donne aucun élément d'information sur la date des faits dont elle aurait été victime et ne fait aucune allusion à Mme M... O... ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu de retenir le témoignage de M. X..., compagnon de Mme M... O..., qui ne relate pas de faits personnellement constatés au sein de l'entreprise, mais reprend seulement les dires de sa compagne ; que les autres pièces font apparaître que Mme M... O... ne s'entendait pas bien avec sa supérieure hiérarchique, Mme I... L..., et a demandé à deux reprises à celle-ci de change d'équipe par courriels des 2 décembre 2014 et 29 juin 2015 ; que le fait que Mme I... L..., amie de Mme W..., n'aurait pas volontairement attribué une chaise adaptée aux problèmes de dos à Mme M... O... malgré les demandes de celle-ci, aurait tenté de déstabiliser Mme M... O... lors d'un entretien d'évaluation du 1er décembre 2014 et que Mme C... N... aurait également participé à cette déstabilisation lors d'un entretien du 14 janvier 2015 ne repose que sur les déclarations de la salariée ; qu'or, les écrits de Mme M... O... révèlent eux-mêmes une distorsion d'appréciation des faits entre Mmes N... et L... d'une part et la salariée d'autre part ; que, par ailleurs, suite au courriel de Mme P..., déléguée syndicale, en date du 15 janvier 2015, Mme M... O... ne démontre pas qu'elle n'a pas pu se faire assister par un représentant du personnel lors de ses entretiens avec sa hiérarchie lorsqu'elle le souhaitait ; qu'au vu de ces éléments, Mme M... O... n'établit pas l'existence de faits qui, pris dans leur ensemble, seraient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard ; que, dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué ; que, Mme M... O... sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre et le jugement infirmé sur ce point ; que, sur la rupture du contrat : la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à l'employeur, mode unilatéral et autonome de rupture de la relation contractuelle, entraîne la cessation immédiate du contrat de travail ; que la prise d'acte produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse si les faits invoqués par le salarié à l'encontre de son employeur sont justifiés et suffisamment graves pour justifier la rupture aux torts de l'employeur, soit à l'inverse ceux d'une démission ; que la preuve des faits qui fondent la prise d'acte incombe au salarié ; que la Cour a dit que Mme M... O... n'établissait pas la réalité de faits laissant présumer un harcèlement sexuel ou moral ; que la prise d'acte de Mme M... O... n'est donc pas justifiée par les faits allégués, et doit être analysée comme une démission et non un licenciement nul ; qu'en conséquence, Mme M... O... sera déboutée de ses demandes en paiement au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents ainsi que de l'indemnité conventionnelle de licenciement ; qu'elle sera également déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et le jugement infirmé sur l'ensemble de ces points ;
1) ALORS QUE tenu d'une obligation de sécurité de résultat quant à la santé physique et mentale de ses salariés dont il doit assurer l'effectivité, l'employeur doit prendre toutes les mesures nécessaires à leur assurer des conditions de travail qui ne nuisent pas à leur santé ; qu'il incombe à l'employeur, dès lors que cela est contesté par le salarié dont il est objectivement établi une dégradation de son état de santé, de prouver qu'il a respecté son obligation de sécurité, en prenant en temps utile les mesures prévention et de protection nécessaires ; qu'à cet égard, la seule circonstance que le harcèlement moral invoqué par le salarié ne soit pas retenu ne suffit pas, en soi, à justifier du respect par l'employeur de son obligation de sécurité ; que, pour débouter Mme O... de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, la cour d'appel a énoncé - après avoir retenu que la salarié n'établissait pas l'existence d'éléments laissant présumer qu'elle eût été victime de harcèlement sexuel ou moral - que, « dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner si un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat est à l'origine de ce harcèlement sexuel et moral invoqué » ; qu'en statuant ainsi, quand l'absence – supposée – de harcèlement, n'était pas en soi de nature à justifier du respect par l'employeur de son obligation de sécurité, ni réciproquement à écarter tout manquement de sa part à cet égard, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil, ensemble les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
2) ALORS QUE l'obligation légale imposant à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs exige de lui qu'il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et notamment, qu'informé de l'existence de faits susceptibles de porter atteinte à la santé et aux conditions de travail du salarié, il a pris, non seulement les mesures immédiates propres à le faire cesser, mais également dispensé dans l'entreprise les mesures d'information et de prévention adéquates ; qu'il s'ensuit que, manque à son obligation de sécurité de résultat, l'employeur qui - bien qu'ayant connaissance du conflit existant entre plusieurs salariés - refuse d'accéder aux multiples demandes de changement d'équipe de l'un d'eux et ne prend aucune mesure de nature à préserver les conditions de travail, la sécurité et la santé de l'intéressé qui se dit victime, sur son lieu de travail, d'agissements susceptibles de relever de la qualification de harcèlement sexuel ou moral ; qu'en l'espèce, Mme O... soutenait qu'informé depuis plusieurs mois des faits de harcèlement sexuel dont elle avait été victime et de la dégradation de son état de santé médicalement constatée - depuis le mois de décembre 2014, s'agissant de Mmes N... et L..., ses supérieures hiérarchiques, depuis le 30 juin 2015, concernant M. S..., directeur des ressources humaines -, l'employeur n'avait pris aucune mesure, que ce soit en vue de connaître la nature exacte et l'ampleur des faits dénoncés par la salariée, ou de les faire cesser, voire de prévenir la survenance de tels faits par une information et des actions de formation appropriées dans l'entreprise (cf. conclusions d'appel p. 9 § 5 et suiv ; p. 12 § 6 et suiv.) ; qu'elle précisait avoir, en raison de cette situation, demandé par deux fois à l'employeur son changement d'équipe, en vain (ibid.) ; qu'enfin, la salariée ajoutait que ce n'était que par courrier du 26 septembre 2015, reçu le 1er octobre suivant, soit postérieurement à sa prise d'acte du contrat de travail du 26 septembre précédent, que l'employeur l'avait informée de l'existence d'une enquête du CHSCT relative aux faits par elle dénoncés et l'avait convoquée devant une délégation composée de deux membres du CHSCT et de M. S..., pour relater les faits dont elle avait été victime, ce qui s'avérait particulièrement tardif (cf. conclusions d'appel p. 21 § 1 et suiv.) ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher, d'une part, depuis combien de temps l'employeur était informé des agissements dénoncés par Mme O..., d'autre part, s'il avait pris les mesures propres à faire cesser la situation en question, dont elle constatait qu'elle était à tout le moins constitutive d'une mésentente entre la salariée et Mme L..., et à prévenir pour l'avenir de tels faits, notamment en prenant en considération en temps utile ses demandes de changement d'équipe, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
3) ALORS, subsidiairement, QUE l'employeur manque à son obligation de sécurité lorsqu'il ne respecte pas les préconisations du médecin du travail et impose au salarié de travailler dans des conditions incompatibles avec son état de santé ; qu'en l'espèce, l'avis « d'aptitude avec aménagement du poste de travail » du médecin du travail du 1er juillet 2015, indiquait qu'« il serait hautement souhaitable qu'elle puisse travailler dans un autre service dans les meilleurs délais, par exemple au service « entreprises » où un poste serait paraît-il bientôt vacant » ; qu'en déboutant Mme O... de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat, sans constater que l'employeur s'était conformé aux préconisations du médecin du travail en affectant la salariée à une autre équipe, et ce, dans les meilleurs délais, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme O... au de sa demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et d'AVOIR, en conséquence, dit que la prise d'acte de Mme M... O... s'analysait comme une démission et débouté la salariée de ses demandes en paiement d'indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de sa demande en paiement des sommes de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles en première instance et de 3.000 € en cause d'appel ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, quant à l'exécution loyale du contrat :
Mme M... O... soutient qu'elle a subi un blocage de sa rémunération depuis le 13 octobre 2010, date à laquelle elle a intégré l'équipe de Mme I... L... et que d'autres salariées avec une expérience et des qualités professionnelles équivalentes ou inférieures ont bénéficié de rémunérations supérieures, ce que conteste l'employeur ; que le compte rendu de l'entretien de Mme M... O... avec Mme N... en date du 14janvier2015, qui a été rédigé de manière unilatérale par la salariée, n'a pas de valeur probante ; qu'au surplus, il ne contient aucune reconnaissance par N... de la stagnation professionnelle de la salariée. En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme M... O... de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE Mme M... O... soutient que d'autres salariées ont une expérience et des qualités professionnelles équivalentes, voire inférieures, se sont vues octroyer des rémunérations supérieures telles que Mmes J..., XG..., E... ; que par contre, depuis son changement d'équipe, elle n'a pas connu d'évolution professionnelle comme salariale ; qu'elle n'a eu comme augmentation salariale que celle issue de l'accord sur l'égalité professionnelle femme/homme ; qu'elle estime qu'il y a là une exécution déloyale du contrat de travail ; que le GIE AG2R Reunica rétorque que Mme M... O... a bénéficié d'augmentations régulières entre 2003 et 2010, puis de deux augmentations en 2013 et 2014 et elle a bénéficié, à sa demande, d'un temps partiel à 80 % ; qu'il n'y a aucun manquement tenant à une exécution déloyale du contrat de travail ; que, sur ce : Mme M... O... fonde sa demande sur une exécution déloyale du contrat de travail et non sur une discrimination salariale ; qu'elle ne démontre pas avoir été oubliée pour les augmentations collectives ; qu'elle ne verse pas les bulletins de salaire des trois personnes dénommées qui auraient pu éventuellement étayer sa demande, documents qu'elle n'a pas jugé utile de demander y compris par la voie judiciaire ; que Mme M... O... est déboutée de ce chef de demande ;
ALORS QUE le salarié qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement en matière de salaire doit soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération et qu'il incombe alors à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence ; que lorsque le salarié soutient que la preuve de tels faits se trouve entre les mains d'une autre partie, il appartient au juge d'en ordonner la production en vue d'un débat contradictoire ; qu'en l'espèce, Mme O... comparait expressément sa propre situation à celle de Mmes E..., XG... et J... (cf. conclusions d'appel page 46 § 10 et 11 ; page 47 § 9 et suivants) ; qu'en la déboutant de sa demande en paiement d'un rappel de salaire au titre du principe d'égalité de traitement, sans exiger de l'employeur qu'il produise les bulletins de paie des trois salariées avec lesquelles l'exposante comparait sa situation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du principe « à travail égal, salaire égal ». | Il résulte des dispositions des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement |
467 | SOC.
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 713 FS-P+B
Pourvoi n° T 18-23.410
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
1°/ M. T... P..., domicilié [...],
2°/ Mme B... I..., domiciliée [...],
ont formé le pourvoi n° T 18-23.410 contre l'arrêt rendu le 2 août 2018 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 2), dans le litige les opposant à la société Alutil, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. P... et de Mme I..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Alutil, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Pécaut-Rivolier, Ott, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 2 août 2018), Mme I... et M. P... ont été engagés, pour la première, le 3 janvier 2012 par la société Alutil en qualité d'opératrice de saisie-accueil et, pour le second, le 1er avril 2008 par la société B'Plast en qualité d'ouvrier de production, puis suivant avenant du 1er juillet 2013 conclu avec la société Alutil venant aux droits de la société B'Plast, en qualité de chef d'atelier. Les salariés ont été licenciés pour faute grave par lettres du 14 mars 2014.
2. Soutenant, pour Mme I..., qu'elle avait été victime de harcèlement sexuel et, pour M. P..., qu'il avait été licencié pour avoir relaté le harcèlement subi par Mme I..., les salariés ont saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. Les salariés font grief à l'arrêt de dire que Mme I... n'a pas subi de harcèlement sexuel et de la débouter de ses demandes au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes ainsi qu'à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, alors « qu'aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que l'exposante avait fait état de ce que M. X... avait lors de l'entretien préalable reconnu l'avoir séduite et de la sanction disciplinaire notifiée à celui-ci pour comportement inapproprié ; qu'en se refusant à examiner ces éléments de fait, comme elle y était pourtant invitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ».
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail :
5. Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
6. Pour dire que la salariée n'a pas subi de harcèlement sexuel et la débouter de ses demandes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel et au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes, l'arrêt retient que les éléments présentés par l'intéressée, considérés dans leur ensemble, s'ils constituent un comportement inadapté sur le lieu de travail, ne laissent pas présumer l'existence d'un harcèlement sexuel.
7. En se déterminant ainsi, alors que la salariée soutenait que son supérieur hiérarchique avait reconnu avoir été entreprenant à son égard et que l'employeur avait sanctionné ce dernier par un avertissement pour comportement inapproprié vis à vis de sa subordonnée, la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération tous les éléments présentés par la salariée, n'a pas donné de base légale à sa décision. Et sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter M. P... de ses demandes de rappel de salaire durant la mise à pied, d'indemnité de préavis, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Enoncé du moyen
8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ces chefs de demande, alors : « qu'il appartient au juge de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause du licenciement ; que méconnaît l'étendue de ses pouvoirs le juge qui s'abstient d'examiner l'argumentation du salarié, selon laquelle le motif véritable du licenciement est autre que ceux invoqués dans la lettre de licenciement ; qu'en omettant de rechercher, comme l'exposant le soutenait, si le licenciement ne constituait pas en réalité une mesure de représailles émanant de M. X..., en réaction au refus opposé par Mme I... à ses avances et au soutien apporté par M. P... à la salariée, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
9. En application de ce texte tout jugement doit être motivé.
10. Pour dire le licenciement du salarié fondé sur une faute grave, l'arrêt retient qu'il n'est pas contesté que Mme I... a demandé à M. P... de lui confectionner deux garde-corps à l'aide de matériaux appartenant à l'entreprise, qu'il ressort des attestations produites que les salariés désireux de faire usage personnel des rebuts de l'entreprise sollicitaient l'autorisation de leur supérieur hiérarchique, que M. P... n'établit pas avoir sollicité ni obtenu oralement du supérieur hiérarchique de Mme I... une telle autorisation, que l'attitude du salarié ayant subtilisé le matériel de l'entreprise ne permettait pas le maintien de son contrat de travail.
11. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du salarié qui soutenait que son licenciement constituait une mesure de représailles prononcé en réaction au refus opposé par Mme I... aux avances de son supérieur hiérarchique et au soutien apporté par M. P... à l'intéressée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé. PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. P... de ses demandes au titre de la nullité de son licenciement, l'arrêt rendu le 2 août 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la société Alutil aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Alutil et la condamne à payer à Mme I... et à M. P... la somme globale de 3 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. P... et Mme I....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que Madame I... n'a pas subi des faits de harcèlement sexuel et de l'AVOIR déboutée de ses demandes au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes ainsi qu'à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
AUX MOTIFS QUE Mme I... ne produit aucun élément, à l'exception d'un récit établi par elle-même qui n'est pas susceptible de conférer à des faits un caractère tangible, concernant : - des compliments sur son physique exprimés par M. X..., son supérieur hiérarchique et directeur de l'établissement, - des invitations au restaurant, - la dégradation du comportement de M. X... après les vacances d'été 2013 par formulation de remarques négatives, humiliantes et désobligeantes avec des propos à caractère sexuel; que Mme I... produit par ailleurs des "post-it" attribués de façon non contestée à M. X... ("je vous souhaite une agréable semaine"» "répondre que le poste est pris, merci beaucoup B..." suivi d'un dessin représentant un personnage stylisé levant les bras, "fait avec Amour", une bande- dessinée représentant des personnages échangeant des propos transcrits dans des bulles et indiquant: "Mlle...je voulais vous dire...", "Oui, M.", "non rien...bonne journée"); que la salariée verse également au débat des échanges de messages électroniques signés par son supérieur hiérarchique et indiquant : - le 24 juin 2013 : "le week-end a-t'il été bon ? Je suis content de vous revoir, j'espère que cela est réciproque, bonne journée, bisous", le 25 juin 2013 : "j'ai l'impression que chaque jour qui passe me rapproche de vous et cela devient ; - difficile d'où mon absence hier dans votre bureau et si cela vous dérange hésitez pas de me le dire, bonne journée, bisous", "je suis désolé de vous avoir gênée, je reconnais que je suis un peu con de vous avoir envoyé ce message, je vous promets de garder mes distances et de ne plus vous importuner. Je serais reconnaissant que tout cela reste entre nous, à vous d'en décider. Cordialement", - le 10 juillet 2013 : "bonjour B..., je vous souhaite une bonne journée. Méfiez vous, j'ai une pêche d'enfer. La journée va être chaude !!!!!!!!!" ; que dans son attestation, Mme G..., mère de la salariée, précise : " je certifie avoir eu connaissance des faits relatant ses problèmes de mails ainsi que des agissements déplacés de M. X... sur son lieu de travail. J'ai effectivement gardé à mon domicile une copie des mails reçus par ma fille." ; que M. P... atteste que Mme I..., lors de l'entretien préalable au licenciement, a lu certains messages électroniques que lui adressait M. X..., envois confirmés par celui-ci; qu'enfin, Mme I... produit un certificat médical de Mme L... en date du 19 mars 2014, indiquant qu'elle a constaté des troubles anxieux sévères avec troubles du sommeil depuis le 8 mars 2014, la patiente ayant déclaré que "ces troubles sont en rapport avec une situation conflictuelle au travail".
Une prescription d'anxiolytiques du 8 mars est jointe à ce certificat ; qu'il apparaît, à la lecture des messages électroniques, qu'après renvoi du 25 juin 2013 dans lequel M. X... demande à Mme I... de l'informer si ces communications la gênent, celle-ci répond : "je viens de recevoir ce message qui, je l'avoue, me gêne un peu. Je ne voudrais surtout pas qu'il y ait de malaise entre nous car je vous apprécie et vous respecte beaucoup." ; que M. X..., le même jour, présente alors ses excusés et promet de "garder ses distances" ; que le message produit en copie par l'employeur et mis en exergue par la salariée, indiquant "même pas cinq minutes et je pense déjà à vous", est daté du 20 juin et antérieur aux excuses présentées par M. X... ; qu'il ressort l'ensemble de ces éléments, que si M. X... a effectivement entrepris une démarche de séduction à l'égard de sa subordonnée, Mme I... et M. X... entretenaient des liens tantôt aimables, tantôt familiers et témoignant d'une relation de travail détendue ; que les échanges de messages électroniques et les "post-it" ne constituent pas des propos présentant un caractère dégradant ou humiliant ni ne créent, à l'encontre de Mme I... une situation intimidante, hostile ou offensante, ce d'autant que M. X... a sollicité de sa subordonnée qu'elle lui indique si la situation la gênait et qu'il s'est immédiatement et dès le 24 juin, conformé à sa demande en cessant les communications destinées à la séduire; qu'en effet, le message précité, du 10 juillet produit par Mme I... ainsi que les messages postérieurs à cette date ne relèvent pas d'une connotation sexuelle ("et zut, j'en ai oublié un, arrêtez de me perturber" en date du 19 juillet), la plupart étant des messages uniquement professionnels (Mme I..., merci de m'imprimer cette facture et de la mettre sous enveloppe, Cordialement, M. S... X...") et Mme I... n'établissant pas que son employeur n'a pas communiqué l'intégralité des messages détenus, conformément à sa demande; qu'en outre, le certificat médical produit, s'il mentionne des troubles anxieux, date ceux-ci du 8 mars 2014 et les rattache à une relation de travail conflictuelle; qu'à cette date, la procédure de licenciement pour faute grave était engagée et le lien entre un harcèlement sexuel et des troubles anxieux n'est donc pas attesté par le médecin ; qu'enfin, ces éléments sont insuffisants à caractériser une pression grave telle que désignée par l'article L. 1153-1 du code du travail; que les éléments présentés par Mme I..., considérés dans leur ensemble (échanges détendus, tentative de séduction sur un ton comtois interrompue immédiatement à la demande de la salariée exclusif de répercussions sur la santé de cette dernière), s'ils constituent un comportement inadapté sur le lieu de travail, ne laissent pas présumer d'un harcèlement sexuel.
1° ALORS tout d'abord QUE aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que l'arrêt attaqué a constaté la tentative de séduction entreprise par Monsieur X..., l'a qualifiée de comportement inapproprié et a rapporté l'effet intimant produit sur l'exposante ; que ces constatations étaient de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement sexuel ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé les articles L.1153-1 et L 1154-1 du code du travail.
2° ALORS ensuite QUE aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en écartant le caractère intimidant de la situation pour la raison que Monsieur X... avait dès le 24 juin 2013 cessé les communications destinées à séduire la salariée, quand elle a relevé que cette dernière a versé au débat un message postérieur en date du 10 juillet 2013 qui atteste du contraire, la cour d'appel a encore violé les articles L.1153-1 et L 1154-1 du code du travail.
3° ALORS encore QUE aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que l'exposante avait fait état de ce que Monsieur X... avait lors de l'entretien préalable reconnu l'avoir séduite et de la sanction disciplinaire notifiée à celui-ci pour comportement inapproprié ; qu'en se refusant à examiner ces éléments de fait, comme elle y était pourtant invitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1153-1 et L 1154-1 du code du travail.
4° ALORS enfin QUE le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en exigeant de la salariée qu'elle prouve avoir subi des agissements de harcèlement, la cour d'appel a fait peser la charge la preuve sur la seule salariée et, ce faisant, a violé les articles L.1153-1 et L.1154-1 du code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que Monsieur P... n'avait pas témoigné ou relaté des faits de harcèlement sexuel et de l'AVOIR débouté de ses demandes au titre de la nullité du licenciement et des indemnités afférentes.
AUX MOTIFS QUE l'article L.1153-3 précise qu'aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés; que M. P... n'établit pas avoir témoigné des faits de harcèlement. La seule attestation produite sur ce point est celle qu'il a rédigée au soutien des intérêts de Mme I... et indiquant : "j'atteste sur l'honneur que lors de notre entretien du 11 mars, en présence de M. X..., de M. E... et de moi-même qui assistais Mme I..., lorsque Mme I... a lu certains des échantillons de mails insistants de M. X... qui avait pris l'habitude de lui envoyer régulièrement, M. X... a confirmé ces envois. M. E... était très surpris de découvrir de tels actes de la part de son collaborateur." ; qu'aucune pièce n'indique que M. P... aurait confirmé ces faits ou les aurait relatés à l'employeur, comme il le prétend dans ses conclusions.
ALORS QU'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés ; que toute disposition ou tout acte contraire est nul ; que relève de cette interdiction le témoignage d'un salarié assistant un collègue à l'entretien préalable et constatant que lors de cet entretien, l'auteur du harcèlement sexuel avait reconnu ses agissements ; qu'en jugeant que l'exposant, qui avait produit une attestation en ce sens, n'établissait pas avoir témoigné des faits de harcèlement, la cour d'appel a violé les articles L.1153-3 et L.1153-4 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé que les licenciements pour faute grave étaient justifiés et d'AVOIR en conséquence débouté les salariés de leurs demandes de rappel de salaire durant la mise à pied et de congés payés y afférents, d'indemnité de préavis, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
AUX MOTIFS QUE la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis; que la lettre de licenciement du 14 mars 2014 adressée à Mme I... est ainsi rédigée ; "Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute grave. En effet, le vendredi 28 février 2014, nous avons pu constater que deux garde-corps aluminium vitrés se trouvaient sous une couverture dans votre véhicule. Vous avez confirmé que ces deux garde-corps venaient de chez Alutil, ils vous ont été remis par un de vos collègues. Ce dernier les aurait fabriqués à votre demande. Ces deux garde-corps sont constitués de vitrage et de profil aluminium blanc. Non seulement vous avez pris ces matériaux sans accord préalable de votre responsable mais vous avez également fait fabriquer ce produit en utilisant les outils de la société et toujours sans autorisation. Cette conduite met en cause la bonne marche du service. Cela constitue une perte de profit, un manque à gagner pour notre entreprise." ; que la lettre de licenciement du même jour adressée à M. P... est ainsi rédigée : "Nous avons eu à déplorer de votre part un agissement constitutif d'une faute grave. En effet, le vendredi 28 février 2014, nous avons constaté dans le véhicule d'une de vos collègues, deux garde-corps, cachés sous une couverture, appartenant à la société Alutil et faits sur mesure. Cette collègue nous a indiqué que vous avez fabriqué ces deux garde-corps avec du matériel appartenant à notre société, sans en informer ni demander l'autorisation préalable de votre responsable. Non seulement vous avez pris ces matériaux sans accord préalable de votre responsable mais vous avez également fabriqué ce produit en utilisant les outils de la société et toujours sans autorisation. Ce comportement nuit au bon fonctionnement de notre société et engendre un préjudice financier. Cette conduite met en cause la bonne marche de notre entreprise. Compte tenu de votre poste de chef d'atelier, il vous appartient de montrer l'exemple." ; qu'il n'est pas contesté que Mme I... a demandé à M. P... de lui confectionner des garde-corps à l'aide de matériaux appartenant à l'entreprise. Les messages électroniques produits par les intimés et l'attestation de Mme A... corroborent leur fabrication par M. P...; que l'employeur prétend que les salariés n'avaient reçu aucune autorisation pour utiliser des matériaux appartenant à l'entreprise à des fins personnelles alors qu'il existe dans l'entreprise une possibilité de faire bénéficier les salariés de tarifs très préférentiels pour l'acquisition des produits qu'elle fabrique dont Mme I... et M. P... n'avaient pas fait usage; que les devis et factures établis à des tarifs préférentiels sont manifestement accordés aux salariés souhaitant commander des produits neufs comme le démontre la facture établie au nom de M. Y... pour un montant dépassant 8 000 euros et portant sur mie dizaine de produits de l'entreprise; que cette pièce ne peut toutefois établir la pratique suivie en ce qui concerne l'acquisition de chutes et rebuts que Mme I... et M. P... prétendent avoir utilisés pour la confection des garde-corps litigieux; que les intimés soutiennent que, selon les usages en cours dans l'entreprise, les salariés sont autorisés à utiliser, à titre personnel, les matériaux de l'entreprise destinés au rebut; qu'ils produisent les attestations de MM. H..., D... et W..., salariés de l'entreprise, indiquant que, sur demande auprès du chef d'atelier ou responsable de site, l'autorisation de faire usage à titre personnel de "chutes de profil, vitrage, panneaux et tôles" n'était jamais refusée ; qu'alors qu'il ressort des attestations produites par les intimés que les salariés désireux de faire usage personnel des rebuts de l'entreprise sollicitaient l'autorisation de leur supérieur hiérarchique, Mme I... et M. P... n'établissent pas avoir sollicité une telle autorisation, l'employeur contestant que cette permission ait été donnée oralement par M. X..., supérieur hiérarchique de Mme I..., comme le prétendent les salariés; que l'attitude des salariés ayant subtilisé le matériel de l'entreprise ne permettait pas le maintien de leur contrat de travail, y compris pendant la durée du préavis.
1° ALORS tout d'abord QUE la faute grave se définit par la faute qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire et rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que la charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur ; que la cour d'appel a débouté les exposants au motif qu'ils n'établissaient pas avoir sollicité l'autorisation de leur supérieur hiérarchique pour utiliser les rebuts de matériel, en se fondant sur leurs seules pièces ; qu'en statuant de la sorte, quand il appartenait à l'employeur de faire la preuve du refus opposé par Monsieur X... à l'utilisation des rebuts et des outils de l'entreprise pour les transformer, la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur les seuls salariés et ainsi violé les articles L.1234-1, L.1234-5 et L.1234-9 du code du travail, ensemble l'article 1315 dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1193 du code civil.
2° ALORS ensuite QU'en matière disciplinaire, si un doute subsiste, il profite au salarié ; que les exposants soutenaient avoir obtenu l'autorisation verbale de Monsieur X... pour utiliser les rebuts de matériel, ce que l'employeur contestait ; qu'en présence de deux positions contradictoires, le juge doit trancher en appliquant le principe susvisé ; qu'en déboutant les salariés en raison de leur carence probatoire, la cour d'appel a méconnu la portée du principe et ainsi a violé les articles L.1235-1 et L.1234-1 du code du travail.
3° ALORS encore QUE la faute grave se définit par la faute qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire et rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; que ne constitue pas une faute grave le fait pour un salarié d'utiliser à des fins personnelles les matériaux de rebuts de l'entreprise, laquelle ne subit aucun préjudice financier et/ou d'utiliser les outils de l'entreprise pour les transformer ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L.1234-1, L.1234-5 et L.1234-9 du code du travail.
4° ALORS enfin QU'il appartient au juge de rechercher, au-delà des énonciations de la lettre de licenciement, la véritable cause du licenciement ; que méconnaît l'étendue de ses pouvoirs le juge qui s'abstient d'examiner l'argumentation du salarié, selon laquelle le motif véritable du licenciement est autre que ceux invoqués dans la lettre de licenciement ; qu'en omettant de rechercher, comme les exposants le soutenaient, si les licenciements ne constituaient pas en réalité des mesures de représaille émanant de Monsieur X..., en réaction au refus opposé par Madame I... à ses avances et au soutien apporté par Monsieur P... à la salariée, la cour d'appel a violé l'article L.1232-1 du code du travail. | Il résulte des dispositions des articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Méconnaît cette règle de preuve la cour d'appel qui retient que les éléments produits par la salariée ne laissent pas présumer l'existence d'un harcèlement sexuel, sans prendre en considération, parmi les éléments invoqués par celle-ci, l'avertissement prononcé à l'encontre de son supérieur hiérarchique pour comportement inapproprié vis à vis de sa subordonnée |
468 | SOC.
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 714 FS-P+B+I
Pourvoi n° K 19-10.987
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
1°/ La société Lur Berri, société coopérative agricole, agissant en son nom et venant aux droits de l'UCAAB,
2°/ la société L.B, société par actions simplifiée,
3°/ la société LBO, société par actions simplifiée,
4°/ la société Lur Berri distribution, société par actions simplifiée,
5°/ la société Lur Berri Holding, société par actions simplifiée,
6°/ la société Praviland, société par actions simplifiée,
7°/ la société Lur Berri jardineries, société par actions simplifiée,
ayant toutes sept leur siège [...],
ont formé le pourvoi n° K 19-10.987 contre l'arrêt rendu le 8 janvier 2019 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société Syndex, société coopérative ouvrière de production, dont le siège est [...], ayant un établissement [...], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés Lur Berri, L.B, LBO, Lur Berri distribution, Lur Berri Holding, Praviland et Lur Berri jardineries, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Syndex, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 8 janvier 2019), statuant en la forme des référés, le comité d'entreprise de la société Lur Berri (la société) a, lors de sa séance du 27 octobre 2016, désigné un expert comptable pour l'assister dans le cadre des consultations annuelles obligatoires notamment sur la situation économique et financière et la politique sociale de l'entreprise.
2. Invoquant le dépassement par l'expert des délais impartis pour l'exercice de sa mission, la société a saisi le président du tribunal de grande instance pour voir dire que les honoraires réclamés par l'expert n'étaient pas dûs.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
La société fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement des honoraires réclamés par l'expert, alors :
« 1°/ qu'à l'expiration des délais mentionnés par les articles L. 2323-3 et R. 2323-1-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable à l'espèce, le comité d'entreprise est réputé avoir rendu un avis négatif sur le projet qui lui est soumis de sorte que l'expert-comptable qui n'a pas rendu son rapport à cette date ne peut plus solliciter le paiement d'honoraires ; que le délai imparti au comité d'entreprise pour rendre son avis dans le cadre des consultations annuelles obligatoires sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi court dès lors que le comité a désigné un expert afin de l'assister sur ces consultations, le comité étant en mesure de saisir le président du tribunal de grande instance s'il estime que l'information dont il dispose à cette fin est insuffisante ; qu'en l'espèce, lors de sa réunion du 27 octobre 2016, le comité d'entreprise a désigné la société Syndex pour l'assister en vue des consultations annuelles obligatoires prévues en 2016 sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi ; qu'en jugeant que le délai de deux mois imparti au comité d'entreprise pour rendre son avis n'avait pas couru à compter du 27 octobre 2016 au prétexte inopérant que les informations utiles n'avaient pas été communiquées à cette date, que tout en contestant le montant des honoraires de l'expert-comptable, la société Lur Berri avait alimenté la banque de données et fourni des informations directement à Syndex pour lui permettre de diligenter sa mission sans formuler d'opposition, que la société Lur Berri ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise pour recueillir son avis sur la situation économique et financière à une réunion fixée avant le 23 mars 2017 ni avoir convoqué le comité d'entreprise pour le consulter sur la politique sociale à une réunion fixée avant le 31 décembre 2016 ou le 16 janvier 2017 et que d'une manière générale, la société ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise à une réunion ayant pour objet de recueillir son avis sur la politique sociale et la situation économique et financière avant celle du 27 avril 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 2323-4 du code du travail ;
2°/ que le délai imparti au comité d'entreprise pour rendre son avis dans le cadre des consultations annuelles obligatoires sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, d'une durée de deux mois lorsque le comité a fait appel à un expert, court dès lors que l'employeur a fourni des informations destinées à ces consultations, le comité ou l'expert étant en mesure de saisir le président du tribunal de grande instance s'il estime que l'information dont il dispose à cette fin est insuffisante ; qu'en l'espèce, lors de sa réunion du 27 octobre 2016, le comité d'entreprise a désigné la société Syndex pour l'assister en vue des consultations annuelles obligatoires prévues en 2016 sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi ; qu'il résulte de l'arrêt que la société Lur Berri a transmis au comité et/ou à l'expert des informations relatives à ces consultations dès le 31 décembre 2016 ; qu'en jugeant cependant que la société Lur Berri ne pouvait opposer à l'expert l'expiration du délai de deux mois imparti au comité d'entreprise pour rendre son avis au prétexte inopérant qu'elle avait continué à fournir d'autres informations en janvier 2017 sans considérer les demandes de l'expert comme illégitimes ou tardives, que la société Lur Berri ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise pour recueillir son avis sur la situation économique et financière à une réunion fixée avant le 23 mars 2017 ni avoir convoqué le comité d'entreprise pour le consulter sur la politique sociale à une réunion fixée avant le 31 décembre 2016 ou le 16 janvier 2017 et que d'une manière générale, la société ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise à une réunion ayant pour objet de recueillir son avis sur la politique sociale et la situation économique et financière avant celle du 27 avril 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 2323-4 du code du travail ;
3°/ qu'il résulte des articles L. 2323-3 et R. 2323-1 du code du travail que seul un accord conclu entre l'employeur et le comité d'entreprise, adopté à la majorité des membres titulaires élus du comité, peut allonger le délai à l'expiration duquel le comité d'entreprise est réputé avoir rendu son avis ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que tout en contestant le montant des honoraires de l'expert-comptable, la société Lur Berri avait alimenté la banque de données et fournit des informations directement à Syndex pour lui permettre de diligenter sa mission sans formuler d'opposition, que le procès-verbal de réunion du comité d'entreprise du 26 janvier 2017 retraçait l'existence d'un vif débat entre les élus et la direction mais qu'à aucun moment, la société Lur Berri n'avait relevé que les délais étaient expirés pour la mission relative à la politique sociale, qu'à l'occasion de la réunion du comité d'entreprise du 16 février 2017, un nouvel échange avait opposé les élus à la direction sur le périmètre et les honoraires de la mission de Syndex et que c'était à ce moment que l'entreprise pour la première fois avait fait état de la tardiveté de l'intervention de Syndex, que toutefois, l'entreprise n'en avait tiré aucune conséquence puisqu'elle avait mis à l'ordre du jour du comité d'entreprise du 27 avril 2017 la restitution par Syndex de ses travaux sur la situation économique et financière, la politique sociale et la remise des avis du comité d'entreprise, et que la direction et les élus avaient ainsi accepté de considérer que les délais de consultation n'étaient pas expirés, quand, en l'absence de vote dans les conditions précitées, l'expert ne pouvait se prévaloir de la tenue de réunions du comité d'entreprise postérieures pour établir que le délai de deux mois aurait été prolongé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
4°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les documents soumis à son examen ; qu'en l'espèce, la société Lur Berri et les autres sociétés de l'UES, soutenant avoir convoqué le comité d'entreprise le 2 novembre 2016 et l'avoir consulté le 10 novembre suivant sur la politique sociale, produisaient une convocation du comité d'entreprise en date du 2 novembre 2016 pour une réunion du 10 novembre suivant, ayant pour objet ''la consultation annuelle sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi'' ; qu'en affirmant que la société Lur Berri ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise à une réunion ayant pour objet de recueillir son avis sur la politique sociale fixée avant le 31 décembre 2016 ou le 16 janvier 2017 et même avant la réunion du 27 avril 2017, la cour d'appel a dénaturé cette pièce par omission en violation du principe susvisé. »
Réponse de la Cour
3. Aux termes de l'article L. 2323-3 du code du travail alors applicable, sauf dispositions législatives spéciales, l'accord défini à l'article L. 2323-7 ou, en l'absence de délégué syndical, un accord entre l'employeur et le comité d'entreprise ou, le cas échéant, le comité central d'entreprise, adopté à la majorité des membres titulaires élus du comité, ou, à défaut d'accord, un décret en Conseil d'Etat fixe les délais dans lesquels les avis du comité d'entreprise ou, le cas échéant, du comité central d'entreprise sont rendus dans le cadre des consultations prévues aux articles L. 2323-10, L. 2323-12, L. 2323-15 et L. 3121-28 à L. 3121-39, ainsi qu'aux consultations ponctuelles prévues à la présente section. Ces délais, qui ne peuvent être inférieurs à quinze jours, doivent permettre au comité d'entreprise ou, le cas échéant, au comité central d'entreprise d'exercer utilement sa compétence, en fonction de la nature et de l'importance des questions qui lui sont soumises et, le cas échéant, de l'information et de la consultation du ou des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
4. Selon l'article R. 2323-1-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, le comité d'entreprise dispose d'un délai d'un mois, porté à deux mois en cas d'intervention d'un expert, pour donner un avis motivé dans le cadre d'une consultation faite par l'employeur.
5. Le délai court à compter de la date à laquelle le comité d'entreprise a reçu une information le mettant en mesure d'apprécier l'importance de l'opération envisagée et de saisir le président du tribunal de grande instance s'il estime que l'information communiquée est insuffisante.
6. Un accord collectif de droit commun ou un accord entre le comité d'entreprise et l'employeur peut cependant fixer d'autres délais que ceux prévus à l'article R. 2323-1-1 précité, les prolonger, ou modifier leur point de départ.
7. En l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs propres et adoptés, qu'à la suite d'échanges avec le comité d'entreprise et le cabinet d'expertise, l'employeur a abondé la base de données économiques et sociales le 23 janvier 2017, provoqué une réunion extraordinaire du comité d'entreprise le 16 février 2017 pour discuter du périmètre et du coût de l'expertise puis fixé, conjointement avec le secrétaire du comité d'entreprise, au 27 avril 2017 la date de restitution des travaux d'expertise et de remise des avis du comité d'entreprise.
8. La cour d'appel a pu déduire de ses constatations que les délais de consultation du comité d'entreprise, et par conséquent de l'expertise, avaient d'un commun accord été prolongés jusqu'au 27 avril 2017 de sorte que le rapport d'expertise remis avant cette date n'avait pas été déposé hors délai.
9. Le moyen n'est donc pas fondé
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Lur Berri, L.B., LBO, Lur Berri distribution, Lur Berri Holding, Praviland et Lur Berri jardineries aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Lur Berri, L.B., LBO, Lur Berri distribution, Lur Berri Holding, Praviland et Lur Berri jardineries et les condamne à payer à la société SCOP Syndex la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour les sociétés Lur Berri, L.B, LBO, Lur Berri distribution, Lur Berri Holding, Praviland et Lur Berri jardineries
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société Lur Berri de l'ensemble de ses demandes, d'AVOIR condamné cette société à payer à la société Syndex les sommes de 22 741,63 € au titre de sa facture relative à l'analyse de la situation économique et financière de l'entreprise, 7 973,90 € au titre de sa facture relative à l'analyse sociale, déduction faite de l'acompte déjà versé, 2 000 € pour les frais irrépétibles de première instance et 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel, d'AVOIR condamné in solidum la société coopérative Lur Berri et les autres sociétés de l'UES la société LB, la société LBO, la société Lur Berri distribution, la société Lur Berri Holding, la société Lur Berri Holding, la société Praviland et la société UCAAB aux dépens d'appel,
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Il est exact comme le rappelle les appelantes que le comité d'entreprise doit rendre son avis lorsqu'il désigne un expert dans un délai de 2 mois. En réalité, le débat déjà soumis au premier juge et qui est repris devant la cour est celui du point de départ de ce délai en ce que les parties divergent sur la question de savoir à quel moment les informations visées à l'article L2323-13 du code du travail ont été effectivement mises à la disposition del'expert-comptable pour remplir son office. Il ressort de la chronologie de cette affaire que le 27 octobre 2016, l'ordre du jour de la réunion du comité d'entreprise de l'UES Lur Berri comportait expressément : « la désignation de l'expert-comptable qui assistera le comité d'entreprise pour l'analyse des documents le rendu des avis ». Selon les termes du procès-verbal de réunion (il s'agit d'un projet qui est communiqué dans les mêmes termes par les deux parties de sorte que la cour tient ce document pour fiable), cet organe a chargé le cabinet d'expertise comptable Syndex de l'assister « en vue des consultations annuelles obligatoires prévues en 2016 portant sur la situation économique et financière (nouvel article L 2323-12 au 1er janvier 2016) la politique sociale, les conditions de travail l'emploi (nouvel article L 2323-10 au 1er janvier 2016, L 2323-15 au 1er janvier 2016) les orientations stratégiques et leurs conséquences (nouvel article L 2323-10 au 1er janvier 2016 ». Ce même procès-verbal indique que les missions confiées à l'expert-comptable sont des missions légales régies par l'article L 2325-35 (nouvelle rédaction 1er janvier 2016). Il est encore stipulé dans ce document que : « le cabinet Syndex prendra contact avec la direction pour organiser ses travaux et planifier la remise des informations d'ores et déjà disponibles. » En outre, ce procès-verbal énonce que le déroulement et l'organisation des missions confiées à l'expert-comptable seront précisées ultérieurement en fonction du calendrier social retenu pour les consultations 2016. La mission relative aux orientations stratégiques et leurs conséquences sera finalement abandonnée de telle sorte que la référence dans l'ordonnance entreprise à l'article R2325-6-1 du code du travail qui traite précisément de la mission d'assistance en vue de la consultation sur les orientations stratégiques, n'est pas pertinente. Restent les deux autres missions que Syndex estime avoir diligentées dans le cadre des lois et règlements en vigueur. Les appelants soutiennent, relativement d'abord à la consultation afférente à la situation économique et financière de l'entreprise, que ce délai de consultation expirait le 27 décembre 2016 pour avoir commencé à courir le 27 octobre 2016 date de la réunion du comité d'entreprise évoquée ci-dessus cela dans la mesure où le comité d'entreprise disposait, selon Lur Berri des informations utiles dès ce 27 octobre ou à tout le moins le 23 mars 2017 pour tenir compte de l'abondement par l'employeur le 23 janvier de la base de données. Lur Berri fait fond sur les dispositions de l'article L 2323-4 du code du travail lesquelles permettent aux membres élus du comité, s'ils estiment ne pas disposer d'éléments suffisants, de saisir le président du tribunal de grande instance statuant la forme des référés pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants. Dans le même esprit, les appelants rappellent que Syndex pouvait en vertu du droit propre dont cette société dispose, saisir aux mêmes fins le juge pour obtenir des documents spécifiques. En réalité, l'examen des échanges de messages électroniques entre Syndex et Lur Berri montre qu'il ne peut être tiré argument de l'absence de recours à justice pour dire que les informations étaient d'ores et déjà à disposition dès le 27 octobre, et que la computation du délai commençait à ce moment-là. Rien dans le compte rendu du procès-verbal susvisé ne permet de confirmer cette analyse. Il s'agissait pour le comité d'entreprise de recourir à l'assistance de l'expert-comptable en vue des consultations annuelles obligatoires et il n'est pas fait mention d'informations déjà à disposition qu'il suffisait de faire analyser par le professionnel mais de « planifier la remise des informations d'ores et déjà disponibles » c'est-à-dire d'informations que Lur Berri était en mesure de rassembler et de remettre à l'expert comptable. A cet égard, il sera observé que par message électronique du 9 novembre 2016 l'entreprise proposait à Syndex un rendez-vous le 29 novembre 2016 après que cet expert-comptable, la veille, soit le 8 novembre 2016, par message électronique, avait expliqué au dirigeant de l'entreprise qu'il était prévu restitution des travaux en février ou mars 2017 et qu'elle souhaitait expliciter les différentes modalités de sa mission, définir le planning d'intervention et identifier les interlocuteurs et services à contacter. C'est dans ces conditions que le 10 novembre pour chacune des missions à elle confiées, la société Syndex adressait à l'entreprise une première demande d'informations. Le déroulement des relations épistolaires entre Syndex et l'entreprise Lur Berri montre que tout en contestant le montant des honoraires de cet expert-comptable qu'elle considérait comme exagéré, Lur Berri adressait le 31 décembre 2016 à 9h51, selon les propres termes de son message électronique, les « premiers éléments économiques et financiers » ce qui permet d'en déduire qu'ils ne seraient pas les seuls et précisait qu'elle récoltait les éléments complémentaires auprès des services concernés. Début janvier 2017, Lur Berri spécifiait à Syndex qu'il y aurait plusieurs mails à la suite compte tenu des volumes. Il ressort de ces simples échanges de première part, que Lur Berri n'a pas fait obstruction à l'envoi d'informations ce qui justifie que Syndex n'ait pas eu matière à recourir à la procédure judiciaire sus-indiquée, de seconde part que Lur Berri a bien adressé diverses informations à Syndex dans le cadre de ses missions sans que l'entreprise considère ces demandes illégitimes ou tardives et de troisième part que ces envois se sont succédés dans le temps. En effet, à la rentrée de janvier 2017, d'autres échanges électroniques entre Syndex et Lur Berri porteront sur l'analyse des documents reçus, l'absence selon Syndex d'informations supplémentaires qu'elle détaillera et l'envoi le 17 janvier 2017 par Lur Berri de précisions complémentaires sous forme de plusieurs fichiers le même jour compte tenu manifestement du volume important des fichiers joints aux messages. Au surplus, toujours relativement à la mission d'assistance légale relativement à la situation économique et financière, la cour observera que la base de données a été abondée sur la situation économique et financière par l'employeur le 23 janvier 2017. Dans ces conditions, il ne peut être valablement soutenu par les appelants que le 27 octobre 2016 les informations utiles étaient déjà communiquées. Il s'ensuit que tout en contestant le montant à ses yeux exorbitants des honoraires de l'expert-comptable, Lur Berri a alimenté la banque de données et fournit des informations directement à Syndex pour lui permettre de diligenter sa mission sans formuler d'opposition. Pour ce qui concerne la mission relative à la politique sociale, Lur Berri ne peut davantage soutenir que le délai de consultation expirait le 31 décembre 2016 puisqu'à cette date l'entreprise a accepté d'envoyer un certain nombre de documents d'information et que courant janvier 2017 elle a continué d'en adresser sans aucune opposition de sa part à Syndex. La cour observera en outre que le procès-verbal de réunion du comité d'entreprise du 26 janvier 2017 retrace l'existence d'un vif débat entre les élus et la direction, les élus mentionnant qu'ils souhaitaient que les travaux de l'expert-comptable pour les 3 consultations formelles obligatoires soient restitués en mars 2017 et qu'en conséquence il fallait que les éléments formels sources de l'expertise soient transmis à Syndex intégralement et au plus tôt tandis que, de son côté, l'entreprise déclarait pour sa part en substance, que les tarifs pratiqués par Syndex étaient prohibitifs, que Syndex abusait de sa position et de l'encadrement de sa profession et qu'une telle facture aurait un lourd impact sur les comptes de la coopérative contenu des résultats déjà très faibles. A aucun moment, Lur Berri n'a relevé que les délais étaient expirés pour la mission relative à la politique sociale. À l'occasion de la réunion du comité d'entreprise du 16 février 2017, un nouvel échange a opposé les élus à la direction sur le périmètre et les honoraires de la mission de Syndex et c'est à ce moment que l'entreprise pour la première fois fera état de la tardiveté de l'intervention de Syndex. Toutefois, l'entreprise n'en tirera aucune conséquence puisqu'elle mettra à l'ordre du jour du comité d'entreprise du 27 avril 2017 conjointement avec le secrétaire du comité, très précisément : « la restitution par Syndex de ses travaux sur :
- la situation économique et financière
- la situation politique social
la remise des avis du comité d'entreprise. »
La direction et les élus ont ainsi acceptés de considérer que les délais de consultation n'étaient pas expirés. En résumé, pour ce qui concerne la situation économique et financière s'agissant d'un rapport communiqué à la direction le 21 mars 2017, Lur Berri ne démontre pas avoir convoqué le comité d'entreprise à une réunion fixée avant le 23 mars 2017 pour recueillir son avis sur la situation économique et financière. Quant au délai de consultation du comité d'entreprise sur la politique sociale Lur Berri ne démontre pas avoir convoqué le comité d'entreprise une réunion fixée avant le 31 décembre 2016 ou le 16 janvier 2017. D'une manière générale, Lur Berri ne démontre pas avoir convoqué le comité d'entreprise à une réunion ayant pour objet de recueillir son avis sur la politique sociale et la situation économique et financière avant celle du 27 avril 2017, réunion dont il vient d'être dit qu'elle avait expressément ces points à son ordre du jour. En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a relevé que Lur Berri ne pouvait opposer à l'expert choisi par le comité d'entreprise, l'expiration du délai qui lui était imparti pour formuler son avis sur les deux aspects c'est-à-dire la politique sociale et la situation économique et financière. Par suite, la cour confirmera l'ordonnance de ce chef. Elle confirmera également le chef du jugement portant condamnation au paiement des honoraires » ;
ET AUX MOTIFS à les supposer ADOPTES QUE « Aux termes de l'article L.2325-35 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, le comité d'entreprise peut se faire assister de l'expert comptable de son choix en vue notamment de la consultation annuelle sur la situation économique et financière prévue à l'article L.2323-l2, et de la consultation annuelle sur la politique sociale de l'entreprise définie à l'article L.2325-15. L'article L.2325-40, également dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, met à la charge de l'employeur la rémunération de l'expert. Le Comité d'Entreprise de l'UES Lur Berri a fait usage de ce droit par délibération du 27 octobre 2016 et a fait choix, le même jour, du cabinet Syndex. La lettre de mission a été proposée le 9 novembre et acceptée par le secrétaire du CE le 14 novembre 2016. L'article L2323-3 du code du travail, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, ménageait au Comité d'Entreprise un "délai suffisant" pour émettre ses avis, et précisait que ce délai, sauf accord sur d'autres termes adopté à la majorité des membres titulaires élus, résultait d'un décret en Conseil d'Etat. Les articles R2323-1 et R2323-l-l, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, fixait à deux mois en cas de recours à un expert, le délai dans lequel le Comité d'Entreprise devait prononcer son avis, ce délai courant à compter de la communication par l'employeur des informations prévues par le code du travail, ou à compter de l'information de la mise à disposition de ces informations dans la base de données de l'entreprise. (...) Le cabinet Syndex affirme qu'il a été entravé dans l'exécution de sa mission, et que les pièces dont il avait besoin ne lui ont pas été communiquées. Il en déduit que le point de départ du délai d'exécution de sa mission en a été retardé d'autant. Si les éléments d'information ont été transmis à la société Syndex le 31 décembre 2016, ces renseignements n'étaient pas suffisants et une demande complémentaire a été adressée, tant sur le plan économique et financier que sur le plan social, par message du 13 janvier 2017. Cette demande n'a pas été contestée et une réponse lui a été apportée le 14 janvier 2017 par voie électronique. Des échanges se sont cependant poursuivis entre le cabinet Syndex et l'UES Lur Berri, et, le 3 février 2017, le cabinet d'expertise demandait encore la communication de certains documents manquants. Ce n'est finalement que par délibération du 16 février 2017 que le Comité d'Entreprise acceptait, sur la demande de l'UES, de réduire la mission de l'expert et d'en ôter l'analyse des documents manquants. (...) Par ailleurs, s'il est exact que, aux termes de la loi, le CE est réputé avoir émis un avis négatif s'il n'a pas émis d'avis exprès dans le délai légal, il est également possible aux parties de proroger ce délai par accord entre elles. En l'espèce, l'UES Lur Berri a, après avoir provoqué une réunion extraordinaire du CE en février 2017, fixé à l'ordre du jour d'une réunion du 27 avril 2017 la restitution des travaux du cabinet Syndex et l'émission des avis du CE. Cette-restitution s'est déroulée, selon elle, en dehors du "cadre légal" pour ce qui est de la politique sociale, mais elle n'a formulé aucune observation en ce qui concerne la situation économique et financière. Lors de la réunion du 27 avril 2017, le CE a émis un avis sur les deux aspects, avec au moins l'accord de l'UES sur le premier point. Dès lors, celle-ci ne peut opposer au CE l'expiration du délai qui lui était imparti pour formuler son avis. La rémunération de l'expert-comptable ne fait pas l'objet d'autre contestation, et l'UES Lur Berri sera condamnée au paiement des factures réclamées » ;
1. ALORS QU'à l'expiration des délais mentionnés par les articles L. 2323-3 et R. 2323-1-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable à l'espèce, le comité d'entreprise est réputé avoir rendu un avis négatif sur le projet qui lui est soumis de sorte que l'expert-comptable qui n'a pas rendu son rapport à cette date ne peut plus solliciter le paiement d'honoraires ; que le délai imparti au comité d'entreprise pour rendre son avis dans le cadre des consultations annuelles obligatoires sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi court dès lors que le comité a désigné un expert afin de l'assister sur ces consultations, le comité étant en mesure de saisir le président du tribunal de grande instance s'il estime que l'information dont il dispose à cette fin est insuffisante ; qu'en l'espèce, lors de sa réunion du 27 octobre 2016, le comité d'entreprise a désigné la société Syndex pour l'assister en vue des consultations annuelles obligatoires prévues en 2016 sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi ; qu'en jugeant que le délai de deux mois imparti au comité d'entreprise pour rendre son avis n'avait pas couru à compter du 27 octobre 2016 au prétexte inopérant que les informations utiles n'avaient pas été communiquées à cette date, que tout en contestant le montant des honoraires de l'expert-comptable, la société Lur Berri avait alimenté la banque de données et fourni des informations directement à Syndex pour lui permettre de diligenter sa mission sans formuler d'opposition, que la société Lur Berri ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise pour recueillir son avis sur la situation économique et financière à une réunion fixée avant le 23 mars 2017 ni avoir convoqué le comité d'entreprise pour le consulter sur la politique sociale à une réunion fixée avant le 31 décembre 2016 ou le 16 janvier 2017 et que d'une manière générale, la société ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise à une réunion ayant pour objet de recueillir son avis sur la politique sociale et la situation économique et financière avant celle du 27 avril 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 2323-4 du code du travail ;
2. ALORS à tout le moins QUE le délai imparti au comité d'entreprise pour rendre son avis dans le cadre des consultations annuelles obligatoires sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, d'une durée de deux mois lorsque le comité a fait appel à un expert, court dès lors que l'employeur a fourni des informations destinées à ces consultations, le comité ou l'expert étant en mesure de saisir le président du tribunal de grande instance s'il estime que l'information dont il dispose à cette fin est insuffisante ; qu'en l'espèce, lors de sa réunion du 27 octobre 2016, le comité d'entreprise a désigné la société Syndex pour l'assister en vue des consultations annuelles obligatoires prévues en 2016 sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi ; qu'il résulte de l'arrêt que la société Lur Berri a transmis au comité et/ou à l'expert des informations relatives à ces consultations dès le 31 décembre 2016 ; qu'en jugeant cependant que la société Lur Berri ne pouvait opposer à l'expert l'expiration du délai de deux mois imparti au comité d'entreprise pour rendre son avis au prétexte inopérant qu'elle avait continué à fournir d'autres informations en janvier 2017 sans considérer les demandes de l'expert comme illégitimes ou tardives, que la société Lur Berri ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise pour recueillir son avis sur la situation économique et financière à une réunion fixée avant le 23 mars 2017 ni avoir convoqué le comité d'entreprise pour le consulter sur la politique sociale à une réunion fixée avant le 31 décembre 2016 ou le 16 janvier 2017 et que d'une manière générale, la société ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise à une réunion ayant pour objet de recueillir son avis sur la politique sociale et la situation économique et financière avant celle du 27 avril 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble l'article L. 2323-4 du code du travail ;
3. ALORS par ailleurs QU'il résulte des articles L. 2323-3 et R. 2323-1 du code du travail que seul un accord conclu entre l'employeur et le comité d'entreprise, adopté à la majorité des membres titulaires élus du comité, peut allonger le délai à l'expiration duquel le comité d'entreprise est réputé avoir rendu son avis ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que tout en contestant le montant des honoraires de l'expert-comptable, la société Lur Berri avait alimenté la banque de données et fournit des informations directement à Syndex pour lui permettre de diligenter sa mission sans formuler d'opposition, que le procès-verbal de réunion du comité d'entreprise du 26 janvier 2017 retraçait l'existence d'un vif débat entre les élus et la direction mais qu'à aucun moment, la société Lur Berri n'avait relevé que les délais étaient expirés pour la mission relative à la politique sociale, qu'à l'occasion de la réunion du comité d'entreprise du 16 février 2017, un nouvel échange avait opposé les élus à la direction sur le périmètre et les honoraires de la mission de Syndex et que c'était à ce moment que l'entreprise pour la première fois avait fait état de la tardiveté de l'intervention de Syndex, que toutefois, l'entreprise n'en avait tiré aucune conséquence puisqu'elle avait mis à l'ordre du jour du comité d'entreprise du 27 avril 2017 la restitution par Syndex de ses travaux sur la situation économique et financière, la politique sociale et la remise des avis du comité d'entreprise, et que la direction et les élus avaient ainsi accepté de considérer que les délais de consultation n'étaient pas expirés, quand, en l'absence de vote dans les conditions précitées, l'expert ne pouvait se prévaloir de la tenue de réunions du comité d'entreprise postérieures pour établir que le délai de deux mois aurait été prolongé, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
4. ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents soumis à son examen ; qu'en l'espèce, la société Lur Berri et les autres sociétés de l'UES, soutenant avoir convoqué le comité d'entreprise le 2 novembre 2016 et l'avoir consulté le 10 novembre suivant sur la politique sociale (conclusions d'appel, p. 8), produisaient une convocation du comité d'entreprise en date du 2 novembre 2016 pour une réunion du 10 novembre suivant, ayant pour objet « la consultation annuelle sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi » ; qu'en affirmant que la société Lur Berri ne démontrait pas avoir convoqué le comité d'entreprise à une réunion ayant pour objet de recueillir son avis sur la politique sociale fixée avant le 31 décembre 2016 ou le 16 janvier 2017 et même avant la réunion du 27 avril 2017, la cour d'appel a dénaturé cette pièce par omission en violation du principe susvisé. | Selon l'article R. 2323-1-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, le comité d'entreprise dispose d'un délai d'un mois, porté à deux mois en cas d'intervention d'un expert, pour donner un avis motivé dans le cadre d'une consultation faite par l'employeur.
Le délai court à compter de la date à laquelle le comité d'entreprise a reçu une information le mettant en mesure d'apprécier l'importance de l'opération envisagée et de saisir le président du tribunal de grande instance s'il estime que l'information communiquée est insuffisante.
Un accord collectif de droit commun ou un accord entre le comité d'entreprise et l'employeur peut cependant fixer d'autres délais que ceux prévus à l'article R. 2323-1-1 précité, les prolonger, ou modifier leur point de départ |
469 | SOC.
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 715 FS-P+B+R+I
Pourvoi n° E 18-23.743
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
La société Risk et Co, société anonyme, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° E 18-23.743 contre l'arrêt rendu le 27 septembre 2018 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l'opposant à M. M... G..., domicilié [...], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Risk et Co, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. G..., et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Pécaut-Rivolier, Ott, conseillers, Chamley-Coulet, Mme Lanoue, MM. Joly, M. Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 septembre 2018), engagé le 14 novembre 2011 en qualité de consultant sûreté, statut cadre, par la société Risk et Co, qui assure des prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense à des gouvernements, organisations internationales non gouvernementales ou entreprises privées, M. G... a été licencié pour faute grave le 13 août 2013.
2. Soutenant avoir été licencié pour un motif discriminatoire en ce qu'il lui était reproché le port de la barbe, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 26 novembre 2013 de demandes tendant à la nullité de son licenciement, à sa réintégration et au paiement de diverses sommes indemnitaires.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du licenciement du salarié, d'ordonner sa réintégration dans le délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt et de condamner la société Risk et Co à lui payer certaines sommes à titre de provision à valoir sur son préjudice et de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, alors :
« 1°/ que si l'employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n'entrent pas dans le cadre du contrat de travail et le salarié doit exécuter la prestation de travail pour laquelle il a été embauché ; que ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse du salarié, l'injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l'information, de l'analyse et de la gestion des risques de toute nature, dans des environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, affecté à des missions dans des zones à risques, d'adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il doit se rendre ; qu'une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l'injonction de revenir à un port de barde exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission, dans le pays dans lequel elle doit être exécutée ; que l'article 13 du contrat de travail de M. G..., embauché en qualité de consultant sûreté avec une prise de fonctions au Yémen, stipulait que "dans l'exercice de ses fonctions, M. G... obéit aux lois et règlements des pays dans lesquels il est amené à travailler ainsi qu'aux règlements intérieurs des différentes structures des clients. Il respecte les us et coutumes des pays dans lesquels il se rendra" ; qu'à cet égard, la société Risk et Co avait fait valoir que M. G..., embauché en tenant compte de ce qu'il se présentait comme spécialiste du Proche et Moyen-Orient, avait affiché sa préférence pour une affectation dans un pays de culture arabo-musulmane ; qu'en ne vérifiant pas si le refus du salarié de revenir à une barbe d'apparence plus neutre et comparable à celle qu'il portait au moment de son embauche, afin notamment de lui confier une mission de sécurité au Yémen ou dans les pays en adéquation avec son affectation préférentielle et ses compétences, ne constituait pas une méconnaissance de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail ;
2°/ que ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse d'un salarié, mais une simple restriction légitime, proportionnée et objectivement justifiée, l'injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l'information, de l'analyse et de la gestion des risques de toute nature, inhérents aux environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, amené à exécuter ses missions dans des zones à risques, d'adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il est affecté ; qu'une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l'injonction de revenir à un port de barbe exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission ; que compte tenu du contexte de la mission assignée au salarié, de sa nature, du pays de destination des missions, la restriction relative à l'apparence de la barbe portée par le salarié, afin qu'elle reflète une neutralité, est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, proportionnée au but poursuivi, ladite restriction répondant à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, l'objectif de la restriction étant légitime ; qu'en énonçant que le licenciement reposait pour partie sur des motifs pris de ce que l'employeur considère comme l'expression par M. G... de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, sans rechercher si la fonction occupée par le salarié, en qualité de consultant de sécurité destiné à être affecté régulièrement dans des zones potentiellement dangereuses et politiquement instables, n'imposait pas la restriction litigieuse, au regard de la nécessité de tenir compte du sens attribué à l'apparence de la barbe dans lesdites zones, l'employeur ne pouvant prendre le risque d'envoyer au Yémen un salarié dont l'apparence pouvait justifier une stigmatisation et mettre en péril sa sécurité et celle des personnes qu'il devait accompagner, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 et L. 1131-1 du code du travail ;
3°/ que la société Risk et Co, avait versé aux débats le témoignage d'un ancien consultant en sécurité qui avait précisé : ''J'ai observé que les militaires avec lesquels on travaillait étaient particulièrement inquiets et sur leur garde. Un comportement ou une apparence inappropriés s'apparentant à celles de groupes terroristes aurait même pu nous mettre sérieusement en danger'' ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette attestation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que la légitimité d'une restriction apportée à la liberté religieuse d'un salarié, en l'état du droit applicable antérieur à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 n'était pas subordonnée à l'existence d'une note de service ou d'un règlement intérieur ; que l'absence d'un tel support a pour seule conséquence d'imposer un examen de la restriction alléguée en relevant l'existence d'une exigence professionnelle essentielle et déterminante ; qu'en se fondant sur le fait que l'employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer en raison des impératifs de sécurité qu'il invoque, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé les articles 1321-1, L. 1321-2-1 et L. 1321-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rédaction applicable, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Au termes de l'article L. 1321-3, 2° du code du travail dans sa rédaction applicable, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.
5. L'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L. 1321-5 du code du travail dans sa rédaction applicable, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
6. Ayant relevé que l'employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer au salarié en raison des impératifs de sécurité invoqués, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que l'interdiction faite au salarié, lors de l'exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu'elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l'injonction faite par l'employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre caractérisaient l'existence d'une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.
7. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d'« exigence professionnelle essentielle et déterminante », au sens de l'article 4, § 1, de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.
8. Dès lors, la cour d'appel a exactement retenu que si les demandes d'un client relatives au port d'une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article 4, § 1, de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, l'objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l'entreprise peut justifier en application de ces mêmes dispositions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l'employeur d'imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif.
9. Ayant relevé que si l'employeur considérait la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse, il ne précisait ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés, la cour d'appel a constaté, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis et sans être tenue de s'expliquer sur ceux qu'elle décidait d'écarter, que l'employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de la mission du salarié au Yémen de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié.
10. La cour d'appel en a déduit à bon droit, sans encourir le grief de la quatrième branche du moyen qui manque en fait, que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l'employeur considérait comme l'expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, de sorte que le licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Risk & Co aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Risk & Co et la condamne à payer à M. G... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Risk & Co.
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du licenciement de M. G..., ordonné sa réintégration dans le délai de 30 jours suivant la notification de l'arrêt et d'avoir condamné la société Risk & Co à lui payer les sommes de 146 400 euros net à titre de provision à valoir sur son préjudice ainsi que la somme de 1 967,74 euros nets au titre du salaire correspondant à la mise à pied conservatoire ainsi qu'une somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE le salarié considère que le licenciement est fondé sur un motif discriminatoire car, sous le couvert de plusieurs motifs, la lettre de licenciement fait expressément référence à sa barbe, qui, selon l'employeur a un caractère religieux ;
Que le salarié en déduit que le licenciement est nul ;
Que la société soutient que le licenciement du salarié est fondé sur deux griefs objectifs constituant une violation de ses obligations contractuelles et rendant impossible son maintien même temporaire dans l'entreprise, d'une part, le grave mensonge sur la véritable raison de la fin de sa première mission au Yémen, à savoir la qualité médiocre de son travail, qui a causé un préjudice à son employeur, d'autre part, l'impossibilité de repositionner le salarié sur une mission du fait du refus du salarié de revenir à une apparence plus neutre dans l'exercice de son activité professionnelle ;
Qu'en effet, après avoir soumis à un client le profil de M. G... en vue d'une seconde mission au Yémen, la société indique avoir été informée que la décision de refus résultait de la mauvaise qualité des prestations fournies précédemment par le salarié, qui s'était démotivé au cours de cette mission ;
Que la société indique que dans ses conditions il avait été convenu entre le salarié et le client d'arrêter la mission et que le salarié avait masqué cette réalité pendant plus d'un an en prétextant des menaces dont il n'a jamais apporté la preuve ;
Que l'employeur souligne que le comportement du salarié lui a causé préjudice ;
Que la société Risk & Co ajoute que le salarié n'a pas été licencié en raison de son apparence physique mais du fait de l'impossibilité de le repositionner sur une nouvelle mission ;
Que la société précise que la barbe de M. G... n'est en rien une problématique religieuse mais uniquement une problématique de sécurité ;
Qu'or, l'aspect de cette barbe est de nature à poser difficulté du fait de son appréhension locale dans des circonstances particulières ;
Que la conduite des missions dans certains pays oblige Risk & Co à respecter des règles de nature à assurer la sécurité de ses consultants et clients ;
Qu'en outre l'entreprise doit également respecter les codes de conduite des clients de Risk & Co, lesquels prennent des engagements quant au respect des coutumes et traditions des pays où ils interviennent ;
Que la société considère qu'elle a apporté une restriction à la liberté de M. G..., mais que cette restriction était justifiée et proportionnée au regard tant de sa mission que du contexte de cette mission ;
Qu'elle considère que le fait pour le salarié de ne pas avoir accepté de revenir à l'apparence neutre qui était la sienne lors de son embauche justifiait son licenciement ;
Que l'employeur affirme n'avoir jamais eu d'attitude discriminante dans un quelconque domaine, ni vis-à-vis d'une quelconque religion et qu'aucun acte discriminatoire ne peut lui être reprochée ;
Qu'il résulte des dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son apparence physique ;
Qu'en application de l'article L.1134-1du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;
Que la Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 14 mars 2017 (CJUE, A... F..., aff. C-188/15), a dit pour droit : « L'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que la volonté d'un employeur de tenir compte des souhaits d'un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition » ;
Que par arrêt du même jour (CJUE, 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, C-157/15), la Cour de justice a dit pour droit : « L'article 2, § 2, sous a), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que l'interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d'une règle interne d'une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive. En revanche, une telle règle interne d'une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l'article 2, § 2, sous b), de la directive 2000/78/CE s'il est établi que l'obligation en apparence neutre qu'elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l'employeur, dans ses relations avec ses clients, d'une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier » ;
Que la Cour de justice a précisé, dans les motifs de cette dernière décision (§ 43), s'agissant du refus d'une salariée de renoncer au port du foulard islamique dans l'exercice de ses activités professionnelles auprès de clients de l'employeur, qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il eût été possible à l'employeur, face à un tel refus, de lui proposer un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ;
Qu'il résulte des articles L.1121-1, L.1132-1 et L.1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché ;
Qu'aux termes de l'article L. 1321-3, 2°, du code du travail, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
Que l'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L.1321-5 du code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients ;
Qu'en présence du refus d'un salarié de se conformer à une telle clause dans l'exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l'entreprise, il appartient à l'employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer au salarié un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement ;
Que l'employeur explique que le salarié a été licencié pour faute grave en raison de son mensonge sur sa précédente mission et de l'impossibilité de le réaffecter sur une mission eu égard à sa volonté de ne pas revenir à une apparence plus neutre ;
Que plus particulièrement, dans la lettre de licenciement l'employeur reproche au salarié de porter une « barbe, taillée d'une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique qui ne pouvait être comprise que comme une provocation par [le] client et comme susceptible de compromettre la sécurité de son équipe et de vos collègues sur place » ;
Que même s'il est invoqué des contraintes de sécurité, le grief repose sur les convictions politiques et religieuses exprimées au travers du port de la barbe, port qui ne serait pas suffisamment neutre au regard des exigences que l'employeur prête à la mission qu'il envisageait de confier au salarié ;
Que si les demandes d'un client portant sur le port d'une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de la directive n° 2000/78/CE, les exigences de sécurité du personnel et des clients de l'entreprise peuvent justifier des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives, et, par suite permettent à l'employeur d'imposer une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif ;
Que toutefois, l'employeur ne produit aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entend imposer en raison des impératifs de sécurité qu'il invoque ;
Que par ailleurs, s'il considère la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse, l'employeur ne précise ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés ;
Que le code de conduite de la société Total ou la charte des valeurs de la société Areva produits par la société Risk & Co, ne sauraient ni suppléer à l'absence de règlement intérieur ou de note de service relative aux atteintes aux libertés des salariés opérées par l'employeur et qui seraient justifiées par des impératifs de sécurité ;
Que les photographies de soldats yéménites glabres ou moustachus, ou les conseils donnés par le ministère des affaires étrangères aux voyageurs et précisant en cinq pages les conditions d'un voyage au Yémen (risque d'enlèvement, piraterie maritime, risques spécifiques, transports sans escorte déconseillés, entrée, séjour, santé, us et coutumes, législation locale), ne permettent pas d'établir de risques spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de la mission au Yémen ni de justifier les exigences spécifiques de l'employeur en la matière ;
Que l'employeur ne justifie pas davantage du contenu des exigences de ses clients ;
Qu'en effet, la lettre de licenciement fait mention de ce que le 2 juillet 2013, le client de l'entreprise aurait confirmé le refus de la candidature de M. G... en précisant que son apparence en était l'une des raisons majeures ;
Que l'employeur produit effectivement un mail rédigé en anglais et daté du 2 juillet 2013 adressé à M. B... , et dont les éléments d'identification de l'auteur ont été caviardés. Selon la traduction en français produite par l'employeur de ce mail rédigé en anglais, le rejet de la candidature de M. G... est ainsi motivé :
« 1/ le profil inapproprié du candidat ne correspondait pas aux attentes du client, celui-ci étant à la recherche d'un profil décent.
2/ après des recherches auprès de la direction de nos partenaires, plus particulièrement YLNG, il a été découvert des états de services nettement insuffisants, ainsi que des avis controversés sur votre client » ;
Que les termes anglais « decent profile » utilisés dans le mail peuvent également être traduits par profil convenable ou honnête ;
Que toutefois, ces qualificatifs sont particulièrement imprécis et rien, dans cette expression, comme dans le reste du mail, ne permet de retenir que le rejet de la candidature est fondé sur le port de la barbe, ni les contraintes de sécurité qui seraient affectées en raison de celle-ci ;
Que dans un échange de mail du 15 juillet 2013 entre M. S... et M. B... , tous deux salariés de la société Risk & Co, il est indiqué que le salarié avait menti sur sa prestation au Yémen et que les photos données pour joindre à sa candidature pour le nouveau poste avaient été perçues comme une vraie provocation par le client ;
Mais que là encore, l'employeur ne précise pas la nature exacte de ce que le client a ressenti comme une provocation et n'établit pas que les ressentis du client reposeraient sur des éléments objectifs de sécurité de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié ;
Qu'il en découle que le licenciement repose, au moins pour partie, sur des motifs pris de ce que l'employeur considère comme l'expression par M. G... de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe ;
Que le caractère discriminatoire de ce motif frappe la lettre de licenciement de nullité, conformément à l'article L.1132-4 du code du travail, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres motifs invoqués pour justifier cette mesure ;
Que le licenciement est donc nul et la réintégration du salarié doit être ordonnée dans les conditions prévues au dispositif ;
1) ALORS QUE si l'employeur est tenu de respecter les convictions religieuses de son salarié, celles-ci, sauf clause expresse, n'entrent pas dans le cadre du contrat de travail et le salarié doit exécuter la prestation de travail pour laquelle il a été embauché ; que ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse du salarié, l'injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l'information, de l'analyse et de la gestion des risques de toute nature, dans des environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, affecté à des missions dans des zones à risques, d'adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il doit se rendre ; qu'une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l'injonction de revenir à un port de barde exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission, dans le pays dans lequel elle doit être exécutée ; que l'article 13 contrat de travail de M. G..., embauché en qualité de consultant sûreté avec une prise de fonctions au Yémen, stipulait que «dans l'exercice de ses fonctions, M. G... obéit aux lois et règlements des pays dans lesquels il est amené à travailler ainsi qu'aux règlements intérieurs des différentes structures des clients. Il respecte les us et coutumes des pays dans lesquels il se rendra » ; qu'à cet égard, la société Risk & Co avait fait valoir que M. G..., embauché en tenant compte de ce qu'il se présentait comme spécialiste du Proche et Moyen-Orient, avait affiché sa préférence pour une affectation dans un pays de culture arabo-musulmane ; qu'en ne vérifiant pas si le refus du salarié de revenir à une barbe d'apparence plus neutre et comparable à celle qu'il portait au moment de son embauche, afin notamment de lui confier une mission de sécurité au Yémen ou dans les pays en adéquation avec son affectation préférentielle et ses compétences, ne constituait pas une méconnaissance de ses obligations contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1221-1 du code du travail ;
2) ALORS QUE ne constitue ni une discrimination, ni une violation de la liberté individuelle ou religieuse d'un salarié, mais une simple restriction légitime, proportionnée et objectivement justifiée, l'injonction faite par un employeur qui fournit des prestations de conseil aux entreprises dans le domaine de l'information, de l'analyse et de la gestion des risques de toute nature, inhérents aux environnements mouvants, instables et dégradés, à un consultant en sécurité, amené à exécuter ses missions dans des zones à risques, d'adopter, pour sa propre sécurité et celle des personnes auprès desquelles il est affecté dans le cadre de sa mission, une apparence tenant compte des us et coutumes des pays dans lesquels il est affecté ; qu'une telle exigence, inhérente à la fonction occupée, justifie l'injonction de revenir à un port de barbe exclusif de toute connotation susceptible de remettre en cause la sécurité de la mission ; que compte tenu du contexte de la mission assignée au salarié, de sa nature, du pays de destination des missions, la restriction relative à l'apparence de la barbe portée par le salarié, afin qu'elle reflète une neutralité, est justifiée par la nature de la tâche à accomplir, proportionnée au but poursuivi, ladite restriction répondant à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, l'objectif de la restriction étant légitime ; qu'en énonçant que le licenciement reposait pour partie sur des motifs pris de ce que l'employeur considère comme l'expression par M. G... de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, sans rechercher si la fonction occupée par le salarié, en qualité de consultant de sécurité destiné à être affecté régulièrement dans des zones potentiellement dangereuses et politiquement instables, n'imposait pas la restriction litigieuse, au regard de la nécessité de tenir compte du sens attribué à l'apparence de la barbe dans lesdites zones, l'employeur ne pouvant prendre le risque d'envoyer au Yémen un salarié dont l'apparence pouvait justifier une stigmatisation et mettre en péril sa sécurité et celle des personnes qu'il devait accompagner, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1121-1 et L.1131-1 du code du travail ;
3) ALORS QUE la société Risk & Co, avait versé aux débats le témoignage d'un ancien consultant en sécurité qui avait précisé : « J'ai observé que les militaires avec lesquels on travaillait étaient particulièrement inquiets et sur leur garde. Un comportement ou une apparence inappropriés s'apparentant à celles de groupes terroristes aurait même pu nous mettre sérieusement en danger » (conclusions, p. 13) ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette attestation, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
4) ALORS QUE la légitimité d'une restriction apportée à la liberté religieuse d'un salarié, en l'état du droit applicable antérieur à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 n'était pas subordonnée à l'existence d'une note de service ou d'un règlement intérieur ; que l'absence d'un tel support a pour seule conséquence d'imposer un examen de la restriction alléguée en relevant l'existence d'une exigence professionnelle essentielle et déterminante ; qu'en se fondant sur le fait que l'employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entendait imposer en raison des impératifs de sécurité qu'il invoque, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et violé les articles 1321-1, L.1321-2-1 et L.1321-5 du code du travail. | Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que la notion d'« exigence professionnelle essentielle et déterminante», au sens de l'article 4, § 1, de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client. Si les demandes d'un client relatives au port d'une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article 4, § 1, de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, l'objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l'entreprise peut justifier en application de ces mêmes dispositions des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l'employeur d'imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif. Ayant constaté que l'employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de la mission du salarié de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés de ce dernier, une cour d'appel en déduit à bon droit que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l'employeur considérait comme l'expression par le salarié de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, de sorte que le licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail |
470 | SOC.
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 716 FS-P+B
Pourvoi n° R 18-11.977
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
M. U... C..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° R 18-11.977 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2017 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la régie de la communauté d'agglomération de Metz Métropole Haganis, dont le siège est [...],
2°/ à l'union départementale des syndicats CFTC de la Moselle, dont le siège est [...],
3°/ au syndicat CFTC, territoriaux de la Moselle, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de M. C..., de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la régie de la communauté d'agglomération de Metz Métropole Haganis, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, M. Joly, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Pécaut-Rivolier, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Donne acte à M. C... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'union départementale des syndicats CFTC de la Moselle et le syndicat CFTC – Territoriaux de la Moselle.
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. C..., fonctionnaire territorial de la communauté d'agglomération de Metz métropole, a été, selon convention du 30 septembre 2005, renouvelée pour trois ans le 25 juillet 2008, mis à disposition de la régie de la communauté d'agglomération de Metz métropole Haganis (la régie), établissement public industriel et commercial, au sein de laquelle il a été élu délégué du personnel le 2 avril 2009, puis désigné le 17 avril 2009 en qualité de délégué syndical ; que, par lettre du 20 janvier 2011, le [...] de la régie l'a informé que sa mise à disposition ne serait pas renouvelée et que, par lettre du 8 août 2011, le président de la communauté d'agglomération de Metz métropole lui a indiqué que ne disposant pas de poste vacant correspondant à son grade au sein de la collectivité il y serait maintenu en surnombre durant un an à compter du 1er octobre 2011 ; que M. C... a saisi la juridiction prud'homale le 24 septembre 2014 d'une demande tendant à obtenir sa réintégration dans ses fonctions antérieures et le rétablissement de ses fonctions syndicales ainsi que d'une demande d'indemnisation de son préjudice au titre de la violation du statut protecteur ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. C... fait grief à l'arrêt de se déclarer incompétent pour connaître de ses demandes tendant à obtenir sa réintégration dans ses fonctions antérieures et le rétablissement de ses fonctions syndicales dans ce cadre, le versement de cotisations au régime de retraite additionnelle et le bénéfice ou le paiement des jours de congés ou RTT et d'inviter les parties à mieux se pourvoir sur ces chefs de demandes alors, selon le moyen, que lorsque le non-renouvellement du contrat de travail d'un salarié protégé n'a pas fait l'objet d'une demande d'autorisation administrative par l'employeur, le juge prud'homal est seul compétent pour statuer sur la régularité des conditions dans lesquelles ce non-renouvellement est intervenu ; qu'en considérant que le juge judiciaire était incompétent, au profit du juge administratif, pour connaître de la demande de M. C..., fonctionnaire territorial détaché auprès de la Régie Haganis, titulaire d'un contrat de travail et salarié protégé, tendant à sa réintégration dans l'entreprise à la suite du non-renouvellement de son contrat intervenue sans autorisation administrative, cependant que le juge prud'homal était seul compétent pour connaître d'une telle demande précisément en raison de l'absence de décision administrative autorisant ce non-renouvellement, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 1411-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs ;
Mais attendu que la cour d'appel a décidé exactement que le juge judiciaire n'était pas compétent pour ordonner la réintégration du fonctionnaire au sein de l'organisme de droit privé auprès duquel il avait été mis à disposition, quand bien même la décision de ne pas solliciter le renouvellement de la mise à disposition est le fait de cet organisme et qu'aucune autorisation administrative de non-renouvellement de la mise à disposition du fonctionnaire exerçant au sein de l'organisme de droit privé un mandat de représentant syndical n'a été sollicitée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 5, II, du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux, ensemble les articles L. 2411-3 et L. 2412-2 du code du travail ;
Attendu que selon le premier de ces textes, lorsque cesse la mise à disposition, le fonctionnaire qui ne peut être affecté aux fonctions qu'il exerçait précédemment dans son service d'origine reçoit une affectation dans l'un des emplois que son grade lui donne vocation à occuper, dans le respect des règles fixées au deuxième alinéa de l'article 54 de la loi du 26 janvier 1984 ; qu'il en résulte que l'employeur privé n'est pas tenu à l'expiration de la mise à disposition à son terme normal de solliciter une autorisation administrative de mettre fin au contrat, sauf lorsqu'il s'est opposé au renouvellement de la mise à disposition, ou que ce non-renouvellement est dû à son fait ;
Attendu que, pour rejeter la demande d'indemnisation au titre du défaut d'autorisation administrative de non-renouvellement de la mise à disposition, l'arrêt retient que, dès lors que cette mise à disposition a pris fin à son échéance normale et non de manière anticipée cet agent ne peut donc plus invoquer à son profit les dispositions des articles L. 2412-2 et L. 2412-3 du code du travail prévoyant une autorisation de l'inspecteur du travail pour la rupture à l'arrivée de son terme du contrat à durée déterminée d'un délégué syndical ou d'un délégué du personnel, comportant une clause de renouvellement, si l'employeur n'envisage pas un tel renouvellement et qu'il importe peu que la régie ait fait savoir par avance à M. C... qui l'interrogeait à ce sujet, en l'occurrence par un courrier du 26 janvier 2011, qu'elle n'entendait pas signer une nouvelle convention de mise à disposition le concernant, puisque sa liberté de souscrire ou non à un renouvellement de sa mise à disposition une fois la convention en cours arrivée à son terme était pleine et entière ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnité au titre de la violation du statut protecteur, l'arrêt rendu le 12 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la régie de la communauté d'agglomération de Metz Métropole Haganis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la régie de la communauté d'agglomération de Metz Métropole Haganis et la condamne à payer à M. C... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. C...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du 13 janvier 2017 en ses dispositions ayant déclaré le conseil de prud'hommes incompétent pour connaître des demandes de M. C... tendant à obtenir sa réintégration dans ses fonctions antérieures et le rétablissement de ses fonctions syndicales dans ce cadre, le versement de cotisations au régime de retraite additionnelle et le bénéfice ou le paiement des jours de congés ou RTT et d'avoir invité les parties à mieux se pourvoir sur ces chefs de demandes ;
AUX MOTIFS QUE le premier juge a, comme il en avait la faculté aux termes de l'article 92 du code de procédure civile, soulevé d'office, par référence à l'article L. 1411-4 du code du travail et au fait que depuis la fin de la convention de mise à disposition M. C... n'était plus un salarié de droit public mis à disposition d'un établissement de droit privé mais un salarié relevant du droit public, son incompétence à connaître de la demande de M. C... concernant sa réintégration dans ses fonctions au sein de la Régie Haganis et des demandes en découlant : rétablissement dans ses mandats syndicaux, versement de cotisations à son régime de retraite additionnelle et bénéfice de congés payés ou de jours de RTT ; que la demande de réintégration suppose en l'espèce une appréciation du statut et de la situation de M. C... au sein de la Régie tant durant la période de mise à disposition qu'à la fin de celle-ci notamment pour rechercher si l'intéressé aurait dû bénéficier du statut protecteur applicable aux délégués élus du personnel et aux délégués syndicaux par le code du travail, donc voir autoriser l'absence de renouvellement de la mesure par l'Inspecteur du travail, sous peine de voir considérer celle-ci comme nulle et ouvrant donc voie à cette réintégration ; qu'en effet, l'appelant invoque pour fonder la compétence du conseil de prud'hommes à connaître de cette demande une jurisprudence de la Cour de cassation du 15 juin 2010 aux termes de laquelle « le fonctionnaire mis à disposition d'un organisme de droit privé et qui accomplit un travail pour le compte de celui-ci ne se trouve lié à cet organisme par un contrat de travail que s'il se trouve dans un rapport de subordination avec celui-ci » et le fait qu'en l'occurrence il aurait précisément exercé ses fonctions sous la subordination du [...] de l'EPIC aux conditions de droit commun ; que M. C..., ingénieur en chef au sein de la communauté d'agglomération de Metz Métropole a en l'occurrence été mis à disposition de la Régie Haganis à compter du premier octobre 2005 par une convention signée entre son administration de rattachement et cette Régie et revêtue de son accord le 18 août 2005, par ailleurs autorisée par un arrêté du président de cette communauté d'agglomération du 29 septembre 2005, pour y exercer les fonctions de responsable du bureau d'études pour une durée de trois ans, la première convention stipulée renouvelable pour une durée n'excédant pas trois ans ayant été suivie d'une seconde convention entre les mêmes parties et acceptée par M. C... le 30 mai 2008 prévoyant une nouvelle période de mise à disposition de trois ans à compter du 1er octobre 2008 ; que les deux conventions et l'arrêté renvoient aux dispositions des articles 61 à 63 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant statut de la fonction publique territoriale et la première convention et l'arrêté renvoient aussi à celles du décret n° 85-1081 du 8 octobre 1985 relatif à la mise à disposition des fonctionnaires territoriaux pris en application de ces trois articles, abrogé le 21 juin 2008 et remplacé par des dispositions quasi similaires par un décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 ; que l'article 61 susvisé, dans sa rédaction en vigueur au moment de la signature des deux conventions, stipule que la mise à disposition est la situation du fonctionnaire qui demeure dans son cadre d'emploi ou corps d'origine, est réputé y occuper un emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui exerce ses fonctions hors du service où il a vocation à servir ; que cette mise à disposition ne peut avoir lieu qu'avec l'accord du fonctionnaire et doit être prévue par une convention conclue entre l'administration d'origine et l'organisme d'accueil, ce qui a été le cas en l'espèce ; que contrairement à un fonctionnaire détaché de son corps d'origine, qui peut trois mois avant l'expiration de son détachement, s'il est de longue durée, faire connaître à son administration d'origine sa décision de solliciter le renouvellement du détachement ou de réintégrer son corps d'origine, les deux décrets de 1985 et 2008 ne prévoient rien de tel, la mise à disposition prenant fin soit de fait à la fin de la période prévue pour cette mise à disposition qui ne peut être supérieure à trois ans et est renouvelable par période de même durée, soit avant le terme fixé par l'autorité territoriale à la demande de celle-ci, de l'autorité compétente de la collectivité, de l'établissement ou de l'organisme d'accueil ou du fonctionnaire mis à disposition ; que les deux décrets successifs d'application ont aussi précisé les règles applicables durant la mise à disposition et reprises par les deux conventions, à savoir que M. C... continuait à être payé par son administration d'origine, qui gérait aussi son avancement, ses congés, ainsi que ses arrêts et prestations maladie, d'accident de travail et d'invalidité, que M. C... ne pouvait percevoir aucun complément de rémunération de la Régie sous réserve des remboursements de frais et que la Régie Haganis fixait les conditions de travail du fonctionnaire et était tenue d'établir un rapport annuel sur sa manière de servir ; que l'arrêté portant mise à disposition ajoutait la distinction suivante dans son article 2 : « La gestion de la situation professionnelle, et notamment la rémunération correspondant à l'emploi occupé par l'intéressé ainsi que le pouvoir disciplinaire sont exercés par la Communauté d'Agglomération de Metz Métropole (en gras dans le texte). La gestion des responsabilités liées aux conditions de travail, et notamment l'organisation des tâches, et, à ce titre, la prise en charge des frais de déplacement éventuels, sont exercés par la Régie Haganis » ; que s'il est de jurisprudence constante qu'un agent statutaire mis à disposition d'un organisme de droit privé pour accomplir un travail pour le compte de celui-ci et sous sa direction est lié à cet organisme par un contrat de travail, sans même qu'il soit besoin de caractériser un lien de subordination, ce que ne fait d'ailleurs pas M. C... en l'espèce, il est aussi avéré qu'en vertu de l'article 61 de la loi précitée du 26 janvier 1984, cet agent reste rattaché à son corps d'origine, est toujours réputé y occuper un emploi continue à être rémunéré par ce dernier et ne bénéficie d'aucun droit au renouvellement de sa mise à disposition lorsqu'elle est arrivée à échéance ; que l'agent mis à disposition, à distinguer de l'agent détaché, reste donc en ce qui concerne son statut mais aussi sa rémunération et le droit disciplinaire, un fonctionnaire relevant du droit public même s'il est temporairement soumis au droit privé dans ses rapports avec l'établissement d'accueil, qui gère ses conditions de travail, durant le temps de la mise à disposition ; que dès lors que cette mise à disposition a pris fin à son échéance normale et non de manière anticipée cet agent ne peut donc plus invoquer à son profit, comme M. C... le faisait dans sa demande en référé et encore dans sa requête au fond, les dispositions des articles L. 2412-2 et L. 2412-3 du code du travail prévoyant une autorisation de l'Inspecteur du travail pour la rupture à l'arrivée de son terme du contrat à durée déterminée d'un délégué syndical ou d'un délégué du personnel, comportant une clause de renouvellement, si l'employeur n'envisage pas un tel renouvellement ; qu'il est précisé qu'il importe peu que la Régie Haganis ait fait savoir par avance à M. C... qui l'interrogeait à ce sujet, en l'occurrence par un courrier du 26 janvier 2011, qu'elle n'entendait pas signer une nouvelle convention de mise à disposition le concernant, puisque sa liberté de souscrire ou non à un renouvellement de sa mise à disposition une fois la convention en cours arrivée à son terme était pleine et entière, ce courrier ne faisant au surplus aucune référence aux mandats exercés par l'intéressé pour justifier cette décision ; que par ailleurs, le contrôleur du travail néanmoins consulté par la Régie Haganis a lui aussi rappelé dans son courrier du 5 décembre 2011 la différence fondamentale existant entre un détachement et une mise à disposition, qui a fait que l'employeur de M. C... est resté la collectivité territoriale de Metz Métropole, de sorte qu'il estimait ne pas être compétent pour donner son aval au non renouvellement de sa convention de mise à disposition, dont la contestation relevait selon lui du tribunal administratif et non du conseil de prud'hommes ; qu'en tout état de cause, M. C... étant resté attaché à son corps d'origine et ayant conservé un statut de droit public, le conseil de prud'hommes n'était pas compétent pour annuler la décision de non renouvellement de sa mise à disposition et décider de sa réintégration au sein de la Régie Haganis, avec toutes les conséquences qui pouvaient en découler en terme de cotisations, congés et RTT, dont au demeurant la gestion restait, même au cas où ce renouvellement serait intervenu du ressort de son employeur public ; que le jugement entrepris sera donc confirmé pour avoir renvoyé M. C... à mieux se pourvoir s'agissant de ces prétentions, observation étant faite que l'appelant a déjà implicitement reconnu l'incompétence du juge judiciaire puisqu'il a parallèlement à son action aux prud'hommes engagé un contentieux administratif pour voir annuler la décision de non renouvellement de sa mise à disposition et l'arrêté du président de la communauté d'agglomération de Metz Métropole l'ayant maintenu en surnombre au sein des effectifs de cette collectivité territoriale, demande dont l'intimée indique qu'il en aurait été débouté ;
ALORS QUE lorsque le non-renouvellement du contrat de travail d'un salarié protégé n'a pas fait l'objet d'une demande d'autorisation administrative par l'employeur, le juge prud'homal est seul compétent pour statuer sur la régularité des conditions dans lesquelles ce non-renouvellement est intervenu ; qu'en considérant que le juge judiciaire était incompétent, au profit du juge administratif, pour connaître de la demande de M. C..., fonctionnaire territorial détaché auprès de la Régie Haganis, titulaire d'un contrat de travail et salarié protégé, tendant à sa réintégration dans l'entreprise à la suite du non-renouvellement de son contrat intervenue sans autorisation administrative, cependant que le juge prud'homal était seul compétent pour connaître d'une telle demande précisément en raison de l'absence de décision administrative autorisant ce non-renouvellement, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article L. 1411-3 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des pouvoirs.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du conseil de prud'hommes de Metz du 13 janvier 2017 en ses dispositions ayant débouté M. C... de ses autres demandes indemnitaires ;
AUX MOTIFS QUE compte tenu de l'existence d'un contrat de travail dans les rapports entre M. C... et la Régie Haganis, il y a lieu de considérer que les demandes de l'appelant tendant à l'indemnisation de son préjudice pour une faute ayant consisté dans le non-respect de son statut de salarié protégé et accessoirement d'un préjudice qualifié de moral et de troubles subis dans ses conditions d'existence, relevaient de la compétence du conseil de prud'hommes ; que cependant ces demandes ne peuvent prospérer dans la mesure où l'appelant ne se plaint pas du non-respect de son statut durant la période de sa mise à disposition, mais de la non prise en compte de ce statut au moment où celle-ci a pris fin et d'un préjudice évalué en perte de primes de déficit de carrière et d'image de cadre sans affectation, correspondant en fait à des conséquences du non renouvellement de sa mise à disposition et non à un préjudice en lien direct avec la faute alléguée ; qu'en l'espèce, la Cour de cassation a retenu, dans son arrêt du 9 mars 2016, l'absence d'un trouble manifestement illicite dès lors que la mise à disposition de M. C... avait pris fin du fait de la survenance de son terme ; que ce terme a de facto mis fin au contrat de travail avec l'établissement d'accueil, qui était d'une durée limitée de trois ans éventuellement renouvelable, et aux mandats représentatifs de l'appelant, donc à la protection dont il pouvait bénéficier à ce titre, M. C... relevant à nouveau exclusivement de son corps d'origine ; que par ailleurs il a déjà été rappelé que la liberté de la Régie Haganis de conclure ou non une nouvelle convention de mise à disposition était pleine et entière et qu'elle n'a donc commis aucune faute du fait de son refus d'un renouvellement de cette convention, qu'aucun élément du dossier ne permet au surplus de relier à une volonté affirmée par elle de priver M. C... de ses mandats ; que le jugement entrepris sera donc aussi confirmé pour avoir débouté M. C... de ses demandes indemnitaires au seul constat que son statut de salarié protégé avait pris de facto fin avec la fin de sa mise à disposition, soit le 30 septembre 2011 ;
ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 3, alinéa 4), M. C... faisait valoir qu'en prenant l'initiative en 2011, contre sa volonté, de ne pas renouveler le contrat de travail qu'il avait conclu dans le cadre de sa mise à disposition, la Régie Haganis avait anticipé la fin de son mandat électif, dont l'échéance était fixée en 2013 et que, s'étant abstenue de solliciter l'autorisation de l'inspection du travail, comme elle aurait dû le faire au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, l'employeur avait commis une faute en évinçant son salarié dans des conditions à la fois irrégulières et discriminatoires ; qu'en se bornant alors à retenir, pour exclure l'existence d'une faute imputable à la Régie Haganis, que celle-ci était libre de conclure ou non une nouvelle convention avec M. C..., et que la mise à disposition de celui-ci avait pris fin à son terme normal, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur ne s'était pas en réalité affranchi des règles applicables en matière de non-renouvellement de contrat conclu avec un salarié protégé, qui impliquait notamment une demande d'autorisation auprès de l'inspection du travail, et si la situation de l'espèce ne caractérisait pas l'existence d'une discrimination au préjudice des agents publics mis à disposition détenteurs de mandats sociaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2412-2 et L. 2412-3 du code du travail. | Le juge judiciaire n'est pas compétent pour ordonner la réintégration du fonctionnaire au sein de l'organisme de droit privé auprès duquel il avait été mis à disposition, quand bien même la décision de ne pas solliciter le renouvellement de la mise à disposition est le fait de cet organisme et qu'aucune autorisation administrative de non-renouvellement de la mise à disposition du fonctionnaire exerçant au sein de l'organisme de droit privé un mandat de représentant syndical n'a été sollicitée |
471 | COUR DE CASSATION LM
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 10 juillet 2020
Mme ARENS, première présidente
- Rejet
- Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne
- Sursis à statuer
Arrêt n° 653 P+B+R+I
Pourvois n° B 18-18.542 et G 18-21.814 Jonction
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 10 JUILLET 2020
I. La société Bank Sepah, société de droit étranger, dont le siège est Argentine Square High Way Africa Corner The Dadman, Building & Urban Ministry, Tour Nejin, Téhéran (République islamique d'Iran), ayant un établissement 20 rue Auguste Vacquerie, 75016 Paris, a formé le pourvoi n° B 18-18.542 contre l'arrêt rendu le 8 mars 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Overseas Financial Ltd, société de droit étranger,
2°/ à la société Oaktree Finance Ltd, société de droit étranger,
ayant toutes deux leur siège 1013 Centre Rd, Suite 403-1, 19805 Wilmington County of New Castle, Delaware (États-Unis),
défenderesses à la cassation.
II. 1°/ La société Overseas Financial Ltd, société de droit étranger,
2°/ la société Oaktree Finance Ltd, société de droit étranger,
ont formé le pourvoi n° G 18-21.814 contre le même arrêt, dans le litige les opposant à la société Bank Sepah, société de droit étranger, défenderesse à la cassation.
Par arrêts du 27 février 2020, la deuxième chambre civile a ordonné le renvoi de l'examen des pourvois devant l'assemblée plénière.
La demanderesse au pourvoi n° B 18-18.542 invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Bank Sepah, suivi d'observations complémentaires.
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi et Sureau, avocat des sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd, suivi d'observations complémentaires.
Les demanderesses au pourvoi n° G 18-21.814 invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Spinosi et Sureau, avocat des sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd.
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société Bank Sepah.
Le rapport écrit de M. Mollard, conseiller, et l'avis écrit de M. Molins, procureur général, ont été mis à la disposition des parties.
Un avis 1015 du code de procédure civile a été mis à disposition des parties et des observations ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Bank Sepah.
Sur le rapport de M. Mollard, conseiller, assisté de Mme Digot et de M. Gilquin-Vaudour, auditeurs au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer et de la SCP Spinosi et Sureau, et l'avis de M. Molins, procureur général, auquel, parmi les parties invitées à le faire, la SCP Célice, Texidor, Périer a répliqué, après débats en l'audience publique du 26 juin 2020 où étaient présents Mme Arens, première présidente, Mmes Batut, Mouillard, MM. Chauvin, Pireyre, Soulard, Cathala, présidents, M. Mollard, conseiller rapporteur, MM. Prétot, Huglo, Maunand, Rémery, Mme Duval-Arnould, doyens de chambre, M. Bonnal, conseiller faisant fonction de doyen de chambre, M. Acquaviva, Mme Martinel, M. Wyon, Mme Pécaut-Rivolier, M. Boyer, conseillers, M. Molins, procureur général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée de la première présidente, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° B 18-18.542 et G 18-21.814, qui attaquent le même arrêt, sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 mars 2018) et les productions, par la résolution 1737 (2006) du 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé que la République islamique d'Iran devait suspendre toutes les activités liées à l'enrichissement et au retraitement ainsi que les travaux sur tous projets liés à l'eau lourde, et prendre certaines mesures prescrites par le Conseil des Gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique, que le Conseil de sécurité des Nations Unies a jugé essentielles pour instaurer la confiance dans le fait que le programme nucléaire iranien poursuivait des fins exclusivement pacifiques. Afin de persuader l'Iran de se conformer à cette décision contraignante, le Conseil de sécurité a décidé que l'ensemble des États membres des Nations Unies devrait appliquer un certain nombre de mesures restrictives. Conformément à la résolution 1737 (2006), la position commune 2007/140/PESC du Conseil du 27 février 2007 a prévu certaines mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, et notamment le gel des fonds et des ressources économiques des personnes, des entités et des organismes qui participent, sont directement associés ou apportent un soutien aux activités de l'Iran liées à l'enrichissement, au retraitement ou à l'eau lourde, ou à la mise au point par l'Iran de vecteurs d'armes nucléaires. Ces mesures ont été mises en uvre dans la Communauté européenne par le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007.
3. Par la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007, le Conseil de sécurité a identifié la société Bank Sepah (la banque Sepah) comme faisant partie des « entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques » de l'Iran auxquelles devait s'appliquer la mesure de gel des avoirs. Cette résolution a été transposée dans le droit communautaire par le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission du 20 avril 2007 modifiant le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil.
4. Par arrêt du 26 avril 2007, devenu irrévocable, la cour d'appel de Paris a condamné la banque Sepah, ainsi que diverses personnes physiques, à payer à la société Overseas Financial (la société Overseas) la contrevaleur en euros de la somme de 2 500 000 USD, et à la société Oaktree Finance (la société Oaktree) la contrevaleur en euros de la somme de 1 500 000 USD, le tout avec intérêts au taux légal à compter de cet arrêt.
5. Le 17 janvier 2016, le Conseil de sécurité a radié la banque Sepah de la liste des personnes et entités faisant l'objet de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran. Cette décision a été transposée dans le droit de l'Union par le règlement d'exécution (UE) n° 2016/74 du Conseil du 22 janvier 2016, entré en vigueur le 23 janvier 2016.
6. En vertu de l'arrêt du 26 avril 2007, les sociétés Overseas et Oaktree ont, le 17 mai 2016, fait délivrer des commandements de payer aux fins de saisie-vente contre la banque Sepah et, le 5 juillet 2016, fait pratiquer entre les mains de la Société générale des saisies-attributions et des saisies de droits d'associés et valeurs mobilières, au préjudice de la banque Sepah, saisies dénoncées le 8 juillet 2016.
7. Les 13 juin et 15 juillet 2016, la banque Sepah a assigné les sociétés Overseas et Oaktree devant le juge de l'exécution aux fins de contester ces mesures d'exécution forcée. Les deux procédures ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° B 18-18.542
Enoncé du moyen
8. La banque Sepah fait grief à l'arrêt de valider les saisies-attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016 pratiquées à la demande des sociétés Overseas et Oaktree entre les mains de la Société générale contre la banque Sepah et dénoncées le 8 juillet 2016 et de rejeter la demande de la banque Sepah tendant à voir constater que la décision du Conseil de sécurité du 24 mars 2007 et le règlement (CE) n° 423/2007 avaient eu pour effet le gel du patrimoine de la banque Sepah, celle tendant à voir dire et juger que le gel du patrimoine avait les effets d'une saisie pénale, celle tendant à voir dire et juger que les mesures d'embargo prononcées à l'encontre de la banque Sepah par décision du règlement (CE) n° 423/2007 caractérisaient un cas de force majeure entraînant suspension des intérêts, celle tendant à voir cantonner le montant des saisies au principal et celle tendant à voir exonérer la banque Sepah de la majoration au taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers, alors :
« 1°/ que les intérêts moratoires ne peuvent courir contre le débiteur d'une obligation monétaire qui se trouve temporairement placé dans l'impossibilité absolue d'exécuter de manière licite son obligation ; qu'en l'espèce, la banque Sepah faisait valoir que le Conseil de sécurité de l'ONU avait adopté une résolution 1747(2007) prononçant plusieurs mesures restrictives à l'encontre de la République islamique d'Iran qui incluaient le gel de ses avoirs en tant qu'‘entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales' et de ses émanations, et que des mesures de même nature avaient été adoptées par la Commission européenne dans un règlement n° 441/2007 ; que sans remettre en cause le principe même de sa condamnation, la banque Sepah faisait valoir que du temps où cet embargo était applicable, elle avait été placée dans l'impossibilité absolue d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas et Oaktree la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD ''assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision de condamnation'', de sorte qu'invoquant la survenance d'un authentique fait du prince, constitutif d'un cas de force majeure, elle faisait valoir que les intérêts moratoires n'avaient pu courir à son encontre sur la période considérée ; qu'en rejetant ce moyen au motif que le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission n'''avait pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007'', cependant que l'invocation par la banque Sepah du régime de gel de ses avoirs et de l'interdiction qui en résultait d'exécuter la condamnation mise à sa charge ne tendait en rien à revenir sur la chose jugée mais seulement à tirer les conséquences d'un cas de force majeure sur les dommages et intérêts moratoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1153-1 et 1148 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause (devenus les articles 1231-6 et 1218 du code civil) ;
2°/ que l'article 1er du règlement (CE) n° 441/2007 du 20 avril 2007 a étendu à plusieurs entités iraniennes, dont la banque Sepah, les mesures prévues par le règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 ''concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran'', lequel, en son article 7, ordonnait le gel de ''tous les fonds et ressources économiques'' appartenant aux personnes relevant de son champ d'application ; que ce règlement ajoutait qu'il était ''interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner'' ces mesures et que celles-ci étaient applicables à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, constitué selon le droit d'un Etat membre ainsi qu'à toute opération commerciale réalisée intégralement ou en partie dans la Communauté (article 18) ; qu'en jugeant que le règlement n° 441/2007 s'était limité ''à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah'' [comprendre : de la banque Sepah sur la Société générale] cependant que ce règlement avait pour effet de rendre indisponible l'ensemble des avoirs déposés par la banque Sepah auprès de dépositaires européens ou présents sur le territoire de la Communauté, et qu'il faisait également obstacle sur ce même territoire à toute opération de paiement à partir de ces avoirs, la cour d'appel a violé l'article 1er du règlement (CE) n° 441/2007, ensemble les articles 7 et 18 du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran ;
3°/ qu'en jugeant qu'elle ''n'était pas saisie des conséquences de [l'] indisponibilité [de la créance de la banque Sepah]'' sur son correspondant européen, la Société générale, quand la banque Sepah faisait précisément valoir que le gel de ses avoirs par le règlement (CE) n° 441/2007 l'avait empêchée d'exécuter l'arrêt par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas et Oaktree la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD, cet embargo ayant notamment rendu indisponibles les avoirs qu'elle pouvait détenir auprès des banques et des dépositaires soumis à ce règlement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°/ que pour démontrer qu'elle avait été placée dans l'impossibilité d'exécuter la décision de condamnation du 26 avril 2007 et que les sociétés Overseas et Oaktree avaient été elles-mêmes placées dans l'impossibilité de recevoir tout paiement de sa part, la banque Sepah rappelait que par sa résolution 1747 (2007) le Conseil de sécurité de l'ONU avait décidé que les États membres des Nations Unies devaient geler l'intégralité de ses avoirs ; qu'il résulte des considérants liminaires de cette résolution que les mesures décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU étaient motivées par le litige opposant le Conseil à la République islamique d'Iran qui, d'une part, était soupçonnée de méconnaître ses engagements internationaux en poursuivant un programme d'enrichissement nucléaire à des fins militaires, et qui, d'autre part, aurait refusé de mettre à exécution deux précédentes résolutions du Conseil de sécurité lui imposant un certain nombre de mesures destinées à permettre à la communauté internationale de s'assurer du respect, par celle-ci, du traité de non-prolifération de l'arme nucléaire dont elle était partie ; que c'est à ce titre que diverses mesures avaient été prises à l'encontre de l'Iran et de diverses entités iraniennes ; que la banque Sepah avait, pour sa part, vu ses avoirs gelés au regard de ces considérations et au motif qu'elle constituait une ''entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales'' et de ses émanations et qu'elle ''concourrait'' à ce titre au programme militaire et balistique iranien ; qu'en retenant que les mesures adoptées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 constituaient une sanction ''prononcée à l'encontre de la société Bank Sepah'' et que celle-ci était dès lors mal fondée à invoquer l'existence d'une ''cause étrangère'', cependant que cette résolution venait sanctionner des actes de gouvernement relevant de la compétence des institutions politiques de la République islamique d'Iran, ce dont il résultait que la banque Sepah s'était bornée à en subir les effets, la cour d'appel a violé la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité de l'ONU. »
Réponse de la Cour
9. Ne constitue pas un cas de force majeure pour celle qui le subit, faute d'extériorité, le gel des avoirs d'une personne ou d'une entité qui est frappée par cette mesure en raison de ses activités.
10. L'arrêt relève que, par sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007, transposée par le règlement (CE) n° 441/2007, le Conseil de sécurité a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la banque Sepah. Aux termes de cette résolution, la banque Sepah est désignée comme entité concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques iranien en tant qu'entité d'appui à l'Organisation des industries aérospatiales (AIO) et aux entités placées sous son contrôle, y compris le Groupe industriel Shahid Hemmat (SHIG) et le Groupe industriel Shahid Bagheri (SBIG), tous deux mentionnés dans la résolution 1737 (2006).
11. Il en résulte que l'impossibilité où se serait trouvée la banque Sepah, qui n'a pas contesté sa désignation devant les juridictions de l'Union, d'utiliser ses avoirs gelés pour exécuter l'arrêt du 26 avril 2007, ne procède pas d'une circonstance extérieure à son activité.
12. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.
13. Par conséquent, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le moyen unique du pourvoi n° G 18-21.814
Enoncé du moyen
14. Les sociétés Overseas et Oaktree font grief à l'arrêt de dire prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et de les retrancher des causes des saisies, alors :
« 1°/ que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'une loi prononçant une mesure de gel de fonds, laquelle s'entend comme toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, empêche le créancier d'une personne visée par une telle mesure d'engager toute mesure d'exécution portant sur les fonds gelés, y compris à titre conservatoire, toute mesure conservatoire étant constitutive d'une modification des fonds ayant pour conséquence un changement de leur destination ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree dès lors que rien ne leur interdisait d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, à l'encontre de la banque Sepah, cependant que de telles mesures étaient prohibées par les dispositions légales ayant opéré le gel des fonds détenus par cette société, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil, ensemble les articles 1 et 7 du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007, repris par les articles 1 et 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 ;
2°/ que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'un tel empêchement se trouve caractérisé en l'absence d'une autorisation administrative requise par la loi pour agir ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree, cependant que le ministre de l'économie avait refusé de leur accorder l'autorisation portant sur le déblocage des fonds appartenant à la banque Sepah dans la limite de leur créance, autorisation requise par l'article 8 règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007 puis par l'article 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil. »
Réponse de la Cour
15. L'issue du litige dépend du point de savoir si les sociétés Overseas et Oaktree auraient pu interrompre la prescription en diligentant une mesure conservatoire ou d'exécution forcée sur les avoirs gelés de la banque Sepah.
16. Il convient donc de se demander si l'article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 423/2007, l'article 16, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010, qui a abrogé et remplacé le règlement (CE) n° 423/2007, et l'article 23, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil du 23 mars 2012, qui a abrogé et remplacé le règlement (UE) n° 961/2010, doivent être interprétés en ce sens qu'ils interdisent toute mesure conservatoire ou d'exécution forcée telles que celles prévues au code des procédures civiles d'exécution français.
17. Cette question est inédite, tant devant les juridictions de l'Union européenne que devant la Cour de cassation.
18. D'une part, les règlements (CE) n° 423/2007, (UE) n° 961/2010 et (UE) n° 267/2012 ne comportent aucune disposition interdisant expressément à un créancier de diligenter une mesure conservatoire ou d'exécution forcée sur les biens gelés de son débiteur.
19. D'autre part, le gel des fonds y est défini comme « toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuilles », et le gel des ressources économiques, comme « toute action visant à empêcher l'utilisation de ressources économiques afin d'obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit, et notamment, mais pas exclusivement, leur vente, leur location ou leur mise sous hypothèque ».
20. Il semble, à la lumière de ces définitions, que seuls soient prohibés, s'agissant des fonds gelés, « tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuilles » et, s'agissant des ressources économiques, « l'utilisation de ressources économiques afin d'obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit, et notamment, mais pas exclusivement, leur vente, leur location ou leur mise sous hypothèque ».
21. Il ne peut donc être exclu que des mesures ne relevant d'aucune de ces prohibitions soient mises en uvre sur des avoirs gelés.
22. A cet égard, la Cour considère comme probable que des mesures qui ont pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur ne peuvent être mises en uvre sur des avoirs gelés qu'avec l'autorisation préalable de l'autorité nationale compétente et uniquement dans les hypothèses visées aux articles 8 à 10 du règlement (CE) n° 423/2007, 17 à 19 du règlement (UE) n° 961/2010, puis 24 à 28 du règlement (UE) n° 267/2012.
23. La question se pose de savoir si des mesures qui n'ont pas un tel effet attributif peuvent être diligentées sans autorisation préalable sur des avoirs gelés. Ces mesures sont les sûretés judiciaires et les saisies conservatoires, qui sont des mesures conservatoires.
24. Une sûreté judiciaire peut être constituée à titre conservatoire sur les immeubles, les fonds de commerce, les actions, parts sociales et valeurs mobilières (article L. 531-1 du code des procédures civiles d'exécution). Les biens grevés d'une sûreté judiciaire demeurent aliénables, mais le prix en est payé et distribué dans les conditions fixées par voie réglementaire (article L. 531-2 du code des procédures civiles d'exécution).
25. La sûreté judiciaire, qu'elle soit constituée sur un immeuble (hypothèque), sur un fonds de commerce ou sur des parts sociales et valeurs mobilières (nantissement), est dépourvue d'effet attributif. Elle n'emporte aucune obligation pour le titulaire des biens ou droits concernés de les céder et n'affecte pas son droit de choisir la personne à laquelle il les cède. Elle a pour seul effet qu'en cas de cession des biens et droits sur lesquels elle est constituée, la créance du constituant de la sûreté doit être réglée par priorité au moyen du prix de la cession.
26. Une saisie conservatoire peut porter sur tous les biens mobiliers, corporels ou incorporels, appartenant au débiteur (article L. 521-1 du code des procédures civiles d'exécution), et notamment sur des créances de somme d'argent ou des droits d'associés et valeurs mobilières.
27. Les biens meubles corporels, rendus indisponibles par la saisie conservatoire, sont placés sous la garde du débiteur et ne peuvent être ni aliénés ni déplacés, sauf exception, sous peine des sanctions prévues à l'article 314-6 du code pénal (article R. 522-1, 4°, du code des procédures civiles d'exécution).
28. Les droits pécuniaires attachés à l'intégralité des parts ou valeurs mobilières dont le débiteur est titulaire sont rendus indisponibles par la saisie conservatoire (articles R. 524-1 et R. 524-3 du code des procédures civiles d'exécution).
29. La saisie conservatoire de créances produit les effets d'une consignation prévus à l'article 2350 du code civil (article L. 523-1 du code des procédures civiles d'exécution). L'article 2350 du code civil dispose que « le dépôt ou la consignation de sommes, effets ou valeurs, ordonné judiciairement à titre de garantie ou à titre conservatoire, emporte affectation spéciale et droit de préférence au sens de l'article 2333 ». Quant à l'article 2333 du même code, il précise que « le gage est une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs ».
30. La saisie conservatoire est dépourvue d'effet attributif (2e Civ., 4 juillet 2007, pourvoi n° 06-14.825, Bull. 2007, II, n° 201). Les biens, créances et droits saisis restent dans le patrimoine du débiteur.
31. La saisie conservatoire sur les biens meubles corporels et sur les droits d'associés et valeurs mobilières est convertie en saisie-vente lorsque le créancier, muni d'un titre exécutoire, signifie au débiteur un acte de conversion ; l'effet attributif est alors opéré par la vente des biens saisis (Com., 27 mars 2012, pourvoi n° 11-18.585, Bull. 2012, IV, n° 69 ; 2e Civ., 28 janvier 2016, pourvoi n° 15-13.222, Bull. 2016, II, n° 34). La saisie conservatoire de créances est convertie en saisie-attribution lorsque le créancier, muni d'un titre exécutoire, signifie au débiteur un acte de conversion ; cette conversion emporte un effet attributif immédiat (2e Civ., 23 novembre 2000, pourvoi n° 98-22.795, Bull. 2000, II, n° 153 ; 2e Civ., 25 septembre 2014, pourvoi n° 13-25.552, Bull. 2014, II, n° 197).
32. La Cour se demande si, faute d'effet attributif, une sûreté judiciaire ou, avant sa conversion, une saisie conservatoire peuvent être diligentées, sans autorisation préalable, sur des avoirs gelés.
33. Elle s'interroge en particulier sur le point de savoir si, nonobstant l'absence d'effet attributif, de telles mesures n'ont pas pour conséquence une modification de la « destination » des fonds qui en font l'objet, au sens donné à ce terme dans la définition du gel des fonds. En effet, il semble envisageable d'interpréter les articles 1er, sous h), du règlement (CE) n° 423/2007, 1er, sous i), du règlement (UE) n° 961/2010 et 1er, sous k), du règlement (UE) n° 267/2012 en ce sens que le droit d'être payé par priorité sur le prix de cession des droits d'associés ou de valeurs mobilières, comme l'affectation spéciale des créances et le droit de préférence sur celles-ci, modifient la destination de ces fonds.
34. Elle se demande plus généralement si, nonobstant l'absence d'effet attributif, les sûretés judiciaires et saisies conservatoires ne seraient pas susceptibles de permettre une « utilisation » des fonds qui en font l'objet, au sens donné à ce terme dans la définition du gel des fonds, et une « utilisation » des ressources économiques en faisant l'objet « afin d'obtenir des fonds, des biens ou des services de quelque manière que ce soit », au sens donné à ces termes dans la définition du gel des ressources économiques. Ces mesures, en assurant à celui qui les met en uvre d'être payé par priorité au moyen des biens, droits et créances hypothéqués, nantis ou saisis à titre conservatoire, une fois le gel levé, pourraient en effet être considérées comme étant de nature à inciter un opérateur économique à contracter avec la personne ou l'entité dont les avoirs sont gelés, ce qui équivaudrait à l'utilisation par cette dernière de la valeur économique de ses avoirs qualifiés de fonds, ou à l'obtention, grâce à la valeur économique de ses avoirs qualifiés de ressources économiques, de fonds, de biens ou de services.
35. Un tel risque apparaît toutefois inexistant en l'espèce, où les sociétés Overseas et Oaktree cherchent à recouvrer une créance constituée par une décision de justice postérieure au gel des avoirs de la banque Sepah, mais pour une cause à la fois étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à l'instauration de ce gel.
36. La question se pose donc de savoir si la possibilité de diligenter, sans autorisation préalable, une mesure sur des avoirs gelés s'apprécie par catégorie d'acte, sans avoir égard aux spécificités de l'espèce, ou si, au contraire, ces spécificités peuvent être prises en compte.
37. La réponse à ces questions ne s'impose pas avec la force de l'évidence, alors que les règlements de l'Union ne comportent aucune disposition expresse et que ni le Tribunal de l'Union ni la Cour de justice n'ont eu l'occasion de se prononcer.
38. Aussi convient-il de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice d'un renvoi préjudiciel en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
Sur le second moyen du pourvoi n° B 18-18.542
39. L'intérêt d'une bonne administration de la justice commande que soient examinés par un même arrêt le second moyen du pourvoi n° B 18-18.542 et le moyen unique du pourvoi n° G 18-21.814.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le premier moyen du pourvoi n° B 18-18.542 ;
RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :
« 1°) Les articles 1er, sous h) et j), et 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 423/2007, 1er, sous i) et h), et 16, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 961/2010 ainsi que 1er, sous k) et j), et 23, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 267/2012 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d'effet attributif, telle une sûreté judiciaire ou une saisie conservatoire, prévues par le code des procédures civiles d'exécution français ?
2°) La circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les avoirs sont gelés soit étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) du 23 décembre 2006 du Conseil de sécurité des Nations Unies est-elle pertinente aux fins de répondre à la première question ? »
Sursoit à statuer sur le second moyen du pourvoi n° B 18-18.542 et le moyen unique du pourvoi n° G 18-21.814, jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Réserve les dépens ;
Dit qu'une expédition du présent arrêt ainsi qu'un dossier, comprenant notamment la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le dix juillet deux mille vingt par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi n° B 18-18.542 par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Bank Sepah
PREMIER MOYEN DE CASSATION
- sur le paiement des intérêts moratoires -
Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'AVOIR validé les saisies attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016 pratiquées à la demande des sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance entre les mains de la Société générale à l'encontre de la Bank Sepah et dénoncées le 8 juillet 2016 et d'AVOIR rejeté la demande de la Bank Sepah tendant à voir constater que la décision du Conseil de sécurité de l'ONU du 24 mars 2007 et le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil de l'Union européenne du 19 avril 2007 avaient eu pour effet le gel du patrimoine de la Bank Sepah, de celle tendant à voir dire et juger que le gel du patrimoine avait les effets d'une saisie pénale, de celle tendant à voir dire et juger que les mesures d'embargo prononcées à l'encontre de la Bank Sepah par décision du règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 caractérisaient un cas de force majeure entraînant suspension des intérêts, de celle tendant à voir cantonner le montant des saisies au principal et de celle tendant à voir exonérer la Bank Sepah de la majoration au taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Le litige portant sur le décompte des intérêts constitue, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge et à ce que soutiennent les intimées, non pas un litige tendant à voir modifier le dispositif de la décision ou à en suspendre l'exécution, mais un litige qui conduit le juge de l'exécution à rechercher si les faits postérieurs à cette décision sont de nature, ou non, à modifier le montant de la dette, laquelle, selon les intimées, est constituée, notamment des intérêts courus sur le montant de la condamnation. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le gel des fonds, tel que défini par l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, porte exclusivement sur les actifs de la Bank Sepah lesquels comprennent « les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs » et non sur le passif de son patrimoine, lequel comprend effectivement les intérêts éventuellement courus sur le montant des condamnations, intérêts qui sont de nature distincte. Le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission en date du 19 avril 2007 n'a pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007, passé en force de chose jugée, et ses effets, en l'espèce, se sont limités à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah, la cour n'étant, au demeurant, pas saisie des conséquences de cette indisponibilité sur le patrimoine de chacune des parties ; Au surplus, la résolution 1747 (2007) en date du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la Bank Sepah constitue une sanction prononcée à l'encontre de celle-ci. Dès lors, l'appelante est mal fondée à invoquer l'existence d'une cause étrangère qui l'exonérerait de son obligation d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 en ce qu'il l'a condamnée au paiement des intérêts au taux légal à compter de son prononcé. Dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a refusé de retrancher des causes des saisies le montant des intérêts au taux légal » ;
1°) ALORS QUE les intérêts moratoires ne peuvent courir contre le débiteur d'une obligation monétaire qui se trouve temporairement placé dans l'impossibilité absolue d'exécuter de manière licite son obligation ; qu'en l'espèce, la banque Sepah faisait valoir que le Conseil de sécurité de l'ONU avait adopté une résolution 1747(2007) prononçant plusieurs mesures restrictives à l'encontre de la République islamique d'Iran qui incluaient le gel de ses avoirs en tant qu'« entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations, et que des mesures de même nature avaient été adoptées par la Commission européenne dans un règlement n° 441/2007 ; que sans remettre en cause le principe même de sa condamnation, la banque Sepah faisait valoir que du temps où cet embargo était applicable, elle avait été placée dans l'impossibilité absolue d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD « assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision de condamnation », de sorte qu'invoquant la survenance d'un authentique fait du prince, constitutif d'un cas de force majeure, elle faisait valoir que les intérêts moratoires n'avaient pu courir à son encontre sur la période considérée ; qu'en rejetant ce moyen au motif que le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission n'« avait pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007 », cependant que l'invocation par la banque Sepah du régime de gel de ses avoirs et de l'interdiction qui en résultait d'exécuter la condamnation mise à sa charge ne tendait en rien à revenir sur la chose jugée mais seulement à tirer les conséquences d'un cas de force majeure sur les dommages-intérêts moratoires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1153-1 et 1148 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause (devenus les articles 1231-6 et 1218 du code civil) ;
2°) ALORS en outre QUE l'article 1er du règlement n° 441/2007 du 20 avril 2007 a étendu à plusieurs entités iraniennes, dont la société Bank Sepah, les mesures prévues par le règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 « concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran » lequel, en son article 7, ordonnait le gel de « tous les fonds et ressources économiques » appartenant aux personnes relevant de son champ d'application ; que ce règlement ajoutait qu'il était « interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner » ces mesures et que celles-ci étaient applicables à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, constitué selon le droit d'un Etat membre ainsi qu'à toute opération commerciale réalisée intégralement ou en partie dans la Communauté (article 18) ; qu'en jugeant que le règlement n° 441/2007 s'était limité « à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah » [comprendre : de la banque Sepah sur la Société générale] cependant que ce règlement avait pour effet de rendre indisponible l'ensemble des avoirs déposés par la banque Sepah auprès de dépositaires européens ou présents sur le territoire de la communauté, et qu'il faisait également obstacle sur ce même territoire à toute opération de paiement à partir de ces avoirs, la cour d'appel a violé l'article 1er du règlement (CE) n° 441/2007, ensemble les articles 7 et 18 du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran ;
3°) ALORS en outre QU'en jugeant qu'elle « n'était pas saisie des conséquences de [l'] indisponibilité [de la créance de la banque Sepah] » sur son correspondant européen, la Société générale, quand la banque Sepah faisait précisément valoir que le gel de ses avoirs par le règlement (CE) n° 441/2007 l'avait empêchée d'exécuter l'arrêt par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD (v. spéc. ses conclusions, p. 14 s.), cet embargo ayant notamment rendu indisponibles les avoirs qu'elle pouvait détenir auprès des banques et des dépositaires soumis à ce règlement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE pour démontrer qu'elle avait été placée dans l'impossibilité d'exécuter la décision de condamnation du 26 avril 2007 et que les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance avaient été elles-mêmes placées dans l'impossibilité de recevoir tout paiement de sa part, la banque Sepah rappelait que par sa résolution 1747 (2007) le Conseil de sécurité de l'ONU avait décidé que les États membres des Nations Unies devaient geler l'intégralité de ses avoirs ; qu'il résulte des considérants liminaires de cette résolution que les mesures décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU étaient motivées par le litige opposant le Conseil à la République islamique d'Iran qui, d'une part, était soupçonnée de méconnaître ses engagements internationaux en poursuivant un programme d'enrichissement nucléaire à des fins militaires, et qui, d'autre part, aurait refusé de mettre à exécution deux précédentes résolutions du Conseil de sécurité lui imposant un certain nombre de mesures destinées à permettre à la communauté internationale de s'assurer du respect, par celle-ci, du traité de non-prolifération de l'arme nucléaire dont elle était partie ; que c'est à ce titre que diverses mesures avaient été prises à l'encontre de l'Iran et de diverses entités iraniennes ; que la banque Sepah avait, pour sa part, vu ses avoirs gelés au regard de ces considérations et au motif qu'elle constituait une « entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations et qu'elle « concourrait » à ce titre au programme militaire et balistique iranien ; qu'en retenant que les mesures adoptées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 constituaient une sanction « prononcée à l'encontre de la société Bank Sepah » et que celle-ci était dès lors mal fondée à invoquer l'existence d'une « cause étrangère », cependant que cette résolution venait sanctionner des actes de gouvernement relevant de la compétence des institutions politiques de la République Islamique d'Iran, ce dont il résultait que la banque Sepah s'était bornée à en subir les effets, la cour d'appel a violé la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité de l'ONU.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
- sur la majoration du taux d'intérêts -
Il est fait grief à l'arrêt partiellement confirmatif attaqué d'AVOIR validé les saisies attributions et saisies de droits d'associés et valeurs mobilières du 5 juillet 2016 pratiquées à la demande des sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance entre les mains de la Société générale à l'encontre de la Bank Sepah et dénoncées le 8 juillet 2016 et d'AVOIR rejeté les demandes de la Bank Sepah tendant à voir exonérer la banque Sepah de la majoration au taux d'intérêt légal appliquée pour la détermination des intérêts réclamés par les créanciers et celle tendant à voir dire et juger que les intérêts dus aux sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd seront calculés selon le taux d'intérêt légal à l'exception de toute majoration ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Le litige portant sur le décompte des intérêts constitue, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge et à ce que soutiennent les intimées, non pas un litige tendant à voir modifier le dispositif de la décision ou à en suspendre l'exécution, mais un litige qui conduit le juge de l'exécution à rechercher si les faits postérieurs à cette décision sont de nature, ou non, à modifier le montant de la dette, laquelle, selon les intimées, est constituée, notamment des intérêts courus sur le montant de la condamnation. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le gel des fonds, tel que défini par l'article L. 562-1 du code monétaire et financier, porte exclusivement sur les actifs de la Bank Sepah lesquels comprennent « les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs » et non sur le passif de son patrimoine, lequel comprend effectivement les intérêts éventuellement courus sur le montant des condamnations, intérêts qui sont de nature distincte. Le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission en date du 19 avril 2007 n'a pu, en lui-même, modifier le dispositif de l'arrêt du 26 avril 2007, passé en force de chose jugée, et ses effets, en l'espèce, se sont limités à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah, la cour n'étant, au demeurant, pas saisie des conséquences de cette indisponibilité sur le patrimoine de chacune des parties ; Au surplus, la résolution 1747 (2007) en date du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la Bank Sepah constitue une sanction prononcée à l'encontre de celle-ci. Dès lors, l'appelante est mal fondée à invoquer l'existence d'une cause étrangère qui l'exonérerait de son obligation d'exécuter l'arrêt du 26 avril 2007 en ce qu'il l'a condamnée au paiement des intérêts au taux légal à compter de son prononcé. Dès lors, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a refusé de retrancher des causes des saisies le montant des intérêts au taux légal » ;
ET QUE : « l'indisponibilité de sa créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » ;
1°) ALORS QU'eu égard à sa fonction comminatoire et à son caractère de sanction, la majoration de l'intérêt légal prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ne peut s'appliquer au débiteur qui, du fait de la survenance d'une mesure de gel de ses avoirs, se trouve temporairement dans l'impossibilité de s'exécuter ; que cette exonération est indépendante de l'exercice, par le juge de l'exécution, du pouvoir de modération que lui reconnaît l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier pour tenir compte de la « situation du débiteur » ; qu'en rejetant la demande subsidiaire de la banque Sepah tendant à être exonérée de la majoration prévue par ce texte sur la période au cours de laquelle elle avait été dans l'impossibilité de payer au motif que « l'indisponibilité de sa créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » sans rechercher, comme elle y était invitée, si le gel de l'ensemble des avoirs de la banque Sepah en conséquence de la résolution 1747 (2007) du Conseil de sécurité des Nations Unies et du règlement (CE) n° 441/2007, ainsi que l'impossibilité, pour les sociétés Oaktree Finance et Overseas Financial Ltd, de recevoir paiement n'exonérait pas en tout état de cause la banque Sepah du paiement des intérêts majorés de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier du temps où elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition et de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ;
2°) ALORS en outre QUE l'article 1er du règlement n° 441/2007 du 20 avril 2007 a étendu à plusieurs entités iraniennes, dont la société Bank Sepah, les mesures prévues par le règlement (CE) n° 423/2007 du 19 avril 2007 « concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran » lequel, en son article 7, ordonnait le gel de « tous les fonds et ressources économiques » appartenant aux personnes relevant de son champ d'application ; que ce règlement ajoutait qu'il était « interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet direct ou indirect de contourner » ces mesures et que celles-ci étaient applicables à toute personne morale, toute entité ou tout organisme, constitué selon le droit d'un Etat membre ainsi qu'à toute opération commerciale réalisée intégralement ou en partie dans la Communauté (article 18) ; qu'en jugeant que le règlement n° 441/2007 s'était limité « à rendre indisponible la créance de la Société générale sur la Bank Sepah » [comprendre : de la banque Sepah sur la Société générale] cependant que ce règlement avait pour effet de rendre indisponible l'ensemble des avoirs déposés par la banque Sepah auprès de dépositaires européens ou présents sur le territoire de la communauté, et qu'il faisait également obstacle sur ce même territoire à toute opération de paiement à partir de ces avoirs, la cour d'appel a violé l'article 1er du règlement (CE) n° 441/2007, ensemble les articles 7 et 18 du règlement (CE) n° 423/2007 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran ;
3°) ALORS en outre QU'en jugeant qu'elle « n'était pas saisie des conséquences de [l'] indisponibilité [de la créance de la banque Sepah] » sur son correspondant européen, la Société générale, quand la banque Sepah faisait précisément valoir que le gel de ses avoirs par le règlement (CE) n° 441/2007 l'avait empêchée d'exécuter l'arrêt par lequel la cour d'appel de Paris l'avait condamnée à verser aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance la contrevaleur en euros de 4 000 000 USD (v. spéc. ses conclusions, p. 14 s.), cet embargo ayant notamment rendu indisponibles les avoirs qu'elle pouvait détenir auprès des banques et des dépositaires soumis à ce règlement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE pour démontrer qu'elle avait été placée dans l'impossibilité d'exécuter la décision de condamnation du 26 avril 2007 et que les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance avaient été elles-mêmes placées dans l'impossibilité de recevoir tout paiement de sa part, la banque Sepah rappelait que par sa résolution 1747 (2007) le Conseil de sécurité de l'ONU avait décidé que les États membres des Nations Unies devaient geler l'intégralité de ses avoirs ; qu'il résulte des considérants liminaires de cette résolution que les mesures décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU étaient motivées par le litige opposant le Conseil à la République islamique d'Iran qui, d'une part, était soupçonnée de méconnaître ses engagements internationaux en poursuivant un programme d'enrichissement nucléaire à fins militaires, et qui, d'autre part, aurait refusé de mettre à exécution deux précédentes résolutions du Conseil de sécurité lui imposant un certain nombre de mesures destinées à permettre à la communauté internationale de s'assurer du respect, par celle-ci, du traité de non-prolifération de l'arme nucléaire dont elle était partie ; que c'est à ce titre que diverses mesures avaient été prises à l'encontre de l'Iran et de diverses entités iraniennes ; que la banque Sepah avait, pour sa part, vu ses avoirs gelés au regard de ces considérations et au motif qu'elle constituait une « entité d'appui de l'Organisation des industries aérospatiales » et de ses émanations et qu'elle « concourrait » à ce titre au programme militaire et balistique iranien ; qu'en retenant que les mesures adoptées par le Conseil de sécurité dans sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 constituaient une sanction « prononcée à l'encontre de la société Bank Sepah » et que celle-ci était dès lors mal fondée à invoquer l'existence d'une « cause étrangère », cependant que cette résolution venait sanctionner des actes de gouvernement relevant de la compétence des institutions politiques de la République islamique d'Iran, ce dont il résultait que la banque Sepah s'était bornée à en subir les effets, la cour d'appel a violé la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007 du Conseil de sécurité de l'ONU ;
5°) ALORS subsidiairement QUE le juge de l'exécution peut, en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier ou en réduire le montant ; que le juge de l'exécution est tenu de s'expliquer sur les circonstances invoquées par le débiteur pour solliciter la réduction ou la neutralisation de la majoration encourue sur le fondement de ce texte ; qu'en refusant d'exercer son pouvoir de modération au motif que « l'indisponibilité de la créance sur la Société générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal » sans rechercher, comme elle y était invitée (v. ses conclusions, p. 15), si le gel de l'ensemble des avoirs de la banque Sepah et l'impossibilité, pour les sociétés Oaktree Finance et Overseas Financial Ltd, de recevoir paiement ne justifiaient pas à tout le moins l'exercice du pouvoir modérateur prévu par l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition ;
6°) ALORS enfin et en tout état de cause QUE la « situation du débiteur » à l'aune de laquelle le juge de l'exécution doit apprécier l'opportunité de réduire ou de neutraliser la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier s'entend de tous les éléments relatifs à la situation financière du débiteur mais également de toutes difficultés qu'il a pu rencontrer dans le cadre de l'exécution de la décision de condamnation ; qu'en jugeant que les éléments invoqués par la banque Sepah pour démontrer qu'elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter ne constituaient pas, par construction, « un élément de la situation du débiteur » à l'aune duquel devait s'apprécier l'opportunité de mettre en oeuvre le pouvoir modérateur que lui reconnaissait l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier, la cour d'appel a violé cette disposition. Moyen produit au pourvoi n° G 18-21.814 par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour les sociétés Overseas Financial Ltd et Oaktree Finance Ltd
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et d'avoir retranché des causes des saisies les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 ;
Aux motifs propres que « A l'appui de cette fin de non-recevoir, qui peut être soulevée en tout état de cause, la Bank Sepah soutient que les créanciers poursuivants ne peuvent obtenir le recouvrement des intérêts au-delà des cinq années précédant la délivrance des deux commandements de payer du 17 mai 2016 ;
Si depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le créancier peut poursuivre pendant dix ans l'exécution du jugement portant condamnation au paiement d'une somme payable à termes périodiques, le recouvrement des arriérés échus postérieurement à la décision est soumis au délai de prescription applicable en raison de la nature de la créance. Il en résulte que le délai d'exécution d'un titre exécutoire, prévu à l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, n'est pas applicable aux créances périodiques nées en application de ce titre exécutoire, en l'espèce aux intérêts, lesquels se prescrivent par cinq ans par application de l'article 2224 du code civil.
Rien n'interdisait aux intimées, contrairement à ce qu'elles soutiennent, d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sur un actif ou une créance indisponible, cette indisponibilité n'ayant alors que suspendu l'effet attributif d'une éventuelle saisie-attribution.
Les intérêts antérieurs au 17 mai 2011, en l'absence de toute cause interruptive de prescription invoquée par les intimées, antérieure à la signification des commandements de payer en date du 17 mai 2016, sont donc prescrits et il convient de les retrancher des causes des saisies. »
1°) Alors que, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'une loi prononçant une mesure de gel de fonds, laquelle s'entend comme toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, empêche le créancier d'une personne visée par une telle mesure d'engager toute mesure d'exécution portant sur les fonds gelés, y compris à titre conservatoire, toute mesure conservatoire étant constitutive d'une modification des fonds ayant pour conséquence un changement de leur destination ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree dès lors que rien ne leur interdisait d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, à l'encontre de la société Bank Sepah, cependant que de telles mesures étaient prohibées par les dispositions légales ayant opéré le gel des fonds détenus par cette société, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil, ensemble les articles 1 et 7 du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007, repris par les articles 1 et 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010 ;
2°) Alors que, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi ; qu'un tel empêchement se trouve caractérisé en l'absence d'une autorisation administrative requise par la loi pour agir ; qu'en jugeant que la prescription extinctive n'avait pas été suspendue contre les sociétés Overseas et Oaktree, cependant que le ministre de l'économie avait refusé de leur accorder l'autorisation portant sur le déblocage des fonds appartenant à la société Bank Sepah dans la limite de leur créance, autorisation requise par l'article 8 du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007 puis par l'article 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil. | Le gel des avoirs d'une personne ou d'une entité qui est frappée par cette mesure en raison de ses activités, ne constitue pas pour elle un cas de force majeure, faute d'extériorité, de sorte que, malgré l'impossibilité où elle se trouve d'exécuter une condamnation au paiement d'une somme d'argent, le cours des intérêts légaux sur cette somme n'est pas suspendu |
472 | N° K 20-81.739 FS-P+B+R+I
N° 1400
EB2
8 JUILLET 2020
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JUILLET 2020
REJET sur le pourvoi formé par M. M... V... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 13 février 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de meurtre, tentatives de meurtre, aggravés, et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. M... V..., et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. Moreau, Mme Drai, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Slove, Issenjou, M. Turbeaux, conseillers de la chambre, Mmes Carbonaro, Barbé, M. Mallard, conseillers référendaires, Mme Zientara-Logeay, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte le 13 mai 2019, M. M... V... a été mis en examen, le 29 novembre 2019, des chefs de meurtre commis en bande organisée, tentative de meurtre commis en bande organisée et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime.
3. Le même jour, il a été placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes, au [...].
4. Par ordonnance du 28 janvier 2020, le juge des libertés et de la détention a rejeté une demande de mise en liberté présentée par l'intéressé.
5. M. V... a formé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance entreprise rejetant la demande de mise en liberté de M. V..., alors « que, les dispositions des articles 137-3, 144 et 144-1 du code de procédure pénale, en ce qu'elles ne prévoient pas, contrairement à la recommandation faite par la Cour européenne des droits de l'homme à la France dans son arrêt du 30 janvier 2020, que le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention puisse, de manière effective, redresser la situation dont sont victimes les détenus dont les conditions d'incarcération constituent un traitement inhumain et dégradant afin d'empêcher la continuation de la violation alléguée devant lui, portent atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, au principe constitutionnel nouveau qui en découle d'interdiction des traitements inhumains et dégradants ainsi qu'à la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée, le droit au recours effectif ; que consécutivement à la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale. »
Réponse de la Cour
7. Par arrêt de ce jour, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles 137-3, 144 et 144-1 du code de procédure pénale.
8. L'article 23-5, alinéa 4, de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que lorsque celui-ci a été saisi, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu'à ce qu'il se soit prononcé. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé.
9. Il est rappelé que, dans sa décision n° 2009-595 DC du 3 décembre 2009, le Conseil constitutionnel a jugé que si l'alinéa 4 de l'article précité peut conduire à ce qu'une décision définitive soit rendue dans une instance à l'occasion de laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité et sans attendre qu'il ait statué, dans une telle hypothèse, ni cette disposition, ni l'autorité de la chose jugée ne sauraient priver le justiciable de la faculté d'introduire une nouvelle instance pour qu'il puisse être tenu compte de la décision du Conseil constitutionnel.
Sur le premier et le troisième moyens
Enoncé des moyens
10. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance entreprise rejetant la demande de mise en liberté de M. V..., alors :
1°/ que, lorsque la description faite des conditions de détention supposément dégradantes est crédible et raisonnablement détaillée, de sorte qu'elle constitue un commencement de preuve d'un mauvais traitement au sens de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la charge de la preuve est transférée au gouvernement défendeur, qui est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d'infirmer les allégations du requérant (CEDH, 30 janvier 2020, J.M.B et autres c. France, n° 9671/15, § 258) ; que M. M... V..., détenu à la [...] depuis le 29 novembre 2019, dénonçait ses conditions de détention comme constitutives de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la Convention, du fait de la surpopulation carcérale, du manque d'intimité et de l'insécurité qui en découlaient, faisant notamment état des propos tenus dans la presse par la directrice de l'établissement ainsi que d'un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de nature à donner du crédit à ses allégations ; qu'en relevant, pour confirmer l'ordonnance entreprise, qu'une telle violation « n'est pas démontré[e] de manière effective » par le requérant, s'abstenant ainsi de fournir un quelconque élément de nature de nature à démontrer le respect de ces stipulations, la chambre de l'instruction, qui s'est livrée à un renversement indu de la charge de la preuve, a violé l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ qu'au demeurant, lorsque la surpopulation d'un établissement pénitentiaire est telle qu'elle conduit à priver les personnes détenues d'un espace de vie personnel suffisant, cet élément peut suffire à révéler, en tant que tel, un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention européenne ; qu'en toute hypothèse, l'article 3 est violé si le manque d'espace s'accompagne d'autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d'un défaut d'accès à la cour de promenade ou à l'air et à la lumière naturels, d'une mauvaise aération, d'une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d'une absence d'intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques ; que M. M... V..., détenu à la [...] depuis le 29 novembre 2019, démontrait, aux termes du mémoire qu'il a régulièrement déposé, la surpopulation carcérale flagrante de l'établissement, dont il résultait un manque d'espace de vie personnel, à savoir un espace inférieur à 4 m², une atteinte grave à son intimité, ainsi que les conditions matérielles de détention alarmantes au regard de l'article 3 de la Convention, faisant notamment état des propos tenus dans la presse par la directrice de l'établissement ainsi que d'un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qu'en confirmant l'ordonnance entreprise, motifs pris que l'« affirmation péremptoire » du détenu ne permettait d'établir le caractère inhumain ou dégradant de ses conditions de détention, sans se prononcer sur la substance même des éléments de preuve produits par ce dernier, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
11. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance entreprise rejetant la demande de mise en liberté de M. V..., alors « que, pour qu'un système de protection des droits des détenus garantis par l'article 3 de la Convention soit effectif, les remèdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire. Le recours préventif doit être de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre une amélioration des conditions matérielles de détention. Une fois que la situation dénoncée a cessé, la personne doit disposer d'un recours indemnitaire » (CEDH, 30 janvier 2020, J.M.B et autres c. France, n° 9671/15, § 167) ; qu'en relevant, pour confirmer l'ordonnance entreprise, que, d'une part, « aucune décision de la Cour européenne des droits de l'homme n'a posé le principe selon lequel toute violation de l'article 3 de la Convention éponyme devait être sanctionnée par la mise en liberté de la personne concernée » et, d'autre part, « la personne détenue dispose [...] d'un recours compensatoire » en responsabilité ainsi que « d'un recours préventif [...] devant la juridiction administrative » en référé-liberté, l'ordonnance entreprise, qui a ainsi manqué de garantir l'existence d'un recours préventif effectif pour faire immédiatement cesser des conditions indignes de détention, a violé les articles 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
12. Les moyens sont réunis.
13. Il découle des articles 137-3, 144 et 144-1 du code de procédure pénale que le juge, pour apprécier la nécessité de placer ou maintenir une personne en détention provisoire, se détermine en tenant compte des impératifs de la procédure judiciaire, des exigences de préservation de l'ordre public et du caractère raisonnable de la durée de cette détention.
14. Jusqu'à présent, nonobstant l'article préliminaire III, alinéa 4, du code de procédure pénale, la Cour de cassation a posé en principe qu'une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est susceptible d'engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer un obstacle légal au placement et au maintien en détention provisoire (Crim., 18 septembre 2019, pourvoi n°19-83.950, publié au Bulletin).
15. Ce n'est qu'en cas d'allégation d'éléments propres à la personne concernée, suffisamment graves pour mettre en danger sa santé physique ou mentale, que la Cour de cassation a estimé que les juges du fond pouvaient se déterminer par des motifs étrangers aux seules exigences des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale (Crim., 29 février 2012, pourvoi n° 11-88.441, Bull. crim., n° 58). L'article 147-1 du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, a consacré cette jurisprudence, en disposant qu'en toute matière et à tous les stades de la procédure, sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la mise en liberté d'une personne placée en détention provisoire peut être ordonnée, d'office ou à la demande de l'intéressé, lorsqu'une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention.
16. Cependant, le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France dans son arrêt JMB et autres, pour des conditions de détention contraires à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans diverses prisons françaises (req. n° 9671/15 et 31 autres).
17. Elle a également prononcé une condamnation sur la base de l'article 13 de la Convention.
18. Après avoir constaté qu'il n'existait aucun recours préventif en matière judiciaire, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé notamment que, si la saisine du juge administratif, en l'occurrence du juge du référé-liberté, avait permis la mise en oeuvre de mesures visant à remédier aux atteintes les plus graves auxquelles sont exposées les personnes détenues dans certains établissements pénitentiaires, le pouvoir d'injonction conféré à ce juge ne lui permet pas de mettre réellement fin à des conditions de détention contraires à la Convention.
19. Sur le fondement de l'article 46 de la Convention, elle a émis diverses recommandations, l'Etat français devant adopter des mesures générales aux fins de garantir aux détenus des conditions de détention conformes à l'article 3 de la Convention, d'établir un recours préventif et effectif, combiné avec le recours indemnitaire, permettant de redresser la situation dont les détenus sont victimes et d'empêcher la continuation d'une violation alléguée.
20. Les recommandations générales que contient cette décision s'adressent, par leur nature même, au Gouvernement et au Parlement. Cependant, il appartient au juge national, chargé d'appliquer la Convention, de tenir compte de ladite décision sans attendre une éventuelle modification des textes législatifs ou réglementaires.
21. A ce titre, le juge judiciaire a l'obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant d'empêcher la continuation de la violation de l'article 3 de la Convention.
22. En tant que gardien de la liberté individuelle, il lui incombe de veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en uvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et de s'assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant.
23. Il résulte de ce qui précède que, lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions personnelles de détention est suffisamment crédible, précise et actuelle, de sorte qu'elle constitue un commencement de preuve de leur caractère indigne, il appartient alors à la chambre de l'instruction, dans le cas où le ministère public n'aurait pas préalablement fait vérifier ces allégations, et en dehors du pouvoir qu'elle détient d'ordonner la mise en liberté de l'intéressé, de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d'en apprécier la réalité.
24. Après que ces vérifications ont été effectuées, dans le cas où la chambre de l'instruction constate une atteinte au principe de dignité à laquelle il n'a pas entre-temps été remédié, elle doit ordonner la mise en liberté de la personne, en l'astreignant, le cas échéant, à une assignation à résidence avec surveillance électronique ou à un contrôle judiciaire.
25. Pour confirmer l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention, l'arrêt attaqué relève notamment que, s'il est soutenu que la détention provisoire de M. V... le place dans des conditions indignes relevant de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, il s'agit d'une affirmation péremptoire reposant sur un article de presse et un rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2018 qui ne renseignent en rien, in concreto, sur la situation de l'intéressé, incarcéré depuis le 29 novembre 2019.
26. Les juges ajoutent que la cour n'est pas en mesure d'apprécier si M. V... est dans une cellule double, triple, s'il est privé de lumière naturelle, de ventilation, qu'à supposer que ses conditions de détention relèvent effectivement de l'article 3 de la Convention, ce qui n'est pas démontré de manière effective, la sanction d'un tel traitement ne peut être la remise en liberté de l'intéressé au regard des droits constitutionnels imprescriptibles que garantit la détention provisoire par l'objectif de recherche d'auteurs d'infraction qu'elle poursuit en écartant la personne incarcérée de tout risque d'immixtion dans l'information judiciaire.
27. La cour retient qu'aucune décision de la Cour européenne des droits de l'homme n'a posé le principe selon lequel toute violation de l'article 3 de la Convention devait être sanctionnée par la mise en liberté de la personne concernée et que, dans un arrêt de principe (Crim., 18 septembre 2019, pourvoi n° 19-83.950), la Cour de cassation a jugé qu'une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est susceptible d'engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer un obstacle légal au placement et au maintien en détention provisoire.
28. Les juges concluent que la personne détenue dispose donc d'un recours compensatoire et qu'elle dispose également d'un recours préventif, par l'exercice, devant la juridiction administrative, d'un référé-liberté visé par l'article L. 521-2 du code de la justice administrative qui oblige le juge saisi à statuer dans les quarante-huit heures de sa saisine.
29. Pour les raisons précisées aux paragraphes 16 à 24, c'est à tort que la chambre de l'instruction a jugé qu'une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention ne saurait constituer un obstacle légal au placement ou au maintien en détention provisoire.
30. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure dès lors que les allégations formulées par M. V... ne faisaient état que des conditions générales de détention au sein de la maison d'arrêt dans laquelle il est détenu, sans précisions sur sa situation personnelle, et notamment sur la superficie et le nombre des occupants de la cellule, son agencement intérieur et le nombre d'heures journalières d'occupation.
31. Le moyen doit, en conséquence, être rejeté.
32. Par ailleurs l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juillet deux mille vingt. | Il appartient au juge national, chargé d'appliquer la Convention, de tenir compte, sans attendre une éventuelle modification des textes législatifs ou réglementaires, de la décision de la Cour européenne des Droits de l'homme condamnant la France pour le défaut de recours préventif permettant de mettre fin à des conditions de détention indignes.
Le juge judiciaire a l'obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant de mettre un terme à la violation de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En tant que gardien de la liberté individuelle, il incombe à ce juge de veiller à ce que la détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en oeuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et de s'assurer que cette privation de liberté est exempte de tout traitement inhumain et dégradant.
La description faite par le demandeur de ses conditions personnelles de détention doit être suffisamment crédible, précise et actuelle, pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne.
Il appartient alors à la chambre de l'instruction, dans le cas où le ministère public n'aurait pas préalablement fait vérifier ces allégations, et en dehors du pouvoir qu'elle détient d'ordonner la mise en liberté de l'intéressé, de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d'en apprécier la réalité |
473 | N° W 19-85.954 FS-P+B+I
N° 1409
EB2
8 JUILLET 2020
CASSATION
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JUILLET 2020
CASSATION sur le pourvoi formé par M. Y... T... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 26 juillet 2019 qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'assassinat et tentative d'assassinat, l'a déclaré irresponsable pénalement pour cause de trouble mental, a ordonné son admission en soins psychiatriques sous la forme d'une hospitalisation complète ainsi que des mesures de sûreté, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat de M. Y... T..., et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. Moreau, Mme Drai, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Slove, Issenjou, M. Turbeaux, conseillers de la chambre, Mmes Carbonaro, Barbé, M. Mallard, conseillers référendaires, Mme Zientara-Logeay, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 1er janvier 2018 à 0h15, l'intervention de la gendarmerie a été requise au [...]. Sur place les enquêteurs ont découvert le corps sans vie de Mme J... T.... Son mari, M D... T..., gravement blessé, était transporté au [...].
3. Sur les lieux, leur fils, M. Y... T..., armé d'un couteau, tenait des propos incohérents.
4. M. T... a reconnu avoir porté les coups de couteau à ses parents.
5. Il a été reconnu pénalement irresponsable, au moment de l'action, par deux collèges d'experts psychiatres.
6. Le juge d'instruction a rendu, le 22 mars 2019, une ordonnance de transmission de pièces devant la chambre de l'instruction en application des articles 122-1 du code pénal et 706-119 et suivants du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen proposé pour M. T... et sur le moyen relevé d'office dans le rapport du conseiller rapporteur communiqué aux avocats
Enoncé des moyens
7. Le moyen proposé pour M. T... critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré qu'il existait des charges suffisantes contre M. Y... T... d'avoir, avec préméditation, volontairement donné la mort à J... A... épouse T... et tenté de donner la mort à D... T... ; et de lui avoir fait interdiction pour une durée de 20 ans de paraître dans le département de Loire-Atlantique, d'entrer en contact avec D..., C... et X... T... et de détenir ou de porter une arme, alors « que la cour d'appel n'a pas procédé à l'interrogatoire du prévenu en méconnaissance des articles 706-122 et 442 du code de procédure pénale. »
8. Le moyen soulevé d'office est pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Réponse de la Cour
9. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 706-122 alinéa 3 et 442 du code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme :
10. Selon les deux premiers de ces textes, lorsque la chambre de l'instruction est saisie d'un recours contre une ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le président procède à l'interrogatoire de la personne mise en examen, si elle est présente, et reçoit ses déclarations.
11. L'interrogatoire de la personne mise en examen, dans le cadre de cette procédure, constitue une obligation substantielle. L'arrêt doit porter mention qu'il a été procédé, le cas échéant, conformément à la loi, à cet interrogatoire.
12. Il se déduit du dernier de ces textes que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie d'une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
13. En cette matière, l'interrogatoire de la personne mise en examen par la chambre de l'instruction a pour objet, notamment, d'apprécier la nature des charges pesant sur elle.
14. Il résulte de l'arrêt que M. T... était présent à l'audience de la chambre de l'instruction et a eu la parole en dernier.
15. Mais il ne ressort d'aucune pièce de la procédure que le président a procédé à son interrogatoire ni qu'il a informé la personne de son droit de se taire.
16. Par ailleurs, en omettant d'informer la personne mise en examen, dès l'ouverture des débats, de son droit de garder le silence, la méconnaissance de cette obligation lui portant nécessairement grief, la chambre de l'instruction a violé le principe conventionnel susvisé.
17. La cassation est en conséquence encourue.
Et sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré qu'il existait des charges suffisantes contre M. Y... T... d'avoir, avec préméditation, volontairement donné la mort à J... A... épouse T... et tenté de donner la mort à D... T... ; et de lui avoir fait interdiction pour une durée de 20 ans de paraître dans le département de Loire-Atlantique, d'entrer en contact avec D..., C... et X... T... et de détenir ou de porter une arme, alors « que la cour d'appel n'a pas entendu les experts ayant examiné la personne mise en examen en méconnaissance des articles 706-122 et 168 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 706-122 alinéa 4 et 168 du code de procédure pénale :
19. Il résulte de ces articles que, lorsque la chambre de l'instruction est saisie d'un recours contre une ordonnance d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, les experts ayant examiné la personne mise en examen doivent être entendus par la chambre de l'instruction. Ils exposent à l'audience, s'il y a lieu, le résultat des opérations techniques auxquelles ils ont procédé, après avoir prêté serment d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience.
20. L'arrêt mentionne seulement qu'un avis a été adressé, le 21 mai 2019, par courriel, aux experts, par le procureur général, les informant que l'affaire serait examinée par la chambre de l'instruction à l'audience du 17 juin 2019 à 11 heures.
21. La Cour de cassation n'est donc pas en mesure de s'assurer que l'un des experts au moins a été entendu.
22. Dès lors, l'arrêt ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale.
23. La cassation est encore encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 26 juillet 2019, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juillet deux mille vingt. | L'interrogatoire de la personne mise en examen qui comparaît dans le cadre de la procédure instaurée par les articles 706-120 et suivants du code de procédure pénale est une formalité substantielle. L'arrêt doit porter mention qu'il a été procédé, conformément à la loi, à cet interrogatoire |
474 | N° T 19-85.491 F-P+B+I
N° 1423
SM12
8 JUILLET 2020
ANNULATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JUILLET 2020
ANNULATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par Mme I... T... contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux, en date du 8 février 2019, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée des chefs de harcèlement moral, prise illégale d'intérêts, suppression frauduleuse de données contenues dans un système de traitement automatisé, faux et usage de faux et atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats à des marchés publics, a autorisé le maintien de la saisie de documents effectuée lors d'une perquisition dans son cabinet d'avocat.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. de Larosière de Champfeu, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme I... T..., et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 juin 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. de Larosière de Champfeu, conseiller rapporteur, M. Moreau, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par réquisitoire introductif du 6 juin 2018, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Meaux a ouvert une information contre personne non dénommée, et Mme Duboscq, vice-présidente chargée de l'instruction, a été désignée pour instruire.
3. Le réquisitoire introductif vise des faits de : harcèlement moral à l'égard de cinq personnes, prise illégale d'intérêts à l'occasion de quatre projets immobiliers, suppression frauduleuse de données contenues dans un système de traitement automatisé concernant un document, usage de sept faux pouvoirs lors de séances du conseil municipal, atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics, à l'occasion de quatre marchés publics, et de falsification d'un pouvoir établi au nom d'un conseiller municipal, ces faits s'inscrivant dans la gestion municipale de la commune de Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne. Le réquisitoire introductif identifie les personnes victimes de harcèlement et d'usage de faux, ainsi que les marchés publics compris dans la saisine du juge d'instruction.
4. Par réquisitoire supplétif du 8 novembre 2018, la saisine du juge d'instruction a été étendue à des faits d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats à l'occasion d'un marché public en concurrence avec la SCET et d'un marché public visant la réalisation d'un Pôle Santé, ainsi qu'à des faits de prise illégale d'intérêt dans un projet immobilier de SEMOP.
5. Par ordonnance du 4 février 2019, le juge d'instruction a décidé de procéder à une perquisition au cabinet de Mme T..., avocat, appartenant au cabinet U... et associés, du barreau de Paris.
6. Le magistrat instructeur a procédé à cette perquisition, le 6 février 2019, en présence du délégué du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris. Celui-ci s'est opposé à la saisie de documents par le juge d'instruction. Ces documents ont été placés sous scellés fermés, et il a été dressé un procès-verbal des contestations ainsi élevées, qui a été transmis au juge des libertés et de la détention du tribunal de Meaux.
7. Afin de statuer sur ces contestations, le juge des libertés et de la détention a entendu, le 8 février 2019, l'avocat concerné et trois de ses associés, le délégué du bâtonnier de Paris, le juge d'instruction et le procureur de la République.
8. A l'issue de cette audience, le juge des libertés et de la détention a statué par l'ordonnance attaquée.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9.Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré valides les saisies pratiquées au cabinet de Me T... au sein du cabinet U... dont elle est associée et ordonné le versement à la procédure de l'ensemble des pièces et documents, disant qu'ils seraient placés sous scellés ouverts et restitués au juge d'instruction, alors :
« 1°/ que constitue un excès de pouvoir le fait pour le juge des libertés et de la détention, statuant sur contestation des opérations de saisie de pièces au sein d'un cabinet d'avocat, de valider la saisie ordonnée par un juge d'instruction dont il existe un doute quant à son impartialité subjective eu égard au conflit qui l'oppose au cabinet de l'avocat faisant l'objet de la saisie ; qu'il résulte du procès-verbal d'audition suite à la contestation des opérations de saisie pratiquées au cabinet de Me T... au sein du cabinet U... dont elle est associée, que Me U... présent à cette audition en tant qu'associé et Me T... avaient indiqué que la saisie ordonnée posait difficulté dès lors que le cabinet se trouvait en situation de conflit avec Mme X... juge d'instruction ayant ordonné la saisie puisque ce magistrat était également en charge de l'instruction de l'affaire R... portant sur la disparition depuis 2003 d'une enfant mineure au sujet de laquelle le cabinet U... et associés en qualité de partie civile avait, après avoir formé de multiples demandes d'actes demeurées infructueuses, mis en cause l'inaction du juge et demandé son dessaisissement ce qu'il avait obtenu, et ce dont le juge avait connaissance lorsqu'il avait ordonné la perquisition, et dont il résultait un doute certain quant à son impartialité subjective ; qu'en validant cependant les saisies pratiquées, le juge des libertés et de la détention a entaché sa décision d'un excès de pouvoir ;
2°/ que les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique précisément la nature de l'infraction sur laquelle portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci ; qu'aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans la décision de perquisition et que le magistrat chargé de la perquisition doit veiller à ce que les investigations ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat et au secret professionnel ; que par ordonnance du 4 février 2019 le magistrat instructeur ordonnait aux visas de l'article 56-1 et du réquisitoire supplétif visant « l'atteinte à la liberté d'accès ou à légalité des candidats dans les marchés publics dans le cadre d'un marché public en concurrence avec la Scet et dans le cadre d'un marché public pour le Pôle Santé » la perquisition du cabinet de Me T... au sein du cabinet U... dont elle est associée « aux fins de rechercher tous documents ou éléments susceptibles d'avoir concouru aux faits de favoritisme objet du réquisitoire supplétif » ; que dans sa requête aux fins de saisine du juge des libertés et de la détention le juge d'instruction requérait de ce dernier qu'il ordonne le versement des 4 scellés T... aux motifs que les courriels issus de sa boîte mail étaient utiles à la manifestation de la vérité en ce qu'ils étaient relatifs aux conditions de la passation du marché public de la Semop ; qu'en validant les saisies opérées et en refusant leur restitution, cependant que les documents afférents à la création de la Semop étaient relatifs à un chef de prévention distinct portant sur la prise illégale d'intérêt non visé par le réquisitoire supplétif support de l'ordonnance de perquisition au sein du cabinet d'avocat, le juge des libertés et de la détention a excédé ses pouvoirs ;
3°/ qu'excède ses pouvoirs le juge des libertés et de la détention qui valide des saisies pratiquées au sein d'un cabinet d'avocat sur la base d'une ordonnance du juge d'instruction qui n'indique pas les motifs justifiant la perquisition, ne décrit pas l'objet de celle-ci et qui prive ainsi le bâtonnier chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure ; qu'en validant les saisies de courriels entre avocats, entre avocats et tiers, et entre avocats et client, aux motifs que ces éléments étaient relatifs à l'établissement du cahier des charges d'un marché public pour lequel le cabinet d'avocat en cause avait soumissionné par la suite, quand l'ordonnance du 4 février 2019 se bornait à viser un réquisitoire supplétif indiquant simplement la date des faits, la qualification pénale sans précision concrète quant aux agissements reprochés, qu'elle portait très largement sur tous documents ou tous éléments susceptibles d'avoir concouru aux faits de favoritisme dans le cadre d'un marché public en concurrence avec la Scet et d'un marché public pour le Pôle santé, mais qu'elle ne mentionnait pas les raisons précises de la saisie finalement opérée à savoir le fait que le cabinet d'avocat avait établi le cahier des charges du marché portant création de la Semop et ensuite soumissionné, ce qui n'avait pu permettre au Bâtonnier présent lors de la saisie d'apprécier l'existence ou non des indices mentionnés dans l'ordonnance de perquisition, le juge des libertés et de la détention a excédé ses pouvoirs ;
4°/ que entache sa décision d'un excès de pouvoir le juge des libertés et de la détention qui valide les opérations de saisie au sein d'un cabinet d'avocat dans leur intégralité et leur versement à la procédure cependant que des documents sont hors saisine et doivent donc être restitués ; que les atteintes au secret professionnel, lequel est inhérent à l'exercice de la mission d'avocat et constitue une garantie fondamentale, ne sauraient être entendues que de façon restrictive, ce qui n'autorise la saisie de documents, consultations ou de correspondances échangées entre avocats et entre avocat et client que si ceux-ci révèlent de façon intrinsèque la commission par l'avocat d'une infraction ou sa participation à l'infraction reprochée à son client et en tout état de cause que des seuls éléments se rapportant à l'infraction visée et strictement nécessaires à la manifestation de la vérité ; qu'en validant purement et simplement la saisie des 4 scellés T... dans leur intégralité, en ordonnant leur versement à la procédure et en refusant ainsi leur restitution aux motifs que toutes les pièces contestées étaient relatives à l'établissement du cahier des charges d'un marché public pour lequel le cabinet avait soumissionné et constituaient autant d'indices pouvant laisser supposer son implication dans une éventuelle participation aux faits délictueux de favoritisme, lorsqu'il résulte du procès-verbal d'audition, suite à la contestation des opérations de saisie du 8 février 2019, que la plupart des courriels saisis ne se rapportaient pas à l'appel d'offre portant création de la Semop ou n'étaient pas à destination de la mairie de Dammartin et se trouvaient ainsi hors saisine (PV p. 4, 5, 6 et 7) ce qui impliquait leur restitution, s'agissant de documents couverts par le secret professionnel, le juge d'instruction l'ayant lui-même admis, le juge des libertés et de la détention a entaché sa décision d'un excès de pouvoir ;
5°/ que ne peuvent être saisis dans le cabinet d'un avocat les documents propres à la défense de l'avocat concerné ; qu'en validant de manière globale la saisie des mails de Me T... quand il résulte du procès-verbal d'audition, suite à la contestation, qu'il avait été demandé la restitution de certains documents présentés comme étant à décharge, ce qui induisait qu'ils étaient utiles à la défense de l'avocat concerné et ne pouvaient être saisis, le juge des libertés et de la détention a manifestement enfreint ses pouvoirs ;
6°/ qu'entache sa décision d'un excès de pouvoir le juge des libertés et de la détention qui valide les opérations de saisie au sein d'un cabinet d'avocat dans leur intégralité et leur versement à la procédure, passant ainsi outre l'accord entre l'avocat saisi, le ministère public et le juge d'instruction en vue de leur restitution, ce qui démontre l'absence de nécessité et de proportionnalité de la mesure et a violation du secret professionnel en résultant ; qu'en refusant de restituer les courriels saisis sur l'ordinateur de Me T... et notamment les courriels échangés entre avocats en dépit de l'accord général du procureur adjoint concernant tous ces courriels sans opposition de principe du juge d'instruction si ce n'est que pour certains courriels particuliers, le juge des libertés et de la détention, qui a passé outre cet accord ou non opposition pour estimer que tous les courriels saisis devaient être conservés et versés à la procédure, a entaché sa décision d'un excès de pouvoir. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
10. Il ne peut être reproché au juge des libertés et de la détention d'avoir commis un excès de pouvoir en ordonnant le versement, au dossier de l'information, de documents saisis par le juge d'instruction au cabinet de la demanderesse au pourvoi, avocat au barreau de Paris, malgré un conflit qui opposerait ce juge d'instruction à un associé de cet avocat, exerçant dans le même cabinet, qui aurait mis en cause l'inaction de ce juge d'instruction dans la conduite d'une information, dans une affaire distincte.
11. En effet, chargé de statuer sur les contestations élevées à l'occasion de la saisie de documents, effectuée lors d'une perquisition pratiquée par le juge d'instruction dans un cabinet d'avocat, le juge des libertés et de la détention n'est pas juge de la récusation du juge d'instruction.
12. Le grief ne peut donc être admis.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Vu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 56-1 du code de procédure pénale :
13. Il résulte de ces textes que les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué. L'absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, qui prive le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné (Crim. 9 février 2016, pourvoi n° 15-85.063, Bull. crim. 2016, n° 34).
14. L'ordonnance de perquisition, prise par le juge d'instruction, n'identifie pas les différents marchés publics visés par le réquisitoire introductif, ne contient pas les noms des personnes susceptibles d'avoir été victimes de harcèlement, visées au réquisitoire introductif, ne précise pas le document informatique qui aurait été supprimé de manière illégale, cette précision se trouvant dans le réquisitoire introductif, et n'indique pas la nature des documents qui auraient été falsifiés, ni des faux documents dont il aurait été fait usage. Cette ordonnance ne mentionne pas tous les marchés publics visés par le réquisitoire supplétif, et n'indique pas, en particulier, que la saisine du juge d'instruction s'étendait au projet de SEMOP, alors que des documents relatifs à ce projet ont été saisis par le juge d'instruction au cours de la perquisition.
15. Il suit de là que le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, n'a pas reçu, au début de la perquisition, les informations lui permettant de connaître les motifs de celle-ci, ainsi que son objet, qui comprenait la recherche de documents portant sur le marché public du projet de SEMOP, afin de déterminer le degré de participation à celui-ci de l'avocat concerné. Il en résulte que cette imprécision de l'ordonnance de perquisition a porté atteinte aux droits de la défense.
16. En ordonnant le versement, au dossier de l'information, de documents saisis au cours d'une perquisition irrégulière, le juge des libertés et de la détention a excédé ses pouvoirs.
17. Il suit de là que l'annulation de l'ordonnance est encourue.
Portée et conséquences de l'annulation prononcée
18. La Cour de cassation est en mesure de faire application de la règle de droit appropriée et d'ordonner la restitution des documents saisis lors de la perquisition irrégulière.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux, en date du 8 février 2019 ;
ORDONNE la restitution des documents saisis lors de la perquisition faite au cabinet d'avocat de la demanderesse ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE le retour de la procédure au juge d'instruction du tribunal judiciaire de Meaux ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du tribunal judiciaire de Meaux et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juillet deux mille vingt. | Il résulte des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 56-1 du code de procédure pénale que les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées, par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, qu'à la suite d'une décision écrite et motivée prise par le magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué. L'absence dans la décision des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, qui prive le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi d'une contestation, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné.
Excède en conséquence ses pouvoirs le juge des libertés et de la détention qui ordonne le versement au dossier de l'information de documents saisis au cours de cette perquisition irrégulièrement menée |
475 | N° H 20-82.472 F-P+B+I
N° 1568
EB2
8 JUILLET 2020
CASSATION SANS RENVOI
Mme DURIN-KARSENTY conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 JUILLET 2020
CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. A... L... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 5 mars 2020, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de meurtre en bande organisée, tentative de meurtre en bande organisée et association de malfaiteurs, en récidive, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Bonnal, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de M. A... L..., et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juillet 2020 où étaient présents Mme Durin-Karsenty, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Bonnal, conseiller rapporteur, Mme Drai, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
La chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte des chefs précités, un mandat d'arrêt a été décerné contre M. L....
3. À l'issue de l'information, le juge d'instruction a mis en accusation, notamment, M. L..., de ces chefs, et constaté que le mandat d'arrêt continuait à produire ses effets.
4. Remis postérieurement aux autorités françaises après son extradition, et placé en détention provisoire, M. L... a, le 30 janvier 2020, formé une demande de mise en liberté.
5. Il a contesté devant la chambre de l'instruction le respect du principe de spécialité, de sorte que, par arrêt avant dire droit du 13 février 2020, cette juridiction a seulement constaté la nécessité de procéder à des vérifications concernant la demande et ordonné la traduction d'une des pièces du dossier d'extradition.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office pris de la violation de l'article 148-2 du code de procédure pénale, ce moyen ayant été évoqué dans le rapport du conseiller rapporteur et les conclusions de l'avocat général
Vu ledit article :
6. Il résulte de ce texte que, lorsqu'une chambre de l'instruction est appelée à statuer, en application de l'article 148-1 de ce code, sur une demande de mise en liberté formée par un accusé qui est renvoyé devant la cour d'assises, elle doit se prononcer dans le délai de vingt jours, non susceptible de prolongation, qu'il fixe, faute de quoi il est mis fin à la détention provisoire, l'intéressé, s'il n'est pas détenu pour autre cause, étant mis d'office en liberté.
7. Pour dire la procédure indemne de toute irrégularité qui justifierait une mise en liberté d'office, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il a été statué dans le délai prévu par la loi, le 13 février 2020, sur la demande de mise en liberté formée le 30 janvier précédent.
8. Les juges ajoutent qu'en l'état de l'invocation par la défense de l'intéressé de la possible méconnaissance du principe de la spécialité de l'extradition, ils ont estimé nécessaire, par cet arrêt qui n'a pas été critiqué, d'ordonner, comme le prévoit expressément l'article 194 du code de procédure pénale, une vérification sur ce point précis qui, s'il avait été avéré, aurait justifié la remise en liberté du demandeur.
9. Ils concluent que la demande de mise en liberté a été examinée, et à deux reprises, dans les meilleurs délais possibles et dans le respect de l'impératif conventionnel et légal de célérité dans le traitement du contentieux de la détention.
10. En statuant ainsi, alors que, d'une part, l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale n'est pas applicable lorsque la chambre de l'instruction statue en application des articles 148-1 et 148-2 du même code, d'autre part, il n'a pas été statué avant l'expiration du délai imparti par le second de ces textes, l'arrêt du 13 février 2020 n'ayant pas prononcé sur la demande de mise en liberté, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
11. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les moyens du pourvoi, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 5 mars 2020 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE, s'il n'est détenu pour autre cause, la mise en liberté de M. A... L... ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juillet deux mille vingt. | Il résulte de l'article 148-2 du code de procédure pénale que, lorsqu'une chambre de l'instruction est appelée à statuer, en application de l'article 148-1 de ce code, sur une demande de mise en liberté formée par un accusé qui est renvoyé devant la cour d'assises, elle doit se prononcer dans le délai de vingt jours qu'il fixe, faute de quoi il est mis fin à la détention provisoire, l'intéressé, s'il n'est pas détenu pour autre cause, étant mis d'office en liberté.
L'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale n'étant pas applicable en pareil cas, ce délai n'est pas susceptible de prolongation.
Encourt en conséquence la censure l'arrêt qui statue après l'expiration de ce délai, sans qu'un arrêt précédent rendu dans le délai et ayant ordonné des vérifications concernant la demande, ait prononcé sur celle-ci |
476 | CIV. 1
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 419 F-P+B
Pourvoi n° T 19-15.088
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 JUILLET 2020
Mme L... K..., domiciliée [...], a formé le pourvoi n° T 19-15.088 contre l'arrêt rendu le 19 février 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris cedex 01, défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme K..., et après débats en l'audience publique du 26 mai 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 février 2019), Mme K..., se disant née le [...] à Morafeno (Madagascar) d'un père français, s'est vu délivrer, sur le fondement de l'article 18 du code civil, un premier certificat de nationalité le 15 mars 2005 puis un second le 10 juillet 2007. Considérant que ceux-ci avaient été délivrés à tort, le ministère public l'a assignée en constatation de son extranéité.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Mme K... fait grief à l'arrêt de dire qu'elle n'est pas française, alors :
« 1°/ que la transcription d'un acte d'état civil étranger supposant sa conformité aux dispositions de l'article 47 du code civil, la force probante de l'acte à l'origine de la transcription ne peut être remise en cause sans l'annulation préalable de l'acte transcrit ; qu'en retenant que l'acte de naissance transcrit n'avait pas eu pour effet de purger de ses vices l'acte initial au vu duquel il avait été dressé sans constater l'annulation de l'acte de transcription, la cour d'appel a violé l'article 47 du code civil, ensemble les décrets n° 62-921 du 3 août 1962 et n° 2008-521 du 2 juin 2008 ;
2°/ que la charge de la preuve incombe à celui qui conteste la qualité de français à une personne titulaire d'un certificat de nationalité ; qu'en retenant qu'il incombait à Mme K... d'établir qu'elle était française à un autre titre, pour la raison que son certificat de nationalité lui avait été délivré sur la base d'actes apocryphes, sans constater qu'avait fait l'objet d'une annulation l'acte de naissance transcrit sur le registre d'état civil français au vu duquel le certificat de nationalité du 15 mars 2005 lui avait été délivré, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 ancien du code civil, devenu l'article 1353. »
Réponse de la Cour
3. Le juge est tenu de vérifier la régularité, au regard des dispositions de l'article 47 du code civil, des actes de l'état civil étrangers qui ont été produits au soutien de la demande de délivrance d'un certificat de nationalité française. Leur transcription sur les registres de l'état civil français n'a pas pour effet de les purger des vices dont ils sont atteints.
4. L'arrêt constate, d'abord, que Mme K... a produit, à l'appui de ses demandes de certificat de nationalité française, une copie de son acte de naissance n° 237 qui aurait été dressé le 4 février 1983 par l'officier de l'état civil de Tamatave-suburbaine, selon lequel elle serait née le [...], et une copie d'acte de naissance portant le même numéro et dressé à la même date, selon lequel elle serait née le [...]. Il relève, ensuite, qu'une telle discordance ne permet pas de considérer l'acte comme probant et que son caractère apocryphe est confirmé par les vérifications faites par les services consulaires qui font apparaître que le registre des naissances du même centre d'état civil contient un acte concernant une autre personne, lequel, bien que dressé le 2 décembre 1983, soit après celui de Mme K..., porte le n° 216, antérieur à celui figurant sur l'acte de naissance de cette dernière. Il retient, enfin, que la circonstance que cet acte de naissance ait été transcrit au service central de l'état civil à Nantes n'a pas pour effet de purger de ses vices l'acte initial au vu duquel il a été dressé.
5. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, saisie d'une contestation portant sur les certificats de nationalité délivrés à Mme K..., a souverainement estimé que l'acte de naissance étranger produit à cet effet, était privé de toute force probante en raison de son caractère apocryphe, ce qui impliquait nécessairement que sa transcription consécutive sur les registres de l'état civil français, laquelle n'avait pu le purger de ses vices, en était également dépourvue, rendant inutile l'annulation préalable de l'acte transcrit. Elle en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que les certificats de nationalité avaient été délivrés à tort et que Mme K..., à défaut de justifier d'un état civil certain, échouait à démontrer qu'elle était française à un autre titre.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme K... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme K... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme K...
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR décidé qu'une enfant née d'un français à l'étranger (Mme K..., l'exposante) n'était pas française ;
AUX MOTIFS QUE si, en matière de nationalité, la charge de la preuve incombait à celui qui contestait la qualité de français à une personne titulaire d'un certificat de nationalité délivré conformément aux règles en vigueur, il en était autrement lorsque, ayant été délivré de manière erronée, le certificat avait perdu toute force probante ; qu'en ce cas, il appartenait à celui dont la nationalité était en cause d'établir qu'il était français à un autre titre ; que, le 15 mars 2005 et le 10 juillet 2007, des certificats de nationalité avaient été délivrés à Mme K... née le [...] à Morafeno (Madagascar) de B... M... et de A... P..., lui-même français comme né d'un père français ; que l'intéressée avait produit à l'appui de ses demandes de certificat de nationalité française une copie de son acte de naissance n° 237 qui aurait été dressé le 4 février 1983 par l'officier d'état civil de Tamatave-suburbaine, selon lequel elle était née le [...], et une copie d'acte de naissance portant le même numéro et dressé à la même date, selon lequel elle était née le [...] ; qu'une telle discordance ne permettait pas de considérer l'acte comme probant et son caractère apocryphe était confirmé par les vérifications faites par les services consulaires qui faisaient apparaître que le registre des naissances du même centre d'état civil contenait un acte concernant une autre personne, dressé le 2 décembre 1983, soit après celui de Mme K..., et qui portait pourtant le n° 216, antérieur à celui figurant sur l'acte de naissance de cette dernière ; que la circonstance que l'acte de naissance de l'intéressée eut été transcris au service centre de l'état civil à Nantes n'avait pas pour effet de purger de ses vices l'acte initial au vu duquel il avait été dressé ;
ALORS QUE la transcription d'un acte d'état civil étranger supposant sa conformité aux dispositions de l'article 47 du code civil, la force probante de l'acte à l'origine de la transcription ne peut être remise en cause sans l'annulation préalable de l'acte transcrit ; qu'en retenant que l'acte de naissance transcrit n'avait pas eu pour effet de purger de ses vices l'acte initial au vu duquel il avait été dressé sans constater l'annulation de l'acte de transcription, la cour d'appel a violé l'article 47 du code civil, ensemble les décrets n° 62-921 du 3 août 1962 et n° 2008-521 du 2 juin 2008 ;
ALORS QUE la charge de la preuve incombe à celui qui conteste la qualité de français à une personne titulaire d'un certificat de nationalité ; qu'en retenant qu'il incombait à l'exposante d'établir qu'elle était française à un autre titre, pour la raison que son certificat de nationalité lui avait été délivré sur la base d'actes apocryphes, sans constater qu'avait fait l'objet d'une annulation l'acte de naissance transcrit sur le registre d'état civil français au vu duquel le certificat de nationalité du 15 mars 2005 lui avait été délivré, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 ancien du code civil, devenu l'article 1353. | Le juge est tenu de vérifier la régularité, au regard des dispositions de l'article 47 du code civil, des actes de l'état civil étrangers qui ont été produits au soutien de la demande de délivrance d'un certificat de nationalité française. Leur transcription sur les registres de l'état civil français n'a pas pour effet de les purger des vices dont ils sont atteints |
477 | CIV. 1
JT
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 424 F-P+B
Pourvoi n° F 18-20.961
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 JUILLET 2020
M. P... R..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° F 18-20.961 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2018 par la cour d'appel de Reims (1re chambre civile, section II), et un pourvoi additionnel contre l'arrêt rendu le 24 octobre 2014 par la même cour d'appel, dans le litige l'opposant à Mme B... Z..., prise en qualité de représentante légale de M..., domiciliée [...], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui du pourvoi principal et du pourvoi additionnel, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. R..., de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme Z..., après débats en l'audience publique du 26 mai 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Reims, 24 octobre 2014 et 8 juin 2018), M... Z... est né le [...] de Mme Z... sans filiation paternelle déclarée.
2. Par acte du 22 juin 2011, celle-ci, agissant en qualité de représentante légale du mineur, a assigné M. R... en recherche de paternité.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. R... fait grief à l'arrêt du 24 octobre 2014 de déclarer recevable l'action en recherche de paternité, alors « que selon l'article 20-IV de l'ordonnance du 4 juillet 2005, seules les actions prévues par les articles 327 et 329 du code civil peuvent être exercées sans que puisse être opposée la forclusion tirée de la loi ancienne ; que l'ancien article 340-4 du code civil prévoyait que l'action en recherche de paternité naturelle ne pouvait être exercée par la mère que dans un délai de deux ans suivant la naissance de l'enfant ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que Mme Z... a attendu le 22 juin 2011, soit plus de huit ans après la naissance de son fils, le [...], pour agir en recherche de paternité contre M. R... sur le fondement de l'article 328 nouveau du code civil ; qu'en affirmant que la forclusion tirée de la loi ancienne n'est pas opposable à cette action, peu important que l'article 20-IV ne vise pas l'article 328 du code civil, la cour d'appel a violé les articles 20-IV de l'ordonnance du 4 juillet 2005, 328 nouveau du code civil et 340-4 ancien du même code. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles 327 et 328 du code civil, d'une part, que l'action en recherche de paternité est réservée à l'enfant, d'autre part, que pendant la minorité de celui-ci, le parent à l'égard duquel la filiation est établie a seul qualité pour exercer l'action en recherche de paternité. Il en résulte que l'article 20, IV, de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, qui prévoit, au titre des dispositions transitoires, que l'action prévue par l'article 327 du code civil peut être exercée sans que puisse être opposée la forclusion de deux ans tirée de la loi ancienne, dès lors qu'à la date d'entrée en vigueur de cette ordonnance, le 1er juillet 2006, la prescription de dix ans prévue par l'article 321 du même code n'est pas acquise, s'applique lorsque l'action est exercée par le représentant légal de l'enfant mineur sur le fondement de l'article 328 du code civil.
6. Après avoir énoncé à bon droit que l'article 20, IV, de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 est applicable à toutes les actions en recherche de paternité intentées postérieurement au 1er juillet 2006, qu'elles soient exercées par la mère pendant la minorité de l'enfant ou par l'enfant lui-même devenu majeur et relevé que l'action en recherche de paternité avait été engagée par la mère de l'enfant, en qualité de représentante légale de ce dernier, postérieurement à l'entrée en vigueur de ces dispositions et dans le délai de 10 ans requis par l'article 321 du code civil, la cour d'appel en a exactement déduit que celle-ci était recevable.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur la deuxième et la troisième branches du deuxième moyen
Enoncé du moyen
8. M. R... fait grief à l'arrêt du 8 juin 2018 de le déclarer père de M..., alors :
« 1°/ que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; que constitue un motif légitime de refuser de se soumettre à l'expertise biologique judiciairement ordonnée, la circonstance que la question de la recevabilité de l'action intentée contre soi n'a pas été définitivement tranchée ; que, dans ses conclusions, M. R... faisait valoir que la recevabilité de l'action de Mme Z... n'étant pas purgée, il avait refusé de se soumettre à l'examen comparé des sangs ordonné par le juge ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que M. R... ne disposait d'aucun motif légitime pour s'opposer à la réalisation de l'expertise ADN et que son refus constituait un indice de ce qu'il avait connaissance de sa paternité, la cour d'appel a violé l'article 310-3 du code civil ;
2°/ que le droit à un procès équitable implique que le défendeur à une action en recherche de paternité puisse refuser de se soumettre à l'expertise biologique judiciairement ordonnée tant que la question de la recevabilité de l'action intentée contre lui n'a pas été définitivement tranchée, sans que le juge puisse déduire de ce refus la preuve de sa paternité ; que, dans ses conclusions, M. R... faisait valoir que la recevabilité de l'action de Mme Z... n'étant pas purgée, il avait refusé de se soumettre à l'examen comparé des sangs ordonné par le juge ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que M. R... ne disposait d'aucun motif légitime pour s'opposer à la réalisation de l'expertise ADN et que son refus constituait un indice de ce qu'il avait connaissance de sa paternité, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article 310-3 du code civil, l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder.
10. L'absence de décision irrévocable sur la recevabilité d'une action en recherche de paternité ne peut constituer un motif légitime, même au regard du droit au procès équitable, pour refuser de se soumettre à une expertise biologique ordonnée à l'occasion de cette action par le tribunal, s'agissant d'une mesure qui, destinée à lever les incertitudes d'un enfant sur ses origines, doit être exécutée avec célérité.
11. Après avoir, par motifs propres et adoptés, retenu que l'action était recevable et relevé que M. R... avait volontairement mis en échec l'expertise génétique ordonnée par le tribunal en faisant le choix de ne pas déférer aux convocations qui lui avaient été adressées, en vertu de la décision ordonnant l'expertise, laquelle était exécutoire, la cour d'appel a décidé, à bon droit, que ce dernier ne disposait d'aucun motif légitime pour s'opposer à la réalisation de l'expertise génétique et qu'il se déduisait de son refus de s'y soumettre un indice supplémentaire de sa paternité.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. R... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. R... et le condamne à payer à Mme Z... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. R...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 24 octobre 2014 d'AVOIR déclaré l'action en recherche de paternité formée par Mme B... Z... recevable ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'aux termes de l'article 340-4 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 4 juillet 2005, l'action en recherche de paternité devait à peine de déchéance être exercée dans les deux années qui suivaient la naissance ou la majorité de l'enfant ; que les dispositions applicables à l'action de recherche de paternité résultant de l'ordonnance du 4 juillet 2005 sont les suivantes : article 321 du code civil : sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par 10 ans à compter du jour ou la personne a été privée de l'état qu'elle réclame. A l'égard de l'enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité ; article 327 du code civil : La paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée. L'action en recherche de paternité est réservée à l'enfant ; article 328 du code civil : Le parent à l'égard duquel la filiation est établie a pendant la minorité de l'enfant seul qualité pour exercer l'action en recherche de paternité ; article 329 du code civil : l'action en rétablissement des effets de la présomption de paternité est ouverte à chacun des époux durant la minorité de l'enfant et à l'enfant pendant les dix ans qui suivent sa majorité ; que M... est né le [...] ; que l'article 20-I de l'ordonnance du 4 juillet 2005 prévoit que sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, l'ordonnance est applicable aux enfants nés avant comme après son entrée en vigueur ; qu'aux termes de l'article 20-III les actions intentées avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance sont poursuivies et jugées conformément à la loi anciennes ; que les actions intentées postérieurement au 1er juillet 2006 relèvent donc des dispositions nouvelles ; que selon l'article 20-IV sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée les actions prévues aux articles 327 et 329 du code civil tels qu'ils résultent de la présente ordonnance peuvent être exercées sans que puisse être opposée la forclusion tirée de la loi ancienne lorsque à la date d'entrée en vigueur de cette ordonnance la prescription prévue à l'article 321 tel qu'il résulte de la même ordonnance n'est pas acquise ; que l'action doit être exercée dans le délai d'entrée en vigueur de la présente loi sans que ce délai puisse être inférieur à un an ; que l'article 327 prévoit l'action en recherche de paternité et l'article 329 l'action en rétablissement de la présomption de paternité ; que l'article 20-IV est applicable à toutes les actions en recherche de paternité intentées postérieurement au 1er juillet 2006, qu'elles soient faites par la mère pendant la minorité de l'enfant ou par l'enfant lui-même devenu majeur puisque l'article 327 du code civil précise que l'action appartient à l'enfant et que l'article 328 ne concerne que la personne habilité à exercer cette action pour le compte du mineur ; qu'il importe donc peu que l'article 20-IV ne vise pas l'article 328 du code civil ; qu'en conséquence, les nouveaux délais de prescription prévus par l'ordonnance sont applicables ; qu'il résulte de ces textes que l'action de Mme B... Z... intentée postérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 juillet 2005 est recevable ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE M... est né le [...] sous l'empire de la loi du 8 janvier 1993 relative à la filiation ; que dans le cadre de cette législation, l'ancien article 340-4 du code civil ouvrait l'action en recherche de paternité naturelle pendant un délai de deux ans suivant la naissance de l'enfant, puis dans les deux années suivant sa majorité ; qu'il résulte de l'article 327 du code civile issu de l'ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation que l'action en recherche de paternité est désormais réservée à l'enfant, l'article 328 du même code confiant toutefois à la mère, seule qualité pour exercer cette action pendant la minorité de l'enfant ; que l'ordonnance du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation, a assoupli le régime de cette action ; qu'aux termes de l'article 321 du code civil, sauf lorsqu'elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent désormais par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame, ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté ; que selon l'article 20-IV de l'ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les actions prévues par les articles 327 et 329 du code civil, tels qu'ils résultent de la présente ordonnance, peuvent être exercées, sans que puisse être opposée la forclusion tirée de la loi ancienne, lorsqu'à la date d'entrée en vigueur de cette ordonnance (le 1er juillet 2006) la prescription prévue par l'article 321 du code civil, tel qu'il résulte de la même ordonnance, n'est pas acquise ; que l'action doit alors être exercée dans le délai restant à courir à la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance, sans que ce délai puisse être inférieur à un an ; que si, en application du IV de l'article 20 de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, les actions prévues par l'article 327 du code civil peuvent être exercées sans que puisse être opposée la forclusion tirée de la loi ancienne, c'est à la condition qu'à la date d'entrée en vigueur de cette ordonnance, le 1er juillet 2006, la prescription prévue par l'article 321 du même code ne soit pas acquise ; qu'il résulte clairement de l'article 20, I de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 que celle-ci est d'application immédiate, c'est-à-dire que le nouveau délai de prescription décennale doit s'appliquer et que les actions issues de cette réforme peuvent être exercées sans que puisse être opposée la forclusion tirée de la loi ancienne ; qu'en l'espèce, l'action ayant été engagée par B... Z... le 22 juin 2011, la prescription décennale prévue par l'article 321 du code civil ne se trouvait pas acquise en sorte que son action est recevable ; qu'en effet, l'enfant étant né le [...] , l'action ouverte à la mère en vertu de l'article 328 du code civil est recevable jusqu'au 21 novembre 2013 ;
ALORS QUE selon l'article 20-IV de l'ordonnance du 4 juillet 2005, seules les actions prévues par les articles 327 et 329 du code civil peuvent être exercées sans que puisse être opposée la forclusion tirée de la loi ancienne ; que l'ancien article 340-4 du code civil prévoyait que l'action en recherche de paternité naturelle ne pouvait être exercée par la mère que dans un délai de deux ans suivant la naissance de l'enfant ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que Mme Z... a attendu le 22 juin 2011, soit plus de huit ans après la naissance de son fils, le [...], pour agir en recherche de paternité contre M. R... sur le fondement de l'article 328 nouveau du code civil ; qu'en affirmant que la forclusion tirée de la loi ancienne n'est pas opposable à cette action, peu important que l'article 20-IV ne vise pas l'article 328 du code civil, la cour d'appel a violé les articles 20-IV de l'ordonnance du 4 juillet 2005, 328 nouveau du code civil et 340-4 ancien du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 8 juin 2018 d'AVOIR déclaré que P... R... né le [...] est le père biologique de M... Z... né le [...] à Paris 13e, de B... Z... et, en conséquence, d'AVOIR ordonné à l'état civil de retranscrire le dispositif de la présente décision en marge de l'acte de naissance du demandeur (n° 1073) dressé à la mairie de Paris 13e, d'AVOIR condamné M. R... à verser à M... Z..., représenté par sa mère, B... Z..., la somme de 4.000 € en réparation de son préjudice moral et d'AVOIR fixé à la somme de 300 € par mois la pension alimentaire mise à la charge de M. R... pour l'entretien et l'éducation de l'enfant et ce, à compter du 22 juin 2011 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur l'action en reconnaissance de paternité, B) sur le fond, aux termes de l'article 327 du code civil la paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée, l'action en recherche de paternité est réservée à l'enfant ; que par application de l'article 328 du code civil le parent à l'égard duquel la filiation est établie a, pendant la minorité de l'enfant, seul qualité pour exercer l'action en recherche de maternité ou de paternité ; que l'article 310-3 du même code prévoit que la filiation se prouve pas tous moyens ; que par application de ce texte, l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; que M. P... R... soutient qu'il n'y avait aucun motif de recourir à une expertise dès lors que Mme B... Z... n'apportait aucun élément probant à l'appui de sa demande ; qu'il n'y a pas lieu d'examiner les éléments complémentaires produits à hauteur d'appel par Mme B... Z... dès lors qu'il convient de se placer dans la même situation que le premier juge pour évaluer la pertinence de l'argument de M. P... R... qui soutient que le magistrat n'était pas en droit, au vu des éléments alors produits, d'ordonner une expertise ; que Mme B... Z... a produit devant le premier juge les éléments suivants : - des photographies de M. P... R... avec M... alors âgé d'environ un an, expliquant qu'à cette époque l'appelant entretenait encore un lien avec l'enfant. Ces photographies sont relativement intimes puisqu'on y voit l'enfant prendre un bain avec M. P... R... ; que la cour observe que M. P... R... ne conteste pas véritablement qu'il s'agit bien là de lui avec cet enfant, et en tout état de cause, il ne verse pas de photographies de sa personne qui pourraient permettre à la cour de douter de l'identité de l'adulte et de l'enfant y figurant ; - des attestations de quatre témoins qui indiquent avoir été invités en 2004 à la fête d'anniversaire de M... lors de laquelle ils ont rencontré M. P.... R... qui leur a été présenté comme le père de cet enfant ; que ces éléments ne sont pas véritablement remis en cause en leur contenu par M. P... R... qui se borne à qualifier les attestations de «mensongère» sans autre explication , qu'ils constituaient d'ores et déjà une certaine présomption, à partir de laquelle le premier juge a pu légitimement ordonner une mesure d'expertise, étant précisé de surcroît que M. P... R... n'a jamais contesté avoir - entretenu une relation intime avec Madame Z... au moment de la conception de l'enfant ; que l'argument de M. P... R... selon lequel « le principe fondamental de l'inviolabilité du corps humain s 'oppose au prononcé d'une mesure de coercition en cas de refus de se soumettre à l'examen des sangs » n'est pas pertinent ; qu'à cet égard, si le seul refus de se soumettre à un examen comparatif des sangs ne peut, à lui seul, démontrer une quelconque paternité, il en va différent lorsque, comme en l'espèce, d'autre indices sérieux et concordants viennent conforter la présomption qui peut être tirée de ce refus ; qu'il s'évince de l'ensemble de ces éléments que c'est à juste titre que le premier juge a retenu qu'il existait une preuve suffisante de ce que M. P... R... était le père de M..., ce en quoi le jugement est confirmé ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, sur la demande en déclaration de paternité, aux termes de l'article 327 du code civil, la paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée ; que l'action en recherche de paternité est réservée à l'enfant ; que conformément à l'article 328 du même code le parent, même mineur, à l'égard duquel la filiation est établie a, pendant la minorité de l'enfant, seul qualité pour exercer l'action en recherche de maternité ou de paternité, qu'il résulte de l'article 310-3 du même code, que la filiation se prouve par tous moyens ; qu'or, en application de cette disposition, l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; qu'en l'espèce, si M. R... déclare que la demanderesse entretenait une relation suivie avec un autre homme au moment de la conception de l'enfant, il reconnaît avoir lui aussi eu une relation avec la mère de l'enfant à cette même période ; que par ailleurs, Mme R... verse aux débats une quinzaine de photographies montrant son jeune enfant jouant et prenant le bain avec un homme qu'elle décrit comme étant M. R...; qu'il résulte, en outre, des attestations versées, que lors de la. fête d'anniversaire des un an de M..., M. R... a été présenté aux amis de Mme Z... comme étant le père de l'enfant ; qu'enfin, il résulte des éléments du dossier, que M. R... a volontairement mis en échec l'expertise comparée ordonnée par le tribunal en faisant le choix de ne pas déférer aux convocations qui lui ont été adressées ; qu'or le pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Reims n'étant pas suspensif, la décision ordonnant l'expertise était exécutoire et M. R... ne disposait ainsi d'aucun motif légitime de s'opposer à la réalisation de l'expertise ADN ; qu'il peut dès lors, être déduit de son refus de s'y soumettre un indice supplémentaire de ce qu'il a connaissance de sa paternité ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments la preuve suffisante de ce que M. R... est le père de M. Z... ; qu'en conséquence, M. P... R... est déclaré être le père biologique de M. M... Z... ;
1) ALORS QUE les juges sont tenus de ne pas dénaturer les conclusions qui les saisissent ; que, dans ses écritures, M. R... faisait valoir que s'il avait entretenu avec Mme Z... une relation épisodique, pour autant, il n'était pas démontré que des relations intimes aient existé entre les parties durant la période de conception de l'enfant (p. 6, § 5 et in fine et p .7, § 1) ; qu'en affirmant par motifs propres et adoptés, pour déclarer que M. R... était le père biologique du fils de Mme Z..., que l'intéressé « n'a[vait] jamais contesté avoir entretenu une relation intime avec Mme Z... au moment de la conception de l'enfant » (jugement, p. 3, § 6 ; arrêt, p. 5, § 10), la cour d'appel, qui a dénaturé les conclusions de M. R..., a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; que constitue un motif légitime de refuser de se soumettre à l'expertise biologique judiciairement ordonnée, la circonstance que la question de la recevabilité de l'action intentée contre soi n'a pas été définitivement tranchée ; que, dans ses conclusions (p. 5, § 5-6), M. R... faisait valoir que la recevabilité de l'action de Mme Z... n'étant pas purgée, il avait refusé de se soumettre à l'examen comparé des sangs ordonné par le juge ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que M. R... ne disposait d'aucun motif légitime pour s'opposer à la réalisation de l'expertise ADN et que son refus constituait un indice de ce qu'il avait connaissance de sa paternité (jugement, p. 3, § 6), la cour d'appel a violé l'article 310-3 du code civil ;
3) ALORS QUE le droit à un procès équitable implique que le défendeur à une action en recherche de paternité puisse refuser de se soumettre à l'expertise biologique judiciairement ordonnée tant que la question de la recevabilité de l'action intentée contre lui n'a pas été définitivement tranchée, sans que le juge puisse déduire de ce refus la preuve de sa paternité ; que, dans ses conclusions (p. 5, § 5-6), M. R... faisait valoir que la recevabilité de l'action de Mme Z... n'étant pas purgée, il avait refusé de se soumettre à l'examen comparé des sangs ordonné par le juge ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que M. R... ne disposait d'aucun motif légitime pour s'opposer à la réalisation de l'expertise ADN et que son refus constituait un indice de ce qu'il avait connaissance de sa paternité (jugement, p. 3, § 6), la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 8 juin 2018 d'AVOIR condamné M. R... à verser à M... Z..., représenté par sa mère, B... Z..., la somme de 4.000 € en réparation de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur la demande en dommages et intérêts, pour condamner M. P... R... au paiement d'une indemnité de 4.000 euros au profit du mineur en application de l'article 1382 du code civil, le premier juge a retenu : - qu'il résultait des éléments versés aux débats que Monsieur R... avait connaissance de la naissance de l'enfant alors qu'il avait eu une relation intime avec la mère au moment de la conception, qu'il se déduit de son choix délibéré de ne pas se soumettre à l'expertise ADN un indice de ce qu'il avait connaissance de sa paternité et qu'il a ainsi cherché à se soustraire à ses obligations de père ; - que cet indice est corroboré par les attestations et photographies le présentant comme se comportant en père de l'enfant ;- qu'en ne reconnaissant pas son fils et en s'opposant à la recherche de paternité il a commis une faute génératrice d'un préjudice moral pour M... consistant dans l'incertitude relative à sa filiation, ainsi que le fait de grandir sans père ; que pour s'opposer à cette demande en dommages et intérêts M. P... R... se borne à indiquer : - que Mme B... Z... ne justifie pas d'un quelconque préjudice de l'enfant alors qu'elle n'a effectué aucune procédure pendant 8 ans, et qu'est « facile » de lui reprocher des lenteurs procédurales alors qu'il n'a fait qu'user de ses droits en matière de recours ; - qu'elle ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par l'octroi d'une pension alimentaire ; que sur ce second point la cour observe que le préjudice moral allégué est celui du mineur et non pas celui de sa mère, et qu'il est assurément distinct du préjudice financier lié à l'entretien courant de l'enfant qui est assuré par le paiement d'une contribution alimentaire mensuelle ; que M. P... R... ne répond pas sur le fond du préjudice allégué du mineur ; qu'or, Mme B... Z... rappelle à juste titre que l'attitude de M. P... R... crée une situation d'insécurité psychologique chez l'adolescent, qui se sent rejeté ; qu'au surplus, la cour relève qu'il résulte de l'attestation de la soeur de l'appelante que M... « sait très bien » qui est son père, de sorte que ce contexte procédural persistant depuis de nombreuses années rejailli nécessairement défavorablement sur lui ; que les motifs du premier juge doivent donc être approuvés en ce que le comportement fautif de M. P... R... à l'égard du mineur est caractérisé, son préjudice moral non sérieusement contestable pouvant être légitimement compensé par l'octroi de la somme de 4.000 euros arrêtée par le premier juge ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, sur la demande de dommages et intérêts, en vertu de l'article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ; qu'il résulte des éléments versés aux débats que M. R... avait connaissance de ce que M... était né, alors qu'il avait eu une relation intime avec la mère au moment de la conception ; qu'il se déduit, en outre, de son choix délibéré de ne pas se soumettre à l'expertise ADN un indice de ce qu'il avait connaissance de sa paternité et qu'il a ainsi cherché à se soustraire à ses obligations de père ; qu'or, cet indice est corroboré par les attestations et photographies versées, le présentant comme se comportant en père de l'enfant ; qu'il se déduit, ainsi, des éléments versés aux débats que M. R..., en ne reconnaissant pas son fils et en s'opposant à l'action en recherche de paternité formée par la mère, a commis une faute génératrice d'un préjudice moral pour M. M... Z... ; qu'en effet, le préjudice moral subi par l'enfant consiste dans l'incertitude relative à sa filiation, ainsi que le fait de grandir sans père, et il est distinct du préjudice économique subi par la mère, qui a contribué seule à son éducation et son entretien ; que par conséquent, il y a lieu de condamner M. R... à verser à M. M... Z... la somme de 4.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
1) ALORS QUE la défense à une action en justice, par des moyens de droit et l'exercice de voies de recours, ne peut constituer un abus de droit, sauf circonstances particulières qu'il appartient au juge de spécifier ; qu'en l'espèce, pour retenir que M. R... avait commis une faute génératrice d'un préjudice moral pour M..., la cour d'appel s'est bornée à relever que l'intéressé n'avait pas reconnu son fils, alors qu'il avait connaissance de sa paternité, et qu'il s'était opposé à l'action en recherche de paternité engagée par Mme Z... ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'abus commis par M. R... dans l'exercice de son droit, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2) ALORS QUE pour apprécier le caractère abusif de l'exercice d'un droit par son titulaire, le juge doit prendre en considération l'ensemble des circonstances de faits dans lequel s'inscrit l'exercice du droit incriminé ; qu'en se bornant à relever, en l'espèce, qu'en ne reconnaissant pas son fils et en s'opposant à l'action en recherche de paternité engagée par Mme Z..., M. R... avait commis une faute génératrice d'un préjudice moral pour M..., sans s'expliquer sur les atermoiements procéduraux de Mme Z... qui s'est volontairement désistée de sa première action en recherche de paternité et a attendu le 22 juin 2011, soit plus de huit ans après la naissance de son fils, pour agir en recherche de paternité contre M. R..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. | Il résulte des articles 327 et 328 du code civil, d'une part, que l'action en recherche de paternité est réservée à l'enfant, d'autre part, que pendant la minorité de celui-ci, le parent à l'égard duquel la filiation est établie a seul qualité pour exercer l'action en recherche de paternité. Il en résulte que l'article 20, IV, de l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, qui prévoit, au titre des dispositions transitoires, que l'action prévue par l'article 327 du code civil peut être exercée sans que puisse être opposée la forclusion de deux ans tirée de la loi ancienne, dès lors qu'à la date d'entrée en vigueur de cette ordonnance, le 1er juillet 2006, la prescription de dix ans prévue par l'article 321 du même code n'est pas acquise, s'applique lorsque l'action est exercée par le représentant légal de l'enfant mineur sur le fondement de l'article 328 du code civil |
478 | CIV. 1
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation sans renvoi
Mme BATUT, président
Arrêt n° 428 F-P+B
Pourvoi n° V 19-18.839
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 JUILLET 2020
M. V... R..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° V 19-18.839 contre l'ordonnance rendue le 10 mai 2019 par le premier président de la cour d'appel de Versailles, dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet des Yvelines, dont le siège est [...],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié en son [...],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. R..., et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 26 mai 2020 où étaient présents Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Versailles, 10 mai 2019), et les pièces de la procédure, le 5 octobre 2018, le président de la chambre de l'instruction a reconnu l'irresponsabilité pénale de M. R..., poursuivi des chefs de tentative d'homicide volontaire sur ascendant et de menaces de mort réitérées, et décidé, sur le fondement des articles 122-1 du code pénal et 706-135 du code de procédure pénale, son admission en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète. M. R... a été accueilli au [...] le 23 octobre 2018.
2. Par requête du 3 avril 2019, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention, sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, afin qu'il statue sur la poursuite de la mesure.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. R... fait grief à l'ordonnance de maintenir la mesure de soins psychiatriques sous forme d'une hospitalisation complète, alors « que l'hospitalisation complète prononcée par décision judiciaire en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale, lorsque le patient a été maintenu en hospitalisation complète de manière continue depuis cette décision, ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le représentant de l'Etat dans le département quinze jours au moins avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la décision judiciaire précitée, ait statué sur cette mesure avant l'expiration de ce délai de six mois ; qu'en l'espèce, la décision judiciaire ayant prononcé l'hospitalisation complète étant en date du 5 octobre 2018, le délai de six mois pour que le juge de la liberté et de la détention se prononce sur la poursuite de la mesure expirait donc le 5 avril 2019, et le juge de la liberté et de la détention devait être saisi par le représentant de l'Etat dans le département quinze jours avant, soit au plus tard le 22 mars 2019, or le préfet des Yvelines a saisi le juge de la liberté et de la détention le 3 avril 2019, soit moins de quinze jours avant l'expiration du délai de six mois (5 avril 2019) et ce dernier a statué par ordonnance du 25 avril 2019, soit au-delà du délai de six mois qui expirait le 5 avril 2019 ; qu'en retenant pour valider cette saisine tardive que le délai de six mois ne pouvait commencer à courir qu'à compter de la mise en oeuvre par le préfet de la décision judiciaire, soit le 23 octobre 2018, et non comme le prévoit la loi, à compter de la décision judiciaire elle-même, le magistrat délégué par le premier président a violé L. 3211-12-1, I, 3°, du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3211-12-1, I, 3°, du code de la santé publique :
4. Il résulte de ce texte que lorsqu'elle a été prononcée en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale, l'hospitalisation complète d'un patient ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le représentant de l'Etat dans le département, ait statué sur cette mesure avant l'expiration d'un délai de six mois à compter soit de la décision judiciaire prononçant l'hospitalisation, soit de la décision prise par le juge des libertés et de la détention en application du I du texte susvisé ou des articles L. 3211-12, L. 3213-3, L. 3213-8 ou L. 3213-9-1 du code de la santé publique, lorsque le patient a été maintenu en hospitalisation complète de manière continue depuis cette décision. Le juge doit être saisi quinze jours au moins avant l'expiration du délai de six mois.
5. Pour maintenir la mesure d'hospitalisation complète, l'ordonnance retient que le juge des libertés et de la détention a bien été saisi quinze jours au moins avant l'expiration du délai de six mois, qui a commencé à courir à compter du 23 octobre 2018, date de la mise en oeuvre par le préfet de la décision judiciaire du 5 octobre.
6. En statuant ainsi, alors que le délai de six mois avait commencé à courir à compter du 5 octobre 2018, date de la décision judiciaire prononçant l'hospitalisation de M. R... en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale, peu important que la mise en oeuvre effective de cette décision ait été différée dans le temps, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. Tel que suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 10 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. R... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour M. R...
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé le maintien de la mesure de soins psychiatriques sous forme d'hospitalisation complète
AUX MOTIFS QUE
Sur la tardiveté de la saisine du juge des libertés et de la détention ;
En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. R... a été admis au [...] par requête du représentant de l'Etat dans le département des Yvelines du 23 octobre 2018 adressée au directeur du [...], au visa de l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles du 5 octobre 2018 et de l'ordonnance du même jour de la présidente de la chambre de l'instruction de cette même cour prescrivant une hospitalisation complète.
Dès lors, comme l'a relevé le premier juge, le délai ne pouvait commencer à courir qu'à compter de la mise en oeuvre par le préfet de la décision judiciaire, soit le 23 octobre 2018.
Par conséquent, la nullité soulevée ne pourra qu'être rejetée.
ALORS QUE l'hospitalisation complète prononcée par décision judiciaire en application de l'article 706-135 du code de procédure pénale, lorsque le patient a été maintenu en hospitalisation complète de manière continue depuis cette décision, ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le représentant de l'Etat dans le département quinze jours au moins avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la décision judiciaire précitée, ait statué sur cette mesure avant l'expiration de ce délai de six mois ; qu'en l'espèce, la décision judiciaire ayant prononcé l'hospitalisation complète étant en date du 5 octobre 2018, le délai de six mois pour que le juge de la liberté et de la détention se prononce sur la poursuite de la mesure expirait donc le 5 avril 2019, et le juge de la liberté et de la détention devait être saisi par le représentant de l'Etat dans le département quinze jours avant, soit au plus tard le 22 mars 2019, or le Préfet des Yvelines a saisi le juge de la liberté et de la détention le 3 avril 2019, soit moins de quinze jours avant l'expiration du délai de six mois (5 avril 2019) et ce dernier a statué par ordonnance du 25 avril 2019, soit au-delà du délai de six mois qui expirait le 5 avril 2019 ; qu'en retenant pour valider cette saisine tardive que le délai de six mois ne pouvait commencer à courir qu'à compter de la mise en oeuvre par le préfet de la décision judiciaire, soit le 23 octobre 2018, et Scp RICARD, BENDEL-VASSEUR, GHNASSIA-Avocat aux Conseils Pourvoi n° V1918839 Page 4/7 non comme le prévoit la loi, à compter de la décision judiciaire elle-même, le magistrat délégué par le premier président a violé L. 3211-12-1, I, 3°, du code de la santé publique. | Le délai de six mois, prévu à l'article L. 3211-12-1, I, 3° du code de la santé publique, avant l'expiration duquel le juge doit statuer sur une mesure d'hospitalisation complète d'un patient prononcée par décision judiciaire sur le fondement de l'article 706-135 du code de procédure pénale, commence à courir à compter de cette décision et non de sa mise en oeuvre effective par le représentant de l'Etat dans le département |
479 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 579 F-P+B+I
Pourvoi n° 19-13.959
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
La caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° 19-13.959 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2019 par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail (section tarification), dans le litige l'opposant à la société Stem propreté, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La société Stem propreté a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Stem propreté, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, 17 janvier 2019) et les productions, invoquant une baisse de plus de la moitié de l'effectif de son établissement de Chambéry à compter du 1er janvier 2014, la société Stem propreté (la société) a contesté le taux individuel des cotisations mises à sa charge, pour cet établissement, par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Rhône-Alpes (la caisse), au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles pour les années 2014 à 2016, en soutenant qu'elle devait bénéficier de la tarification collective pour établissement nouvellement créé.
2. Après rejet de son recours amiable, la société a saisi d'un recours la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de dire qu'il y a lieu de maintenir les taux de cotisations au titre des exercices 2014 et 2015, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article D. 242.6-17 du code de la sécurité sociale, les établissements nouvellement créés relèvent du taux collectif AT-MP de la profession pendant les trois premières années de leur création, indépendamment de leur effectif et de celui de l'entreprise ; qu'en ne faisant jouer cette règle pour l'établissement de Chambéry dont elle ne conteste pas qu'il est nouvellement créé que pour la troisième année (2016), et non les années 2015 et 2014, la Cour nationale a violé ledit texte ;
2°/ que faute de s'expliquer sur le point de savoir si l'établissement en cause était nouveau au sens de l'article D. 242-6-17 précité, la Cour nationale a totalement privé sa décision de base légale au regard de ce texte. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale que les établissements nouvellement créés, dont le classement dans une catégorie de risque est effectué en fonction de l'activité exercée, sont redevables, au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, durant l'année de leur création et les deux années civiles suivantes, d'une cotisation affectée d'un taux collectif . Selon le troisième alinéa de ce texte, ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel.
6. La baisse, même significative au cours d'un exercice, de la masse salariale de l'établissement d'une entreprise par suite d'une réduction d'activité sans modification de la nature de cette activité, de la structure juridique de l'établissement ou des moyens de production ne confère pas à cet établissement la qualité d'établissement nouvellement créé au sens du texte susmentionné.
7. La société ayant saisi la Cour nationale d'une demande tendant à l'application de la tarification collective prévue par l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale pour son établissement de Chambéry du seul fait de la réduction significative de l'effectif de cet établissement au cours de l'année 2014 par suite d'une baisse d'activité, il en résulte que cette demande ne pouvait aboutir.
8. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, la décision attaquée se trouve légalement justifiée en ce qu'elle a rejeté la demande de la société au titre des exercices 2014 et 2015.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses première et quatrième branches
Enoncé du moyen
9. La caisse fait grief à l'arrêt de dire qu'il y a lieu d'appliquer une tarification collective à compter du 1er janvier 2016, alors :
« 1°/ que le juge doit respecter l'objet du litige tel qu'il a été déterminé par les prétentions et moyens des parties; qu'en l'espèce, la société contestait uniquement le mode de tarification appliqué à son établissement de Chambéry et non le taux de cotisation retenu ; qu'elle prétendait qu'il s'agissait d'un établissement nouveau qui devait bénéficier de la tarification collective en application de l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale ; qu'en faisant droit à sa demande à compter du 1er janvier 2016 aux prétextes qu'en application des articles D. 242-6-9 et D. 242-6-12 du code de la sécurité sociale, et de l'article 2 de l'arrêté du 17 octobre 1995, le taux de cotisation applicable pour un exercice N devait être calculé en tenant compte de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année N-2, de sorte que le taux de cotisation à effet du 1er janvier 2016 aurait dû tenir compte de la baisse de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année 2014, la Cour nationale a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ que les juge ne peuvent modifier l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, les parties s'accordaient sur le fait que c'était l'effectif de l'établissement de Chambéry qui avait baissé en passant de 24 à 4 salariés ; qu'à supposer que la Cour nationale ait considéré que c'était l'effectif global de l'entreprise Stem propreté qui avait ainsi baissé, elle a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
10. Pour accueillir la demande de la société à compter du 1er janvier 2016, l'arrêt retient qu'en application des articles D. 242-6-9 et D. 242-6-12 du code de la sécurité sociale et de l'article 2 de l'arrêté du 17 octobre 1995, le taux applicable pour l'exercice 2016 doit être calculé en tenant compte de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année 2014, que la diminution de l'effectif global de la société au cours de l'année 2014 aura une influence sur le taux de cotisation applicable au titre de l'année 2016 et que c'est donc à tort que la caisse a procédé à un nouveau calcul des taux de cotisations à effet du 1er janvier 2016 applicable à l'établissement de Chambéry de la société, en ne tenant pas compte de la baisse de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année 2014, en raison de la perte de plusieurs chantiers de nettoyage.
11. En statuant ainsi, alors que les parties s'accordaient sur le fait que c'était l'effectif de l'établissement de Chambéry qui avait baissé et non l'effectif global de l'entreprise, et que la société contestait le mode de tarification appliqué à cet établissement et non le taux retenu, la Cour nationale, qui a méconnu l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré recevable le recours formé par la société Stem propreté contre la décision de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Rhône-Alpes, fixant son taux de cotisations pour les exercices 2014, 2015 et 2016, au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, pour son établissement de Chambéry, l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société Stem propreté aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Stem propreté et la condamne à verser à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Rhône-Alpes la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré recevable le recours formé par la société Stem Propreté contre la décision de la CARSAT Rhône-Alpes fixant son taux de cotisation pour les exercices 2014, 2015 et 2016 au titre de l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles, pour son établissement de Chambéry et d'AVOIR en conséquence, dit qu'il y avait lieu d'appliquer une tarification collective à compter du 1er janvier 2016 en raison de la baisse de l'effectif global de la société demanderesse au cours de l'année 2014 pour son établissement de Chambéry, et d'AVOIR dit que sa décision se substituait à la décision annulée.
AUX MOTIFS QUE sur la recevabilité du recours pour le taux 2016 ; qu'aux termes de l'ancien article R. 143-21 du code de sécurité sociale, les taux de cotisation dus au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles deviennent définitif à l'expiration du délai de deux mois suivants leur notification à l'employeur ; que cette disposition s'applique aux recours gracieux comme aux recours contentieux et à l'ensemble des décisions de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail ayant un impact sur la tarification d'un établissement et relevant de la compétence de la section tarification de la Cour nationale ; que la société se doit dans le délai de recours qui lui est imparti à l'ancien article R. 143-21 du code de la sécurité sociale, à peine de forclusion, de faire état de l'ensemble des éléments de calcul de sa tarification qu'elle entend contester ; que passé ce délai de deux mois, les éléments non contestés deviennent définitifs et ne peuvent faire l'objet d'un recours ; que les articles 665 et suivants du code de procédure civile disposent que la date de remise d'une notification par voie postale est, à l'égard de la partie à laquelle elle est faite, la date de réception de la lettre ; qu'il appartient donc à la partie qui soutient qu'un recours est irrecevable comme tardif de rapporter la preuve de l'inobservation des délais dans lesquels ce recours doit être exercé ; que la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Rhône-Alpes soutient que le recours gracieux adressé le 5 avril 2016 est irrecevable comme tardif puisqu'il a été adressé plus de deux mois après la réception de la notification du taux 2016 contesté ; qu'elle indique que la notification du taux 2016 a été adressé en recommandé avec accusé réception et réceptionné le 15 janvier 2016 et produit l'accusé de réception, à cet effet ; que cependant, la Cour constate que rien ne permet de rattacher le présent document à la notification du taux contesté ; qu'il s'ensuit qu'il n'est pas établi que l'action de la société Stem propreté était prescrite à la date du 5 avril 2016 et il s'avère que le recours portant sur le taux de l'exercice 2016 est recevable dans la mesure où il n'est pas prouvé que le délai de recours a commencé à courir.
ALORS QUE la notification par voie postale est réputée faite à personne lorsque l'avis de réception est signé par son destinataire ; que lorsque la notification est faite sous enveloppe, il appartient au destinataire qui conteste le contenu de cette enveloppe, de prouver qu'elle ne contient pas l'acte notifié ; qu'en l'espèce, la CARSAT Rhône-Alpes soutenait avoir notifié à la société Stem Propreté son taux de cotisations accident du travail/maladie professionnelle par lettre recommandée avec accusé de réception réceptionnée le 15 janvier 2016, de sorte que son recours formé le 5 avril 2016, plus de deux mois après la réception de cette notification, était irrecevable ; qu'il ressort de l'arrêt qu'elle avait produit l'accusé de réception de sa lettre recommandée, lequel était daté du 15 janvier 2016 et signé par son destinataire, la société Stem Propreté ; qu'en jugeant ce recours recevable au prétexte que rien ne permettait de rattacher cet accusé de réception à la notification du taux contesté lorsqu'il appartenait à la société Stem Propreté, qui contestait le contenu de l'envoi, de prouver qu'il ne contenait pas la notification du taux, la Cour nationale a violé les articles 667, 668, 669 et 670 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 143-21 du code de la sécurité sociale.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'il y avait lieu d'appliquer une tarification collective à compter du 1er janvier 2016 en raison de la baisse de l'effectif global de la société demanderesse au cours de l'année 2014 pour son établissement de Chambéry, et d'AVOIR dit que sa décision se substituait à la décision annulée.
AUX MOTIFS QUE Sur le fond ; qu'en application des dispositions de l'article D. 242-6-9 du code de la sécurité sociale, les taux nets de cotisations, dits taux mixtes, sont applicables aux entreprises qui ne comportent qu'un seul établissement et dont l'effectif habituel de salarié est compris entre 10 et 199, ou à chaque établissement d'une même entreprise lorsque l'effectif global habituel de salariés de cette entreprise est compris entre 10 et 199 ; qu'ils sont déterminés par les caisses régionales d'assurance maladie par l'addition des deux éléments suivants : 1° Une fraction du taux collectif fixé pour l'activité professionnelle dont relève l'établissement 2° Une fraction du taux net réel qui serait attribué à l'établissement si ce taux lui était applicable ; que l'importance de l'un ou de l'autre des facteurs varie en fonction du nombre de salariés ; qu'en effet, la valeur de chacune des fractions est proportionnelle à l'effectif de l'entreprise ; que plus l'effectif est important, plus la fraction de taux propre (taux individuel) est élevée, à l'inverse, plus le nombre de salariés est proche du seuil du taux collectif, plus la fraction de taux collectif est importante ; qu'en vertu de l'article D. 242-6-12 du Code de la sécurité sociale, le nombre de salariés d'un établissement est déterminé par année civile selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale ; que le nombre de salariés d'une entreprise qui exploite plusieurs établissements est égal à la somme du nombre de salariés de chaque établissement, à l'exception des établissements situés dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ; que l'article 2 de l'arrêté du 17 octobre 1995 prévoit que le nombre de salariés d'un établissement est égal à la moyenne des nombres de salariés présents au dernier jour de chaque trimestre civil de la dernière année connue ; qu'ainsi, le taux applicable pour l'exercice 2014 doit être calculé en tenant compte de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année 2012, le taux applicable pour l'exercice 2015 au regard de celui de l'année 2013 et le taux applicable pour l'exercice 2016 au regard de celui de l'année 2014 ; qu'en l'espèce, la société Stem Propreté indique avoir réduit son effectif au 1" janvier 2014 de plus de 50% suite à la perte de chantiers ; que la Cour constate que, au vu de la notification du taux 2016 produite par la demanderesse, la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Rhône-Alpes indique un mode de tarification individuelle pour un effectif de 4 ; qu'aussi, en application de l'article 2 susvisé de l'arrêté du 17 octobre 1995, la diminution de l'effectif global de la société Stem Propreté de l'année 2014 aura une influence sur le taux de cotisation applicable au titre de l'exercice 2016 ; que cependant, la diminution de l'effectif global au cours de l'année 2014 n'aura pas d'impact sur les taux 2014 et 2015 ; qu'il s'ensuit que le recours sera rejeté concernant les taux 2014 et 2015 ; que néanmoins, c'est à tort que la caisse régionale d'assurance maladie de Rhône-Alpes a procédé à un nouveau calcul des taux de cotisation à effet du 1er janvier 2016 applicable à l'établissement de Chambéry de la société Stem Propreté, en ne tenant pas compte de la baisse de l'effectif global de l'entreprise au cours du de l'année 2014, en raison de la perte de plusieurs chantiers de nettoyage.
1° - ALORS QUE le juge doit respecter l'objet du litige tel qu'il a été déterminé par les prétentions et moyens des parties; qu'en l'espèce, la société Stem Propreté contestait uniquement le mode de tarification appliqué à son établissement de Chambéry et non le taux de cotisation retenu; qu'elle prétendait qu'il s'agissait d'un établissement nouveau qui devait bénéficier de la tarification collective en application de l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale (cf. ses mémoires devant la CNITAAT, p. 4 et 5) ; qu'en faisant droit à sa demande à compter du 1er janvier 2016 aux prétextes qu'en application des articles D. 242-6-9 et D. 242-6-12 du code de la sécurité sociale, et de l'article 2 de l'arrêté du 17 octobre 1995, le taux de cotisation applicable pour un exercice N devait être calculé en tenant compte de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année N-2, de sorte que le taux de cotisation à effet du 1er janvier 2016 aurait dû tenir compte de la baisse de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année 2014, la Cour nationale a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile.
2° - ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour juger qu'il y avait lieu d'appliquer une tarification collective à compter du 1er janvier 2016 pour l'établissement de Chambéry, la Cour nationale a retenu qu'en application des articles D. 242-6-9 et D. 242-6-12 du code de la sécurité sociale, et de l'article 2 de l'arrêté du 17 octobre 1995, le taux de cotisation applicable pour un exercice N devait être calculé en tenant compte de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année N-2, de sorte que le taux de cotisation à effet du 1er janvier 2016 aurait dû tenir compte de la baisse de l'effectif global de l'entreprise au cours de l'année 2014 ; qu'en statuant ainsi lorsqu'il résulte de l'arrêt que les parties avaient repris à l'audience leurs mémoires écrits et que ceux-ci ne contenaient pas de tels moyens, la Cour nationale qui a soulevé d'office ces moyens sans avoir recueilli les observations des parties sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile.
3° - ALORS QUE le mode de tarification est déterminé en fonction de l'effectif global de l'entreprise, que celle-ci comporte un ou plusieurs établissements ; que la tarification collective est applicable aux entreprises dont l'effectif global est de moins de 20 salariés et la tarification individuelle est applicable aux entreprises dont l'effectif global est au moins égale à 150 salariés ; qu'en l'espèce la société Stem Propreté demandait l'application d'un mode de tarification collective pour son établissement de Chambéry en soutenant que les effectifs de cet établissement étaient passés de 24 à 4 salariés ; qu'en faisant droit à sa demande au prétexte que la notification du taux d'AT/MP de l'établissement de Chambéry indiquait un effectif de 4, lorsque le mode de tarification est déterminé en fonction de l'effectif global de l'entreprise et non en fonction de l'effectif de l'établissement, la Cour nationale a violé l'article D. 242-6-2 du code de la sécurité sociale.
4° - ALORS subsidiairement QUE le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; que si la notification du taux 2016 indiquait effectivement un effectif de 4 personnes, il s'agissait de l'effectif de l'établissement de Chambéry et non de l'effectif global de la société Stem Propreté ; qu'à supposer que la Cour nationale ait considéré que cette notification attestait de l'effectif global de la société Stem Propreté, et que c'était l'effectif global de la société Stem Propreté qui avait baissé, elle a dénaturé cette notification et méconnu son obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause.
5° - ALORS subsidiairement QUE les juge ne peuvent modifier l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, les parties s'accordaient sur le fait que c'était l'effectif de l'établissement de Chambéry qui avait baissé en passant de 24 à 4 salariés ; qu'à supposer que la Cour nationale ait considéré que c'était l'effectif global de l'entreprise Stem Propreté qui avait ainsi baissé, elle a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Stem propreté
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit « qu'il y a lieu de maintenir les taux de cotisation au titre des exercices 2014 et 2015 » pour l'établissement de Chambéry de la Société STEM,
AUX MOTIFS cités par le second moyen du pourvoi principal ;
ALORS QU'aux termes de l'article D 242.6-17 du Code de la Sécurité sociale, les établissements nouvellement créés relèvent du taux collectif ATMP de la profession pendant les trois première années de leur création, indépendamment de leur effectif et de celui de l'entreprise ; qu'en ne faisant jouer cette règle pour l'établissement de Chambéry dont elle ne conteste pas qu'il est nouvellement créé que pour la troisième année (2016), et non les années 2015 et 2014, la CNITAAT a violé ledit texte ;
ALORS, A TOUT LE MOINS, QUE faute de s'expliquer sur le point de savoir si l'établissement en cause était nouveau au sens de l'article D 242-6-17 précité, la CNITAAT a totalement privé sa décision de base légale au regard de ce texte. | Il résulte de l'article D. 242-6-17 du code de la sécurité sociale que les établissements nouvellement créés, dont le classement dans une catégorie de risque est effectué en fonction de l'activité exercée, sont redevables, au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles, durant l'année de leur création et les deux années civiles suivantes, d'une cotisation affectée d'un taux collectif . Selon le troisième alinéa de ce texte, ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel.
La baisse, même significative au cours d'un exercice, de la masse salariale de l'établissement d'une entreprise par suite d'une réduction d'activité ne confère pas à elle seule, à cet établissement, la qualité d'établissement nouvellement créé au sens du texte susmentionné |
480 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 581 F-P+B+I
Pourvoi n° J 19-16.391
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
M. H... L..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° J 19-16.391 contre l'arrêt rendu le 13 mars 2019 par la cour d'appel de Montpellier (4e B chambre sociale), dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aude, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. L..., de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aude, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 13 mars 2019), la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aude (la caisse) a pris en charge, au titre du tableau n° 42 des maladies professionnelles, la perte auditive déclarée le 26 janvier 2004 par M. L... (la victime) et, après consolidation, a fixé, au vu de l'avis du médecin conseil, le taux d'incapacité permanente de la victime à 25 % par une décision du 2 juillet 2004.
2. Sa demande de révision du taux d'incapacité ayant été définitivement rejetée par un jugement du tribunal du contentieux de l'incapacité du 3 janvier 2011, la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale afin de voir reconnaître la responsabilité de la caisse et d'obtenir la réparation de son préjudice né d'une application, selon elle, erronée, par le médecin conseil, du barème d'invalidité des maladies professionnelles.
Examen du moyen
Sur le moyen, ci-après annexé
Enoncé du moyen
3. La victime fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes en réparation de ses préjudices matériel et moral.
Réponse de la Cour
4. Selon les articles L. 434-2 et R. 434-35 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable à la date du litige, la caisse primaire d'assurance maladie se prononce sur l'existence d'une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci, après avoir pris l'avis du service du contrôle médical.
5. Selon l'article R. 315-2 du même code, le contrôle médical constitue un service national autonome, placé sous l'autorité directe de la Caisse nationale de l'assurance maladie.
6. Il en résulte que la responsabilité de la caisse primaire d'assurance maladie ne peut pas être engagée par les avis rendus par le service du contrôle médical, qui s'imposent à elle.
7. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, la décision attaquée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. L...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. H... L... de ses demandes en réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE pour être indemnisé le préjudice subi doit être certain, direct (c'est à dire que le préjudice doit résulter directement du fait reproché au responsable) et déterminé ; qu'en l'espèce et même si une erreur est commise en 2004 par le médecin conseil sur l'évaluation à 25 % du taux d'incapacité à raison d'une hypoacousie de perception bilatérale et symétrique avec une perte auditive moyenne de 60 db, ce fait n'est pas à l'origine directe du préjudice subi par M. L... puisque postérieurement et sur la base d'une expertise judiciaire du docteur Q... confirmant le taux à 25 %, le tribunal du contentieux de l'incapacité, dans une décision définitive du 3 janvier 2011 restée sans recours, maintient à 25 % le taux d'incapacité, taux sur la base duquel la Cpam sert une rente ; que dès lors les demandes présentées par M. L... doivent être rejetées ;
1°) ALORS QUE l'erreur de droit commise par une caisse, lorsqu'elle procède d'une méconnaissance d'un texte dépourvu d'ambiguïté, peut constituer une erreur grossière susceptible d'engager la responsabilité de l'organisme social ; qu'une caisse de sécurité sociale qui, par sa faute, cause un préjudice est tenue de le réparer ; qu'une faute constitue la cause du dommage lorsqu'elle a de manière directe et certaine contribué à le produire, sans qu'elle doive en être l'origine unique ou même déterminante ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le médecin conseil de la caisse avait commis une erreur en 2004 en évaluant à 25 % le taux d'incapacité à raison d'une hypoacousie de perception bilatérale et symétrique avec une perte auditive moyenne de 60 db ; qu'en rejetant intégralement la demande de réparation de M. L..., au motif inopérant que, postérieurement, sur la base d'une expertise judiciaire confirmant ce taux, le tribunal du contentieux de l'incapacité, dans une décision définitive restée sans recours, avait maintenu le taux de 25 %, tandis qu'une telle circonstance n'était pas de nature à exclure l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre la faute de la caisse dans l'évaluation initiale du taux d'incapacité et le préjudice invoqué par M. L..., la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
2°) ALORS QUE l'erreur de droit commise par une caisse, lorsqu'elle procède d'une méconnaissance d'un texte dépourvu d'ambiguïté, peut constituer une erreur grossière susceptible d'engager la responsabilité de l'organisme social ; qu'une caisse de sécurité sociale qui, par sa faute, cause un préjudice est tenue de le réparer ; qu'une faute constitue la cause du dommage lorsqu'elle a de manière directe et certaine contribué à le produire ; qu'en l'espèce, M. L... faisait valoir que le médecin conseil de la caisse avait reconnu que le taux de 25 % initialement fixé était erroné, mais qu'il était administrativement impossible de le réviser en l'absence de nouvelle exposition professionnelle au risque ; qu'il était encore souligné que c'était pour la même raison que le tribunal de l'incapacité avait maintenu le taux de 25 %, ce qui obligeait précisément M. L..., pour faire tirer les conséquences dommageables de la faute de la caisse et faire réparer son préjudice, à agir en responsabilité ; que le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Aude a lui aussi constaté que ce n'était que pour des raisons administratives, tenant à l'absence « d'aggravation » en l'absence de nouvelle exposition, que le médecin conseil avait conclu que le taux n'était pas révisable, que la caisse avait maintenu ce taux, et que le tribunal du contentieux de l'incapacité avait rejeté le recours de M. L... (jugement entrepris, p. 3) ; qu'en se bornant, dès lors, pour écarter l'existence d'un lien de causalité direct entre la faute de la caisse dans l'évaluation du taux d'incapacité et le préjudice subi par M. L..., à relever que le tribunal du contentieux de l'incapacité, sur la base d'une expertise judiciaire, avait maintenu le taux de 25 %, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cela ne résultait pas uniquement de l'impossibilité administrative de réviser le taux en l'absence de nouvelle exposition, ce qui, loin d'écarter le lien de causalité entre la faute de la caisse et le préjudice de M. L..., tendait à le renforcer en ce que l'assujetti n'avait pas d'autre moyen, pour être restauré dans ses droits, que d'engager la responsabilité de la caisse sauf à permettre que la faute de cette dernière et le préjudice important causé à l'assuré restent sans réparation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
3°) ALORS QUE le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, en statuant comme elle l'a fait, sans répondre au moyen de M. L... tiré de ce que, si le tribunal du contentieux de l'incapacité, sur la base d'une expertise judiciaire, avait maintenu le taux de 25 %, cela résultait uniquement de l'impossibilité administrative de réviser le taux en l'absence de nouvelle exposition, sans donc que cela ne puisse écarter le lien causal entre la faute de la caisse et le préjudice dont la réparation était recherchée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE, en tout état de cause, la cour d'appel a constaté que l'erreur initialement commise par la caisse dans l'évaluation du taux d'incapacité datait de 2004, ce dont il s'évinçait que M. L... avait donc perçu une rente calculée sur ce taux sous-évalué durant plusieurs années ; que la cour d'appel a encore relevé que c'était en 2009 que, sur demande de révision, le taux avait été maintenu, puis en 2011 que le tribunal du contentieux de l'incapacité avait rejeté le recours contre ce maintien (arrêt p. 2) ; qu'en rejetant pourtant intégralement les demandes de M. L..., au motif qu'en l'état de ce maintien du taux en 2009 et en 2011, l'erreur d'évaluation initiale n'était pas à l'origine directe du préjudice subi par M. L..., tandis qu'il s'évinçait de ses propres constatations que l'erreur de la caisse était nécessairement à l'origine du dommage subi avant la demande de révision, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil. | La responsabilité d'une caisse primaire d'assurance maladie ne peut pas être engagée par les avis rendus par le service du contrôle médical, qui s'imposent à elle |
481 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 583 F-P+B+I
Pourvoi n° H 19-15.446
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
La société EDF, société anonyme, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° H 19-15.446 contre l'arrêt rendu le 20 février 2019 par la cour d'appel de Rennes (9e chambre sécurité sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Midi-Pyrénées, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société EDF, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF Midi-Pyrénées, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 20 février 2019), l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de la Haute-Garonne, aux droits de laquelle vient l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Midi-Pyrénées (l'URSSAF), agissant sur délégation de la Caisse nationale des industries électriques et gazières, a procédé, pour les années 2008 et 2009, au contrôle de l'assiette des cotisations d'assurance vieillesse dues par la société Electricité de France (la société).
2. L'URSSAF ayant réintégré, dans l'assiette des cotisations, des sommes versées au titre de contrats de prévoyance et de retraite supplémentaire souscrits par la société, cette dernière a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter sa contestation portant sur les chefs de redressement n° 16 (pour les cadres supérieurs et autres agents) et 24 (pour les cadres dirigeants) relatifs au contrat de retraite supplémentaire réservé aux agents résidant dans les départements d'outre-mer, alors que « les contributions des employeurs destinées au financement de régimes de retraite supplémentaire sont exclues de l'assiette des cotisations sociales lorsqu'elles revêtent un caractère obligatoire et collectif ; qu'un contrat de retraite supplémentaire présente un caractère collectif lorsqu'il bénéficie de façon générale et impersonnelle soit à l'ensemble des salariés, soit à une ou plusieurs catégories objectives de salariés ; qu'un régime de retraite bénéficiant aux salariés exerçant leur activité dans les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, afin de compenser le fait que l'indemnité compensant la cherté du coût de la vie n'est pas prise en compte dans l'assiette des cotisations de retraite, satisfait à cette condition, quelles que soient les conditions dans lesquelles les salariés prennent leur retraite ; qu'en prétendant écarter le caractère collectif de ce régime par le motif inopérant que les prestations versées par ce régime seraient versées au moment de leur retraite aux salariés indépendamment de leur lieu de résidence, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée par les écritures d'appel de l'exposante, si la prise en charge par l'employeur des cotisations y afférentes, au profit de ses salariés exerçant leur activité dans les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, n'était pas justifiée par la cherté du coût de la vie subie par ceux-ci pendant l'exercice de leur activité, suffisant à les constituer en catégorie objective au sens des articles L. 242-1 et D. 242-1 du code de la sécurité sociale, en leur rédaction applicable en la cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 242-1, alinéa 6, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses :
4. Selon ce texte, sont exclues de l'assiette des cotisations sociales les contributions des employeurs au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance, lorsqu'elles revêtent un caractère obligatoire et bénéficient à titre collectif à l'ensemble des salariés ou à une partie d'entre eux.
5. Pour rejeter la demande d'annulation des chefs de redressement en cause, l'arrêt relève que l'accord relatif à la mise en place d'un dispositif de retraite supplémentaire dans la branche des industries électriques et gazières pour les agents résidant dans les départements d'outre-mer, en date du 17 décembre 2004, prévoit un régime de retraite à cotisations définies qui bénéficie aux agents statutaires pour leurs périodes d'activité passées dans les établissements d'une entreprise de la branche, situés dans lesdits départements, postérieurement au 1er juillet 2005, l'adhésion au régime étant obligatoire, et qu'en application de cet accord, la société a souscrit, le 6 juillet 2005, un contrat de retraite à cotisations définies auprès de Quatrem assurances collectives. L'arrêt retient que ce contrat s'applique aux agents statutaires pour leurs périodes d'activité passées dans les établissements situés dans les départements d'outre-mer, ce qui ne constitue pas une catégorie objective de salariés, le caractère collectif n'étant pas respecté. La décision ajoute qu'en effet, ce contrat met en place des garanties pension de retraite et capital décès majorés, qui ne sont pas justifiées par le but de répondre aux particularités liées au coût de la vie dans les départements d'outre-mer comme le soutient la société, car si les cotisations sont calculées sur les sommes perçues par l'agent au titre des dispositions d'indemnisation du coût de la vie dans les départements d'outre-mer, les garanties retraite et décès sont versées sans tenir compte des particularités du coût de la vie dans les départements d'outre-mer puisque les garanties ne sont pas conditionnées au fait que la retraite soit prise dans les départements d'outre-mer, ce qui créé un traitement différencié entre les agents statutaires.
6. En statuant ainsi, par des motifs impropres à priver de caractère collectif les prestations de retraite supplémentaires litigieuses, alors qu'elle constatait que celles-ci concernaient l'ensemble des agents statutaires de la société au titre de leurs périodes d'activité dans les départements d'outre-mer, peu important le choix de leur domiciliation au moment de leur retraite, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes en ce qu'il déclare la société EDF recevable en ses demandes, annule le chef de redressement n° 25 pour 38 908 euros et dit que le surplus des sommes déjà versées par la société EDF à l'URSSAF Midi-Pyrénées au titre de ce redressement lui sera restitué et portera intérêt à taux légal à compter du jugement, l'arrêt rendu le 20 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.
Condamne l'URSSAF Midi-Pyrénées aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF Midi-Pyrénées et la condamne à verser à la société EDF la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société EDF
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société EDF de sa contestation des chefs de redressement n° 16 et 24 et de l'avoir condamné à payer à l'URSSAF Midi-Pyrénées la somme de 8 508 708 euros en cotisations et majorations de retard, sous la seule réserve de la déduction des majorations de retard afférentes au poste n° 25 ;
Aux motifs propres que l'inspecteur du recouvrement a procédé aux constatations suivantes : « Un accord relatif à la mise en place d'un dispositif de retraite supplémentaire dans la branche des industries électriques et gazières pour les agents résidant dans les DOM a été conclu entre les représentants des groupements d'employeurs et des organisations syndicales le 17 décembre 2004. Concernant ces agents, l'accord de branche du 17 décembre 2004 précise, dans son préambule, que des dispositions d'indemnisation relatives au coût de la vie existent dans les DOM, mais que leur montant n'entre pas dans l'assiette des cotisations retraite des salariés des IEG et n'est pas intégré dans le calcul des pensions de retraite. Il poursuit en indiquant que, partant de ce constat, l'accord est conclu afin de permettre aux agents résidant dans les DOM et réunissant les conditions nécessaires de bénéficier d'un dispositif de retraite supplémentaire, destiné à leur procurer un complément de revenu à la liquidation de leur retraite du régime spécial des IEG compte tenu des particularités liées au coût de la vie dans les DOM. Dans ce cadre, la SA EDF a souscrit auprès de l'organisme "Quatrem assurances collectives" un contrat de retraite supplémentaire à cotisations définies (n° 23529) en date du 6 juillet 2005 et prenant effet au 01 juillet 2005. Ce contrat vise les agents statutaires pour les périodes d'activité passées dans les établissements d'une entreprise de la branche, situés dans les DOM, postérieurement au 1er juillet 2005. La catégorie des agents statutaires couverts par le régime de retraite supplémentaire à cotisations définies repose sur un critère géographique. Il ne s'agit pas d'une catégorie objective de salariés au sens du code du travail ou des usages ou accords collectifs. Conclusion : En vertu des textes susvisés, le régime de retraite supplémentaire doit, à compter du 1er janvier 2009, respecter des conditions légales, notamment celle afférente au caractère collectif de l'article L.242-1 alinéa 7 du code de la Sécurité sociale. La catégorie des agents statutaires en fonction dans les DOM ne constituant pas un catégorie objective, le dit contrat n'est donc pas conforme au respect du caractère collectif (...) » ; que la société invoque que la loi n'interdit pas la prise en compte d'un critère géographique pour la détermination des bénéficiaires d'un régime de retraite supplémentaire par des circulaires inopposables, l'administration a ajouté à la loi des conditions qui n'y figuraient pas, que le régime de retraite supplémentaire à cotisations définies s'applique aux agents statutaires qui étaient en service dans les DOM et à Saint Pierre et Miquelon, que les agents statutaires constituent une catégorie objective de personnel et la prise en compte d'un critère géographique lié à l'exercice des fonctions respecte également le caractère collectif ; que le fondement conventionnel du régime implique que le respect du caractère collectif est présumé ; que la catégorie des agents statutaires qui étaient en service dans les DOM repose sur un critère objectif et justifié par le but de répondre aux particularités liées au coût de la vie dans les DOM, le régime de retraite supplémentaire permettant de s'assurer que les agents statutaires en service dans les DOM bénéficieront d'une retraite calculée en prenant en compte l'indemnité spéciale DOM pour les périodes d'activité passées dans les établissement situés dans les DOM ; que la position adoptée par le tribunal est injustifiée, comme l'établit la censure de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse par la Cour de cassation et la reconnaissance du bien-fondé de l'analyse de la société par la cour d'appel de Bordeaux saisie sur renvoi après cassation ; que l'URSSAF réplique que la société a conclu pour ses agents en poste dans les DOM et Saint Pierre et Miquelon un contrat de retraite supplémentaire spécifique ouvrant droit à des prestations majorées, mais ce contrat est dépourvu de tout caractère collectif dès lors qu'il ne concerne pas une catégorie objective de salariés au sens des articles L.242-l et D.242-l-II du code de la sécurité sociale, qu'en effet un lieu d'activité ne constitue pas une catégorie de salariés laquelle se définit par sa nature juridique de l'emploi, mais pas par rapport à un lieu d'affectation, que les textes subordonnent la déductibilité au caractère collectif du contrat, lequel n'est réglementairement attaché à un contrat que s'il s'adresse à une catégorie objective de salariés, or cette notion doit s'apprécier selon un critère exclusivement juridique et non géographique, que si la jurisprudence a pu avoir une appréciation libérale de la notion de catégorie de salariés en allant au-delà de la division classique des emplois du droit du travail, elle ne s'est jamais écartée de critères juridiques, qu'il résulte des dispositions combinées des articles L.242-l et L.911-l du code de la sécurité sociale que pour que les contributions des employeurs soient déductibles de l'assiette, il faut que le régime complémentaire ait été instauré par un accord collectif, mais il ne saurait y avoir de présomption, trois conditions cumulatives étant nécessaires à la déductibilité : un accord collectif décidant du bénéfice du régime complémentaire et des prestations complémentaires revêtant un caractère collectif et obligatoire ; que le contrat met en place des garanties rente retraite et capital décès majorés et on conçoit mal en quoi la cherté de la vie dans les DOM ou Saint Pierre et Miquelon justifierait majoration du capital décès et il ne résulte pas du contrat que la majoration de la rente de retraite servie à l'agent après cessation de son activité soit subordonnée à une résidence dans les DOM au moment de la prise de retraite, en sorte qu'un agent ayant travaillé dans les DOM, mais retraité en métropole peut se voir servir une rente majorée en compensation d'une cherté de vie inexistante ; qu'il est logique pour assurer l'égalité de traitement entre salariés que les prestations de retraite ne soient assises que sur les rémunérations directement liées au travail et ne portent pas sur un accessoire exclusivement destiné à compenser le coût de la vie et ce pendant l'activité, que si le régime complémentaire a pour objectif ainsi que soutenu de faire en sorte que les agents statutaires bénéficient d'une retraite calculée en prenant en compte les indemnités de niveau de vie, l'existence d'un traitement différencié est de plus fort évidente puisque pour un même travail identiquement rémunéré les agents des DOM et de Saint Pierre et Miquelon bénéficient de rentes de retraite majorées par la prise en compte d'indemnité de vie et non d'activité ; que l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux a été frappé d'un pourvoi dès lors qu'elle ne s'est pas prononcée sur les moyens soutenus selon lesquels la catégorie objective doit s'apprécier en fonction de critères de droit du travail liés à l'emploi ou la fonction et non par rapport à un critère géographique de lieu d'activité et la contribution spécifique à ce régime complémentaire bénéficiant aux agents des DOM ne peut pas être justifié par la cherté de la vie dans ces territoires puisqu'il n'existe aucune obligation conventionnelle de prendre sa retraite dans les DOM pour bénéficier de l'avantage complémentaire au moment de la retraite ;
que l'article L.242-1 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable au litige dispose que sont exclues de l'assiette des cotisations les contributions des employeurs destinées au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance lorsqu'elles revêtent un caractère collectif et obligatoire ; que selon l'article D.242-1 II du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable les opérations de retraite mentionnées au septième alinéa de l'article L.242-1 sont celles organisées par des contrats d'assurance souscrits par un ou plusieurs employeurs ou par tout groupe d'employeurs auprès d'entreprises relevant du code des assurances, d'institutions de prévoyance régies par le titre III du livre IX du présent code ou d'organismes mutualistes relevant du livre II du code de la mutualité au profit d'une ou plusieurs catégories objectives de salariés ; que la contribution de l'employeur est fixée à un taux uniforme pour chacune de ces catégories ; qu'en l'espèce en application de l'accord relatif à la mise en place d'un dispositif de retraite supplémentaire dans la branche des industries électriques et gazières pour les agents résidant dans les DOM en date du 17 décembre 2004 (Pièce n° 15 des productions de la société), prévoyant un régime de retraite à cotisations définies qui bénéficie aux agents statutaires pour leurs périodes d'activité passées dans les établissements d'une entreprise de la branche, situés dans les DOM, postérieurement au 1er juillet 2005, les cotisations étant calculées et réparties entre l'entreprise et le bénéficiaire de la façon suivante : entreprise : 4,8 % des sommes perçues par l'agent au titre des dispositions d'indemnisation du coût de la vie dans les DOM, bénéficiaire : 12 % des sommes perçues par l'agent au titre de cette même indemnisation, l'adhésion au régime étant obligatoire, la société a souscrit un contrat de retraite à cotisations définies auprès de Quatrem Assurances Collectives en date du 6 juillet 2005 (pièce n° 14 des productions de la société) ; que ce contrat s'applique aux agents statutaires pour leurs périodes d'activité passées dans les établissements situés dans les DOM, ce qui ne constitue pas une catégorie objective de salariés, le caractère collectif n'étant pas respecté ; qu'en effet ce contrat met en place des garanties pension de retraite et capital décès majorés qui ne sont pas justifiées par le but de répondre aux particularités liées au coût de la vie dans les DOM comme le soutient la société, car si les cotisations sont calculées sur les sommes perçues par l'agent au titre des dispositions d'indemnisation du coût de la vie dans les DOM, les garanties retraite et décès sont versées sans tenir compte des particularités du coût de la vie dans les DOM puisque les garanties ne sont pas conditionnées au fait que la retraite soit prise dans les DOM ce qui crée un traitement différencié entre les agents statutaires ;
Alors que les contributions des employeurs destinées au financement de régimes de retraite supplémentaire sont exclues de l'assiette des cotisations sociales lorsqu'elles revêtent un caractère obligatoire et collectif ; qu'un contrat de retraite supplémentaire présente un caractère collectif lorsqu'il bénéficie de façon générale et impersonnelle soit à l'ensemble des salariés, soit à une ou plusieurs catégories objectives de salariés ; qu'un régime de retraite bénéficiant aux salariés exerçant leur activité dans les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, afin de compenser le fait que l'indemnité compensant la cherté du coût de la vie n'est pas prise en compte dans l'assiette des cotisations de retraite, satisfait à cette condition, quelles que soient les conditions dans lesquelles les salariés prennent leur retraite ; qu'en prétendant écarter le caractère collectif de ce régime par le motif inopérant que les prestations versées par ce régime seraient versées au moment de leur retraite aux salariés indépendamment de leur lieu de résidence, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée par les écritures d'appel de l'exposante, si la prise en charge par l'employeur des cotisations y afférentes, au profit de ses salariés exerçant leur activité dans les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, n'était pas justifiée par la cherté du coût de la vie subie par ceux-ci pendant l'exercice de leur activité, suffisant à les constituer en catégorie objective au sens des articles L.242-1 et D.242-1 du code de la sécurité sociale, en leur rédaction applicable en la cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte. | Selon l'article L. 242-1, alinéa 6, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses, sont exclues de l'assiette des cotisations sociales les contributions des employeurs au financement des prestations complémentaires de retraite et de prévoyance, lorsqu'elles revêtent un caractère obligatoire et bénéficient à titre collectif à l'ensemble des salariés ou à une partie d'entre eux.
Viole ce texte la cour d'appel qui rejette le recours d'une société contestant la réintégration dans l'assiette des cotisations sociales mises à sa charge des sommes versées au titre de contrats de retraite supplémentaire, alors qu'elle constatait que ces derniers concernaient l'ensemble des agents statutaires de la société au titre de leurs périodes d'activité dans les départements d'outre-mer |
482 | CIV. 2
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 585 F-P+B+I
Pourvoi n° 19-11.871
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
La société Coopérative d'intérêt collectif d'HLM de la Corrèze (COPROD), dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° W 19-11.871 contre l'arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la cour d'appel de Limoges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vigneras, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Coopérative d'intérêt collectif d'HLM de la Corrèze, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vigneras, conseiller référendaire rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 11 décembre 2018), Mme B... (la victime), salariée de la société Coopérative d'intérêt collectif d'HLM de la Corrèze (l'employeur), a déclaré une maladie, prise en charge au titre de la législation professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze par décision du 16 mai 2014.
2. Cette décision a été déclarée inopposable à l'employeur par jugement définitif du tribunal des affaires de sécurité sociale de Tulle du 24 février 2016, en raison de l'irrégularité de la procédure d'instruction de la demande.
3. La maladie professionnelle de la victime a été déclarée imputable à une faute inexcusable de l'employeur par un arrêt de la cour d'appel de Limoges du 24 avril 2018.
4. Par décision du 7 octobre 2016, la caisse a pris en charge une rechute de cette maladie professionnelle. Contestant l'opposabilité à son égard de cette décision, en invoquant d'une part, l'absence de caractère professionnel de la rechute, d'autre part, l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle, l'employeur a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de sursis à statuer, de confirmer la décision de la commission de recours amiable de la caisse du 16 février 2017, de constater le bien fondé de la décision de prise en charge de la rechute et de la débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors « que la contestation de la reconnaissance du caractère professionnel d'une rechute est un droit pour l'employeur, et qu'en refusant d'analyser les moyens d'appel de l'employeur contre une décision de prise en charge d'une rechute aux motifs inopérants qu'elle lui était inopposable, et qu'il n'était pas justifié qu'elle soit invoquée dans un litige de reconnaissance de sa faute inexcusable, la cour d'appel a violé les articles R. 441-14 et R. 441-16 du code de la sécurité sociale, ensemble les article 31 et 542 du code de procédure civile.»
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 441-14 du code de la sécurité sociale et 31 du code de procédure civile, le premier dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige :
6. La contestation par l'employeur d'une décision de prise en charge d'une rechute, au titre de la législation professionnelle, dans les conditions prévues par le premier de ces textes, peut notamment porter sur le caractère professionnel de celle-ci. La circonstance que la décision lui soit déclarée inopposable, en raison de l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle, ne prive pas d'objet la contestation par l'employeur du caractère professionnel de la rechute.
7. Pour confirmer le bien-fondé de la décision de prise en charge de la rechute litigieuse au titre de la législation professionnelle, l'arrêt retient que l'instance, qui concerne exclusivement les rapports entre l'employeur et la caisse ne peut avoir pour effet de remettre en cause la reconnaissance du caractère professionnel de la rechute telle que retenue par la caisse dans ses rapports avec la victime et ne peut avoir d'incidence dans le cadre du contentieux de la faute inexcusable qui est un contentieux distinct, qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont déclaré inopposable à l'employeur la décision de prise en charge de la rechute dès lors que la reconnaissance de la maladie professionnelle lui avait été initialement déclarée inopposable, et que la reconnaissance de l'inopposabilité de cette décision à l'employeur rend sans objet la contestation sur le fond dans les rapports entre l'employeur et la caisse.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Le moyen unique ne critiquant pas utilement les chefs de dispositif par lesquels la cour d'appel a refusé de surseoir à statuer sur les demandes et a débouté l'employeur de sa demande de dommages-intérêts, la cassation sera limitée aux chefs de dispositif par lesquels la cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il a confirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse et a constaté le bien fondé de la décision de prise en charge de la rechute déclarée par la victime.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Tulle du 17 janvier 2018 en ce qu'il a confirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse et constaté le bien-fondé de la décision de prise en charge de la rechute déclarée par Mme B..., l'arrêt rendu le 11 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze et la condamne à payer à la société Coopérative d'intérêt collectif d'HLM de la Corrèze la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Coopérative d'intérêt collectif d'HLM de la Corrèze.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de sursis à statuer ; d'avoir confirmé la décision de la commission de recours amiable de la CPAM de la Corrèze du 16 février 2017 ; d'avoir constaté le bien-fondé de la décision de prise en charge de la rechute déclarée par Mme B... au titre de la législation sur les risques professionnels ; et d'avoir débouté la société COPROD de sa demande de dommages et intérêts ;
aux motifs propres que dans le cadre de la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, les rapports entre la caisse et l'employeur, d'une part, et entre la caisse et le salarié, d'autre part, sont strictement indépendants ; qu'il s'ensuit qu'une décision déclarant inopposable à l'employeur une décision de reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie ou une décision remettant en cause ce caractère professionnel sont sans incidence sur la situation du salarié, qui conserve, dans ses rapports avec la caisse, le bénéfice de la reconnaissance du caractère professionnel de son accident ou de sa maladie professionnelle ; qu'enfin, il est constant que l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle initiale suffit à justifier que la décision de prise en charge soit également déclarée inopposable à l'employeur ; que par ailleurs, l'article 377 du code de procédure civile prévoit que la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine et le sursis peut être ordonné lorsque l'issue d'une autre instance pendante est de nature à influer sur celle en cours ; qu'en l'espèce, la société COPROD demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation saisie du pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges en date du 24 avril 2018 qui a confirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Corrèze en date du 6 avril 2016 ayant reconnu le caractère inexcusable de la faute commise par elle ans la survenance de la maladie professionnelle affectant Mme B... ; que le caractère professionnel de la maladie de Mme B... a été reconnu par la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze et ne peut plus être remis en cause dans les rapports entre l'assuré et la caisse, de même que le caractère inopposable de cette décision à l'employeur par l'effet du jugement définitif du tribunal des affaires de sécurité sociale de la Corrèze en date du 24 février 2016 ; que dans le cadre du contentieux de la faute inexcusable opposant Mme B... à la société COPROD, cette dernière a pu contester sur le fond, par voie d'exception, le caractère professionnel de la maladie dont était affectée sa salariée puisque la décision d'inopposabilité résulte de l'irrégularité de la procédure de prise en charge de la maladie professionnelle ; que la présente instance, qui concerne exclusivement les rapports entre la société COPROD et la caisse primaire d'assurance maladie ne peut avoir pour effet de remettre en cause la reconnaissance du caractère professionnel de la rechute, telle que retenue par la caisse dans ses rapports avec Mme B... et ne peut avoir d'incidence dans le cadre du contentieux de la faute inexcusable qui est un contentieux distinct ; que dans ces conditions, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de cassation saisie d'un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel ayant reconnu le caractère inexcusable de la faute de la société COPROD ; qu'au vu de ces éléments, il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont déclaré inopposable à la société COPROD la décision de prise en charge de la rechute dès lors que la reconnaissance de la maladie professionnelle lui avait été initialement déclarée inopposable ; que la reconnaissance de l'inopposabilité de cette décision à l'employeur rend sans objet la contestation sur le fond dans les rapports entre l'employeur et la caisse ; que la décision de prise en charge de la rechute déclarée par Mme B... est inopposable à la société COPROD et, dans ces conditions, peu importe que la caisse ait pu commettre une faute lors du traitement de la demande de prise en charge de cette rechute, dès lors que cette décision n'a eu aucune conséquence financière pour l'employeur sur le plan des cotisations ; que par ailleurs, s'agissant de l'incidence d'une éventuelle faute de la caisse dans le contentieux de la faute inexcusable, il apparaît que la société COPROD ne rapporte pas la preuve d'un préjudice certain, dès lors qu'elle ne justifie pas que Mme B... a demandé et obtenu une indemnisation des conséquences de sa rechute dans le contentieux de la faute inexcusable ; qu'en l'état, le préjudice invoqué étant purement hypothétique, sa demande doit être rejetée ; et aux motifs réputés adoptés qu'en application de l'article 377 du code de procédure civile, lorsqu'une décision à rendre dans le cadre d'une autre instance pendante est de nature à influer sur la solution de la contestation, il est possible de suspendre l'instance en attendant la décision à venir ; qu'en l'espèce, la société COPROD n'établit pas qu'il existe un lien entre la contestation du taux d'IPP définitif retenu par la CPAM de la Corrèze devant le tribunal du contentieux de l'incapacité et la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la rechute déclarée par Mme B... ; qu'il y a donc lieu de rejeter la demande de sursis à statuer ; qu'en conséquence, il y a lieu de constater que la décision de prise en charge de la rechute au titre de la législation sur les risques professionnels et bien fondée ; qu'il est constant que lorsque la prise en charge de l'accident du travail a été déclarée inopposable à l'employeur, la rechute consécutive à cet accident du travail doit également être déclarée inopposable à l'employeur ; qu'en l'espèce, par jugement du 24 février 2016, le tribunal de céans a déclaré la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie déclarée par Mme B... inopposable à la société COPROD ; qu'il y a lieu de constater que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de Mme B... est inopposable à l'employeur, comme l'a rappelé la commission de recours amiable ; qu'aux termes de l'article 1382 devenu 1240 du code civil, « Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ; qu'en l'espèce, la société COPROD ne rapporte pas la preuve que la caisse a commis une faute qui lui aurait causé un préjudice ;
Alors que la contestation de la reconnaissance du caractère professionnel d'une rechute est un droit pour l'employeur ; qu'en refusant d'analyser les moyens d'appel de l'employeur contre une décision de prise en charge d'une rechute aux motifs inopérants qu'elle lui était inopposable, et qu'il n'était pas justifié qu'elle soit invoquée dans un litige de reconnaissance de sa faute inexcusable, la cour d'appel a violé les articles R 441-14 et R 441-16 du code de la sécurité sociale, ensemble les article 31 et 542 du code de procédure civile. | La contestation par l'employeur d'une décision de prise en charge d'une rechute, au titre de la législation professionnelle, dans les conditions prévues par l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, peut notamment porter sur le caractère professionnel de celle-ci. La circonstance que la décision lui soit déclarée inopposable, en raison de l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle, ne prive pas d'objet la contestation, par l'employeur, du caractère professionnel de la rechute |
483 | CIV. 2
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 588 F-P+B+I
Pourvoi n° 19-17.626
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
La caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° B 19-17.626 contre l'arrêt rendu le 4 avril 2019 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Endel, dont le siège est [...] ,
2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié 14 avenue Duquesne, 75350 Paris 07 SP,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vieillard, conseiller, les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Endel, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vieillard, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 avril 2019), M. J..., salarié de la société Endel (l'employeur), a été victime, le 18 février 2011, d'un accident qui a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan (la caisse) au titre de la législation professionnelle et indemnisé jusqu'à la consolidation fixée au 30 octobre 2012.
2. Contestant la durée des arrêts de travail pris en charge, l'employeur a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen relevé d'office
3. Conformément aux articles 620, alinéa 2, et 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties.
Vu les articles L. 411-1 du code de la sécurité sociale et 1315 devenu 1353 du code civil :
4. La présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire.
5. Pour déclarer inopposable à l'employeur la prise en charge des soins et arrêts de travail au titre de l'accident survenu le 18 février 2011, prescrits à compter du 24 avril 2011, l'arrêt retient que la preuve de la continuité de symptômes et de soins est à la charge de la partie qui se prévaut de la présomption d'imputabilité, qu'en l'espèce, la caisse se contente de verser une attestation de paiement des indemnités journalières sur la période du 18 février au 30 octobre 2012, mais ne produit pas les certificats médicaux d'arrêt de travail postérieurs au certificat médical initial du 21 février 2011, qui a prescrit un arrêt de travail jusqu'au 24 avril 2011 inclus.
6. Il ajoute que la caisse ne met pas ainsi la cour d'appel en mesure de vérifier qu'il existe bien une continuité des soins et des symptômes depuis la fin de cet arrêt de travail jusqu'à la consolidation, ni d'apprécier le lien de causalité pouvant exister entre l'accident et les lésions ayant pu justifier les arrêts de travail postérieurs.
7. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la caisse avait versé des indemnités journalières jusqu'au 30 octobre 2012, date de la consolidation, ce dont il résultait que la présomption d'imputabilité à l'accident prévue par l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale continuait à s'appliquer jusqu'à cette date, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Endel aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Endel et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan.
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR déclaré inopposable à la société Endel la prise en charge des soins et arrêts de travail au titre de l'accident survenu à Monsieur J... le 18 février 2011, prescrits à compter du 24 avril 2011
AUX MOTIFS QUE la présomption d'imputabilité des lésions apparues à la suite d'un accident du travail s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant la guérison complète ou la consolidation de l'état de la victime ; que la preuve de la continuité de symptômes et de soins est à la charge de la partie qui se prévaut de la présomption d'imputabilité ; que dans le cas d'espèce, la Caisse se contente de verser une attestation de paiement des indemnités journalières sur la période du 18 février au 30 octobre 2012, mais ne produit pas les certificats médicaux d'arrêt de travail postérieurs au certificat médical initial du 21 février 2011, qui a prescrit un arrêt de travail jusqu'au 24 avril 2011 inclus ; que la Caisse primaire d'assurance maladie ne met ainsi pas la Cour d'appel en mesure de vérifier qu'il existe bien une continuité des soins et des symptômes depuis la fin de cet arrêt de travail jusqu'à la consolidation, ni d'apprécier le lien de causalité pouvant exister entre l'accident et les lésions ayant pu justifier les arrêts de travail postérieurs ; que la Cour d'appel note que la durée, même apparamment longue des arrêts de travail, ne permettait pas à l'employeur de présumer que ceux-ci n'étaient pas la conséquence de l'accident du travail ; qu'il convient de faire droit à la demande d'inopposabilité des arrêts de travail postérieurs au 24 avril 2011, sans qu'il soit pertinent de recourir à une expertise médicale ;
1) ALORS QUE la question de savoir s'il existe ou non une continuité de symptômes et de soins et s'il existe un lien de causalité entre un accident du travail et les lésions ayant justifié des arrêts de travail postérieurs à la fin de l'arrêt de travail prescrit par le certificat médical initial, est une question d'ordre médical ; que la Cour d'appel était dès lors obligée d'ordonner l'expertise médicale obligatoire prescrite par l'article L 141-1 du code de la sécurité sociale ; que la Cour d'appel a donc violé l'article L 141-1 du code de la sécurité sociale ;
2) ALORS QUE la Caisse primaire d'assurance maladie n'avait pas à communiquer à l'employeur ou au juge les éléments du dossier de l'assuré couverts par le secret médical, ces éléments ne devant être éventuellement communiqués que dans le cadre de l'expertise médicale obligatoire prévue par l'article L 141-1 du code de la sécurité sociale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sous prétexte que la Caisse ne produisait pas les certificats médicaux postérieurs au certificat initial, la Cour d'appel a violé les articles L 411-1 et R 411-1 du code de la sécurité sociale. | La présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire.
Viole les articles L. 411-1 du code de la sécurité sociale et 1315, devenu 1353, du code civil la cour d'appel qui, pour déclarer inopposable à l'employeur la prise en charge des soins et arrêts de travail au titre d'un accident survenu le 18 février 2011, prescrits à compter du 24 avril 2011, retient que la caisse se contente de verser une attestation de paiement des indemnités journalières sur la période du 18 février au 30 octobre 2012, mais ne produit pas les certificats médicaux d'arrêt de travail postérieurs au certificat médical initial du 21 février 2011, qui a prescrit un arrêt de travail jusqu'au 24 avril 2011 inclus et ajoute que la caisse ne met pas ainsi la cour d'appel en mesure de vérifier qu'il existe bien une continuité des soins et des symptômes depuis la fin de cet arrêt de travail jusqu'à la consolidation, ni d'apprécier le lien de causalité pouvant exister entre l'accident et les lésions ayant pu justifier les arrêts de travail postérieurs |
484 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Cassation partielle
sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 589 F-P+B+I
Pourvoi n° 18-26.782
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
La caisse primaire d'assurance maladie Paris, dont le siège est [...] et de la lutte contre la fraude, [...] , a formé le pourvoi n° 18-26.782 contre l'arrêt rendu le 12 octobre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 12), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Newrest France, société anonyme, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Catering Aérien CDG ayant un établissement lotissement de l'[...] ,
2°/ à la société Aig Europe, société anonyme, société de droit étranger, dont le siège est [...] , (Luxembourg),
3°/ à M. B... S..., domicilié [...] ,
4°/ à la société Adecco France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] ,
5°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [...] ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vieillard, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie Paris, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Newrest France et de la société Aig Europe, la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. S..., de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Adecco France, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vieillard, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale.
Sur la demande de mise hors de cause
2. Met hors de cause, sur leur demande, la société Newrest France, la société Aig Europe SA et M. S....
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 octobre 2018), M. S... (la victime), salarié de l'entreprise de travail temporaire Adecco (l'employeur), mis à la disposition de la société Catering aérien CDG, aux droits de laquelle vient la société Newrest France, a été victime, le 12 mars 2011, d'un accident pris en charge, le 26 juillet 2011, par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris (la caisse) au titre de la législation professionnelle. Le 8 novembre 2011, la caisse a pris en charge, au titre de l'accident, une nouvelle lésion déclarée le 4 octobre 2011.
4. La victime a saisi une juridiction de sécurité sociale pour faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur. Celui-ci a sollicité que les décisions de prise en charge des arrêts de travail à compter du 12 mars 2011 et de la nouvelle lésion lui soient déclarées inopposables.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office
5. Conformément aux articles 620, alinéa 2, et 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties.
Vu l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale :
6. Il résulte des dispositions de ce texte que la demande en reconnaissance de la faute inexcusable est formée par la victime d'un accident du travail, d'une maladie professionnelle ou d'une rechute, ou par ses ayants droit, à l'encontre de l'employeur. Il s'ensuit que si ce dernier peut soutenir, en défense à cette action, que l'accident, la maladie ou la rechute n'a pas d'origine professionnelle, il n'est pas recevable à contester, aux fins d'inopposabilité, la prise en charge par la caisse, au titre de la législation sur les risques professionnels, d'une nouvelle lésion, ni celle des soins et arrêts de travail prescrits à la victime.
7. L'arrêt dit que la prise en charge des soins et arrêts de travail prescrits à la victime à compter du 1er février 2014, ainsi que la décision de prise en charge de la nouvelle lésion du 4 octobre 2011, sont inopposables à l'employeur.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle était saisie d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. En application de l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
11. La demande de l'employeur tendant à se voir déclarer inopposables la prise en charge des soins et arrêts de travail prescrits à la victime et la décision de prise en charge de la nouvelle lésion du 4 octobre 2011 doit être déclarée irrecevable.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
DONNE ACTE à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale ;
MET hors de cause, la société Newrest France, la société Aig Europe SA et M. S... ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de la société Adecco d'inopposabilité des soins et arrêts prescrits à M. S... et de prise en charge de la nouvelle lésion déclarée le 4 octobre 2011, déclaré inopposable à la société Adecco la prise en charge des soins et arrêts de travail prescrits à M. S... à compter du 1er février 2014 et en ce qu'il a déclaré inopposable à la société Adecco la décision de prise en charge de la nouvelle lésion du 4 octobre 2011, l'arrêt rendu le 12 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE IRRECEVABLE la demande formée par la société Adecco France tendant à se voir déclarer inopposables la prise en charge des soins et arrêts de travail prescrits à la victime et la décision de prise en charge de la nouvelle lésion du 4 octobre 2011.
Condamne la société Adecco France aux dépens exposés tant devant la cour d'appel que devant la Cour de cassation ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, signé par M. Prétot, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie Paris
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré recevables les demandes de la société Adecco d'inopposabilité des soins et arrêts prescrits à M. S... et de prise en charge de la nouvelle lésion déclarée le 4 octobre 2011
AUX MOTIFS QUE sur les demandes d'inopposabilité des soins et arrêts prescrits M.S... et de la décision de prise en charge de la nouvelle lésion ; que la société Adecco soulève l'inopposabilité à son égard, d'une part, de l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits à M. S... à la suite de la prise en charge par la caisse de l'accident du travail dont il a été victime et d'autre part, l'inopposabilité de la prise en charge de la nouvelle lésion en date du 4 octobre 2011; que la société Adecco fait valoir qu'elle n'a disposé d'aucun certificat médical renseigné sur l'ensemble de la période d'arrêts de travail pris en charge par la caisse, qu'à défaut de communication des éléments du dossier, cette prise en charge des arrêts de travail délivrés à M.S... au titre du régime AT/MP doit lui être déclarée inopposable, la caisse ne la mettant pas en mesure de vérifier qu'ils sont une conséquence de l'accident initial et ne rapportant pas la preuve de la continuité des soins et d'arrêts à compter de la date de l'accident; que la caisse primaire d'assurance maladie conclut à l'irrecevabilité des demandes présentées par Adecco en l'absence de saisine préalable de la commission de recours amiable; que si la décision de prise en charge de l'accident du travail, motivée et notifiée dans les conditions prévues par l'article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n°2009-938 du 29 juillet 2009, revêt à l'égard de l'employeur, en l'absence de recours dans le délai imparti, un caractère définitif, elle ne fait pas obstacle à ce que l'intéressé conteste l'imputabilité à l'accident du travail des arrêts de travail et soins prescrits à la victime jusqu'à la guérison ou la consolidation; que c'est donc à tort que la caisse primaire d'assurance maladie reproche à la société Adecco de ne pas avoir contesté devant la commission de recours amiable l'imputabilité à l'accident du travail de l'ensemble des soins et arrêts prescrits à M. S... ; que la demande présentée est donc recevable (
) s'agissant de la nouvelle lésion, la caisse a adressé le 13 octobre 2011 un courrier à la société Adecco pour l'informer qu'elle venait de recevoir le 4 octobre 2011 un certificat médical faisant état d'une nouvelle lésion, qu'une instruction de cette demande était en cours et qu'une décision devrait intervenir dans un délai de 30 jours; que cependant, il n'est pas établi que la caisse ait notifié à la société Adecco la prise en charge de cette nouvelle lésion ; qu'en conséquence, il ne peut être reproché à la société Adecco de ne pas avoir saisi la commission de recours amiable.
1° - ALORS QUE le fait pour l'employeur de solliciter l'inopposabilité à son égard d'une décision prise par une caisse de sécurité sociale constitue une réclamation contre une décision prise par un organisme de sécurité sociale qui doit être soumise préalablement à la commission de recours amiable; qu'en l'espèce, la caisse soulevait l'irrecevabilité des demandes de la société Adecco tendant à obtenir l'inopposabilité à son égard des décisions de prises en charge des soins et arrêts de travail prescrits à son salarié à la suite de son accident du travail, ainsi que de la décision de prise en charge d'une nouvelle lésion, faute pour l'employeur d'avoir saisi préalablement la commission de recours amiable d'un tel recours ; qu'en jugeant ces demandes recevables au prétexte inopérant que l'employeur pouvait toujours contester l'imputabilité à l'accident du travail des arrêts de travail et soins prescrits à la victime même si la décision de prise en charge de l'accident était définitive, la cour d'appel a violé les articles L. 142-1, R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale.
2° - ALORS QUE l'absence de notification d'une décision de la caisse permet seulement à la partie à laquelle cette décision fait grief d'en contester le bien-fondé sans condition de délai; que cela n'exonère pas cette partie de son obligation de saisir préalablement la commission de recours amiable de sa contestation; qu'en jugeant qu'il ne pouvait être reproché à la société Adecco de ne pas avoir saisi préalablement la commission de recours amiable de sa demande d'inopposabilité de la décision de prise en charge de la nouvelle lésion au prétexte inopérant qu'il n'était pas établi que la caisse lui avait notifié la prise en charge de cette nouvelle lésion, la cour d'appel a violé les articles L. 142-1, R. 142-1 et R. 142-18 du code de la sécurité sociale.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré inopposable à la société Adecco la prise en charge des soins et arrêts prescrits à M. S... à compter du 1er février 2014
AUX MOTIFS QU' en application de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail s'étend aux soins et arrêts de travail prescrits à la victime jusqu'à la date de consolidation de son état de santé ou celle de sa guérison dès lors qu'il y a continuité des symptômes et de soins ; qu'il incombe à l'employeur, qui ne remet pas en cause les conditions de temps et de lieu de l'accident, de renverser cette présomption d'imputabilité en démontrant qu'une cause totalement étrangère au travail est à l'origine des soins et arrêts de travail contestés ; que la preuve de la continuité de symptômes et de soins est à la charge de la partie qui se prévaut de l'application de la présomption d'imputabilité, en l'espèce, la caisse primaire d'assurance maladie de Paris; qu'en l'espèce, sont versés aux débats les arrêts de travail prescrits à M. S... de manière continue du 12 mars 2011 au 31 janvier 2014 au titre notamment de polytraumatismes, fracture coude gauche, poignet gauche; qu'en revanche, aucun certificat médical n'est produit pour la période du 1er février 2014 au 10 avril 2015, date de la consolidation; que la caisse ne justifiant d'une continuité de symptômes et de soins que pour la période du 12 mars 2011, date de l'accident du travail, au 31 janvier 2014, il convient, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une expertise laquelle ne peut suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, de dire que seuls les soins et arrêts prescrits du 12 mars 2011 au 31 janvier 2014 sont opposables à la société Adecco et que ceux prescrits à M. S... à compter du 1er février 2014 lui sont inopposables.
1° - ALORS QUE la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédent soit la guérison complète soit la consolidation de l'état de la victime; que cette présomption d'imputabilité au travail s'étend aux soins et arrêts de travail prescrits à la victime d'un accident du travail jusqu'à la date de consolidation de son état de santé ou sa guérison, sans que la caisse n'ait à apporter la preuve de la continuité des symptômes et des soins; qu'en l'espèce, la caisse a pris en charge à titre professionnel l'accident du travail dont a été victime M.S... le 12 mars 2011 ainsi que les arrêts de travail prescrits jusqu'à sa consolidation; qu'en énonçant qu'il appartenait à la caisse qui se prévalait de la présomption d'imputabilité de rapporter la preuve de la continuité de symptômes et de soins , puis en jugeant que faute de produire des certificats médicaux pour la période postérieure au 1er février 2014 jusqu'à la date de la consolidation du 10 avril 2015, les soins et arrêts de travail prescrits à compter du 1er février 2014 devaient être déclarés inopposables à l'employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale.
2° - ALORS en tout état de cause QUE lorsque la présomption d'imputabilité ne s'applique pas, la prise en charge par la caisse des soins et arrêts de travail consécutifs à l'accident du travail est opposable à l'employeur si la caisse apporte la preuve qu'ils sont bien en relation de causalité avec l'accident du travail; qu'en jugeant que faute pour la caisse de justifier d'une continuité de symptômes et de soins lui permettant de bénéficier de la présomption d'imputabilité, les soins et arrêts de travail prescrits à M. S... postérieurement au 1er février 2014 devaient être déclarés inopposables à l'employeur, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la caisse n'établissait pas que ces soins et arrêts de travail, qui avaient tous été validés par son médecin conseil, n'étaient pas en relation de causalité avec l'accident du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré inopposable à la société Adecco la décision de prise en charge de la nouvelle lésion du 4 octobre 2011
AUX MOTIFS QUE s'agissant de la nouvelle lésion, la caisse a adressé le 13 octobre 2011 un courrier à la société Adecco pour l'informer qu'elle venait de recevoir le 4 octobre 2011 un certificat médical faisant état d'une nouvelle lésion, qu'une instruction de cette demande était en cours et qu'une décision devrait intervenir dans un délai de 30 jours ; que cependant, il n'est pas établi que la caisse ait notifié à la société Adecco la prise en charge de cette nouvelle lésion ; qu'en conséquence, il ne peut être reproché à la société Adecco de ne pas avoir saisi la commission de recours amiable ; qu'il convient donc de déclarer inopposable à la société Adecco la décision de prise en charge de cette nouvelle lésion ; que le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.
1° - ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour déclarer inopposable à la société Adecco la décision de prise en charge de la nouvelle lésion, la cour d'appel a retenu que la caisse avait informé l'employeur de la réception d'un certificat médical faisant état d'une nouvelle lésion, que l'instruction de cette demande était en cours et qu'une décision devrait intervenir dans les 30 jours mais que cependant, elle n'établissait pas avoir notifié à la société Adecco la prise en charge de cette nouvelle lésion; qu'en statuant ainsi lorsqu'il résulte de l'arrêt que les parties avaient soutenu oralement à l'audience leurs conclusions écrites et que celles-ci ne contenaient pas un tel moyen, la cour d'appel qui a soulevé d'office ce moyen sans avoir recueilli les observations des parties sur ce point, a violé l'article 16 du code de procédure civile.
2° - ALORS QUE l'absence de notification d'une décision de la caisse permet seulement à la partie à laquelle cette décision fait grief d'en contester le bien-fondé sans condition de délai; que cela n'a pas pour effet de rendre cette décision inopposable à cette partie; qu'en déclarant inopposable à la société Adecco la décision de la caisse de prendre en charge la nouvelle lésion du 4 octobre 2011 au prétexte qu'il n'était pas établi que cette décision lui avait été notifiée, la cour d'appel a violé les articles L. 142-1, R. 142-1 et R. 142-18 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale.
3° - ALORS QUE les dispositions des articles R. 441-11 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale, qui imposent à la caisse primaire d'assurance maladie d'assurer l'information de l'employeur, préalablement à sa décision, sur la procédure d'instruction et les points susceptibles de lui faire grief, et qui prévoient que la caisse notifie à l'employeur sa décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, ne sont pas applicables lorsque la demande de prise en charge porte sur de nouvelles lésions survenues avant consolidation et se rattachant à l'accident du travail initial, peu important que préalablement à sa décision, la caisse ait informé l'employeur qu'elle diligentait une procédure d'instruction ; qu'en déclarant inopposable à la société Adecco la décision de la caisse de prendre en charge la nouvelle lésion du 4 octobre 2011, survenue avant la date de consolidation de la victime en date du 10 avril 2015, au prétexte inopérant qu'il n'était pas établi que la caisse lui avait notifié sa décision de prise en charge après l'avoir pourtant informée qu'elle diligentait une instruction sur ce point, la cour d'appel a violé les articles R. 441-11, R. 441-14 alinéa 4 du code de la sécurité sociale. | Il résulte des dispositions de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale que la demande en reconnaissance de la faute inexcusable est formée par la victime d'un accident du travail, d'une maladie professionnelle ou d'une rechute, ou par ses ayants droit, à l'encontre de l'employeur. Il s'ensuit que si ce dernier peut soutenir, en défense à cette action, que l'accident, la maladie ou la rechute n'a pas d'origine professionnelle, il n'est pas recevable à contester, aux fins d'inopposabilité, la prise en charge par la caisse, au titre de la législation sur les risques professionnels, d'une nouvelle lésion, ni celle des soins et arrêts de travail prescrits à la victime |
485 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 598 F-P+B+I
Pourvoi n° R 19-14.051
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
1°/ M. Q... G..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° 19-14.051 contre l'arrêt rendu le 25 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 13), dans le litige les opposant :
1°/ à la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants, devenue Agence de sécurité sociale professions libérales d'Île-de-France, dont le siège est [...] ,
2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié 14 avenue Duquesne, 75350 Paris 07 SP,
défendeurs à la cassation.
Partie intervenante :
la Caisse nationale d'assurance vieillesse d'île-de-France, en lieu et place de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendant d'Île-de-France, dont le siège est [...] ,
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la Caisse nationale d'assurance vieillesse d'Île-de-France, de Me Occhipinti, avocat de M. G..., de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants devenue Agence de sécurité sociale professions libérales d'Île-de-France, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
1. Il est donné acte à la Caisse nationale d'assurance vieillesse de son intervention en lieu et place de la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des indépendants d'Île-de-France.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 janvier 2019), affilié à la caisse d'Assurance Vieillesse des Artisans, aux droits de laquelle vient la Caisse nationale d'assurance vieillesse, du 1er avril 1999 au 22 septembre 2015, M. G... (l'assuré) a contesté le calcul de ses droits à la retraite complémentaire en demandant la prise en compte de son revenu réel au titre des années antérieures à 2009.
3. Après rejet de son recours amiable, il a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'assuré fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes, alors « que de façon ininterrompue depuis au moins 1985, les cotisations au régime complémentaire d'assurance vieillesse obligatoire des non-salariés sont appelées provisoirement en fonction du revenu de l'avant-dernière année puis sont régularisées lorsque le revenu de l'année considérée est connu ; qu'en estimant que jusqu'au 31 décembre 2008 ces cotisations étaient appelées de façon définitive d'après le revenu de l'année N-2, sans régularisation possible, la cour d'appel a violé les articles D 635-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret du 23 août 2004, et L. 131-6 du code de la sécurité sociale, dans ses rédactions successives identiques entre les lois du 11 février 1994 et du 27 mai 2009. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 131-6 et D. 635-2 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, le second dans sa rédaction antérieure au décret n° 2008-1427 du 22 décembre 2008 :
5. Selon le premier de ces textes, auquel renvoie le second pour la détermination de la cotisation annuelle au régime complémentaire obligatoire d'assurance vieillesse, les cotisations des professions artisanales, industrielles ou commerciales, assises sur le revenu professionnel et établies sur une base annuelle, sont calculées, à titre provisionnel, en pourcentage du revenu professionnel de l'avant-dernière année et font l'objet d'une régularisation lorsque le revenu professionnel est définitivement connu.
6. Pour débouter l'assuré de toutes ses demandes, l'arrêt énonce que jusqu'au 31 décembre 2008, l'article D.635-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, prévoyait que le montant de la cotisation annuelle des artisans du régime complémentaire était calculée sur la base du revenu de l'avant-dernière année, sans régularisation sur la base du revenu réel.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application, le second par fausse application.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'appel interjeté par la caisse locale déléguée pour la sécurité sociale des indépendants d'Ile de France, l'arrêt rendu le 25 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.
Condamne la Caisse nationale d'assurance vieillesse aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et la condamne à payer à M. G... une somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, Me Occhipinti, avocat aux Conseils, pour M. G...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. G... de toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE La pension de retraite complémentaire de M. G... n'a pas été liquidée par le RSI, le montant des points validés étant encore contesté. En effet, M. G... conteste le calcul de la cotisation annuelle calculée par le régime social des indépendants en établissant le montant de la cotisation annuelle qu'il aurait du régler jusqu'en 2013 et en demandant la régularisation, afin que soit recalculé le nombre de points et donc de trimestres validés au titre du régime de retraite complémentaire. Or, jusqu'au 31 décembre 2008, l'article D.635-2 du code de la sécurité sociale dans sa version alors applicable, prévoyait que le montant de la cotisation annuelle des artisans du régime complémentaire était calculée sur la base du revenu de l'année N-2, sans régularisation sur la base du revenu de l'année N, c'est à dire du revenu réel. De plus, le revenu servant de base de calcul doit être retenu dans la limite de 4 fois le plafond sans pouvoir être inférieur au montant du revenu minimum calculé sur la base de 200h du SMIC. Ainsi, le régime social des indépendants justifiant du détail des points acquis au titre de ces années, il apparaît que les demandes de M. G... au titre d'une régularisation pour les années 2001 à 2008 ne sont pas fondées et qu'il ne peut y être fait droit ;
ALORS QUE de façon ininterrompue depuis au moins 1985, les cotisations au régime complémentaire d'assurance vieillesse obligatoire des non-salariés sont appelées provisoirement en fonction du revenu de l'avant-dernière année puis sont régularisées lorsque le revenu de l'année considérée est connu ; qu'en estimant que jusqu'au 31 décembre 2008 ces cotisations étaient appelées de façon définitive d'après le revenu de l'année N-2, sans régularisation possible, la cour d'appel a violé les articles D 635-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret du 23 août 2004, et L 131-6 du code de la sécurité sociale, dans ses rédactions successives identiques entre les lois du 11 février 1994 et du 27 mai 2009. | Selon l'article L. 131-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 auquel renvoie l'article D. 635-2 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2008-1427 du 22 décembre 2008, pour la détermination de la cotisation annuelle au régime complémentaire obligatoire d'assurance vieillesse, les cotisations des professions artisanales, industrielles ou commerciales, assises sur le revenu professionnel et établies sur une base annuelle, sont calculées, à titre provisionnel, en pourcentage du revenu professionnel de l'avant-dernière année et font l'objet d'une régularisation lorsque le revenu professionnel est définitivement connu |
486 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 609 F-P+B+I
Pourvoi n° 19-16.808
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
La caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° 19-16.808 contre l'arrêt rendu le 22 mars 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l'opposant à M. B... X..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, de la SCP Gaschignard, avocat de M. X..., et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 mars 2019), à la suite d'un contrôle portant sur la période du 1er janvier 2010 au 30 juin 2011, la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône (la caisse) a notifié à M. X..., infirmier libéral, un indu correspondant à des anomalies de facturation.
2. L'intéressé a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt d'annuler l'ensemble de la procédure en recouvrement de l'indu, alors « que depuis sa modification par la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, l'article L. 243-9 du code de la sécurité sociale, qui exige qu'« Avant d'entrer en fonctions, les agents de l'organisme chargés du contrôle prêtent, devant le tribunal d'instance, serment de ne rien révéler des secrets de fabrication et en général des procédés et résultats d'exploitation dont ils pourraient prendre connaissance dans l'exercice de leur mission. Toute violation de serment est punie des peines fixées par l'article 226-13 du code pénal. » n'envisage plus le renouvellement périodique de ce serment ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que M. I... avait prêté serment devant le tribunal d'instance dès le 5 octobre 2009 et ce alors qu'il bénéficiait d'une autorisation provisoire du directeur général de la CNAMTS pour exercer les fonctions d'agent de contrôle ; que la cour d'appel aurait dû en conclure que, lorsqu'il a rencontré M. X..., le 6 septembre 2011, M. I... avait bien la qualité d'agent assermenté et cela même s'il avait à nouveau prêté serment devant le même tribunal le 10 octobre 2011, à la suite de son agrément intervenu le 27 avril 2011 ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 243-9 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 114-10, alinéa 1er, et L. 243-9 du code de la sécurité sociale, le premier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005, le second, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, applicables au litige, et l'arrêté du 30 juillet 2004 modifié fixant les conditions d'agrément des agents des organismes de sécurité sociale chargés du contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, visés aux articles L. 216-6 et L. 243-9 du code de la sécurité sociale :
4. Selon le premier de ces textes, les directeurs des organismes de sécurité sociale confient à des agents chargés du contrôle, assermentés et agréés dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. Des praticiens conseils peuvent, à ce titre, être assermentés et agréés dans des conditions définies par le même arrêté. Ces agents ont qualité pour dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve du contraire.
5. Selon le deuxième, avant d'entrer en fonctions, les agents de l'organisme chargés du contrôle prêtent, devant le tribunal d'instance, serment de ne rien révéler des secrets de fabrication et en général des procédés et résultats d'exploitation dont ils pourraient prendre connaissance dans l'exercice de leur mission.
6. Il découle de ces dispositions que les conditions d'assermentation sont distinctes de celles qui régissent l'agrément des agents chargés du contrôle.
7. Pour accueillir le recours formé par M. X..., l'arrêt relève que le juge d'instance de Marseille a recueilli la prestation de serment de l'agent concerné, M. H., le 5 octobre 2009, au visa d'une autorisation provisoire du directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés donnée trois mois auparavant, le 2 juillet 2009 pour exercer des « fonctions provisoires » d'agent de contrôle. Il ajoute que selon un arrêté du 30 juillet 2004, modifié le 18 décembre 2006, il est fait une distinction entre autorisation provisoire et agrément, que l'autorisation provisoire n'est valable que six mois, renouvelable une fois, qu'en l'espèce, la première autorisation provisoire a été renouvelée avec effet au 1er juillet 2010, donc au bout d'un an, et que l'agrément a été donné le 27 avril 2011 sur une demande d'agrément présentée le 11 avril 2011. Il constate que l'agent a prêté serment, sur la base de cet agrément, six mois plus tard, le 10 octobre 2011, selon procès-verbal établi par le tribunal d'instance versé aux débats. L'arrêt retient que cette chronologie traduit soit une discontinuité dans les fonctions réelles de l'intéressé, soit le peu de sérieux de la gestion administrative des agents chargés du contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, visés aux articles L. 216-6 et L. 243-9 du code de la sécurité sociale. Il ajoute qu'à la date de l'entretien avec M. X..., si M. H. bénéficiait bien d'un agrément depuis le 27 avril 2011, il n'avait pas encore prêté serment au visa de cet agrément, alors que cette assermentation est une condition essentielle de la validité des enquêtes faites par les agents de la caisse.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que l'agent concerné avait prêté serment le 5 octobre 2009, de sorte qu'il était régulièrement assermenté au moment du contrôle de la situation de M. X..., la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Marseille ayant déclaré recevable en la forme le recours de M. X..., l'arrêt rendu le 22 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties, sauf sur ce point, dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.
Condamne M. X... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... et le condamne à payer à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR rejeté la demande de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône de sa demande tendant à voir Monsieur B... X..., infirmier, condamné à lui rembourser une somme de 65.092,53 € correspondant à 59.175.03 euros de prestations indument facturées outre les majorations, d'AVOIR annulé l'ensemble de la procédure et de l'AVOIR condamnée à payer à l'infirmier une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « La caisse a convoqué M. X... à un entretien pour le 6 septembre 2011, dans le cadre d'un ‘contrôle d'activité' pour faire le point sur son exercice.
Cet entretien a été mené par M. I... qui a mentionné dans le procès-verbal d'audition qu'il était « agréé» par le directeur général de la Cnam, et ‘ayant prêté serment devant le juge d'instance' agissant conformément aux dispositions des articles L.114-10 et L.243-9 du code de la sécurité sociale.
M. X... a contesté la validité du contrôle, notamment en ce que l'entretien du 6 septembre 2011 avait été mené par M. I... qui n'était pas assermenté au jour de l'entretien, puisqu'il était avéré qu'il avait prêté serment devant le tribunal d'instance le 10 octobre 2011, donc après l'entretien.
La caisse a fourni une attestation de prestation de serment datée du 5 octobre 2009 en expliquant que cette prestation de serment était encore valable au jour de l'entretien.
La Cour constate que le juge d'instance de Marseille a recueilli la prestation de serment le 5 octobre 2009 au visa d'une autorisation provisoire du directeur général de la CNAMTS donnée trois mois auparavant, le 2 juillet 2009 pour exercer des «fonctions provisoires» d'agent de contrôle.
Selon un arrêté du 30 juillet 2004 modifié le 18 décembre 2006, « le directeur de la caisse nationale, ou le ministre chargé de la sécurité sociale pour les agents de la caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, délivre aux agents une autorisation provisoire d'exercer leurs fonctions à réception du dossier complet de demande d'agrément. L'agrément pourra leur être accordé lorsque leur manière de servir et leurs aptitudes professionnelles auront été jugées satisfaisantes, dans le délai de six mois renouvelable une fois à compter de la date de la demande d'agrément. »
Ce texte fait une distinction entre autorisation provisoire et agrément.
L'autorisation provisoire n'est valable que six mois renouvelable une fois.
La première autorisation provisoire a été renouvelée avec effet au 1er juillet 2010 donc au bout d'un an.
L'agrément a été donné le 27 avril 2011 sur une demande d'agrément présentée le 11 avril 2011.
Il a prêté serment, sur la base de cet agrément, six mois plus tard, le 10 octobre 2011, selon procès-verbal établi par le tribunal d'instance versé aux débats.
Cette chronologie traduit soit une discontinuité dans les fonctions réelles de l'intéressé, soit le peu de sérieux de la gestion administrative des agents chargés du contrôle de l'application des législations de sécurité sociale, visés aux articles L.216-6 et L.243-9 du code de la sécurité sociale.
Il n'en demeure pas moins qu'à la date de l'entretien avec M. X..., si M. I... bénéficiait bien d'un agrément depuis le 27 avril 2011, il n'avait pas encore prêté serment au visa de cet agrément.
Or, cette assermentation est une condition essentielle de la validité des enquêtes faites par les agents de cette caisse dans le cadre des articles L. 114-10 et L.243-9 du code de la sécurité sociale.
En conséquence, l'audition doit être annulée et cette annulation entraîne l'annulation de tous les actes postérieurs.
La Cour, sans qu'il y ait lieu de répondre aux autres moyens soulevés par les parties, confirme le jugement déféré. »
ALORS DE PREMIÈRE PART QUE depuis sa modification par la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003, l'article L.243-9 du code de la sécurité sociale, qui exige qu'« Avant d'entrer en fonctions, les agents de l'organisme chargés du contrôle prêtent, devant le tribunal d'instance, serment de ne rien révéler des secrets de fabrication et en général des procédés et résultats d'exploitation dont ils pourraient prendre connaissance dans l'exercice de leur mission. Toute violation de serment est punie des peines fixées par l'article 226-13 du code pénal. » n'envisage plus le renouvellement périodique de ce serment ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que Monsieur I... avait prêté serment devant le tribunal d'instance dès le 5 octobre 2009 et ce alors qu'il bénéficiait d'une autorisation provisoire du directeur général de la CNAMTS pour exercer les fonctions d'agent de contrôle ; que la cour d'appel aurait dû en conclure que, lorsqu'il a rencontré Monsieur X..., le 6 septembre 2011, Monsieur I... avait bien la qualité d'agent assermenté et cela même s'il avait à nouveau prêté serment devant le même tribunal le 10 octobre 2011, à la suite de son agrément intervenu le 27 avril 2011; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L.243-9 du code de la sécurité sociale ;
ALORS DE SECONDE PART QU' en cas d'inobservation des règles de tarification ou de facturation, la caisse recouvre l'indu correspondant auprès du professionnel, à l'origine du paiement indu ; que la preuve de l'existence de cet indu étant libre, la CPCAM des Bouches du Rhône avait invité la cour d'appel à constater qu'elle établissait la réalité de l'indu même dans l'hypothèse où Monsieur I... n'aurait pas eu la qualité d'agent assermenté ou d'agent agréé lorsqu'il a rencontré Monsieur X... puisqu'en signant le document établi à l'issue de leur réunion, l'infirmier avait reconnu avoir facturé plus d'actes qu'il ne pouvait en avoir effectué, compte tenu de l'amplitude de ses heures de travail ; qu'en ne recherchant pas si ce document, même s'il ne faisait plus foi jusqu'à preuve contraire du seul fait de sa signature par l'agent de la CPCAM, ne permettait tout de même pas à celle-ci d'établir la réalité de l'indu dont elle réclamait le remboursement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.133-4 et R.133-9-1 du code de la sécurité sociale. | Selon l'article L. 114-10, alinéa 1, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2005-1579 du 19 décembre 2005, applicable au litige, les directeurs des organismes de sécurité sociale confient à des agents chargés du contrôle, assermentés et agréés dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations et la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. Des praticiens conseils peuvent, à ce titre, être assermentés et agréés dans des conditions définies par le même arrêté. Ces agents ont qualité pour dresser des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve du contraire.
Selon l'article L. 243-9 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, applicable au litige, avant d'entrer en fonctions, les agents de l'organisme chargés du contrôle prêtent, devant le tribunal d'instance, serment de ne rien révéler des secrets de fabrication et en général des procédés et résultats d'exploitation dont ils pourraient prendre connaissance dans l'exercice de leur mission.
Il découle de ces dispositions que les conditions d'assermentation sont distinctes de celles qui régissent l'agrément des agents chargés du contrôle |
487 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 612 F-P+B+I
Pourvoi n° Q 19-15.177
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Rhône-Alpes, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Q 19-15.177 contre l'arrêt rendu le 12 février 2019 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, protection sociale), dans le litige l'opposant à la société Phictal, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , venant aux droits de la société Meridial, ayant un établissement [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Rhône-Alpes, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Phictal, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 février 2019), l'URSSAF du Rhône, aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Rhône-Alpes (l'URSSAF), a notifié à la société Méridial, aux droits de laquelle vient la société Phictal (la société), une lettre d'observations relative à la contribution, due au titre des années 2008 et 2009, prévue par l'article L. 138-1 du code de la sécurité sociale, versée par les entreprises relevant du secteur pharmaceutique.
2. Contestant le mode de calcul de la contribution, la société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le même moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'URSSAF fait grief à l'arrêt de faire droit à la demande de la société alors « que l'assiette de la seconde part de la contribution due par les entreprises de vente en gros de spécialités pharmaceutiques est constituée par la différence entre le chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours de l'année civile de la taxation et celui réalisé au cours de l'année civile précédente ; que, dans le cas où l'entreprise n'a pas eu d'activité commerciale tout au long de la première année civile, le chiffre d'affaires pris en compte au titre de la première année est calculé prorata temporis en prenant en considération les jours d'activité de la société ; que l'activité d'une entreprise de vente en gros de spécialités pharmaceutiques démarre au jour de l'autorisation d'exercer délivrée l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments et Produits de Santé (AFSSAPS) ; qu'en retenant en l'espèce, pour la détermination de l'assiette de la seconde part de contribution que l'activité de la société avait démarré au jour de la facturation de ses premiers produits, la cour d'appel a violé les articles L. 138-1, L. 138-2 et R. 138-1 du code de la sécurité sociale.
Réponse de la Cour
5. Selon l'article R. 138-1, II, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par le décret n° 2005-335 du 8 avril 2005, applicable à la date d'exigibilité de la contribution litigieuse, le chiffre d'affaires pris en compte pour le calcul de la seconde part de la contribution mentionnée à l'article L. 138-1 au titre de la première année incomplète d'activité est égal au produit du chiffre d'affaires effectif réalisé au cours de cette année par le rapport de trois cent soixante jours sur le nombre de jours d'activité, chaque mois complet d'activité correspondant à trente jours. Pour l'application de ces dispositions, il y a lieu de retenir, pour déterminer le premier jour d'activité, la date de la première facturation.
6. L'arrêt retient que si la délivrance par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et produits de santé d'une autorisation d'ouverture d'un établissement pharmaceutique est une condition nécessaire à l'exploitation d'une activité soumise au versement de la contribution prévue par l'article L. 138-1 du code de la sécurité sociale, cette formalité administrative, préalable indispensable à l'activité de l'entreprise, ne constitue pas nécessairement le point de départ de son activité commerciale, lequel peut être décalé dans le temps en raison d'impératifs de production et/ou de commercialisation. Il ajoute qu'il n'est pas contesté par l'URSSAF que la société, ayant bénéficié d'une autorisation d'ouverture le 20 novembre 2007, n'a facturé ses produits que le 12 décembre 2007.
7. De ces constatations, faisant ressortir que la société a procédé, pour la première fois, à la facturation de ses produits le 12 décembre 2007, la cour d'appel a exactement déduit que cette date devait être retenue pour déterminer le chiffre d'affaires effectif réalisé au cours de l'année 2007 pour le calcul de la seconde part de la contribution litigieuse.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne l'URSSAF de Rhône-Alpes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'URSSAF de Rhône-Alpes et la condamne à payer à la société Phictal la somme de 3 000 euros.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales Rhône-Alpes
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Vienne du 30 mars 2017 et, ce faisant, d'AVOIR infirmé la décision de la Commission de Recours Amiable de l'URSSAF du 9 octobre 2012 concernant la société Meridial venue aux droits de la SAS Phictal, d'AVOIR dit que la date de début d'activité de la société Meridial est fixée au 12 décembre 2007, d'AVOIR annulé le redressement opéré par l'URSSAF, d'AVOIR annulé la mise en demeure y afférente, et, y ajoutant, d'AVOIR dit que l'URSSAF Rhône Alpes devra procéder au rechiffrage de la seconde part due par l'URSSAF Rhône Alpes en prenant un rapport de 360 jours sur le nombre de jours d'activité de 19 jours, d'AVOIR condamné la société Phictal à payer à l'URSSAF Rhône-Alpes les sommes restant dues découlant de ce nouveau chiffrage, et d'AVOIR condamné l'URSSAF Rhône-Alpes aux dépens,
AUX MOTIFS QUE : " Sur la date de début d'activité commerciale de la société Meridial : Il ressort de l'article L. 138-2 du code de la sécurité sociale, dans sa version en vigueur à l'époque du redressement contesté, que la contribution sur le montant du chiffre d'affaires hors taxes défini à l'article L. 138-1 à la charge des établissements de vente en gros de spécialités pharmaceutiques et des entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques au sens de l'article L. 596 du même code : - que l'assiette de la contribution est composée de deux parts : une première part est constituée par le chiffre d'affaires hors taxes réalisé par l'entreprise au cours de l'année civile et une seconde part est constituée par la différence entre le chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours de l'année civile et celui réalisé l'année civile précédente, - que le montant de la contribution est calculé en appliquant un taux de 1,9 % à la première part et un taux de 2,25 % à la seconde part, que si cette dernière est négative, le produit de la seconde part par le taux de 2,25 % s'impute sur le produit de la première part par le taux de 1,9 %, que néanmoins, le montant de la contribution ne peut excéder 2,7 % ni être inférieur à 1,4 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé par l'entreprise au cours de l'année civile, - que lorsqu'une entreprise est soumise pour la première fois à la contribution, elle n'est redevable la première année que de la première part, qu'en ce qui concerne le calcul de la seconde part pour la deuxième année d'acquittement de la contribution, et dans le cas où l'entreprise n'a pas eu d'activité commerciale tout au long de la première année civile, le chiffre d'affaires pris en compte au titre de la première année est calculé au prorata de la durée écoulée afin de couvrir une année civile dans son intégralité, - que les modalités d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Si la délivrance par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et produits de santé d'une autorisation d'ouverture d'un établissement pharmaceutique est une condition nécessaire à l'exploitation d'une activité soumise au versement de la contribution prévue par l'article L. 138-1 du code de la sécurité sociale, cette formalité administrative, préalable indispensable à l'activité de l'entreprise, ne constitue pas nécessairement le point de départ de son activité commerciale lequel peut être décalé dans le temps en raison d'impératif de production et/ou de commercialisation. En l'espèce, il n'est pas contesté par l'Urssaf Rhône-Alpes que la société Meridial, qui a bénéficié d'une autorisation d'ouverture par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et produits de santé le 20 novembre 2017 n'a facturé ses premiers produits que le 12 décembre 2007. C'est donc à juste titre que la SAS Phictal soutient que cette date devra être retenue dans le calcul de la contribution qu'elle doit en application de l'article L. 138-1 du code de la sécurité sociale. Le jugement déféré sera par conséquent confirmé. Enfin, compte tenu de ce nouveau point de départ de l'activité commerciale de la société Méridial, l'Urssaf Rhône-Alpes est fondée en sa demande subsidiaire tendant au rechiffrage de la seconde part due par la SAS Phictal."
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE : "Il résulte des dispositions de l'article L.138-2 du code de la sécurité sociale que lorsqu'une entreprise est soumise pour la première fois à la contribution, elle n'est redevable la première année que de la première part. En ce qui concerne le calcul de la seconde part pour la deuxième année d'acquittement de la contribution, et dans le cas où l'entreprise n'a pas eu d'activité commerciale tout au long de la première année civile, le chiffre d'affaires pris en compte au titre de la première année est calculé au prorata de la durée écoulée afin de couvrir une année civile dans son intégralité. Il est constant que l'ouverture d'un établissement pharmaceutique et sa mise en activité sont subordonnés à une autorisation délivrée par l'AFSSAPS conformément aux dispositions de l'article L5124-3 du code de la santé publique et que cette autorisation a été délivrée à la SAS Meridial le 20 novembre 2007. Il est constant que la première facture a été émise par la société Méridial le 12 décembre 2007. Si l'URSSAF affirme que l'activité commerciale d'une entreprise démarre avant toute facturation, elle ne produit aucun élément matériel permettant d'affirmer qu'en l'espèce l'activité commerciale de la société Meridial a réellement débuté le 20 novembre 2007. Cette affirmation n'est étayée par aucun élément tangible résultant du contrôle opéré par l'agent vérificateur. (...) Il y aura lieu de faire droit à la demande de la société Phictal ex Meridial, d'infirmer la décision de la commission de recours amiable confirmant un redressement de 156 356 euros pour la période du 31 mars 2009 au 31 mars 2010. Le redressement opéré par l'URSSAF sera annulé".
1/ ALORS QUE l'assiette de la seconde part de la contribution due par les entreprises de vente en gros de spécialités pharmaceutiques est constituée par la différence entre le chiffre d'affaires hors taxes réalisé au cours de l'année civile de la taxation et celui réalisé au cours de l'année civile précédente ; que, dans le cas où l'entreprise n'a pas eu d'activité commerciale tout au long de la première année civile, le chiffre d'affaires pris en compte au titre de la première année est calculé prorata temporis en prenant en considération les jours d'activité de la société ; que l'activité d'une entreprise de vente en gros de spécialités pharmaceutiques démarre au jour de l'autorisation d'exercer délivrée l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments et Produits de Santé (AFSSAPS) ; qu'en retenant en l'espèce, pour la détermination de l'assiette de la seconde part de contribution que l'activité de la société avait démarré au jour de la facturation de ses premiers produits, la cour d'appel a violé les articles L. 138-1, L. 138-2 et R. 138-1 du code de la sécurité sociale,
2/ ALORS QUE les juges du fond, tenus de motiver leur décision, ne peuvent statuer par voie de simple affirmation ; qu'en affirmant que la date de première facturation doit être retenue dans le calcul de la contribution due par les entreprises de vente en gros de spécialités pharmaceutiques pour déterminer le premier jour d'activité de l'entreprise (arrêt p.3 dernier paragraphe), sans s'expliquer sur l'activité qui a nécessairement précédé la facturation qui n'est que l'aboutissement d'une prestation préalable, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Selon l'article R. 138-1, II, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction modifiée par le décret n° 2005-335 du 8 avril 2005, applicable à la date d'exigibilité de la contribution litigieuse, le chiffre d'affaires pris en compte pour le calcul de la seconde part de la contribution mentionnée à l'article L. 138-1 au titre de la première année incomplète d'activité est égal au produit du chiffre d'affaires effectif réalisé au cours de cette année par le rapport de trois cent soixante jours sur le nombre de jours d'activité, chaque mois complet d'activité correspondant à trente jours. Pour l'application de ces dispositions, il y a lieu de retenir, pour déterminer le premier jour d'activité, la date de la première facturation |
488 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 juillet 2020
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 618 F-P+B+I
Pourvoi n° 19-13.992
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUILLET 2020
1°/ M. A... G...,
2°/ M. B... G...,
tous deux domiciliés [...] et en pris en qualité d'héritiers de K... G..., décédée,
ont formé le pourvoi n° 19-13.992 contre l'arrêt rendu le 22 janvier 2019 par la cour d'appel de Lyon (sécurité sociale), dans le litige les opposant à la caisse d'allocations familiales de Haute-Loire, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de MM. G..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse d'allocations familiales de Haute-Loire, et l'avis de Mme Ceccaldi, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2020 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 22 janvier 2019), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 4 avril 2018, pourvoi n° 17-15.049), la caisse d'allocations familiales de la Haute-Loire (la caisse), ayant notifié à K... G... (l'allocataire), qui vivait avec M. J..., que ses droits à l'allocation aux adultes handicapés et au complément de ressources seraient supprimés à compter du mois de janvier 2015 en raison d'un dépassement du plafond de ressources du foyer, l'allocataire a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
2. A son décès survenu le 23 décembre 2015, ses héritiers, les consorts G..., ont repris l'instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Les consorts G... font grief à l'arrêt de les débouter de leur recours en contestation de la suppression de l'allocation aux adultes handicapés et du complément de ressources à compter du 1er janvier 2015, alors :
« 1°/ que selon l'article R. 821-4-4 du code de la sécurité sociale qui s'applique par dérogation à la règle de périodicité retenue pour l'appréciation des conditions de revenus prévue par les articles R. 821-4 et R. 821-4-1 du même code, au cas où un allocataire, son conjoint, concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité a cessé toute activité professionnelle ou à caractère professionnel sans revenu de remplacement, ses ressources sont appréciées en ne tenant pas compte des revenus d'activité professionnelle ou à caractère professionnel ni des indemnités de chômage perçues par l'intéressé pendant l'année civile de référence ; que cette mesure s'applique à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel est intervenu le changement de situation et jusqu'au dernier jour du mois civil précédant celui de la reprise d'une activité professionnelle ou à caractère professionnel par l'intéressé ; qu'ayant constaté que M. J... s'était trouvé sans activité professionnelle et sans revenu de remplacement du 18 octobre 2013 au 15 mai 2014, la cour d'appel qui, pour refuser d'exclure ses revenus d'activité professionnelle de l'année 2013 des ressources du foyer de cette même année, année civile de référence, a énoncé qu'au moment de l'examen des droits de Mme G... en 2015, M. J... bénéficiait d'une pension de retraite de sorte que les revenus perçus durant l'année de référence ne pouvaient être neutralisés et devaient entrer dans le calcul des ressources du foyer, la cour d'appel a violé les articles R. 821-4, R. 821-4-4 et R. 532-3 du code de la sécurité sociale ;
2°/ que selon l'article R. 821-4 du code de la sécurité sociale, les revenus pris en compte au cours de l'année civile de référence mentionnée à l'article R. 532-3, qui est l'avant-dernière année précédant la période de paiement, sont ceux définis aux articles R. 532-3 à R. 532-7 sous réserve de l'application, notamment, de l'article R. 821-4-4 ; qu'ayant constaté que M. J... s'était trouvé sans activité professionnelle et sans revenu de remplacement du 18 octobre 2013 au 15 mai 2014, la cour d'appel qui, pour refuser d'exclure ses revenus d'activité professionnelle de l'année 2013 des ressources du foyer de cette même année conformément à l'article R. 821-4-4 du code de la sécurité sociale, a retenu qu'au moment de l'examen des droits de Mme G... en 2015, celui-ci bénéficiait d'une pension de retraite de sorte que les revenus perçus durant l'année de référence devaient entrer dans le calcul des ressources du foyer après application de l'abattement prévu par l'article R. 532-5 du code de la sécurité sociale, a violé les articles R. 821-4, R. 821-4-4 et R. 532-5 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article R. 532-5 du code de la sécurité sociale, qui s'applique par dérogation à la règle de la périodicité retenue pour l'appréciation des conditions de revenus prévue par les articles R. 821-4 et R. 821-4-1 du même code, au cas où un allocataire, son conjoint ou son concubin cesse toute activité professionnelle et est admis au bénéfice d'une pension de retraite ou d'invalidité ou d'une rente d'accident du travail ou se voit reconnaître un droit à prestation en application des dispositions du titre II du livre VIII, des ressources sont appréciées en faisant application d'un abattement de trente pour cent sur les revenus d'activité professionnelle et les indemnités de chômage perçus par l'intéressé au cours de l'année civile de référence. Cette mesure est applicable à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel est intervenu le changement de situation et jusqu'à la fin de la période de paiement en cours et, éventuellement, jusqu'à la fin de la période suivante si le changement de situation se situe au cours du second semestre d'une période.
5. Ayant constaté que le concubin de l'allocataire, sans activité professionnelle ni revenu de remplacement du 18 octobre 2013 au 15 mai 2014, avait été admis, à effet du 1er novembre 2014, au bénéfice d'une pension de retraite, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il devait être procédé, pour la détermination des droits de l'allocataire pour l'année 2015, non à la neutralisation des revenus perçus pendant l'année de référence par son concubin, mais à l'application à ces derniers de l'abattement de trente pour cent prévu par le texte susmentionné.
6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. A... et B... G... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat aux Conseils, pour MM. A... et B... G...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. A... G... et M. B... G..., en leur qualité d'ayants droit de leur mère, Mme K... G..., de leur demande tendant à voir annuler la décision de suppression de l'allocation aux adultes handicapés et du complément de ressources à compter du 1er janvier 2015 prise par la caisse d'allocations familiales (CAF) de la Haute-Loire et à voir condamner celle-ci à leur verser la totalité des sommes dues au titre de ces deux prestations pour la période du 1er janvier 2015 au 22 décembre 2015 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'article L.821-3 du code de la sécurité sociale énonce que l'allocation aux adultes handicapés peut se cumuler avec les ressources personnelles de l'intéressé et, s'il y a lieu, de son conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité dans la limite d'un plafond fixé par décret, qui varie selon qu'il est marié, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité et a une ou plusieurs personnes à sa charge ; que l'article D.821-2 du même code indique que la personne qui satisfait aux autres conditions d'attribution peut prétendre à l'allocation aux adultes handicapés si l'ensemble des autres ressources perçues par elle durant l'année civile de référence n'atteint pas douze fois le montant de l'allocation aux adultes handicapés fixé selon les modalités prévues à l'article L.821-3-1 ou, pour la personne dont les ressources sont appréciées conformément à l'article R. 821-4-1, si l'ensemble des autres ressources perçues par elle durant le trimestre de référence n'atteint pas trois fois ce même montant ; que lorsque le demandeur est marié ou lié par un pacte civil de solidarité, et non séparé, ou qu'il vit en concubinage, le plafond mentionné au premier alinéa est doublé ; que lorsqu'il a des enfants à charge au sens des articles L.512-3, L.512-4 et L.521-2, le plafond est majoré d'une somme égale à la moitié de ce plafond pour chacun des enfants ; que l'article R.821-4 du même code prévoit que « lorsque le demandeur ou le bénéficiaire de l'allocation aux adultes handicapés ne perçoit pas de revenu d'activité professionnelle ou est admis dans un établissement ou un service d'aide par le travail mentionnés à l'article L.344-2 du code de l'action sociale et des familles, la condition de ressources prévue à l'article L.821-3 s'applique conformément aux dispositions du présent article. II-La condition de ressources s'apprécie au regard des revenus perçus au cours de l'année civile de référence mentionnée à l'article R. 532-3. Les revenus pris en compte sont ceux définis aux articles R. 532-3 à R. 532-7, sous réserve de l'application des articles R. 821-4-3, R. 821-4-4, D. 821-9 et D. 821-10, ainsi que des dispositions suivantes (..)" ; que l'article R.532-3 précise que l'année civile de référence est l'avant-dernière année précédant la période de paiement ; que l'article R.821-4-4 précise que « Lorsqu'un allocataire ou son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité a cessé toute activité professionnelle ou à caractère professionnel sans revenu de remplacement, ses ressources sont appréciées en ne tenant pas compte des revenus d'activité professionnelle ou à caractère professionnel ni des indemnités de chômage perçues par l'intéressé pendant l'année civile de référence ou, pour le bénéficiaire dont les ressources sont appréciées conformément à l'article R. 821-4-1, pendant le trimestre de référence. Cette mesure s‘applique à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel est intervenu le changement de situation et jusqu'au dernier jour du mois civil précédant celui de la reprise d'une activité professionnelle ou à caractère professionnel par l'intéressé » ; qu'il n'est pas contestable que la condition de ressources pour la perception de l'allocation au titre de l'année 2015 doit s'apprécier au regard des revenus perçus au cours de l'année civile de référence, soit l'année 2013 ; qu'il n'est pas contesté que les ressources du couple G... J... dépassaient en 2013 le plafond permettant à Mme G... de percevoir l'allocation aux adultes handicapés et son complément ; que néanmoins, les consorts G... soutiennent que les revenus de l'année 2013 doivent être neutralisés dans leur entier et non seulement au titre des derniers mois, comme l'a retenu la cour d'appel de Riom et ce sur le fondement de l'article R.821-4-4 du code de la sécurité sociale, lequel s'applique par dérogation à la règle prévue par les articles R.821-4 et R.821-4-1 du même code ; qu'il est manifeste que lorsque l'article R.821-4-4 du code de la sécurité sociale a vocation à s'appliquer, l'ensemble des revenus d'activité professionnelle perçus par l'intéressé au cours de l'année de référence considérée ne doit pas entrer dans le calcul des ressources du foyer ; que toutefois, cet article n'a vocation à s'appliquer que dans la mesure où l'allocataire ou son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité, a cessé toute activité professionnelle ou à caractère professionnel sans revenu de remplacement et cette mesure ne s'applique qu'à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel est intervenu le changement de situation et jusqu'au dernier jour du mois civil précédant celui de la reprise d'une activité professionnelle ou à caractère professionnel par l'intéressé ; qu'en l'espèce, il n'est pas discuté que M. J... s'est trouvé sans activité professionnelle et sans revenu de remplacement du 18 octobre 2013 au 15 mai 2014, mais qu'au moment de l‘examen des droits de Mme G... en 2015, il bénéficiait d'une pension de retraite de sorte que les revenus perçus durant l'année de référence ne pouvait être "neutralisés" et devaient entrer dans le calcul des ressources du foyer ; que l'abattement prévu à l'article R.532-5 et auquel ouvrait droit la situation de M. J..., bénéficiaire d'une pension de retraite, a quant à lui bien été appliqué par la caisse ; que les consorts G... sont mal fondés en leur réclamation et le jugement qui a rejeté la demande doit être confirmé (arrêt p.3 § pénultième à p.5 § 2) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE conformément à la législation et à la réglementation en vigueur, les prestations versées du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2015 sont calculées sur la totalité des ressources 2013, que celles-ci se montaient pour 2013 à la somme de 63.319 € de salaire (26.013 € + 37.306 €), 1.604 € d'indemnité accident du travail et 10.720 € de frais réels réduits, qu'après application des abattements, les ressources retenues pour le calcul de l'AAH sont de 27.781 € (
) que ces montants font obstacle au versement de ces prestations dans la mesure où ils sont supérieurs au plafond » (cf. jugement p.1, § pénultième) ;
1°) ALORS QUE selon l'article R. 821-4-4 du code de la sécurité sociale qui s'applique par dérogation à la règle de périodicité retenue pour l'appréciation des conditions de revenus prévue par les articles R. 821-4 et R. 821-4-1 du même code, au cas où un allocataire, son conjoint, concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité a cessé toute activité professionnelle ou à caractère professionnel sans revenu de remplacement, ses ressources sont appréciées en ne tenant pas compte des revenus d'activité professionnelle ou à caractère professionnel ni des indemnités de chômage perçues par l'intéressé pendant l'année civile de référence ; que cette mesure s'applique à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel est intervenu le changement de situation et jusqu'au dernier jour du mois civil précédant celui de la reprise d'une activité professionnelle ou à caractère professionnel par l'intéressé ; qu'ayant constaté que M. J... s'était trouvé sans activité professionnelle et sans revenu de remplacement du 18 octobre 2013 au 15 mai 2014, la cour d'appel qui, pour refuser d'exclure ses revenus d'activité professionnelle de l'année 2013 des ressources du foyer de cette même année, année civile de référence, a énoncé qu'au moment de l'examen des droits de Mme G... en 2015, M. J... bénéficiait d'une pension de retraite de sorte que les revenus perçus durant l'année de référence ne pouvaient être neutralisés et devaient entrer dans le calcul des ressources du foyer, la cour d'appel a violé les articles R. 821-4, R. 821-4-4 et R. 532-3 du code de la sécurité sociale ;
2°) ALORS QUE selon l'article R. 821-4 du code de la sécurité sociale, les revenus pris en compte au cours de l'année civile de référence mentionnée à l'article R. 532-3, qui est l'avant-dernière année précédant la période de paiement, sont ceux définis aux articles R. 532-3 à R. 532-7 sous réserve de l'application, notamment, de l'article R. 821-4-4 ; qu'ayant constaté que M. J... s'était trouvé sans activité professionnelle et sans revenu de remplacement du 18 octobre 2013 au 15 mai 2014, la cour d'appel qui, pour refuser d'exclure ses revenus d'activité professionnelle de l'année 2013 des ressources du foyer de cette même année conformément à l'article R. 821-4-4 du code de la sécurité sociale, a retenu qu'au moment de l'examen des droits de Mme G... en 2015, celui-ci bénéficiait d'une pension de retraite de sorte que les revenus perçus durant l'année de référence devaient entrer dans le calcul des ressources du foyer après application de l'abattement prévu par l'article R. 532-5 du code de la sécurité sociale, a violé les articles R. 821-4, R. 821-4-4 et R. 532-5 du code de la sécurité sociale. | Selon l'article R. 532-5 du code de la sécurité sociale, qui s'applique par dérogation à la règle de la périodicité retenue pour l'appréciation des conditions de revenus prévue par les articles R. 821-4 et R. 821-4-1 du même code, au cas où un allocataire, son conjoint ou son concubin cesse toute activité professionnelle et est admis au bénéfice d'une pension de retraite ou d'invalidité ou d'une rente d'accident du travail ou se voit reconnaître un droit à prestation en application des dispositions du titre II du livre VIII, ses ressources sont appréciées en faisant application d'un abattement de trente pour cent sur les revenus d'activité professionnelle et les indemnités de chômage perçus par l'intéressé au cours de l'année civile de référence. Cette mesure est applicable à compter du premier jour du mois civil suivant celui au cours duquel est intervenu le changement de situation et jusqu'à la fin de la période de paiement en cours et, éventuellement, jusqu'à la fin de la période suivante si le changement de situation se situe au cours du second semestre d'une période.
Ayant constaté que le concubin de l'allocataire avait été admis, à effet du 1er novembre 2014, au bénéfice d'une pension de retraite, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il devait être procédé, pour la détermination des droits de l'allocataire pour l'année 2015, à l'application de l'abattement de trente pour cent |
489 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 443 FS-P+B
Pourvoi n° P 18-24.441
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 JUILLET 2020
1°/ la société Hamel, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
2°/ M. U... O..., domicilié [...] , agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Hamel,
ont formé le pourvoi n° P 18-24.441 contre l'arrêt rendu le 27 juin 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant à la société Etablissements Denis, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société Hamel et de M. O..., ès qualités, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Etablissements Denis, et l'avis de Mme Pénichon, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mmes Darbois, Champalaune, Sudre, M. Ponsot, Mme Boisselet, M. Mollard, conseillers, Mme Pénichon, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 27 juin 2018), la société Hamel, spécialisée dans le commerce de gros de matériel agricole, commercialisait des produits fabriqués par la société Etablissements Denis. A la suite d'un différend les ayant opposées au sujet de désordres apparus sur un ouvrage monté par la première avec des matériels fournis par elle, la société Etablissements Denis, par une lettre du 2 septembre 2009, a mis un terme à ses relations commerciales avec la société Hamel aux conditions antérieures.
2. Dans l'instance engagée, devant le tribunal de commerce de Montauban, contre les deux sociétés par le client qui avait commandé l'ouvrage litigieux, la société Hamel a formé contre la société Etablissements Denis, à titre reconventionnel, une demande d'indemnisation de son préjudice commercial, sur le fondement de l'article 1147 du code civil. Cette demande ayant été rejetée par un arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 18 novembre 2014, la société Hamel a, le 2 avril 2015, assigné la société Etablissements Denis devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d'une relation commerciale établie, en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
3. La société Hamel fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, la demande indemnitaire formée par elle contre la société Etablissements Denis sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce alors :
« 1°/ que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il s'ensuit que l'action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales se prescrit à compter du jour où le contractant évincé avait eu connaissance du préjudice en résultant, lequel dépend de la durée du préavis jugé nécessaire et qui n'a pas été respecté ; qu'en affirmant que la société Hamel a eu connaissance de la brutalité de la rupture au jour de sa notification et de l'existence du préjudice en résultant, dès lors que la durée du préavis nécessaire est appréciée au jour de la rupture, quand cette date n'était pas celle de la manifestation du dommage dont la société Hamel poursuivait la réparation, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
2°/ que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il s'ensuit que la prescription ne court pas lorsque la victime ignore l'imputabilité du dommage subi à son auteur ; qu'il s'ensuit que le point de départ de la prescription n'était pas repoussé au dépôt du rapport d'expertise judiciaire démontrant que la livraison de matériel défectueux à la société Silo des quatre chemins n'était pas imputable à la faute de la société Hamel, dès lors que la société Hamel ignorait, avant cette date, si la société Denis pouvait se prévaloir d'une telle faute pour justifier la rupture sans préavis des relations commerciales établies ; qu'en affirmant que ce rapport d'expertise ne pouvait pas caractériser la connaissance par la victime de son droit, et « que le désaccord entre les parties sur les fautes alléguées par la société Denis qu'elle [la société Hamel ]aurait commise au moment de la rupture est sans incidence sur son action » et que « l'existence de ces fautes ne peut être invoquée par l'auteur de la rupture pour s'exonérer de sa responsabilité », quand le cours de la prescription était subordonnée à la condition que la victime ait connaissance de l'imputabilité de la brutalité de la rupture à son cocontractant, laquelle dépendait de l'administration par l'expert judiciaire de la preuve qu'elle n'avait commis aucune faute justifiant que la société Denis mette un terme à leurs relations d'affaire sans préavis, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l'article 2224 du code civil que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
5. C'est à bon droit qu'en application de ce texte, la cour d'appel a retenu que la prescription de l'action en responsabilité engagée par la société Hamel avait couru à compter de la notification de la rupture dès lors qu'elle avait eu connaissance, à cette date, de l'absence de préavis et du préjudice en découlant, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'éventualité d'une faute ayant pu justifier que la société Etablissements Denis ait mis un terme à la relation sans préavis.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en ses troisième et cinquième branches
Enoncé du moyen
7. La société Hamel fait le même grief à l'arrêt alors :
« 3°/ que l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en décidant que la prescription de l'action fondée sur l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce n'avait pas été interrompue par l'action que la société Hamel avait formée, dans un premier temps, sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, afin d'obtenir réparation du préjudice commercial qu'elle avait subi, en raison du courrier 2 septembre 2009, et du dénigrement dont elle avait été victime de la part de la société Denis, dès lors que la réparation d'un préjudice commercial causé par des manquements contractuels et des actes de dénigrement ne peut tendre à la même fin et au même but que la réparation de la marge perdue en raison de l'absence de préavis alloué suite à la rupture des relations commerciales l'empêchant ainsi de se réorganiser, quand la société Hamel avait obtenu sur le fondement du droit commun, du tribunal de commerce de Montauban, l'allocation d'une indemnité de 300 000 euros correspondant à la perte de marge dont elle sollicitait la réparation sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil.
5°/ que l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en affirmant, par des motifs adoptés des premiers juges, que la société Hamel avait agi sur un autre fondement sans solliciter la réparation d'un préjudice né de la brutalité de la rupture, quand la société Hamel sollicitait dans un cas comme dans l'autre, l'indemnisation du préjudice constitué par la perte de marge en raison du courrier du 2 septembre 2009, de sorte que l'objet de la seconde action était compris dans la première, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2241 du code civil :
8. Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque deux actions, quoiqu'ayant des causes distinctes, tendent à un seul et même but, de telle sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.
9. Pour écarter le moyen tiré par la société Hamel de l'interruption de la prescription par la demande reconventionnelle qu'elle avait formée contre la société Etablissements Denis dans la précédente instance qui les avait opposées, et déclarer prescrite sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie, l'arrêt relève que les griefs invoqués par la société Hamel en première instance devant le tribunal de commerce de Montauban étaient fondés sur les dispositions de l'article 1147 ancien du code civil, que, dans ses conclusions du 25 septembre 2014 devant la cour d'appel de Toulouse, elle a spécialement précisé qu'elle ne formulait aucune demande sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, que cette cour d'appel l'a déboutée de sa demande reconventionnelle qui portait sur des manquements à des obligations contractuelles et sur des actes de dénigrement, les motifs développés dans le corps de la décision n'ayant pas de portée en l'espèce et ne pouvant lier la cour, seul le dispositif de la décision ayant autorité de la chose jugée, pour en déduire que l'objet de la précédente action était distinct de celui dont la cour d'appel est saisie, la réparation d'un préjudice commercial causé par des manquements contractuels et des actes de dénigrement ne pouvant tendre à la même fin et au même but que la réparation de la marge perdue en raison de l'absence de préavis alloué à la suite de la rupture des relations commerciales l'empêchant ainsi de se réorganiser.
10. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, pris du fondement exclusivement contractuel de la précédente demande formée par la société Hamel, sans vérifier si les faits que cette dernière avait alors dénoncés pour réclamer l'indemnisation de la perte de marge commerciale qu'elle prétendait avoir subie par suite de la modification unilatérale des conditions commerciales que lui avait imposée la société Etablissements Denis dans sa lettre de rupture, que la cour d'appel de Toulouse avait écartés comme relevant de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, n'étaient pas les mêmes que ceux qu'elle invoquait au soutien de sa demande fondée sur ce texte, de sorte que les actions tendaient toutes deux à la réparation du préjudice résultant de la modification unilatérale des conditions commerciales, éventuellement constitutive d'une rupture, fût-elle seulement partielle, de la relation commerciale unissant les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette les demandes reconventionnelles de la société Etablissements Denis et en ce que, y ajoutant, il déclare recevable la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Etablissements Denis, l'arrêt rendu le 27 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Etablissements Denis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Etablissements Denis et la condamne à payer à la société Hamel la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Hamel et M. O..., ès qualités.
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR déclaré irrecevable comme étant prescrite, la demande indemnitaire formée par la société HAMEL contre la société ETS DENIS, sur le fondement de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce, en vue d'obtenir paiement de dommages et intérêts d'un montant de 502.078,22 € ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'aux termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion ; qu'il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure ; que le point de départ du délai de prescription quinquennale d'une action en réparation de la brutalité d'une rupture de relation commerciale établie est le jour où celui qui s'en prétend victime, a été avisé de la rupture ; qu'en l'espèce, le courrier de rupture de la société Etablissement Denis a été reçu par la société Hamel le 17 septembre 2009 ; que le délai quinquennal de prescription de l'action en réparation du préjudice subi du fait de cette rupture a donc couru donc à compter de cette date jusqu'au 17 septembre 2014 ; qu'ainsi, la société Hamel ne peut valablement soutenir que le point de départ du délai de prescription est la date du dépôt du rapport d'expertise définissant les responsabilités entre les sociétés Etablissement Denis et elle, au motif qu'elle ne pouvait préalablement déterminer si elle avait commis des fautes justifiant l'absence de préavis à son égard du fait de la rupture ; qu'en effet, elle a connaissance de la brutalité de la rupture au tour de la notification de la rupture et en conséquence, à cette date, de l'existence du préjudice qui en résulte sans nécessairement en connaître le montant exact ; que, par ailleurs, elle connaît son préjudice à cette date, en ce que la durée de préavis nécessaire est appréciée au jour de la rupture ; que le désaccord entre les parties sur les fautes alléguées par la société Etablissement Denis qu'elle aurait commises au moment de la rupture est sans incidence sur son action, l'existence de ces fautes ne pouvant être invoquée que par l'auteur de la rupture pour s'exonérer de sa responsabilité ; que dès lors, l'expertise judiciaire alléguée portant sur l'analyse technique des responsabilités dans le cadre du litige relatif aux désordres constatés sur les silos ne constitue qu'un élément de preuve dans le cadre du litige opposant les parties et ne peut pas caractériser la connaissance par la victime de son droit ; que la société Hamel soutient également en vain que la demande reconventionnelle qu'elle a formulée dans le cadre de l'instance engagée par la société Silo des quatre chemins devant le tribunal de commerce de Montauban avait interrompu le délai de prescription de son action en réparation de son préjudice alors que : / - les griefs invoqués en première instance devant le tribunal de commerce de Montauban étaient fondés sur les dispositions de l'article 1147 ancien du code civil, / - dans ses conclusions du 25 septembre 2014 devant la cour d'appel de Toulouse elle a spécialement précisé qu'elle ne formulait aucune demande sur le fondement de l'article L 442-6,1,5° du code de commerce, / - la cour d'appel de Toulouse l'a déboutée de sa demande reconventionnelle qui portait sur des manquement à des obligations contractuelles et sur des actes de dénigrement, les motifs développés dans le corps de la décision n'ayant pas de portée en l'espèce et ne pouvant lier la Cour, seul le dispositif de la décision ayant autorité de chose jugée ; qu'il apparaît donc que l'objet de la précédente action est distinct de celui de la présente action : que la réparation d'un préjudice commercial causé par des manquements contractuels et des actes de dénigrement ne peut tendre à la même fin et au même but que la réparation de la marge perdue en raison de l'absence de préavis alloué suite à la rupture des relations commerciales l'empêchant ainsi de se réorganiser ; que la demande reconventionnelle formée par la société Hamel à rencontre de la société Etablissement Denis dans le cadre de la précédente instance les opposant ne peut donc avoir interrompu le délai de prescription de son action ; que, dès lors, l'action de la société Hamel à l'encontre de la société Etablissement Denis fondée sur l'article L 442-6,1, 5° du code de commerce est prescrite depuis le 17 septembre 2014, l'assignation ayant été délivrée par la société Hamel à la société Etablissement Denis le 2 avril 2015, soit postérieurement à l'expiration du délai de prescription de son action ; que la demande de la société Hamel dans le cadre de ce litige est donc irrecevable ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le Tribunal rappelle les dispositions de l'article L. 2224 du code civil qui dispose : "Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer" ; que le Tribunal observe que la société HAMEL SARL a bien reçu le 02 septembre 2009, un courrier de la société DENIS SA l'informant de la rupture de leurs relations commerciales ; que le Tribunal estime donc que la société HAMEL SARL était parfaitement informée et qu'elle ne peut valablement estimer aujourd'hui que son droit d'intenter une action en application de l'article L 442-6 1 5° du code de commerce ne pouvait démarrer qu'à la réception du rapport d'expertise le 07 janvier 2012, rapport qui ne pointe que les disfonctionnements dans l'accomplissement du montage des silos, des planchers et des piètements sur le chantier de la société SILO DES 4 CHEMINS SARL ; que le Tribunal rappelle également les dispositions de l'article L 2241 du code civil qui dispose que : "La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure" ; que des pièces versées au débat, le Tribunal relève que le Tribunal de Commerce de MONTAUBAN a été saisi uniquement d'une demande reconventionnelle de la part de la société HAMEL SARL sur le fondement des articles 1641 et 1147 du code civil et que cette demande visait à faire réparer le préjudice subi par cette dernière, lié à sa perte de chiffre d'affaires et consécutif au dénigrement opéré par DENIS à son encontre ; qu'il relève que la condamnation prononcée par le Tribunal de Commerce de MONTAUBAN à l'encontre de la société DENIS SA pour la somme de 300.000,00 € a été faite sur ce fondement et nullement sur le fondement de l'article L 442-6 1 5 ° tel que l'affirme la société HAMEL SARL ; que le Tribunal observe que la Cour d'Appel de TOULOUSE a motivé sa décision en déboutant la société HAMEL SARL de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice commercial de la manière suivante : "la société HAMEL SARL demande depuis la première instance la condamnation de la société DENIS SA en dommages intérêts en réparation du préjudice commercial découlant de la modification des conditions commerciales à elle imposée unilatéralement par celle-ci ainsi qu'il ressort d'un courrier du 2 septembre 2009 dans lequel elle lui déclare se voir imposer de mettre un terme à leurs relations commerciales et en lui annonçant que ses taux de remise sur ses catalogues seront ramenés à 0% à compter du 1er octobre 2010 et à compter du 8 février 2010, un règlement avant enlèvement de la marchandise ; que cette demande ne peut être qualifiée d'irrecevable sur le fondement de l'article 70 du code de procédure civile dès lors qu'il peut se déduire de sa rédaction même l'existence d'un lien suffisant avec les prétentions originaires ; que pour autant elle n 'est pas recevable dans la mesure où elle relève du régime de l'article L 442-6 1 5° du code de commerce qui depuis le 1er décembre 2009 impose la compétence des Tribunaux de Grande Instance de MARSEILLE, BORDEAUX, LILLE, FORT DE FRANCE, LYON, NANCY, PARIS et RENNES, ce même si en opportunité la société HAMEL SARL entend viser un fondement purement contractuel ; que le grief de dénigrement prétendu n'apparaît pas constitué au vu des seules pièces produites à l'appui, soit des attestations non circonstanciées de deux clients de la société HAMEL SARL" ; que le Tribunal rappelle que les Tribunaux compétents pour juger des affaires commerciales sur le fondement de l'article 442-6 1 5° ne sont nullement les Tribunaux de Grande Instance, mais les Tribunaux de Commerce spécialisés ; que le Tribunal, au regard de l'instance en cours, estime que la motivation retenue par la Cour d'Appel est contraire à l'article 5 du code de procédure civil qui dispose que "Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé" et est en contradiction avec la demande très explicite de la société HAMEL SARL qui dans ses conclusions du 25 septembre 2014 devant la cour inscrites au RPVA ( pièce N°30 du défendeur page 30) motivait sa demande sur la recevabilité des demandes indemnitaires à l'encontre de la société DENIS SA de la manière suivante : "la société DENIS SA prétend que cette demande serait irrecevable sur le fondement de l'article 70 du code de procédure civile. Aux termes de ces dispositions, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ; que le préjudice économique subi par la société HAMEL SARL découle directement du litige pendant avec la société SILO DES 4 CHEMINS SARL ; qu'en effet c'est à l'occasion de ce litige que la société DENIS a décidé de supprimer la société HAMEL SARL de sa qualité de distributeur de ses produits et de refuser de maintenir les conditions de facturation qui étaient jusqu'alors établies ; que de même, c'est à l'occasion de ce différend que la société DENIS SA a pris contact avec différents clients de la société HAMEL SARL pour prétendre que la société concluante aurait commis des fautes dans le cadre de la vente et du montage des cellules auprès de la société SILO DES 4 12 CHEMINS SARL ; que dès lors le lien suffisant est particulièrement démontré en l'espèce, de sorte que le Tribunal de Commerce de MONTAUBAN a, à fort juste titre, retenu la demande reconventionnelle de la société HAMEL SARL ; que la cour ne pourra que confirmer la recevabilité de cette demande et confirmera le jugement entrepris ; qu'ensuite, consciente de ses manquements, la société DENIS SA prétend à l'incompétence de la Cour d'Appel de céans pour connaître des demandes indemnitaires présentées, aux motifs qu'il conviendrait de faire application des dispositions de l'article L 442-6 1 5° du code de commerce ; que cette demande est irrecevable ; qu'au surplus, la cour notera, à la lecture des développements qui suivent, que la société HAMEL SARL ne demande pas l'indemnisation d'un préjudice résultant d'une rupture brutale des relations commerciales ; que ce qui est reproché à la société DENIS SA, c'est, d'une part, l'atteinte à l'image commerciale de la société concluante en raison du dénigrement pratiqué méticuleusement par elle, et d'autre part, la modification unilatérale des conditions contractuelles" ; que le Tribunal dira que la motivation de la Cour d'Appel de TOULOUSE, n'ouvre pas de fondement à la société HAMEL SARL pour prétendre que la demande en justice au titre de l'article L 442-6 1 5° du code de commerce a été effective dès le début de la procédure à savoir le 1er octobre 2009 et que cette demande a interrompu la prescription ; que le Tribunal en conclut que la première demande en justice en application de l'article 442-6-15 ° du code de commerce n'a eu lieu que le 02 avril 2015 devant le présent Tribunal, postérieurement à la date d'extinction de la prescription quinquennale ouverte par réflectivité de la rupture décidée par la société DENIS SA le 2 septembre 2009 ; qu'en conséquence le Tribunal jugera irrecevables les demandes de la société HAMEL SARL car prescrites ;
1. ALORS QUE la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il s'ensuit que l'action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales se prescrit à compter du jour où le contractant évincé avait eu connaissance du préjudice en résultant, lequel dépend de la durée du préavis jugé nécessaire et qui n'a pas été respecté ; qu'en affirmant que la société HAMEL a eu connaissance de la brutalité de la rupture au jour de sa notification et de l'existence du préjudice en résultant, dès lors que la durée du préavis nécessaire est appréciée au jour de la rupture, quand cette date n'était pas celle de la manifestation du dommage dont la société HAMEL poursuivait la réparation, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce ;
2. ALORS QUE la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'il s'ensuit que la prescription ne court pas lorsque la victime ignore l'imputabilité du dommage subi à son auteur ; qu'il s'ensuit que le point de départ de la prescription n'était pas repoussé au dépôt du rapport d'expertise judiciaire démontrant que la livraison de matériel défectueux à la société SILO DES QUATRE CHEMINS n'était pas imputable à la faute de la société HAMEL, dès lors que la société HAMEL ignorait, avant cette date, si la société ETS DENIS pouvait se prévaloir d'une telle faute pour justifier la rupture sans préavis des relations commerciales établies ; qu'en affirmant que ce rapport d'expertise ne pouvait pas caractériser la connaissance par la victime de son droit, et « que le désaccord entre les parties sur les fautes alléguées par la société ETS DENIS qu'elle [la société HAMEL] aurait commise au moment de la rupture est sans incidence sur son action » et que « l'existence de ces fautes ne peut être invoquée par l'auteur de la rupture pour s'exonérer de sa responsabilité », quand le cours de la prescription était subordonnée à la condition que la victime ait connaissance de l'imputabilité de la brutalité de la rupture à son cocontractant, laquelle dépendait de l'administration par l'expert judiciaire de la preuve qu'elle n'avait commis aucune faute justifiant que la société ETS DENIS mette un terme à leurs relations d'affaire sans préavis, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce ;
3. ALORS subsidiairement QUE l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en décidant que la prescription de l'action fondée sur l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce n'avait pas été interrompue par l'action que la société HAMEL avait formée, dans un premier temps, sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuel, afin d'obtenir réparation du préjudice commercial qu'elle avait subi, en raison du courrier 2 septembre 2009, et du dénigrement dont elle avait été victime de la part de la société ETS DENIS, dès lors que la réparation d'un préjudice commercial causé par des manquements contractuels et des actes de dénigrement ne peut tendre à la même fin et au même but que la réparation de la marge perdue en raison de l'absence de préavis alloué suite à la rupture des relations commerciales l'empêchant ainsi de se réorganiser, quand la société HAMEL avait obtenu sur le fondement du droit commun, du tribunal de commerce de Montauban, l'allocation d'une indemnité de 300.000 € correspondant à la perte de marge dont elle sollicitait la réparation sur le fondement de l'article L 442-6, I, 5° du code de commerce, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil ;
4. ALORS subsidiairement QUE les motifs peuvent permettre d'éclairer la portée du dispositif pour savoir si un point est revêtu de l'autorité de la chose jugée ; qu'en considérant que la société HAMEL ne pouvait pas se prévaloir des motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse requalifiant en action pour rupture des relations établies, celle qu'elle avait engagée sur le fondement du droit commun, dès lors que le dispositif de son arrêt est seul revêtu de l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel a violé l'article 1351 du code civil, dans sa rédaction antérieure applicable au litige, et l'article 480 du code de procédure civile ;
5. ALORS subsidiairement QUE l'interruption de la prescription s'étend d'une action à une autre, dès lors que les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent à un seul et même but de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première ; qu'en affirmant, par des motifs adoptés des premiers juges, que la société HAMEL avait agi sur un autre fondement sans solliciter la réparation d'un préjudice né de la brutalité de la rupture, quand la société HAMEL sollicitait dans un cas comme dans l'autre, l'indemnisation du préjudice constitué par la perte de marge en raison du courrier du 2 septembre 2009, de sorte que l'objet de la seconde action était compris dans la première, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. | Le point de départ de la prescription d'une action fondée sur la rupture brutale d'une relation commerciale établie est constitué par la notification de la rupture à celui qui s'en prétend victime, dès lors que celui-ci a connaissance, à cette date, de l'absence de préavis et du préjudice en découlant, et sans qu'il y ait lieu de tenir compte de l'éventualité d'une faute de sa part ayant pu justifier que l'auteur de la rupture ait mis un terme à la relation sans préavis |
490 | SOC.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 628 FS-P+B
Pourvoi n° X 18-13.593
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
M. L... D..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° X 18-13.593 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2018 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Eurofeu services, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. D..., de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de la société Eurofeu services, et l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, conseiller, Mme Depelley, ayant voix délibérative, Mme Duvallet, M. Le Corre, Mme Prache, conseillers référendaires, M. Weissmann, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-7 et L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. D..., engagé le 1er juillet 2008 en qualité de magasinier poseur par la société Eurofeu services, exerçait en dernier lieu les fonctions de vérificateur-vendeur ; qu'après avoir fait l'objet d'avertissements le 24 avril puis le 30 juillet 2014, il a été licencié pour faute grave le 10 octobre 2014 aux motifs qu'il avait, d'une part, dénigré l'entreprise dans des courriers adressés au directeur de région en réponse à ces avertissements et, d'autre part, déposé plainte contre le responsable d'une agence de l'entreprise dans le but de déstabiliser cette structure ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article L. 1121-1 du code du travail ;
Attendu que pour rejeter la demande du salarié en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif, l'arrêt retient que les allégations de l'intéressé, contenues dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014, évoquant des pratiques d'escroquerie et d'abus de confiance envers les clients ne sont pas établies et qu'elles constituent par leur caractère outrancier un excès à la liberté d'expression du salarié ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les lettres litigieuses, adressées uniquement au directeur de région en réponse à deux avertissements et rédigées en des termes qui n'étaient ni injurieux, diffamatoires ou excessifs, ne caractérisaient pas un abus dans la liberté d'expression du salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen, qui est recevable :
Vu l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 ;
Attendu selon ce texte qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ; qu'il s'en déduit que le salarié ne peut être licencié pour ce motif sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ;
Attendu que pour rejeter la demande du salarié en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif, l'arrêt retient que les faits pour lesquels l'intéressé a déposé plainte auprès de la gendarmerie n'ont pas donné lieu à des poursuites pénales et que le salarié ne peut sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte allait nécessairement déstabiliser son agence ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi du salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge que le licenciement de M. D... repose sur une faute et qu'il est en conséquence pourvu d'une cause réelle et sérieuse, déboute M. D... de sa demande d'indemnité de rupture du contrat de travail, dit n'y avoir lieu d'ordonner le remboursement par la société Eurofeu services des indemnités servies à M. D... au titre de l'indemnisation du chômage, déboute M. D... de ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et de l'appel, le condamne au paiement à la société Eurofeu services de la somme de 500 euros sur ce même fondement et le condamne aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 12 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la société Eurofeu services aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurofeu services et la condamne à payer à M. D... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. D....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir dit le licenciement de M. D... repose sur une faute et qu'il est en conséquence pourvu d'une cause réelle et sérieuse,
AUX MOTIFS QUE «
par courrier recommandé du 24 avril 2014 la SAS Eurofeu Services a délivré à M. L... D... un premier avertissement au motif que ce dernier n'avait pas atteint les objectifs fixés contractuellement, manifestant de la sorte un manque de motivation ; que par un courrier du 30 juillet 2014 la SAS Eurofeu Services a notifié à M. L... D... un second avertissement pour les motifs suivants : l'utilisation par le salarié du véhicule de service pour ses besoins personnels, un départ anticipé du travail le 11 juillet 2014 et l'inexécution ou la mauvaise exécution de tâches chez deux clients ;
Attendu que M. L... D... a répondu à chacune de ces correspondances par deux courriers en date des 10 mai et 14 août 2014 ; que s'agissant des principaux griefs, pris de la non-réalisation des objectifs et de l'inexécution ou l'exécution partielle des prestations, M. L... D... se justifie longuement dans ses deux lettres dont il convient, pour la solution du litige, de reprendre pour partie les termes ;
Attendu qu'en ce qui concerne la non-réalisation des objectifs le salarié expose dans son courrier du 24 avril 2014 : " Lorsque je vous ai indiqué que désormais je n'effectuerais plus que le strict minimum chez les clients, je parlais bien sûr des pièces détachées. Ce que je vous ai bien dit à l'entretien et que je me tenais uniquement aux procédures de maintenances constructeurs, ce qui signifie que j'arrêtais de changer des pièces détachées... alors que celles-ci n'avait rien, uniquement pour atteindre votre "ratio sav "de 15 € moyens par extincteur que vous me demandez d'atteindre... qu'il ajoute ensuite : " "De par les pièces que j'ai pu changer, moi au moins, je les ai vraiment changées et ne me contentais pas de simples croix sur les bons de maintenances pour facturer n‘importe quelles pièces, même inexistantes en stocks., en passant un code générique
Attendu que dans sa correspondance du 14 août 2014 M. L... D... se fait plus précis ; qu'il incrimine en premier lieu le travail de ses collègues : " " J'ai eu à refixer un nombre incalculable d'extincteurs beaucoup trop haut... Étant passé derrière plusieurs personnes, y compris des personnes encore en place à ce jour, ceux-ci auraient dû traiter ces points immédiatement non ? Donc ils n‘ont pas respecté les procédures de maintenance, ils devaient être plus préoccupés à ramener du chiffre d'affaires... qu'il achève son raisonnement ainsi : "C 'est sûr qu‘en faisant un travail bâclé, comme j'ai pu vous le dire ci-dessus, on parvient largement à votre "cota '' de vérification " ;
Attendu que dans le même courrier M. L... D... profère à l'encontre de la société dont il est le salarié les accusations suivantes : " Que je ne mettrais plus de pièces neuves pour remplacer des pièces non défectueuses ou non inscrit sur les procédures de maintenance car je considère cela comme du vol et de l‘abus de confiance envers les clients. Ou bien changer des extincteurs non réformés, donc qui n'ont pas lieux d'être changé que le salarié évoque ensuite des surfacturations et la facturation de pièces non changées ;
Attendu que pour procéder au licenciement pour faute grave de M. L... D..., la SAS Eurofeu invoque dans la lettre de congédiement qui fixe les termes du litige deux griefs, d'une part, les propos de "dénigrement" tenus par celui-ci dans les deux courriers sus-évoqués, et, d'autre part le dépôt de la plainte, destiné à "déstabiliser" l'agence de [...] ;
Attendu que s'agissant du premier grief, il convient de le replacer dans le cadre plus général de la liberté d'expression conférée à tout salarié dans l'entreprise, avec la limite qui y a été apportée par la jurisprudence, à savoir l'abus ; qu'il échet de préciser que les propos litigieux étaient contenus dans des courriers en réponse à deux avertissements que le salarié considérait comme injustifiés, avec pour seul destinataire, le directeur régional de la société Eurofeu Services ;
Attendu qu'il y a lieu aussi de rappeler que M. L... D... évoque dans ses deux courriers des pratiques qu'il qualifie lui-même "d'escroquerie" et "d'abus de confiance » ; que pour apprécier le caractère injurieux ou diffamatoire de tels propos, il apparaît nécessaire de s'interroger sur la véracité des pratiques dénoncées par le salarié ;
Attendu qu'à cette fin M. L... D... verse à son dossier les attestations de trois anciens salariés de la société Eurofeu Services ; que celle-ci conteste l'impartialité des témoins expliquant que l'un d'entre eux a été licencié pour faute grave pour avoir revendu à son profit sur internet des extincteurs qu'il avait détournés et que les deux autres étaient actuellement en contentieux avec leur ex-employeur ; qu'eu égard à ces éléments les déclarations écrites dont s'agit doivent être regardées avec circonspection ;
Attendu que deux des attestants indiquent dans leurs témoignages que pour des raisons de rentabilité le responsable de l'agence de [...] incitait les salariés à effectuer des remplacements d'extincteurs plutôt que des changements de pièces ; que l'autre témoin évoque pour sa part des rajouts de pièces sur les bons de commandes sans autres précisions ;
Attendu que pour sa part la société Eurofeu Services verse aux débats des e-mails échangés entre le responsable de l'agence de [...] et le directeur de région de la société ; qu'il résulte de la lecture de ces documents que le responsable de l'agence de [...] est parvenu à fournir aux gendarmes des explications cohérentes aux faits dénoncés par M. L... D... puisque sa plainte n'a pas donné lieu à des poursuites pénales ; qu'ainsi que le fait justement observer la société Eurofeu Services M. L... D... ne verse à son dossier aucun pièce démontrant un quelconque mécontentement des clients ;
Attendu qu'il y a lieu, au vu des développements qui précèdent, de considérer que les allégations qui sont contenus dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014 et qui ne peuvent être valablement regardées comme des mises en garde, comme le prétend M. L... D..., ne sont pas établies et de dire qu'elles constituent, de par leur caractère outrancier, un excès à liberté d'expression du salarié ;
Attendu que si la dénonciation des faits dans les deux courriers précités revêtait un caractère, confidentiel, il en va différemment de la plainte déposée à la gendarmerie, laquelle avait vocation à agir comme une caisse de résonnance aux dires du salarié ; que M. L... D... ne peut sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte contre le responsable de l'agence de [...] allait nécessairement déstabiliser cette structure ;
Attendu qu'il échet dans l'appréciation de la gravité de la faute commise par le salarié, de prendre en compte le contexte dans lesquels les propos litigieux ont été tenus et la plainte déposée ; que M. L... D... a dû faire face, à trois mois d'intervalle, à deux avertissements, et ce, alors qu'aux termes de ses courriers il s'estimait être un des seuls à faire du travail de qualité dans l'entreprise ; qu'il convient par ailleurs de noter la concomitance de la plainte et du licenciement ; que ces circonstances conduisent à juger que les griefs énoncés dans la lettre de congédiement ne sont pas constitutifs d'une faute grave mais d'une faute simple ; qu'il s'ensuit que le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a dit que le congédiement de M. L... D... était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que dans sa lettre du 24 avril 2014, M. L... D... manifeste clairement son désaccord avec la politique commerciale de l'entreprise, n'hésitant pas en effet à écrire : « vous dites que je n'ai plus de motivation pour mon métier, or j'ai dit que je n'avais plus de motivation pour travailler pour Eurofeu Services » ; qu'il lui appartenait de tirer les conséquences de ce désaccord ;
Attendu qu'en l'absence de faute grave, M. L... D... peut prétendre à un rappel de salaire au titre de la mise à pied, à une indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'aux congés payés afférents et à une indemnité de licenciement ; qu'eu égard à la motivation pertinente retenue par les premiers juges sur ces points, que la cour fait sienne dans sa totalité, la décision querellée sera confirmée dans ses dispositions arrêtant les sommes dues au salarié à ces divers titres ; »,
1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents sur lesquels il se fonde ; qu'en constatant, pour relever des propos prétendument litigieux tenus par M. D... dans l'exercice de sa liberté d'expression, que ce dernier évoque dans ses deux courriers en réponse à deux avertissements, en date des 10 mai et 14 août 2014, des pratiques qu'il qualifie lui-même « d'escroquerie » et « d'abus de confiance » quand M. D... a uniquement écrit dans la lettre du 14 août 2014 : " Que je ne mettrais plus de pièces neuves pour remplacer des pièces non défectueuses ou non inscrit sur les procédures de maintenance car je considère cela comme du vol et de l‘abus de confiance envers les clients », la cour a dénaturé les termes clairs et précis de ces deux lettres et violé le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents sur lesquels il se fonde.
2°) ALORS QUE sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ; qu'en constatant, pour retenir un abus commis par M. D... dans l'exercice de sa liberté d'expression, que «
les allégations qui sont contenues dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014 et qui ne peuvent être valablement regardées comme des mises en garde, comme le prétend M. L... D..., ne sont pas établies et de dire qu'elles constituent de par leur caractère outrancier un excès à la liberté d'expression du salarié » sans caractériser l'existence, par l'emploi de termes injurieux, diffamatoire ou excessifs tenus par M. D..., d'un abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, la cour a violé l'article L. 1121-1 du code du travail.
3°) ALORS QU' en constatant, pour apprécier le caractère injurieux ou diffamatoire des propos reprochés à M. D..., « qu'il apparaît nécessaire de s'interroger sur la véracité des pratiques dénoncées par le salarié » quand l'abus dans l'exercice de la liberté d'expression dont jouit tout salarié est caractérisée par l'emploi de termes jugés injurieux, diffamatoires ou excessifs sans que soit prise en considération leur véracité, la cour a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail.
4°) ALORS QU' en tout état de cause, sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ; qu'en considérant que les allégations contenues dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014 constituent, de par leur caractère outrancier, un excès à la liberté d'expression du salarié quand elles expriment, en réponse aux deux avertissements infligés par l'employeur, des critiques des pratiques commerciales et du travail effectué par les collègues de M. D... et que ces critiques ont eu pour seul destinataire l'employeur, la cour a violé l'article L. 1121-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif sur ce point, d'avoir dit le licenciement de M. D... repose sur une faute et qu'il est en conséquence pourvu d'une cause réelle et sérieuse,
AUX MOTIFS QUE «
par courrier recommandé du 24 avril 2014 la SAS Eurofeu Services a délivré à M. L... D... un premier avertissement au motif que ce dernier n'avait pas atteint les objectifs fixés contractuellement, manifestant de la sorte un manque de motivation ; que par un courrier du 30 juillet 2014 la SAS Eurofeu Services a notifié à M. L... D... un second avertissement pour les motifs suivants : l'utilisation par le salarié du véhicule de service pour ses besoins personnels, un départ anticipé du travail le 11 juillet 2014 et l'inexécution ou la mauvaise exécution de tâches chez deux clients ;
Attendu que M. L... D... a répondu à chacune de ces correspondances par deux courriers en date des 10 mai et 14 août 2014 ; que s'agissant des principaux griefs, pris de la non- réalisation des objectifs et de l'inexécution ou l'exécution partielle des prestations, M. L... D... se justifie longuement dans ses deux lettres dont il convient, pour la solution du litige, de reprendre pour partie les termes ;
Attendu qu'en ce qui concerne la non-réalisation des objectifs le salarié expose dans son courrier du 24 avril 2014 : " Lorsque je vous ai indiqué que désormais je n 'effectuerais plus que le strict minimum chez les clients, je parlais bien sûr des pièces détachées. Ce que je vous ai bien dit à l'entretien et que je me tenais uniquement aux procédures de maintenances constructeurs, ce qui signifie que j'arrêtais de changer des pièces détachées... alors que celles-ci n 'avait rien, uniquement pour atteindre votre "ratio sav "de 15 € moyens par extincteur que vous me demandez d'atteindre... qu'il ajoute ensuite : " "De par les pièces que j'ai pu changer, moi au moins, je les ai vraiment changées et ne me contentais pas de simples croix sur les bons de maintenances pour facturer n‘importe quelles pièces, même inexistantes en stocks., en passant un code générique
Attendu que dans sa correspondance du 14 août 2014 M. L... D... se fait plus précis ; qu'il incrimine en premier lieu le travail de ses collègues : " " J'ai eu à refixer un nombre incalculable d'extincteurs beaucoup trop haut... Etant passé derrière plusieurs personnes, y compris des personnes encore en place à ce jour, ceux-ci auraient dû traiter ces points immédiatement non ? Donc ils n'ont pas respecté les procédures de maintenance, ils devaient être plus préoccupés à ramener du chiffre d'affaires... qu'il achève son raisonnement ainsi : "C 'est sûr qu‘en faisant un travail bâclé, comme j'ai pu vous le dire ci-dessus, on parvient largement à votre "cota '' de vérification" ;
Attendu que dans le même courrier M. L... D... profère à l'encontre de la société dont il est le salarié les accusations suivantes : " Que je ne mettrais plus de pièces neuves pour remplacer des pièces non défectueuses ou non inscrit sur les procédures de maintenance car je considère cela comme du vol et de l‘abus de confiance envers les clients. Ou bien changer des extincteurs non réformés, donc qui n'ont pas lieux d'être changé que le salarié évoque ensuite des surfacturations et la facturation de pièces non changées ;
Attendu que pour procéder au licenciement pour faute grave de M. L... D..., la SAS Eurofeu invoque la lettre de congédiement qui fixe les termes du litige deux griefs, d'une part, les propos de "dénigrement" tenus par celui-ci dans les deux courriers sus-évoqués, et, d'autre part le dépôt de la plainte, destiné à "déstabiliser" l'agence de [...] ;
Attendu que s'agissant du premier grief, il convient de le replacer dans le cadre plus général de la liberté d'expression conférée à tout salarié dans l'entreprise, avec la limite qui y a été apportée par la jurisprudence, à savoir l'abus ; qu'il échet de préciser que les propos litigieux étaient contenus dans des courriers en réponse à deux avertissements que le salarié considérait comme injustifiés, avec pour seul destinataire, le directeur régional de la société Eurofeu Services ;
Attendu qu'il y a aussi de rappeler que M. L... D... évoque dans ses deux courriers des pratiques qu'il qualifie lui-même "d'escroquerie" et "d'abus de confiance » ; que pour apprécier le caractère injurieux ou diffamatoire de tels propos, il apparaît nécessaire de s'interroger sur la véracité des pratiques dénoncées par le salarié ;
Attendu qu'à cette fin M. L... D... verse à son dossier les attestations de trois anciens salariés de la société Eurofeu Services ; que celle-ci conteste l'impartialité des témoins expliquant que l'un d'entre eux a été licencié pour faute grave pour avoir revendu à son profit sur internet des extincteurs qu'il avait détournés et que les deux autres étaient actuellement en contentieux avec leur ex-employeur ; qu'eu égard à ces éléments les déclarations écrites dont s'agit doivent être regardées avec circonspection ;
Attendu que deux des attestants indiquent dans leurs témoignages que pour des raisons de rentabilité le responsable de l'agence de [...] incitait les salariés à effectuer des remplacements d'extincteurs plutôt que des changements de pièces ; que l'autre témoin évoque pour sa part des rajouts de pièces sur les bons de commandes sans autres précisions ;
Attendu que pour sa part la société Eurofeu Services verse aux débats des e-mails échangés entre le responsable de l'agence de [...] et le directeur de région de la société ; qu'il résulte de la lecture de ces documents que le responsable de l'agence de [...] est parvenu à fournir aux gendarmes des explications cohérentes aux faits dénoncés par M. L... D... puisque sa plainte n'a pas donné lieu à des poursuites pénales ; qu'ainsi que le fait justement observer la société Eurofeu Services M. L... D... ne verse à son dossier aucun pièce démontrant un quelconque mécontentement des clients ;
Attendu qu'il y a lieu, au vu des développements qui précèdent, de considérer que les allégations qui sont contenus dans les lettres des 10 mai et 14 août 2014 et qui ne peuvent être valablement regardées comme des mises en garde, comme le prétend M. L... D..., ne sont pas établies et de dire qu'elles constituent, de par leur caractère outrancier, un excès à liberté d'expression du salarié ;
Attendu que si la dénonciation des faits dans les deux courriers précités revêtait un caractère, confidentiel, il en va différemment de la plainte déposée à la gendarmerie, laquelle avait vocation à agir comme une caisse de résonnance aux dires du salarié ; que M. L... D... ne peut sérieusement plaider la bonne foi dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte contre le responsable de l'agence de [...] allait nécessairement déstabiliser cette structure ; »,
Attendu qu'il échet dans l'appréciation de la gravité de la faute commise par le salarié, de prendre en compte le contexte dans lesquels les propos litigieux ont été tenus et la plainte déposée ; que M. L... D... a du faire face, à trois mois d'intervalle, à deux avertissements, et ce, alors qu'aux termes de ses courriers il s'estimait être un des seuls à faire du travail de qualité dans l'entreprise ; qu'il convient par ailleurs de noter la concomitance de la plainte et du licenciement ; que ces circonstances conduisent à juger que les griefs énoncés dans la lettre de congédiement ne sont pas constitutifs d'une faute grave mais d'une faute simple ; qu'il s'ensuit que le jugement critiqué sera infirmé en ce qu'il a dit que le congédiement de M. L... D... était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que dans sa lettre du 24 avril 2014, M. L... D... manifeste clairement son désaccord avec la politique commerciale de l'entreprise, n'hésitant pas en effet à écrire : « vous dites que je n'ai plus de motivation pour mon métier, or j'ai dit que je n'avais plus de motivation pour travailler pour Eurofeu Services » ; qu'il lui appartenait de tirer les conséquences de ce désaccord ;
Attendu qu'en l'absence de faute grave, M. L... D... peut prétendre à un rappel de salaire au titre de la mise à pied, à une indemnité compensatrice de préavis ainsi qu'aux congés payés afférents et à une indemnité de licenciement ; qu'eu égard à la motivation pertinente retenue par les premiers juges sur ces points, que la cour fait sienne dans sa totalité, la décision querellée sera confirmée dans ses dispositions arrêtant les sommes dues au salarié à ces divers titres ; »,
1°) ALORS QU' en constatant, pour requalifier le licenciement pour faute grave de M. D... en licenciement sans causer réelle et sérieuse, que le salarié qui a déposé plainte à la gendarmerie contre le responsable de l'agence de [...] n'était pas de bonne foi dès lors qu'il ne pouvait ignorer que cette plainte allait nécessairement déstabiliser cette structure, motif impropre à caractériser la mauvaise foi du salarié qui résulte de sa connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-3-3 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
2°) ALORS QU'en constatant, pour requalifier le licenciement pour faute grave de M. D... en licenciement sans causer réelle et sérieuse, que le responsable de l'agence de [...] est parvenu à fournir aux gendarmes des explications cohérentes aux faits dénoncés par M. D... puisque sa plainte n'a pas donné lieu à des poursuites pénales, motif impropre à caractériser la mauvaise foi du salarié qui résulte de sa connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonce, la cour a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-3-3 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
3°) ALORS QUE selon l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation prononcée du chef du second moyen entraînera, par voie de conséquence, celle des autres chefs de l'arrêt attaqué qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire. | Il résulte de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, que le salarié qui a relaté ou témoigné de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis |
491 | SOC.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 629 FS-P+B
Pourvoi n° H 18-18.317
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
M. R... N..., domicilié [...], a formé le pourvoi n° H 18-18.317 contre l'arrêt rendu le 12 avril 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Air France, société anonyme, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. N..., de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Air France, et l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, conseiller, Mme Depelley, ayant voix délibérative, Mme Duvallet, M. Le Corre, Mme Prache, conseillers référendaires, M. Weissmann, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-7 et L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 avril 2018), que M. N..., engagé le 26 février 1999 en qualité de E... par la société Air France, a été licencié pour faute grave le 25 novembre 2013 aux motifs d'avoir manqué à ses obligations professionnelles et porté atteinte à l'image de la compagnie en ayant soustrait le portefeuille d'un client d'un hôtel dans lequel il séjournait en tant que membre d'équipage de la société ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale ;
Sur le moyen unique, pris en ses cinquième et sixième branches :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les cinquième et sixième branches du moyen unique, ci-après annexées, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de juger son licenciement fondé sur une faute grave et de le débouter de ses demandes, alors, selon le moyen, que constitue une garantie de fond l'exigence conventionnelle selon laquelle l'entretien préalable à une éventuelle sanction doit être précédé « d'une information écrite des délégués du personnel titulaires de l'établissement et du collège auquel appartient le salarié en cause », les délégués devant faire « part de leurs éventuelles observations par écrit avant l'entretien préalable » ; que cette exigence implique d'informer par écrit les délégués du personnel des faits reprochés au salarié, avant sa convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement éventuel ; que la méconnaissance de cette exigence prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en retenant que la société Air France avait respecté la procédure conventionnelle en rédigeant une note du 20 septembre 2013 intitulée « information relative à la procédure disciplinaire du second degré envisagée à l'encontre du salarié » remise aux délégués du personnel, qui ne comportait aucune indication des faits reprochés au salarié pourtant indispensable pour que les délégués du personnel puissent utilement présenter leurs observations, la cour d'appel a violé les articles 4.2 du règlement intérieur de la société Air France, L. 1232-3, L. 1235-3 et L. 1333-2 du code du travail ;
Mais attendu que, selon l'article 4.2 de l'annexe II du règlement intérieur de la société Air France, relative aux dispositions propres au personnel navigant commercial, d'une part, la convocation à l'entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction doit indiquer l'objet de la réunion en spécifiant si la sanction envisagée est une sanction du premier ou du second degré et, dans ce dernier cas, qu'il peut s'agir d'une mesure de licenciement sans préavis ; qu'au cours de l'entretien, le motif de la sanction envisagée est indiqué au salarié ; que, d'autre part, l'entretien préalable est obligatoirement précédé d'une information écrite des délégués du personnel titulaires de l'établissement et du collège auquel appartient le salarié en cause, sauf opposition écrite de ce dernier ; que les délégués du personnel font part de leurs éventuelles observations par écrit avant l'entretien préalable ; qu'il en résulte que l'article 4.2 de l'annexe II du règlement intérieur de la société Air France n'impose pas que l'information écrite adressée aux délégués du personnel avant la tenue de l'entretien préalable expose les faits motivant la sanction envisagée ;
Et attendu, qu'ayant constaté que la société Air France avait adressé aux délégués du personnel une note datée du 20 septembre 2013 faisant mention de l'engagement d'une procédure disciplinaire du second degré à l'encontre du salarié et sollicitant des observations éventuelles de leur part avant le 2 octobre 2013, date de l'entretien préalable, la cour d'appel a exactement décidé que l'employeur avait satisfait aux obligations mises à sa charge par l'article 4.2 de l'annexe II du règlement intérieur ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :
Attendu que le salarié fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors, selon le moyen :
1°/ que la lettre de licenciement fixe les termes du litige ; que la lettre de licenciement reprochait seulement au salarié des faits constituant « un manquement grave à vos obligations professionnelles en terme de comportement et d'attitudes générales et port[ant] atteinte à l'image de la Compagnie et du métier de PNC auprès du client lésé et de l'hôtelier » ; qu'en jugeant le licenciement fondé, motif pris que les faits reprochés « se rattachent à la vie professionnelle du salarié », ce qui n'était pas reproché au salarié dans la lettre de licenciement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige fixés par la lettre de licenciement et a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;
2°/ en tout état de cause, qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il se rattache à la vie professionnelle du salarié ou constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; qu'en retenant que les faits reprochés avaient été commis dans un hôtel situé à Istanbul, partenaire commercial de la société Air France, qui y avait réservé à ses frais des chambres pour les membres de l'équipe navigante dans laquelle le salarié était affecté, lors d'une escale avant de reprendre leurs fonctions, que l'hôtel avait signalé les faits à Air France et identifié leur auteur comme étant un salarié de cette société, circonstances qui étaient inopérantes pour décider que les faits, commis en dehors du temps et du lieu de travail, se rattachaient à la vie professionnelle du salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil, L. 1235-3, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1331-1 du code du travail ;
3°/ et en tout état de cause, qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il se rattache à la vie professionnelle du salarié ou constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; qu'en ayant retenu que le contrat de travail imposait au salarié une obligation de loyauté à l'égard de l'employeur et que le règlement intérieur prévoyait dans la rubrique « attitude générale » une obligation de discipline, de conscience professionnelle, de bonne tenue et de discrétion, circonstances inopérantes pour caractériser en quoi le salarié, E... membre du personnel commercial naviguant, était tenu d'une obligation particulière de loyauté et avait manqué à celle-ci en prenant le portefeuille d'un client de l'hôtel oublié au comptoir de celui-ci, fait commis en dehors du temps et du lieu d'exécution du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil L. 1235-3, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1331-1 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel a relevé que les faits de vol visés dans la lettre de licenciement, dont le salarié ne contestait pas la matérialité, avaient été commis pendant le temps d'une escale dans un hôtel partenaire commercial de la société Air France, qui y avait réservé à ses frais les chambres, que c'est à la société Air France que l'hôtel avait signalé le vol et que la victime n'avait pas porté plainte en raison de l'intervention de la société, de sorte que les faits reprochés se rattachaient à la vie professionnelle du salarié ; que la cour d'appel a, sans méconnaître les termes du litige, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. N... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. N....
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. N... de ses demandes et d'avoir décidé que son licenciement reposait sur une faute grave ;
Aux motifs que lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement, que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible la poursuite de l'exécution du contrat de travail entre les parties et rend nécessaire le départ immédiat du salarié de l'entreprise sans indemnités ; que l'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve alors même que l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables ; que la lettre de licenciement est ainsi rédigée : « Le 28 août 2013, la Division est informée par le chef d'escale d'Istanbul d'un événement mettant en cause un PNC d'Air France. En effet la Direction de l'hôtel Pôlat Renaissance, où sont hébergés les équipages, nous signale l'implication d'un PNC dans la disparition du portefeuille d'un client de l'hôtel. Vous avez été identifié sur les images de la vidéo de l'hôtel. Le 12 septembre 2013 lors de la consultation de votre dossier de sanction, vous avez reconnu avoir pris le portefeuille du client. Ces faits constituent un manquement grave à vos obligations professionnelles en terme de comportement et d'attitudes générales et portent atteinte à l'image de la Compagnie et du métier de PNC auprès du client lésé et de l'hôtelier » ; qu'en premier lieu, l'appelant fait valoir que l'employeur ne justifierait pas de la régularité de la procédure conventionnelle sur l'exacte et réelle information et consultation des délégués du personnel du collège auquel il appartient ; que le règlement intérieur de la société Air France organise une procédure disciplinaire propre aux personnels navigants, prévoyant, sauf opposition du salarié, la tenue d'un entretien préalable précédé d'une information écrite des délégués du personnel titulaires de l'établissement et du collège auquel appartient le salarié, et la possibilité pour ceux-ci de faire part d'observations écrites avant l'entretien préalable, ainsi que la consultation d'un conseil de discipline, organe paritaire, chargé d'examiner les propositions de sanctions du second degré à l'encontre des salariés présentant une ancienneté de plus de six mois ; que la société Air France produit une note datée du 20 septembre 2013 intitulée « information relative à la procédure disciplinaire du second degré engagées à l'encontre de Monsieur R... N... » sollicitant des observations éventuelles avant le 2 octobre 2013, qu'elle indique avoir affichée dans les locaux de l'entreprise, remise aux délégués du personnel de l'entreprise dans leurs casiers et adressée par télécopie avec accusé de réception aux organisations syndicales dont relevait chaque délégué du personnel ; qu'elle produit les accusés de réception des envois par télécopie datés des 23 septembre 2013 et justifie ainsi suffisamment avoir respecté les dispositions mises à sa charge par le règlement intérieur quant à l'information écrite des délégués du personnel préalablement à l'entretien préalable ; qu'en outre, l'employeur justifie avoir régulièrement respecté l'ensemble de la procédure conventionnelle prévue ; que par ailleurs, l'appelant fait valoir que le fait unique qui lui est reproché n'aurait pas été commis dans le cadre professionnel mais ressortirait de sa vie personnelle et que le motif visé par la lettre de licenciement serait imprécis ; que toutefois, il n'est pas contesté que les faits, dont l'appelant ne conteste pas la matérialité, ont été commis dans un hôtel d'Istanbul, partenaire commercial de la société Air France, qui y avait réservé à ses frais des chambres pour le salarié et ses collègues, membres de l'équipe navigante d'Air France dans laquelle il était affecté, pendant le temps d'une escale avant de reprendre leurs fonctions ; qu'en outre, la direction de l'hôtel a signalé directement les faits à la société Air France et a ainsi clairement identifié l'auteur des faits comme un salarié de cette société ; que ces circonstances suffisent à retenir que ces faits se rattachent à la vie professionnelle du salarié ; qu'alors que le contrat de travail impose au salarié une obligation de loyauté à l'égard de l'employeur et le règlement intérieur de la société dans la rubrique « attitude générale » prévoit une obligation de discipline, de conscience professionnelle, de bonne tenue et de discrétion, la lettre de licenciement en reprochant au salarié « un manquement grave à vos obligations professionnelles en terme de comportement et d'attitudes générales » ainsi que d'avoir porté « atteinte à l'image de la Compagnie et du métier de PNC auprès du client lésé et de l'hôtelier » a précisément et suffisamment énoncé les manquements aux obligations contractuelles découlant de l'exécution du contrat de travail reprochés au salarié ; qu'enfin, l'appelant soutient que la sanction serait disproportionnée aux faits commis compte tenu de son ancienneté, du remboursement des 1 800 dollars se trouvant dans le portefeuille du client et de l'absence de publicité donnée aux faits ; que cependant, l'examen des correspondances entre l'hôtel et les correspondants d'Air France à Istanbul démontrent que si les faits, susceptibles de recevoir une qualification pénale, n'ont pas fait l'objet d'une procédure pénale, c'est en raison de l'intervention de la société Air France, le client ayant en effet conditionné le non-dépôt d'une plainte à une réaction rapide de la société Air France ; qu'en outre le salarié n'a pas spontanément reconnu les faits commis le 23 août 2013 ; ce n'est en effet qu'après avoir consulté son dossier disciplinaire le 12 septembre 2013 qu'il a admis, après avoir contesté les faits dans un premier temps, avoir dérobé le portefeuille qu'un client se trouvant devant lui, avait oublié sur le comptoir de l'hôtel, s'être emparé des billets se trouvant à l'intérieur puis avoir jeté le portefeuille, retrouvé ultérieurement dans des toilettes ; que le salarié n'a pas non plus spontanément et immédiatement procédé au virement bancaire de la somme volée dans le portefeuille, puisque l'ordre de ce virement en faveur du client victime du vol n'a été signé de sa part que le 8 octobre 2013 ; que dès lors, la mesure de licenciement pour faute grave n'apparaît pas disproportionnée au regard de la gravité des faits commis par le salarié ; qu'il résulte de tout ce qui précède que le licenciement pour faute est fondé et que les demandes de l'appelant seront rejetées ;
Alors 1°) que constitue une garantie de fond l'exigence conventionnelle selon laquelle l'entretien préalable à une éventuelle sanction doit être précédé « d'une information écrite des délégués du personnel titulaires de l'établissement et du collège auquel appartient le salarié en cause », les délégués devant faire « part de leurs éventuelles observations par écrit avant l'entretien préalable » ; que cette exigence implique d'informer par écrit les délégués du personnel des faits reprochés au salarié, avant sa convocation à un entretien préalable en vue de son licenciement éventuel ; que la méconnaissance de cette exigence prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en retenant que la société Air France avait respecté la procédure conventionnelle en rédigeant une note du 20 septembre 2013 intitulée « information relative à la procédure disciplinaire du second degré envisagée à l'encontre de Monsieur R... N... » remise aux délégués du personnel, qui ne comportait aucune indication des faits reprochés au salarié pourtant indispensable pour que les délégués du personnel puissent utilement présenter leurs observations, la cour d'appel a violé les articles 4.2 du règlement intérieur de la société Air France, L. 1232-3, L. 1235-3 et 1333-2 du code du travail ;
Alors 2°) que la lettre de licenciement fixe les termes du litige ; que la lettre de licenciement reprochait seulement au salarié des faits constituant « un manquement grave à vos obligations professionnelles en terme de comportement et d'attitudes générales et port[ant] atteinte à l'image de la Compagnie et du métier de PNC auprès du client lésé et de l'hôtelier » ; qu'en jugeant le licenciement fondé, motif pris que les faits reprochés « se rattachent à la vie professionnelle du salarié » (p. 3 dernier §), ce qui n'était pas reproché au salarié dans la lettre de licenciement, la cour d'appel a méconnu les termes du litige fixés par la lettre de licenciement et a violé l'article L. 1232-6 du code du travail ;
Alors 3°) et en tout état de cause, qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il se rattache à la vie professionnelle du salarié ou constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; qu'en retenant que les faits reprochés avaient été commis dans un hôtel situé à Istanbul, partenaire commercial de la société Air France, qui y avait réservé à ses frais des chambres pour les membres de l'équipe navigante dans laquelle M. N... était affecté, lors d'une escale avant de reprendre leurs fonctions, que l'hôtel avait signalé les faits à Air France et identifié leur auteur comme étant un salarié de cette société, circonstances qui étaient inopérantes pour décider que les faits, commis en dehors du temps et du lieu de travail, se rattachaient à la vie professionnelle de M. N..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil, L. 1235-3, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1331-1 du code du travail ;
Alors 4°) et en tout état de cause, qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s'il se rattache à la vie professionnelle du salarié ou constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ; qu'en ayant retenu que le contrat de travail imposait au salarié une obligation de loyauté à l'égard de l'employeur et que le règlement intérieur prévoyait dans la rubrique « attitude générale » une obligation de discipline, de conscience professionnelle, de bonne tenue et de discrétion, circonstances inopérantes pour caractériser en quoi M. N..., E... membre du personnel commercial naviguant, était tenu d'une obligation particulière de loyauté et avait manqué à celle-ci en prenant le portefeuille d'un client de l'hôtel oublié au comptoir de celui-ci, fait commis en dehors du temps et du lieu d'exécution du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil L. 1235-3, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1331-1 du code du travail.
Alors 5°) que ne commet pas une faute grave un salarié qui, en l'absence de tout antécédent disciplinaire pendant 14 années au service de l'entreprise, prend un portefeuille oublié au comptoir d'un hôtel, en dehors du temps et du lieu d'exécution du travail ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail ;
Alors 6°) qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si les circonstances que l'acte reproché au salarié avait été commis alors qu'il reprenait le travail après un congé maladie de plusieurs semaines, qu'il présentait un état de santé altéré en raison du virus de la Dengue, attesté par son médecin traitant décrivant un « terrible effondrement psychique » et un « acte d'autodestruction et de mise en danger typique des syndromes dépressifs sévères », que des membres du conseil de discipline avaient relevé « une carrière sans problème et subitement un pétage de plomb » et qu'il s'agissait d'une personne « très fragile » (conclusions d'appel p. 22 et s.), ne s'opposaient pas à la reconnaissance d'une faute grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail. | L'article 4.2 de l'annexe II du règlement intérieur de la société Air France, relative aux dispositions propres au personnel navigant commercial, n'impose pas que l'information écrite adressée aux délégués du personnel avant la tenue de l'entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire expose les faits motivant la sanction envisagée |
492 | SOC.
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 630 FS-P+B
Pourvoi n° D 18-25.352
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
Mme Q... P..., domiciliée [...], a formé le pourvoi n° D 18-25.352 contre l'arrêt rendu le 3 octobre 2018 par la cour d'appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. F... R..., domicilié [...], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Les Comptoirs du biscuit, sise [...],
2°/ à l'AGS CGEA Ile-de-France Ouest, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Depelley, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme P..., de la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de M. R..., ès qualités, et l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Depelley, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, conseiller, Mme Depelley, Mme Duvallet, ayant voix délibérative, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-7 et L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 3 octobre 2018), Mme P... a été engagée le 1er juillet 1976, en qualité d'ouvrière qualifiée, par la société Gringoire, devenue la société Les Comptoirs du biscuit qui par jugement du 4 juillet 2013 a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, M. R... ayant été désigné en qualité de liquidateur judiciaire. Un document unilatéral fixant le contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi a été transmis à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi le 19 juillet 2013. L'absence de réponse de l'autorité administrative dans le délai de l'article L. 1233-58, II, du code du travail a produit les effets d‘une homologation implicite. Par lettre du 25 juillet 2013, Mme P... a été licenciée dans le cadre de la procédure de licenciement économique collectif.
2. Le 13 juin 2014, d'autres salariés ont saisi la juridiction administrative aux fins d'annulation de la décision implicite d'homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi. Par ordonnance du 12 août 2014, le tribunal administratif a rejeté leurs requêtes. Par arrêt du 10 novembre 2014, la cour administrative d'appel a annulé l'ordonnance ainsi que la décision implicite d'homologation.
3. Les 14 juin et 21 juillet 2016, Mme P... a saisi la juridiction prud'homale, pour solliciter à titre principal l'indemnisation d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail et à titre subsidiaire l'indemnisation prévue par l'article L. 1233-58, II, du même code, en se prévalant, pour l'ensemble de ces demandes, de la décision d'annulation de la cour administrative d'appel du 10 novembre 2014, cette date fixant selon elle le point de départ de la prescription de son action.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause le CGEA d'Ile-de-France Ouest, de déclarer irrecevables ses demandes comme étant prescrites, alors :
« 1°/ que le délai de douze mois prévu par le second alinéa de l'article L. 1235-7 du code du travail n'est applicable qu'aux actions mettant en cause la régularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ou aux contestations susceptibles d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan ; que, pour déclarer, en l'espèce, irrecevables les demandes de la salariée fondée sur l'application de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, la cour d'appel a rappelé l'énoncé de l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi du 14 juin 2013 et applicable au litige et considéré que c'est au 25 juillet 2013 qu'a débuté le délai de prescription de cette disposition, la salariée ayant agi alors que la prescription était acquise ; qu'en statuant ainsi, alors que la demande fondée sur l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail ne met en cause ni la régularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ni sa validité en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan, la cour d'appel, à qui il revenait de faire application, comme elle y était invitée, non pas de l'article L. 1235-7 mais de l'article L. 1471-1 du même code, dans leur version alors en vigueur, a violé les dispositions de ces texte ainsi que celles de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail ;
2°/ que, selon l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que, selon l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en cas d'annulation d'une décision ayant procédé à la validation ou à l'homologation, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu'il ressort de la combinaison de ces deux textes que c'est à la date où l'annulation par le juge administratif de la décision d'homologation est devenue définitive que les salariés ont connaissance du fait leur permettant d'exercer leur action tendant à l'octroi de l'indemnité de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail et qu'ainsi le délai de prescription de cette action ne court qu'à compter de cette date ; que, pour déclarer, en l'espèce, irrecevables les demandes de la salariée fondée sur l'application de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, la cour d'appel a considéré que, sur le fondement de l'article L. 1471-1 du code du travail ou de l'article L. 1235-7 du code du travail, dans leur version alors en vigueur, le point de départ du délai de prescription de l'action tendant à l'octroi de l'indemnité de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, précité a couru dès le 25 juillet 2013, date de notification à la salariée de la rupture de son contrat de travail, et qu'au jour où la salariée a saisi la juridiction prud'homale, soit le 14 juin 2016, son action était prescrite ; qu'en statuant ainsi, alors que l'annulation de la décision implicite d'homologation du document unilatéral de l'employeur était devenue définitive avec l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 10 novembre 2014, date à partir de laquelle le délai de prescription biennal, applicable à cette demande, avait couru, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1233-58, II, alinéa 5, et L. 1471-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
5. Le délai de prescription de douze mois prévu par l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et applicable du 1er juillet 2013 au 24 septembre 2017, concerne les contestations, de la compétence du juge judiciaire, fondées sur une irrégularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ou sur la nullité de la procédure de licenciement en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan, telle la demande d'indemnisation prévue à l'article L. 1233-58 II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Ce délai de prescription court à compter de la notification du licenciement.
6. La cour d'appel, qui a constaté que la salariée avait saisi la juridiction prud'homale plus d'un an après la notification de son licenciement, en a déduit à bon droit que sa demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de l'article L. 1233-58, II, du code du travail était irrecevable comme prescrite.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme P... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme P...
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR mis hors de cause le CGEA d'Ile-de-France Ouest, d'AVOIR déclaré irrecevables les demandes de Mme P... comme étant prescrites, de l'AVOIR déboutée de sa demande fondée sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et d'AVOIR laissé les dépens à sa charge
AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE, aux termes du jugement entrepris,
« Sur la recevabilité de la demande
Le Conseil, en premier lieu, fait observer qu'en l'espèce la question de la prescription ou non de la présente instance, aussi bien la prescription annuelle définie par l'article L. 1235-7 du code du travail que la prescription biennale définie par l'article L. 1471-1 du code du travail ont été largement débattues à la barre par les parties.
Le Conseil constate en conséquence que le contradictoire est parfaitement respecté et qu'il n'est donc pas nécessaire de ré-ouvrir les débats sur ce sujet.
* Sur la prescription annuelle (article L. 1235-7)
L'article L. 1235-7 du code du travail applicable depuis le 1er juillet 2013 (car modifié par la Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 - art 18, loi sur la sécurisation de l'emploi) indique explicitement que "toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cadre de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans la lettre de licenciement".
Madame Q... P... a été licenciée par une lettre recommandée avec accusé de réception en date du 25 juillet 2013.
Le Conseil constate que la date à partir de laquelle elle a contesté la régularité et la validité de son licenciement est la date de saisine du Conseil de Prud'hommes, soit le 12 juin 2016. Ce délai est donc de l'ordre de 1053 jours, qui est largement supérieur à 365 jours.
La demanderesse verse aux débats un arrêt de la Cour d'Appel de POITIERS daté du 8 juin 2016 concernant un salarié de la même entreprise et qui précise qu'en application d'une jurisprudence de la Cour de cassation en date du 15 juin 2010, dans un cas similaire au cas d'espèce, l'article L. 1235-7 du code du travail ne pourrait pas être appliqué au cas d'espèce.
Le Conseil ne comprend pas très bien comment un article du code du travail issu directement de la loi du 14 juin 2013 et applicable au 1er juillet 2013 peut être remis en cause par une jurisprudence du 15 juin 2010, soit antérieure de 3 ans environ.
Donc, le Conseil, à la lecture de l'arrêt du 8 juin 2016 de la Cour d'Appel de POITIERS, ne peut que constater que l'argument de l'application de l'article L. 1235-7 du code du travail opposé par le défendeur, ne peut être retenu.
* Sur la prescription biennale (article L. 1471-1)
L'article L. 1471-1 du code du travail, créé par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et en vigueur depuis le 17 juin 2013, donc applicable en l'espèce, dit en son premier alinéa que : "toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exercice a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit
".
La demanderesse expose au Conseil qu'elle a eu des problèmes de santé l'empêchant de marcher et de se déplacer et que cela représentait pour elle un cas de force majeure qui l'a empêché d'agir aussitôt en justice. Elle se réfère donc à l'article 2234 du code civil.
Cet article 2234 du code civil précise que : "la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure".
Pour confirmer ses dires, elle verse aux débats un certificat du Docteur G..., indiquant que Madame Q... P... a présenté des troubles de la marche à compter du 20/02/15 jusqu'à la consultation du Docteur E.... Ce certificat présente en deux endroits des surcharges sur les dates indiquées, qui seraient 2015 surchargeant une date initiale de 2016. De plus, en début de texte, il indique la date du 9/3/16 et se termine avec la date du 23/12/15 (surchargée sur un 16).
La demanderesse verse également un courrier du Docteur B... du [...], daté du 26 juin 2015 et adressé au Docteur G.... Ce courrier confirme qu'il (ou elle) "a vu en consultation le 22 juin 2015
; Madame P... Q... qui vient me voir pour des troubles de la marche
".
La demanderesse a été licenciée par lettre datée du 25 juillet 2013. Compte tenu du délai de péremption de 2 ans stipulé par l'article L. 1471-1 du code du travail, elle aurait dû agir avant le 26 juillet 2015.
Elle a saisi le Conseil de Prud'hommes le 14 juin 2016, soit à une date très postérieure à la date de péremption. Elle soutient avoir été dans l'impossibilité physique d'agir et précise que, selon l'article 2234 du code civil, la prescription doit être suspendue.
Le Conseil constate qu'au moins jusqu'au 22 juin 2015, elle avait une certaine motricité puisqu'elle a pu consulter un médecin à cette date, qui était très légèrement antérieure à la date de péremption (35 jours).
Selon la décision d'Aide Juridictionnelle versée aux débats, il est démontré que le 28 octobre 2015, date de la demande d'aide juridictionnelle, elle était en mesure de faire des démarches.
Aucun des documents qu'elle verse aux débats ne démontre explicitement qu'elle ne pouvait absolument pas marcher, ni se déplacer
ni même téléphoner à un délégué syndical ou un avocat dans la période allant du 22 juin au 26 juillet 2015, sachant que le 28 octobre 2015 (soit 3 mois plus tard) elle était capable d'effectuer des démarches pour assurer sa défense.
Par ailleurs, le Conseil, constatant que la demanderesse a saisi ultérieurement le Conseil de Prud'hommes par l'intermédiaire d'un avocat, qui par ailleurs est le même que celui de plusieurs de ses collègues salariés de la Société LES COMPTOIRS DU BISCUIT, considère qu'elle aurait pu se faire aider par un moins un de ses anciens collègues, qui était dans le même cas qu'elle, pour saisir en même temps qu'eux le Conseil en temps voulu.
Donc, le Conseil considère que l'argumentation de Madame Q... P..., pour expliquer le bien-fondé de la recevabilité de sa requête, n'est absolument pas recevable et qu'en conséquence sa demande, en application de l'article L. 1471-1 du code du travail, est prescrite.
Comme elle ne forme qu'une demande d'indemnité liée à l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, sa demande est donc irrecevable.
En conséquence, elle sera donc déboutée de la totalité de sa demande. » ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, aux termes de l'arrêt attaqué,
« Sur la prescription :
Mme P... a saisi le conseil de prud'hommes de Saintes, pour solliciter à titre principal l'indemnisation d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en se fondant sur l'article L. 1235-3 du code du travail et à titre subsidiaire l'indemnisation prévue par l'article L. 1233-58 II du code du travail, en se prévalant, pour l'ensemble de ses demandes, de l'annulation, par arrêt de la cour d'appel administrative de Bordeaux du 10 novembre 2014, du plan de sauvegarde de l'emploi homologué implicitement et de l'absence de recherches de reclassement en résultant, cette date fixant selon elle le point de départ de la prescription de l'action.
Les premiers juges ont retenu que son action était prescrite en application de l'article L. 1471-1 du code du travail.
Mme P... forme à titre principal une demande d'indemnisation pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse fondée sur l'article L. 1235-3 du code du travail au motif d'une absence de recherche de reclassement résultant des circonstances précitées.
Les premiers juges ont exactement rappelé l'énoncé de l'article L. 1471-1 du code du travail, régime de prescription applicable à la contestation de la rupture du contrat de travail, la cour se référant à la décision déférée et soulignant que le point de départ des deux ans est fixé au jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir.
Or, dès le 25 juillet 2013, date de la notification du licenciement, Mme P... pouvait se convaincre de l'absence de recherches de reclassement, consécutive à l'homologation implicite du plan de sauvegarde de l'emploi, le caractère implicite de l'homologation ouvrant une discussion susceptible d'aboutir à son annulation, celle-ci privant d'effet le plan de sauvegarde de l'emploi ainsi homologué, contexte ne légitimant plus l'absence de recherches de reclassement et rendant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Cette date du 25 juillet 2013 fixe ainsi le point de départ de la prescription.
En outre dès le 13 juin 2014 plusieurs salariés ont saisi le tribunal administratif de Poitiers pour faire annuler la décision implicite d'homologation, la procédure suivie devant la cour administrative d'appel de Bordeaux n'empêchant pas Mme P... de saisir à titre même conservatoire le conseil de prud'hommes sur le fondement de l'article L. 1233-4 et L. 1235-3 du code du travail pour obtenir indemnisation du préjudice subi et subsidiairement sur le fondement de l'article L. 1233-58 du même code. Cette action alors que la prescription n'était pas acquise lui aurait permis de préserver ses droits.
C'est donc à tort que Mme P... soutient que seul l'arrêt du 10 novembre 2014 rendait bien fondée sa demande au titre de l'article L. 1235-3 du code du travail et qu'elle ne pouvait agir avant cette date qui doit selon elle fixer le point de départ de la prescription.
Par ailleurs les pièces versées aux débats sont insuffisantes pour retenir que l'état de santé de Mme P... l'a empêchée d'agir, la cour adoptant sur ce point les motifs des premiers juges, l'appelante ne pouvant donc se prévaloir d'une suspension de la prescription pour force majeure telle que prévue par l'article 2234 du code civil.
Enfin c'est seulement le 28 octobre 2015 que Mme P... a déposé une demande d'aide juridictionnelle, qui ne pouvait plus interrompre la prescription, celle-ci étant déjà acquise depuis le 26 juillet 2015.
Les premiers juges ont exactement rappelé, la cour se référant expressément à la décision déférée, l'énoncé de l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi du 14 juin 2013 et applicable au litige, la cour soulignant seulement que le point de départ de la prescription de 12 mois pour contester la régularité ou la validité d'un licenciement est expressément fixé par la loi au jour de la dernière réunion du comité d'entreprise ou de la notification du licenciement au salarié s'il agit individuellement.
En l'espèce Mme P... se prévaut subsidiairement de l'annulation de l'homologation implicite du plan de sauvegarde de l'emploi résultant de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en date du 10 novembre 2014. Elle rappelle exactement que les hypothèses visées par l'article L. 1233-58 II du code du travail et donc l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi valable ne rendent pas le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais ouvrent droit à une indemnisation du salarié qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.
Elle en déduit que sa demande ne relève pas de la prescription énoncée par l'article L. 1235-7 du code du travail puisqu'elle ne tend pas à la nullité de la procédure de licenciement collectif en raison de l'absence du plan de sauvegarde de l'emploi. Pour autant Mme P... ne précise pas la prescription applicable.
Or, à suivre cette argumentation de Mme P... sur sa demande fondée sur l'article L. 1233-58 II du code du travail, la seule prescription applicable reste celle prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail. La cour a déjà retenu et se réfère aux motifs déjà exposés qu'elle reprend, que dès le 25 juillet 2013 Mme P... pouvait se convaincre de son droit à agir et donc saisir, même à titre conservatoire le conseil de prud'hommes, sa demande étant donc prescrite, le délai de prescription n'étant ni suspendu, ni interrompu.
Subsidiairement Mme P... considère que le point de départ de la prescription prévue par l'article L. 1235-7 du code du travail doit être fixée au 10 novembre 2014, date de l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Bordeaux et ayant annulé la décision d'homologation implicite du plan de sauvegarde de l'emploi.
Or Mme P... ne peut ajouter au texte légal et substituer un point de départ de prescription expressément désigné par la loi par un autre.
Mme P... se prévaut de précédentes décisions rendues par la cour d'appel de Poitiers le 8 juin 2016 et concernant d'autres salariés, mais omet que ceux-ci avaient agi dans le délai de prescription et que l'un d'entre eux contestait seulement son licenciement pour absence de recherches de reclassement, son action ne relevant pas de l'article L. 1235-7 du code du travail et n'étant pas non plus prescrite en application de l'article L. 1471-1 du code du travail.
En conséquence c'est au 25 juillet 2013 que débute le délai de prescription prévu par l'article L. 1235-7 du code du travail, Mme P... ayant agi alors que la prescription était acquise.
En conséquence la cour confirme la décision déférée en ce qu'elle a dit les demandes de Mme P... irrecevables car prescrites.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Nonobstant l'issue de l'appel, l'équité et les circonstances économiques commandent de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme P... qui succombe est condamnée aux entiers dépens. » ;
ALORS, en premier lieu, QUE le délai de douze mois prévu par le second alinéa de l'article L. 1235-7 du code du travail n'est applicable qu'aux actions mettant en cause la régularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ou aux contestations susceptibles d'entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan ; que, pour déclarer, en l'espèce, irrecevables les demandes de la salariée fondée sur l'application de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, la cour d'appel a rappelé l'énoncé de l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi du 14 juin 2013 et applicable au litige et considéré que c'est au 25 juillet 2013 qu'a débuté le délai de prescription de cette disposition, la salariée ayant agi alors que la prescription était acquise ; qu'en statuant ainsi, alors que la demande fondée sur l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail ne met en cause ni la régularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ni sa validité en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan, la cour d'appel, à qui il revenait de faire application, comme elle y était invitée, non pas de l'article L. 1235-7 mais de l'article L. 1471-1 du même code, dans leur version alors en vigueur, a violé les dispositions de ces texte ainsi que celles de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail ;
ALORS, en second lieu, QUE, selon l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que, selon l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en cas d'annulation d'une décision ayant procédé à la validation ou à l'homologation, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu'il ressort de la combinaison de ces deux textes que c'est à la date où l'annulation par le juge administratif de la décision d'homologation est devenue définitive que les salariés ont connaissance du fait leur permettant d'exercer leur action tendant à l'octroi de l'indemnité de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail et qu'ainsi le délai de prescription de cette action ne court qu'à compter de cette date ; que, pour déclarer, en l'espèce, irrecevables les demandes de la salariée fondée sur l'application de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, la cour d'appel a considéré que, sur le fondement de l'article L. 1471-1 du code du travail ou de l'article L. 1235-7 du code du travail, dans leur version alors en vigueur, le point de départ du délai de prescription de l'action tendant à l'octroi de l'indemnité de l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, précité a couru dès le 25 juillet 2013, date de notification à la salariée de la rupture de son contrat de travail, et qu'au jour où la salariée a saisi la juridiction prud'homale, soit le 14 juin 2016, son action était prescrite ; qu'en statuant ainsi, alors que l'annulation de la décision implicite d'homologation du document unilatéral de l'employeur était devenue définitive avec l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 10 novembre 2014, date à partir de laquelle le délai de prescription biennal, applicable à cette demande, avait couru, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1233-58, II, alinéa 5, et L. 1471-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige. | Le délai de prescription de douze mois prévu par l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et applicable du 1er juillet 2013 au 24 septembre 2017, concerne les contestations, de la compétence du juge judiciaire, fondées sur une irrégularité de la procédure relative au plan de sauvegarde de l'emploi ou sur la nullité de la procédure de licenciement en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un tel plan, telle la demande d'indemnisation prévue à l'article L. 1233-58, II, alinéa 5, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013. Ce délai de prescription court à compter de la notification du licenciement |
493 | SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Irrecevabilité
M. CATHALA, président
Arrêt n° 631 FS-P+B
Pourvoi n° Y 18-25.370
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
1°/ M. S... P...,
2°/ Mme C... L...,
domiciliés tous deux [...]
ont formé le pourvoi n° Y 18-25.370 contre le jugement rendu le 4 octobre 2018 par le conseil de prud'hommes de Bourgoin-Jallieu (section activités diverses), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme U... J..., domiciliée [...],
2°/ à Pôle emploi de Bourgoin Jallieu, dont le siège est [...],
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Depelley, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. P... et de Mme L..., de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme J..., et l'avis de M. Weissmann, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 3 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Depelley, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, conseiller, Mme Duvallet, conseiller référendaire, ayant voix délibérative, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 431-7 et L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Recevabilité du pourvoi examinée d'office
Vu les articles 40 et 605 du code de procédure civile :
1. Après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des textes susvisés.
2. Selon le premier de ces textes, le jugement qui statue sur une demande indéterminée est, sauf disposition contraire, susceptible d'appel. Selon le second, le pourvoi en cassation n'est ouvert qu'à l'encontre des jugements rendus en dernier ressort.
3. M. P... et Mme L... se sont pourvus en cassation contre un jugement statuant sur des demandes dont l'une, qui tendait à voir constater que le licenciement était abusif, présentait un caractère indéterminé.
4. En conséquence, le pourvoi formé contre ce jugement susceptible d'appel et exactement qualifié en premier ressort, est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi ;
Condamne M. P... et Mme L... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, déboute M. P... et Mme L... de leur demande et les condamne à payer à Mme J... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt. | Une demande tendant à voir constater qu'un licenciement est abusif présente un caractère indéterminé |
494 | SOC.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 juillet 2020
Rejet
M. CATHALA, président
Arrêt n° 645 FS-P+B
Pourvois n°
P 17-31.291
Q 18-16.254 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JUILLET 2020
M. E... A..., domicilié [...], a formé les pourvois n° P 17-31.291 et Q 18-16.254 contre deux arrêts rendus les 18 septembre 2017 et 5 février 2018 par la cour d'appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans les litiges l'opposant à la société Socotec Antilles Guyane, société par actions simplifiée, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation.
La société Socotec Antilles Guyane, défenderesse au pourvoi n° Q 18-16.254, a formé un pourvoi incident contre l'arrêt du 5 février 2018.
Le demandeur au pourvoi n° P 17-31.291 invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal n° Q 18-16.254 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident n° Q 18-16.254 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. A..., de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Socotec Antilles Guyane, et l'avis de Mme Berriat, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juin 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Berriat, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Vu leur connexité, joint les pourvois n° 17-31.291 et 18-16.254 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Basse-Terre, 18 septembre 2017 et 5 février 2018), que M. A..., né le [...], salarié de la société Socotec Antilles Guyane (la société) depuis 1995, a exercé divers mandats représentatifs à compter de 1999 ; que la société a demandé l'autorisation de le licencier pour motif économique, autorisation refusée par l'inspecteur du travail le 2 février 2011 ; que le 23 septembre 2011, le ministre du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail et fait droit à la demande d'autorisation de licenciement ; que la société a licencié le salarié le 13 octobre 2011 ; que le salarié a fait liquider ses droits à la retraite le 1er février 2012 ; que, le 9 janvier 2014, le tribunal administratif a annulé la décision d'autorisation du ministre du travail ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de réintégration, ainsi que de demandes en paiement de diverses sommes ; que la cour d'appel a, par arrêt du 18 septembre 2017, dit n'y avoir lieu à réintégration du salarié, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et sursis à statuer sur la demande d'indemnisation à ce titre, et, par arrêt du 5 février 2018, condamné l'employeur à verser une certaine somme à ce titre ;
Sur les premier et second moyens du pourvoi du salarié n° 17-31.291, le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur n° 18-16.254, et les première et deuxième branches du moyen unique du pourvoi principal du salarié n° 18-16.254 :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi principal du salarié n° 18-16.254 :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt du 5 février 2018 de le débouter de sa demande de voir juger nul son licenciement en raison de la violation d'une liberté fondamentale et de sa demande de condamnation de la société à lui payer une certaine somme à titre d'indemnités de salaire pour la période du 14 janvier 2012 au 22 mars 2014 alors, selon le moyen qu'en toute hypothèse le départ à la retraite pendant la période d'indemnisation du préjudice subi par le salarié dont l'autorisation de licenciement a été annulée ne fait pas cesser ce préjudice dont la totalité doit être réparée pendant la période déterminée par l'article L. 2422-4 du code du travail, soit entre son licenciement et le délai de deux mois à compter de la notification de la décision d'annulation de l'autorisation administrative de licenciement ; qu'en privant M. A... de sa demande d'indemnisation pour la période 14 janvier 2012 au 22 mars 2014 au motif inopérant qu'il ne peut prétendre cumuler sa pension de retraite avec des salaires qui auraient couru depuis cette date jusqu'au 14 mars 2014 correspondant à l'expiration du délai de deux mois suivant la notification de la décision du tribunal administratif annulant la décision ministérielle du 23 septembre 2011 accordant l'autorisation de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 2422-4 du code du travail ;
Mais attendu que le salarié licencié en vertu d'une autorisation administrative ultérieurement annulée, qui fait valoir ses droits à la retraite, ne peut demander sa réintégration dans l'entreprise, mais peut prétendre, en application de l'article L. 2422-4 du code du travail, à une indemnité égale aux rémunérations qu'il aurait dû percevoir de son éviction jusqu'à l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision d'annulation, sous déduction des pensions de retraite perçues pendant la même période, sauf s'il atteint, avant cette date, l'âge légal de mise à la retraite d'office ;
Et attendu que la cour d'appel, ayant constaté que le salarié avait fait liquider ses droits à la retraite à la suite de son départ de l'entreprise, et qu'il avait atteint le 16 janvier 2014 l'âge de 70 ans, a fixé à bon droit l'indemnité due au titre de l'article L. 2422-4 du code du travail à une somme égale aux rémunérations qu'il aurait dû percevoir de son éviction jusqu'à cette date ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois tant principaux qu'incident ;
Laisse à chaque partie la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juillet deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi n° P 17-31.291 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. A....
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a dit que la réintégration de M. A... au sein de la société Socotec Antilles Guyane n'était pas possible, ET D'AVOIR débouté M. A... de sa demande de réintégration et de sa demande subséquente de réparation du préjudice subi pour la période du 14 janvier 2012 au 15 mars 2016 ou à titre subsidiaire, pour la période du 14 janvier 2012 au 22 mars 2014,
AUX MOTIFS QUE, sur la demande de réintégration, M. A... a demandé la liquidation de ses droits à la retraite le 1er février 2012 ; s'il est possible pour un salarié ayant demandé la liquidation de ses droits à retraite, de cumuler un emploi salarié, encore faut-il que tout lien professionnel avec son employeur ait été rompu ; il en résulte que la réintégration de M. A... dans son emploi, alors qu'il a demandé la liquidation à de ses droits à la retraite, est impossible ; dès lors M. A..., qui ne pouvait valablement demander sa réintégration puisque ne remplissant pas les conditions requises pour cumuler sa pension de retraite avec la poursuite de son emploi au sein de la société Socotec Antilles Guyane, ne peut prétendre à l'indemnité prévue par l'article L. 2422-4 du code du travail ;
1°- ALORS QUE, sauf impossibilité matérielle de nature à y faire obstacle, la réintégration du salarié protégé dont l'autorisation de licenciement a été annulée est de droit lorsqu'il en a fait la demande dans le délai légal de deux mois à compter de la notification de la décision d'annulation ; que ne caractérise pas une telle impossibilité de la part de l'employeur, la liquidation des droits à la retraite du salarié qui peut cumuler emploi et retraite ; qu'en déboutant M. A... de sa demande de réintégration au sein de la société Socotec, formée le 18 mars 2014 après notification le 21 janvier 2014 du jugement devenu définitif du tribunal administratif du 9 janvier 2014, au motif inopérant que M. A... qui avait demandé la liquidation de ses droits à la retraite le 1er février 2012 ne remplissait pas les conditions requises pour cumuler sa pension de retraite avec un emploi en l'absence de rupture du lien professionnel, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'impossibilité pour la société Socotec Antilles Guyane de réintégrer M. A... dans son emploi ou un emploi équivalent, a violé l'article L.2422-1 du code du travail ;
2° - ALORS QU'en toute hypothèse, le départ à la retraite pendant la période d'indemnisation du préjudice subi par le salarié dont l'autorisation de licenciement a été annulée ne fait pas cesser ce préjudice dont la totalité doit être réparée pendant la période déterminée par l'article L. 2422-4 du code du travail, soit entre son licenciement et sa réintégration même si celle-ci est impossible pour l'employeur ; qu'en privant M. A... de l'indemnité prévue par l'article L.2422-4 du code du travail au motif inopérant qu'il ne pouvait valablement demander sa réintégration puisque ne remplissant pas les conditions requises pour cumuler sa pension de retraite avec la poursuite de son emploi au sein de la société Socotec Antilles Guyane, la cour d'appel a violé l'article L.2422-4 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR limité la réparation du préjudice subi par M. A... à raison de son licenciement sans cause réelle et sérieuse au montant des salaires pour la période du 14 janvier 2012 au 14 janvier 2014, outre les congés payés afférents en tenant compte des revenus perçus par M. A... au cours de cette période dont le salarié doit justifier, en produisant notamment ses avis d'imposition pour la période considérée,
AUX MOTIFS QUE le licenciement de M. A... doit être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que M. A... a droit à être indemnisé de l'entier préjudice résultant de la rupture du contrat de travail intervenu avant qu'il ait atteint 70 ans, âge en deçà duquel l'employeur ne pouvait mettre d'office le salarié à la retraite ; M. A... a donc droit au paiement de la différence entre d'une part le montant des salaires qu'il aurait dû percevoir depuis le 12 janvier 2012, date de la fin de son préavis, jusqu'au 16 janvier 2014, l'intéressé étant né le [...] , et d'autre part le montant des revenus, notamment au titre de sa pension de retraite, qu'il a effectivement perçus pendant la même période ; qu'il sera donc sursis à statuer sur l'évaluation de ce préjudice financier résultant de la rupture du contrat de travail, en l'attente de la production par M. A... de la justification du montant des ressources qu'il a perçues pendant ladite période ;
ALORS QUE le salarié protégé licencié en vertu d'une autorisation administrative ensuite annulée peut également prétendre au paiement de l'indemnité minimale de six mois prévue par l'article L.1235-3 du code du travail s'il établit que son licenciement était, au moment où il a été prononcé, dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'ayant jugé le licenciement de M. A... sans cause réelle et sérieuse et en se bornant à fixer les modalités de réparation du préjudice subi par M. A... sur la seule base de la différence de salaires qu'il aurait perçus de la fin de son préavis jusqu'à l'âge de 70 ans, sans indiquer que M. A... a droit au paiement d'une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse d'au moins six mois de salaires, la cour d'appel a violé l'article L.1235-3 du code du travail. Moyen produit au pourvoi principal n° Q 18-16.254 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. A....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté M. A... de sa demande de voir juger nul son licenciement en raison de la violation d'une liberté fondamentale et de sa demande de condamnation de la société Socotec Antilles Guyane à lui payer la somme de 185.535 € à titre d'indemnités de salaire pour la période du 14 janvier 2012 au 22 mars 2014,
AUX MOTIFS QUE le licenciement de M. A... étant intervenu en violation de son statut protecteur est nul ; cependant il a été expliqué dans l'arrêt du 18 septembre 2017, que la réintégration de M. A... n'était pas possible puisqu'il ne remplissait pas les conditions pour pouvoir cumuler sa pension de retraite avec la poursuite de son emploi au sein de la société Socotec Antilles Guyane ; par voie de conséquence, ayant sollicité la liquidation de ses droits à la retraite le 1er février 2012, M. A... ne peut prétendre cumuler sa pension de retraite avec des salaires qui auraient couru depuis cette date jusqu'au 14 mars 2014 correspondant à l'expiration du délai de deux mois suivant la notification de la décision du tribunal administratif annulant la décision ministérielle du 23 septembre 2011 accordant l'autorisation de licenciement ;
1°) ALORS QUE tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de ses activités syndicales est nul ; que, dès lors qu'il caractérise une atteinte à la liberté, garantie par la Constitution, qu'a tout homme de pouvoir défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale, le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période ; qu'en l'espèce, M. A... se fondant sur les motifs de l'arrêt précédent du 18 septembre 2017 qui a considéré que la demande d'autorisation de son licenciement « faisait suite à l'implication active de [M. A...] tant dans l'exercice de ses missions de délégué du personnel que dans celles de délégué syndical », a sollicité le paiement de dommages et intérêts correspondant aux salaires qu'il aurait dû percevoir entre le 14 janvier 2012 et le 14 mars 2014 sans déduction des sommes éventuellement perçues pendant cette période ; qu'en déboutant M. A... de sa demande, la cour d'appel a violé l'article 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, et les articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail ;
2°) ALORS QU'en tout état de cause, en application de l'article 624 du code de procédure civile, une cassation à intervenir sur le premier moyen formé à l'appui du pourvoi connexe P 17-31291 dont il ressortira que M. A... aura droit à sa réintégration et/ou à la réparation de son préjudice sur le fondement de l'article L.2422-4 du code du travail, aura pour conséquence d'entraîner l'annulation du chef du dispositif critiqué ;
3°) ALORS DE PLUS QU'en toute hypothèse le départ à la retraite pendant la période d'indemnisation du préjudice subi par le salarié dont l'autorisation de licenciement a été annulée ne fait pas cesser ce préjudice dont la totalité doit être réparée pendant la période déterminée par l'article L. 2422-4 du code du travail, soit entre son licenciement et le délai de deux mois à compter de la notification de la décision d'annulation de l'autorisation administrative de licenciement ; qu'en privant M. A... de sa demande d'indemnisation pour la période 14 janvier 2012 au 22 mars 2014 au motif inopérant qu'il ne peut prétendre cumuler sa pension de retraite avec des salaires qui auraient couru depuis cette date jusqu'au 14 mars 2014 correspondant à l'expiration du délai de deux mois suivant la notification de la décision du tribunal administratif annulant la décision ministérielle du 23 septembre 2011 accordant l'autorisation de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L.2422-4 du code du travail. Moyen produit au pourvoi incident n° Q 18-16.254 par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Socotec Antilles Guyane.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Socotec Antilles Guyane à payer à M. A... la somme de 90 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
AUX MOTIFS QUE le licenciement de M. A... étant sans cause réelle et sérieuse, comme il a été jugé dans l'arrêt du 18 septembre 2017, M. A... a droit à être indemnisé de l'entier préjudice résultant de la rupture du contrat de travail ; que ce préjudice comprend la différence entre : - d'une part les salaires qui lui auraient été versés depuis la fin de son préavis, soit le 13 janvier 2012, jusqu'au 16 janvier 2014, date anniversaire de ses 70 ans, au-delà de laquelle il n'aurait pu prétendre poursuivre son contrat de travail et percevoir des salaires, soit la somme de 170 638,35 euros, - et d'autre part les revenus perçus pendant la même période, soit la somme de 96 541 euros, selon les avis d'imposition versés au débat ; que compte tenu en outre de l'incidence sur les revenus de M. A..., du défaut de cotisations retraite au régime général et au régime complémentaire pendant la même période, l'indemnisation totale pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sera fixée à la somme de 90 000 euros ;
ALORS QUE l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse répare le préjudice causé au salarié par la perte injustifiée de son emploi ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que M. A... a sollicité la liquidation de ses droits à la retraite le 1er février 2012 ; qu'en lui allouant une indemnité correspondant à la perte de salaire subie jusqu'au 16 janvier 2014 cependant qu'il résultait de ses propres constatations que le préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi avait cessé au plus tard le 1er février 2012 et que la perte de revenus ultérieure n'était imputable qu'à sa décision de rompre tout lien professionnel avec son employeur, la cour d'appel a violé l'article L.1235-3 du code du travail ensemble l'article 1231-1 du code civil et le principe de réparation intégrale du préjudice. | Le salarié licencié en vertu d'une autorisation administrative ultérieurement annulée, qui fait valoir ses droits à la retraite, ne peut demander sa réintégration dans l'entreprise, mais peut prétendre, en application de l'article L. 2422-4 du code du travail, à une indemnité égale aux rémunérations qu'il aurait dû percevoir de son éviction jusqu'à l'expiration du délai de deux mois à compter de la notification de la décision d'annulation, sous déduction des pensions de retraite perçues pendant la même période, sauf s'il atteint, avant cette date, l'âge légal de mise à la retraite d'office |
495 | COMM.
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 mars 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 248 FS-P+B
Pourvois n°
D 18-22.960
F 18-22.962 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MARS 2020
Le comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France, dont le siège est [...], a formé le pourvoi n° D 18-22.960 contre un arrêt n° RG : 18/00771 rendu le 17 juillet 2018 par la cour d'appel d'Amiens (chambre économique), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Electrolux Home Products France, société par actions simplifiée, dont le siège est [...] ,
2°/ à la société [...], société civile professionnelle, dont le siège est [...], représentée par M. C... G..., prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan et de mandataire judiciaire de la Société ardennaise industrielle et de la société Electrolux Home Products France,
3°/ à la société V & V associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est 1 rue [...] présentée par M. Stéphane Vermue, prise en qualité d'administrateur judiciaire des sociétés Electrolux Home Products France et Société ardennaise industrielle,
4°/ à la Société ardennaise industrielle, société par actions simplifiée,
5°/ au comité d'entreprise de la Société ardennaise industrielle,
ayant tous deux leur siège 6-8 [...] 6°/ au procureur général près la Cour d'appel d'Amiens, domicilié en s[...] défendeurs à la cassation.
La société Electrolux Home Products France, société par actions simplifiée,
a formé le pourvoi n° F 18-22.962 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Philippe Angel-Denis Hazane, société civile professionnelle, en la personne de M. Denis Hazane, prise en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la Société ardennaise industrielle et de la société Electrolux Home Products France,
2°/ à la société V&V associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est 8 impass[...] personne de M. Stéphane Vermue, prise en qualité d'administrateur judiciaire au redressement de la Société ardennaise industrielle et de la société Electrolux Home Products France,
3°/ à la Société ardennaise industrielle, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est ZAC des [...] au comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France, dont le siège est 46 rue F[...] au comité d'entreprise de la Société ardennaise industrielle, dont le siège est ZAC des [...] endeurs à la cassation.
Le demandeur au pourvoi n° D 18-22.960 invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi n° F 18-22.962 invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat du comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Electrolux Home Products France, de Me Le Prado, avocat de la société Philippe Angel-Denis Hazane, ès qualités, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société V & V associés, ès qualités, et l'avis de M. Richard de la Tour, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 4 février 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, Mme Vallansan, M. Remeniéras, Mmes Graff-Daudret, Vaissette, Fontaine, Fevre, MM. Riffaud, Mollard, conseillers, M. Guerlot, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, M. Blanc, Mme Kass-Danno, conseillers référendaires, M. Richard de la Tour, premier avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Joint les pourvois n° 18-22.960 et 18-22.962, qui attaquent le même arrêt ;
Donne acte au comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France (la société EHP) du désistement de son pourvoi n° 18-22.960 en ce qu'il est dirigé contre le procureur général près la cour d'appel d'Amiens ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société EHP, désireuse de transférer en Pologne son activité d'assemblage de machines à laver avec chargement par le haut réalisée jusqu'alors à Revin, a signé, le 2 septembre 2013, avec la société Selni, une lettre d'intention prévoyant la création de deux nouvelles lignes de fabrication sur le site de Revin, l'une pour des moteurs universels, l'autre pour des petits moteurs, et le maintien temporaire de l'activité de production de machines à laver ; que le 27 novembre 2013, la société EHP a créé la Société ardennaise industrielle (la société SAI) pour mettre en oeuvre ce projet ; que le 19 juin 2014, la société EHP a cédé à la société Selni les actions de la société SAI au prix de un euro et les sociétés EHP et SAI ont conclu un traité d'apport partiel d'actifs qui faisait référence à la reconversion industrielle du site à échéance de deux années, aux termes duquel la société EHP apportait à la société SAI la « branche d'activité » du site de Revin pour un euro ; que, dans le cadre d'un accord de conciliation conclu entre les sociétés EHP, SAI et Selni et homologué par le président du tribunal de commerce le 30 octobre 2014, la société EHP a conclu, le 31 octobre 2014, avec la société SAI un contrat de transition de services aux termes duquel la première facturait à la seconde des prestations de comptabilité, de gestion administrative, de service de paie des salariés et de télécommunications ; que le même jour, deux promesses synallagmatiques de vente ont été conclues entre les sociétés EHP, SAI et Selni aux termes desquelles la société EHP s'engageait à vendre à la société SAI, qui s'engageait à acquérir, les deux nouvelles lignes de production de moteurs que la société EHP s'engageait à faire fabriquer à un certain prix qui donnerait lieu à une créance de la société EHP envers la société SAI que la société EHP s'engageait à céder à la société Selni pour un euro ; que par un jugement du 3 janvier 2018, le tribunal de commerce de Compiègne a ouvert le redressement judiciaire de la société SAI et désigné la société V&V associés, en la personne de M. Vermue, administrateur, et la société Angel-G... mandataire judiciaire ; que le 2 février 2018, le mandataire judiciaire a saisi ce tribunal aux fins de voir étendre à la société EHP le redressement judiciaire de la société SAI ; que le tribunal, après s'être déclaré compétent, a fait droit à la demande le 23 février 2018 ; que la cour d'appel d'Amiens, après avoir annulé le jugement, a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société EHP et étendu le redressement judiciaire de la société SAI à la société EHP ;
Sur la recevabilité du pourvoi n° 18-22.960, examinée d'office, après avertissement délivré aux parties :
Vu l'article L. 661-1-I, 3°, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 18 décembre 2008 ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que les décisions statuant sur l'extension d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne sont susceptibles d'appel ou de pourvoi en cassation que de la part du débiteur visé par l'extension, du mandataire judiciaire ou du liquidateur, de l'administrateur ou du ministère public ; qu'il n'est dérogé à cette règle, comme à toute autre règle interdisant ou différant un recours, qu'en cas d'excès de pouvoir ;
Attendu qu'aucun des griefs du pourvoi ne caractérisant un excès de pouvoir, le pourvoi formé par le comité d'entreprise de la société EHP est irrecevable ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° 18-22.962 :
Attendu que la société EHP fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence alors, selon le moyen, que l'article L. 721-8 du code de commerce soumet à la compétence de tribunaux de commerce spécialement désignés les procédures collectives concernant notamment des entreprises exerçant une activité commerciale et réalisant un chiffres d'affaires net d'au moins 40 millions d'euros ; que cette règle s'applique en cas d'extension à une entreprise répondant à ces critères d'une procédure collective et ce, quand bien même le débiteur faisant l'objet de ladite procédure ne remplirait aucune des conditions posées par ce texte ; qu'en l'espèce, la société EHP a contesté la compétence du tribunal de commerce de Compiègne pour prononcer l'extension, à son encontre, de la procédure collective de la société SAI ; qu'en rejetant cette exception d'incompétence, après avoir néanmoins constaté que la société EHP avait réalisé un chiffre d'affaires de 290 millions d'euros, excédant largement le seuil de 40 millions d'euros qui déclenche la compétence d'un tribunal de commerce spécialisé, la cour d'appel a violé le texte précité ;
Mais attendu que si l'article L. 721-8, 1°, du code de commerce prévoit que des tribunaux de commerce spécialement désignés connaissent, lorsque le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale, et qu'il est, notamment, une entreprise dépassant certains seuils, des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires mentionnées au livre VI, il résulte de l'article L. 621-2, alinéa 5, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-7, que le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour une demande d'extension quelle que soit l'entreprise visée par la demande ; que le tribunal de commerce de Compiègne ayant ouvert la procédure initiale contre la société SAI, l'arrêt retient exactement que, nonobstant le montant du chiffre d'affaires réalisé par la société EHP, ce tribunal demeurait compétent pour statuer sur la demande d'extension de la procédure à cette société ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen, relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :
Vu les articles L. 621-2 et L. 631-22 du code de commerce ;
Attendu qu'un jugement qui adopte le plan de cession partielle des actifs d'un débiteur fait obstacle à l'extension à un tiers, pour confusion des patrimoines ou fictivité, de la procédure collective de ce débiteur ;
Attendu qu'en étendant le redressement judiciaire de la société SAI à la société EHP alors qu'en l'état des conclusions de la société EHP qui mentionnaient l'adoption par le tribunal, le 16 mai 2018, d'un plan de cession partielle des actifs de la société SAI, il lui incombait de relever, au besoin d'office, après avoir recueilli les observations des parties, le moyen d'ordre public tiré de l'obstacle ainsi fait à toute décision d'extension, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
Déclare irrecevable le pourvoi formé par le comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il étend à la société Electrolux Home Products France la procédure de redressement judiciaire ouverte le 8 janvier 2018 à l'encontre de la Société ardennaise industrielle, dit que les opérations se poursuivront sous patrimoine commun, maintient les organes de la procédure, dit que les créanciers de la société Electrolux Home Products France devront déclarer leurs créances dans un délai de deux mois à compter de la publication au BODACC du présent arrêt et ordonne les publicités prescrites par l'article R. 621-8 du code de commerce, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Met hors de cause, sur sa demande, la société V&V associés, en sa qualité d'administrateur de la Société ardennaise industrielle et de la société Electrolux Home Products France, dont la présence devant la cour de renvoi n'est plus nécessaire à la solution du litige ;
Condamne le comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France aux dépens du pourvoi n° D 18-22.960 ;
Condamne la société Philippe Angel-C... Hazane, en la personne de M. G..., en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la Société ardennaise industrielle et de la société Electrolux Home Products France, aux dépens du pourvoi n° 18-22.962 ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi n° D 18-22.960 par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour le comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence, d'avoir étendu à la société Electrolux Home Products France la procédure de redressement judiciaire ouverte le 8 janvier 2018 à l'encontre de la société ardennaise industrielle, et d'avoir dit que les opérations se poursuivraient sous patrimoine commun ;
AUX MOTIFS QUE, sur la compétence du tribunal de commerce de Compiègne, en application de l'article L. 621-2 in fine du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014, le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour ces demandes ; que la loi n°2015-990 du 6 août 2015 a institué des tribunaux de commerce spécialement désignés pour connaître des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire mentionnées au livre VI du code de commerce lorsque, notamment, le débiteur est une entreprise dont le montant net de chiffre d'affaires est d'au moins quarante millions d'euros (article 721-18 [721-8] du code de commerce) ; que la même loi a modifié l'article L. 662-8 du code de commerce qui dispose désormais : le tribunal est compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui détient ou contrôle, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui ; qu'il est également compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui est détenue ou contrôlée, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, par une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui ; qu'il peut désigner un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire communs à l'ensemble des procédures ; que par dérogation à la première phrase du premier alinéa, toute procédure en cours concernant une société détenue ou contrôlée, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, par une société pour laquelle une procédure est ouverte devant un tribunal de commerce spécialisé est renvoyée devant ce dernier ; qu'il convient de relever que la loi récente n'a pas modifié l'article L621-2 du code de commerce et qu'elle ne comporte aucune disposition contraire à ce texte s'agissant de l'extension d'une procédure collective à une autre entreprise ; que par ailleurs, envisageant des difficultés pratiques dans la répartition des compétences entre les tribunaux de commerce et les tribunaux de commerce spécialisés, la loi nouvelle a confirmé la compétence des premiers pour connaître de toute procédure susceptible d'être menée à l'encontre d'une société en lien capitalistique ou de contrôle (au sens des articles L. 233-1 et L 233-3) avec une société à l'encontre de laquelle une procédure est déjà en cours, à la seule exception de la situation dans laquelle, au sein d'un groupe de sociétés (au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3) une procédure collective est ouverte devant un tribunal spécialisé à l'encontre d'une « société-mère » alors qu'une procédure collective est en cours devant un tribunal non spécialisé à l'encontre d'une « société-fille » ;
qu'aucune disposition du droit européen ne contredit ces dispositions procédurales de droit interne, étant observé que la référence jurisprudentielle proposée par l'appelante concerne la répartition de compétences entre des juridictions de deux Etats différents ; qu'or, en l'espèce, aucun lien capitalistique ou de contrôle n'unit la société EHP à la société SAI au moment où le tribunal de commerce de Compiègne statue à l'encontre de la première ; que c'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société EHP, nonobstant le montant du chiffre d'affaires réalisé par celle-ci ;
ALORS QU' en application de l'article L. 621-2 du code de commerce, à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ; que le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour ces demandes, sauf lorsque la personne morale à qui est étendue la procédure collective est une entreprise telle que visée par l'article L. 721-8 du code de commerce ; qu'en application de ce texte, des tribunaux de commerce spécialement désignés connaissent, lorsque le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale, des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire, notamment lorsque le débiteur est une entreprise dont le montant net du chiffre d'affaires est d'au moins millions d'euros ; qu'en application de ces dispositions, un tribunal de commerce non spécialement désigné, initialement saisi d'une procédure collective, et la cour d'appel dont il dépend, ne sont pas compétents pour ordonner l'extension de la procédure à l'encontre d'une entreprise dont le chiffre d'affaires net est d'au moins 40 millions d'euros ; que dans un tel cas, en application de l'article 79 du code de procédure civile, la cour d'appel doit se déclarer incompétente et renvoyer le dossier à la cour d'appel dont relève la juridiction normalement compétente ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le chiffre d'affaires net de la société Electrolux Home Products était supérieur à 40 millions d'euros ; que dès lors, en application de l'article D. 721-19 du code de commerce et de l'annexe 7-1-1, seul le tribunal de commerce spécialisé, en l'occurrence celui de Lille-Métropole, et la cour d'appel de Douai étaient compétents pour connaître de la demande d'extension de la procédure collective à l'encontre de la société Electrolux Home Products ; qu'en jugeant néanmoins le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 621-2, L. 721-8, D. 721-19 et l'annexe 7-1-1 du code de commerce, ainsi que l'article 79 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige issue du décret n°75-1123 du 9 décembre 1975.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire) :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir étendu à la société Electrolux Home Products France la procédure de redressement judiciaire ouverte le 8 janvier 2018 à l'encontre de la société ardennaise industrielle et d'avoir dit que les opérations se poursuivraient sous patrimoine commun ;
AUX MOTIFS QUE, en application de l'article L. 621-2 alinéa 2, du code de commerce, à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ; qu'en l'espèce, la constitution de la société SAI trouve son origine dans la décision du groupe Electrolux de cesser la production à Revin de machines à laver à chargement par le dessus pour regrouper cette production sur le site d'Olawa en Pologne ; qu'il est constant en effet que cet arrêt d'activité en France a été annoncé par la société EHP aux instances représentatives des salariés en 2012 ; que dans le contexte social et économique d'alors, l'autorité politique nationale a exprimé la volonté de favoriser des projets industriels de nature à éviter la destruction d'emplois à court terme et c'est ainsi que le groupe Electrolux et la société Selni sont entrées en contact pour envisager la possibilité d'une reconversion du site industriel de Revin ; qu'il convient de souligner à titre liminaire qu'il n'appartient pas à la présente juridiction d'émettre quelque appréciation sur les choix économiques faits par le groupe Electrolux ou sur le positionnement politique de l'autorité publique ; qu'inversement, ces mêmes choix économiques et positionnement politique ne sont pas de nature à faire obstacle à l'analyse juridique à laquelle il incombe à la cour de procéder ; qu'il ressort suffisamment des écritures des parties que la décision d'extension à la société EHP de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société SAI dépend uniquement du caractère véritable ou fictif de SAI en tant que société au sens des articles 1832 et suivants du code civil ; que de fait, aucun élément du dossier ne permet de retenir une confusion entre les patrimoines des deux entreprises ; que la société SAI a été constituée par la société EHP le 27 novembre 2013 sous la forme d'une société par actions simplifiée, avec un unique actionnaire, un capital social de 5 000 euros immédiatement libéré, un siège social situé à Compiègne dans un centre d'affaires et avec pour objet social « le commerce et l'industrie de tous métaux, l'achat, la vente, la fabrication de tous matériels, machines, outillages, instruments, appareils et autres articles divers et spécialement machines à laver, moteurs électriques » et, généralement, toutes opérations industrielles y afférentes ; que cette constitution fait directement suite à une lettre d'intention signée entre la société Electrolux France et la société Selni le 2 septembre 2013 aux termes de laquelle, la première souhaitant arrêter la production de machines à laver sur le site de Revin à échéance fin 2016 et la seconde souhaitant développer la fabrication et la vente de moteurs électriques notamment au groupe Electrolux, Selni proposait de s'engager à maintenir 230 emplois sur le site de Revin par l'installation d'une nouvelle activité de production de moteurs à la faveur d'un engagement d'Electrolux de fournir l'immobilier du site et certains équipements, de financer la fabrication de deux lignes de production et de fournir un soutien en personnel pour le démarrage de l'activité et un soutien financier à travers les accords commerciaux, les deux parties prévoyant en outre la signature d'un contrat de fourniture à long terme portant sur 1,2 millions de moteurs par an de Selni à Electrolux ; qu'il est admis par les parties que le seul objet de la constitution de SAI par EHP était de poursuivre l'activité d'assemblage de machines à laver pendant une durée de deux années afin de permettre l'installation de cette nouvelle activité industrielle ; que s'il n'est pas discutable que ce rapprochement d'Electrolux et de Selni satisfaisait la préoccupation des pouvoirs publics d'éviter une destruction d'emplois industriels à court terme, il n'apparaît pas qu'il imposait par lui-même la création par EHP d'une nouvelle société ; que dans ce contexte, doivent être analysés les éléments susceptibles de caractériser une société fictive ; qu'il ressort des éléments du dossier que si elle a été formellement constituée au mois de novembre 2013, SAI qui n'était alors dotée que d'un apport en capital de 5 000 euros ne pouvait avoir de réalité concrète avant de disposer de l'apport indispensable à son activité et de salariés ; que ce n'est que le 19 juin 2014 que EHP et SAI ont signé un traité d'apport et le transfert des contrats de travail des salariés de EHP repris par SAI a pris effet rétroactivement au 1 septembre 2014 ; qu'en outre, ainsi qu'il ressort du rappel des faits ci-dessus, c'est principalement au cours de l'automne 2014 qu'a été signée la majeure partie des contrats prévus dans le cadre du projet de reconversion industrielle, exception faite du contrat de cession des actions de SAI à la société Selni, formalisé le 19 juin 2014 ; que de fait, jusqu'à l'été 2014, l'activité sociale de SAI a consisté uniquement dans des démarches administratives relatives à sa substitution à EHP en qualité d'exploitant du site d'installations classées ; que si l'absence d'activité et de consistance réelle jusqu'au mois de juin 2014 ne suffit pas à démontrer le caractère fictif de SAI au regard du temps nécessaire à la mise en place du projet, elle conduit en revanche à prendre en considération, au premier chef, l'ensemble des actions entreprises par les protagonistes au cours de l'année 2014 pour apprécier la réalité de SAI en tant que société ; qu'au regard des éléments constitutifs d'une société, les éléments du dossier conduisent à analyser l'objet de la décision de EHP de faire société, la réalité des apports effectués par l'associé unique, l'autonomie de SAI par rapport à son créateur et les éléments d'une fraude ; que sur l'objet de la décision de EHP de faire société : il ressort du premier rapport du cabinet KPMG, sollicité d'abord par EHP puis désigné comme technicien dans le cadre d'un mandat ad hoc sollicité par la société SAI au mois de mars 2014 que la création de SAI s'inscrit dans une réflexion stratégique menée par le groupe Electrolux depuis 2012 sur le devenir de la production de machines à laver à chargement par le haut à Revin dans le contexte d'une contraction du marché, qui avait abouti à une décision d'arrêter cette fabrication en France et de la concentrer sur un établissement situé en Pologne ; que les éléments du dossier montrent clairement que cette décision d'arrêter cette production à Revin n'a jamais été remise en cause au cours de l'élaboration du projet qui a donné lieu à la création de la société SAI, dont elle constituait l'hypothèse de départ et donc la base de réflexion de l'ensemble des intervenants ; que de fait, à l'issue de la période de deux années annoncée dès les premiers échanges entre les différents acteurs, l'outil de production/d'assemblage des machines à laver a effectivement été transféré par EHP sur son site de production situé en Pologne ; que la constitution de la société SAI n'avait donc pas pour objet le transfert d'une branche d'activité, au sens commun du terme, mais l'organisation de la cessation, à bref délai, d'une partie de l'activité de EHP en France ; que le traité d'apport partiel d'actif en date du 19 juin 2014 rappelle que l'activité développée sur le site de Revin n'est plus viable et cessera au plus tard à la fin de l'année 2016 et que l'objectif du projet est de permettre à la société Selni de développer une nouvelle activité ; qu'il indique que la société bénéficiaire exploitera l'activité d'assemblage de machines à laver dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de fabrication avec une société du groupe Electrolux ; que par ailleurs, si, pour satisfaire des considérations sociales, EHP et/ou les autres sociétés du groupe Electrolux ont pris divers engagements financiers envers la société Selni, significatifs dans leur montant, pour permettre la création sur le même site d'une activité industrielle nouvelle, il est manifeste que EHP n'entendait pas participer en qualité d'associé à cette activité nouvelle, le contrat de cession des actions de la société SAI à Selni étant concomitant du traité d'apport partiel ; que de fait, le protocole d'accord signé le 30 avril 2014 a été conclu entre la société Electrolux France et la société Selni, sans la participation de SAI, pourtant déjà constituée, alors même qu'il prévoit divers engagements à contracter par celle-ci, ce qui corrobore le caractère « transparent » de SAI dans les rapports entre le groupe Electrolux et la société Selni ; qu'il s'induit que la constitution d'une société nouvelle par EHP ne correspond pas à l'engagement de l'associé dans la mise en oeuvre d'un projet autonome et durable, qui constitue l'affectio societatis y compris dans les sociétés à associé unique ; que sur la réalité de l'apport de la société EHP à la société SAI : la société Electrolux fait valoir qu'après avoir constitué la société SAI en lui fournissant tous les attributs de la personnalité morale, elle a apporté à la nouvelle société une branche d'activité lui permettant de fonctionner et de se développer en toute autonomie ; qu'elle réfute l'allégation selon laquelle le traité d'apport conclu le 19 juin 2014 ne correspondrait pas à un apport réel ; qu'une branche d'activité est définie comme un ensemble d'éléments d'actif et de passif qui constitue une exploitation autonome, identifiable au sein de l'ensemble de l'activité de l'entreprise et susceptible de fonctionner par ses propres moyens ; que contrairement à un simple apport d'éléments d'actif, l'apport d'une branche d'activité autonome, caractéristique d'une scission de l'activité de la société Apporteuse au sens des articles L. 236-1 et suivants du code de commerce, emporte transmission universelle de patrimoine et donc transmission du passif afférent aux éléments d'actif ; qu'en l'espèce, même si la cour ne dispose pas des éléments comptables relatifs à l'activité globale de la société EHP, il ne fait pas de doute que constituée de deux établissements, l'un commercial, l'autre industriel, la société EHP dispose de deux branches d'activités distinctes correspondant à l'un et l'autre de ses établissements respectivement ; que pour autant, il convient d'analyser si le contrat intitulé « traité d'apport partiel d'actif » conclu entre EHP et SAI le 9 juin 2014 correspond à la transmission d'une branche autonome d'activité ; que par cet accord, EHP a transmis à SAI à titre d'actif des immobilisations corporelles (terrain et construction) et financières et des stocks et encours pour un montant total de 20 490 607 euros et, à titre de passif des provisions pour risques (départs en retraite et médailles du travail), et des dettes d'exploitation (dettes fournisseurs et dettes fiscales et sociales) et diverses autres dettes dont un billet à ordre long terme de 1,5 millions d'euros, pour un montant total de 20 490 606 euros, soit une valeur nette retenue de un euro (Pièce de l'appelante) ; qu'il convient de relever que le commissaire aux apports a retenu pour postulat que le traité d'apport partiel d'actif portait sur l'ensemble des droits et obligations relatifs à l'exploitation de la branche complète et autonome d'activité de production sur le site de Revin, sans relever que le transfert de l'outil de production était expressément exclu de l'apport ; qu'indépendamment des modalités d'évaluation des divers éléments inclus dans le traité d'apport et qui seront examinées ci-après, il a conclu que les apports ne sont pas surévalués « compte tenu des engagements donnés par EHP pour : - le financement de nouvelles activités, - la prise en charge des coûts de restructuration sociale, et - la garantie en matière d'environnement » ; que ces seuls éléments mettent en évidence,
d'une part qu'un élément d'actif aussi essentiel à l'activité de production que l'outil de production lui-même qui ne peut certainement pas être rattaché à la branche commerciale de l'activité de EHP est dissocié de ce que EHP présente comme une branche d'activité autonome, d'autre part que le contenu de l'apport a été défini en fonction du projet de création d'une nouvelle activité industrielle (nécessairement extérieure à la branche d'activité alléguée) que le groupe Electrolux s'engageait par ailleurs à soutenir ; qu'ils établissent l'absence d'autonomie des éléments apportés par EHP à SAI, au sein de l'activité globale de EHP ; que le 27 juin 2014, l'administration fiscale, sollicitée par EHP notamment sur ce point, a informé l'apporteur qu'en l'absence d'apport de la ligne de production des machines à laver, il ne pouvait être considéré que le traité avait pour objet la cession d'une branche complète d'activité (Pièce 18 de l'appelante) ; que s'il n'est pas contestable qu'une entité économique autonome puisse être transmise sans transfert de la propriété de l'outil de production, force est de constater qu'en l'espèce, la mise à disposition de SAI de la ligne d'assemblage de machines à laver était très provisoire, prolongée de mars à décembre 2016 à la seule discrétion de EHP et que ce caractère très temporaire conjugué à l'arrêt progressif des commandes de machines à laver de la part d'Electrolux Appliances AB faisait échec, ab initio, à la notion de transfert de branche d'activité ; que dans ces circonstances, la transmission à SAI d'un passif de 20 millions d'euros environ n'est pas justifié par l'apport d'éléments d'actif pour un montant quasi équivalent ; qu'au surplus, la valorisation même des éléments d'actif et de passif inclus dans le traité d'apport partiel d'actif est sujette à questionnement ; qu'en effet, il ne ressort pas des travaux du commissaire aux apports que le « détourage » du bilan à partir duquel la société EHP a inclus dans le traité d'apport des éléments d'actif et de passif, ait fait l'objet d'une analyse critique de sorte que l'affectation de ces éléments à l'activité du site de Revin résulte d'une décision unilatérale de la société EHP à une époque où elle avait un contrôle complet de sa société fille ; qu'à cet égard, la production du listing des comptes clients apportés à SAI ne lève pas les interrogations du mandataire judiciaire qui souligne que la somme correspondante de 17 millions environ ne se retrouve pas dans les comptes de SAI ; que par ailleurs, s'il rappelle que les éléments apportés doivent être évalués à leur valeur vénale dès lors que la bénéficiaire doit passer sous le contrôle d'un tiers, le commissaire aux apports retient les seules valeurs comptables sans justification, ni analyse ; qu'en outre, alors que le diagnostic qualité des sols et des eaux souterraines réalisé au mois de mars 2014, en révélant la présence de métaux lourds et d'hydrocarbures au-delà des seuils hauts des anomalies naturelles, démontre le principe d'un passif environnemental nécessairement transmis à SAI par l'apport des actifs immobiliers et par le transfert de l'autorisation d'exploiter, le commissaire aux apports a certes admis que ce passif affectait l'évaluation des actifs apportés, mais a validé l'évaluation de l'apport net à un euro sans le moindre éléments d'appréciation sur le montant prévisible de ce passif environnemental ; mais plus encore, que le commissaire aux apports a cru pouvoir appuyer son avis sur le « financement [par EHP] de nouvelles activités » alors que le financement des deux lignes de production de moteurs qui consiste en un engagement hors bilan, n'a donné lieu trois mois après son rapport qu'à une promesse synallagmatique de vente prévoyant que SAI serait débitrice de EHP à hauteur du coût de fabrication de ces deux lignes de production, soit 15,2 millions d'euros, EHP s'engageant à céder cette créance à Selni pour un euro, ce dont il ressort que ce financement ne profite qu'indirectement à la société SAI ; qu'enfin, il est constant que le traité d'apport omet la transmission de droit à SAI du passif social résultant, après transfert des contrats de travail des salariés de EHP à SAI, des accords collectifs conclus les 6 juin, 1er octobre et 27 octobre 2014 et pourtant certain dans son principe à tout le moins à la date de l'apport ; que si, sur ce point, la société EHP reproche au mandataire judiciaire de SAI de ne pas prendre en considération la convention de garantie signée le 19 juin 2014 par laquelle EHP s'est engagée à payer entre les mains des pré-retraités et autres salariés non couverts par le contrat d'assurance de pré-retraite et appelés à quitter la société SAI jusqu'au mois d'avril 2016, les indemnités résultant de l'accord collectif conclu par SAI au mois d'octobre 2014, cette convention conclue au seul bénéfice des salariés concernés laisse ce passif social à la charge de SAI ; que c'est ainsi que EHP a déclaré au passif de la procédure collective de SAI une créance correspondant aux sommes versées de ce chef, soit une créance échue de 921 000 euros et une créance à échoir de 12 millions d'euros ; que si la société EHP fait justement valoir que l'ensemble des contrats et engagements conclus par les sociétés du groupe Electrolux sont indivisibles du traité d'apport, force est de constater que les contrats commerciaux conclus entre SAI et la société Electrolux Appliances AB comme l'engagement de EHP de financer la fabrication de deux nouvelles lignes de production n'améliorent pas le bilan de SAI ; que dans ces circonstances, le fait que SAI ait pu réaliser deux exercices bénéficiaires tient principalement aux accords commerciaux passés hors traité d'apport, à tel enseigne que c'est l'arrêt des commandes de moteurs universels par Electrolux Appliances AB au début de l'année 2017 (quelle qu'en soit la cause) qui a précipité SAI dans les difficultés, celle-ci ne disposant pas des moyens de fonctionner par elle-même ; que sans qu'il soit besoin de discuter plus avant les moyens de fait avancés par les parties, il s'induit de l'ensemble de ces éléments que l'apport réalisé par EHP à SAI a été déficitaire pour la seconde en ce qu'elle a consisté en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis ; qu'il ne saurait être tiré aucune conclusion de l'absence d'opposition au traité d'apport, si ce n'est la confiance des créanciers dans la présentation par EHP du projet de reconversion industrielle et dans les engagements pris par le groupe Electrolux ; que sur EHP, maître de l'affaire : le maître de l'affaire est l'entité qui, indépendamment des structures juridiques mises en place, dispose de la totale maîtrise de l'activité contrôlée et prive celle-ci de tout pouvoir décisionnel réel ; que la notion de maître de l'affaire est distincte, par nature de celle de gérance de fait et du lien de dépendance économique qui peut lier une sociétéfille à la société-mère ; qu'en l'espèce, il est constant que du mois de novembre 2013, date de sa création par EHP et le mois de juin 2014, SAI n'a eu d'autre activité sociale que les démarches administratives destinées à permettre le transfert de l'activité industrielle convenu entre EHP et Selni ; que dirigée par le président de EHP, entièrement détenue par EHP et dépourvue de tout moyen matériel, SAI n'est pas partie au protocole conclu le 30 avril 2014 qui définit pourtant les conditions dans lesquelles elle va devoir opérer, qu'il s'agisse de la mise à disposition des outils de production par EHP ou de la commercialisation de sa production à venir à Electrolux Appliances AB ; qu'au mois de mars 2014, SAI a déposé devant le président du tribunal de commerce de Compiègne une requête aux fins de désignation d'un mandataire ad hoc au visa de l'article L .611-3 du code de commerce à laquelle il a été fait droit le 21 mars 2014, le mandataire ad hoc recevant pour mission de : « -réaliser un diagnostic de la situation économique, financière et commerciale des difficultés et des solutions pour assurer la reconversion pérenne de l'activité de production du site de Revin qui sera apportée à la Société ardennaise industrielle, - assister la Requérante dans le cadre de ses négociations avec les parties intéressées » ; qu'or, il est manifeste qu'à cette époque SAI, dépourvue de la moindre activité et de la moindre autonomie de décision en ce qu'elle était totalement contrôlée par EHP, n'était assurément pas débitrice au sens de l'article L. 611-3 et qu'elle n'était pas en situation de rencontrer la moindre difficulté au sens du même texte ; que de fait, ainsi qu'il vient d'être dit, SAI ne participait pas aux négociations en cours entre EHP et Selni ; qu'il s'induit que, sous couvert de son président, ès qualités de président de SAI, c'est en réalité EHP qui a pris l'initiative de cette requête et, de fait, c'est EHP qui pouvait nourrir quelques interrogations sur les données économiques, financières et commerciales d'un projet commun avec Selni ; que dans le même temps, le cabinet KPMG ne s'est d'ailleurs pas trompé sur l'identité du véritable maître de l'opération puisque tout en adressant un rapport à monsieur de Noinville en sa qualité de président de SAI (par ailleurs président de EHP), il indique « notre intervention a été diligentée par Electrolux Home Products France qui nous a interrogé sur la pérennité de l'activité du site de Revin au vu des prévisions établies par les parties et des engagements en cours de négociation » (Pièce 4 de l'appelante page 5) ; qu'à cet égard, il est significatif de relever que le cabinet KPMG a rédigé un rapport qui consiste à présenter les options stratégiques ouvertes à la société EHP relativement à la production de machines à laver à chargement par le haut, la situation de la société Selni et les forces/faiblesses, risques/opportunités du projet de partenariat EHP/Selni ; qu'à nouveau sollicité par le mandataire ad hoc, le cabinet KPMG mentionne dans un second rapport que les données sur lesquelles il a travaillé relèvent de la seule responsabilité de EHP et de Selni, confirmant l'inexistence en fait de la société SAI à cette époque (pièce 5 de l'appelante page 1) ; que de même, au mois d'août 2014, SAI dont le capital avait déjà été cédé par EHP à Selni sous diverses conditions suspensives et qui était encore dirigée par le président de EHP a déposé une requête aux fins de désignation d'un conciliateur de justice, à laquelle il a été fait droit le 29 août 2014 par une ordonnance confiant au conciliateur la mission « d'assister la Requérante dans le cadre de la finalisation de l'opération de cession de son capital au repreneur » ; qu'il est patent qu'à cette époque où SAI n'avait aucune activité autonome (les salariés ne lui seront transférés qu'au 1 septembre et rétroactivement) et se trouvait de fait sous la direction de EHP, seule cette dernière, cédante du capital de SAI, se trouvait dans une situation de « finalisation de l'opération de cession » et pouvait avoir intérêt à éclaircir les intentions et aptitudes réelles de son cocontractant ; que la suppression du lien capitalistique entre EHP et SAI n'a donc pas affecté, en fait, le comportement de EHP comme maître de l'affaire ; qu'il est enfin significatif de noter que si le jugement rendu le 30 octobre 2014 portant homologation du protocole de conciliation conclu entre EHP, SAI et Selni le 3 octobre, a été rendu sur la requête de SAI, la rectification d'une omission de statuer, sollicitée aussi en apparence par SAI, consiste à faire ajouter que le billet à ordre long terme émis par SAI à l'ordre de EHP bénéficiera du privilège de l'article L. 611-11 du code de commerce, soit une disposition rendue dans le seul intérêt de EHP ; qu'il apparaît donc qu'au cours de l'année 2014, c'est EHP qui a en réalité agi en justice, à trois reprises, sous couvert de la société SAI et dans son propre intérêt (pièces 3, 10, 14) ; que les deux premières années d'activité de la société SAI ont été consacrées à la reprise à l'identique de l'activité menée par EHP sur le site de Revin, sous la réserve d'une réduction importante d'effectif ; qu'après avoir cédé le capital de SAI à la société Selni, la société EHP a poursuivi sa gestion administrative de l'entreprise via un contrat de transition de services aux termes duquel EHP maintenait ses outils de gestion au sein de la société SAI et assurait les tâches de comptabilité, d'administration, de paie et d'informatique moyennant le prix de 17 450 euros par mois ; que ces modalités qui favorisent et confirment la parfaite continuité de l'activité de SAI par rapport à l'activité précédente de EHP permettaient en outre à cette dernière de conserver une connaissance quotidienne de l'activité de SAI (pièce 27 de l'appelante) ; qu'au-delà des actions précitées, mises en oeuvre par EHP et faisant fi de la personnalité morale de SAI, c'est la conception globale de l'opération qui caractérise la volonté de EHP de demeurer le maître de l'affaire ; qu'en effet, l'opération menée consistant principalement à maintenir très provisoirement sur le site de Revin l'activité d'assemblage des machines à laver à la faveur d'une réduction des effectifs, d'un prêt à long terme de 1,5 millions d'euros et d'un engagement commercial d'Electrolux Appliances AB d'acquérir ces machines et à financer la fabrication et l'installation de deux nouvelles lignes de production, l'une relative à des moteurs universels, l'autre relative à des petits moteurs BLDC présentés comme innovants par Selni, à la faveur d'un engagement commercial d'Electrolux Appliances AB portant sur l'acquisition de 1,2 moteurs universels par an pendant cinq ans, il ressort des pièces du dossier que : - EHP a conservé la propriété et la maîtrise de la ligne d'assemblage des machines à laver qu'elle a mise à disposition de SAI dans un premier temps jusqu'au mois de mars 2016 puis jusqu'à la fin de l'année 2016 avant de la récupérer pour la transférer dans son établissement polonais, conformément au projet initial de délocalisation, cet outil industriel étant déterminant de l'activité de SAI ; - les sociétés du groupe Electrolux ont défini les modalités de l'arrêt progressif de l'assemblage des machines à laver en termes de délai et de quantités, un contrat de fourniture signé le 31 octobre 2014 déterminant les seuls débouchés commerciaux possibles pour SAI dans ce contexte ; - s'engageant à financer la fabrication des deux lignes de production appelées à permettre le maintien d'une activité industrielle sur le site de Revin, EHP qui a unilatéralement choisi le fabriquant a conservé la totale maîtrise de l'outil de production nécessaire à l'activité de SAI ; - s'il ne prévoit pas d'exclusivité, le contrat d'achat de produits finis conclus entre SAI et Electrolux Appliances AB le 31 octobre 2014 prévoit la vente d'une quantité de moteurs universels équivalente à la capacité totale de production envisagée sur une période de cinq ans ; qu'il ressort de façon manifeste et explicite de l'ensemble des protocoles et contrats versés aux débats que la création de SAI et la reconversion de son activité s'inscrivent dans une opération globale convenue par le groupe Electrolux et la société Selni, au sein de laquelle la cession du capital de SAI, les apports faits par EHP, les engagements sociaux pris par EHP et les accords industriels et commerciaux pris par telle société du groupe Electrolux sont liés et interdépendants ; que dans ce contexte, l'ensemble des autorités et intervenants extérieurs a souligné de façon particulièrement claire que l'activité de SAI et sa pérennité étaient directement dépendantes des engagements financiers, sociaux, industriels et commerciaux pris par les sociétés du groupe Electrolux : - le commissaire aux apports conclut le 31 juillet 2014 que les apports ne sont pas surévalués,
s'il est tenu comptes « des engagements donnés par EHP pour le financement des nouvelles activités, la prise en charge des coûts de restructuration sociale et la garantie en matière d'environnement » ; - le rapport du cabinet SECAFI présenté au comité central d'entreprise de EHP le 15 juillet 2014 souligne l'importance des engagements industriels et commerciaux pris par le groupe pour permettre le maintien d'une activité industrielle à Revin ; - le rapport KPMG relève qu' « afin de sécuriser le business plan » le groupe Electrolux s'est engagé sur les volumes et marges unitaires sur la production des machines à laver, sur la fourniture de prestations de support technique pendant la période transitoire, sur les volumes et les marges unitaires sur le contrat de moteurs universels pour une période de sept ans, sur la couverture d'éventuels surcoûts liés à la structure pendant la période transitoire, sur la couverture des coûts sociaux liés à la reconversion, sur la prise en charge des investissements industriels ; - le rapport de maître Lessertois, conciliateur en date du octobre 2014 mentionne qu' « il n'en reste pas moins que la reconversion industrielle du site de REVIN constitue un projet ambitieux qui nécessite une surface économique et financière importante ; Ce constat a amené le Groupe Electrolux à prévoir un grand nombre d'apports, de garanties et d'engagements pour répondre aux besoins identifiés et contribuer à la mise en oeuvre et à la réussite de cette opération » ; que s'il ne peut être reproché aux sociétés du groupe Electrolux d'avoir conservé la main sur tous les aspects industriels et commerciaux au regard des sommes engagées, il ressort néanmoins de ces éléments que SAI ne disposait d'aucune marge d'autonomie économique dans la gestion de son activité entièrement contrôlée en amont comme en aval par le groupe Electrolux ; que si la société EHP fait valoir à juste titre qu'elle n'est pas partie à certains des contrats nécessaires à l'activité de SAI qui ont été conclus par la société Electrolux Appliances AB, il ressort suffisamment des pièces du dossier que le projet mis en oeuvre par EHP à travers la création de SAI puis le traité d'apport partiel d'actif et la cession du capital à Selni, s'inscrit dans une démarche concertée au sein du groupe Electrolux, à telle enseigne par exemple que la société Electrolux France SAS est mentionnée comme partie au contrat de cession des actions de SAI entre EHP et Selni ; que selon les termes du contrat de cession d'actions, EHP s'est en outre expressément engagée pour le compte de ses sociétés affiliées et à remettre au cessionnaire les contrats attendus de la société Electrolux Appliances AB relativement à la convention de fourniture de machines à laver et au contrat cadre portant sur la fabrication des moteurs universels, de sorte que ces contrats sont directement opposables à EHP. (pièce 11 de l'appelante) ; qu'en outre, il ressort suffisamment du rapport KPMG que la société Selni qui se trouvait en cours d'exécution d'un plan de redressement au moment des négociations avec EHP, grâce notamment à l'utilisation de fonds publics ou parapublics, n'était pas en capacité de proposer un autre concours qu'un projet de développement et de commercialisation à terme d'un petit moteur BLDC présenté comme innovant ; que la société Selni, au-delà de l'entre-gens manifeste de ses dirigeants, n'était donc pas en capacité de prendre la direction effective du projet industriel confié à SAI ainsi que le mentionne EHP elle-même dans un courrier adressé à l'administration fiscale au mois de mai 2014 (pièce 17 de l'appelante) ; que si elle a incontestablement permis d'éviter un risque de destruction à court terme d'emplois industriels sur le site de Revin lié à la décision du groupe Electrolux d'arrêter la fabrication en France des machines à laver à chargement par le dessus, la constitution de la société SAI dans le cadre du projet ici examiné, a permis, de fait, à EHP d'opérer cette délocalisation en transférant sur SAI les contraintes environnementales auxquelles elle aurait dû faire face si le site avait été purement et simplement fermé ; que par ailleurs, ainsi qu'il ressort des échanges de courriers entre l'administration fiscale et la société EHP aux mois de mai et juin 2014 : - le passif social supporté par EHP aux termes du traité d'apport partiel d'actif correspondant à des frais de restructuration bénéficiait de l'exception au principe de non déductibilité (art 39 5° alinéa 33 du code général des impôts), - l'investissement de 15 millions d'euros dans les lignes de production de moteurs destinées à SAI et devant donner lieu à une cession à Selni pour un euro, a été admis comme pouvant donner lieu à une déduction fiscale au profit de EHP ; que l'administration fiscale a en effet retenu les explications de EHP selon lesquelles la perte consistant à l'abandon promis de cet outil industriel pour un euro au profit d'un tiers, avait une contrepartie commerciale pour EHP en ce qu'évitant un mouvement social d'envergure et un blocage prévisible du site de production, cet investissement évitait un impact sur le volume des ventes en France et des coûts marketing et de communication nécessaires à la restauration de l'image de la marque auprès du grand public, cette contrepartie étant évaluée à 16 millions d'euros par EHP (pièce 18 de l'appelante) ; que cet investissement était donc consenti aussi dans l'intérêt direct de EHP et non pas dans le seul objectif de maintenir l'emploi sur le site de Revin ; qu'enfin, il est manifeste que la définition par EHP des spécificités de l'outil industriel ainsi financé en fonction du cahier des charges de la société Electrolux Appliances AB et la signature d'un contrat de fourniture sur cinq ans aux prix et conditions pré-établies par celle-ci avec la société SAI créée en France fournissaient au groupe Electrolux un avantage commercial non négligeable au regard du caractère stratégique du marché français (cf rapport SECAFI pièce 24 de l'intimé) ; qu' il s'induit de l'ensemble de ces éléments de fait, qu'en créant la société SAI dans le cadre du projet ici analysé, la société EHP a agi comme maître de l'affaire au mieux de ses intérêts propres, indépendamment de la convergence de ce projet avec les orientations des pouvoirs publics ; que sur les éléments de fraude : si la notion de fraude peut recouvrer diverses réalités, constitue notamment une fraude le fait de se prévaloir de faits dont le caractère inexact est avéré, de détourner des moyens juridiques ou de dissimuler l'objectif véritable d'une entreprise ; qu'au contraire, la fraude n'implique pas nécessairement le secret ; qu'en l'espèce, s'il peut être entendu que l'intervention de l'autorité politique a incité le groupe Electrolux à examiner les possibilités de trouver un repreneur pour le site industriel de Revin, il doit néanmoins être relevé d'une part, que la décision du groupe Electrolux d'arrêter la production de machines à laver à Revin est antérieure aux échanges tenus avec l'autorité publique, d'autre part que, s'il peut prendre en compte des circonstances ou opportunités conjoncturelles, un groupe industriel et commercial tel qu'Electrolux prend légitimement ses décisions stratégiques dans le seul intérêt de ses composants ; que par ailleurs, les avis émis par les différents autorités et organes institutionnels, administratifs et politiques sur les démarches entreprises par le groupe Electrolux ne peuvent être invoqués utilement au-delà de leur objet spécifique respectif, tel s'agissant de l'autorité préfectorale, de la possibilité de changer l'exploitant du site industriel puis de modifier l'activité industrielle au regard des règles environnementales, tel s'agissant de l'autorité politique, de la sauvegarde à court terme d'emplois industriels, tel enfin s'agissant des institutions représentatives des salariés d'EHP, de la protection des droits collectifs des salariés ; que ces avis ne sont pas de nature à exclure une fraude dans la constitution fictive d'une société ; que les éléments versés aux débats montrent d'ailleurs que la construction du projet présenté par EHP a suscité des interrogations au regard de la pérennité de l'activité de SAI, voire des actions judiciaires alors même que les conditions du plan de sauvegarde de l'emploi élaboré par EHP étaient reconnues comme individuellement très favorables.(pièces 24 et 36 de l'intimé, 10 de l'appelante) ; qu'il ressort des éléments versés aux débats que EHP a présenté son projet à l'ensemble des autorités sollicitées comme le transfert d'une branche d'activité autorisant ainsi le transfert d'un passif alors que l'objet de l'apport réalisé à SAI ne pouvait être qualifié comme tel, ainsi qu'il est développé ci-dessus, EHP étant informée à tout le moins depuis le 3 juin 2014, soit avant la signature du traité d'apport partiel d'actif et du contrat de cession des actions de SAI, que cette présentation était erronée (pièce 18 de l'appelante) ; que cette présentation était manifestement trompeuse en ce qu'elle laissait croire à une certaine autonomie industrielle et commerciale de SAI et, loin de la corriger, EHP l'a maintenue dans tous les actes de mise en oeuvre de son projet tant auprès des autorités publiques qu'envers les salariés La société EHP fait valoir que la création de SAI ne saurait être frauduleuse en ce qu'elle a été « avalisée » par la justice et elle renvoie au jugement rendu le 30 octobre 2014 qui, statuant sur requête de la société SAI, a homologué l'accord de conciliation conclu le 3 octobre 2014 entre EHP, SAI et Selni ; qu'il est constant que l'homologation d'un protocole de conciliation selon les modalités de l'article L. 611-9 du code de commerce, n'a d'effet qu'entre les signataires du protocole et dans la seule limite des créances qui y sont mentionnées ; que la société EHP admet dans ses écritures (page 50) avoir été à l'initiative de la désignation d'un mandataire ad hoc puis d'un conciliateur, confirmant ainsi le caractère frauduleux de la demande présentée au nom de SAI ; qu'en outre, la lecture des articles L. 611-3 s'agissant de la désignation d'un mandataire ad hoc et de l'article L. 611-7 s'agissant de celle d'un conciliateur, éclairée par la dernière production de pièces de l'appelante, met en évidence qu'une requête aux fins de désignation judiciaire d'un mandataire ad hoc ou d'un conciliateur suppose l'existence d'un débiteur et de créanciers et celle de difficultés rencontrées par l'entreprise du débiteur ; que s'il entre dans la mission de l'autorité judiciaire de favoriser la prévention des difficultés des entreprises, il ne lui appartient pas « d'avaliser » les projets industriels et commerciaux élaborés par les acteurs économiques ;qu'à la date de dépôt de ces deux requêtes, la société EHP qui était simplement en négociation avec un possible partenaire pour élaborer un projet industriel, ne pouvait avancer aucune difficulté en relation avec une ou des dettes identifiables ;
que la référence par EHP à l'alinéa 2 de l'article L. 611-7 est particulièrement mal venue dès lors que la mission de conciliation sollicitée ne tendait pas à la sauvegarde de l'entreprise mais consistait à une assistance dans la mise en oeuvre de la décision stratégique d'une entreprise parfaitement saine ; que ces initiatives procédurales constituent dans leur formulation comme sur le fond un détournement d'actions judiciaires, EHP disposant de tout moyen technique, notamment du concours du cabinet KPMG qu'elle avait déjà sollicité par elle-même pour s'assurer du sérieux du partenariat qu'elle envisageait avec Selni ; que le fait que EHP se prévale, dans le cadre de la présente instance, d'un « aval » judiciaire corrobore cette analyse ; qu'il est patent que c'est - en fait - l'interruption des commandes de moteurs universels émanant de la société Electrolux Appliances AB qui a précipité SAI dans les difficultés quelques mois à peine après l'arrêt de l'assemblage des machines à laver ; que la société EHP impute la responsabilité de cette situation à la société Selni dont elle dénonce en substance l'absence d'implication véritable dans le projet, un désintérêt pour l'avenir de SAI, sa société-fille et une incompétence dans l'animation du projet industriel confié à celle-ci ; que dans le cadre du présent débat, il n'appartient pas à la cour d'apprécier les responsabilités dans la rupture du partenariat entre le groupe Electrolux et la société Selni ; que pour autant, il faut relever que, dès l'origine du projet, les techniciens appelés à émettre un avis ont souligné non seulement l'extrême fragilité de la société Selni mais aussi le caractère très déséquilibré des engagements de EHP et de Selni respectivement, qui n'était sans doute pas de nature à mobiliser une attention constructive de la part de Selni pour autant que la pérennité de celle-ci soit admise (cf rapports KPMG, rapport SECAFI) ; qu'il convient de rappeler que dès la lettre d'intention du mois de septembre 2013, EHP prévoyait de vérifier la pertinence du business plan proposé par Selni ; que dans ce contexte, EHP et plus généralement le groupe Electrolux ont délibérément privilégié les engagements hors traité d'apport à SAI qui les assuraient de conserver la maîtrise économique totale du projet dans leur intérêt propre, même en cas de défaillance du partenaire Selni dont l'occurrence ne pouvait être écartée, plutôt que de doter d'emblée la société SAI des moyens de prospérer par elle-même dans cette reconversion industrielle ; qu'or, il est patent que EHP a très largement mis en avant ses engagements hors traité d'apport au motif d'une volonté de maintenir l'emploi industriel sur le site de Revin, pour obtenir une adhésion générale au projet, occultant l'impossibilité pour SAI de mener, seule au sein du groupe Selni, le projet de reconversion industrielle (pièces 6, 9, 11, 13, 15, 17, 26 de l'appelante) ; que la rupture du partenariat Electrolux-Selni apparaît ainsi comme un risque connu ab initio et assumé par EHP à la faveur de l'articulation opérée entre la constitution de SAI et les contrats mis en oeuvre par ailleurs ; qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société SAI créée par EHP qui est délibérément demeuré le maître de l'affaire est une société fictive ; qu'il convient, partant, d'étendre à la société Electrolux Home Products France la procédure de redressement judiciaire ouverte le 8 janvier 2018 à l'encontre de la Société ardennaise industrielle ; qu'il n'y a lieu de statuer sur le surplus des demandes ;
1°) ALORS QUE le comité d'entreprise de la société Electrolux Home Products France faisait valoir que tous les faits retenus par le tribunal pour juger la société SAI fictive étaient contemporains de la reconversion industrielle du site de Revin par l'achat de ce site par le groupe Selni en avril 2014, qu'à chaque étape du projet plusieurs administrations ont validé le processus qui prévoyait la création de la société SAI, que le tribunal de commerce de Compiègne avait également validé le projet le 30 octobre 2014 en homologuant le protocole de conciliation conclu entre la société Electrolux Home Products, la société SAI et la société Selni le 3 octobre 2014 ; que le comité d'entreprise ajoutait que les éléments retenus par le jugement dont appel pour considérer la société SAI fictive et l'opération frauduleuse étaient connus lorsque le tribunal de commerce de Compiègne a homologué le protocole de conciliation ; que le comité d'entreprise en déduisait que la cour d'appel ne pouvait retenir ni la fraude de l'opération ni la fictivité de la société SAI (concl., p. 14 et 15) ; qu'en s'abstenant de motiver sa décision par des considérations de nature à justifier que les éléments cidessus invoqués par le comité d'entreprise ne soient pas considérés comme pertinents, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU' un jugement adoptant un plan de cession partielle des actifs d'un débiteur fait obstacle à l'extension à un tiers pour confusion des patrimoines, de la procédure collective de ce débiteur ; que cette règle s'applique également en cas d'extension pour fictivité ; qu'en étendant à la société EHP la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société SAI quand il était constant, acquis au débat et non discuté que par jugement du 16 mai 2018, le tribunal de commerce de Compiègne avait adopté un plan de cession partielle de la société SAI à la société Delta Dore, la cour d'appel a violé les articles L. 621-2 et L. 631-22 du code de commerce ;
3°) ALORS QU' une société est fictive si les personnes qui se présentent comme ses associés et dirigeants ne sont que des prête-noms ou les comparses du véritable maître de l'affaire et sont dépourvues d'indépendance et de toute autonomie ; que pour étendre à la société EHP la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société SAI sur le fondement de la fictivité de la société SAI, la cour d'appel a considéré que la société EHP était le maître de l'affaire ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la société EHP avait, par acte du 19 juin 2014, cédé les actions de la société SAI à la société Selni, sans établir que la société Selni ait été elle-même fictive et/ou prête-nom ou comparse de la société EHP, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
4°) ALORS QU' qu'une société est fictive si elle est dépourvue de toute autonomie décisionnelle à l'égard du maître de l'affaire qui la contrôle et la dirige, soit personnellement, soit par l'intermédiaire de comparses ; qu'en estimant que la société EHP était maître de l'affaire, sans considération pour la circonstance que les dirigeants de la société SAI étaient les dirigeants de la société Selni et géraient la société SAI en toute indépendance et autonomie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
5°) ALORS QU' en considérant qu'après avoir cédé le capital de la société SAI à la société Selni, la société EHP avait poursuivi sa gestion administrative de l'entreprise via un contrat de transition de services aux termes duquel EHP avait maintenu ses outils de gestion au sein de la société SAI et assuré les tâches de comptabilité, administration, de paie et d'informatique et que ces modalités avaient favorisé et confirmé la continuité de l'activité de la société SAI par rapport à l'activité précédente de la société EHP et permis à EHP de conserver une connaissance quotidienne de l'activité de la société SAI, sans rechercher si le contrat de transition de services aux termes duquel la société EHP s'était engagée à fournir certains services administratif à la société SAI était temporaire puisqu'il devait prendre fin au 31 mars 2015 et avait pour finalité d'assurer une bonne transition de l'activité du site de Revin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
6°) ALORS QUE la fraude suppose une intention frauduleuse ; qu'en déduisant l'existence d'une fraude du fait que la société EHP avait présenté le projet litigieux comme le transfert d'une branche d'activité, ses initiatives procédurales constituaient des détournements d'actions judiciaires car fondées sur des textes non applicables, la fragilité de la société Selni et le caractère déséquilibré des engagements des sociétés EHP et Selni avaient justifié l'absence d'intervention constructive de la société Selni et la société EHP avait privilégié des engagements hors traité d'apports, ce qui était impropre à caractériser une intention frauduleuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
7°) ALORS QUE l'existence ou l'absence d'affectio societatis ne peut s'apprécier que dans la personne des associés ; qu'en qualifiant la société SAI de fictive au motif que la constitution d'une société nouvelle par EHP ne correspondait pas à l'engagement de l'associé dans la mise en oeuvre d'un projet autonome et durable qui constitue l'affectio societatis y compris dans les sociétés à associé unique, après avoir constaté que la société EHP avait cédé les actions de la société SAI à la société Selni, par acte du 19 juin 2014, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 621-1 alinéa 2, du code de commerce et 1832 du code civil ;
8°) ALORS QUE l'associé d'une société unipersonnelle n'est pas dépourvu d'affectio societatis du seul fait qu'il a créé celle-ci dans le seul but de transférer les biens qui lui auront été apportés à un tiers ; qu'en retenant que la constitution d'une société nouvelle par EHP ne correspondait pas à l'engagement de l'associé dans la mise en oeuvre d'un projet autonome et durable qui constitue l'affectio societatis y compris dans les sociétés à associé unique, la cour d'appel a violé l'article 1832 du code civil ;
9°) ALORS QUE le capital social est constitué des apports en société ; qu'en considérant que l'apport à la société SAI n'était pas réel, après avoir constaté que le capital de la société SAI avait été entièrement et immédiatement libéré le jour de sa constitution, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles L. 621-2 du code de commerce et 1832 du code civil ;
10°) ALORS QU' en retenant que les biens apportés par la société EHP à la SAI ne constituaient pas une branche d'activité, pour en déduire que l'apport réalisé par la société EHP à la société SAI consistait en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 621-2 du code de commerce et 1832 du code civil ;
11°) ALORS QU' en considérant, pour retenir que l'apport réalisé par EHP à SAI consistait en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis, que la convention de garantie laissait le passif social à la charge de la société SAI puisque la société EHP avait déclaré une créance de 921.00 euros et une créance de 12 millions d'euros au passif de la procédure collective de la société SAI, sans rechercher si ces créances correspondaient, non pas au passif social de la société SAI mais, pour la première, à une répétition de l'indu et, pour la seconde, à la réparation d'un préjudice résultant des fautes des dirigeants de la société SAI, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
12°) ALORS QU' en considérant qu'un passif environnemental affectait l'évaluation des actifs apportés, pour retenir que l'apport réalisé par la société EHP à la société SAI consistait en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis, sans rechercher si ce passif environnemental était seulement éventuel, de sorte qu'il n'avait pas à être pris en compte dans l'évaluation de l'apport de la société EHP à la société SAI, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce.
Moyens produits au pourvoi n° F 18-22.962 par la la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Electrolux Home Products France
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société EHP ;
aux motifs que «sur la compétence du tribunal de commerce de Compiègne : en application de l'article L. 621-2 in fine du code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour ces demandes. La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 a institué des tribunaux de commerce spécialement désignés pour connaître des procédures de sauvegarde, de redressements judiciaires et de liquidations judiciaires mentionnés au Livre VI du code de commerce lorsque, notamment, le débiteur est une entreprise dont le montant net de chiffre d'affaires est d'au moins 40.000.000 € (article L.721-8 du code de commerce). La même loi a modifié l'article L. 662-8 du code de commerce qui dispose désormais : le tribunal est compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui détient ou contrôle, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui ; il est également compétent pour connaître de toute procédure concernant une société qui est détenue ou contrôlée, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, par une société pour laquelle une procédure est en cours devant lui ; il peut désigner un administrateur judiciaire et un mandataire judiciaire communs à l'ensemble des procédures ; par dérogation à la première phrase du premier alinéa, toute procédure en cours concernant une société détenue ou contrôlée, au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3, par une société pour laquelle une procédure est ouverte devant un tribunal de commerce spécialisé est renvoyée devant ce dernier. Il convient de relever que la loi récente n'a pas modifié l'article L. 621-2 du code de commerce et qu'elle ne comporte aucune disposition contraire à ce texte s'agissant de l'extension d'une procédure collective à une autre entreprise. Par ailleurs, envisageant des difficultés pratiques dans la répartition des compétences entre les tribunaux de commerce et les tribunaux de commerce spécialisés, la loi nouvelle a confirmé la compétence des premiers pour connaître de toute procédure susceptible d'être menée à l'encontre d'une société en lien capitalistique ou de contrôle (au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3) avec une société à l'encontre de laquelle une procédure est déjà en cours, à la seule exception de la situation dans laquelle, au sein d'un groupe de sociétés (au sens des articles L. 233-1 et L. 233-3) une procédure collective est ouverte devant un tribunal spécialisé à l'encontre d'une société mère alors qu'une procédure collective est en cours devant un tribunal non spécialisé à l'encontre d'une société fille. Aucune disposition du droit européen ne contredit ces dispositions procédurales de droit interne, étant observé que la référence jurisprudentielle proposée par l'appelante concerne la répartition de compétences entre des juridictions de deux Etats différents. Or en l'espèce, aucun lien capitalistique ou de contrôle n'unit la société EHP à la société SAI au moment où le tribunal de commerce de Compiègne statue à l'encontre de la première. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société EHP, nonobstant le montant du chiffre d'affaires réalisé par celle-ci » ;
alors que l'article L. 721-8 du code de commerce soumet à la compétence de tribunaux de commerce spécialement désignés les procédures collectives concernant notamment des entreprises exerçant une activité commerciale et réalisant un chiffres d'affaires net d'au moins 40 millions d'euros ; que cette règle s'applique en cas d'extension à une entreprise répondant à ces critères d'une procédure collective et ce, quand bien même le débiteur faisant l'objet de ladite procédure ne remplirait aucune des conditions posées par ce texte ; qu'en l'espèce, la société EHP a contesté la compétence du tribunal de commerce de Compiègne pour prononcer l'extension, à son encontre, de la procédure collective de la société SAI ; qu'en rejetant cette exception d'incompétence, après avoir néanmoins constaté que la société EHP avait réalisé un chiffre d'affaires de 290 millions d'euros, excédant largement le seuil de 40 millions d'euros qui déclenche la compétence d'un tribunal de commerce spécialisé, la cour d'appel a violé le texte précité.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir étendu à la société Electrolux Home Products France la procédure de redressement judiciaire ouverte le 8 janvier 2018 à l'encontre de la société Ardennaise Industrielle ;
aux motifs que «en application de l'article L. 621-2 alinéa 2 du code de commerce, à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale. En l'espèce, la constitution de la société SAI trouve son origine dans la décision du groupe Electrolux de cesser la production à Revin de machines à laver à chargement par le dessus pour regrouper cette production sur le site d'Olawa en Pologne. Il est constant en effet que cet arrêt d'activité en France a été annoncé par la société EHP aux instances représentatives des salariés en 2012. Dans le contexte social et économique d'alors, l'autorité politique nationale a exprimé sa volonté de favoriser des projets industriels de nature à éviter la destruction d'emplois à court terme et c'est ainsi que le groupe Electrolux et la société Selni sont entrés en contact pour envisager la possibilité d'une reconversion du site industriel de Revin. Il convient de souligner à titre liminaire qu'il n'appartient pas à la présente juridiction d'émettre quelque appréciation sur les choix économiques faits par le groupe Electrolux ou sur le positionnement politique de l'autorité publique. Inversement, ces mêmes choix économiques et positionnements politiques ne sont pas de nature à faire obstacle à l'analyse juridique à laquelle il incombe à la cour de procéder. Il ressort suffisamment des écritures des parties que la décision d'extension à la société EHP de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société SAI dépend uniquement du caractère véritable ou fictif de SAI en tant que société au sens des articles 1832 et suivants du code civil. De fait, aucun élément du dossier ne permet de retenir une confusion entre les patrimoines des deux entreprises. La société SAI a été constituée par la société EHP le 27 novembre 2013 sous la forme d'une société par actions simplifiée, avec un unique actionnaire, un capital social de 5.000 € immédiatement libéré, un siège social situé à Compiègne dans un centre d'affaires et avec pour objet social « le commerce et l'industrie de tous métaux, l'achat, la vente, la fabrication de tout matériel, machines, outillage, instruments, appareils et autres articles divers et spécialement machines à laver, moteurs électriques » et, généralement, toutes opérations industrielles y afférentes. Cette constitution fait directement suite à une lettre d'intention signée entre la société Electrolux France et la société Selni le 2 septembre 2013 aux termes de laquelle, la première souhaitant arrêter la production de machines à laver sur le site de Revin à échéance fin 2016 et la seconde souhaitant développer la fabrication et la vente de moteurs électriques notamment au groupe Electrolux, Selni proposait de s'engager à maintenir 230 emplois sur le site de Revin par l'installation d'une nouvelle activité de production de moteurs à la faveur d'un engagement d'Electrolux de fournir l'immobilier du site et certains équipements, de financer la fabrication de deux lignes de production et de fournir un soutien en personnel pour le démarrage de l'activité et un soutien financier à travers les accords commerciaux, les deux parties prévoyant en outre la signature d'un contrat de fourniture à long terme portant sur 1,2 millions de moteurs par an de Selni à Electrolux. Il est admis par les parties que le seul objet de la constitution de SAI par EHP était de poursuivre l'activité d'assemblage de machines à laver pendant une durée de 2 années afin de permettre l'installation de cette nouvelle activité industrielle. S'il n'est pas discutable que ce rapprochement d'Electrolux et de Selni satisfaisait la préoccupation des pouvoirs publics d'éviter une destruction d'emplois industriels à court terme, il n'apparaît pas qu'il imposait par lui-même la création par EHP d'une nouvelle société. Dans ce contexte, doivent être analysés les éléments susceptibles de caractériser une société fictive. Il ressort des éléments du dossier que si elle a été formellement constituée au mois de septembre 2013, SAI qui n'était alors dotée que d'un apport en capital de 5.000 € ne pouvait avoir de réalité concrète avant de disposer de l'apport indispensable à son activité et de salariés. Ce n'est que le 19 juin 2014 que EHP et SAI ont signé un traité d'apport et le transfert des contrats de travail des salariés de EHP repris par SAI a pris effet rétroactivement au 1er septembre 2014. En outre, ainsi qu'il ressort du rappel des faits ci-dessus, c'est principalement au cours de l'automne 2014 qu'a été signée la majeure partie des contrats prévus dans le cadre du projet de reconversion industrielle, exception faite du contrat de cession des actions de SAI à la société Selni, formalisé le 19 juin 2014. De fait, jusqu'à l'été 2014, l'activité sociale de SAI a consisté uniquement dans des démarches administratives relatives à sa substitution à EHP en qualité d'exploitant du site d'installation classée. Si l'absence d'activité et de consistance réelle jusqu'au mois de juin 2014 ne suffit pas à démontrer le caractère fictif de SAI au regard du temps nécessaire à la mise en place du projet, elle conduit en revanche à prendre en considération, au premier chef, l'ensemble des actions entreprises par les protagonistes au cours de l'année 2014 pour apprécier la réalité de SAI en tant que société. Au regard des éléments constitutifs d'une société, les éléments du dossier conduisent à analyser l'objet de la décision de EHP de faire société, la réalité des apports effectués par l'associé unique, l'autonomie de SAI par rapport à son créateur et les éléments d'une fraude. – Objet de la décision de EHP de faire société :
il ressort du premier rapport du cabinet KPMG, sollicité d'abord par EHP puis désigné comme technicien dans le cadre d'un mandat ad hoc sollicité par la société SAI au mois de mars 2014 que la création de SAI s'inscrit dans une réflexion stratégique menée par le groupe Electrolux depuis 2012 sur le devenir de la production de machines à laver à chargement par le haut à Revin dans le contexte d'une contraction du marché qui avait abouti à une décision d'arrêter cette fabrication en France et de la concentrer sur un établissement situé en Pologne. Les éléments du dossier montrent clairement que cette décision d'arrêter cette production à Revin n'a jamais été remise en cause au cours de l'élaboration du projet qui a donné lieu à la création de la société SAI, dont elle constituait l'hypothèse de départ et donc la base de réflexion de l'ensemble des intervenants. De fait, à l'issue de la période de 2 années annoncée dès les premiers échanges entre les différents acteurs, l'outil de production/d'assemblage des machines à laver a effectivement été transféré par EHP sur son site de production situé en Pologne. La constitution de la société SAI n'avait donc pas pour objet le transfert d'une branche d'activité au sens commun du terme, mais l'organisation de la cessation à bref délai d'une partie de l'activité de EHP en France ; le traité d'apport partiel d'actif en date du 19 juin 2014 rappelle que l'activité développée sur le site de Revin n'est plus viable et cessera au plus tard à la fin de l'année 2016 et que l'objectif du projet est de permettre à la société Selni de développer une nouvelle activité ; il indique que la société bénéficiaire exploitera l'activité d'assemblage de machines à laver dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de fabrication avec une société du groupe Electrolux. Par ailleurs, si, pour satisfaire à des considérations sociales, EHP et/ou les autres sociétés du groupe Electrolux ont pris divers engagements financiers envers la société Selni, significatifs dans leur montant, pour permettre la création sur le même site d'une activité industrielle nouvelle, il est manifeste que EHP n'entendait pas participer en qualité d'associée à cette activité nouvelle, le contrat de cession des actions de la société SAI à Selni étant concomitant du traité d'apport partiel. De fait, le protocole d'accord signé le 30 avril 2014 a été conclu entre la société Electrolux France et la société Selni, sans la participation de SAI, pourtant déjà constituée, alors même qu'il prévoit divers engagements à contracter par celle-ci, ce qui corrobore le caractère « transparent » de SAI dans les rapports entre le groupe Electrolux et la société Selni. Il s'ensuit que la constitution d'une société nouvelle par EHP ne correspond pas à l'engagement de l'associé dans la mise en oeuvre d'un projet autonome et durable, qui constitue l'affectio societatis y compris dans les sociétés à associé unique. – Réalité de l'apport de la société EHP à la société SAI : la société Electrolux fait valoir qu'après avoir constitué la société SAI en lui fournissant tous les attributs de la personnalité morale, elle a apporté à la nouvelle société une branche d'activité lui permettant de fonctionner et de se développer en toute autonomie. Elle réfute l'allégation selon laquelle le traité d'apport conclu le 19 juin 2014 ne correspondrait pas à un apport réel. Une branche d'activité est définie comme un ensemble d'éléments d'actif et de passif qui constitue une exploitation autonome, identifiable au sein de l'ensemble de l'activité de l'entreprise et susceptible de fonctionner par ses propres moyens. Contrairement à un simple apport d'éléments d'actif, l'apport d'une branche d'activité autonome, caractéristique d'une scission de l'activité de la société apporteuse au sens des articles L. 236-1 et suivants du code de commerce, emporte transmission universelle de patrimoine et donc transmission du passif afférent aux éléments d'actifs. En l'espèce, même si la cour ne dispose pas des éléments comptables relatifs à l'activité globale de la société EHP, il ne fait pas de doute que constituée de deux établissements, l'un commercial, l'autre industriel, la société EHP dispose de deux branches d'activité distinctes correspondant à l'un et l'autre de ses établissements respectivement. Pour autant, il convient d'analyser si le contrat intitulé « traité d'apport partiel d'actifs » conclu entre EHP et SAI le 9 juin 2014 correspond à la transmission d'une branche autonome d'activité. Par cet accord, EHP a transmis à SAI à titre d'actif des immobilisations corporelles (terrains et constructions) et financières et des stocks et encours pour un montant total de 20.490.607 € et, à titre de passif des provisions pour risques (départs en retraite et médailles du travail), et des dettes d'exploitation (dettes fournisseurs et dettes fiscales et sociales) et diverses autres dettes dont un billet à ordre long terme de 1,5 millions d'€, pour un montant total de 20.490.606 €, soit une valeur nette retenue de 1 € (pièce 8 de l'appelante). Il convient de relever que le commissaire aux apports a retenu pour postulat que le traité d'apport partiel d'actifs portait sur l'ensemble des droits et obligations relatif à l'exploitation de la branche complète et autonome d'activité de production sur le site de Revin, sans relever que le transfert de l'outil de production était expressément exclu de l'apport ; indépendamment des modalités d'évaluation des divers éléments inclus dans le traité d'apport et qui seront examinées ci-après, il a conclu que les apports ne sont pas surévalués « compte tenu des engagements donnés par EHP pour : - le financement de nouvelles activités, - la prise en charge des coûts de restructuration sociale, et – la garantie en matière d'environnement ». Ces seuls éléments mettent en évidence, d'une part, qu'un élément d'actif aussi essentiel à l'activité de production que l'outil de production lui-même qui ne peut certainement pas être rattaché à la branche commerciale de l'activité de EHP est dissocié de ce que EHP présente comme une branche d'activité autonome, d'autre part que le contenu de l'apport a été défini en fonction du projet de création d'une nouvelle activité industrielle (nécessairement extérieure à la branche d'activité alléguée) que le groupe Electrolux s'engageait par ailleurs à soutenir. Ils établissent l'absence d'autonomie des éléments apportés par EHP à SAI, au sein de l'activité globale de EHP. Le 27 juin 2014, l'administration fiscale, sollicitée par EHP notamment sur ce point, a informé l'apporteur qu'en l'absence d'apport de la ligne de production des machines à laver, il ne pouvait être considéré que le traité avait pour objet la cession d'une branche complète d'activité (pièce 18 de l'appelante). S'il n'est pas contestable qu'une entité économique autonome puisse être transmise sans transfert de la propriété de l'outil de production, force est de constater qu'en l'espèce, la mise à disposition de SAI de la ligne d'assemblage de machines à laver était très provisoire, prolongée de mars à décembre 2016 à la seule discrétion de EHP et que ce caractère très temporaire conjugué à l'arrêt progressif des commandes de machines à laver de la part d'Electrolux Appliances AB faisaient échec, ab initio, à la notion de transfert de branche d'activité. Dans ces circonstances, la transmission à SAI d'un passif de 20.000.000 € environ n'est pas justifiée par l'apport d'éléments d'actif pour un montant quasi équivalent. Au surplus, la valorisation même des éléments d'actif et de passif inclus dans le traité d'apport partiel d'actif est sujette à questionnement. En effet, il ne ressort pas des travaux du commissaire aux apports que le « détourage » du bilan à partir duquel la société EHP a inclus dans le traité d'apport des éléments d'actif et de passif, ait fait l'objet d'une analyse critique de sorte que l'affectation de ces éléments à l'activité du site de Revin résulte d'une décision unilatérale de la société EHP à une époque où elle avait un contrôle complet de sa société fille ; à cet égard, la production du listing des comptes clients apportés à SAI ne lève pas les interrogations du mandataire judiciaire qui souligne que la somme correspondante de 17.000.000 € environ ne se retrouve pas dans les comptes de SAI. Par ailleurs, s'il rappelle que les éléments apportés doivent être évalués à leur valeur vénale dès lors que la bénéficiaire doit passer sous le contrôle d'un tiers, le commissaire aux apports retient les seules valeurs comptables sans justification, ni analyse. En outre, alors que le diagnostic qualité des sols et des eaux souterraines réalisé au mois de mars 2014, en révélant la présence de métaux lourds et d'hydrocarbures au-delà des seuils hauts des anomalies naturelles, démontre le principe d'un passif environnemental nécessairement transmis à SAI par l'apport des actifs immobiliers et par le transfert de l'autorisation d'exploiter, le commissaire aux apports a certes admis que ce passif affectait l'évaluation des actifs apportés, mais a validé l'évaluation de l'apport net à 1 € sans le moindre élément d'appréciation sur le montant prévisible de ce passif environnemental. Mais plus encore, le commissaire aux apports a cru pouvoir appuyer son avis sur le « financement (par EHP) de nouvelles activités » alors que le financement des deux lignes de production de moteurs qui consiste en un engagement hors bilan, n'a donné lieu trois mois après son rapport qu'à une promesse synallagmatique de vente prévoyant que SAI serait débitrice de EHP à hauteur du coût de fabrication de ces deux lignes de production, soit 15,2 millions d'€, EHP s'engageant à céder cette créance à Selni pour 1 €, ce dont il ressort que ce financement ne profite qu'indirectement à la société SAI. Enfin, il est constant que le traité d'apport omet la transmission de droit à SAI du passif social résultant, après transfert des contrats de travail des salariés de EHP à SAI, des accords collectifs conclus les 6 juin, 1er octobre et 27 octobre 2014 et pourtant certain dans son principe à tout le moins à la date de l'apport. Si sur ce point, la société EHP reproche au mandataire judiciaire de SAI de ne pas prendre en considération la convention de garantie signée le 19 juin 2014 par laquelle EHP s'est engagée à payer entre les mains des préretraités et autres salariés non couverts par le contrat d'assurance de préretraite et appelés à quitter la société SAI jusqu'au mois d'avril 2016, les indemnités résultant de l'accord collectif conclu par SAI au mois d'octobre 2014, cette convention conclue au seul bénéfice des salariés concernés laisse ce passif social à la charge de SAI ; c'est ainsi que EHP a déclaré au passif de la procédure collective de SAI une créance correspondant aux sommes versées de ce chef, soit une créance échue de 921.000 € et une créance à échoir de 12.000.000 €. Si la société EHP fait justement valoir que l'ensemble des contrats et engagements conclus par les sociétés du groupe Electrolux sont indivisibles du traité d'apport, force est de constater que les contrats commerciaux conclus entre SAI et la société Electrolux Appliances AB comme l'engagement de EHP de financer la fabrication de deux nouvelles lignes de production n'améliorent pas le bilan de SAI. Dans ces circonstances, le fait que SAI ait pu réaliser deux exercices bénéficiaires tient principalement aux accords commerciaux hors traité d'apport, à telle enseigne que c'est l'arrêt des commandes de moteurs universels par Electrolux Appliances AB au cours de l'année 2017 (quelle qu'en soit la cause) qui a précipité SAI dans les difficultés, celle-ci ne disposant pas des moyens de fonctionner par elle-même. Sans qu'il soit besoin de discuter plus avant les moyens de fait avancés par les parties, il s'induit de l'ensemble de ces éléments que l'apport réalisé par EHP à SAI a été déficitaire pour la seconde en ce qu'elle a consisté en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis. Il ne saurait être tiré aucune conclusion de l'absence d'opposition au traité d'apport, si ce n'est la confiance des créanciers dans la présentation par EHP du projet de reconversion industrielle et dans les engagements pris par le groupe Electrolux. – EHP, maître de l'affaire : le maître de l'affaire est l'entité qui, indépendamment de structures juridiques mises en place, dispose de la totale maîtrise de l'activité contrôlée et prive celle-ci de tout pouvoir décisionnel réel. La notion de maître de l'affaire est distincte, par nature, de celle de gérance de fait et du lien de dépendance économique qui peut lier une société fille à la société mère. En l'espèce, il est constant que du mois de novembre 2013, date de sa créance par EHP et le mois de juin 2014, SAI n'a eu d'autre activité sociale que les démarches administratives destinées à permettre le transfert de l'activité industrielle convenue entre EHP et Selni.
Dirigée par le président de EHP, entièrement détenue par EHP et dépourvue de tout moyen matériel, SAI n'est pas partie au protocole conclu le 30 avril 2014 qui définit pourtant les conditions dans lesquelles elle va devoir opérer, qu'il s'agisse de la mise à disposition des outils de production par EHP ou de la commercialisation de sa production à venir à Electrolux Appliances AB. Au mois de mars 2014, SAI a déposé devant le président du tribunal de commerce de Compiègne une requête aux fins de désignation d'un mandataire ad hoc au visa de l'article L. 611-3 du code de commerce à laquelle il a été fait droit le 21 mars 2014, le mandataire ad hoc recevant pour mission de « - réaliser un diagnostic de la situation économique, financière et commerciale des difficultés et des solutions pour assurer la reconversion pérenne de l'activité de production du site de Revin qui sera apportée à la société Ardennaise Industrielle, - assister la requérante dans le cadre de ces négociations avec les parties intéressées ». Or, il est manifeste qu'à cette époque SAI, dépourvue de la moindre activité et de la moindre autonomie de décision en ce qu'elle était totalement contrôlée par EHP, n'était assurément pas débitrice au sens de l'article L. 611-3 et qu'elle n'était pas en situation de rencontrer la moindre difficulté au sens du même texte. De fait, ainsi qu'il vient d'être dit, SAI ne participait pas aux négociations en cours entre EHP et Selni. Il s'induit que, sous couvert de son président, ès qualités de président de SAI, c'est en réalité EHP qui a pris l'initiative de cette requête et, de fait, c'est EHP qui pouvait nourrir quelques interrogations sur les données économiques, financières et commerciales d'un projet commun avec Selni. Dans le même temps, le cabinet KPMG ne s'est d'ailleurs pas trompé sur l'identité du véritable maître de l'opération puisque tout en adressant un rapport à M. de Noinville en sa qualité de président de SAI (par ailleurs président de EHP), il indique « Notre intervention a été diligentée par Electrolux Home Products France qui nous a interrogée sur la pérennité de l'activité du site de Revin au vu des prévisions établies par les parties et des engagements en cours de négociation » (pièce 4 de l'appelante p. 5). A cet égard, il est significatif de relever que le cabinet KPMG a rédigé un rapport qui consiste à présenter les options stratégiques ouvertes à la société EHP relativement à la production de machines à laver à chargement par le haut, la situation de la société Selni et les forces/faiblesses, risques/opportunité du projet de partenariat EHP/Selni. A nouveau sollicité par le mandataire ad hoc, le cabinet KPMG mentionne dans un second rapport que les données sur lesquelles il a travaillé relèvent de la seule responsabilité de EHP et de Selni confirmant l'inexistence en fait de la société SAI à cette époque (pièce 5 de l'appelante, p. 1). De même, au mois d'août 2014, SAI dont le capital avait déjà été cédé par EHP à Selni sous diverses conditions suspensives et qui était encore dirigée par le président de EHP a déposé une requête aux fins de désignation d'un conciliateur de justice, à laquelle il a été fait droit le 29 août 2014 par une ordonnance confiant au conciliateur la mission « d'assister la requérante dans le cadre de la finalisation de l'opération de cession de son capital au repreneur ». Il est patent qu'à cette époque où SAI n'avait aucune activité autonome (les salariés ne lui seront transférés qu'au 1er novembre rétroactivement) et se trouvait de fait sous la direction de EHP, seule cette dernière, cédante du capital de SAI, se trouvait dans une situation de « finalisation de l'opération de cession » et pouvait avoir intérêt à éclaircir les intentions et aptitudes réelles de son cocontractant. La suppression du lien capitalistique entre EHP et SAI n'a donc pas affecté, en fait, le comportement de EHP comme maître de l'affaire. Il est enfin significatif de noter que si le jugement rendu le 30 octobre 2014 portant homologation du protocole de conciliation conclu entre EHP, SAI et Selni le 3 octobre, a été rendu sur la requête de SAI, la rectification d'une omission de statuer, sollicitée aussi en apparence par SAI, consiste à faire ajouter que le billet à ordre long terme émis par SAI à l'ordre de EHP bénéficiera du privilège de l'article L. 611-11 du code de commerce, soit une disposition rendue dans le seul intérêt de EHP. Il apparaît donc qu'au cours de l'année 2014, c'est EHP qui a en réalité agi en justice, à trois reprises, sous couvert de la société SAI et dans son propre intérêt (pièces 3, 10, 14). Les deux premières années d'activité de la société SAI ont été consacrées à la reprise à l'identique de l'activité menée par EHP sur le site de Revin, sous la réserve d'une réduction importante d'effectifs. Après avoir cédé le capital de SAI à la société Selni, la société EHP a poursuivi sa gestion administrative de l'entreprise via un contrat de transition de services aux termes duquel EHP maintenait ses outils de gestion au sein de la société SAI et assurait les tâches de comptabilité, d'administration, de paie et d'informatique moyennant le prix de 17.450 € par mois. Ces modalités qui favorisent et confirment la parfaite continuité de l'activité de SAI par rapport à l'activité précédente de EHP permettait en outre à cette dernière de conserver une connaissance quotidienne de l'activité de SAI (pièce 27 de l'appelante). Au-delà des actions précitées, mises en oeuvre par EHP et faisant fi de la personnalité morale de SAI, c'est la conception globale de l'opération qui caractérise la volonté de EHP de demeurer le maître de l'affaire. En effet, l'opération menée consistant principalement à maintenir très provisoirement sur le site de Revin l'activité d'assemblage des machines à lever à la faveur d'une réduction des effectifs, d'un prêt à long terme de 1,5 millions d'€ et d'un engagement commercial d'Electrolux Appliances AB d'acquérir ces machines et à financer la fabrication et l'installation de deux nouvelles lignes de production, l'une relative à des moteurs universels, l'autre relative à des petits moteurs BLDC présentés comme innovants par Selni, à la faveur d'un engagement commercial d'Electrolux Appliances AB portant sur l'acquisition de 1,2 moteurs universels par an pendant 5 ans, il ressort des pièces du dossier que : - EHP a conservé la propriété et la maîtrise de la ligne d'assemblage des machines à laver qu'elle a mise à disposition de SAI dans un premier temps jusqu'au mois de mars 2016 puis jusqu'à la fin de l'année 2016 avant de la récupérer pour la transférer dans son établissement polonais, conformément au projet initial de délocalisation, cet outil industriel étant déterminant de l'activité de SAI, - les sociétés du groupe Electrolux ont défini les modalités de l'arrêt progressif de l'assemblage des machines à laver en termes de délais et de quantités, un contrat de fourniture signé le 31 octobre 2014 déterminant les seuls débouchés commerciaux possibles pour SAI dans ce contexte, - s'engageant à financer la fabrication des deux lignes de production appelées à permettre le maintien d'une activité industrielle sur le site de Revin, EHP qui a unilatéralement choisi le fabricant a conservé la totale maîtrise de l'outil de production nécessaire à l'activité de SAI, - s'il ne prévoit pas l'exclusivité, le contrat d'achat de produits finis conclu entre SAI et Electrolux Appliances AB le 31 octobre 2014 prévoit la vente d'une quantité de moteurs universels équivalente à la capacité totale de production envisagée sur une période de 5 ans. Il ressort de façon manifeste et explicite de l'ensemble des protocoles et contrats versés aux débats que la création de SAI et la reconversion de son activité s'inscrivent dans une opération globale convenue par le groupe Electrolux et la société Selni, au sein de laquelle la cession du capital de SAI, les apports faits par EHP, les engagements sociaux pris par EHP et les accords industriels et commerciaux pris par telle société du groupe Electrolux sont liés et interdépendants. Dans ce contexte, l'ensemble des autorités et intervenants extérieurs a souligné de façon particulière claire que l'activité de SAI et sa pérennité étaient directement dépendantes des engagements financiers, sociaux, industriels et commerciaux pris par les sociétés du groupe Electrolux : - le commissaire aux apports conclut le 31 juillet 2014 que les apports ne sont pas surévalués, s'il est tenu compte « des engagements donnés par EHP pour le financement des nouvelles activités, la prise en charge des coûts de restructuration sociale et la garantie en matière d'environnement », - le rapport du cabinet Secafi présenté au comité central d'entreprise de EHP le 15 juillet 2014 souligne l'importance des engagements industriels et commerciaux pris par le groupe pour permettre le maintien d'une activité industrielle à Revin, - le rapport KPMG relève que « afin de sécuriser le business plan » le groupe Electrolux s'est engagé sur les volumes et marges unitaires sur la production des machines à laver, sur la fourniture de prestations de supports techniques pendant la période transitoire, sur les volumes et marges unitaires sur le contrat de moteurs universels pour une période de 7 ans, sur la couverture d'éventuels surcoûts liés à la structure pendant la période transitoire, sur la couverture des coûts sociaux liés à la reconversion, sur la prise en charge des investissements industriels, - le rapport de Me Lessertois, conciliateur en date du 23 octobre 2014 mentionne que « il n'en reste pas moins que la reconversion industrielle du site de Revin constitue un projet ambitieux qui nécessite une surface économique et financière importante ; ce constat a amené le groupe Electrolux à prévoir un grand nombre d'apports, de garanties et d'engagements pour répondre aux besoins identifiés et contribuer à la mise en oeuvre et à la réussite de cette opération ». S'il ne peut être reproché aux sociétés du groupe Electrolux d'avoir conservé la main sur tous les aspects industriels et commerciaux au regard des sommes engagées, il ressort néanmoins de ces éléments que SAI ne disposait d'aucune marge d'autonomie économique dans la gestion de son activité entièrement contrôlée en amont comme en aval par le groupe Electrolux. Si la société EHP fait valoir à juste titre qu'elle n'est pas partie à certains des contrats nécessaires à l'activité de SAI qui ont été conclus par la Electrolux Appliances AB, il ressort suffisamment des pièces du dossier que le projet mis en oeuvre par EHP à travers la création de SAI puis le traité d'apport partiel d'actif et la cession du capital à Selni, s'inscrit dans une démarche concertée au sein du groupe Electrolux, à telle enseigne par exemple que la société Electrolux France SA est mentionnée comme partie au contrat de cession des actions de SAI entre EHP et Selni. Selon les termes du contrat de cession d'actions, EHP s'est en outre expressément engagée pour le compte de ses sociétés affiliées et à remettre au cessionnaire les contrats attendus de la Electrolux Appliances AB relativement à la convention de fourniture de machines à laver et au contrat cadre portant sur la fabrication des moteurs universels, de sorte que ces contrats sont directement opposables à EHP (pièce 11 de l'appelante). En outre, il ressort suffisamment du 31 sur 77 rapport KPMG que la société Selni qui se trouvait en cours d'exécution d'un plan de redressement au moment des négociations avec EHP, grâce notamment à l'utilisation de fonds publics ou parapublics, n'était pas en capacité de proposer un autre concours qu'un projet de développement et de commercialisation à terme d'un petit moteur BLDC présenté comme innovant ; la société Selni, au-delà de l'entregent manifeste de ses dirigeants, n'était donc pas en capacité de prendre la direction effective du projet industriel confié à SAI ainsi que le mentionne EHP elle-même dans un courrier adressé à l'administration fiscale au mois de mai 2014 (pièce 17 de l'appelante). Si elle a incontestablement permis d'éviter un risque de destruction à court terme d'emplois industriels sur le site de Revin lié à la décision du groupe Electrolux d'arrêter la fabrication en France des machines à laver à chargement par le dessus, la constitution de la société SAI dans le cadre du projet ici examiné, a permis, de fait, à EHP d'opérer cette délocalisation entre transférant sur SAI les contraintes environnementales auxquelles elle aurait dû faire face si le site avait été purement et simplement fermé. Par ailleurs, ainsi qu'il ressort des échanges de courriers entre l'administration fiscale et la société EHP aux mois de mai et juin 2014 : - le passif social supporté par EHP aux termes du traité d'apport partiel d'actifs correspondant à des frais de restructuration bénéficiait de l'exception au principe de non-déductibilité (article 39 5° al. 33 du code général des impôts), - l'investissement de 15.000.000 € dans les lignes de production de moteurs destinés à SAI et devant donner lieu à une cession à Selni pour 1 €, a été admis comme pouvant donner lieu à une déduction fiscale au profit de EHP ; l'administration fiscale a en effet retenu les explications de EHP selon lesquelles la perte consistant à l'abandon promis de cet outil industriel pour 1 € au profit d'un tiers, avait une contrepartie commerciale pour EHP en ce qu'évitant un mouvement social d'envergure et un blocage prévisible du site de production, cet investissement a évité un impact sur le volume des ventes en France et des coûts marketing et de communication nécessaires à la restauration de l'image de la marque auprès du grand public, cette contrepartie étant évaluée à 16.000.000 € par EHP (pièce 18 de l'appelante) ; cet investissement était donc consenti aussi dans l'intérêt direct de EHP et non pas dans le seul objectif de maintenir l'emploi sur le site de Revin. Enfin, il est manifeste que la définition par EHP des spécificités de l'outil industriel ainsi financé en fonction du cahier des charges de la société Electrolux Appliances AB et la signature d'un contrat de fourniture sur 5 ans aux prix et conditions préétablis par celle-ci avec la société SAI créée en France fournissaient au groupe Electrolux un avantage commercial non négligeable au regard du caractère stratégique du marché français (cf. rapport Secafi, pièce 24 de l'intimée). Il s'induit de l'ensemble de ces éléments de fait qu'en créant la société SAI dans le cadre du projet ici analysé, la société EHP a agi comme maître de l'affaire au mieux de ses intérêts propres, indépendamment de la convergence de ce projet avec les orientations des pouvoirs publics. – Eléments de fraude : si la notion de fraude peut recouvrer diverses réalités, constitue notamment une fraude le fait se prévaloir de faits dont le caractère inexact est avéré, de détourner des moyens juridiques ou de dissimuler l'objectif véritable d'une entreprise. Au contraire, la fraude n'implique pas nécessairement le secret. En l'espèce, s'il peut être entendu que l'intervention de l'autorité politique a incité le groupe Electrolux à examiner les possibilités de trouver un repreneur pour le site industriel de Revin, il doit néanmoins être relevé d'une part, que la décision du groupe Electrolux d'arrêter la production de machines à laver à Revin est antérieure aux échanges tenus avec l'autorité publique, d'autre part que, s'il peut prendre en compte des circonstances ou opportunités conjoncturelles, un groupe industriel et commercial tel qu'Electrolux prend légitimement ses décisions stratégiques dans le seul intérêt de ses composants. Par ailleurs, les avis émis par les différents autorités et organes institutionnels,
administratifs et politiques sur les démarches entreprises par le groupe Electrolux ne peuvent être invoqués utilement au-delà de leur objet spécifique respectif, tels s'agissant de l'autorité préfectorale, de la possibilité de changer d'exploitant du site industriel puis de modifier l'activité industrielle au regard des règles environnementales, tels s'agissant de l'autorité politique, de la sauvegarde à court terme d'emplois industriels, tels enfin s'agissant des institutions représentatives des salariés d'EHP, de la protection des droits collectifs des salariés ; ces avis ne sont pas de nature à exclure une fraude dans la constitution fictive d'une société ; les éléments versés aux débats montrent d'ailleurs que la construction du projet présenté par EHP a suscité des interrogations au regard de la pérennité de l'activité de SAI, voire des actions judiciaires alors même que les conditions du plan de sauvegarde de l'emploi élaboré par EHP étaient reconnues comme individuellement très favorables (pièces 24 et 36 de l'intimée, 10 de l'appelante). Il ressort des éléments versés aux débats que EHP a présenté son projet à l'ensemble des autorités sollicitées comme le transfert d'une branche d'activité autorisant ainsi le transfert d'un passif alors que l'objet de l'apport réalisé à SAI ne pouvait être qualifié comme tel, ainsi qu'il est développé ci-dessus, EHP étant informée à tout le moins depuis le 3 juin 2014, soit avant la signature du traité d'apport partiel d'actifs et du contrat de cession des actions de SAI, que cette présentation était erronée (pièce 18 de l'appelante). Cette présentation était manifestement trompeuse en ce qu'elle laissait croire à une certaine autonomie industrielle et commerciale de SAI et, loin de la corriger, EHP l'a maintenue dans tous les actes de mise en oeuvre de son projet tant auprès des autorités publiques qu'envers les salariés. La société EHP fait valoir que la création de SAI ne saurait être frauduleuse en ce qu'elle a été « avalisée » par la justice et elle renvoie au jugement rendu le 30 octobre 2014 qui, statuant sur requête de la société SAI, a homologué l'accord de conciliation conclu le 3 octobre 2014 entre EHP, SAI et Selni. Il est constant que l'homologation d'un protocole de conciliation selon les modalités de l'article L. 611-9 du code de commerce, n'a d'effet qu'entre les signataires du protocole et dans la seule limite des créances qui y sont mentionnées. La société EHP admet dans ses écritures (page 50) avoir été à l'initiative de la désignation d'un mandataire ad hoc puis d'un conciliateur, confirmant ainsi le caractère frauduleux de la demande présentée au nom de SAI. En outre, la lecture des articles L. 611-3 s'agissant de la désignation d'un mandataire ad hoc et de l'article L. 611-7 s'agissant de celle d'un conciliateur, éclairée par la dernière production de pièces de l'appelante, met en évidence qu'une requête aux fins de désignation judiciaire d'un montant ad hoc ou d'un conciliateur suppose l'existence d'un débiteur et de créanciers et celle de difficultés rencontrées par l'entreprise du débiteur. S'il entre dans la mission de l'autorité judiciaire de favoriser la prévention des difficultés des entreprises, il ne lui appartient pas « d'avaliser » les projets industriels et commerciaux élaborés par des acteurs économiques. A la date de dépôt de ces deux requêtes, la société EHP qui était simplement en négociation avec un possible partenaire pour élaborer un projet industriel, ne pouvait avancer aucune difficulté en relation avec une ou des dettes identifiables. La référence par EHP à l'alinéa 2 d l'article L. 611-7 est particulièrement malvenue dès lors que la mission de conciliation sollicitée ne tendait pas à la sauvegarde de l'entreprise mais consistait à une assistance dans la mise en oeuvre de la décision stratégique d'une entreprise parfaitement saine. Ces initiatives procédurales constituent dans leur formulation comme sur le fond un détournement d'action judiciaire, EHP disposant de tous moyens techniques, notamment du concours du cabinet KPMG qu'elle avait déjà sollicité par ellemême, pour s'assurer du sérieux du partenariat qu'elle envisageait avec Selni. Le fait que EHP se prévale, dans le cadre de la présente instance, d'un « aval » judiciaire corrobore cette analyse. Il et patent que – en fait – l'interruption des commandes de moteurs universels émanant de la Electrolux Appliances AB qui a précipité SAI dans les difficultés quelques mois à peine après l'arrêt de l'assemblage des machines à laver. La société EHP impute la responsabilité de cette situation à la société Selni dont elle dénonce en substance l'absence d'implication véritable dans le projet, un désintérêt pour l'avenir de la SAI, sa société fille et une incompétence dans l'élaboration du projet industriel confié à celle-ci. Dans le cadre du présent débat, il n'appartient pas à la cour d'apprécier les responsabilités dans la rupture du partenariat entre le groupe Electrolux et la société Selni. Pour autant, il faut relever que, dès l'origine du projet, les techniciens appelés à émettre un avis ont souligné non seulement l'extrême fragilité de la société Selni mais aussi le caractère très déséquilibré des engagements de EHP et de Selni respectivement, qui n'étaient sans doute pas de nature à mobiliser une attention constructive de la part de Selni pour autant que la pérennité de celle-ci soit admise (cf. rapports KPMG, rapport Secafi). Il convient de rappeler que dès la lettre d'intention du mois de septembre 2013, EHP prévoyait de vérifier la pertinence du business plan proposé par Selni. Dans ce contexte, EHP et plus généralement le groupe Electrolux ont délibérément privilégié les engagements hors traité d'apport à SAI qui les assuraient de conserver la maîtrise économique totale du projet dans leur intérêt propre, même en cas de défaillance du partenaire Selni dont en l'occurrence ne pouvait être écartée, plutôt que de doter d'emblée la société SAI des moyens de prospérer par elle-même dans cette reconversion industrielle. Or, il est patent qu'EHP a très largement mis en avant ses engagements hors traité d'apport au motif d'une volonté de maintenir l'emploi industriel sur le site de Revin, pour obtenir une adhésion générale au projet, occultant l'impossibilité pour SAI de mener seule au sein du groupe Selni le projet de reconversion industrielle (pièces 6, 11, 13, 15, 17, 26 de l'appelante). La rupture du partenariat Electrolux Selni apparait ainsi comme un risque connu ab initio et assumé par EHP à la faveur de l'articulation opérée entre la constitution de SAI et les contrats mis en oeuvre par ailleurs. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société SAI créée par EHP qui est délibérément demeurée le maître de l'affaire est une société fictive. Il convient, partant, d'étendre à la société Electrolux Home Products France la procédure de redressement judiciaire ouverte le 8 janvier 2018 à l'encontre de la société Ardennaise Industrielle » ;
alors 1°/ qu'un jugement adoptant un plan de cession partielle des actifs d'un débiteur fait obstacle à l'extension à un tiers pour confusion des patrimoines, de la procédure collective de ce débiteur ; que cette règle s'applique également en cas d'extension pour fictivité ; qu'en étendant à la société EHP la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société SAI quand il était constant, acquis au débat et non discuté que par jugement du 16 mai 2018, le tribunal de commerce de Compiègne avait adopté un plan de cession partielle de la société SAI à la société Delta Dore, la cour d'appel a violé les articles L. 621-2 et L. 631-22 du code de commerce ;
alors 2°/ qu'une société est fictive si les personnes qui se présentent comme ses associés et dirigeants ne sont que des prête-noms ou les comparses du véritable maître de l'affaire et sont dépourvues d'indépendance et de toute autonomie ; que pour étendre à la société EHP la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société SAI sur le fondement de la fictivité de la société SAI, la cour d'appel a considéré que la société EHP aurait été maître de l'affaire ; qu'en statuant ainsi, après avoir constaté que la société EHP avait, par acte du 19 juin 2014, cédé les actions de la société SAI à la société Selni, sans établir que la société Selni aurait été elle-même fictive et/ou prête-nom ou comparse de la société EHP, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
alors 3°/ qu'une société est fictive si elle est dépourvue de toute autonomie décisionnelle à l'égard du maître de l'affaire qui la contrôle et la dirige, soit personnellement, soit par l'intermédiaire de comparses ; qu'en estimant que la société EHP aurait été maître de l'affaire sans considération pour la circonstance que les dirigeants de la société SAI étaient les dirigeants de la société Selni et géraient la société SAI en toute indépendance et autonomie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
alors 4°/ qu'en considérant qu' après avoir cédé le capital de la société SAI à la société Selni, la société EHP aurait poursuivi sa gestion administrative de l'entreprise via un contrat de transition de services aux termes duquel EHP aurait maintenu ses outils de gestion au sein de la société SAI et aurait assuré les tâches de comptabilité, administration, de paie et d'informatique et que ces modalités auraient favorisé et confirmé la continuité de l'activité de la société SAI par rapport à l'activité précédente de la société EHP et auraient permis à l'exposante de conserver une connaissance quotidienne de l'activité de la société SAI, sans répondre aux conclusions de l'exposante qui faisaient valoir que le contrat de transition de services aux termes duquel la société EHP s'était engagée à fournir certains services administratif à la société SAI était purement temporaire puisqu'il devait prendre fin au 31 mars 2015 et avait pour finalité d'assurer une bonne transition de l'activité du site de Revin, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
alors 5°/ qu'il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que selon la pièce 17 de l'exposante, courrier adressé à l'administration fiscale, la société EHP faisait état de ce que la société Selni était une « entreprise ayant un projet d'activité industrielle à long terme actuellement en phase de développement » et qu'elle était « spécialisée dans la conception, la fabrication et la distribution de moteurs électriques, pour l'industrie des gros appareils ménagers, et particulièrement les machines à laver, basée à Nevers (...) » ; qu'en considérant que la société EHP aurait mentionné dans ce courrier que la société Selni n'était pas en capacité de prendre la direction effective du projet industriel confié à la société SAI, la cour d'appel a dénaturé cette pièce, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
alors, 6°/ que la constatation d'une fraude est subordonnée à la caractérisation d'une intention frauduleuse ; qu'en déduisant l'existence d'une fraude commise par la société EHP de ce que la société EHP aurait à tort présenté le projet litigieux comme le transfert d'une branche d'activité, que les initiatives procédurales de la société EHP constitueraient des détournements d'actions judiciaires car fondées sur des textes qui n'auraient pas été applicables, que la fragilité de la société Selni et le caractère déséquilibré des engagements des sociétés EHP et Selni auraient justifié l'absence d'intervention constructive de la société Selni et que la société EHP avait privilégié des engagements hors traité d'apports, motifs impropres à caractériser une intention frauduleuse de la part de la société EHP, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
alors, subsidiairement, 7°/ que l'existence ou l'absence d'affectio societatis ne peut s'apprécier que dans la personne des associés ; qu'en retenant, pour considérer que la société SAI serait une société fictive et étendre la procédure collective de la société SAI à la société EHP, que la constitution d'une société nouvelle par EHP n'aurait pas correspondu à l'engagement de l'associé dans la mise en oeuvre d'un projet autonome et durable qui constitue l'affectio societatis y compris dans les sociétés à associé unique, après avoir constaté que la société EHP avait cédé les actions de la société SAI à la société Selni, par acte du 19 juin 2014, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 621-1 alinéa 2 du code de commerce et 1832 du code civil ;
alors subsidiairement, 8°/ que l'associé d'une société unipersonnelle n'est pas dépourvu d'affectio societatis du seul fait qu'il a créé celle-ci dans le seul but de transférer les biens qui lui auront été apportés à un tiers ; qu'en retenant que la constitution d'une société nouvelle par EHP n'aurait pas correspondu à l'engagement de l'associé dans la mise en oeuvre d'un projet autonome et durable qui constitue l'affectio societatis y compris dans les sociétés à associé unique, la cour d'appel a violé l'article 1832 du code civil ;
alors, subsidiairement, 9°/ que le capital social est constitué des apports en société ; qu'en considérant que l'apport à la société SAI n'aurait pas été réel, après avoir constaté que le capital social de la société SAI avait été entièrement et immédiatement libéré le jour de sa constitution, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles L. 621-2 du code de commerce et 1832 du code civil ;
alors, subsidiairement, 10°/ qu'il n'est pas permis au juge de dénaturer les conclusions des parties ; que la société EHP faisait valoir qu' « il n'est pas (
) requis que l'apport porte sur une « branche complète et autonome d'activité », qu' « il est parfaitement possible de soumettre un apport partiel d'actifs ne portant pas sur une branche d'activité au régime des scissions », que « les développements du mandataire judiciaire sur la prétendue absence de transmission d'une branche d'activité n'ont (
) aucune pertinence » et que « le fait que les actifs apportés ne pourraient pas être considérés comme participant d'une « branche d'activité » » ne présentait « aucun intérêt » ; qu'en considérant que la société Electrolux aurait fait valoir qu'elle avait apporté une branche d'activité à la société SAI et qu'il aurait convenu d'analyser si le contrat intitulé « traité d'apport partiel d'actif » conclu le 9 juin 2014 correspondait à la transmission d'une branche autonome d'activité, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'exposante, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
alors, subsidiairement, 11°/ qu'en retenant que les biens apportés par la société EHP à la SAI ne constituaient pas une branche d'activité pour en déduire que l'apport réalisé par la société EHP à la société SAI aurait consisté en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 621-2 du code de commerce et 1832 du code civil ;
alors, subsidiairement, 12°/ qu'en considérant que la valorisation même des éléments d'actif et de passif inclus dans le traité d'apport partiel d'actif est « sujette à questionnement », la cour d'appel s'est prononcée par un motif dubitatif, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 621-2 du code de commerce ;
alors, subsidiairement, 13°/ qu'il n'est pas permis aux juges, lorsque les termes des conventions sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent et de modifier les stipulations qu'elles renferment ; que la convention de garantie du 19 juin 2014 stipulait expressément « le promettant s'engage à la demande du stipulant à verser directement dans les mains de chaque salarié les indemnités garanties applicables à ce salarié et payables au salarié en application de l'accord collectif » et « directement aux tiers concernés (...) les sommes correspondant aux mesures d'accompagnement bénéficiant à chaque salarié en application de l'accord collectif », « le promettant s'engage à la demande du stipulant à verser directement dans les mains des organismes sociaux les cotisations afférentes aux sommes visées » et que cette convention resterait « en vigueur jusqu'au paiement par le promettant de toutes les indemnités garanties et cotisations dues en vertu de l'accord collectif » ; qu'en considérant, pour retenir que l'apport réalisé par EHP à SAI aurait consisté en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis, que la convention de garantie du 19 juin 2014 aurait laissé le passif social à la charge de la société SAI, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis, en violation de l'article 1192 du code civil ;
alors, subsidiairement, 14°/ qu'en considérant, pour retenir que l'apport réalisé par EHP à SAI aurait consisté en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis, que la convention de garantie aurait laissé le passif social à la charge de la société SAI puisque la société EHP avait déclaré une créance de 921.00 euros et une créance de 12 millions d'euros au passif de la procédure collective de la société SAI, sans répondre au moyen tiré de ce que ces créances correspondaient, non pas au passif social de la société SAI mais, pour la première, à une répétition de l'indu et, pour la seconde, à la réparation d'un préjudice résultant des fautes des dirigeants de la société SAI, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
alors, subsidiairement, 15°/ qu'en considérant qu'un passif environnemental aurait affecté l'évaluation des actifs apportés, pour retenir que l'apport réalisé par la société EHP à la société SAI aurait consisté en un transfert de passif non justifié et supérieur à l'actif transmis, sans répondre au moyen tiré de ce que ce passif environnemental n'était, au mieux, qu'éventuel, de sorte qu'il n'avait pas à être pris en compte dans l'évaluation de l'apport de la société EHP à la société SAI, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Si l'article L. 721-8, 1°, du code de commerce prévoit que des tribunaux de commerce spécialement désignés connaissent, lorsque le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale, et qu'il est, notamment, une entreprise dépassant certains seuils, des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires mentionnées au livre VI, il résulte toutefois de l'article L. 621-2, alinéa 5, du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-7, que le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour une demande d'extension quelle que soit l'entreprise visée par la demande.
Dès lors, fait l'exacte application de l'article L. 621-2, alinéa 5, précité, la cour d'appel qui retient que le tribunal de commerce ayant ouvert la procédure initiale contre une société débitrice demeure compétent pour statuer sur la demande d'extension de cette procédure à l'égard d'une autre société, et ce nonobstant le montant du chiffre d'affaires réalisé par cette dernière |
496 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juillet 2020
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 317 F-P+B
Pourvoi n° P 18-25.522
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUILLET 2020
La société DJM capital investissement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 18-25.522 contre l'arrêt rendu le 23 octobre 2018 par la cour d'appel de Limoges (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Crédit coopératif, dont le siège est [...] ,
2°/ à la société Pimouguet-Leuret-Devos Bot, société civile professionnelle, dont le siège est [...] , en sa qualité de mandataire liquidateur de la société DJM capital investissement,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société DJM capital investissement, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Crédit coopératif, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 mars 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 23 octobre 2018), la société DJM capital investissement (la société DJM) a été mise en liquidation judiciaire le 25 août 2015 par le tribunal de commerce de Brive, la société Pimouguet-Leuret-Devos Bot étant désignée liquidateur. La société Crédit coopératif (la banque) a déclaré une créance au titre d'un crédit, laquelle a été contestée au motif que le taux effectif global (TEG) indiqué dans l'acte était erroné.
2. Le juge-commissaire s'est déclaré incompétent et a invité la banque à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois. La banque ayant saisi le tribunal de commerce de Brive, la société DJM et le liquidateur ont décliné la compétence de cette juridiction en application de la clause, figurant dans l'acte de prêt, attribuant compétence au tribunal de commerce de Versailles.
Examen du moyen unique
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. La société DJM fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence, alors « que la compétence exclusive du tribunal de la procédure collective, prévue par l'article R. 662-3 du code de commerce, ne concerne que les contestations nées de cette procédure ou sur lesquelles elle exerce une influence juridique ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire ayant renvoyé les parties à mieux se pourvoir pour trancher la contestation portant sur la validité du taux d'intérêt applicable à la créance du Crédit coopératif, la banque a saisi le tribunal de commerce de Brive ; qu'en jugeant cette juridiction compétente, et non le tribunal de commerce de Nanterre désigné par la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de prêt, au prétexte de la compétence de principe de la juridiction de la procédure collective de la débitrice, quand la contestation existait indépendamment de la procédure de liquidation et qu'elle n'était pas née de cette procédure qui n'exerçait aucune influence juridique sur son issue, la cour d'appel a violé l'article R. 662-3 du code de commerce ».
Réponse de la Cour
Vu les articles R. 624-5 et R. 662-3 du code de commerce :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que la juridiction compétente pour trancher la contestation sérieuse dont une créance déclarée au passif d'une procédure collective fait l'objet n'est pas le tribunal de la procédure collective mais celui que déterminent une clause attributive de compétence ou, à défaut, les règles de droit commun.
5. Pour rejeter l'exception d'incompétence, l'arrêt énonce que l'article R. 662-3 du code de commerce donne compétence au tribunal saisi de la procédure collective pour connaître des actions qui concernent la procédure. Il constate que c'est dans le cadre de la procédure de vérification des créances que le juge-commissaire s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à saisir le tribunal compétent en application des dispositions de l'article R. 624-5 du code de commerce. Il en déduit que le contentieux qui oppose les parties est né de la procédure collective, de sorte que le tribunal de commerce compétent pour statuer sur la question litigieuse soulevée à l'occasion de la contestation de la créance est celui du lieu d'ouverture de ladite procédure, la clause attributive de compétence ne pouvant recevoir en l'occurrence application.
6. En statuant ainsi, alors que la question de la validité du TEG auquel était soumis le prêt conclu avant l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société DJM se serait posée de la même manière si cette dernière n'avait pas été soumise à une procédure collective, ce dont il résultait que la clause attributive de compétence s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Condamne la société Crédit coopératif aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour la société DJM capital investissement.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de confirmer le jugement du 13 octobre 2017 en déboutant la SARL DJM Capital Investissement et la SCP Pimouguet-Leuret-Devos Bot, ès qualités, de leur demande d'incompétence du tribunal de commerce de Brive au profit du tribunal de commerce de Nanterre ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'article 23, - attribution de compétence - du contrat de prêt en date du 2 juillet 2010 stipule qu'en « cas de difficulté sur l'interprétation ou l'exécution des présentes, les parties acceptent l'attribution de juridiction, devant les tribunaux du siège social du prêteur, sous réserve des dispositions de l'article 48 du nouveau code de procédure civile » ; qu'en l'espèce, si le siège social de la société Crédit Coopératif (le Crédit Coopératif) est situé à Nanterre, la procédure collective dont fait l'objet la Sarl DJM Capital Investissement est ouverte auprès du tribunal de commerce de Brive, compte tenu de la situation du siège social de la société ; qu'aux termes de l'article R. 662-3 du code de commerce, « sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire connait de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, à l'exception des actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal de grande instance » ; qu'or il est constant que le tribunal de commerce de Brive a été saisi à la suite d'une ordonnance en date du 19 septembre 2016 rendue par le juge-commissaire, qui s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à saisir le tribunal compétent en application des dispositions de l'article R. 624-5 du code de commerce, dans le cadre de la procédure de vérification du passif, la Sarl DJM Capital Investissement et la Scp PLDB ès qualités de mandataire judiciaire ayant émis des contestations relatives à la créance déclarée par le Crédit Coopératif ; que le contentieux qui oppose les parties est donc bien né de la procédure collective, de sorte que le tribunal de commerce compétent pour statuer sur la question litigieuse soulevée à l'occasion de la contestation de la créance du Crédit Coopératif est celui du lieu d'ouverture de ladite procédure, la clause attributive de compétence ne pouvant recevoir en l'occurrence application ; que le tribunal de commerce de Brive doit donc être confirmé en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur la contestation formée par la Sarl DJM Capital Investissement et la Scp PLDB ès qualités ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE la clause attributive de compétence pour tout litige prévue dans le contrat de prêt du Crédit Coopératif à la Sarl DJM Capital Investissement, aux juridictions du siège social du prêteur, à savoir le tribunal de commerce de Nanterre, telle que prévue dans le contrat, ne s'applique pas dans le cadre d'une procédure collective, ce qui est le cas en l'espèce ; que le contentieux soumis au tribunal s'inscrit dans le cadre d'une contestation de créance et est né de la procédure collective ; que le tribunal de commerce compétent au fond est celui du lieu d'ouverture de la procédure collective concernant la Sarl DJM Capital Investissement ; que le tribunal de commerce de céans, tribunal du lieu d'ouverture de la procédure collective, est de ce fait compétent pour statuer ;
1°) ALORS QUE la compétence exclusive du tribunal de la procédure collective, prévue par l'article R. 662-3 du code de commerce, ne concerne que les contestations nées de cette procédure ou sur lesquelles elle exerce une influence juridique ; qu'une contestation n'est pas née de cette procédure par la seule circonstance qu'elle a été élevée à l'occasion de la déclaration de créance ; qu'en estimant que le contentieux qui oppose les parties est bien né de la procédure collective, car relatif à la créance déclarée par le Crédit Coopératif dans le cadre de la procédure de vérification du passif, la cour d'appel a violé l'article R. 662-3 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE la compétence exclusive du tribunal de la procédure collective, prévue par l'article R. 662-3 du code de commerce, ne concerne que les contestations nées de cette procédure ou sur lesquelles elle exerce une influence juridique ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire ayant renvoyé les parties à mieux se pourvoir pour trancher la contestation portant sur la validité du taux d'intérêt applicable à la créance du Crédit coopératif, la banque a saisi le tribunal de commerce de Brive ; qu'en jugeant cette juridiction compétente, et non le tribunal de commerce de Nanterre désigné par la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat de prêt, au prétexte de la compétence de principe de la juridiction de la procédure collective de la débitrice, quand la contestation existait indépendamment de la procédure de liquidation et qu'elle n'était pas née de cette procédure qui n'exerçait aucune influence juridique sur son issue, la cour d'appel a violé l'article R. 662-3 du code de commerce. | Il résulte de la combinaison des articles R. 624-5 et R. 662-3 du code de commerce que la juridiction compétente pour trancher la contestation sérieuse dont une créance déclarée au passif d'une procédure collective fait l'objet n'est pas le tribunal de la procédure collective mais celui que déterminent une clause attributive de compétence ou, à défaut, les règles de droit commun |
497 | COMM.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juillet 2020
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 319 F-P+B
Pourvoi n° C 18-21.487
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUILLET 2020
1°/ la société Caisse de crédit mutuel Reims d'Erlon, société coopérative de crédit, dont le siège est [...] , ayant un établissement secondaire [...] ,
2°/ la société Caisse fédérale de crédit mutuel Nord Europe, société coopérative à capital variable, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° C 18-21.487 contre le jugement rendu le 12 décembre 2017 par le tribunal d'instance de Soissons, dans le litige les opposant à M. W... V..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Remeniéras, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Caisse de crédit mutuel Reims d'Erlon et de la société Caisse fédérale de crédit mutuel Nord Europe, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 mars 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Remeniéras, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 133 - 19, IV, et L. 133 -16 du code monétaire et financier, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017 ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées s'il n'a pas satisfait par négligence grave, exclusive de toute appréciation de sa bonne foi, à l'obligation, imposée à l'utilisateur de services de paiement par le second de ces textes, de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité du dispositif de sécurité personnalisé mis à sa disposition ;
Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Soissons, 12 décembre 2017), rendu en dernier ressort, que M. V..., titulaire d'un compte ouvert dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel Reims d'Erlon (la banque) a, en novembre 2015, contesté des opérations de paiement effectuées, selon lui frauduleusement, sur ce compte et a demandé à la caisse de lui en rembourser le montant ; que, se heurtant au refus de celle-ci, qui lui reprochait d'avoir commis une faute en donnant à un tiers des informations confidentielles permettant d'effectuer les opérations contestées, M. V... l'a assignée en remboursement des sommes débitées sur son compte et en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que pour condamner la banque à rembourser à M. V... la moitié des sommes détournées, le jugement relève que celui-ci, qui était de bonne foi, a été victime d'une fraude commise par un tiers, de sorte qu'il n'était pas entièrement responsable de son préjudice ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il avait aussi retenu que M. V... avait commis une négligence grave en répondant à un courriel présentant de sérieuses anomalies tenant tant à la forme qu'au contenu du message qu'il comportait, le tribunal a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 12 décembre 2017, entre les parties, par le tribunal d'instance de Soissons ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant la chambre de proximité de Péronne du tribunal judiciaire d'Amiens ;
Condamne M. V... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour les sociétés Caisse de crédit mutuel Reims d'Erlon et Caisse fédérale de crédit mutuel Nord Europe
Il est fait grief au jugement attaqué D'AVOIR condamné la Caisse de Crédit Mutuel REIMS D'ERLON à payer à M. W... V... la somme de 1.143,50 € ;
AUX MOTIFS QU' « Il n'est pas contesté par les parties que le 24 novembre 2015, Monsieur W... V... a été la victime d'un phishing et de prélèvements frauduleux qui ont été réalisés sur son compte bancaire ouvert dans les livres de la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL REIMS D'ERLON. Si, aux termes des articles L133.16 et L133.17 du Code Monétaire et Financier, il appartient à l'utilisateur de services de paiement de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés et d'informer sans tarder son prestataire de tels services de toute utilisation non autorisée de l'instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, c'est à ce prestataire qu'il incombe, par application des articles L133.19, IV et L133.23 du même Code, de rapporter la preuve que l'utilisateur, qui nie n'avoir pas satisfait, par négligence grave, à ses obligations, a réellement commis une telle négligence. En l'espèce, Monsieur W... V... a reçu le 24 novembre 2015 à 1h39 un e-mail non personnalisé, dont le texte avait une syntaxe approximative et dont le contenu était sans lien avec la réalité du sociétaire, car, à aucun moment, ce dernier n'avait été informé de l'existence d'une nouvelle réglementation concernant la fiabilité des achats par carte bancaire. Monsieur W... V... a donc commis une négligence grave en cliquant sur le lien proposé. Cependant, Monsieur W... V... est un client de bonne foi qui a été la victime d'une fraude commise à son encontre par un tiers, de sorte qu'il n'est pas totalement responsable de son préjudice, et que la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL REIMS D'ERLON sera condamnée à l'indemniser de la moitié de celui-ci. Il convient donc de condamner la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL D'ERLON à payer à Monsieur W... V... la somme de 2.287,00 /2 = 1143,50 €, au titre des prélèvements frauduleux effectués sur son compte bancaire. Il y a lieu de débouter Monsieur W... V... de sa demande en paiement de dommages et intérêts, non fondée. L'équité ne commande pas en l'espèce d'allouer à l'une des parties une quelconque indemnité au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile. La défenderesse sera condamnée aux entiers dépens » ;
1°) ALORS QU'en vertu de l'article L. 133-19 IV du code monétaire et financier, le payeur supporte l'intégralité des pertes occasionnées par des opérations de paiement non-autorisées dès lors que ces pertes résultent d'un agissement frauduleux de sa part ou s'il n'a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17 ; que manque, par négligence grave, à son obligation de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés l'utilisateur d'un service de paiement qui communique les données personnelles de ce dispositif de sécurité en réponse à un courriel qui contient des indices permettant à un utilisateur normalement attentif de douter de sa provenance, peu important qu'il soit, ou non, de bonne foi ; qu'en l'espèce, le tribunal d'instance a constaté que M. V... avait reçu le 24 novembre 2015 à 1h39 « un e-mail non personnalisé, dont le texte avait une syntaxe approximative et dont le contenu était sans lien avec la réalité du sociétaire, car, à aucun moment, ce dernier n'avait été informé de l'existence d'une nouvelle réglementation concernant la fiabilité des achats par carte bancaire », ce dont il a déduit que M. V... avait commis une négligence grave dans la conservation de ses données confidentielles en répondant à ce courriel ; qu'en retenant néanmoins, pour condamner la Caisse de Crédit Mutuel à rembourser à M. V... la moitié des sommes détournées, que ce dernier était un client de bonne foi et qu'il avait été la victime d'une fraude commise à son encontre par un tiers, de sorte qu'il n'était « pas totalement responsable de son préjudice », le tribunal d'instance a violé les articles L. 133-16 et L. 133-19 du code monétaire et financier (dans leur rédaction applicable en la cause) ;
2°) ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE le banquier ne peut être condamné à prendre en charge tout ou partie d'un paiement effectué à partir du compte de son client que s'il a commis une faute en effectuant ledit paiement ; qu'en condamnant la Caisse de Crédit Mutuel REIMS D'ERLON au remboursement de la moitié des sommes détournées du compte de M. V..., quand il résultait de ses constatations que ces opérations n'avaient pu être réalisées qu'à raison de la négligence grave de ce dernier qui avait répondu à un courriel d'hameçonnage, et sans qu'il ne résulte du jugement attaqué le moindre élément permettant de justifier la mise en jeu de la responsabilité de la banque à l'égard de son client, le tribunal d'instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 (devenu 1231-1) du code civil, ensemble l'article L. 133-19 du code monétaire et financier (dans sa version applicable en la cause). | Il résulte de l'article L. 133-19, IV, du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées s'il n'a pas satisfait par négligence grave, exclusive de toute appréciation de sa bonne foi, à l'obligation, imposée à l'utilisateur de services de paiement par l'article L. 133-16 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la même ordonnance, de prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité du dispositif de sécurité personnalisé mis à sa disposition |
498 | COMM.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juillet 2020
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 322 F-P+B
Pourvoi n° Y 18-24.979
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUILLET 2020
Le Fonds commun de titrisation Hugo créances I, représenté par la société GTI Asset Management, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° Y 18-24.979 contre l'arrêt rendu le 20 septembre 2018 par la cour d'appel de Rouen (chambre de la proximité), dans le litige l'opposant à la société 53 boulevard John F. Kennedy, société civile immobilière, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat du Fonds commun de titrisation Hugo créances I, représenté par la société GTI Asset Management, de la SARL Corlay, avocat de la SCI 53 boulevard John F. Kennedy, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 mars 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vaissette, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 20 septembre 2018), la société Caisse de crédit agricole du Nord-Est, qui avait, le 20 septembre 2009, consenti deux prêts à la société World marine assistance, garantis par l'affectation hypothécaire d'un immeuble par la SCI 53 boulevard JF Kennedy, a, le 4 juin 2009, déclaré ses créances au passif de la liquidation judiciaire de la société World Marine Assistance, puis les a cédées le 22 décembre 2010 au Fonds commun de titrisation Hugo créances I (le Fonds commun de titrisation).
2. La clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de la société World marine assistance a été prononcée par un jugement du 30 novembre 2012.
3.Par un acte du 22 décembre 2017, le Fonds commun de titrisation a délivré à la SCI un commandement de saisie-vente.
Examen du moyen unique
Enoncé du moyen
4. Le Fonds commun de titrisation, représenté par la société GTI Asset Management, fait grief à l'arrêt d'annuler le commandement valant saisie du 22 décembre 2017et d'ordonner la radiation de l'inscription d'hypothèque, alors «que la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d'un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée ; que, par ailleurs, l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ; qu'il suit de là que l'interruption du délai de la prescription résultant de la déclaration d'une créance au passif du débiteur assujetti à une procédure de liquidation judiciaire, produit ses effets jusqu'à la publication du jugement de clôture pour insuffisance d'actif au Bodacc, puisque, ce jugement étant signifié au seul débiteur, le créancier déclarant n'en est averti que par la publicité à laquelle il donne légalement lieu ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 503 du code de procédure civile, 2234 et 2242 du code civil, ensemble les articles L. 643-9 et R. 643-18 du code de commerce.»
Réponse de la Cour
5. La déclaration de créance au passif du débiteur principal en liquidation judiciaire interrompt la prescription à l'égard du garant hypothécaire, sans qu'il y ait lieu à notification de la déclaration à l'égard de ce dernier, et cet effet interruptif se prolonge jusqu'au jugement prononçant la clôture de la procédure.
6. Le créancier, qui n'était pas empêché d'agir contre le garant hypothécaire pendant le cours de la liquidation judiciaire, ne s'est vu privé d'aucun droit par le jugement de clôture pour insuffisance d'actif qui a seulement eu pour effet à son égard, et dès son prononcé, de mettre fin à l'interruption du délai de prescription et de faire courir un nouveau délai de prescription de cinq ans.
7. Après avoir constaté que le jugement prononçant la clôture pour insuffisance d'actif avait été rendu le 30 novembre 2012, l'arrêt retient exactement, peu important la date de sa publication au BODACC, que la prescription de cinq ans était acquise lorsque le créancier a délivré le commandement aux fins de saisie-vente le 22 décembre 2017.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le Fonds commun de titrisation Hugo créances I, représenté par la société GTI Asset Management, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds commun de titrisation Hugo créances I, représenté par la société GTI Asset Management, et le condamne à payer à la SCI 53 boulevard JF Kennedy la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour le Fonds commun de titrisation Hugo Créances I, représenté par la société GTI Asset Management
Le pourvoi fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR :
. annulé le commandement valant saisie que le fct Hugo créances 1, venant aux droits de la Crcam du Nord Est, a délivré, le 22 décembre 2017, à la société 53 boulevard John F. Kennedy
. ordonné la radiation de l'inscription d'hypothèque grevant l'immeuble saisi ;
AUX MOTIFS QUE « la déclaration de créance interrompt la prescription à l'égard de la caution sans qu'il soit besoin d'une notification et que cet effet se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure intervenue en l'occurrence par le jugement ayant prononcé la clôture de la procédure de liquidation judiciaire, qui met fin à l'instance, et non sa publication au Bodac » (cf. arrêt attaqué, p. 5, 5e attendu) ; « qu'en l'occurrence, ce jugement ayant été rendu le 30 novembre 2012, la prescription de cinq ans était acquise lors de la délivrance du commandement aux fins de saisie vente du 22 décembre 2017 » (cf. arrêt attaqué, p. 5, 6e attendu) ; « que la dette de la caution est éteinte par l'expiration du délai de prescription quinquennale ayant commencé à courir le 30 novembre 2012 par le prononcé du jugement de clôture de la liquidation judiciaire de la sàrl World mas pour insuffisance d'actif, pour expirer le 30 novembre 2017 à minuit sans qu'aucun acte d'exécution forcée n'ait été entrepris pour interrompre ce nouveau délai de prescription avant le commandement de payer aux fins de saisie-vente en date du 22 décembre 2017 lui-même signifié hors délai » (cf. jugement entrepris, p. 5, 7e alinéa) ;
. ALORS QUE la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d'un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée ; que, par ailleurs, l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance ; qu'il suit de là que l'interruption du délai de la prescription résultant de la déclaration d'une créance au passif du débiteur assujetti à une procédure de liquidation judiciaire, produit ses effets jusqu'à la publication du jugement de clôture pour insuffisance d'actif au Bodac, puisque, ce jugement étant signifié au seul débiteur, le créancier déclarant n'en est averti que par la publicité à laquelle il donne légalement lieu ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 503 du code de procédure civile, 2234 et 2242 du code civil, ensemble les articles L. 643-9 et R. 643-18 du code de commerce. | La déclaration de créance au passif du débiteur principal en liquidation judiciaire interrompt la prescription à l'égard du garant hypothécaire, sans qu'il y ait lieu à notification de la déclaration à l'égard de ce dernier, et cet effet interruptif se prolonge jusqu'au jugement prononçant la clôture de la procédure.
Un créancier, qui n'est pas empêché d'agir contre le garant hypothécaire pendant le cours de la liquidation judiciaire du débiteur garanti, ne se voit privé d'aucun droit par le jugement de clôture pour insuffisance d'actif, qui a seulement pour effet à son égard, et dès son prononcé, peu important la date de sa publication au Bulletin officiel des annonce civiles et commerciales (BODACC), de mettre fin à l'interruption du délai de prescription et de faire courir un nouveau délai de prescription |
499 | COMM.
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juillet 2020
Cassation partielle
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 331 F-P+B
Pourvoi n° E 18-17.786
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUILLET 2020
1°/ M. J... W..., domicilié [...] ,
2°/ la société 7 invest, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] ,
ont formé le pourvoi n° E 18-17.786 contre l'arrêt n° RG : 17/07345 rendu le 17 avril 2018 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige les opposant à la société Y... G... et associés, dont le siège est [...] , prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Transports Frigo 7 - Locatex défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. W... et de la société 7 Invest, de Me Le Prado, avocat de la société Y... G... et associés, ès qualités, après débats en l'audience publique du 10 mars 2020 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Transport Frigo 7 - Locatex, dont M. W... était le président, a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde le 19 octobre 2011, convertie en redressement puis en liquidation judiciaires les 19 décembre 2012 et 22 mai 2013, la société Y... G... et associés étant désignée liquidateur ; que le liquidateur a assigné M. W..., devenu gérant de la société holding 7 invest, elle-même devenue présidente de la société Transports Frigo 7- Locatex, et cette société holding en responsabilité pour insuffisance d'actif et en prononcé d'une faillite personnelle ;
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, et le troisième moyen, pris en sa première branche :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Attendu que M. W... et la société 7 invest font grief à l'arrêt de condamner M. W... à une mesure de faillite personnelle d'une durée de douze ans alors, selon le moyen, que les mesures de faillite personnelle et d'interdiction de gérer doivent être regardées comme des sanctions ayant le caractère d'une punition ; qu'elles doivent être motivées en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité du dirigeant et de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en prononçant en l'espèce à l'égard de M. W... la sanction de la faillite personnelle pour une durée de douze ans, sans tenir aucun compte de sa situation matérielle, familiale et sociale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la convention européenne des droits de l'homme et L. 653-10 du code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant retenu que M. W... avait déjà été frappé d'une mesure de faillite personnelle d'une durée de cinq ans prononcée, en 2004, pour des faits de même nature, puis fait ressortir qu'en raison de ce précédent avertissement, les nouveaux faits qui lui étaient reprochés étaient plus graves, la cour d'appel, devant laquelle M. W... n'invoquait, par ailleurs, aucun élément relatif à la situation matérielle, familiale et sociale que le moyen évoque, a légalement justifié sa décision de prononcer la faillite personnelle pour une durée de douze ans ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article L. 653-10 du code de commerce, ensemble l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt prononce, dans son dispositif, l'incapacité de M. W... d'exercer une fonction publique élective pour une durée de cinq ans ;
Qu'en statuant ainsi, sans donner aucun motif à l'appui de cette mesure qui, selon l'article L. 653-10 du code de commerce, est facultative, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce l'incapacité pour M. W... d'exercer une fonction publique élective pour une durée de cinq ans, l'arrêt rendu le 17 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne la société Y... G... et associés, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Transport Frigo 7 - Locatex, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille vingt, signé par lui, M. Remery, conseiller doyen, qui en a délibéré, en remplacement de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, empêché.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. J... W..., la société 7 invest.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné solidairement M. W... et la société 7 Invest, cette dernière dans la limite de la somme de 2 624 305 euros, à payer à la société G... ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Transports frigo 7 – locatex la somme de 3 074 305 euros sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
AUX MOTIFS QUE « les appelants ne contestent pas l'existence d'une insuffisance d'actif qui, selon leurs propres calculs, s'élève à la somme de 12 769 000 euros dont une créance de restitution de la société Gefco d'un montant de 11 032 000 euros. Le passif admis s'élève en effet à 13 631 715,39 euros tandis que la cession des actifs s'est effectuée pour la valeur de 467 232 euros à laquelle devra être réintégrée pour déterminer l'insuffisance d'actif antérieure à l'ouverture de la procédure collective, le remboursement des créances de l'AGS (395 000 euros) considérée, à défaut d'autre précision, comme découlant intégralement de la liquidation judiciaire. À l'appui de sa demande, la Scp G... ès qualités invoque à l'encontre de M. W..., président de la Sas transports frigo 7 – locatex depuis le 24 juin 2009, puis de gérant de la Sarl 7 Invest devenue présidente de cette société, les fautes de gestion suivantes : - la poursuite en 2010 et en 2011 jusqu'à l'ouverture d'une procédure de sauvegarde le 19 octobre 2011 d'une exploitation déficitaire ne pouvant conduire qu'à la cessation des paiements ; - l'avance irrécouvrable de 2 624 305 euros consentie à la société 7 Invest ; - les conditions de rachat par la société SCI Bati 7 qu'il avait constituée pour la circonstance de l'ensemble immobilier situé [...] appartenant à la société Transports frigo 7 – locatex. Sur l'achat de l'immeuble Le 7 décembre 2009, M. W... a conclu un compromis de vente sous condition suspensive de financement d'un ensemble immobilier sis à Rennes d'une superficie de 10 001 m² appartenant à la société Transport frigo 7 – locatex pour le prix de 1 650 000 euros. Ce bien était valorisé au bilan de la société Transport frigo 7 – locatex pour une valeur brute en 2010 de 1 897 112 euros (soit la différence entre la valeur brute des terrains et constructions en début et fin d'exercice 2010 : 1 922 47 (-) 25 135 – pièce 185) et le prix convenu était a priori en rapport avec sa rentabilité, sa localisation et son importance. Pourtant suivant acte notarié du 24 décembre 2010, l'immeuble a été acquis par la SCI Bati 7, dont M. W... était l'associé majoritaire via la société civile Immo 7 Invest et le gérant (rapport M... page 5), pour un prix réduit à 1 200 000 euros. Le prétexte de cette diminution de prix était qu'il n'avait pu obtenir un financement bancaire plus important. M. W... soutient que ce prix réduit correspondait à la valeur réelle du bien mais l'unique attestation lapidaire et imprécise de M. O..., manifestement établie par complaisance pour les besoins de la cause, est dépourvue de toute valeur probante. En toute hypothèse, rien ne justifiait la vente en urgence de cet actif à un prix largement inférieur au prix escompté un an plus tôt puisque cette vente n'a rapporté à la société Transport frigo 7 – locatex qu'une trésorerie supplémentaire limitée à 339 584 euros alors que la société disposait à cette date d'une trésorerie pléthorique provenant de la provision de 9 397 747,12 euros perçue de la société Gefco. Au contraire l'intérêt de la société Transport frigo 7 – locatex était de conserver la propriété de l'immeuble partiellement loué à des tiers, ce qui lui rapportait un revenu annuel selon l'acte de cession de 134 400 euros, étant rappelé que le congé donné par la société Pomona n'a été délivré que le 10 août 2012 pour le 28 février 2013, aucune notification n'ayant été effectuée à la date de la cession selon l'acte, de sorte qu'il ne peut justifier a posteriori la cession consentie à des conditions aussi désavantageuses. Cette opération était d'autant plus défavorable à la société Transport frigo 7 – locatex que le rapport de M. M... (pièce 15 de l'intimée page 8) révèle que la SCI Bati 7, cessionnaire, a ensuite donné à bail à la société cédante partie de ce bien moyennant un loyer annuel de 30 000 euros. Outre l'obtention d'un prix nettement inférieur à ses attentes dont le caractère irréaliste n'est pas démontré, cette opération a donc fait perdre à la société Transport frigo 7 – locatex des revenus locatifs conséquents et a augmenté ses charges, l'ensemble représentant un préjudice annuel supplémentaire de 164 400 euros. Il sera d'ailleurs relevé que M. W..., pour la société Transport frigo 7 – locatex, n'hésitait pas à invoquer devant la cour d'appel de Versailles, au titre du préjudice imputable à la rupture des relations commerciales initiée par la société Gefco, l'obligation de vendre l'immeuble litigieux (dit immeuble de la rue de Lorient) qu'elle se disait avoir ensuite été contrainte de louer (page 11 de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 6 mai 2010), reconnaissant ainsi le caractère préjudiciable de l'opération alors même que celle-ci ne s'était pas encore concrétisée à cette date. Les appelants font valoir que la différence entre le prix fixé initialement et le prix de cession est compensée par la reprise d'une provision constituée sur les immobilisations corporelles pour 418 300 euros mais la légitimité de cette provision reste à démontrer (pièce 28) et est en tout état de cause sans effet sur le préjudice subi par la société en liquidation judiciaire du fait de la cession de l'immeuble dans les conditions sus-établies. L'opération en cause rentrait dans le cadre des conventions réglementées exigeant un rapport spécial du commissaire aux comptes et l'approbation par l'assemblée générale en application de l'article L. 227-10 du code de commerce. M. W... justifie avoir obtenu l'autorisation de l'assemblée générale d'acquérir le bien au prix de 1 650 000 euros suivant procès-verbal du 4 décembre 2009. En revanche, il ne démontre pas avoir reçu l'autorisation d'acquérir le bien, via une personne morale interposée, pour un prix inférieur de 450 000 euros un an plus tard. Il n'a donc pas respecté la procédure relative aux conventions réglementées, se prévalant uniquement d'une délibération de la SCI Bati 7 qui, comme le souligne le liquidateur judiciaire, ne fait que révéler le caractère délibéré du non-respect de la procédure par rapport à la société cédante, cette omission révélant sa volonté de conserver le caractère occulte de l'opération qu'il savait hautement contestable. La cession irrégulière ainsi constatée, préjudiciable à la société Transport frigo 7 – locatex, a été mise en oeuvre par M. W... afin de dépouiller cette société de ses actifs, à son seul profit, avant d'en provoquer la liquidation judiciaire. Elle constitue dès lors une faute de gestion justifiant sa condamnation au paiement de la différence entre le prix initialement retenu comme correspondant à la valeur réelle du bien et le prix de vente qu'il s'est finalement fait consentir, soit la somme de 450 000 euros. En revanche, l'acte de cession a été consenti par M. W... en qualité de président de la société venderesse, la société 7 Invest, qui n'avait pas encore ce mandat, n'ayant pas participé, ni tiré profit de cette opération, de sorte que la demande de condamnation solidaire prononcée à son encontre sera rejetée. Sur l'avance de 2 624 305 euros consentie à la société 7 Invest. L'article L. 225-216 du code de commerce énonce qu'une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers. La violation de cette obligation constitue une infraction pénale sanctionnée par l'article L. 242-24. Le 8 novembre 2010, M. W... a fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés de Rennes une société au capital de 1 000 euros dont il était l'unique associé et le gérant, la Sarl 7 Invest, à l'effet de racheter l'intégralité des actions détenues par les cinq actionnaires de la société Transport frigo 7 – locatex, cette cession étant réalisée un mois plus tard par acte du 14 décembre 2010 au prix unitaire de 50,58 euros l'action. Le prix ainsi convenu (qui n'a pas été établi par le commissaire aux apports) était anormalement élevé. Ainsi, la valeur des titres par référence au montant des capitaux propres de l'exercice 2010 n'aurait représenté qu'une valeur unitaire de 15,30 euros. Mais un tel montant était déjà économiquement irréaliste puisque ces capitaux propres étaient artificiellement gonflés par le versement de provisions dont le maintien était compromis par les procédures en cours et qui n'avaient en tout état de cause pas vocation à être accaparées par les actionnaires mais à permettre au contraire de rétablir la rentabilité de la société compromise par la rupture des relations commerciales avec l'ancien partenaire. Compte tenu du fait que les résultats d'exploitation étaient déficitaires depuis l'exercice 2008, que les capitaux propres étaient négatifs de 2 197 000 euros en 2009, avant le versement des provisions éminemment précaires, et que l'excédent brut d'exploitation de la société était négatif de 1 879 Keuros en 2008, de 864 Keuros en 2009 et encore de 1 013 Keuros au 31 décembre 2010 (pièce 15 de l'intimée), il ne pouvait qu'être évident tant pour M. W... que pour ses associés que les titres ne possédaient aucune valeur au jour de la cession. La conscience de l'absence totale de valeur de cet actif est confirmée par le fait que dès le 31 décembre 2011, soit un an après l'acquisition des titres, un amortissement du montant total de leur valeur a été comptabilisé dans les comptes de la société holding cessionnaire (pièce 14). Or cette cession de titres consentie à un prix aberrant a été financée par un effet de commerce d'un montant brut de 2 300 000 euros que la société émettrice n'avait aucun moyen d'honorer. Remis à l'escompte, il a été remboursé en 2011 par une avance en trésorerie d'un montant de 2 636 692 euros émanant de la société Transport frigo 7 – locatex qui a ainsi financé la cession de ses titres, non seulement en violation des dispositions sus-rappelées mais encore à un prix exorbitant. En effet, la société 7 Invest, cessionnaire des titres, aux résultats constamment et gravement déficitaires, n'ayant ni patrimoine, ni activité économique, était dès l'origine dans l'incapacité absolue et définitive de rembourser cette somme à sa filiale qui en a d'ailleurs tiré immédiatement les conséquence en constituant, immédiatement, une provision de 2 624 416 euros motivée par l'incertitude liée à la recouvrabilité des sommes dont elle venait de se dessaisir. Ainsi dès son exercice clos le 31 décembre 2011, 14 mois après son immatriculation, la société holding 7 Invest générait un déficit de 3 198 933 euros, les résultats postérieurs étant tout aussi déficitaires. Pour se justifier, les appelants se prévalent de la possibilité de conclure une convention de trésorerie entre sociétés du même groupe. Mais indépendamment de l'objet frauduleux de l'avance effectuée, il sera relevé que la société filiale, elle-même en grande difficulté économique, puisque son exploitation était gravement déficitaire depuis l'exercice 2008, n'avait pas les capacités financières de se priver de la trésorerie indispensable à son fonctionnement et ce a fortiori à fonds perdus puisqu'à la date où elle s'est dessaisie de sa trésorerie, elle savait que la société holding ne pourrait jamais la rembourser. La faute de gestion ayant consisté à détourner la trésorerie de la société Transport frigo 7 – locatex incombe à M. W..., directement et via la société holding qu'il représentait, lequel avait seul le pouvoir d'en disposer. C'est dès lors à tort que les premiers juges ont limité la condamnation de ce chef au seul montant qu'il est réputé avoir personnellement perçu, étant rappelé que le liquidateur judiciaire ne dispose d'action que contre lui et non contre les tiers qu'il a frauduleusement avantagés au détriment de la société qu'il dépouillait dans l'optique de sa liquidation judiciaire programmée. La condamnation de ce chef sera dès lors portée à la somme de 2 624 305 euros, montant dont seront solidairement tenus les appelants » ;
1°) ALORS QUE lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le juge peut décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté par le dirigeant ayant contribué par ses fautes de gestion à cette insuffisance d'actif ; que la sanction financière prononcée à l'encontre du dirigeant doit être proportionnée à la gravité de son comportement ayant contribué à l'insuffisance d'actif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'insuffisance d'actif accusée par la société Transports frigo 7 - locatex s'élevait à la somme de 12 769 000 euros comprenant une créance de restitution de la société Gefco d'un montant de 11 032 000 euros, ce dont il résultait que M. W... et la société 7 Invest n'avaient pu contribuer à l'insuffisance d'actif qu'à hauteur de la somme maximale de 1 737 000 euros correspondant à l'insuffisance d'actif, nette de la créance de restitution de la société Gefco, qui était sans lien avec les fautes de gestion relevées relatives à l'achat d'un immeuble et à une avance consentie (arrêt attaqué , p. 8 et s.) ; qu'en condamnant M. W... et la société 7 Invest, cette dernière dans la limite de la somme de 2 624 305 euros, à prendre en charge une somme de 3 074 305 euros au titre de l'insuffisance d'actif, la cour d'appel leur a appliqué une sanction disproportionnée au regard des faits ayant contribué à cette insuffisance relevés à leur encontre et a violé l'article L. 651-2 du code de commerce, ensemble le principe de proportionnalité, et l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QUE pour déterminer le montant de l'insuffisance d'actif mis à la charge d'un dirigeant, le juge doit tenir compte non seulement de la gravité des fautes et du montant de l'insuffisance d'actif mais également de la situation personnelle du dirigeant et de ses facultés contributives ; qu'en condamnant M. W... à payer à la société G... ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Transports frigo 7 – locatex la somme de 3 074 305 euros sans tenir compte de sa situation personnelle et de ses facultés contributives, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code de commerce.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. W... à une mesure de faillite personnelle d'une durée de douze ans ;
AUX MOTIFS QUE « la SCP G... reproche à M. W... d'avoir commis la faute prévue par l'article L. 653-4 3ème du code de commerce ayant consisté à avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement. Il a en effet déjà été établi supra qu'il a suscité la création d'une nouvelle société, la SCI Bati 7 qu'il contrôlait intégralement, pour se faire attribuer à un prix particulièrement avantageux l'actif immobilier appartenant à la société Transport frigo 7 – locatex dont il était le dirigeant. Il est également établi qu'il a détourné la trésorerie de la société Transport frigo 7 – locatex pour financer la reprise des titres qu'il détenait dans cette société, titres qu'il savait dépourvus de toute valeur et se faire verser une soulte. Le liquidateur judiciaire se prévaut également de l'article L. 653-4 4° sanctionnant le fait d'avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale. En effet à compter de juin 2009, M. W... a poursuivi, sans effectuer les mesures de restructuration suffisantes qui s'imposaient alors que celles-ci étaient pré-financées par les provisions versées, une exploitation gravement déficitaire dans son unique intérêt personnel afin de se donner le temps de disposer des actifs de la société, en faisant l'acquisition de son patrimoine immobilier et en lui faisant financer la cession de titres dépourvus de valeur, tout en continuant à s'attribuer une rémunération mensuelle de 10 000 euros, sans rapport avec les capacités contributives de la société. Pourtant alerté par le commissaire aux comptes, il savait la continuité de l'exploitation gravement compromise, l'excédent brut d'exploitation négatif de 1 879 Keuros en 2008 étant encore négatif de 869 Keuros en 2009 et de 1 0134 Keuros en 2010. Conscient de cette situation, il a oeuvré, par la dilapidation des actifs, à rendre non seulement la cessation des paiements inéluctable mais en outre à compromettre irrémédiablement la poursuite de l'activité. Au regard de la précédente sanction de faillite personnelle déjà prononcée à son encontre, M. W... ayant réitéré des faits de même nature mais encore plus graves dès que cette sanction a été accomplie, et à l'importance du préjudice qu'il a délibérément occasionné, M. W... sera condamné à la sanction de la faillite personnelle pour une durée de douze ans » ;
1°) ALORS QUE la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision censurée qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire entre elles ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur le premier moyen du pourvoi relatif à la condamnation des exposants au titre de l'insuffisance de l'actif accusée par la société Transports frigo 7 - locatex, doit entraîner l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif relatif à la condamnation de M. W... à la faillite personnelle critiquée dans le cadre du présent moyen, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE les limites apportées à la liberté d'entreprendre doivent être strictement proportionnées au but poursuivi ; que si le juge peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant d'une personne morale, la sanction doit être proportionnée à la gravité du comportement du dirigeant dès lors qu'elle est attentatoire à sa liberté fondamentale d'entreprendre ; qu'en énonçant, pour condamner M. W... à la sanction de la faillite personnelle pour une durée de douze ans, que celui-ci avait déjà fait l'objet d'une sanction de faillite personnelle et qu'il avait occasionné un important préjudice, la cour d'appel a prononcé une sanction disproportionnée par rapport aux manquements retenus et méconnu le principe de proportionnalité, ensemble le principe fondamental de la liberté d'entreprendre découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ;
3°) ALORS QUE les mesures de faillite personnelle et d'interdiction de gérer doivent être regardées comme des sanctions ayant le caractère d'une punition ; qu'elles doivent être motivées en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité du dirigeant et de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en prononçant en l'espèce à l'égard de M. W... la sanction de la faillite personnelle pour une durée de douze ans, sans tenir aucun compte de sa situation matérielle, familiale et sociale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la convention européenne des droits de l'homme et L. 653-10 du code de commerce ;
4°) ALORS QUE la contradiction entre différents motifs d'une décision équivaut à une absence de motif ; qu'ayant énoncé, pour exclure une faute de gestion de M. W... au titre de « la poursuite en 2010 et 2011 d'une exploitation déficitaire », que « l'aggravation de l'insuffisance d'actif en 2010 et 2011, avant l'ouverture de la procédure de sauvegarde survenue au mois d'octobre, est davantage liée à la dilapidation des éléments d'actifs sus-reprochés qu'à la poursuite de l'activité » (arrêt attaqué, p. 11 et 12), la cour d'appel ne pouvait sans se contredire retenir, pour le condamner à une mesure de faillite personnelle, qu'« à compter de juin 2009, M. W... a poursuivi, sans effectuer les mesures de restructuration suffisantes qui s'imposaient alors que celles-ci étaient pré-financées par les provisions versées, une exploitation gravement déficitaire », (arrêt attaqué, p. 12) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a entaché son arrêt d'une contradiction de motifs et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE la condamnation à la faillite personnelle ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes, la cassation encourue à raison de cette faute entraine, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé, en application de l'article L. 653-10 du code de commerce, l'incapacité de M. W... d'exercer une fonction publique élective pour une durée de cinq ans ;
1°) ALORS QUE la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision censurée qui présentent un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire entre elles ; qu'en l'espèce, la cassation à intervenir sur le premier moyen du pourvoi relatif à la condamnation des exposants au titre de l'insuffisance de l'actif accusée par la société Transports frigo 7 – locatex ou du deuxième moyen portant sur la condamnation de M. W... à la faillite personnelle, doit entraîner l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif relatif à la condamnation de M. W... à une incapacité d'exercer une fonction publique élective pour une durée de cinq ans dans le cadre du présent moyen, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en prononçant dans le dispositif de la décision l'incapacité de M. W... d'exercer une fonction publique élective pour une durée de cinq ans, sans assortir sa décision d'aucun motifs, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. | L'incapacité d'exercer une fonction publique élective pour une durée de cinq ans est facultative selon l'article L. 653-10 du code de commerce et son prononcé nécessite d'être motivé.
Viole l'article L. 653-10 du code de commerce ensemble l'article 455 du code de procédure civile, l'arrêt qui prononce une telle incapacité pour une durée de cinq ans dans son dispositif, sans donner aucun motif à l'appui de cette mesure |