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8,500 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 35 FS-B
Pourvoi n° R 21-14.496
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
M. [Z] [C], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-14.496 contre l'arrêt rendu le 4 février 2021 par la cour d'appel de Chambéry (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne Rhône-Alpes, venant aux droits de la SAFER Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Schmitt, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [C], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne Rhône-Alpes et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Schmitt, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, conseillers, M. Jariel, Mme Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 4 février 2021, RG 19/01601), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 6 juin 2019, pourvoi n° 18-14.070), et les productions, par jugement du 7 février 2011, M. [C] a été déclaré adjudicataire de parcelles de terre.
2. La société anonyme d'aménagement foncier et d'établissement rural Rhône-Alpes (la SAFER), aux droits de laquelle est venue la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne Rhône-Alpes, ayant décidé d'exercer son droit de préemption, M. [C] l'a assignée en annulation de cette décision.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [C] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en annulation de la décision de préemption, alors « que la décision de préemption ne peut être notifiée par la SAFER à l'adjudicataire évincé qu'à compter de la notification faite au greffier de la juridiction d'adjudication ; que la date de la notification par voie postale est, à l'égard de celui qui y procède, celle de l'expédition ; qu'en se fondant sur la date de réception de la notification de la décision de préemption de la SAFER par l'adjudicataire évincé, soit le 4 mars 2011, pour la déclarer régulière quand ce courrier recommandé avait été expédié le 28 février 2011, avant que, le 2 mars suivant, la juridiction d'adjudication en ait eu connaissance, la cour d'appel a violé les articles R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime dans sa version issue du décret n° 92-1290 du 11 décembre 1992 et 668 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles L. 143-3 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime que la décision de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural qui exerce le droit de préemption est notifiée, à peine de nullité, à l'acquéreur évincé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception de la notification faite à la personne chargée de dresser l'acte d'aliénation.
6. Cette notification à l'acquéreur évincé a pour objet de lui délivrer une information personnelle garantissant l'effectivité de son droit au recours.
7. Le second des textes précités, qui fixe le délai maximal dans lequel la décision de préemption doit être notifiée à l'acquéreur évincé, n'impose pas que cette notification soit effectuée postérieurement à celle faite à la personne chargée de dresser l'acte d'aliénation.
8. La cour d'appel a constaté que la décision de préemption a été signifiée au greffe du tribunal par acte du 2 mars 2011 et notifiée à M. [C] par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 4 mars suivant.
9. Il en résulte que cette notification est régulière.
10. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, conformément à l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M. [C] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le délégataire ne peut déléguer plus de pouvoir qu'il n'en a lui-même reçu, tandis que la SAFER est autorisée pour cinq ans par décret à exercer un droit de préemption sur certaines catégories de biens immobiliers, de sorte que la délégation de pouvoirs autorisant le cadre d'une SAFER à préempter des biens immobiliers pour son compte ne peut excéder la durée prévue par le décret l'habilitant à exercer son droit ; qu'en déclarant, que sur la période considérée, les décrets avaient autorisé la SAFER à préempter, puis en ajoutant que, n'étant pas limitée dans le temps et se fondant de manière générique sur le décret attributif en vigueur, la délégation de pouvoirs donnée par le conseil d'administration de la SAFER à M. [H] le 8 avril 2004 n'était pas périmée lorsque, le 28 février 2011, le délégataire avait exercé le droit de préemption sur les parcelles adjugées à l'exposant, la cour d'appel a violé les articles R. 143-1 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ainsi que les articles L. 225-35 et L. 225-56 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
12. Selon l'article L. 143-7, alinéa 2, du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, dans les zones où se justifie l'octroi d'un droit de préemption et sur demande de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural intéressée, un décret autorise l'exercice de ce droit et en fixe la durée.
13. Selon l'article R. 143-6 du même code, la décision de préemption est signée par le président de son conseil d'administration ou par toute personne régulièrement habilitée à cet effet.
14. Selon l'article L. 225-56, II, du code de commerce, en accord avec le directeur général, le conseil d'administration d'une société anonyme détermine l'étendue et la durée des pouvoirs conférés aux directeurs généraux délégués.
15. Aux termes de l'article 2003 du code civil, le mandat finit par la révocation du mandataire, par la renonciation de celui-ci au mandat, ou par la mort, la tutelle des majeurs ou la déconfiture, soit du mandant, soit du mandataire.
16. Il résulte de ces textes, que le conseil d'administration d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural, constituée en société anonyme, peut déléguer pour une durée indéterminée, s'achevant de l'une des manières prévues pour le mandat, le droit de préempter que cette société a été autorisée à exercer par décret.
17. Cette délégation ne prend pas fin au terme de la durée de l'autorisation de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural à préempter, dès lors que celle-ci a été renouvelée.
18. La cour d'appel a relevé que la SAFER s'était vu conférer le droit de préempter pour une durée de cinq ans par un décret du 3 juillet 2003, puis par un décret du 30 juin 2008 prenant effet à compter de l'expiration de l'autorisation précédemment accordée et qu'il en résultait que sur la période comprise entre le 7 avril 2004, date de la délégation de pouvoir, et le 28 février 2011, date de la décision de préemption, cette société avait toujours eu, sans aucune interruption, le pouvoir d'exercer le droit de préemption.
19. Elle a constaté que la délégation de pouvoir du 7 avril 2004 n'était pas limitée dans le temps et ne se référait pas au décret du 3 juillet 2003, mais au décret attributif en vigueur.
20. Elle en a exactement déduit que la nullité de la décision de préemption n'était pas encourue de ce chef.
21. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
22. M. [C] fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que dans leur mission d'amélioration des structures foncières par l'installation ou le maintien d'exploitants agricoles ou forestiers, les SAFER peuvent préempter soit pour elles-mêmes puis rétrocéder leurs terrains aux agriculteurs choisis par leurs soins, soit au profit de départements ou d'agences de l'eau, qui sont ensuite libres de disposer des terrains pour satisfaire les objectifs qui sont les leurs ; qu'en déclarant que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et avait permis, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs légaux en faire valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux, quand cette structure n'avait pas le pouvoir de préempter des terrains au profit d'une communauté d'agglomération et de lui laisser la charge de remplir à sa place les objectifs légaux qui lui étaient assignés, la cour d'appel a violé l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
23. Selon l'article R. 142-1 du code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction issue du décret n° 2006-821 du 7 juillet 2006, les biens sont attribués par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural aux candidats, personnes physiques ou morales, capables d'en assurer la gestion, la mise en valeur ou la préservation, compte tenu notamment de leur situation familiale, de leur capacité financière d'acquérir le bien et de le gérer, de l'existence de revenus non agricoles, de leurs compétences professionnelles et de leurs qualités personnelles, ainsi que de l'intérêt économique, social ou environnemental de l'opération. Les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural peuvent céder ces biens à des personnes qui s'engagent à les louer, par bail rural ou par conventions visées à l'article L. 481-1 du même code, à des preneurs, personnes physiques ou morales, répondant à ces critères et ayant reçu l'agrément de la société, à condition que l'opération permette, compte tenu notamment de son intérêt économique, social ou environnemental, l'installation d'agriculteurs ou le maintien de ceux-ci sur leur exploitation ou l'amélioration des exploitations elles-mêmes.
24. La cour d'appel a constaté qu'eu égard à la nature agricole des terrains préemptés, à leurs caractéristiques et à leur destination actuelle après rétrocession à la communauté d'agglomération du pays voironnais, il apparaissait que la SAFER avait permis, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs prévus aux 1° et 2° de l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime, en faire-valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux.
25. Elle a pu en déduire que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et que la demande d'annulation de la décision de préemption devait être rejetée.
26. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] et le condamne à payer à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural Auvergne Rhône-Alpes la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [C]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'adjudicataire évincé (M. [C], l'exposant) reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur renvoi après cassation, de l'avoir débouté de sa demande en annulation de la décision de préemption prise par la SAFER (celle de Rhône-Alpes Auvergne), admettant en conséquence la régularité de la notification de cette décision ;
ALORS QUE la décision de préemption ne peut être notifiée par la SAFER à l'adjudicataire évincé qu'à compter de la notification faite au greffier de la juridiction d'adjudication ; que la date de la notification par voie postale est, à l'égard de celui qui y procède, celle de l'expédition; qu'en se fondant sur la date de réception de la notification de la décision de préemption de la SAFER par l'adjudicataire évincé, soit le 4 mars 2011, pour la déclarer régulière quand ce courrier recommandé avait été expédié le 28 février 2011, avant que, le 2 mars suivant, la juridiction d'adjudication en ait eu connaissance, la cour d'appel a violé les articles R.143-6 du code rural et de la pêche maritime dans sa version issue du décret n°92-1290 du 11 décembre 1992 et 668 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
L'adjudicataire évincé (M. [C], l'exposant) reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur renvoi après cassation, de l'avoir débouté de sa demande en annulation de la décision de préemption prise par la SAFER (celle de Rhône-Alpes Auvergne), admettant en conséquence la régularité formelle de cette décision ;
ALORS QUE, d'une part, le délégataire ne peut déléguer plus de pouvoir qu'il n'en a lui-même reçu, tandis que la SAFER est autorisée pour cinq ans par décret à exercer un droit de préemption sur certaines catégories de biens immobiliers, de sorte que la délégation de pouvoirs autorisant le cadre d'une SAFER à préempter des biens immobiliers pour son compte ne peut excéder la durée prévue par le décret l'habilitant à exercer son droit ; qu'en déclarant, que sur la période considérée, les décrets avaient autorisé la SAFER à préempter, puis en ajoutant que, n'étant pas limitée dans le temps et se fondant de manière générique sur le décret attributif en vigueur, la délégation de pouvoirs donnée par le conseil d'administration de la SAFER à M. [H] le 8 avril 2004 n'était pas périmée lorsque, le 28 février 2011, le délégataire avait exercé le droit de préemption sur les parcelles adjugées à l'exposant, la cour d'appel a violé les articles R. 143-1 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ainsi que les articles L. 225-35 et L. 225-56 du code de commerce ;
ALORS QUE, d'autre part, il est interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ; que, pour décider que le délégataire n'avait pas l'obligation de requérir l'avis du comité technique, l'arrêt infirmatif attaqué a retenu que la mention de la délégation de pouvoir portant cette indication était entre parenthèses et que, pour cette raison même, ne pouvait pas être interprétée comme conditionnant l'exercice du pouvoir délégué à la mise en oeuvre d'une procédure de consultation de ces organes en toutes circonstances ; qu'en statuant de la sorte quand l'insertion entre parenthèses de la mention litigieuse n'avait pas pour effet d'en changer la lettre claire et précise, laquelle ne limitait pas le recours à l'avis du comité technique aux seules prescriptions légales, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
L'adjudicataire évincé (M. [C], l'exposant) reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, statuant sur renvoi après cassation, de l'avoir débouté de sa demande en annulation de la décision de préemption prise par la SAFER (celle de Rhône-Alpes Auvergne), admettant en conséquence la régularité au fond de cette décision ;
ALORS QUE, d'une part, la SAFER doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l'un ou à plusieurs des objectifs visés à l'article L. 143-2 et la porter à la connaissance des intéressés ; que la motivation doit à ce titre être précise et détaillée et contenir des données concrètes permettant de contrôler la réalité de l'objectif poursuivi ; qu'en se bornant à déclarer que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et avait permis conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs prévus aux 1° et 2° de l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime, en faire valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux ; qu'en se prononçant de la sorte sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, si la décision de préemption de la SAFER, motivée par l'installation, le maintien ou l'agrandissement d'exploitations agricoles, portant à cet égard un projet équestre, un projet de maraîchage, une exploitation laitière, puis précisant avoir reçu de nombreuses sollicitations d'agriculteurs sur le secteur, contenait des éléments précis et détaillés de nature à permettre au juge d'exercer son contrôle sur la motivation de la décision de préemption et de s'assurer que l'opération répondait à l'objectif affiché, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 143-2, L. 143-3 et R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime ;
ALORS QUE, d'autre part, dans leur mission d'amélioration des structures foncières par l'installation ou le maintien d'exploitants agricoles ou forestiers, les SAFER peuvent préempter soit pour elles-mêmes puis rétrocéder leurs terrains aux agriculteurs choisis par leurs soins, soit au profit de départements ou d'agences de l'eau, qui sont ensuite libres de disposer des terrains pour satisfaire les objectifs qui sont les leurs ; qu'en déclarant que la SAFER avait agi dans un but conforme à ses missions et avait permis, conformément à ce qu'elle annonçait dans sa décision, la réalisation des objectifs légaux en faire valoir indirect pour les agriculteurs qui exploitaient les biens litigieux, quand cette structure n'avait pas le pouvoir de préempter des terrains au profit d'une communauté d'agglomération et de lui laisser la charge de remplir à sa place les objectifs légaux qui lui étaient assignés, la cour d'appel a violé l'article L. 143-2 du code rural et de la pêche maritime.
Le greffier de chambre | L'article R. 143-6 du code rural et de la pêche maritime, qui fixe le délai maximal dans lequel la décision de préemption de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) doit être notifiée à l'acquéreur évincé, n'impose pas que cette notification soit effectuée postérieurement à celle faite à la personne chargée de dresser l'acte d'aliénation. (1er moyen) |
8,501 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 38 FS-B
Pourvoi n° V 22-10.019
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
1°/ M. [R] [D], domicilié [Adresse 15], [Localité 12],
2°/ M. [N] [D],
3°/ Mme [H] [D],
domiciliés tous deux [Adresse 11], [Localité 1],
4°/ M. [S] [D], domicilié [Adresse 2], [Localité 13],
5°/ le syndicat des copropriétaires du [Adresse 15], représenté par son syndic M. [R] [D], dont le siège est [Adresse 15], [Localité 12],
ont formé le pourvoi n° V 22-10.019 contre l'arrêt rendu le 2 novembre 2021 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société Jump, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 15], [Localité 12], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de MM. [R], [N] et [S] [D], de Mme [H] [D] et du syndicat des copropriétaires du [Adresse 15], après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Echappé, conseiller doyen, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Andrich, MM. David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 2 novembre 2021), MM. [R], [N] et [S] [D] et Mme [H] [D] (les consorts [D]), propriétaires indivis de parcelles cadastrées AH n° [Cadastre 4] et [Cadastre 5], et le syndicat des copropriétaires du domaine [Adresse 15] (le syndicat des copropriétaires), dont dépend la parcelle AH n° [Cadastre 6], ont assigné la société civile immobilière Jump (la SCI) en rétablissement du passage situé sur la parcelle AH n° [Cadastre 7] lui appartenant, invoquant une servitude par destination du père de famille et, subsidiairement, l'existence d'un chemin d'exploitation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. Le syndicat des copropriétaires fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de reconnaissance d'une servitude par destination du père de famille grevant la parcelle cadastrée AH n° [Cadastre 7] au profit de la parcelle cadastrée AH n° [Cadastre 6], alors :
« 1°/ qu'une servitude par destination du père de famille est constituée lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que la reconnaissance d'une servitude de passage par destination du père de famille ne nécessite pas la preuve de l'intention de l'auteur commun d'établir un service foncier d'un fonds au profit d'un autre ; qu'ayant constaté qu'au jour de la division de la parcelle AH [Cadastre 10] [lire « AH [Cadastre 9] »], par l'acte d'échange du 3 septembre 2004, le chemin sur la parcelle devenue AH [Cadastre 7] permettait d'accéder au parking devenu AH [Cadastre 6] et que cet aménagement avait été réalisé pour le compte du propriétaire, la cour d'appel qui, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] sur le fonds servant AH [Cadastre 7], a retenu que la chronologie de cet aménagement établissait que la SCI du Domaine de [Adresse 15] n'avait pas eu l'intention, avant la division de la parcelle AH [Cadastre 10] [lire « AH [Cadastre 9] »], d'aménager le chemin litigieux pour servir ou profiter au lieu de stationnement créé en 1981 devenu AH [Cadastre 6], a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, en violation de l'article 693 du code civil ;
2°/ qu'une servitude par destination du père de famille est constituée lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que l'assujettissement du fonds servant, dès son origine, pour les besoins du fonds dominant, n'est pas une condition indispensable de l'établissement d'une servitude par destination du père de famille ; qu'après avoir constaté qu'au jour de la division de la parcelle AH [Cadastre 10] [lire « AH [Cadastre 9] »] par l'acte d'échange du 3 septembre 2004, le chemin sur la parcelle devenue AH [Cadastre 7] permettait d'accéder au parking devenu AH [Cadastre 6] et que cet aménagement avait été réalisé pour le compte du propriétaire, la cour d'appel a, pour exclure l'existence d'une servitude par destination du père de famille en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] sur le fonds servant AH [Cadastre 7], déduit de la circonstance que le chemin litigieux ayant existé antérieurement à la création du parking, il n'avait pas été aménagé pour en permettre l'accès ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, et violé l'article 693 du code civil ;
3°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'absence de mention dans l'acte de division de la servitude ne constitue pas une stipulation contraire à son maintien ; qu'en énonçant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] sur le fonds servant AH [Cadastre 7], que les parties à l'acte de division, spécialement la SCI du Domaine de [Adresse 15], avaient clairement manifesté l'absence de servitude passive ou active sur les parcelles AH [Cadastre 6] et [Cadastre 7], la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
4°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que la clause de style, aux termes de laquelle l'ancien propriétaire du fonds servant n'a créé ni laissé acquérir aucune servitude et qu'à sa connaissance, il n'en existe aucune, ne constitue pas une stipulation contraire au maintien de la servitude résultant de l'aménagement établi par ce propriétaire ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6], propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant AH [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur la stipulation de l'acte d'échange du 3 septembre 2004, ayant notamment transféré la propriété de la parcelle AH [Cadastre 6] à la copropriété, par laquelle les parties avaient déclaré qu'elles n'avaient personnellement conféré aucune servitude sur les immeubles cédés et qu'à leur connaissance il n'en existait aucune, quand une telle stipulation constituait une clause de style, qui ne pouvait s'analyser en une stipulation contraire au maintien de la servitude litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
5°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude par destination du père de famille, lorsqu'il existe des signes apparents de servitude, ne peut être écartée que par des dispositions contraires de l'acte de division, à l'exclusion de toute autre convention ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant AH [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur l'acte de vente du 13 mars 2007 entre la SCI du Domaine de [Adresse 15] et la SCI Jump, notamment, d'une parcelle contiguë à la parcelle AH [Cadastre 7], en ce qu'il ne faisait pas mention de la servitude alléguée, et sur l'acte notarié du 22 décembre 2007 dénommé « constitution de servitudes », en ce qu'il ne faisait nul état d'une servitude de droit de passage sur la parcelle AH [Cadastre 7], notamment au profit de la parcelle AH [Cadastre 6] et qu'il instituait une servitude de droit de passage grevant la parcelle AH [Cadastre 3] de la SCI Jump au profit de parcelle AH n° [Cadastre 4] des consorts [D], la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
6°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude par destination du père de famille, lorsqu'il existe des signes apparents de servitude, ne peut être écartée que par des dispositions contraires de l'acte de division, à l'exclusion de tout autre document ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant AH [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur une résolution d'assemblée générale du 24 juin 2007 de la copropriété et sur une lettre du syndic au maire de la commune du 19 juin 2010, aux termes desquelles il était projeté de réaliser des travaux pour un accès direct aux parkings par la cour de la copropriété, la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
7°/ que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude conventionnelle qui ne recouvre pas toute l'étendue de la servitude par destination du père de famille revendiquée n'en exclut pas l'existence ; qu'en retenant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant AH [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, que l'acte de constitution de servitudes du 22 décembre 2007 avait institué une servitude de droit de passage pour cause d'enclave au profit de la parcelle AH n° [Cadastre 4] des consorts [D] sur les parcelles AH [Cadastre 8] et AH [Cadastre 6] de la copropriété, grevant la parcelle AH [Cadastre 3] de la SCI Jump, s'exerçant depuis le chemin rural [Adresse 16] au [Localité 14], et qu'à cet endroit, ce chemin n'était précisément pas le passage litigieux AH [Cadastre 7] de la SCI Jump, quand l'existence de la servitude par destination du père de famille revendiquée ne pouvait être exclue du fait de l'existence d'une telle servitude conventionnelle, qui n'en recouvrait pas toute l'étendue, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation des articles 693 et 694 du code civil. »
Réponse de la Cour
3. C'est, d'abord, à bon droit que la cour d'appel a retenu que la destination du père de famille ne vaut titre à l'égard des servitudes discontinues, en présence de signes apparents de la servitude lors de la division d'un fonds, que si l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.
4. Ayant, ensuite, constaté que l'acte d'échange du 3 septembre 2004 prévoyait expressément l'absence de servitude sur les parcelles AH n°[Cadastre 6] et AH n° [Cadastre 7] issues de la division de l'ancienne parcelle AH n° [Cadastre 10], réalisée à cette occasion par la société du Domaine de [Adresse 15] qui en était propriétaire, elle en a souverainement déduit que cette stipulation ne constituait pas une simple clause de style et était contraire au maintien d'une servitude de passage par destination du père de famille.
5. Elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
6. Les consorts [D] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes au titre de la servitude par destination du père de famille grevant la parcelle AH n° [Cadastre 7] au profit des parcelles AH n° [Cadastre 4] et [Cadastre 5], alors « qu'il y a destination du père de famille lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que la qualité de propriétaire unique doit s'apprécier à la date de la division des fonds à l'égard desquels la servitude par destination du père de famille est revendiquée ; qu'en retenant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille sur le fonds AH [Cadastre 7], cédé à la SCI Jump, n'avait pu être constituée au profit des parcelles AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], qu'au jour de la division du 3 septembre 2004, de la parcelle AH [Cadastre 9], en deux parcelles cadastrées AH [Cadastre 6] et [Cadastre 7], les parcelles AH [Cadastre 4] et [Cadastre 5], ayant été attribuées aux consorts [D] selon acte du 4 octobre 2002, ne faisaient déjà plus partie du fonds de la SCI du Domaine de [Adresse 15], quand elle devait se placer à la date de la division de ce fonds au profit des consorts [D], le 4 octobre 2002, la cour d'appel a violé l'article 693 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 693 et 694 du code civil :
7. Aux termes du premier de ces textes, il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.
8. Selon le second, la destination du père de famille vaut titre à l'égard des servitudes discontinues lorsqu'existent, lors de la division d'un fonds, des signes apparents de la servitude et que l'acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien.
9. Pour rejeter les demandes des consorts [D] au titre de la servitude par destination du père de famille, l'arrêt retient que ceux-ci sont devenus propriétaires de leurs parcelles par acte du 4 octobre 2002, lesquelles ne faisaient donc déjà plus partie du fonds au jour de sa division le 3 septembre 2004.
10. En statuant ainsi, au regard de la division intervenue le 3 septembre 2004, après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que l'acte du 4 octobre 2002 avait procédé à une première division du fonds dont la société du Domaine de [Adresse 15] était propriétaire, les parcelles AH n° [Cadastre 4] et [Cadastre 5] qui en étaient issues ayant été attribuées aux consorts [D] à l'occasion de leur retrait de la société, alors que les conditions d'existence d'une servitude par destination du père de famille doivent s'apprécier au jour de la division des fonds concernés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur les troisième et quatrième moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
11. Le syndicat des copropriétaires et les consorts [D] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à faire reconnaître l'existence d'un chemin d'exploitation situé sur la parcelle AH n° [Cadastre 7] et desservant leurs parcelles respectives, alors « que les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation ; que la circonstance que le chemin litigieux rejoigne un chemin rural dont ni le cours ni le débouché ne sont connus n'exclut pas la qualification de chemin d'exploitation ; qu'en retenant, pour dire que le passage édifié sur la parcelle AH [Cadastre 7] ne constituait pas un chemin d'exploitation, que ni le cours ni le débouché final du [Adresse 16], que le passage édifié sur la parcelle AH [Cadastre 7] permettait de rattraper, n'étaient connus en totalité, de sorte que la preuve que le passage litigieux assurait la desserte ou la communication exclusive de divers fonds n'était pas rapportée, quand l'incertitude sur le débouché du chemin rural, que le passage aménagé sur la parcelle AH [Cadastre 7] permettait de rejoindre, n'excluait pas la qualification de ce dernier en chemin d'exploitation, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime :
12. Selon ce texte, les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation.
13. Pour rejeter les demandes tendant à faire reconnaître l'existence d'un chemin d'exploitation sur la parcelle AH n° [Cadastre 7], l'arrêt retient que le cours et le débouché final du chemin rural auquel accède la portion de chemin établie sur cette parcelle ne sont pas connus en totalité, de sorte qu'il n'est pas prouvé que le passage qui y est situé assure la desserte exclusive des divers fonds.
14. En statuant ainsi, après avoir constaté que la voie traversant la parcelle AH n° [Cadastre 7] était comprise dans un sentier permettant de rejoindre les fonds des parties avant d'accéder au chemin rural, par des motifs impropres à exclure les caractéristiques d'un chemin d'exploitation pour la portion située sur cette parcelle, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande du syndicat des copropriétaires du [Adresse 15] en reconnaissance d'une servitude par destination du père de famille grevant la parcelle cadastrée AH n° [Cadastre 7] au profit de la parcelle cadastrée AH n° [Cadastre 6], l'arrêt rendu le 2 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société civile immobilière Jump aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, signé par M. Echappé, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, et signé et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour MM. [R], [N] et [S] [D], Mme [D] et le syndicat des copropriétaires du [Adresse 15]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 15] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande tendant à voir dire qu'une servitude par destination du père de famille était constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6], lui appartenant, sur le fonds servant AH [Cadastre 7], propriété de la SCI Jump, et de ses demandes subséquentes de libération de ce fonds et d'indemnisation ;
1°) ALORS QU'une servitude par destination du père de famille est constituée lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que la reconnaissance d'une servitude de passage par destination du père de famille ne nécessite pas la preuve de l'intention de l'auteur commun d'établir un service foncier d'un fonds au profit d'un autre ; qu'ayant constaté qu'au jour de la division de la parcelle AH [Cadastre 10] [lire « AH [Cadastre 9] »], par l'acte d'échange du 3 septembre 2004, le chemin sur la parcelle devenue AH [Cadastre 7] permettait d'accéder au parking devenu AH [Cadastre 6] et que cet aménagement avait été réalisé pour le compte du propriétaire, la cour d'appel qui, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] sur le fonds servant AH [Cadastre 7], a retenu que la chronologie de cet aménagement établissait que la SCI du Domaine de [Adresse 15] n'avait pas eu l'intention, avant la division de la parcelle AH [Cadastre 10] [lire « AH [Cadastre 9] »], d'aménager le chemin litigieux pour servir ou profiter au lieu de stationnement créé en 1981 devenu AH [Cadastre 6], a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, en violation de l'article 693 du code civil ;
2°) ALORS QU'une servitude par destination du père de famille est constituée lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que l'assujettissement du fonds servant, dès son origine, pour les besoins du fonds dominant, n'est pas une condition indispensable de l'établissement d'une servitude par destination du père de famille ; qu'après avoir constaté qu'au jour de la division de la parcelle AH [Cadastre 10] [lire « AH [Cadastre 9] »] par l'acte d'échange du 3 septembre 2004, le chemin sur la parcelle devenue AH [Cadastre 7] permettait d'accéder au parking devenu AH [Cadastre 6] et que cet aménagement avait été réalisé pour le compte du propriétaire, la cour d'appel a, pour exclure l'existence d'une servitude par destination du père de famille en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] sur le fonds servant AH [Cadastre 7], déduit de la circonstance que le chemin litigieux ayant existé antérieurement à la création du parking, il n'avait pas été aménagé pour en permettre l'accès ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, et violé l'article 693 du code civil ;
3°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'absence de mention dans l'acte de division de la servitude ne constitue pas une stipulation contraire à son maintien ; qu'en énonçant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] sur le fonds servant AH [Cadastre 7], que les parties à l'acte de division, spécialement la SCI du Domaine de [Adresse 15], avaient clairement manifesté l'absence de servitude passive ou active sur les parcelles AH [Cadastre 6] et [Cadastre 7], la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
4°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que la clause de style, aux termes de laquelle l'ancien propriétaire du fonds servant n'a créé ni laissé acquérir aucune servitude et qu'à sa connaissance, il n'en existe aucune, ne constitue pas une stipulation contraire au maintien de la servitude résultant de l'aménagement établi par ce propriétaire ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6], propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant AH [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur la stipulation de l'acte d'échange du 3 septembre 2004, ayant notamment transféré la propriété de la parcelle AH [Cadastre 6] à la copropriété, par laquelle les parties avaient déclaré qu'elles n'avaient personnellement conféré aucune servitude sur les immeubles cédés et qu'à leur connaissance il n'en existait aucune, quand une telle stipulation constituait une clause de style, qui ne pouvait s'analyser en une stipulation contraire au maintien de la servitude litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
5°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude par destination du père de famille, lorsqu'il existe des signes apparents de servitude, ne peut être écartée que par des dispositions contraires de l'acte de division, à l'exclusion de toute autre convention ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant AH [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur l'acte de vente du 13 mars 2007 entre la SCI du Domaine de [Adresse 15] et la SCI Jump, notamment, d'une parcelle contiguë à la parcelle AH [Cadastre 7], en ce qu'il ne faisait pas mention de la servitude alléguée, et sur l'acte notarié du 22 décembre 2007 dénommé « constitution de servitudes », en ce qu'il ne faisait nul état d'une servitude de droit de passage sur la parcelle AH [Cadastre 7], notamment au profit de la parcelle AH [Cadastre 6] et qu'il instituait une servitude de droit de passage grevant la parcelle AH [Cadastre 3] de la SCI Jump au profit de parcelle AH n° [Cadastre 4] des consorts [D], la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
6°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude par destination du père de famille, lorsqu'il existe des signes apparents de servitude, ne peut être écartée que par des dispositions contraires de l'acte de division, à l'exclusion de tout autre document ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant AH [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, sur une résolution d'assemblée générale du 24 juin 2007 de la copropriété et sur une lettre du syndic au maire de la commune du 19 juin 2010, aux termes desquelles il était projeté de réaliser des travaux pour un accès direct aux parkings par la cour de la copropriété, la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
7°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude conventionnelle qui ne recouvre pas toute l'étendue de la servitude par destination du père de famille revendiquée n'en exclut pas l'existence ; qu'en retenant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille n'était pas constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] propriété du syndicat de la copropriété du [Adresse 15], sur le fonds servant AH [Cadastre 7] appartenant à la SCI Jump, que l'acte de constitution de servitudes du 22 décembre 2007 avait institué une servitude de droit de passage pour cause d'enclave au profit de la parcelle AH n° [Cadastre 4] des consorts [D] sur les parcelles AH [Cadastre 8] et AH [Cadastre 6] de la copropriété, grevant la parcelle AH [Cadastre 3] de la SCI Jump, s'exerçant depuis le chemin rural [Adresse 16] au [Localité 14], et qu'à cet endroit, ce chemin n'était précisément pas le passage litigieux AH [Cadastre 7] de la SCI Jump, quand l'existence de la servitude par destination du père de famille revendiquée ne pouvait être exclue du fait de l'existence d'une telle servitude conventionnelle, qui n'en recouvrait pas toute l'étendue, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation des articles 693 et 694 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
MM. [R], [N] et [S] [D] et Mme [H] [D] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté leurs demandes au titre de la servitude par destination du père de famille ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut modifier l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans le dispositif de leurs dernières conclusions récapitulatives, les consorts [D] demandaient à la cour d'appel de dire et juger que les fonds dominants situés à Bonneuil en Valois, cadastrés AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], leur appartenant, bénéficiaient d'une servitude par destination du père de famille au titre du chemin situé sur le fonds servant à Bonneuil en Valois, cadastré AH [Cadastre 7] et appartenant à la SCI Jump ; qu'en jugeant que les consorts [D] devaient être déboutés de leur demande tendant à reconnaître l'existence d'une servitude par destination du père de famille constituée en faveur du fonds dominant AH [Cadastre 6] sur le fonds servant AH [Cadastre 7], la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de ce que les parcelles AH [Cadastre 4] et [Cadastre 5], dont les consorts [D] étaient devenus propriétaires selon acte du 4 octobre 2002, ne faisaient donc déjà plus partie du fonds de la SCI du Domaine de [Adresse 15] au jour de la division du 3 septembre 2004, de la parcelle AH [Cadastre 9], en deux parcelles cadastrées AH [Cadastre 6] et [Cadastre 7], pour en déduire qu'une servitude par destination du père de famille sur le fonds AH [Cadastre 7], cédé à la SCI Jump, n'avait pu être constituée au profit des parcelles AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'il y a destination du père de famille lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; que la qualité de propriétaire unique doit s'apprécier à la date de la division des fonds à l'égard desquels la servitude par destination du père de famille est revendiquée ; qu'en retenant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille sur le fonds AH [Cadastre 7], cédé à la SCI Jump, n'avait pu être constituée au profit des parcelles AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], qu'au jour de la division du 3 septembre 2004, de la parcelle AH [Cadastre 9], en deux parcelles cadastrées AH [Cadastre 6] et [Cadastre 7], les parcelles AH [Cadastre 4] et [Cadastre 5], ayant été attribuées aux consorts [D] selon acte du 4 octobre 2002, ne faisaient déjà plus partie du fonds de la SCI du Domaine de [Adresse 15], quand elle devait se placer à la date de la division de ce fonds au profit des consorts [D], le 4 octobre 2002, la cour d'appel a violé l'article 693 du code civil ;
4°) ALORS QU'une servitude par destination du père de famille est constituée lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille sur le fonds AH [Cadastre 7], cédé à la SCI Jump, n'avait pu être constituée au profit des parcelles AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], sur l'aménagement apparent depuis le fonds AH [Cadastre 7] permettant d'accéder au parking devenu AH [Cadastre 6], quand elle devait uniquement apprécier la condition tenant à l'utilité du fonds servant pour le fonds dominant, en considération de l'aménagement du chemin litigieux sur le fonds AH [Cadastre 7] au profit des parcelles AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], la cour d'appel a violé l'article 693 du code civil ;
5°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude par destination du père de famille, lorsqu'il existe des signes apparents de servitude, ne peut être écartée que par des dispositions contraires de l'acte de division, à l'exclusion de toute autre convention ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille sur le fonds AH [Cadastre 7], cédé à la SCI Jump, n'avait pu être constituée au profit des parcelles AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], sur l'acte d'échange du 3 septembre 2004, en ce que les parties à l'acte, spécialement la SCI du Domaine de [Adresse 15] avait clairement manifesté l'absence de servitude passive ou active sur la parcelle AH [Cadastre 7], sur l'acte de vente du 13 mars 2007 entre la SCI du Domaine de [Adresse 15] et la SCI Jump, notamment, d'une parcelle contiguë à la parcelle AH [Cadastre 7], en ce qu'il ne faisait pas mention de la servitude au profit de la parcelle AH [Cadastre 6], et sur l'acte notarié du 22 décembre 2007 dénommé « constitution de servitudes », en ce qu'il ne faisait nul état d'une servitude de droit de passage sur la parcelle AH [Cadastre 7], notamment au profit de la parcelle AH [Cadastre 6] et qu'il instituait une servitude de droit de passage grevant la parcelle AH [Cadastre 3] de la SCI Jump au profit de parcelle AH n° [Cadastre 4] des consorts [D], la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
6°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude par destination du père de famille, lorsqu'il existe des signes apparents de servitude, ne peut être écartée que par des dispositions contraires de l'acte de division, à l'exclusion de tout autre document ; qu'en se fondant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille sur le fonds AH [Cadastre 7], cédé à la SCI Jump, n'avait pu être constituée au profit des parcelles AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], sur une résolution d'assemblée générale du 24 juin 2007 de la copropriété et d'une lettre du syndic au maire de la commune du 19 juin 2010, aux termes desquelles il était projeté de réaliser des travaux pour un accès direct aux parkings par la cour de la copropriété, la cour d'appel a violé l'article 694 du code civil ;
7°) ALORS QUE si le propriétaire de deux héritages entre lesquels existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; que l'existence d'une servitude conventionnelle qui ne recouvre pas toute l'étendue de la servitude par destination du père de famille revendiquée n'en exclut pas l'existence ; qu'en retenant, pour dire qu'une servitude par destination du père de famille sur le fonds AH [Cadastre 7], cédé à la SCI Jump, n'avait pu être constituée au profit des parcelles AH [Cadastre 4] et AH [Cadastre 5], que l'acte de constitution de servitudes du 22 décembre 2007 avait institué une servitude de droit de passage pour cause d'enclave au profit de la parcelle AH n° [Cadastre 4] des consorts [D] sur les parcelles AH [Cadastre 8] et AH [Cadastre 6] de la copropriété, grevant la parcelle AH [Cadastre 3] de la SCI Jump, s'exerçant depuis le chemin rural [Adresse 16] au [Localité 14], et qu'à cet endroit, ce chemin n'était précisément pas le passage litigieux AH [Cadastre 7] de la SCI Jump, quand l'existence de la servitude par destination du père de famille revendiquée ne pouvait être exclue du fait de l'existence d'une telle servitude conventionnelle, qui n'en recouvrait pas toute l'étendue, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation des articles 693 et 694 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 15] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande tendant à voir dire que le chemin d'une largeur de 5 mètres et subsidiairement 4,50 mètres minimum, situé sur la parcelle AH [Cadastre 7] et longeant la parcelle AH [Cadastre 6], puis traversant les parcelles AH [Cadastre 8], AH [Cadastre 3] et AH [Cadastre 4], est un chemin d'exploitation, de sa demande tendant à voir dire qu'il a acquis la propriété immobilière de la moitié du chemin d'exploitation qui jouxte sa propriété et de sa demande de libération dudit chemin et d'indemnisation ;
1°) ALORS QUE les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation ; que l'existence d'un autre accès n'exclut pas la qualification de chemin d'exploitation ; qu'en retenant, pour refuser la qualification de chemin d'exploitation au passage sur la parcelle AH [Cadastre 7] de la SCI Jump, que selon les actes et plans versés aux débats, la copropriété disposant d'un accès à la voie publique via la partie toujours existante de l'ancien chemin rural [Adresse 16] au [Localité 14], le passage sur la parcelle AH [Cadastre 7] de la SCI Jump n'est donc pas nécessaire pour la communication ou l'exploitation de son fonds, quand l'existence d'un autre accès à la voie publique que par le fonds traversé cadastré AH [Cadastre 7] est une circonstance impropre à exclure la qualification de chemin d'exploitation, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de ce que ni le cours ni le débouché final du [Adresse 16], que le passage édifié sur la parcelle AH [Cadastre 7] permettait de rattraper, n'étaient connus en totalité, pour en déduire que la preuve que le passage litigieux assurait la desserte ou la communication exclusive de divers fonds n'était pas rapportée, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation ; que la circonstance que le chemin litigieux rejoigne un chemin rural dont ni le cours ni le débouché ne sont connus n'exclut pas la qualification de chemin d'exploitation ; qu'en retenant, pour dire que le passage édifié sur la parcelle AH [Cadastre 7] ne constituait pas un chemin d'exploitation, que ni le cours ni le débouché final du [Adresse 16], que le passage édifié sur la parcelle AH [Cadastre 7] permettait de rattraper, n'étaient connus en totalité, de sorte que la preuve que le passage litigieux assurait la desserte ou la communication exclusive de divers fonds n'était pas rapportée, quand l'incertitude sur le débouché du chemin rural, que le passage aménagé sur la parcelle AH [Cadastre 7] permettait de rejoindre, n'excluait pas la qualification de ce dernier en chemin d'exploitation, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
MM. [R], [N] et [S] [D] et Mme [H] [D] reprochent à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leur demande tendant à voir dire que le chemin d'une largeur de 5 mètres et subsidiairement 4,50 mètres minimum, situé sur la parcelle AH [Cadastre 7] et longeant la parcelle AH [Cadastre 6], puis traversant les parcelles AH [Cadastre 8], AH [Cadastre 3] et AH [Cadastre 4] tel que décrit ci-avant, est un chemin d'exploitation, de leur demande tendant à voir dire qu'ils ont acquis la propriété immobilière de la moitié du chemin d'exploitation qui jouxte leur propriété et de leur demande en libération dudit chemin ;
1°) ALORS QUE les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation ; que l'existence d'un autre accès n'exclut pas la qualification de chemin d'exploitation ; qu'en retenant, pour refuser la qualification de chemin d'exploitation au passage sur la parcelle AH [Cadastre 7] de la SCI Jump, que les consorts [D] disposent d'un accès à la voie publique via le fonds de la copropriété, et ce au moyen de la servitude de droit de passage prévue au profit de leur parcelle AH n° [Cadastre 4] sur les parcelles AH [Cadastre 8] et AH [Cadastre 6] de la copropriété, quand l'existence d'une telle servitude est une circonstance impropre à exclure la qualification de chemin d'exploitation, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de ce que ni le cours ni le débouché final du [Adresse 16], que le passage édifié sur la parcelle AH [Cadastre 7] permettait de rattraper, n'étaient connus en totalité, pour en déduire que la preuve que le passage litigieux assurait la desserte ou la communication exclusive de divers fonds n'était pas rapportée, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE les chemins et sentiers d'exploitation sont ceux qui servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation ; que la circonstance que le chemin litigieux rejoigne un chemin rural dont ni le cours ni le débouché ne sont connus n'exclut pas la qualification de chemin d'exploitation ; qu'en retenant, pour dire que le passage édifié sur la parcelle AH [Cadastre 7] ne constituait pas un chemin d'exploitation, que ni le cours ni le débouché final du [Adresse 16], que le passage édifié sur la parcelle AH [Cadastre 7] permettait de rattraper, n'étaient connus en totalité, de sorte que la preuve que le passage litigieux assurait la desserte ou la communication exclusive de divers fonds n'était pas rapportée, quand l'incertitude sur le débouché du chemin rural que le passage aménagé sur la parcelle AH [Cadastre 7] permettait de rejoindre n'excluait pas la qualification de ce dernier en chemin d'exploitation, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime. | Les juges du fonds apprécient souverainement si une clause d'un acte de division constitue une stipulation contraire au maintien d'une servitude discontinue par destination du père de famille |
8,502 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 39 FS-B
Pourvoi n° K 22-10.700
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
1°/ M. [U] [A],
2°/ Mme [P] [B], épouse [A],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° K 22-10.700 contre l'arrêt rendu le 26 octobre 2021 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre civile), dans le litige les opposant à Mme [S] [N], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [A], de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [N], après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé,
conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, Gallet, Davoine, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 26 octobre 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ.,10 septembre 2020, pourvoi n° 19-11.590), M. et Mme [A], se prévalant d'une servitude conventionnelle de passage, ont assigné Mme [N], propriétaire du fonds servant, en rétablissement de la servitude qui, selon eux, avait été unilatéralement modifiée, sans leur autorisation.
2. En exécution du jugement l'y condamnant, Mme [N] a procédé à la remise en état de l'assiette primitive de la servitude.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et cinquième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches
Enoncé du moyen
4. M. et Mme [A] font grief à l'arrêt de modifier l'assiette de la servitude de passage, alors :
« 2°/ que le propriétaire d'un fonds servant qui, en méconnaissance de l'article 701, alinéa 3 du code civil, a unilatéralement et sans l'accord préalable du propriétaire du fonds dominant et sans l'autorisation préalable d'un juge, déplacé l'assiette d'une servitude de passage conventionnelle et a en conséquence été condamné par décision de justice exécutoire à la remise en état de l'assiette de la servitude de passage primitive, ne saurait se prévaloir de cette remise en état et de l'exécution de la décision exécutoire par provision pour solliciter à nouveau au visa des mêmes dispositions, dans la même procédure mais devant le juge d'appel, la possibilité d'opérer à nouveau ce déplacement de la servitude de passage ; qu'en déclarant que Mme [N] ayant exécuté le jugement de première instance l'ayant condamnée à la remise en état de l'assiette de la servitude de passage primitive après qu'elle a modifié unilatéralement sans l'accord des époux [A] et sans autorisation préalable du juge cette assiette, pouvait solliciter du juge d'appel le déplacement de l'assiette de la servitude et que le moyen fondé sur la modification unilatérale et sans accord du fonds servant ou autorisation préalable du juge était inopérant en l'état de la remise en état intervenue, la modification illégale de l'assiette n'interdisant pas définitivement aux propriétaires du fonds servant d'invoquer l'article 701 alinéa 3 du code civil si les propriétaires du fonds dominant peuvent à nouveau utiliser le passage d'origine, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
3°/ que si le propriétaire du fonds servant peut proposer au propriétaire du fonds dominant le déplacement de l'assiette de la servitude de passage que celui-ci ne peut refuser, c'est à la double condition que l'assignation primitive de la servitude soit devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti et qu'il puisse offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, le caractère plus onéreux de la servitude supposant une nécessité de modifier l'assiette primitive de la servitude pour répondre à l'utilité réelle du fonds servant et le changement demandé devant répondre à cette utilité réelle et non à la seule commodité personnelle de son propriétaire ; qu'en retenant qu'était établi le caractère plus contraignant de la servitude de passage causé par la modification de la destination du fonds dominant, en ce que les passages des véhicules et des piétons locataires de la maison, qui avaient lieu entre le printemps et la fin de l'été, s'étaient intensifiés et avaient majoré les inconvénients de l'assiette actuelle de la servitude et l'avait rendue plus onéreuse, sans relever de restriction quant à la destination, l'usage ou les modalités d'exercice de l'utilisation du chemin de passage d'origine ni expliquer en quoi cet usage plus intensif compromettait l'utilité réelle du fonds de Mme [N], la cour d'appel, qui a exclusivement relevé « les désagréments causés par la fréquentation accrue du passage », le fait que les locataires saisonniers sollicitaient souvent Mme [N] à leur arrivée pour trouver la maison louée et que les « nuisances » évoquées par Mme [N] étaient « certaines », a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701, alinéa 3 du code civil ;
4°/ que si le propriétaire du fonds servant peut proposer au propriétaire du fonds dominant le déplacement de l'assiette de la servitude de passage que celui-ci ne peut refuser, c'est à la double condition que l'assignation primitive de la servitude soit devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti et qu'il puisse offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits ; que pour considérer que l'assiette du passage proposée par Mme [N] était aussi commode que l'assiette primitive, la cour d'appel a retenu malgré « deux passages à angle droit » dans le nouveau tracé de la servitude, un conducteur normalement attentif pouvait « sans problème » utiliser le nouveau passage, que la largeur du passage était suffisante pour le passage de véhicules légers et que les véhicules plus longs, comme un fourgon, ne pouvaient en tout état de cause pas emprunter le passage initial, que le portail d'entrée initial d'une largeur de 3,39 mètres limitait déjà le gabarit des véhicules pouvant emprunter le passage, le nouveau portail en bois d'une largeur supérieure de 3,75 mètres étant à cet égard plus commode, et que la nouvelle pente à 15 % du nouveau tracé de la servitude était sans incidence sur le caractère commode ou non du nouveau passage sur lequel on ne pouvait stationner ; qu'en statuant ainsi après avoir constaté que Mme [N] reconnaissait elle-même que les engins de travaux publics pouvaient emprunter le passage initial et sans rechercher si le fait que le nouveau passage revendiqué par Mme [N] cumule tout à la fois une pente de 15 % et une configuration étroite et accidentée ne rendait pas nécessairement l'accès des époux [A] à leur maison plus incommode, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701, alinéa 3 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a, d'abord, énoncé à bon droit, que la modification, sans accord des propriétaires du fonds dominant et sans autorisation judiciaire, de l'assiette d'une servitude de passage n'interdisait pas aux propriétaires du fonds servant d'invoquer les dispositions de l'article 701, alinéa 3, du code civil, dès lors que l'assiette d'origine du passage avait été rétablie.
6. Procédant à la recherche prétendument omise, par une comparaison des tracés des deux passages discutés pour en dégager les avantages et contraintes respectifs, elle en a, ensuite, souverainement déduit qu'ils présentaient une commodité équivalente pour les propriétaires du fonds dominant.
7. Enfin, ayant souverainement retenu, qu'en raison du changement de destination du fonds dominant, la servitude était devenue plus onéreuse pour Mme [N], du fait de la proximité du chemin avec son habitation, de l'augmentation des passages et des sollicitations fréquentes dont elle était l'objet, faisant ainsi ressortir l'existence d'une gêne substantielle liée à l'assiette primitive de la servitude, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. M. et Mme [A] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages et intérêts, alors « que pour rejeter cette demande en réparation de leur préjudice de jouissance, la cour d'appel a retenu que, si le tribunal y avait fait droit au regard de leurs difficultés pour emprunter le nouveau passage, il résultait des constatations de l'arrêt que le nouveau passage était aussi commode que l'ancien, de sorte que les époux [A] ne subissaient pas de préjudice de jouissance pour avoir été contraints de l'emprunter ; qu'il résulte cependant des critiques du premier moyen de cassation que Mme [N] ne pouvait plus, a posteriori, demander judiciairement le déplacement de l'assiette de la servitude de passage auquel elle avait préalablement procédé unilatéralement sans l'autorisation des époux [A], et que ce nouveau passage n'était en toute hypothèse pas aussi commode que l'ancien ; que par voie de conséquence et par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de ces critiques devra entraîner la cassation de l'arrêt en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts. »
Réponse de la cour
9. Le rejet du premier moyen rend sans portée le second moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [A] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [A] et les condamne, in solidum, à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado-Gilbert, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [A]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Les époux [A] reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué,
D'AVOIR infirmé le jugement entrepris ayant ordonné à Mme [N] de remettre en état l'accès à leur propriété tel qu'il résulte de l'acte de vente du 10 avril 1995 et ordonné à Mme [N] de leur remettre une clé des deux grilles du portail ouvrant et fermant l'accès au passage, D'AVOIR fixé l'assiette de la servitude de passage bénéficiant aux parcelles situées lieu-dit l'[Localité 13], à [Localité 17] (35), cadastrées section AH n° [Cadastre 5], [Cadastre 9], [Cadastre 7], [Cadastre 12], [Cadastre 1], [Cadastre 4] et à la parcelle située lieu-dit Vinouze, cadastrée section AH n° [Cadastre 6], sur les parcelles situées lieu-dit l'[Localité 13], cadastrées section AH n° [Cadastre 8], [Cadastre 10] et [Cadastre 11], selon le tracé défini dans le plan établi par M. [F] [T] [Y], géomètre-expert, daté du 4 mai 2009 et annexé à la décision, et D'AVOIR ordonné la publication au fichier immobilier, aux frais de Mme [N], des dispositions de l'arrêt qui modifient l'assiette de la servitude de passage, à la suite des titres suivants : *acte de vente [H]/[N], daté du 26 mars 1982, au rapport de Maître [C], notaire à [Localité 14], publié au bureau des hypothèques de [Localité 15] le 26 mars 1982 (volume 5569), *acte de vente [H]/[B] épouse [A] reçu par Maître [C], notaire à [Localité 14], le 23 février 1977, publié au bureau des hypothèques de [Localité 15] le 25 mars 1977 (volume 4336 n° 17), *acte de vente [R]/[B] épouse [A], reçu par Maître [J] le 24 janvier 1986, publié le 11 février 1988 (volume 6407 n°6), *acte de vente Çhéenne épouse [A]/[N] en date du 10 avril 1995, au rapport de Maître [X], notaire à [Localité 16] (35), publié le 25 avril 1995 (volume 1995P n°2341), DE LES AVOIR déboutés de leur demande de dommages et intérêts ;
1°) ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que si Mme [N] indiquait avoir exécuté le jugement entrepris après le 31 mars 2021, elle ne s'en prévalait pas comme une circonstance lui permettant désormais d'invoquer les dispositions de l'article 701, alinéa 3 du code civil en dépit du fait qu'elle avait modifié à son avantage l'état des lieux de la servitude sans l'accord des époux [A] et sans y avoir été préalablement autorisée par un juge, se bornant à soutenir, contre la doctrine de la Cour de cassation exprimée dans l'arrêt d'annulation du 10 septembre 2020, que l'obligation de saisine préalable du juge aux fins de déplacement de l'assiette de la servitude ajoutait une exigence aux dispositions de l'article 701, alinéa 3 du code civil (conclusions d'appel de Mme [N], p. 13) ; qu'en déclarant d'office et sans susciter les observations préalables des époux [A], que du fait l'exécution par Mme [N] du jugement entrepris, le moyen tiré de la modification unilatérale et sans leur accord de l'assiette de la servitude de passage était inopérant, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS en toute hypothèse QUE le propriétaire d'un fonds servant qui, en méconnaissance de l'article 701, alinéa 3 du code civil, a unilatéralement et sans l'accord préalable du propriétaire du fonds dominant et sans l'autorisation préalable d'un juge, déplacé l'assiette d'une servitude de passage conventionnelle et a en conséquence été condamné par décision de justice exécutoire à la remise en état de l'assiette de la servitude de passage primitive, ne saurait se prévaloir de cette remise en état et de l'exécution de la décision exécutoire par provision pour solliciter à nouveau au visa des mêmes dispositions, dans la même procédure mais devant le juge d'appel, la possibilité d'opérer à nouveau ce déplacement de la servitude de passage ; qu'en déclarant que Mme [N] ayant exécuté le jugement de première instance l'ayant condamnée à la remise en état de l'assiette de la servitude de passage primitive après qu'elle ait modifié unilatéralement sans l'accord des époux [A] et sans autorisation préalable du juge cette assiette, pouvait solliciter du juge d'appel le déplacement de l'assiette de la servitude et que le moyen fondé sur la modification unilatérale et sans accord du fonds servant ou autorisation préalable du juge était inopérant en l'état de la remise en état intervenue, la modification illégale de l'assiette n'interdisant pas définitivement aux propriétaires du fonds servant d'invoquer l'article 701 alinéa 3 du code civil si les propriétaires du fonds dominant peuvent à nouveau utiliser le passage d'origine, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
3°) ALORS subsidiairement QUE si le propriétaire du fonds servant peut proposer au propriétaire du fonds dominant le déplacement de l'assiette de la servitude de passage que celui-ci ne peut refuser, c'est à la double condition que l'assignation primitive de la servitude soit devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti et qu'il puisse offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits, le caractère plus onéreux de la servitude supposant une nécessité de modifier l'assiette primitive de la servitude pour répondre à l'utilité réelle du fonds servant et le changement demandé devant répondre à cette utilité réelle et non à la seule commodité personnelle de son propriétaire ; qu'en retenant qu'était établi le caractère plus contraignant de la servitude de passage causé par la modification de la destination du fonds dominant, en ce que les passages des véhicules et des piétons locataires de la maison, qui avaient lieu entre le printemps et la fin de l'été, s'étaient intensifiés et avaient majoré les inconvénients de l'assiette actuelle de la servitude et l'avait rendue plus onéreuse, sans relever de restriction quant à la destination, l'usage ou les modalités d'exercice de l'utilisation du chemin de passage d'origine ni expliquer en quoi cet usage plus intensif compromettait l'utilité réelle du fonds de Mme [N], la cour d'appel, qui a exclusivement relevé « les désagréments causés par la fréquentation accrue du passage », le fait que les locataires saisonniers sollicitaient souvent Mme [N] à leur arrivée pour trouver la maison louée et que les « nuisances » évoquées par Mme [N] étaient « certaines », a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701, alinéa 3 du code civil ;
4°) ALORS en toute hypothèse QUE si le propriétaire du fonds servant peut proposer au propriétaire du fonds dominant le déplacement de l'assiette de la servitude de passage que celui-ci ne peut refuser, c'est à la double condition que l'assignation primitive de la servitude soit devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti et qu'il puisse offrir au propriétaire de l'autre fonds un endroit aussi commode pour l'exercice de ses droits ; que pour considérer que l'assiette du passage proposée par Mme [N] était aussi commode que l'assiette primitive, la cour d'appel a retenu malgré « deux passages à angle droit » dans le nouveau tracé de la servitude, un conducteur normalement attentif pouvait « sans problème » utiliser le nouveau passage, que la largeur du passage était suffisante pour le passage de véhicules légers et que les véhicules plus longs, comme un fourgon, ne pouvaient en tout état de cause pas emprunter le passage initial, que le portail d'entrée initial d'une largeur de 3,39 mètres limitait déjà le gabarit des véhicules pouvant emprunter le passage, le nouveau portail en bois d'une largeur supérieure de 3,75 mètres étant à cet égard plus commode, et que la nouvelle pente à 15 % du nouveau tracé de la servitude était sans incidence sur le caractère commode ou non du nouveau passage sur lequel on ne pouvait stationner ; qu'en statuant ainsi après avoir constaté que Mme [N] reconnaissait elle-même que les engins de travaux publics pouvaient emprunter le passage initial (arrêt p.9, §2) et sans rechercher si le fait que le nouveau passage revendiqué par Mme [N] cumule tout à la fois une pente de 15 % et une configuration étroite et accidentée ne rendait pas nécessairement l'accès des époux [A] à leur maison plus incommode, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 701, alinéa 3 du code civil ;
5°) ALORS enfin QUE la cour d'appel qui infirme un jugement doit réfuter les motifs des premiers juges par des motifs propres, en eux-mêmes ou explicitement, contraires à ceux du jugement ; qu'en retenant que l'assiette du passage proposée par Mme [N] était aussi commode que l'assiette primitive, du fait que, malgré « deux passages à angle droit » dans le nouveau tracé de la servitude, un conducteur normalement attentif pouvait « sans problème » utiliser le nouveau passage, que la largeur du passage était suffisante pour le passage de véhicules légers et que les véhicules plus longs, comme un fourgon, ne pouvaient en tout état de cause pas emprunter le passage initial, que le portail d'entrée initial d'une largeur de 3,39 mètres limitait déjà le gabarit des véhicules pouvant emprunter le passage, le nouveau portail en bois d'une largeur supérieure de 3,75 mètres étant à cet égard plus commode, et que la nouvelle pente à 15 % du nouveau tracé de la servitude était sans incidence sur le caractère commode ou non du nouveau passage sur lequel on ne pouvait stationner ; sans s'expliquer, sur le fait, retenu par les premiers juges, d'une part, que l'expert géomètre des époux [A] avait constaté qu'avec le nouveau tracé, l'accès restait possible mais dans des conditions tout à fait anormales, au prix d'acrobaties et manoeuvres nombreuses et au risque de frictionner sa voiture sur un pilier et d'autre part, que l'acte de vente prévoyant le droit de passage stipulait qu'il s'exercerait sur une largeur de quatre mètres, cependant que le nouveau passage mesurait, à plusieurs endroits, 2,88m, 3,38m, 3,82m et 3,75m, ce que ne contestait pas Mme [N], la cour d'appel a privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Les époux [A] reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué,
DE LES AVOIR déboutés de leur demande de dommages et intérêts ;
ALORS QUE pour rejeter la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance des époux [A], la cour d'appel a retenu que, si le tribunal y avait fait droit au regard de leurs difficultés pour emprunter le nouveau passage, il résultait des constatations de l'arrêt que le nouveau passage était aussi commode que l'ancien, de sorte que les époux [A] ne subissaient pas de préjudice de jouissance pour avoir été contraints de l'emprunter ; qu'il résulte cependant des critiques du premier moyen de cassation que Mme [N] ne pouvait plus, a posteriori, demander judiciairement le déplacement de l'assiette de la servitude de passage auquel elle avait préalablement procédé unilatéralement sans l'autorisation des époux [A], et que ce nouveau passage n'était en toute hypothèse pas aussi commode que l'ancien ; que par voie de conséquence et par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de ces critiques devra entraîner la cassation de l'arrêt en ce qu'il a débouté les époux [A] de leur demande de dommages et intérêts. | La modification de l'assiette d'une servitude de passage, sans l'accord du propriétaire du fonds dominant et sans autorisation judiciaire, n'interdit pas au propriétaire du fonds servant, lorsqu'il a rétabli l'assiette d'origine du passage, d'invoquer les dispositions de l'article 701, alinéa 3, du code civil |
8,503 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 72 FS-B
Pourvoi n° Z 21-16.666
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
1°/ M. [E] [W],
2°/ Mme [H] [U], épouse [W],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° Z 21-16.666 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [Y] [X], veuve [J], domiciliée [Adresse 2], prise tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de [S] [J], décédé le 2 octobre 2019,
2°/ à la société Boix immoblier, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à la société Tetu-Audran-Tost Vermogen, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], Notaire,
4°/ à la société Allianz IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
5°/ à M. [M] [O], domicilié [Adresse 6], pris en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Annbervel Immobilier, exploitant sous l'enseigne Espace immobilier,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. et Mme [W], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [J], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme [W] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Boix immobilier, la société civile professionnelle Tetu-Audran-Tost Vermogen, la société Allianz IARD et M. [O].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier,11 mars 2021), le 6 juillet 2010, M. et Mme [J] (les acquéreurs) ont acquis de M. et Mme [W] (les vendeurs) une maison avec jardin moyennant le prix de 293 000 euros.
3. Le 5 janvier 2011, la direction départementale des territoires et de la mer leur a enjoint de libérer une bande de terrain de 28 m², le long du canal Saint-Joseph, appartenant au domaine public maritime, l'arrêté d'autorisation d'occupation étant expiré depuis le 11 juillet 2007.
4. Des constructions annexes à la maison avaient été édifiées par les vendeurs pour partie sur cette parcelle du domaine public maritime, sur laquelle empiétait également le mur de clôture.
5. Les acquéreurs ont assigné les vendeurs en annulation de la vente sur le fondement des articles 1625, 1626 et 1630 du code civil, en remboursement des frais engagés sur l'immeuble depuis son acquisition, et en paiement de dommages-intérêts.
6. Par arrêt du 14 mars 2019, la cour d'appel de Montpellier a ordonné la réouverture des débats et invité les acquéreurs, leur éviction portant sur partie de la chose vendue, à conclure au regard des dispositions des articles 1636 et 1637 du code civil ainsi que sur les conséquences découlant de l'option choisie quant à leurs demandes chiffrées.
7. Dans ses conclusions récapitulatives d'appel, Mme [J], agissant à titre personnel et en qualité d'héritière de [S] [J], décédé, a renoncé à sa demande d'annulation de la vente et sollicité l'indemnisation du préjudice résultant de l'éviction partielle du bien acquis le 6 juillet 2010.
8. Les vendeurs ont soulevé une fin de non-recevoir prise de la nouveauté des demandes en appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. Les vendeurs font grief à l'arrêt de déclarer l'acquéreur recevable en sa demande de règlement de la valeur de la partie évincée, alors « qu'en considérant que la demande nouvelle en cause d'appel, tendant à obtenir une indemnisation sur le fondement de la garantie d'éviction due par le vendeur n'était pas irrecevable, quand les époux [J] demandaient l'annulation de la vente en première instance, peu important qu'ils aient, au soutien de cette demande d'annulation, invoqué les dispositions des articles 1625 et suivants du code civil, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a relevé que la demande présentée en première instance sur le fondement des articles 1625, 1626 et 1630 du code civil tendait à l'indemnisation, par le vendeur, de l'éviction.
12. Ayant constaté qu'en exécution de l'arrêt avant dire droit du 14 mars 2019, l'acquéreur sollicitait des dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de l'éviction, comme les articles 1636 et 1637 du code civil lui en offraient la possibilité en cas d'éviction partielle, la cour d'appel en a exactement déduit, dès lors que cette demande tendait à l'exercice, conformément aux dispositions applicables, du même droit qu'en première instance, à savoir la mise en jeu de la garantie légale du vendeur, que la demande n'était pas nouvelle en appel.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
14. Les vendeurs font grief à l'arrêt de les condamner à payer à l'acquéreur la somme de 80 000 euros au titre de la valeur de la partie dont elle se trouve évincée, alors :
« 4°/ qu'un bien faisant partie du domaine public est inaliénable, n'a donc pas de prix, et n'a donc pas de valeur au sens de l'article 1637 du code civil ; qu'en allouant à Mme [J] la somme de 80 000 euros, au titre de la valeur de la partie dont elle se trouve évincée, alors que la parcelle dont elle était évincée faisait partie du domaine public, ce dont il résultait qu'elle n'avait pas de valeur au sens de l'article 1637 du code civil, la cour a violé ce texte par fausse application ;
5°/ que selon l'article 1637 du code civil si, dans le cas de l'éviction d'une partie du fonds vendu, la vente n'est pas résiliée, la valeur de la partie dont l'acquéreur se trouve évincé lui est remboursée suivant l'estimation à l'époque de l'éviction, et non proportionnellement au prix total de la vente, soit que la chose vendue ait augmenté ou diminué de valeur ; qu'en déduisant la valeur de la partie évincée de la différence entre la valeur du bien avant l'éviction (300 000 euros) et celle du bien resté en possession des époux [J] après l'éviction (220 000 euros), quand une telle différence n'enseigne en rien sur la valeur intrinsèque de la partie dont Mme [J] était évincée, la cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1637 du code civil. » Réponse de la Cour
15. L'indemnité devant être appréciée au regard non des caractéristiques du bien qui justifient l'éviction mais de sa désignation lors de la vente, la cour d'appel, qui n'a pas procédé à une évaluation proportionnelle au prix total de la vente, a souverainement fixé la valeur de la partie du fonds dont l'acquéreur a été évincé.
16. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme [W] et les condamne in solidum à payer à Mme [J] la somme de 3 000 euros.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [W]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Les époux [W] FONT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré recevable Madame [X] veuve [J] « en sa demande de règlement de la valeur de la partie évincée » et DE LES AVOIR condamnés à verser à Madame [X] veuve [J] la somme de 80 000 € au titre de la valeur de la partie dont elle se trouve évincée ;
1°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que Madame [J] demandait à la Cour d'appel, selon le dispositif de ses écritures, de condamner les époux [W] à lui verser la somme de « 157 000 € au titre de la perte de valeur de l'immeuble » dont elle restait en possession (« de la maison » selon les motifs de ses écritures) et non la valeur de la partie dont elle se trouvait évincée ; qu'en allouant à Madame [J] la somme de 80 000 € au titre de la valeur de la partie dont elle se trouve évincée, la Cour a modifié l'objet du litige dont elle était saisie et violé l'article 4 du Code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et qu'aux termes du dispositif de ses écritures, Madame [J] demandait à la Cour d'appel de condamner les époux [W] à lui verser la somme de « 157 000 € au titre de la perte de valeur de l'immeuble » dont elle restait en possession et non la valeur de la partie dont elle se trouvait évincée ; qu'en allouant à Madame [J] la somme de 80 000 € au titre de la valeur de la partie dont elle se trouve évincée, quand une telle demande n'était pas formulée par le dispositif des écritures dont elle était saisie, la Cour a violé l'article 954 du Code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en considérant que la demande nouvelle en cause d'appel, tendant à obtenir une indemnisation sur le fondement de la garantie d'éviction due par le vendeur, n'était pas irrecevable, quand les époux [J] demandaient l'annulation de la vente en première instance, peu important qu'ils aient, au soutien de cette demande d'annulation, invoqué les dispositions des articles 1625 et suivants du Code civil, la Cour a violé l'article 564 du Code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'un bien faisant partie du domaine public est inaliénable, n'a donc pas de prix, et n'a donc pas de valeur au sens de l'article 1637 du Code civil ; qu'en allouant à Madame [J] la somme de 80 000 €, au titre de la valeur de la partie dont elle se trouve évincée, alors que la parcelle dont elle était évincée faisait partie du domaine public, ce dont il résultait qu'elle n'avait pas de valeur au sens de l'article 1637 du Code civil, la Cour a violé ce texte par fausse application ;
5°) ALORS en tous cas QUE selon l'article 1637 du Code civil si, dans le cas de l'éviction d'une partie du fonds vendu, la vente n'est pas résiliée, la valeur de la partie dont l'acquéreur se trouve évincé lui est remboursée suivant l'estimation à l'époque de l'éviction, et non proportionnellement au prix total de la vente, soit que la chose vendue ait augmenté ou diminué de valeur ; qu'en déduisant la valeur de la partie évincée de la différence entre la valeur du bien avant l'éviction (300 000 €) et celle du bien resté en possession des époux [J] après l'éviction (220 000 €), quand une telle différence n'enseigne en rien sur la valeur intrinsèque de la partie dont Madame [J] était évincée, la Cour a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1637 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Les époux [W] FONT GRIEF à l'arrêt attaqué DE LES AVOIR condamnés à verser à Madame [X] veuve [J] la somme de 49 788 € en réparation de frais de démolition ;
ALORS QUE le juge doit répondre aux conclusions des parties et que les époux [W] demandaient à la Cour de déclarer irrecevables les demandes nouvelles formulées par Madame [J] en cause d'appel ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, s'agissant de la demande de réparation de frais de démolition qui n'avait pas été formulée en première instance par Madame [J], la Cour a violé l'article 455 du Code de procédure civile. | Une demande d'indemnisation du préjudice résultant d'une éviction partielle, fondée sur les articles 1636 et 1637 du code civil, n'est pas nouvelle en appel, dès lors que les acquéreurs avaient formé, en première instance, des demandes fondées sur les articles 1625, 1626 et 1630, tendant à l'exercice du même droit |
8,504 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 34 FS-B
Pourvoi n° Q 21-15.576
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
La société Les Cèdres, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 21-15.576 contre l'arrêt rendu le 23 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [I] Yang-Ting, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [O] [I], prise en qualité de liquidateur de la société Balm,
2°/ à la société Balm, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Les Cèdres, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société [I] Yang-Ting, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mmes Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 février 2021), la société Balm, qui exerçait son activité dans des locaux donnés à bail par la SCI Valois-Driand, aux droits de laquelle vient la SCI Les Cèdres (la SCI), a été mise en redressement judiciaire le 20 octobre 2014, puis a bénéficié d'un plan de redressement le 15 juin 2016.
2. Un jugement du 19 septembre 2019 a prononcé la résolution du plan de redressement de la société Balm et mis cette dernière en liquidation judiciaire, la société [I] Yang-Ting étant désignée en qualité de liquidateur.
3. Le 23 octobre 2019, la SCI a saisi le juge-commissaire d'une requête en constatation de la résiliation du bail pour non-paiement des loyers depuis la mise en liquidation judiciaire de la société Balm. Le liquidateur lui a opposé le non-respect du délai de trois mois édicté par les articles L. 641-12, 3°, et L. 622-14, 2°, du code de commerce.
Examen des moyens
Sur les premier et quatrième moyens, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de constatation de la résiliation du bail, alors :
« 1°/ que l'action en résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, prévue à l'article L. 641-12, 3°, du code de commerce, peut être engagée à l'expiration d'un délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture ; que le point de départ de ce délai est soit la date du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire lorsque celle-ci est prononcée immédiatement, soit celle du jugement d'ouverture de sauvegarde ou de redressement judiciaire en cas de conversion de la procédure en liquidation judiciaire ou lorsque la liquidation judiciaire fait suite à la résolution du plan de redressement ; qu'en jugeant que le point de départ du délai de trois mois à l'issue duquel l'action en résiliation du bail pouvait être introduite courait à compter du jugement de liquidation judiciaire et non à compter du jugement d'ouverture de la procédure de redressement dès lors que la liquidation faisait suite à la résolution du plan de redressement, la cour d'appel a violé les articles L. 641-12, 3° et L. 622-14, 2° du code de commerce ;
2°/ que pour apprécier si le délai de trois mois prévu à l'article L. 622-14, 2° du code de commerce, auquel renvoie l'article L. 641-12, 3° du même code, est ou non écoulé, le juge doit se placer à la date à laquelle il statue, et non à la date de la demande ; qu'en se plaçant à la date de la requête pour apprécier si la condition tenant à l'écoulement du délai de trois mois était remplie, la cour d'appel a violé, derechef, les articles L. 641-12, 3° et L. 622-14, 2° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
6. D'une part, l'action en résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, prévue à l'article L. 622-14, 2° du code de commerce, auquel renvoie l'article L. 641-12, 3° de ce code, ne peut être introduite avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture. Lorsque la liquidation judiciaire est ouverte sur résolution du plan, il ne s'agit pas d'une conversion de la procédure de redressement en cours, mais d'une nouvelle procédure collective, de sorte que, dans cette hypothèse, le point de départ du délai de trois mois est la date du jugement prononçant la résolution du plan et ouvrant la liquidation judiciaire. Par conséquent, la cour d'appel a exactement retenu que, la SCI ayant saisi le juge-commissaire de sa demande de résiliation du bail par une requête du 23 octobre 2019, cependant que le jugement prononçant la résolution du plan de la société Balm et ouvrant sa liquidation judiciaire datait du 19 septembre 2019, cette requête, déposée moins de trois mois après ledit jugement, était irrecevable.
7. D'autre part, pour apprécier si le bailleur qui agit en résiliation du bail a respecté le délai de trois mois prévu par les textes précités, le juge doit se placer non à la date à laquelle il statue, mais à la date à laquelle le bailleur l'a saisi de la demande de résiliation. Dès lors, la cour d'appel a retenu à bon droit que la recevabilité de l'action en résiliation devait s'apprécier au jour de la saisine du juge-commissaire, par la requête du 23 octobre 2019.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. La SCI fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que les demandes incidentes sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense ; qu'en jugeant que le juge commissaire, devant lequel la procédure est orale, ne pouvait être valablement saisi de la demande additionnelle formée verbalement par la SCI Les Cèdres à l'audience du 9 janvier 2020 puis par écrit le 16 janvier 2020 et tendant au constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges du premier trimestre 2020, la cour d'appel a violé les articles 65 et 68 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 621-21 du code de commerce ;
2°/ que l'irrecevabilité de la demande initiale n'entraîne pas celle de la demande additionnelle, à moins que celle-ci ne se contente de modifier le quantum de la demande initiale ; qu'en jugeant que la demande additionnelle formée verbalement par la SCI Les Cèdres à l'audience du 9 janvier 2020, puis par écrit le 16 janvier 2020, et tendant au constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges du premier trimestre 2020 ne pouvait prospérer eu égard à l'irrecevabilité de la demande initiale, la cour d'appel a violé, derechef, les articles 65 et 68 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 621-21 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte de la combinaison des articles L. 622-14, 2°, L. 641-12, 3° et R. 621-21, alinéa 1, du code de commerce que l'action en résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire doit être introduite par voie de requête déposée après l'expiration du délai de trois mois courant à compter du jugement d'ouverture.
11. Le moyen, qui repose sur un postulat erroné, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la SCI Les Cèdres aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la SCI Les Cèdres ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Marc Lévis, avocat aux Conseils, pour la société Les Cèdres.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La SCI Les Cèdres fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de ses demandes tendant à constater la résiliation de plein droit qui avait été consenti à la société Balm et ordonner l'expulsion de Me [I], es qualités, de la société Balm et de tous occupants de leur chef ;
ALORS QUE la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motif ; qu'en ayant, dans ses motifs, retenu que la requête était irrecevable faute d'avoir été introduite à l'expiration du délai de trois mois prévu par l'article L. 641-12 3° du code de commerce, tout en confirmant, dans son dispositif, le jugement qui avait déclaré cette requête recevable mais mal fondée, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION, subsidiaire
La SCI Les Cèdres fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de ses demandes tendant à constater la résiliation de plein droit du bail qui avait été consenti à la société Balm et ordonner l'expulsion de Me [I], es qualités, de la société Balm et de tous occupants de leur chef ;
1/ ALORS QUE l'action en résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, prévue à l'article L. 641-12, 3°, du code de commerce, peut être engagée à l'expiration d'un délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture ; que le point de départ de ce délai est soit la date du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire lorsque celle-ci est prononcée immédiatement, soit celle du jugement d'ouverture de sauvegarde ou de redressement judiciaire en cas de conversion de la procédure en liquidation judiciaire ou lorsque la liquidation judiciaire fait suite à la résolution du plan de redressement ; qu'en jugeant que le point de départ du délai de trois mois à l'issue duquel l'action en résiliation du bail pouvait être introduite courait à compter du jugement de liquidation judiciaire et non à compter du jugement d'ouverture de la procédure de redressement dès lors que la liquidation faisait suite à la résolution du plan de redressement, la cour d'appel a violé les article L. 641-12, 3° et L. 622-14, 2° du code de commerce ;
2/ ALORS, en tout état de cause, QUE pour apprécier si le délai de trois mois prévu à l'article L. 622-14, 2° du code de commerce, auquel renvoie l'article L. 641-12, 3° du même code, est ou non écoulé, le juge doit se placer à la date à laquelle il statue, et non à date de la demande ; qu'en se plaçant à la date de la requête pour apprécier si la condition tenant à l'écoulement du délai trois mois était remplie, la cour d'appel a violé, derechef, les articles L. 641-12, 3° et L. 622-14, 2° du code de commerce.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION, subsidiaire
La SCI Les Cèdres fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de ses demandes tendant à constater la résiliation de plein droit qui avait été consenti à la société Balm et ordonner l'expulsion de Me [I], es qualités, de la société Balm et de tous occupants de leur chef ;
1/ ALORS QUE les demandes incidentes sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense ; qu'en jugeant que le juge commissaire, devant lequel la procédure est orale, ne pouvait être valablement saisi de la demande additionnelle formée verbalement par la SCI Les Cèdres à l'audience du 9 janvier 2020 puis par écrit le 16 janvier 2020 et tendant au constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges du premier trimestre 2020, la cour d'appel a violé les articles 65 et 68 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 621-21 du code de commerce ;
2/ ALORS, en outre, QUE l'irrecevabilité de la demande initiale n'entraîne pas celle de la demande additionnelle, à moins que celle-ci ne se contente de modifier le quantum de la demande initiale ; qu'en jugeant que la demande additionnelle formée verbalement par la SCI Les Cèdres à l'audience du 9 janvier 2020, puis par écrit le 16 janvier 2020, et tendant au constat de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges du premier trimestre 2020 ne pouvait prospérer eu égard à l'irrecevabilité de la demande initiale, la cour d'appel a violé, derechef, les articles 65 et 68 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 621-21 du code de commerce.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
La SCI Les Cèdres fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de ses demandes tendant à prononcer la résiliation du bail qui avait été consenti à la société Balm et ordonner l'expulsion de Me [I], es qualités, de la société Balm et de tous occupants de leur chef ;
ALORS QUE dans ses conclusions d'appel délaissées (p. 6, § 4), la SCI Les Cèdres faisait valoir qu'à supposer que le point de départ du délai de trois mois prévu par l'article L. 622-14 du code de commerce soit situé à la date du jugement de liquidation, elle avait, en tout état de cause, formé une demande de résiliation judiciaire du bail devant le tribunal de commerce conforme aux exigences de l'article L. 641-12 du code de commerce ; qu'en laissant sans réponse ce chef pertinent des conclusions d'appel de l'exposante, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | L'action en résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, prévue à l'article L. 622-14, 2°, du code de commerce, auquel renvoie l'article L. 641-12, 3°, de ce code, ne peut être introduite avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter du jugement d'ouverture. Lorsque la liquidation judiciaire est ouverte sur résolution du plan, il ne s'agit pas d'une conversion de la procédure de redressement en cours, mais d'une nouvelle procédure collective, de sorte que, dans cette hypothèse, le point de départ du délai de trois mois est la date du jugement prononçant la résolution du plan et ouvrant la liquidation judiciaire |
8,505 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 35 F-B
Pourvoi n° B 21-16.806
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
1°/ La société WRA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], en la personne de M. [B], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sempaco,
2°/ la société R&D, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [J], agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Sempaco,
ont formé le pourvoi n° B 21-16.806 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à la société du Pas-de-Calais Ouest (Sempaco), société anonyme d'économie mixte, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Douai, domicilié [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés WRA et R&D, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 mars 2021), le 12 décembre 2019, la société SEM du Pas-de-Calais Ouest (la société Sempaco) a été mise en redressement judiciaire et les sociétés WRA et R&D ont été respectivement désignées mandataire et administrateur judiciaires. Les 15 et 18 septembre 2020, le mandataire et l'administrateur ont déposé chacun une requête en conversion du redressement en liquidation judiciaire. Le tribunal a accueilli leur demande.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. Le liquidateur et l'administrateur de la société Sempaco font grief à l'arrêt d'annuler le jugement de conversion, alors « qu'à tout moment de la période d'observation, le tribunal, à la demande du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, d'un contrôleur, du ministère public ou d'office, peut prononcer la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible ; qu'il statue après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur ; que c'est uniquement lorsque le tribunal exerce son pouvoir d'office et que le débiteur n'a pas été préalablement invité à présenter ses observations, qu'il doit être convoqué à comparaître à la diligence du greffe, l'absence de cette convocation étant indifférente lorsque le tribunal statue sur requête et que le débiteur a comparu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Sempaco, débiteur, a été informée de la demande formée par les organes de la procédure collective tendant à la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire par le mandataire judiciaire, qui lui a communiqué une copie de sa requête ; qu'il est également constant que le débiteur a pu constituer avocat, qu'il a été représenté à l'audience et qu'il a pu être entendu ; que pour prononcer la nullité du jugement entrepris, la cour d'appel a retenu que le débiteur n'avait pas été convoqué à l'audience par le greffe de la juridiction comme les textes le prescrivent ; qu'en statuant ainsi, cependant que la convocation du débiteur par le greffe de la juridiction n'est requise que dans l'hypothèse où le tribunal exerce son pouvoir d'office, et que, dans l'hypothèse où il est saisi sur requête, la loi exige seulement que le débiteur ait été entendu, ce qui était le cas en l'espèce, la cour d'appel a violé les articles L. 631-15, II, R. 631-3 et R. 631-24 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 631-15, II, R. 631-3, R. 631-4 et R. 631-24 du code de commerce :
3. Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsqu'en cours de période d'observation, le mandataire judiciaire ou l'administrateur demande au tribunal de convertir le redressement en liquidation judiciaire, il procède par voie de requête, le tribunal ne pouvant statuer que si le débiteur a été entendu ou dûment appelé. Si l'obligation d'une convocation par le greffe du débiteur s'impose lorsque le tribunal exerce son pouvoir d'office ou que l'ouverture de la procédure collective est demandée sur requête du ministère public, elle ne s'applique pas lorsque la demande de conversion est formée sur requête d'un mandataire.
4. Pour annuler le jugement de conversion du redressement en liquidation judiciaire, l'arrêt retient que le débiteur n'a pas été convoqué par le greffe comme les textes le prescrivent, mais par la communication par le mandataire judiciaire d'une copie de sa requête.
5. En statuant ainsi, après avoir relevé que le tribunal avait été saisi par les requêtes du mandataire et de l'administrateur et que la société Sempaco, informée par le mandataire de la requête et de la date de l'audience, y était représentée par son avocat qui avait présenté des observations sur le fond, la cour d'appel a violé, par fausse application les deuxième et troisième textes susvisés, et par refus d'application le premier et le dernier textes visés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société SEM du Pas-de-Calais Ouest (la société Sempaco) aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour les sociétés WRA et R&D, ès qualités.
La SELARL WRA, prise en la personne de Me [B], ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAEM Sempaco, et la SELARL R&D, prise en la personne de Me [J], ès qualité d'administrateur judiciaire de la SAEM Sempaco, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité du jugement du 2 octobre 2020 du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer,
1°) Alors qu'à tout moment de la période d'observation, le tribunal, à la demande du débiteur, de l'administrateur, du mandataire judiciaire, d'un contrôleur, du ministère public ou d'office, peut prononcer la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement impossible ; qu'il statue après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur ; que c'est uniquement lorsque le tribunal exerce son pouvoir d'office et que le débiteur n'a pas été préalablement invité à présenter ses observations, qu'il doit être convoqué à comparaître à la diligence du greffe, l'absence de cette convocation étant indifférente lorsque le tribunal statue sur requête et que le débiteur a comparu ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la société Sempaco, débiteur, a été informée de la demande formée par les organes de la procédure collective tendant à la conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire par le mandataire judiciaire, qui lui a communiqué une copie de sa requête (cf. arrêt attaqué, p. 5, §2) ; qu'il est également constant que le débiteur a pu constituer avocat, qu'il a été représenté à l'audience et qu'il a pu être entendu (cf. jugement entrepris, p. 3) ; que pour prononcer la nullité du jugement entrepris, la cour d'appel a retenu que le débiteur n'avait pas été convoqué à l'audience par le greffe de la juridiction comme les textes le prescrivent ; qu'en statuant ainsi, cependant que la convocation du débiteur par le greffe de la juridiction n'est requise que dans l'hypothèse où le tribunal exerce son pouvoir d'office, et que, dans l'hypothèse où il est saisi sur requête, la loi exige seulement que le débiteur ait été entendu, ce qui était le cas en l'espèce, la cour d'appel a violé les articles L. 631-15, II, R. 631-3 et R. 631-24 du code de commerce.
2°) Alors que, à tout le moins, lorsque la saisine du tribunal de la procédure collective aux fins de conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire résulte de la requête de l'administrateur ou du mandataire judiciaire, l'irrégularité éventuelle de la convocation subséquente du débiteur n'affecte pas la saisine de la juridiction et ne fait donc pas obstacle à l'effet dévolutif de l'appel ; qu'en l'espèce, le tribunal avait été saisi d'une requête en conversion par l'administrateur, le 15 septembre 2020, et par le mandataire judiciaire, le 18 septembre 2020 ; qu'en jugeant pourtant que l'irrégularité de la convocation du débiteur subséquente à la saisine du tribunal empêchait la dévolution de s'opérer, la cour d'appel a violé les articles R. 631-24 du code de commerce et 562 du code de procédure civile. | Il résulte de la combinaison des articles L. 631-15, II, R. 631-3, R. 631-4 et R. 631-24 du code de commerce qu'en vue de convertir la procédure de redressement en liquidation judiciaire, si l'obligation d'une convocation par le greffe du débiteur s'impose lorsque le tribunal exerce son pouvoir d'office ou que l'ouverture de la procédure collective est demandée sur requête du ministère public, elle ne s'applique pas lorsque la demande de conversion est formée sur requête d'un mandataire.
Encourt par conséquent la cassation l'arrêt qui annule le jugement de conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire au motif que le débiteur n'a pas été convoqué par le greffe, tout en relevant que le tribunal avait été saisi par les requêtes du mandataire judiciaire et de l'administrateur et que la société débitrice, informée par le mandataire de la requête et de la date de l'audience, y était représentée par son avocat qui avait présenté des observations sur le fond |
8,506 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 36 F-B
Pourvoi n° X 21-15.514
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
La société LVMH Swiss Manufactures, société anonyme de droit étranger, dont le siège est [Adresse 3] (Suisse), dont fait partie intégrante juridiquement TAG Heuer, a formé le pourvoi n° X 21-15.514 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MJ synergie - mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [V] [B], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Logo,
2°/ à la société Logo, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société LVMH Swiss Manufactures, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Logo, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société MJ synergie - mandataires judiciaires, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 mars 2021), la société Logo et la société TAG Heuer, qui deviendra une succursale de la société anonyme de droit suisse LVMH Swiss Manufactures (la société LVMH), ont conclu un contrat de licence portant sur la marque « TAG Heuer » stipulant une clause compromissoire pour régler tout différend issu de la convention.
2. Le 12 mai 2016, la société Logo a été mise en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Lyon, puis en liquidation judiciaire le 15 novembre 2016, la société MJ synergie étant nommée liquidateur.
3. Le 23 novembre 2016, la société LVMH a mis le liquidateur en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat de licence. Le liquidateur, qui avait, le 21 décembre 2016, obtenu du juge-commissaire une prolongation de deux mois pour opter, n'a pas répondu. Le contrat a ainsi été résilié de plein droit à la date du 24 février 2017 pour défaut de réponse à la mise en demeure.
4. Le 23 mai 2017, la société LVMH a déclaré au passif une créance d'indemnités résultant de cette résiliation. La régularité de la déclaration de créance a été contestée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, et sur le second moyen, ce dernier en ce qu'il fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société LVMH, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en ses première et quatrième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré forclose la déclaration de créance de la société LVMH
Enoncé du moyen
6. La société LVMH fait grief à l'arrêt de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge-commissaire du 1er juillet 2020, alors :
« 1°/ que, de première part, le délai supplémentaire de déclaration de créance de deux mois prévu par l'article R. 622-24, 2° du code de commerce pour les créanciers qui ne demeurent pas en France métropolitaine s'applique aux créances d'indemnité de résiliation d'un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture visées par l'article R. 622-21 2° du même code ; qu'en l'espèce, en retenant, pour juger forclose la créance déclarée par la société LVMH le 23 mai 2017, que la prolongation de délai sollicitée n'était prévue par aucun texte et que l'article R. 622-24, deuxième alinéa du code de commerce ne s'appliquait qu'aux seuls détenteurs de créances antérieures qui ne demeurent pas en France métropolitaine, la cour d'appel a violé ce texte, pris ensemble l'article R. 622-21 du même code ;
4°/ que, de quatrième part, et en tout état de cause, en se fondant, pour retenir que l'article R. 622-24 2° du code de commerce ne s'appliquait qu'aux seules créances antérieures et, partant, que la créance déclarée le 23 mai 2017 était forclose, sur la circonstance que la société LVMH ne démontre pas s'être trouvée concrètement dans une situation lui ayant porté préjudice pour procéder à la déclaration de créance litigieuse du fait de son éloignement géographique, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, violant ainsi les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article R. 622-24 du code de commerce que lorsque la procédure est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, l'augmentation de deux mois du délai de déclaration pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire concerne celui fixé en application de l'article L. 622-26 du même code, pour déclarer les créances nées antérieurement au jugement d'ouverture, courant à compter de la publication de ce jugement, et non celui d'un mois prévu à l'article R. 622-21, alinéa 2, dudit code ouvert au cocontractant du débiteur pour déclarer au passif la créance résultant de la résiliation d'un contrat en cours, courant à compter de la date de la résiliation de plein droit ou de la notification de la décision prononçant la résiliation.
8. L'arrêt dès lors retient exactement qu'aucun texte ne prescrit une augmentation de deux mois du délai pour déclarer une créance d'indemnité de résiliation qui résulterait de la domiciliation en Suisse de la société LVMH et que l'article R. 622-24, alinéa 2, octroie ce délai de prolongation pour la seule déclaration opérée en application de l'article L. 622-26, visant les créances antérieures et non celles résultant d'une résiliation de plein droit d'un contrat non poursuivi, intervenue après la liquidation judiciaire.
9. Le moyen, inopérant en sa quatrième branche qui critique des motifs surabondants, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré forclose la déclaration de créance de la société LVMH
Enoncé du moyen
10. La société LVMH fait le même grief à l'arrêt alors :
« 2°/ que, de seconde part, et en tout état de cause, que, conformément à l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les Etats signataires reconnaissent et assurent à toute personne relevant de leur juridiction la jouissance des droits additionnels qu'ils ont volontairement décidé de protéger lorsqu'ils relèvent du champ d'application des droits et libertés reconnus par la Convention, et ce notamment du droit au respect des biens garanti par l'article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention ; qu'en l'espèce, en retenant, pour juger forclose la créance déclarée par la société LVMH le 23 mai 2017, que la prolongation de délai sollicitée n'était prévue par aucun texte et que l'article R. 622-24 2° du code de commerce ne s'appliquait qu'aux seuls détenteurs de créances antérieures au jugement d'ouverture ne demeurant pas en France métropolitaine, lorsqu'une telle différence de traitement entre ces derniers et ceux dont la créance résulte de la résiliation de contrats en cours, pourtant placés dans une situation analogue, constitue une discrimination injustifiée dans la jouissance du droit au respect de leurs biens, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
3°/ que, de troisième part, le délai supplémentaire de déclaration de créance de deux mois prévu par l'article R. 622-24 2° du code de commerce pour les créanciers qui ne demeurent pas en France métropolitaine s'applique aux créances d'indemnité de résiliation d'un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture visées par l'article R. 622-21 2° du même code ; qu'en l'espèce, en retenant, pour juger forclose la créance déclarée par la société LVMH le 23 mai 2017, que la prolongation de délai sollicitée n'était prévue par aucun texte et que l'article R. 622-24, deuxième alinéa du code de commerce ne s'appliquait qu'aux seuls détenteurs de créances antérieures qui ne demeurent pas en France métropolitaine, lorsqu'une telle différence de traitement entre ces derniers et ceux dont la créance résulte de la résiliation de contrats en cours, pourtant placés dans une situation analogue, qui ne repose pas sur une différence suffisante de situation, est sans rapport avec l'objet de la loi qui l'établit, la cour d'appel a violé ce texte, pris ensemble l'article R. 622-21 du même code, tels qu'interprétés à la lumière du principe à valeur constitutionnelle d'égalité devant la justice garanti par les articles 1er de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
11. La société Logo conteste la recevabilité du moyen, soutenant qu'il est nouveau.
12. Or, il résulte de ses conclusions que la société LVMH a demandé à la cour d'appel de lui faire bénéficier des dispositions protectrices des articles R. 622-21 et R. 622-24 du code de commerce en invoquant les principes du procès équitable, de la sécurité juridique, de l'égalité des armes et d'égalité de traitement des créanciers étrangers soumis à une même procédure collective.
13. Le moyen, qui n'est donc pas nouveau, est recevable.
Bien-fondé du moyen
14. Le créancier, cocontractant du débiteur, qui ne demeure pas sur le territoire de la France métropolitaine n'est pas placé dans la même situation, selon qu'il dispose d'un délai augmenté en raison de la distance pour déclarer une créance antérieure au passif de son débiteur dont la procédure collective a été ouverte par une juridiction située sur ce territoire ou qu'il dispose d'un délai insusceptible d'augmentation en raison de cette même distance pour déclarer au même passif une créance d'indemnité résultant de la résiliation du contrat en cours. Cette différence de traitement est justifiée et située dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi tenant à la détermination du passif de la procédure, dès lors que l'augmentation du délai est destinée, dans le premier cas, à compenser la contrainte liée à l'éloignement qui ne permet pas aisément au créancier d'avoir connaissance de l'ouverture de la procédure collective du débiteur et de ses effets dans les deux mois qui suivent la publication en France de cette ouverture, et que, dans le second cas, les conditions procédurales et de fond de la résiliation des contrats en cours prévues aux articles L. 622-13 et L. 622-14 du code de commerce, rendus applicables au redressement judiciaire par l'article L. 631-14, et aux articles L. 641-11-1 et L. 641-12 du même code, garantissent au cocontractant une connaissance immédiate de la résiliation du contrat, qu'elle intervienne à son initiative ou non, qui lui permet de réagir dans le délai suffisant d'un mois pour déclarer sa créance d'indemnité.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société LVMH Swiss Manufactures aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société LVMH Swiss Manufactures et la condamne à payer à la société Logo la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société LVMH Swiss Manufactures.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société LVMH SWISS MANUFACTURES reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée ;
1°) Alors que, de première part, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile en ne répondant pas au moyen par lequel la société LVMH SWISS MANUFACTURES (conclusions d'appel, pp. 10-11) faisait valoir que la juridiction du second degré devait, si, d'une part, elle déclarait la société LOGO recevable en sa contestation et, d'autre part, elle relevait l'absence de forclusion de la déclaration de créance du 23 mai 2017, se déclarer incompétente au profit du tribunal arbitral visé par la clause compromissoire du contrat de licence ;
2°) Alors que, de seconde part, et en tout état de cause, le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, en retenant que la société LVMH SWISS MANUFACTURES entendait « au fond, obtenir de la juridiction du juge-commissaire l'admission de sa créance, dite pourtant relever de la compétence du tribunal arbitral » (arrêt, p. 4), lorsqu'il résultait des écritures de cette société (conclusions d'appel, pp. 10-11) que cette demande n'était formée qu'à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse d'un rejet de l'exception d'incompétence formée à titre principal, la cour d'appel a, par dénaturation des conclusions, violé l'article 4 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société LVMH SWISS MANUFACTURES reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 1er juillet 2020 par le tribunal de commerce de Lyon ;
1°) Alors que, de première part, le délai supplémentaire de déclaration de créance de deux mois prévu par l'article R. 622-24, 2° du code de commerce pour les créanciers qui ne demeurent pas en France métropolitaine s'applique aux créances d'indemnité de résiliation d'un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture visées par l'article R. 622-21 2° du même code ; qu'en l'espèce, en retenant, pour juger forclose la créance déclarée par la société LVMH SWISS MANUFACTURES le 23 mai 2017, que la prolongation de délai sollicitée n'était prévue par aucun texte et que l'article R. 622-24, deuxième alinéa du code de commerce ne s'appliquait qu'aux seuls détenteurs de créances antérieures qui ne demeurent pas en France métropolitaine, la cour d'appel a violé ce texte, pris ensemble l'article R. 622-21 du même code ;
2°) Alors que, de seconde part, et en tout état de cause, que, conformément à l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les Etats signataires reconnaissent et assurent à toute personne relevant de leur juridiction la jouissance des droits additionnels qu'ils ont volontairement décidé de protéger lorsqu'ils relèvent du champ d'application des droits et libertés reconnus par la Convention, et ce notamment du droit au respect des biens garanti par l'article 1er du Premier protocole additionnel à cette Convention ; qu'en l'espèce, en retenant, pour juger forclose la créance déclarée par la société LVMH SWISS MANUFACTURES le 23 mai 2017, que la prolongation de délai sollicitée n'était prévue par aucun texte et que l'article R. 622-24 2° du code de commerce ne s'appliquait qu'aux seuls détenteurs de créances antérieures au jugement d'ouverture ne demeurant pas en France métropolitaine, lorsqu'une telle différence de traitement entre ces derniers et ceux dont la créance résulte de la résiliation de contrats en cours, pourtant placés dans une situation analogue, constitue une discrimination injustifiée dans la jouissance du droit au respect de leurs biens, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;
3°) Alors que, de troisième part, le délai supplémentaire de déclaration de créance de deux mois prévu par l'article R. 622-24 2° du code de commerce pour les créanciers qui ne demeurent pas en France métropolitaine s'applique aux créances d'indemnité de résiliation d'un contrat en cours au jour du jugement d'ouverture visées par l'article R. 622-21 2° du même code ; qu'en l'espèce, en retenant, pour juger forclose la créance déclarée par la société LVMH SWISS MANUFACTURES le 23 mai 2017, que la prolongation de délai sollicitée n'était prévue par aucun texte et que l'article R. 622-24, deuxième alinéa du code de commerce ne s'appliquait qu'aux seuls détenteurs de créances antérieures qui ne demeurent pas en France métropolitaine, lorsqu'une telle différence de traitement entre ces derniers et ceux dont la créance résulte de la résiliation de contrats en cours, pourtant placés dans une situation analogue, qui ne repose pas sur une différence suffisante de situation, est sans rapport avec l'objet de la loi qui l'établit, la cour d'appel a violé ce texte, pris ensemble l'article R. 622-21 du même code, tels qu'interprétés à la lumière du principe à valeur constitutionnelle d'égalité devant la justice garanti par les articles 1er de la Constitution et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
4°) Alors que, de quatrième part, et en tout état de cause, en se fondant, pour retenir que l'article R. 622-24 2° du code de commerce ne s'appliquait qu'aux seules créances antérieures et, partant, que la créance déclarée le 23 mai 2017 était forclose, sur la circonstance que la société LVMH SWISS MANUFACTURES ne démontre pas s'être trouvée concrètement dans une situation lui ayant porté préjudice pour procéder à la déclaration de créance litigieuse du fait de son éloignement géographique, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, violant ainsi les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. | L'augmentation de deux mois du délai de déclaration des créances pour les créanciers qui ne demeurent pas sur le territoire de la France métropolitaine concerne celui fixé en application de l'article L. 622-26 du code de commerce pour déclarer les créances nées antérieurement au jugement d'ouverture, courant à compter de la publication de ce jugement, et non celui prévu à l'article R. 622-21, alinéa 2, du même code, ouvert au cocontractant du débiteur pour déclarer au passif la créance résultant de la résiliation d'un contrat en cours, courant à compter de la date de la résiliation de plein droit ou de la date du prononcé de la résiliation.
Cette différence de traitement est justifiée et située dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens et le but poursuivi tenant à la détermination du passif de la procédure, dès lors que l'augmentation du délai est destinée à compenser, pour le créancier qui ne demeure pas sur le territoire de la France métropolitaine, la contrainte liée à l'éloignement qui ne lui permet pas aisément d'avoir connaissance de l'ouverture de la procédure collective du débiteur et de ses effets dans les deux mois qui suivent la publication en France de cette ouverture, et que les conditions procédurales et de fond de la résiliation des contrats en cours garantissent au cocontractant une connaissance immédiate de la résiliation du contrat qui lui permet de réagir dans le délai suffisant d'un mois pour déclarer sa créance |
8,507 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 40 F-B
Pourvoi n° G 21-16.812
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
La société Senso, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-16.812 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige l'opposant à la société Le Pavillon, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Boisselet, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de la société Senso, de la SCP Boullez, avocat de la société Le Pavillon, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Boisselet, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 mars 2021), et les productions, le 13 février 2020, la société Senso, exploitant un établissement d'hôtellerie-restauration à [Localité 3] sous l'enseigne Le Radisson, a signé avec la société Le Pavillon un contrat par lequel celle-ci s'engageait à fournir diverses prestations de restauration durant la période du salon MIPIM, salon international des professionnels de l'immobilier, du 9 au 13 mars 2020. Le salon MIPIM a été reporté au mois de juin puis, le 26 mars 2020, annulé à la suite des mesures sanitaires prévues par la loi du 23 mars 2020 et de ses arrêtés d'application. Le 12 juin 2020, la société Senso a mis en demeure la société Le Pavillon de restituer l'acompte versé au titre du contrat. Soutenant que le contrat n'était pas résilié, la société Le Pavillon a refusé cette restitution. La société Senso l'a assignée en restitution.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. La société Senso fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir prononcer la résolution du contrat de prestations de services conclu avec la société Le Pavillon le 7 janvier 2020 et, en conséquence, de sa demande tendant à voir condamner cette dernière à lui restituer la somme de 150 000 euros versée à titre d'acompte, alors « que la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté peut provoquer la résolution du contrat, même si cette inexécution n'est pas fautive et quel que soit le motif qui a empêché son cocontractant de remplir ses engagements, notamment si cet empêchement est résulté du fait d'un tiers ou de la force majeure ; qu'en décidant néanmoins que la société Senso n'était pas fondée à voir prononcer la résolution du contrat conclu avec la société Le Pavillon et à se voir restituer l'acompte versé, dès lors que l'inexécution par cette dernière de son obligation avait été causée par un élément extérieur, à savoir l'annulation du salon MIPIM par un tiers, bien que cette circonstance n'ait pas été de nature à faire obstacle à la résolution du contrat, la cour d'appel a violé les articles 1217, 1227 et 1229 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1217, 1227 et 1229 du code civil :
3. Selon ces textes, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, peut provoquer la résolution du contrat. La résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice et met fin au contrat. Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre.
4. Pour rejeter les demandes de résolution du contrat et de restitution de l'acompte, après avoir rappelé que l'article 8 du contrat prévoyait une retenue de 100 % du prix des prestations commandées en cas d'annulation tardive, l'arrêt retient que, si l'annulation du salon MIPIM avait empêché la société Le Pavillon d'exécuter sa prestation de traiteur, elle n'a pas empêché la société Senso de remplir son obligation de verser les sommes contractuellement prévues et que, bien que l'inexécution du contrat ait été totale et d'une gravité suffisante, elle ne peut être considérée comme fautive puisqu'elle a été causée par l'annulation du salon MIPIM.
5. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les prestations objet du contrat n'avaient pas été exécutées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de la société Senso en résolution du contrat et restitution de sommes et en ce qu'il la condamne aux dépens et à payer à la société Le Pavillon la somme de 3 000 euros, l'arrêt rendu le 18 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Le Pavillon aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Le Pavillon et la condamne à payer à la société Senso la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société Senso.
La Société SENSO FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes tendant à voir prononcer la résolution du contrat de prestations de services conclu avec la Société LE PAVILLON le 7 janvier 2020 et, en conséquence, de l'avoir déboutée de sa demande tendant à voir condamner cette dernière à lui restituer la somme de 150.000 euros versée à titre d'acompte ;
1°) ALORS QUE la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté peut provoquer la résolution du contrat, même si cette inexécution n'est pas fautive et quel que soit le motif qui a empêché son cocontractant de remplir ses engagements, notamment si cet empêchement est résulté du fait d'un tiers ou de la force majeure ; qu'en décidant néanmoins que la Société SENSO n'était pas fondée à voir prononcer la résolution du contrat conclu avec la Société LE PAVILLON et à se voir restituer l'acompte versé, dès lors que l'inexécution par cette dernière de son obligation avait été causée par un élément extérieur, à savoir l'annulation du salon MIPIM par un tiers, bien que cette circonstance n'ait pas été de nature à faire obstacle à la résolution du contrat, la Cour d'appel a violé les articles 1217, 1227 et 1229 du Code civil ;
2°) ALORS QUE le prestataire qui s'engage à exécuter une prestation matérielle déterminée, dépourvue d'aléa, est tenu à une obligation de résultat à l'égard de son cocontractant ; que la partie envers laquelle l'obligation de résultat n'a pas été exécutée peut provoquer la résolution du contrat ; qu'en déboutant néanmoins la Société SENSO de sa demande de résolution du contrat conclu avec la Société LE PAVILLON et en restitution de l'acompte versé, motif pris que l'inexécution par cette dernière de son obligation n'était pas fautive, bien que la Société LE PAVILLON ait été tenue à une obligation de résultat à l'égard de la Société SENSO, ce dont il résultait que la résolution devait être prononcée, même en l'absence de faute de la Société LE PAVILLON, la Cour d'appel a violé les articles 1217 et 1231-1 du Code civil. | Selon les articles 1217, 1227 et 1229 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté peut provoquer la résolution du contrat. Lorsque les prestations échangées ne peuvent trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procurées l'une à l'autre.
Une partie qui a versé un acompte à valoir sur une prestation dont l'inexécution a entraîné la résolution du contrat est par conséquent fondée à en obtenir restitution par le débiteur de la prestation non exécutée auquel elle l'a payée |
8,508 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 46 F-B
Pourvoi n° Y 21-21.748
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
M. [J] [O] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-21.748 contre l'arrêt rendu le 10 mai 2021 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [D] [M], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société BCM, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est immeuble [Adresse 4], en la personne de M. [S] [C], prise en qualité d'administrateur judiciaire,
3°/ à la société [B] [H], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [K] [H], prise en qualité de mandataire judiciaire de M. [V],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à M. [V] de ce qu'il reprend l'instance à l'égard de M. [M] et de la société [B] [H], en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. [V].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 10 mai 2021), par un acte du 24 septembre 2020, M. [M], se disant créancier de M. [V], l'a assigné en redressement judiciaire.
3. M. [V] s'est opposé à cette demande, en soutenant qu'elle devait être rejetée, en application de l'article L. 631-5 du code de commerce, dès lors qu'il avait cessé son activité depuis plus d'un an.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [V] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du jugement entrepris, de confirmer ce jugement en toutes ses dispositions et de rejeter sa demande d'indemnité procédurale, alors :
« 1°/ que le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en énonçant que "la radiation est intervenue en l'espèce le 5 août 2019 ainsi que le démontre l'extrait du registre du commerce et des sociétés versé aux débats" quand il était mentionné dans cet extrait Kbis : "Radiation. Date de radiation : 05/08/2019. Mention n° 12881 du 05/08/2019 : radiation du RCS le 05/08/2019 avec effet au 11/03/2019. Date de cessation totale de l'activité : 11/03/2019", la cour d'appel a dénaturé par omission l'extrait du registre du commerce et des sociétés versé aux débats, mis à jour au 23 octobre 2020, et a violé le principe susvisé ;
2°/ que la procédure de redressement judiciaire peut être ouverte sur l'assignation d'un créancier, quelle que soit la nature de sa créance. Toutefois, lorsque le débiteur a cessé son activité professionnelle, cette assignation doit intervenir dans le délai d'un an à compter de : 1° La radiation du registre du commerce et des sociétés. S'il s'agit d'une personne morale, le délai court à compter de la radiation consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation ; 2° La cessation de l'activité, s'il s'agit d'une personne exerçant une activité artisanale, d'un agriculteur ou d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ; 3° La publication de l'achèvement de la liquidation, s'il s'agit d'une personne morale non soumise à l'immatriculation ; que lorsque le commerçant, personne physique, demande sa radiation pour cessation totale d'activité en application des dispositions de l'article R. 123-51 du code de commerce et qu'il est procédé par le greffe du tribunal de commerce à cette radiation avec effet rétroactif à la date de cette cessation d'activité, cette dernière date constitue le point de départ du délai préfix d'un an ; qu'en énonçant que "la radiation étant intervenue le 5 août 2010, ainsi que le démontre l'extrait du registre du commerce et des sociétés versé aux débats, l'action engagée par M. [M] le 15 juillet 2020 était recevable même si l'activité avait cessé depuis le 11 mars 2019", la cour d'appel a violé l'article L. 631-5 du code de commerce ;
3°/ que tout commerçant immatriculé demande, dans le délai d'un mois avant la cessation totale de son activité commerciale dans le ressort d'un tribunal ou dans le délai d'un mois à compter de celle-ci, sa radiation en indiquant la date de cessation, sauf lorsqu'il est fait usage de la possibilité prévue au 5° de l'article R. 123-46 ; qu'en énonçant que "seule la date de la décision de radiation du registre du commerce et des sociétés doit être prise en compte s'agissant des commerçants, quelle que soit la date de cessation d'activité" quand la mesure de radiation effectuée par le greffe avec un effet rétroactif au 11 mars 2019, date de la cessation totale d'activité du déclarant, ne pouvait s'entendre d'une "décision" créatrice de droits qui ne produirait effet qu'à compter du 5 août 2019, la cour d'appel a violé l'article L. 123-51 du code de commerce, ensemble les articles R. 123-1 et R. 123-17 du code de commerce, et l'article L. 631-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. Le délai d'un an prévu à l'article L. 631-5, alinéa 2, 1°, pour qu'un créancier assigne son débiteur en ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires, ne commence à courir qu'à compter de la date à laquelle la radiation du débiteur est mentionnée sur le registre du commerce et des sociétés.
6. La cour d'appel ayant constaté, sans dénaturer l'extrait Kbis invoqué par la première branche, d'un côté, que la radiation de M. [V] du registre du commerce et des sociétés était intervenue le 5 août 2009, date de sa mention sur le registre, de l'autre, que l'assignation en redressement judiciaire avait été délivrée à l'intéressé le 15 juillet 2020, elle en a exactement déduit que l'action de M. [M] était recevable, peu important que l'extrait Kbis mentionne une radiation « avec effet » au 11 mars 2019, cette précision étant sans incidence sur le point de départ du délai en cause à l'égard des tiers.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [V] ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour M. [V].
M. [J] [O] [V] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande d'annulation du jugement déféré, d'avoir confirmé cette décision en toutes ses dispositions, et, y ajoutant d'avoir débouté M. [J] [O] [V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
1° Alors en premier lieu que le juge est tenu de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en énonçant que « la radiation est intervenue en l'espèce le 5 août 2019 ainsi que le démontre l'extrait du registre du commerce et des sociétés versé aux débats » quand il était mentionné dans cet extrait Kbis : « Radiation. Date de radiation : 05/08/2019. Mention n° 12881 du 05/08/2019 : radiation du RCS le 05/08/2019 avec effet au 11/03/2019. Date de cessation totale de l'activité : 11/03/2019 », la cour d'appel a dénaturé par omission l'extrait du registre du commerce et des sociétés versé aux débats, mis à jour au 23 octobre 2020, et a violé le principe susvisé,
2° Alors en deuxième lieu que la procédure de redressement judiciaire peut être ouverte sur l'assignation d'un créancier, quelle que soit la nature de sa créance. Toutefois, lorsque le débiteur a cessé son activité professionnelle, cette assignation doit intervenir dans le délai d'un an à compter de : 1° La radiation du registre du commerce et des sociétés. S'il s'agit d'une personne morale, le délai court à compter de la radiation consécutive à la publication de la clôture des opérations de liquidation ; 2° La cessation de l'activité, s'il s'agit d'une personne exerçant une activité artisanale, d'un agriculteur ou d'une personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ; 3° La publication de l'achèvement de la liquidation, s'il s'agit d'une personne morale non soumise à l'immatriculation ; que lorsque le commerçant, personne physique, demande sa radiation pour cessation totale d'activité en application des dispositions de l'article R. 123-51 du code de commerce et qu'il est procédé par le greffe du tribunal de commerce à cette radiation avec effet rétroactif à la date de cette cessation d'activité, cette dernière date constitue le point de départ du délai préfix d'un an ; qu'en énonçant que « la radiation étant intervenue le 5 août 2010, ainsi que le démontre l'extrait du registre du commerce et des sociétés versé aux débats, l'action engagée par M. [M] le 15 juillet 2020 était recevable même si l'activité avait cessé depuis le 11 mars 2019 », la cour d'appel a violé l'article L. 631-5 du code de commerce,
3° Alors en troisième lieu que tout commerçant immatriculé demande, dans le délai d'un mois avant la cessation totale de son activité commerciale dans le ressort d'un tribunal ou dans le délai d'un mois à compter de celle-ci, sa radiation en indiquant la date de cessation, sauf lorsqu'il est fait usage de la possibilité prévue au 5° de l'article R. 123-46 ; qu'en énonçant que « seule la date de la décision de radiation du registre du commerce et des sociétés doit être prise en compte s'agissant des commerçants, quelle que soit la date de cessation d'activité » quand la mesure de radiation effectuée par le greffe avec un effet rétroactif au 11 mars 2019, date de la cessation totale d'activité du déclarant, ne pouvait s'entendre d'une « décision » créatrice de droits qui ne produirait effet qu'à compter du 5 août 2019, la cour d'appel a violé l'article L. 123-51 du code de commerce, ensemble les articles R. 123-1 et R. 123-17 du code de commerce, et l'article L. 631-5 du code de commerce. | Le délai d'un an prévu à l'article L. 631-5, alinéa 2, 1°, du code de commerce pour qu'un créancier assigne son débiteur en ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires ne commence à courir qu'à compter de la date à laquelle la radiation du débiteur est mentionnée sur le registre du commerce et des sociétés |
8,509 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 48 F-B
Pourvoi n° V 21-22.090
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
La société Alliance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de Mme [S] [U], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Antilope express, a formé le pourvoi n° V 21-22.090 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [H] [G], domicilié [Adresse 3],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de Me Bertrand, avocat de la société Alliance, ès qualités, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [G], après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juillet 2021), la société Antilope express, dirigée par M. [G], a été mise en liquidation judiciaire le 7 janvier 2016, la société BTSG, remplacée par la société Alliance, étant désignée liquidateur.
2. Le 7 janvier 2019, le liquidateur a assigné le dirigeant en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société Alliance, ès qualités, fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme prescrite son action contre M. [G], alors « que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ; que le jour au cours duquel se produit l'événement qui fait courir le délai de prescription ne compte pas dans celui-ci ; qu'en faisant courir le délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif à la date du 7 janvier 2016, soit la date du jugement de liquidation judiciaire, et non à la date du 8 janvier 2016, au motif qu'en droit des procédures collectives, "l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif obéit à un régime juridique spécifique" en application duquel "le point de départ du délai de prescription est, par application de la règle dérogatoire du droit commun de l'article L. 651-2, alinéa 3, qui est d'ordre public, le jour du jugement de la liquidation judiciaire", quand le texte susvisé n'est nullement dérogatoire au droit commun des règles de computation des délais de prescription, de sorte que le jour du jugement de liquidation judiciaire, soit en l'occurrence le 7 janvier 2016, ne pouvait être retenu à titre de "dies a quo", la cour d'appel a violé les articles L. 652-1, alinéa 3, du code de commerce, 640 du code de procédure civile et 2228 et 2229 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 651-2, alinéa 3, du code de commerce, et 2228 et 2229 du code civil :
4. Selon le premier de ces textes, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
5. Aux termes du deuxième, la prescription se compte par jours, et non par heures.
6. Aux termes du troisième, elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli.
7. Il en résulte que le jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, qui constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, ne peut être inclus dans la computation de ce délai, lequel expire trois ans après le jour suivant cette date.
8. Pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif introduite par la société Alliance, ès qualités, l'arrêt relève que le jugement ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société Antilope express a été rendu le 7 janvier 2016 tandis que l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif a été délivrée à la demande du liquidateur à M. [G] le 7 janvier 2019 à 15h37. Rappelant que les règles de computation des délais de procédure des articles 641 et 642 du code de procédure civile sont sans application en matière de prescription et, qu'en droit commun, le jour au cours duquel se produit l'événement qui fait courir le délai ne compte pas dans celui-ci, l'arrêt retient qu'en droit des procédures collectives, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif a un régime juridique spécifique, et que le point de départ de son délai de prescription, dérogatoire au droit commun, fixé à l'article L. 651-2, alinéa 3 du code de commerce qui est d'ordre public, est le jour du jugement de la liquidation judiciaire, de sorte que la prescription étant acquise le dernier jour du terme à minuit, l'action engagée après le 6 janvier 2019 à 24 heures était prescrite.
9. En statuant ainsi, alors que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, soit le jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, le 7 janvier 2016, ne pouvait être inclus dans la computation de ce délai, de sorte que l'action engagée le 7 janvier 2019, dans le délai de trois ans de l'article L. 651-2, alinéa 3, n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de sursis à statuer, l'arrêt rendu le 6 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à la société Alliance, en qualité de liquidateur de la société Antilope express, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour la société Alliance, en la personne de Mme [S] [U], en qualité de liquidateur de la société Antilope express.
La SAS Alliance, agissant en la personne de Maître [S] [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Antilope Express fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit irrecevable comme prescrite son action contre M. [H] [G],
ALORS QUE l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ; que le jour au cours duquel se produit l'événement qui fait courir le délai de prescription ne compte pas dans celui-ci ; qu'en faisant courir le délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif à la date du 7 janvier 2016, soit la date du jugement de liquidation judiciaire, et non à la date du 8 janvier 2016, au motif qu'en droit des procédures collectives, « l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif obéit à un régime juridique spécifique » en application duquel « le point de départ du délai de prescription est, par application de la règle dérogatoire du droit commun de l'article L.651-2, alinéa 3, qui est d'ordre public, le jour du jugement de la liquidation judiciaire » (arrêt attaqué, p. 5 al. 6), quand le texte susvisé n'est nullement dérogatoire au droit commun des règles de computation des délais de prescription, de sorte que le jour du jugement de liquidation judiciaire, soit en l'occurrence le 7 janvier 2016, ne pouvait être retenu à titre de « dies a quo », la cour d'appel a violé les articles L.652-1, alinéa 3, du code de commerce, 640 du code de procédure civile et 2228 et 2229 du code civil. | Il résulte des articles L. 651-2, alinéa 3, du code de commerce, 2228 et 2229 du code civil que le jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, qui constitue le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, ne peut être inclus dans la computation de ce délai, lequel expire trois ans après le jour suivant cette date |
8,510 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 63 F-B
Pourvoi n° T 22-19.539
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
La société Fintake Group, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 22-19.539 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Crédit mutuel Arkea, société coopérative à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Fintake Group, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Crédit mutuel Arkea, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 juin 2022), à la suite de négociations engagées entre la société Crédit mutuel Arkea (le CMA) et la société NBB Lease, dirigée par MM. [L] et [V], cette dernière s'est engagée, par une promesse unilatérale d'achat du 6 novembre 2018, à acquérir au prix de 70 millions d'euros l'intégralité des actions de la société Leasecom détenues par le CMA. Le 21 mars 2019, la société Fintake Group, se substituant à sa filiale, la société NBB Lease, et le CMA ont conclu un contrat de cession au même prix.
2. Soutenant avoir découvert, postérieurement à la cession, que le budget 2018 transmis lors des pourparlers avait été sciemment surestimé par rapport à celui en vigueur en mars 2018, la société Fintake Group a, le 9 mars 2021, déposé une requête aux fins d'obtenir des mesures d'investigation sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
3. La requête a été accueillie le 15 mars 2021 et les mesures d'instruction ont été diligentées le 26 mars 2021.
4. Le CMA a assigné la société Fintake Group en rétractation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
6. La société Fintake Group fait grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance du 15 mars 2021, alors :
« 1°/ que le juge de la mesure in futurum ordonne celle-ci dès lors qu'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; que le juge de la mesure in futurum, comme le juge de la rétractation, ne peut retenir l'absence de motif légitime, faisant échec à la mesure demandée, qu'en présence d'une demande qui est soit manifestement irrecevable soit vouée à un échec certain au point d'apparaître comme téméraire ; qu'il n'entre en revanche pas dans l'office du juge de l'expertise in futurum d'apprécier le caractère fondé, ou non, du procès envisagé, au point de procéder à une analyse des pièces d'ores et déjà en possession du demandeur et de les confronter à une norme juridique précise mobilisée dans le cadre d'une argumentation d'ores et déjà figée ; qu'au cas présent, tout en affirmant qu'elle devrait se cantonner à l'appréciation de "l'existence d'un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec [
] sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond", et en indiquant apprécier la "plausibilité du litige éventuel", la cour d'appel a "recherch[é] si les allégations de manoeuvres dolosives [
] sont ou non vraisemblables", pour finalement retenir, après un examen approfondi des "pièces produites", qu'il "n'apparaît pas" que la société Fintake Group, demanderesse à la mesure in futurum, "a pu être trompée" et que "les documents financiers internes à la société Leasecom ainsi que les échanges intervenus entre son contrôleur de gestion et son directeur commercial et les dirigeants de la société CMA ne constituent pas des indices suffisants pour justifier l'existence d'un dol" ; que la cour retient encore que le rejet de l'action envisagée par la société Fintake Group serait d'ores et déjà assuré dans la mesure où "la société Fintake Group ne démontre pas l'incidence qu'auraient pu avoir les données du budget 2018 sur la valeur de la société Leasecom" ; qu'en déduisant le caractère, selon elle, "manifestement voué à l'échec" de l'action envisagée d'une analyse approfondie d'un litige qui n'était pourtant que potentiel à ce stade, la cour d'appel, qui a méconnu la circonstance que le demandeur d'une mesure in futurum n'a pas à établir d'emblée le bien-fondé de l'action projetée, a violé l'article 145 du code de procédure civile et méconnu l'office du juge de la mesure in futurum ainsi que du juge de la rétractation ;
2° que le juge de la rétractation d'une mesure in futurum ne peut retenir l'absence de motif légitime en présence d'une situation litigieuse établie et d'une demande non manifestement vouée à l'échec ; qu'il n'entre pas dans son office, une fois cette plausibilité de la demande constatée, d'apprécier par avance tous les moyens de défense qui pourraient, in fine, conduire au rejet par le juge du fond de ladite demande ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé elle-même qu'il n'était "pas contesté" qu'une pièce déterminante pour la fixation du prix de la société cédée (son budget 2018) avait été "découverte" par hasard par la société acquéreur et qu'elle avait été remplacée par un "business plan 2018" dont la société cédante savait qu'il ne correspondait pas à ce qui serait réalisé en 2018, et pas même à ce qu'il était demandé aux équipes de la société cédée de réaliser en 2018 (autrement dit à son budget) ; que la cour d'appel a néanmoins écarté ce dol apparent, ayant consisté à substituer au budget 2018 demandé aux équipes de Leasecom un business plan 2018 qui ne correspondait à rien, au motif que "au regard de l'accès à une information exhaustive, portant sur l'ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, comptables et financières de la société acquise, de l'analyse de celles-ci tant par les dirigeants de la société NBB Lease, particulièrement avertis, que par les experts qu'ils s'étaient adjoints, et de l'exclusion de garantie portant sur les projections financières, l'action que l'appelante pourrait engager à l'encontre de la société Crédit Mutuel Arkea au titre d'un prétendu dol apparaît manifestement vouée à l'échec" ; qu'en statuant ainsi, cependant que la cour avait pour seule mission de vérifier si ne préparait pas un procès téméraire l'allégation de l'exposante selon laquelle une recherche des emails internes échangés entre Leasecom et sa société mère, Crédit Mutuel Arkea, la cédante, aurait fait apparaître que la substitution du business plan 2018 au budget 2018, dans la data room, caractérisait une manoeuvre dolosive, la cour d'appel, qui a excédé son office, a violé l'article 145 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt relève qu'il n'est pas contesté que le budget 2018 litigieux, découvert le 5 mars 2018 par la société NBB Lease, dont MM. [L] et [V] sont les dirigeants, faisait état de chiffres différents de ceux mentionnés sur la plate-forme électronique mais identiques au plan budgétaire validé au sein de la société Leasecom et que par courriel du même jour, M. [L] a fait part de ses interrogations « susceptibles pour lui et M. [V] de sérieusement compromettre leur intérêt pour la transaction ». Il retient que, cependant, la société Fintake Group n'a pu être trompée par le CMA, au cours de la période précontractuelle qui a duré plus de dix-huit mois pendant lesquels la société NBB Lease, dont elle a repris les engagements, a eu accès à l'ensemble des éléments notamment financiers et comptables de la société Leasecom. L'arrêt ajoute que, deux mois avant la cession des titres, M. [V] a adressé au CMA un courriel démontrant de façon évidente que, préalablement à la cession de la société Leasecom, la société Fintake Group avait une parfaite connaissance des résultats de l'exercice 2018.
8. En l'état de ces énonciations, constations et appréciations, dont il résulte que les dirigeants particulièrement avertis de la société NBB Lease et leurs experts avaient eu accès à une information exhaustive portant sur l'ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, comptables et financières de la société acquise, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'a pas fait peser sur la société Fintake Group l'obligation d'établir le bien fondé de son action, a jugé que l'action que cette société pourrait engager à l'encontre du CMA, au titre d'un prétendu dol, apparaissait manifestement vouée à l'échec, caractérisant, par ces seuls motifs, l'absence de motif légitime justifiant la mesure d'instruction demandée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Fintake Group aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fintake Group et la condamne à payer à la société Crédit mutuel Arkea la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Hannotin Avocats, avocat aux Conseils, pour la société Fintake Group.
La SAS Fintake Group fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 15 septembre 2021 qui avait rétracté l'ordonnance du 15 mars 2021 en toutes ses dispositions ;
1° Alors que le juge de la mesure in futurum ordonne celle-ci dès lors qu'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; que le juge de la mesure in futurum, comme le juge de la rétractation, ne peut retenir l'absence de motif légitime, faisant échec à la mesure demandée, qu'en présence d'une demande qui est soit manifestement irrecevable soit vouée à un échec certain au point d'apparaître comme téméraire ; qu'il n'entre en revanche pas dans l'office du juge de l'expertise in futurum d'apprécier le caractère fondé, ou non, du procès envisagé, au point de procéder à une analyse des pièces d'ores et déjà en possession du demandeur et de les confronter à une norme juridique précise mobilisée dans le cadre d'une argumentation d'ores et déjà figée ; qu'au cas présent, tout en affirmant qu'elle devrait se cantonner à l'appréciation de « l'existence d'un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec [
] sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond » (arrêt p. 4, al. 4), et en indiquant apprécier la « plausibilité du litige éventuel » (arrêt p. 5, al. 4), la cour d'appel a « recherch[é] si les allégations de manoeuvres dolosives [
] sont ou non vraisemblables » (arrêt p. 5, al. 5), pour finalement retenir, après un examen approfondi des « pièces produites » (arrêt p. 5, al. 5), qu'il « n'apparaît pas » que la société Fintake Group, demanderesse à la mesure in futurum, « a pu être trompée » (arrêt p. 5, al. 7) et que « les documents financiers internes à la société Leasecom ainsi que les échanges intervenus entre son contrôleur de gestion et son directeur commercial et les dirigeants de la société CMA ne constituent pas des indices suffisants pour justifier l'existence d'un dol » (arrêt p. 6, al. 6) ; que la cour retient encore que le rejet de l'action envisagée par la société Fintake Group serait d'ores et déjà assuré dans la mesure où « la société Fintake Group ne démontre pas l'incidence qu'auraient pu avoir les données du budget 2018 sur la valeur de la société Leasecom » (arrêt p. 6, avant-dernier al.) ; qu'en déduisant le caractère, selon elle, « manifestement voué à l'échec » (arrêt p. 7, al. 1er) de l'action envisagée d'une analyse approfondie d'un litige qui n'était pourtant que potentiel à ce stade, la cour d'appel, qui a méconnu la circonstance que le demandeur d'une mesure in futurum n'a pas à établir d'emblée le bien-fondé de l'action projetée, a violé l'article 145 du code de procédure civile et méconnu l'office du juge de la mesure in futurum ainsi que du juge de la rétractation ;
2° Alors que le juge de la rétractation d'une mesure in futurum ne peut retenir l'absence de motif légitime en présence d'une situation litigieuse établie et d'une demande non manifestement vouée à l'échec ; qu'il n'entre pas dans son office, une fois cette plausibilité de la demande constatée, d'apprécier par avance tous les moyens de défense qui pourraient, in fine, conduire au rejet par le juge du fond de ladite demande ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé elle-même qu'il n'était « pas contesté » qu'une pièce déterminante pour la fixation du prix de la société cédée (son budget 2018) avait été « découverte » par hasard par la société acquéreur et qu'elle avait été remplacée par un « business plan 2018 » dont la société cédante savait qu'il ne correspondait pas à ce qui serait réalisé en 2018, et pas même à ce qu'il était demandé aux équipes de la société cédée de réaliser en 2018 (autrement dit à son budget) (arrêt p. 5, al. 6 et 7) ; que la cour d'appel a néanmoins écarté ce dol apparent, ayant consisté à substituer au budget 2018 demandé aux équipes de Leasecom un business plan 2018 qui ne correspondait à rien, au motif que « au regard de l'accès à une information exhaustive, portant sur l'ensemble des données sociales, fiscales, juridiques, comptables et financières de la société acquise, de l'analyse de celles-ci tant par les dirigeants de la société NBB Lease, particulièrement avertis, que par les experts qu'ils s'étaient adjoints, et de l'exclusion de garantie portant sur les projections financières, l'action que l'appelante pourrait engager à l'encontre de la société Crédit Mutuel Arkéa au titre d'un prétendu dol apparaît manifestement vouée à l'échec » (arrêt p. 7, al. 1er) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la cour avait pour seule mission de vérifier si ne préparait pas un procès téméraire l'allégation de l'exposante selon laquelle une recherche des emails internes échangés entre Leasecom et sa société mère, Crédit Mutuel Arkéa, la cédante, aurait fait apparaître que la substitution du business plan 2018 au budget 2018, dans la data room, caractérisait une manoeuvre dolosive, la cour d'appel, qui a excédé son office, a violé l'article 145 du code de procédure civile ;
3° Alors que, lorsqu'il apprécie l'utilité d'une mesure tendant à l'obtention de pièces internes à une entreprise, le juge de la rétractation doit respecter les termes du litige potentiel que ces éléments de preuve sont destinés à conforter ; qu'au cas présent, la société Fintake Group alléguait avoir été victime de manoeuvres dolosives ayant consisté, pour la société cédante Crédit Mutuel Arkéa, à avoir substitué, dans la data room, au budget 2018 alors en cours de réalisation, un business plan 2018 excessivement optimiste et sans lien avec les objectifs communiqués aux équipes de la société cédée (Leasecom) ; que la société Fintake Group exposait que, si elle avait établi que, matériellement, la substitution critiquée avait bien eu lieu, Crédit Mutuel Arkéa lui ayant donné pour excuse, quand elle a été découverte, qu'une erreur de manipulation informatique avait été commise, l'ayant conduit à « charger » sur la plateforme de la data room un document dépourvu de toute pertinence, la société Fintake Group soulignait que l'élément intentionnel du dol, à savoir la préméditation et l'intention ayant présidé à cette manoeuvre matériellement établie, demeurait, lui, à établir ; qu'en réponse, la cour d'appel a retenu que « la société appelante dispose d'ores et déjà des éléments lui permettant d'affirmer le caractère contradictoire du budget 2018 et des projections internes à la société Leasecom avec les chiffres et projections mentionnés dans le "teaser" et les données communiquées confirmant ce document, éléments qu'elle a d'ailleurs soumis à un expert en vue d'établir un préjudice ainsi qu'il résulte du rapport du 30 décembre 2021 de M. [N] » (arrêt attaqué, p. 7) ; qu'en statuant ainsi, cependant que les éléments ainsi « d'ores et déjà » établis, afférents à l'aspect matériel du dol, ne disaient rien de son aspect intentionnel, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige envisagé par l'exposante, a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles 4 et 5 dudit code ;
4° Alors enfin qu'en retenant, d'un côté, que la production des éléments de preuve recherchés ne serait pas utile dans le cadre d'une action fondée sur le dol dont les éléments matériels étaient, selon elle, parfaitement établis, et, d'un autre côté, que cette même action pour dol, dont l'aspect matériel, seul considéré par la cour d'appel, était jugé avéré, la cour d'appel s'est contredite, violant ainsi l'article 145 du code de procédure civile. | Dès lors qu'elle retient que l'action qu'une société entendait engager à l'encontre d'une autre société était manifestement vouée à l'échec, une cour d'appel décide à bon droit que celle-là ne justifie pas d'un motif légitime d'obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la mesure d'instruction avant tout procès |
8,511 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1 F-B
Pourvoi n° R 21-19.349
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JANVIER 2023
Mme [H] [G], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-19.349 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à la Caisse nationale des barreaux français, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [G], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Caisse nationale des barreaux français, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2020) et les productions, Mme [G] a été engagée le 2 mars 2005 en qualité de secrétaire dactylo par la caisse nationale des barreaux français.
2. Après avoir été convoquée le 21 octobre 2015 à un entretien préalable en vue d'un licenciement économique, fixé au 29 octobre 2015, au cours duquel un contrat de sécurisation professionnelle lui a été proposé, elle a adressé à son employeur, par lettre du 6 novembre 2015, le bulletin d'acceptation au dispositif.
3. Par lettre du 9 novembre 2015, l'employeur lui a notifié les motifs économiques de la rupture en lui précisant qu'en cas de refus du contrat de sécurisation professionnelle, cette lettre constituerait la notification de son licenciement.
4. Contestant les motifs de la rupture de son contrat de travail, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen des moyens
Sur le premier et le deuxième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Mme [G] fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à constater l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement et à condamner l'employeur à lui payer certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et au titre des congés payés afférents, alors :
« 1°/ que lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d'information sur ce dispositif remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail, soit encore, lorsqu'il n'est pas possible à l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation ; qu'en retenant, pour juger que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, que l'information relative à la cause économique du licenciement avait été donnée à Mme [G] lors de l'entretien préalable à un éventuel licenciement quand une telle information orale n'était pas de nature à porter valablement à la connaissance de la salariée le motif économique du licenciement afin de lui permettre d'accepter de manière éclairée un contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-65, L. 1233-66, L. 1233-15, L. 1233-39 et L. 1233-67 du code du travail ;
2°/ que l'information relative au motif économique du licenciement doit être portée à la connaissance du salarié par tout document écrit au plus tard au moment de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle; que le salarié manifeste sa volonté de bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle en remettant à l'employeur le bulletin d'acceptation dûment complété et signé ; qu'il résulte des pièces du dossier que Mme [G] a complété, signé, et renvoyé à l'employeur le bulletin d'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle le 6 novembre 2015 et que l'information relative au motif économique du licenciement ne lui a été délivrée que par la lettre de licenciement, laquelle est datée du 9 novembre 2015 ; qu'en déboutant Mme [G] de sa demande tendant à voir constater que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse, en considérant qu'il convenait de tenir compte, pour se déterminer sur l'antériorité de l'information de l'employeur quant au motif économique du licenciement, de la date à laquelle le dossier complet d'adhésion du contrat de sécurisation professionnelle avait été envoyé, soit le 18 novembre 2015, et non pas de la date d'envoi à l'employeur du bulletin d'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel a violé les articles 5 et 6 de la convention Unédic relative au contrat de sécurisation professionnelle du 19 juillet 2011 agréée par arrêté du 6 octobre 2011 et les articles L. 1233-65, L. 1233-66 et L. 1233-67 du code du travail ;
3°/ qu'en tout état de cause, à supposer que la cour d'appel ait entendu retenir que la salariée n'avait adressé le bulletin d'acceptation signé que le 18 novembre 2015, il résulte de la pièce d'appel n° 76 que le bulletin d'acceptation a été adressé le 6 novembre 2015 ; qu'en jugeant au contraire que la date de l'envoi de cette acceptation était du 18 novembre 2015, la cour d'appel a dénaturé la pièce n° 76 et a ainsi méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les éléments de la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 de la convention Unédic relative au contrat de sécurisation professionnelle du 26 janvier 2015 agréée par arrêté du 16 avril 2015 et les articles L. 1233-65, L. 1233-66 et L. 1233-67 du code du travail :
7. Il résulte de ces textes que la rupture du contrat de travail résultant de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle doit avoir une cause économique réelle et sérieuse. L'employeur est en conséquence tenu d'énoncer la cause économique de la rupture du contrat soit dans le document écrit d'information sur ce dispositif remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail, soit encore, lorsqu'il n'est pas possible à l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation. A défaut, la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse.
8. Pour débouter la salariée de ses demandes au titre de l'absence de cause du licenciement, l'arrêt retient que l'information relative au motif économique de la rupture du contrat de travail lui a été donnée tant lors de l'entretien préalable que dans la lettre de licenciement notifiée le 9 novembre, soit antérieurement à son adhésion complète au contrat de sécurisation professionnelle intervenue le 18 novembre 2015.
9. En statuant ainsi, alors que la salariée avait adhéré au contrat de sécurisation dès le 6 novembre 2015 en adressant à son employeur le bulletin d'acceptation et qu'il ne résultait pas de ses constatations que l'employeur avait remis ou adressé personnellement à la salariée un document écrit énonçant le motif économique de la rupture avant son acceptation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [G] de ses demandes au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, tendant à la condamnation de la Caisse nationale des barreaux français à lui payer les sommes de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de 7 370,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de 737,04 euros au titre des congés payés afférents, en ce qu'il la condamne aux dépens et rejette ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 16 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la Caisse nationale des barreaux français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse nationale des barreaux français et la condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour Mme [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de ses demandes tendant à constater la nullité de son licenciement pour harcèlement moral, condamner la CNBF à payer à Mme [G] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et Intérêts pour harcèlement moral, condamner la CNBF à payer à Mme [G] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et condamner la CNBF à payer à Mme [G] la somme de 7 370,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 737,04 euros au titre des congés payés afférents.
1°) ALORS QUE l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; que la cour d'appel a retenu comme concourant à faire présumer un harcèlement moral l'existence d'une tentative de suicide de la salariée le 20 octobre 2008 pour surcharge de travail et isolement dans un petit bureau ; qu'en retenant, pour débouter Mme [G] de ses demandes fondées sur le harcèlement moral, que l'employeur justifiait d'éléments objectifs permettant de renverser la présomption aux termes de motifs dont il ne résulte pas qu'il ait pris toutes les mesures de prévention du harcèlement moral avant le 20 octobre 2008, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
2°) ALORS QU'en déboutant la salariée de ses demandes fondées sur le harcèlement moral pour la période comprise entre 2008 et 2012, date de sa seconde tentative de suicide aux termes de motifs inopérants pris de ce que la première tentative de suicide n'avait pas été retenue comme accident du travail, que l'employeur avait sollicité l'intervention de la médecine du travail, et que la salariée s'était vu confier des tâches très limitées entre mars et avril 2009, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la mise-en-oeuvre de mesures propres à remédier, pendant cette période, aux plaintes de la salariée, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail ;
3°) ALORS QU'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que la salariée se plaignant toujours d'une répartition inégalitaire de la charge de travail avait fait une seconde tentative de suicide le 27 novembre 2012 ; qu'il ressort par ailleurs des propres constatations de l'arrêt attaqué que la répartition du travail avait été modifiée unilatéralement pendant les congés d'été de 2012 au regard de l'organisation du travail ; qu'en déboutant la salariée de ses demandes fondées sur le harcèlement moral, aux termes de motifs inopérants pris de ce que le CHSCT avait constaté que Mme [G] avait une grande liberté dans l'organisation de son travail, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
4°) ALORS QUE lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant, selon lui, un harcèlement moral, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un tel harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral ; que cette justification ne saurait se déduire de ses seules allégations ; qu'en déboutant Mme [G] de ses demandes fondées sur le harcèlement moral aux termes de motifs exclusivement pris des allégations de l'employeur excipant de l'agressivité de la salariée envers sa collègue partageant le même bureau et du défaut de justification de ses absences par la salariée, la cour d'appel a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil.
5°) ALORS QU'en présence d'une présomption de harcèlement moral, il appartient à l'employeur de la renverser ; que la cour d'appel a retenu, au nombre des éléments faisant penser à un harcèlement moral, la tentative de suicide de la salariée ; qu'en retenant, pour débouter Mme [G] de ses demandes fondées sur le harcèlement moral, que cet évènement n'avait pas été retenu comme un accident du travail quand il incombait à l'employeur de démontrer que cet accident était étranger aux conditions de travail de la salariée, la cour d'appel a violé l'article L1154-1 du code du travail ;
6°) ALORS QUE l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; que la cour d'appel a retenu comme concourant à faire présumer un harcèlement moral l'existence d'une tentative de suicide de la salariée le 20 octobre 2008 pour surcharge de travail et isolement dans un petit bureau ; qu'en retenant, pour débouter Mme [G] de ses demandes fondées sur le harcèlement moral pour la période 2012/2015, les conclusions de l'enquête du CHSCT qui n'a pas établi l'existence d'un harcèlement moral mais a, au contraire, noté que le comportement de la salariée sur son lieu de travail était de nature à mettre en danger les autres salariés, le médecin du travail alerté et ayant entendu ces salariés, ayant conclu à veiller à ce que la salariée soit orientée vers une consultation spécialisée, sans rechercher si cette préconisation avait été suivie d'effets, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des L. 1152-1, L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de ses demandes tendant à condamner la CNBF à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
ALORS QUE l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; qu'en retenant, pour débouter Mme [G] de sa demande de dommages et intérêts, que l'employeur démontrait avoir satisfait à son obligation « au regard des aménagements opérés à la suite des plaintes de la salariée », sans préciser de quels aménagements il s'agissait, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4121-1 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Mme [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de ses demandes tendant à constater l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, condamner la CNBF à payer à Mme [G] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamner la CNBF à payer à Mme [G] la somme de 7 370,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 737,04 euros au titre des congés payés afférents.
1°) ALORS QUE lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d'information sur ce dispositif remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du code du travail, soit encore, lorsqu'il n'est pas possible à l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation ; qu'en retenant, pour juger que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, que l'information relative à la cause économique du licenciement avait été donnée à Mme [G] lors de l'entretien préalable à un éventuel licenciement quand une telle information orale n'était pas de nature à porter valablement à la connaissance de la salariée le motif économique du licenciement afin de lui permettre d'accepter de manière éclairée un contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-65, L 1233-66, L 1233-15, L 1233-39 et L. 1233-67 du code du travail ;
2°) ALORS QUE l'information relative au motif économique du licenciement doit être portée à la connaissance du salarié par tout document écrit au plus tard au moment de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle; que le salarié manifeste sa volonté de bénéficier du contrat de sécurisation professionnelle en remettant à l'employeur le bulletin d'acceptation dûment complété et signé ; qu'il résulte des pièces du dossier que Mme [G] a complété, signé, et renvoyé à l'employeur le bulletin d'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle le 6 novembre 2015 et que l'information relative au motif économique du licenciement ne lui a été délivrée que par la lettre de licenciement, laquelle est datée du 9 novembre 2015 ; qu'en déboutant Mme [G] de sa demande tendant à voir constater que le licenciement était privé de cause réelle et sérieuse, en considérant qu'il convenait de tenir compte, pour se déterminer sur l'antériorité de l'information de l'employeur quant au motif économique du licenciement, de la date à laquelle le dossier complet d'adhésion du contrat de sécurisation professionnelle avait été envoyé, soit le novembre 2015, et non pas de la date d'envoi à l'employeur du bulletin d'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel a violé les articles 5 et 6 de la convention Unédic relative au contrat de sécurisation professionnelle du 19 juillet 2011 agréée par arrêté du 6 octobre 2011 et les articles L 1233-65, L 1233-66 et L 1233-67 du code du travail.
3°) ALORS QU, en tout état de cause, à supposer que la cour d'appel ait entendu retenir que la salariée n'avait adressé le bulletin d'acceptation signé que le 18 novembre 2015, il résulte de la pièce d'appel n° 76 que le bulletin d'acceptation a été adressé le 6 novembre 2015 ; qu'en jugeant au contraire que la date de l'envoi de cette acceptation était du 18 novembre 2015, la cour d'appel a dénaturé la pièce n° 76 et a ainsi méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les éléments de la cause. | Il résulte de l'article 4 de la convention Unédic relative au contrat de sécurisation professionnelle du 26 janvier 2015, agréée par arrêté du 16 avril 2015, que l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle intervient au moment où le salarié signe le bulletin d'acceptation.
Doit en conséquence être cassé, l'arrêt qui, pour débouter un salarié de ses demandes au titre de l'absence de cause du licenciement, retient que l'information relative au motif économique de la rupture du contrat de travail lui a été donnée tant lors de l'entretien préalable que dans la lettre notifiée antérieurement à son adhésion complète au contrat de sécurisation professionnelle, alors que le salarié avait adhéré au dispositif, antérieurement à l'envoi de cette lettre, en adressant à son employeur le bulletin d'acceptation et qu'il ne résultait pas de ses constatations que l'employeur avait remis ou adressé personnellement au salarié un document écrit énonçant le motif économique de la rupture avant cette acceptation |
8,512 | SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 27 F-B
Pourvoi n° M 21-20.311
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JANVIER 2023
La société Collectes valorisation énergie déchets, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-20.311 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2021 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [G] [N], domicilié [Adresse 4],
2°/ au syndicat général des transports CFDT Basse-Normandie, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Collectes valorisation énergie déchets, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [N] et du syndicat général des transports CFDT Basse-Normandie, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 3 juin 2021), M. [N] a été engagé par la société Onyx le 3 novembre 1997 en qualité d'équipier de collecte. Son contrat a été transféré, en dernier lieu, le 1er juillet 2015, à la société Collectes valorisation énergie déchets (la société), qui a repris le marché auquel le salarié était affecté.
2. Du 8 au 20 juin 2017, un mouvement de grève s'est déroulé dans l'entreprise, dans le cadre d'un préavis déposé par le syndicat général des transports CFDT de Basse-Normandie (le syndicat).
3. Le salarié a été licencié pour faute lourde par lettre du 30 juin 2017 à raison de faits commis le 8 juin 2017 au cours de cette grève.
4. Il a saisi le 27 octobre 2017 la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de la condamner au remboursement des indemnités de chômage versées au salarié entre la date de licenciement et le jugement dans la limite de trois mois, alors « qu'aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé ; qu'en l'espèce, après avoir prononcé la nullité du licenciement en application de l'article L. 2511-1 du code du travail, la cour d'appel a condamné l'employeur au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 1235-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l‘article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
8. Selon l'article L. 1132-4 du code du travail, dans sa version antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.
9. L'article L. 1132-2 du code du travail, figurant dans le même chapitre II « Principe de non-discrimination », prévoit qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire mentionnée à l'article L. 1132-1 en raison de l'exercice normal du droit de grève.
10. Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail sont applicables en cas de nullité du licenciement en raison de l'exercice normal du droit de grève.
11. Dès lors, la cour d'appel qui, ayant retenu que le licenciement du salarié était nul comme consécutif à l'exercice par ce dernier de son droit de grève, sans qu'une faute lourde puisse lui être reprochée, a condamné la société à rembourser à Pôle emploi les allocations de chômage versées au salarié entre la date du licenciement et le jugement dans la limite de trois mois d'allocations, n'encourt pas le grief du moyen.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Collectes valorisation énergie déchets aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par société Collectes valorisation énergie déchets et la condamne à payer à M. [N] et au syndicat général des transports CFDT Basse-Normandie la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Collectes valorisation énergie déchets
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société COVED fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le licenciement de Monsieur [N], prononcé en l'absence de faute lourde, nul, et de l'AVOIR condamnée à lui payer les sommes de 11.972,19 € à titre d'indemnité de licenciement, 3.668,08 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 366,80 € au titre des congés payés afférents, 93,74 € à titre de rappel de salaire relatif au mois de juin 2017, ainsi que de l'AVOIR condamnée au remboursement des indemnités de chômage versées à Monsieur [N] entre la date de licenciement et le jugement dans la limite de trois mois et, réformant le jugement de ces chefs, d'AVOIR condamné la société COVED à verser à Monsieur [N] la somme de 24.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, ainsi que d'AVOIR condamné la société COVED à verser au syndicat général des transports CFDT de BASSE-NORMANDIE la somme de 1.500 € pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession ;
ALORS QU'un salarié gréviste peut être licencié à raison d'un fait commis à l'occasion de la grève à laquelle il participe si ce fait est constitutif d'une faute lourde ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que les faits suivants étaient établis : « avoir traité du personnel non gréviste d'‘enculés" », « à l'arrivée de deux salariés noirs avoir poussé 'un cri comme un animal' et tenu les propos suivants : 'regarde les tressés', 'les enculés' et, selon l'huissier, d'autres propos à connotation raciste », « avoir mis une tronçonneuse à arrière d'un C15 en disant 'les gars on va casser du camion les gars j'ai la tronçonneuse, on va découper du camion', « à l'arrivée d'une camionnette conduite par une prestataire de service avoir crié 'ok les gars la dame on la viole qu'une fois', avoir, à propos d'un salarié crié 'je vais le crever ; il revient pas demain!', avoir crié à plusieurs reprises 'vous inquiétez pas les gens du voyage ils sont pas méchants ils vont vous crever la panse!!! Allah Ouakbar » ; qu'elle a également constaté que Monsieur [N] avait « brandi le poing » en direction d'un salarié non-gréviste (Monsieur [F]) à travers la vitre de son camion, alors qu'il rentrait de sa tournée, fait qu'elle a qualifié « d'agression » et que ce salarié avait été conduit au centre hospitalier, puis avait porté plainte à l'encontre de Monsieur [N] pour violences et menaces de mort ; que, pour néanmoins écarter la faute lourde malgré les insultes proférées à l'encontre des salariés non-grévistes, dont plusieurs à caractère raciste, les cris d'animaux poussés au passage de salariés noirs, les menaces de mort, la menace de ne « violer qu'une fois » la représentante d'un prestataire de son employeur et celle, hurlée au travers d'un mégaphone, de « casser et de découper du camion », et par conséquent le matériel de l'entreprise, cela en plaçant une tronçonneuse dans l'un des véhicules, la cour d'appel a retenu, par motifs propres, que « les faits reprochés (insultes, propos à connotation racistes, menaces et, à tout le moins, agression à l'égard de M. [F]) sont avérés, sont imputables à M. [N] et sont fautifs ; toutefois, il n'est pas établi qu'ils aient été commis avec la volonté de porter préjudice à l'employeur ; en effet, M. [N] n'a, à aucun moment, cherché à entraver la liberté du travail, y compris en agressant M. [F] » et, par motifs adoptés, qu'en « dépit du caractère particulièrement abject [des faits dont Monsieur [N] s'était rendu responsable] et du fait que certains d'entre eux étaient de nature à revêtir une qualification pénale, de tels faits dirigés vers des collègues de travail s'avèrent (...) insusceptibles de caractériser une intention de nuire » ; qu'en statuant ainsi, quand les faits dont elle a constaté la matérialité relevaient de la faute lourde, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations et a violé l'article L. 2511-1 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
La société COVED fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée au remboursement des indemnités de chômage versées à Monsieur [N] entre la date de licenciement et le jugement dans la limite de trois mois ;
ALORS QU'aux termes de l'article L. 1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé ; qu'en l'espèce, après avoir prononcé la nullité du licenciement en application de l'article L. 2511-1 du code du travail, la cour d'appel a condamné l'employeur au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 1235-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. | Il résulte des articles L. 1235-4, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L. 1132-4 et L. 1132-2 du code du travail que les dispositions de l'article L. 1235-4 selon lesquelles le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé, sont applicables en cas de nullité du licenciement en raison de l'exercice normal du droit de grève |
8,513 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 28 F-B
Pourvoi n° Z 21-23.796
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 JANVIER 2023
La société Global ambulances, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-23.796 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 9), dans le litige l'opposant à Mme [U] [F], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Global ambulances, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [F], après débats en l'audience publique du 23 novembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2021), Mme [F] a été engagée par la société Global ambulances (la société) le 14 novembre 2013 en qualité d'ambulancière. Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 7 janvier 2016. Elle a saisi la juridiction prud'homale le 6 avril 2017 en nullité de son licenciement et en paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts en faisant valoir que son inaptitude était la conséquence de faits de harcèlement sexuel de la part de l'un de ses collègues et de manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.
2. Par jugement du 26 novembre 2018, le conseil de prud'hommes a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts au titre de la violation par la société de son obligation de sécurité, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement.
3. La société, intimée, n'a pas constitué avocat devant la cour d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, de déclarer nul le licenciement de la salariée, de la condamner à verser à la salariée certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, de lui faire injonction de produire un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformément à l'arrêt, alors « que le juge d'appel ne peut, en l'absence de la partie intimée, infirmer le jugement sans réfuter la motivation des premiers juges ; qu'en jugeant que "l'employeur n'apporte aucun élément pour justifier qu'il a pris une quelconque mesure nécessaire pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée subie par Mme [F]" sans réfuter les motifs du jugement qui avaient conduit le conseil de prud'hommes à juger que "les débats et les pièces versées démontrent que la SARL Global ambulances a cessé de faire rouler dans la même voiture Mme [F] et M. [V] dès qu'elle a été mise au courant de cette situation ; qu'elle a informé l'inspection du travail ; qu'elle a donc effectué tout ce qui était en son pouvoir pour respecter son obligation de sécurité", la cour d'appel a violé les articles 455, 542 et 472 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 472 et 954, dernier alinéa, du code de procédure civile :
5. Il résulte du premier de ces textes qu'en appel, si l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, mais le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés. Aux termes du second, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.
6. Ainsi, s'il appartient à l'employeur de justifier du respect de son obligation de prévention du harcèlement sexuel, son absence de comparution devant la cour d'appel ne dispense pas cette juridiction d'examiner la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'est déterminé pour juger que l'employeur avait satisfait à son obligation de prévention.
7. Pour faire droit aux demandes de la salariée en paiement de dommages- intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt retient que l'employeur n'apporte aucun élément pour justifier qu'il a pris une quelconque mesure nécessaire pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée subie par la salariée, alors qu'il en avait connaissance et que cette situation est à l'origine de la dégradation de l'état de santé de la salariée.
8. En statuant ainsi , sans examiner les motifs du jugement qui avait retenu que les débats et les pièces versées démontrent que la société a cessé de faire circuler dans la même voiture la salariée et son collègue dès qu'elle a été mise au courant de la situation de harcèlement sexuel alléguée, qu'elle a informé l'inspection du travail et qu'elle a donc effectué tout ce qui était en son pouvoir pour respecter son obligation de sécurité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Global ambulances à verser à Mme [F] la somme de 1 668 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement et confirme la condamnation de la société en première instance au paiement de la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, l'arrêt rendu le 30 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne Mme [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [F] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour la société Global ambulances
La société Global Ambulances fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à Mme [F] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ; d'avoir déclaré nul le licenciement de Mme [F] ; d'avoir condamné la société Global Ambulances à verser à Mme [F] la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ; de l'avoir condamnée à verser à Mme [F] la somme de 3 336,74 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 333,67 € à titre de congés payés afférents ; d'avoir fait injonction à la société Global Ambulances de produire un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformément à l'arrêt ; et d'avoir ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
ALORS QUE le juge d'appel ne peut, en l'absence de la partie intimée, infirmer le jugement sans réfuter la motivation des premiers juges ; qu'en jugeant que « l'employeur n'apporte aucun élément pour justifier qu'il a pris une quelconque mesure nécessaire pour mettre un terme à la situation de harcèlement avérée subie par Mme [F] » sans réfuter les motifs du jugement qui avaient conduit le conseil de prud'hommes à juger que « les débats et les pièces versées démontrent que la SARL Global Ambulances a cessé de faire rouler dans la même voiture Mme [F] et M. [V] dès qu'elle a été mise au courant de cette situation ; qu'elle a informé l'inspection du travail ; qu'elle a donc effectué tout ce qui était en son pouvoir pour respecter son obligation de sécurité », la cour d'appel a violé les articles 455, 542 et 472 du code de procédure civile. | Il résulte de l'article 472 du code de procédure civile qu'en appel, si l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, mais le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés. Aux termes de l'article 954, dernier alinéa, du même code, la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement est réputée s'en approprier les motifs.
Ainsi, s'il appartient à l'employeur de justifier du respect de son obligation de prévention du harcèlement sexuel, son absence de comparution devant la cour d'appel ne dispense pas cette juridiction d'examiner la pertinence des motifs par lesquels le premier juge s'est déterminé pour juger que l'employeur avait satisfait à son obligation de prévention |
8,514 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2023
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 67 FS-B
Pourvoi n° Y 21-21.265
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023
Mme [K] [G], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Y 21-21.265 contre l'arrêt rendu le 17 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6], dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5], dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [G], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, Mmes Chauve, Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 juin 2021) et les productions, [C] [G] est décédé lors de l'attentat terroriste commis le 13 novembre 2015 au Stade de France.
2. Après avoir reçu du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), à titre provisionnel, une certaine somme, Mme [G], veuve de [C] [G], a contesté l'offre d'indemnisation qu'il lui avait présentée. Un expert psychiatre, désigné par le FGTI, a constaté l'existence chez elle d'un état antérieur de lombalgies et scapulalgies, sans incidence sur le deuil traumatique qu'elle présentait, et a conclu, notamment, qu'elle n'avait pas besoin de l'assistance d'une tierce personne.
3. Mme [G], qui invoquait la perte de l'assistance que lui apportait son mari en raison des pathologies dont elle souffre, a assigné le FGTI devant un juge des référés afin d'obtenir, d'une part, l'instauration d'une mesure d'expertise confiée à un spécialiste en médecine physique et de réadaptation, d'autre part, le versement d'une provision complémentaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et sur le second moyen, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
5. Mme [G] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'expertise médicale somatique, alors :
« 3°/ que la perte pour une victime par ricochet de l'assistance que lui procurait un proche décédé lors d'un attentat terroriste constitue un préjudice indemnisable distinct du préjudice lié à l'assistance par une tierce personne indemnisant la perte d'autonomie de la victime à la suite de l'attentat ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'expertise somatique de Mme [G] visant à faire établir qu'elle avait subi un préjudice du fait de la perte de l'assistance humaine que lui procurait son mari avant son décès lors de l'attentat, que « le poste de préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne indemnise en outre la perte d'autonomie de la personne à la suite du fait dommageable, de sorte qu'une éventuelle indemnisation pour les besoins en tierce personne de Mme [G] par le fonds de garantie ne pourrait être en relation qu'avec un déficit fonctionnel subi du fait du caractère pathologique du deuil, ce que ne pourrait établir l'expertise somatique réclamée », cependant que le préjudice subi par la victime par ricochet constitué par la perte de l'assistance que lui procurait un proche décédé lors d'un attentat terroriste est distinct du poste de préjudice lié à l'assistance par une tierce personne indemnisant la perte d'autonomie de la victime à la suite de l'attentat, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé le principe de réparation intégrale et l'article 145 du code de procédure civile ;
4°/ s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « la perte d'autonomie de Mme [G] est (
) antérieure au décès de son époux et en lien avec un accident de travail préalable ; que la circonstance que [C] [G] pouvait lui apporter une aide et une assistance peut être en lien avec un préjudice patrimonial personnel de l'appelante ou la perte de chance de bénéficier d'une assistance viagère » ; que dès lors, en jugeant, pour rejeter la demande d'expertise somatique de Mme [G], que celle-ci ne démontre pas que le fonds pourrait être amené à indemniser ses besoins d'assistance et que le motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile d'une expertise somatique n'est pas caractérisé, cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que le décès de [C] [G], qui apportait une aide et une assistance quotidienne à son épouse, pouvait lui avoir causé un préjudice patrimonial personnel ou une perte de chance de bénéficier d'une assistance viagère de son conjoint, ce dont il résultait que la réparation de ces préjudices par le FGTI imposait que soient établis par une expertise ses besoins d'assistance et constituait donc un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile justifiant l'expertise somatique demandée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 145 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 145 du code de procédure civile :
6. Il résulte de ce texte que, pour apprécier l'existence d'un motif légitime, pour une partie, de conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, il n'appartient pas à la juridiction des référés de trancher le débat de fond sur les conditions de mise en oeuvre de l'action que cette partie pourrait ultérieurement engager.
7. Pour rejeter la demande de Mme [G] de désignation d'un nouvel expert afin d'apprécier son besoin d'assistance en aide humaine, avant et après l'attentat, du fait de ses lombalgies et scapulalgies, l'arrêt retient qu'une éventuelle indemnisation par le FGTI de ce besoin ne pourrait être en relation qu'avec un déficit fonctionnel subi du fait du caractère pathologique du deuil éprouvé, ce que ne pourrait établir l'expertise somatique sollicitée.
8. Il constate, ensuite, que la perte d'autonomie de Mme [G] résulte d'un accident du travail antérieur au décès de son époux et énonce que la circonstance que celui-ci pouvait lui apporter une assistance peut s'analyser en un préjudice patrimonial personnel de Mme [G] ou en une perte de chance de bénéficier d'une assistance viagère, mais non en un besoin en aide humaine en lien avec l'acte de terrorisme.
9. Il en conclut que Mme [G], sur laquelle repose la charge de la preuve, ne démontre pas que le FGTI pourrait être amené à indemniser ses besoins d'assistance et en déduit que le motif légitime exigé par l'article 145 du code de procédure civile n'est pas caractérisé.
10. En statuant ainsi, alors que le préjudice résultant de la perte, pour la victime par ricochet de l'assistance que lui apportait la victime directe d'un acte de terrorisme constitue un préjudice indemnisable selon les règles du droit commun, la cour d'appel, dont les constatations mettaient en évidence l'existence d'un litige potentiel entre Mme [G] et le FGTI, a statué par des motifs inopérants et violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'expertise médicale somatique présentée par Mme [G], l'arrêt rendu le 17 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et celle de Mme [G] dirigées contre la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] et la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6] et condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [G] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise ayant rejeté la demande présentée par Mme [K] [G] d'ordonner une expertise médicale somatique la concernant,
ALORS QUE 1°), le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en jugeant, pour rejeter la demande d'expertise somatique de Mme [G], qu'une telle expertise ne pourrait pas établir une éventuelle indemnisation pour les besoins en tierce personne de Mme [G] résultant d'un déficit fonctionnel subi du fait du caractère pathologique du deuil (arrêt, p. 7), cependant qu'il ressortait des termes clairs et précis des conclusions de Mme [G] (pp. 7-9) que celle-ci demandait la réalisation d'une expertise somatique afin d'obtenir l'évaluation de son préjudice constitué par la perte de l'assistance que lui procurait son mari avant son décès lors de l'attentat terroriste et non l'évaluation du poste de préjudice d'assistance par une tierce personne résultant d'un déficit fonctionnel causé par le deuil, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de Mme [G], en violation du principe susvisé,
ALORS QUE 2°), le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) doit assurer la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne consécutivement à un acte terroriste commis sur le territoire national ; que dès lors, en retenant, pour rejeter la demande d'expertise somatique de Mme [G], que le FGTI « a vocation en application de l'article L 126-1 du code des assurances, à indemniser le préjudice corporel issu d'un acte de terrorisme » (arrêt, p. 7) pour en déduire que Mme [G] ne démontrait pas que le fonds pourrait être amené à indemniser ses besoins d'assistance et que le motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile d'une expertise somatique n'était pas caractérisé (arrêt, p. 8), cependant que le FGTI doit assurer la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne à la suite d'un attentat, et non la réparation des seuls préjudices corporels, la cour d'appel a violé les articles L 126-1 et L 422-1 du code des assurances, ensemble l'article 145 du code de procédure civile,
ALORS QUE 3°), la perte pour une victime par ricochet de l'assistance que lui procurait un proche décédé lors d'un attentat terroriste constitue un préjudice indemnisable distinct du préjudice lié à l'assistance par une tierce personne indemnisant la perte d'autonomie de la victime à la suite de l'attentat ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'expertise somatique de Mme [G] visant à faire établir qu'elle avait subi un préjudice du fait de la perte de l'assistance humaine que lui procurait son mari avant son décès lors de l'attentat, que « le poste de préjudice lié à l'assistance d'une tierce personne indemnise en outre la perte d'autonomie de la personne à la suite du fait dommageable, de sorte qu'une éventuelle indemnisation pour les besoins en tierce personne de Mme [G] par le fonds de garantie ne pourrait être en relation qu'avec un déficit fonctionnel subi du fait du caractère pathologique du deuil, ce que ne pourrait établir l'expertise somatique réclamée » (arrêt, p. 7), cependant que le préjudice subi par la victime par ricochet constitué par la perte de l'assistance que lui procurait un proche décédé lors d'un attentat terroriste est distinct du poste de préjudice lié à l'assistance par une tierce personne indemnisant la perte d'autonomie de la victime à la suite de l'attentat, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé le principe de réparation intégrale et l'article 145 du code de procédure civile,
ALORS QUE 4°), s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « la perte d'autonomie de Mme [G] est (
) antérieure au décès de son époux et en lien avec un accident de travail préalable ; que la circonstance que M. [G] pouvait lui apporter une aide et une assistance peut être en lien avec un préjudice patrimonial personnel de l'appelante ou la perte de chance de bénéficier d'une assistance viagère » (arrêt, p. 7) ; que dès lors, en jugeant, pour rejeter la demande d'expertise somatique de Mme [G], que Mme [G] ne démontre pas que le fonds pourrait être amené à indemniser ses besoins d'assistance et que le motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile d'une expertise somatique n'est pas caractérisé, cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que le décès de M. [G], qui apportait une aide et une assistance quotidienne à son épouse, pouvait avoir causé un préjudice patrimonial personnel à celle-ci ou une perte de chance pour cette dernière de bénéficier d'une assistance viagère de son conjoint, ce dont il résultait que la réparation de ces préjudices par le FGTI imposait que soient établis par une expertise les besoins d'assistance de Mme [G] et constituait donc un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile justifiant l'expertise somatique demandée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 145 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [G] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise ayant rejeté la demande présentée par Mme [K] [G] de versement d'une indemnité provisionnelle complémentaire à valoir sur la liquidation définitive de son préjudice corporel, alors que celui-ci est en état d'être liquidé,
ALORS QUE 1°), dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'indemnité provisionnelle complémentaire de Mme [G], que celle-ci ne pouvait se limiter à faire état de l'existence, d'une offre d'indemnisation globale émise à titre amiable par le FGTI d'un montant de 67 500 €, supérieur aux provisions, d'un montant total de 50 000 €, déjà versées par le FGTI, pour établir la hauteur non contestable de la provision sollicitée, sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions de Mme [G], p. 10), si le FGTI s'étant engagé à maintenir cette offre d'indemnisation en cas de procédure judiciaire, le montant de celle-ci était certaine et constituait donc une obligation non sérieusement contestable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 835 du code de procédure civile,
ALORS QUE 2°), l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile exige seulement du juge des référés, pour accorder une provision au créancier, la constatation de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable ; que dès lors, en rejetant la demande de provision complémentaire de Mme [G] aux motifs adoptés que la demande d'expertise de celle-ci ayant été rejeté, le préjudice corporel de Mme [G] serait en état d'être liquidé au fond (ordonnance du 15 octobre 2020, p. 5), la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et a violé l'article 835 du code de procédure civile. | Il résulte de l'article 145 du code de procédure civile que pour apprécier l'existence d'un motif légitime pour une partie de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, il n'appartient pas à la juridiction des référés de trancher les conditions de mise en oeuvre de l'action que cette partie pourrait ultérieurement engager.
Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, après avoir constaté qu'avant son décès, résultant d'un acte de terrorisme, la victime pouvait apporter à son épouse une assistance pour pallier sa perte d'autonomie résultant d'un accident du travail antérieur, rejette la demande de sa veuve de désignation d'un expert pour apprécier son besoin d'assistance en aide humaine, au motif inopérant qu'elle ne démontre pas que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions pourrait être amené à indemniser ses besoins d'assistance, alors que le préjudice résultant de la perte, pour la victime par ricochet, de l'assistance que lui apportait la victime directe d'un acte de terrorisme constitue un préjudice indemnisable selon les règles du droit commun |
8,515 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 68 FS-B
Pourvoi n° C 21-22.028
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023
Mme [L] [V], épouse [H], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-22.028 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à l'association le groupe Audiens, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [V], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, Mmes Chauve, Isola, conseillers, MM. Ittah et Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juillet 2021) et les productions, le 7 janvier 2015, Mme [V], salariée du journal Charlie Hebdo, travaillait à son domicile lorqu'elle a été prévenue par téléphone par son mari, M. [H], qui y était aussi employé et se trouvait alors dans les locaux du journal, qu'un attentat venait d'y être perpétré. Elle s'est rendue immédiatement sur place, alors que les corps des victimes de l'attentat n'avaient pas encore été évacués.
2. Après avoir été informée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) de son refus de l'indemniser au motif qu'elle n'avait pas la qualité de victime directe de cet attentat, Mme [V] l'a assigné en référé devant le tribunal judiciaire de Paris afin d'obtenir l'instauration d'une mesure d'expertise et le versement d'une provision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [V] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé et de la débouter de l'ensemble de ses demandes, alors « que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'à cet égard, la chose jugée sur les intérêts civils par la juridiction répressive s'impose au juge civil ; que par suite, dès lors que le juge répressif a déclaré l'action civile recevable à raison de l'existence d'un préjudice personnel, actuel et certain résultant directement des faits à l'origine des condamnations, il est exclu que le juge civil appelé à examiner les demandes indemnitaires des parties civiles sur renvoi opéré en application de l'article 706-1 du code de procédure pénale remette en cause l'existence d'un préjudice en lien direct avec l'attentat terroriste ; qu'en l'espèce, la cour d'assises de Paris, par arrêt du 14 avril 2021, a déclaré Mme [V], épouse [H], recevable dans son action civile à raison de l'existence d'un préjudice personnel, actuel et certain résultant directement des faits pour lesquels les accusés ont été condamnés ; qu'en jugeant cette déclaration de recevabilité sans incidence pour cette raison que le juge civil dispose d'une compétence exclusive pour connaître de l'action en indemnisation exercée par les parties civiles, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 2 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen relevée d'office
4. Il ne ressort ni de l'arrêt, ni des conclusions de Mme [V] qu'elle ait soulevé la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée sur le civil de l'arrêt civil de la cour d'assises spécialement composée ayant statué sur la recevabilité des constitutions de parties civiles.
5. Ce moyen nouveau, mélangé de fait et de droit, est, dès lors, irrecevable.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Mme [V] fait le même grief à l'arrêt, alors « que les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'à ce titre, il leur appartient, dès lors qu'ils décident de relever un moyen d'office, d'inviter au préalable les parties à formuler leurs observations ; qu'en opposant en l'espèce que les demandes d'expertise et de provision de Mme [V], épouse [H], ne pouvaient prospérer faute pour cette dernière, qui revêtait la qualité de victime par ricochet, de produire aucun élément relatif à l'état de santé de son mari, la cour d'appel, qui n'a pas sollicité les observations préalables des parties sur ce moyen relevé d'office, a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, §1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
7. Selon ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
8. Pour débouter Mme [V] de ses demandes, après avoir relevé qu'aucune pièce relative à l'état de santé de son mari, seule victime directe de l'attentat, n'est versée aux débats et que les seuls éléments médicaux produits la concernent, l'arrêt énonce que la preuve, tant de sa qualité de victime par ricochet de l'attentat, que de l'existence de son préjudice moral ou d'affection, n'est pas rapportée.
9. En statuant ainsi, alors que la qualité de victime directe de M. [H] n'était pas contestée, la cour d'appel, qui n'a pas au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ces points, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à Mme [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour Mme [V]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [V], épouse [H], fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à référé, et de l'AVOIR déboutée de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE sur la demande de provision, aux termes de l'article L. 126-1 du code des assurances, «les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3» ; que selon l'article L. 422-1, alinéa 1er, du code des assurances, « pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions » ; que l'article L. 422-2 du code des assurances précise, en ses premier et troisième alinéas, que «le fonds de garantie est tenu, dans un délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit, sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés [...]. Le fonds de garantie est tenu de présenter à toute victime une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois à compter du jour où il reçoit de celle-ci la justification de ses préjudices [...]» ; que Mme [H] soutient que les victimes indirectes ou par ricochet d'un attentat ont un droit à indemnisation intégrale de leur préjudice, les textes ne distinguant pas selon la qualité de la victime et la jurisprudence reconnaissant un droit à indemnisation des victimes par ricochet pour les infractions autres que les attentats ; qu'elle relève que le FGTI lui-même reconnaît un droit à indemnisation des victimes indirectes, sans distinguer selon que la victime directe est décédée ou non, citant le «guide du FGTI pour l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme » et des communications récentes du fonds sur les réseaux sociaux ; qu'elle ajoute que sa constitution de partie civile a été déclarée recevable par la cour d'assises spéciale de Paris dans son arrêt du 14 avril 2021 et que son traumatisme grave, imputable à l'attentat du 7 janvier 2015, a été reconnu unanimement par le corps médical ; que le FGTI objecte que Mme [H] ne peut être une victime directe, n'ayant pas été exposée au risque le jour des attentats puisqu'elle se trouvait à son domicile ; qu'il ajoute que l'article L. 422-2, alinéa 1er, du code des assurances énonce de manière limitative les personnes éligibles à l'indemnisation, à savoir, les victimes directes et les ayants droit des victimes décédées, et que Mme [H] ne répond à aucun de ces critères, la recevabilité de sa constitution de partie civile reconnue le 14 avril 2021 par la cour d'assises spéciale de Paris étant sans incidence, dès lors que le juge civil est seul compétent pour se prononcer sur le droit à indemnisation ; qu'il soutient qu'il existe une contestation sérieuse sur le droit à indemnisation, en présence de deux thèses opposées des parties, de sorte que le juge des référés ne peut se prononcer ; que la cour relève que Mme [H] ne peut être qualifiée juridiquement de victime directe des attentats du 7 janvier 2015 dès lors qu'elle n'était pas sur les lieux lors du drame mais à son domicile et qu'elle ne s'est donc pas trouvée exposée directement à l'acte terroriste commis au journal Charlie Hebdo ; qu'en revanche, elle peut être qualifiée de victime indirecte ou par ricochet dès lors que son conjoint était présent sur place lors de l'attentat terroriste, ce qui n'est pas contesté ; que contrairement à ce qui est soutenu par le FGTI, le droit à indemnisation de la victime par ricochet n'est pas exclu par principe ; qu'en effet, les textes précités du code des assurances ne comportent aucune restriction s'agissant de la qualité de la victime et prévoient au contraire l'indemnisation, par le FGTI, de « toute victime» ; que si l'article L. 422-2, alinéa 1er, du code des assurances précise que le FGTI est tenu à indemnisation des ayants droit en cas de décès de la victime, il n'exclut pas pour autant l'indemnisation de la victime par ricochet, qui est elle-même une victime et ne peut être juridiquement assimilée à un ayant droit ; qu'à cet égard, le « guide pour l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme », édité par le FGTI lui-même et produit par l'appelante, reconnaît expressément un droit à indemnisation des victimes indirectes, y compris « en cas de survie de la victime directe » ; que les modalités d'indemnisation des différents préjudices, patrimoniaux et extrapatrimoniaux, sont détaillées par le fonds, qui précise notamment que ces préjudices incluent le « préjudice d'affection », destiné à « réparer le préjudice moral subi par certains proches de victimes lourdement handicapées à la vue de la douleur et de la souffrance de la victime directe », les proches spécifiquement concernés étant « les conjoints, les ascendants, descendants et fratries » et « l'indemnisation [tenant] compte du degré de parenté » ; que me guide mentionne ensuite l'existence de « préjudices extra-patrimoniaux exceptionnels » pour les « proches partageant une communauté de vie (cohabitation) avec la victime lourdement handicapée, pour prendre en compte les situations exceptionnelles pour lesquelles les postes de préjudice « classiques » ne suffisent plus » ; que l'indemnisation des préjudices des proches en cas de survie de la victime directe est donc expressément prévue ; que la circonstance que la question de droit soulevée devant le juge des référés n'ait jamais été tranchée par une jurisprudence définitive des juridictions du fond ou procède d'une analyse approfondie des textes normatifs applicables n'est pas, en soi, de nature à constituer une contestation sérieuse ; que l'existence de thèses opposées des parties ne caractérise pas davantage, en soi, une contestation sérieuse ; qu'il n'existe donc pas d'obstacle de principe à l'obtention, par Mme [H], d'une provision du FGTI en sa qualité de victime indirecte ; que cependant, la cour ne peut que relever que celle-ci ne produit aucun élément sur l'état de santé de la victime directe, M. [H] ; qu'aucune pièce le concernant n'est versée aux débats, les seuls éléments médicaux concernant Mme [H] ; qu'en l'absence de tout élément relatif à l'état de santé de la victime directe, le préjudice moral ou d'affection subi par la victime indirecte qu'est Mme [H] n'est pas établi et sa demande de provision sera donc rejetée ; que la recevabilité de la constitution de partie civile de Mme [H] prononcée par l'arrêt de la cour d'assises spéciale de Paris du 14 avril 2021 est sans incidence puisqu'il résulte de l'article 706-16-1 du code de procédure pénale que, lorsqu'elle est exercée devant les juridictions répressives, l'action civile portant sur une infraction qui constitue un acte de terrorisme ne peut avoir pour objet que de mettre en mouvement l'action publique ou de soutenir cette action ; elle ne peut tendre à la réparation du dommage causé par cette infraction ; l'action civile en réparation de ce dommage ne peut être exercée que devant une juridiction civile, séparément de l'action publique [
] ; que sur la demande d'expertise, aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; que pour ordonner une expertise en application de ce texte, le juge des référés doit constater l'existence d'un procès « en germe », possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée ; qu'en l'espèce, le motif légitime n'est pas caractérisé dès lors que Mme [H] ne produit aucune pièce pour justifier de l'état de santé de son mari et, par suite, de sa qualité de victime par ricochet de celui-ci, seule victime directe de l'attentat ;
ALORS QUE l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'à cet égard, la chose jugée sur les intérêts civils par la juridiction répressive s'impose au juge civil ; que par suite, dès lors que le juge répressif a déclaré l'action civile recevable à raison de l'existence d'un préjudice personnel, actuel et certain résultant directement des faits à l'origine des condamnations, il est exclu que le juge civil appelé à examiner les demandes indemnitaires des parties civiles sur renvoi opéré en application de l'article 706-16-1 du code de procédure pénale remette en cause l'existence d'un préjudice en lien direct avec l'attentat terroriste ; qu'en l'espèce, la cour d'assises de Paris, par arrêt du 14 avril 2021, a déclaré [L] [V], épouse [H], recevable dans son action civile à raison de l'existence d'un préjudice personnel, actuel et certain résultant directement des faits pour lesquels les accusés ont été condamnés ; qu'en jugeant cette déclaration de recevabilité sans incidence pour cette raison que le juge civil dispose d'une compétence exclusive pour connaître de l'action en indemnisation exercée par les parties civiles, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 2 du code de procédure pénale.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Mme [V], épouse [H], fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à référé, et de l'AVOIR déboutée de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE sur la demande de provision, aux termes de l'article L. 126-1 du code des assurances, «les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3 » ; que selon l'article L. 422-1, alinéa 1er, du code des assurances, « pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions» ; que l'article L. 422-2 du code des assurances précise, en ses premier et troisième alinéas, que « le fonds de garantie est tenu, dans un délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit, sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés [...]. Le fonds de garantie est tenu de présenter à toute victime une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois à compter du jour où il reçoit de celle-ci la justification de ses préjudices [...] » ; que Mme [H] soutient que les victimes indirectes ou par ricochet d'un attentat ont un droit à indemnisation intégrale de leur préjudice, les textes ne distinguant pas selon la qualité de la victime et la jurisprudence reconnaissant un droit à indemnisation des victimes par ricochet pour les infractions autres que les attentats ; qu'elle relève que le FGTI lui-même reconnaît un droit à indemnisation des victimes indirectes, sans distinguer selon que la victime directe est décédée ou non, citant le « guide du FGTI pour l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme » et des communications récentes du fonds sur les réseaux sociaux ; qu'elle ajoute que sa constitution de partie civile a été déclarée recevable par la cour d'assises spéciale de Paris dans son arrêt du 14 avril 2021 et que son traumatisme grave, imputable à l'attentat du 7 janvier 2015, a été reconnu unanimement par le corps médical ; que le FGTI objecte que Mme [H] ne peut être une victime directe, n'ayant pas été exposée au risque le jour des attentats puisqu'elle se trouvait à son domicile ; qu'il ajoute que l'article L. 422-2, alinéa 1er, du code des assurances énonce de manière limitative les personnes éligibles à l'indemnisation, à savoir, les victimes directes et les ayants droit des victimes décédées, et que Mme [H] ne répond à aucun de ces critères, la recevabilité de sa constitution de partie civile reconnue le 14 avril 2021 par la cour d'assises spéciale de Paris étant sans incidence, dès lors que le juge civil est seul compétent pour se prononcer sur le droit à indemnisation ; qu'il soutient qu'il existe une contestation sérieuse sur le droit à indemnisation, en présence de deux thèses opposées des parties, de sorte que le juge des référés ne peut se prononcer ; que la cour relève que Mme [H] ne peut être qualifiée juridiquement de victime directe des attentats du 7 janvier 2015 dès lors qu'elle n'était pas sur les lieux lors du drame mais à son domicile et qu'elle ne s'est donc pas trouvée exposée directement à l'acte terroriste commis au journal Charlie Hebdo ; qu'en revanche, elle peut être qualifiée de victime indirecte ou par ricochet dès lors que son conjoint était présent sur place lors de l'attentat terroriste, ce qui n'est pas contesté ; que contrairement à ce qui est soutenu par le FGTI, le droit à indemnisation de la victime par ricochet n'est pas exclu par principe ; qu'en effet, les textes précités du code des assurances ne comportent aucune restriction s'agissant de la qualité de la victime et prévoient au contraire l'indemnisation, par le FGTI, de «toute victime» ; que si l'article L. 422-2, alinéa 1er, du code des assurances précise que le FGTI est tenu à indemnisation des ayants droit en cas de décès de la victime, il n'exclut pas pour autant l'indemnisation de la victime par ricochet, qui est elle-même une victime et ne peut être juridiquement assimilée à un ayant droit ; qu'à cet égard, le «guide pour l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme», édité par le FGTI lui-même et produit par l'appelante, reconnaît expressément un droit à indemnisation des victimes indirectes, y compris «en cas de survie de la victime directe» ; que les modalités d'indemnisation des différents préjudices, patrimoniaux et extrapatrimoniaux, sont détaillées par le fonds, qui précise notamment que ces préjudices incluent le «préjudice d'affection», destiné à «réparer le préjudice moral subi par certains proches de victimes lourdement handicapées à la vue de la douleur et de la souffrance de la victime directe», les proches spécifiquement concernés étant «les conjoints, les ascendants, descendants et fratries» et «l'indemnisation [tenant] compte du degré de parenté» ; que me guide mentionne ensuite l'existence de «préjudices extra-patrimoniaux exceptionnels» pour les « proches partageant une communauté de vie (cohabitation) avec la victime lourdement handicapée, pour prendre en compte les situations exceptionnelles pour lesquelles les postes de préjudice «classiques» ne suffisent plus » ; que l'indemnisation des préjudices des proches en cas de survie de la victime directe est donc expressément prévue ; que la circonstance que la question de droit soulevée devant le juge des référés n'ait jamais été tranchée par une jurisprudence définitive des juridictions du fond ou procède d'une analyse approfondie des textes normatifs applicables n'est pas, en soi, de nature à constituer une contestation sérieuse ; que l'existence de thèses opposées des parties ne caractérise pas davantage, en soi, une contestation sérieuse ; qu'il n'existe donc pas d'obstacle de principe à l'obtention, par Mme [H], d'une provision du FGTI en sa qualité de victime indirecte ; que cependant, la cour ne peut que relever que celle-ci ne produit aucun élément sur l'état de santé de la victime directe, M. [H] ; qu'aucune pièce le concernant n'est versée aux débats, les seuls éléments médicaux concernant Mme [H] ; qu'en l'absence de tout élément relatif à l'état de santé de la victime directe, le préjudice moral ou d'affection subi par la victime indirecte qu'est Mme [H] n'est pas établi et sa demande de provision sera donc rejetée ; que la recevabilité de la constitution de partie civile de Mme [H] prononcée par l'arrêt de la cour d'assises spéciale de Paris du 14 avril 2021 est sans incidence puisqu'il résulte de l'article 706-16-1 du code de procédure pénale que, lorsqu'elle est exercée devant les juridictions répressives, l'action civile portant sur une infraction qui constitue un acte de terrorisme ne peut avoir pour objet que de mettre en mouvement l'action publique ou de soutenir cette action ; elle ne peut tendre à la réparation du dommage causé par cette infraction ; l'action civile en réparation de ce dommage ne peut être exercée que devant une juridiction civile, séparément de l'action publique [
] ;
que sur la demande d'expertise, aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; que pour ordonner une expertise en application de ce texte, le juge des référés doit constater l'existence d'un procès « en germe », possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée ; qu'en l'espèce, le motif légitime n'est pas caractérisé dès lors que Mme [H] ne produit aucune pièce pour justifier de l'état de santé de son mari et, par suite, de sa qualité de victime par ricochet de celui-ci, seule victime directe de l'attentat ;
ALORS QUE les juges sont tenus de faire respecter et de respecter eux-mêmes le principe de la contradiction ; qu'à ce titre, il leur appartient, dès lors qu'ils décident de relever un moyen d'office, d'inviter au préalable les parties à formuler leurs observations ; qu'en opposant en l'espèce que les demandes d'expertise et de provision de Mme [V], épouse [H], ne pouvaient prospérer faute pour cette dernière, qui revêtait la qualité de victime par ricochet, de produire aucun élément relatif à l'état de santé de son mari, la cour d'appel, qui n'a pas sollicité les observations préalables des parties sur ce moyen relevé d'office, a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Mme [V], épouse [H], fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à référé, et de l'AVOIR déboutée de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE sur la demande de provision, aux termes de l'article L. 126-1 du code des assurances, «les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3» ; que selon l'article L. 422-1, alinéa 1er, du code des assurances, « pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions» ; que l'article L. 422-2 du code des assurances précise, en ses premier et troisième alinéas, que «le fonds de garantie est tenu, dans un délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit, sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés [...]. Le fonds de garantie est tenu de présenter à toute victime une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois à compter du jour où il reçoit de celle-ci la justification de ses préjudices [...]» ; que Mme [H] soutient que les victimes indirectes ou par ricochet d'un attentat ont un droit à indemnisation intégrale de leur préjudice, les textes ne distinguant pas selon la qualité de la victime et la jurisprudence reconnaissant un droit à indemnisation des victimes par ricochet pour les infractions autres que les attentats ; qu'elle relève que le FGTI lui-même reconnaît un droit à indemnisation des victimes indirectes, sans distinguer selon que la victime directe est décédée ou non, citant le «guide du FGTI pour l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme» et des communications récentes du fonds sur les réseaux sociaux ; qu'elle ajoute que sa constitution de partie civile a été déclarée recevable par la cour d'assises spéciale de Paris dans son arrêt du 14 avril 2021 et que son traumatisme grave, imputable à l'attentat du 7 janvier 2015, a été reconnu unanimement par le corps médical ; que le FGTI objecte que Mme [H] ne peut être une victime directe, n'ayant pas été exposée au risque le jour des attentats puisqu'elle se trouvait à son domicile ; qu'il ajoute que l'article L. 422-2, alinéa 1er, du code des assurances énonce de manière limitative les personnes éligibles à l'indemnisation, à savoir, les victimes directes et les ayants droit des victimes décédées, et que Mme [H] ne répond à aucun de ces critères, la recevabilité de sa constitution de partie civile reconnue le 14 avril 2021 par la cour d'assises spéciale de Paris étant sans incidence, dès lors que le juge civil est seul compétent pour se prononcer sur le droit à indemnisation ; qu'il soutient qu'il existe une contestation sérieuse sur le droit à indemnisation, en présence de deux thèses opposées des parties, de sorte que le juge des référés ne peut se prononcer ; que la cour relève que Mme [H] ne peut être qualifiée juridiquement de victime directe des attentats du 7 janvier 2015 dès lors qu'elle n'était pas sur les lieux lors du drame mais à son domicile et qu'elle ne s'est donc pas trouvée exposée directement à l'acte terroriste commis au journal Charlie Hebdo ; qu'en revanche, elle peut être qualifiée de victime indirecte ou par ricochet dès lors que son conjoint était présent sur place lors de l'attentat terroriste, ce qui n'est pas contesté ; que contrairement à ce qui est soutenu par le FGTI, le droit à indemnisation de la victime par ricochet n'est pas exclu par principe ; qu'en effet, les textes précités du code des assurances ne comportent aucune restriction s'agissant de la qualité de la victime et prévoient au contraire l'indemnisation, par le FGTI, de « toute victime» ; que si l'article L. 422-2, alinéa 1er, du code des assurances précise que le FGTI est tenu à indemnisation des ayants droit en cas de décès de la victime, il n'exclut pas pour autant l'indemnisation de la victime par ricochet, qui est elle-même une victime et ne peut être juridiquement assimilée à un ayant droit ; qu'à cet égard, le «guide pour l'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme», édité par le FGTI lui-même et produit par l'appelante, reconnaît expressément un droit à indemnisation des victimes indirectes, y compris «en cas de survie de la victime directe» ; que les modalités d'indemnisation des différents préjudices, patrimoniaux et extra patrimoniaux, sont détaillées par le fonds, qui précise notamment que ces préjudices incluent le «préjudice d'affection», destiné à « réparer le préjudice moral subi par certains proches de victimes lourdement handicapées à la vue de la douleur et de la souffrance de la victime directe», les proches spécifiquement concernés étant «les conjoints, les ascendants, descendants et fratries» et «l'indemnisation [tenant] compte du degré de parenté» ; que me guide mentionne ensuite l'existence de «préjudices extra-patrimoniaux exceptionnels» pour les «proches partageant une communauté de vie (cohabitation) avec la victime lourdement handicapée, pour prendre en compte les situations exceptionnelles pour lesquelles les postes de préjudice «classiques» ne suffisent plus» ; que l'indemnisation des préjudices des proches en cas de survie de la victime directe est donc expressément prévue ; que la circonstance que la question de droit soulevée devant le juge des référés n'ait jamais été tranchée par une jurisprudence définitive des juridictions du fond ou procède d'une analyse approfondie des textes normatifs applicables n'est pas, en soi, de nature à constituer une contestation sérieuse ; que l'existence de thèses opposées des parties ne caractérise pas davantage, en soi, une contestation sérieuse ; qu'il n'existe donc pas d'obstacle de principe à l'obtention, par Mme [H], d'une provision du FGTI en sa qualité de victime indirecte ; que cependant, la cour ne peut que relever que celle-ci ne produit aucun élément sur l'état de santé de la victime directe, M. [H] ; qu'aucune pièce le concernant n'est versée aux débats, les seuls éléments médicaux concernant Mme [H] ; qu'en l'absence de tout élément relatif à l'état de santé de la victime directe, le préjudice moral ou d'affection subi par la victime indirecte qu'est Mme [H] n'est pas établi et sa demande de provision sera donc rejetée ; que la recevabilité de la constitution de partie civile de Mme [H] prononcée par l'arrêt de la cour d'assises spéciale de Paris du 14 avril 2021 est sans incidence puisqu'il résulte de l'article 706-16-1 du code de procédure pénale que, lorsqu'elle est exercée devant les juridictions répressives, l'action civile portant sur une infraction qui constitue un acte de terrorisme ne peut avoir pour objet que de mettre en mouvement l'action publique ou de soutenir cette action ; elle ne peut tendre à la réparation du dommage causé par cette infraction ; l'action civile en réparation de ce dommage ne peut être exercée que devant une juridiction civile, séparément de l'action publique [
] ;
que sur la demande d'expertise, aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; que pour ordonner une expertise en application de ce texte, le juge des référés doit constater l'existence d'un procès « en germe », possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée ; qu'en l'espèce, le motif légitime n'est pas caractérisé dès lors que Mme [H] ne produit aucune pièce pour justifier de l'état de santé de son mari et, par suite, de sa qualité de victime par ricochet de celui-ci, seule victime directe de l'attentat ;
1) ALORS QUE constitue un préjudice par ricochet celui qui procède pour un tiers du préjudice subi par la victime directe du fait dommageable ; qu'en l'espèce, il était constant que Mme [V], épouse [H], sollicitait la réparation de préjudices liés notamment au traumatisme subi par elle lors de la découverte des corps de ses collègues de travail dans les locaux du journal Charlie Hebdo quelques minutes après l'attentat perpétré le 7 janvier 2015 ; qu'elle se prévalait à ce titre d'un préjudice personnel qui ne dépendait pas de celui subi par son mari présent dans les locaux lors de l'attaque terroriste ; qu'en qualifiant néanmoins Mme [V], épouse [H], de victime par ricochet, pour lui dénier tout droit à indemnisation faute d'établir les préjudices subis par M. [H], la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances ;
2) ALORS, subsidiairement, QUE le préjudice par ricochet est réparable dès lors qu'il est personnel, direct, certain et licite ; qu'à ce titre, le préjudice, même par ricochet, s'apprécie en la personne de celui qui le subit ; qu'en conditionnant en l'espèce l'indemnisation des préjudices personnellement soufferts par Mme [V], épouse [H], fût-ce par ricochet de ceux de son mari, à l'identification et l'évaluation de ces derniers, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, ensemble le principe de la réparation intégrale.
QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Mme [V], épouse [H], fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à référé, et de l'AVOIR déboutée de sa demande d'expertise médicale ;
AUX MOTIFS QUE sur la demande d'expertise, aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ; que pour ordonner une expertise en application de ce texte, le juge des référés doit constater l'existence d'un procès « en germe », possible et non manifestement voué à l'échec, dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée ; qu'en l'espèce, le motif légitime n'est pas caractérisé dès lors que Mme [H] ne produit aucune pièce pour justifier de l'état de santé de son mari et, par suite, de sa qualité de victime par ricochet de celui-ci, seule victime directe de l'attentat ;
ALORS QU'une expertise judiciaire peut être ordonnée avant tout procès s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ; qu'en jugeant en l'espèce qu'il n'existait pas de motif légitime à la demande d'expertise de Mme [V], épouse [H], pour cette raison qu'il n'était produit aucune pièce justifiant de l'état de santé de son mari, quand l'expertise sollicitée avait pour objet d'évaluer les préjudices de Mme [V] et non de son mari, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile. | Viole l'article 16 du code de procédure civile, la cour d'appel qui, pour rejeter les demandes d'expertise et de provision présentées en référé par l'épouse d'une personne, dont la qualité de victime directe d'un attentat terroriste n'était pas contestée, sous couvert d'un moyen pris de sa carence dans l'administration de la preuve tant de sa qualité de victime par ricochet d'un attentat que de l'existence de son préjudice moral ou d'affection, relève qu'aucune pièce relative à l'état de santé de son mari n'est versée aux débats, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ces points |
8,516 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 70 FS-B
Pourvoi n° Q 21-12.264
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023
Mme [O] [N], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 21-12.264 contre l'arrêt n° 19/16472 rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige l'opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 4], ayant une délégation au [Adresse 3], représenté par le directeur général du fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages sur délégation du conseil d'administration du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions,
2°/ au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [N], de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Martin, Mmes Chauve, Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mme Philippart, conseillers référendaires, Mme Nicolétis, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 décembre 2020), [C] [N] a été victime d'un assassinat dont l'auteur a été condamné par une cour d'assises à payer diverses sommes à Mmes [O] et [V] [N], filles de la victime, alors âgées respectivement de 22 et de 13 ans.
2. Depuis le divorce de leurs parents, celles-ci vivaient chez leur mère, leur père versant à cette dernière une contribution à leur entretien et à leur éducation. Après le décès de leur mère, elles sont allées vivre chez leur père.
3. Mme [O] [N] a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
4. Contestant l'évaluation du préjudice économique de Mme [O] [N] indemnisé par cette juridiction, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a formé un recours devant une cour d'appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. Mme [O] [N] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu de l'indemniser au titre d'un préjudice économique et de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, alors « que pour fixer le préjudice économique subi par la fille de la victime, du fait du décès de celle-ci causé par une infraction, ne doit pas être pris en considération ce qui n'est pas la conséquence directe et nécessaire du décès ; qu'en prenant néanmoins en considération l'obligation alimentaire due par le père, pour dire n'y avoir lieu d'indemniser la fille de la victime au titre d'un préjudice économique lié à la perte du revenu que lui procurait sa défunte mère sur le fondement de son obligation d'entretien et d'éducation, cependant que l'obligation alimentaire du père – qui préexistait au décès de victime – n'était pas « la cause » [lire « la conséquence »] directe et nécessaire du décès, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour les ayants droit de la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
6. Le préjudice économique d'un enfant résultant du décès d'un de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, ces circonstances étant sans incidence sur leur obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, ni du lieu de résidence de celui-ci.
7. Il en résulte qu'en cas de décès du parent chez lequel vivait l'enfant, le préjudice économique subi par ce dernier doit être évalué en prenant en considération, comme élément de référence, les revenus annuels de ses parents avant le décès, en tenant compte, en premier lieu, de la part d'autoconsommation de chacun d'eux et des charges fixes qu'ils supportaient dans leur foyer respectif, et, en second lieu, de la part de revenu du parent survivant pouvant être consacrée à l'enfant.
8. Pour dire n'y avoir lieu d'indemniser Mme [O] [N] au titre d'un préjudice économique, la cour d'appel a d'abord rappelé que si le décès d'[C] [N] met un terme à la pension alimentaire que lui versait son ex-époux de son vivant pour l'entretien de leur fille, l'obligation alimentaire du père, qui en était le fondement juridique, survit du décès de la mère jusqu'à la majorité économique de l'enfant, sans qu'il y ait lieu de s'attacher au défaut d'appartenance du père au foyer fiscal dont relevaient la victime et leur fille à la date du décès ou à l'évolution des revenus du père postérieurement à cette date. Elle a ensuite constaté que depuis le transfert du lieu de sa résidence chez son père, le revenu disponible pour Mme [O] [N] avait doublé.
9. En statuant ainsi, en comparant la part des revenus de la mère de Mme [O] [N], incluant la pension alimentaire versée par son père, qui pouvait être dédiée à son entretien et à son éducation, avec le montant que ce dernier pouvait lui consacrer après le décès, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à payer à Mme [O] [N] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour Mme [N]
Madame [O] [N] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement du 23 septembre 2019 rendu par la CIVI du tribunal de grande instance de Grasse en ce qu'il avait alloué à madame [O] [N] la somme de 21.083,46 euros en réparation d'un préjudice économique (19.338,02 euros après imputation du capital-décès versé par la caisse primaire d'assurance-maladie), d'avoir dit n'y avoir lieu d'indemniser madame [O] [N] au titre d'un préjudice économique et d'avoir débouté madame [O] [N] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
1°/ Alors que le préjudice économique que constitue pour un enfant la perte du revenu que lui procurait sa mère, sur le fondement de la propre obligation alimentaire de celle-ci à son égard, doit être intégralement réparé sur la base du revenu de la victime disponible pour sa fille au moment du décès ; qu'en refusant au contraire d'indemniser la fille de la victime au titre d'un préjudice économique, cependant qu'elle avait constaté qu'après déduction de la part d'autoconsommation de la mère de ses revenus annuels au moment du décès, le revenu disponible pour sa fille s'élevait à la somme de 7.101,20 euros (arrêt, p. 6, dernier §), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 706-3 du code de procédure pénale et 371-2 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour les ayants droit de la victime ;
2°/ Alors que le décès d'un parent tenu de contribuer à l'entretien et à l'éducation de son enfant mineur cause nécessairement à celui-ci un préjudice économique, tenant à la perte de cette contribution, quoi qu'il en soit par ailleurs de la contribution pouvant être due par l'autre parent, sauf à ce qu'il soit constaté que le parent défunt tirait l'intégralité de ses revenus de la contribution versée par l'autre parent ; qu'en se fondant néanmoins, pour dénier l'existence du préjudice économique subi par madame [O] [N] du fait du décès de sa mère, sur l'obligation alimentaire du père de l'enfant (arrêt, p. 6, §§ 8 et 12, et p. 7, § 1er), sans constater que la mère défunte aurait tiré l'intégralité de ses revenus d'une contribution à l'entretien et à l'éducation versée par le père, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;
3°/ Alors, en outre, que pour fixer le préjudice économique subi par la fille de la victime, du fait du décès de celle-ci causé par une infraction, ne doit pas être pris en considération ce qui n'est pas la conséquence directe et nécessaire du décès ; qu'en prenant néanmoins en considération l'obligation alimentaire due par le père (arrêt, p. 6, §§ 8 et 12 et p. 7 § 1er), pour dire n'y avoir lieu d'indemniser la fille de la victime au titre d'un préjudice économique lié à la perte du revenu que lui procurait sa défunte mère sur le fondement de son obligation d'entretien et d'éducation, cependant que l'obligation alimentaire du père – qui préexistait au décès de victime – n'était pas la cause directe et nécessaire du décès, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour les ayants droit de la victime ;
4°/ Alors, à titre subsidiaire, qu'à supposer même que, dans le cas particulier où le père de la fille de la victime versait une pension alimentaire à la mère avant son décès, ce revenu doive être pris en considération dans l'évaluation du préjudice économique de la fille de la victime, cela ne pourrait être que dans la mesure où celle-ci continue effectivement à percevoir ce revenu après le décès de sa mère ; qu'en se bornant à relever, pour dire n'y avoir lieu d'indemniser la fille au titre de son préjudice économique lié à la perte du revenu que lui procurait sa défunte mère au titre de son obligation d'entretien et d'éducation, que l'obligation alimentaire du père, qui constituait le fondement de la pension alimentaire versée à la mère, ne s'était pas éteinte au décès de celle-ci (arrêt, p. 6, § 8), sans rechercher, comme elle y avait pourtant été invitée par madame [O] [N] (conclusions, p. 9, dernier § et p. 10, § 1er), si, après le décès de sa mère, la fille de la victime avait continué à bénéficier du revenu tiré de l'obligation alimentaire due par son père, cependant qu'elle était allée vivre à Paris puis aux Pays-bas pour ses études et n'était donc nullement à la charge quotidienne de son père, lequel avait refait sa vie, était professionnellement en dépôt de bilan et était parti vivre dans l'Ile de la Réunion en ne lui versant aucune somme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 706-3 du code de procédure pénale et 371-2 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour les ayants droit de la victime. | Le préjudice économique d'un enfant résultant du décès d'un de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, ces circonstances étant sans incidence sur leur obligation de contribuer à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, ni du lieu de résidence de celui-ci.
Il en résulte qu'en cas de décès du parent chez lequel vivait l'enfant, le préjudice économique subi par ce dernier doit être évalué en prenant en considération, comme élément de référence, les revenus annuels de ses parents avant le décès, en tenant compte, en premier lieu, de la part d'autoconsommation de chacun d'eux et des charges fixes qu'ils supportaient dans leur foyer respectif, et, en second lieu, de la part de revenu du parent survivant pouvant être consacrée à l'enfant |
8,517 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2023
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 72 FS-B+R
Pourvois n°
W 21-21.516
Q 21-23.189 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023
I. La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 21-21.516 contre un arrêt rendu le 29 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-4), dans le litige l'opposant à la société Zen Prado, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
II. La société Zen Prado, société par actions simplifiée unipersonnelle, a formé le pourvoi n° Q 21-23.189 contre le même arrêt, dans le litige l'opposant à la société Axa France IARD, société anonyme, défenderesse à la cassation.
Les demanderesses aux pourvois n° W 21.21-516 et Q 21.23-189 invoquent, à l'appui de leur recours, chacune, un moyen unique de cassation, annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Zen Prado, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Isola, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Martin, Mme Chauve, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, le pourvoi n° W 21-21.516, formé par la société Axa France IARD, et le pourvoi n° Q 21-23.189, formé par la société Zen Prado, sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 juin 2021), la société Zen Prado, exploitant un fonds de commerce de restauration, a souscrit auprès de la société Axa France IARD (l'assureur) un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » à effet du 1er février 2020 incluant une garantie « protection financière ».
3. A la suite d'un arrêté publié au Journal officiel le 15 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, édictant notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, la société Zen Prado a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que « La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».
4. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en oeuvre, en raison de la clause excluant «... les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».
5. La société Zen Prado a effectué deux autres déclarations de sinistre à la suite de nouvelles fermetures administratives, ordonnées du 28 septembre au 5 octobre 2020, par arrêté préfectoral du 27 septembre 2020, et à compter du 30 octobre 2020, par décret du 29 octobre 2020.
6. Elle a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce à fin de garantie.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, du pourvoi n° W 21-21.516 formé par la société Axa France IARD
Enoncé du moyen
7. L'assureur fait grief à l'arrêt de réputer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont il se prévaut et de le condamner à payer à la société Zen Prado une provision à valoir sur l'indemnisation des pertes d'exploitation subies par celle-ci lors des fermetures de son établissement, alors :
« 1°/ que l'absence de définition contractuelle des termes « épidémie » et « maladie contagieuse » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ces termes ne figurent pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de la prétendue nécessité d'interpréter ce terme, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
2°/ que si une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée, en revanche, le degré de précision dans les termes employés pour définir le risque couvert n'est pas encadré par la loi et relève de la liberté contractuelle ; qu'en énonçant que « la rédaction de la clause d'exclusion de garantie, notamment dans sa locution finale « pour une cause identique », renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie, soit « une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication », de sorte que, même si elles ne figurent pas dans la clause d'exclusion, les notions d'épidémie et de maladies contagieuses constituent des conditions de la mise en oeuvre de la garantie », pour en déduire que l'imprécision de la notion d'« épidémie » rendait la clause d'exclusion litigieuse non formelle, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La société Zen Prado conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que les développements des conclusions de l'assureur ne distinguant pas entre arguments principaux et subsidiaires, ils étaient difficilement conciliables entre eux puisqu'il était soutenu simultanément que la validité de la clause d'exclusion était indépendante de la signification du mot « épidémie », que ce dernier comportait plusieurs sens qu'il fallait nécessairement prendre ensemble, que les stipulations contractuelles ne nécessitaient aucune interprétation et que les mots y figurant devaient être compris en fonction de la commune intention des parties. Elle en déduit que ces affirmations étant contradictoires entre elles, les cinq premières branches du moyen entrent nécessairement en contradiction avec l'un ou l'autre des passages des conclusions d'appel de l'assureur et qu'elles sont, dès lors, irrecevables comme étant contraires à la thèse soutenue par ce dernier en appel.
9. Cependant, il résulte sans équivoque de la lecture des conclusions de l'assureur que ce dernier a soutenu principalement devant la cour d'appel que le terme « épidémie » ne figurant pas dans la clause d'exclusion, il ne pouvait en affecter la validité, et que la définition de l'épidémie ne présentait pas d'ambiguïté, et, à titre subsidiaire, que si le juge estimait devoir interpréter le contrat, il lui appartenait de rechercher la commune intention des parties lors de sa conclusion, en application de l'article 1188 du code civil.
10. Le moyen, qui n'est pas contraire à l'argumentation soutenue en appel est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
11. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.
12. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
13. Pour réputer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont l'assureur se prévaut, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'extension de garantie et ceux de la clause d'exclusion, retient, d'abord, que la rédaction de la clause d'exclusion de garantie, notamment dans sa locution finale « pour une cause identique », renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie, soit « une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication », de sorte que, même si elles ne figurent pas dans la clause d'exclusion, les notions d'épidémie et de maladies contagieuses constituent des conditions de la mise en oeuvre de la garantie.
14. Il énonce, ensuite, que le contrat ne contient aucune définition des termes « maladie contagieuse » ou « épidémie » et qu'il résulte des écritures des parties que, contrairement à ce qui est soutenu, la définition du terme « épidémie » n'est ni évidente, ni commune puisque l'assureur considère qu'une épidémie peut toucher un nombre limité de personnes et être la cause de la fermeture administrative d'un unique établissement, tandis que pour l'assurée « une maladie contagieuse transformée en épidémie car s'étant propagée » a forcément des conséquences qui touchent un nombre important de personnes « obligeant la fermeture d'autres établissements, au moins un autre ».
15. Il en déduit que la clause d'exclusion de garantie nécessite une interprétation du terme « épidémie » mentionné dans la clause en tant que « cause identique », de sorte qu'elle n'est pas formelle.
16. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa neuvième branche, du pourvoi n° W 21-21.516 formé par la société Axa France IARD
Enoncé du moyen
17. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que la clause d'exclusion litigieuse est limitée dès lors que seules sont exclues de la garantie les pertes d'exploitation subies par l'assuré du fait de la fermeture administrative de son établissement ordonnée pour une « cause identique » – soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication – que celle qui a motivé la fermeture administrative – mesure qui demeure une décision exceptionnelle ne pouvant être prise que lorsqu'elle est strictement indispensable à la préservation de l'ordre public – d'au moins un autre établissement dans « le même territoire départemental », ce qui est un champ géographique suffisamment limité puisque la superficie du plus vaste des départements métropolitains (la Gironde) est inférieure à 10 000 kilomètres carrés, soit moins de 2 % de la superficie du territoire métropolitain ; que le seul fait que la clause d'exclusion se réfère à un autre établissement, « quelle que soit sa nature et son activité », ne suffit pas à la rendre illimitée et à justifier que son application soit écartée ; qu'en jugeant au contraire que l'exclusion ainsi définie n'était pas limitée, la cour d'appel a violé les articles L. 113-1 du code des assurances, 1170 et 1171 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
18. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie, qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, doivent être formelles et limitées.
19. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
20. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt retient que la clause d'exclusion en cause n'est nullement limitée puisqu'elle mentionne, d'une part, tout autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, la notion « d'autre établissement » étant particulièrement large, d'autre part, le département, soit un territoire géographiquement étendu au sein duquel demeure un nombre important de personnes, même si ce nombre varie en fonction de la densité de la population de chaque département, de sorte que l'hypothèse de l'assureur selon laquelle cette clause s'appliquerait en cas d'épidémie pour un nombre limité de personnes à l'intérieur d'un seul et unique établissement au sein d'un département rend illusoire la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie d'une maladie contagieuse, et aboutit à la vider de sa substance.
21. Il ajoute que, contrairement à ce que prétend l'assureur, il n'est nullement démontré que c'est par application des clauses litigieuses qu'il a indemnisé en 2018 un assuré, l'arrêté préfectoral déclarant les bâtiments de cette exploitation de volailles comme étant infectée d'influenza aviaire n'ayant pas ordonné une fermeture de cet établissement mais diverses mesures contraignantes.
22. Il en déduit que la clause ne satisfait pas aux conditions de l'article L. 113-1 du code des assurances.
23. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
24. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation intervenue du chef du dispositif déclarant non écrite la clause d'exclusion et condamnant l'assureur à garantie entraîne la cassation du chef du dispositif ordonnant une expertise portant sur le montant des pertes d'exploitation, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
25. Pour le même motif, elle rend sans objet l'examen du pourvoi n° Q 21-23.189 formé par la société Zen Prado, qui attaque le chef de dispositif rejetant sa demande de condamnation de l'assureur pour résistance abusive.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare valables l'avenant soumis à la signature de la société Zen Prado et la résiliation intervenue par lettre du 22 octobre 2020, à effet du 1er janvier 2021 et déboute, en conséquence, la société Zen Prado de sa demande de condamnation de la société Axa France IARD à poursuivre l'exécution du contrat aux clauses et conditions stipulées à sa souscription, le 20 février 2020, et de sa demande en paiement de la somme de 225 000 euros correspondant à trois mois de chiffre d'affaires moyen qu'elle ne pourra plus assurer à compter du 1er janvier 2021, l'arrêt rendu le 29 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Zen Prado aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi n° W 21.21-516 par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD
La société AXA France IARD fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré réputée non écrite la clause d'exclusion de garantie dont elle se prévalait et de l'avoir condamnée à payer à la société Zen Prado une provision de 150 000 € à valoir sur l'indemnisation des pertes d'exploitation subies par celle-ci lors de la fermeture de son établissement pour les périodes du 15 mars au 2 juin 2020, du 27 septembre au 5 octobre 2020 et depuis le 30 octobre 2020 jusqu'à la date de réouverture autorisée dans la limite de trois mois ;
1) ALORS QUE l'absence de définition contractuelle des termes « épidémie » et « maladie contagieuse » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ces termes ne figurent pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de la prétendue nécessité d'interpréter ce terme, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
2) ALORS QUE si une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée, en revanche, le degré de précision dans les termes employés pour définir le risque couvert n'est pas encadré par la loi et relève de la liberté contractuelle ; qu'en énonçant que « la rédaction de la clause d'exclusion de garantie, notamment dans sa locution finale ‘pour une cause identique', renvoie nécessairement à la cause de la fermeture administrative garantie, soit ‘une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication', de sorte que, même si elles ne figurent pas dans la clause d'exclusion, les notions d'épidémie et de maladies contagieuses constituent des conditions de la mise en oeuvre de la garantie » (arrêt p. 9 § 6), pour en déduire que l'imprécision de la notion d'« épidémie » rendait la clause d'exclusion litigieuse non formelle, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
3) ALORS QUE la cour d'appel s'est bornée à constater que les parties s'opposaient sur le sens à donner au terme « épidémie » (arrêt p. 9 § 7) pour en déduire que ce terme serait sujet à interprétation et, partant, que la clause d'exclusion litigieuse ne serait pas formelle ; qu'en statuant par un tel motif impropre à caractériser une ambiguïté du terme « épidémie », qui de surcroît ne figure pas dans la clause d'exclusion litigieuse, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances ;
4) ALORS QU'en affirmant, par motifs éventuellement adoptés du jugement, que l'acception usuelle du terme « épidémie » est définie par le dictionnaire Larousse comme le « développement et [la] propagation rapide d'une maladie contagieuse, le plus souvent d'origine infectieuse, dans une population », ce dont il résulterait que ce terme impliquerait nécessairement, dans son acception usuelle, un nombre significatif de cas d'une maladie infectieuse risquant de se propager, de sorte qu'il serait impossible qu'une épidémie touche une population dans un espace donné et donc un seul établissement, sans répondre aux conclusions (p. 28-29) par lesquelles AXA faisait valoir en appel qu'une population se définit comme un ensemble de personnes constituant, dans un espace donné, une catégorie particulière et que, partant, une épidémie peut être circonscrite à un lieu unique, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5) ALORS QU'à supposer même que le terme d'« épidémie » impliquerait nécessairement, dans son acception usuelle, une maladie touchant un grand nombre de personnes dans une aire géographique étendue – ce qui est contesté –, le simple constat que l'assureur en proposait une définition différente fondée sur des documents scientifiques ne permettait pas d'en déduire ipso facto que le terme « épidémie » était sujet à interprétation et que la clause d'exclusion litigieuse n'était pas formelle ; qu'à supposer que la cour d'appel ait adopté ces motifs du jugement, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances ;
6) ALORS QUE l'objet même d'une clause d'exclusion de garantie étant d'exclure des pertes et dommages de la garantie, le juge ne peut affirmer qu'elle prive de substance la garantie en se bornant à constater qu'elle exclut de la garantie les pertes dont l'assuré demande l'indemnisation ; qu'en l'espèce, en déduisant que la clause d'exclusion litigieuse vidait la garantie de sa substance des seules considérations inopérantes tirées de l'absence de garantie d'un sinistre particulier (à savoir, des pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de mesures administratives affectant son établissement en raison de l'épidémie de Covid-19) et de l'absence de preuve par l'assureur que sa garantie aurait déjà joué (arrêt p. 9 dernier § et jugement p. 8 dernier §), se livrant ainsi à une appréciation in concreto du caractère non limité de l'exclusion, au lieu de l'apprécier in abstracto, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 113-1 du code des assurances, 1170 et 1171 du code civil ;
7) ALORS QUE pour apprécier si une clause d'exclusion vide la garantie de sa substance, le juge doit rechercher quelle serait l'étendue de la garantie subsistante si la clause d'exclusion était appliquée ; qu'à supposer même qu'il soit jugé que la cour d'appel s'est livrée à une appréciation in abstracto du caractère non limité de l'exclusion en énonçant que « la clause d'exclusion susvisée n'est nullement limitée puisqu'elle vise : - tout autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, la notion ‘d'autre établissement' étant particulièrement large, - le département, soit un territoire géographiquement étendu au sein duquel demeure un nombre important de personnes, même si ce nombre varie en fonction de la densité de la population de chaque département » (arrêt p. 9 § 9), la cour d'appel n'a pas recherché s'il demeurait possible, en l'état de la clause d'exclusion litigieuse, que des pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de la fermeture administrative de son établissement en raison d'une épidémie demeurent garanties, ainsi que le faisait valoir AXA en invoquant et en produisant notamment des consultations d'épidémiologistes qui établissaient qu'il était possible qu'une épidémie ne touche qu'un petit nombre de personnes dans un espace donné comme un lieu scolaire, de travail ou de vie ; que, partant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-1 du code des assurances, 1170 et 1171 du code civil ;
8) ALORS QUE la cour d'appel ne pouvait affirmer que « l'hypothèse de l'assureur selon laquelle cette clause [d'exclusion] s'appliquerait en cas d'épidémie pour un nombre limité de personnes à l'intérieur d'un seul et unique établissement au sein d'un département rend en réalité la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie d'une maladie contagieuse illusoire, et aboutit à la vider de sa substance » (arrêt p. 9 § 10), sans répondre aux conclusions (p. 17, 31, 32 et 38) par lesquelles AXA donnait des exemples concrets non seulement de cas dans lesquels des « clusters » de l'épidémie de Covid-19 avaient entraîné la fermeture administrative d'un seul établissement dans un même département, mais aussi de cas de fermetures administratives individuelles d'établissement causées par des épidémies autres que celle du Covid-19, la garantie portant sur les fermetures administratives d'établissement en cas d'épidémie en général et pas seulement d'épidémie de coronavirus ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
9) ALORS QUE la clause d'exclusion litigieuse est limitée dès lors que seules sont exclues de la garantie les pertes d'exploitation subies par l'assuré du fait de la fermeture administrative de son établissement ordonnée pour une « cause identique » – soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication – que celle qui a motivé la fermeture administrative – mesure qui demeure une décision exceptionnelle ne pouvant être prise que lorsqu'elle est strictement indispensable à la préservation de l'ordre public – d'au moins un autre établissement dans « le même territoire départemental », ce qui est un champ géographique suffisamment limité puisque la superficie du plus vaste des départements métropolitains (la Gironde) est inférieure à 10.000 kilomètres carrés, soit moins de 2% de la superficie du territoire métropolitain ; que le seul fait que la clause d'exclusion se réfère à un autre établissement, « quelle que soit sa nature et son activité », ne suffit pas à la rendre illimitée et à justifier que son application soit écartée ; qu'en jugeant au contraire que l'exclusion ainsi définie n'était pas limitée, la cour d'appel a violé les articles L. 113-1 du code des assurances, 1170 et 1171 du code civil ;
10) ALORS QUE la cour d'appel ne pouvait réputer non écrite la clause d'exclusion litigieuse en se fondant sur l'article 1170 du code civil, qui énonce que « toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite » (arrêt p. 8 § 1), sans vérifier si l'obligation de l'assureur limitée par la clause d'exclusion était essentielle compte tenu des autres risques garantis par celui-ci aux termes du contrat d'assurance ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte précité. Moyen produit au pourvoi n° Q 21.23-189 par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la société Zen Prado
La société Zen Pardo SASU fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Alors que toute faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité des plaideurs ; que pour débouter la société Zen Prado SASU de sa demandes de dommages-intérêts pour résistance abusive, l'arrêt énonce que le refus d'indemnisation de l'assureur résulte en l'espèce d'une mauvaise analyse des clauses du contrat, dont il n'est pas démontré qu'elle a été intentionnelle et commise dans le but de porter préjudice à son assurée, de sorte qu'il n'est pas établi que ce refus d'indemnisation est abusif ; qu'en statuant ainsi, quand l'abus de procédure ne requiert pas d'intention de nuire, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les articles 1240 du code civil. | Une clause d'exclusion n'est pas formelle au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
S'agissant d'un contrat prévoyant la garantie des pertes d'exploitation en cas de fermeture administrative consécutive à certaines causes qu'il énumère, dont l'épidémie, est formelle la clause qui exclut ces pertes d'exploitation de la garantie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.
Une clause d'exclusion n'est pas limitée au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances lorsqu'elle vide la garantie de sa substance en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
N'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance la clause qui exclut de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative de l'établissement assuré, pour plusieurs causes qu'il énumère, dont l'épidémie, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique à l'une de celles énumérées |
8,518 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2023
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 76 F-B
Pourvoi n° C 21-17.221
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023
La Société nationale des poudres et explosifs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-17.221 contre l'arrêt rendu le 4 mars 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Allianz global corporate & specialty SE, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations écrites et orales de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la Société nationale des poudres et explosifs, les observations écrites et orales de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz global corporate & specialty SE, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 mars 2021), une explosion survenue le 21 septembre 2001 sur le site toulousain de la société Grande Paroisse, filiale de la société Total, a occasionné des dégâts très importants sur celui-ci, ainsi que sur le site industriel voisin regroupant plusieurs usines chimiques mitoyennes, dont celle de la Société nationale des poudres et explosifs (la société Snpe).
2. L'une des activités principales de la société Snpe était la production chimique de phosgène, produit reconnu dangereux dont des quantités importantes étaient produites et stockées sur place et dont la société Bayer était l'une des principales utilisatrices. Par arrêté préfectoral d'urgence du 21 septembre 2001, la production de phosgène a été suspendue avant d'être définitivement interrompue, le 1er juillet 2002.
3. En mai 2004, la société Snpe et la société Bayer ont assigné les sociétés Grande Paroisse et Total en réparation des préjudices résultant de l'explosion du 21 septembre 2001, notamment du fait de l'impossibilité de reprendre l'activité de production de phosgène.
4. La société Grande Paroisse a assigné, le 10 février 2005, la société Snpe afin qu'elle soit déclarée entièrement responsable des conséquences dommageables de cet arrêt d'activité pour la société Bayer.
5. Le 13 septembre 2005, la société Snpe a souscrit auprès de la société Agf devenue Allianz global corporate & specialty SE (l'assureur) un contrat d'assurance de responsabilité civile à effet au 1er janvier 2005.
6. Les sociétés Snpe et Bayer, ainsi que l'assureur, par un arrêt du 9 septembre 2008, ont été partiellement déboutés de leurs actions en responsabilité et indemnisation formées contre les sociétés Grande Paroisse et Total. Par un arrêt du 17 juin 2010 (2e Civ., 17 juin 2010, pourvoi n° 09-13.583), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Bayer.
7. Le 26 décembre 2011, la société Bayer a assigné la société Snpe devant un tribunal de commerce en responsabilité et aux fins d'indemnisation de son préjudice consécutif à l'arrêt définitif de la production de phosgène sur le site toulousain.
8. A la suite du refus de garantie opposé par l'assureur à la société Snpe, cette dernière l'a assigné devant un tribunal de commerce aux fins de règlement d'une indemnité d'assurance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. La société Snpe fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que l'assureur soit condamné à lui verser une indemnité d'assurance d'un montant de 17 220 226,63 euros, au titre, d'une part, de la somme transactionnelle de 17 000 000 d'euros versée par la société Snpe à lal société Bayer et, d'autre part, de la somme de 220 226,63 euros HT qu'elle a réglée au titre de ses frais de défense, alors :
« 1°/ que l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait dommageable n'est connu de l'assuré que lorsqu'il est certain que la victime se retournera contre l'assuré pour demander réparation de son dommage ; que, pour relever que le fait dommageable subi par la société Bayer aurait été connu de la société Snpe antérieurement à la souscription de la garantie le 13 septembre 2005, la cour d'appel a énoncé que « contrairement à ce que soutient la société Snpe, il n'est donc pas nécessaire, pour caractériser le passé connu, que, outre la connaissance par l'assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable [ ; qu'] il suffit que l'assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d'un fait dommageable ou d'un fait susceptible d'engager sa responsabilité, peu important que la réclamation soit encore incertaine à ce stade » ; qu'en statuant ainsi sans relever qu'il était certain que la société Bayer demande à la société Snpe qu'elle l'indemnise de son préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène en 2002, la cour d'appel a violé l'article L. 124-5 du code des assurances ;
2°/ que subsidiairement, l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait connu n'est qualifié de dommageable que lorsque l'assuré peut raisonnablement considérer être à l'origine du dommage invoqué par la victime ; que pour juger que la société Snpe avait connaissance du fait dommageable à compter du 10 février 2005, la cour d'appel a relevé qu'elle avait été faite assigner en intervention forcée par la société Grande Paroisse qui sollicitait sa mise hors de cause quant aux conséquences préjudiciables de la cessation de l'activité de phosgène par la société Snpe ; qu'une telle assignation en intervention forcée ne donnait pourtant aucune indication quant à une action éventuelle de la société Bayer à l'encontre de la société Snpe, une telle action n'ayant été initiée que le 26 décembre 2011, après que la Cour de cassation a rejeté, le 17 juin 2010, le pourvoi de la société Bayer à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 9 septembre 2008 l'ayant déboutée de sa demande à l'encontre de la société Grande Paroisse au titre de préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène par la société Snpe ; que la cour d'appel s'est dès lors prononcée par des motifs inopérants à établir que la société Snpe avait connaissance du fait dommageable le 10 février 2005 et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 124-5 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l'assureur ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que l'assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.
11. Pour rejeter la demande de la société Snpe en paiement d'une indemnité d'assurance, l'arrêt énonce que cette société avait connaissance, à compter du 10 février 2005 au moins, du caractère dommageable, pour la société Bayer, de l'arrêt de la production de phosgène et du fait que sa responsabilité pouvait être engagée à ce titre, ce dont elle a pris connaissance par l'assignation délivrée par la société Grande Paroisse en février 2005, soit antérieurement à la souscription du contrat d'assurance, en septembre 2005, et qu'il n'est pas nécessaire, pour caractériser le passé connu, qu'outre la connaissance par l'assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable et qu'il suffit que l'assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d'un fait dommageable ou d'un fait susceptible d'engager sa responsabilité, peu important que la réclamation fût encore incertaine.
12. Ayant ainsi souverainement estimé que l'assureur établissait que la société SNPE avait eu connaissance du fait dommageable dès son assignation, le 10 février 2005, par la société Grande Paroisse, tendant à ce qu'elle soit déclarée responsable, à l'égard de la société Bayer, des conséquences dommageables de sa cessation d'activité de production de phosgène, soit antérieurement à la date de souscription du contrat garantissant sa responsabilité civile, la cour d'appel en a exactement déduit que l'assureur ne devait pas sa garantie.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société nationale des poudres et explosifs aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la Société nationale des poudres et explosifs
LA SOCIÉTÉ SNPE FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande que la société Allianz Global Coroporate & Speciality SE soit condamnée à lui verser une indemnité d'assurance d'un montant de 17 220 226,63 euros, au titre, d'une part, de la somme transactionnelle de 17 000 000 d'euros versée par la Snpe à Bayer et, d'autre part, de la somme de 220 226,63 euros HT qu'elle a réglée au titre de ses frais de défense ;
1°) ALORS QUE l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait dommageable n'est connu de l'assuré que lorsqu'il est certain que la victime se retournera contre l'assuré pour demander réparation de son dommage ; que, pour relever que le fait dommageable subi par la société Bayer aurait été connu de la Snpe antérieurement à la souscription de la garantie le 13 septembre 2005, la cour d'appel a énoncé que « contrairement à ce que soutient la société SNPE, il n'est donc pas nécessaire, pour caractériser le passé connu, que, outre la connaissance par l'assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable [ ; qu'] il suffit que l'assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d'un fait dommageable ou d'un fait susceptible d'engager sa responsabilité, peu important que la réclamation soit encore incertaine à ce stade » (p. 14 de l'arrêt) ; qu'en statuant ainsi sans relever qu'il était certain que la société Bayer demande à la société Snpe qu'elle l'indemnise de son préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène en 2002, la cour d'appel a violé l'article L. 124-5 du code des assurances ;
2°) ALORS, subsidiairement, QUE l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait connu n'est qualifié de dommageable que lorsque l'assuré peut raisonnablement considérer être à l'origine du dommage invoqué par la victime ; que pour juger que la société SNPE avait connaissance du fait dommageable à compter du 10 février 2005, la cour d'appel a relevé qu'elle avait été faite assigner en intervention forcée par la société Grande paroisse qui sollicitait sa mise hors de cause quant aux conséquences préjudiciables de la cessation de l'activité de phosgène par la société SNPE ; qu'une telle assignation en intervention forcée ne donnait pourtant aucune indication quant à une action éventuelle de la société Bayer à l'encontre de la société SNPE, une telle action n'ayant été initiée que le 26 décembre 2011, après que la Cour de cassation a rejeté, le 17 juin 2010, le pourvoi de la société Bayer à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 9 septembre 2008 l'ayant déboutée de sa demande à l'encontre de la société Grande paroisse au titre de préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène par la société SNPE ; que la cour d'appel s'est dès lors prononcée par des motifs inopérants à établir que la société SNPE avait connaissance du fait dommageable le 10 février 2005 et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 124-5 du code des assurances. | Ayant souverainement estimé que l'assureur établissait que l'assuré avait eu connaissance du fait dommageable dès son assignation, par la société en charge du site exploité par l'usine AZF, tendant à ce qu'il soit déclaré responsable, à l'égard de son cocontractant, des conséquences dommageables de la cessation d'activité de production de phosgène subie par ce dernier, soit antérieurement à la date de souscription du contrat garantissant sa responsabilité civile, la cour d'appel en a exactement déduit que l'assureur ne devait pas sa garantie, déclenchée par la réclamation, sur le fondement de l'article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances |
8,519 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 83 F-B
Pourvoi n° N 20-16.490
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 9 mars 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023
Mme [L] [C], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 20-16.490 contre l'arrêt rendu le 12 février 2020 par la cour d'appel de Toulouse (2e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Milleis vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Barclays vie,
2°/ à la société Milleis banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], anciennement dénommée société Barclays France, venant aux droit de la société Barclays bank Plc,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [C], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Milleis vie, anciennement dénommée société Barclays vie, et la société Milleis banque, anciennement dénommée société Barclays France, venant aux droits de la société Barclays bank Plc, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 12 février 2020) et les productions, Mme [C] a souscrit, le 23 janvier 2007, un contrat d'assurance-vie auprès de la société Barclays vie sur lequel elle a versé une somme de 50 000 euros, avant déduction des frais d'entrée, qui a été intégralement investie sur un support en unités de compte dénommé « Barclays absolu court terme ». Le 21 octobre 2014, après avoir indiqué qu'elle croyait garanti le montant du capital investi, Mme [C] a demandé le rachat de ce contrat dont la valeur s'élevait, avant déduction des frais d'arbitrage, à la somme de 39 139,11 euros.
2. Les 29 avril et 6 mai 2015, Mme [C] a assigné la société Barclays vie, actuellement dénommée Milleis vie, et la société Barclays France, devant un tribunal de grande instance afin d'obtenir leur condamnation, notamment, à réparer ses préjudices matériel et moral résultant d'un manquement de la société Barclays vie à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde.
3. La société Barclays bank Plc, société de droit anglais, aux droits de laquelle se trouve la société Milleis banque, anciennement dénommée Barclays France, est intervenue volontairement à l'instance.
4. L'assureur a invoqué la prescription de l'action de Mme [C].
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [C] fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable comme prescrite, alors « que la seule production par l'assureur de la copie de lettres d'information ne suffit pas à justifier de leur envoi au souscripteur d'une assurance sur la vie dont le capital, investi en unités de compte, encourt un risque d'érosion, de sorte qu'elle ne suffit pas davantage à justifier de la connaissance qu'aurait eue l'assuré de la manifestation du dommage, consistant en l'érosion de son capital, causé par un manquement de l'assureur à son obligation d'information et de conseil ; qu'en retenant au contraire, pour en déduire que le délai de prescription de l'action en responsabilité engagée par Mme [C] au titre d'un manquement de l'assureur à son obligation d'information et de conseil avait commencé de courir à compter de la lettre en date du 16 février 2009, par laquelle l'assureur avait porté à la connaissance de l'assurée des informations dont cette dernière aurait supposément dû comprendre que le dommage pris d'un risque d'érosion de son capital s'était manifesté, que la règle selon laquelle la seule production de la copie de lettres d'information ne suffisait pas à justifier de leur envoi n'était pas applicable, quand elle l'était pourtant, la cour d'appel a violé l'article L. 132-22 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et l'article L. 132-22 du code des assurances, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-617 du 13 juin 2014 :
6. Il résulte du premier de ces textes que les actions mobilières se prescrivent par cinq ans à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
7. Selon le second, pour les contrats dont la provision mathématique est supérieure ou égale à un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie, l'assureur communique chaque année à son cocontractant la valeur de rachat du contrat.
8. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée par Mme [C] contre les sociétés Milleis vie et Milleis banque, après avoir énoncé que lorsqu'un manquement à une obligation précontractuelle est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, le point de départ de l'action est fixé à la date de la réalisation du dommage ou à la date à laquelle il s'est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle a pu légitimement l'ignorer, l'arrêt constate qu'il ressort des relevés de situation produits aux débats, conformes aux prescriptions des articles L. 132-22, R. 132-5-4 et A. 132-7 du code des assurances alors applicables, adressés à l'adresse de Mme [C] les 4 mars 2008 et 16 février 2009, qu'à cette date, la valorisation du contrat qu'elle avait souscrit révélait une perte de 6 098,61 euros par rapport à l'année précédente.
9. Il ajoute que si Mme [C] estimait avoir été mal informée sur la nature du placement souscrit, elle ne pouvait prétendre, après cette information annuelle, avoir légitimement ignoré l'évolution défavorable de ce placement investi sur des supports en unités de compte et le risque d'érosion de son capital et en déduit que, plus de cinq ans s'étant écoulés depuis cette information annuelle, son action était prescrite à la date des assignations délivrées les 29 avril et 6 mai 2015.
10. En statuant ainsi, alors que la seule production par l'assureur, sur lequel pèse la charge de la preuve du point de départ du délai de prescription qu'il invoque, de la copie de la lettre d'information annuelle, ne suffit pas à justifier de son envoi au souscripteur d'une assurance sur la vie qui conteste l'avoir reçue, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne les sociétés Milleis vie et Milleis banque aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés Milleis vie et Milleis banque à payer à la société Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocats, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour Mme [C]
Madame [C] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré son action irrecevable comme prescrite ;
Alors que la seule production par l'assureur de la copie de lettres d'information ne suffit pas à justifier de leur envoi au souscripteur d'une assurance sur la vie dont le capital, investi en unités de compte, encourt un risque d'érosion, de sorte qu'elle ne suffit pas davantage à justifier de la connaissance qu'aurait eue l'assuré de la manifestation du dommage, consistant en l'érosion de son capital, causé par un manquement de l'assureur à son obligation d'information et de conseil ; qu'en retenant au contraire, pour en déduire que le délai de prescription de l'action en responsabilité engagée par madame [C] au titre d'un manquement de l'assureur à son obligation d'information et de conseil avait commencé de courir à compter de la lettre en date du 16 février 2009, par laquelle l'assureur avait porté à la connaissance de l'assurée des informations dont cette dernière aurait supposément dû comprendre que le dommage pris d'un risque d'érosion de son capital s'était manifesté (arrêt, p. 6, § 1er et § 9), que la règle selon laquelle la seule production de la copie de lettres d'information ne suffisait pas à justifier de leur envoi n'était pas applicable (arrêt, p. 6, § 8), quand elle l'était pourtant, la cour d'appel a violé l'article L. 132-22 du code des assurances. | Le délai de prescription de l'action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance.
Dès lors, viole l'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la cour d'appel qui, pour déclarer prescrite l'action en responsabilité exercée par la souscriptrice d'un contrat d'assurance sur la vie investi sur un support en unités de compte contre l'assureur pour manquement à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde, retient que le point de départ de la prescription se situe à la date à laquelle ont été envoyés, à l'adresse de la souscriptrice, des relevés de situation produits aux débats, conformes aux prescriptions des articles L.132-22, R.132-5-4 et A.132-7 du code des assurances, alors applicables, qui révélaient une perte en capital par rapport à l'année précédente, alors que la seule production par l'assureur, sur lequel pèse la charge de la preuve du point de départ de la prescription qu'il invoque, de la copie de la lettre d'information annuelle ne suffit pas à justifier de son envoi à la souscriptrice qui contestait l'avoir reçue |
8,520 | CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 71 FS-B
Pourvoi n° N 21-22.543
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
1°/ Mme [N] [A], veuve [V],
2°/ Mme [Z] [V],
domiciliées toutes deux [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° N 21-22.543 contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2020 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Bransol, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à Mme [U] [V],
3°/ à Mme [E] [V],
domiciliées toutes deux [Adresse 3],
4°/ à Mme [F] [V], domiciliée [Adresse 2],
5°/ à M. [D] [V], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [A] et [Z] [V] et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Maunand conseiller doyen, Mme Farrenq-Nési, MM. Jacques, Boyer, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 9 janvier 2020), par acte du 12 avril 2010, la société Bransol a vendu à [P] [V] et à son épouse, Mme [A], un corps de bâtiment à réhabiliter en maison d'habitation.
2. Constatant que la charpente était infestée de parasites, les acquéreurs ont assigné leur venderesse en indemnisation de leur préjudice sur le fondement de l'obligation de délivrance, ainsi que sur celui de l'obligation de conseil et d'information.
3. [P] [V] étant décédé en cours d'instance, Mme [A], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de sa fille [Z] [V], a appelé en intervention forcée Mmes [U], [E] et [F] [V] et Mme [K], prise en sa qualité de représentante légale de son fils [D] [V].
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [A] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes fondées sur l'obligation de délivrance, ainsi que sur l'obligation d'information et de conseil, alors :
« 1°/ que le vendeur est tenu de délivrer une chose conforme aux stipulations contractuelles ; qu'une construction, notamment si elle est destinée à l'habitation, doit avoir un toit ; que la cour d'appel devait donc rechercher si le bâtiment, dont la charpente était infestée par les termites et menaçait ruine de façon imminente, correspondait à un bâtiment susceptible d'être réhabilité pour être habité, qui constituait l'objet convenu lors de la vente ; qu'en omettant cette recherche, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1611 du code civil ;
2°/ que le vendeur professionnel est tenu d'une obligation d'information et de conseil quant à l'état du bien vendu et aux difficultés que pourrait rencontrer l'acquéreur dans son utilisation, et doit ainsi lui signaler l'existence ou la possibilité d'une infestation par les termites ; que la cour d'appel devait donc rechercher si, comme il était soutenu, la société Bransol n'avait pas manqué à cette obligation ; qu'elle a ainsi violé les articles 1602 et 1104 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a constaté que l'infestation parasitaire avait détruit les pièces principales de charpente et du solivage entraînant un risque d'effondrement et retenu qu'elle ne pouvait en conséquence constituer qu'un vice caché de la chose vendue.
6. Elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à des recherches inopérantes, que les demandes formées par Mme [A] tant sur le fondement du manquement à l'obligation de délivrance de la chose vendue que sur celui du manquement au devoir d'information ne pouvaient être accueillies.
7. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mmes [A] et [Z] [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mmes [A] et [Z] [V]
Les consorts [V] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leurs demandes tendant à la condamnation de la société Bransol à leur payer des dommages et intérêts pour manquement à son obligation de délivrance conforme, d'information et de conseil ;
1- ALORS QUE le vendeur est tenu de délivrer une chose conforme aux stipulations contractuelles ; qu'une construction, notamment si elle est destinée à l'habitation, doit avoir un toit ; que la cour d'appel devait donc rechercher si le bâtiment, dont la charpente était infestée par les termites et menaçait ruine de façon imminente, correspondait à un bâtiment susceptible d'être réhabilité pour être habité, qui constituait l'objet convenu lors de la vente ; qu'en omettant cette recherche, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1611 du code civil. ;
2- ALORS QUE le vendeur professionnel est tenu d'une obligation d'information et de conseil quant à l'état du bien vendu et aux difficultés que pourrait rencontrer l'acquéreur dans son utilisation, et doit ainsi lui signaler l'existence ou la possibilité d'une infestation par les termites ; que la cour d'appel devait donc rechercher si, comme il était soutenu, la société Bransol n'avait pas manqué à cette obligation ; qu'elle a ainsi violé les articles 1602 et 1104 du code civil. | Ayant constaté que l'infestation parasitaire constituait un vice caché de la chose vendue, une cour d'appel en a exactement déduit que les demandes formées par l'acquéreur tant sur le fondement du manquement à l'obligation de délivrance que sur celui du manquement au devoir d'information ne pouvaient être accueillies |
8,521 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 74 FS-B
Pourvoi n° D 20-19.127
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
La société Sergeant, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 20-19.127 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2017 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ au groupement d'intérêt économique (GIE) Ceten Apave international, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société FCB, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 14],
3°/ à M. [O] [M], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de liquidateur amiable de la société Les Jardins de Vauban,
4°/ à M. [U] [K], domicilié [Adresse 10],
5°/ à la société Les Souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], dont le siège est [Adresse 7],
6°/ à la société MAF, dont le siège est [Adresse 8],
7°/ au syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 11], dont le siège est [Adresse 5], représenté par son syndic la société Foncia Fox immobilier, domicilié [Adresse 5],
8°/ à la société Groupama - constructions Nord Est, dont le siège est [Adresse 13],
9°/ à la société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 6],
10°/ à la société ICP, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
11°/ à la société Adelec services, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 9],
défendeurs à la cassation.
La société FCB a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt ;
Le GIE Ceten Apave international et les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12] ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
La société FCB, demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Le GIE Ceten Apave international et les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation également annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Sergeant, de la SCP Boullez, avocat de M. [M], pris en qualité de liquidateur amiable de la société Les Jardins de Vauban, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société FCB, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la SMABTP, de la SCP Le Bret-Desaché, avocat du GIE Ceten Apave international et les Souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Farrenq-Nési, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Bohnert, conseiller référendaire à la deuxième chambre civile, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Sergeant du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [K], la société Mutuelle des architectes français (la MAF), le syndicat des copropriétaires de la résidence [Adresse 11], représenté par son syndic la société Foncia Fox immobilier, la caisse régionale d'assurance mutuelles agricoles du Nord Est (Groupama Nord Est) et la société ICP.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 22 juin 2017), la société Les Jardins de Vauban a fait réaliser un groupe d'immeubles à usage d'habitation, de bureaux et de garages, qui comprend la Résidence [Adresse 11], composée d'appartements, vendus en l'état futur d'achèvement et soumis au statut de la copropriété.
3. Le syndicat des copropriétaires de la Résidence [Adresse 11] (le syndicat des copropriétaires), se plaignant de non-conformités et de malfaçons, a, après expertise, assigné M. [K], architecte, et son assureur, la MAF, la société Centre technique Apave Nord Picardie, devenue le GIE Ceten Apave international (le GIE), contrôleur technique, la société Sergeant, chargée des lots plomberie et VMC, la société Adelec services, en charge du lot électricité, la société FCB, venant aux droits de la société Bâti bois, ayant réalisé divers lots, la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), assureur de plusieurs participants aux opérations de construction, la société Les Jardins de Vauban, et la SMABTP, son assureur au titre de la garantie décennale.
4. La société Les Jardins de Vauban a appelé en garantie la société Centre technique Apave Nord-Picardie et son assureur, Les Souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12] (le Lloyd's de [Localité 12]), la société Sergeant, la SMABTP, la société Adelec services, la société FCB, laquelle a appelé en garantie la SMABTP.
5. Les instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, après avis de la deuxième chambre civile, pris en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile
Enoncé du moyen
6. La société Sergeant fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la société Adelec services, la société FCB et son assureur, la SMABTP, le GIE et son assureur, le Lloyd's de [Localité 12], à garantir la société Les Jardins de Vauban et son assureur, la SMABTP, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires, de la condamner à garantir le GIE et son assureur, le Lloyd's de [Localité 12] des sommes mises à leur charge à hauteur de 80 % et de la condamner à garantir la SMABTP des sommes mises à sa charge dans les proportions de 85 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la FCB et à hauteur de 92 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban, alors « que, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant doit signifier ses conclusions aux parties qui n'ont pas constitué avocat avant l'expiration du délai de quatre mois courant à compter de la déclaration d'appel ; qu'en l'espèce, la société Les Jardins de Vauban a formé appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Arras le 29septembre 2015, par déclaration au greffe du 9 octobre 2015 ; qu'elle n'a signifié ses premières conclusions, par lesquelles elle demandait la condamnation in solidum de M. [K], des sociétés Adelec Services, Sergeant, FCB, du GIE Ceten Apave International, de leurs assureurs respectifs et de son propre assureur, la société SMABTP, à la société Sergeant, n'ayant pas constitué avocat, que le 12 février 2016 ; que la cour d'appel a constaté que la société Sergeant n'avait pas constitué avocat ; qu'en affirmant cependant, pour prononcer à son encontre différentes condamnations, que « la société Sergeant a été régulièrement attraite à la procédure et s'est vu signifier les dernières écritures de certaines parties », sans vérifier que l'appelante avait signifié ses premières conclusions à la société Sergeant dans le délai de quatre mois courant à compter de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé l'article 908 du code civil, dans sa version issue du décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010 et l'article 911 du même code, dans sa version issue du décret n° 2012-634 du 3 mai 2012, également applicable au litige du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 914 du code de procédure civile, dans sa version antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, applicable en l'espèce, que le conseiller de la mise en état a une compétence exclusive pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel encourue en application des dispositions des articles 908 et 911 du même code, et que les parties ne sont plus recevables à l'invoquer après le dessaisissement de ce magistrat, à moins que sa cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement, cette restriction ne faisant toutefois pas obstacle à ce que la cour d'appel relève d'office la caducité (2e Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-14.868 et pourvoi n° 15-27.467, Bull. 2017, II, n° 93).
8. Cependant, l'intimé qui n'use pas de la faculté que lui confère l'article 914 du code de procédure civile de saisir le conseiller de la mise en état d'une demande tendant à faire constater la caducité de l'appel pour tardiveté des conclusions des appelantes, n'est pas recevable à invoquer ce grief devant la Cour de cassation (2e Civ., 17 octobre 2013, pourvoi n° 12-21.242, Bull. 2013, II, n° 198), même dans le cas où l'intimé choisit de ne pas constituer avocat et n'est ni comparant ni représenté devant la cour d'appel.
9. Si, en application de l'article 14 du code de procédure civile, il appartient à la cour d'appel de vérifier que la partie non comparante a été régulièrement appelée, elle n'est pas tenue de vérifier d'office si l'appelant a, dans le délai imparti par les articles 908 et 911 du code de procédure civile, signifié ses conclusions à l'intimé qui n'a pas constitué avocat.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi incident de la société FCB et sur le moyen du pourvoi incident du GIE, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
11. Par son moyen, la société FCB fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec son assureur, la SMABTP, les sociétés Adelec services et Sergeant, le GIE et son assureur, le Lloyd's de [Localité 12], à garantir la société Les jardins de Vauban et son assureur, la SMABTP, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires, alors « que, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt prononçant la condamnation in solidum de la société Sergeant, demanderesse au pourvoi, doit profiter à la société FCB, condamnée in solidum à garantir la société Les jardins de Vauban et la SMABTP, son assureur, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires. »
12. Par leur moyen, le GIE et son assureur, le Lloyd's de [Localité 12], font grief à l'arrêt de les condamner in solidum avec la société Sergeant, la société FCB et son assureur, la SMABTP, et la société Adelec services à garantir la société Les jardins de Vauban et son assureur, la SMABTP, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires, alors « que, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt prononçant la condamnation in solidum de la société Sergeant, demanderesse au pourvoi, doit profiter à la société FCB (lire : au GIE Ceten Apave et à son assureur le Lloyd's de [Localité 12]), condamnés in solidum à garantir la société Les jardins de Vauban et la SMABTP, son assureur, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires. »
Réponse de la Cour
13. La cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen du pourvoi principal de la société Sergeant, le grief, tiré d'une annulation par voie de conséquence, est devenu sans objet.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
14. La société Sergeant fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir le GIE et son assureur, le Lloyd's de [Localité 12], des sommes mises à leur charge à hauteur de 80 %, alors « que les codébiteurs, tenus in solidum, ne sont tenus que pour leur part et portion de la dette ; que celui qui a payé au-delà de sa part ne dispose d'un recours contre les autres qu'à proportion de leur propre part ; que la cour d'appel a évalué, en fonction du domaine d'intervention et de la gravité des fautes respectives, la part de responsabilité des constructeurs ou assimilés comme suit : 5 % à la charge de la société Adelec Services, 12 % à la charge de la société Sergeant, 15 % à la charge de la société FCB, 20 % à la charge du GIE Ceten Apave, 40 % à la charge de la maîtrise d'oeuvre, au sens large, à savoir M. [K] et la société APIA et 8 % à la charge de la société Les Jardins de Vauban pour son immixtion dans les travaux relatifs aux plafonds ; qu'en condamnant la société Sergeant à garantir le GIE Ceten Apave International et son assureur, les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], des sommes mises à leur charge à hauteur de 80 %, la cour d'appel a violé l'article 1317 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1213 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les principes régissant l'obligation in solidum :
15. Aux termes de ce texte, l'obligation contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les débiteurs, qui n'en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et portion.
16. Pour condamner la société Sergeant à garantir le GIE et son assureur des sommes mises à leur charge à hauteur de 80 %, l'arrêt fixe la part de responsabilité de chacun des constructeurs et retient que les appels en garantie formés par la société FCB et le GIE seront accueillis dans les proportions ainsi déterminées étant précisé que la société FCB ne forme de recours que contre le GIE, qui forme un recours contre la société FCB et contre la société Sergeant.
17. En statuant ainsi, alors qu'elle avait fixé la part de responsabilité de la société Sergeant à 12 %, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
18. La société Sergeant fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir la SMABTP des sommes mises à sa charge, dans les proportions de 85 % pour celles réglées en sa qualité d'assureur de la société FCB et à hauteur de 92 % pour celles réglées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban, alors « que les codébiteurs tenus in solidum ne sont tenus que pour leur part et portion de la dette ; que celui qui a payé au-delà de sa part ne dispose d'un recours contre les autres qu'à proportion de leur propre part ; que la cour d'appel a évalué, en fonction du domaine d'intervention et de la gravité des fautes respectives, la part de responsabilité des constructeurs ou assimilés comme suit : 5 % à la charge de la société Adelec Services, 12 % à la charge de la société Sergeant, 15 % à la charge de la société FCB, 20 % à la charge du GIE Ceten Apave, 40 % à la charge de la maîtrise d'oeuvre, au sens large, à savoir M. [K] et la société APIA et 8 % à la charge de la société Les Jardins de Vauban pour son immixtion dans les travaux relatifs aux plafonds ; qu'en condamnant la société Sergeant à garantir la SMABTP des sommes mises à sa charge, dans les proportions de 85 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la FCB et à hauteur de 92 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban à hauteur de 80 %, la cour d'appel a violé l'article 1317 du code civil. » Réponse de la Cour
Vu l'article 1213 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les principes régissant l'obligation in solidum :
19. Aux termes de ce texte, l'obligation contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit entre les débiteurs, qui n'en sont tenus entre eux que chacun pour sa part et portion.
20. Pour condamner la société Sergeant à garantir la SMABTP des sommes mises à sa charge, à hauteur de 85 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société FCB et de 92 % pour celles payées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban, l'arrêt, après avoir fixé la part de responsabilité incombant à chacun des constructeurs, retient que les appels en garantie seront accueillis dans les proportions ainsi déterminées.
21. En statuant ainsi, alors qu'elle avait fixé la part de responsabilité incombant à la société Sergeant à 12 %, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés.
Mise hors de cause
22. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société FCB et la SMABTP dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Sergeant à garantir le GIE Ceten Apave international et son assureur, Les Souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], des sommes mises à leur charge à hauteur de 80 % et condamne la société Sergeant à garantir la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics des sommes mises à sa charge à hauteur de 85 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société FCB et à hauteur de 92 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban, l'arrêt rendu le 22 juin 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société FCB et la Société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics ;
Condamne la société mutuelle d'assurances du bâtiment et des travaux publics, le GIE Ceten Apave international et Les Souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Sergeant (demanderesse au pourvoi principal)
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Sergeant fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée, in solidum avec les sociétés Adelec Services, FCB, son assureur la SMABTP, le GIE Ceten Apave International et son assureur, les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], à garantir la société Les Jardins de Vauban et son assureur la SMABTP de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires, de l'avoir condamné à garantir le GIE Ceten Apave International et son assureur, les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12] des sommes mises à leur charge à hauteur de 80% et de l'avoir condamnée à garantir la SMABTP des sommes mises à sa charge dans les proportions de 85% pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la FCB et à hauteur de 92 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban,
ALORS QU' à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant doit signifier ses conclusions aux parties qui n'ont pas constitué avocat avant l'expiration du délai de quatre mois courant à compter de la déclaration d'appel ; qu'en l'espèce, la société Les Jardins de Vauban a formé appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Arras le 29 septembre 2015, par déclaration au greffe du 9 octobre 2015 ; qu'elle n'a signifié ses premières conclusions, par lesquelles elle demandait la condamnation in solidum de M. [K], des sociétés Adelec Services, Sergeant, FCB, du GIE Ceten Apave International, de leurs assureurs respectifs et de son propre assureur, la société SMABTP, à la société Sergeant, n'ayant pas constitué avocat, que le 12 février 2016 ; que la cour d'appel a constaté que la société Sergeant n'avait pas constitué avocat ; qu'en affirmant cependant, pour prononcer à son encontre différentes condamnations, que « la société Sergeant a été régulièrement attraite à la procédure et s'est vu signifier les dernières écritures de certaines parties », sans vérifier que l'appelante avait signifié ses premières conclusions à la société Sergeant dans le délai de quatre mois courant à compter de la déclaration d'appel, la cour d'appel a violé l'article 908 du code civil, dans sa version issue du décret n° 2010-1647 du 28 décembre 2010 et l'article 911 du même code, dans sa version issue du décret n° 2012-634 du 3 mai 2012, également applicable au litige du code de procédure civile. DEUXIEME MOYEN DE CASSATION, (subsidiaire)
La société Sergeant fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à garantir le GIE Ceten Apave International et son assureur, les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], des sommes mises à leur charge à hauteur de 80%,
1) ALORS QU' en se bornant à affirmer, pour condamner la société Sergeant à garantir le GIE Ceten Apave International et son assureur, les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], des sommes mises à leur charge à hauteur de 80%, que « les appels en garantie formés par (
) et le GIE Ceten Apave International seront accueillis dans les proportions ainsi déterminées », sans énoncer aucun motif de nature à justifier la garantie par la société Sergeant des condamnations mises à la charge du GIE et de son assureur, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2) ALORS, en tout état de cause, QUE les codébiteurs, tenus in solidum, ne sont tenus que pour leur part et portion de la dette ; que celui qui a payé audelà de sa part ne dispose d'un recours contre les autres qu'à proportion de leur propre part ; que la cour d'appel a évalué, en fonction du domaine d'intervention et de la gravité des fautes respectives, la part de responsabilité des constructeurs ou assimilés comme suit : 5% à la charge de la société Adelec Services, 12% à la charge de la société Sergeant, 15% à la charge de la société FCB, 20% à la charge du GIE Ceten Apave, 40% à la charge de la maîtrise d'oeuvre, au sens large, à savoir M. [K] et la société APIA et 8% à la charge de la société Les Jardins de Vauban pour son immixtion dans les travaux relatifs aux plafonds ; qu'en condamnant la société Sergeant à garantir le GIE Ceten Apave International et son assureur, les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], des sommes mises à leur charge à hauteur de 80%, la cour d'appel a violé l'article 1317 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION, (subsidiaire)
La société Sergeant fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à garantir la SMABTP des sommes mises à sa charge, dans les proportions de 85% pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la FCB et à hauteur de 92 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban,
1) ALORS QU' en se bornant à affirmer, pour condamner la société Sergeant à garantir la SMABTP des sommes mises à sa charge, dans les proportions de 85% pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la FCB et à hauteur de 92 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban, que « ses appels en garantie dirigés contre le GIE Ceten Apave International, son assureur et les sociétés Adelec Services et Sergeant seront accueillis », sans énoncer aucun motif de nature à justifier la garantie par la société Sergeant des condamnations mises à la charge de l'assureur, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
2) ALORS, en tout état de cause, QUE les codébiteurs tenus in solidum ne sont tenus que pour leur part et portion de la dette ; que celui qui a payé audelà de sa part ne dispose d'un recours contre les autres qu'à proportion de leur propre part ; que la cour d'appel a évalué, en fonction du domaine d'intervention et de la gravité des fautes respectives, la part de responsabilité des constructeurs ou assimilés comme suit : 5% à la charge de la société Adelec Services, 12% à la charge de la société Sergeant, 15% à la charge de la société FCB, 20% à la charge du GIE Ceten Apave, 40% à la charge de la maîtrise d'oeuvre, au sens large, à savoir M. [K] et la société APIA et 8% à la charge de la société Les Jardins de Vauban pour son immixtion dans les travaux relatifs aux plafonds ; qu'en condamnant la société Sergeant à garantir la SMABTP des sommes mises à sa charge, dans les proportions de 85% pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la FCB et à hauteur de 92 % pour les sommes réglées en sa qualité d'assureur de la société Les Jardins de Vauban à hauteur de 80%, la cour d'appel a violé l'article 1317 du code civil.
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société FCB (demanderesse au pourvoi incident éventuel)
La société FCB fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée in solidum avec son assureur, la SMABTP, les sociétés Adelec Services, Sergeant, le GIE Ceten Apage International et son assureur, les souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12], à garantir la société Les jardins de Vauban et la SMABTP, son assureur, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires ;
Alors qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt prononçant la condamnation in solidum de la société Sergeant, demanderesse au pourvoi, doit profiter à la société FCB, condamnée in solidum à garantir la société Les jardins de Vauban et la SMABTP, son assureur, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires. Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour le GIE Ceten Apave international et la société Les Souscripteurs du Lloyd's de [Localité 12] (demandeurs au pourvoi incident)
Le Gie Ceten Apave International et son assureur Les Lloyd's de [Localité 12] font GRIEF A l'arrêt attaqué de les avoir condamnés in solidum avec la société Sergeant, la sociégé FCB et son assureur, la SMABTP, et la société Adelec Services, à garantir la société Les jardins de Vauban et la SMABTP, son assureur, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires ;
1°)- ALORS QUE en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt prononçant la condamnation in solidum de la société Sergeant, demanderesse au pourvoi, doit profiter à la société FCB, condamnée in solidum à garantir la société Les jardins de Vauban et la SMABTP, son assureur, de toutes condamnations prononcées à leur encontre au bénéfice du syndicat des copropriétaires. | Si, en application de l'article 14 du code de procédure civile, il appartient à la cour d'appel de vérifier que la partie non comparante a été régulièrement appelée, elle n'est pas tenue de vérifier d'office si l'appelant a, dans le délai imparti par les articles 908 et 911 du code de procédure civile, signifié ses conclusions à l'intimé qui n'a pas constitué avocat |
8,522 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 45 F-B
Pourvoi n° U 21-17.581
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
La Société anonyme d'HLM d'aménagement et de gestion immobilière (Sagim), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-17.581 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d'appel de Caen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société S21Y, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de Mme [C] [W], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bâti GSB, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Société anonyme d'HLM d'aménagement et de gestion immobilière (Sagim), de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société S21Y, ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 30 mars 2021), le 15 juin 2012, la Société anonyme d'HLM d'aménagement et de gestion immobilière (la Sagim), maître de l'ouvrage, a confié à la société Xavier Laine, entrepreneur principal, le lot relatif à l'isolation thermique d'un chantier de réhabilitation de logements HLM.
2. Par des contrats du 19 mars 2013, l'entrepreneur principal a sous-traité une partie de ce lot à la société Bâti GSB, le paiement du sous-traitant devant être réalisé directement par le maître de l'ouvrage.
3. Après la réalisation des travaux, la société Bâti GSB n'a pu obtenir du maître de l'ouvrage le paiement de ses factures.
4. La société Bâti GSB a assigné la Sagim en paiement de ses factures et en dommages et intérêts pour procédure abusive. Un jugement du 28 juin 2016 a rejeté ces demandes.
5. Mise en liquidation judiciaire le 6 juillet 2016, la société Bâti GSB a interjeté appel de ce jugement le 29 juillet 2016.
6. L'affaire a été renvoyée à la mise en état et l'ordonnance de clôture révoquée, en raison de la survenue de la liquidation judiciaire et, par une ordonnance du 24 janvier 2018, le conseiller de la mise en état a constaté « l'interruption de l'instance » et enjoint aux parties de régulariser la procédure.
7. Le liquidateur de la société Bâti GSB est intervenu volontairement à l'instance.
8. Par une ordonnance du 16 octobre 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions d'incident et au fond signifiées par la Sagim.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. La Sagim fait grief à l'arrêt, après avoir tenu l'appel pour recevable, de déclarer recevable l'intervention volontaire du liquidateur de la société Bâti GSB, de la condamner à payer au liquidateur la somme de 120 709,57 euros et d'ordonner la capitalisation des intérêts, alors :
« 1°/ que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir doit être relevée d'office lorsqu'elle a un caractère d'ordre public ; qu'en s'abstenant de relever d'office la fin de non-recevoir d'ordre public tirée du dessaisissement du débiteur en liquidation et l'irrecevabilité de l'appel formé par le seul débiteur dessaisi, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du code de commerce, ensemble l'article 125, alinéa 1, du code de procédure civile ;
2°/ qu'à supposer que l'intervention du liquidateur judiciaire puisse régulariser la procédure initiée par le seul débiteur dessaisi, c'est à la condition que cette intervention intervienne avant l'expiration du délai d'appel ; qu'en s'abstenant de constater que l'intervention du liquidateur était intervenue dans le délai d'appel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 641-9 du code de commerce et 125, alinéa 1, et 126 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte des articles L. 641-9 du code de commerce et 125 du code de procédure civile que le débiteur mis en liquidation judiciaire est irrecevable à interjeter appel d'un jugement concernant son patrimoine et que cette fin de non-recevoir, qui est d'ordre public, doit être relevée d'office par le juge. Cependant, celle-ci peut être régularisée par l'intervention du liquidateur dans le délai d'appel, conformément aux dispositions de l'article 126, alinéa 2, du code de procédure civile.
11. Même lorsqu'il est d'ordre public, le moyen invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation n'est recevable que s'il résulte d'un fait dont la cour d'appel a été mise à même d'avoir connaissance.
12. Selon les énonciations de l'arrêt, la société débitrice Bâti GSB, après sa mise en liquidation judiciaire, a relevé appel, seule, du jugement entrepris, puis son liquidateur est intervenu volontairement à l'instance d'appel.
13. En l'état des conclusions et pièces soumises à la cour d'appel par le seul liquidateur, eu égard à l'irrecevabilité des conclusions de la Sagim, entraînant l'irrecevabilité des pièces qu'elle a produites, dont il ne ressortait ni précision ni aucune justification sur la signification du jugement au liquidateur, la cour d'appel n'a pas été mise à même de constater que le délai d'appel avait couru à l'égard du liquidateur et avait expiré à la date de son intervention volontaire.
14. En conséquence, le moyen, pris en sa seconde branche, étant irrecevable, l'intervention du liquidateur à l'instance d'appel a régularisé la fin de non-recevoir affectant l'appel du débiteur.
15. Le moyen, inopérant en sa première branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société anonyme d'HLM d'aménagement et de gestion immobilière (la Sagim) aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société anonyme d'HLM d'aménagement et de gestion immobilière (la Sagim) et la condamne à payer à la société S21Y, en qualité de liquidateur de la société Bâti GSB, la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la Société anonyme d'HLM d'aménagement et de gestion immobilière (Sagim).
L'arrêt attaqué, critiqué par la SAGIM, encourt la censure ;
EN CE QUE, après avoir tenu l'appel pour recevable, il a déclaré recevable l'intervention volontaire de Maître [C] [W], ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SARL BATI GSB, il a infirmé le jugement du tribunal de commerce d'Alençon du 28 juin 2016, puis il a condamné la SA HLM SAGIM à payer à Maître [C] [W] la somme de 120.709,57 euros et a dit que les intérêts échus produiront intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
ALORS QUE, premièrement, la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir doit être relevée d'office lorsqu'elle a un caractère d'ordre public ; qu'en s'abstenant de relever d'office la fin de non-recevoir d'ordre public tirée du dessaisissement du débiteur en liquidation et l'irrecevabilité de l'appel formé par le seul débiteur dessaisi, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9 du Code de commerce, ensemble l'article 125 al. 1er du code de procédure civile ;
ALORS QUE, deuxièmement, à supposer que l'intervention du liquidateur judiciaire puisse régulariser la procédure initiée par le seul débiteur dessaisi, c'est à la condition que cette intervention intervienne avant l'expiration du délai d'appel ; qu'en s'abstenant de constater que l'intervention du liquidateur était intervenue dans le délai d'appel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 641-9 du Code de commerce et 125 al. 1er et 126 du code de procédure civile. | Il résulte des articles L. 641-9 du code de commerce et 125 du code de procédure civile que le débiteur mis en liquidation judiciaire est irrecevable à interjeter appel d'un jugement concernant son patrimoine et que cette fin de non-recevoir, qui est d'ordre public, doit être relevée d'office par le juge. Cependant, celle-ci peut être régularisée par l'intervention du liquidateur dans le délai d'appel, conformément aux dispositions de l'article 126, alinéa 2, du code de procédure civile |
8,523 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 50 F-B
Pourvoi n° J 21-18.492
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 JANVIER 2023
1°/ La société BCM, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège [Adresse 5], en la personne de M. [K] [E], prise en qualité de mandataire ad hoc chargé de la gestion du boni de liquidation et de la liquidation amiable de la Société hôtelière de l'anse heureuse, et en qualité de commissaire à l'exécution du plan de Mme [G] [B] et de M. [W] [I],
2°/ la société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de Mme [L] [Y], prise en qualité de mandataire judiciaire de Mme [G] [B] et M. [W] [I],
3°/ Mme [G] [B],
4°/ M. [W] [I],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
héritiers indivis de [P] [I],
ont formé le pourvoi n° J 21-18.492 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1 - chambre 10), dans le litige les opposant à la société Axa banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat des sociétés BCM, ès qualités, et MJA, ès qualités, de Mme [B] et de M. [W] [I], de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Axa banque, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 mars 2021), le 26 avril 2012, la Société hôtelière de l'anse heureuse (la société HAH), dont [P] [I] détenait 98 % du capital, a été mise en liquidation judiciaire, Mme [N] [B] étant désignée en qualité de liquidateur.
2. Par actes authentiques du 30 avril 2013, la société Axa banque (la banque) a consenti à [P] [I] quatre prêts, d'un montant global de 16 735 000 euros.
3. [P] [I] est décédé le [Date décès 1] 2016, en laissant pour lui succéder Mme [G] [B] et M. [W] [I], qui ont accepté la succession purement et simplement.
4. La banque a déclaré ses créances au notaire chargé de la succession et, les 8 et 11 septembre 2017, a signifié aux héritiers les titres exécutoires constatant les prêts.
5. Par un jugement du 12 avril 2018, la liquidation judiciaire de la société HAH a été clôturée pour extinction du passif et la société BCM désignée en qualité de mandataire ad hoc pour gérer le boni de liquidation qui devait lui être remis par le liquidateur.
6. Le 19 avril 2019, la banque a fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la société BCM, en sa qualité de mandataire ad hoc désigné pour gérer le boni de liquidation. Cette saisie a été dénoncée à M. [W] [I] et à Mme [G] [B], les 25 et 26 avril 2019.
7. Le 17 mai 2019, la société BCM, ès qualités, a assigné la banque et les héritiers devant le juge de l'exécution pour obtenir la mainlevée de la saisie-attribution. Par une ordonnance du 24 juin 2019, elle a été désignée en qualité de liquidateur amiable.
8. Un jugement du 25 juin 2019 a mis Mme [G] [B] et M. [W] [I] en redressement judiciaire et a désigné la société BCM en qualité d'administrateur judiciaire et la société MJA en qualité de mandataire judiciaire, lesquelles sont intervenues volontairement à la procédure pendante devant le juge de l'exécution.
9. Par un jugement du 8 octobre 2019, le juge de l'exécution, après avoir accueilli ces interventions, a ordonné la mainlevée de la saisie. La banque a formé appel de cette décision et a intimé les héritiers et les sociétés BCM et MJA, ès qualités.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office
10. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 631-12 du code de commerce et les articles 122 et 127 du code de procédure civile :
11. La mission d'assistance confiée à l'administrateur judiciaire en application du premier de ces textes ne vient pas priver le débiteur en redressement judiciaire de la faculté de conclure seul pour défendre à une action patrimoniale dirigée contre lui, pourvu que cette action ait également été dirigée contre son administrateur. Il n'en résulte, en cette hypothèse, aucun défaut de qualité du débiteur susceptible de se traduire par l'irrecevabilité de telles conclusions, ni aucune nullité de fond de ces mêmes conclusions.
12. Pour déclarer nulles, en raison d'un défaut de capacité constitutif d'une irrégularité de fond énoncée à l'article 117 du code de procédure civile, les premières conclusions déposées le 27 janvier 2020 par Mme [B] et M. [I], seuls, et irrecevables les conclusions postérieures, l'arrêt retient que les débiteurs ont été mis en redressement judiciaire par deux jugements du 25 juin 2019.
13. En statuant ainsi, alors que les conclusions d'intimés déposées le 27 janvier 2020 par Mme [B] et M. [I] n'étaient entachées ni d'une irrégularité de fond ni d'un défaut de qualité des débiteurs, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
14. La société BCM, ès qualités, la société MJA, ès qualités, et Mme [B] et M. [I] font grief à l'arrêt de valider la saisie-attribution du 19 avril 2019, alors « qu'aux termes de l'article L. 662-1 du code de commerce, aucune opposition ou procédure d'exécution de quelque nature qu'elle soit sur les sommes versées à la Caisse des dépôts et consignations n'est recevable ; que cette disposition reste applicable, après la décision prononçant la clôture d'une procédure de liquidation judiciaire pour extinction du passif, aux fonds issus de cette liquidation déposés à la Caisse par un mandataire ad hoc désigné pour gérer ces fonds dès lors que la société ne survit que pour les besoins de la liquidation ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 662-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1844-7, 7° du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, 1844-8 de ce code, L. 641-9, II et L. 662-1 du code de commerce :
15. Il résulte du premier de ces textes que la société prend fin par l'effet d'un jugement ordonnant sa liquidation judiciaire ce qui, en application du deuxième, se traduit par sa dissolution sur laquelle le jugement de clôture pour extinction du passif est sans incidence, rendant ainsi nécessaire la désignation d'un liquidateur amiable pour en achever les opérations. En application du dernier de ces textes, aucune opposition ou procédure d'exécution de quelque nature qu'elle soit sur les sommes versées par un liquidateur à la Caisse des dépôts et consignations n'est recevable.
16. Pour valider la saisie-attribution, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 662-1 du code de commerce sont sans application dès lors que les opérations de liquidation amiable de la société HAH ne sont pas régies par les dispositions du code de commerce relatives aux procédures collectives.
17. En statuant ainsi, alors que la clôture de la procédure collective de la société HAH pour extinction du passif était restée sans incidence sur la nécessité impérative d'achever les opérations tendant à la dissolution de cette société provoquée par sa mise en liquidation judiciaire, justifiant ainsi la désignation par le jugement de clôture d'un mandataire ad hoc puis ensuite d'un liquidateur ayant notamment pour mission de répartir les fonds déposés par le liquidateur à la Caisse des dépôts et consignations où ils étaient insaisissables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement rendu le 8 octobre 2019 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris ;
Condamne la société Axa banque aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Paris ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axa banque et la condamne à payer à la société BCM, prise en ses qualités de mandataire ad hoc chargé de la gestion du boni de liquidation et de la liquidation amiable de la Société hôtelière de l'anse heureuse et de commissaire à l'exécution du plan de Mme [G] [B] et de M. [W] [I], à la société MJA, prise en ses qualités de mandataire judiciaire de Mme [G] [B] et de M. [W] [I], et à Mme [G] [B] et M. [W] [I] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour la société BCM, en la personne de M. [K] [E], prise en ses qualités de mandataire ad hoc chargé de la gestion du boni de liquidation et de la liquidation amiable de la Société hôtelière de l'anse heureuse et de commissaire à l'exécution du plan de Mme [G] [B] et de M. [W] [I], la société MJA, prise en sa qualité de mandataire judiciaire de Mme [G] [B] et de M. [W] [I], et Mme [G] [B] et M. [W] [I].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [B], M. [I], la société BCM, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de Mme [B] et de M. [I] et la société MJA, en qualité de mandataire judiciaire de Mme [B] et de M. [I], font grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé les conclusions de Mme [B] et de M. [I] du 27 janvier 2020
1°) ALORS QUE, dans les cas où elle est susceptible d'être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ; que, pour annuler les conclusions de Mme [B] et de M. [I] en date du 27 janvier 2020, la cour d'appel a retenu que Mme [B] et M. [I] ne pouvaient conclure seuls alors qu'une procédure de redressement judiciaire avait été ouverte à leur égard, ce défaut de capacité constituant une irrégularité de fond visée à l'article 117 du code de procédure civile ; qu'en statuant ainsi cependant que Mme [B], M. [I] et leurs administrateur et mandataire judiciaires avaient déposé, le 26 janvier 2021, soit avant que le juge statue, des conclusions qui avaient, selon l'arrêt, « régularisé l'irrégularité initiale », la cour d'appel a violé les articles 117 et 121 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE Mme [B], M. [I], la société BCM, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de Mme [B] et de M. [I] et la société MJA, en qualité de mandataire judiciaire de Mme [B] et de M. [I], faisaient valoir que la nullité des conclusions prises par Mme [B] et M. [I] seuls avait été couverte par les conclusions communes déposées par Mme [B], M. [I] et leurs administrateur et mandataire judiciaires le 26 janvier 2021, soit avant que le juge statue ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE, subsidiairement, pour annuler les conclusions de Mme [B] et de M. [I] en date du 27 janvier 2020, la cour d'appel a retenu que Mme [B] et M. [I] ne pouvaient conclure seuls alors qu'une procédure de redressement judiciaire avait été ouverte à leur égard, ce défaut de capacité constituant une irrégularité de fond visée à l'article 117 du code de procédure civile ; que, cependant, l'administrateur et le mandataire judiciaires de Mme [B] et de M. [I] ont déposé, le 24 janvier 2020, soit dans le délai de l'article 905-2 du code de procédure civile, des conclusions visant aux mêmes fins que celles de Mme [B] et de M. [I] ; qu'en retenant néanmoins la nullité des conclusions de Mme [B] et de M. [I] en date du 27 janvier 2020, la cour d'appel a violé les articles 117 et 121 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [B], M. [I], la société BCM, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de Mme [B] et de M. [I] et la société MJA, en qualité de mandataire judiciaire de Mme [B] et de M. [I], font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit irrecevables les conclusions de la Selarl BCM, prise en la personne de M. [E], ès qualités d'administrateur judiciaire de Mme [B] et de M. [I], et de la Selafa MJA, prise en la personne de Mme [Y], ès qualités de mandataire judiciaire de Mme [B] et de M. [I]
1°) ALORS QUE la cour d'appel a constaté que les conclusions du 24 janvier 2020, prises notamment par l'administrateur et le mandataire judiciaires de Mme [B] et de M. [I], étaient recevables et n'a pas prononcé leur nullité ; que ces conclusions ayant été déposées dans le délai de l'article 905-2 du code de procédure civile, les conclusions postérieures de l'administrateur et du mandataire judiciaires de Mme [B] et de M. [I] n'encouraient aucune irrecevabilité ; qu'en prononçant néanmoins l'irrecevabilité des conclusions de l'administrateur et du mandataire judiciaires de Mme [B] et de M. [I], la cour d'appel a violé l'article 905-2 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, la cour d'appel, après avoir constaté, dans les motifs de sa décision, que les conclusions du 24 janvier 2020, prises notamment par l'administrateur et le mandataire judiciaires de Mme [B] et de M. [I], étaient recevables, a retenu, dans le dispositif, l'irrecevabilité des conclusions de l'administrateur et du mandataire judiciaires de Mme [B] et de M. [I] ; qu'en statuant ainsi par des motifs contradictoires, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, la cassation prononcée sur le premier moyen entraînera, par voie de conséquence, la cassation de l'arrêt en qu'il a dit irrecevables les conclusions de l'administrateur et du mandataire judiciaires de Mme [B] et de M. [I], en application de l'article 624 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société BCM, en qualité de mandataire ad hoc chargé de la gestion du boni de liquidation et de la liquidation amiable de la société Shah, Mme [B], M. [I], la société BCM, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de Mme [B] et de M. [I] et la société MJA, en qualité de mandataire judiciaire de Mme [B] et de M. [I], font grief à l'arrêt attaqué d'avoir validé la saisie-attribution du 19 avril 2019
1°) ALORS QUE la saisie-attribution ne peut porter que sur une créance certaine, existant au jour de la saisie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que Mme [B] et M. [I] ne percevraient un boni de liquidation qu'à l'issue des opérations de liquidation de la société Shah, qui ne pourrait intervenir qu'après la vente d'un bien et le paiement de diverses dettes de la société ; qu'il en résultait que Mme [B] et M. [I] ne disposaient, au jour de la saisie, d'aucune créance, à défaut d'achèvement de la liquidation de la société, de détermination du boni de liquidation et de décision d'attribution de ce boni aux associés ; qu'en validant la saisie-attribution malgré l'inexistence de la créance au jour de la saisie, la cour d'appel a violé l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
2°) ALORS QUE la saisie-attribution ne peut porter que sur une créance certaine, existant au jour de la saisie, détenue par le débiteur du saisissant à l'encontre du tiers saisi ; qu'en l'espèce, à la date de la saisie, Mme [B] et M. [I] ne détenaient aucune créance à l'encontre de la société BCM qui avait été désignée en qualité de mandataire ad hoc de la société Shah à l'effet de gérer le boni de liquidation que devrait lui verser le liquidateur judiciaire de cette société ; que ce mandataire ad hoc, qui n'était chargé que de gérer les fonds qui lui étaient remis et non de les répartir à l'issue de la liquidation, n'était débiteur des sommes détenues qu'à l'égard de la société Shah, dont la personnalité juridique subsistait pour les besoins de la liquidation, et non de Mme [B] et de M. [I] ; qu'en retenant cependant que la société Axa banque, créancière de Mme [B] et de M. [I], pouvait faire pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la société BCM, en qualité de mandataire ad hoc de la société Shah à l'effet de gérer le boni de liquidation que devrait lui verser le liquidateur judiciaire de cette société, la cour d'appel a violé l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
3°) ALORS QUE la société BCM, en qualité de mandataire ad hoc de la société Shah à l'effet de gérer le boni de liquidation versé par le liquidateur judiciaire de cette société, faisait valoir qu'au jour de la saisie, elle n'était pas débitrice de Mme [B] et de M. [I] dès lors qu'elle ne détenait que des fonds appartenant à la société Shah dont la personnalité juridique subsistait pour les besoins de sa liquidation et qu'elle n'était pas chargée de répartir le boni de liquidation ; qu'elle en déduisait qu'elle ne pouvait avoir la qualité de tiers saisi (conclusions de la société BCM, mandataire ad hoc à l'effet de gérer le boni de liquidation de la société Shah, du 25 janvier 2021, p. 11 à 13) ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'une créance dont le montant n'est pas déterminé, ce qui ne permet pas au tiers saisi de déclarer l'étendue de ses obligations, ne peut être saisie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le montant de la créance de Mme [B] et de M. [I] n'était pas fixé à la date de la saisie et ne pourrait être déterminé qu'à l'issue des opérations de liquidation de la société Shah ; qu'en validant néanmoins la saisie-attribution, la cour d'appel a violé l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
5°) ALORS QU'aux termes de l'article L. 662-1 du code de commerce, aucune opposition ou procédure d'exécution de quelque nature qu'elle soit sur les sommes versées à la Caisse des dépôts et consignations n'est recevable ; que la saisie est irrecevable dès lors qu'elle vise à obtenir l'attribution de sommes versées à la Caisse, peu important qu'elle soit délivrée à la Caisse ou à un tiers ayant déposé les fonds à la Caisse ; qu'en retenant néanmoins, pour valider la saisie-attribution du 19 avril 2019, que cette saisie n'avait pas été pratiquée entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations, la cour d'appel a violé l'article L. 662-1 du code de commerce ;
6°) ALORS QU'aux termes de l'article L. 662-1 du code de commerce, aucune opposition ou procédure d'exécution de quelque nature qu'elle soit sur les sommes versées à la Caisse des dépôts et consignations n'est recevable ; que cette disposition reste applicable, après la décision prononçant la clôture d'une procédure de liquidation judiciaire pour extinction du passif, aux fonds issus de cette liquidation déposés à la Caisse par un mandataire ad hoc désigné pour gérer ces fonds dès lors que la société ne survit que pour les besoins de la liquidation ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 662-1 du code de commerce. | La mission d'assistance confiée à l'administrateur judiciaire en application de l'article L. 631-12 du code de commerce ne vient pas priver le débiteur en redressement judiciaire de la faculté de conclure seul pour défendre à une action patrimoniale dirigée contre lui, pourvu que cette action ait également été dirigée contre son administrateur. Il n'en résulte, en cette hypothèse, aucun défaut de qualité du débiteur susceptible de se traduire par l'irrecevabilité de telles conclusions, ni aucune nullité de fond de ces mêmes conclusions |
8,524 | COUR DE CASSATION LM
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 20 janvier 2023
Cassation partielle
sans renvoi
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 664 B+R
Pourvoi n° S 22-82.535
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 20 JANVIER 2023
Mme [L] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République (commission d'instruction) du 15 avril 2022 qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de mise en danger d'autrui et abstention volontaire de combattre un sinistre, a rejeté sa requête en nullité d'actes de la procédure.
Le pourvoi est examiné par l'assemblée plénière en application de l'article 24 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Par ordonnance du 10 juin 2022, la première présidente de la Cour de cassation a prescrit l'examen immédiat du pourvoi et fixé au 29 juillet 2022 l'expiration du délai imparti à la SCP Waquet, Farge et Hazan pour déposer un mémoire.
Mme [L] [P] invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation le 29 juillet 2022 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [P].
Le rapport écrit de M. Samuel, conseiller, et l'avis écrit de M. Desportes, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, assisté de M. Dureux, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, et l'avis de M. Desportes, premier avocat général, auquel la SCP Waquet, Farge et Hazan, invitée à le faire, n'a pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2022 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Chauvin, Pireyre, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, M. Samuel, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Duval-Arnould, Darbois, doyens de chambre, M. de Larosière de Champfeu, Mme Taillandier-Thomas, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Rinuy, Mme Durin-Karsenty, MM. Jacques, Riffaud, Mme Dard, conseillers, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Dottori, greffier,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 3 juillet 2020, la commission des requêtes de la Cour de justice de la République a transmis au procureur général près la Cour de cassation, ministère public près la Cour de justice de la République, des plaintes émanant de médecins, de syndicats et de particuliers, relatives à la gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19, aux fins de saisine de la commission d'instruction du chef d'abstention de combattre un sinistre, à l'encontre de M. [F] [O], Premier ministre, de Mme [L] [P], ancienne ministre des solidarités et de la santé, et de M. [Z] [U], ministre des solidarités et de la santé.
3. Par réquisitoire du 7 juillet 2020, le procureur général a requis la commission d'instruction d'informer, à l'encontre de M. [O], de Mme [P] et de M. [U], du chef d'abstention de combattre un sinistre, délit prévu et réprimé à l'article 223-7 du code pénal, faits commis à [Localité 1], courant 2019 et 2020.
4. À la suite d'autres plaintes, notamment celle du compagnon de [S] [I] consécutive au décès de cette dernière, en raison, selon le plaignant, d'une infection par le virus SARS-CoV-2, des réquisitoires supplétifs ont été pris aux fins d'informer contre les mêmes personnes, du même chef.
5. Le 10 septembre 2021, Mme [P] a été mise en examen par la commission d'instruction du chef de mise en danger d'autrui et placée sous le statut de témoin assisté du chef d'abstention volontaire de combattre un sinistre.
6. Par ordonnance du 4 octobre 2021, la présidente de la commission d'instruction a commis des experts aux fins de procéder à l'examen du dossier médical de [S] [I] et répondre à diverses questions.
7. Le 9 mars 2022, Mme [P] a saisi la commission d'instruction, sur le fondement des articles 170 et suivants du code de procédure pénale auxquels renvoie l'article 18 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, d'une requête en nullité d'actes de la procédure d'instruction portant notamment sur la mise en examen du chef de mise en danger d'autrui, le dépassement de la saisine temporelle et matérielle de la commission et les conditions d'audition de membres du Gouvernement.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisine, alors « que pour écarter les limites de sa saisine, la Commission d'instruction considère que, même en l'absence de réquisitoire supplétif, le juge d'instruction peut procéder à des vérifications, à l'exclusion de tout acte coercitif, ces vérifications fussent-elles éventuellement de nature à aboutir à caractériser des délits nouveaux, et qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, les membres de la Commission d'instruction n'ont, à l'évidence, usé d'aucun moyen coercitif ; qu'en posant à Mme [P] des questions concernant des faits survenus après son départ du gouvernement, ils n'ont fait d'user des prérogatives que leur accorde la loi, la perspective d'une "comparaison internationale" devant de surcroît "faire l'objet de nouvelles investigations" ; que ces motifs traduisent le dépassement total de sa saisine par la juridiction d'instruction, celle-ci n'ayant le pouvoir, en cas d'élément nouveau, que d'effectuer des vérifications sommaires auxquelles ne peuvent être réduites les "nombreuses auditions de témoins" auxquelles il a été procédé, avant d'en référer au ministère public pour étendre éventuellement sa saisine ; en reconnaissant investiguer sur des faits extérieurs au réquisitoire introductif, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi, l'ensemble des actes affectés par le vice d'excès de pouvoir devant être annulé par l'Assemblée plénière. »
Réponse de la Cour
9. Pour écarter le grief pris de la méconnaissance, par la commission d'instruction, des limites de sa saisine temporelle, l'arrêt attaqué énonce qu'un juge d'instruction peut procéder à des vérifications exclusives de tout acte coercitif éventuellement susceptibles d'aboutir à caractériser des délits nouveaux et que, de la même manière, les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire d'un juge d'instruction, s'ils acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication à ce magistrat des procès-verbaux qui les constatent, effectuer les vérifications sommaires qui s'imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu qu'elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l'action publique.
10. Les juges ajoutent qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, la commission d'instruction n'a pas usé de moyens coercitifs.
11. Ils précisent qu'en posant à Mme [P] des questions portant sur les faits survenus après son départ du Gouvernement, dont les réponses étaient de nature à les éclairer sur une crise sanitaire complexe, sur les mesures prises dans les différents temps de cette crise et leur articulation et sur l'acquisition des connaissances nouvelles, y compris à ses différents stades, la commission d'instruction n'a fait qu'user des prérogatives que lui accorde la loi.
12. Ils relèvent que Mme [P] a inscrit ses explications dans la perspective d'une comparaison internationale, laquelle doit faire l'objet de nouvelles investigations.
13. C'est à tort que la commission d'instruction s'est référée, d'une part, à une jurisprudence applicable à la découverte de faits nouveaux, quand elle-même n'indiquait pas en avoir découverts, d'autre part, à des interrogatoires de Mme [P] non visés par la requête.
14. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure.
15. En effet, la Cour de cassation, exerçant sa pleine compétence pour statuer en fait et en droit sur la régularité des actes de l'information conduite par la commission d'instruction, est en mesure de s'assurer que les seules questions, portant sur les différents variants et vagues successives du virus, les mesures de couvre-feu, reconfinement et vaccination, dont la requête arguait qu'elles seraient de nature à entraîner l'annulation des auditions des témoins à qui elles ont été posées, ne constituent pas un dépassement de la saisine temporelle de la commission d'instruction.
16. Les vérifications en cause ne tendent pas à la recherche de nouvelles infractions susceptibles d'avoir été commises par des membres du Gouvernement. Elles sont en revanche de nature à contribuer à l'appréciation des moyens mis en oeuvre, en l'état des connaissances acquises au moment des faits, pour combattre le danger ou le sinistre, objet de l'information. Celle-ci est limitée aux seuls faits commis entre 2019 et le 7 juillet 2020, tels qu'ils résultent des différentes décisions de la commission des requêtes, reprises par les réquisitoires introductif et supplétifs, susceptibles d'être imputés aux trois membres du Gouvernement qu'ils visent.
17. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen
Enoncé des moyens
18. Le deuxième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisine, alors « que la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République n'est saisie que des faits qui lui sont soumis par le réquisitoire introductif ; en l'espèce, le réquisitoire aux fins d'informer pris le 7 juillet 2020 rappelle l'avis de la Commission des requêtes du 3 juillet 2020. Cet avis, repris par le Parquet, après avoir rappelé les plaintes déposées à la Cour de justice de la République cite expressément les faits susceptibles, aux yeux de la Commission des requêtes et du Parquet, de constituer une infraction, notamment le délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre, les faits en cause étant précisés comme suit : "Il résulte des éléments de fait précités, s'ils étaient avérés, que l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales, seraient susceptibles de constituer l'élément matériel du délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre", la commission des requêtes – reprise par le réquisitoire – ajoutant qu'elle "ne relève pas d'éléments de nature à justifier que les plaintes visant d'autres faits et d'autres qualifications pénales à l'encontre" d'autres ministres, soient transmises à la Commission d'instruction. L'ensemble des réquisitoires supplétifs des 22 octobre 2020, 17 décembre 2020, 9 juillet 2021, 12 juillet 2021 et 21 octobre 2021 a repris la même liste exhaustive de faits ; comme l'Assemblée plénière, juge de plein contentieux en l'espèce peut le constater, il résulte de ces éléments que loin d'être général et indistinct, le réquisitoire introductif a entendu préciser et limiter les faits dont le Parquet a saisi la Commission d'instruction ; en s'estimant saisi d'un "événement protéiforme se déroulant dans le temps qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci" (arrêt § 3.1.2. al. 2), et en entendant instruire sur d'autres éléments factuels "résultant des diverses plaintes et des quelques documents versés aux débats à leur soutien" (arrêt p. 11 § 3.1.2. al. 7), la Commission d'instruction a excédé les limites de ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993. »
19. Le troisième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [P] sollicitant l'annulation de sa mise en examen, et l'annulation d'expertises diligentées pour investiguer sur les circonstances du décès ou de la contamination de certaines personnes désignées, notamment l'expertise ordonnée à propos du décès de Mme [I] et de tous les actes subséquents, alors :
« 1°/ que la Commission d'instruction a privé sa décision de motifs en s'abstenant de répondre au moyen de nullité tiré de ce que la mission confiée aux experts excédait les limites de sa saisine, et en se bornant à affirmer que "la pertinence/des expertises/ne saurait être contestée", et que "le caractère lacunaire de certaines plaintes
nécessite à l'évidence des investigations" ; la Commission d'instruction a ainsi violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que la mission confiée aux experts, notamment à propos du décès de Mme [I], les charges de déterminer les circonstances de sa prise en charge hospitalière, les causes de son décès, et de dire si les règles de l'art ont été respectées en ce qui la concerne ; tout ou partie de cette mission consiste donc à déterminer les circonstances et les responsabilités d'un décès particulier dont la Commission d'instruction n'est pas saisie ; en validant cette expertise et d'autres expertises formulées sans doute dans les mêmes termes, la Commission d'instruction a excédé les limites de sa saisine, excédé ses pouvoirs et violé l'article 80 du code de procédure pénale, les articles 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;
3°/ que les infractions autonomes de risques causés à autrui prévues et réprimées par les articles 223-1 et suivants du code pénal sont indifférentes aux éventuels résultats sur les personnes et les biens, les atteintes à ces derniers étant prévues et réprimées par d'autres textes ; tenue de préciser et de qualifier les faits qu'elle entend soumettre à la Commission d'instruction en vertu de l'article 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, la Commission des requêtes dont la décision a été reprise intégralement par le réquisitoire aux fins d'informer, a choisi de ne retenir que des faits relatifs à un comportement de risque et une qualification d'abstention volontaire de combattre un sinistre, excluant ainsi de façon claire et délibérée tout fait susceptible de constituer une atteinte aux personnes et aux biens ; en se fondant sur le motif inopérant que le tribunal judiciaire de Paris est parallèlement saisi à propos du même "événement" d'infractions portant sur les personnes et les biens, pour lancer des investigations à propos de tels faits, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, 223-1 et 223-7 du code pénal. La cassation interviendra sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler les expertises concernées et tous les actes subséquents. »
Réponse de la Cour
20. Les moyens sont réunis.
21. Pour écarter le grief pris de la méconnaissance, par la commission d'instruction, des limites de sa saisine matérielle, l'arrêt attaqué énonce que, dans une information ouverte pour abstention de combattre un sinistre, le juge se trouve saisi de l'intégralité du sinistre, qui peut être d'origine naturelle et, s'agissant d'un problème sanitaire telle qu'une pandémie, ne se limite pas à un fait précis et déterminé dans sa matérialité, mais concerne un événement protéiforme se déroulant dans le temps, qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci.
22. La commission d'instruction retient qu'il lui est permis de requalifier les faits soumis à son appréciation, en application de l'article 20 de la loi organique du 23 novembre 1993, et de procéder à tous les actes d'information utiles à la manifestation de la vérité, dans les limites des faits dont elle est régulièrement saisie.
23. Les juges précisent que les réquisitoires introductif et supplétifs, comme les décisions de la commission des requêtes, visent l'infraction d'abstention de combattre un sinistre prévue à l'article 223-7 du code pénal, et que, pour retenir cette qualification, la dite commission a évoqué l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales.
24. Ils relèvent encore que la commission des requêtes a évoqué de nombreux autres éléments factuels résultant de diverses plaintes et des documents versés à leur soutien, tels que la genèse et la chronologie du sinistre, la disparition de l'établissement de préparation aux réponses sanitaires urgentes, un changement de doctrine concernant les stocks stratégiques, notamment de masques, le fait que la constitution des stocks soit confiée aux établissements hospitaliers, l'inflexion de la politique de constitution des stocks, les modalités du port du masque et les refus d'hospitalisation.
25. Ils observent également que la commission des requêtes, qui a estimé nécessaire une enquête approfondie, n'a pas explicitement écarté la qualification de mise en danger visée par certains plaignants.
26. Ils ajoutent que la saisine matérielle s'entend de la possibilité d'instruire sur toutes les circonstances qui modifient ou aggravent le caractère pénal des faits dénoncés dans les plaintes, que le juge d'instruction a le devoir d'instruire sur l'ensemble des faits dont il est saisi et qu'en particulier la commission d'instruction doit, en cas de demande de réquisitoire supplétif, articuler des faits à l'encontre d'un ministre déterminé, ce qu'elle ne peut faire s'il lui est interdit d'instruire sur la totalité des faits dont elle a été saisie.
27. Ils retiennent, en outre, qu'ayant été saisis avant que ne soit ouverte l'information judiciaire suivie au pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris, qui ne concerne que des personnes autres que des ministres, des chefs d'abstention volontaire de combattre un sinistre, d'homicides et blessures involontaires et de mise en danger de la vie d'autrui, ils sont contraints de procéder à des investigations concernant d'autres intervenants que les ministres, lesquelles ne peuvent être analysées comme excédant leur saisine, étant de nature à permettre de retracer le contexte de l'adoption et de la mise en oeuvre des décisions ministérielles.
28. L'arrêt énonce, par ailleurs, que la demande d'annulation d'actes matériellement réalisés par l'un des membres de la commission d'instruction, délégué par elle, en particulier les expertises dont la pertinence ne saurait être contestée, ne peut qu'être rejetée dès lors que le caractère lacunaire de certaines plaintes, pourtant déclarées recevables par la commission des requêtes, nécessite des investigations, ne serait-ce que sur l'existence d'une contamination par le SARS-CoV2.
29. La commission d'instruction ne pouvait ériger en principe que son devoir d'instruire sur les faits dont elle est saisie l'autoriserait à informer sur l'ensemble d'une pandémie et à l'égard d'autres intervenants que les ministres visés par les différentes décisions de la commission des requêtes auxquelles se réfèrent les réquisitoires introductif et supplétifs.
30. Elle a, par ailleurs, omis de répondre par des motifs suffisants aux griefs articulés au soutien de la nullité de la mission d'expertise relative à [S] [I], comme excédant les limites matérielles de sa saisine.
31. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure.
32. En effet, la Cour de cassation, exerçant sa pleine compétence pour statuer en fait et en droit sur la régularité des actes de l'information, est en mesure de s'assurer que l'ordonnance définissant la mission d'expertise médicale relative aux conditions du décès de [S] [I], seule ordonnance de cette nature figurant au dossier de la procédure au moment où la commission a statué et seul type de décision sur lequel la requête fondait sa demande de nullité pour dépassement de la saisine matérielle, n'excède pas les limites de cette saisine.
33. En premier lieu, la mission d'expertise a pour objet de faire examiner l'ensemble des pièces du dossier médical de la défunte, afin de vérifier si la cause de son décès consiste en une infection par le virus SARS-CoV2, comme l'affirme son compagnon dont la plainte a déterminé la décision de la commission des requêtes du 28 juin 2021, suivie du réquisitoire supplétif du 12 juillet 2021.
34. En second lieu, cette mission tend à apprécier l'existence ou non d'un lien de causalité entre, d'une part, les faits dénoncés par le plaignant relatifs notamment à une préparation insuffisante à la lutte contre l'épidémie et l'absence de suite apportée aux lignes directrices de l'Organisation mondiale de la santé sur le dépistage et le port du masque dans certaines circonstances, d'autre part, le décès de [S] [I].
35. Il en découle que les investigations ainsi ordonnées sont en relation avec la recherche de la vérité quant aux faits dont la commission d'instruction est saisie, lesquels sont expressément limités à ceux qui résultent des différentes décisions de la commission des requêtes auxquelles se réfèrent les réquisitoires introductif et supplétifs, qui ne comprennent pas de faits d'atteinte à la vie ou à l'intégrité de la personne.
36. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
37. Il est fait grief l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de sa mise en examen du chef de mise en danger de la vie d'autrui, alors « que les articles L.1110-1 du code de la santé publique, L.1413-4 et L.3131-1 du même code, L.1141-1 et L.1142-8 du code de la défense ne caractérisent aucune obligation particulière de prudence ou de sécurité, et se bornent à rappeler de façon générale des principes de protection en matière de santé et de défense, et la participation du ministère de la santé aux objectifs de défense nationale ; le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé n'édicte pas davantage une obligation particulière de prudence ou de sécurité à sa charge, et se borne à définir le champ de compétence du ministre et les matières qui lui sont attribuées au sein du gouvernent ; aucun de ces textes n'édicte une obligation particulière de prudence ou de sécurité pesant sur le ministre des solidarités et de la santé ; la Commission d'instruction a encore excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 223-1 du code pénal et 80-1 du code de procédure pénale :
38. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'une juridiction d'instruction ne peut procéder à une mise en examen du chef de mise en danger d'autrui sans avoir préalablement constaté l'existence de l'obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation manifestement délibérée est susceptible de permettre la caractérisation du délit.
39. Pour rejeter la requête tendant à l'annulation de la mise en examen de Mme [P] du chef de mise en danger d'autrui, prise notamment de l'inexistence d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, l'arrêt attaqué se fonde sur les articles L. 1110-1, L. 1413-4 et L. 3131-1 du code de la santé publique, L. 1141-1 et L. 1142-8 du code de la défense ainsi que sur le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé.
40. En statuant ainsi, la commission d'instruction, qui s'est référée à des textes qui ne prévoient pas d'obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé, pour les motifs qui suivent.
41. En premier lieu, l'article L. 1110-1 du code de la santé publique se borne à fixer, pour l'ensemble des intervenants du système de santé, un simple objectif de mise en oeuvre du droit à la protection de la santé.
42. En deuxième lieu, l'article L. 1413-4 du même code prévoit, en termes généraux, que l'agence nationale de santé publique procède, à la demande du ministre chargé de la santé, à diverses opérations comme l'acquisition, le stockage et la distribution de produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves.
43. En troisième lieu, l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable aux faits objet de la mise en examen, ne fait qu'ouvrir au ministre chargé de la santé la possibilité, en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, de prescrire toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu.
44. En quatrième lieu, l'article L. 1141-1 du code de la défense se borne à confier à chaque ministre la responsabilité de la préparation et de l'exécution des mesures de défense dans le département dont il a la charge. Ainsi, l'article L. 1142-8 du même code attribue au ministre chargé de la santé la responsabilité de l'organisation et de la préparation du système de santé, de la prévention des menaces sanitaires graves et de la protection de la population contre ces dernières.
45. En cinquième et dernier lieu, le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé, qui dispose que ce dernier « est responsable de l'organisation de la prévention et des soins », et lui confie la charge d'élaborer, avec les autres ministres compétents, les règles relatives à la politique de la santé contre les divers risques susceptibles de l'affecter, n'a d'autre objet que de déterminer le champ de ses compétences.
46. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
47. Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] sollicitant l'annulation des auditions en qualité de témoin de membres du gouvernement effectuées par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République non en formation collégiale mais seulement par un ou deux de ses membres, alors « que l'article 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 prescrit expressément que « les auditions et interrogatoires des membres du gouvernement sont effectués par la Commission d'instruction » ; ce texte attribue compétence à la seule formation collégiale de la Commission d'instruction en la matière, et comme toute règle de compétence, elle est d'ordre public, et sa sanction n'est pas subordonnée à la démonstration d'un grief ; en rejetant les demandes de nullité des auditions faites irrégulièrement en dehors de la formation collégiale, au motif erroné que l'article 21 ne serait pas d'ordre public ni prescrit à peine de nullité, et au motif inopérant que sa méconnaissance n'aurait pas bafoué un droit ou un intérêt propre à Mme [P], la Commission d'instruction a violé ledit texte et excédé ses pouvoirs ; la cassation sera prononcée sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler l'ensemble des auditions concernées. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 11 et 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République :
48. Selon le premier de ces textes, la commission d'instruction se compose de trois membres.
49. Selon le second, les auditions et interrogatoires des membres du Gouvernement sont effectués par la commission d'instruction.
50. Cette dernière règle, relative à la composition de la juridiction, est d'ordre public. Sa méconnaissance peut être invoquée par toute partie à la procédure sans qu'il lui incombe d'établir un grief.
51. Pour rejeter la demande d'annulation des auditions de M. [M], Mme [N], Mme [V] et Mme [J], membres du Gouvernement en exercice, effectuées par un ou par deux des trois juges de la commission d'instruction, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 21 de la loi organique du 23 novembre 1993 ne sont ni édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ni prescrites à peine de nullité, ni revêtues d'un caractère d'ordre public.
52. Il ajoute que les conditions dans lesquelles ont été conduites ces auditions n'ont eu ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à un droit ou un intérêt propre à Mme [P] et qu'aucun grief n'est articulé au soutien de la demande d'annulation de ces actes.
53. En statuant ainsi, la commission d'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
54. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
55. L'assemblée plénière de la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3, alinéa 3, du code de l'organisation judiciaire, la cassation aura lieu sans renvoi.
56. Elle prononcera donc la nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] du chef de mise en danger d'autrui dans les conditions précisées au dispositif.
57. Elle prononcera également la nullité des auditions de M. [M] (CJR D 9829), Mme [N] (CJR D 3044), Mme [V] (CJR D 3054) et Mme [J] (CJR D 5693).
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République en date du 15 avril 2022, mais en ses seules dispositions rejetant la requête en nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] et des auditions de M. [M], Mme [N], Mme [V] et Mme [J], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
PRONONCE la nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] du chef de mise en danger d'autrui ;
DIT que, par l'effet de cette annulation, Mme [P] est considérée comme témoin assisté relativement à l'infraction de mise en danger d'autrui, à compter de son interrogatoire de première comparution, pour l'ensemble de ses interrogatoires ultérieurs et jusqu'à l'issue de l'information, sous réserve des dispositions des articles 113-6 et 113-8 du code de procédure pénale ;
DIT que cette annulation n'entraîne aucune cancellation ni retrait de pièces ;
PRONONCE la nullité des auditions de M. [M] (CJR D 9829), Mme [N] (CJR D 3044), Mme [V] (CJR D 3054) et Mme [J] (CJR D 5693) ;
DIT que ces actes annulés seront retirés du dossier d'information et classés au greffe de la Cour de justice de la République et qu'il sera interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour de justice de la République et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [L] [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de sa mise en examen du chef de mise en danger de la vie d'autrui ;
1/ ALORS QUE selon l'article 80-1 du code de procédure pénale « à peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi » ; l'appréciation de cette vraisemblance doit porter aussi bien sur l'élément légal de l'infraction que sur les éléments purement matériels ; s'agissant de l'infraction de mise en danger d'autrui, celle-ci suppose impérativement aux termes de l'article 223-1 du code pénal, la violation d'une « obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » ; il incombe donc au magistrat instructeur, lorsqu'il est saisi de la question, de vérifier qu'une telle obligation de prudence ou de sécurité pesait réellement sur la personne mise en cause, à défaut de quoi sa mise en examen est nulle ; en affirmant qu'il lui appartient de rechercher si une telle obligation particulière existe (arrêt § 4.2.1.9 et 4.2.1.6), mais en omettant de la caractériser de façon suffisamment vraisemblable, et ainsi de vérifier si des indices graves ou concordants justifient la mise en examen de ce chef, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80-1 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal ;
2/ ALORS QUE les articles L.1110-1 du code de la santé publique, L.1413-4 et L.3131-1 du même code, L.1141-1 et L.1142-8 du code de la défense ne caractérisent aucune obligation particulière de prudence ou de sécurité, et se bornent à rappeler de façon générale des principes de protection en matière de santé et de défense, et la participation du ministère de la santé aux objectifs de défense nationale ; le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé n'édicte pas davantage une obligation particulière de prudence ou de sécurité à sa charge, et se borne à définir le champ de compétence du ministre et les matières qui lui sont attribuées au sein du gouvernement ; aucun de ces textes n'édicte une obligation particulière de prudence ou de sécurité pesant sur le ministre des solidarités et de la santé ; la Commission d'instruction a encore excédé ses pouvoirs et violé les textes précités ;
3/ ALORS QUE l'infraction de mise en danger d'autrui suppose un élément intentionnel consistant en la violation « manifestement délibérée » de l'obligation prétendument méconnue ; une mise en examen de ce chef ne peut être prononcée ou maintenue que dans la mesure où il est suffisamment vraisemblable que cet élément intentionnel existe, et qu'à ce stade, le caractère délibéré de la violation en cause soit considéré comme reposant sur des indices graves ou concordants ; en affirmant qu'il lui appartient de rechercher si le caractère délibéré de la violation existe (§ 4.2.1.6 et 4.2.1.9 de l'arrêt) sans en caractériser l'existence à ce stade de manière suffisamment vraisemblable, ni caractériser les indices de nature à justifier une mise en examen de ce chef, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi après annulation par l'Assemblée plénière de la mise en examen et tous les actes subséquents.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la Commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisie ;
1/ ALORS QUE la Commission d'instruction de la Cour de Justice de la République n'est saisie que des faits qui lui sont soumis par le réquisitoire introductif ; en l'espèce, le réquisitoire aux fins d'informer pris le 7 juillet 2020 rappelle l'avis de la Commission des requêtes du 3 juillet 2020. Cet avis, repris par le Parquet, après avoir rappelé les plaintes déposées à la Cour de justice de la République, cite expressément les faits susceptibles, aux yeux de la Commission des requêtes et du Parquet, de constituer une infraction, notamment le délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre, les faits en cause étant précisés comme suit : « Il résulte des éléments de fait précités, s'ils étaient avérés, que l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales, seraient susceptibles de constituer l'élément matériel du délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre », la commission de requêtes – reprise par le réquisitoire – ajoutant qu'elle « ne relève pas d'éléments de nature à justifier que les plaintes visant d'autres faits et d'autres qualifications pénales à l'encontre » d'autres ministres, soient transmises à la Commission d'instruction. L'ensemble des réquisitoires supplétifs des 22 octobre 2020, 17 décembre 2020, 9 juillet 2021, 12 juillet 2021 et 21 octobre 2021 a repris la même liste exhaustive de faits ; comme l'Assemblée plénière, juge de plein contentieux en l'espèce peut le constater, il résulte de ces éléments que loin d'être général et indistinct, le réquisitoire introductif a entendu préciser et limiter les faits dont le Parquet a saisi la Commission d'instruction ; en s'estimant saisi d'un « évènement protéiforme se déroulant dans le temps qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci » (arrêt § 3.1.2. al. 2), et en entendant instruire sur d'autres éléments factuels « résultant des diverses plaintes et des quelques documents versés aux débats à leur soutien » (arrêt p. 11 § 3.1.2. al. 7), la Commission d'instruction a excédé les limites de ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;
2/ ALORS QUE pour écarter les limites de sa saisine, la Commission d'instruction considère que, même en l'absence de réquisitoire supplétif, le juge d'instruction peut procéder à des vérifications, à l'exclusion de tout acte coercitif, ces vérifications fussent-elles éventuellement de nature à aboutir à caractériser des délits nouveaux, et qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, les membres de la Commission d'instruction n'ont, à l'évidence, usé d'aucun moyen coercitif ; qu'en posant à Mme [P] des questions concernant des faits survenus après son départ du gouvernement, ils n'ont fait d'user des prérogatives que leur accorde la loi, la perspective d'une « comparaison internationale » devant de surcroît « faire l'objet de nouvelles investigations » ; que ces motifs traduisent le dépassement total de sa saisine par la juridiction d'instruction, celle-ci n'ayant le pouvoir, en cas d'élément nouveau, que d'effectuer des vérifications sommaires auxquelles ne peuvent être réduites les « nombreuses auditions de témoins » auxquelles il a été procédé, avant d'en référer au ministère public pour étendre éventuellement sa saisine ; en reconnaissant investiguer sur des faits extérieurs au réquisitoire introductif, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi, l'ensemble des actes affectés par le vice d'excès de pouvoir devant être annulés par l'Assemblée plénière.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [P] sollicitant l'annulation de sa mise en examen, et l'annulation d'expertises diligentées pour investiguer sur les circonstances du décès ou de la contamination de certaines personnes désignées, notamment l'expertise ordonnée à propos du décès de Mme [I] et de tous les actes subséquents ;
1/ ALORS D'UNE PART QUE la Commission d'instruction a privé sa décision de motifs en s'abstenant de répondre au moyen de nullité tiré de ce que la mission confiée aux experts excédait les limites de sa saisine, et en se bornant à affirmer que « la pertinence/des expertises/ne saurait être contestée », et que « le caractère lacunaire de certaines plaintes
nécessite à l'évidence des investigations » ; la Commission d'instruction a ainsi violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;
2/ ALORS D'AUTRE PART QUE la mission confiée aux experts, notamment à propos du décès de Mme [I], les charges de déterminer les circonstances de sa prise en charge hospitalière, les causes de son décès, et de dire si les règles de l'art ont été respectées en ce qui la concerne ; tout ou partie de cette mission consiste donc à déterminer les circonstances et les responsabilités d'un décès particulier dont la Commission d'instruction n'est pas saisie ; en validant cette expertise et d'autres expertises formulées sans doute dans les mêmes termes, la Commission d'instruction a excédé les limites de sa saisine, excédé ses pouvoirs et violé l'article 80 du code de procédure pénale, les articles 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;
3/ ALORS QUE les infractions autonomes de risques causés à autrui prévues et réprimées par les articles 223-1 et suivants du code pénal sont indifférentes aux éventuels résultats sur les personnes et les biens, les atteintes à ces derniers étant prévues et réprimées par d'autres textes ; tenue de préciser et de qualifier les faits qu'elle entend soumettre à la Commission d'instruction en vertu de l'article 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, la Commission des requêtes dont la décision a été reprise intégralement par le réquisitoire aux fins d'informer, a choisi de ne retenir que des faits relatifs à un comportement de risque et une qualification d'abstention volontaire de combattre un sinistre, excluant ainsi de façon claire et délibérée tout fait susceptible de constituer une atteinte aux personnes et aux biens ; en se fondant sur le motif inopérant que le tribunal judiciaire de Paris est parallèlement saisi à propos du même « évènement » d'infractions portant sur les personnes et les biens, pour lancer des investigations à propos de tels faits, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, 223-1 et 223-7 du code pénal. La cassation interviendra sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler les expertises concernées et tous les actes subséquents.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] sollicitant l'annulation des auditions en qualité de témoin de membres du gouvernement effectuées par la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République non en formation collégiale mais seulement par un ou deux de ses membres ;
ALORS QUE l'article 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 prescrit expressément que « les auditions et interrogatoires des membres du gouvernement sont effectués par la Commission d'instruction » ; ce texte attribue compétence à la seule formation collégiale de la Commission d'instruction en la matière, et comme toute règle de compétence, elle est d'ordre public, et sa sanction n'est pas subordonnée à la démonstration d'un grief ; en rejetant les demandes de nullité des auditions faites irrégulièrement en dehors de la formation collégiale, au motif erroné que l'article 21 ne serait pas d'ordre public ni prescrit à peine de nullité, et au motif inopérant que sa méconnaissance n'aurait pas bafoué un droit ou un intérêt propre à Mme [P], la Commission d'instruction a violé ledit texte et excédé ses pouvoirs ; la cassation sera prononcée sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler l'ensemble des auditions concernées. | Il résulte de la combinaison des articles 223-1 du code pénal et 80-1 du code de procédure pénale qu'une juridiction d'instruction ne peut procéder à une mise en examen du chef de mise en danger d'autrui sans avoir préalablement constaté l'existence de l'obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation manifestement délibérée est susceptible de permettre la caractérisation du délit.
Encourt la cassation, l'arrêt qui, pour rejeter la requête en nullité d'une mise en examen du chef de mise en danger d'autrui, se réfère à des textes qui ne prévoient pas d'obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet |
8,525 | COUR DE CASSATION LM
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 20 janvier 2023
Rejet
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 663 B+R
Pourvoi n° P 21-23.947
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE
PLÉNIÈRE, DU 20 JANVIER 2023
L'Agent judiciaire de l'Etat, domicilié ministères économiques et financiers, [Adresse 5], venant aux droits de l'établissement public industriel et commercial Charbonnages de France, a formé le pourvoi n° P 21-23.947 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2021 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [V], domicilié [Adresse 2],
2°/ à M. [H] [V], domicilié [Adresse 3],
3°/ à Mme [G] [V], épouse [X], domiciliée [Adresse 4],
4°/ à Mme [P] [V], épouse [T], domiciliée [Adresse 6],
5°/ à M. [L] [I], domicilié [Adresse 1],
6°/ à M. [O] [V],
7°/ à M. [R] [V],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
8°/ à M. [B] [X],
9°/ à [U] [X], enfant mineure représentée par son représentant légal, Mme [G] [V], épouse [X],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
10°/ à M. [A] [T],
11°/ à [M] [T], enfant mineure représentée par son représentant légal, Mme [P] [V], épouse [T],
tous deux domiciliés [Adresse 6],
12°/ à la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines, dont le siège est [Adresse 7], ayant pour mandataire de gestion la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle,
défendeurs à la cassation.
Par ordonnance du 30 mai 2022, la première présidente de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.
Le demandeur au pourvoi invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt.
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés.
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Leduc et Vigand.
Le rapport écrit de Mme Van Ruymbeke, conseiller, et l'avis écrit de M. Gaillardot, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, assisté de M. Allain, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, de la SCP Leduc et Vigand, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2022 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Pireyre, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, Mme Duval-Arnould, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Darbois, Martinel, doyens de chambre, M. de Larosière de Champfeu, Mme Auroy, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Jacques, Mme Coutou, M. Mornet, Mmes Goanvic, Guillou, conseillers, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 7 septembre 2021), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n° 19-13.126), la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (la caisse), par décision du 28 janvier 2013, a pris en charge, au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, la pathologie et le décès d'[J] [V] (la victime), salarié des Houillères du Bassin de Lorraine, aux droits desquelles se sont successivement trouvés l'établissement public Charbonnages de France, puis l'Agent judiciaire de l'Etat.
2. Ses ayants droit ont saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnisation des préjudices personnels subis par [J] [V] aux sommes de 50 000 euros au titre du préjudice moral et 20 000 euros au titre du préjudice physique, alors :
« 1°/ que si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que ne sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation ou encore de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n'est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en sorte que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales causées et éprouvées depuis l'accident ou l'évènement qui lui est assimilé, au nombre desquelles figurent l'angoisse de mort imminente qui constitue une des composantes des souffrances morales pour autant qu'elle soit caractérisée » ; qu'en indemnisant les souffrances physiques et morales subies par [J] [V] sans tenir compte de l'indemnisation procédant de la rente qu'il avait perçue, la cour d'appel de renvoi a violé l'ensemble des textes susvisés.
2°/ qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « Au cas présent, il convient de constater que l'intéressé s'est trouvé affecté à l'âge de 56 ans d'un cancer broncho pulmonaire, ce point n'étant pas contesté. Les pièces médicales produites permettent d'établir qu'après le diagnostic de la maladie, la victime a fait l'objet de traitements médicaux conséquents en particulier sous la forme de chimiothérapie inhérente à ce type de pathologie. Ces mêmes pièces ainsi que l'attestation produite aux débats du gendre de la victime établissent que les soins, traitements et diagnostics se sont poursuivis après la déclaration de la maladie le 29 avril 2012. En particulier la scintigraphie osseuse réalisée en juillet 2012 mettant en évidence une évolution osseuse secondaire du carcinome bronchique à petite cellules sous chimiothérapie, présentant un caractère diffus (rachis, gril costal, scapula droite et bassin) dont l'indication est caractéristique de douleurs. Tout comme le scanner du 24 août 2012 mettant en évidence des lésions secondaires sous forme d'hyperdensités focalisées, de prise de contraste aussi bien cérébrale que cérébelleuse. De même l'attestation de M. [T] permet de mettre en évidence des soins douloureux, entrecoupés de phases d'hospitalisations, jusqu'au décès de la victime. Il s'ensuit que ces traitements et l'évolution de la maladie constatée en particulier par les examens pratiqués au cours de l'état 2012 mettent en évidence des douleurs physiques s'étant continuées après la déclaration de la maladie qui ont été correctement évaluées par les premiers juges à la somme de 20 000 euros. En ce qui concerne les douleurs morales afférentes à la maladie, celles-ci résultent du caractère inéluctable, évolutif de la maladie affectant une personne relativement jeune, comme âgée de 56 ans lors de la déclaration de la maladie qui conduira à son décès moins de six mois après. Ces souffrances morales résultent également des conditions dégradées de vie qui étaient celles de la victime au cours de ces derniers mois se traduisant par l'impossibilité de réaliser seul les actes de la vie quotidienne, le regard de sa famille et de son épouse comme l'attestation de M. [T] permet de le mettre en évidence. Il s'ensuit que la fixation des souffrances morales à la somme de 50 000 euros comme opérée par les premiers juges apparaît justifiée. » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à démontrer en quoi les souffrances physiques et morales endurées par la victime étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel de renvoi a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
4. Selon les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu à l'article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.
5. Selon l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L. 452-2 du même code, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
6. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 97 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).
7. Elle n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48).
8. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.
9. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
10. Enfin, le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et que dès lors le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065).
11. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
12. Après avoir énoncé à bon droit que la rente versée à la victime, eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de cette dernière le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, n'avait ni pour objet ni pour finalité l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l'article L. 452-3 du même code et qu'une telle indemnisation n'était pas subordonnée à une condition tirée de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a exactement décidé que les souffrances physiques et morales de la victime pouvaient être indemnisées.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat, venant aux droits de l'établissement public industriel et commercial Charbonnages de France
L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir fixé l'indemnisation des préjudices personnels subis par [J] [V] de la manière suivante : 50 000 euros au titre du préjudice moral et 20 000 euros au titre du préjudice physique, alors :
1°/ que si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que ne sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation ou encore de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n'est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en sorte que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales causées et éprouvées depuis l'accident ou l'événement qui lui est assimilé, au nombre desquelles figurent l'angoisse de mort imminente qui constitue une des composantes des souffrances morales pour autant qu'elle soit caractérisée » ; qu'en indemnisant les souffrances physiques et morales subies par [J] [V] sans tenir compte de l'indemnisation procédant de la rente qu'il avait perçue, la cour d'appel de renvoi a violé l'ensemble des textes susvisés ;
2°/ qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « Au cas présent, il convient de constater que l'intéressé s'est trouvé affecté à l'âge de 56 ans d'un cancer broncho pulmonaire, ce point n'étant pas contesté. Les pièces médicales produites permettent d'établir qu'après le diagnostic de la maladie, la victime a fait l'objet de traitements médicaux conséquents en particulier sous la forme de chimiothérapie inhérente à ce type de pathologie. Ces mêmes pièces ainsi que l'attestation produite aux débats du gendre de la victime établissent que les soins, traitements et diagnostics se sont poursuivis après la déclaration de la maladie le 29 avril 2012. En particulier la scintigraphie osseuse réalisée en juillet 2012 mettant en évidence une évolution osseuse secondaire du carcinome bronchique à petite cellules sous chimiothérapie, présentant un caractère diffus (rachis, gril costal, scapula droite et bassin) dont l'indication est caractéristique de douleurs. Tout comme le scanner du 24 août 2012 mettant en évidence des lésions secondaires sous forme d'hyperdensités focalisées, de prise de contraste aussi bien cérébrale que cérébelleuse. De même l'attestation de M. [T] permet de mettre en évidence des soins douloureux, entrecoupés de phases d'hospitalisations, jusqu'au décès de la victime. Il s'ensuit que ces traitements et l'évolution de la maladie constatée en particulier par les examens pratiqués au cours de l'état 2012 mettent en évidence des douleurs physiques s'étant continuées après la déclaration de la maladie qui ont été correctement évaluées par les premiers juges à la somme de 20 000 euros. En ce qui concerne les douleurs morales afférentes à la maladie, celles-ci résultent du caractère inéluctable, évolutif de la maladie affectant une personne relativement jeune, comme âgée de 56 ans lors de la déclaration de la maladie qui conduira à son décès moins de six mois après. Ces souffrances morales résultent également des conditions dégradées de vie qui étaient celles de la victime au cours de ces derniers mois se traduisant par l'impossibilité de réaliser seul les actes de la vie quotidienne, le regard de sa famille et de son épouse comme l'attestation de M. [T] permet de le mettre en évidence. Il s'ensuit que la fixation des souffrances morales à la somme de 50 000 euros comme opérée par les premiers juges apparaît justifiée. » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à démontrer en quoi les souffrances physiques et morales endurées par la victime étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel de renvoi a violé les textes susvisés. | La rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
Dès lors, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées |
8,526 | COUR DE CASSATION FB
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 20 janvier 2023
Cassation partielle
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 662 B+R
Pourvoi n° V 20-23.673
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 20 JANVIER 2023
1°/ Mme [B] [C], domiciliée [Adresse 6], agissant en qualité d'ayant droit de [D] [C], décédé,
2°/ M. [X] [C], domicilié [Adresse 7], agissant en qualité d'ayant droit de [D] [C], décédé, et agissant également en faveur de ses enfants mineurs, [R] et [I],
ont formé le pourvoi n° V 20-23.673 contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2020 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 3), dans le litige les opposant :
1°/ à la société [11], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], et ayant un établissement secondaire [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (CPAM), dont le siège est [Adresse 8],
3°/ à la société [5], société par actions simplifiée,
4°/ à la société [9], société par actions simplifiée,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 4],
5°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Par arrêt du 23 juin 2022, la deuxième chambre civile a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.
Les demandeurs au pourvoi invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [B] [C] et de M. [X] [C].
Un mémoire distinct aux fins de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [B] [C] et de M. [X] [C].
Un mémoire en défense sur la question prioritaire de constitutionnalité a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [11].
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [11].
Un mémoire en défense de mise hors de cause a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre.
Le rapport écrit de Mme Van Ruymbeke, conseiller, et l'avis écrit de M. Gaillardot, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, assisté de M. Allain, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2022 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Pireyre, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, Mme Duval-Arnould, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Darbois, Martinel, doyens de chambre, M. de Larosière de Champfeu, Mme Auroy, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Jacques, Mme Coutou, M. Mornet, Mmes Goanvic, Guillou, conseillers, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 29 octobre 2020), la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse), par décision du 18 juin 2012, a pris en charge, au titre de la législation professionnelle, la pathologie déclarée par [D] [C] (la victime), salarié de la société [10] devenue la société [11] (l'employeur) puis, par décision du 22 août 2012, son décès.
2. Ses ayants droit ont saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Examen du moyen
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses trois dernières branches
Enoncé du moyen
4. Les ayants droit font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par la victime, alors :
« 2°/ qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité (CE, 8 mars 2013, n° 361273, Lebon – CE, 5 mars 2008, n° 272447, Lebon) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; que, pour infirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux consorts [C] certaines sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques et morales endurées, la cour d'appel a retenue « que, aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. Ce poste de préjudice correspond à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l'atteinte séquellaire ainsi que les conséquences liées à cette atteinte dans la vie quotidienne » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
3°/ que lorsqu'en conséquence de la maladie ou de l'accident, la victime souffre d'une incapacité permanente de travail, elle peut, sans avoir à démontrer une faute de son employeur, obtenir une indemnisation destinée à compenser la perte de salaire, constituée d'un capital quand le taux de l'incapacité est inférieur à 10 %, et d'une rente viagère lorsque le taux est égal ou supérieur à ce pourcentage – en contrepartie de la responsabilité sans faute de l'employeur, l'indemnité versée à la victime est forfaitaire et ne couvre pas les préjudices dits extrapatrimoniaux (CEDH, 5e sect., 12 janv. 2017, n° 74374/14, Saumier c/ France, § 54) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; qu'en jugeant que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent et, partant, les souffrances physiques et morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
4°/ qu'indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; qu'en jugeant que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent qui correspond aux souffrances physiques ou morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code la sécurité sociale :
5. Selon les deux premiers de ces textes, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu par l'article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.
6. Selon le dernier de ces textes, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu du troisième, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
7. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 97 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvois n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).
8. Elle n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48).
9. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.
10. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
11. Enfin, le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et que dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 oct. 2017, n° 404065).
12. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
13. Pour rejeter la demande des ayants droit en réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par la victime, l'arrêt retient que celle-ci était retraitée lors de la première constatation de la maladie prise en charge au titre du risque professionnel, de sorte qu'elle n'avait subi aucune perte de gains professionnels ni d'incidence professionnelle. Il en déduit que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par [D] [C], l'arrêt rendu le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la société [11] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils pour Mme [B] [C] et M. [X] [C].
Les consorts [C] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR confirmé le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société [5] à verser aux consorts [C] des sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques endurées par la victime, et à titre d'indemnité pour les souffrances morales endurées par la victime, de l'AVOIR infirmé de ces chefs, et statuant à nouveau rejeté la demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées ;
1) ALORS QUE, la décision du Conseil constitutionnel à intervenir déclarant non conformes à la Constitution, car contraires à l'article 6 de la Déclaration de 1789 et au principe d'égalité, les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, interprétés en tant que « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126 Civ. 2, 20 décembre 2018, n° 17-29.023 Civ. 2, 25 janvier 2018, n° 17-10.299 Civ. 2, 19 janvier 2017, n° 15-29.437 Civ. 2, 16 juin 2016, n° 15-18.592 Civ. 2, 26 mai 2016, n° 15-18.591 Civ. 2, 31 mars 2016, n° 14-30.015, au Bull.) entraînera l'annulation de l'arrêt frappé de pourvoi ;
2) ALORS QUE, eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité (CE, 8 mars 2013, n° 361273, Lebon – CE, 5 mars 2008, n° 272447, Lebon) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; que, pour infirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux consorts [C] certaines sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques et morales endurées, la cour d'appel a retenue « que, aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. Ce poste de préjudice correspond à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l'atteinte séquellaire ainsi que les conséquences liées à cette atteinte dans la vie quotidienne » (arrêt p. 8 § 12-13) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
3) ALORS QUE lorsqu'en conséquence de la maladie ou de l'accident, la victime souffre d'une incapacité permanente de travail, elle peut, sans avoir à démontrer une faute de son employeur, obtenir une indemnisation destinée à compenser la perte de salaire, constituée d'un capital quand le taux de l'incapacité est inférieur à 10 %, et d'une rente viagère lorsque le taux est égal ou supérieur à ce pourcentage – en contrepartie de la responsabilité sans faute de l'employeur, l'indemnité versée à la victime est forfaitaire et ne couvre pas les préjudices dits extrapatrimoniaux (CEDH, 5e sect., 12 janv. 2017, n° 74374/14, Saumier c/ France, § 54) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; qu'en jugeant que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent et, partant, les souffrances physiques et morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
4) ALORS QUE, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; qu'en jugeant que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent qui correspond aux souffrances physiques ou morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. | La rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Dès lors, la victime d'une faute inexcusable de l'employeur peut obtenir une réparation distincte du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées |
8,527 | N° K 21-82.778 FP-B
N° 00006
ODVS
24 JANVIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2023
Mmes [V] et [I] [H], et M. [R] [H], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 14 avril 2021, qui, dans l'information suivie contre MM. [B] [C] et [G] [K] des chefs de tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terrroriste et association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevables leurs constitutions de partie civile.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, et des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mmes [V] et [I] [H], et M. [R] [H], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Labrousse, MM. d'Huy, Wyon, Mmes Ménotti, Leprieur, Sudre, Goanvic, MM. Dary, Sottet, conseillers de la chambre, M. Leblanc, Mme Chafaï, M. Michon, conseillers référendaires, Mme Bellone, avocat général référendaire, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 17 août 2017, vers 17 heures, une fourgonnette a fait irruption sur la [Adresse 3] à [Localité 1], avant de remonter [Adresse 2] jusqu'à la [Adresse 4], artères touristiques de la ville, fonçant dans la foule, faisant quatorze morts et plus d'une centaine de blessés. Le conducteur a pris la fuite avant d'être tué par des policiers quatre jours plus tard. L'organisation dite « Etat islamique » a revendiqué cet attentat.
3. Une information judiciaire a été ouverte à Paris des chefs susvisés, des ressortissants français ayant été blessés.
4. Mme [V] [H], sa fille, Mme [I] [H], et son fils, M. [R] [H], se sont constitués partie civile. Ils ont exposé que, présents lors de l'attentat, ils avaient subi un préjudice en relation avec celui-ci. Mmes [V] et [I] [H], impressionnées par une foule de personnes paniquées, se sont mises à courir. Mme [V] [H] s'est blessée en tombant dans sa course. Ses enfants ont indiqué souffrir de troubles psychologiques.
5. Le juge d'instruction a déclaré ces constitutions de partie civile irrecevables.
6. Mmes [V] [H], [I] [H] et M. [R] [H] ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de Mmes [V] et [I] [H] et de M. [R] [H], alors « que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant les juridictions d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle se fonde permettent au juge d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale ; qu'il en est notamment ainsi lorsque les dommages invoqués par le plaignant se rattachent par un lien d'indivisibilité aux faits visés à la prévention ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevables les constitutions de parties civiles des consorts [H], la chambre de l'instruction a relevé qu'au vu de leur localisation précise et de leurs mouvements par rapport à la trajectoire de la camionnette, ils ne s'étaient pas trouvés directement et immédiatement exposés au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. mémoire des consorts [H]), si le mouvement de panique ayant notamment provoqué la chute de Mme [V] [H] ainsi que les blessures qu'elle a subies n'étaient pas indissociablement liés au passage du véhicule conduit par le terroriste, dont rien ne permettait en outre d'exclure un autre passage meurtrier, cette fois dans la direction des consorts [H], de sorte qu'en cet état la possibilité d'un préjudice en lien de causalité direct avec l'infraction de tentative d'assassinat ne pouvait être exclue, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 2, 3, 85, 87 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen en ce qu'il concerne M. [R] [H]
8. Pour déclarer la constitution de partie civile de M. [R] [H] irrecevable, l'arrêt attaqué énonce que lors des faits, il ne se trouvait pas avec sa mère et sa soeur, que le lieu exact où il était n'est pas connu, la seule circonstance qu'il se soit trouvé bloqué à l'extérieur d'un périmètre circonscrit par les forces de l'ordre ne démontrant pas qu'il était sur le lieu même des faits ou dans sa proximité immédiate, de sorte que c'est par une juste analyse que le magistrat instructeur a considéré qu'il ne s'est pas trouvé directement exposé au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste.
9. En l'état des seuls motifs dont il résulte que M. [H] ne se trouvait pas à proximité du lieu de commission des faits, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
10. Il s'ensuit que le moyen, en ce qu'il concerne M. [H], n'est pas fondé.
Sur le moyen en ce qu'il concerne Mmes [V] et [I] [H]
11. Pour déclarer les constitutions de partie civile de Mmes [V] et [I] [H] irrecevables, après avoir rappelé les déclarations de Mme [V] [H] selon lesquelles elle a été entraînée avec sa fille dans le mouvement de la foule paniquée, s'est blessée en tombant dans sa course, avant de voir le corps d'une femme étendu sur la route et de penser à un acte criminel, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort de ces déclarations qu'elles n'ont pas vu la scène ni la camionnette.
12. Les juges ajoutent que c'est par une juste analyse de la localisation précise des parties civiles et de leurs mouvements par rapport à la trajectoire de la camionnette que le magistrat instructeur a considéré qu'elles ne s'étaient pas trouvées directement et immédiatement exposées au risque de mort ou de blessures.
13. Ils en concluent que le traumatisme indéniable des plaignantes correspond à celui vécu par les témoins des conséquences de l'infraction, et non au préjudice d'une victime directe au sens de l'article 2 du code de procédure pénale.
14. C'est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n'était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que les intéressées ne s'étaient pas trouvées sur la trajectoire de la camionnette.
15. Néanmoins l'arrêt n'encourt pas la censure.
16. En effet, il résulte de ses énonciations que, si Mmes [V] et [I] [H] se trouvaient à proximité du lieu des faits, elles ont suivi un mouvement de foule dont à l'origine elles ignoraient la cause, de sorte qu'elles n'ont pu se croire exposées à une action criminelle ayant pour but de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin).
17. Il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli.
18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour,
REJETTE les pourvois ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre janvier deux mille vingt-trois. | C'est à tort que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré les constitutions de partie civile des plaignantes irrecevables, les juges ont retenu que celles-ci ne s'étaient pas trouvées sur la trajectoire de la camionnette conduite par l'un des auteurs des faits poursuivis. Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses énonciations qu'elles ont suivi un mouvement de foule dont à l'origine elles ignoraient la cause, de sorte qu'elles n'ont pu se croire exposées à une action criminelle ayant pour but de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin) |
8,528 | N° U 21-85.569 F-B
N° 00078
ODVS
24 JANVIER 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2023
Le procureur général près la cour d'appel de Rennes, M. [U] [R] et Mme [S] [X], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 10 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre MM. [C] [Y], [L] [H], [T] [I], [J] [W], [N] [F], [A] [K], et la société [2] des chefs d'homicide involontaire et blessures involontaires, a prononcé sur des demandes d'annulation de pièces de la procédure.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [U] [R] et de Mme [S] [X], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société [2], de la SCP Spinosi, avocat de MM. [C] [Y] et [L] [H], et de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [N] [F], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 23 mai 2017, [E] [B], militaire de la marine nationale, est décédé lors d'une mission de plongée au large de [Localité 1].
3. Sur instruction du procureur de la République du Havre, une enquête a été ouverte pour recherche des causes de la mort.
4. Elle a mis en lumière que les autorités de la marine nationale avaient connaissance d'une augmentation des dèmes pulmonaires d'immersion depuis le recours au système respiratoire dit « Le crabe », fabriqué par la société [2], et utilisé par [E] [B] le jour de son décès.
5. Le 7 juin 2017, le procureur de la République a ordonné une enquête préliminaire pour homicide involontaire.
6. Le 12 juin 2017, le procureur de la République de Rennes, saisi suite au dessaisissement du procureur de la République du Havre en raison de la nature militaire des faits a, d'une part, adressé une demande d'avis au ministre chargé de la défense au visa de l'article 698-1, alinéa 3, du code de procédure pénale et, d'autre part, délivré un réquisitoire introductif contre personne non dénommée du chef d'homicide involontaire en visant l'urgence à faire procéder à des analyses techniques dans le cadre d'une information judiciaire.
7. Le 14 juin 2017, au visa de l'urgence, le ministre chargé de la défense a émis un avis favorable à l'ouverture d'une information judiciaire, soulignant notamment le « caractère impératif » de l'identification des causes de la mort de [E] [B] et la nécessité de lever les incertitudes sur d'éventuels dysfonctionnements du matériel de plongée. Cet avis a été versé en procédure le 19 juin 2017.
8. Par la suite, le procureur de la République a adressé, les 8 avril et 26 juin 2019, au ministre chargé de la défense des demandes d'avis relatifs aux accidents de plongée dont avaient été victimes M. [L] [R] le 8 février 2018 et M. [Z] [M] le 13 mars 2019, susceptibles de mettre en cause le dispositif de plongée précité.
9. Le ministre a émis deux avis favorables les 26 juin et 11 septembre 2019.
10. Par réquisitoires supplétifs en date des 3 et 26 septembre 2019 du chef de blessures involontaires par manquement manifestement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence, ayant occasionné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois, la saisine du juge d'instruction a été étendue à ces deux accidents.
11. Entre mars 2020 et mars 2021, ont été mis en examen MM. [C] [Y], [L] [H], [T] [I], [J] [W], [N] [F], [A] [K], ainsi que la société [2].
12. Plusieurs personnes mises en examen ont déposé, dans le délai prévu à l'article 173-1 du code de procédure pénale, des requêtes en nullité du réquisitoire introductif et de la procédure subséquente, prises notamment du défaut d'obtention de l'avis du ministre chargé de la défense préalablement à l'engagement de l'action publique.
Examen des moyens
Enoncé des moyens
Sur le moyen unique proposé par le procureur général et sur le moyen unique proposé pour M. [R] et Mme [X]
13. Le moyen est pris de la violation des articles 698-1, 802, 591 et 593 du code de procédure pénale.
14. Le moyen proposé par le procureur général critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé le réquisitoire introductif et les actes de l'information subséquents, notamment les cotes D 60 à D 583, alors :
1°/ que le préalable posé par l'article 698-1 du code de procédure pénale est de solliciter un avis du ministère de la défense et non d'en attendre le retour comme ajoute, à tort, au texte, la décision attaquée ; que la nullité de la procédure, hors flagrance, n'est pas rattachée au caractère préalable de la demande d'avis mais à l'absence d'avis figurant en procédure, absence qui peut en tout état de cause être régularisée et l'a été en l'espèce ; que c'est donc à tort que la chambre de l'instruction a ajouté au texte de l'article 698-1 du code de procédure pénale une obligation pour le ministère public d'obtenir, et non de demander, préalablement à toute poursuite, l'avis du ministre de la défense ;
2°/ que l'article 698-1 du code de procédure pénale n'est ni formellement ni automatiquement exclu du champ d'application de l'article 802 du même code ; que le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2015-461 QPC du 24 avril 2015 indique que les poursuites peuvent être reprises, après régularisation, par le ministère public, de la demande d'avis initialement omise ; que c'est donc à tort que la chambre de l'instruction a qualifié de nullité d'ordre public le non-respect de la demande d'avis préalable au ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui, en ajoutant au texte de l'article 698-1 précité.
15. Le moyen proposé pour M. [R] et Mme [X] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé l'annulation du réquisitoire introductif (D 60) et des actes subséquents à savoir : les cotes D 61 à D 583 et l'ensemble des actes et pièces cotées en cotes A, B, C, F, P et S, après qu'il aura été établi une copie certifiée conforme à l'original et classée au greffe de la cour d'appel de Rennes ; dit qu'il sera interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties aux débats et dit qu'il sera fait ensuite retour du dossier au juge d'instruction de Rennes, alors :
« 1°/ que l'article 698-1 du code de procédure pénale, qui subordonne les poursuites exercées pour les infractions visées à l'article 697-1 dudit code soit à la dénonciation, soit à l'avis préalable des autorités militaires, ne régit que la mise en mouvement de l'action publique à l'encontre des militaires par le procureur de la République ; qu'une telle exigence n'est dès lors requise que lorsque l'acte déclenchant les poursuites identifie, comme auteurs ou complices possibles de l'infraction eu cause, des militaires ; qu'elle ne s'impose pas lorsque les poursuites visent des personnes non dénommées ; qu'en l'espèce, en prononçant l'annulation du réquisitoire introductif, après avoir pourtant constaté que celui-ci avait été pris contre personne non-dénommée (voir arrêt, p. 6), la chambre de l'instruction a violé l'article 698-1 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en application de l'article 698-1 du code de procédure pénale n'est requis préalablement au déclenchement de l'action publique, que la demande d'avis émise par le procureur de la République au ministre des armées et non la réception d'un tel avis ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a constaté que le procureur de la République de Rennes « [avait] pris le soin de solliciter l'avis du ministre des armées le 12 juin 2017 » (arrêt, p. 48), soit concomitamment à son réquisitoire introductif du même jour ; qu'en jugeant pourtant qu'il convenait d'annuler ce réquisitoire en relevant que « l'avis émis le 14 juin 2017 par le ministère des armées a été reçu au parquet de Rennes qui l'a immédiatement adressé par soit-transmis au magistrat instructeur ; qu'il a été côté au dossier de l'instruction postérieurement à l'audition de M. et Mme [B] du 1er août 2017 » (arrêt, p. 48), la chambre de l'instruction a violé l'article 698-1 du code de procédure pénale ;
3°/ que la méconnaissance des formalités requises par l'article 698-1 du code de procédure civile n'est sanctionnée par la nullité que lorsque l'avis sollicité par le procureur de la République auprès du ministre des armées ne figure pas au dossier de la procédure ; qu'en prononçant toutefois la nullité du réquisitoire introductif après avoir pourtant constaté que « l'avis a été émis le 14 juin 2017 par le ministre des armées (
). Il a été côté au dossier de l'instruction postérieurement à l'audition de M. et Mme [B] du 1er août 2017 » (arrêt, p. 48), la chambre de l'instruction a violé l'article 698-1 du code de procédure pénale ;
6°/ que la méconnaissance des dispositions de l'article 698-1 du code de procédure pénale n'est pas sanctionnée par la nullité de l'acte déclenchant les poursuites en cas d'urgence ; qu'en l'espèce, le procureur de la République avait délivré un réquisitoire contre personne non dénommée pour des faits d'homicide involontaire le 12 juin 2017, sans attendre l'avis du ministre de la justice sollicité le même jour, invoquant « l'urgence à faire procéder à des analyses techniques dans le cadre d'une information judiciaire » (réquisitoire introductif ) ; que l'absence de l'avis du ministre de la justice préalablement au déclenchement des poursuites, quoique méconnaissant l'article 698-1 du code de procédure pénale, n'en était ainsi pas sanctionnée par la nullité de ce réquisitoire ; qu'en jugeant du contraire, la chambre de l'instruction a statué par des motifs contradictoires et a violé les articles 593 et 698-1 du code de procédure pénale ;
7°/ que la méconnaissance des dispositions de l'article 698-1 du code de procédure pénale n'est pas sanctionnée par la nullité de l'acte déclenchant les poursuites en cas d'urgence ; qu'en prononçant la nullité du réquisitoire introductif faute pour le procureur de la République de l'avoir délivré après réception de l'avis du ministre des armées, sans se prononcer, ainsi qu'elle y était invitée (réquisitions du procureur général, p. 77), sur la circonstance tirée de l'urgence à faire réaliser diverses analyses techniques et expertises invoquée par celui-ci, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 593 et 698-1 du code de procédure pénale ;
8°/ que la formalité prévue par l'article 698-1 du code de procédure pénale, qui ne tend, par l'exigence d'un avis purement consultatif préalable aux poursuites, qu'à une information plus complète de l'autorité de poursuite, n'est pas d'ordre public et est subordonnée à la preuve d'un grief ; qu'en jugeant pourtant que « ces dispositions étant édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, leur méconnaissance est constitutive d'une nullité d'ordre public, à laquelle les dispositions de l'article 802 du code de procédure pénale sont étrangères » (arrêt, p. 48), prononçant l'annulation du réquisitoire introductif sans exiger la preuve d'un grief causé par l'irrégularité qu'elle constatait, la chambre de l'instruction a violé les articles 698-1 et 802 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
16. Les moyens sont réunis.
Sur le moyen proposé par le procureur général, pris en sa première branche, et sur le moyen proposé pour M. [R] et Mme [X], pris en sa deuxième branche
17. Il résulte de l'article 698-1 du code de procédure pénale qu'à défaut de dénonciation du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui, le procureur de la République doit demander préalablement à tout acte de poursuite, y compris en cas de réquisitoire contre personne non dénommée, de réquisitoire supplétif ou de réquisitions faisant suite à une plainte avec constitution de partie civile, sauf en cas de crime ou de délit flagrant, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui. La dénonciation ou l'avis figure au dossier de la procédure, à peine de nullité, sauf si cet avis n'a pas été formulé dans le délai précité ou en cas d'urgence.
18. Il s'ensuit qu'en l'absence de dénonciation et hors hypothèse de crime ou de délit flagrant, aucun acte de poursuite ne peut être valablement ordonné par le procureur de la République avant que l'avis du ministre chargé de la défense ou celui de l'autorité militaire habilitée par lui ne figure au dossier de la procédure, sauf urgence ou si cet avis n'a pas été formulé dans le délai d'un mois à compter de la demande.
19. Dès lors, les griefs, qui reprochent à la chambre de l'instruction d'avoir prononcé la nullité du réquisitoire introductif, alors qu'elle aurait dû déduire de la seule existence de la demande d'avis du procureur de la République le 14 juin 2017 la régularité dudit réquisitoire du même jour, doivent être écartés.
Sur le moyen proposé par le procureur général, pris en sa seconde branche, et sur le moyen proposé pour M. [R] et Mme [X], pris en ses troisième et huitième branches
20. En imposant au ministère public de solliciter avant tout acte de poursuite, en cas de crime ou de délit visé par les articles 697-1 ou 697-4 du code de procédure pénale, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui, le législateur a entendu garantir que puissent, le cas échéant, être portées à la connaissance de l'institution judiciaire les spécificités du contexte militaire des faits à l'origine de la poursuite ou des informations particulières relatives à l'auteur présumé eu égard à son état militaire ou à sa mission (Cons. const., 24 avril 2015, décision n° 2015-461 QPC).
21. Il s'ensuit que, d'une part, la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 698-1 du code de procédure pénale, édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, est constitutive d'une nullité d'ordre public, à laquelle les dispositions de l'article 802 du code de procédure pénale sont étrangères, d'autre part, le versement ultérieur en procédure de l'avis de l'autorité compétente du ministère chargé de la défense, dans le cas où celui-ci est exigé avant tout acte de poursuite, ne saurait faire obstacle à l'annulation de tels actes accomplis antérieurement.
22. Dès lors, les griefs qui reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir énoncé que la nullité prévue à l'article 698-1 du code de procédure pénale est une nullité d'ordre public ne sont pas fondés.
Sur le moyen proposé pour M. [R] et Mme [X], pris en sa première branche
23. Il résulte des termes mêmes de l'alinéa 1er de l'article 698-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 applicable au litige, que même en cas de réquisitoire contre personne non dénommée, le procureur de la République doit demander préalablement à tout acte de poursuite, sauf crime ou délit flagrant, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui.
24. Ainsi, le grief doit être écarté.
Mais sur le moyen proposé pour M. [R] et Mme [X], pris en ses sixième et septième branches
Vu l'article 698-1, alinéa 3, du code de procédure pénale :
25. Il se déduit de ce texte, éclairé par les travaux parlementaires de la loi n° 82-621 du 22 juillet 1982, qu'en cas d'urgence, le procureur de la République, dès lors qu'il a demandé l'avis du ministre de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui, peut, sans attendre le versement en procédure de celui-ci, ordonner tout acte de poursuite.
26. Pour prononcer la nullité du réquisitoire introductif et des actes subséquents, l'arrêt attaqué constate que les premiers éléments de l'enquête permettaient au procureur de la République de Rennes de considérer que l'infraction d'homicide involontaire, dont avait été victime [E] [B], avait été commise par des militaires dans l'exercice de leurs fonctions.
27. Les juges énoncent que, bien que l'avis donné par le ministère de la défense ne soit que consultatif, il constitue un préalable à toute poursuite en l'absence de dénonciation par les autorités militaires, le législateur n'ayant donné au ministère public le pouvoir de passer outre qu'en cas de flagrance ou dans l'hypothèse d'une absence de réponse du ministère chargé de la défense à l'expiration du délai d'un mois à compter de la demande d'avis.
28. Ils relèvent enfin que si le procureur de la République a sollicité l'avis du ministre des armées le 12 juin 2017 en se référant à l'article 698-1 du code de procédure pénale, pour autant, et malgré l'absence de flagrance, il a requis l'ouverture d'une information judiciaire sans attendre le retour de cet avis ou l'expiration du délai d'un mois.
29. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe susénoncé.
30. En effet, il résulte des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que l'urgence résultait tant des termes du réquisitoire introductif que de l'avis favorable du ministre des armées, peu important qu'elle n'ait pas été visée dans la demande d'avis du procureur de la République.
31. Il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi du procureur général:
Le REJETTE ;
Sur le pourvoi de M. [R] et Mme [X] :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 10 septembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-trois. | Il résulte de l'article 698-1 du code de procédure pénale qu'en l'absence de dénonciation et hors hypothèse de crime ou de délit flagrant, aucun acte de poursuite ne peut être valablement ordonné par le procureur de la République avant que l'avis du ministre chargé de la défense ou celui de l'autorité militaire habilitée par lui ne figure au dossier de la procédure, sauf urgence ou si cet avis n'a pas été formulé dans le délai d'un mois à compter de la demande.
La méconnaissance des dispositions précitées, édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, est constitutive d'une nullité d'ordre public, à laquelle les dispositions de l'article 802 du code de procédure pénale sont étrangères. Le versement ultérieur en procédure de l'avis de l'autorité compétente du ministère chargé de la défense, dans le cas où celui-ci est exigé avant tout acte de poursuite, ne saurait faire obstacle à l'annulation de tels actes accomplis antérieurement |
8,529 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 57 FS-B
Pourvoi n° M 19-25.478
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
M. [R] [F], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° M 19-25.478 contre l'arrêt rendu le 17 octobre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [W] [F], domiciliée [Adresse 4],
2°/ à M. [G] [F], domicilié [Adresse 2],
3°/ à Mme [C] [F], domiciliée [Adresse 3],
4°/ à M. [I] [F], domicilié [Adresse 7],
5°/ à Mme [B] [F], domiciliée [Adresse 6],
6°/ à la Société centrale de réalisations immobilières promotions, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
7°/ à la société Socri immo, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société HC ,
défendeurs à la cassation.
La Société centrale de réalisations immobilières promotions,la société Socri immo et M. [I] [F] ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident éventuel invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [R] [F], de la SCP Spinosi, avocat de M. [I] [F], de Société centrale de réalisations immobilières promotions et de la société Socri immo, et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, Conseiller doyen, Mmes Antoine, Beauvois, Dard et Poinseaux, M. Fulchiron, conseillers, M. Duval et Mme Azar, conseillers référendaires, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 octobre 2019), par acte du 30 janvier 2010, M. [I] [F] et ses cinq enfants, M. [R] [F], Mme [W] [F], Mme [B] [F], M. [G] [F] et Mme [C] [F], ainsi que la société HC, actionnaires de la société par actions simplifiée Société centrale de réalisations immobilières promotions (la société Socri promotions), ont conclu un contrat intitulé « pacte d'actionnaires », qui prévoit ce qui devra être mis en oeuvre lorsque M. [I] [F] ne sera plus associé du groupe Socri afin que le groupe reste au sein de la famille, ainsi que des dispositions devant immédiatement régir la vie de la société et les actes des associés. Par lettre du 23 février 2017, M. [I] [F] et la société HC ont notifié à M. [R] [F] la résolution unilatérale du pacte d'actionnaires.
2. M. [R] [F] a assigné M. [I] [F] et la société HC, en présence de Mme [W] [F], Mme [B] [F], M. [G] [F], Mme [C] [F], ainsi que de la société Socri promotions, afin qu'il soit jugé que la résolution du pacte avait été mise en uvre de manière abusive et qu'elle était irrégulière et inefficace. Mme [B] [F] a également résilié de façon unilatérale le pacte d'actionnaires.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, du pourvoi incident, qui est préalable
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
4. Les sociétés Socri promotions et Socri Immo, celle-ci venant aux droits de la société HC, et M. [I] [F] font grief à l'arrêt de dire que le pacte du 30 janvier 2010 est un pacte d'associés et, partant, de rejeter la demande en nullité de ce pacte formée par M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F], alors « qu'une stipulation ayant pour objet d'attribuer un droit éventuel sur tout ou partie d'une succession non ouverte constitue un pacte sur succession future prohibé par la loi ; qu'en l'espèce, en retenant que le pacte du 30 janvier 2010 n'est pas un pacte sur succession future, lorsqu'elle relevait que "l'article 5 [
] énonce une disposition relative à un bien futur de la succession de Monsieur [I] [F] dans la mesure où elle prévoit les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 722 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 722 du code civil, les conventions qui ont pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d'une succession non encore ouverte ou d'un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi.
6. Lorsque la nullité en résultant n'affecte qu'une ou plusieurs clauses de l'acte, elle n'emporte sa nullité en son entier que si cette ou ces clauses en constituent une condition essentielle et déterminante.
7. La cour d'appel a retenu que, si l'article 5 du pacte d'actionnaires énonçait une disposition relative à un bien futur de la succession de M. [I] [F] dans la mesure où elle prévoyait les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession, ce pacte ne portait pas, en ses autres dispositions, sur les biens meubles ou immeubles de cette succession, mais avait pour objectif de définir la stratégie de gestion que devraient adopter ses héritiers lorsque M. [I] [F] se serait retiré des affaires ou serait décédé, afin de pérenniser le groupe Socri et de préserver les intérêts de chacun d'entre eux.
8. Elle a relevé que l'examen des quatorze autres articles de ce pacte démontrait que celui-ci traitait notamment de la stratégie d'entreprise, de la responsabilité des descendants, de la rémunération des mandats sociaux, de la prise de décisions collectives, de l'embauche de certains collaborateurs, du fonctionnement des holdings familiales, de la cession des actions entre descendants, des droits sociaux dérivés, de la politique de distribution des dividendes, des engagements de non-concurrence, des droits de préférence, de l'arbitrage et de la médiation en cas de mésentente entre descendants.
9. Elle a estimé que, dans ce contexte, l'article 5 n'avait été conçu que comme une des mesures de gestion de la société au décès de M. [I] [F].
10. Ayant ainsi fait ressortir que l'article 5 n'était pas un élément essentiel du pacte d'actionnaire, déterminant de l'engagement des parties, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que la demande de nullité du pacte en son entier devait être rejetée.
11. Le moyen est donc inopérant.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal
La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats à l'audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mme Daubigney, M. Ponsot, Mme Fèvre, conseillers, M. Guerlot, Mmes Lion, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, Mme Fornarelli, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
12. M. [R] [F] fait grief à l'arrêt de déclarer régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la société HC, le 23 février 2017, et par Mme [B] [F], le 10 janvier 2018, et de le débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors « qu'un pacte d'associés conclu pour la durée de vie de la société, contribuant ainsi à la stabilité du pacte social, est un contrat à durée déterminée ; qu'en jugeant que le pacte d'associés conclu le 30 janvier 2010 pour la durée restant à courir de la société Socri promotions, soit 58 ans, était d'une durée excessive assimilable à une durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 1838 du même code :
13. Il résulte de la combinaison de ces textes que la prohibition des engagements perpétuels n'interdit pas de conclure un pacte d'associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.
14. Pour déclarer régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la société HC, le 23 février 2017, et par Mme [B] [F], le 10 janvier 2018, et débouter M. [R] [F] de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir constaté que l'article 10 du pacte d'actionnaires prévoit que ce contrat est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, qu'au terme de cette première période, le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu'à l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six mois à l'avance aux autres parties, et que, selon l'article 11, le pacte liera et bénéficiera aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales, ainsi que leurs représentants légaux, relève que la société Socri promotions a été immatriculée au RCS le 24 janvier 1969, de sorte que la première période de ce pacte expirera le 24 janvier 2068, et qu'en respectant ces dispositions, les descendants de M. [I] [F] ne pourront sortir du pacte qu'à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte. Il en déduit que cette durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident éventuel;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010, d'une part, par M. [I] [F] et la SARL HC le 23 février 2017, et d'autre part, par Mme [B] [F] le 10 janvier 2018, déboute M. [R] [F] de sa demande de dommages et intérêts et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne les sociétés Socri promotions et Socri Immo et M. [I] [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Socri promotions et Socri Immo et M. [I] [F], ainsi que celle formée par M. [R] [F] en ce qu'elle est dirigée contre Mmes [W], [C] et [B] [F] et M. [G] [F] et condamne les sociétés Socri promotions et Socri Immo et M. [I] [F] à payer à M. [R] [F] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit, au pourvoi principal, par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [R] [F]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la SARL HC le 23 février 2017, et par Mme [B] [F] le 10 janvier 2018 et d'AVOIR débouté M. [R] [F] de sa demande de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE l'article 1210 du code civil énonce que les engagements perpétuels sont prohibés. Cependant, ce texte est entré en vigueur le 1er octobre 2016 et le code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ne comportait pas de texte similaire. L'alinéa 2 de cet article 1210 et l'article 1211 ont introduit dans la loi les règles jurisprudentielles antérieures, soit que chaque cocontractant peut mettre fin au contrat dans les conditions prévues au contrat à durée indéterminée, soit à défaut de stipulation expresse, à tout moment sous réserve de respect du délai contractuel de préavis, ou d'un délai de préavis raisonnable. A la date de la signature du pacte, un engagement à durée indéterminée n'entraîne pas la nullité de la convention mais chaque contractant peut y mettre fin de façon unilatérale. Dans la présente instance, l'article 10 du pacte d'actionnaire du 30 janvier 2010 précise qu'il est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au RCS, qu'au terme de cette première période, le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée, qu'à l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins 6 mois à l'avance aux autres parties. L'article 11 ajoute que le pacte liera et bénéficiera aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties et notamment leurs holdings familiales ainsi que leurs représentants légaux. La SAS Socri Promotions ayant été immatriculée au RCS le 24 janvier 1969, la première période du pacte expirera le 24 janvier 2068, c'est-à-dire, en respectant ces dispositions, les descendants de M. [I] [F] ne pourront sortir de ce pacte qu'à un âge particulièrement avancé, 96 ans pour M. [R] [F], 93 ans pour Mme [W] [F], 81 ans pour Mme [B] [F], 80 ans pour M. [G] [F], 79 ans pour Mme [C] [F]. Cette durée excessive avec un renouvellement automatique tous les 99 ans qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les descendants fait que ce contrat est à durée indéterminée. Dès lors, M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F] pouvaient mettre fin, en ce qui les concerne, audit pacte du 30 janvier 2010 à tout moment. Leur résiliation produit donc effet. En conséquence, M. [R] [F] sera débouté de sa demande tendant à dire que ces résiliations sont inefficaces ;
1°) ALORS QUE l'article 10 du pacte d'associé du 30 janvier 2010 stipule qu'il « est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des quatre-vingt-dix-neuf (99) années à compter de la date de son immatriculation au Registre du commerce et des sociétés », intervenue le 24 janvier 1969, qu'« au terme de cette première période [soit au 24 janvier 2068] le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée » et qu'« à l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six (6) mois à l'avance aux autres parties » ; qu'en affirmant, pour juger que M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F] pouvaient mettre fin à tout moment au pacte d'associé, que ce contrat dont le terme était fixé à la date du 24 janvier 2068 était un contrat à durée indéterminée, la cour d'appel l'a dénaturé en violation des articles 1134, alinéa 1er, devenu 1103, et 1192 du code civil, ensemble le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) ALORS QU'un pacte d'associés conclu pour la durée de vie de la société, contribuant ainsi à la stabilité du pacte social, est un contrat à durée déterminée ; qu'en jugeant que le pacte d'associé conclu le 30 janvier 2010 pour la durée restant à courir de la société Socri Promotions, soit 58 ans, était d'une durée excessive assimilable à une durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103, du code civil;
3°) ALORS QU'un engagement n'est pas perpétuel si les parties ont la faculté de se libérer de leurs obligations ; qu'en relevant que l'âge avancé des descendants de M. [I] [F] à la date de survenance du terme en 2068 les privait de toute possibilité réelle de sortir du pacte d'associés, quand la faculté, pour ces derniers, de dénoncer le pacte d'associés à un âge inférieur à leur espérance de vie n'était pas illusoire, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, dans une société familiale, un engagement n'est pas perpétuel si les parties ou leurs ayants droit ont la faculté de se libérer de leurs obligations ; qu'en relevant que l'âge avancé des descendants de M. [I] [F] à la date de survenance du terme en 2068 les privait de toute possibilité réelle de sortir du pacte d'associés quand les héritiers des enfants de M. [I] [F] seront en toute hypothèse en mesure de dénoncer le pacte d'associé à la survenance du terme, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil.
Moyen produit, au pourvoi incident éventuel, par la SCP Spinosi , avocat aux Conseils, pour M. [F], les sociétés centrale de réalisations immobiliéres promotions et socri immo
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le pacte du 30 janvier 2010 signé par M. [I] [F], la SARL HC, M. [R] [F], Mme [W] [F], Mme [B] [F], M. [G] [F] et Mme [C] [F], en présence de la SA SOCIETE CENTRALE DE REALISATIONS IMMOBILIERES PROMOTIONS (SOCRI PROMOTIONS) est un pacte d'associés et, partant, d'avoir débouté M. [I] [F], la SARL HC et Mme [B] [F] de leur demande de nullité du pacte du 30 janvier 2010 ;
Aux motifs que « 1. Le pacte d'actionnaires ou d'associés est une convention conclue entre tous, ou certains, des actionnaires ou associés d'une société afin de prévoir la mise en oeuvre d'une stratégie d'investissement ou de gestion, ou les mouvements des titres de la société.
Un pacte sur succession future est un contrat portant sur tout ou partie des biens dépendant de la succession d'une personne encore en vie, soimême ou quelqu'un d'autre.
Dans le préambule du pacte du 30 janvier 2010, il est exposé :
"Le Fondateur, a émis le voeu que ses enfants poursuivent son oeuvre dans le cadre de règles destinées d'une part à permettre la pérennisation du Groupe Socri ainsi que de ses actifs, et d'autre part l'entente entre ses enfants dans le cadre de la stratégie devant présider à la conduite des affaires dudit Groupe Socri, l'intérêt de chacun devant toutefois être garanti par une gestion saine et équilibrée.
C'est la raison pour laquelle, après et comme suite à la transformation de la société en société par actions simplifiées, les parties aux présentes se sont réunies pour déterminer les objectifs à long terme de la société et du groupe qu'elle forme avec ses filiales, ainsi que les principes de gestion et de direction des affaires de celles-ci qui devront être respectés par les enfants de Monsieur [I] [F], une fois que celui-ci ne sera plus associé de la société, ce point ces derniers consentent expressément.
De manière plus générale, les parties conviennent que le présent pacte d'associés fait, dans les relations d'associés, indivisiblement corps avec les statuts de la société. Le présent pacte a pour objet de fixer les règles devant régir les relations d'associés au sein du groupe Socri, une fois le décès du Fondateur intervenu."
Ce pacte ne porte donc pas sur les biens meubles ou immeubles de la succession de Monsieur [I] [F], mais a pour objectif de définir la stratégie de gestion que devront adopter les héritiers au sein du groupe Socri lorsque Monsieur [I] [F] se sera retiré des affaires ou sera décédé, afin de pérenniser le groupe, et de préserver les intérêts de chacun des héritiers.
Certes, l'article 5 relatif à la Créance Fondateur énonce une disposition relative à un bien futur de la succession de Monsieur [I] [F] dans la mesure où elle prévoit les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession.
Toutefois, l'examen des 14 autres articles de ce pacte démontre que cette convention traite notamment de la stratégie d'entreprise, la responsabilité des descendants, la rémunération des mandats sociaux, la prise de décisions collectives, l'embauche de certains collaborateurs, le fonctionnement des holdings familiales, la cession des actions entre descendants, les droits sociaux dérivés, la politique de distribution des dividendes, les engagements de non-concurrence, les droits de préférence, l'arbitrage et la médiation en cas de mésentente entre descendants.
Dans ce contexte, l'article 5 a été conçu comme une des mesures de gestion de la société au décès de Monsieur [I] [F].
Enfin, même si sont utilisés les termes de "Fondateur" et de "Descendants", il ne peut en être tiré aucun argument. En effet, d'après les définitions énoncées à l'article 1 du pacte du 30 janvier 2010, "Descendant" s'applique à toute personne physique ou morale autre que le Fondateur qui est M. [I] [F]. Or la société HC, actionnaire, n'est pas la descendante de M. [I] [F].
Ces termes sont utilisés dans les statuts de la société Socri Promotions du 30 janvier 2010 qui a transformé la SA en SAS ainsi que dans le projet de modification des statuts présenté à l'assemblée générale du 24 juin 2015 de façon identique, soit Fondateur et Descendants, ces derniers étant tous les actionnaires, personne physique ou morale qui ne sont pas le Fondateur.
Il suit de là que le pacte du 30 janvier 2010 est un pacte d'associés » ;
Et que « le pacte d'associés est un contrat qui ne peut déroger aux statuts de la société, ni être contraire à l'intérêt social, ni être contraire aux règles d'ordre public.
Par application des dispositions de l'article 1108 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention :
-le consentement de la partie qui s'oblige,
-sa capacité à contracter,
-un objet certain qui forme la matière de l'engagement,
-une cause licite dans l'obligation.
Au regard des griefs formulés par M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F], ne sont contesté ni le consentement des parties, ni leur capacité à contracter, ni l'absence d'objet certain au pacte du 30 janvier 2010.
M. [I] [F], la SARL HC et Mme [B] [F] sollicitent la nullité du pacte du 30 janvier 2010, les deux premiers en soutenant qu'il s'agit d'un pacte sur succession future, la troisième en invoquant l'irrégularité de plusieurs clauses dudit pacte.
En premier lieu, il a déjà été explicité et retenu que le pacte du 30 janvier 2010 est un pacte d'associés. Or, un pacte d'associés est une convention licite.
En second lieu, l'illicéité invoquée de certaines clauses, à la supposer établie, n'entraîne pas la nullité de la convention en son entier.
Comme il ne pourra être fait droit à la demande de Mme [B] [F] de nullité du pacte pour illicéité de certaines des clauses, il n'y a lieu d'examiner lesdites clauses.
M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F] seront donc déboutés de leur demande de nullité du pacte du 30 janvier 2010 » ;
1°) Alors que, d'une part, une stipulation ayant pour objet d'attribuer un droit éventuel sur tout ou partie d'une succession non ouverte constitue un pacte sur succession future prohibé par la loi ; qu'en l'espèce, en retenant que le pacte du 30 janvier 2010 n'est pas un pacte sur succession future, lorsqu'elle relevait que « l'article 5 [
] énonce une disposition relative à un bien futur de la succession de Monsieur [I] [F] dans la mesure où elle prévoit les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession » (arrêt, p. 7), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 722 du code civil ;
2°) Alors que, d'autre part, l'article 3 du pacte du 30 janvier 2010 stipule « qu'à l'ouverture de la succession de Monsieur [I] [F], ses héritiers directs, associés en pleine propriété de la société, notamment par l'effet de la réunion de l'usufruit et de la nuepropriété des actions procéderont en tant que de besoin à la constitution pour chacun d'eux d'une holding familiale [
] » ; qu'en énonçant, pour débouter M. [I] [F] de sa demande d'annulation du pacte, que ce dernier n'était pas un pacte sur succession future, la cour d'appel a dénaturé ledit pacte et méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
3°) Alors que, de troisième part, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile en ne répondant pas au moyen, péremptoire, tiré de ce que le pacte du 30 janvier 2010 est irrégulier en la forme en ce que, ajoutant des charges à des donations-partages de 1990 et 1998, il devait être conclu par acte notarié (conclusions d'appel, pp. 36-38) ;
4°) Alors que, de quatrième part, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile en ne répondant pas au moyen, péremptoire, tiré de ce que le pacte du 30 janvier 2010 emportait renonciation à l'action en réduction de sorte qu'à défaut d'avoir été formalisé par acte authentique, il était entaché de nullité (conclusions d'appel, pp. 39-40). | Il résulte de la combinaison de l'article 1134, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article 1838 du même code que la prohibition des engagements perpétuels n'interdit pas de conclure un pacte d'associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement |
8,530 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 92 FS-B
Pourvoi n° D 22-10.648
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
La société Togar, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 22-10.648 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Boggi France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Intesa Sanpaolo SPA, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. David, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Togar, de la SCP Richard, avocat de la société Intesa Sanpaolo SPA, de Me Soltner, avocat de la société Boggi France, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. David, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2021), rendu en référé, le 22 décembre 2017, la société civile immobilière Togar (la SCI) a donné en location à la société Boggi France (la locataire) des locaux à usage commercial.
2. Le 8 mars 2018, la société Intesa Sanpaolo (la banque) a consenti au bénéfice de la SCI une garantie à première demande pour un certain montant.
3. La locataire, invoquant la fermeture de son commerce du fait des restrictions sanitaires décidées par les pouvoirs publics pour lutter contre l'épidémie de covid-19, ayant cessé de verser les loyers, la SCI a, le 7 avril 2021, demandé à la banque de lui régler le montant de la garantie.
4. Le 19 avril 2021, la locataire, se prévalant des mesures de protection prévues à l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, a assigné la SCI et la banque afin qu'il soit interdit à cette dernière de procéder au paiement de la somme garantie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation. Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt d'interdire à la banque de régler la somme appelée en exécution de la garantie à première demande et de dire qu'elle ne devrait pas la régler avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant le jour où la mesure de police administrative prévue à l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 aurait pris fin, alors « que le juge des référés ne peut faire défense au garant de payer que s'il relève le caractère manifestement abusif ou frauduleux de l'appel de la garantie à première demande ; que le bénéficiaire d'une garantie à première demande ne commet ni faute ni abus en appelant le garant à première demande en raison du non-paiement de loyers, fussent-ils partiellement des loyers exigibles après l'entrée en vigueur de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ; qu'en énonçant, pour retenir que la mise en oeuvre de la garantie à première demande était constitutive d'un trouble manifestement illicite, que l'appel de la garantie constitue un abus manifeste, l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 interdisant la mise en oeuvre des sûretés personnelles, la cour d'appel a violé l'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, les articles 2321 et 1104 du code civil, ensemble l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. L'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 interdit, du 17 octobre 2020 jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l'activité du locataire, éligible à ce dispositif, cesse d'être affectée par une mesure de police administrative, la mise en oeuvre de toutes sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux.
8. Ayant exactement relevé, par motifs propres et adoptés, que la garantie à première demande constituait une sûreté personnelle régie par l'article 2321 du code civil, la cour d'appel a pu en déduire que sa mise en oeuvre, en violation des dispositions de l'article 14 de la loi précitée, constituait un trouble manifestement illicite et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile immobilière Togar aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par société civile immobilière Togar et la condamne à payer les sommes de 3 000 euros à la société Boggi France et de 2 000 euros à la société Intesa Sanpaolo ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Togar
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Togar fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR interdit à la société Intesa SanPaolo de régler la somme de 91.667 euros appelée le 7 avril 2021 dans le cadre de la mise en oeuvre de la garantie autonome à première demande du 8 mars 2018 et d'AVOIR en conséquence dit que la société Intesa SanPaolo ne devrait pas régler cette somme avant l'expiration d'un délai de deux mois suivant le jour où la mesure de police administrative prévue à l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 aurait pris fin ;
1/ ALORS QUE le juge des référés ne peut faire défense au garant de payer que s'il relève le caractère manifestement abusif ou frauduleux de l'appel de la garantie à première demande ; que le bénéficiaire d'une garantie à première demande ne commet ni faute ni abus en appelant le garant à première demande en raison du non-paiement de loyers, fussent-ils partiellement des loyers exigibles après l'entrée en vigueur de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ; qu'en énonçant, pour retenir que la mise en oeuvre de la garantie à première demande était constitutive d'un trouble manifestement illicite, que l'appel de la garantie constitue un abus manifeste, l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 interdisant la mise en oeuvre des sûretés personnelles, la cour d'appel a violé l'article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, les articles 2321 et 1104 du code civil, ensemble l'article 835 du code de procédure civile ;
2/ ALORS en tout état de cause QUE le juge des référés ne peut faire défense au garant de payer que s'il relève le caractère manifestement abusif ou frauduleux de l'appel de la garantie à première demande ; que le bénéficiaire d'une garantie à première demande ne commet ni faute ni abus en appelant le garant à première demande en raison du non-paiement de loyers, fussent-ils partiellement des loyers exigibles après l'entrée en vigueur de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 ; qu'en énonçant, pour retenir que la mise en oeuvre de la garantie à première demande était constitutive d'un trouble manifestement illicite, que l'appel de la garantie constitue un abus manifeste, l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 interdisant la mise en oeuvre des sûretés personnelles, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la mise en oeuvre de la garantie à première demande n'était pas légitime en l'état de loyers non réglés et nés alors que le locataire ne pouvait plus se prévaloir de mesures de police sanitaires restrictives à son activité, la cour d'appel a violé l'article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, les articles 2321 et 1104 du code civil, ensemble l'article 835 du code de procédure civile ;
3/ ALORS QUE, en tout état de cause, pour apprécier l'illicéité manifeste d'un trouble résultant d'une atteinte à un droit protégé, le juge des référés est tenu de rechercher si cette atteinte n'était pas justifiée par l'exercice d'un droit fondamental de même valeur et doit s'assurer que les mesures qu'il ordonne ne portent pas une atteinte disproportionnée à un tel droit ; que la société Togar faisait valoir que le comportement de la société Boggi France était déloyal et que le moyen invoqué par le preneur et tenant à ce que le simple maintien de l'exigence du port du masque serait de nature à maintenir le bénéfice de l'article 14 de la loi du 14 novembre, à la dispenser d'honorer le paiement de ses dettes de loyers et à faire obstacle à la mise en oeuvre de la garantie autonome n'était pas disproportionné au regard du texte et de l'esprit de cet article ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que la mise en oeuvre de la garantie à première demande était constitutive d'un trouble manifestement illicite, que l'appel de la garantie constitue un abus manifeste, l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 interdisant la mise en oeuvre des sûretés personnelles, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le refus persistant de la société Boggi France, malgré la suppression des mesures de couvre-feu et de jauge, à régler ses loyers au seul constat de ce que le port du masque constituerait une mesure administrative continuant à porter atteinte à son activité, n'était pas abusif et disproportionné et contraire aux termes et à l'esprit de l'article 14 de la loi du 20 novembre 2020, la cour d'appel a violé l'article 835 du code de procédure civile, ensemble l'article 14 de la loi du 20 novembre 2014 et l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Togar fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à référé sur sa demande de provision ;
ALORS QUE dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable le juge des référés peut accorder une provision au créancier ; que l'obligation pour le locataire de payer le loyer exigible et échu n'est pas sérieusement contestable ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande de la société Togar au paiement par la société Boggi France d'une provision, que la locataire bénéficie de la protection de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 et que la demande se heurte donc à une contestation sérieuse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la demande de provision n'était pas légitime et recevable en l'état de loyers non réglés et nés alors que le locataire ne pouvait pas ou plus se prévaloir de mesure de police sanitaires restrictives à son activité, la cour d'appel a violé l'article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, ensemble les articles 1104 du code civil, 834 et 835 du code de procédure civile.
Le greffier de chambre | L'article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, qui interdit, du 17 octobre 2020 jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l'activité des locataires éligibles à ce dispositif cesse d'être affectée par une mesure de police administrative, la mise en oeuvre de toutes sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux, s'applique à la garantie à première demande, sûreté personnelle régie par l'article 2321 du code civil.
Dès lors, une cour d'appel, statuant en référé, a pu retenir que la mise en oeuvre d'une garantie à première demande en violation de ce texte constituait un trouble manifestement illicite |
8,531 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 93 FS-B
Pourvoi n° K 21-21.943
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
1°/ Mme [S] [Z], domiciliée [Adresse 2],
2°/ la société Les Motocycles [Z] & Cie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° K 21-21.943 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Pharmacie Dubo, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [Z] et de la société Les Motocycles [Z] & Cie, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Pharmacie Dubo, et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 8 juin 2021), Mme [Z] et la société Les Motocycles [Z] & Cie (les bailleresses), propriétaires de locaux commerciaux donnés à bail à la société Pharmacie Dubo (la locataire) ont saisi le juge des loyers commerciaux en fixation du loyer du bail renouvelé.
2. La locataire a demandé, à titre subsidiaire, de fixer le loyer déplafonné à une certaine somme et de dire que les augmentations de loyer en résultant ne pourront être supérieures à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Les bailleresses font grief à l'arrêt de fixer le prix du loyer du bail renouvelé à une certaine somme, alors « que dans leurs écritures d'appel, Mme [Z] et la société Les motocyclettes [Z] avaient fait valoir que le transfert à la charge du locataire notamment de l'impôt foncier ne pouvait constituer une charge exorbitante dès lors qu'elle constituait une pratique unanime dans le voisinage et figurait dans tous les baux qui avaient été retenus comme éléments de comparaison par l'expert ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article R. 145-8 du code de commerce, les obligations incombant normalement au bailleur, dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative.
5. La cour d'appel, sans être tenue de répondre à des conclusions inopérantes, a, à bon droit, retenu que l'impôt foncier mis à la charge de la locataire par le bail constituait une charge exorbitante justifiant une diminution de la valeur locative qu'elle a souverainement estimée.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Les bailleresses font grief à l'arrêt de fixer le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2015 à la somme annuelle de 29 500 euros et de fixer le montant du loyer du bail renouvelé dû par la locataire aux sommes annuelles de 22 417, 43 euros à compter du 1er janvier 2015, de 24 659,17 euros à compter du 1er janvier 2016, de 27 125, 09 euros à compter du 1er janvier 2017 et de 29 500 euros à compter du 1er janvier 2018, alors « que le dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce instaure, dans les cas qu'il détermine, un étalement de la hausse du loyer du bail renouvelé qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative ; que ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il revient aux parties, et non au juge des loyers commerciaux dont la compétence est limitée aux contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, d'établir l'échéancier de l'augmentation progressive du loyer que le bailleur est en droit de percevoir, d'autant que l'étalement n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas l'appliquer ; que dès lors, en fixant l'étalement de l'augmentation du loyer selon un échéancier, le juge des loyers commerciaux a violé l'article L. 145-34 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La locataire conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il est nouveau et mélangé de fait et droit.
9. Toutefois, ce moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
10. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 145-34, dernier alinéa, et R. 145-23 du code de commerce :
11. Selon le premier texte, en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 du code de commerce ou s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
12. Selon le second, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les premières.
13. Le dernier alinéa de l'article L. 145-34 n'instaure, dans les cas qu'il détermine, qu'un étalement de la hausse du loyer qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative.
14. Ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il n'entre pas dans l'office du juge des loyers commerciaux de statuer sur son application.
15. Pour fixer le montant du bail renouvelé dû par la locataire aux sommes de 22 417, 43 euros à compter du 1er janvier 2015, de 24 659,17 euros à compter du 1er janvier 2016, de 27 125, 09 euros à compter du 1er janvier 2017 et de 29 500 euros à compter du 1er janvier 2018, l'arrêt retient que le loyer du bail renouvelé ne s'établira à ce dernier montant qu'à compter du 1er janvier 2018 en application du dernier alinéa de l'article L. 145-34.
16. En statuant ainsi, alors que saisie de l'appel d'un jugement du juge des loyers commerciaux, elle ne pouvait statuer que dans la limite des pouvoirs de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
17. Tel que suggéré par le mémoire en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
19. La cour d'appel n'en ayant pas le pouvoir, il n'y a pas lieu de fixer l'étalement de la hausse du loyer déplafonné.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, de la seule disposition fixant le montant du loyer du bail renouvelé dû par la société Pharmacie Dubo à compter du 1er janvier 2015 à la somme annuelle de 22 417, 43 euros hors taxes et hors charges ; à compter du 1er janvier 2016, à la somme annuelle de 24 659,17 euros hors taxes et hors charges ; à compter du 1er janvier 2017 à la somme annuelle de 27 125, 09 euros hors taxes et hors charges et à compter du 1er janvier 2018, à la somme annuelle de 29 500 hors taxes et hors charges, l'arrêt rendu le 8 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société Pharmacie Dubo aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme [Z] et la société Les Motocycles [Z] & Cie
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [Z] et la société Les motocyclettes [Z] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1e octobre 2015 à la somme annuelle de 29 500 € ;
ALORS QUE dans leurs écritures d'appel (p. 5, al. 3 et suivants), Mme [Z] et la société Les motocyclettes [Z] avaient fait valoir que le transfert à la charge du locataire notamment de l'impôt foncier ne pouvait constituer une charge exorbitante dès lors qu'elle constituait une pratique unanime dans le voisinage et figurait dans tous les baux qui avaient été retenus comme éléments de comparaison par l'expert ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [Z] et la société Les motocyclettes [Z] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2015 à la somme annuelle de 29 500 €, et fixé le montant du loyer du bail renouvelé dû par la société Pharmacie Dubo à compter du 1er janvier 2015, à la somme annuelle de 22 417,43 €, à compter du 1er janvier 2016, à la somme annuelle de 24 659,17 €, à compter du 1er janvier 2017, à la somme annuelle de 27 125,09 €, et à compter du 1er janvier 2018, à la somme annuelle de 29 500 €, tous les loyers s'entendant hors taxes et hors charges ;
1- ALORS QUE le dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce instaure, dans les cas qu'il détermine, un étalement de la hausse du loyer du bail renouvelé qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative ; que ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il revient aux parties, et non au juge des loyers commerciaux dont la compétence est limitée aux contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, d'établir l'échéancier de l'augmentation progressive du loyer que le bailleur est en droit de percevoir, d'autant que l'étalement n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas l'appliquer ; que dès lors, en fixant l'étalement de l'augmentation du loyer selon un échéancier, le juge des loyers commerciaux a violé l'article L. 145-34 du code de commerce ;
2- ET ALORS QU'en tout état de cause, dans ses écritures d'appel, la société Pharmacie Dubo n'avait pas demandé au juge de fixer un échéancier de l'augmentation du loyer, mais seulement de dire que les augmentations de loyer en résultant ne pourront être supérieures à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente ; qu'en établissant néanmoins un échéancier, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. | Le dernier alinéa de l'article L. 145-34 n'instaure, dans les cas qu'il détermine, qu'un étalement de la hausse du loyer qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative. Le juge des loyers commerciaux connaissant, aux termes de l'article R. 145-23 du code de commerce, des seules contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, et ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il n'entre dès lors pas dans son office de statuer sur l'application de ce texte. Il en est de même pour la cour d'appel, laquelle, saisie de l'appel d'un jugement du juge des loyers commerciaux ne peut statuer que dans la limite des pouvoirs de celui-ci |
8,532 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 95 FS-B
Pourvoi n° G 21-20.009
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
La société Uni-Commerces, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° G 21-20.009 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société H & M Hennes & Mauritz, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], et précédemment [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations et les plaidoiries de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Uni-Commerces, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société H & M Hennes & Mauritz, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, auquel les parties n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mai 2021), le 19 septembre 2013, la société Uni-Commerces (la bailleresse), propriétaire de locaux commerciaux donnés à bail à la société H & M Hennes & Mauritz (la locataire), lui a délivré un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014.
2. Le 30 mars 2016, la bailleresse a notifié un mémoire à la locataire, puis l'a assignée, le 14 mars 2018, devant le tribunal de grande instance en validation du congé et, accessoirement, en fixation du loyer.
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
3. La bailleresse fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables comme prescrites, alors :
« 1°/ que la demande en justice interrompt le délai de prescription ; que constitue une demande en justice un acte juridique par lequel une personne formule une prétention ayant vocation d'être soumise au juge, peu important que la saisine du juge soit différée ; qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, conférant un effet interruptif de prescription à la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce, que la notification de ce mémoire doit être regardée comme la formation d'une prétention ayant vocation d'être ultérieurement soumise au juge en cas de désaccord entre les parties, c'est-à-dire comme l'exercice d'une action en justice par la formation d'une demande en justice ; qu'en retenant au contraire – pour en déduire que la notification par le bailleur du mémoire préalable n'avait pu interrompre la prescription de l'action exercée devant le tribunal de grande instance aux fins de validation du congé et de fixation du loyer du bail renouvelé – que ce mémoire n'était pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, puisqu'il n'avait pas pour effet de saisir une juridiction, cependant que ce mémoire avait vocation d'être soumis au juge en cas de désaccord entre les parties et devait, par là même, être qualifié de demande en justice, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 2241 du code civil, l'article 30 du code de procédure civile et l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
2°/ qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, qui n'opère pas de distinction à cet égard, que la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription de toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé, quelle que soit la juridiction – juge des loyers commerciaux ou juridiction de droit commun – devant laquelle est ensuite portée l'action ; qu'en retenant au contraire que la notification du mémoire du bailleur n'avait, à l'égard d'une action ultérieure du bailleur tendant notamment à la fixation du loyer du bail renouvelé, un effet interruptif de prescription que lorsque ce mémoire était un préalable obligatoire à la saisine du juge des loyers commerciaux, donc qu'un tel mémoire ne pouvait interrompre la prescription de la procédure suivie devant le tribunal de grande instance et que le mémoire notifié en l'espèce n'avait pas d'effet interruptif de prescription dès lors qu'il n'avait pas été suivi d'une saisine du juge des loyers commerciaux, et en estimant ainsi que seule une saisine ultérieure du juge des loyers commerciaux était de nature à conférer un effet interruptif de prescription au mémoire notifié par le bailleur, la cour d'appel, en ajoutant à la loi une condition non prévue, a violé, par fausse interprétation, l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
3°/ que la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription de toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé, que la demande en fixation du loyer soit formée à titre principal ou accessoire ; que la cour d'appel avait constaté, par motifs adoptés , que l'action du bailleur devant le tribunal de grande instance tendait, outre le renouvellement du bail, à la fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'il en résultait que la notification du mémoire du bailleur avait interrompu la prescription d'une telle action, qui tendait à titre accessoire à la fixation du prix du bail renouvelé ; qu'en jugeant au contraire que le mémoire préalable du bailleur ne pouvait interrompre la prescription de la procédure suivie à de telles fins devant le tribunal de grande instance, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
4°/ que la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ; qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 que l'effet interruptif de prescription attaché à la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce tient à la prétention qu'y exprime le bailleur – exclusive de toute inaction – tendant à la fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'il suit de là que cet effet interruptif ne saurait être entravé ou effacé en considération de ce que le régime procédural en vigueur devant la juridiction ultérieurement saisie ne prévoit pas un tel mémoire ; qu'en retenant au contraire qu'aucune disposition légale n'impos[ait] le suivi de la procédure sur mémoire devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire), y compris lorsque celui-ci était saisi d'une demande accessoire de fixation du loyer ; qu'en effet, il était admis que la procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé était la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le juge des loyers commerciaux, pour en déduire que c'était à bon droit que le jugement entrepris avait considéré que le mémoire préalable ne pouvait interrompre la prescription de la procédure suivie devant le tribunal de grande instance, et en estimant ainsi que le régime procédural en vigueur devant le tribunal de grande instance était de nature à annihiler l'effet interruptif de prescription attaché au mémoire du bailleur en fixation du loyer, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 2219 du code civil et l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953. »
Réponse de la Cour
4. L'énumération des articles 2240, 2241 et 2244 du code civil des causes de droit commun d'interruption du délai de prescription étant limitative, le mémoire préalable, qui ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, n'est une cause interruptive de la prescription qu'en vertu de l'article 33, alinéa 1er, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, selon lequel la notification du mémoire institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription.
5. Selon l'article R. 145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace, qui statue sur mémoire, et les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes susmentionnées.
6. Il en résulte que le mémoire préalable n'est institué que pour la procédure devant le juge des loyers commerciaux de sorte que sa notification n'interrompt la prescription que lorsque la contestation relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé est portée devant ce juge.
7. La cour d'appel a d'abord exactement énoncé que la procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé est la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le juge des loyers commerciaux, que le mémoire préalable n'est pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, et que sa notification n'interrompt la prescription que lorsque la contestation est portée devant le juge des loyers commerciaux.
8. Ensuite, elle a justement retenu que la notification du mémoire par la bailleresse à la locataire n'avait pas interrompu le délai de prescription dès lors qu'elle n'avait pas été suivie d'une saisine du juge des loyers commerciaux.
9. Enfin, ayant constaté que l'assignation devant le tribunal de grande instance avait été délivrée plus de deux années après la date d'effet du renouvellement du bail, elle en a exactement déduit que la demande en fixation du prix du bail renouvelé était prescrite.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Uni-Commerces aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Uni-Commerces et la condamne à payer à la société H & M Hennes & Mauritz la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Uni-Commerces
La société Uni Commerce, bailleresse, fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR déclaré ses demandes irrecevables comme prescrites ;
1) Alors que la demande en justice interrompt le délai de prescription ; que constitue une demande en justice un acte juridique par lequel une personne formule une prétention ayant vocation d'être soumise au juge, peu important que la saisine du juge soit différée ; qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, conférant un effet interruptif de prescription à la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce, que la notification de ce mémoire doit être regardée comme la formation d'une prétention ayant vocation d'être ultérieurement soumise au juge en cas de désaccord entre les parties, c'est-à-dire comme l'exercice d'une action en justice par la formation d'une demande en justice ; qu'en retenant au contraire – pour en déduire que la notification par le bailleur du mémoire préalable n'avait pu interrompre la prescription de l'action exercée devant le tribunal de grande instance aux fins de validation du congé et de fixation du loyer du bail renouvelé – que ce mémoire n'était « pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, puisqu'il n'avait pas pour effet de saisir une juridiction » (arrêt, p. 5, troisième paragraphe), cependant que ce mémoire avait vocation d'être soumis au juge en cas de désaccord entre les parties et devait, par là même, être qualifié de demande en justice, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 2241 du code civil, l'article 30 du code de procédure civile et l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
2) Alors qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, qui n'opère pas de distinction à cet égard, que la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription de toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé, quelle que soit la juridiction – juge des loyers commerciaux ou juridiction de droit commun – devant laquelle est ensuite portée l'action ; qu'en retenant au contraire que la notification du mémoire du bailleur n'avait, à l'égard d'une action ultérieure du bailleur tendant notamment à la fixation du loyer du bail renouvelé, un effet interruptif de prescription que lorsque ce mémoire était un « préalable obligatoire à la saisine du juge des loyers commerciaux » (arrêt, p. 5, troisième paragraphe), donc qu'un tel mémoire ne pouvait « interrompre la prescription de la procédure suivie devant le tribunal de grande instance » (arrêt, p. 5, sixième paragraphe et jugement, p. 4, quatrième paragraphe) et que le mémoire notifié en l'espèce n'avait « pas d'effet interruptif de prescription dès lors qu'il n'a[vait] pas été suivi d'une saisine du juge des loyers commerciaux » (arrêt, p. 5, avant-dernier paragraphe et jugement, p. 4, sixième paragraphe), et en estimant ainsi que seule une saisine ultérieure du juge des loyers commerciaux était de nature à conférer un effet interruptif de prescription au mémoire notifié par le bailleur, la cour d'appel, en ajoutant à la loi une condition non prévue, a violé, par fausse interprétation, l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
3) Alors que la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription de toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé, que la demande en fixation du loyer soit formée à titre principal ou accessoire ; que la cour d'appel avait constaté, par motifs adoptés (jugement, p. 2, avant-dernier paragraphe), que l'action du bailleur devant le tribunal de grande instance tendait, outre le renouvellement du bail, à la fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'il en résultait que la notification du mémoire du bailleur avait interrompu la prescription d'une telle action, qui tendait à titre accessoire à la fixation du prix du bail renouvelé ; qu'en jugeant au contraire que le mémoire préalable du bailleur ne pouvait interrompre la prescription de la procédure suivie à de telles fins devant le tribunal de grande instance (arrêt, p. 5, sixième paragraphe), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
4) Alors que la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ; qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 que l'effet interruptif de prescription attaché à la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce tient à la prétention qu'y exprime le bailleur – exclusive de toute inaction – tendant à la fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'il suit de là que cet effet interruptif ne saurait être entravé ou effacé en considération de ce que le régime procédural en vigueur devant la juridiction ultérieurement saisie ne prévoit pas un tel mémoire ; qu'en retenant au contraire qu'« aucune disposition légale n'impos[ait] le suivi de la procédure sur mémoire devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire), y compris lorsque celui-ci [était] saisi d'une demande accessoire de fixation du loyer [ ; qu'e]n effet, il [était] admis que la procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé [était] la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le juge des loyers commerciaux » (arrêt, p. 5, cinquième paragraphe et jugement, p. 4, quatrième paragraphe), pour en déduire que c'était « à bon droit que le jugement entrepris a[vait] considéré que le mémoire préalable ne p[ouvai]t interrompre la prescription de la procédure suivie devant le tribunal de grande instance » (arrêt, p. 5, sixième paragraphe et jugement, p. 4, quatrième paragraphe), et en estimant ainsi que le régime procédural en vigueur devant le tribunal de grande instance était de nature à annihiler l'effet interruptif de prescription attaché au mémoire du bailleur en fixation du loyer, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 2219 du code civil et l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953.
Le greffier de chambre | L'énumération des articles 2240, 2241 et 2244 du code civil des causes de droit commun d'interruption du délai de prescription étant limitative, le mémoire préalable, qui ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, n'est une cause interruptive de la prescription qu'en vertu de l'article 33, alinéa 1, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, selon lequel la notification du mémoire institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription. Ce texte n'instituant le mémoire préalable que pour la procédure devant le juge des loyers commerciaux, sa notification n'interrompt la prescription que lorsque la contestation relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé est portée devant ce juge |
8,533 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 96 FS-B
Pourvoi n° G 21-19.089
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
1°/ Mme [O] [F], épouse [L], domiciliée [Adresse 1],
2°/ la société Archibald, dont le siège est [Adresse 2], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, en la personne de Mme [Z] [M], agissant en sa qualité de mandataire liquidateur de Mme [O] [L],
ont formé le pourvoi n° G 21-19.089 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 chambre 3), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Span, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société de Paris, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [L] et de la société Archibald,ès qualité, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société de Paris, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2021), en 2005 et en 2007, deux baux commerciaux portant sur des locaux à usage d'hôtel, bar restaurant et organisation de réception, ont été consentis par la société civile immobilière Span (la bailleresse) à Mme [L] (la locataire).
2. En exécution d'un arrêt, rendu en référé le 1er octobre 2015, confirmant une ordonnance qui constatait la résiliation des baux par acquisition de la clause résolutoire, la locataire a été expulsée des locaux, qui ont été vendus à une société tierce, le 12 mai 2017.
3. Statuant par arrêt du 20 septembre 2018, après cassation de l'arrêt du 1er octobre 2015 (3e Civ., 30 mars 2017, pourvoi n° 16-10.366, Bull. 2017, III, n° 47), la cour d'appel de renvoi a infirmé l'ordonnance.
4. Au cours de la procédure en référé, la locataire avait assigné la bailleresse, en annulation des commandements et du procès-verbal d'expulsion, en réintégration et en indemnisation des préjudices subis en conséquence de son expulsion.
5. Par jugement du 10 juillet 2019, la procédure de redressement judiciaire de la locataire a été convertie en liquidation judiciaire et la société Archibald a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. La locataire représentée par son mandataire liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de condamnation de la bailleresse et de l'acquéreur des locaux en réparation de la perte de son chiffre d'affaires depuis la date de l'expulsion, alors : « que le preneur qui n'a pu continuer son activité jusqu'à la date de paiement de l'indemnité d'éviction du fait du manquement du bailleur à ses obligations, est fondé à solliciter la réparation du préjudice qui en résulte ; qu'à supposer que, comme l'a retenu la cour d'appel, la restitution à laquelle avait droit Mme [L] devait être calculée comme l'indemnité d'éviction du preneur à bail commercial, elle devait inclure les pertes d'exploitation subies jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, L. 145-14 du code de commerce et 1147, nouvellement 1231-1, du code civil.»
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution et les articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce :
8. Il résulte, du premier de ces textes, que si la décision de justice, titre en vertu duquel l'exécution est poursuivie aux risques du créancier, est ultérieurement modifiée, le créancier rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent et, des deux derniers, que le locataire évincé, qui peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial, a droit jusqu'au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.
9. Pour rejeter la demande de condamnation au titre de la perte de chiffre d'affaires, l'arrêt retient que la locataire, indemnisée de la perte de son fonds de commerce, intervenue à la date de son expulsion, ne peut au surplus être indemnisée des gains qu'elle aurait obtenus si elle était restée en possession du fonds.
10. En statuant ainsi, alors que la privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. La portée de la cassation est limitée au rejet de la demande en paiement de la somme de 2 430 000 euros, au titre de la perte de chiffre d'affaires, pour l'hôtel et le restaurant, pour les mois d'avril 2016 à la fin de l'année 2020, en ce qu'elle est dirigée contre la bailleresse.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de la somme de 2 430 000 euros, au titre de la perte de chiffre d'affaires, pour l'hôtel et le restaurant, pour les mois d'avril 2016 à la fin de l'année 2020, en ce qu'elle est dirigée contre la société civile immobilière Span, l'arrêt rendu le 16 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société civile immobilière Span aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Span et la condamne à payer à Mme [L] et à la société Archibald, agissant en qualité de mandataire liquidateur de celle-ci, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour Mme [L] et de la société Archibald, ès qualités,
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Les demanderesses au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme [L] de sa demande tendant à lui voir déclarer inopposable la vente immobilière intervenue entre la SCI Span et la SCI de Paris et d'avoir mis hors de cause la SCI de Paris
alors 1°) qu'il suffit, pour que l'action paulienne puisse être exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait été certaine en son principe au moment de l'acte argué de fraude ; qu'en jugeant, pour rejeter l'action paulienne de Mme [L] visant la cession de l'immeuble de la SCI Span à la SCI de Paris, qu'au moment de la signature de la promesse de vente, le 24 janvier 2017, la créance de Mme [L] à l'égard de la SCI Span n'aurait pas été certaine en son principe quand elle intervenait pendant l'examen du pourvoi contre l'arrêt sur le fondement duquel avait été exécutée son expulsion des lieux et qu'ainsi la créance de restitution de Mme [L] existait en son principe, la cour d'appel a violé, par refus d'application l'article 1167 ancien, actuel 1341-2, du code civil ;
2°) que l'action paulienne peut avoir pour objet de rendre inopposable un acte commis par le débiteur dans le cadre d'une fraude organisée en vue de porter préjudice à un créancier futur ; qu'en considérant qu'il n'était pas établi que, lors de la signature de la promesse de vente de ses murs de l'hôtel et du restaurant à la SCI de Paris, la SCI Span avait eu conscience de diminuer son patrimoine pour empêcher Mme [L] de recouvrer la créance née de la mise à néant de son expulsion, en se bornant à rappeler les stipulations de la promesse de vente quant aux modalités de paiement du prix de cession, mais sans s'interroger sur leur signification quant à l'étroitesse des liens existant entre la SCI Span et la SCI de Paris et sans rechercher plus largement, comme il le lui était demandé, si, dès avant l'expulsion de Mme [L], ces deux sociétés ne s'étaient pas entendues pour rendre le départ de la locataire irréversible et le paiement impossible des créances de cette dernière à l'égard de la SCI Span, ce qu'avait permis le transfert des biens de l'une vers l'autre dès que cela avait été possible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 ancien, actuel 1341-2, du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Les demanderesses au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué de débouter Mme [L] de sa demande tendant à voir condamner in solidum, les sociétés Span et de Paris à lui verser à titre de dommages-intérêts une somme de 2 430 000 euros pour réparer la perte de son chiffre d'affaires du mois d'avril 2016 jusqu'à la fin de l'année 2020 alors :
1°) que l'indemnisation de la privation de jouissance consécutive à l'exécution d'un arrêt ultérieurement cassé constitue une restitution indemnisable au titre de l'article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution ; qu'en limitant pourtant l'indemnisation de Mme [L] due en conséquence de la cassation de l'arrêt ayant fondé son expulsion à la seule perte des fonds de commerce d'hôtel et de restaurant, excluant qu'elle puisse être indemnisée de la privation de jouissance de ces fonds au titre de son droit à restitution, la cour d'appel a violé le texte précité ;
2°) que le preneur qui n'a pu continuer son activité jusqu'à la date de paiement de l'indemnité d'éviction du fait du manquement du bailleur à ses obligations, est fondé à solliciter la réparation du préjudice qui en résulte ; qu'à supposer que, comme l'a retenu la cour d'appel, la restitution à laquelle avait droit Mme [L] devait être calculée comme l'indemnité d'éviction du preneur à bail commercial, elle devait inclure les pertes d'exploitation subies jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, L. 145-14 du code de commerce et 1147, nouvellement 1231-1, du code civil,;
3°) à titre subsidiaire, que doit être réparée sur le fondement de la responsabilité civile toute faute indépendante de l'exécution de la décision cassée ; qu'en excluant toute réparation de la privation de jouissance des fonds de commerce exploités dans l'immeuble dont Mme [L] avait été expulsée en exécution d'une décision ultérieurement cassée au seul motif qu'elle ne relèverait pas de la restitution prévue à l'article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si cette réparation n'était pas due en réparation de la stratégie conduite de mauvaise foi par la société Span qui avait conduit à la liquidation judiciaire de Mme [L], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 nouvellement 1240 du code civil.
Le greffier de chambre | Il résulte, d'une part de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution que si la décision de justice, titre en vertu duquel l'exécution est poursuivie aux risques du créancier, est ultérieurement modifiée, le créancier rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent, d'autre part des articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce que le locataire évincé, qui peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial, a droit jusqu'au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.
Viole ces textes la cour d'appel qui, pour refuser d'indemniser le locataire à bail commercial des gains qu'il aurait obtenus s'il était resté en possession du fonds, retient qu'il a été indemnisé de la perte de son fonds de commerce, intervenue à la date de son expulsion, alors que la privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer |
8,534 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 67 F-B
Pourvoi n° K 20-16.580
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
La société Maison Prunier, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 20-16.580 contre un arrêt rendu le 27 mars 2019 par la cour d'appel de Poitiers (4e chambre civile), et un arrêt rendu le 3 mars 2020 par la même cour d'appel (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au directeur régional des douanes et droits indirects de [Localité 4], domicilié [Adresse 3],
2°/ au directeur général des douanes et droits indirects, domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Maison Prunier, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des douanes et droits indirects de [Localité 4] et au directeur général des douanes et droits indirects, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Poitiers, 27 mars 2019 et 3 mars 2020) et les productions, la société Maison Prunier (la société Prunier), titulaire du statut d'entrepositaire agréé négociant, fabrique et commercialise des spiritueux. A la suite d'un contrôle de son entrepôt, l'administration des douanes lui a notifié des infractions à la réglementation sur les contributions indirectes en raison de l'existence de « manquants ».
2. Après l'émission d'un avis de mise en recouvrement (AMR) et le rejet de sa contestation, la société Prunier a saisi le tribunal de grande instance afin de voir annuler la procédure diligentée par l'administration des douanes ainsi que l'AMR litigieux.
3. Le 31 mai 2017, l'administration des douanes a interjeté appel du jugement du tribunal du 10 avril 2017 ayant annulé la procédure et l'AMR et dit que la société Punier n'était pas redevable des sommes réclamées par l'administration des douanes.
4. Le 21 octobre 2018, la société Prunier a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé l'irrecevabilité de ses conclusions et son irrecevabilité à conclure.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen et sur le troisième moyen pris en ses première, troisième et quatrième branches, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Prunier fait grief à l'arrêt du 27 mars 2019 de déclarer irrecevables les conclusions qu'elle a signifiées le 29 janvier 2018 et de dire qu'elle est irrecevable à conclure, à former appel incident et à communiquer des pièces dans l'instance d'appel, alors :
« 1°/ que, pour un contentieux relatif à des contributions indirectes, l'appel est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile, sous réserve de l'application des dispositions des alinéas 2 et 4 de l'article R* 202-2 du livre des procédures fiscales ; que l'alinéa 4 de l'article R* 202-2 prévoit expressément que le tribunal accorde aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances, les délais nécessaires pour présenter leur défense ; que cette règle spéciale de délai de communication des conclusions est applicable par préférence aux règles de droit commun du code de procédure civile ; qu'en estimant néanmoins que les dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, qui donnent à l'intimé un délai de trois mois pour conclure, s'imposaient, la cour d'appel a violé ledit article 909 du code de procédure civile par fausse application et les articles R* 202-2, alinéa 4, et R* 202-6 du livre des procédures fiscales par refus d'application ;
2°/ que, pour un contentieux relatif à des contributions indirectes, l'appel est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile, sous réserve de l'application des dispositions des alinéas 2 et 4 de l'article R* 202-2 du livre des procédures fiscales ; que l'alinéa 4 de l'article R* 202-2 prévoit expressément que le tribunal accorde aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances, les délais nécessaires pour présenter leur défense ; qu'il appartient alors au juge d'exercer son office en accordant aux parties les délais effectivement nécessaires pour présenter leur défense ; qu'en l'espèce, en estimant que la lettre du greffe de notification de la déclaration d'appel rappelant à la société intimée la règle de l'article 909 du code de procédure civile pour présenter sa défense, à savoir à l'époque deux mois, était conforme à l'alinéa 4 de l'article R* 202-2 du livre des procédures fiscales, quand il appartenait au juge de ne pas se borner à réitérer l'article 909 du code de procédure civile mais à fixer lui-même les délais nécessaires aux parties pour présenter leur défense, la cour d'appel a violé l'article 909 du code de procédure civile par fausse application et les articles R* 202-2, alinéa 4, et R* 202-6 du livre des procédures fiscales par refus d'application. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte des articles R* 202-2, alinéa 4, du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue du décret n° 2012-634 du 3 mai 2012, et R* 202-6 du même livre que la disposition selon laquelle, par dérogation aux règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile, il est accordé aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances, les délais nécessaires pour présenter leur défense, n'est applicable, devant la cour d'appel, qu'à l'égard des avocats constitués.
8. Selon l'article 909 du code de procédure civile, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe.
9. L'arrêt relève que l'administration des douanes a signifié sa déclaration d'appel et ses conclusions à la société Prunier le 24 juillet 2017 et que cette dernière n'a constitué avocat que le 23 novembre 2017 et n'a notifié ses conclusions que le 29 janvier 2018.
10. Il en résulte qu'à la date à laquelle avait expiré le délai qui lui était imparti à l'article 909 du code de procédure civile, la société Prunier, qui était mal fondée à invoquer la violation de l'article R* 202-2, alinéa 4, du livre des procédures fiscales, inapplicable faute de constitution d'avocat avant cette date, n'était plus recevable à déposer des conclusions.
11. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
Et sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
12. La société Prunier fait grief à l'arrêt du 3 mars 2020 de déclarer valide l'AMR du 29 septembre 2014, alors « que le juge national, saisi d'un litige dans une matière entrant dans le domaine d'application d'une directive, est tenu d'interpréter son droit interne à la lumière du texte et de la finalité de sa directive ; que si une disposition du droit interne est contraire aux dispositions inconditionnelles et précises d'une directive, le juge national doit l'écarter ; que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise dispose que les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation ; qu'en appliquant l'article 302 D, I, 1, 2° bis, du code général des impôts, qui rend exigibles les droits d'accises lors de la constatation de manquants, qui est pourtant contraire à l'article 7 de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008, qui dispose que les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et ne prévoit pas de cas d'exigibilité visant les manquants, la cour d'appel a violé l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ensemble l'article 7 de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
13. L'administration des douanes conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau.
14. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
Bien fondé du moyen
15. Il résulte des dispositions des articles 7, paragraphes 1, 2, sous a ), et 4, et 10, paragraphes 1 et 6, de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CEE, que les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et dans l'État membre où celle-ci s'effectue, que la « mise à la consommation » s'entend, notamment, de la sortie, y compris la sortie irrégulière, de produits soumis à accise d'un régime de suspension de droits et que lorsqu'une irrégularité a été commise, entraînant la mise à la consommation de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits, la mise à la consommation a lieu dans l'État membre où l'irrégularité a été commise. Il en ressort également qu'une « irrégularité » correspond à une situation qui se produit au cours d'un mouvement de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits, autre que celle de la destruction totale ou de la perte irrémédiable visée à l'article 7, paragraphe 4, en raison de laquelle ce mouvement ou une partie de ce mouvement de produits soumis à accise n'a pas pris fin conformément à l'article 20, paragraphe 2 de ladite directive.
16. La Cour de justice de l'Union européenne juge, d'une part, que la constatation de manquants lors de la livraison de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits révèle une situation nécessairement passée au cours de laquelle les produits manquants n'ont pas fait l'objet de cette livraison et dont le mouvement n'a, dès lors, pas pris fin conformément à l'article 20, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE. Cette situation constitue en conséquence une irrégularité au sens de l'article 10, paragraphe 6, de cette directive. Une irrégularité de cette nature entraîne nécessairement une sortie du régime de suspension de droits et, par suite, une mise à la consommation telle que présumée conformément à l'article 7, paragraphe 2, sous a), de ladite directive. Elle juge, d'autre part, que l'irrégularité que régit l'article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE vise une situation autre que celle visée à l'article 7, paragraphe 4, de cette directive, c'est-à-dire autre que celle de la « destruction totale ou [de] la perte irrémédiable de produits soumis à accise » (arrêt du 28 janvier 2016, BP Europa, C-64/15, points 43 et 45).
17. Le moyen, qui postule que la directive 2008/118/CE ne prévoit pas que les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la constatation de manquants, n'est donc pas fondé.
18. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne sur la première des questions dont la société demande le renvoi à la Cour de justice, la seconde question n'ayant pas à être posée dès lors qu'aucun moyen n'a été soulevé dont l'examen nécessiterait d'en avoir la réponse, il n'y pas lieu de saisir la Cour de justice de ces questions préjudicielles.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Maison Prunier aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Maison Prunier et la condamne à payer au directeur général des douanes et droits indirects et au directeur régional des douanes et droits indirects de [Localité 4] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Maison Prunier.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 27 mars 2019 d'AVOIR déclaré irrecevables les conclusions signifiées le 29 janvier 2018 par la société Maison Prunier et d'AVOIR dit que la société Maison Prunier était désormais irrecevable à conclure, à former appel incident et à communiquer des pièces dans l'instance d'appel.
AUX MOTIFS QUE « La procédure devant la cour d'appel en matière de contributions indirectes relève de l'article R.202-6 du Livre des Procédures Fiscales qui prévoit que "sous réserve de l'application des dispositions des alinéas 2 et 4 de l'article R202-2 et de celles des articles R202-3 et R202-4, l'appel est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile". L'article R202-2 du Livre des Procédures Fiscales stipule : - en son alinéa 2 que "l'instruction se fait par simples mémoires respectivement signifiés. Toutefois le redevable a le droit de présenter par lui-même ou par le ministère d'un avocat inscrit au tableau des explications orales". – en son alinéa 4 que "le tribunal accorde aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances, les délais nécessaires pour présenter leur défense. Cette disposition est applicable devant la cour d'appel à l'égard des avocats constitués". Il ressort de ces articles dont l'application n'est pas contestée que la procédure n'est pas orale ainsi que le soutient la Maison Prunier : elle est écrite, mais le redevable ou son conseil ont le droit de fournir des explications orales. Ceci constitue une dérogation aux règles de la procédure civile. Une autre disposition est dérogatoire à savoir que le tribunal accorde aux parties les délais nécessaires pour préparer leur défense. Dans la procédure ordinaire avec représentation obligatoire en cause d'appel ce sont les dispositions de l'article 909 du code de procédure civile qui régissent les délais pour conclure de l'intimé. L'appel a été interjeté le 31/05/2017 en sorte que selon les dispositions de l'article 909 du code de procédure civile ancien applicable à la procédure litigieuse l'intimé disposait, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour conclure et former le cas échéant un appel incident. Le décret du 6/05/2017 applicable aux procédures en cours à la date de son entrée en vigueur a porté ce délai à trois mois. La Maison Prunier disposait donc, selon l'article 909 du code de procédure civile d'un délai de trois mois pour conclure à compter du moment où les conclusions de l'appelante ont été signifiées à sa personne le 24/07/2017. Il est constant que le principe édicté par l'article R202-6 du Livre des Procédures Fiscales est celui que l'appel est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile. Le principe est donc que les dispositions de l'article 902 et 908 du code de procédure civile imposant des délais à l'appelant à peine de caducité pour signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions s'imposent et que les dispositions de l'article 909 imposant des délais à l'intimé à peine d'irrecevabilité pour conclure s'imposent. La cour relève que l'application des dispositions de l'article 909 n'est pas écartée par l'article R202-6 il est simplement prévu par la mesure dérogatoire que "le tribunal accorde aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances, les délais nécessaires pour présenter leur défense". Tel a bien été le cas. Après la signification de la déclaration d'appel le greffe a adressé à l'intimée la lettre de notification de la déclaration d'appel sur laquelle figure le rappel des obligations de l'intimée pour présenter sa défense à savoir à l'époque deux mois. Ensuite, l'intimée n'ayant pas constitué avocat l'appelante lui a signifié cette déclaration d'appel qui comporte le rappel des textes applicables à la procédure en cause et plus spécifiquement du circuit procédural décidé par le conseiller de la mise en état à savoir en l'espèce le visa de l'article 902 du code de procédure civile qui fait référence à la procédure ordinaire devant la cour d'appel. Il y est indiqué les délais pour conclure aux parties, et plus spécialement à l'intimé, à savoir le délai de l'article 909. Cette procédure est conforme en tout point à l'alinéa 4 de l'article R202-2 du Livre des Procédures Fiscales. C'est dès lors à juste titre que le conseiller de la mise en état a déclaré les conclusions signifiées le 29/01/2018 par l'intimée irrecevables, son délai pour conclure ayant expiré le 24/10/2017 conformément aux dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, applicables au présent litige au vu du choix par le conseiller de la mise en état d'orienter ce dossier selon le circuit ordinaire devant la cour d'appel. L'ordonnance querellée sera en conséquence confirmée » ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « En application de l'article L.199 du livre des procédures fiscales le contentieux relatif aux contributions indirectes et porté devant le tribunal de grande instance statuant en premier ressort, c'est dans ce cadre qu'a été saisi le tribunal de grande instance de Poitiers de la contestation de la SA Maison Prunier tendant à prononcer la nullité de l'avis de mise en recouvrement n°14/933/820 du 29 septembre 2014 émis à son encontre par l'administration des Douanes. L'article R.202-6 du livre des procédures fiscales dispose : "Sous réserve de l'application des dispositions des alinéas 2 et 4 de l'article R.202-2 et de celles des articles R.202-3 et R.202-4, l'appel est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile." L'article R202-2 du livre des procédures fiscales invoqué par l'intimée en ses alinéas 2 et 4 est ainsi libellé : "
(alinéa 2) L'instruction se fait par mémoires respectivement signifiés. Toutefois le redevable a le droit de présenter par lui-même ou par le ministère d'un avocat inscrit au tableau des explications orales. La même faculté appartient à l'administration. Les modes de preuve doivent être compatibles avec le caractère écrit de l'instruction.
(alinéa 4) Le tribunal accorde aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances les délais nécessaires pour présenter leur défense. Cette disposition est applicable, devant la cour d'appel à l'égard des avocats constitués". Les deux réserves ainsi énoncées par les dispositions ci-dessus reproduites ne sont pas de nature à exclure les règles édictées par le code de procédure civile dans le cadre de la procédure avec représentation obligatoire qui doit être suivie devant la cour d'appel, et notamment les règles relatives aux délais impartis à l'appelant et à l'intimé pour accomplir les différents actes de la dite procédure. Elles précisent seulement que la procédure écrite n'exclut pas la possibilité de présenter en outre des explications orales et que la juridiction peut accorder aux parties les délais nécessaires pour présenter leur défense. Ces réserves ne sont pas incompatibles avec les règles de procédures prévoyant les délais dans lesquels les parties doivent accomplir les actes nécessaires au traitement de la procédure d'appel. Elles sont les mêmes pour toutes les parties afin de permettre le cours du débat contradictoire. En l'espèce, suite à l'appel relevé par la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de [Localité 4], l'affaire a été enrôlée au greffe de la cour sous le n° RG 17-1896, attribuée à la deuxième chambre civile, elle a orienté sur le circuit long de procédure avec mise en état et soumise notamment aux dispositions des articles 901 à 916 du code de procédure civile. L'intimée n'ayant pas constitué avocat dans le délai d'un mois de la déclaration d'appel, l'appelante, suite à l'avis du greffe qui lui a été adressé le 3 juillet 2017 en application de l'article 902 du code de procédure civile a signifié tant sa déclaration d'appel que ses conclusions d'appelant à la SA Maison Prunier par acte d'huissier du 24 juillet 2017, ceci dans le respect des délais prévus respectivement par l'article 902 et par l'article 908 du même code. L'article 909 du code de procédure civile régit les délais dans lesquels l'intimé doit déposer ses conclusions, dans sa rédaction applicable à la cause, s'agissant d'un appel relevé antérieurement au 1er septembre 2017, il prévoit que : "l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour conclure et former, le cas échéant, appel incident". Cependant le décret du 6 mai 2017 a porté à 3 mois le délai imparti à l'intimé pour conclure en cette qualité et le cas échéant former appel incident. Ces dispositions sont applicables aux procédures en cours à la date d'entrée en vigueur du décret sus-mentionné, de sorte que le délai de 2 mois imparti par le texte en vigueur au jour de l'appel expirant après le 1er septembre 2017, ce délai a été porté à trois mois. La SA Maison Prunier disposait donc pour conclure en qualité d'intimé d'un délai de trois mois à compter de la date de signification des conclusions d'appelant le 24 juillet 2017, le délai lui étant imparti expirant donc le 24 octobre 2017. Il n'est pas contestable que la SA Maison Prunier qui n'a constitué avocat que le 23 novembre 2017 alors que tant la déclaration d'appel que les conclusions d'appelant lui avaient été signifiées à personne le 24 juillet 2017, n'a notifié ses conclusions d'intimé que le 29 janvier 2018. Il s'ensuit que les conclusions d'intimé notifiées par la SA Maison Prunier le 29 janvier 2018 après l'expiration du délai de trois mois ne peuvent qu'être déclarées irrecevables et que désormais elle est irrecevable à conclure, à former appel incident et à communiquer des pièces en sa qualité d'intimée dans la présente instance. Il sera donc fait droit à l'incident formé par la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de [Localité 4] » ;
1) ALORS QUE pour un contentieux relatif à des contributions indirectes, l'appel est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile, sous réserve de l'application des dispositions des alinéas 2 et 4 de l'article R 202-2 du livre des procédures fiscales ; que l'alinéa 4 de l'article R 202-2 prévoit expressément que le tribunal accorde aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances, les délais nécessaires pour présenter leur défense ; que cette règle spéciale de délai de communication des conclusions est applicable par préférence aux règles de droit commun du code de procédure civile ; qu'en estimant néanmoins que les dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, qui donnent à l'intimé un délai de trois mois pour conclure, s'imposaient, la cour d'appel a violé ledit article 909 du code de procédure civile par fausse application et les articles R.202-2, alinéa 4, et R.202-6 du livre des procédures fiscales par refus d'application.
2) ALORS QUE pour un contentieux relatif à des contributions indirectes, l'appel est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile, sous réserve de l'application des dispositions des alinéas 2 et 4 de l'article R 202-2 du livre des procédures fiscales ; que l'alinéa 4 de l'article R.202-2 prévoit expressément que le tribunal accorde aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances, les délais nécessaires pour présenter leur défense ; qu'il appartient alors au juge d'exercer son office en accordant aux parties les délais effectivement nécessaires pour présenter leur défense ; qu'en l'espèce, en estimant que la lettre du greffe de notification de la déclaration d'appel rappelant à la société intimée la règle de l'article 909 du code de procédure civile pour présenter sa défense, à savoir à l'époque deux mois, était conforme à l'alinéa 4 de l'article R.202-2 du livre des procédures fiscales, quand il appartenait au juge de ne pas se borner à réitérer l'article 909 du code de procédure civile mais à fixer lui-même les délais nécessaires aux parties pour présenter leur défense, la cour d'appel a violé l'article 909 du code de procédure civile par fausse application et les articles R.202-2, alinéa 4, et R.202-6 du livre des procédures fiscales par refus d'application.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 3 mars 2020 d'AVOIR dit n'y avoir lieu à annulation de la procédure engagée par la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de [Localité 4] à l'encontre de la société Maison Prunier au titre des droits d'accise, d'AVOIR déclaré valide l'avis de mise en recouvrement n°14/933/820 en date du 29 septembre 2014 d'un montant de 139 194 € et d'AVOIR condamné la société Maison Prunier à payer à la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de [Localité 4] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
AUX MOTIFS QUE « Sur la régularité de la procédure : Le tribunal a prononcé la nullité de la procédure pour violation des dispositions de l'article L39 du Livre des procédures fiscales en matière d'audition libre à l'égard de Mme [L] [G] et de M. [N] [V] aux termes desquelles : "La personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre des faits constituant une infraction en matière de contributions indirectes ou de réglementations édictant les mêmes règles en matière de procédure et de recouvrement ne peut être entendue sur ces faits qu'après la notification des informations prévues à l'article 61-1 du code de procédure pénale. S'il apparaît, au cours de l'audition d'une personne, des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, ces informations lui sont communiquées sans délai." La direction des Douanes ne discute pas le non respect du texte précité à défaut d'avoir notifié à M. [V] Président Directeur Général de la SA Maison Prunier les informations prévues à l'article 61-1 du code de procédure pénale, mais reproche au tribunal d'en avoir déduit la nullité de la procédure dans la mesure où il est de jurisprudence constante que la nullité de l'audition ne peut entraîner la nullité de l'intégralité de la procédure que si elle repose uniquement sur les propos tenus lors de ces auditions. Les dispositions précitées sont entrées en vigueur le 2 juin 2014 , elles n'étaient dès lors pas encore applicables lors de l'audition de Mme [G] responsable régie de la société Maison Prunier, étant précisé de surcroît qu'elle ne pourrait en toute hypothèse être considérée comme une personne contre laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction étant une employée de la société auprès de laquelle les agents des douanes n'ont fait que recueillir au cours de leurs opérations de contrôle des documents accompagnés des explications destinées à leur exploitation. Il s'ensuit que la nullité de la procédure ne saurait être encourue pour violation de la procédure d'audition libre, alors que le procès verbal litigieux établi le 19 mai 2014 est un procès verbal d'intervention relatant les opérations de contrôle des stocks d'alcool et des documents y afférent, effectuées sur les différents sites de la SA Maison Prunier les 29 avril et 7 mai 2014 et ne faisant que reprendre les commentaires de Mme [G] sur les documents remis. Concernant l'audition de M. [V] Président Directeur Général de la SA Maison Prunier le 4 septembre 2014 lors de l'établissement et de la notification du procès verbal d'infraction suite aux contrôles sus-mentionnés, les dispositions relatives à l'audition libre étaient applicables, de sorte que ce procès-verbal est irrégulier à défaut de respect de l'obligation de délivrer à ce dernier les informations prévues à l'article 61-1 du code de procédure pénale. Il apparaît toutefois que les constats faits par les agents du CVC reposent sur les constatations matérielles opérées, contradictoirement, par ces derniers les 29 avril 2014 et 7 mai 2014 et consignées dans le procès-verbal d'intervention du 19 mai 2014 relatant les opérations de contrôle des stocks d'alcool , faisant apparaître les manquants taxables au regard de l'analyse de la comptabilité matière de la société. Ces éléments suffisent à fonder les poursuites et constituent la base et le support de la taxation des manquants ayant donné lieu l'émission par l'administration des douanes de l'avis de mise en recouvrement de sorte que l'irrégularité de l'audition de M. [V] ne peut pas entraîner l'invalidation de la totalité de la procédure contrairement à ce qu'a retenu le jugement entrepris qui sera infirmé en toutes ses dispositions » ;
1) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, l'avis de mise en recouvrement litigieux du 29 septembre 2014 mentionnait comme désignation des taxes et fait générateur de l'imposition : « Procès-verbal de notification d'infractions du 4 septembre 2014. Procès-verbal a été déclaré à la Maison Prunier SA représentée par monsieur [V] [N] en sa qualité de Président Directeur Général de la dite société pour les infractions suivantes : mauvaise tenue de comptabilité-matières, défaut d'épalement des contenants, manquants taxables non déclarés [
], excédents non déclarés » ; qu'en affirmant néanmoins que les constatations matérielles opérées les 29 avril et 7 mai 2014 et consignées dans le procès-verbal d'intervention du 19 mai 2014 constituaient la base et le support de la taxation des manquants ayant donné lieu à l'avis de mise en recouvrement, la cour d'appel a dénaturé l'avis de mise en recouvrement litigieux du 29 septembre 2014, en méconnaissance du principe interdisant au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis.
2) ALORS QUE l'avis de mise en recouvrement doit comporter les informations nécessaires à la connaissance de la dette, par l'indication de la nature et de la date, soit du fait générateur ou de l'échéance des droits constitutifs de cette créance, soit de la déclaration ou de l'acte qui est à la base de son établissement ; que lorsque l'avis de mise en recouvrement est établi sur la base d'un acte, l'irrégularité de ce dernier entraine la nullité consécutive de l'avis de mise en recouvrement ; qu'en l'espèce, l'avis de mise en recouvrement litigieux du 29 septembre 2014 mentionnait comme désignation des taxes et fait générateur de l'imposition : « Procès-verbal de notification d'infractions du 4 septembre 2014. Procès-verbal a été déclaré à la Maison Prunier SA représentée par monsieur [V] [N] en sa qualité de Président Directeur Général de la dite société pour les infractions suivantes : mauvaise tenue de comptabilité-matières, défaut d'épalement des contenants, manquants taxables non déclarés [
], excédents non déclarés » ; qu'il en ressortait que l'avis de mise en recouvrement litigieux avait été établi sur la base du procès-verbal de notification d'infractions du 4 septembre 2014 ; que la cour d'appel a admis que le procès-verbal de notification d'infractions du 4 septembre 2014 était irrégulier ; qu'en refusant néanmoins d'invalider l'avis de mise en recouvrement qui avait pour base ce procès-verbal de notification d'infractions irrégulier, la cour d'appel a violé l'article R.256-1 du livre des procédures fiscales.
3) ALORS QUE le juge doit respecter l'objet du litige, tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties ; qu'en l'espèce, l'administration des douanes reconnaissait dans ses conclusions d'appel (page 6) ne pas avoir respecté le formalisme de l'audition libre et que les auditions de Mme [G] et de M. [V] étaient nulles ; qu'en refusant d'admettre la nullité de l'audition de Mme [G], la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile.
4) ALORS QUE le principe général du respect des droits de la défense exige, même sans texte, que toute personne, contre laquelle il est envisagé de prendre une décision lui faisant grief, doit être mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue et être informée de la nature et de la date de l'infraction qu'on la soupçonne d'avoir commise ; qu'en l'espèce, en se bornant à retenir que les dispositions de l'article L39 du livre des procédures fiscales n'étaient pas applicables lors de l'audition de Mme [G], quand le respect des droits de la défense s'imposait même sans texte, la cour d'appel a violé le principe général du respect des droits de la défense.
5) ALORS QUE l'audition d'un préposé d'une personne morale est soumise aux exigences de respect des droits de la défense ; qu'en retenant que Mme [G], responsable régie de la société Maison Prunier, ne pouvait pas être considérée comme une personne contre laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner quelle a commis ou tenté de commettre une infraction en raison de sa qualité d'employée de la société, pour en déduire que la nullité de la procédure d'audition libre ayant servi à l'établissement du procès-verbal d'intervention du 19 mai 2014 n'était pas encourue, la cour d'appel a violé le principe général du respect des droits de la défense.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 3 mars 2020 d'AVOIR déclaré valide l'avis de mise en recouvrement n°14/933/820 en date du 29 septembre 2014 d'un montant de 139 194 € et d'AVOIR condamné la société Maison Prunier à payer à la Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects de [Localité 4] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
AUX MOTIFS QUE « Sur l'avis de mise en recouvrement : La SA Maison Prunier a le statut d'entrepositaire agréé au sens de l'article 302-G du Code Général des impôts. En application des dispositions de l'article 302 D du même code l'impôt est exigible sur les manquants par référence au régime juridique des pertes déchets et manquants prévu par l'article 302 D du Code Général des Impôts, selon lequel : "(...)2° bis Lors de la constatation de manquants Sont considérés comme manquants les produits soumis à accise placés sous un régime de suspension de droits, autres que ceux détruits ou perdus en cours de fabrication, de transformation ou de stockage, qui ne peuvent être présentés aux services des douanes et droits indirects alors qu'ils figurent dans la comptabilité matières tenue par l'entrepositaire agréé ou qu'ils auraient dû figurer dans celle-ci.» Les modalités d'application de l'article précité sont prévues aux articles 111-00 A à 111-00 D de l'annexe III du Code Général des Impôts. L'article 111-00 C indique les taux de déduction annuels maximum au titre des déchets et pertes relatifs au stockage des alcools en distinguant selon que les alcools sont stockés dans des contenants en bois déduction de 6% du stock moyen, en cuves étanches déduction de 1,5% du stock moyen et en conditionnement déduction de 0,3% du stock moyen. Il est établi par les constatations des agents des douanes que la Maison Prunier lors des contrôles des 29 avril et 7 mai 2014 ayant donné lieu à la taxation contestée, ne tenait pas de comptes distincts pour chaque type de stockage d'alcool dans sa comptabilité matières. En l'absence de distinction selon les contenants dans la comptabilité matière, les circulaires prises pour l'application de ces dispositions indiquent : pour la circulaire n°02-028 du 19 mars 2002 (pièces 9) que les taux de déduction applicables au stockage sous bois et en cuves étanches, ne peuvent pas être appliqués si l'entrepositaire agréé n'est pas en mesure de reporter dans sa comptabilité matières le stockage des produits alcooliques par nature de contenant et pour la circulaire du 31 décembre 2012 qu'en l'absence de tenue de compte distincts pour chaque type de stockage, le taux de déduction le plus faible s'applique à la totalité des pertes au stockage physiquement constatées. (Pièce 10) C'est en suivant ces prescriptions et en appliquant le taux de 0,3% à l'ensemble des manquants d'alcool pur constatés pour la période courant du 1er janvier au 31 décembre 2013 portant sur un total de 55 Hl 89 L 98 Cl d'alcool pur et pour la période courant du 1er janvier 2014 au 29 avril 2014 un total de 6 Hl 50 L et 43 Cl d'alcool pur, que par un calcul qui n'est pas autrement contesté l'administration des douanes a retenu une taxation totale de 139.194 € dont 124.734 € pour l'exercice fiscal 2013 et 14.460 € pour l'exercice fiscal du 1er janvier au 29 avril 2014. Il s'ensuit que l'avis de mise en recouvrement n°14/933/820 en date du 29 septembre 2014 est valide pour le montant de 139.194 € au titre des droits d'accise sur les manquants » ;
1) ALORS QUE l'article 302 D, I-1, du code général des impôts, relatif à l'exigibilité des droits d'accises, distingue d'une part les déchets et pertes et d'autre part les manquants ; que les déchets et pertes peuvent bénéficier des taux de déduction prévues aux articles 111-00 A et 111-00 C de l'annexe III du code général des impôts ; qu'en l'espèce, en validant l'avis de mise en recouvrement au titre de manquants, tout en admettant l'application du taux de déduction sur pertes de 0,3%, la cour d'appel a procédé à une confusion des notions de « déchets et pertes » et de « manquants » au sens de l'article 302 D, I-1, du code général des impôts, ne mettant pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 302 D, I-1, du code général des impôts.
2) ALORS QUE le juge national, saisi d'un litige dans une matière entrant dans le domaine d'application d'une directive, est tenu d'interpréter son droit interne à la lumière du texte et de la finalité de sa directive ; que si une disposition du droit interne est contraire aux dispositions inconditionnelles et précises d'une directive, le juge national doit l'écarter ; que l'article 7, paragraphe 1, de la directive n°2008/118/CE du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise dispose que les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation ; qu'en appliquant l'article 302 D, I-1, 2° bis, du code général des impôts, qui rend exigibles les droits d'accises lors de la constatation de manquants, qui est pourtant contraire à l'article 7 de la directive n°2008/118/CE du 16 décembre 2008 qui dispose que les droits d'accise deviennent exigibles au moment de la mise à la consommation et ne prévoit pas de cas d'exigibilité visant les manquants, la cour d'appel a violé l'article 288 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ensemble l'article 7 de la directive n°2008/118/CE du 16 décembre 2008.
3) ALORS QUE l'article 286 J, VI, 1°, c), de l'annexe II du code général des impôts n'impose pas de distinguer dans la comptabilité matières chaque type de stockage d'alcool, mais seulement d'établir un compte de subdivision pour les alcools logés dans des fûts en bois non pourvus d'un revêtement intérieur ou extérieur destiné à assurer l'étanchéité ; qu'il en ressort qu'il n'y a pas d'obligation de distinguer dans la comptabilité matières le stockage en cuves étanches et le stockage après conditionnement ; qu'en l'espèce, en retenant que la taxation contestée se fondait sur le fait que la société Maison Prunier ne tenait pas de comptes distincts pour chaque type de stockage d'alcool dans sa comptabilité matières, et qu'en conséquence il convenait d'appliquer le taux de déduction sur pertes le plus faible de 0,3% correspondant au stockage après conditionnement, quand la société Maison Prunier n'était pas tenue de distinguer dans sa comptabilité matières le stockage en cuves étanches et le stockage après conditionnement et aurait dès lors dû pouvoir bénéficier du taux de déduction sur pertes de 1,5% correspondant au stockage en cuves étanches, la cour d'appel a violé l'article 286 J de l'annexe II du code général des impôts, ensemble les articles 111-00 A et 111-00 C de l'annexe III du code général des impôts.
4) ALORS QUE le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; que les circulaires de l'administration n'ont pas de valeur normative à l'égard des redevables ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est fondée sur les circulaires du 19 mars 2002 et du 31 décembre 2012 pour décider que les taux de déduction applicables au stockage sous bois et en cuves étanches ne peuvent pas être appliqués si l'entrepositaire agréé n'est pas en mesure de reporter dans sa comptabilité matières le stockage des produits alcooliques par nature de contenant et qu'en l'absence de tenue de compte distincts pour chaque type de stockage, le taux de déduction le plus faible s'applique à la totalité des pertes au stockage physiquement constatées ; qu'en statuant ainsi sur le fondement de circulaires dépourvues de valeur normative, la cour d'appel a violé l'article L.80 A du livre des procédures fiscales et l'article 12 du code de procédure civile. | Il résulte des articles R.* 202-2, alinéa 4, du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue du décret n° 2012-634 du 3 mai 2012, et R.* 202-6 du même livre que la disposition selon laquelle, par dérogation aux règles de la procédure avec représentation obligatoire prévue au code de procédure civile, il est accordé aux parties ou aux agents de l'administration qui suivent les instances, les délais nécessaires pour présenter leur défense, n'est applicable, devant la cour d'appel, qu'à l'égard des avocats constitués |
8,535 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 70 F-B
Pourvoi n° C 21-15.772
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
La Société d'exploitation du Pacific (Sodepac), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-15.772 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Nouméa (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à Mme [T] [H], épouse [K], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Société d'exploitation du Pacific (Sodepac), de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [H], et l'avis de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 28 janvier 2021), Mme [H] est propriétaire d'un commerce de restauration dénommé « Le Relais de Kaméré », implanté au sein d'un centre commercial appartenant à la société civile immobilière Kinoa. Elle était, par ailleurs, cogérante de la Société d'exploitation du Pacifique (la société Sodepac), exploitant un supermarché au sein de ce même centre commercial, jusqu'à sa démission et à la cession concomitante de ses parts dans cette société, en 2013.
2. Soutenant que Mme [H] avait commis une faute de gestion en lui faisant supporter les consommations électriques afférentes à l'exploitation du Relais de Kaméré, la société Sodepac l'a assignée en responsabilité sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et sixième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. La société Sodepac fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Mme [H], alors « que la responsabilité d'un seul des gérants d'une société peut être recherchée, individuellement, lorsqu'il est seul à l'origine des faits fautifs ; qu'en considérant que l'action de la société Sodepac aurait dû être dirigée à l'encontre de l'ensemble des cogérants, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 223-22 du code de commerce :
5. Aux termes des deux premiers alinéas de ce texte, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs gérants ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.
6. Pour rejeter la demande tendant à la mise en jeu de la responsabilité de Mme [H] à raison de l'exercice de ses fonctions de gérante, l'arrêt énonce qu'il est constant que celle-ci n'était pas la seule gérante de la société, de sorte que l'action devait être dirigée à l'encontre de l'ensemble des cogérants.
7. En statuant ainsi, alors que la pluralité de gérants ne fait pas obstacle à ce que leur responsabilité soit engagée de manière individuelle, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il déboute la Société d'exploitation du Pacifique (Sodepac) de l'ensemble de ses demandes contre Mme [H] et déboute Mme [H] de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive et en ce qu'il condamne la Société d'exploitation du Pacifique (Sodepac) aux dépens ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, l'arrêt rendu le 28 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa, autrement composée ;
Condamne Mme [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [H] et la condamne à payer à la Société d'exploitation du Pacifique la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la Société d'exploitation du Pacific (Sodepac).
La société Sodepac fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'avoir déboutée de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Mme [T] [H] épouse [K] ;
alors 1°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en considérant que l'action de la société Sodepac aurait été une action en remboursement de charges de consommation électriques, quand l'action de l'exposante, fondée sur l'article L. 223-22 du code de commerce, est une action en responsabilité d'un gérant pour faute de gestion, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
alors 2°/ que la responsabilité d'un seul des gérants d'une société peut être recherchée, individuellement, lorsqu'il est seul à l'origine des faits fautifs ; qu'en considérant que l'action de la société Sodepac aurait dû être dirigée à l'encontre de l'ensemble des cogérants, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce ;
alors 3°/ qu' il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que selon l'attestation de M. [D] [H] du 12 octobre 2018 « de 2012 à 2013, le prix de location s'est élevé à 250.000 CFP par mois, charges comprises » (p. 1) et « [T] [K] s'est donc dévouée pour mettre en place une activité de snacking, pour le bien du centre commercial, qui passait ainsi de zéro loyer à 250.000 CFP par mois (soit 3.000.000 CFP par an) » (p. 5), ce dont résulte clairement et sans équivoque aucune que lorsque Mme [K] s'est « dévouée » pour mettre en place l'activité de snacking, c'est-à-dire en 2002, le loyer convenu s'élevait à 250.000 CFP mais ne comprenait pas les charges et que ces charges n'ont été incluses dans le prix de location qu'à compter de 2012 ; qu'en retenant, pour débouter l'exposante de ses demandes, que « M. [H] (
) explique dans quelle conditions le loyer a été fixé à 250.000 FCFP par mois toutes charges comprises », la cour d'appel a dénaturé l'attestation de M. [H], en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
alors subsidiairement 4°/ qu'en déboutant l'exposante de sa demande au prétexte que « M. [H] (
) explique dans quelle conditions le loyer a été fixé à 250.000 FCFP par mois toutes charges comprises », motif impropre à justifier l'existence d'une installation occulte ayant permis l'alimentation en électricité du local du Relais de Kaméré à partir de l'installation électrique et du compteur de la société Sodepac, donc la prise en charge par la société Sodepac de l'alimentation en électricité du Relais de Kaméré, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-22 du code de commerce ;
alors subsidiairement 5°/ qu'en déboutant l'exposante de l'ensemble de ses demandes après avoir constaté, par motifs adoptés, que tout un chacun savait que le compteur électrique était branché sur la Sodepac, ce dont il résultait nécessairement que l'alimentation en électricité du local du Relais de Kaméré provenait de l'installation et du compteur électrique de la société Sodepac, de sorte que c'est cette société Sodepac qui réglait l'électricité alimentant le local du Relais de Kaméré, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 223-22 du code de commerce ;
alors 6°/ que l'action en responsabilité pour faute de gestion ne peut être exercée que contre le(s) gérants d'une société ; qu'en considérant que l'action de la société Sodepac aurait dû être dirigée à l'encontre de la SCI Kinoa et non de Mme [H], épouse [K], quand il est constant et acquis au débat que la SCI Kinoa est bailleur de la société Sodepac mais n'en a jamais été le gérant, la cour d'appel a violé l'article L. 223-22 du code de commerce. | La pluralité de gérants au sein d'une SARL ne fait pas obstacle à ce que leur responsabilité soit engagée de manière individuelle.
Viole, en conséquence, l'article L. 223-22 du code de commerce la cour d'appel qui, pour rejeter la demande tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une cogérante de la société à raison de l'exercice de ses fonctions, énonce qu'elle n'en était pas la seule gérante et que l'action devait être dirigée à l'encontre de l'ensemble des cogérants |
8,536 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 77 F-B
Pourvoi n° E 21-14.164
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
La Société anonyme monégasque de promotion immobilière (SAMPI), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 21-14.164 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société [E] conseil finance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la Société anonyme monégasque de promotion immobilière, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société [E] conseil finance, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 novembre 2020), par une lettre de mission du 12 novembre 2013, la Société anonyme monégasque de promotion immobilière (la SAMPI) a confié à la société [E] conseil finance (la société [E]) la recherche d'un financement pour l'acquisition de parts de copropriété d'un immeuble et l'exécution de travaux de rénovation de celui-ci.
2. Cette lettre de mission stipulait que la société [E] percevrait une rémunération correspondant à 1 % du montant des financements obtenus par la SAMPI, à la signature effective des contrats de prêt.
3. Soutenant avoir appris, au mois d'octobre 2014, que la SAMPI avait conclu un contrat de financement sans l'en informer, la société [E] l'a assignée en paiement de ses honoraires.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La SAMPI fait grief à l'arrêt de dire que la lettre de mission du 12 novembre 2013 est valable, de rejeter les demandes d'annulation de cette lettre et, en conséquence, de dire que la créance d'honoraires de la société [E] à son encontre, en application de l'article 7 de la lettre de mission, est fondée en son principe, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire, ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 311-2, 5°, du code monétaire et financier les opérations connexes sont le conseil et l'assistance en matière de gestion financière, l'ingénierie financière et d'une manière générale tous les services destinés à faciliter la création et le développement des entreprises, sous réserve des dispositions législatives relatives à l'exercice illégal de certaines professions ; qu'aux termes de l'article L. 321-2, 3°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, les services connexes comprennent la fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d'entreprises ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que la société Sampi avait "sollicité l'assistance de la société [E] pour la recherche du financement nécessaire à l'acquisition des parts de copropriété et à l'exécution des travaux de rénovation" et que le contrat litigieux comportait deux phases, la première intitulée : "analyse des documents reçus par [E] de la part du client, étude approfondie du projet et préparation du business plan", étant précisé que "[E] préparera le business plan et conseillera le client sur les options de structuration financière du projet", la seconde intitulé "préparation de l'infomémo, approche des prêteurs et assistance au client jusqu'au closing", étant précisé : "une fois l'option retenue par le client, [E] préparera le matériel de présentation du projet destiné aux prêteurs potentiels, qu'il soumettra au client pour validation préalable. [E] contactera les prêteurs potentiels sélectionnés conjointement, et en cas d'intérêt d'un ou plusieurs prêteurs potentiels, [E] analysera leurs offres indicatives respectives et les soumettra au client (...)" ; qu'il résulte de ces constatations que la société [E] avait assumé directement une obligation d'intermédiation bancaire, consistant, d'une part, à "présenter, proposer ou aider" la Sampi à obtenir un financement auprès d'établissements bancaires, au sens L. 519-1, I, du code monétaire et financier (phase 2) et, d'autre part, à "effectuer tous travaux et conseils préparatoires à sa réalisation", au sens du même texte (phase 1), de sorte que le contrat litigieux, ayant pour finalité l'obtention d'un financement bancaire, contrevenait au monopole de l'intermédiation bancaire, et était entaché de nullité ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil ;
2°/ que, en toute hypothèse, aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire, ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 321-2, 3°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, les services connexes comprennent la fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d'entreprises ; que les services connexes ainsi décrits ont pour objet les opérations ou activités dites de "haut de bilan", exclusives de l'obtention du financement de l'acquisition et de la rénovation d'un immeuble, fût-ce au moyen d'une augmentation de capital, qui n'en modifie pas la structure ; que la cour d'appel a énoncé que "les éléments du dossier font apparaître que la société [E] a successivement envisagé différentes hypothèses de financement, et notamment un financement mixte constitué d'un endettement bancaire et d'une augmentation de capital, puis un financement par une opération de ‘sale and lease-back', avec différents scenarii possibles, tel que cela est détaillé dans le rapport remis au titre de la phase 1, permettant ainsi à la société Sampi de faire un choix parmi les différentes ‘options de structuration financière du projet'", et que "la mission de la société [E], telle que décrite supra, et incluant notamment les ‘options de structuration financière' correspond bien à la définition des services connexes visés aux articles précités, s'agissant notamment de la ‘fourniture de conseil en matière de structure de capital'", pour en déduire qu'elle avait exercé "une activité d'assistance et de conseil liée à la recherche de financement, lui permettant ainsi d'échapper au statut des intermédiaires en opération de banque" et qu'il n'y avait "pas lieu à nullité du contrat de ce chef" ; qu'en statuant ainsi, par des motifs d'où il ne résulte pas que les prestations de la phase 1 avaient pour objet le conseil ou l'assistance de la Sampi relativement à une opération de "haut de bilan", la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil ;
3°/ que, en toute hypothèse, aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 311-2, 5°, du code monétaire et financier les opérations connexes sont le conseil et l'assistance en matière de gestion financière, l'ingénierie financière et d'une manière générale tous les services destinés à faciliter la création et le développement des entreprises ; que les opérations connexes ainsi décrites ont pour objet les opérations ou activités dites de "haut de bilan", exclusives de l'obtention du financement de l'acquisition d'un immeuble ; que la cour d'appel a énoncé que "les éléments du dossier font apparaître que la société [E] a successivement envisagé différentes hypothèses de financement, et notamment un financement mixte constitué d'un endettement bancaire et d'une augmentation de capital, puis un financement par une opération de ‘sale and lease-back', avec différents scenarii possibles, tel que cela est détaillé dans le rapport remis au titre de la phase 1, permettant ainsi à la société Sampi de faire un choix parmi les différentes ‘options de structuration financière du projet", et que "la mission de la société [E], telle que décrite supra, et incluant notamment les ‘options de structuration financière' correspond bien à la définition des services connexes visés aux articles précités, s'agissant [
] de ‘conseil et assistance en matière d'ingénierie financière et de services destinés à faciliter le développement des entreprises', étant ici observé que le projet de rénovation et d'acquisition de parts supplémentaires de l'immeuble situé à [Localité 3] visait bien en l'espèce au développement de la société Sampi, dont l'activité déclarée sur l'extrait du registre du commerce est celle de construction, vente, location, et exploitation de l'immeuble dénommé Aigue Marine' à [Localité 3]", pour en déduire qu'elle avait exercé "une activité d'assistance et de conseil liée à la recherche de financement, lui permettant ainsi d'échapper au statut des intermédiaires en opération de banque" et qu'il n'y avait "pas lieu à nullité du contrat de ce chef" ; qu'en statuant ainsi, cependant que le financement de l'acquisition et de la rénovation d'un immeuble ne pouvait se rattacher à l'ingénierie financière, ni à des services destinés au développement des entreprises, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Le seul fait qu'un contrat portant sur la recherche d'un financement ait été conclu en méconnaissance des dispositions du chapitre IX du titre Ier du livre V du code monétaire et financier, relatives aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, n'est pas de nature à en entraîner l'annulation.
7. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société anonyme monégasque de promotion immobilière aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société anonyme monégasque de promotion immobilière et la condamne à payer à la société [E] conseil finance la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la Société anonyme monégasque de promotion immobilière (SAMPI).
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La Sampi reproche à l'arrêt attaqué,
D'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a dit que la lettre de mission du 12 novembre 2013 est valable et a rejeté les demandes de nullité de la lettre de mission, et, en conséquence, D'AVOIR dit que la créance d'honoraires de la société [E] à l'encontre de la société Sampi, en application de l'article 7 de la lettre de mission du 12 novembre 2013, est fondée en son principe ;
1°) ALORS QU'aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4° du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 311-2, 5°, du code monétaire et financier les opérations connexes sont le conseil et l'assistance en matière de gestion financière, l'ingénierie financière et d'une manière générale tous les services destinés à faciliter la création et le développement des entreprises, sous réserve des dispositions législatives relatives à l'exercice illégal de certaines professions ; qu'aux termes de l'article L. 321-2, 3°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, les services connexes comprennent la fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d'entreprises ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt (p. 2) que la société Sampi avait « sollicité l'assistance de la société [E] pour la recherche du financement nécessaire à l'acquisition des parts de copropriété et à l'exécution des travaux de rénovation » et que le contrat litigieux comportait deux phases, la première intitulée : « analyse des documents reçus par [E] de la part du client, étude approfondie du projet et préparation du business plan », étant précisé que « [E] préparera le business plan et conseillera le client sur les options de structuration financière du projet », la seconde intitulé « préparation de l'infomémo, approche des prêteurs et assistance au client jusqu'au closing », étant précisé : « une fois l'option retenue par le client, [E] préparera le matériel de présentation du projet destiné aux prêteurs potentiels, qu'il soumettra au client pour validation préalable. [E] contactera les prêteurs potentiels sélectionnés conjointement, et en cas d'intérêt d'un ou plusieurs prêteurs potentiels, [E] analysera leurs offres indicatives respectives et les soumettra au client (...) » ; qu'il résulte de ces constatations que la société [E] avait assumé directement une obligation d'intermédiation bancaire, consistant, d'une part, à « présenter, proposer ou aider » la Sampi à obtenir un financement auprès d'établissements bancaires, au sens L. 519-1, I, du code monétaire et financier (phase 2) et, d'autre part, à « effectuer tous travaux et conseils préparatoires à sa réalisation », au sens du même texte (phase 1), de sorte que le contrat litigieux, ayant pour finalité l'obtention d'un financement bancaire, contrevenait au monopole de l'intermédiation bancaire, et était entaché de nullité ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QU'aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4° du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 321-2, 3°, du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, les services connexes comprennent la fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d'entreprises ; que les services connexes ainsi décrits ont pour objet les opérations ou activités dites de « haut de bilan », exclusives de l'obtention du financement de l'acquisition et de la rénovation d'un immeuble, fût-ce au moyen d'une augmentation de capital, qui n'en modifie pas la structure ; que la cour d'appel a énoncé que « les éléments du dossier font apparaître que la société [E] a successivement envisagé différentes hypothèses de financement, et notamment un financement mixte constitué d'un endettement bancaire et d'une augmentation de capital, puis un financement par une opération de "sale and lease-back", avec différents scenarii possibles, tel que cela est détaillé dans le rapport remis au titre de la phase 1, permettant ainsi à la société Sampi de faire un choix parmi les différentes "options de structuration financière du projet" », et que « la mission de la société [E], telle que décrite supra, et incluant notamment les "options de structuration financière" correspond bien à la définition des services connexes visés aux articles précités, s'agissant notamment de la "fourniture de conseil en matière de structure de capital" », pour en déduire qu'elle avait exercé « une activité d'assistance et de conseil liée à la recherche de financement, lui permettant ainsi d'échapper au statut des intermédiaires en opération de banque » et qu'il n'y avait « pas lieu à nullité du contrat de ce chef » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs d'où il ne résulte pas que les prestations de la phase 1 avaient pour objet le conseil ou l'assistance de la Sampi relativement à une opération de « haut de bilan », la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil ;
3°) ALORS, en toute hypothèse, QU'aux termes de l'article L. 519-1, I, du code monétaire et financier, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est l'activité qui consiste à présenter, proposer ou aider à la conclusion des opérations de banque ou des services de paiement ou à effectuer tous travaux et conseils préparatoires à leur réalisation et qu'est intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement toute personne qui exerce, à titre habituel, contre une rémunération ou toute autre forme d'avantage économique, l'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement, sans se porter ducroire ou qui fournit un service de conseil au sens de l'article L. 519-1-1 ; qu'aux termes de l'article R. 519-2, 4° du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ne sont pas intermédiaires en opérations de banque, les personnes dont l'activité d'intermédiation en opérations de banque et en services de paiement est liée aux opérations connexes définies au 5° de l'article L. 311-2 du même code, ou aux services connexes définis au 3° de l'article L. 321-2 du même code ; qu'aux termes de l'article L. 311-2, 5°, du code monétaire et financier les opérations connexes sont le conseil et l'assistance en matière de gestion financière, l'ingénierie financière et d'une manière générale tous les services destinés à faciliter la création et le développement des entreprises ; que les opérations connexes ainsi décrites ont pour objet les opérations ou activités dites de « haut de bilan », exclusives de l'obtention du financement de l'acquisition d'un immeuble ; que la cour d'appel a énoncé que « les éléments du dossier font apparaître que la société [E] a successivement envisagé différentes hypothèses de financement, et notamment un financement mixte constitué d'un endettement bancaire et d'une augmentation de capital, puis un financement par une opération de "sale and lease-back", avec différents scenarii possibles, tel que cela est détaillé dans le rapport remis au titre de la phase 1, permettant ainsi à la société Sampi de faire un choix parmi les différentes "options de structuration financière du projet" », et que « la mission de la société [E], telle que décrite supra, et incluant notamment les "options de structuration financière" correspond bien à la définition des services connexes visés aux articles précités, s'agissant [
] de "conseil et assistance en matière d'ingénierie financière et de services destinés à faciliter le développement des entreprises", étant ici observé que le projet de rénovation et d'acquisition de parts supplémentaires de l'immeuble situé à [Localité 3] visait bien en l'espèce au développement de la société Sampi, dont l'activité déclarée sur l'extrait du registre du commerce est celle de "construction, vente, location, et exploitation de l'immeuble dénommé Aigue Marine" à [Localité 3] », pour en déduire qu'elle avait exercé « une activité d'assistance et de conseil liée à la recherche de financement, lui permettant ainsi d'échapper au statut des intermédiaires en opération de banque » et qu'il n'y avait « pas lieu à nullité du contrat de ce chef » ; qu'en statuant ainsi, cependant que le financement de l'acquisition et de la rénovation d'un immeuble ne pouvait se rattacher à l'ingénierie financière, ni à des services destinés au développement des entreprises, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 6 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La Sampi reproche à l'arrêt attaqué,
D'AVOIR dit que la créance d'honoraires de la société [E] à l'encontre de la société Sampi, en application de l'article 7 de la lettre de mission du 12 novembre 2013, est fondée en son principe ;
1°) ALORS QUE le juge ne peut statuer statue sans préciser ni analyser les éléments de preuve sur lesquels il se fonde ; que, pour estimer que la société [E] n'avait pas manqué à ses obligations contractuelles, la cour d'appel a énoncé que « la société Sampi, bien qu'ayant informé la société [E] de ce qu'elle contactait la Banque Safra ne l'a jamais mise en relation avec cette société, et ne l'a jamais fait participer aux groupes de travail, de sorte que c'est ici la société Sampi qui a manqué à ses obligations » et qu'elle « ne peut dès lors reprocher à la société [E], qui n'a pas voulu s'immiscer dans la relation avec la banque Safra dès lors qu'elle n'y était pas invitée par la société Sampi, de ne pas l'avoir assistée dans les négociations » ; qu'en statuant ainsi, sans préciser sur quels éléments de preuve elle se fondait pour affirmer que la Sampi n'avait pas mis en relation la société [E] avec la Banque Safra et que cette dernière n'avait pas voulu s'immiscer dans la relation nouée avec ladite banque, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts à raison de l'inexécution de l'obligation ; que la Sampi, pour établir que la société [E] n'avait pas exécuté ses obligations, a exposé (concl., p. 3) qu'en réponse à son courriel du 18 juin 2014, l'alertant sur l'absence d'avancement de son dossier, malgré l'expiration prochaine des délais mentionnés à la promesse, la société [E] lui avait répondu que « le temps devient très court pour respecter les 45 et 90 jours de la promesse de vente » et qu'elle était « déçue de ce résultat » ; qu'elle a invoqué (concl., p. 35-36) l'annexe 2 du « rapport phase 1 du 29 janvier 2014 », que la société [E] a facturé à hauteur de 30 000 euros et dans laquelle elle reconnaissait l'insuffisance de ses « travaux » ; qu'elle a également fait valoir (concl., p. 36) que le « mémorandum d'information du 3 avril 2014 », dont faisait état la société [E], n'était qu'une « reprise » du rapport du 29 janvier 2014 ; qu'en se fondant, pour écarter la responsabilité contractuelle de la société [E], sur la circonstance que la Sampi ne l'aurait pas faite participer aux négociations avec la Banque Safra et sur « les réunions périodiques, les très nombreux échanges de courriels produits par la société [E] », sans se prononcer sur les éléments contraires rapportés par la Sampi, propres à établir la défaillance contractuelle de la société [E], tout en constatant que le prêt souscrit auprès de la Banque Safra n'a pas été obtenu par l'entremise de la société [E], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. | Le seul fait qu'un contrat portant sur la recherche d'un financement ait été conclu en méconnaissance des dispositions du chapitre IX du titre I du livre V du code monétaire et financier, relatives aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement, n'est pas de nature à en entraîner l'annulation |
8,537 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 80 F-B
Pourvoi n° R 20-16.700
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
Le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, domicilié pôle fiscal parisien, 1 pôle juridictionnel, [Localité 3], agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, lui-même domicilié [Adresse 2] à [Localité 3], a formé le pourvoi n° R 20-16.700 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2020 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant à Mme [N] [U], épouse [T], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lion, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, de la SARL Cabinet Briard, avocat de Mme [T], après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lion, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 janvier 2020) et les productions, par un avis du 9 septembre 2014, l'administration fiscale a informé M. et Mme [T] qu'elle engageait un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2011 à 2013. A l'occasion du premier entretien avec le vérificateur, intervenu le 13 novembre 2014, Mme [T] a indiqué avoir reçu, au cours de la période examinée, d'importantes sommes d'argent versées sur l'un de ces comptes, dont elle a précisé qu'il s'agissait de donations.
2. Les 6 et 21 décembre 2014, Mme [T] a déposé deux formulaires de révélation de dons manuels par lesquels elle a demandé à bénéficier de l'option de déclaration de ces dons dans le délai d'un mois suivant le décès du donateur, offerte par l'article 635 A du code général des impôts.
3. Soutenant que la révélation n'était pas intervenue spontanément, de sorte que Mme [T] ne pouvait exercer l'option de déclaration différée des dons, l'administration fiscale lui a adressé une proposition de rectification portant rappel de droits de mutation à titre gratuit.
4. Après rejet de sa réclamation, Mme [T] a assigné l'administration fiscale aux fins d'obtenir la décharge des droits réclamés.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'administration fiscale fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement et de prononcer la décharge des droits, pénalités et intérêts figurant dans l'avis de mise en recouvrement du 30 novembre 2015, mis à la charge de Mme [T], alors « que, conformément aux dispositions combinées des articles 757 et 635 A du code général des impôts, les dons manuels révélés par le donataire à l'administration fiscale sont sujets aux droits de mutation à titre gratuit et doivent être déclarés ou enregistrés par le donataire ou ses représentants dans le délai d'un mois qui suit la date de la révélation ; que, pour les dons manuels dont le montant est supérieur à 15 000 euros, la législation fiscale prévoit la possibilité d'opter pour la déclaration et le paiement des droits dans le délai d'un mois qui suit la date du décès du donateur ; que, pour bénéficier de cette option, la révélation doit être spontanée et non la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration ou d'une procédure de contrôle fiscal ; que la remise par un contribuable de ses comptes bancaires lors de l'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, sur lesquels apparaît la perception de sommes d'argent, ne constitue pas une révélation spontanée du don par le donataire ; que pour juger que l'administration fiscale n'était pas fondée à dénier à Mme [T] le bénéfice de l'option, la cour d'appel a estimé que la révélation était spontanée puisqu'elle était intervenue avant le commencement proprement dit de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de M. et Mme [T] ; qu'en jugeant ainsi, tout en relevant qu'il n'était pas contesté que Mme [T] avait remis le 13 novembre 2014, lors du premier rendez-vous avec le vérificateur, dans le cadre de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de M. et Mme [T], ses comptes bancaires et avait révélé qu'elle avait reçu sur l'un des comptes des dons manuels de M. [M], ce dont il résultait que la révélation était la conséquence d'une procédure fiscale, engagée le 9 septembre 2014 par l'envoi d'un "avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle" réceptionné par M. et Mme [T] le 10 septembre 2014, et non d'une révélation spontanée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les articles 757 et 635 A du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 635 A du code général des impôts :
6. Il résulte de ce texte que les dons manuels d'un montant supérieur à 15 000 euros révélés à l'administration fiscale par le donataire doivent être déclarés dans le délai d'un mois qui suit la révélation ou, sur option du donataire lors de la révélation du don, dans le délai d'un mois suivant la date du décès du donateur, une telle option étant exclue lorsque la révélation est la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration ou d'une procédure de contrôle fiscal.
7. Il ressort en effet des travaux parlementaires de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 ayant instauré cette option, que l'intention du législateur a été d'inciter les donataires à révéler spontanément à l'administration fiscale les dons manuels qui leur ont été consentis en réservant la possibilité de différer la déclaration de ces dons et l'acquittement du paiement des droits de mutation à titre gratuit après le décès du donateur aux seules hypothèses de révélation spontanée, en dehors de toute procédure de vérification ou de contrôle fiscal.
8. Pour accueillir la demande de décharge des droits, pénalités et intérêts mis à la charge de Mme [T], l'arrêt énonce qu'il appartient à l'administration fiscale, qui conteste au donataire le bénéfice de l'option de déclaration différée ouverte à l'article 635 A du code général des impôts, d'établir soit que la révélation est la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration, soit qu'elle est la conséquence d'une procédure fiscale.
9. L'arrêt constate que l'administration ne soutient pas que la révélation est la conséquence d'une réponse de Mme [T] à une demande de l'administration, et retient qu'il n'est pas établi que cette révélation est la conséquence d'une procédure fiscale, puisqu'elle a eu lieu avant le commencement proprement dit de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de Mme [T] et qu'elle ne résulte pas de la vérification de sa situation, mais d'une déclaration spontanée de la donataire.
10. Il en déduit que l'administration fiscale n'est pas fondée à dénier à Mme [T] le bénéfice de l'option tendant au différé de la déclaration et du paiement des droits dus au titre des dons manuels révélés.
11. En statuant ainsi, après avoir relevé que la révélation des dons manuels litigieux était intervenue lors de l'examen contradictoire de la situation personnelle de M. et Mme [T], à l'occasion du premier entretien avec le vérificateur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. La révélation des dons manuels reçus par Mme [T] ne remplissant pas les conditions fixées à l'article 635 A du code général des impôts pour lui permettre de bénéficier de l'option de déclaration différée de ces dons, il
y a lieu de confirmer le jugement ayant rejeté l'ensemble de ses demandes.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare régulière en la forme la procédure de rectification, l'arrêt rendu le 28 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement rendu le 12 juillet 2018 par le tribunal de grande instance de Nanterre dans l'affaire n° 16/13230 ;
Condamne Mme [T] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [T] et la condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques.
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a infirmé le jugement du tribunal de grande instance de NANTERRE du 12 juillet 2018 et prononcé la décharge des droits, pénalités et intérêts figurant dans l'avis de mise en recouvrement du 30 novembre 2015 mis à la charge de Mme [T] ;
AUX MOTIFS QUE «selon l'article 757 du code général des impôts que les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel sont sujets aux droits de mutation à titre gratuit ; que selon l'alinéa 2 de ce texte, la même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration ; que l'article 635 A du même code, dispose par ailleurs que les dons manuels mentionnés au deuxième alinéa de l'article 757 doivent être déclarés ou enregistrés par le donataire dans le délai d'un mois qui suit la date à laquelle le donataire a révélé ce don à l'administration fiscale ; que toutefois, pour les dons manuels supérieurs à 15 000 euros, la déclaration doit être réalisée : a) dans le délai d'un mois qui suit la date à laquelle le donataire a révélé ce don à l'administration fiscale ou, sur option du donataire lors de la révélation du don, dans le délai d'un mois qui suit la date du décès du donateur ; b) dans le délai d'un mois qui suit la date à laquelle ce don a été révélé, lorsque cette révélation est la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration ou d'une procédure de contrôle fiscal ; qu'en l'espèce qu'il n'est pas contesté que Mme [T] a remis le 13 novembre 2014 lors du premier rendez-vous donné dans le cadre de l'examen de la situation fiscale personnelle des époux [T], ses comptes bancaires et révélé qu'elle avait reçu sur l'un de ses comptes des dons manuels de M. [V] [M], domicilié en Belgique, qu'elle a présenté comme étant son père biologique, sans toutefois que le lien de filiation allégué n'ait pu être établi ; que l'administration fiscale conteste à Mme [T] le bénéfice de l'option consistant à retarder le paiement des droits de mutation à la date du décès du donateur en prétendant que la révélation des dons ne saurait être considérée comme spontanée et qu'elle est la conséquence de l'engagement de la procédure de contrôle ; Mais considérant que ni Mme [T] ni l'administration fiscale ne remettent en cause le caractère taxable des dons manuels révélés par la première, lequel ne peut être admis, selon la jurisprudence de la Cour de cassation (Com., 15 janvier 2013, pourvoi nº 12-11.642 ; Com., 6 décembre 2016, pourvoi nº 15-19.966), que pour autant qu'il soit admis que les dons manuels ayant bénéficié à Mme [T] ont fait l'objet d'une révélation volontaire de sa part, seule susceptible de justifier l'application de droits de donation au sens de l'article 757 du code général des impôts précité ; qu'il appartient à l'administration fiscale, qui conteste à Mme [T] le bénéfice de l'option ouverte par l'article 635 A du code général des impôts de différer la déclaration à l'expiration du délai d'un mois suivant le décès du donateur, d'établir soit que la révélation est la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration, ce que celle-ci ne soutient pas, soit qu'elle est la conséquence d'une procédure fiscale ce qui n'est pas établi puisque la révélation des dons manuels faite par Mme [T] a eu lieu avant le commencement proprement dit de l'examen de sa situation personnelle fiscale, et que ce n'est pas de la vérification de sa situation qu'est résultée la révélation des dons manuels litigieux, mais bien de la déclaration spontanée qu'en a faite Mme [T] qui a rempli le 12 décembre 2014 l'imprimé nº 2734 de révélation de don manuel d'une valeur de 279 555 euros au titre de l'année 2011, et le 21 décembre 2014, a établi ce même imprimé révélant des dons manuels d'une valeur de 1 099 680,91 euros pour l'année 2012 et l'année 2013 et sollicitant dans les deux cas le bénéfice de l'option pour la déclaration et le paiement des droits après le décès du donateur ; qu'au vu de ces circonstances, il apparaît que l'administration fiscale n'est pas fondée à dénier à Mme [T] le bénéfice de l'option tendant au différé de la déclaration et du paiement des droits dus au titre des dons manuels révélés ; qu'en conséquence il sera fait droit à la demande de décharge des droits, pénalités et intérêts mis à la charge de Mme [T] par l'avis de mise en recouvrement du 30 novembre 2015 d'un montant de 920 005 euros» ;
ALORS QUE, premièrement, conformément aux dispositions combinées des articles 757 et 635 A du code général des impôts, les dons manuels révélés par le donataire à l'administration fiscale sont sujets aux droits de mutation à titre gratuit et doivent être déclarés ou enregistrés par le donataire ou ses représentants dans le délai d'un mois qui suit la date de la révélation ; que, pour les dons manuels dont le montant est supérieur à 15 000 €, la législation fiscale prévoit la possibilité d'opter pour la déclaration et le paiement des droits dans le délai d'un mois qui suit la date du décès du donateur ; que, pour bénéficier de cette option, la révélation doit être spontanée et non la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration ou d'une procédure de contrôle fiscal ; que la remise par un contribuable de ses comptes bancaires lors de l'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle (ESFP), sur lesquels apparaît la perception de sommes d'argent, ne constitue pas une révélation spontanée du don par le donataire ; que pour juger que l'administration fiscale n'était pas fondée à dénier à Mme [T] le bénéfice de l'option, la cour d'appel a estimé que la révélation était spontanée puisqu'elle était intervenue avant le commencement proprement dit de l'ESFP de M. et Mme [T] ; qu'en jugeant ainsi, tout en relevant qu'il n'était pas contesté que Mme [T] avait remis le 13 novembre 2014, lors du premier rendez-vous avec le vérificateur, dans le cadre de l'ESFP des époux [T], ses comptes bancaires et avait révélé qu'elle avait reçu sur l'un des comptes des dons manuels de M. [M], ce dont il résultait que la révélation était la conséquence d'une procédure fiscale, engagée le 9 septembre 2014 par l'envoi d'un « avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle » réceptionné par M. et Mme [T] le 10 septembre 2014, et non d'une révélation spontanée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi les articles 757 et 635 A du code général des impôts ;
ALORS QUE, deuxièmement, conformément aux dispositions combinées des articles 757 et 635 A du code général des impôts, les dons manuels révélés par le donataire à l'administration fiscale sont sujets aux droits de mutation à titre gratuit ; que pour les dons manuels dont le montant est supérieur à 15 000 €, la déclaration doit être réalisée dans le délai d'un mois qui suit la date à laquelle ce don a été révélé, lorsque cette révélation est la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration ou d'une procédure de contrôle fiscal ; qu'en énonçant que le caractère taxable des dons manuels révélés par Mme [T] ne pouvait être admis que pour autant qu'ils aient fait l'objet d'une révélation volontaire de sa part, seule susceptible de justifier l'application des droits de donation, la cour d'appel a violé les articles 757 et 635 A du code général des impôts ;
ALORS QUE, troisièmement, conformément aux dispositions de l'article 635 A du code général des impôts, l'option du donataire pour la déclaration dans le mois suivant le décès du donateur doit être prise lors de la révélation du don ; qu'en jugeant que l'administration fiscale n'était pas fondée à dénier à Mme [T] le bénéfice de l'option, tout en relevant que Mme [T] avait remis le 13 novembre 2014, lors du premier rendez-vous avec le vérificateur, dans le cadre de l'ESFP des époux [T], ses comptes bancaires et avait révélé qu'elle avait reçu sur l'un des comptes des dons manuels de M. [M] et qu'elle avait rempli le 12 décembre 2014 et le 21 décembre 2014 l'imprimé nº 2734 de révélation de don manuel au titre des années 2011, 2012 et 2013, sollicitant dans les deux cas le bénéfice de l'option pour la déclaration et le paiement des droits après le décès du donateur, ce dont il résultait que l'option de Mme [T] n'a pas été prise au moment de la révélation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 635 A du code général des impôts ;
ALORS QUE, quatrièmement, conformément aux dispositions combinées des articles L. 12 et L. 47 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale peut procéder à l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP) d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ; que ce contrôle ne peut intervenir sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un « avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle » ; que le début de l'ESFP est donc fixé à la date de réception de l'avis ou, à tout le moins, au jour où le contribuable remet ses comptes bancaires au vérificateur ; qu'au cas particulier, M. et Mme [T] ont été destinataires d'un avis d'ESFP le 9 septembre 2014, réceptionné le 10 septembre 2014, et le premier entretien avec le vérificateur est intervenu le 13 novembre 2014, date à laquelle Mme [T] lui a remis ses comptes bancaires et a révélé les dons manuels perçus ; qu'en conséquence, les opérations de contrôle, qui ont débuté le 10 septembre 2014, date du retrait de l'avis d'ESFP matérialisant le contrôle ou, à tous le moins, à la date du 13 novembre 2014, date de remise de ses comptes bancaires par Mme [T], avaient nécessairement commencé lors de la révélation des dons manuels, a fortiori lors du dépôt des déclarations n° 2734 les 12 décembre 2014 et 22 décembre 2014 ; qu'en jugeant que l'administration fiscale n'était pas fondée à dénier à Mme [T] le bénéfice de l'option au motif que la révélation a eu lieu avant le commencement proprement dit de l'examen de sa situation personnelle fiscale, tout en relevant qu'il n'était pas contesté que Mme [T] avait remis ses comptes bancaires et révélé les dons manuels le 13 novembre 2014 lors du premier rendez-vous donné dans le cadre de l'ESFP, la cour d'appel de VERSAILLES a méconnu les exigences des articles L. 12 et L. 47 du livre des procédures fiscales ;
ET ALORS QUE, cinquièmement et subsidiairement, conformément aux dispositions combinées des articles 757 et 635 A du code général des impôts, les dons manuels révélés par le donataire à l'administration fiscale sont sujets aux droits de mutation à titre gratuit et doivent être déclarés ou enregistrés par le donataire ou ses représentants dans le délai d'un mois qui suit la date de la révélation ; que toutefois, pour les dons manuels dont le montant est supérieur à 15 000 €, la législation fiscale prévoit la possibilité d'opter pour la déclaration et le paiement des droits dans le délai d'un mois qui suit la date du décès du donateur ; que, pour bénéficier de cette option, la révélation doit être spontanée et non la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration ou d'une procédure de contrôle fiscal ; qu'au cas particulier, M. et Mme [T] ont été destinataires le 9 septembre 2014 d'un « avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle », que ce document, réceptionné le 10 septembre 2014, indiquait : « je vous invite à m'adresser ou à me remettre dans ce délai la totalité des relevés (en original ou en copie) des comptes financiers de toute nature et des comptes courants sur lesquels vous-même et les membres de votre foyer fiscal avez réalisé des opérations de nature personnelle pendant la période visée ci-dessus » ; qu'en tout état de cause, la révélation des dons manuels était donc la conséquence directe de la réponse de Mme [T] à une demande de l'administration de production des comptes bancaires dans le cadre de l'avis d'ESFP du 9 septembre 2014 ; qu'en jugeant que l'administration fiscale n'était pas fondée à dénier à Mme [T] le bénéfice de l'option, tout en relevant que Mme [T] avait remis le 13 novembre 2014, lors du premier rendez-vous avec le vérificateur, dans le cadre de l'ESFP des époux [T], ses comptes bancaires et avait révélé qu'elle avait reçu sur l'un des comptes des dons manuels de M. [M], la cour d'appel a violé les articles 757 et 635 A du code général des impôts. | Il résulte de l'article 635 A du code général des impôts que les dons manuels d'un montant supérieur à 15 000 euros révélés à l'administration fiscale par le donataire doivent être déclarés dans le délai d'un mois qui suit la révélation ou, sur option du donataire lors de la révélation du don, dans le délai d'un mois suivant la date du décès du donateur, une telle option étant exclue lorsque la révélation est la conséquence d'une réponse du donataire à une demande de l'administration ou d'une procédure de contrôle fiscal.
Viole ce texte la cour d'appel qui, après avoir relevé que la révélation d'un don manuel était intervenue lors de l'examen contradictoire de la situation personnelle d'un redevable des droits de mutation à titre gratuit, à l'occasion du premier entretien avec le vérificateur, retient que l'administration fiscale n'est pas fondée à dénier à ce redevable le bénéfice de l'option tendant au différé de la déclaration et du paiement de ces droits |
8,538 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 81 F-B
Pourvoi n° F 21-17.592
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
1°/ M. [V] [U], domicilié [Adresse 2],
2°/ la société Step 1261, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° F 21-17.592 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [B] [U], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société Bakia, société civile agricole, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [V] [U] et de la société Step 1261, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. [B] [U] et de la société Bakia, et l'avis de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 mai 2021), lors de l'assemblée générale de la société Bakia du 15 janvier 1993, les associés ont décidé de modifier l'objet social.
2. Soutenant que celui-ci n'avait pas été inscrit en intégralité dans les statuts déposés, le 23 mars 1993, au greffe d'un tribunal de commerce, M. [V] [U] et la société Step 1261, associés, ont, le 21 novembre 2019, assigné M. [B] [U] et la société Bakia en référé aux fins d'enjoindre M. [B] [U], en sa qualité de gérant de la société Bakia, de procéder au dépôt des statuts intégrant cette modification et aux formalités afférentes, en application de l'article L. 123-5-1 du code de commerce.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. M. [V] [U] et la société Step 1261 font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur demande en référé-injonction, alors « que la requête en référé tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires, qui ne tend pas en tant que telle à la reconnaissance d'une créance ou d'un droit de propriété, n'est pas soumise à un délai de prescription ; qu'en soumettant à la prescription de droit commercial la requête formée par M. [V] [U] et la société Step 1261 visant à la régularisation de la publicité des statuts déposés au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Bayonne, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 110-4 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel n'ayant pas jugé que l'action était soumise à la prescription prévue à l'article L. 110-4 du code de commerce, le moyen ne peut être accueilli.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [V] [U] et la société Step 1261 font le même grief à l'arrêt, alors « que la requête en référé tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires, qui ne tend pas en tant que telle à la reconnaissance d'une créance ou d'un droit de propriété, n'est pas soumise à un délai de prescription ; qu'en soumettant à la prescription de droit commun la requête formée par M. [V] [U] et la société Step 1261 visant à la régularisation de la publicité des statuts déposés au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Bayonne, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil, L. 123-1, L. 123-5-1 et R. 123-105 du code de commerce :
6. Selon le premier de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
7. Selon le deuxième, figurent au registre du commerce et des sociétés, pour être portés à la connaissance du public, les inscriptions et actes ou pièces déposés prévus par décret en Conseil d'Etat.
8. Selon le dernier, les actes, délibérations ou décisions modifiant les pièces déposées lors de la constitution d'une personne morale doivent être déposées au registre du commerce et des sociétés.
9. Cette obligation, destinée à l'information des tiers, perdure pendant toute la vie de la personne morale.
10. Il s'ensuit que l'action prévue à l'article L. 123-5-1 du code de commerce, qui permet à tout intéressé ou au ministère public d'obtenir du dirigeant d'une personne morale de procéder au dépôt des pièces prévues à l'article R. 123-105 du même code, n'est pas soumise au délai de prescription prévue par l'article 2224 du code civil.
11. Pour déclarer irrecevable comme prescrite l'action introduite le 21 novembre 2019 par M. [V] [U] et la société Step 1261, l'arrêt, après avoir retenu qu'elle est une action personnelle en ce qu'elle a pour objet de faire reconnaître l'existence d'un droit ou d'une obligation contre une personne, énonce qu'en l'absence de dispositions dérogatoires, le délai de prescription applicable est le délai de droit commun de cinq ans régissant la prescription des actions personnelles et mobilières, prévu à l'article 2224 du code civil, et retient qu'il a commencé à courir le 23 mars 1993, date de publication des statuts litigieux, dans la mesure où, depuis cette date, ils sont des documents publics opposables tant aux tiers qu'aux associés de la société Bakia.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne M. [B] [U] et à la société Bakia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] [U] et à la société Bakia et les condamne à payer à M. [V] [U] et la société Step 1261 la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour M. [V] [U] et la société Step 1261.
M. [V] [U] et la société civile STEP 1261 font grief à l'arrêt infirmatif attaqué de déclarer irrecevable leur demande en référé-injonction alors
1°) que la requête en référé tendant à ce qu'il soit enjoint sous astreinte au dirigeant de toute personne morale de procéder au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés auquel celle-ci est tenue par des dispositions législatives ou réglementaires, qui ne tend pas en tant que telle à la reconnaissance d'une créance ou d'un droit de propriété, n'est pas soumise à un délai de prescription ; qu'en soumettant à la prescription de droit commun la requête formée par M. [V] [U] et la société civile STEP 1261 visant à la régularisation de la publicité des statuts déposés au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Bayonne, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 2224 du code civil ;
2°) qu'en soumettant également à la prescription de droit commercial cette même requête, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 110-4 du code de commerce. | L'action prévue à l'article L. 123-5-1 du code de commerce, qui permet à tout intéressé ou au ministère public d'obtenir du dirigeant d'une personne morale de procéder au dépôt des pièces prévues à l'article R. 123-105 du même code, n'est pas soumise au délai de prescription prévu par l'article 2224 du code civil |
8,539 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 84 F-B
Pourvoi n° Z 21-16.275
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
La société Banque CIC Ouest, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-16.275 contre l'arrêt rendu le 9 mars 2021 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à M. [G] [T], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
M. [T] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SCP Doumic-Seiller, avocat de la société Banque CIC Ouest, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [T], après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 mars 2021), la société Banque CIC Ouest (la banque) a accordé des crédits de trésorerie à la société Jean [T], laquelle a émis, au bénéfice de la banque, trois billets à ordre, le premier, le 31 octobre 2013, d'un montant de 50 000 euros à échéance du 30 novembre 2013, les deux derniers, le 30 avril 2014, d'un montant de, respectivement, 25 000 euros et 75 000 euros à échéance du 31 mai 2014. Ces billets ont été avalisés par M. [T].
2. La société Jean [T] ayant été placée en liquidation judiciaire, la banque a déclaré sa créance le 18 juin 2014 et a assigné M. [T] en exécution de ses engagements de donneur d'aval le 16 mars 2017.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, qui est préalable
Enoncé du moyen
3. M. [T] reproche à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la banque en paiement du billet à ordre du 31 octobre 2013 et de le condamner, en sa qualité d'avaliste de ce billet, à lui payer la somme de 20 000 euros, avec intérêts légaux à compter de l'assignation, alors « qu'en vertu de l'article L. 511-78, alinéa 1er, du code de commerce applicable au billet à ordre, toute action résultant de la lettre de change contre l'accepteur se prescrit par trois ans à compter de la date de son échéance ; que l'interruption de la prescription n'ayant, selon l'alinéa 5 du même article, d'effet que contre celui à l'égard duquel l'acte interruptif a été fait, l'admission de la déclaration de créance du porteur d'un billet à ordre au passif du souscripteur ne peut avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription triennale vis-à-vis de l'avaliste ; qu'en relevant, pour dire recevable l'action en paiement de la banque concernant le billet à ordre en date du 31 octobre 2013 à échéance du 30 novembre 2013 à l'encontre de M. [T] en sa qualité d'avaliste, que l'admission de la déclaration de créance de la banque, le 18 juin 2014, au passif de la société Jean [T], souscripteur du billet, avait eu pour effet d'interrompre le délai de prescription vis-à-vis de M. [T], valablement assigné le 16 mars 2017, la cour d'appel a violé les articles L. 511-78 et L. 512-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 2246 du code civil, applicable au donneur d'aval, l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution.
5. Aux termes de l'article 130, devenu L. 511-21, du code de commerce, auquel renvoie l‘article 187, devenu L. 512-4, du même code, le donneur d'aval d'un billet à ordre est tenu de la même manière que celui dont il s'est porté garant.
6. Il en résulte que la déclaration de la créance née d'un billet à ordre au passif de la procédure collective de son souscripteur interrompt la prescription à l'égard du donneur d'aval.
7. Ayant relevé que la banque avait, le 18 juin 2014, déclaré auprès du mandataire liquidateur de la société Jean [T] sa créance née du billet à ordre, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action engagée à l'encontre du donneur d'aval le 16 mars 2017 n'était pas prescrite pour avoir été introduite dans le délai de trois ans.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La banque fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T] et de rejeter les présentations de la banque contre M. [T] au titre de ces deux billets à ordre, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, M. [T] n'a pas demandé que soit prononcée la nullité des avals qu'il avait donnés sur les billets à ordre souscrits le 30 avril 2014 ; que, dans le dispositif de ses conclusions d'appel, il a seulement demandé à la cour de constater la mauvaise foi de la banque dans l'obtention des deux billets à ordre avalisés le 30 avril 2014 et, en conséquence, de débouter la banque de sa demande en paiement de la somme de 78 777,91 euros au titre des deux billets à ordre avalisés le 30 avril 2014, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2017 ; que, dès lors, en prononçant la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T], la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile :
10. Aux termes du premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Aux termes du second, le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.
11. L'arrêt prononce la nullité des avals apposés par M. [T] sur les deux billets à ordre du 30 avril 2014 et rejette en conséquence la demande en paiement de la banque.
12. En statuant ainsi, alors que M. [T] demandait seulement le rejet de la demande en paiement de la banque au titre des deux billets à ordre, sans en solliciter la nullité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il prononce la nullité des avals apposés par M. [T] sur les billets à ordre de 75 000 et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la société Jean [T] et rejette les prétentions de la société Banque CIC Ouest contre M. [T] au titre de ces deux billets à ordre, l'arrêt rendu le 9 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [T] et le condamne à payer à la société Banque CIC Ouest la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par la SCP Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour la société Banque CIC Ouest.
La Banque CIC Ouest fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité des avals apposés par M. [G] [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la Sarl Jean [T] et débouté le CIC Ouest de ses prétentions contre M. [G] [T] au titre de ces deux billets à ordre ;
1) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel n° 1 notifiées le 3 juillet 2018, M. [G] [T] n'a pas demandé que soit prononcée la nullité des avals qu'il avait donnés sur les billets à ordre souscrits le 30 avril 2014 ; que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, il a seulement demandé à la cour de constater la mauvaise foi du CIC Ouest dans l'obtention des deux billets à ordre avalisés le 30 avril 2014, et en conséquence de débouter le CIC Ouest de sa demande en paiement de la somme de 78 777,91 euros au titre des deux billets à ordre avalisés le 30 avril 2014 avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2017 ; que dès lors, en prononçant la nullité des avals apposés par M. [G] [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la Sarl Jean [T], la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2) ALORS QU'en tout état de cause, en relevant d'office le moyen tiré de la nullité des avals apposés par M. [G] [T] sur les billets à ordre de 75 000 euros et 25 000 euros souscrits le 30 avril 2014 par la Sarl Jean [T], sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3) ALORS QU'en outre, et à titre également subsidiaire, lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis qu'en cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de disproportion des garanties prises, et si les concours consentis sont en eux-mêmes fautifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à considérer que les billets à ordre du 30 avril s'étaient substitués au crédit de trésorerie accordé le 28 janvier sans qu'aucune somme supplémentaire ne soit mise à la disposition de la Sarl Jean [T], avec pour seule conséquence la prise d'une garantie, soit l'aval de M. [T], qui n'avait pas été demandé auparavant, pour en déduire que les avals de M. [T] avaient dès lors été obtenus de mauvaise foi par le CIC Ouest, dans le seul but d'échapper aux conséquences d'une procédure collective inéluctable et que leur nullité devait être prononcée ; qu'en se déterminant par ces motifs, impropres à caractériser, à l'encontre de la banque, une fraude, laquelle s'entend, en matière civile ou commerciale, comme un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive, et sans caractériser l'une des deux autres causes de déchéance du principe de non-responsabilité édicté par l'article L. 650-1 du code de commerce que sont l'immixtion caractérisée et l'obtention de garanties disproportionnées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de ce texte. Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour M. [T].
M. [G] [T] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré recevable l'action de la Banque CIC Ouest pour le billet à ordre en date du 31 octobre 2013 et condamné M. [G] [T], en sa qualité d'avaliste de ce billet ordre, à payer à la Banque CIC Ouest la somme de 20 000 euros avec intérêts légaux à compter de l'assignation ;
Alors qu'en vertu de l'article L. 511-78 alinéa 1 du code de commerce applicable au billet à ordre, toute action résultant de la lettre de change contre l'accepteur se prescrit par trois ans à compter de la date de son échéance ; que l'interruption de la prescription n'ayant, selon l'alinéa 5 du même article, d'effet que contre celui à l'égard duquel l'acte interruptif a été fait, l'admission de la déclaration de créance du porteur d'un billet à ordre au passif du souscripteur ne peut avoir pour effet d'interrompre le délai de prescription triennale vis-à-vis de l'avaliste ; qu'en relevant, pour dire recevable l'action en paiement de la Banque CIC Ouest concernant le billet à ordre en date du 31 octobre 2013 à échéance du 30 novembre 2013 à l'encontre de M. [G] [T] en sa qualité d'avaliste, que l'admission de la déclaration de créance de la banque, le 18 juin 2014, au passif de la société Jean [T], souscripteur du billet, avait eu pour effet d'interrompre le délai de prescription vis-à-vis de M. [G] [T], valablement assigné le 16 mars 2017, la cour d'appel a violé les articles L. 511-78 et L. 512-3 du code de commerce. | Selon l'article 2246 du code civil, applicable au donneur d'aval, l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution.
Aux termes de l'article 130, devenu L. 511-21, du code de commerce, auquel renvoie l'article 187, devenu L. 512-4, du même code, le donneur d'aval d'un billet à ordre est tenu de la même manière que celui dont il s'est porté garant.
Il en résulte que la déclaration de la créance née d'un billet à ordre au passif de la procédure collective de son souscripteur interrompt la prescription à l'égard du donneur d'aval |
8,540 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 86 F-B
Pourvoi n° X 20-22.939
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
M. [H] [I], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 20-22.939 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2020 par la cour d'appel de Pau (2e chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ au comptable, responsable du service des impôts des entreprises de Dax, agissant sous l'autorité du directeur départemental des finances publiques des Landes et du directeur général des finances publiques, domcilié [Adresse 3],
2°/ au directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maigret, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [I], de la SCP Foussard et Froger, avocat du comptable, responsable du service des impôts des entreprises de Dax, agissant sous l'autorité du directeur départemental des finances publiques des Landes et du directeur général des finances publiques, et du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Maigret, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 9 septembre 2020), le 27 mars 2013, la société Wood Home, dirigée par M. [I], a obtenu de la commission des chefs de services financiers et des représentants des organismes de sécurité sociale (la CCSF) un plan de règlement de ses dettes fiscales. Après paiement d'une première mensualité, la société Wood Home a été mise en redressement judiciaire, le 7 mai 2013, puis en liquidation judiciaire, le 23 avril 2014.
2. Après avoir déclaré ses créances au passif de la procédure collective et obtenu du liquidateur judiciaire la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité, l'administration fiscale a assigné M. [I], sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, afin d'obtenir sa condamnation solidaire au paiement des impositions dues par la société Wood Home.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [I] fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut d'information de la société Wood Home au titre de la mise en uvre
de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales en cas de non-respect du moratoire, de le déclarer responsable solidairement avec la société Wood Home du paiement de la somme de 184 357 euros et de le condamner en conséquence au paiement de cette somme, alors « qu'en application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les contribuables peuvent se prévaloir de l'interprétation d'un texte fiscal donnée par l'administration dans ses instructions ou circulaires publiées ; qu'il résulte du BOI-REC-SOLID-10-10-20, dans sa version applicable à l'espèce, que le comptable public doit informer le dirigeant que sa responsabilité pourra être engagée en cas de non-respect d'un plan de règlement et de non-paiement de l'arriéré ou des taxes courantes ; qu'en l'espèce, M. [I] faisait valoir que, faute de l'avoir informé que sa responsabilité pourrait être engagée en cas de non-respect par la société Wood Home du plan de règlement obtenu auprès de la commission des chefs des services financiers et des représentants des organismes de sécurité sociale et de l'assurance chômage, ou de non-paiement de ses taxes courantes, le comptable public n'avait pas respecté la garantie prévue par la doctrine administrative, ce dont il résultait que le comptable public n'était pas recevable à solliciter sa condamnation solidaire au paiement des impôts dus par la société Wood Home ; qu'en rejetant cette fin de non-recevoir au motif que M. [I] avait valablement été informé de la possible mise en uvre de sa responsabilité solidaire sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales par la décision de la CCSF ayant accordé un plan de règlement à la société Wood Home, cependant que la doctrine administrative énonce qu'une telle information doit être fournie par le comptable public et lui seul, la cour d'appel de Pau a violé l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ensemble l'article L. 267 du même code. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'instruction BOI-REC-SOLID-10-10-20, publiée le 12 septembre 2012, pour un plan de règlement accordé à la société par le comptable ou la CCSF, une mention expresse informe le dirigeant que son inexécution ou le défaut de paiement des taxes courantes pourrait entraîner la mise en uvre de l'action prévue à l'article L. 267 du livre des procédures fiscales.
6. Il résulte de cette instruction, en vigueur au 27 mars 2013, que lorsqu'un plan de règlement est accordé par la CCSF, l'information que le dirigeant de la société pourra être poursuivi sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales en cas d'inexécution du plan ou de non-paiement des taxes courantes, peut être donnée par la CCSF sous la forme d'une mention expresse figurant dans la décision d'octroi du plan ou dans la lettre notifiant cette décision à son bénéficiaire.
7. C'est, dès lors, à bon droit que la cour d'appel a énoncé qu'en cas d'octroi d'un plan de règlement à une société par la CCSF, cette commission a qualité pour délivrer au contribuable l'information concernant la mise en uvre de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales.
8. Le moyen, qui postule le contraire, doit donc être rejeté.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [I] ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. [I].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Monsieur [I] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'information de la société WOOD HOME au titre de la mise en oeuvre de l'article L. 267 du LPF en cas de non-respect du moratoire, de l'AVOIR déclaré responsable solidairement avec la société WOOD HOME au paiement de la somme de 184.357 euros, et de l'AVOIR condamné en conséquence au paiement de cette somme ;
ALORS QU' en application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les contribuables peuvent se prévaloir de l'interprétation d'un texte fiscal donnée par l'administration dans ses instructions ou circulaires publiées ; qu'il résulte du BOI-REC-SOLID-10-10-20 dans sa version applicable à l'espèce que le comptable public doit informer le dirigeant que sa responsabilité pourra être engagée en cas de non-respect d'un plan de règlement et de non-paiement de l'arriéré ou des taxes courantes ; qu'en l'espèce, Monsieur [I] faisait valoir que, faute de l'avoir informé que sa responsabilité pourrait être engagée en cas de non-respect par la société WOOD HOME du plan de règlement obtenu auprès de la commission des chefs des services financiers et des représentants des organismes de sécurité sociale et de l'assurance chômage, ou de non-paiement de ses taxes courantes, le comptable public n'avait pas respecté la garantie prévue par la doctrine administrative, ce dont il résultait que le comptable public n'était pas recevable à solliciter sa condamnation solidaire au paiement des impôts dus par la société WOOD HOME ; qu'en rejetant cette fin de non-recevoir au motif que Monsieur [I] avait valablement été informé de la possible mise en oeuvre de sa responsabilité solidaire sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales par la décision de la commission des chefs des services financiers et des représentants des organismes de sécurité sociale et de l'assurance chômage ayant accordé un plan de règlement à la société WOOD HOME, cependant que la doctrine administrative énonce qu'une telle information doit être fournie par le comptable public et lui seul, la cour d'appel de Pau a violé l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, ensemble l'article L. 267 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Monsieur [I] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR déclaré responsable solidairement avec la société WOOD HOME au paiement de la somme de 184.357 euros, et de l'AVOIR condamné en conséquence au paiement de cette somme ;
1. ALORS QUE la mise en oeuvre de la procédure prévue à l'article L. 267 du livre des procédures fiscales est subordonnée à la démonstration de ce que les manoeuvres frauduleuses ou l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales imputées au dirigeant poursuivi ont constitué la cause exclusive de l'impossibilité pour l'administration fiscale de recouvrer la dette fiscale de la société ; qu'il incombe au juge de rechercher les circonstances, autres que le défaut de déclaration et de paiement, en raison desquelles l'inobservation des obligations fiscales de la société a rendu impossible le recouvrement des impositions en cause ; que Monsieur [I] avait expliqué que l'impossibilité dans laquelle s'était trouvée la société WOOD HOME d'honorer ses charges fiscales au titre de l'année 2012 résultait non seulement des difficultés financières engendrées par la baisse de son activité, mais également du fait qu'elle subissait d'importants impayés de la part de sa clientèle ; qu'en jugeant que les manquements graves et répétés à ses obligations fiscales imputés à Monsieur [I], consistant à avoir souscrit sans paiement cinq déclarations de TVA au titre des mois d'août à décembre 2012, constituaient la cause des difficultés de recouvrement par le service de la dette fiscale de la société WOOD HOME, sans rechercher si la circonstance que la société subissait d'importants impayés de la part de sa clientèle n'était pas de nature à exclure la mise en cause de la responsabilité de Monsieur [I] en tant que dirigeant sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de cette disposition.
2. ALORS QU'en énonçant, pour juger que Monsieur [I] avait obtenu le moratoire du 27 mars 2013 de manière déloyale et qu'il n'était donc pas fondé à s'en prévaloir pour neutraliser l'action en responsabilité solidaire engagée contre lui sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, que lors du dépôt, le 7 décembre 2012, du dossier de la société WOOD HOME auprès de la commission des chefs des services financiers et des représentants des organismes de sécurité sociale et de l'assurance chômage en vue de l'obtention d'un plan de règlement de ses dettes fiscales, Monsieur [I] avait passé sous silence la résiliation de la garantie décennale de l'activité de constructeur de maisons individuelles exercée par la société, laquelle lui aurait été notifiée par courrier de la Caisse de garantie immobilière du bâtiment en date du 11 octobre 2012, sans rechercher s'il ne résultait pas du bilan économique, social et environnemental établi par l'administrateur judiciaire de la SARL WOOD HOME le 28 juin 2013 que seule la garantie financière de l'activité de construction de maisons individuelles avait été résiliée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales ;
3. ALORS QUE pour juger que Monsieur [I] n'était pas fondé à se prévaloir du moratoire obtenu par la société WOOD HOME pour faire obstacle à la mise en cause de sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, la cour a énoncé que Monsieur [I] avait dissimulé, dans son dossier du 7 décembre 2012 sollicitant un moratoire, la résiliation de la garantie décennale de constructeur de maisons individuelles et de la garantie financière délivrée aux sous-traitants, et qu'il avait réitéré cette dissimulation en ne faisant pas état des résiliations dans sa réponse au courrier que lui avait adressé la commission des chefs des services financiers et des représentants des organismes de sécurité sociale et de l'assurance chômage le 4 février 2013 ; qu'en statuant ainsi, cependant que la cour a relevé que ce courrier se bornait à relancer la société sur certains points, c'est-à-dire à solliciter la transmission de ses comptes au 31 décembre 2012, d'un point d'étape concernant la vente du terrain et d'une proposition de garantie sur un bien détenu directement ou indirectement par la société, ce dont il résultait que la commission n'avait aucunement formulé une demande d'actualisation générale de la situation juridique et économique de la société, qui lui aurait imposé de faire état de la résiliation de certaines des garanties qu'elle avait souscrites, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article L. 267 du livre des procédures fiscales ;
4. ALORS enfin QU'en retenant, pour juger que Monsieur [I] avait obtenu le moratoire du 27 mars 2013 de manière déloyale et qu'il n'était donc pas fondé à s'en prévaloir pour neutraliser l'action en responsabilité solidaire engagée contre lui sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, que la perte de ses garanties par la société WOOD HOME la condamnait inexorablement à un dépôt de bilan imminent, sans rechercher s'il ne résultait pas du rapport de l'administrateur judiciaire du 25 octobre 2013 que ce professionnel, tout en constatant la perte des garanties financières fin 2012, n'en préconisait pas moins le renouvellement de la période d'observation au regard de l'ensemble de la situation de l'entreprise, et s'il ne se déduisait pas de cette appréciation de l'administrateur judiciaire que la perspective d'un dépôt de bilan imminent dès le début de l'année 2013 n'était pas inéluctable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 267 du LPF. | Il résulte de l'instruction BOI-REC-SOLID-10-10-20, publiée le 12 septembre 2012, que pour un plan de règlement accordé à la société par le comptable ou la commission des chefs des services financiers (CCSF), une mention expresse informe le dirigeant que son inexécution ou le défaut de paiement des taxes courantes pourrait entraîner la mise en oeuvre de l'action prévue à l'article L. 267 du livre des procédures fiscales.
C'est, dès lors, à bon droit qu'une cour d'appel énonce qu'en cas d'octroi d'un plan de règlement à une société par la CCSF, cette commission a qualité pour délivrer l'information concernant la mise en oeuvre de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales |
8,541 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 92 FS-B
Pourvoi n° P 20-12.811
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 JANVIER 2023
M. [N] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-12.811 contre l'arrêt rendu le 27 mars 2019 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [E] [D], épouse [S], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fevre, conseiller, les observations de Me Carbonnier, avocat de M. [G], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [S], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine, et l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fevre, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mme Ducloz, M. Alt, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, MM. Boutié, Maigret, conseillers référendaires, Mme Gueguen, premier avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 27 mars 2019), par un acte notarié du 13 novembre 2008, la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine (la banque) a consenti à M. [G] et d'autres emprunteurs solidaires, un prêt personnel « dirigeants » d'un montant de 200 000 euros, remboursable in fine le 31 octobre 2010, destiné à être apporté en compte courant d'associé à la société Provid, dont les principaux associés étaient la société Eaux vives, détenue à concurrence de 99 % par M. [G], la société Majodan, représentée par Mme [S], et la société Anim'mode production. Par un avenant du 19 décembre 2008, le prêt a été garanti par une hypothèque conventionnelle sur un bien immobilier appartenant à M. [G].
2. La société Provid a été mise en redressement puis liquidation judiciaires.
3. Le 29 juin 2011, la banque a notifié la déchéance du terme du prêt puis a poursuivi l'exécution forcée sur le bien immobilier de M. [G].
4. Les 12 et 14 février 2014, soutenant que la responsabilité de la banque et celle de Mme [S] étaient engagées à son égard, la première sur un fondement contractuel, la seconde sur un fondement délictuel, M. [G] les a assignées en paiement de dommages et intérêts.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. M. [G] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable et, subsidiairement, mal fondée son action formée à l'encontre de la banque, alors « qu'une cour d'appel qui décide que les demandes dont elle est saisie sont irrecevables, excède ses pouvoirs en statuant ensuite au fond. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 122 du code de procédure civile :
7. Il résulte de ce texte que le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant au fond.
8. La cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il déclarait irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de M. [G] à l'encontre de la banque.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. M. [G] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action formée à l'encontre de la banque, alors « que la prescription de l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime ; que M. [G] faisait valoir que, même en faisant abstraction de la prise en charge du prêt litigieux par la société Prodiv, la prescription ne pouvait pas commencer à courir avant la survenance du dommage lié au manquement au devoir de mise en garde, soit au plus tôt au moment où le capital du prêt in fine est devenu exigible, en octobre 2010, qu'en refusant de décaler le point de départ de la prescription, par une motivation inopérante selon laquelle l'établissement bancaire n'aurait pas été informé de la prise en charge du remboursement du prêt litigieux par la société Prodiv, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil et l'article L. 110-4 du code de commerce :
11. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
12. Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face.
13. Pour déclarer prescrite la demande de M. [G] formée contre la banque, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que la banque aurait été informée de la prise en charge du prêt par la société Provid et qu'il s'agit d'un événement postérieur à la conclusion de la convention de prêt qui n'a pas fait partie de l'économie du contrat. Il en déduit qu'un tel événement ne peut être opposé à la banque pour reporter le point de départ du délai de prescription à des dates postérieures à la conclusion du prêt.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait courir la prescription de la conclusion du contrat, a violé les textes susvisés.
Demande de mise hors de cause
15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause Mme [S], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable et, subsidiairement, mal fondée la demande M. [G] à l'encontre de la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine et condamne M. [G] aux dépens, l'arrêt rendu le 27 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Met hors de cause Mme [S] ;
Condamne la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse de crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros et condamne celui-ci à payer à Mme [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Carbonnier, avocat aux Conseils, pour M. [G].
PREMIER MOYEN CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable et subsidiairement mal fondée l'action formée par Monsieur [G] à l'encontre du Crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine,
AUX MOTIFS QUE « M. [G] qui se prévaut des particularités du montage financier en cause, ne démontre pas que la société CCM Saint-Antoine aurait été informée, au moment de la conclusion du prêt, de la prise en charge des remboursements par la société Prodiv. Le contrat se limite à indiquer, en tant qu'objet du prêt, un apport à la société Prodiv, mais il n'y est fait aucune mention d'un remboursement par cette dernière. M. [G] insiste sur le fait que la banque aurait été informée de cette modalité de remboursement avant août 2009, date à laquelle un courriel de Mme [S] confirme la prise en charge par la société Prodiv. Cependant, ainsi que le fait remarquer la société CCM Saint-Antoine, aucune preuve n'est apportée qui démontrerait qu'elle ait pu avoir connaissance de cet arrangement avant ledit courriel. Au contraire, un courriel du 22 octobre 2008 (pièce n° 14 de Mme [S]) démontre que M. [G] se comportait comme étant celui qui était redevable des frais et intérêts relatifs au prêt, puisqu'il demandait alors à la société CCM Saint-Antoine quelles seraient les modalités de remboursement. Il n'était alors nulle question d'une prise en charge par la société Prodiv, du moins dans les rapports entre M. [G] et la société CCM Saint-Antoine. Quant au fait, souligné par l'appelant, que les échanges préalables au contrat ne se sont déroulés que par courriel, celui-ci n'est pas de nature à influer sur le point de départ de la prescription. Du reste, M. [G] admet lui-même que l'obligation d'information et de mise en garde est nécessairement préalable à la conclusion du contrat. Il convient de souligner qu'une obligation de mise en garde s'apprécie en fonction du contenu et des modalités envisagés du contrat de prêt à conclure. Or il n'est pas démontré que la société CCM Saint-Antoine aurait été informée de la prise en charge du prêt par la société Prodiv. Un événement postérieur, indépendant de sa volonté et qui n'a pas fait partie de l'économie du contrat conclu entre les parties, ne peut donc être opposé à la banque. Le point de départ du délai de prescription est dès lors insusceptible d'être déplacé à des dates postérieures à la conclusion du prêt. En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que l'action de M. [G] à l'encontre de la société CCM était prescrite. Le jugement sera confirmé en ce sens » (arrêt, p. 5),
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « L'article 2224 du Code Civil stipule que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". Monsieur [G] soutient qu'en ne mettant pas suffisamment en garde, la banque l'a privé de la chance de ne pas contracter. Toutefois ce manquement, à le supposer établi, et le choix de ne pas contracter se sont manifestés lors de la conclusion du contrat chez le notaire le 13 novembre 2008. Le délai de prescription ayant commencé à courir à cette date, l'action engagée le 12 février 2014 est entachée de prescription et sera déclarée Irrecevable. Subsidiairement au fond, il sera relevé que Monsieur [G], dirigeant de société, connaissait parfaitement les difficultés de la S.A.S. PRODIV dont il a voulu alimenter la trésorerie pour poursuivre le projet de création d'un music-hall et a contracté à cet effet, avec son frère et sa belle-soeur, un prêt compatible avec sa situation patrimoniale » (jugement, p. 4),
ALORS QU'une cour d'appel qui décide que les demandes dont elle est saisie sont irrecevables, excède ses pouvoirs en statuant ensuite au fond ;
Que la cour d'appel a confirmé le jugement ayant « déclaré irrecevable, subsidiairement mal fondée, la demande de Monsieur [N] [G] à l'encontre de la CCM [Localité 4] Saint-Antoine » ;
Qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir et violé l'article 122 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'action formée par Monsieur [G] à l'encontre du Crédit mutuel [Localité 4] Saint-Antoine,
AUX MOTIFS QUE « M. [G] qui se prévaut des particularités du montage financier en cause, ne démontre pas que la société CCM Saint-Antoine aurait été informée, au moment de la conclusion du prêt, de la prise en charge des remboursements par la société Prodiv. Le contrat se limite à indiquer, en tant qu'objet du prêt, un apport à la société Prodiv, mais il n'y est fait aucune mention d'un remboursement par cette dernière. M. [G] insiste sur le fait que la banque aurait été informée de cette modalité de remboursement avant août 2009, date à laquelle un courriel de Mme [S] confirme la prise en charge par la société Prodiv. Cependant, ainsi que le fait remarquer la société CCM Saint-Antoine, aucune preuve n'est apportée qui démontrerait qu'elle ait pu avoir connaissance de cet arrangement avant ledit courriel. Au contraire, un courriel du 22 octobre 2008 (pièce n° 14 de Mme [S]) démontre que M. [G] se comportait comme étant celui qui était redevable des frais et intérêts relatifs au prêt, puisqu'il demandait alors à la société CCM Saint-Antoine quelles seraient les modalités de remboursement. Il n'était alors nulle question d'une prise en charge par la société Prodiv, du moins dans les rapports entre M. [G] et la société CCM Saint-Antoine. Quant au fait, souligné par l'appelant, que les échanges préalables au contrat ne se sont déroulés que par courriel, celui-ci n'est pas de nature à influer sur le point de départ de la prescription. Du reste, M. [G] admet lui-même que l'obligation d'information et de mise en garde est nécessairement préalable à la conclusion du contrat. Il convient de souligner qu'une obligation de mise en garde s'apprécie en fonction du contenu et des modalités envisagés du contrat de prêt à conclure. Or il n'est pas démontré que la société CCM Saint-Antoine aurait été informée de la prise en charge du prêt par la société Prodiv. Un événement postérieur, indépendant de sa volonté et qui n'a pas fait partie de l'économie du contrat conclu entre les parties, ne peut donc être opposé à la banque. Le point de départ du délai de prescription est dès lors insusceptible d'être déplacé à des dates postérieures à la conclusion du prêt. En conséquence, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que l'action de M. [G] à l'encontre de la société CCM était prescrite. Le jugement sera confirmé en ce sens » (arrêt, p. 5),
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « L'article 2224 du Code Civil stipule que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". Monsieur [G] soutient qu'en ne mettant pas suffisamment en garde, la banque l'a privé de la chance de ne pas contracter. Toutefois ce manquement, à le supposer établi, et le choix de ne pas contracter se sont manifestés lors de la conclusion du contrat chez le notaire le 13 novembre 2008. Le délai de prescription ayant commencé à courir à cette date, l'action engagée le 12 février 2014 est entachée de prescription et sera déclarée irrecevable » (jugement, p. 4),
1°) ALORS QUE la prescription de l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime ;
Que Monsieur [G] a conclu un prêt in fine avec le crédit mutuel de [Localité 4] pour financer la société Prodiv (arrêt, p. 5) ; qu'il faisait valoir que le dommage résultant de la conclusion de ce prêt s'était réalisé, au plus tôt en octobre 2010 lorsque le capital prêt in fine est devenu exigible, en mai 2011 lors du placement en liquidation judiciaire de la société Prodiv ou le 29 juin 2011 lorsque la banque lui a notifié la déchéance du terme (conclusions de M. [G], p. 8) ;
Qu'en déclarant son action irrecevable comme prescrite, au regard de la date de conclusions du prêt litigieux, sans rechercher, comme elle y était invitée, la date de réalisation du dommage ou à laquelle le dommage avait été révélé à Monsieur [G], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil ;
2°) ALORS QUE la prescription de l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime ;
Que pour voir fixer le point de départ de la prescription au jour du placement en liquidation judiciaire de la société Prodiv, Monsieur [G] faisait valoir que cette société s'était préalablement engagée à régler le capital et les intérêts du prêt « dirigeant » ; que la société Prodiv remboursait d'ailleurs directement les échéances du prêt (conclusions de M. [G], p. 8) de sorte que le Crédit mutuel ne pouvait pas ignorer cette prise en charge du prêt ;
Qu'en refusant de décaler le point de départ de la prescription dès lors que l'établissement bancaire n'aurait pas été informé de la prise en charge du remboursement du prêt litigieux par la société Prodiv (arrêt, p. 5), sans s'expliquer sur le remboursement de l'ensemble des échéances d'intérêts par la société Prodiv, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT QUE la prescription de l'action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir de mise en garde court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s'est révélé à la victime ;
Que Monsieur [G] faisait valoir que même en faisant abstraction de la prise en charge du prêt litigieux par la société Prodiv, la prescription ne pouvait pas commencer à courir avant la survenance du dommage lié au manquement au devoir de mise en garde, soit au plus tôt au moment où le capital du prêt in fine est devenu exigible, en octobre 2010 (conclusions de M. [G], p. 8) ;
Qu'en refusant de décaler le point de départ de la prescription, par une motivation inopérante selon laquelle l'établissement bancaire n'aurait pas été informé de la prise en charge du remboursement du prêt litigieux par la société Prodiv (arrêt, p. 5), la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil.
TROISIEME MOYEN CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'action formée par Monsieur [G] à l'encontre de Madame [S],
AUX MOTIFS QU'« au plan comptable, le transfert de fonds à la société Prodiv, allégué par M. [G], n'a pu être fait que par le biais de la société Eaux Vives. M. [G] n'étant pas lui-même associé de la société Prodiv, il ne pouvait lui faire aucun apport. Il est à observer qu'au demeurant, M. [G] n'apporte aucun élément susceptible de démontrer que la somme issue du prêt aurait été transmise à la société Prodiv. M. [G] ne peut donc alléguer d'un préjudice strictement personnel pour agir contre Mme [S] et lui reprocher une intervention fautive dans la conclusion du prêt, dès lors qu'il ne peut établir qu'il a personnellement transféré les fonds qu'il a empruntés à titre personnel, à la société Prodiv. Il s'en déduit que l'action de M. [G] doit être déclarée irrecevable. Le jugement sera réformé en ce sens. L'action de M. [G] étant déclarée irrecevable tant à l'égard de la société CCM que de Mme [S], il n'y a pas lieu de se prononcer sur les autres moyens soulevés par les parties » (arrêt, p. 8),
1°) ALORS QUE le juge ne saurait, sous couvert d'interprétation, conférer à un écrit clair et précis, un sens et une portée qu'il n'a manifestement pas ;
Qu'il résulte des termes clairs et précis des actes authentiques des 13 novembre et 19 décembre 2008 que le crédit mutuel Saint-Antoine a octroyé à Monsieur [N] [G] un « prêt personnel dirigeant pour apport en compte courant STE PRODIV – montant total de l'opération : 200 000 euros » ;
Qu'en décidant au contraire que « M. [G] n'étant pas lui-même associé de la société Prodiv, il ne pouvait lui faire aucun apport » et que « M. [G] n'apporte aucun élément susceptible de démontrer que la somme issue du prêt aurait été transmise à la société Prodiv » (arrêt, p. 6), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des actes de prêt des 13 novembre et 19 décembre 2008 et a violé l'article 1192 du code civil ;
2°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et leurs moyens ;
Que Monsieur [G] soutenait que les fonds du prêt « dirigeant » avaient été versés sur le compte courant de la société Prodiv (conclusions de Monsieur [G], p. 20) ; que le Crédit mutuel reconnaissait lui-même que « Monsieur [G] [
] a accepté d'apporter avec son frère et sa belle-soeur une somme de 200.000 euros par apport de ce montant en compte courant grâce au prêt discuté » (conclusions du Crédit Mutuel, p. 12) et que « la Société PRODIV était demanderesse de financements qu'elle ne pouvait plus obtenir et que ses associés ont alors accepté d'apporter des fonds à la société pour que leurs investissements antérieurs puissent être valorisés par le démarrage de l'activité de la société » (ibidem, p. 15) ;
Qu'en disant cependant que Monsieur [G] ne démontrerait pas avoir apporté les 200 000 euros empruntés au compte courant de la société Prodiv, lorsque ce fait était reconnu par les parties, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. | Le manquement d'une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.
Il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d'exigibilité des sommes au paiement desquelles l'emprunteur n'est pas en mesure de faire face |
8,542 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 45 F-B
sur le 1er moyen
Pourvoi n° X 21-16.825
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 25 JANVIER 2023
Mme [I] [G], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 21-16.825 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à M. [E] [W], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [G], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [W], après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Salomon, conseiller, M. Juan, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 avril 2021) et les productions, Mme [G] a été engagée le 30 septembre 2011 par M. [W] en qualité de vétérinaire, statut cadre. Son contrat a fait l'objet d'un avenant le 31 août 2013.
2. La relation de travail était régie par la convention collective nationale des vétérinaires praticiens salariés du 31 janvier 2006.
3. Le 11 février 2016, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
4. Le 6 février 2018, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Examen des moyens
Sur les deuxième et quatrième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de reclassification à l'échelon 4, cadre confirmé B, à compter du 1er octobre 2011, de sa demande de rappel de salaire au titre de la requalification de son contrat de travail à temps complet, outre les congés payés afférents, ainsi que de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, outre le paiement des indemnités subséquentes, et de limiter le montant du rappel d'heures supplémentaires à une certaine somme, alors :
« 1°/ qu'en application de l'annexe I de la convention collective nationale des vétérinaires praticiens salariés du 31 janvier 2006, relève de la classification de cadre confirmé B, échelon 4, le ''vétérinaire diplômé, inscrit au tableau de l'ordre, ayant plus de 4 ans d'expérience professionnelle de cadre'' ; que selon l'article 55 de cette convention collective, ''les vétérinaires diplômés qui exercent leur fonction dans une entreprise entrant dans le champ d'application défini à l'article 1er sont affiliés au statut cadre'' ; que l'expérience acquise par le vétérinaire au cours d'un contrat de collaboration libérale doit être prise en considération pour déterminer la classification à laquelle il peut prétendre au titre du contrat de travail conclu ultérieurement ; qu'en jugeant au contraire que ''Mme [G] ne peut prétendre à la prise en compte de son ancienneté en tant que vétérinaire collaboratrice pour revendiquer le bénéfice de l'échelon 4 prévu par la convention collective'', la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°/ et subsidiairement, qu'en déboutant Mme [G] de sa demande, quand elle constatait que la salariée avait été embauchée le 30 septembre 2011, ce dont il résultait qu'elle justifiait de quatre années d'expérience professionnelle salariée à compter du 1er octobre 2015, la cour d'appel a violé les articles 1er, 55 et l'annexe I de la convention collective nationale des vétérinaires praticiens salariés du 31 janvier 2006. »
Réponse de la Cour
7. Selon son article 1, la convention collective nationale des vétérinaires praticiens salariés du 31 janvier 2006 régit les rapports du travail entre les employeurs et le personnel vétérinaire salarié placé sous l'autorité ordinale vétérinaire.
8. Aux termes de l'article 55 de cette convention, les vétérinaires diplômés qui exercent leur fonction dans une entreprise entrant dans le champ d'application défini à l'article 1 sont affiliés au statut cadre.
9. L'annexe I de la convention détermine la classification des emplois en fonction de la durée d'expérience professionnelle de cadre et définit l'expérience professionnelle comme celle acquise dans la branche et calculée en période d'emploi équivalent temps plein de travail de cadre, à partir des certificats de travail.
10. Il résulte de ces textes que seule est prise en compte, pour déterminer la classification des emplois, l'expérience professionnelle acquise en qualité de vétérinaire salarié.
11. Ayant constaté que la salariée avait une expérience professionnelle de six mois en qualité de vétérinaire salarié avant son embauche, la cour d'appel a justement retenu que celle-ci ne disposait pas de l'ancienneté de quatre années qu'elle revendiquait à compter du 1er janvier 2013 pour bénéficier, à cette date, de la classification de cadre confirmé B, échelon 4.
12. Le moyen, irrecevable en sa seconde branche comme nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est pas fondé pour le surplus.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de rappel de salaire au titre de la requalification de son contrat de travail à temps complet pour la période postérieure au 31 août 2013 et de la débouter de ses demandes de rappel de congés payés afférents, de rappel d'heures supplémentaires pour la même période et de résiliation judiciaire du contrat de travail, outre le paiement des indemnités subséquentes, alors « que peuvent seuls conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39, les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés, ainsi que les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées ; que, pour débouter la salariée de sa demande de rappel de salaire, la cour d'appel a constaté que ''M. [W] justifie de la présence au sein du cabinet d'une assistante vétérinaire jusqu'en septembre 2013 puis de l'embauche, à compter du mois de juillet 2015, d'une autre vétérinaire'' et que, ''compte tenu de la taille réduite du cabinet et de la présence au sein de ce dernier d'une assistante vétérinaire ou d'une autre vétérinaire, il n'apparaît pas à la cour que le fonctionnement du cabinet nécessitait l'intégration de l'activité de Mme [G] dans un horaire collectif et qu'elle peut en conséquence soutenir qu'elle relevait du statut de cadre intégré'' ; qu'elle en a déduit que ''Mme [G], qui ne relevait pas de l'horaire collectif de travail et qui disposait d'une réelle autonomie dans l'organisation du travail rendant impossible son intégration dans des horaires prédéterminés, fixes, avait le statut de cadre autonome, permettant ainsi de déterminer l'organisation de son temps de travail dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jour à compter du 1er septembre 2013'' ; qu'en statuant ainsi par voie d'affirmation, sans préciser concrètement en quoi la salariée aurait disposé d'une autonomie dans l'organisation de son emploi du temps et n'aurait pas été contrainte de suivre les horaires d'ouverture et de fermeture du cabinet vétérinaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-43 du code du travail en sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3121-43 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
14. Aux termes de ce texte, peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3221-39 : 1°) Les cadres qui disposent d'une autonomie dans leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ; 2°) Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.
15. Pour débouter la salariée de sa demande de rappel de salaires, à compter du 1er septembre 2013, l'arrêt retient qu'elle exerçait ses fonctions, à compter de cette date, dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jours dès lors que, compte tenu de la taille du cabinet et de la présence en son sein d'une assistante vétérinaire ou d'une autre vétérinaire, le fonctionnement du cabinet ne nécessitait pas son intégration dans un horaire collectif de travail, qu'elle ne relevait ainsi pas du statut de cadre intégré, que disposant d'une réelle autonomie dans l'organisation de son travail rendant impossible son intégration dans des horaires prédéterminés et fixes, elle avait le statut de cadre autonome.
16. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'autonomie de la salariée dans l'organisation de son emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui lui étaient confiées et les raisons la conduisant à ne pas suivre l'horaire collectif de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE et ANNULE mais seulement en ce qu'il déboute Mme [G] de sa demande en paiement de rappel de salaires et congés payés afférents au titre de la requalification du contrat de travail à temps complet et de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, pour la période postérieure au 31 août 2013, ainsi que de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et en paiement des indemnités subséquentes, l'arrêt rendu le 6 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne M. [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [W] et le condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [I] [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande de reclassification à l'échelon 4, cadre confirmé B, à compter du 1er octobre 2011 et, en conséquence, de l'AVOIR déboutée de ses demandes de rappel de salaire au titre de la requalification de son contrat de travail à temps complet, outre les congés payés y afférents, et de résiliation judiciaire du contrat de travail, outre le paiement des indemnités subséquentes, et d'AVOIR limité le montant du rappel d'heures supplémentaires à la somme de 1.121,46 euros ;
1°) ALORS QU'en application de l'annexe I de la convention collective nationale des vétérinaires praticiens salariés du 31 janvier 2006, relève de la classification de cadre confirmé B, échelon 4, le « vétérinaire diplômé, inscrit au tableau de l'ordre, ayant plus de 4 ans d'expérience professionnelle de cadre » ; que selon l'article 55 de cette convention collective, « les vétérinaires diplômés qui exercent leur fonction dans une entreprise entrant dans le champ d'application défini à l'article 1er sont affiliés au statut cadre » ; que l'expérience acquise par le vétérinaire au cours d'un contrat de collaboration libérale doit être prise en considération pour déterminer la classification à laquelle il peut prétendre au titre du contrat de travail conclu ultérieurement ; qu'en jugeant au contraire que « Mme [G] ne peut prétendre à la prise en compte de son ancienneté en tant que vétérinaire collaboratrice pour revendiquer le bénéfice de l'échelon 4 prévu par la convention collective », la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
2°) ET ALORS, subsidiairement, QU'en déboutant Mme [G] de sa demande, quand elle constatait que la salariée avait été embauchée le 30 septembre 2011, ce dont il résultait qu'elle justifiait de quatre années d'expérience professionnelle salariée à compter du 1er octobre 2015, la cour d'appel a violé les articles 1er, 55 et l'annexe I de la convention collective nationale des vétérinaires praticiens salariés du 31 janvier 2006.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [I] [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande de rappel de salaire au titre de la requalification de son contrat de travail à temps complet pour la période du 30 septembre 2011 au 31 août 2013 et, en conséquence, de l'AVOIR déboutée de sa demande de rappel de congés payés y afférents et de résiliation judiciaire du contrat de travail, outre le paiement des indemnités subséquentes ;
1°) ALORS QUE la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps plein implique le paiement de l'intégralité des salaires correspondant à ce temps complet, sous la seule déduction des sommes déjà versées dont il appartient à l'employeur de justifier ; qu'en déboutant Mme [G] de sa demande de rappel de salaire au titre d'un temps complet, quand elle constatait que, faute pour l'employeur de « démontrer que Mme [G] n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition », celle-ci « est en conséquence fondée à solliciter la revendication de son contrat de travail en contrat de travail à temps complet pour la période courant du 30 septembre 2011 au 31 août 2013 », la cour d'appel a violé les articles L. 3121-1 et L. 3123-14 du code du travail en leur rédaction antérieure à celles issues de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
2°) ALORS, subsidiairement, QUE, pour débouter Mme [G] de sa demande de rappel de salaire au titre d'un temps complet, la cour d'appel a retenu que « Mme [G], qui a été payée au-delà du minimum conventionnel, ne peut en conséquence prétendre à un rappel de salaire de ce chef » ; qu'en statuant ainsi par un motif inopérant tiré du niveau de rémunération de la salariée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1 et L. 3123-14 du code du travail en leur rédaction antérieure à celles issues de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
3°) ET ALORS, plus subsidiairement, QU'en statuant comme elle l'a fait, sans constater que le salaire versé par l'employeur à Mme [G] au cours de la période litigieuse correspondait à la rémunération qui lui était due pour une durée du travail de 35 heures hebdomadaires, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3121-1 et L. 3123-14 du code du travail en leur rédaction antérieure à celles issues de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [I] [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande de rappel de salaire au titre de la requalification de son contrat de travail à temps complet pour la période postérieure au 31 août 2013 et, en conséquence, de l'AVOIR déboutée de ses demandes de rappel de congés payés y afférents, de rappel d'heures supplémentaires pour la même période et de résiliation judiciaire du contrat de travail, outre le paiement des indemnités subséquentes ;
1°) ALORS QUE peuvent seuls conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39, les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés, ainsi que les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées ; que, pour débouter la salariée de sa demande de rappel de salaire, la cour d'appel a constaté que « M. [W] justifie de la présence au sein du cabinet d'une assistante vétérinaire jusqu'en septembre 2013 puis de l'embauche, à compter du mois de juillet 2015, d'une autre vétérinaire » et que, « compte tenu de la taille réduite du cabinet et de la présence au sein de ce dernier d'une assistante vétérinaire ou d'une autre vétérinaire, il n'apparaît pas à la cour que le fonctionnement du cabinet nécessitait l'intégration de l'activité de Mme [G] dans un horaire collectif et qu'elle peut en conséquence soutenir qu'elle relevait du statut de cadre intégré » ; qu'elle en a déduit que « Mme [G], qui ne relevait pas de l'horaire collectif de travail et qui disposait d'une réelle autonomie dans l'organisation du travail rendant impossible son intégration dans des horaires prédéterminés, fixes, avait le statut de cadre autonome, permettant ainsi de déterminer l'organisation de son temps de travail dans le cadre d'une convention de forfait annuel en jour à compter du 1er septembre 2013 » ; qu'en statuant ainsi par voie d'affirmation, sans préciser concrètement en quoi la salariée aurait disposé d'une autonomie dans l'organisation de son emploi du temps et n'aurait pas été contrainte de suivre les horaires d'ouverture et de fermeture du cabinet vétérinaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3121-43 du code du travail en sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;
2°) ET ALORS QU'en statuant comme elle l'a fait, quand elle constatait que le cabinet vétérinaire ne disposait, ni d'assistant vétérinaire, ni de vétérinaire salarié autre que Mme [G], du mois de septembre 2013 au mois de juillet 2015, ce dont il résultait que la salariée, seule vétérinaire salariée de l'entreprise et ne disposant pas d'assistant vétérinaire, ne pouvait exercer sa prestation de travail en toute autonomie et devait nécessairement se conformer aux horaires d'ouverture et de fermeture de l'entreprise pendant plus de deux ans, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-43 du code du travail en sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [I] [G] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande d'indemnisation des astreintes et, en conséquence, de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, outre le paiement des indemnités subséquentes ;
ALORS QUE, pour débouter la salariée de sa demande d'indemnisation des astreintes, la cour d'appel a retenu qu'« il ressort des relevés informatiques produits aux débats par M. [W], et à l'encontre desquels Mme [G] ne verse à l'instance aucun élément de preuve suffisamment pertinent de nature à en remettre en cause la véracité, que la quasi-totalité des astreintes du cabinet ont été réalisées par M. [W] et que Mme [G] a été valablement payée de celles qu'elle a effectuées » ; qu'en statuant ainsi, sans examiner les bulletins de paie versés aux débats par la salariée, lesquels ne mentionnent le paiement d'aucune heure d'astreinte, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Il résulte de la combinaison des articles 1 et 55 de la convention collective nationale des vétérinaires praticiens salariés du 31 janvier 2006 et de son annexe I que seule est prise en compte, pour déterminer la classification des emplois, l'expérience professionnelle acquise en qualité de vétérinaire salarié |
8,543 | N° A 21-85.828 FP-B
N° 00005
ODVS
24 JANVIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2023
Mme [C] [X], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 22 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre MM. [M] [H] et [N] [K] des chefs de tentatives d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs terroriste, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable sa constitution de partie civile.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [C] [X], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Labrousse, MM. d'Huy, Wyon, Mmes Ménotti, Leprieur, Sudre, Goanvic, M. Sottet, conseillers de la chambre, M. Leblanc, Mmes Guerrini, Chafaï, M. Michon, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 17 août 2017, vers 17 heures, une fourgonnette a fait irruption sur [Adresse 3] à [Localité 1], avant de remonter [Adresse 2] jusqu'à [Adresse 4], artères touristiques de la ville, fonçant dans la foule, faisant quatorze morts et plus d'une centaine de blessés. Le conducteur a pris la fuite avant d'être tué par des policiers quatre jours plus tard. L'organisation dite « Etat islamique » a revendiqué cet attentat.
3. Une information judiciaire a été ouverte à Paris des chefs susvisés, des ressortissants français ayant été blessés.
4. Mme [C] [X] s'est constituée partie civile, faisant valoir un préjudice psychologique.
5. Le juge d'instruction a déclaré cette constitution de partie civile irrecevable.
6. Mme [X] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Mme [X], alors :
« 1°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu' « il ressort des explications précises données par Mme [X] qu'après y être descendue, elle se trouvait devant la station de métro et que la camionnette est passée derrière sur sa droite » et que son traumatisme était « indéniable » ; qu'en retenant pourtant, pour déclarer sa constitution de partie civile irrecevable, que Mme [X] n'avait pas été « directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le conducteur de la camionnette » et que son traumatisme relevait de celui des témoins des conséquences de l'infraction et non d'une victime directe, la chambre de l'instruction qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 2, 3, 85 et 593 du code de procédure pénal ;
2°/ que l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ; qu'en se fondant, pour retenir que Mme [X] n'avait pas été directement et immédiatement exposée au risque de mort ou de blessure recherché par le terroriste et déclarer sa constitution de partie civile irrecevable, sur le fait qu'elle ne s'était pas trouvée dans la trajectoire même de la camionnette, quand cette seule circonstance n'était pas de nature à exclure toute intention homicide à son encontre de la part du terroriste dans un attentat visant à tuer le plus de personnes possibles présentes sur [Adresse 2], la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 2, 3 et 85 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'une constitution de partie civile est recevable dès lors que le préjudice invoqué découle des faits objets des poursuites ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le traumatisme de Mme [X] était « indéniable » ; qu'en subordonnant la recevabilité de sa constitution de partie civile à la preuve qu'elle avait été directement et immédiatement exposée à l'intention homicide du terroriste, quand il suffisait que Mme [X] puisse se prévaloir d'un préjudice qui découlait des faits poursuivis, la chambre de l'instruction a violé les articles 2, 3 et 85 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré la constitution de partie civile de Mme [X] irrecevable, l'arrêt attaqué reprend les premières déclarations de celle-ci selon lesquelles elle se trouvait, à l'heure des faits, sur [Adresse 2], a vu arriver de sa droite une camionnette à vive allure, a pensé qu'en raison de sa vitesse elle pouvait blesser quelqu'un, a entendu « une vague de bruit » l'ayant pétrifiée, puis a été entraînée par un tiers dans un restaurant d'où elle a pu voir des personnes allongées sur le sol, qu'elle a pensé endormies, des ambulances et des policiers.
9. Les juges, se fondant sur les déclarations ultérieures de l'intéressée, énoncent qu'il ressort de ces explications que la camionnette est passée derrière l'intéressée sans qu'elle se soit trouvée sur sa trajectoire, même si elle a pu voir des gens au sol, ressentir le mouvement et le bruit de la foule avant d'être entraînée par un tiers vers un restaurant.
10. Ils en concluent que le traumatisme indéniable de la plaignante correspond à celui vécu par les témoins des conséquences de l'infraction, et non au préjudice d'une victime directe au sens de l'article 2 du code de procédure pénale.
11. C'est à tort que, pour estimer que le préjudice allégué n'était pas en relation directe avec les infractions commises, les juges ont relevé que l'intéressée ne s'était pas trouvée sur la trajectoire de la camionnette.
12. Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure.
13. En effet, il résulte de ses énonciations que, si Mme [X] se trouvait à proximité, elle n'a pas été en situation de prendre la mesure des faits qui étaient en train de se dérouler, de sorte qu'elle ne s'est pas crue exposée à une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin).
14. Dès lors, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre janvier deux mille vingt-trois. | C'est à tort que, pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré la constitution de partie civile de la plaignante irrecevable, les juges ont retenu que celle-ci ne s'était pas trouvée sur la trajectoire de la camionnette conduite par l'un des auteurs des faits poursuivis.
Néanmoins, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses énonciations que, si l'intéressée se trouvait à proximité, elle n'a pas été en situation de prendre la mesure des faits qui étaient en train de se dérouler, de sorte qu'elle ne s'est pas crue exposée à une action criminelle ayant pour objet de tuer indistinctement un grand nombre de personnes. En conséquence, la possibilité de l'existence d'un préjudice en relation directe avec les infractions poursuivies n'est pas caractérisée (Crim., 15 février 2022, pourvoi n° 21-80.265, publié au Bulletin) |
8,544 | N° Z 21-86.839 F-B
N° 00089
ECF
25 JANVIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 JANVIER 2023
M. [T] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 3 novembre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 14 octobre 2020, n° 19-83.247) pour aide à l'entrée irrégulière d'un étranger en France, l'a condamné à 3 000 euros d'amende avec sursis.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Brugère, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [T] [R], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Brugère, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 18 janvier 2018, M. [T] [R], qui conduisait son véhicule, depuis la frontière italienne vers [Localité 1], a été contrôlé par les fonctionnaires de la police aux frontières. Il avait pour passager une personne de nationalité éthiopienne, démunie de document lui permettant d'entrer et de séjourner en France.
3. M. [R] a reconnu avoir pris en charge ce ressortissant étranger à [Localité 2] et lui avoir fait traverser la frontière dans son véhicule, afin de le conduire à la gare de [Localité 1].
4. Il a été poursuivi pour aide à l'entrée irrégulière d'un étranger sur le territoire national.
5. Par jugement du 14 mars 2018, il a été relaxé.
6. Le ministère public a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité tirée de l'irrégularité de l'interpellation de M. [R], alors « que la régularité d'un contrôle d'identité doit s'apprécier au regard du fondement juridique sur lequel ceux qui l'ont réalisé entendaient agir, de sorte qu'il leur revient nécessairement de faire figurer dans leur procès-verbal le fondement légal précis de leur intervention afin que puisse être vérifié le respect des conditions relatives ; qu'en se bornant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de cette irrégularité, à faire état des circonstances de fait de l'interpellation dont elle déduit que « le contrôle du véhicule et de ses occupants était justifié au regard des dispositions de l'article 78-2 du code de procédure pénale », lorsque de telles déductions, effectuées a posteriori, ne sauraient pallier l'irrégularité résultant de l'absence en procédure de mention du fondement légal précis sur lequel cette intervention a été effectuée, la cour d'appel a violé les articles 78-2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Pour écarter l'exception de nullité du contrôle d'identité, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte du procès-verbal d'interpellation du prévenu que celui-ci a été contrôlé, au volant de son automobile, sur l'autoroute, venant de l'Italie et se dirigeant vers [Localité 1], par des policiers qui ont vu, à l'arrière du véhicule, un homme couché derrière le siège du conducteur, dissimulé par le dossier de la banquette arrière, replié sur lui.
10. La juridiction du second degré en déduit que les policiers ont ainsi pu estimer possible que les deux hommes à l'intérieur du véhicule avaient commis ou tenté de commettre une infraction, ce qui justifie la légalité du contrôle, sur le fondement de l'article 78-2 du code de procédure pénale.
11. En l'état de ces énonciations qui établissent, de manière précise, les conditions dans lesquelles le contrôle a été effectué, et permettent d'apprécier sa régularité, la cour d'appel a justifié sa décision, aucune disposition n'imposant, à peine de nullité du contrôle, que le texte qui l'autorise soit visé à la procédure.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [R] coupable du chef d'aide à l'entrée irrégulière d'un étranger sur le territoire, alors :
« 1°/ que la Cour de justice de l'Union Européenne a exclu l'établissement par les Etats membres d'une répression pénale spécifique à l'encontre d'un individu ayant irrégulièrement franchi une frontière intérieure, au sens du code frontières Schengen ; qu'il s'en déduit qu'aucune répression spécifique ne saurait être établie à l'encontre d'un individu qui aide au franchissement irrégulier d'une frontière intérieure, à tout le moins lorsque c'est à des fins humanitaires qu'il procède à de tels agissements, dans la mesure où son action ne contribue pas à la création d'une situation susceptible d'être pénalement réprimée selon les exigences du droit de l'Union européenne ; qu'en entrant en voie de condamnation à l'encontre de M. [R] pour avoir aidé, dans un but humanitaire, un individu à franchir irrégulièrement une frontière intérieure, au sens du code frontières Schengen, la cour d'appel a méconnu les principes susvisés, ensemble la Charte des droits fondamentaux et la directive 2002/90 du 28 novembre 2002 ;
2°/ qu'il s'évince de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, et plus particulièrement des arrêts n° C-47/15 du 7 juin 2016 et n° C-239/11 du 6 décembre 2011, que celle-ci retient un traitement pénal similaire à l'égard de l'étranger qui séjourne irrégulièrement sur le territoire d'un Etat membre, d'une part, et de celui qui a franchi irrégulièrement une frontière intérieure, d'autre part ; qu'il s'en déduit l'impossibilité de traiter différemment les individus qui se rendent coupables d'aide à ces mêmes agissements, en particulier à des fins humanitaires ; qu'en entrant en voie de condamnation à l'encontre de M. [R] pour avoir aidé, dans un cadre humanitaire, un individu à franchir irrégulièrement une frontière intérieure, au sens du code frontières Schengen, excluant ce faisant l'immunité humanitaire prévue pour les faits d'aide au séjour irrégulier apportée dans un cadre humanitaire, la cour d'appel a méconnu les principes susvisés, ensemble le principe de non-discrimination tel qu'il résulte de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
3°/ qu'il existe une difficulté sérieuse d'interprétation des normes européennes applicables au présent litige qu'il appartiendrait à la Cour de cassation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle pour la résoudre. »
Réponse de la Cour
14. Pour refuser de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle portant sur la conformité au droit de l'Union de la répression pénale de l'aide au franchissement irrégulier d'une frontière dans un but humanitaire, la cour d'appel énonce que l'article 1er de la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers, prévoit que chaque Etat membre adopte les sanctions appropriées à l'encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d'un Etat membre à pénétrer sur le territoire d'un Etat membre ou d'y transiter en violation de sa législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers, un Etat membre pouvant exclure le prononcé de sanction si ce comportement vise à apporter une aide humanitaire.
15. Elle ajoute que le demandeur ne se trouve pas dans la situation d'un étranger en séjour irrégulier, qui ne peut faire l'objet de poursuites pénales tant que la procédure administrative d'éloignement engagée à son égard n'est pas conduite à son terme.
16. Elle en déduit l'absence de contradiction entre les dispositions de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et la directive susvisée.
17. En prononçant ainsi, et en déclarant le prévenu coupable d'aide à l'entrée irrégulière d'un étranger, après avoir constaté qu'il avait pris en charge dans son véhicule pour franchir la frontière, depuis l'Italie, un étranger démuni de titre lui permettant l'entrée et le séjour en France, la cour d'appel a fait l'exacte application des dispositions du droit de l'Union et du droit interne.
18. En effet, d'une part, l'article 1er de la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 permet de réprimer l'aide apportée à l'entrée irrégulière sur le territoire d'un Etat de l'Union, sans imposer d'immunité en cas de poursuite d'un but humanitaire.
19. D'autre part, l'interdiction de poursuivre pénalement un étranger qui fait l'objet d'une procédure d'éloignement en cours, n'interdit pas de poursuivre pénalement une personne qui a aidé cet étranger à franchir une frontière d'un Etat de l'Union, et qui, elle-même, ne fait pas l'objet d'une procédure d'éloignement, compte tenu de la différence de leurs situations respectives.
20. Par ailleurs, la personne qui, dans un but humanitaire, apporte une aide à l'entrée sur le territoire français, favorise la commission d'une infraction, ce qui explique qu'elle ne puisse bénéficier de l'immunité prévue en cas d'aide, poursuivant le même but, apportée au séjour et à la circulation.
21. Enfin, l'interprétation des règles communautaires s'impose ainsi avec une évidence qui ne laisse pas place à un doute raisonnable, ce qui justifie de rejeter la demande de transmission à la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.
22. Le moyen ne peut donc être accueilli.
23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT n'y avoir lieu à transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. | L'article 1er de la directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 permet de réprimer l'aide apportée à l'entrée irrégulière sur le territoire d'un Etat de l'Union, sans imposer d'immunité, en cas de poursuite d'un but humanitaire.
L'interdiction de poursuivre pénalement un étranger qui fait l'objet d'une procédure d'éloignement en cours, n'interdit pas de poursuivre pénalement une personne qui a aidé cet étranger à franchir une frontière d'un Etat de l'Union.
La personne qui, dans un but humanitaire, apporte une aide à l'entrée sur le territoire français, favorise la commission d'une infraction et ne peut bénéficier de l'immunité prévue en cas d'aide, poursuivant le même but, apportée au séjour et à la circulation |
8,545 | N° W 22-83.344 F-B N° 00092
ECF 25 JANVIER 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 JANVIER 2023
M. [F] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 12e chambre, en date du 26 avril 2022, qui, pour agressions sexuelles aggravées, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, trois ans de suivi socio-judiciaire et dix ans d'interdiction professionnelle.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [F] [Y], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [F] [Y], enseignant au collège de [Localité 1], a fait l'objets de poursuites du chef d'agressions sexuelles commises sur deux élèves, mineures de quinze ans, [T] [U] et [B] [L]
3. Par jugement du 17 septembre 2019, le tribunal correctionnel a relaxé M. [Y], a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile, et ordonné la confiscation des scellés.
4. Le ministère public et les parties civiles ont relevé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur les premier et quatrième moyens et le deuxième moyen, pris en sa première branche
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche, et le troisième moyen
Enoncé des moyens
6. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable d'atteintes sexuelles commises par violence, contrainte, menace ou surprise sur la personne de [B] [L], alors :
« 2°/ que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; qu'en se bornant à relever, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre du prévenu, que [B] [L] n'avait aucun motif de porter des accusations d'attouchement à l'encontre de son professeur, sans mieux s'expliquer sur le caractère volontaire du geste reproché au prévenu lorsqu'elle constatait que la plaignante avait elle-même indiqué aux gendarmes qu' « elle avait pensé « qu'il n'avait pas vraiment fait exprès » et que ce n'était que suite aux révélations de [T] [U] qu'elle avait pensé qu'il voulait « faire la même chose » », la cour d'appel a violé les articles 222-22, 222-29-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
7. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [Y] coupable d'atteintes sexuelles commises par violence, contrainte, menace ou surprise sur les personnes de [T] [U] et de [B] [L], alors « que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; que le délit d'agression sexuelle suppose la commission d'une atteinte sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise ; qu'en se bornant à constater, pour déclarer le prévenu coupable d'agression sexuelle, que les victimes étaient âgées de 12 et 13 ans au moment des faits et que lesdits faits ont été commis par leur professeur, sans mieux expliquer en quoi les agressions sexuelles auraient été commises avec violence, contrainte, menace ou surprise, la cour d'appel a violé les articles 222-22, 222-29-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 485 du code de procédure pénale :
9. Selon ce texte, tout jugement de condamnation doit constater, à la charge du prévenu, l'existence de chacun des éléments constitutifs de chacune des infractions dont il le déclare coupable.
10. Pour dire établis les délits d'agression sexuelle, l'arrêt attaqué rappelle que les déclarations des victimes, qui n'avaient aucune raison de porter de fausses accusations, sont précises et circonstanciées, qu'elles coïncident, pour l'une d'entre elles, avec des symptômes de traumatisme réactionnel objectivés par une expertise, et qu'elles s'inscrivent dans un contexte plus large d'autres révélations sur le comportement inapproprié du prévenu à l'endroit de plusieurs jeunes collégiennes.
11. Les juges en concluent qu'il résulte de la procédure et des débats la preuve suffisante que le prévenu a bien commis une agression sexuelle sur les deux victimes.
12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
13. En premier lieu, les juges n'ont pas établi le caractère intentionnel de l'atteinte commise à l'égard de [B] [L].
14. En second lieu, ils n'ont pas caractérisé en quoi les atteintes sexuelles auraient été commises sur les deux victimes avec violence, contrainte, menace ou surprise.
15. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 26 avril 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. | La juridiction de jugement est tenue de constater, à la charge du prévenu, l'existence de chacun des éléments constitutifs de chacune des infractions dont elle le déclare coupable.
Encourt la cassation un arrêt condamnant un prévenu du chef d'agression sexuelle sans établir le caractère intentionnel de l'atteinte commise à l'égard de la victime, ou caractérisé en quoi cette atteinte aurait été commise avec violence, contrainte, menace ou surprise |
8,546 | N° F 22-83.997 F-B
N° 00093
ECF
25 JANVIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 JANVIER 2023
M. [Y] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Caen, chambre correctionnelle, en date du 3 novembre 2021, qui, pour propositions sexuelles faites à un mineur de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique aggravées, consultation habituelle de site présentant des images à caractère pornographique de mineurs, et détention de représentations pornographiques de mineurs, a prononcé une mesure de confiscation.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Mallard, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Mallard, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. En janvier 2021, M. [Y] [C] est entré en relation, sur un site internet, avec un enquêteur en charge d'une opération de cyber-infiltration tendant à lutter contre la pédophilie en ligne, se faisant passer pour une fillette âgée de 12 ans.
3. Le 2 février 2021, il s'est rendu, en voiture, sur le lieu de rendez-vous qu'il avait fixé, en ligne, avec son interlocuteur, en vue d'avoir une relation sexuelle, et a été interpellé.
4. Il a fait l'objet d'une convocation des chefs précités devant le tribunal qui l'en a déclaré coupable, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis, dix ans d'interdiction professionnelle, et a ordonné la confiscation, notamment, de son véhicule.
5. Le prévenu a relevé appel de cette décision, limitant son recours à la confiscation. Le ministère public a formé appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 227-22-1 et 227-29 du code pénal.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé la mesure de confiscation du véhicule, aux motifs que ce dernier a permis la rencontre avec la supposée victime, de sorte qu'il a servi à commettre l'infraction, alors que celle-ci, prévue à l'article 227-22-1 du code pénal, vise les propositions sexuelles à un mineur de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique, et non la rencontre.
Réponse de la Cour
8. Pour confirmer la mesure de confiscation du véhicule, l'arrêt attaqué énonce que cette peine complémentaire, prévue par l'article 131-21 du code pénal, est spécifiquement encourue, aux termes de l'article 227-29 du même code, par les personnes coupables du délit d'incitation d'un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre tout acte de nature sexuelle, y compris si cette incitation n'a pas été suivie d'effet, et porte sur la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou la chose qui en est le produit.
9. Les juges rappellent que M. [C] est entré en relation sur un site internet avec un enquêteur ayant initié une opération de cyber-infiltration, habilité à cet effet, s'étant présenté sous un pseudonyme correspondant à une fillette âgée de 12 ans, et qu'il a donné à la fillette fictive un rendez-vous pour une rencontre qui, selon lui, avait pour but une relation sexuelle.
10. Ils ajoutent qu'il est venu à ce rendez-vous avec son véhicule automobile et que, si l'ordinateur a permis les échanges, seul le véhicule automobile a permis la rencontre projetée.
11. Ils en concluent qu'il existe un lien entre le déplacement par le véhicule automobile et l'incitation à commettre des actes de nature sexuelle, que la rencontre avait pour objet de concrétiser, et que le véhicule automobile du prévenu a donc servi à commettre l'infraction.
12. En l'état de ces constatations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel a justifié sa décision.
13. En effet, elle a établi, sans insuffisance ni contradiction, que le véhicule avait permis la commission de l'infraction poursuivie, en ce que cette dernière était aggravée par la circonstance selon laquelle les propositions sexuelles ont été suivies d'une rencontre avec la personne se présentant comme un mineur de quinze ans, peu important que l'usage de ce bien n'ait pas été déterminant de la commission des faits.
14. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
15. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. | Justifie sa décision la cour d'appel qui ordonne la confiscation du véhicule du prévenu, déclaré coupable de propositions sexuelles faites à un mineur de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique, dès lors qu'elle constate, par des motifs procédant de son pouvoir souverain d'appréciation, que le véhicule avait permis la commission de l'infraction poursuivie, en ce que cette dernière était aggravée par la circonstance selon laquelle les propositions sexuelles ont été suivies d'une rencontre avec la personne se présentant comme un mineur de quinze ans, peu important que l'usage de ce bien n'ait pas été déterminant de la commission des faits |
8,547 | N° V 22-83.435 F-B
N° 00094
ECF
25 JANVIER 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 JANVIER 2023
Le procureur général près la cour d'appel de Riom a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de ladite cour d'appel, en date du 26 avril 2022, qui a prononcé sur un sursis probatoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement contradictoire du 6 juin 2019, le tribunal correctionnel a déclaré M. [S] [F] coupable de faits de diffusion de message violent, pornographique ou contraire à la dignité accessible à un mineur, et l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement dont douze mois assortis du sursis probatoire pendant deux ans.
3. Par jugement du 3 février 2022, le juge de l'application des peines a révoqué l'intégralité de ce sursis probatoire. Pour justifier cette décision, le jugement relève que, lors de sa condamnation, le demandeur a été averti, par le président de la juridiction, des obligations auxquelles il était astreint et des conséquences de leur manquement. Pour révoquer ce sursis, le juge de l'application des peines a pris en considération, d'une part, la commission, par le demandeur, d'infractions pénales le 17 août 2020 et le 10 décembre 2020, au cours du délai d'épreuve, et, d'autre part, la circonstance qu'il n'a suivi qu'à compter de 2021 les soins auxquels il était astreint.
4. M. [F] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé la décision du juge de l'application des peines de révocation du sursis probatoire de M. [F], au motif que les manquements aux obligations, et les nouvelles infractions, retenus par le premier juge ont été commis avant que lui soient notifiées les obligations de la mise à l'épreuve, de sorte que jusqu'à cette date, ils ne pouvaient être pris en compte, alors que ces manquements doivent s'apprécier à compter du caractère exécutoire de la condamnation, de même que les nouvelles infractions commises pendant le délai d'épreuve, la notification des obligations par le juge de l'application des peines prévue à l'article R. 59 du code de procédure pénale n'étant que facultative, outre que M. [F] présent à l'audience de jugement, avait reçu notification de ses obligations par le président du tribunal correctionnel.
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-41 du code pénal, 742 et R. 59 du code de procédure pénale :
6. Selon le premier de ces textes, lorsque la juridiction de jugement ne prononce pas l'exécution provisoire, la probation est applicable à l'expiration des délais d'appel du ministère public et du prévenu.
7. Selon le troisième, le juge de l'application des peines peut convoquer le condamné pour lui rappeler les obligations particulières auxquelles il est soumis et lui notifier, le cas échéant, des obligations particulières qu'il ordonne.
8. Selon le deuxième, lorsque le condamné ne se soumet pas aux mesures de contrôle ou aux obligations particulières auxquelles il est astreint au titre de la probation, ou lorsqu'il a commis une infraction suivie d'une condamnation à l'occasion de laquelle la révocation du sursis n'a pas été prononcée, le juge de l'application des peines peut ordonner la prolongation du délai de probation ou révoquer en partie ou en totalité le sursis.
9. Pour infirmer le jugement et ordonner la prolongation du délai d'épreuve pour une durée d'un an, la chambre de l'application des peines énonce que le juge de l'application des peines ne pouvait prendre en considération les infractions pénales commises par le condamné avant le 15 décembre 2020, date à laquelle les obligations du jugement de condamnation lui ont été notifiées, ni ses manquements, avant cette date, aux obligations auxquelles il était astreint, au titre de la probation.
10. En prononçant ainsi, alors que les obligations auxquelles le condamné était astreint ont été portées à sa connaissance lors du prononcé du jugement de condamnation du 6 juin 2019 et sont devenues exécutoires à l'expiration du délai d'appel contre celui-ci, indépendamment de la notification qui lui a été faite de nouveau le 15 décembre 2020 par le juge de l'application des peines, la chambre de l'application des peines a méconnu les textes susvisés.
11. La cassation est, dès lors, encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Riom, en date du 26 avril 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Riom et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois. | Pour apprécier la révocation d'un sursis probatoire, prononcé par jugement contradictoire, le juge de l'application des peines doit prendre en compte les manquements ou infractions nouvelles, commis à compter du jour où la décision est devenue exécutoire, dès lors que ces obligations ont été notifiées à l'audience à l'intéressé, indépendamment du rappel de ces obligations auquel le juge de l'application des peines peut procéder selon l'article R. 59 du code de procédure pénale |
8,548 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 janvier 2023
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 87 FS-B
Pourvoi n° S 21-13.577
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 JANVIER 2023
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Provence-Alpes-Côte d'Azur, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 21-13.577 contre l'arrêt n° RG : 19/01030 rendu le 19 janvier 2021 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à l'[3], dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommé [4], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur, de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de l'[3], anciennement dénommé [4], et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, Mmes Coutou, Renault-Malignac, M. Rovinski, Mmes Cassignard, Lapasset, M. Leblanc, conseillers, Mmes Vigneras, Dudit, conseillers référendaires, Mme Tuffreau, avocat général référendaire, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 19 janvier 2021), la Caisse nationale du régime social des indépendants, aux droits de laquelle vient l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur (l'URSSAF), a notifié à l'[4], devenu l'Etablissement public foncier de Grand-Est (l'établissement public), une mise en demeure pour le paiement de la contribution sociale de solidarité des sociétés au titre de l'année 2015.
2. L'établissement public a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches
Enoncé du moyen
3. L'URSSAF fait grief à l'arrêt d'accueillir la contestation de la mise en demeure et de rejeter ses demandes en paiement, alors :
« 1°/ que la contribution sociale de solidarité des sociétés est à la charge des personnes morales de droit public dans les limites de leur activité concurrentielle ; qu'un établissement public foncier exerce une activité concurrentielle s'il peut rivaliser avec d'autres entreprises et opérateurs privés qui peuvent réaliser des opérations de même nature, en offrant un service ou une prestation équivalente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'établissement public foncier était habilité à procéder à toutes acquisitions foncières et opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l'aménagement, qu'il pouvait effectuer les études et travaux nécessaires à leur accomplissement, qu'il pouvait exercer ses missions pour son compte ou pour celui de l'Etat et de ses établissements publics, ou pour des collectivités territoriales, leurs groupements ou leurs établissements publics, et que dans ce dernier cas, les biens étaient rachetés dans un délai déterminé ; qu'en affirmant que l'établissement public foncier n'exerçait pas une activité concurrentielle sans rechercher, comme elle y était invitée, si dans le cadre de ses activités consistant notamment à faire des acquisitions foncières et des opérations immobilières, puis à rétrocéder éventuellement lesdits biens à des collectivités et à faire des études, l'établissement public foncier n'était pas en concurrence avec des opérateurs publics ou privés effectuant de opérations de même nature, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-1, 4°, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 ;
2°/ que la contribution sociale de solidarité des sociétés est à la charge des personnes morales de droit public dans les limites de leur activité concurrentielle ; que n'est pas en contradiction avec le caractère concurrentiel de son activité le fait que l'établissement public foncier soit placé dans une situation différente des autres opérateurs privés, notamment parce qu'il poursuit un objectif d'intérêt public en intervenant dans le cadre de programmes pluriannuels établis en fonction de finalités d'aménagement durables, de développement social urbain, de restructuration, de préservation des espaces naturels et agricoles, ou parce qu'il peut recourir à des procédures de puissance publique telles que l'expropriation ou les droits de préemption et de priorité ; qu'en tirant de ces circonstances inopérantes la conclusion que l'établissement public n'exerçait pas une activité concurrentielle, la cour d'appel a violé l'article L. 651-1, 4°, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 ;
4°/ que la contribution sociale de solidarité des sociétés est à la charge des personnes morales de droit public dans les limites de leur activité concurrentielle ; que n'est pas de nature à exclure le caractère concurrentiel de son activité le fait que l'établissement public foncier intervienne dans un contexte régional de désindustrialisation, de restructuration militaire et de baisse de la démographie pesant sur l'activité économique de la région et ses conditions d'utilisation du foncier, et que la situation diffère de la situation de l'Ile-de-France ; qu'en tirant de ces circonstances inopérantes la conclusion que l'établissement public n'exerçait pas une activité concurrentielle, la cour d'appel a violé l'article L. 651-1, 4°, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 651-1, 4°, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007, applicable à la date d'exigibilité de la contribution litigieuse :
4. Selon ce texte, la contribution sociale de solidarité des sociétés est à la charge, notamment, des personnes morales de droit public dans les limites de leur activité concurrentielle.
5. Constitue une activité concurrentielle exercée par une personne morale de droit public, au sens de ce texte, à l'exclusion de l'activité se rattachant par sa nature, son objet et les règles auxquelles elle est soumise, à l'exercice de prérogatives de puissance publique ou répondant à des fonctions de caractère exclusivement social et à des exigences de solidarité nationale, toute activité économique consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné, sur lequel d'autres opérateurs interviennent ou, au regard des conditions concrètes de l'exploitation de cette activité, ont la possibilité réelle et non purement hypothétique d'entrer.
6. Pour retenir que l'exercice d'une activité concurrentielle par l'établissement public n'est pas caractérisé, l'arrêt énonce qu'au regard des dispositions de l'article L. 321-1 du code de l'urbanisme et du décret n° 73-250 du 7 mars 1973 modifié portant création de l'Etablissement public foncier de Lorraine, celui-ci intervient dans le cadre de programmes pluriannuels établis en fonction des finalités d'aménagement durable, de développement social urbain, de restructuration, de préservation des espaces naturels et agricoles durable, au travers notamment du recours à des procédures de puissance publique. Il ajoute que cette intervention s'inscrit dans un contexte lorrain de désindustrialisation, de restructuration militaire et de baisse de la démographie pesant sur l'activité économique de cette région et les conditions d'utilisation du foncier. Il en déduit que l'établissement public est placé dans une situation différente des autres opérateurs, en particulier privés, et non concurrentielle avec ces derniers.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'établissement public exerçait une activité économique dans des conditions excluant toute concurrence actuelle ou potentielle d'autres opérateurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer, l'arrêt rendu le 19 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;
Condamne l'[4], devenu l'[3], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'[4], devenu l'[3], et le condamne à payer à l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 1 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'URSSAF de Provence-Alpes-Côte d'Azur
L'Urssaf PACA fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit bien fondée la contestation par l'EPFL de la mise en demeure du 16 mars 2016 d'avoir à payer la contribution sociale de solidarité des sociétés et la contribution additionnelle à hauteur de 120.642 euros pour l'année 2015 comprenant 10.053 euros de majorations pour retard de déclaration et 10.053 euros de majorations pour retard de paiement et d'AVOIR en conséquence, débouté l'Urssaf PACA de ses demandes en paiements à ce titre, et débouté les parties du surplus de leurs demandes respectives,
1° - ALORS QUE la contribution sociale de solidarité des sociétés est à la charge des personnes morales de droit public dans les limites de leur activité concurrentielle ; qu'un établissement public foncier exerce une activité concurrentielle s'il peut rivaliser avec d'autres entreprises et opérateurs privés qui peuvent réaliser des opérations de même nature, en offrant un service ou une prestation équivalente ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'EPFL était habilité à procéder à toutes acquisitions foncières et opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l'aménagement, qu'il pouvait effectuer les études et travaux nécessaires à leur accomplissement, qu'il pouvait exercer ses missions pour son compte ou pour celui de l'Etat et de ses établissements publics, ou pour des collectivités territoriales, leurs groupements ou leurs établissements publics, et que dans ce dernier cas, les biens étaient rachetés dans un délai déterminé ; qu'en affirmant que l'EPFL n'exerçait pas une activité concurrentielle sans rechercher, comme elle y était invitée, si dans le cadre de ses activités consistant notamment à faire des acquisitions foncières et des opérations immobilières, puis à rétrocéder éventuellement lesdits biens à des collectivités et à faire des études, l'EPFL n'était pas en concurrence avec des opérateurs publics ou privés effectuant de opérations de même nature, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-1, 4° du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014.
2° - ALORS QUE la contribution sociale de solidarité des sociétés est à la charge des personnes morales de droit public dans les limites de leur activité concurrentielle ; que n'est pas en contradiction avec le caractère concurrentiel de son activité le fait que l'établissement public foncier soit placé dans une situation différente des autres opérateurs privés, notamment parce qu'il poursuit un objectif d'intérêt public en intervenant dans le cadre de programmes pluriannuels établis en fonction de finalités d'aménagement durables, de développement social urbain, de restructuration, de préservation des espaces naturels et agricoles, ou parce qu'il peut recourir à des procédures de puissance publique telles que l'expropriation ou les droits de préemption et de priorité ; qu'en tirant de ces circonstances inopérantes la conclusion que l'EPFL n'exerçait pas une activité concurrentielle, la cour d'appel a violé l'article L. 651-1, 4° du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014.
3° - ALORS QUE les juges du fond ne peuvent procéder par voie de simple affirmation sans préciser les éléments de preuve sur lesquels ils s'appuient ; qu'en affirmant péremptoirement, pour exclure toute activité concurrentielle de l'EPFL, qu'il intervenait dans un contexte lorrain de désindustrialisation, de restructuration militaire et de baisse de la démographie pesant sur l'activité économique de cette région et les conditions d'utilisation du foncier auxquelles il était confronté ce qui différait sensiblement de la situation d'Ile-de France à laquelle se rapportait les précédents invoqués par l'organisme de sécurité sociale, la cour d'appel qui n'a pas précisé sur quels éléments de preuve elle s'appuyait pour retenir une telle différence de situation, a violé l'article 455 du code de procédure civile.
4° - ALORS en tout état de cause QUE la contribution sociale de solidarité des sociétés est à la charge des personnes morales de droit public dans les limites de leur activité concurrentielle ; que n'est pas de nature à exclure le caractère concurrentiel de son activité le fait que l'établissement public foncier intervienne dans un contexte régional de désindustrialisation, de restructuration militaire et de baisse de la démographie pesant sur l'activité économique de la région et ses conditions d'utilisation du foncier, et que la situation diffère de la situation de l'Ile-de-France ; qu'en tirant de ces circonstances inopérantes la conclusion que l'EPFL n'exerçait pas une activité concurrentielle, la cour d'appel a violé l'article L. 651-1, 4° du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014. | Selon l'article L. 651-1, 4°, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007, applicable à la date d'exigibilité des contributions litigieuses, la contribution sociale de solidarité des sociétés est à la charge, notamment, des personnes morales de droit public dans les limites de leur activité concurrentielle.
Constitue une activité concurrentielle exercée par une personne morale de droit public, au sens de ce texte, à l'exclusion de l'activité se rattachant par sa nature, son objet et les règles auxquelles elle est soumise, à l'exercice de prérogatives de puissance publique ou répondant à des fonctions de caractère exclusivement social et à des exigences de solidarité nationale, toute activité économique consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné sur lequel d'autres opérateurs interviennent ou, au regard des conditions concrètes de l'exploitation de cette activité, ont la possibilité réelle et non purement hypothétique d'entrer.
Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, pour considérer qu'un établissement public foncier de l'Etat n'exerce pas une activité concurrentielle au sens de ce texte, n'a pas recherché si celui-ci exerçait une activité économique dans des conditions excluant toute concurrence actuelle ou potentielle d'autres opérateurs |
8,549 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 janvier 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 95 F-B
Pourvoi n° J 21-18.653
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 JANVIER 2023
Mme [C] [L], épouse [K], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 21-18.653 contre l'arrêt rendu le 16 février 2021 par la cour d'appel d'Amiens (2e protection sociale), dans le litige l'opposant au conseil départemental du Nord, représenté par son président en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de Mme [L], épouse [K], de la SAS Hannotin avocats, avocat du conseil départemental du Nord, représenté par son président en exercice, et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 16 février 2021), [T] [L] (la bénéficiaire), handicapée à la suite d'un accident de la circulation, a été hébergée dans un foyer d'accueil médicalisé du 1er juillet 2009 jusqu'à son décès, survenu le 22 septembre 2014. Le 19 mai 2017, le président du conseil départemental du Nord (le département) a notifié à sa soeur, Mme [C] [L] (l'héritière), en sa qualité d'héritière de la bénéficiaire, sa décision de récupérer sur la succession de cette dernière la somme de 270 654,47 euros, au titre de l'aide sociale versée pour la prise en charge de ses frais de séjour et d'hébergement en établissement.
2. L'héritière a saisi d'un recours la juridiction d'aide sociale, alors compétente.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
3. L'héritière fait grief à l'arrêt de rejeter partiellement son recours et de dire que la prise en charge et l'accompagnement de la bénéficiaire se justifient à hauteur de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l'actif successoral, alors :
« 1°/ que selon l'article L. 344-5, 2° du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté, par motifs adoptés, que « la commission de recours amiable a considéré que la prise en charge et l'accompagnement se justifiait à la somme de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l'actif successoral reconnaissant ainsi que l'appelante avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée » et par motifs propres, que « la cour observe encore que tant l'héritière [
] ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique la bénéficiaire », ce dont il résultait que tant l'héritière, que les proches parents de la bénéficiaire, avaient assumé de façon effective et constante sa charge, la cour d'appel a violé l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles ;
2°/ que selon l'article L. 344-5, 2° du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; qu'en statuant comme elle l'a fait après avoir constaté que « l'appelante avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée » et que « la cour observe encore que tant l'héritière [
] ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique la bénéficiaire », au motif inopérant que « pour autant cette assistance, qui relève de l'attachement familial et de la loyauté entre membres d'une même famille, ne peut avoir pour conséquence de dispenser totalement l'héritier de la personne handicapée et placée, de faire échec à l'action en récupération exercée par le Conseil Départemental », la cour d'appel a violé l'article L. 344-5 de l'action sociale et des familles. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 132-8 et L. 344-5, 2°, du code de l'action sociale et des familles :
4. Selon le premier de ces textes, le département qui a engagé des dépenses d'aide sociale au titre des frais d'hébergement et d'entretien d'une personne handicapée accueillie dans un établissement mentionné au 7° de l'article L. 312-1 du même code, dispose d'un recours en recouvrement sur l'actif de la succession du bénéficiaire.
5. Selon le second, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge de la personne handicapée.
6. La charge effective et constante au sens de ce dernier texte s'entend d'un engagement régulier et personnel de l'héritier auprès de la personne handicapée, placée en établissement, tant d'ordre matériel qu'affectif et moral.
7. Pour rejeter le recours de l'héritière, l'arrêt constate qu'elle produit aux débats de très nombreuses attestations de membres de la famille et de tiers (personnel de l'établissement d'accueil et collègues de travail) établissant qu'elle s'est beaucoup occupée de sa soeur pendant les 25 années qui ont suivies l'accident de la voie publique à l'origine du handicap de celle-ci. Il observe que la commission départementale d'aide sociale a considéré que la prise en charge et l'accompagnement se justifiaient à hauteur de la somme de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l'actif successoral, reconnaissant ainsi que l'héritière avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée. Il observe encore que tant l'héritière que ses proches parents ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique la bénéficiaire. Il retient que pour autant, cette assistance, qui relève de l'attachement familial et de la loyauté entre membres d'une même famille, ne peut avoir pour conséquence de faire échec à l'action en récupération exercée par le département dont le financement est assuré par les impôts versés par la collectivité nationale.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'héritière établissait avoir assumé, de façon effective et constante, la charge de la bénéficiaire, de sorte que le département ne pouvait exercer à son encontre l'action en récupération des sommes versées au titre de l'aide sociale à l'hébergement, sur sa part dans la succession de la bénéficiaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;
Condamne le conseil départemental du Nord, représenté par son président en exercice, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le conseil départemental du Nord, représenté par son président en exercice, et le condamne à payer à Mme [L], épouse [K], la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour Mme [L], épouse [K]
Mme [C] [L] épouse [K] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir décidé que la prise en charge et l'accompagnement de Mme [T] [L] se justifient à hauteur de 90.000 € à déduire des sommes récupérées par le Département sur l'actif successoral ;
1°) ALORS QUE selon l'article L. 344-5, 2° du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté, par motifs adoptés, que « la commission de recours amiable a considéré que la prise en charge et l'accompagnement se justifiait à la somme de 90 000 euros à déduire des sommes récupérées par le département sur l'actif successoral reconnaissant ainsi que l'appelante avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée » et par motifs propres, que « la cour observe encore que tant Mme [C] [L] [
] ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique Madame [T] [L] », ce dont il résultait que tant Mme [C] [L], que les proches parents de Mme [T] [L], avaient assumé de façon effective et constante sa charge, la cour d'appel a violé l'article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles ;
2°) ALORS QUE selon l'article L. 344-5, 2° du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge du handicapé ; qu'en statuant comme elle l'a fait après avoir constaté que « l'appelante avait assumé de façon effective et constante la charge de la personne handicapée » et que « la cour observe encore que tant Mme [C] [L] [
] ont été présents de façon régulière pour soutenir affectivement et au plan pratique Madame [T] [L] », au motif inopérant que « pour autant cette assistance, qui relève de l'attachement familial et de la loyauté entre membres d'une même famille, ne peut avoir pour conséquence de dispenser totalement l'héritier de la personne handicapée et placée, de faire échec à l'action en récupération exercée par le Conseil Départemental », la cour d'appel a violé l'article L. 344-5 de l'action sociale et des familles ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE selon l'article 815-13 du code civil, lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation ; que cet article est applicable lors de toute liquidation par laquelle il est mis fin à une indivision, notamment en cas de décès de l'un des coïndivisaires ; qu'en jugeant, s'agissant des frais engagés par l'exposante pour effectuer des travaux sur la maison lui appartenant en indivision avec Mme [T] [L], qu'« il lui en serait tenu compte au moment de la liquidation de l'indivision », la cour d'appel a violé l'article 815-13 du code civil, ensemble l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles. | Selon l'article L. 344-5, 2°, du code de l'action sociale et des familles, il n'y a lieu à l'application des dispositions relatives au recours en récupération des prestations d'aide sociale lorsque l'héritier du bénéficiaire décédé est la personne qui a assumé, de façon effective et constante, la charge de la personne handicapée.
La charge effective et constante au sens de ce texte s'entend d'un engagement régulier et personnel de l'héritier auprès de la personne handicapée, placée en établissement, tant d'ordre matériel qu'affectif et moral.
Dès lors que l'héritier établit avoir assumé, de façon effective et constante, la charge de la personne handicapée, le département ne peut exercer à son encontre l'action en récupération des sommes versées au titre de l'aide sociale à l'hébergement de la personne handicapée sur sa part dans la succession de cette dernière |
8,550 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 janvier 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 108 F-B
Pourvoi n° S 21-13.209
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 19 août 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 JANVIER 2023
La Caisse de mutualité sociale agricole [Localité 3], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 21-13.209 contre l'arrêt rendu le 15 janvier 2021 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre sociale, section 3), dans le litige l'opposant à M. [D] [C], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Caisse de mutualité sociale agricole [Localité 3], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [C], après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 15 janvier 2021), le 13 mars 2018, la caisse de mutualité sociale agricole de [Localité 3] (la caisse) a notifié à M. [C] (l'allocataire), bénéficiaire de l'allocation aux adultes handicapés, un indu au titre de la période du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2017, motif pris de l'attribution à compter du 12 juillet 2016 de l'allocation supplémentaire d'invalidité.
2. L'allocataire a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt d'annuler l'indu et de la condamner, à ce titre, à rembourser à l'allocataire une certaine somme, alors « qu'en cas d'erreur de l'organisme débiteur de la prestation aucun remboursement de trop-perçu des prestations de retraite ou d'invalidité n'est réclamé à un assujetti de bonne foi lorsque les ressources du bénéficiaire sont inférieures au chiffre limite fixé pour l'attribution, selon le cas, à une personne seule ou à un ménage, de l'allocation aux vieux travailleurs salariés ; qu'en se fondant sur ces dispositions pour exclure le remboursement par l'allocataire d'un trop-perçu au titre de l'allocation aux adultes handicapés, laquelle ne relève pas des prestations de retraite ou d'invalidité, la cour d'appel a violé l'article L. 355-3 du code de la sécurité sociale par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 355-3, alinéa 2, du code de la sécurité sociale :
4. Aux termes de ce texte, en cas d'erreur de l'organisme débiteur de la prestation aucun remboursement de trop-perçu des prestations de retraite ou d'invalidité n'est réclamé à un assujetti de bonne foi lorsque les ressources du bénéficiaire sont inférieures au chiffre limite fixé pour l'attribution, selon le cas, à une personne seule ou à un ménage, de l'allocation aux vieux travailleurs salariés.
5. Pour annuler l'indu d'allocation aux adultes handicapés portant sur la période du 1er juillet 2016 au 31 décembre 2017, l'arrêt retient que les ressources de l'allocataire, dont la bonne foi n'est pas contestée par la caisse, sont inférieures au seuil fixé par l'article L. 655-3, alinéa 2, du code de la sécurité sociale [lire L. 355-3, alinéa 2].
6. En statuant ainsi, alors que la dispense de remboursement de trop-perçu instituée par l'article L. 355-3, alinéa 2, du code de la sécurité sociale vise exclusivement les sommes indûment versées au titre des prestations légales de retraite et d'invalidité, et non les prestations servies au titre de l'aide sociale, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Caisse de mutualité sociale agricole [Localité 3]
La Mutualité Sociale Agricole [Localité 3] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir annulé la décision de la commission de recours amiable de la caisse de mutualité sociale agricole [Localité 3] en date du 4 juin 2018 ainsi que la décision de la caisse de la MSA [Localité 3] en date du 14 mars 2018, et de l'avoir condamnée à rembourser à M. [C] la somme de 4 341,17 euros.
ALORS QU'en cas d'erreur de l'organisme débiteur de la prestation aucun remboursement de trop-perçu des prestations de retraite ou d'invalidité n'est réclamé à un assujetti de bonne foi lorsque les ressources du bénéficiaire sont inférieures au chiffre limite fixé pour l'attribution, selon le cas, à une personne seule ou à un ménage, de l'allocation aux vieux travailleurs salariés ; qu'en se fondant sur ces dispositions pour exclure le remboursement par M. [C] d'un trop perçu au titre de l'allocation aux adultes handicapés, laquelle ne relève pas des prestations de retraite ou d'invalidité, la cour d'appel a violé l'article L.355-3 du code de la sécurité sociale par fausse application. | La dispense de remboursement de trop-perçu, instituée par l'article L. 355-3, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, vise exclusivement les sommes indûment versées au titre des prestations légales de retraite et d'invalidité et non les prestations servies au titre de l'aide sociale |
8,551 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 janvier 2023
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 111 F-B
Pourvoi n° E 21-16.855
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 JANVIER 2023
M. [N] [G], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-16.855 contre l'arrêt rendu le 19 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 13), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 3],
2°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [G], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4], après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2021), la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] (la caisse) ayant pris en charge au titre de la législation professionnelle les maladies déclarées successivement par M. [G] (la victime) et lui ayant notifié des taux d'incapacité permanente de 8 % et 7 % pour chacune d'entre elles, ce dernier a opté, le 27 septembre 2017, pour le versement d'une rente.
2. À la suite d'un arrêt du 22 juin 2017 de la cour d'appel de Paris, ayant reconnu la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance des deux affections et ordonné la majoration de la rente à son maximum, la caisse a notifié à la victime, le 20 septembre 2017, la majoration des deux indemnités en capital afférentes aux deux maladies.
3. La victime a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La victime fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que lorsque par suite d'accidents successifs, la somme des taux d'incapacité permanente est égale ou supérieure à 10 %, l'indemnisation se fait, sur demande de la victime, soit par l'attribution d'une rente qui tient compte de la ou des indemnités en capital précédemment versées, soit par l'attribution d'une indemnité en capital et, à la condition que la fixation du taux d'incapacité permanente afférente à chacun des accidents successifs soit définitive, l'option souscrite par la victime revêt un caractère définitif (Civ. 2 14 mars 2019 n° 17-27.954 B) ; que la reconnaissance d'une faute inexcusable, postérieurement à l'option définitive par laquelle la victime a sollicité le versement d'une rente, ne remet pas en cause le caractère définitif de l'option exercée, si bien qu'elle engendre une majoration de la rente versée à la victime et non une majoration des indemnités en capital ; que, refusant le caractère définitif de l'option exercée par la victime le 27 septembre 2010 pour le versement d'une rente, et pour considérer que la caisse lui avait valablement notifié la majoration de deux indemnités en capital correspondant à chacune des maladies professionnelles, et qui ont fait l'objet de la reconnaissance d'une faute inexcusable par un arrêt du 22 juin 2017, la cour d'appel retient que « la combinaison des articles R. 434-3, R. 452-2, L. 452-2 ne permet pas la majoration de la rente versée à la victime à la suite de l'exercice par celle-ci de son option en application de l'article R. 434-3 du code de la sécurité sociale, puisque le versement d'une rente dans cette hypothèse aurait nécessairement pour conséquence que le total des sommes versées serait supérieure à celui correspondant au capital majoré » ; qu'en refusant ainsi le caractère définitif de l'option exercée par la victime pour le versement d'une rente antérieurement à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2, R. 434-3, et R. 452-2 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. La caisse conteste la recevabilité du moyen, en raison de sa nouveauté.
7. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
8. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
9. Selon les articles L. 434-2, alinéa 4, et R. 434-4 du code de la sécurité sociale, lorsque, à la suite d'accidents ou maladies successifs, la somme des taux d'incapacité permanente est égale ou supérieure à 10 %, l'indemnisation se fait, sur demande de la victime, soit par l'attribution d'une rente qui tient compte de la ou des indemnités en capital précédemment versées, soit par l'attribution d'une indemnité en capital.
10. Selon l'article R. 452-2 du même code, lorsque l'indemnité en capital a été remplacée par une rente dans les conditions ci-dessus le montant de la majoration due en cas de faute inexcusable de l'employeur est calculé conformément au deuxième alinéa de l'article L. 452-2.
11. Selon l'article L. 452-2, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, lorsqu'une indemnité en capital a été attribuée à la victime, le montant de la majoration ne peut dépasser le montant de cette indemnité.
12. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la majoration des indemnités prévue par le premier alinéa de l'article L. 452-2 s'applique à l'indemnité en capital afférente à l'accident ou à la maladie et non à la rente choisie par la victime en remplacement de l'indemnité en capital.
13. Dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a dit que la victime ne pouvait prétendre qu'à la majoration des deux indemnités en capital correspondant à chacune des maladies professionnelles dues à la faute inexcusable de l'employeur.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. [G]
La victime fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR
« débouté de sa contestation des décisions de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] du 20 septembre 2017 régularisant le versement des indemnités majorées en capital à la suite de la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans la survenance des maladies prises en charge au titre de la législation sur les risques professionnels le 2 mars 2009, débouté de sa demande tendant à voir ordonner à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] de mettre en place la majoration à son taux maximum de la rente versée à M. [G] par notification du 27 septembre 2010 »
1) ALORS QUE lorsque, par suite d'accidents successifs, la somme des taux d'incapacité permanente est égale ou supérieure à 10 %, l'indemnisation se fait, sur demande de la victime, soit par l'attribution d'une rente qui tient compte de la ou des indemnités en capital précédemment versées, soit par l'attribution d'une indemnité en capital et, à la condition que la fixation du taux d'incapacité permanente afférente à chacun des accidents successifs soit définitive, l'option souscrite par la victime revêt un caractère définitif (Civ.2 14 mars 2019 n° 17-27.954 B) ; que la reconnaissance d'une faute inexcusable, postérieurement à l'option définitive par laquelle la victime a sollicité le versement d'une rente, ne remet pas en cause le caractère définitif de l'option exercée, si bien qu'elle engendre une majoration de la rente versée à la victime et non une majoration des indemnités en capital ; que, refusant le caractère définitif de l'option exercée par la victime le 27 septembre 2010 pour le versement d'une rente, et pour considérer que la caisse lui avait valablement notifié la majoration de deux indemnités en capital correspondant à chacune des maladies professionnelles, et qui ont fait l'objet de la reconnaissance d'une faute inexcusable par un arrêt du 22 juin 2017, la cour d'appel retient que « la combinaison des articles R.434-3, R.452-2, L.452-2 ne permet pas la majoration de la rente versée à la victime à la suite de l'exercice par celle-ci de son option en application de l'article R.434-3 du code de la sécurité sociale, puisque le versement d'une rente dans cette hypothèse aurait nécessairement pour conséquence que le total des sommes versées serait supérieure à celui correspondant au capital majoré » ; qu'en refusant ainsi le caractère définitif de l'option exercée par la victime pour le versement d'une rente antérieurement à la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2, R. 434-3, et R. 452-2 du code de la sécurité sociale ;
2) ALORS QUE – subsidiairement – lorsqu'un arrêt passé en force de chose jugée reconnaît la faute inexcusable de l'employeur et condamne la caisse à verser à la victime une majoration de sa rente, celle-ci – pour obtenir l'exécution de l'arrêt – n'a pas à assigner la caisse et l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale ; que la cour d'appel retient que « l'appelant soutient que la cour de céans a jugé dans son arrêt du 22 juin 2017 que la caisse devait majorer la rente pour laquelle il avait opté en application de l'article R. 434-3 du code de la sécurité sociale
il convient de relever que l'arrêt du 22 juin 2017, n°11-01187 a jugé l'action en faute inexcusable de M. [G] à l'encontre de son employeur, la société [5], en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] – dans le cadre de la présente instance, M. [G] conteste les décisions de la caisse lui notifiant le 20 septembre 2017 la majoration du capital qui lui avait été attribué au titre de l'invalidité des maladies prises en charge au titre de la législation sur les risques professionnels – dès lors, la chose demandée n'est pas la même et la demande n'est pas fondée sur la même cause, et il n'y a pas lieu de constater l'autorité de la chose jugée » ; qu'en retenant ainsi que la caisse pouvait échapper à l'exécution du titre exécutoire que constituait l'arrêt passé en force de chose jugée l'ayant condamnée au versement de la rente majorée, la cour d'appel a violé les 500 et 501 du code de procédure civile. | Il résulte de la combinaison des articles L. 434-2, alinéa 4, L. 452-2, alinéa 2, R. 434-4 et R. 452-2 du code de la sécurité sociale qu'en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la majoration des indemnités prévue par le premier alinéa de l'article L. 452-2 s'applique à l'indemnité en capital afférente à l'accident ou à la maladie et non à la rente choisie par la victime en remplacement de l'indemnité en capital |
8,552 | N° U 22-86.401 FS-B
N° 00201
MAS2
24 JANVIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 24 JANVIER 2023
M. [E] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 19 octobre 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [E] [V], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mmes Labrousse, Ménotti, MM. Maziau, Seys, Mme Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 20 avril 2021, M. [E] [V] a été mis en examen, notamment, des chefs susvisés et placé en détention provisoire.
3. Son avocate a été convoquée, le 23 septembre 2022, en vue du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire de l'intéressé, fixé au 5 octobre suivant, dont elle a, dès le 26 septembre 2022, sollicité le report en raison de son indisponibilité à la date retenue.
4. Le juge des libertés et de la détention ayant été, ensuite, informé par le greffe du juge d'instruction que M. [V], depuis le 15 septembre précédent, souhaitait désormais se défendre seul, a répondu à l'avocate, par courriel du 27 septembre suivant, que, dès lors qu'elle n'assistait plus celui-ci, il ne serait pas fait droit à sa demande de report du débat.
5. Par ordonnance du 5 octobre 2022, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [V].
6. L'intéressé a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a écarté le moyen de nullité du débat contradictoire et a prolongé la détention provisoire de M. [V], alors :
« 1°/ qu'afin que soit respecté son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, la personne qui assure seule sa défense dans le cadre du débat contradictoire sur la détention provisoire doit être informée de celui-ci au plus tard cinq jours avant sa tenue ; qu'il résulte de la procédure que M. [V], qui assurait seul sa défense, n'a pas été informé préalablement à celle-ci de la tenue du débat contradictoire, de sorte qu'en écartant la nullité de ce débat tirée de l'absence de cette information préalable la chambre de l'instruction a méconnu l'article 6 § 3 b) de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que la personne mise en examen qui n'a pas été convoquée et assure seule sa défense lors du débat contradictoire sur la détention provisoire doit être informée par le juge des libertés et de la détention de la possibilité de demander un renvoi pour préparer sa défense ; que la chambre de l'instruction qui, pour écarter le moyen de nullité tiré de ce que le juge des libertés et de la détention n'avait pas avisé M. [V], qui n'avait pas été convoqué au débat et assurait seul sa défense, de la possibilité qu'il avait de solliciter un renvoi afin de préparer sa défense, s'est retranchée derrière la circonstance qu'il n'avait pas lui-même sollicité le renvoi, a méconnu l'article 6 § 3 b) de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
8. Pour écarter le moyen de nullité du débat contradictoire de prolongation de la détention provisoire de M. [V], l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort du procès-verbal de ce débat que son avocate, régulièrement convoquée, étant absente et M. [V] souhaitant désormais se défendre seul, la demande de report formée par celle-ci, le 26 septembre 2022, était devenue sans objet.
9. Les juges relèvent encore, qu'après avoir été informé par le juge des libertés et de la détention qu'était envisagée la prolongation de sa détention provisoire, M. [V], qui a confirmé qu'il se défendait seul, a répondu aux questions du magistrat puis, après avoir entendu les réquisitions du ministère public, a sollicité le report du débat afin de produire des pièces concernant son projet de sortie de détention.
10. Ils en concluent que, M. [V] n'établissant pas que sa demande de renvoi, formulée après l'ouverture du débat, était fondée sur des motifs qu'il ne pouvait connaître antérieurement, le juge des libertés et de la détention n'était pas tenu d'y répondre.
11. Ils ajoutent que l'intéressé étant informé du motif du débat contradictoire et n'ayant pas sollicité le renvoi pour préparer sa défense, il ne saurait être reproché au juge des libertés et de la détention de ne pas l'avoir avisé de son droit de solliciter un renvoi ou de ne pas l'avoir ordonné d'office.
12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte visé au moyen.
13. En effet, il appartenait à M. [V], qui avait décidé de se défendre seul et avait été informé au début du débat contradictoire que celui-ci avait pour objet la prolongation de sa détention provisoire, s'il estimait n'avoir pu bénéficier du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, de prendre l'initiative de solliciter le report du débat dès son ouverture.
14. Ainsi, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre janvier deux mille vingt-trois. | Ne méconnaît pas les dispositions de l'article 6, § 3, b, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le juge des libertés et de la détention qui ne fait pas droit à la demande de report du débat contradictoire formulée, après les réquisitions du ministère public, par la personne mise en examen ayant décidé de se défendre seule et qui a été informée au début dudit débat que celui-ci avait pour objet la prolongation de sa détention provisoire, dès lors qu'il appartenait à celle-ci, si elle estimait n'avoir pu bénéficier du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, de prendre l'initiative de solliciter le report de ce débat dès son ouverture |
8,553 | N° K 22-83.035 F-B
N° 00106
MAS2
31 JANVIER 2023
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 JANVIER 2023
La société [1] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 14 mars 2022, qui a prononcé sur sa requête en rectification d'erreur matérielle.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [1], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a déclaré la société [1] coupable, parmi d'autres prévenus, de recel de cuivre, commis au préjudice de la société ERDF, l'a condamnée à une certaine peine et, statuant sur l'action civile, a reçu la société ERDF en sa constitution de partie civile, a déclaré la société [1] solidairement responsable avec d'autres prévenus de l'ensemble de ce préjudice et a renvoyé pour le surplus à une audience ultérieure sur intérêts civils.
3. La cour d'appel, infirmant partiellement le jugement sur l'action publique, a relaxé la société [1], mais a confirmé le jugement sur l'action civile.
4. La société [1] a déposé une requête en rectification d'une erreur matérielle affectant le dispositif civil de cet arrêt.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la requête en rectification d'erreur matérielle présentée le 11 octobre 2021 par la société [1], alors :
« 1°/ que la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans une décision est effectuée par la seule juridiction qui l'a rendue ; qu'elle ne peut être effectuée par le président de cette juridiction, statuant par ordonnance, qu'en cas d'accord des parties sur une telle modalité ; qu'en rejetant une requête à fin de rectification d'erreur matérielle présentée à l'encontre d'un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux sans constater un tel accord, le président de la chambre des appels correctionnels a méconnu l'étendue de sa compétence, excédé ses pouvoirs et violé les articles 710 et 711 du code de procédure pénale ;
2°/ que la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans une décision est effectuée par la seule juridiction qui l'a rendue ; que le président de cette juridiction n'est compétent pour se prononcer, par ordonnance, sur une requête à fin de rectification d'erreur matérielle, que pour le cas où il fait droit à cette requête ; qu'en rejetant la requête présentée à cette fin par la société [1], le président de la chambre des appels correctionnels a méconnu l'étendue de sa compétence, excédé ses pouvoirs et violé les articles 710 et 711 du code de procédure pénale ;
3°/ que le dispositif d'un jugement doit être interprété par les motifs auxquels il s'unit et dont il est la conséquence, un défaut de concordance entre le dispositif et les motifs, résultant d'une erreur purement matérielle, devant être réparé selon la procédure de l'article 710 du code de procédure pénale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel avait renvoyé la société [1] des fins de la poursuite (arrêt, p. 10), avant de confirmer, dans le dispositif de sa décision, le jugement entrepris l'ayant déclarée civilement responsable à l'égard de la partie civile avec les autres prévenus (id., p. 15) ; que la recevabilité de l'action de la partie civile à l'égard de celle-ci était toutefois exclue compte tenu d'une telle décision de relaxe ; qu'en rejetant pourtant la requête en rectification de la société [1], s'agissant d'une erreur matérielle flagrante, le premier président s'est contredit et a violé les articles 593, 710 et 711 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
Vu les articles 710 et 711 du code de procédure pénale :
6. Il se déduit de ces textes que le président de la juridiction qui a prononcé la sentence qui fait l'objet d'une demande de rectification d'erreur matérielle
ne peut prononcer, sans audience, par ordonnance, qu'avec l'accord des parties.
7. En statuant, sans audience, par ordonnance, sur une demande de rectification d'erreur matérielle sans constater l'accord des parties, le président de la chambre correctionnelle a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
8. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 14 mars 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille vingt-trois. | Il se déduit des articles 710 et 711 du code de procédure pénale que le président de la juridiction qui a prononcé la sentence qui fait l'objet d'une demande de rectification d'erreur matérielle ne peut prononcer, sans audience, par ordonnance, qu'avec l'accord des parties.
Encourt la cassation l'ordonnance du président d'une chambre correctionnelle qui statue, sans audience, sur une demande de rectification d'erreur matérielle sans constater l'accord des parties |
8,554 | N° F 22-83.399 F-B
N° 00107
MAS2
31 JANVIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 JANVIER 2023
M. [T] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 10 mars 2022, qui, pour complicité d'exercice illégal de la médecine, l'a condamné à 30 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction professionnelle et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire personnel et un mémoire en défense ont été produits.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat du conseil départemental des Alpes-Maritimes de l'ordre des médecins, du conseil départemental de l'ordre des médecins de La Réunion et de Mayotte et du syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une enquête a été ouverte, sur plainte de quatre personnes, pour des lésions apparues à l'occasion d'actes soit de cryolipolyse, soit de micro-needling prodigués dans des centres de soins esthétiques créés par M. [T] [S] et gérés par Mme [Y] [G].
3. A l'issue des investigations, M. [S] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de complicité de l'exercice illégal de la médecine reproché à Mme [G], pour avoir notamment dispensé des formations relatives à ces actes et fourni du matériel nécessaire pour les pratiquer.
4. Les juges du premier degré l'ont déclaré coupable pour les faits portant sur les actes de micro-needling, l'ont relaxé pour les faits relatifs à la cryolipolyse et ont prononcé sur les intérêts civils.
5. Le prévenu, une partie civile et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [S] coupable dans les termes de la prévention, alors :
1°/ que seuls les actes à visée curative, et non simplement à visée esthétique, peuvent être qualifiés d'actes médicaux ; qu'en retenant que la cryolipolyse réalisée par une machine débridée constitue un acte médical, la cour d'appel a violé l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 ;
2°/ que l'acte médical au sens du 6° de l'article 2 de l'arrêté précité est un acte effectué avec un matériel qui est destiné à une abrasion ; qu'en retenant que l'acte de micro-needling constitue un acte médical, alors que le matériel utilisé ne pouvait engendrer l'abrasion des téguments, la cour d'appel a violé l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962.
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
8. Pour infirmer le jugement et déclarer le prévenu coupable de complicité d'exercice illégal de la médecine, l'arrêt attaqué énonce, s'agissant de la cryolipolyse, qu'elle consiste en une action destinée à réduire la cellulite et à détruire les tissus adipeux par l'application, sur les adipocytes, qui constituent les cellules graisseuses du tissu sous-cutané, d'un froid auquel elles sont très sensibles, sans risque de détérioration des tissus adjacents.
9. Les juges ajoutent que le prévenu a reconnu s'être rendu compte que l'appareil qu'il avait vendu à la gérante des centres de soins esthétiques où était pratiquée cette méthode était un appareil réservé aux médecins qui n'avait pas été bridé.
10. Ils précisent qu'une cliente a constaté, le soir même des soins, l'apparition de tâches rougeâtres, de gonflements et de cloques, et que, selon le médecin expert, elle a subi, sur la zone d'application des ventouses, des lésions cutanées consistant en des brûlures de deuxième degré ayant causé des cicatrices de 8 sur 4 centimètres.
11. La cour d'appel en conclut que le prévenu, en vendant, en sa qualité de professionnel averti et de médecin spécialiste, en tant que franchiseur, une machine de cryolipolyse non bridée, réservée aux médecins, et en assurant, par ses actions de formation, son utilisation par des professionnels d'instituts d'esthétique, a permis à ces derniers de procéder à un refroidissement accru des adipocytes constitutif d'une cryothérapie réservée aux médecins par l'article 4 de l'arrêté du 6 janvier 1962.
12. En se déterminant ainsi, par des motifs qui établissent que le prévenu s'est rendu complice d'actes de physiothérapie effectués par des personnes non titulaires d'un doctorat en médecine, aboutissant à la destruction des téguments et entrant, comme tels, dans les prévisions dudit arrêté, peu important que ces actes n'aient poursuivi qu'un objectif esthétique, la cour d'appel a justifié sa décision.
13. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
14. Pour déclarer le prévenu coupable de complicité d'exercice illégal de la médecine, l'arrêt attaqué énonce, s'agissant du micro-needling, qu'il s'agit d'une technique qui consiste à réaliser, dans les différentes couches du derme, des micro-perforations à des profondeurs et vitesses variées, pour stimuler la synthèse des fibroblastes, responsables de la qualité de la peau, afin qu'ils produisent élastine et collagène. Il souligne qu'il peut en résulter des saignements en cas de traitement en profondeur.
15. Les juges ajoutent que les plaquettes publicitaires des centres de soins esthétiques, corroborées par les déclarations des employées de ces établissements, précisaient que la perforation répétée pouvait atteindre jusqu'à 3 mm, ce qui conduisait nécessairement à une action abrasive sur la peau.
16. Ils retiennent que des zones de brûlure sur le visage ont été constatées par l'expert sur deux personnes, dont l'une présentait des cicatrices correspondant à une brûlure du deuxième degré avec desquamation du front et des pommettes.
17. Ils soulignent que les phénomènes de pelage décrits par les victimes et habituellement constatés à l'issue des séances, tout comme les déclarations de la gérante des établissements, lesquelles font état de rougeurs en surface aboutissant parfois à des croutelles et d'un processus de cicatrisation, témoignent de cet effet abrasif découlant de l'usage d'un stylo électrique micro-perforant.
18. Ils précisent que l'usage de ce stylo a pu occasionner des effusions de sang au sens des dispositions de l'arrêté du 6 janvier 1962, ce qui s'entend d'une fuite de liquide sanguin à travers les parois d'un vaisseau sanguin vers le tissu, sans notion de quantité de sang écoulé, et relèvent que l'emploi, dans l'arrêté, du terme « susceptible » implique qu'il n'est pas nécessaire qu'il y ait systématiquement saignement, le simple fait que cet usage puisse y conduire étant suffisant.
19. Ils constatent encore que le fait d'enfoncer dans le derme des aiguilles, même de petite taille, est susceptible de provoquer une fuite de liquide sanguin vers les tissus, la possibilité de saignement dépendant des caractéristiques physiologiques de la peau ainsi que de la profondeur de pénétration des aiguilles qui, en l'espèce, pénétraient le derme de manière plus profonde que les derma-rollers avec lesquels le prévenu a entretenu la confusion.
20. La cour d'appel en déduit que cette nouvelle technique entre dans les prévisions de l'arrêté du 6 janvier 1962, même si elle n'y est pas spécifiquement dénommée.
21. Elle en conclut que, par ses actions de formation et la vente de stylos perforants dont l'usage relevait d'actes réservés aux médecins, puis par l'apport de son expertise de médecin pour le suivi des clientes présentant des dommages, le prévenu a, dans un but uniquement commercial, commis le délit de complicité d'exercice illégal de la médecine.
22. En statuant ainsi, par des motifs qui relèvent de son appréciation souveraine et établissent l'exécution, par des personnes non titulaires d'un doctorat en médecine, d'actes d'abrasion instrumentale des téguments à l'aide d'un matériel susceptible de provoquer l'effusion du sang, dont le prévenu s'est rendu complice, la cour d'appel a justifié sa décision.
23. En effet, l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 réserve la pratique de tels actes aux docteurs en médecine, sans exiger que le matériel utilisé soit destiné à l'abrasion des téguments et agisse exclusivement par rabotage, meulage ou fraisage.
24. Dès lors, le moyen doit être écarté.
25. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que M. [T] [S] devra payer aux parties représentées par la SCP Melka-Prigent-Drusch, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à autre application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille vingt-trois. | Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer un prévenu coupable de complicité d'exercice illégal de la médecine, caractérise l'aide ou l'assistance qu'il a apportée à des actes de cryolipolyse constitutifs d'actes de physiothérapie effectués par des personnes non titulaires d'un doctorat en médecine, aboutissant à la destruction des téguments et entrant, comme tels, dans les prévisions de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 qui en réserve l'exécution aux docteurs en médecine, peu important que ces actes n'aient poursuivi qu'un objectif esthétique |
8,555 | N° H 22-82.917 F-B
N° 00110
MAS2
31 JANVIER 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 JANVIER 2023
M. [B] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 24 mars 2022, qui, pour blessures involontaires aggravées et conduite sans assurance en récidive, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement, 500 euros d'amende et l'annulation de son permis de conduire, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [B] [Y], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le tribunal correctionnel a condamné M. [B] [Y], notamment, pour blessures involontaires avec incapacité n'excédant pas trois mois par conducteur de véhicule terrestre à moteur avec au moins deux circonstances aggravantes et a prononcé sur les intérêts civils.
3. La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme (CPAM) est intervenue à la procédure.
4. M. [Y] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen du mémoire ampliatif et le moyen relevé d'office et mis dans le débat
Enoncé des moyens
6. Le troisième moyen du mémoire ampliatif critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris sur l'action civile, alors « que seul peut être indemnisé le préjudice direct et personnel résultant des faits objet de la poursuite ; qu'en confirmant le jugement ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de la CPAM du Puy-de-Dôme et ayant déclaré Monsieur [Y] responsable de son préjudice (arrêt, p. 10), sans expliquer en quoi le préjudice invoqué par la CPAM du Puy-de-Dôme était en lien avec le délit de blessures involontaires reproché au prévenu, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1240 du code civil, 2, 3 et 593 du code de procédure pénale. »
7. Le moyen relevé d'office et mis dans le débat est pris de la violation des articles 2 et 418 du code de procédure pénale et L. 376-1 du code de la sécurité sociale et critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré recevable la constitution de partie civile de la CPAM, alors qu'un organisme social agissant en qualité d'assureur social subrogeant la victime d'une infraction peut intervenir à la procédure afin d'obtenir le remboursement des prestations qu'il a versées, mais ne peut se constituer partie civile.
Réponse de la Cour
8. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 2 et 418 du code de procédure pénale et L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale :
9. Selon le premier de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
10. Selon le deuxième, toute personne qui, conformément à l'article 2 précité, prétend avoir été lésée par un délit, peut, si elle ne l'a déjà fait, se constituer partie civile à l'audience et demander à l'appui de sa constitution des dommages-intérêts correspondant au préjudice qui lui a été causé.
11. Selon le troisième, d'une part, les caisses de sécurité sociale exercent des recours subrogatoires qui s'imputent poste par poste sur les seules indemnités réparant des préjudices qu'elles ont pris en charge, d'autre part, les assurés ou leurs ayants droit doivent appeler les caisses de sécurité sociale en déclaration de jugement commun ou réciproquement. Dans le cadre d'une procédure pénale, la déclaration en jugement commun ou l'intervention des caisses de sécurité sociale peut intervenir après les réquisitions du ministère public, dès lors que l'assuré s'est constitué partie civile et qu'il n'a pas été statué sur le fond de ses demandes.
12. Il s'en déduit que lorsqu'elles exercent l'action subrogatoire prévue par les dispositions ci-dessus rappelées dans le cadre d'une procédure pénale, l'intervention des caisses de sécurité sociale est fondée uniquement sur l'action accordée à la victime de l'infraction par le code de procédure pénale. A cette occasion, elles ne formulent donc pas des demandes indemnitaires en réparation d'un dommage dont elles ont personnellement souffert et qui a été directement causé par l'infraction, mais cherchent à obtenir des auteurs de celle-ci le remboursement des prestations qu'elles ont versées à leurs assurés. Elles ne peuvent dès lors se constituer partie civile, droit réservé aux victimes.
13. Pour confirmer le jugement qui a prononcé sur les intérêts civils, l'arrêt attaqué énonce par motifs expressément adoptés qu'il convient de déclarer recevable la constitution de partie civile de la CPAM et de condamner M. [Y] à lui verser, en cette qualité, les sommes de 50 113,56 euros, à titre d'indemnité provisionnelle au titre des prestations qu'elle a servies à la victime, 1 091 euros en application de l'article L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale et 600 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
15. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la constitution de partie civile de la CPAM et les déclarations et condamnations prononcées à ce titre. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Besançon, en date du 24 mars 2022, mais en ses seules dispositions ayant déclaré la constitution de partie civile de la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme recevable et M. [Y] responsable de son préjudice et l'ayant condamné à verser à la caisse en sa qualité de partie civile la somme de 50 113,56 euros à titre d'indemnité provisionnelle, la somme de 1 091 euros en application des dispositions de l'article L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale et la somme de 600 euros en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Besançon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille vingt-trois. | Il se déduit des articles 2 et 418 du code de procédure pénale et L. 376-1, alinéa 9, du code de la sécurité sociale que, lorsqu'elles exercent l'action subrogatoire dans le cadre d'une procédure pénale, l'intervention des caisses de sécurité sociale est fondée uniquement sur l'action accordée à la victime de l'infraction par le code de procédure pénale. A cette occasion, elles ne formulent donc pas des demandes indemnitaires en réparation d'un dommage dont elles ont personnellement souffert et qui a été directement causé par l'infraction, mais cherchent à obtenir de leurs auteurs le remboursement des prestations qu'elles ont versées aux assurés. Elles ne peuvent dès lors se constituer partie civile, droit réservé aux victimes |
8,556 | N° X 22-83.368 F-B
N° 00111
MAS2
31 JANVIER 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 JANVIER 2023
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 18 novembre 2021, qui, pour contravention au code de la voirie routière, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société [1], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat du conseil départemental de La Réunion, et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Sur citation directe du conseil départemental de La Réunion, le tribunal de police a condamné la société [1] (la société) à 1 000 euros d'amende avec sursis pour la contravention au code de la voirie routière d'occupation du domaine public routier non autorisée et non conforme à sa destination et a prononcé sur les intérêts civils.
3. La société et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, alors :
« 1°/ que la méconnaissance du principe non bis in idem ne constitue pas une exception de nullité devant être présentée avant toute défense au fond ; qu'elle peut être présentée à tout moment de la procédure, y compris pour la première fois en cause d'appel ; qu'en écartant toute méconnaissance du principe non bis in idem aux motifs que ce moyen n'avait pas été soulevé en première instance, quand une telle exception pouvait être invoquée à tout moment de la procédure, la cour d'appel a violé les articles 385 et 522 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'exception prise de la violation du principe non bis in idem est un moyen d'ordre public qui peut être soulevé à tout moment de la procédure en cas de poursuites successives, y compris pour la première fois en cause d'appel ; qu'en l'espèce, la société [1] faisait valoir que le principe non bis in idem était méconnu dès lors qu'à la suite de la citation directe délivrée à son encontre et postérieurement au jugement du 12 mars 2021, M. [X] [V], son gérant, avait été convoqué le 28 juillet 2021 à une audience du tribunal de police de Saint-Denis de La Réunion pour avoir, sans autorisation préalable et d'une façon non conforme à sa destination,
occupé le domaine public routier ou ses dépendances, faits prévus par les articles R. 116-2, 3°, et L. 111-1 du code de la voirie routière et réprimés par l'article R. 116-2 du même code, et pour lesquels la société [1] avait été poursuivie et condamnée en première instance ; qu'en jugeant, pour écarter ce moyen, que « cet élément n'a pas été soulevé en première instance et doit donc être rejeté comme ayant dû être soulevé en première instance », quand il pouvait être invoqué à tout moment s'agissant de poursuites successives, la cour d'appel a violé le principe susvisé et les articles 385 et 522 du code de procédure pénale ;
3°/ que le principe tenant au respect des droits de la défense et le principe de la contradiction supposent de mettre la personne poursuivie à même de présenter ses moyens de défense, et ce de manière utile et adéquate ; qu'en l'espèce, la société [1] faisait valoir que le principe non bis in idem était méconnu dès lors qu'à la suite de la citation directe délivrée à son encontre et postérieurement au jugement du 12 mars 2021, M. [X] [V], son gérant, avait été convoqué le 28 juillet 2021 à une audience du tribunal de police de Saint-Denis de La Réunion pour avoir, sans autorisation préalable et d'une façon non conforme à sa destination, occupé le domaine public routier ou ses dépendances, faits prévus par les articles R. 116-2, 3°, et L. 111-1 du code de la voirie routière et réprimés par l'article R. 116-2 du même code, et pour lesquels la société [1] avait été poursuivie et condamnée en première instance ; qu'en jugeant, pour écarter ce moyen, que « cet élément n'a pas été soulevé en première instance et doit donc être rejeté comme ayant dû être soulevé en première instance », quand la convocation de M. [X] [V] devant le tribunal de police, pour les mêmes faits, était postérieure au jugement du 12 mars 2021 ayant condamné la société [1] et n'avait donc pu être utilement invoquée en première instance, la cour d'appel a violé les articles 385 et 522 du code de procédure pénale, l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. Pour écarter le moyen tiré de l'application du principe ne bis in idem, l'arrêt attaqué énonce que celui-ci n'a pas été soulevé en première instance et doit donc être rejeté.
6. C'est à juste titre que le moyen relève que la cour d'appel ne pouvait opposer à la société la circonstance qu'elle n'avait pas soulevé la violation de ce principe devant le premier juge.
7. En effet, alors que la société invoquait la circonstance que, postérieurement à la citation directe qui lui a été délivrée le 28 juillet 2020 par le conseil départemental de La Réunion, une convocation par officier de police judiciaire a été remise à M. [V] [X], son gérant, le 28 juillet 2021, pour les mêmes faits, il appartenait à la cour d'appel de répondre à ce moyen, que la société ne pouvait présenter devant le tribunal de police, dont le jugement a été rendu avant cette seconde convocation.
8. La Cour de cassation, cependant, a le pouvoir de substituer un motif de pur droit à un motif erroné ou inopérant sur lequel se fonde la décision attaquée et de justifier ainsi ladite décision, dès lors que ledit motif a été mis dans le débat.
9. Elle est en mesure de dire, dans la présente espèce, que le moyen tiré de la violation du principe ne bis in idem n'est pas fondé.
10. En effet, en application des dispositions de l'article 121-2 du code pénal, la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits.
11. Dès lors, c'est sans méconnaître ce principe que les faits ayant donné lieu aux procès-verbaux relevant des infractions à l'article R. 116-2 du code de la voirie routière, ont pu donner lieu à la citation directe de la société par le conseil départemental de La Réunion devant le tribunal de police et à la convocation de son gérant par officier de police judiciaire devant la même juridiction.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, alors « que l'action publique des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été constatée ; que cette règle de prescription s'applique à l'action publique visant à faire sanctionner pénalement les infractions à la conservation du domaine public routier ; qu'en l'espèce, la société [1] faisait valoir que l'action publique engagée à son encontre, qui visait des faits constatés le 1er juin 2018 et le 7 août 2019, était prescrite à la date de délivrance de la citation directe, soit le 28 juillet 2020 ; qu'en jugeant qu'il résultait de l'article L. 116-6 du code de la voirie routière que l'action en réparation de l'atteinte portée au domaine public est imprescriptible, pour en déduire que l'exception tirée de la prescription de l'action devait être rejetée, quand les dispositions de cet article ne visent que l'action en réparation et non l'action publique consistant à faire sanctionner des infractions à la conservation du domaine public routier, la cour d'appel a violé l'article 9 du code de procédure pénale ainsi que l'article L. 116-6 du code de la voirie routière. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 9 du code de procédure pénale et L. 116-6 du code de la voirie routière :
14. Selon le premier de ces textes, en matière de contravention, l'action publique se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise si, dans cet intervalle, il n'a été effectué aucun acte d'instruction ou de poursuite.
15. Selon le second, l'action en réparation de l'atteinte portée au domaine public routier est imprescriptible.
16. Il en résulte que, si les auteurs ou les personnes civilement responsables peuvent être condamnés à la réparation du dommage causé, quel que soit le temps écoulé depuis le fait constitutif de la contravention de voirie routière, cette contravention se prescrit selon les dispositions de l'article 9 du code de procédure pénale.
17. Pour rejeter l'exception tendant à la prescription de l'action publique et confirmer la déclaration de culpabilité de la société, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de l'article L. 116-6 du code de la voirie routière que l'action en réparation de l'atteinte portée au domaine public routier est imprescriptible.
18. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
20. La cassation à intervenir ne concerne que la déclaration de culpabilité pour les faits antérieurs au 28 juillet 2019, susceptibles d'être prescrits en l'absence d'actes interruptifs, la peine et les intérêts civils. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 18 novembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux faits commis par la société [1] avant le 28 juillet 2019 ainsi qu'à la peine et aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille vingt-trois. | Il résulte des articles 9 du code de procédure pénale, selon lequel en matière de contravention, l'action publique se prescrit par une année révolue à compter du jour où l'infraction a été commise si, dans cet intervalle, il n'a été effectué aucun acte d'instruction ou de poursuite et L. 116-6 du code de la voirie routière, selon lequel l'action en réparation de l'atteinte portée au domaine public routier est imprescriptible, que, si les auteurs ou les personnes civilement responsables peuvent être condamnés à la réparation du dommage causé, quel que soit le temps écoulé depuis le fait constitutif de la contravention de voirie routière, cette contravention se prescrit selon les dispositions de l'article 9 du code de procédure pénale.
Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, pour rejeter l'exception tendant à la prescription de l'action publique, énonce qu'il résulte de l'article L. 116-6 du code de la voirie routière que l'action en réparation de l'atteinte portée au domaine public routier est imprescriptible |
8,557 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 82 F-B
Pourvoi n° T 20-22.176
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER FÉVRIER 2023
1°/ M. [S] [N], domicilié [Adresse 3], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de [O] [N],
2°/ [O] [D], épouse [N], ayant été domiciliée [Adresse 3], décédée,
3°/ Mme [K] [N], domiciliée [Adresse 5],
4°/ Mme [T] [N], domiciliée [Adresse 4],
5°/ M. [P] [N], domicilié [Adresse 6],
tous trois pris en qualité d'héritiers de [O] [N],
ont formé le pourvoi n° T 20-22.176 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2020 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Domofinance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Sweetcom, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
3°/ à la société Ekip', société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sweetcom,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de MM. [S] et [P] [N], de [O] [D] et de Mmes [K] et [T] [N], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Domofinance, et l'avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à MM. [S] et [P] [N] et à Mmes [K] et [T] [N] en leurs qualités respectives de conjoint survivant et d'héritiers de [O] [D] épouse [N], décédée le 6 janvier 2021, de leur reprise d'instance.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 3 juin 2020), le 17 juillet 2014, à la suite d'un démarchage à domicile, M. [N] et son épouse [O] [D] (les acquéreurs) ont acquis de la société Sweetcom (le vendeur) une pompe à chaleur et un chauffe-eau thermodynamique financés par un crédit souscrit auprès de la société Domofinance (la banque).
3. Invoquant l'irrégularité du bon de commande et une absence de réalisation des économies annoncées, les acquéreurs ont assigné le vendeur et la banque en annulation des contrats de vente et de crédit affecté et en indemnisation.
4. Le vendeur a été placé en liquidation judiciaire, la société EKIP' étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [N], agissant en son nom personnel et en sa qualité d'ayant droit de [O] [D] son épouse, Mmes [K] et [T] [N] et M. [P] [N], agissant en leurs qualités d'héritiers de [O] [D], font grief à l'arrêt de rejeter les demandes formées par les emprunteurs, alors « qu'il appartient au professionnel de rapporter la preuve de la régularité du contrat conclu avec un consommateur à la suite d'un démarchage à domicile ; qu'il lui incombe donc de produire un bon de commande complet comportant les mentions informatives requises à peine de nullité par les anciens articles L. 121-18 et suivants du code de la consommation dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; qu'en affirmant, pour débouter les emprunteurs de leur demande en nullité de la vente et du contrat de crédit qui en était l'accessoire, qu'ils avaient produit une copie incomplète du bon de commande qui ne permettait pas de vérifier la conformité du contrat au code de la consommation, quand il appartenait au vendeur de rapporter la preuve de la régularité du bon de commande par la production d'un document complet comportant toutes les mentions requises par les dispositions précitées du code de la consommation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'ancien article 1315 devenu l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 121-17, III, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
7. Il résulte de ces textes que la charge de la preuve de l'accomplissement par le professionnel des obligations légales d'information mises à sa charge à l'occasion de la conclusion d'un contrat hors établissement pèse sur celui-ci.
8. Il lui incombe dès lors de rapporter la preuve de la régularité d'un tel contrat au regard des mentions légales devant y figurer à peine de nullité.
9. Pour rejeter la demande d'annulation des contrats de vente et de crédit affecté, l'arrêt retient que les acquéreurs ne produisent qu'une copie incomplète du contrat de vente et qu'ainsi la cour n'est pas en mesure de vérifier si le contrat est conforme au code de la consommation.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Domofinance et la société Sweetcom, représentée par la société Ekip' prise en sa qualité de liquidateur judiciaire, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Domofinance et la condamne à payer à M. [N], agissant en son nom personnel et en sa qualité d'ayant droit de [O] [D] son épouse, à Mmes [K] et [T] [N] et à M. [P] [N], agissant en leurs qualités d'héritiers de [O] [D], la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour MM. [S] et [P] [N], Mmes [K] et [T] [N] et [O] [D].
Les consorts [N] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté M. et Mme [N] de leurs demandes d'annulation de la vente et du prêt conclus le 17 juillet 2014 ainsi que de leurs demandes indemnitaires ;
1. ALORS QU'il appartient au professionnel de rapporter la preuve de la régularité du contrat conclu avec un consommateur à la suite d'un démarchage à domicile ; qu'il lui incombe donc de produire un bon de commande complet comportant les mentions informatives requises à peine de nullité par les anciens articles L. 121-18 et suivants du code de la consommation dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; qu'en affirmant, pour débouter M. et Mme [N] de leur demande en nullité de la vente et du contrat de crédit qui en était l'accessoire, qu'ils avaient produit une copie incomplète du bon de commande qui ne permettait pas de vérifier la conformité du contrat au code de la consommation, quand il appartenait à la société SWEETCOM de rapporter la preuve de la régularité du bon de commande par la production d'un document complet comportant toutes les mentions requises par les dispositions précitées du code de la consommation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'ancien article 1315 devenu l'article 1353 du code civil ;
2. ALORS QUE la conformité du bon de commande au code de la consommation ne résulte pas de la seule mention de la remise d'un document qui comporte au verso les conditions générales reprenant les dispositions du code de la consommation et qui est doté d'un formulaire détachable de rétractation ; qu'en se déterminant d'après une telle mention pour débouter M. et Mme [N] de leur action en nullité du contrat de vente et du contrat de crédit qui en était l'accessoire, quand elle ne constituait qu'un indice qu'il incombait au vendeur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires, la cour d'appel a violé l'ancien article 1315 devenu l'article 1353 du code civil ;
3. ALORS QUE sont présumées irréfragablement abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet d'« imposer au consommateur, la charge de la preuve qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l'autre partie au contrat » ; qu'il s'ensuit que doit être réputée non écrite, la clause de reconnaissance de l'exécution de ses obligations par le vendeur qui opère un renversement de la charge de la preuve au détriment du consommateur ; qu'en se déterminant d'après la clause d'un bon de commande incomplet mentionnant la remise d'un document qui comporte au verso les conditions générales reprenant les dispositions du code de la consommation et qui est doté d'un formulaire détachable de rétractation, quand elle opérait un renversement de la charge de la preuve au détriment du consommateur et devait donc être réputée non écrite, la cour d'appel a violé l'article R. 212-1, 2°, du code de la consommation, ensemble l'ancien article 1315, devenu l'article 1353, du code civil.
Le greffier de chambre | Il résulte des articles L. 121-17, III, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et 1315, devenu 1353, du code civil que la charge de la preuve de l'accomplissement par le professionnel des obligations légales d'information mises à sa charge à l'occasion de la conclusion d'un contrat hors établissement pèse sur celui-ci. Il lui incombe dès lors de rapporter la preuve de la régularité d'un tel contrat au regard des mentions légales devant y figurer à peine de nullité.
Inverse la charge de la preuve une cour d'appel qui rejette une demande d'annulation de contrats de vente et de crédit affecté formée par les acquéreurs aux motifs que ceux-ci ne produisent qu'une copie incomplète du contrat de vente et qu'elle n'est pas en mesure de vérifier si ce contrat était conforme au code de la consommation |
8,558 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 86 F-B
Pourvoi n° W 21-13.029
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER FÉVRIER 2023
Mme [Y] [M], domiciliée [Adresse 2] (Italie), a formé le pourvoi n° W 21-13.029 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant à la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de Mme [M], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 6 janvier 2021), suivant lettre de voiture du 20 septembre 2017, Mme [M] a confié à la société d'exploitation des déménagements de Petriconi (la société de Petriconi) le déménagement de son mobilier jusqu'au garde-meubles de cette entreprise.
2. En raison du non-paiement de la facture, la société de Petriconi a refusé à Mme [M] l'accès à son mobilier afin d'en vérifier l'état après son transfert.
3. Elle a assigné Mme [M] en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [M] fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société de Petriconi la somme de 4 500 euros à titre de paiement du prix du contrat de déménagement, avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2018, de prononcer la résolution judiciaire du contrat de garde-meubles,et de la condamner à verser à la société de Petriconi la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour le retard relatif à l'inexécution du contrat de déménagement et la somme de 150 euros par mois à compter du 27 septembre 2017 au jour où les meubles seront retirés, à titre de dommages-intérêts pour la conservation du mobilier en garde-meubles, alors « que l'exécution du contrat de transport ne prend fin qu'à la livraison, laquelle s'entend de la remise physique de la marchandise au client ou à son représentant, qu'elle ait lieu au domicile du client ou au garde-meubles du transporteur ; que pour condamner Mme [M], l'arrêt retient qu'elle était absente le jour de la livraison et que le contrat de déménagement a pris fin par le dépôt au garde-meubles de la société de Petriconi ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'en l'absence de Mme [M], aucune livraison n'avait pu s'effectuer, de sorte que le contrat de déménagement n'avait pas pris fin, la cour a violé l'article L. 224-63 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
5. Vu l'article L. 224-63 du code de la consommation :
6. Il résulte de ce texte que, à peine de forclusion de son action en responsabilité pour avarie, le consommateur peut formuler des réserves à la livraison des objets transportés ou des protestations dans les dix jours de leur réception. La livraison s'entend de la remise physique des biens au destinataire ou à son représentant, qui l'accepte.
7. Pour condamner Mme [M] au paiement du prix, l'arrêt retient que le contrat de déménagement a pris fin par le dépôt en garde-meubles et que, par application des stipulations contractuelles, Mme [M], qui était absente le jour de la livraison et ne s'est pas manifestée dans les dix jours suivants, doit payer la somme convenue dès le dépôt des meubles en garde-meubles et avant d'opposer éventuellement des protestations et réserves.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme [M] n'avait pas été mise en mesure de vérifier l'état de ses biens transportés et, le cas échéant, d'assortir son acceptation de réserves, puis de prendre effectivement possession de la chose livrée, de sorte que la livraison n'était pas intervenue et que le contrat n'avait pas pris fin, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition relative au prix du contrat de déménagement entraîne la cassation de l'ensemble des chefs de dispositif de l'arrêt, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi et la condamne à payer à Mme [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour Mme [M]
Mme [M] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à la SARL De Petriconi la somme de 4 500 euros à titre de paiement du prix du contrat de déménagement, avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2018, d'avoir prononcé la résolution judiciaire du contrat de garde-meubles, de l'avoir condamnée à verser à la SARL De Petriconi la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour le retard relatif à l'inexécution du contrat de déménagement et la somme de 150 euros par mois à compter du 27 septembre 2017 au jour où les meubles seront retirés, à titre de dommages-intérêts pour la conservation du mobilier en garde-meubles ;
1°) Alors que l'exécution du contrat de transport ne prend fin qu'à la livraison, laquelle s'entend de la remise physique de la marchandise au client ou à son représentant, qu'elle ait lieu au domicile du client ou au garde-meubles du transporteur ; que pour condamner Mme [M], l'arrêt retient qu'elle était absente le jour de la livraison et que le contrat de déménagement a pris fin par le dépôt au garde-meubles de la SARL De Petriconi ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'en l'absence de Mme [M], aucune livraison n'avait pu s'effectuer, de sorte que le contrat de déménagement n'avait pas pris fin, la cour a violé l'article L. 224-63 du code de la consommation ;
2°) Alors que la circonstance que le mobilier ait été déposé au garde-meubles du déménageur en l'absence du client ne prive pas ce dernier du droit, lorsqu'il prend livraison de ses biens, de vérifier leur état avant de payer le prix convenu, afin d'être en mesure de décider d'accepter la réception, éventuellement sous réserves, ou de la refuser ; qu'en jugeant que Mme [M] devait, dès le dépôt au garde-meubles de la SARL De Petriconi, réalisé en son absence, payer la somme convenue avant d'opposer éventuellement des réserves, la cour a violé les articles L. 224-63 et R. 212-1 du code de la consommation, ensemble l'article 1217 du code civil ;
3°) Alors que la circonstance que le mobilier ait été déposé au garde-meubles du déménageur en l'absence du client ne prive pas ce dernier du droit, lorsqu'il prend livraison de ses biens, de vérifier leur état avant de payer le prix convenu, afin d'être en mesure de décider d'accepter la réception, éventuellement sous réserves, ou de la refuser ; qu'en jugeant que la SARL De Petriconi était fondée à invoquer son droit de rétention, lequel ne faisait cependant pas obstacle à l'usage, par Mme [M], de son droit de vérification des meubles avant paiement, la cour, qui s'est fondée sur des motifs impropres à caractériser l'obligation de Mme [M] de payer le prix convenu avant de vérifier l'état de ses biens, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 224-63 et R. 212-1 du code de la consommation, ensemble l'article 1217 du code civil ;
4°) Alors qu'en cas de doute, les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs s'interprètent dans le sens le plus favorable au consommateur ; qu'en jugeant qu'il résulte des articles 11 et 17 des conditions générales de vente que Mme [M] devait payer la somme convenue avant d'opposer éventuellement des protestations et réserves, cependant que les conditions générales de vente ne prévoient aucune modalité du paiement du prix convenu et ne précisent pas s'il doit intervenir avant ou après la vérification des meubles, de sorte qu'en présence d'un doute sur ce point, l'interprétation la plus favorable à Mme [M] devait prévaloir, la cour a violé l'article L. 211-1 du code de la consommation ;
5°) Alors que dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal ; qu'en condamnant Mme [M] au paiement d'une somme de 500 euros de dommages et intérêts pour le retard de paiement du contrat de déménagement, après l'avoir déjà condamnée au paiement du principal avec intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure, la cour a violé l'article 1231-6 du code civil.
Le greffier de chambre | Il résulte de l'article L. 224-63 du code de la consommation qu'à peine de forclusion de son action en responsabilité pour avarie, le consommateur peut formuler des réserves à la livraison des objets transportés ou des protestations dans les dix jours de leur réception. La livraison s'entend de la remise physique des biens au destinataire ou à son représentant, qui l'accepte.
Viole ce texte la cour d'appel qui condamne le consommateur à payer le prix de la prestation de déménagement alors qu'il résulte de ses constatations que celui-ci n'a pas été mis en mesure de vérifier l'état de ses biens transportés et, le cas échéant, d'assortir son acceptation de réserves, puis de prendre effectivement possession de la chose livrée, de sorte que la livraison n'était pas intervenue et que le contrat n'avait pas pris fin |
8,559 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 94 FS-B
Pourvoi n° H 20-21.844
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER FÉVRIER 2023
L'ordre des architectes, dont le siège est [Adresse 4], domicilié en cette qualité au Conseil national de l'ordre des architectes, a formé le pourvoi n° H 20-21.844 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'Autorité de la concurrence, dont le siège est [Adresse 1], représentée par sa présidente, en exercice, domiciliée audit siège,
2°/ à M. [Z] [B], domicilié [Adresse 3],
3°/ au ministre de l'économie, des finances et de la relance, domicilié [Adresse 2], représentant la direction générale de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de l'ordre des architectes, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de l'Autorité de la concurrence, représentée par sa présidente, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, conseillers, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2020), par une décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019, l'Autorité de la concurrence, qui s'était saisie d'office de pratiques mises en uvre dans le secteur d'activité des architectes, a sanctionné, sur le fondement des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'ordre des architectes, six sociétés d'architectes et quatre architectes pour avoir mis en uvre des décisions d'association d'entreprises constitutives d'ententes anticoncurrentielles. Ces décisions consistaient, pour la première, à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de plusieurs régions, la seconde, à diffuser un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale contre les architectes pratiquant des prix bas, ces saisines ayant vocation à être déposées et défendues par les conseils régionaux de l'ordre (CROA).
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'ordre des architectes fait grief à l'arrêt de n'annuler la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en uvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, de prononcer une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros contre lui au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision et de rejeter pour le surplus ses autres moyens en annulation et réformation, alors :
« 1°/ qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est seul compétent pour se prononcer sur la conformité au droit de la concurrence d'actes ou de pratiques résultant de l'exercice de prérogatives de puissance publique, y compris lorsqu'un tel exercice apparaît manifestement inapproprié ; qu'en retenant, au contraire, pour justifier la compétence de l'Autorité de la concurrence, que celle-ci pouvait connaître, notamment, des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en uvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
2°/ qu'à supposer que l'usage manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique puisse conférer à l'Autorité de la concurrence une compétence résiduelle pour apprécier si cet usage est constitutif de pratiques anticoncurrentielles, aucun des faits reprochés en l'espèce à l'ordre des architectes ne relève d'un usage de ses prérogatives de puissance publique qui, avec l'évidence requise, peut être qualifié de manifestement inapproprié, de sorte que l'appréciation des pratiques en cause pourrait échapper à la compétence de principe du juge administratif ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
3°/ que le caractère manifestement inapproprié de l'usage de prérogatives de puissance publique ne saurait se déduire de la seule constatation du caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées ; qu'en l'espèce, pour estimer que l'Autorité de la concurrence avait, à juste titre, retenu sa compétence, la cour d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que la procédure avait pour objet de déterminer si l'ordre des architectes avait mis en uvre des pratiques qui, sous couvert d'usage de son pouvoir disciplinaire, tendaient à unifier et à contrôler les prix pratiqués par ses membres, d'autre part, que de telles pratiques constituaient un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique confiées à l'ordre des architectes ; qu'en se prononçant de la sorte, par un motif général impropre à établir le caractère manifestement inapproprié de l'exercice de ses prérogatives de puissance publique par l'ordre des architectes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. L'article 106, § 2 du TFUE dispose :
« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (
) sont soumises aux règles (
) de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».
5. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, si une activité, qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques ou se rattache à l'exercice de prérogatives de puissance publique, échappe à l'application des règles de concurrence du traité, lorsqu'une organisation comme un ordre professionnel n'exerce pas de prérogatives typiques de puissance publique, elle apparaît comme l'organe de régulation d'une profession dont l'exercice constitue, par ailleurs, une activité économique entrant dans le champ d'application du TFUE (CJUE, 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, § 57 et 58).
6. L'article L. 410-1 du code de commerce dispose :
« Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public. »
7. Par un arrêt du 18 octobre 1999 (TC, 18 octobre 1999, Aéroports de Paris, n° 99-03174), le Tribunal des conflits a retenu que, « si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la Concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques. »
8. Il s'ensuit que les personnes publiques qui effectuent des activités de production, de distribution ou de services peuvent être sanctionnées par l'Autorité de la concurrence, sous le contrôle de la cour d'appel de Paris, sauf lorsque les pratiques s'inscrivent dans l'accomplissement de la mission de service public et/ou mettent en uvre des prérogatives de puissance publique pour effectuer les activités en cause.
9. Par un arrêt du 4 mai 2009 (TC, 4 mai 2009, Sté Editions Jean-Paul Gisserot, n° 09-03.714), ce même Tribunal a jugé que si les règles définies au livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et à la concurrence s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public, l'Autorité de la concurrence n'est pas, pour autant, compétente pour sanctionner la méconnaissance des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l'organisation du service public ou mettant en uvre des prérogatives de puissance publique. Il a ensuite retenu que la pratique imputée au Centre des monuments nationaux, établissement public administratif qui exerce une activité de production, de distribution et de services, et consistant, au profit de son propre centre éditorial, à réduire, voire supprimer, les commandes et, partant, les ventes des ouvrages édités et diffusés par la société Jean-Paul Gisserot, objet d'un marché public liant les parties, et susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle, étrangère à l'organisation du service public géré par l'établissement public, ne constitue pas la mise en uvre de prérogatives de puissance publique.
10. Il en résulte que si les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en uvre des prérogatives de puissance publique et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution ou de services au sens de l'article L. 410-1 du code de commerce, entrant dans son champ d'application, ne relèvent pas de la compétence de l'Autorité de la concurrence, il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leur décision hors de cette mission ou ne mettent en uvre aucune prérogative de puissance publique.
11. Après avoir relevé que les pratiques reprochées à l'ordre des architectes d'avoir, d'une part, diffusé et imposé une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de plusieurs régions via ses CROA, d'autre part, diffusé, au plan national, un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale fondée sur le niveau, jugé trop faible, des honoraires pratiqués par un architecte, interviennent dans un secteur, celui des prestations d'architecte, régi par le principe de liberté des prix et dans un cadre, celui des marchés publics, soumis aux règles de la libre concurrence, l'arrêt retient que la procédure a eu pour objet de déterminer si et dans quelle mesure l'ordre des architectes avait concouru à la diffusion de tarifs et de méthodes de calcul des prix et mis en place un système de contrôle des prix généralisé, par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité d'encadrer tant l'offre que la demande en matière de maîtrise d'ouvrage pour la construction d'ouvrages publics dans le sens de consignes tarifaires.
12. De ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que les pratiques en cause ne relevaient pas de la mission de service public confiée à l'ordre des architectes ni des prérogatives de puissance publique qui lui étaient conférées pour cette mission, la cour d'appel, abstraction faite du motif erroné, critiqué par la première branche du moyen, a exactement déduit que l'Autorité de la concurrence était compétente pour les poursuivre et les sanctionner.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
14. L'ordre des architectes fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le CNOA et les CROA, qui disposent de tous les attributs de la personnalité juridique, sont dotés chacun, individuellement et indépendamment de l'ordre des architectes, de la personnalité juridique ; qu'en retenant que seul l'ordre des architectes disposait de la personnalité morale pour en déduire que l'Autorité de la concurrence avait pu légalement imputer les pratiques litigieuses à l'ordre des architectes lui-même, la cour d'appel a violé les articles 26 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 et 36 et 37 du décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977, ensemble les articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
2°/ que les infractions au droit de la concurrence doivent être imputées à l'entité juridique responsable au sens du droit de la concurrence et susceptible de se voir infliger une sanction ; que la cour d'appel s'est bornée, en l'espèce, à relever que l'ordre des architectes avait la personnalité morale et que le CNOA et les CROA n'en étaient que des démembrements pour imputer à l'ordre des architectes lui-même les pratiques litigeuses, dont il n'est pourtant pas contesté qu'elles auraient été matériellement mises en uvre respectivement par le CNOA et par chacun des quatre CROA en cause ; qu'en se prononçant de la sorte, par des motifs impropres à justifier en quoi le CNOA et les CROA en cause ne pouvaient être tenus pour responsables des pratiques litigieuses au sens du droit de la concurrence ni comme étant aptes à se voir infliger une sanction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
3°/ que si l'Autorité de la concurrence peut choisir de ne poursuivre que certaines des différentes personnes responsables d'une même infraction, il résulte du principe de responsabilité personnelle, qu'elle ne peut imputer de griefs qu'à une entité qui en est responsable, au sens du droit de la concurrence, sans marge d'appréciation ; qu'en retenant, au contraire, que l'Autorité de la concurrence disposait d'une marge d'appréciation qui lui permettait en l'espèce de choisir, en opportunité, qui de l'ordre des architectes ou du CNOA et des CROA mis en cause elle souhaitait poursuivre pour les pratiques prétendument mises en uvre par ces derniers, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
4°/ qu'en relevant que l'Autorité de la concurrence pouvait choisir la personne morale qu'elle entendait poursuivre et qu'elle avait pu, en l'espèce, choisir d'imputer les faits au seul ordre des architectes, la cour d'appel a, implicitement mais nécessairement, admis que le CNOA et les CROA pouvaient, au même titre que l'ordre des architectes, être des personnes juridiques responsables ; qu'en se prononçant ainsi tout en énonçant par ailleurs que seul l'ordre des architectes disposait de la personnalité morale de sorte que les infractions devaient lui être imputées, la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Selon l'article 21 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, l'ordre des architectes, constitué par les architectes remplissant les conditions fixées par cette loi, a la personnalité morale et l'autonomie financière.
16. Il résulte des articles 22, 23, 25 et 26 de cette même loi qu'il est institué, dans chaque région, un conseil régional de l'ordre des architectes (CROA), qui assure la tenue du tableau régional des architectes, et un conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), qui coordonne l'action des CROA.
17. Selon l'article 26, le CNOA et les CROA concourent à la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics. Ils ont qualité pour agir en justice en vue notamment de la protection du titre d'architecte et du respect des droits conférés et des obligations imposées aux architectes par la présente loi. Ils peuvent concourir à l'organisation de la formation permanente et de la promotion sociale et au financement d'organismes intéressant la profession.
18. En premier lieu, c'est à bon droit que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a déduit de la combinaison de ces textes que l'ordre des architectes était la seule entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, tandis que le CNOA et les CROA ne sont ni totalement indépendants de cet ordre ni totalement autonomes entre eux, mais sont des organes décisionnels et opérationnels de celui-ci.
19. En second lieu, ayant énoncé à bon droit que l'Autorité de la concurrence dispose d'une marge d'appréciation quant à l'entité qu'elle entend poursuivre, c'est sans se contredire que la cour d'appel a exactement retenu, par motifs propres et adoptés, que l'Autorité pouvait décider de ne retenir que la seule responsabilité de l'ordre, unique entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, en raison de la dimension nationale des pratiques et du fait que ces dernières avaient été mises en uvre par ses composantes que sont le CNOA et les CROA, de sorte qu'il devait être tenu pour responsable de I'infraction en cause en sa qualité d'auteur.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'ordre des architectes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'ordre des architectes et le condamne à payer à la présidente de l'Autorité de la concurrence la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour l'ordre des architectes.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
(Sur l'incompétence de l'Autorité de la concurrence)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est seul compétent pour se prononcer sur la conformité au droit de la concurrence d'actes ou de pratiques résultant de l'exercice de prérogatives de puissance publique, y compris lorsqu'un tel exercice apparaît manifestement inapproprié ; qu'en retenant, au contraire, pour justifier la compétence de l'Autorité de la concurrence, que celle-ci pouvait connaître, notamment, des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en oeuvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public (arrêt, p. 10 § 29), la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
2° Alors, subsidiairement, qu'à supposer que l'usage manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique puisse conférer à l'Autorité de la concurrence une compétence résiduelle pour apprécier si cet usage est constitutif de pratiques anticoncurrentielles, aucun des faits reprochés en l'espèce à l'Ordre des architectes ne relève d'un usage de ses prérogatives de puissance publique qui, avec l'évidence requise, peut être qualifié de manifestement inapproprié, de sorte que l'appréciation des pratiques en cause pourrait échapper à la compétence de principe du juge administratif ; qu'en retenant le contraire (arrêt, p. 10 §§ 32-35), la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
3° Alors, en tout état de cause, que le caractère manifestement inapproprié de l'usage de prérogatives de puissance publique ne saurait se déduire de la seule constatation du caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées ; qu'en l'espèce, pour estimer que l'Autorité de la concurrence avait, à juste titre, retenu sa compétence, la cour d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que la procédure avait pour objet de déterminer si l'Ordre des architectes avait mis en oeuvre des pratiques qui, sous couvert d'usage de son pouvoir disciplinaire, tendaient à unifier et à contrôler les prix pratiqués par ses membres, d'autre part, que de telles pratiques constituaient un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique confiées à l'Ordre des architectes ; qu'en se prononçant de la sorte, par un motif général impropre à établir le caractère manifestement inapproprié de l'exercice de ses prérogatives de puissance publique par l'Ordre des architectes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
(sur l'imputation des pratiques à l'Ordre des architectes)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors que le CNOA et les CROA, qui disposent des tous les attributs de la personnalité juridique, sont dotés chacun, individuellement et indépendamment de l'Ordre des architectes, de la personnalité juridique ; qu'en retenant que seul l'Ordre des architectes disposait de la personnalité morale pour en déduire que l'Autorité de la concurrence avait pu légalement imputer les pratiques litigieuses à l'Ordre des architectes lui-même, la cour d'appel a violé les articles 26 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 et 36 et 37 du décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977, ensemble les articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
2° Alors, en tout état de cause, que les infractions au droit de la concurrence doivent être imputées à l'entité juridique responsable au sens du droit de la concurrence et susceptible de se voir infliger une sanction ; que la cour d'appel s'est bornée, en l'espèce, à relever que l'Ordre des architectes avait la personnalité morale et que le CNOA et les CROA n'en étaient que des démembrements pour imputer à l'Ordre des architectes lui-même les pratiques litigeuses, dont il n'est pourtant pas contesté qu'elles auraient été matériellement mises en oeuvre respectivement par le CNOA et par chacun des quatre CROA en cause (arrêt, pp. 12-13) ; qu'en se prononçant de la sorte, par des motifs impropres à justifier en quoi le CNOA et les CROA en cause ne pouvaient être tenus pour responsables des pratiques litigieuses au sens du droit de la concurrence ni comme étant aptes à se voir infliger une sanction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
3° Alors encore que si l'Autorité de la concurrence peut choisir de ne poursuivre que certaines des différentes personnes responsables d'une même infraction, il résulte du principe de responsabilité personnelle, qu'elle ne peut imputer de griefs qu'à une entité qui en est responsable, au sens du droit de la concurrence, sans marge d'appréciation ; qu'en retenant, au contraire, que l'Autorité de la concurrence disposait d'une marge d'appréciation qui lui permettait en l'espèce de choisir, en opportunité, qui de l'Ordre des architectes ou du CNOA et des CROA mis en cause elle souhaitait poursuivre pour les pratiques prétendument mises en oeuvre par ces derniers (arrêt, p. 13), la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
4° Alors, enfin, qu'en relevant que l'Autorité de la concurrence pouvait choisir la personne morale qu'elle entendait poursuivre et qu'elle avait pu, en l'espèce, choisir d'imputer les faits au seul Ordre des architectes (arrêt, p. 13, § 57), la cour d'appel a, implicitement mais nécessairement, admis que le CNOA et les CROA pouvaient, au même titre que l'Ordre des architectes, être des personnes juridiques responsables ; qu'en se prononçant ainsi tout en énonçant par ailleurs que seul l'Ordre des architectes disposait de la personnalité morale de sorte que les infractions devaient lui être imputées (ibid., p. 12 § 50), la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
(Sur les pratiques reprochées à l'Ordre des architectes)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors d'abord qu'il ressort du compte rendu de la réunion du groupe de travail Juriet du 27 novembre 2015, adressé le 18 avril 2016 aux différents CROA, que les travaux du « Cotech concurrence déloyale » se poursuivront « une fois tirées les conclusions par la DIRECCTE des actions menées par les CROA en matière de concurrence déloyale » (p. 29) ; que la cour d'appel a retenu que la suspension des travaux mentionnée dans ce document était sans portée s'agissant de la plainte type, dès lors qu'il n'était pas fait spécifiquement référence à cette plainte (arrêt, pp. 34-35, § 221) ; qu'en se prononçant ainsi cependant que, précisément, la mention litigieuse visait de manière générale et sans exclusion aucune, l'ensemble des travaux du « Cotech concurrence déloyale », dont relève le modèle de plainte type présenté lors de la réunion du 27 novembre 2015, la cour d'appel a dénaturé le document susvisé et violé le principe interdisant au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2° Alors ensuite qu'en l'absence de diffusion du modèle de saisine disciplinaire litigieux en dehors des instances ordinales et de toute utilisation par ces dernières du modèle, la seule présentation du document aux CROA ne pouvait avoir aucun effet anticoncurrentiel ; qu'en retenant, au contraire, pour estimer qu'un tel effet s'attachait à la présentation aux CROA du modèle de plainte type, que ce document avait par nature vocation à être utilisé par les CROA de sorte qu'il importait peu qu'il n'ait été ni diffusé auprès des membres de la profession ou de tiers, ni utilisé (arrêt, p. 35, § 228), la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L du code de commerce et 101 du TFUE ;
3° Alors, enfin, que pour juger que la diffusion du modèle de saisine disciplinaire constituait une restriction de concurrence par objet, la cour d'appel s'est bornée à relever que la plainte type, en ce qu'elle comprenait deux propositions alternatives de calcul des honoraires, était destinée à faciliter les actions disciplinaires lorsqu'un architecte ne respecte pas un barème prédéterminé (arrêt, p. 35, §§ 223-225) ; qu'en se prononçant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée (exposé des moyens récapitulatif, p. 68, § 155), s'il ne résultait pas des autres mentions de la plainte type que celle-ci, loin de se référer à une détermination mécanique de la sous-estimation des honoraires, invitait au contraire les CROA, avant tout dépôt de plainte, à instruire de manière complète le dossier en appréciant les honoraires pratiqués par un architecte, ainsi que son comportement, en fonction d'un faisceau d'indices, et à recueillir auprès de l'architecte concerné toute justification utile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE. | Si les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en oeuvre des prérogatives de puissance publique, et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution ou de services au sens de l'article L. 410-1 du code de commerce, entrant dans son champ d'application, ne relèvent pas de la compétence de l'Autorité de la concurrence, il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leur décision hors de cette mission ou ne mettent en oeuvre aucune prérogative de puissance publique.
Tel est le cas des pratiques par lesquelles un ordre professionnel diffuse une méthode de calcul des prix et met en place un système de contrôle des prix par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité d'encadrer tant l'offre que la demande en matière de maîtrise d'ouvrage pour la construction d'ouvrages publics, lesquelles ne relèvent pas de la mission de service public qui lui est confiée ni des prérogatives de puissance publique qui lui étaient conférées pour cette mission.
Il s'ensuit que c'est à bon droit que la cour d'appel de Paris retient que l'Autorité de la concurrence était compétente pour examiner de telles pratiques, de nature à entrer dans le champ d'application de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du code de commerce, abstraction faite du motif erroné mais surabondant par lequel elle a énoncé que ces pratiques avaient constitué un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique dont l'ordre en cause était doté, qu'elle aurait été compétente pour examiner |
8,560 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 95 FS-B+R
Pourvoi n° S 21-22.225
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER FÉVRIER 2023
La société Laboratoires Vivacy, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-22.225 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société Teoxane, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1] (Suisse), société de droit suisse, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Laboratoires Vivacy, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Teoxane, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Michel-Amsellem, conseillers, Mmes Comte, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 2021), la société Teoxane est titulaire du brevet européen EP 3027186 (EP 186), issu d'une demande internationale WO 2015/0154A7 déposée le 29 juillet 2014 et publiée le 5 février 2015. Ce brevet, portant sur un procédé de préparation d'une composition stérile et injectable comprenant un gel d'acide hyaluronique et un anesthésiant local, le chlorhydrate de mépivacaïne, a été délivré le 19 juin 2019.
2. Le 9 octobre 2019, la société Laboratoires Vivacy (la société Vivacy) a assigné la société Teoxane en annulation des revendications 1 à 4 de la partie française du brevet européen EP 186 devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris.
3. Au soutien de cette action, la société Vivacy exposait commercialiser une composition constituée notamment d'un gel associant de l'acide hyaluronique et de la mépivacaïne mettant en oeuvre son brevet EP 3049091 déposé le 23 décembre 2014 et délivré le 4 janvier 2017. Soutenant que ce produit contrefaisait son brevet EP 186, la société Teoxane a obtenu, sur requêtes, deux ordonnances du 7 janvier 2020, l'autorisant à faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société Vivacy à [Localité 4] et dans une unité de production de cette société en Haute-Savoie.
4. Le 6 février 2020, la société Vivacy a assigné la société Teoxane devant le juge ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon en rétractation des deux ordonnances rendues le 7 janvier 2020 et, subsidiairement, afin que soient déterminées les modalités de divulgation des pièces saisies.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et cinquième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Vivacy fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétractation des ordonnances RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020, alors « qu'aux termes de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi ; qu'est afférente à une instance en cours, la requête qui porte sur des faits concluants pour cette instance ; que l'action en nullité d'un brevet n'est pas réservée à une partie suspectée de contrefaçon ; qu'une requête aux fins d'être autorisée, sur le fondement d'un brevet, à procéder à une saisie-contrefaçon afin de rechercher chez un concurrent la matérialité, l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon d'un brevet, alléguée à son encontre, qui reste sans influence sur la validité dudit brevet, n'est pas afférente à l'instance en annulation de celui-ci engagée par ce concurrent ; qu'en retenant, en l'espèce, que "quand bien même la procédure dont se trouvait saisie la 3ème section de la 3ème chambre avait pour objet la seule contestation de la validité du brevet" EP 186 de la société Teoxane et "qu'aucune demande reconventionnelle n'avait été formée en contrefaçon dudit brevet à la date du 6 janvier 2020", "les requêtes présentées par la société Teoxane aux fins d'établir l'existence des faits argués de contrefaçon de ce même brevet, intéressant les mêmes parties et les mêmes produits [que ceux en raison de la commercialisation desquelles la société Vivacy justifiait de son intérêt à agir en nullité du brevet] sont bien afférentes à la procédure en cours en nullité du brevet EP 186", quand les requêtes aux fins de saisie-contrefaçon, qui avaient pour objet d'établir des faits de contrefaçon du brevet EP 186 allégués à l'encontre de la société Vivacy, n'avaient pas le même objet que l'instance en nullité dudit brevet engagée par celle-ci et portaient sur des faits qui, ne conditionnant ni l'intérêt à agir de la société Vivacy en nullité du brevet ni la validité de celui-ci, n'étaient pas concluants pour cette instance, la cour d'appel a violé l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, que les requêtes afférentes à une instance en cours relèvent de la seule compétence du président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi.
8. Selon l'article 74 du même code, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
9. Il ressort de l'arrêt attaqué que, dans ses conclusions, la société Vivacy a soulevé une fin de non-recevoir, tirée du défaut de pouvoir du président de la chambre à laquelle l'affaire avait été distribuée, avant de développer une défense au fond.
10. Il s'en déduit qu'elle n'est pas recevable à soulever, pour la première fois, devant la Cour de cassation, sous le couvert d'une violation de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, l'incompétence de ce magistrat.
11. Le moyen ne peut être accueilli.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
12. La société Vivacy fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en application de l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, le président qui ordonne une saisie-contrefaçon peut, afin d'assurer la protection du secret des affaires, "ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l'article R. 153-1 du code de commerce" ; que si le recours à une telle procédure est facultative pour le juge, celui-ci ne peut en revanche, afin d'assurer la protection du secret des affaires, recourir à une autre procédure que celle ainsi légalement prévue ; qu'en retenant en l'espèce que le magistrat ayant rendu les deux ordonnances sur requête avait pu faire le choix, afin d'assurer la protection du secret des affaires, de ne pas recourir à la procédure de séquestre provisoire légalement prévue mais à celle différente de placement sous scellés, la cour d'appel a violé l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la cour
Vu les articles R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du code de commerce :
13. Il ressort du premier de ces textes, qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires, le président, qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon, peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues au second de ces textes, lequel dispose :
« Lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires.
Si le juge n'est pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l'article 497 du code de procédure civile dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l'alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.
Le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10. »
14. Pour rejeter la demande de rétractation des ordonnances ayant autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », l'arrêt, après avoir considéré que si une procédure spécifique de placement sous séquestre provisoire est prévue aux articles R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du code de commerce, une telle procédure était facultative et le juge n'était pas tenu d'y recourir, relève que c'est le choix fait par le magistrat, qui a décidé de prononcer la mesure, différente et plus protectrice du saisi, de placement sous scellés des pièces de nature à violer le secret des affaires.
15. En statuant ainsi, alors qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne peut que recourir, au besoin d'office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
18. La cassation porte sur le chef de dispositif qui confirme l'ordonnance du 12 juin 2020 en toutes ses dispositions.
19. En vertu de l'article R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, le président qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon peut prononcer le placement sous séquestre provisoire des documents saisis pour assurer le respect du secret des affaires.
20. Il ressort des ordonnances n° 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 que le juge a autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », cependant qu'à compter de l'entrée en vigueur du décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018, le placement sous séquestre provisoire était la seule mesure pouvant être prononcée pour garantir le secret des affaires du saisi.
21. Il y a donc lieu d'ordonner la rétractation partielle de ces ordonnances, en ce qu'elles ont ordonné le placement sous scellés des documents saisis en cas d'atteintes au secret des affaires.
22. Les demandes de levée des scellés et d'aménagement des modalités de divulgation des pièces saisies, formées à titre subsidiaire par la société Vivacy et à titre reconventionnel par la société Teoxane, s'avèrent dès lors sans objet.
23. Il convient, par conséquent, d'infirmer l'ordonnance entreprise de ces chefs et de la confirmer pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance de référé-rétractation du 12 juin 2020 en toutes ses dispositions, il rejette la demande de rétractation, ordonne la levée des scellés portés sur les documents 1 à 5 appréhendés par M. [O], huissier de justice à [Localité 3], ainsi que la levée des scellés de l'enveloppe constituée par M. [T], huissier de justice à [Localité 5], à l'occasion des saisies-contrefaçons du 8 janvier 2020, rejette la demande de restitution formée par la société Laboratoires Vivacy du document n° 2 appréhendé par Me [O] et ordonne la remise à la société Teoxane des documents n° 1 à 5 par Me [O] et des documents saisis par Me [T] selon certaines modalités, l'arrêt rendu le 25 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Ordonne la rétractation des ordonnances n° RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 en ce qu'elles ont ordonné le placement sous scellés des documents saisis en cas d'atteintes au secret des affaires et ordonne la remise en intégralité des pièces saisies par Me [O] et Me [T] à la société Teoxane ;
Déclare les demandes de levée des scellés et d'aménagement des modalités de divulgation des pièces saisies, formées à titre subsidiaire par la société Laboratoires Vivacy et à titre reconventionnel par la société Teoxane, sans objet ;
Confirme l'ordonnance du 12 juin 2020 pour le surplus ;
Condamne la société Laboratoires Vivacy aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat aux Conseils, pour la société Laboratoires Vivacy.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du 12 juin 2020 l'ayant déboutée de sa demande de rétractation des ordonnances RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 ;
1°/ ALORS QU' aux termes de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi ; qu'est afférente à une instance en cours, la requête qui porte sur des faits concluants pour cette instance ; que l'action en nullité d'un brevet n'est pas réservée à une partie suspectée de contrefaçon ; qu'une requête aux fins d'être autorisée, sur le fondement d'un brevet, à procéder à une saisie-contrefaçon afin de rechercher chez un concurrent la matérialité, l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon d'un brevet, alléguée à son encontre, qui reste sans influence sur la validité dudit brevet, n'est pas afférente à l'instance en annulation de celui-ci engagée par ce concurrent ; qu'en retenant, en l'espèce, que « quand bien même la procédure dont se trouvait saisie la 3ème section de la 3ème chambre avait pour objet la seule contestation de la validité du brevet » EP 186 de la société Teoxane et « qu'aucune demande reconventionnelle n'avait été formée en contrefaçon dudit brevet à la date du 6 janvier 2020 », « les requêtes présentées par la société Teoxane aux fins d'établir l'existence des faits argués de contrefaçon de ce même brevet, intéressant les mêmes parties et les mêmes produits [que ceux en raison de la commercialisation desquelles la société Laboratoires Vivacy justifiait de son intérêt à agir en nullité du brevet] sont bien afférentes à la procédure en cours en nullité du brevet EP 186 », quand les requêtes aux fins de saisie-contrefaçon, qui avaient pour objet d'établir des faits de contrefaçon du brevet EP 186 allégués à l'encontre de la société Laboratoires Vivacy, n'avaient pas le même objet que l'instance en nullité dudit brevet engagée par celle-ci et portaient sur des faits qui, ne conditionnant ni l'intérêt à agir de la société Laboratoires Vivacy en nullité du brevet ni la validité de celui-ci, n'étaient pas concluants pour cette instance, la cour d'appel a violé l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile ;
2°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que les requêtes aux fins de saisie-contrefaçon présentées par la société Teoxane sur le fondement de son brevet EP186, qui n'indiquaient pas être afférentes à une instance en cours, se contentant de faire état, incidemment dans l'exposé des faits, d'une assignation délivrée par la société Laboratoires Vivacy à la société Teoxane devant le tribunal de grande instance de Paris en nullité de la partie française du brevet EP 86 sans même mentionner son enrôlement au sein de ce tribunal et de viser par un ajout manuscrit l'article 845 alinéa 3 du code de procédure civile, s'adressaient dans leur en tête « Au Président du tribunal judiciaire de Paris » ; que c'est à l'encontre des mentions dactylographiées des projets d'ordonnances prévoyant que celles-ci seraient rendues « par délégation du Président du Tribunal judiciaire de Paris », que la présidente de la 3ème section de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris a, par une mention manuscrite de sa main, précisé rendre celles-ci « es qualités de Pdt de la 3ème section de la 3ème chambre à laquelle l'affaire au fond intéressant les mêmes parties a été distribuée » ; qu'en retenant néanmoins que les requêtes avaient été régulièrement présentées, conformément aux exigences de l'article 845 alinéa 3 du code de procédure civile, à la présidente de la 3ème section de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris saisie de l'action en nullité du brevet, la cour d'appel a dénaturé lesdites requêtes et violé le principe susvisé ;
3°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT ENCORE QU'en retenant que les ordonnances rendues par la présidente de la 3ème section de la 3ème chambre, non par délégation du président du tribunal judiciaire de Paris mais en qualité de présidente « de la chambre à laquelle l'affaire au fond intéressant les mêmes parties a été distribuée » n'étaient pas entachées d'excès de pouvoir quand cette magistrate n'avait pas été saisie des requêtes en cette dernière qualité, la cour d'appel a violé ensemble les articles 1er et 845 du code de procédure civile ;
4°/ ALORS QU'en application de l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, le président qui ordonne une saisie-contrefaçon peut, afin d'assurer la protection du secret des affaires, « ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l'article R. 153-1 du code de commerce » ; que si le recours à une telle procédure est facultative pour le juge, celui-ci ne peut en revanche, afin d'assurer la protection du secret des affaires, recourir à une autre procédure que celle ainsi légalement prévue ; qu'en retenant en l'espèce que le magistrat ayant rendu les deux ordonnances sur requête avait pu faire le choix, afin d'assurer la protection du secret des affaires, de ne pas recourir à la procédure de séquestre provisoire légalement prévue mais à celle différente de placement sous scellés, la cour d'appel a violé l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle ;
5°/ ALORS QU'aux termes de l'article 496 du code de procédure civile « s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance » ; qu'en retenant en l'espèce que chacune des ordonnances avait pu valablement mentionner sans autre référence aux prescriptions de l'article susvisé, qu'elle « sera exécutoire sur minute nonobstant toute opposition de la partie saisie, la société requérante offrant de nous en référer en cas de difficulté », la cour d'appel a violé ensemble les articles 496 et 16 du code de procédure civile ainsi que l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. | Il résulte de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, que les requêtes afférentes à une instance en cours relèvent de la seule compétence du président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi. En conséquence, cette compétence ne peut être contestée que par une exception d'incompétence et non par une fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir du juge ayant autorisé la mesure de saisie-contrefaçon |
8,561 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 101 FP-B
Pourvoi n° D 21-15.221
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER FÉVRIER 2023
La société Halozyme Inc., société de droit américain "corporation", dont le siège est [Localité 1]), a formé le pourvoi n° D 21-15.221 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Halozyme Inc., de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen de la chambre, Mme Vaissette, conseiller doyen de section,
M. Mollard, conseiller doyen de section, Mmes Vallansan, Poillot-Peruzzetto, Graff-Daudret, Bélaval, Champalaune, Daubigney, conseillers, M. Guerlot, Mme Barbot, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 décembre 2020), le 20 juillet 2015, la société Halozyme Inc., laboratoire américain de biotechnologie qui développe des thérapies innovantes contre le cancer, a déposé une demande de certificat complémentaire de protection n° 15C0053 (CCP n° 053) pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante ». Cette demande mentionne la partie française du brevet européen déposé le 5 mars 2004, publié sous le n° EP 2163643 (EP 643) sous le titre « Glycoprotéine d'hyaluronidase soluble, son procédé de préparation, utilisations et compositions pharmaceutiques le comportant », délivré le 21 janvier 2015, dont la revendication n° 18 couvre une combinaison de polypeptide hyaluronidase substantiellement purifié et d'un agent anti-cancéreux et dont la revendication n° 21 couvre une telle composition pour une utilisation dans le traitement du cancer du sein, dans laquelle l'anti-cancéreux est un anticorps monoclonal.
2. Le 20 juillet 2015, sur le fondement de la partie française du brevet EP 643 et d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) communautaire délivrée le 26 août 2013 à la société Roche Registration Limited (la société Roche) pour la formulation sous-cutanée d'un médicament anti-cancéreux dénommé « Herceptin », constituée de la combinaison de trastuzumab, anticorps monoclonal présenté dans l'AMM comme le « principe actif », et de hyaluronidase humaine recombinante, présentée comme un « excipient », la société Halozyme a déposé une demande de certificat complémentaire de protection (CCP) pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante. »
3. La société Roche avait déjà obtenu, le 28 août 2000, une AMM communautaire pour la formulation intraveineuse de « Herceptin », laquelle ne contient pas de hyaluronidase humaine recombinante.
4. Par décision du 7 mars 2018, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) a rejeté la demande de CCP aux motifs que la hyaluronidase humaine recombinante n'est pas un principe actif ayant un effet thérapeutique propre mais constitue un excipient, ainsi qu'il résulte du résumé des caractéristiques du produit se rapportant à l'AMM du 26 août 2013, et que le produit, objet du CCP demandé, ne peut être que le principe actif apparaissant dans l'AMM, soit le trastuzumab, lequel fait l'objet d'une AMM antérieure du 28 août 2000.
5. La société Halozyme a formé un recours contre cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
7. La société Halozyme fait grief à l'arrêt de rejeter son recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI du 7 mars 2018, rejetant la demande de CCP n° 053, portant sur la partie française du brevet EP 643, pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante », alors :
« 1°/ qu'une substance présentée dans l'AMM comme un excipient, mais dont il est démontré qu'elle a un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre sur l'organisme des patients lorsqu'elle est associée à une autre substance présentée comme un principe actif, doit elle-même être considérée comme un "principe actif" au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en l'espèce, comme le soutenait l'exposante et ainsi que le relevait la décision du directeur de l'INPI entreprise, la hyaluronidase, présentée comme un excipient dans l'AMM, agit directement sur l'organisme des patients atteints d'un cancer du sein en modifiant leurs tissus cellulaires pour permettre une meilleure assimilation du trastuzumab, anticorps monoclonal, et son administration plus ciblée, par voie sous-cutanée plutôt qu'intraveineuse ; qu'il en résulte que l'interaction des deux composants chimiques produit des effets spécifiques propres à la hyaluronidase et que, conjuguée au trastuzumab, cette substance est dotée d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre justifiant de l'assimiler à un "principe actif" au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en jugeant cependant que la hyaluronidase, seule ou combinée avec le trastuzumab, était dépourvue d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre, sans se prononcer sur l'effet physiologique propre de la hyaluronidase, agissant directement sur les tissus cellulaires des patients auxquels elle était administrée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 2, 3 et 4 de ce règlement ;
2°/ qu'il appartient aux juges du fond de vérifier, au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige, si un composant présenté comme un excipient dans une AMM est doté d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre lorsqu'il est conjugué avec un autre principe actif, peu important que l'AMM ne mentionne pas expressément les effets propres de la substance ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer que la société Halozyme produisait uniquement des pièces rédigées en anglais ne permettant pas d'identifier l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre de la hyaluronidase pour le traitement du cancer du sein, ce qui ne révélait rien sur les effets de l'enzyme lorsqu'elle est combinée au trastuzumab, et que l'AMM, assimilant la hyaluronidase à un excipient, ne concluait pas à l'existence d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre à ce composant "dans son association avec le trastuzumab", la cour d'appel a donc statué par des motifs tout à la fois insuffisants et impropres pour retenir, au regard de l'ensemble des circonstances de fait du litige, que la hyaluronidase n'avait pas un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre dans son association avec le trastuzumab, violant ainsi les articles 1, 2, 3 et 4 du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009. »
Réponse de la Cour
8. Dans son arrêt du 15 janvier 2015 (Forsgren, C-631/13), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « l'article 1er, sous b), du règlement n° 469/2009 doit être interprété en ce sens qu'une protéine vectrice conjuguée à un antigène polysaccharidique au moyen d'une liaison covalente ne peut être qualifiée de "principe actif", au sens de cette disposition, que s'il est établi que celle-ci produit un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques de l'autorisation de mise sur le marché, ce qu'il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige au principal. »
9. Il en résulte que lorsque l'AMM ne qualifie pas une substance de « principe actif », il est présumé de façon réfragable que cette substance ne produit pas d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques visées par cette AMM.
10. Après avoir exactement énoncé que l'appréciation de l'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques de la hyalorunidase humaine recombinante devait s'effectuer au regard du contenu de l'AMM, l'arrêt relève que celle-ci ne vise comme principe actif que le seul trastuzumab et ne cite la hyalorunidase humaine recombinante que comme l'un des excipients de la composition, et retient qu'aucun élément contenu dans l'AMM ni dans un document externe ne justifie d'un effet propre à la hyarolunidase seule, ou dans son association avec le trastuzumab, pour les indications thérapeutiques de l'AMM.
11. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la hyaluronidase recombinante humaine était présumée être un excipient au regard des mentions de l'AMM et de ses documents préparatoires, et a retenu qu'aucune preuve contraire n'était rapportée a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Halozyme Inc. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Halozyme Inc. à payer au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour la société Halozyme Inc.
La société Halozyme fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté son recours formé contre la décision du directeur général de l'Inpi du 7 mars 2018, refusant de faire droit à sa demande de certificat complémentaire de protection n° 16C0053 (« la CCP 053 »), portant sur la partie française du brevet EP 643, pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante » ;
1°) ALORS QU' une substance présentée dans l'autorisation de mise sur le marché comme un excipient, mais dont il est démontré qu'elle a un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre sur l'organisme des patients lorsqu'elle est associée à une autre substance présentée comme un principe actif, doit elle-même être considérée comme un « principe actif » au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en l'espèce, comme le soutenait l'exposante et ainsi que le relevait la décision du directeur de l'INPI entreprise (p. 4 § 1), la hyaluronidase, présentée comme un excipient dans l'autorisation de mise sur le marché, agit directement sur l'organisme des patients atteints d'un cancer du sein en modifiant leurs tissus cellulaires pour permettre une meilleure assimilation du trastuzumab, anticorps monoclonal, et son administration plus ciblée, par voie sous-cutanée plutôt qu'intraveineuse ; qu'il en résulte que l'interaction des deux composants chimiques produit des effets spécifiques propres à la hyaluronidase et que, conjugué au trastuzumab, cette substance est dotée d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre justifiant de l'assimiler à un « principe actif » au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en jugeant cependant que la hyaluronidase, seule ou combinée avec le trastuzumab, était dépourvue d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre (arrêt, p. 8 § 6), sans se prononcer sur l'effet physiologique propre de la hyaluronidase, agissant directement sur les tissus cellulaires des patients auxquels elle était administrée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 2, 3 et 4 de ce règlement ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QU' il appartient aux juges du fond de vérifier, au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige, si un composant présenté comme un excipient dans une autorisation de mise sur le marché est doté d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre lorsqu'il est conjugué avec un autre principe actif, peu important que l'autorisation de mise sur le marché ne mentionne pas expressément les effets propres de la substance ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer que la société Halozyme produisait uniquement des pièces rédigées en anglais ne permettant pas d'identifier l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre de la hyaluronidase pour le traitement du cancer du sein (arrêt, p. 8 § 3 et 4), ce qui ne révélait rien sur les effets de l'enzyme lorsqu'elle est combinée au trastuzumab, et que l'autorisation de mise sur le marché, assimilant la hyaluronidase à un excipient, ne concluait pas à l'existence d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre à ce composant « dans son association avec le trastuzumab » (arrêt, p. 8 § 5), la cour d'appel a donc statué par des motifs tout à la fois insuffisants et impropres pour retenir, au regard de l'ensemble des circonstances de fait du litige, que la hyaluronidase n'avait pas un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre dans son association avec le trastuzumab, violant ainsi les articles 1, 2, 3 et 4 du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ;
3°) ALORS, enfin, QU' en jugeant que la hyaluronidase ne pouvait être assimilée à un « principe actif », sans répondre aux conclusions de la société Halozyme faisant valoir que la longueur des études cliniques ayant précédé l'autorisation de mise sur le marché de la composition trastuzumab/hyaluronidase « ne [pouvait] s'expliquer que par l'ajout de la hyaluronidase au trastuzumab », dès lors que le trastuzumab avait déjà fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché (concl., p. 33 § 67), et que « si l'ajout de la hyaluronidase avait été si neutre, et alors même qu'elle permet un traitement plus efficace et une injection par voie sous cutanée, l'obtention d'une AMM aurait été beaucoup plus rapide » (concl., p. 33, in fine), ce dont il résultait pourtant que la longueur de la phase de tests cliniques relatives aux effets spécifiques attachés à la combinaison de la hyaluronidase au trastuzumab révélait l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre attribué à la hyaluronidase combinée avec le trastuzumab, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | L'absence de désignation d'une substance comme principe actif dans une autorisation de mise sur le marché constitue une présomption réfragable qu'il ne s'agit pas d'un produit au sens de l'article 1 du règlement (CE) n° 469/2009 du Palement européen et du Conseil du 6 mai 2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments |
8,562 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 89 FS-B
Pourvoi n° E 21-12.485
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER FÉVRIER 2023
La société Aquilab, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-12.485 contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [E] [B], épouse [I], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi Hauts-de-France, direction régionale, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Aquilab, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, Mme Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 décembre 2020) et les productions, Mme [B] a été engagée le 19 octobre 2009 par la société Aquilab (la société) en qualité d'ingénieur.
2. Après avoir été convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique, fixé au 23 juillet 2014, au cours duquel il lui a été proposé d'adhérer à un contrat de sécurisation professionnelle et après que la société lui a notifié, le 31 juillet 2014, le motif économique de la rupture, elle a adhéré le 7 août 2014 au dispositif et a demandé, le 13 août 2014, à bénéficier de la priorité de réembauche.
3. Elle a saisi la juridiction prud'homale, le 19 janvier 2016, pour contester la réalité du motif économique invoqué par l'employeur et obtenir paiement de diverses sommes au titre de la rupture.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts au titre de la violation de l'article L. 1233-45 du code du travail, alors :
« 1°/ que le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, si elle invoquait la prescription des demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail, en ce compris celle portant sur la priorité de réembauchage, elle se fondait, tant dans les motifs que dans le dispositif de ses conclusions, non seulement sur les dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail mais aussi et surtout sur celles de l'article L. 1233-67, propres aux salariés ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, en prenant soin de critiquer les motifs du jugement qui avait rejeté ce second fondement ; qu'en affirmant que "la société Aquilba conclut à la prescription de l'action engagée par Mme [E] [B], épouse [I], au motif que celle-ci n'a pas été engagée dans les 12 mois prévus à l'article L. 1235-7 du code du travail", pour limiter son analyse à cette seule cause de prescription, la cour d'appel qui a méconnu les termes clairs et précis des conclusions de l'employeur qui invoquaient parallèlement un autre fondement textuel pour conclure à la prescription, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en cas d'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif se prescrit par douze mois à compter de cette adhésion, ce délai ne pouvant être interrompu que par l'une des causes limitatives d'interruption de la prescription prévues aux articles 2240 et suivants du code civil ; que la prescription n'est donc pas interrompue par une simple réclamation ou critique formulée auprès de l'employeur, serait-ce par lettre recommandée ; qu'en l'espèce, se fondant sur les dispositions de l'article L. 1233-67 du code du travail dont les termes avaient été rappelés à la salariée par la note d'information sur les difficultés économiques, le document de présentation du contrat de sécurisation professionnelle et la lettre de licenciement, elle faisait valoir qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes le 19 janvier 2016, la salariée qui avait adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 7 août 2014 était prescrite en ses demandes relatives à la rupture de son contrat peu important qu'elle ait adressé à son employeur un courrier recommandé en date du 31 juillet 2015 aux termes duquel elle contestait ''la régularité et la validité de son licenciement'' et annonçait son intention prochaine de saisir la juridiction prud'homale ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que la prescription ne se calculait pas à la date de saisine du conseil de prud'hommes mais à la date de contestation pour en déduire que la salariée ayant adressé à son employeur, le 31 juillet 2015, un courrier par lequel elle contestait la régularité et la validité de son licenciement, ses demandes relatives à la rupture, formées le 19 janvier 2016, n'étaient pas prescrites, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-67, alinéa 1, du code du travail, ensemble les articles 2240, 2241 et 2244 du code civil ;
3°/ que la priorité de réembauchage ne s'exerce que sur un emploi compatible avec la qualification du salarié ; qu'en jugeant que l'employeur avait méconnu ses obligations au titre de l'obligation de réembauchage, faute d'avoir proposé à la salariée un poste d'ingénieur développement devenu ouvert chez Aquilab dans l'année qui avait suivi son licenciement, sans constater que la salariée disposait des compétences requises pour occuper un tel poste, ce que contestait l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-45 du code du travail, dans sa version modifiée par l'ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014 ;
4°/ que la priorité de réembauche ne peut s'exercer que lorsque l'employeur procède à des embauches ; que pour retenir que l'employeur avait manqué à ses obligations en matière de priorité de réembauchage, la cour d'appel a relevé qu'un salarié de la société Aquilab qui occupait les fonctions d'ancien technicien installation depuis juin 2010, M. [T] (lire [K]), s'était vu confier, à compter d'octobre 2014, un même poste que celui précédemment attribué à la salariée ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait de ses propres constatations que le poste litigieux avait été pourvu par un recrutement interne et non par une embauche, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-45 du code du travail, dans sa version modifiée par l'ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014. »
Réponse de la Cour
5. D'une part, aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment celui prévu à l'article L. 1233-67.
6. Selon l'article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai. Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification.
7. Il en résulte que l'action fondée sur le non-respect par l'employeur de la priorité de réembauche, qui n'est pas liée à la contestation de la rupture du contrat de travail résultant de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, soumise au délai de prescription de l'article L. 1233-67 du code du travail, mais à l'exécution du contrat de travail, relève de la prescription de l'article L. 1471-1 du même code.
8. L'indemnisation dépendant des conditions dans lesquelles l'employeur a exécuté son obligation, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la priorité de réembauche a cessé, soit à l'expiration du délai d'un an à compter de la rupture du contrat de travail.
9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt, qui a constaté que la salariée avait saisi la juridiction prud'homale le 19 janvier 2016, soit moins de deux ans après la cessation de la priorité de réembauche, le 13 août 2015, se trouve légalement justifié en ce qu'il dit que l'action n'est pas prescrite.
10. D'autre part, il résulte de l'article L. 1233-45 du code du travail, qu'en cas de litige, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il a satisfait à son obligation en établissant soit qu'il a proposé les postes disponibles compatibles avec la qualification du salarié, soit en justifiant de l'absence de tels postes.
11. Il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure, que la société, qui s'était bornée à faire valoir, en inversant la charge de la preuve, qu'il n'était pas démontré l'existence d'un poste disponible qui devait être proposé à la salariée, avait soutenu devant la cour d'appel que le poste d'ingénieur développement pourvu dans l'année ayant suivi la rupture du contrat de l'intéressée ne correspondait pas à sa qualification ou qu'il avait été pourvu par une mutation en interne.
12. Le moyen, irrecevable en ses deux dernières branches comme nouveau et mélangé de fait et de droit, ne peut être accueilli pour le surplus.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. La société fait grief à l'arrêt de dire que les demandes de la salariée n'étaient pas prescrites et de la condamner à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'ordonner le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage du jour du licenciement dans la limite de six mois en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, alors « que le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, si elle invoquait la prescription des demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail, elle se fondait, tant dans les motifs que dans le dispositif de ses conclusions, non seulement sur les dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail mais aussi et surtout sur celles de l'article L. 1233-67, propres aux salariés ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, en prenant soin de critiquer les motifs du jugement qui avait rejeté ce second fondement ; qu'en affirmant que ''la société Aquilab conclut à la prescription de l'action engagée par Mme [E] [B], épouse [I], au motif que celle-ci n'a pas été engagée dans les 12 mois prévus à l'article L. 1235-7 du code du travail'', pour limiter son analyse à cette seule cause de prescription, la cour d'appel qui a méconnu les termes clairs et précis des conclusions de l'employeur qui invoquaient parallèlement un autre fondement textuel pour conclure à la prescription, a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
14. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
15. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription et condamner la société au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la société conclut à la prescription de l'action engagée par la salariée au motif que celle-ci n'a pas été engagée dans les douze mois prévus à l'article L. 1235-7 du code du travail, que cependant, ce texte n'est applicable qu'aux contestations de nature à entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, en raison de l'absence ou de l'insuffisance d'un plan de sauvegarde de l'emploi, et non à sa contestation ne visant que l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
16. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la société se fondait non seulement sur les dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail mais également sur celles de l'article L. 1233-67 du même code, applicables aux salariés ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
19. Selon l'article L. 1233-67du code du travail, dans sa version en vigueur du 30 juillet 2011 au 1er janvier 2015, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif, résultant de l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, se prescrit par douze mois à compter de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.
20. La salariée ayant adhéré, le 7 août 2014, au contrat de sécurisation professionnelle, l'action qu'elle a engagée le 16 janvier 2016 pour contester la rupture de son contrat de travail, soit au-delà du délai de douze mois prévu par ce texte, est prescrite.
21. Ses demandes au titre de la rupture du contrat de travail sont en conséquence irrecevables.
22. La cassation des chefs de dispositif condamnant la société à verser à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la demande relative au bien-fondé du licenciement n'est pas prescrite, condamne la société Aquilab à payer à Mme [B], épouse [I], la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ordonne le remboursement par l'employeur à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la salariée licenciée du jour de son licenciement dans la limite de six mois, l'arrêt rendu le 18 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que les demandes de la salariée sont irrecevables ;
Condamne Mme [B], épouse [I], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Aquilab
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Aquilab fait grief à la décision attaquée d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a dit et jugé que les demandes de la salariée n'étaient pas prescrites et que la société Aquilab ne justifiait pas le licenciement pour motif économique, d'AVOIR statuant à nouveau, condamné la société Aquilab à payer à la salariée la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à la salariée licenciée du jour de son licenciement dans la limite de six mois en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,
1°) ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, si la société Aquilab invoquait la prescription des demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail, elle se fondait, tant dans les motifs que dans le dispositif de ses conclusions, non seulement sur les dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail mais aussi et surtout sur celles de l'article L. 1233-67, propres aux salariés ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, en prenant soin de critiquer les motifs du jugement qui avait rejeté ce second fondement (cf. les conclusions de l'employeur p. 3 à 5) ; qu'en affirmant que « la société Aquilab conclut à la prescription de l'action engagée par Mme [E] [B] épouse [I] au motif que celle-ci n'a pas été engagée dans les 12 mois prévus à l'article L. 1235-7 du code du travail », pour limiter son analyse à cette seule cause de prescription, la cour d'appel qui a méconnu les termes clairs et précis des conclusions de l'employeur qui invoquaient parallèlement un autre fondement textuel pour conclure à la prescription, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE, à tout le moins, en cas d'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif se prescrit par douze mois à compter de cette adhésion, ce délai ne pouvant être interrompu que par l'une des causes limitatives d'interruption de la prescription prévues aux articles 2240 et suivants du code civil ; que la prescription n'est donc pas interrompue par une simple réclamation ou critique formulée auprès de l'employeur, serait-ce par lettre recommandée ; qu'en l'espèce, se fondant sur les dispositions de l'article L. 1233-67 du code du travail dont les termes avaient été rappelés à la salariée par la note d'information sur les difficultés économiques, le document de présentation du contrat de sécurisation professionnelle et la lettre de licenciement, la société Aquilab faisait valoir qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes le 19 janvier 2016, la salariée qui avait adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 7 août 2014 était prescrite en ses demandes relatives à la rupture de son contrat, peu important qu'elle ait adressé à son employeur un courrier recommandé en date du 31 juillet 2015 aux termes duquel elle contestait « la régularité et la validité de son licenciement » et annonçait son intention prochaine de saisir la juridiction prud'homale ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés, que la prescription ne se calculait pas à la date de saisine du conseil de prud'hommes mais à la date de contestation pour en déduire que la salariée ayant adressé à son employeur, le 31 juillet 2015, un courrier par lequel elle contestait la régularité et la validité de son licenciement, ses demandes relatives à la rupture, formées le 19 janvier 2016, n'étaient pas prescrites, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-67, alinéa 1 du code du travail, ensemble les articles 2240, 2241 et 2244 du code civil ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par 12 mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cas de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci ; que ce délai s'applique à la contestation du salarié portant sur le motif économique de son licenciement et/ou l'exécution par l'employeur de son obligation de reclassement ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-7 du code du travail, dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Aquilab fait grief à la décision attaquée d'AVOIR ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement dans la limite de six mois en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,
ALORS QU'en l'absence de motif économique, le contrat de sécurisation professionnelle devenant sans cause, l'employeur est tenu de rembourser les indemnités de chômage éventuellement versées au salarié, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la rupture du contrat de travail de la salariée était intervenue par suite de son acceptation du contrat de sécurisation professionnelle en date du 7 août 2014 ; qu'en ordonnant néanmoins à la société Aquilab de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à l'intéressée dans la limite de six mois d'indemnités, sans tenir compte de la contribution équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis versée au titre de la participation de l'employeur au financement du contrat de sécurisation professionnelle, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-69, dans sa version modifiée par la loi n°2012-1189 du 26 octobre 2012, et L. 1235-4, dans sa version antérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016, du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Aquilab fait grief à la décision attaquée d'AVOIR condamné la société Aquilab à payer à la salariée la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts au titre de la violation de l'article L. 1233-45 du code du travail,
1°) ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, si la société Aquilab invoquait la prescription des demandes de la salariée relatives à la rupture de son contrat de travail, en ce compris celle portant sur la priorité de réembauchage, elle se fondait, tant dans les motifs que dans le dispositif de ses conclusions, non seulement sur les dispositions de l'article L. 1235-7 du code du travail mais aussi et surtout sur celles de l'article L. 1233-67, propres aux salariés ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, en prenant soin de critiquer les motifs du jugement qui avait rejeté ce second fondement (cf. les conclusions de l'employeur p. 3 à 5) ; qu'en affirmant que « la société Aquilba conclut à la prescription de l'action engagée par Mme [E] [B] épouse [I] au motif que celle-ci n'a pas été engagée dans les 12 mois prévus à l'article L. 1235-7 du code du travail », pour limiter son analyse à cette seule cause de prescription, la cour d'appel qui a méconnu les termes clairs et précis des conclusions de l'employeur qui invoquaient parallèlement un autre fondement textuel pour conclure à la prescription, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE, à tout le moins, en cas d'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif se prescrit par douze mois à compter de cette adhésion, ce délai ne pouvant être interrompu que par l'une des causes limitatives d'interruption de la prescription prévues aux articles 2240 et suivants du code civil ; que la prescription n'est donc pas interrompue par une simple réclamation ou critique formulée auprès de l'employeur, serait-ce par lettre recommandée ; qu'en l'espèce, se fondant sur les dispositions de l'article L. 1233-67 du code du travail dont les termes avaient été rappelés à la salariée par la note d'information sur les difficultés économiques, le document de présentation du contrat de sécurisation professionnelle et la lettre de licenciement, la société Aquilab faisait valoir qu'ayant saisi le conseil de prud'hommes le 19 janvier 2016, la salariée qui avait adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 7 août 2014 était prescrite en ses demandes relatives à la rupture de son contrat peu important qu'elle ait adressé à son employeur un courrier recommandé en date du 31 juillet 2015 aux termes duquel elle contestait « la régularité et la validité de son licenciement » et annonçait son intention prochaine de saisir la juridiction prud'homale ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que la prescription ne se calculait pas à la date de saisine du conseil de prud'hommes mais à la date de contestation pour en déduire que la salariée ayant adressé à son employeur, le 31 juillet 2015, un courrier par lequel elle contestait la régularité et la validité de son licenciement, ses demandes relatives à la rupture, formées le 19 janvier 2016, n'étaient pas prescrites, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-67, alinéa 1 du code du travail, ensemble les articles 2240, 2241 et 2244 du code civil ;
3°) ALORS subsidiairement QUE la priorité de réembauchage ne s'exerce que sur un emploi compatible avec la qualification du salarié ; qu'en jugeant que l'employeur avait méconnu ses obligations au titre de l'obligation de réembauchage, faute d'avoir proposé à la salariée un poste d'ingénieur développement devenu ouvert chez Aquilab dans l'année qui avait suivi son licenciement, sans constater que la salariée disposait des compétences requises pour occuper un tel poste, ce que contestait l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-45 du code du travail, dans sa version modifiée par l'ordonnance n°2014-699 du 26 juin 2014 ;
4°) ALORS QUE la priorité de réembauche ne peut s'exercer que lorsque l'employeur procède à des embauches ; que pour retenir que l'employeur avait manqué à ses obligations en matière de priorité de réembauchage, la cour d'appel a relevé qu'un salarié de la société Aquilab qui occupait les fonctions d'ancien technicien installation depuis juin 2010, M. [T] (lire [K]), s'était vu confier, à compter d'octobre 2014, un même poste que celui précédemment attribué à la salariée ; qu'en statuant ainsi, quand il ressortait de ses propres constatations que le poste litigieux avait été pourvu par un recrutement interne et non par une embauche, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-45 du code du travail, dans sa version modifiée par l'ordonnance n°2014-699 du 26 juin 2014. | Aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Ces dispositions ne font cependant pas obstacle aux délais de prescription plus courts prévus par le présent code et notamment celui prévu à l'article L. 1233-67.
Selon l'article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai. Dans ce cas, l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification.
Il en résulte que l'action fondée sur le non-respect par l'employeur de la priorité de réembauche, qui n'est pas liée à la contestation de la rupture du contrat de travail résultant de l'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, soumise au délai de prescription de l'article L. 1233-67 du code du travail, mais à l'exécution du contrat de travail, relève de la prescription de l'article L. 1471-1 du même code.
L'indemnisation dépendant des conditions dans lesquelles l'employeur a exécuté son obligation, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la priorité de réembauche a cessé, soit à l'expiration du délai d'un an à compter de la rupture du contrat de travail |
8,563 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 90 FS-B
Pourvoi n° R 21-24.271
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER FÉVRIER 2023
1°/ Mme [V] [E], domiciliée [Adresse 2],
2°/ L'association Maison des lanceurs d'alerte, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ Le syndicat SPIC UNSA, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° R 21-24.271 contre l'arrêt rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Thales SIX GTS France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ au Défenseur des droits, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [E], de l'association Maison des lanceurs d'alerte, et du syndicat SPIC UNSA, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Thales SIX GTS France, du Défenseur des droits et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, M. Le Corre, Mmes Prieur, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 septembre 2021), rendu en matière de référé, Mme [E] a été engagée, le 1er septembre 2014, par la société Thales en qualité de responsable de la transformation des infrastructures centrales. Dans le cadre d'une mobilité interne, elle a été engagée, à compter du 1er juillet 2017, par la société Thales six GTS France en qualité de responsable du département offres et projets export.
2. Le 24 mars 2019, la salariée a saisi le comité d'éthique du groupe pour signaler des faits susceptibles d'être qualifiés de corruption, mettant en cause l'un de ses anciens collaborateurs et son employeur. Le 7 octobre 2019, elle a informé le comité d'éthique de la situation de harcèlement dont elle estimait faire l'objet à la suite de cette alerte.
3. Le 20 février 2020, le comité d'éthique a conclu à l'absence de situation contraire aux règles et principes éthiques.
4. Par courrier du 13 mars 2020, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable puis, par courrier du 27 mai 2020, lui a notifié son licenciement.
5. Le 30 juillet 2020, la salariée a saisi la formation des référés de la juridiction prud'homale afin principalement que soit constatée la nullité de son licenciement, intervenu en violation des dispositions protectrices des lanceurs d'alerte.
6. Le syndicat SPIC UNSA (le syndicat) puis l'association Maison des lanceurs d'alerte (l'association) sont intervenus volontairement à l'instance.
7. Le Défenseur des droits a déposé des observations devant la Cour de cassation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première à quatrième branches
Enoncé du moyen
8. La salariée, l'association et le syndicat font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle « a dit que les pièces et moyens de droit fournis par la salariée n'ont pas permis d'établir et de démontrer un lien évident et non équivoque de cause à effet entre le fait d'avoir lancé une alerte et le licenciement pour cause réelle et sérieuse, que les représailles envers la salariée n'étaient pas davantage établies [en sorte] qu'il n'y avait pas eu violation du statut protecteur prévu par les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail », de dire que « l'appréciation du motif de licenciement de la salariée relevait exclusivement des juges du fond » et, en conséquence, de les débouter de leurs demandes tendant, pour la salariée, à ce qu'il soit jugé que son licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail, que sa réintégration soit ordonnée et que la société Thales soit condamnée au paiement des salaires qui auraient dû lui être versés entre la fin de son préavis et sa réintégration, au paiement de la prime sur l'exercice 2019 et à une somme à titre de provision sur dommages-intérêts résultant du préjudice moral lié au licenciement discriminatoire, pour le syndicat, de sa demande tendant à ce que la société Thales soit condamnée à lui verser une somme à titre de dommages-intérêts provisionnels sur le fondement de l'article L. 2132-3 du code du travail et pour l'association, de ses demandes similaires à celle de la salariée et de sa demande tendant à ce que la société Thales soit condamnée à lui verser une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que le juge des référés auquel il appartient, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue le licenciement d'un salarié en raison de son statut de lanceur d'alerte, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, et dans l'affirmative, rechercher si l'employeur apporte des éléments objectifs de nature à justifier que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'alerte de l'intéressé ; qu'en affirmant, pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que son licenciement soit jugé nul comme résultant de l'alerte qu'elle avait émise, que l'examen de la cause réelle et sérieuse du licenciement relevait des juges du fond, après avoir pourtant considéré que la salariée avait le statut de lanceur d'alerte au sens de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher si le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à cette alerte et ce faisant, reposait sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-6 du code du travail, ensemble les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail ;
2°/ qu'en retenant, pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que son licenciement soit annulé comme résultant de son statut de lanceur d'alerte, que l'appréciation de la cause réelle et sérieuse de son licenciement relevait de la compétence exclusive des juges du fond, la cour d'appel, qui l'a privée d'une protection effective contre les discriminations, a violé les articles 6§1, 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article R. 1455-6 du code du travail ;
3°/ qu'en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à un salarié qui a lancé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé ; qu'en l'espèce, en affirmant que ''si le conseil de prud'hommes ne pouvait s'appuyer exclusivement sur les pièces produites par la salariée pour exclure l'existence d'un lien manifeste entre la qualité de lanceur d'alerte et le licenciement, la cour, sur la base des éléments objectifs produits par l'employeur, aboutit à la même conclusion'', après avoir pourtant affirmé que l'examen de la cause réelle et sérieuse du licenciement relevait des juges du fond et s'être bornée à examiner les mesures de représailles antérieures au licenciement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a derechef violé les articles L. 1132-3-3 du code du travail et R. 1455-6 du code du travail ;
4°/ qu'en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à un salarié qui a lancé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé ; qu'en affirmant, pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que son licenciement soit annulé car résultant de son statut de lanceur d'alerte, que la lettre de licenciement ne vise que des griefs portant sur le travail de la salariée et qu'il n'existerait pas de lien manifeste entre la qualité de lanceur d'alerte et le licenciement, alors qu'il n'appartenait pas à la salariée d'établir l'existence d'un lien manifeste entre son licenciement et son signalement mais à l'employeur d'établir que le licenciement de la salariée était fondé sur des éléments objectifs étrangers à son alerte, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article R 1455-6 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, L. 1132-4 et R. 1455-6 du même code :
9. Selon le premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. En cas de litige relatif à l'application de ces dispositions, dès lors que le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à l'employeur, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé.
10. Aux termes du deuxième de ces textes, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.
11. Il résulte du dernier de ces textes que le juge des référés, auquel il appartient, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d'un contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée et, dans l'affirmative, de rechercher si l'employeur rapporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ce salarié.
12. Pour dire n'y avoir lieu à référé, l'arrêt relève qu'aucun élément ne permet de remettre en cause la bonne foi de la salariée à l'occasion des alertes données successivement à sa hiérarchie puis au comité d'éthique du groupe et en déduit, sur le fondement des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, la qualité de lanceur d'alerte de l'intéressée.
13. L'arrêt retient, d'abord, que le lien entre la réelle détérioration de la relation de travail et l'alerte donnée par la salariée ne ressort pas, de façon manifeste, des évaluations professionnelles de celle-ci et que l'employeur, qui n'a pas eu la volonté d'éluder les termes de l'alerte, apporte un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles.
14. Il énonce, ensuite, après avoir constaté que la lettre de licenciement déclinait des griefs portant exclusivement sur le travail de la salariée, que l'examen du caractère réel et sérieux de tels griefs relève du juge du fond.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la salariée présentait des éléments permettant de présumer qu'elle avait signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, en sorte qu'il lui appartenait de rechercher si l'employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation prononcée sur le premier moyen rend sans objet le second moyen, le grief de harcèlement moral ne venant à l'appui d'aucune demande distincte mais ayant été présenté comme le second fondement des demandes au titre de la nullité du licenciement.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de nullité de l'ordonnance et la fin de non recevoir, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Thales six GTS France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Thales six GTS France et la condamne à payer à Mme [E], au syndicat SPIC UNSA et à l'association Maison des lanceurs d'alerte la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme [E], l'association Maison des lanceurs d'alerte, et le syndicat SPIC UNSA
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Madame [V] [E], L'Association Maison des Lanceurs d'Alerte et le Syndicat SPIC UNSA font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle « a dit que les pièces et moyens de droit fournis par Mme [E] n'ont pas permis d'établir et de démontrer un lien évident et non équivoque de cause à effet entre le fait d'avoir lancé une alerte et le licenciement pour cause réelle et sérieuse, que les représailles envers Mme [E] n'étaient pas davantage établies [en sorte] qu'il n'y avait pas eu violation du statut protecteur prévu par les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail », d'AVOIR dit que « l'appréciation du motif de licenciement de Mme [E] relevait exclusivement des juges du fond » et en conséquence, de les AVOIR déboutés de leurs demandes tendant, pour Mme [E], à ce qu'il soit jugé que son licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail, que sa réintégration soit ordonnée et que la Société THALES soit condamnée au paiement des salaires qui auraient dû lui être versés entre la fin de son préavis et sa réintégration, au paiement de la prime sur l'exercice 2019 et à la somme de 50 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts résultant du préjudice moral lié au licenciement discriminatoire, pour le Syndicat SPIC UNSA, de sa demande tendant à ce que la Société THALES soit condamnée à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels sur le fondement de l'article L. 2132-3 du code du travail et pour l'Association Maison des Lanceurs d'Alerte, de ses demandes similaires à celle de Mme [E] et de sa demande tendant à ce que la Société THALES soit condamnée à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
1) ALORS D'ABORD QUE, que le juge des référés auquel il appartient, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue le licenciement d'un salarié en raison de son statut de lanceur d'alerte, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, et dans l'affirmative, rechercher si l'employeur apporte des éléments objectifs de nature à justifier que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'alerte de l'intéressé ; qu'en affirmant, pour débouter Mme [E] de sa demande tendant à ce que son licenciement soit jugé nul comme résultant de l'alerte qu'elle avait émise, que l'examen de la cause réelle et sérieuse du licenciement relevait des juges du fond, après avoir pourtant considéré que Mme [E] avait le statut de lanceur d'alerte au sens de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher si le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à cette alerte et ce faisant, reposait sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article R1455-6 du code du travail, ensemble les articles L.1132-3-3 et L.1132-4 du code du travail ;
2) ALORS A TOUT LE MOINS QUE, en retenant, pour débouter Mme [E] de sa demande tendant à ce que son licenciement soit annulé comme résultant de son statut de lanceur d'alerte, que l'appréciation de la cause réelle et sérieuse de son licenciement relevait de la compétence exclusive des juges du fond, la cour d'appel, qui l'a privée d'une protection effective contre les discriminations, a violé les articles 6§1, 10 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article R1455-6 du code du travail ;
3) ALORS ENSUITE QUE, en application de l'article L.1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à un salarié qui a lancé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé ; qu'en l'espèce, en affirmant que « si le conseil de prud'hommes ne pouvait s'appuyer exclusivement sur les pièces produites par la salariée pour exclure l'existence d'un lien manifeste entre la qualité de lanceur d'alerte et le licenciement, la cour, sur la base des éléments objectifs produits par l'employeur, aboutit à la même conclusion », après avoir pourtant affirmé que l'examen de la cause réelle et sérieuse du licenciement relevait des juges du fond et s'être bornée à examiner les mesures de représailles antérieures au licenciement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a derechef violé les articles L.1132-3-3 du code du travail et R1455-6 du code du travail ;
4) ALORS ENCORE QUE en application de l'article L.1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à un salarié qui a lancé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé ; qu'en affirmant, pour débouter Mme [E] de sa demande tendant à ce que son licenciement soit annulé car résultant de son statut de lanceur d'alerte, que la lettre de licenciement ne vise que des griefs portant sur le travail de Mme [E] et qu'il n'existerait pas de lien manifeste entre la qualité de lanceur d'alerte et le licenciement, alors qu'il n'appartenait pas à Mme [E] d'établir l'existence d'un lien manifeste entre son licenciement et son signalement mais à l'employeur d'établir que le licenciement de Mme [E] était fondé sur des éléments objectifs étrangers à son alerte, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article R1455-6 du code du travail ;
5) ALORS AU SURPLUS, à supposer les motifs des premiers juges adoptés, QUE, en application de l'article L.1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à un salarié qui a lancé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé ; qu'en affirmant, pour statuer comme elle l'a fait, que les éléments produits par Mme [E] ne permettent pas de démontrer que le licenciement constitue une mesure de représailles lié au signalement effectué, et qu'il existe un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a derechef violé le texte susvisé, ensemble l'article R1455-6 du code du travail ;
6) ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE, dans ses écritures, et tel que le Défenseur des droits l'a relevé dans ses deux décisions et ainsi que le démontrait également l'Association Maison des Lanceurs d'Alerte, Mme [E] avait soutenu et établi que le lien entre son licenciement et son alerte ne faisait aucun doute dès lors d'une part, que ce sont les personnes visées par l'alerte qui avaient initié et mené la procédure de licenciement, d'autre part, que le compte-rendu d'entretien préalable faisait expressément référence au lien entre la dégradation des relations de travail et l'alerte, enfin, que la Société THALES avait décidé de la licencier immédiatement après que le Comité éthique ait rendu ses conclusions relatives à son alerte, autant d'éléments démontrant sans conteste le lien entre l'alerte et le licenciement de Mme [E] ; qu'en se bornant à affirmer de manière péremptoire que Mme [E] n'établissait pas de lien entre son licenciement et son signalement et pour ce faire, d'examiner les mesures de représailles dont elle avait fait état avant son licenciement, sans rechercher, ni préciser, si ces éléments précis et matériellement vérifiables n'étaient pas de nature à établir l'existence d'un tel lien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1132-3-3 du code du travail, ensemble l'article R1455-6 du code du travail ;
7) ALORS PAR AILLEURS QUE, en application de l'article L.1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à un salarié qui a lancé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé ; en affirmant, pour se déterminer comme elle l'a fait, que le lien entre la détérioration de la relation de travail et l'alerte donnée par Mme [E] ne ressortait pas de façon manifeste des évaluations de la salariée, cependant que dès lors qu'elle avait considéré que Mme [E] disposait du statut de lanceur d'alerte, il lui appartenait de rechercher si la détérioration des relations de travail était justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'alerte émise par la salariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article R1455-6 du code du travail ;
8) ALORS AU SURPLUS QUE, en affirmant, pour se déterminer comme elle l'a fait, que le lien entre la détérioration de la relation de travail et l'alerte donnée par Mme [E] ne ressortait pas de façon manifeste des évaluations de la salariée, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a derechef violé l'article L.1132-3-3 du code du travail, ensemble l'article R1455-6 du code du travail ;
9) ALORS EN OUTRE QUE, en affirmant, pour débouter Mme [E] de sa demande tendant à ce que son licenciement soit jugé nul et de nul effet, que la Société THALES apportait un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles cependant qu'il lui appartenait de rechercher si l'employeur apportait des éléments objectifs quant au licenciement dont Mme [E] sollicitait l'annulation, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article L. 1132-3-3 du code du travail, ensemble l'article R1455-6 du code du travail ;
10) ALORS ENCORE QUE, en affirmant, pour débouter Mme [E] de sa demande tendant à ce que son licenciement soit jugé nul et de nul effet, que la Société THALES apportait un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles, cependant qu'à l'appui de ses écritures, la Société THALES n'a jamais, à aucun moment, soutenu que les mesures de représailles dont se prévalait Mme [E] étaient fondées sur des éléments objectifs, se bornant à alléguer que le licenciement n'était pas lié à l'alerte, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
11) ALORS A TOUT LE MOINS QUE, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office et sans recueillir préalablement les observations des parties, que la Société THALES apportait un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles, cependant qu'à l'appui de ses écritures, la Société THALES n'a jamais, à aucun moment, soutenu que les mesures de représailles dont se prévalait Mme [E] étaient fondées sur des éléments objectifs, se bornant à alléguer que le licenciement n'était pas lié à l'alerte, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
12) ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QUE, en se bornant, sur l'essentiel des mesures de représailles avancées par la salariée, à affirmer que l'employeur apportait des justifications objectives, sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait, la cour d'appel, qui n'a pas motivé sa décision, a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Madame [V] [E], L'Association Maison des Lanceurs d'Alerte et le Syndicat SPIC UNSA font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle « a dit que les pièces et moyens de droit fournis par Mme [E] n'ont pas permis d'établir et de démontrer un lien évident et non équivoque de cause à effet entre le fait d'avoir lancé une alerte et le licenciement pour cause réelle et sérieuse, que les représailles envers Mme [E] n'étaient pas davantage établies [en sorte] qu'il n'y avait pas eu violation du statut protecteur prévu par les dispositions de l'article L.1132-3-3 du code du travail », et en conséquence, de les AVOIR déboutés de leurs demandes tendant, pour Mme [E], à ce qu'il soit jugé que son licenciement était nul en application de l'article L.1152-3 du code du travail, que sa réintégration soit ordonnée et que la Société THALES soit condamnée à la somme de 50 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts résultant du préjudice moral lié au harcèlement, pour le Syndicat SPIC UNSA, de sa demande tendant à ce que la Société THALES soit condamnée à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels sur le fondement de l'article L.2132-3 du code du travail et pour l'Association Maison des Lanceurs d'Alerte, de ses demandes similaires à celle de Mme [E] et de sa demande tendant à ce que la Société THALES soit condamnée à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
1) ALORS QUE, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation, qui ne manquera pas d'intervenir du chef du premier moyen, emportera la censure de l'arrêt en ce qu'il a débouté Mme [E] de sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que son licenciement était nul en application de l'article L.1152-3 du code du travail, que sa réintégration soit ordonnée et que la Société THALES soit condamnée au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de provision sur dommages et intérêts résultant du préjudice moral lié au harcèlement, pour le Syndicat SPIC UNSA, de sa demande tendant à ce que la Société THALES soit condamnée à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts provisionnels sur le fondement de l'article L.2132-3 du code du travail et pour l'Association Maison des Lanceurs d'Alerte, de ses demandes similaires à celle de Mme [E] et de sa demande tendant à ce que la Société THALES soit condamnée à lui verser la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
2) ALORS EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE, dans ses écritures, et tel que le Défenseur des droits l'a relevé dans ses deux décisions et ainsi que le démontrait également l'Association Maison des Lanceurs d'Alerte, Mme [E] avait soutenu et établi que le lien entre son licenciement et son alerte fondée notamment sur le harcèlement moral qu'elle avait subi, ne faisait aucun doute dès lors d'une part, que ce sont les personnes visées par l'alerte qui avaient initié et mené la procédure de licenciement, d'autre part, que le compte-rendu d'entretien préalable faisait expressément référence au lien entre la dégradation des relations de travail et l'alerte, enfin, que la Société THALES avait décidé de la licencier immédiatement après que le Comité éthique ait rendu ses conclusions relatives à son alerte, autant d'éléments démontrant sans conteste le lien entre l'alerte et le licenciement de Mme [E] ; qu'en se bornant à affirmer de manière péremptoire que Mme [E] n'établissait pas de lien entre son licenciement et son signalement quant aux agissements de harcèlement moral qu'elle subissait, sans rechercher, ni préciser si ces éléments précis et matériellement vérifiables n'étaient pas de nature à établir l'existence d'un tel lien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail ;
3) AU SURPLUS QUE, en affirmant, pour se déterminer comme elle l'a fait, que le lien entre la détérioration de la relation de travail et l'alerte donnée par Mme [E] ne ressortait pas de façon manifeste des évaluations de la salariée, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a derechef violé l'article L.1132-3-3 du code du travail ;
4) ALORS ENCORE QUE, en affirmant, pour débouter Mme [E] de sa demande tendant à ce que son licenciement soit jugé nul et de nul effet, que la Société THALES apportait un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles, cependant qu'à l'appui de ses écritures, la Société THALES n'a jamais, à aucun moment, soutenu que les mesures de représailles dont se prévalait Mme [E] étaient fondées sur des éléments objectifs, se bornant à alléguer que le licenciement n'était pas lié à l'alerte, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
5) ALORS A TOUT LE MOINS QUE, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office et sans recueillir préalablement les observations des parties, que la Société THALES apportait un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles, cependant qu'à l'appui de ses écritures, la Société THALES n'a jamais, à aucun moment, soutenu que les mesures de représailles dont se prévalait Mme [E] étaient fondées sur des éléments objectifs, se bornant à alléguer que le licenciement n'était pas lié à l'alerte, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
6) ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QUE, en se bornant, sur l'essentiel des mesures de représailles avancées par la salariée, à affirmer que l'employeur apportait des justifications objectives, sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait, la cour d'appel, qui n'a pas motivé sa décision, a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Il résulte des dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, et de celles des articles L. 1132-4 et R. 1455-6 du même code que, lorsqu'elle constate qu'un salarié présente des éléments permettant de présumer qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, il appartient à la formation de référé de la juridiction prud'homale de rechercher si l'employeur rapporte la preuve que sa décision de le licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressée |
8,564 | SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 92 FS-B
Pourvoi n° J 20-19.661
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER FÉVRIER 2023
Mme [U] [C], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 20-19.661 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2020 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de Mme [Y] [O], en qualité de mandataire judiciaire de la société Cassin et fils,
2°/ à la société FHB, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en la personne de Mme [L] [F], en qualité d'administrateur judiciaire de la société Cassin et fils,
3°/ à l'AGS CGEA Ile-de-France Est, dont le siège est [Adresse 4],
4°/ à la société Cassin et fils, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [C], de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société MJA, de la société FHB, de la société Cassin et fils, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, M. Le Corre, Mme Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 25 mai 2020), Mme [C] a été engagée par contrats saisonniers le 10 juillet 1995 par la société Cassin et fils hôtel Paradis (la société), en qualité d'assistante de direction. Elle a été engagée par contrat à durée indéterminée du 2 janvier 2013 en qualité de directrice, puis affectée au poste de directrice d'hébergement à compter du 1er janvier 2014.
2. Le 16 décembre 2016, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique. Le contrat de travail a été rompu à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait après son adhésion, le 9 janvier 2017, au contrat de sécurisation professionnelle.
3. Par jugement du 18 février 2020, la société a été mise en redressement judiciaire et les sociétés MJA, prise en la personne de Mme [O], et FHB, prise en la personne de Mme [F], désignées respectivement en qualité de mandataire judiciaire et d'administrateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et le second moyen, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement est intervenu pour motif économique et de la débouter de ses demandes subséquentes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, alors « que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ; qu'en retenant que le licenciement était justifié par la baisse du seul excédent brut d'exploitation, quand elle a constaté que le chiffre d'affaire de l'entreprise avait augmenté au cours de la même période de sorte que l'évolution n'était pas significative, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
7. La cour d'appel, appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a d'abord constaté que la société justifiait qu'elle avait été confrontée à des difficultés économiques caractérisées par une dégradation de l'excédent brut d'exploitation (EBE) négatif de - 726 000 euros en 2014, puis de - 874 000 euros en 2015. Elle a ensuite relevé que si, en 2016, l'EBE dégagé avait été positif à + 32 000 euros, ce chiffre était le résultat d'opérations financières qu'elle avait réalisées et notamment la renégociation d'un crédit- bail immobilier, une baisse significative des frais de holding, ainsi qu'un apport en compte courant associé. Elle a enfin constaté qu'en 2017, l'EBE estimé à - 106 000 euros par la société dans sa note d'information des motifs économiques, était négatif de - 124 013 euros dans les comptes de l'exercice 2017.
8. Elle a pu en déduire, au regard du caractère sérieux et durable de la dégradation de l'excédent brut d'exploitation, que cet indicateur avait subi une évolution significative.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [C]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [C] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit que son licenciement est intervenu pour motif économique, de l'AVOIR déboutée de ses demandes subséquentes à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents.
1° ALORS QUE les difficultés économiques doivent être appréciées au niveau de l'entreprise, ou, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe ; qu'il n'y a lieu de réduire l'appréciation des difficultés économiques au secteur d'activité du groupe et non à l'ensemble du groupe que pour autant que celui-ci est composé de secteurs d'activité différents ; qu'en retenant que les sociétés Vimac et Alafan ne faisaient pas partie du secteur de l'hôtellerie-restauration comme la société employeur Cassin et Fils, sans constater que le groupe auquel elles appartenaient comportait plusieurs secteurs d'activité, la cour d'appel a privé de base légale sa décision au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable.
2° ALORS QUE les difficultés économiques doivent être appréciées au niveau de l'entreprise, ou, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe ; que la circonstance que l'une des sociétés soit une société de participation financière dépourvue d'activité commerciale et sans aucun salarié ne suffit pas à l'exclure du secteur d'activité du groupe en tant que périmètre d'appréciation des difficultés économiques ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable.
3° ALORS, en tout état de cause, QUE constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ; qu'en retenant que le licenciement était justifié par la baisse du seul excédent brut d'exploitation, quand elle a constaté que le chiffre d'affaire de l'entreprise avait augmenté au cours de la même période de sorte que l'évolution n'était pas significative, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction alors applicable.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [C] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR déboutée de ses demandes de rappel de salaire au titre d'heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, et de l'AVOIR déboutée de sa demande indemnitaire pour travail dissimulé.
ALORS QUE la charge de la preuve des horaires de travail accomplis n'incombe spécialement à aucune des parties ; que le salarié est seulement tenu de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies ; que la cour d'appel a constaté que la salariée a produit des tableaux annuels détaillant semaine par semaine les heures effectuées, ainsi que les agendas des années 2014, 2015 et 2016 détaillant pour chaque journée de travail l'heure de prise de service et l'heure de débauche ; qu'en considérant que ces éléments ne sont pas suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments et que les éléments versés par la salariée ne « permettent pas d'étayer sa demande », la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. | Aux termes de l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Dès lors, une cour d'appel qui, ayant constaté que l'employeur justifiait avoir été confronté à des difficultés économiques caractérisées par une dégradation de l'excédent brut d'exploitation, a pu en déduire, au regard du caractère sérieux et durable de cette dégradation, que cet indicateur avait subi une évolution significative |
8,565 | SOC. / ELECT
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er février 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 99 FS-B
Pourvoi n° P 21-13.206
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER FÉVRIER 2023
1°/ Le comité social et économique Codirep, dont le siège est [Adresse 26],
2°/ Mme [WW] [Y], domiciliée [Adresse 9],
3°/ M. [H] [W], domicilié [Adresse 5],
4°/ Mme [M] [R], domiciliée [Adresse 3],
5°/ M. [H] [F], domicilié [Adresse 17],
6°/ Mme [K] [P], domiciliée [Adresse 7], chez M. [OU] [Z], [Localité 22],
7°/ Mme [JJ] [VB] [I] [E], domiciliée [Adresse 15],
8°/ Mme [MI] [L], domiciliée [Adresse 23],
9°/ M. [S] [C], domicilié [Adresse 1],
10°/ Mme [G] [V] épouse [D], domiciliée [Adresse 10],
11°/ Mme [TX] [SC], domiciliée [Adresse 19],
12°/ Mme [DL] [UN], domiciliée [Adresse 2],
13°/ M. [X] [A] [PY], domicilié [Adresse 12],
14°/ M. [O] [MZ], domicilié [Adresse 27],
15°/ Mme [KA] [FG], domiciliée [Adresse 8],
16°/ Mme [LE] [ZV], domiciliée [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° P 21-13.206 contre le jugement rendu le 1er mars 2021 par le tribunal judiciaire de Paris (contentieux des élections professionnelles, pôle social), dans le litige les opposant :
1°/ à la fédération des syndicats CFTC commerce, services et force de vente, dont le siège est [Adresse 16],
2°/ à la société Fnac Darty participations et services, société anonyme, dont le siège est [Adresse 26],
3°/ à la société Codirep, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 26],
4°/ au syndicat CFDT Tour Essor, dont le siège est [Adresse 4],
5°/ au syndicat Confédération générale du travail, dont le siège est [Adresse 13],
6°/ au syndicat CFE CGC, dont le siège est [Adresse 25],
7°/ à M. [YR] [N], domicilié [Adresse 11],
8°/ à Mme [ST] [GK], domiciliée [Adresse 24],
9°/ à M. [HO] [KN], domicilié [Adresse 14],
10°/ à Mme [IF] [U], domiciliée [Adresse 21],
11°/ à M. [VS] [B], domicilié [Adresse 18],
12°/ à M. [J] [TG], domicilié [Adresse 20],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du comité social et économique Codirep, de Mme [Y] et des quatorze autres salariés, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Fnac Party participations et services, de la société Codirep, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la fédération des syndicats CFTC commerce, services et force de vente, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Bouvier, conseillers, Mme Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 1er mars 2021), un accord collectif, intitulé « accord portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac », a été conclu le 18 septembre 2018 entre la société Fnac Darty participations et services et les sociétés françaises dont la première détient plus de 50 % du capital, et les organisations syndicales représentatives. Il prévoit la mise en place d'un comité social et économique unique au sein de la société Codirep, incluse dans le périmètre de l'accord, ainsi que des représentants de proximité, en application de l'article L. 2313-7 du code du travail, au niveau de chaque site de plus de onze salariés compris dans le périmètre du comité social et économique.
2. Les membres de la délégation du personnel au comité social et économique Codirep (le comité social et économique) ont été élus en février 2019.
3. Au regard de son effectif, le site de [Localité 28] de la société Codirep a bénéficié de quatre sièges de représentant de proximité, qui ont tous été attribués à des candidats du syndicat CFTC. A la suite de la démission de l'un de ces représentants de proximité, lors de sa réunion du 10 décembre 2020, qui s'est tenue par visioconférence, le comité social et économique a désigné, parmi les deux candidats présentés, M. [N], candidat sans appartenance syndicale.
4. Invoquant un non-respect des règles prévues par l'accord collectif du 18 septembre 2018 et des avis de la commission de suivi et d'interprétation de cet accord, la fédération des syndicats CFTC commerces services et force de vente (le syndicat CFTC) a saisi, le 29 décembre 2020, le tribunal judiciaire aux fins notamment d'annuler l'élection de M. [N].
5. En défense, le comité social et économique, Mme [Y] et quatorze autres salariés (les salariés) ont demandé au tribunal de se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire de Créteil, saisi par voie d'assignation selon la procédure avec représentation obligatoire des parties, et de dire irrecevables les demandes formées par le syndicat.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le comité social et économique et les salariés font grief au jugement de constater la compétence du tribunal judiciaire de Paris et d'annuler l'élection par le comité social et économique de M. [N], le 10 décembre 2020, en qualité de représentant de proximité au magasin de [Localité 28], alors :
« 1°/ que la saisine du tribunal judiciaire en contestation de la désignation d'un représentant de proximité ne peut se faire que par voie d'assignation ; qu'en l'espèce, en déclarant le tribunal judiciaire de Paris compétent et en statuant sur les demandes de la fédération CFTC en annulation de la désignation de M. [N], quand il ressortait de ses propres constatations que la fédération CFTC avait saisi le tribunal judiciaire de Paris par requête et non par assignation comme elle aurait dû le faire, le tribunal judiciaire a violé l'article 750 du code de procédure civile ;
2°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, le CSE Codirep faisait valoir que le tribunal judiciaire ne pouvait être saisi des demandes de la fédération CFTC en annulation de la désignation de M. [N] en qualité de représentant de proximité que par voie d'assignation et non par voie de requête, de sorte que les demandes de la fédération syndicale étaient irrecevables ; qu'en déclarant le tribunal judiciaire de Paris compétent et en statuant sur les demandes de la fédération syndicale, sans répondre à ce moyen opérant du CSE Codirep, le tribunal judiciaire a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la saisine du tribunal judiciaire en contestation de désignation d'un représentant de proximité ne peut se faire que selon la procédure avec représentation obligatoire ; qu'en l'espèce, le CSE Codirep faisait valoir que le tribunal judiciaire avait été irrégulièrement saisi puisque la fédération CFTC avait déposé sa requête sans être représentée par un avocat ; qu'en déclarant le tribunal judiciaire de Paris compétent et en statuant sur les demandes de la fédération syndicale, sans rechercher, comme il y était invité, si la fédération CFTC n'aurait pas dû être représentée par un avocat lors de saisine du tribunal, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard des articles 760 et 761 du code de procédure civile et R. 2113-15 et R. 211-3-16 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
8. L'article L. 2313-7 du code du travail dispose que l'accord d'entreprise défini à l'article L. 2313-2 peut mettre en place des représentants de proximité. L'accord définit également : 1° Le nombre de représentants de proximité ; 2° Les attributions des représentants de proximité, notamment en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail ; 3° Les modalités de leur désignation ; 4° Leurs modalités de fonctionnement, notamment le nombre d'heures de délégation dont bénéficient les représentants de proximité pour l'exercice de leurs attributions. Les représentants de proximité sont membres du comité social et économique ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité.
9. En application de l'article R. 2314-24 du code du travail, le tribunal judiciaire est saisi par requête des contestations portant sur l'électorat et la régularité des opérations électorales ainsi que sur la désignation de représentants syndicaux.
10. Aux termes de l'article R. 211-3-15, 1°, du code de l'organisation judiciaire, dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1214 du 2 octobre 2020, le tribunal judiciaire connaît des contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité et à la régularité des opérations électorales en ce qui concerne l'élection des membres de la délégation du personnel aux comités sociaux et économiques d'entreprise, aux comités sociaux et économiques d'établissement et aux comités sociaux et économiques centraux d'entreprise.
11. Selon l'article R. 211-3-16 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1214 du 2 octobre 2020, le tribunal judiciaire connaît des contestations relatives à la désignation des délégués syndicaux et des représentants syndicaux aux comités sociaux et économiques d'entreprise, aux comités sociaux et économiques d'établissement, aux comités sociaux et économiques centraux d'entreprise et aux comités de groupe.
12. En vertu de l'article 761, 2°, du code de procédure civile, les parties sont dispensées de constituer avocat dans les cas prévus par la loi ou le règlement et notamment dans les matières énumérées par les articles R. 211-3-15 et R. 211-3-16 du code de l'organisation judiciaire.
13. Il résulte de l'application combinée de ces textes que la contestation des désignations de représentants de proximité, qui sont membres du comité social et économique ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus, doit être formée devant le tribunal judiciaire statuant sur requête, les parties étant dispensées de constituer avocat.
14. Dès lors le tribunal, devant lequel les parties n'étaient pas tenues d'être représentées, n'encourt pas la critique en ce que, ayant retenu sa compétence, il s'est prononcé sur la contestation relative à la désignation d'un représentant de proximité dont il avait été valablement saisi par requête.
15. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
16. Le comité social et économique et les salariés font le même grief au jugement, alors « que lorsque la désignation d'un représentant de proximité a lieu au cours d'une réunion du CSE qui s'est tenue par visioconférence, le recours à la visioconférence ne peut faire échec à la compétence du tribunal judiciaire qui aurait été territorialement compétent si l'élection avait eu lieu en présentiel ; qu'en l'espèce, en retenant que parce que l'élection qui avait eu lieu par visioconférence ne pouvait être rattachée physiquement à un lieu géographique, il y avait lieu de retenir la compétence du tribunal dont relevait le magasin de [Localité 28], soit le tribunal judiciaire de Paris, quand le tribunal compétent aurait été, si la réunion n'avait pas eu lieu en visioconférence, celui du lieu des élections, soit celui du siège du CSE qui relevait du tribunal judiciaire de Créteil, le tribunal judiciaire a violé les dispositions de l'article L. 2313-7 du code du travail. »
Réponse de la Cour
17. En application de l'article L. 2313-7, 3°, du code du travail, l'accord d'entreprise qui met en place des représentants de proximité définit les modalités de leur désignation.
18. Au regard de la finalité de l'institution des représentants de proximité, créée par l'article L. 2313-7 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 éclairée par les travaux parlementaires de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, lesquels représentants ont vocation à exercer leur mandat de représentation des salariés au niveau du périmètre du site sur lequel ils sont désignés par le comité social et économique selon des modalités définies par l'accord d'entreprise qui les met en place, il y a lieu de juger que les contestations relatives aux conditions de désignation des représentants de proximité sont de la compétence du tribunal judiciaire du lieu où la désignation est destinée à prendre effet, peu important les modalités de cette désignation.
19. Ayant constaté que le magasin de [Localité 28] était intéressé par la désignation de M. [N] en qualité de représentant de proximité sur ce site, le jugement en a déduit à bon droit que le tribunal judiciaire de Paris était compétent pour connaître de la contestation relative à la désignation de l'intéressé.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
21. Le comité social et économique et les salariés font grief au jugement d'annuler l'élection par le comité social et économique de M. [N], le 10 décembre 2020, en qualité de représentant de proximité au magasin de [Localité 28], alors :
« 1°/ qu'en l'absence de disposition de l'accord collectif prévoyant que l'avis de la commission paritaire d'interprétation aura la valeur d'un avenant à l'accord, cet avis ne lie pas le juge, auquel il appartient de trancher le litige sans s'en remettre à l'avis de la commission ; qu'en l'espèce, après avoir retenu que la commission d'interprétation de l'accord du 18 septembre 2018 portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac avait précisé que les sièges de représentants de proximité appartenaient aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale sur le site en question et que le comité social et économique devait désigner le candidat choisi par l'organisation syndicale, y compris en cas de remplacement d'un représentant de proximité, le tribunal judiciaire en a conclu que le poste de représentant de proximité vacant sur le site de [Localité 28] revenait donc à la CFTC, de sorte que l'élection de M. [N], dont la candidature n'avait pas été présentée par la CFTC, avait été effectuée en violation des délibérations de la commission d'interprétation ; qu'en statuant ainsi, quand il ne ressortait pas de ses constatations que les avis de la commission d'interprétation avaient valeur d'avenant, le tribunal judiciaire a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
2°/ que l'article 2 de la section 3 du chapitre V de l'accord du 18 septembre 2018 portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac prévoit que « la liste de chaque candidat pour chaque site composant le CSE/CSER est présentée aux membres titulaires du CSE/CSER qui procèdent alors à un vote à la majorité des membres présents lors d'une réunion extraordinaire (à l'exception du président du CSE/CSER) afin de désigner les RP pour chaque site » ; qu'en retenant que les sièges de représentants de proximité appartiennent aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale sur le site en question et que le comité social et économique doit désigner le candidat choisi par l'organisation syndicale, y compris en cas de remplacement d'un représentant de proximité, le tribunal judiciaire a violé l'article 2 de la section 3 du chapitre V de l'accord du 18 septembre 2018. »
Réponse de la Cour
22. Si l'interprétation donnée par une commission paritaire conventionnelle du texte d'un accord collectif n'a pas de portée obligatoire pour le juge, ce dernier peut, après analyse du texte, faire sienne l'interprétation de la commission.
23. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 2 de la section 3 du chapitre 5 de l'accord d'entreprise du 18 septembre 2018, les représentants de proximité « sont désignés en fonction de la représentativité obtenue par chaque organisation syndicale sur le site. Ainsi pour les organisations syndicales ayant participé aux élections du CSE/CSER de l'entreprise/région, cette répartition se fait en fonction des suffrages valablement exprimés recueillis par chaque organisation syndicale sur le site, en appliquant la règle de la proportionnalité à la plus forte moyenne conformément aux dispositions légales régissant les élections professionnelles ». L'alinéa 5 du même texte dispose que « La liste de chaque candidat pour chaque site composant le CSE/CSER est présentée aux membres titulaires du CSE/CSER qui procèdent alors à un vote à la majorité des membres présents lors d'une réunion extraordinaire (à l'exception du président du CSE/CSER) afin de désigner les RP pour chaque site ».
24. Le tribunal, prenant en compte les avis des 19 avril et 31 octobre 2019 de la commission de suivi et d'interprétation de l'accord, sans leur conférer un effet obligatoire, a retenu à bon droit qu'en application de l'article 2 susvisé de l'accord, les représentants de proximité sont désignés en fonction de la représentativité obtenue par chaque organisation syndicale sur le site concerné et que la même règle s'applique en cas de remplacement d'un représentant de proximité, en sorte que, compte tenu du score électoral obtenu par le syndicat CFTC sur le site de [Localité 28] lors des dernières élections professionnelles, le candidat présenté par ce syndicat devait être désigné en remplacement du représentant de proximité ayant démissionné.
25. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour le comité sociale et économique Codirep, Mme [Y] et les quatorze autres salariés
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR constaté la compétence du tribunal judiciaire de Paris et d'AVOIR annulé l'élection de M. [N] par le CSE Codirep du 10 décembre 2020 au poste de représentant de proximité au magasin de [Localité 28] ;
AUX MOTIFS QUE conformément à l'article R. 211-3-15, le tribunal judiciaire connaît des contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité et à la régularité des opérations électorales en ce qui concerne l'élection des membres de la délégation du personnel aux comités sociaux et économiques d'entreprise, aux comités sociaux et économiques d'établissement et aux comités sociaux et économiques centraux d'entreprise ; que si les RP ne sont pas directement élus par les salariés, ils sont désignés par le CSE, à l'instar des membres du CSE central ; que l'article 2 de l'accord portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac relatif aux modalités de désignation du RP, stipule : « Les RP sont désignés en fonction de la représentativité obtenue par chaque organisation syndicale sur le site. Ainsi pour les organisations syndicales ayant participé aux élections du CSE/CSER de l'entreprise/région, cette répartition se fait en fonction des suffrages valablement exprimés recueillis par chaque organisation syndicale sur le site, en appliquant la règle de la proportionnalité à la plus forte moyenne conformément aux dispositions légales régissant les élections professionnelle » ; que l'article 1 de cet accord, relatif aux attributions générales des représentants de proximité, stipule : « Les RP exercent les attributions suivantes : - présenter au représentant de l'employeur les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l'application du code du travail et des autres dispositions légales concernant notamment la protection sociale, ainsi que des conventions et accords applicables dans l'entreprise ; - gérer les activités sociales et culturelles de leur site d'affectation par délégation du CSE/CSER qui les a désignés, dans l'hypothèse où le CSE/CSER transfère cette attribution » ; qu'ainsi, l'accord collectif d'entreprise prévoit que les RP exercent les missions des élus du CSE localement ; que compte tenu des modalités de désignations, similaires à celles des membres du CSE central, et des attributions des RP, proches de celles des élus du CSE, le tribunal judiciaire de Paris est matériellement compétent (« rationae materiae ») ; qu'en outre, l'élection qui a eu lieu par visioconférence ne peut être rattachée physiquement à un lieu géographique ; que la proclamation du résultat ayant eu lieu au magasin de [Localité 28], seul intéressé par cette élection, le tribunal judiciaire de Paris est géographiquement compétent (« rationae loci ») ;
1) ALORS QUE la saisine du tribunal judiciaire en contestation de la désignation d'un représentant de proximité ne peut se faire que par voie d'assignation ; qu'en l'espèce, en déclarant le tribunal judiciaire de Paris compétent et en statuant sur les demandes de la fédération CFTC en annulation de la désignation de M. [N], quand il ressortait de ses propres constatations que la fédération CFTC avait saisi le tribunal judiciaire de Paris par requête et non par assignation comme elle aurait dû le faire, le tribunal judiciaire a violé l'article 750 du code de procédure civile ;
2) ALORS, en toute hypothèse, QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, le CSE Codirep faisait valoir que le tribunal judiciaire ne pouvait être saisi des demandes de la fédération CFTC en annulation de la désignation de M. [N] en qualité de représentant de proximité que par voie d'assignation et non par voie de requête, de sorte que les demandes de la fédération syndicale étaient irrecevables (conclusions pp. 6-7) ; qu'en déclarant le tribunal judiciaire de Paris compétent et en statuant sur les demandes de la fédération syndicale, sans répondre à ce moyen opérant du CSE Codirep, le tribunal judiciaire a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE la saisine du tribunal judiciaire en contestation de désignation d'un représentant de proximité ne peut se faire que selon la procédure avec représentation obligatoire ; qu'en l'espèce, le CSE Codirep faisait valoir que le tribunal judiciaire avait été irrégulièrement saisi puisque la fédération CFTC avait déposé sa requête sans être représentée par un avocat (conclusions p. 7) ; qu'en déclarant le tribunal judiciaire de Paris compétent et en statuant sur les demandes de la fédération syndicale, sans rechercher, comme il y était invité, si la fédération CFTC n'aurait pas dû être représentée par un avocat lors de saisine du tribunal, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard des articles 760 et 761 du code de procédure civile et R. 2113-15 et R. 211-3-16 du code de l'organisation judiciaire.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR constaté la compétence du tribunal judiciaire de Paris et d'AVOIR annulé l'élection de M. [N] par le CSE Codirep du 10 décembre 2020 au poste de représentant de proximité au magasin de [Localité 28] ;
AUX MOTIFS QUE conformément à l'article R. 211-3-15, le tribunal judiciaire connaît des contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité et à la régularité des opérations électorales en ce qui concerne l'élection des membres de la délégation du personnel aux comités sociaux et économiques d'entreprise, aux comités sociaux et économiques d'établissement et aux comités sociaux et économiques centraux d'entreprise ; que si les RP ne sont pas directement élus par les salariés, ils sont désignés par le CSE, à l'instar des membres du CSE central ; que l'article 2 de l'accord portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac relatif aux modalités de désignation du RP, stipule : « Les RP sont désignés en fonction de la représentativité obtenue par chaque organisation syndicale sur le site. Ainsi pour les organisations syndicales ayant participé aux élections du CSE/CSER de l'entreprise/région, cette répartition se fait en fonction des suffrages valablement exprimés recueillis par chaque organisation syndicale sur le site, en appliquant la règle de la proportionnalité à la plus forte moyenne conformément aux dispositions légales régissant les élections professionnelle » ; que l'article 1 de cet accord, relatif aux attributions générales des représentants de proximité, stipule : « Les RP exercent les attributions suivantes : - présenter au représentant de l'employeur les réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l'application du code du travail et des autres dispositions légales concernant notamment la protection sociale, ainsi que des conventions et accords applicables dans l'entreprise ; - gérer les activités sociales et culturelles de leur site d'affectation par délégation du CSE/CSER qui les a désignés, dans l'hypothèse où le CSE/CSER transfère cette attribution » ; qu'ainsi, l'accord collectif d'entreprise prévoit que les RP exercent les missions des élus du CSE localement ; que compte tenu des modalités de désignations, similaires à celles des membres du CSE central, et des attributions des RP, proches de celles des élus du CSE, le tribunal judiciaire de Paris est matériellement compétent (« rationae materiae ») ; qu'en outre, l'élection qui a eu lieu par visioconférence ne peut être rattachée physiquement à un lieu géographique ; que la proclamation du résultat ayant eu lieu au magasin de [Localité 28], seul intéressé par cette élection, le tribunal judiciaire de Paris est géographiquement compétent (« rationae loci ») ;
1) ALORS QU'il est fait interdiction au juge de dénaturer les éléments de la cause ; qu'en l'espèce, en affirmant que la proclamation des résultats avait eu lieu à [Localité 28] quand il ressortait du procès-verbal de la réunion du CSE du 10 décembre 2020 que la proclamation des résultats avait eu lieu lors de cette réunion qui s'était tenue par visioconférence, le tribunal judiciaire a dénaturé ce procès-verbal en violation du principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;
2) ALORS, en toute hypothèse, QUE lorsque la désignation d'un représentant de proximité a lieu au cours d'une réunion du CSE qui s'est tenue par visioconférence, le recours à la visioconférence ne peut faire échec à la compétence du tribunal judiciaire qui aurait été territorialement compétent si l'élection avait eu lieu en présentiel ; qu'en l'espèce, en retenant que parce que l'élection qui avait eu lieu par visioconférence ne pouvait être rattachée physiquement à un lieu géographique, il y avait lieu de retenir la compétence du tribunal dont relevait le magasin de [Localité 28], soit le tribunal judiciaire de Paris, quand le tribunal compétent aurait été, si la réunion n'avait pas eu lieu en visioconférence, celui du lieu des élections, soit celui du siège du CSE qui relevait du tribunal judiciaire de Créteil, le tribunal judiciaire a violé les dispositions de l'article L. 2313-7 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR annulé l'élection de M. [N] par le CSE Codirep du 10 décembre 2020 au poste de représentant de proximité au magasin de [Localité 28] ;
AUX MOTIFS QUE l'accord d'entreprise défini à l'article L. 2313-2 du code du travail, permet de mettre en place des représentants de proximité ; que l'article L. 2313-7 prévoit que l'accord définit également : - le nombre de représentants de proximité, - les attributions des représentants de proximité, notamment en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, - les modalités de leur désignation, - leurs modalités de fonctionnement, notamment le nombre d'heures de délégation dont bénéficient les représentants de proximité pour l'exercice de leurs attributions ; que l'article 2 de l'accord du 18 septembre 2018, portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac, relatif aux modalités de désignation du RP, stipule : « Les RP sont désignés en fonction de la représentativité obtenue par chaque organisation syndicale sur le site. Ainsi pour les organisations syndicales ayant participé aux élections du CSE/CSER de l'entreprise/région, cette répartition se fait en fonction des suffrages valablement exprimés recueillis par chaque organisation syndicale sur le site, en appliquant la règle de la proportionnalité à la plus forte moyenne conformément aux dispositions légales régissant les élections professionnelles » ; que conformément à l'article L. 2313-7 du code du travail, le RP est désigné pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus de la délégation du personnel au CSE ; que la délibération du 31 octobre 2019, de la commission d'interprétation de l'accord a décidé : « Les sièges de RP appartiennent aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale sur le site. Le RP qui change ou qui n'a plus d'affiliation syndicale perd son mandat, l'organisation syndicale à qui appartient le siège présentant un nouveau candidat au CSE issu du site, au cours d'une prochaine réunion ordinaire du CSE. Cette instance doit alors acter que le RP remplacé perd son mandat et désigner son remplaçant dans les conditions prévues par l'accord » (procès-verbal de la commission de suivi de l'accord portant sur la représentation du personnel, du 31 octobre 2019) ; que dans une délibération du 9 avril 2019, elle avait décidé : « Au terme d'un mandat de RP, par la démission, le décès, la rupture du contrat de travail ou perte des conditions requises pour être éligible, une nouvelle désignation est faite dans les 2 mois : Au terme d'un mandat de RP, le siège reste réservé à l'organisation syndicale qui avait le siège de RP vacant (par ex., un RP du syndicat A quitte la société, la priorité sera donnée au syndicat A pour reprendre le siège). Application stricte des dispositions de l'accord en termes de délai pour la désignation, à savoir une désignation dans un délai de 2 mois » (procès-verbal de la commission de suivi du 9 avril 2019) ; qu'ainsi, la commission d'interprétation de cet accord a précisé que les sièges de représentants de proximité appartiennent aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale sur le site en question et que le CSE doit désigner le candidat choisi par l'organisation syndicale ; que la commission a également précisé que ce principe vaut en cas de remplacement d'un représentant de proximité ; que le magasin de [Localité 28] bénéficie de 4 sièges de représentants de proximité (3 employés et 1 cadre), tous attribués à la CFTC par le CSE de FNAC Codirep du 22 mars 2019, compte tenu des résultats obtenus lors des élections de février 2019 ; qu'un des RP CFTC, M. [T] [OD], a démissionné de son mandat ; que son remplacement a été porté à l'ordre du jour des réunions du CSE de Codirep, des 25 septembre et 16 octobre 2020, puis à celui de la réunion du 10 décembre 2020 ; que le candidat élu, M. [N], n'était pas présenté par la CFTC ; que pourtant, tant l'article 2 de l'accord du 18 septembre 2018, que les délibérations de la commission d'interprétation, soulignent que les sièges de RP appartiennent aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale sur le site ; qu'il n'est pas contesté que la CFTC bénéficie de 4 sièges de représentants de proximité, tous attribués, en raison des résultats obtenus lors des dernières élections de février 2019 du CSE de Fnac Codirep ; que le CSE désigne le RP, mais ne peut y procéder que parmi les candidats présentés par une organisation syndicale, dont la représentativité sur le site est avérée ; qu'en l'espèce, le poste de RP vacant sur le site de [Localité 28] revenait à la CFTC ; que l'élection de M. [N], dont la candidature n'a pas été présentée par ce syndicat, a été effectuée en violation de l'article 2 de l'accord du 18 septembre 2018, et des délibérations de la commission d'interprétation des règles fixées par l'accord sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac ; que pour ces raisons, l'élection de M. [N] par le CSE Codirep du 10 décembre 2020, au poste de RP au magasin de [Localité 28], est annulée ;
1) ALORS QU'en l'absence de disposition de l'accord collectif prévoyant que l'avis de la commission paritaire d'interprétation aura la valeur d'un avenant à l'accord, cet avis ne lie pas le juge, auquel il appartient de trancher le litige sans s'en remettre à l'avis de la commission ; qu'en l'espèce, après avoir retenu que la commission d'interprétation de l'accord du 18 septembre 2018 portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac avait précisé que les sièges de représentants de proximité appartenaient aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale sur le site en question et que le comité sociale et économique devait désigner le candidat choisi par l'organisation syndicale, y compris en cas de remplacement d'un représentant de proximité, le tribunal judiciaire en a conclu que le poste de représentant de proximité vacant sur le site de [Localité 28] revenait donc à la CFTC, de sorte que l'élection de M. [N], dont la candidature n'avait pas été présentée par la CFTC, avait été effectuée en violation des délibérations de la commission d'interprétation ; qu'en statuant ainsi, quand il ne ressortait pas de ses constatations que les avis de la commission d'interprétation avaient valeur d'avenant, le tribunal judiciaire a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil ;
2) ALORS QUE l'article 2 de la section 3 du chapitre V de l'accord du 18 septembre 2018 portant sur la représentation du personnel au sein de l'enseigne Fnac prévoit que « la liste de chaque candidat pour chaque site composant le CSE/CSER est présentée aux membres titulaires du CSE/CSER qui procèdent alors à un vote à la majorité des membres présents lors d'une réunion extraordinaire (à l'exception du président du CSE/CSER) afin de désigner les RP pour chaque site » ; qu'en retenant que les sièges de représentants de proximité appartiennent aux organisations syndicales en fonction de leur audience électorale sur le site en question et que le comité social et économique doit désigner le candidat choisi par l'organisation syndicale, y compris en cas de remplacement d'un représentant de proximité, le tribunal judiciaire a violé l'article 2 de la section 3 du chapitre V de l'accord du 18 septembre 2018 ;
3) ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que le fait que l'accord permette à tout salarié même non affilié à une organisation syndicale de se porter candidat pour un mandat de représentant de proximité démontrait que les sièges de représentants de proximité ne pouvaient appartenir uniquement aux organisations syndicales en fonction des suffrages qu'elles avaient obtenus aux dernières élections (conclusions pp. 10-11) ; qu'en jugeant le contraire sans répondre à ce moyen pourtant opérant, le tribunal judiciaire a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Il résulte de l'application combinée des articles L. 2313-7 et R. 2314-24 du code du travail, R. 211-3-15, 1°, et R. 211-3-16 du code de l'organisation judiciaire et 761, 2°, du code de procédure civile que la contestation des désignations de représentants de proximité, qui sont membres du comité social et économique (CSE) ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus, doit être formée devant le tribunal judiciaire statuant sur requête, les parties étant dispensées de constituer avocat.
Les contestations relatives aux conditions de désignation des représentants de proximité sont de la compétence du tribunal judiciaire du lieu où la désignation est destinée à prendre effet, peu important les modalités de cette désignation définies par l'accord d'entreprise qui met en place ces représentants |
8,566 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 101 FS-B+R
Pourvoi n° S 21-15.371
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER FÉVRIER 2023
Le syndicat des pilotes d'Air France, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 21-15.371 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Air France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au syndicat CFDT Groupe Air France, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ au syndicat indépendant des cadres, agents de maîtrise et techniciens du groupe Air France Klm, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ au syndicat UNSA aérien Air France, dont le siège est [Adresse 4],
5°/ au syndicat général Force ouvrière Air France, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Huglo, conseiller doyen, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat du syndicat des pilotes d'Air France, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Air France, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du syndicat indépendant des cadres, agents de maîtrise et techniciens du groupe Air France Klm, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Huglo, conseiller doyen rapporteur, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, conseillers, Mme Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 février 2021), le 22 juin 2018, la société Air France (la société) a signé avec le syndicat CFDT Groupe Air France, le syndicat indépendant des cadres, agents de maîtrise et techniciens du groupe Air France, le syndicat UNSA aérien Air France et le syndicat général Force ouvrière Air France, organisations syndicales ayant obtenu 74,41 % des suffrages lors des dernières élections professionnelles, un accord d'entreprise intitulé « accord relatif à la mise en place des comités sociaux et économiques d'établissement et du comité social économique central d'entreprise au sein de l'entreprise Air France - périmètres des établissements distincts et méthode ». Cet accord prévoit, comme précédemment, la division de l'entreprise en sept établissements dont un établissement regroupant, sous la dénomination « Exploitation aérienne », la direction générale des opérations aériennes, laquelle assure la gestion des pilotes, et la direction générale service en vol, compétente pour la gestion des personnels navigants commerciaux et des personnels commerciaux sédentaires.
2. Le 2 août 2018, le syndicat des pilotes d'Air France (le SPAF) a assigné la société et les syndicats signataires devant le tribunal de grande instance, aux fins de demander l'annulation de l'accord d'entreprise du 22 juin 2018, ainsi que la mise en place d'un établissement distinct et d'un comité social et économique propres aux pilotes de ligne en application des articles L. 2313-2 et suivants du code du travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le SPAF fait grief à l'arrêt de le débouter de ces demandes, alors :
« 1°/ que les règles qui régissent la détermination des établissements distincts sont d'ordre public ; que, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, les partenaires sociaux ont l'obligation de tenir compte des différentes attributions de ces comités, et notamment des deux missions de la délégation du personnel consistant, pour la première, à présenter à l'employeur les réclamations individuelles ou collectives des salariés, et, pour la seconde, à promouvoir la santé, la sécurité et l'amélioration des conditions de travail dans l'entreprise, afin de favoriser l'exercice efficace de ces missions ; qu'en considérant, pour rejeter la demande du SPAF, que les critères retenus pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts relevaient « de la seule liberté des partenaires sociaux », la cour d'appel a violé l'article 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble l'article L. 2312-5 du même code ;
2°/ que, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, les partenaires sociaux doivent tenir compte de la mission de la délégation du personnel consistant à présenter à l'employeur les réclamations individuelles ou collectives relatives à l'application des conventions et accords applicables dans l'entreprise, afin de favoriser l'exercice efficace de cette mission ; que le SPAF faisait valoir qu'au regard du nombre important d'accords d'entreprise ne concernant que les pilotes, qu'il listait et détaillait et de la technicité de ceux-ci, il était indispensable que les pilotes disposent de leur propre comité social et économique afin que la bonne application de ces accords soit examinée par un comité compétent ; qu'il précisait que les personnels navigants commerciaux, majoritaires dans le CSE de l'établissement « Exploitation aérienne » n'étaient pas compétents pour apprécier les problématiques propres au pilotes et que, depuis la mise en place de ce CSE, dont le président et le secrétaire étaient des personnels navigants commerciaux, et malgré les demandes répétées du SPAF, aucune question spécifique au métier de pilote n'avait été portée à l'ordre du jour des réunions du CSE ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande du SPAF, à relever que les délégués des pilotes disposaient de 20 sièges sur 58 au CSE de l'établissement « Exploitation aérienne », soit une représentativité de 34 % et qu'il n'y avait pas lieu de distinguer entre pilotes, commerciaux aux sols et personnel navigant non pilotes, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le fait que les délégués des pilotes n'aient qu'un vote minoritaire au CSE ne les empêchait pas d'accomplir correctement leur mission consistant à présenter à l'employeur les réclamations relatives à l'application des accords d'entreprise ne concernant que les pilotes, dont la technicité faisait que leur bonne application ne pouvait être utilement appréciée que par des délégués pilotes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble l'article L. 2312-5 du même code ;
3°/ que, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, les partenaires sociaux doivent tenir compte de la mission de la délégation du personnel consistant à promouvoir la santé, la sécurité et l'amélioration des conditions de travail dans l'entreprise, afin de favoriser l'exercice efficace de cette mission ; que le SPAF faisait valoir que les missions de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) ''pilotes'' étaient celles qui lui étaient exclusivement déléguées par le CSE, que l'ordre du jour de la CSSCT ''pilotes'' était défini unilatéralement par son président, qui était un représentant de la direction, que la CSSCT ''pilotes'' ne pouvait se substituer au CSE lui-même pour voter à la place de celui-ci sur les questions concernant la santé, les conditions de travail et la sécurité des pilotes, que les propositions de la CSSCT ''pilotes'' devaient, pour faire l'objet d'un vote, être portées à l'ordre du jour des réunions du CSE composé majoritairement de non-pilotes et que les décisions et avis du CSE sur ces questions étaient subordonnés aux votes de non-pilotes ; qu'il précisait qu'aucune des nombreuses propositions de la CSSCT ''pilotes'' n'avait été mise à l'ordre du jour du CSE de l'établissement ''Exploitation aérienne'', et que les membres de la CSSCT peinaient à faire figurer à l'ordre du jour de la commission, qui était imposé par le président de cette dernière, certains sujets importants pour les pilotes ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande du SPAF, à relever qu'il existait une CSSCT pour les pilotes sans rechercher, comme elle y était invitée, si le fonctionnement de cette CSSCT permettait réellement aux délégués des pilotes, eu égard au pouvoir du CSE composé majoritairement de non-pilotes, de promouvoir la santé, la sécurité et l'amélioration des conditions de travail des pilotes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble les articles L. 2312-5 et L. 2312-9 du même code ;
4°/ que le SPAF faisait valoir qu'en application de l'accord du 12 novembre 2018, les représentants de proximité ''pilotes'' n'avaient, en matière d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail, qu'un rôle de remontée de propositions à la CSSCT, qu'ils ne pouvaient voter aucune délibération en la matière, que l'ordre du jour de la commission était établi par la direction et que les inspections étaient subordonnées au vote majoritaire de non-pilotes au CSE ; qu'il soutenait également qu'en matière de présentation des réclamations individuelles ou collective, les missions des représentants de proximité ''pilotes'' étaient exclusivement celles qui leur étaient déléguées par la CSE où les pilotes étaient minoritaires et qu'à défaut de délégation, seul le CSE statuait sur les réclamations à présenter à l'employeur ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande du SPAF, à relever qu'il avait été mis en place pour le CSE de l'établissement ''Exploitation aérienne'' une délégation d'une centaine de représentants de proximité, dont 28 pour les seuls pilotes, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le fonctionnement concret de cette représentation de proximité permettait réellement aux délégués des pilotes, eu égard au pouvoir du CSE composé majoritairement de non-pilotes, d'assurer les missions du CSE en matière de santé, de sécurité et d'amélioration des conditions de travail des pilotes et en matière de présentation à l'employeur des réclamations des pilotes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble les articles L. 2312-5 et L. 2312-9 du même code ;
5°/ que, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, les partenaires sociaux doivent tenir compte de la mission de la délégation du personnel consistant à exercer le droit d'alerte en situation de danger grave et imminent, afin de favoriser l'exercice efficace de cette mission ; que le SPAF faisait valoir que l'appréciation des mesures correctives à un danger grave et imminent signalé par un élu pilote au CSE était, en cas de divergence entre le lanceur d'alerte et l'employeur, laissé à l'appréciation d'un vote majoritaire de non-pilotes, qui ne pourraient statuer en connaissance de cause sur les problèmes techniques propres aux pilotes ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande du SPAF, à relever que les élus du CSE disposaient tous de la faculté d'actionner un droit d'alerte, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les modalités de l'exercice de ce droit permettaient réellement aux délégués des pilotes, eu égard au pouvoir du CSE composé majoritairement de non-pilotes, de faire un usage effectif de leur droit d'alerte en cas de danger grave et imminent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble les articles L. 2312-5, L. 2312-60 et L. 4132-2 du même code ;
6°/ qu'en toute hypothèse, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissements, les partenaires sociaux doivent tenir compte de l'existence ou non d'un chef d'établissement doté d'une autonomie de gestion ; qu'en considérant, pour rejeter la demande du SPAF, que les pilotes ne constituaient pas une entité économique distincte et autonome au sein de la société Air France dès lors qu'ils étaient ''rattachés à une direction opérationnelle'' et qu'ils ne dépendaient pas d'un établissement propre pour lequel un chef d'établissement était en place sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'autonomie du directeur général des opérations aériennes (DG.OA), sous la direction duquel travaillent tous les pilotes, en matière de gestion du personnel, de négociation des accords et de budget, ne permettait pas de faire regarder l'ensemble des pilotes comme un établissement distinct, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail ;
7°/ que le juge judiciaire est compétent pour connaître directement de la contestation de la validité de l'accord par lequel les partenaires sociaux déterminent le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement ; qu'en considérant, pour rejeter la demande du SPAF, que le pouvoir de contrôle sur le nombre et le périmètre des établissements distincts était exercé d'abord par l'autorité administrative puis en cas de contestation par le juge judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 2313-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
4. En vertu de l'article L. 2313-2 du code du travail, un accord d'entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12, détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts. L'article L. 2313-3 prévoit également qu'en l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées à l'article L. 2313-2 et en l'absence de délégué syndical, un accord entre l'employeur et le comité social et économique, adopté à la majorité des membres titulaires élus de la délégation du personnel du comité, peut déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts.
5. Aux termes de l'article L. 2313-4 du même code, en l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3, l'employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel.
6. Aux termes de l'article 5 de la directive 2002/14/CE du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, intitulé « Information et consultation découlant d'un accord », les États membres peuvent confier aux partenaires sociaux au niveau approprié, y compris au niveau de l'entreprise ou de l'établissement, le soin de définir librement et à tout moment par voie d'accord négocié les modalités d'information et de consultation des travailleurs. Ces accords, et les accords existant à la date figurant à l'article 11, ainsi que les éventuelles prorogations ultérieures de ces accords, peuvent prévoir, dans le respect des principes énoncés à l'article 1er et dans des conditions et limites fixées par les États membres, des dispositions différentes de celles visées à l'article 4.
7. L'article 4.4 de la directive précise que la consultation s'effectue au niveau pertinent de direction et de représentation, en fonction du sujet traité.
8. Le considérant 23 de la directive indique à cet égard que l'objectif de la présente directive sera atteint en établissant un cadre général reprenant les principes, les définitions et les modalités en matière d'information et de consultation, que les États membres devront respecter et adapter à leurs réalités nationales, en assurant, le cas échéant, aux partenaires sociaux un rôle prépondérant en leur permettant de définir librement, par voie d'accord, les modalités d'information et de consultation des travailleurs qu'ils jugent les plus conformes à leurs besoins et à leurs souhaits.
9. Il en résulte que les signataires d'un accord conclu selon les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3 du code du travail déterminent librement les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts au sein de l'entreprise, à la condition toutefois, eu égard au principe de participation consacré par l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qu'ils soient de nature à permettre la représentation de l'ensemble des salariés.
10. Ayant d'abord exactement énoncé que les critères retenus pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements relèvent de la seule liberté des partenaires sociaux, la cour d'appel n'encourt pas le grief invoqué par la première branche.
11. Ayant ensuite constaté que la représentation des pilotes au sein du comité social et économique « Exploitation aérienne » est assurée, d'une part, par l'élection de délégués dans un collège propre constitué de 20 sièges sur les sièges de titulaires soit une représentativité de 34 % alors même qu'ils ne constituent que 22 % des effectifs de l'exploitation aérienne et, d'autre part, par l'existence dans ce comité d'une commission « santé, sécurité et conditions de travail » pour chaque catégorie de personnel dont les pilotes, et rappelé que chaque représentant du personnel au sein du comité social et économique dispose de la faculté d'exercer un droit d'alerte, la cour d'appel, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la septième branche, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le syndicat des pilotes d'Air France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour le syndicat des pilotes d'Air France
IL EST REPROCHE à l'arrêt attaqué d'avoir débouté le SPAF de ses demandes tendant à ce que la cour d'appel dise nul l'accord du 22 juin 2018 relatif à la mise en place des comités sociaux et économiques d'établissement et du comité social et économique central d'entreprise au sein de l'entreprise Air France et dise qu'au sein de cette entreprise, devra être mis en place, en application des articles L. 2313-2 et suivants du code du travail, un établissement propre aux pilotes et un comité social et économique d'établissement propre aux pilotes ;
1°) ALORS QUE les règles qui régissent la détermination des établissements distincts sont d'ordre public ; que, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, les partenaires sociaux ont l'obligation de tenir compte des différentes attributions de ces comités, et notamment des deux missions de la délégation du personnel consistant, pour la première, à présenter à l'employeur les réclamations individuelles ou collectives des salariés, et, pour la seconde, à promouvoir la santé, la sécurité et l'amélioration des conditions de travail dans l'entreprise, afin de favoriser l'exercice efficace de ces missions ; qu'en considérant, pour rejeter la demande du SPAF, que les critères retenus pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts relevaient « de la seule liberté des partenaires sociaux », la cour d'appel a violé l'article 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble l'article L. 2312-5 du même code ;
2°) ALORS QUE, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, les partenaires sociaux doivent tenir compte de la mission de la délégation du personnel consistant à présenter à l'employeur les réclamations individuelles ou collectives relatives à l'application des conventions et accords applicables dans l'entreprise, afin de favoriser l'exercice efficace de cette mission ; que le SPAF faisait valoir qu'au regard du nombre important d'accords d'entreprise ne concernant que les pilotes, qu'il listait et détaillait (conclusions, p. 23-62) et de la technicité de ceux-ci, il était indispensable que les pilotes disposent de leur propre comité social et économique afin que la bonne application de ces accords soit examinée par un comité compétent ; qu'il précisait que les personnels navigants commerciaux, majoritaires dans le CSE de l'établissement « Exploitation aérienne » n'étaient pas compétents pour apprécier les problématiques propres au pilotes (conclusions, p. 62-63) et que, depuis la mise en place de ce CSE, dont le président et le secrétaire étaient des personnels navigants commerciaux, et malgré les demandes répétées du SPAF, aucune question spécifique au métier de pilote n'avait été portée à l'ordre du jour des réunions du CSE (conclusions, p. 64-73) ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande du SPAF, à relever que les délégués des pilotes disposaient de 20 sièges sur 58 au CSE de l'établissement « Exploitation aérienne », soit une représentativité de 34 % et qu'il n'y avait pas lieu de distinguer entre pilotes, commerciaux aux sols et personnel navigant non pilotes, sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions, p. 15-17, p. 75, p. 82-83 ; p. 85), si le fait que les délégués des pilotes n'aient qu'un vote minoritaire au CSE ne les empêchait pas d'accomplir correctement leur mission consistant à présenter à l'employeur les réclamations relatives à l'application des accords d'entreprise ne concernant que les pilotes, dont la technicité faisait que leur bonne application ne pouvait être utilement appréciée que par des délégués pilotes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble l'article L. 2312-5 du même code ;
3°) ALORS QUE pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, les partenaires sociaux doivent tenir compte de la mission de la délégation du personnel consistant à promouvoir la santé, la sécurité et l'amélioration des conditions de travail dans l'entreprise, afin de favoriser l'exercice efficace de cette mission ; que le SPAF faisait valoir que les missions de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) « pilotes » étaient celles qui lui étaient exclusivement déléguées par le CSE, que l'ordre du jour de la CSSCT « pilotes » était défini unilatéralement par son président, qui était un représentant de la direction, que la CSSCT « pilotes » ne pouvait se substituer au CSE lui-même pour voter à la place de celui-ci sur les questions concernant la santé, les conditions de travail et la sécurité des pilotes, que les propositions de la CSSCT « pilotes » devaient, pour faire l'objet d'un vote, être portées à l'ordre du jour des réunions du CSE composé majoritairement de non-pilotes et que les décisions et avis du CSE sur ces questions étaient subordonnés aux votes de non-pilotes (conclusions, p. 86) ; qu'il précisait qu'aucune des nombreuses propositions de la CSSCT « pilotes » n'avait été mise à l'ordre du jour du CSE de l'établissement « Exploitation aérienne » (conclusions, p. 86-87), et que les membres de la CSSCT peinaient à faire figurer à l'ordre du jour de la commission, qui était imposé par le président de cette dernière, certains sujets importants pour les pilotes (conclusions, p. 88-89) ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande du SPAF, à relever qu'il existait une CSSCT pour les pilotes sans rechercher, comme elle y était invitée, si le fonctionnement de cette CSSCT permettait réellement aux délégués des pilotes, eu égard au pouvoir du CSE composé majoritairement de non-pilotes, de promouvoir la santé, la sécurité et l'amélioration des conditions de travail des pilotes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble les articles L. 2312-5 et L. 2312-9 du même code ;
4°) ALORS QUE le SPAF faisait valoir qu'en application de l'accord du 12 novembre 2018, les représentants de proximité « pilotes » n'avaient, en matière d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail, qu'un rôle de remontée de propositions à la CSSCT, qu'ils ne pouvaient voter aucune délibération en la matière, que l'ordre du jour de la commission était établi par la direction et que les inspections étaient subordonnées au vote majoritaire de non-pilotes au CSE (conclusions, p. 89-90) ; qu'il soutenait également qu'en matière de présentation des réclamations individuelles ou collective, les missions des représentants de proximité « pilotes » étaient exclusivement celles qui leur étaient déléguées par la CSE où les pilotes étaient minoritaires et qu'à défaut de délégation, seul le CSE statuait sur les réclamations à présenter à l'employeur (conclusions, p. 91) ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande du SPAF, à relever qu'il avait été mis en place pour le CSE de l'établissement « Exploitation aérienne » une délégation d'une centaine de représentants de proximité, dont 28 pour les seuls pilotes, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le fonctionnement concret de cette représentation de proximité permettait réellement aux délégués des pilotes, eu égard au pouvoir du CSE composé majoritairement de non-pilotes, d'assurer les missions du CSE en matière de santé, de sécurité et d'amélioration des conditions de travail des pilotes et en matière de présentation à l'employeur des réclamations des pilotes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble les articles L. 2312-5 et L. 2312-9 du même code ;
5°) ALORS QUE pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement, les partenaires sociaux doivent tenir compte de la mission de la délégation du personnel consistant à exercer le droit d'alerte en situation de danger grave et imminent, afin de favoriser l'exercice efficace de cette mission ; que le SPAF faisait valoir que l'appréciation des mesures correctives à un danger grave et imminent signalé par un élu pilote au CSE était, en cas de divergence entre le lanceur d'alerte et l'employeur, laissé à l'appréciation d'un vote majoritaire de non-pilotes, qui ne pourraient statuer en connaissance de cause sur les problèmes techniques propres aux pilotes (conclusions, p. 91-92) ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande du SPAF, à relever que les élus du CSE disposaient tous de la faculté d'actionner un droit d'alerte, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les modalités de l'exercice de ce droit permettaient réellement aux délégués des pilotes, eu égard au pouvoir du CSE composé majoritairement de non-pilotes, de faire un usage effectif de leur droit d'alerte en cas de danger grave et imminent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail, ensemble les articles L. 2312-5, L. 2312-60 et L. 4132-2 du même code ;
6°) ALORS QU'en toute hypothèse, pour déterminer, par accord d'entreprise, le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissements, les partenaires sociaux doivent tenir compte de l'existence ou non d'un chef d'établissement doté d'une autonomie de gestion ; qu'en considérant, pour rejeter la demande du SPAF, que les pilotes ne constituaient pas une entité économique distincte et autonome au sein de la société Air France dès lors qu'ils étaient « rattachés à une direction opérationnelle » et qu'ils ne dépendaient pas d'un établissement propre pour lequel un chef d'établissement était en place sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions, p. 79-82), si l'autonomie du directeur général des opérations aériennes (DG.OA), sous la direction duquel travaillent tous les pilotes, en matière de gestion du personnel, de négociation des accords et de budget, ne permettait pas de faire regarder l'ensemble des pilotes comme un établissement distinct, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2313-2 du code du travail ;
7°) ALORS QUE le juge judiciaire est compétent pour connaître directement de la contestation de la validité de l'accord par lequel les partenaires sociaux déterminent le nombre et le périmètre des établissements distincts pour la constitution des CSE d'établissement ; qu'en considérant, pour rejeter la demande du SPAF, que le pouvoir de contrôle sur le nombre et le périmètre des établissements distincts était exercé d'abord par l'autorité administrative puis en cas de contestation par le juge judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 2313-2 du code du travail. | Il résulte des articles L. 2313-2, L. 2313-3, L. 2313-4 du code du travail, et de l'article 5 de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, éclairé par le considérant n° 23 de la directive, que les signataires d'un accord conclu selon les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3 du code du travail déterminent librement les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts au sein de l'entreprise, à la condition toutefois, eu égard au principe de participation consacré par l'alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qu'ils soient de nature à permettre la représentation de l'ensemble des salariés |
8,567 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 237 FS-B
Pourvoi n° X 21-10.546
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER FÉVRIER 2023
L'association pour la réadaptation et le traitement des enfants et adultes inadaptés, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 21-10.546 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-5), dans le litige l'opposant à M. [D] [P], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'association pour la réadaptation et le traitement des enfants et adultes inadaptés, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [P], et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, Bérard, conseillers, Mme Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 novembre 2020), rendu après cassation (Soc., 26 juin 2019, pourvoi n° 17-31.111), M. [P], instituteur agréé depuis le 1er septembre 1998 exerçant dans un institut médico-éducatif, établissement d'enseignement privé géré par l'association pour la réadaptation et le traitement des enfants et adultes inadaptés (l'association), elle-même liée à l'Etat par un contrat simple, a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er septembre 2012.
2. Le 12 novembre 2012, il a saisi la juridiction prud'homale pour solliciter le paiement d'une indemnité de départ à la retraite.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'association fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [P] une certaine somme à titre d'indemnité de départ à la retraite, alors « que le maître agréé exerçant dans un établissement privé lié à l'Etat par un contrat simple, parti à la retraite après le 31 décembre 2010, ne peut pas prétendre à une indemnité de départ à la retraite versée par son employeur, au titre des fonctions pour lesquelles il était rémunéré par l'Etat ; qu'en jugeant que M. [P], maître agréé exerçant dans un établissement privé lié à l'Etat par un contrat simple, parti à la retraite le 1er septembre 2012, était en droit de réclamer à l'association l'indemnité de départ à la retraite prévue par la convention collective nationale des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux du 26 août 1965, la cour d'appel a violé par refus d'application les articles L. 914-1 et R. 914-96 du code de l'éducation, ensemble les articles 3 et 4 de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que l'employeur invite la Cour de cassation à revenir sur la doctrine de son précédent arrêt, alors que la juridiction de renvoi s'y est conformée.
5. Cependant, la cassation partielle a été prononcée le 26 juin 2019, au seul visa des articles 4 et 5 du code de procédure civile, pour méconnaissance des termes du litige.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 3, I et IV, et 4 de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 relative à la situation des maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat et l'article L. 914-1, alinéa 1er, du code de l'éducation :
7. Aux termes de l'article 3, I et IV, de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005, il est institué un régime public de retraite additionnel obligatoire ouvert :
1° Aux personnels enseignants et de documentation mentionnés aux articles L. 914-1 du code de l'éducation et L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime ;
2° A leurs conjoints survivants ainsi qu'à leurs orphelins.
Ce régime, par répartition provisionnée, est destiné à permettre l'acquisition de droits additionnels à la retraite.
IV. - Les dispositions du présent article sont applicables aux enseignants admis à la retraite ou au bénéfice d'un avantage temporaire de retraite servi par l'Etat postérieurement au 31 août 2005.
8. Aux termes de l'article L. 914-1, alinéa 1er, du code de l'éducation, les règles générales qui déterminent les conditions de service et de cessation d'activité des maîtres titulaires de l'enseignement public, ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient, sont applicables également et simultanément aux maîtres justifiant du même niveau de qualification, habilités par agrément ou par contrat à exercer leur fonction dans des établissements d'enseignement privés liés à l'Etat par contrat. Ces maîtres bénéficient également des mesures de promotion et d'avancement prises en faveur des maîtres de l'enseignement public.
9. Aux termes de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2005 précitée, les modalités selon lesquelles les personnels enseignants et de documentation mentionnés aux articles L. 914-1 du code de l'éducation et L. 813-8 du code rural et de la pêche maritime, admis à la retraite ou au bénéfice d'un avantage temporaire de retraite servi par l'Etat, perçoivent, à titre transitoire, de manière dégressive à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi, une indemnité de départ à la retraite, sont déterminées par voie de conventions. Ces conventions seront étendues par arrêté des ministres chargés de l'éducation nationale et de l'agriculture à l'ensemble des partenaires sociaux compris dans leur champ d'application.
10. Le principe d'assimilation et d'équivalence de la rémunération des maîtres agréés des établissements d'enseignement privés sous contrat simple avec celle des instituteurs de l'enseignement public concerne les traitements, avantages et indemnités attribués par l'Etat.
11. Il en résulte que les maîtres agréés exerçant dans un établissement d'enseignement privé lié à l'Etat par contrat simple, bénéficiaires de la retraite additionnelle de la fonction publique instaurée par l'article 3 de la loi du 5 janvier 2005 précitée, ne sont pas en droit de percevoir également l'indemnité de départ à la retraite prévue par l'article 32 de la convention collective nationale des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux du 26 août 1965.
12. Pour accueillir la demande du salarié, l'arrêt retient qu'un maître agréé, exerçant dans un établissement d'enseignement privé lié à l'Etat par contrat simple, peut se prévaloir des dispositions d'une convention collective prévoyant le bénéfice d'une indemnité de départ à la retraite pour les salariés.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation emporte cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif condamnant l'association aux dépens et à payer à M. [P] une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'association Arteai à payer à M. [P] la somme de 7 876 euros, dit que cette condamnation est productive d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation, ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 devenu 1343-2, du code civil, condamne l'association Arteai aux dépens et la condamne à payer à M. [P] une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déboute M. [P] de sa demande d'indemnité de départ à la retraite ;
Condamne M. [P] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes, en ce compris celles formées devant la cour d'appel ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'association pour la réadaptation et le traitement des enfants et adultes inadaptés
L'association Arteai fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement l'ayant condamnée à payer à M. [P] la somme de 7 876 euros à titre d'indemnité de départ à la retraite et d'AVOIR y ajoutant dit que la condamnation de l'association Arteai à payer à M. [P] la somme de 7 876 euros était productive d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation,
1°) ALORS QUE le maître agréé exerçant dans un établissement privé lié à l'Etat par un contrat simple, parti à la retraite après le 31 décembre 2010, ne peut pas prétendre à une indemnité de départ à la retraite versée par son employeur, au titre des fonctions pour lesquelles il était rémunéré par l'Etat ; qu'en jugeant que M. [P], maître agréé exerçant dans un établissement privé lié à l'Etat par un contrat simple, parti à la retraite le 1er septembre 2012, était en droit de réclamer à l'association Arteai l'indemnité de départ à la retraite prévue par la convention collective nationale des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux du 26 août 1965, la cour d'appel a violé par refus d'application les articles L. 914-1 et R. 914-96 du code de l'éducation, ensemble les articles 3 et 4 de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 ;
2°) ALORS QUE l'article 3 de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 énonce que ses dispositions sont applicables aux enseignants admis à la retraite postérieurement au 31 août 2005 ; qu'en jugeant, par motifs éventuellement adoptés, que la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 était entrée en vigueur le 1er septembre 2005 et que le législateur n'avait expressément édicté ni sa rétroactivité aux enseignants antérieurement à cette date, ni son application immédiate et automatique aux contrats en cours, la cour d'appel a violé l'article 3 de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 et l'article 2 du code civil. | Le principe d'assimilation et d'équivalence de la rémunération des maîtres agréés des établissements d'enseignement privés sous contrat simple avec celle des instituteurs de l'enseignement public concerne les traitements, avantages et indemnités attribués par l'Etat.
Il en résulte que les maîtres agréés exerçant dans un établissement d'enseignement privé lié à l'Etat par contrat simple, bénéficiaires de la retraite additionnelle de la fonction publique instaurée par l'article 3 de la loi n° 2005-5 du 5 janvier 2005 relative à la situation des maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat, ne sont pas en droit de percevoir également l'indemnité de départ à la retraite prévue par l'article 32 de la convention collective nationale des secteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux du 26 août 1965 |
8,568 | N° R 22-81.085 FS-B
N° 00061
SL2
1ER FÉVRIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER FÉVRIER 2023
M. [I] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 10e chambre, en date du 18 janvier 2022, qui, pour proxénétisme aggravé, l'a condamné à trois ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation et a ordonné une mesure de confiscation.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Chafaï, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [I] [J], et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Chafaï, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, conseillers référendaires, M. Courtial, avocat général référendaire, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [I] [J] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs de proxénétisme aggravé et blanchiment.
3. Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable et l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 18 000 euros d'amende. Il a également ordonné, notamment, une peine de confiscation du véhicule Audi Q5 immatriculé FB 710 CQ lui appartenant, sur le fondement des dispositions des articles 131-21, alinéa 6, et 225-25 du code pénal.
4. M. [J] a relevé appel de la décision, en ses seules dispositions relatives à l'infraction de blanchiment et aux peines de confiscation prononcées.
5. Le ministère public a formé appel incident des dispositions pénales.
Examen des moyens
Sur le second moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné, sur le fondement de l'article 121-31, alinéa 2, du code pénal, la confiscation du véhicule Q5 immatriculé FB 710 CQ lui appartenant, alors « que la procédure pénale est équitable et contradictoire ; que lorsque le juge d'appel envisage de modifier, d'office, le fondement de la confiscation de tout ou partie du patrimoine du prévenu ordonnée par les premiers juges, il doit solliciter les observations des parties ; qu'en faisant d'office application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 131-21 du code pénal, sans avoir préalablement permis aux parties de s'expliquer sur ce point, la cour d'appel a méconnu les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
8. Pour confirmer la peine de confiscation du véhicule immatriculé FB 710 CQ, l'arrêt attaqué relève que ce bien, qui a servi à commettre l'infraction et dont il n'est pas contesté que M. [J] est propriétaire, doit, en application de l'alinéa 2 de l'article 131-21 du code pénal, être confisqué.
9. Les juges précisent qu'ils confirment la confiscation ordonnée par le tribunal, mais sur un autre fondement textuel.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas méconnu les textes visés au moyen.
11. En effet, aucun texte légal ou conventionnel n'impose au juge saisi de l'action publique de soumettre au débat contradictoire la peine qu'il envisage de prononcer et qu'il détermine librement parmi les peines, principales et complémentaires, encourues par le prévenu.
12. Il en résulte que le juge peut ordonner l'une quelconque des mesures de confiscation prévues par la loi, sans que le fondement de cette peine doive être au préalable contradictoirement débattu.
13. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
14. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois. | Le juge peut ordonner l'une quelconque des mesures de confiscation prévues par la loi, sans que le fondement de cette peine doive être au préalable contradictoirement débattu.
Justifie sa décision la cour d'appel qui confirme la confiscation ordonnée par le tribunal sur un fondement textuel différent de celui retenu par les premiers juges, sans avoir préalablement sollicité les observations des parties |
8,569 | N° N 22-80.461 FS-B
N° 00062
SL2
1ER FÉVRIER 2023
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER FÉVRIER 2023
M. [G] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 30 novembre 2021, qui a prononcé sur sa requête en restitution d'objet saisi.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Courtial, avocat général référendaire, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Au cours d'une perquisition effectuée dans le cadre d'une information judiciaire ouverte des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, la somme de 58 600 euros découverte au domicile de M. [G] [E] a fait l'objet d'une saisie incidente.
3. Par jugement du 28 mars 2019, le tribunal correctionnel, pour blanchiment de trafic de stupéfiants, a condamné M. [E] à deux ans d'emprisonnement dont un an avec sursis, 10 000 euros d'amende et a dit n'y avoir lieu à restitution de la somme de 58 600 euros, au motif que la demande portait sur une somme non saisie dans le cadre de l'information.
4. Le 22 janvier 2020, l'avocat de l'intéressé a présenté au procureur de la République une requête aux fins de restitution de cette somme.
5. Par décision du 1er avril 2021, le procureur de la République a rejeté cette demande.
6. M. [E] a déféré la décision de non-restitution à la chambre de l'instruction.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 41-4, 591 et 593 du code de procédure pénale et du principe de la présomption d'innocence.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a refusé de faire droit au recours formé par le demandeur à l'encontre du rejet de sa requête en restitution de la somme de 58 600 euros, alors que la procédure incidente diligentée pour des faits de non-justification de ressources à la suite de la découverte de cette somme a été classée sans suite le 22 février 2017 au motif d'une insuffisance d'éléments propres à caractériser cette infraction, qu'aucune poursuite pénale n'a été engagée à l'encontre de M. [E], et que la restitution des fonds dont la propriété n'est pas contestée, provenant de son activité de cambiste, aurait dû être ordonnée par la chambre de l'instruction, qui s'est bornée à répondre par un motif inopérant à l'argumentation du requérant en retenant que la somme en question est le produit d'une infraction.
Réponse de la Cour
Vu l'article 41-4 du code de procédure pénale :
9. Aux termes du premier alinéa de ce texte, au cours de l'enquête ou lorsqu'aucune juridiction n'a été saisie ou que la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, le procureur de la République ou le procureur général est compétent pour décider, d'office ou sur requête, de la restitution de ces objets lorsque la propriété n'en est pas sérieusement contestée.
10. Selon le deuxième alinéa, il n'y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction ou lorsqu'une disposition particulière prévoit la destruction des objets placés sous main de justice.
11. Lorsque la requête est présentée alors qu'aucune juridiction n'a été saisie en raison du classement sans suite de la procédure au cours de laquelle le bien objet de la requête en restitution a été saisi, la restitution ne peut être refusée au motif que le bien est le produit ou l'instrument de l'infraction, dès lors qu'en l'état dudit classement, aucune juridiction de jugement n'est susceptible de constater l'existence de cette infraction.
12. La restitution ne peut dans ce cas être refusée que si elle est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ou lorsqu'une disposition particulière prévoit la destruction du bien.
13. En l'espèce, pour rejeter le recours formé par le demandeur à l'encontre de la décision du procureur de la République disant n'y avoir lieu à restitution de la somme de 58 600 euros, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes de l'alinéa 2 de l'article 41-4 précité, indique que la découverte de cette somme, lors de la perquisition effectuée le 18 novembre 2014 au domicile de M. [E], a donné lieu à l'établissement d'une procédure incidente sous la qualification de non-justification de ressources, puis au placement sous scellés de ladite somme.
14. Les juges ajoutent que cette procédure incidente a été transmise au parquet de Nanterre et a fait l'objet le 22 février 2017 d'un classement sans suite au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée.
15. Ils relèvent qu'il n'est pas exigé, pour que les dispositions de l'article 41-4, alinéa 2, du code de procédure pénale soient applicables, que des poursuites aient été engagées ou qu'une condamnation ait été prononcée, qu'il suffit qu'aucune juridiction n'ait été saisie, ce qui est le cas lorsque l'enquête s'est conclue par un classement sans suite et qu'une telle décision intervenue le 22 février 2017 ne saurait, à elle seule, invalider la décision de refus de restitution.
16. Ils retiennent que dès lors qu'il résulte de la procédure, notamment des explications fournies par M. [E], que la somme de 58 600 euros provient de son activité de cambiste exercée à titre accessoire et pour laquelle il percevait une commission, alors qu'il ne justifie d'aucun agrément délivré par une autorité administrative, il est permis de considérer que cette activité correspond à l'activité prohibée par l'article L. 511-5 du code monétaire et financier et que cette somme est le produit d'une infraction.
17. En se déterminant ainsi, alors qu'elle a constaté le classement sans suite de l'enquête au cours de laquelle la saisie avait été effectuée, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés.
18. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre ainsi fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 30 novembre 2021 ;
ORDONNE la restitution à M. [E] de la somme de 58 600 euros saisie à son domicile (procédure incidente numéro 2014/1033) ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois. | Lorsqu'une requête en restitution est présentée sur le fondement des dispositions de l'article 41-4 du code de procédure pénale alors qu'aucune juridiction n'a été saisie en raison du classement sans suite de la procédure au cours de laquelle le bien objet de la requête a été saisi, la restitution ne peut être refusée au motif que le bien est le produit ou l'instrument de l'infraction, dès lors qu'en l'état dudit classement, aucune juridiction de jugement n'est susceptible de constater l'existence de cette infraction.
La restitution ne peut dans ce cas être refusée que si elle est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ou lorsqu'une disposition particulière prévoit la destruction du bien.
Encourt la cassation l'arrêt d'une chambre de l'instruction qui refuse de restituer une somme saisie au motif que cette somme serait le produit d'une infraction, alors qu'elle a constaté le classement sans suite de l'enquête au cours de laquelle la saisie avait été effectuée |
8,570 | N° U 21-80.601 F- B
N° 00122
GM
1ER FÉVRIER 2023
DECHEANCE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER FÉVRIER 2023
M. [V] [X] a formé opposition à l'arrêt de la Cour de cassation, en date du 9 décembre 2020, qui a cassé et annulé :
- l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Dijon en date du 30 mai 2018, qui, dans l'information suivie contre MM. [W] [E], [V] [X], [D] [N] et [K] [O] des chefs notamment d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et refus d'obtempérer aggravé, a prononcé sur une demande d'annulation de pièces de la procédure ;
- l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 29 janvier 2020, qui, dans l'information ouverte contre personne non dénommée des chefs précités, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par déclaration au greffe de la chambre de l'instruction du 17 décembre 2020, M. [X] a formé opposition à l'arrêt de la chambre criminelle du 9 décembre 2020 (pourvois n° 20-81.483, n° 18-83.667).
Déchéance de l'opposition
3. Il se déduit des articles 579 et 589 du code de procédure pénale que le dépôt du mémoire produit à l'appui de l'opposition à un arrêt rendu par la chambre criminelle doit avoir lieu dans les formes et délais prescrits au demandeur en cassation par les articles 584, 585, 585-1, 588 et 590 du même code.
4. M. [X] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant les moyens à l'appui de son recours de nature à déterminer la chambre criminelle à rétracter son arrêt du 9 décembre 2020.
5. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son opposition par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
6. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CONSTATE la déchéance de l'opposition ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois. | Il se déduit des articles 579 et 589 du code de procédure pénale que le dépôt du mémoire produit à l'appui de l'opposition à un arrêt rendu par la chambre criminelle doit avoir lieu dans les formes et délais prescrits au demandeur en cassation par les articles 584, 585, 585-1, 588 et 590 du même code.
Doit être déclaré déchu de son opposition le requérant qui n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant les moyens à l'appui de son recours de nature à déterminer la chambre criminelle à rétracter son arrêt |
8,571 | N° R 22-82.235 F- B
N° 00123
GM
1ER FÉVRIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER FÉVRIER 2023
M. [P] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 23 mars 2022, qui, dans la procédure suivie des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité et de complicité, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. d'Huy, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [P] [B], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. d'Huy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée en France des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité et complicité relatifs à des faits qui auraient été commis en Côte d'Ivoire, mettant en cause, notamment, M. [P] [B] qui revendique avoir exercé les fonctions de premier ministre durant la période incriminée, le juge des libertés et de la détention a ordonné la saisie pénale de la somme détenue sur un contrat d'assurance-vie par la [1], tiers débiteur de M. [B], pour un montant de 231 931,23 euros.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de saisie pénale frappée d'appel par M. [B], alors « que la règle de l'unique objet ne peut être opposée à la personne qui fonde son appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé une saisie sur l'exception tirée de l'immunité de juridiction de l'Etat étranger ; qu'en retenant que la règle de l'unique objet de l'appel lui interdisait d'examiner l'exception d'immunité invoquée par M. [B] à raison de sa qualité de premier ministre de la Côte d'Ivoire à l'époque des faits, la cour d'appel a méconnu les principes généraux du droit international et les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 706-153, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
4. La Cour de cassation juge que la personne dont le bien fait l'objet d'une saisie pénale au cours d'une enquête préliminaire, ne saurait, à l'occasion de son appel contre l'ordonnance de saisie, invoquer des exceptions ou formuler des demandes étrangères à l'unique objet de l'appel.
5. Il résulte de l'article 689-11 du code de procédure pénale que peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle réside habituellement sur le territoire de la République, toute personne soupçonnée d'avoir commis les crimes contre l'humanité définis au chapitre II du sous-titre 1er du titre 1er du livre II du code pénal, si les faits sont punis par la législation de l'Etat où ils ont été commis ou si cet Etat ou l'Etat dont la personne soupçonnée a la nationalité est partie à la convention portant statut de la Cour pénale internationale, ouverte à la signature le 18 juillet 1998, ou, dans les mêmes conditions, celle soupçonnée d'avoir commis les crimes et délits de guerre définis aux articles 461-1 et 461-31 du même code.
6. Il résulte de ces dispositions que la compétence des juridictions françaises pour connaître des crimes et délits susvisés est conditionnée par la faculté, pour les autorités judiciaires françaises, de pouvoir poursuivre la personne résidant habituellement sur le territoire de la République.
7. Il se déduit du principe énoncé au § 4 et des articles 689-11 et 706-153 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre une ordonnance de saisie spéciale rendue dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis à l'étranger et dont les éventuelles poursuites sont conditionnées par la résidence en France de la seule personne mise en cause, est tenue, nonobstant la règle de l'unique objet, d'examiner les éléments soumis par l'intéressé qui invoque l'immunité pénale liée aux fonctions qu'il occupait à la date des faits et à la nature des actes qui lui sont reprochés.
8. C'est donc à tort que la chambre de l'instruction a jugé qu'aucune disposition du code de procédure pénale ne donne compétence à la chambre de l‘instruction, saisie d'un appel formé contre une ordonnance de saisie, en l'absence d'ouverture d'information, pour statuer sur des exceptions de procédure, y compris lorsque le mis en cause invoque une immunité pénale.
9. En effet, l'immunité revendiquée par le demandeur qui est seul mis en cause des chefs de crimes de guerre et crimes contre l'humanité, si elle est avérée, est de nature à priver la juridiction française de la compétence universelle qui lui est reconnue par les dispositions de l'article 689-11 du code de procédure pénale et en conséquence, de mettre un terme aux investigations en cours.
10. L'arrêt n'encourt toutefois pas la censure dès lors qu'il résulte de ses énonciations que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a confirmé que M. [B], qui revendique avoir exercé les fonctions de premier ministre de Côte d'Ivoire et invoque l'immunité pénale qui s'attache aux actes susceptibles de lui être reprochés en cette qualité, n'exerçait aucune fonction officielle entre le 6 décembre 2010 et le 11 avril 2011 et qu'il ne peut, au moins durant cette période, se prévaloir d'une quelconque immunité.
11. Dès lors, le moyen doit être écarté.
12. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois. | Si la personne dont le bien fait l'objet d'une saisie pénale au cours d'une enquête préliminaire, ne saurait, à l'occasion de son appel contre l'ordonnance de saisie, invoquer des exceptions ou formuler des demandes étrangères à l'unique objet de l'appel, il se déduit des articles 689-11 et 706-153 du code de procédure pénale que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel formé contre une ordonnance de saisie spéciale rendue dans le cadre d'une enquête préliminaire diligentée des chefs de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité commis à l'étranger et dont les éventuelles poursuites sont conditionnées par la résidence en France de la seule personne mise en cause, est tenue, nonobstant la règle de l'unique objet, d'examiner les éléments que celle-ci lui soumet en invoquant l'immunité pénale liée aux fonctions qu'elle occupait à la date des faits et à la nature des actes qui lui sont reprochés |
8,572 | N° K 22-82.368 F- B
N° 00129
GM
1ER FÉVRIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER FÉVRIER 2023
M. [C] [K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 9 mars 2022, qui, pour banqueroute, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis probatoire et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) a délivré de multiples contraintes contre M. [C] [K] qui exploitait, en qualité de travailleur indépendant, un fonds de commerce de remise en forme.
3. En effet, ce dernier, après avoir adhéré au Mouvement pour la libération de la protection sociale (MLPS), n'a pas réglé la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) dues à l'URSSAF au titre du régime obligatoire.
4. M. [K] a contesté ces contraintes devant le tribunal des affaires de sécurité sociale puis devant la cour d'appel. Il a été condamné à devoir s'acquitter des cotisations non réglées auprès de l'URSSAF, soit la somme de 45 818 euros ainsi que la somme de 35 905,86 euros au titre des dommages et intérêts et des frais irrépétibles.
5. Le recouvrement des créances de l'URSSAF a été confié à un huissier de justice dont les démarches se sont heurtées au retrait par M. [K] des sommes figurant sur ses comptes bancaires et au transfert d'une grande partie de son patrimoine, personnel et professionnel, à son fils, ne laissant sur ses comptes bancaires que des sommes inférieures aux quotités saisissables.
6. Compte tenu de la persistance des impayés, l'URSSAF a déposé plainte à l'encontre de M. [K] du chef de la contravention de défaut de conformité aux prescriptions de la législation de sécurité sociale prévue par l'article R. 244-4 du code de la sécurité sociale et elle a saisi le tribunal de commerce afin de faire constater l'état de cessation des paiements et de voir ouvrir une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
7. La procédure de redressement judiciaire, d'abord ouverte, a été convertie, ensuite, en liquidation judiciaire. Le passif total de l'entreprise a été évalué à la somme de 91 256,19 euros dont 81 723,86 euros correspondant aux cotisations non réglées à l'URSSAF, outre les frais résultant des différentes procédures judiciaires diligentées par M. [K].
8. Le ministère public a ouvert une enquête sur les conditions de la liquidation judiciaire de l'entreprise de M. [K] et a joint au dossier la procédure découlant de la plainte déposée par l'URSSAF.
9. Convoqué devant le tribunal correctionnel, M. [K] a été déclaré coupable, par un jugement du 8 octobre 2020, de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif.
10. M. [K] et le ministère public ont formé appel contre cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, le troisième moyen pris en sa première branche et le quatrième moyen
11. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. Le moyen, en sa seconde branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [K] du chef de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif alors que la cour d'appel a estimé que le comportement, non seulement passif mais revendiqué comme actif de M. [K], avait un caractère frauduleux et alors que la notion d'emploi de moyens frauduleux suppose des actes positifs et non une simple abstention de payer une dette ; dès lors la cour d'appel a méconnu l'article L. 654-2, 3° du code de commerce.
Réponse de la Cour
13. Pour déclarer le prévenu coupable de banqueroute par augmentation frauduleuse du passif, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que s'il découle de la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation que la fraude ne peut se limiter à une simple inaction, en l'espèce M. [K] a agi délibérément, en ce sens que le défaut de paiement de l'intégralité des cotisations URSSAF n'est pas le résultat d'un oubli mais d'une volonté.
14. Les juges relèvent que M. [K] a d'ailleurs, à de multiples reprises, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale afin de contester les contraintes délivrées par l'URSSAF, puis la cour d'appel après avoir été débouté. Son comportement s'analyse ainsi, non comme une inaction, mais comme des agissements répétés.
15. Les juges précisent qu'il résulte d'un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation qu'une augmentation frauduleuse du passif peut résulter du fait de soustraire volontairement une société à l'impôt en France ce qui est à l'origine d'un redressement fiscal ayant entraîné une augmentation des charges de la société en état de cessation des paiements.
16. Ils ajoutent que le manquement imputable à M. [K] s'analyse en une infraction pénale constitutive de la contravention de l'article R. 244-4 du code de la sécurité sociale incriminant le défaut de conformité aux prescriptions de la législation de sécurité sociale.
17. Les juges concluent que le caractère frauduleux des agissements du prévenu est corroboré par le fait, d'une part, qu'il a soustrait une partie des sommes non payées à l'URSSAF des comptes de son entreprise afin de les rendre insaisissables par les créanciers de celle-ci et, d'autre part, que son comportement a conduit à la cessation des paiements et a perduré après la date de celle-ci, augmentant le passif de l'entreprise, non seulement des cotisations URSSAF impayées depuis plusieurs années, alors que les résultats de l'entreprise permettaient de s'en acquitter, mais également des dommages et intérêts ainsi que des frais irrépétibles qui n'auraient pas été dus si M. [K] s'était conformé aux dispositions du code de la sécurité sociale.
18. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
19. En premier lieu, l'article L. 654-2, 3° du code de commerce n'exclut aucune modalité d'augmentation du passif.
20. En second lieu, le comportement du prévenu est frauduleux dès lors qu'il consiste en une omission, manifestement délibérée, de s'acquitter des cotisations sociales dues.
21. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois. | Le délit de banqueroute, lorsqu'il consiste pour l'auteur à frauduleusement augmenter le passif de son entreprise, en application de l'article L. 654-2, 3°, du code de commerce, texte qui n'exclut aucune modalité d'augmentation du passif, peut être constitué par l'omission, manifestement délibérée, de s'acquitter des cotisations sociales dues |
8,573 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 février 2023
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 120 FS-B
Pourvoi n° M 21-17.459
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2023
La société Green Go Aircraft, société à responsabilité limitée de droit hongrois, dont le siège est [Adresse 3] (Hongrie), a formé le pourvoi n° M 21-17.459 contre l'arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d'appel de Nîmes, dans le litige l'opposant à la société Air tourisme instruction service, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vendryes, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Green Go Aircraft, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Air tourisme instruction service, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vendryes, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mme Jollec, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 31 mars 2021), sur autorisation du juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance du 29 novembre 2018, la société Air tourisme instruction service (la société Atis) a fait pratiquer, le 3 décembre 2018, à l'aéroport d'[2], la saisie conservatoire d'un aéronef, immatriculé en Grande-Bretagne, et propriété de la société Green Go Aircraft (la société GGA), société de droit hongrois.
2. Le procès-verbal a été dénoncé à la société GGA le 7 décembre suivant.
3. Le 21 février 2020, la société GGA a assigné la société Atis devant le juge de l'exécution ayant ordonné la saisie, à fin de mainlevée de celle-ci.
4. Par jugement du 26 novembre 2020, celui-ci a prononcé la nullité de cette saisie conservatoire au motif de l'incompétence du juge de l'exécution pour autoriser une telle mesure.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La société GGA fait grief à l'arrêt de dire que le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Avignon était compétent pour autoriser la saisie conservatoire litigieuse, en conséquence de déclarer cette saisie régulière et fondée et de rejeter en conséquence les demandes en nullité et mainlevée formulées à son encontre, alors « que lorsque le propriétaire de l'aéronef n'est pas domicilié en France ou que l'aéronef est de nationalité étrangère, tout créancier a le droit de pratiquer une saisie conservatoire avec l'autorisation du juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri ; qu'en jugeant que bien que l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, dans sa rédaction applicable à la cause, soit « par principe applicable », dès lors qu'il est « acquis que le propriétaire de l'aéronef, la société GGA, n'est pas domiciliée en France mais en Hongrie, l'aéronef étant de surcroît de nationalité étrangère » , le juge de l'exécution était compétent pour ordonner la saisie, aux motifs qu'en vertu de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution autorise de manière exclusive les mesures conservatoires, qu'« un texte réglementaire même spécial ne peut trouver application face à des articles législatifs plus récents et expressément déclarées d'ordre public » , et qu'« aucun argument utile ne peut être déduit de la modification intervenue par décret du 18 septembre 2019 quant à la rédaction de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, puisque si, à la désignation du « juge d'instance », succède désormais celle du « juge du tribunal judiciaire », le juge de l'exécution n'en demeure pas moins l'un des juges du tribunal judiciaire en vertu de l'article 213-5 du code de l'organisation judiciaire », la cour d'appel a violé les articles R. 123-9 du code de l'aviation civile et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
6. Par arrêt du 3 mars 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a saisi le Conseil d'Etat d'une question préjudicielle relative à l'appréciation de la légalité de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile au regard des dispositions de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, du 3° de l'article L. 721-7 du code de commerce et des articles L. 511-2 et L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution. Elle a sursis à statuer jusqu'à la décision du Conseil d'Etat.
7. Par décision du 14 octobre 2022, le Conseil d'Etat a jugé qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées, ainsi que des travaux préparatoires des lois du 9 juillet 1991 et du 22 décembre 2010, que le législateur a conféré au juge de l'exécution une compétence exclusive en matière d'autorisation des saisies conservatoires, y compris en matière de saisie des aéronefs étrangers, sous réserve de la compétence concurrente du président du tribunal de commerce prévue par les dispositions de l'article L. 721-7 du code de commerce, dans les conditions qu'elles énoncent, que, par suite, les dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, dans leur version applicable au litige, doivent être déclarées illégales en tant qu'elles désignent le juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri comme juge compétent pour autoriser la saisie conservatoire des aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France.
8. Il résulte de ce qui précède que le juge de l'exécution autorise, de manière exclusive, les saisies conservatoires portant sur les aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France, sous réserve de la compétence facultative, concurremment reconnue au président du tribunal de commerce.
9. Le moyen, dès lors, manque en droit.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Green Go Aircraft aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Green Go Aircraft et la condamne à payer à la société Air tourisme instruction service la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Green Go Aircraft
La société GREEN GO AIRCRAFT fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le juge de l'exécution d'Avignon était compétent pour autoriser la saisie conservatoire litigieuse, d'AVOIR en conséquence déclaré cette saisie régulière et fondée et d'AVOIR rejeté en conséquence les demandes en nullité et mainlevée formulées à son encontre ;
ALORS QUE lorsque le propriétaire de l'aéronef n'est pas domicilié en France ou que l'aéronef est de nationalité étrangère, tout créancier a le droit de pratiquer une saisie conservatoire avec l'autorisation du juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri ; qu'en jugeant que bien que l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, dans sa rédaction applicable à la cause, soit « par principe applicable » (arrêt, p.13), dès lors qu'il « est acquis que le propriétaire de l'aéronef, la société CGA, n'est pas domiciliée en France mais en Hongrie, l'aéronef étant de surcroit de nationalité étrangère » (ibid.), le juge de l'exécution était compétent pour ordonner la saisie, aux motifs qu'en vertu de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution autorise de manière exclusive les mesures conservatoires, qu'« un texte réglementaire même spécial ne peut trouver application face à des articles législatifs plus récents et expressément déclarés d'ordre public » (ibid. p.14), et qu'« aucun argument utile ne peut être déduit de la modification intervenue par décret du 18 septembre 2019 quant à la rédaction de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, puisque si, à la désignation du « juge d'instance », succède désormais celle du « juge du tribunal judiciaire », le juge de l'exécution n'en demeure pas moins l'un des juges du tribunal judiciaire en vertu de l'article 213-5 du code de l'organisation judiciaire » (ibid.), la cour d'appel a violé les articles R. 123-9 du code de l'aviation civile et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. | Le juge de l'exécution autorise, de manière exclusive, les saisies conservatoires portant sur les aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France, sous réserve de la compétence facultative concurremment reconnue au président du tribunal de commerce |
8,574 | CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 février 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 125 F-B
Pourvoi n° Q 21-18.382
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2023
M. [I] [J], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 21-18.382 contre l'arrêt rendu le 7 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 6), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au Fonds commun de titrisation Castanea, dont le siège est [Adresse 1], ayant pour société de gestion la société Equitis gestion, représenté par la société MCS & Associés, venant aux droits de la Société générale,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [J], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat du Fonds commun de titrisation Castanea, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 avril 2021), M. [J], condamné par un jugement d'un tribunal de commerce, en sa qualité de caution, à payer diverses sommes à la Société générale (la banque) en a relevé appel. Le Fonds commun de titrisation Castanea est intervenu volontairement à l'instance devant la cour d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. M. [J] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande fondée sur l'article L. 332-1 du code de la consommation et de le condamner à verser à la Société Générale et au Fonds commun de titrisation Castanea diverses sommes au titre de ses engagements de caution alors « que si les parties doivent, à peine d'irrecevabilité, présenter, dès leurs premières conclusions d'appel, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, il faut, mais il suffit, que ces prétentions soient expressément formulées dans le dispositif des écritures ; que les parties sont alors recevables à invoquer, dans la discussion, tous les moyens, même nouveaux en cause d'appel, de nature à fonder ces prétentions ; qu'en retenant que, faute de discussion sur la déchéance de la banque dans le corps des conclusions du 10 mai 2019, la demande de débouté qui figure dans le dispositif de ces écritures ne renvoie à aucune prétention dûment explicitée, de sorte que doit être déclaré irrecevable le moyen de défense au fond soulevé pour la première fois dans des conclusions postérieures, la cour d'appel a violé les articles 910-4 et 954 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 910-4, alinéa 1er du code de procédure civile, créé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, dans sa version applicable du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020 et 954 dudit code :
3. Selon le premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
4. En application de l'article 954 alinéas 1 et 3 du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquelles chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
5. Il en résulte que le respect des diligences imparties par l'article 910-4 du même code s' apprécie en considération des prescriptions de l'article 954.
6. Pour confirmer le jugement, l'arrêt, après avoir rappelé les termes des articles 910-4 et 564 du code de procédure civile, retient que l'engagement disproportionné ouvre à la caution un moyen de défense au fond lui permettant de faire rejeter, selon l'article 71, la demande de son adversaire. Il ajoute que l'article 564 autorisant les nouvelles prétentions dès lors qu'elles ont pour objet de faire écarter les prétentions adverses, la demande tirée de la disposition n'est pas irrecevable comme nouvelle en cause d'appel. Il relève que, dans ses conclusions du 10 mai 2019, M. [J] n'a pas sollicité la déchéance de la banque dans sa motivation, la demande de débouté de la banque ne renvoyant à aucune prétention dûment explicitée et justifiée par des pièces comme l'exige l'article 564. Il retient qu'est irrecevable ce moyen de défense soulevé pour la première fois par conclusion du 26 septembre 2019 et dans son dispositif, déclare irrecevable la demande de l'appelant fondée sur l'article L. 332-1 du code de la consommation.
7. En statuant ainsi, alors que l'appelant avait, conformément à l'article 954 précité, mentionné ses prétentions tendant au débouté de la banque, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile, et que l'article 910-4 ne fait pas obstacle à la présentation d'un moyen nouveau dans des conclusions postérieures, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la Société générale et le Fonds commun de titrisation Castanea aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la Société générale et le Fonds commun de titrisation Castanea et les condamne à payer à M. [J] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. [J].
M. [J] fait grief à l'arrêt attaqué
D'AVOIR déclaré irrecevable sa demande fondée sur l'article L. 332-1 du code de la consommation et DE L'AVOIR condamné à verser à la Société Générale et au fond commun de titrisation Castanéa diverses sommes au titre de ses engagements de caution ;
ALORS QUE si les parties doivent, à peine d'irrecevabilité, présenter, dès leurs premières conclusions d'appel, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, il faut, mais il suffit, que ces prétentions soient expressément formulées dans le dispositif des écritures ; que les parties sont alors recevables à invoquer, dans la discussion, tous les moyens, même nouveaux en cause d'appel, de nature à fonder ces prétentions ; qu'en retenant que, faute de discussion sur la déchéance de la banque dans le corps des conclusions du 10 mai 2019, la demande de débouté qui figure dans le dispositif de ces écritures ne renvoie à aucune prétention dûment explicitée, de sorte que doit être déclaré irrecevable le moyen de défense au fond soulevé pour la première fois dans des conclusions postérieures, la cour d'appel a violé les articles 910-4 et 954 du code de procédure civile. | Selon l'article 910-4, alinéa 1er du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
En application de l'article 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquelles chacune de ces prétentions est fondée, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Le respect des diligences imparties par l'article 910-4 du même code s' apprécie en considération des prescriptions de l'article 954.
Il en résulte que l'article 910-4 précité ne fait pas obstacle à la présentation d'un moyen nouveau dans des conclusions postérieures à celles remises au greffe dans les délais impartis par les articles 908 à 910 et 905-2 |
8,575 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 février 2023
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 130 F-B
Pourvoi n° T 21-15.924
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2023
La société Robert Bosch Ag, dont le siège est [Adresse 3] (Autriche), a formé le pourvoi n° T 21-15.924 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Cummins France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Robert Bosch Ag, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Cummins France, de la société Axa France IARD, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 février 2021) la société Casier et fils a confié au chantier naval Meuse et Sambre des travaux à effectuer sur une coque de bateau, notamment l'installation d'un moteur de marque Cummins.
2. A la suite d'avaries constatées sur ce moteur et après expertise ordonnée en référé, elle a assigné la société Cummins France et son assureur, la société Axa France IARD, en paiement de diverses sommes sur le fondement de la garantie des vices cachés.
3. La société Cummins France a assigné en garantie la société de droit autrichien Robert Bosch, fabricant des injecteurs du moteur.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Robert Bosch fait grief à l'arrêt de dire l'exception d'incompétence irrecevable, alors « qu' une défense au fond est un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire ; que la décision de jonction ou de disjonction est une mesure d'administration judiciaire qui peut être ordonnée par le juge s'il est de l'intérêt d'une bonne justice de faire instruire ou juger ensemble deux instances pendantes devant lui ; que cette décision ne portant pas sur le fond du droit, la contestation émise par le défendeur à la demande de jonction ne constitue pas une défense au fond devant nécessairement être soulevée après toute exception de procédure ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que « les conclusions de la société Robert Bosch ont été notifiées en réponse à des conclusions de la société Cummins qui sollicitaient la jonction avec l'instance principale introduite par la société Casier » et que la société Bosch s'était « positionnée sur la demande de jonction », la cour d'appel a pourtant considéré que « la protestation de la société Bosch à l'égard de sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins tendant à sa garantie » et en a déduit que l'exception de procédure, qui n'avait pas été soulevée in limine litis, était irrecevable ; qu'en statuant de la sorte, quand l'opposition de la société Bosch à la demande de jonction d'instances ne constituait pas une défense au fond de nature à rendre irrecevable une exception de procédure soulevée ensuite, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 71 et 368 du même code.»
Réponse de la Cour
Vu les articles 74 et 71 du code de procédure civile :
5. Il résulte du premier de ces textes que les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Selon le second, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire
6. Pour dire l'exception d'incompétence irrecevable, l'arrêt retient que la protestation de la société Bosch à l'égard de sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins France tendant à sa garantie, de sorte que l'exception d'incompétence qu'elle soulevait était irrecevable.
7. En statuant ainsi, alors que la société Bosch ne demandait pas que l'expertise lui soit déclarée inopposable et s'était bornée à défendre à la demande de jonction de l'instance en garantie la concernant à celle sur le fondement des vices cachés intentée contre la société Cummins France, sans faire valoir de défense sur le fond du droit, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Cummins France et la société Axa France IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cummins France et la société Axa France IARD et les condamne à payer à la société Robert Bosch Ag la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour la société Robert Bosch Ag
La société Robert Bosch fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit l'exception d'incompétence irrecevable ;
ALORS QU' une défense au fond est un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire ; que la décision de jonction ou de disjonction est une mesure d'administration judiciaire qui peut être ordonnée par le juge s'il est de l'intérêt d'une bonne justice de faire instruire ou juger ensemble deux instances pendantes devant lui ; que cette décision ne portant pas sur le fond du droit, la contestation émise par le défendeur à la demande de jonction ne constitue pas une défense au fond devant nécessairement être soulevée après toute exception de procédure ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que « les conclusions de la société Robert Bosch ont été notifiées en réponse à des conclusions de la société Cummins qui sollicitaient la jonction avec l'instance principale introduite par la société Casier » et que la société Bosch s'était « positionnée sur la demande de jonction », la cour d'appel a pourtant considéré que « la protestation de la société Bosch à l'égard de sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins tendant à sa garantie » et en a déduit que l'exception de procédure, qui n'avait pas été soulevée in limine litis, était irrecevable ; qu'en statuant de la sorte, quand l'opposition de la société Bosch à la demande de jonction d'instances ne constituait pas une défense au fond de nature à rendre irrecevable une exception de procédure soulevée ensuite, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 71 et 368 du même code. | La protestation, à l'égard de sa mise en cause, d'une partie, qui ne demandait pas que l'expertise lui soit déclarée irrecevable et se bornait à défendre à une demande de jonction sans faire valoir de défense sur le fond du droit, ne constitue pas une défense au fond au sens de l'article 71 du code de procédure civile, et ne rend pas irrecevable, en application de l'article 74 du même code, l'exception d'incompétence soulevée postérieurement |
8,576 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 février 2023
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 128 F-B
Pourvoi n° Y 21-18.942
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2023
M. [V] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-18.942 contre l'arrêt rendu le 19 avril 2021 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre A), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Rennes, domicilié en son parquet général, place du Parlement, CS 66423, 35064 Rennes cedex, défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de M. [G], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 19 avril 2021) et les productions, le 24 août 2016, un procureur de la République a assigné M. [G] devant un tribunal de grande instance, aux fins d'annulation d'une mention portée en marge de son acte de naissance.
2. Par ordonnance du 22 juin 2017, un juge de la mise en état a prononcé la nullité de l'assignation.
3. Le 1er octobre 2019, le même procureur de la République ayant assigné M. [G] devant un tribunal de grande instance, aux fins d'annulation d'une mention portée en marge de son acte de naissance, un juge de la mise en état a, par une ordonnance du 15 octobre 2020, débouté ce dernier de ses exceptions et fins de non-recevoir.
4. M. [G] a interjeté appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. [G] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir constater l'absence du ministère public aux débats de première instance et en conséquence de sa demande de nullité de l'ordonnance du juge de la mise en état du 15 octobre 2020, alors « que le ministère public est tenu d'assister à l'audience au cas où il est partie principale ; que la cour d'appel qui a décidé que cette obligation n'était pas applicable à un incident devant le juge de la mise en état a violé les dispositions de l'article 431 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
6. L'obligation, pour le ministère public, d'assister à l'audience dans les cas où il est partie principale, qui résulte de l'article 431 du code de procédure civile, ne porte que sur l'audience au cours de laquelle les parties débattent du bien-fondé de leurs prétentions respectives. Elle ne concerne pas les audiences que tient le juge de la mise en état à l'occasion de l'instruction de l'affaire.
7. Ayant retenu que l'article 431 du code de procédure civile, qui s'insère dans les dispositions relatives aux débats avant jugement, comprises dans le titre quatorzième du livre premier du code de procédure civile, n'est pas applicable à un incident devant le juge de la mise en état, régi par les dispositions du titre I du deuxième livre du dit code, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte visé au moyen.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. M. [G] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir dire et juger que le ministère public avait acquiescé et renoncé à l'action, alors :
« 1°/ que l'acquiescement emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action ; que la cour d'appel a constaté que dans l'instance engagée par Monsieur le procureur de la République de Nantes aux fins de voir annuler la mention en marge de l'acte de naissance de Monsieur [G], le procureur avait reconnu que la demande de nullité de l'assignation formée par Monsieur [G] invoquant l'absence de moyen de droit, était fondée et qu'il n'avait aucun moyen à opposer ; qu'en décidant que cet acquiescement ne portait que sur l'exception de procédure et non pas sur le fond du litige, sans s'expliquer comme cela lui était demandé sur le fait que l'irrégularité de l'assignation aurait pu être régularisée de sorte qu'en indiquant qu'il n'avait aucun moyen à opposer le ministère public avait sans équivoque renoncé à l'action, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 408 du code de procédure civile ;
2°/ que de plus, l'acquiescement qui vaut renonciation à l'action peut être implicite et résulter d'actes ou faits dénués de toute équivoque traduisant l'intention de reconnaître le bien fondé des prétentions adverses ; que la cour d'appel qui a décidé que l'acquiescement du ministère public reconnaissant qu'il n'avait formulé aucun moyen de droit et qu'il n'avait aucun moyen à opposer, ne portait que sur l'exception de procédure et que l'absence d'exercice de voie de recours et la délivrance postérieure à l'instance des actes de naissance réclamés par Monsieur [G] ne valaient pas renonciation à l'action la cour d'appel a violé les articles 408 et 410 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
10. Selon l'article 408 du code de procédure civile, l'acquiescement, qui emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action, n'est admis que pour les droits dont la partie a la libre disposition.
11. Le procureur de la République n'ayant pas la libre disposition des droits relatifs à l'état civil, qui relèvent de l'ordre public, le moyen, dès lors, manque en droit.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour M. [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur [G] de sa demande tendant à voir constater l'absence du ministère public aux débats de première instance et en conséquence de sa demande de nullité de l'ordonnance du juge de la mise en état du 15 octobre 2020
Alors que le ministère public est tenu d'assister à l'audience au cas où il est partie principale ; que la Cour d'appel qui a décidé que cette obligation n'était pas applicable à un incident devant le juge de la mise en état a violé les dispositions de l'article 431 du code de procédure civile
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur [G] de sa demande tendant à voir dire et juger que le ministère public avait acquiescé et renoncé à l'action
1° Alors que l'acquiescement emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action ; que la Cour d'appel a constaté que dans l'instance engagée par Monsieur le procureur de la République de Nantes aux fins de voir annuler la mention en marge de l'acte de naissance de Monsieur [G], le procureur avait reconnu que la demande de nullité de l'assignation formée par Monsieur [G] invoquant l'absence de moyen de droit, était fondée et qu'il n'avait aucun moyen à opposer ; qu'en décidant que cet acquiescement ne portait que sur l'exception de procédure et non pas sur le fond du litige, sans s'expliquer comme cela lui était demandé sur le fait que l'irrégularité de l'assignation aurait pu être régularisée de sorte qu'en indiquant qu'il n'avait aucun moyen à opposer le ministère public avait sans équivoque renoncé à l'action, la Cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 408 du code de procédure civile
2° Alors que de plus, l'acquiescement qui vaut renonciation à l'action peut être implicite et résulter d'actes ou faits dénués de toute équivoque traduisant l'intention de reconnaître le bien fondé des prétentions adverses ; que la Cour d'appel qui a décidé que l'acquiescement du ministère public reconnaissant qu'il n'avait formulé aucun moyen de droit et qu'il n'avait aucun moyen à opposer, ne portait que sur l'exception de procédure et que l'absence d'exercice de voie de recours et la délivrance postérieure à l'instance des actes de naissance réclamés par Monsieur [G] ne valaient pas renonciation à l'action la Cour d'appel a violé les articles 408 et 410 du code de procédure civile | L'obligation, pour le ministère public, d'assister à l'audience dans les cas où il est partie principale, qui résulte de l'article 431 du code de procédure civile, ne porte que sur l'audience au cours de laquelle les parties débattent du bien-fondé de leurs prétentions respectives. Elle ne concerne pas les audiences que tient le juge de la mise en état à l'occasion de l'instruction de l'affaire |
8,577 | N° U 22-83.986 F-B
N° 00143
SL2
7 FÉVRIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 FÉVRIER 2023
La société [J] et M. [J] [G] ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-15, en date du 13 mai 2022, qui, notamment, pour non-transmission de l'identité et de l'adresse du conducteur d'un véhicule, les a condamnés respectivement à 675 euros et 135 euros d'amende.
Un mémoire personnel, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de M. Maziau, conseiller, et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Maziau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [J] et M. [J] [G], gérant de ladite société, ont été poursuivis du chef susvisé, infraction commise le 12 octobre 2018.
3. Par jugement du 16 mars 2021, le tribunal de police a déclaré les prévenus coupables.
4. Ceux-ci ont interjeté appel. Le ministère public a interjeté appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-6 du code de la route, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale.
6. Il critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré les prévenus coupables de l'infraction de non-transmission de l'identité et de l'adresse du conducteur d'un véhicule, alors :
1°/ que le procès-verbal de constatation de l'infraction, qui fait foi, ne rapporte nullement la preuve de l'envoi ou de la remise de la contravention, n'indiquant pour seule date que celle de l'établissement de l'avis de contravention ; que la cour d'appel, en se fondant sur un tableau au dossier, non daté, non signé, non probant pour indiquer que l'avis a bien été envoyé le 30 juillet 2018, a dénaturé les faits rapportés par le procès-verbal alors même qu'il est indiqué que le « procès-verbal », qui n'en est pas un, vaut jusqu'à preuve contraire ;
2°/ qu'en indiquant que l'avis a bien été envoyé le 30 juillet 2018, la cour d'appel aurait dû constater que l'infraction de non-désignation ne pouvait être commise le 12 octobre 2018 dans la mesure où, si le délai démarre au jour de l'envoi ou de la remise, l'infraction présumée était commise le 16 septembre 2018.
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer les prévenus coupables de l'infraction de non-transmission de l'identité et de l'adresse du conducteur d'un véhicule, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes des articles L. 121-6 du code de la route et 537 du code de procédure pénale, énonce que le procès-verbal du 12 octobre 2018 indique que l'infraction d'excès de vitesse a été constatée le 25 juillet précédent et qu'un avis de contravention a été envoyé au détenteur du véhicule.
8. Les juges ajoutent que le procès-verbal précise également qu'à la date de son établissement, il a été constaté que la société prévenue n'avait pas répondu à l'obligation de désigner la personne physique qui conduisait le véhicule au moment de l'infraction.
9. Ils retiennent que, si la date d'envoi de l'avis initial de contravention ne figure pas dans le procès-verbal de constatation de l'infraction, il résulte du document intitulé « information sur l'infraction initiale » que cet avis a été adressé le 30 juillet 2018 au titulaire du certificat d'immatriculation, et qu'il n'existe dès lors pas de doute quant au point de départ de l'infraction de non-transmission de l'identité et de l'adresse du conducteur par le responsable de la personne morale détenant le véhicule.
10. Ils soulignent qu'aucun texte du code de la route n'exigeant l'envoi de la contravention initiale par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, le procès-verbal vaut jusqu'à preuve contraire, conformément aux dispositions de l'article 537 du code de procédure pénale.
11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
12. D'une part, l'avis de contravention pour non-transmission de l'identité du conducteur du véhicule établi lorsque la société [J], titulaire du certificat d'immatriculation, n'a pas fait parvenir dans les délais prescrits l'identité dudit conducteur, est distinct de l'avis de contravention initiale que les prévenus ne contestent pas avoir reçu.
13. D'autre part, en l'absence de mention sur le procès-verbal de la date d'envoi de l'avis de la contravention initiale, les juges pouvaient, sans méconnaître les dispositions de l'article 537 du code de procédure pénale, apprécier souverainement la portée du document intitulé « information sur l'infraction initiale », généré automatiquement à titre de fiche de renseignement dans le cadre du traitement des infractions relevant de l'article L. 130-9 du code de la route, versé par le ministère public aux débats et portant mention de la date à laquelle l'avis de contravention initiale avait été envoyé, point de départ du délai de quarante-cinq jours prévu par l'article L. 121-6 dudit code.
14. Enfin, il importe peu que l'avis de contravention pour non-transmission de l'identité et de l'adresse du conducteur du véhicule soit daté du 12 octobre 2018, et non du 16 septembre, terme des quarante-cinq jours, dès lors que l'infraction reprochée était effectivement consommée.
15. Le moyen ne peut qu'être écarté.
16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille vingt-trois. | Il résulte de l'article L. 121-6 du code de la route que le représentant légal de la personne morale titulaire du certificat d'immatriculation d'un véhicule ayant donné lieu à un avis de contravention au code de la route dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de l'envoi ou de la remise de l'avis de contravention pour indiquer l'identité et l'adresse du conducteur du véhicule lors de l'infraction.
C'est à bon droit, qu'en l'absence de mention de la date d'envoi de la contravention initiale dans le procès-verbal constatant l'infraction de non-transmission de l'identité du conducteur, une cour d'appel apprécie souverainement la portée du document intitulé « information sur l'infraction initiale » généré automatiquement à titre de fiche de renseignements dans le cadre du traitement des infractions relevant de l'article L. 130-9 du code de la route, versé aux débats par le ministère public et qui porte mention de cette date d'envoi |
8,578 | N° K 22-81.057 F-B
N° 00147
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7 FÉVRIER 2023
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 FÉVRIER 2023
M. [F] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 3 février 2022, qui, pour diffusions d'image ou de renseignement sur l'identité d'une victime d'agression ou d'atteinte sexuelles sans son accord écrit et complicité, l'a condamné à 1 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [F] [V], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [M] [O], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 10 janvier 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, M. Lemoine, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 11 octobre 2019, Mme [M] [O] a porté plainte contre M. [F] [V] pour le délit de publication d'identité d'une victime d'agression sexuelle, prévu et réprimé par l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la publication de propos révélant son identité, alors qu'il savait qu'elle y était opposée, lors d'une émission télévisée, dans un communiqué de presse mis en ligne sur un site internet ainsi que dans un ouvrage.
3. Le procureur de la République a fait citer M. [V] de ce chef devant le tribunal correctionnel, d'une part, comme auteur principal, s'agissant du communiqué de presse et de l'émission télévisée, d'autre part, comme complice de ce même délit, s'agissant de l'ouvrage précité, le directeur de cette publication étant, quant à lui, cité en qualité d'auteur principal.
4. Par jugement du 6 novembre 2020, le tribunal correctionnel les a déclarés coupables et a condamné notamment M. [V] à 3 000 euros d'amende dont 2 000 euros avec sursis.
5. Les prévenus et la partie civile ont formé appel à titre principal, le ministère public à titre incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [V] coupable, comme auteur et complice, du chef de diffusion de renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression sexuelle, alors :
« 1°/ qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 qui, en ce qu'il ne désigne pas précisément les personnes qui doivent être regardées comme victimes au sens de ce texte, méconnaît le principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale ;
2°/ qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 qui, en ce qu'il réprime, sans distinction et sous la seule réserve de l'accord écrit donné par la victime, le fait de diffuser des renseignements concernant l'identité d'une victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelles ou l'image de cette victime lorsqu'elle est identifiable, y compris lorsque de tels renseignements ou une telle image ont déjà été diffusés par la victime elle-même, méconnaît la liberté d'expression, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale ;
3°/ que, en tout état de cause, le terme « victime » s'entend, au sens de l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 qui est d'interprétation stricte, d'une personne reconnue comme telle, après condamnation de l'auteur de l'infraction ; qu'en retenant, pour déclarer M. [V] coupable d'avoir diffusé des renseignements concernant l'identité d'une victime d'agression sexuelle et de s'être rendu complice d'une telle diffusion, que si le terme « victime » pouvait recevoir plusieurs acceptions, son emploi dans l'article 39 quinquies s'appliquait nécessairement à toute personne se présentant comme telle, la cour d'appel a violé le texte précité et l'article 111-4 du code pénal ;
4°/ que l'incrimination d'un comportement constitutif d'une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression, compte tenu de la nature et du contexte de l'agissement en cause ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que l'identité de Mme [O], partie civile constituée dans une information suivie contre M. [V] du chef de viol, avait déjà été diffusée dans différents médias et qu'elle avait elle-même contribué à la diffusion de son image et à son identification, a déclaré le prévenu coupable d'avoir postérieurement diffusé ces mêmes renseignements et de s'être rendu complice d'une telle diffusion, a violé l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
7. La Cour de cassation ayant, par arrêt du 10 août 2022, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité, les griefs sont devenus sans objet.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
8. Pour écarter le moyen selon lequel Mme [O] ne pouvait être considérée comme victime d'agression sexuelle en l'absence de déclaration de culpabilité de M. [V] pour de tels faits, l'arrêt attaqué énonce que le terme de « victime » employé à l'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 s'applique nécessairement à toute personne se présentant comme telle.
9. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait une exacte application des textes visés au moyen.
10. En effet, le texte susvisé n'a pas entendu réserver sa protection aux seules victimes reconnues comme telles par décision définitive ayant prononcé la condamnation de l'auteur des faits.
11. Dès lors, le grief n'est pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
12. L'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse incrimine la diffusion, sans l'accord écrit de celle-ci, de renseignements concernant l'identité d'une victime d'infraction sexuelle ou son image lorsqu'elle est identifiable.
13. Cette disposition affecte l'exercice de la liberté d'expression qui constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l'article 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme.
14. Une telle ingérence, prévue par la loi, est définie de manière suffisamment claire et précise pour que son interprétation, qui entre dans l'office du juge pénal, puisse se faire sans risque d'arbitraire.
15. La restriction qu'apporte à la liberté d'expression l'article 39 quinquies de la loi précitée poursuit l'un des buts énumérés à l'article 10, § 2, susvisé, en ce qu'elle a pour objet la protection de la dignité et de la vie privée de la victime d'infraction sexuelle, protection qui est également de nature à éviter des pressions sur celle-ci.
16. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que la réputation d'une personne, même lorsque celle-ci est critiquée au cours d'un débat public, fait partie de son identité personnelle et de son intégrité morale et, dès lors, relève de la vie privée de celle-ci au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 15 novembre 2007, Pfeifer c. Autriche, n° 12556/03). L'identité d'une victime de violences sexuelles relève également de sa vie privée et bénéficie de la protection offerte par l'article 8 précité (CEDH, arrêt du 17 janvier 2012, Kurier Zeitungsverlag und Druckerei GmbH c. Autriche, n° 3401/07).
17. Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d'expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un juste équilibre entre ces deux droits.
18. Pour ce faire, le juge doit examiner si la diffusion de l'identité de la victime d'infraction sexuelle contribue à un débat d'intérêt général, tenant compte de l'éventuelle notoriété de la personne visée et de son comportement avant la diffusion, de l'objet de cette dernière, son contenu, sa forme et ses répercussions.
19. Enfin, s'il retient que l'infraction prévue à l'article 39 quinquies précité est caractérisée, le juge doit prononcer une sanction proportionnée à l'ingérence dans l'exercice de la liberté d'expression du prévenu, au regard des circonstances particulières de l'affaire (CEDH [GC], arrêt du 7 février 2012, Axel Springer AG c. Allemagne, n°39954/08).
20. En l'espèce, pour déclarer M. [V] coupable, infirmer le jugement sur la peine et le condamner à 1 000 euros d'amende, l'arrêt attaqué énonce en substance, par motifs propres et adoptés, qu'il importe peu que l'identité de la victime ait déjà été révélée ou que celle-ci ait contribué à son identification, l'article 39 quinquies de la loi précitée visant la seule diffusion d'informations concernant l'identité d'une victime.
21. Les juges relèvent qu'au surplus, Mme [O], si elle a pu diffuser des photographies sur lesquelles elle pouvait être identifiée, a constamment dissimulé son état civil, communiquant uniquement sous le pseudonyme de « [R] ».
22. Ils retiennent que M. [V] a, dans ces circonstances, agi en connaissance de cause et ne démontre pas que la diffusion du nom de Mme [O] était nécessaire à l'exercice des droits de la défense.
23. Les juges ajoutent qu'une peine d'amende est adaptée à la nature, à la durée et à la gravité des faits, ainsi qu'à la personnalité, la situation sociale et professionnelle et aux revenus de M. [V], qui a sciemment diffusé l'identité de Mme [O] dans un ouvrage ainsi que dans deux autres médias, sans avoir recueilli son accord écrit.
24. Ils concluent qu'il doit toutefois être tenu compte du fait que Mme [O] a elle-même contribué à son identification, notamment en diffusant sa photographie en juin 2019 et en faisant figurer son nom en qualité d'organisatrice d'une cagnotte en ligne au soutien de « [R] », pour dénoncer les agissements imputés à M. [V].
25. En statuant ainsi, et dès lors que la publication litigieuse ne contribuait pas à un débat d'intérêt général, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
26. Ainsi, ce dernier doit être écarté.
27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [V] devra payer à Mme [O] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille vingt-trois. | L'article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui incrimine la diffusion d'image ou de renseignement sur l'identité d'une victime d'agression ou d'atteinte sexuelles sans son accord écrit, n'exige pas que celle-ci ait été reconnue comme telle par décision définitive de condamnation de l'auteur des faits |
8,579 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 93 FS-B
Pourvoi n° V 21-23.976
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
1°/ M. [A] [N], domicilié [Adresse 1],
2°/ la société Productions Alleluia, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° V 21-23.976 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige les opposant à la société Librairie Artheme Fayard, dont le siège est [Adresse 2],
En présence de :
1°/ M. [P] [S], domicilié [Adresse 5],
2°/ M. [G] [D], domicilié [Adresse 3],
3°/ Mme [F] [B], domiciliée [Adresse 7],
4°/ Mme [U] [R], domiciliée [Adresse 6],
5°/ M. [L] [T], domicilié [Adresse 8],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [N] et de la société Productions Alleluia, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Librairie Artheme Fayard, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2021), M. [N], agissant en qualité d'exécuteur testamentaire en charge de l'exercice du droit moral de [P] [K], dit [P] [Y], compositeur et artiste-interprète, décédé le 13 mars 2010, et la société Productions Alleluia, titulaire des droits de reproduction des oeuvres de celui-ci, faisant grief à la société Librairie Arthème Fayard d'avoir publié un ouvrage intitulé « [P] [Y] « Je ne chante pas pour passer le temps » », signé par l'écrivain [E] [M], qui reproduisait cent trente-et-un extraits des chansons de [P] [Y], ainsi que, en page de couverture, le titre de l'une d'elles, l'ont assignée en contrefaçon.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches
Enoncé du moyen
3. M. [N] et la société Productions Alleluia font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ que, lorsqu'une oeuvre a été divulguée, son auteur ne peut interdire les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; que chaque citation doit être faite conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; qu'en affirmant, de manière générale, pour accueillir l'exception de courte citation, que l'ouvrage était de qualité et que les citations litigieuses étaient justifiées par son caractère pédagogique et d'information, sans les examiner individuellement afin de vérifier leur adéquation et leur nécessité par rapport au but poursuivi par l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-5 3° a) du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 5 § 3 d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
2°/ qu'une décision de justice doit se suffire à elle-même ; qu'il ne peut être suppléé au défaut ou à l'insuffisance de motifs par le seul visa des documents de la cause ; qu'en énonçant, pour accueillir l'exception de courte citation, qu'en toute hypothèse, la société Librairie Arthème Fayard avait procédé dans ses écritures, pour chacun des extraits cités, à un exposé du contexte dans lequel s'inscrivait cette citation, démontrant ainsi que chacune des citations était nécessaire à l'analyse critique de la chanson citée, sans en rapporter la teneur, la cour d'appel n'a pas donné de motifs à sa décision et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la courte citation ne peut être effectuée que dans le respect du droit moral de l'auteur ; qu'une chanson, lorsqu'elle est l'oeuvre d'un auteur-compositeur unique ou lorsqu'elle est une oeuvre de collaboration, constitue un tout indivisible, en sorte que la citation de ses seules paroles porte atteinte à son intégrité ; qu'en énonçant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les
oeuvres dont il était auteur compositeur ou coauteur, qu'aucune atteinte au droit moral ne pouvait résulter du fait que le texte avait été séparé de la musique, dans la mesure où le texte et la musique relèvent de genres différents et sont dissociables, la cour d'appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l'article 5, § 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, lequel, attaché à sa personne, est transmissible à cause de mort à ses héritiers et dont l'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.
5. Cependant, lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut, en application de l'article L. 122-5, 3°, du code de la propriété intellectuelle, interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source.
6. En premier lieu, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que, le texte et la musique d'une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l'auteur.
7. En second lieu, en retenant que la société Librairie Arthème Fayard avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d'elles était nécessaire à l'analyse critique de la chanson à laquelle se livrait M. [M], permettant au lecteur de comprendre le sens de l'oeuvre évoquée et l'engagement de l'artiste, et que ces citations ne s'inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d'information de l'ouvrage qui, richement documenté, s'attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [P] [Y], la cour d'appel, appréciant elle-même, par une décision motivée, les justifications apportées aux citations litigieuses, a pu accueillir l'exception de courte citation.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [N] et la société Productions Alleluia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [N] et la société Productions Alleluia et les condamne à payer à la société Librairie Arthème Fayard la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [N] et la société Productions Alleluia.
La société Productions Alleluia et M. [N] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leurs demandes fondées sur la contrefaçon des droits patrimoniaux d'auteur de [P] [Y], pour la première, et sur l'atteinte à son droit moral d'auteur, pour le second, ce dernier dans la limite de la recevabilité de ses demandes,
1) ALORS QUE lorsqu'une oeuvre a été divulguée, son auteur ne peut interdire les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; que chaque citation doit être faite conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; qu'en affirmant, de manière générale, pour accueillir l'exception de courte citation, que l'ouvrage était de qualité et que les citations litigieuses étaient justifiées par son caractère pédagogique et d'information, sans les examiner individuellement afin de vérifier leur adéquation et leur nécessité par rapport au but poursuivi par l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-5 3° a) du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 5 § 3 d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
2) ALORS QU' une décision de justice doit se suffire à elle-même ; qu'il ne peut être suppléé au défaut ou à l'insuffisance de motifs par le seul visa des documents de la cause ; qu'en énonçant, pour accueillir l'exception de courte citation, qu'en toute hypothèse, la société Librairie Arthème Fayard avait procédé dans ses écritures, pour chacun des extraits cités, à un exposé du contexte dans lequel s'inscrivait cette citation, démontrant ainsi que chacune des citations était nécessaire à l'analyse critique de la chanson citée, sans en rapporter la teneur, la cour d'appel n'a pas donné de motifs à sa décision et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE la courte citation ne peut être effectuée que dans le respect du droit moral de l'auteur ; qu'une chanson, lorsqu'elle est l'oeuvre d'un auteur-compositeur unique ou lorsqu'elle est une oeuvre de collaboration, constitue un tout indivisible, en sorte que la citation de ses seules paroles porte atteinte à son intégrité ; qu'en énonçant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu'aucune atteinte au droit moral ne pouvait résulter du fait que le texte avait été séparé de la musique, dans la mesure où le texte et la musique relèvent de genres différents et sont dissociables, la cour d'appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l'article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
4) ALORS QUE le droit moral de l'auteur est inaliénable ; que l'auteur ne peut y renoncer par avance ; qu'en retenant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu'il avait, en d'autres circonstances, autorisé la reproduction des seules paroles de ses chansons, la cour d'appel a violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l'article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
5) ALORS QU' en toute hypothèse, la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu'en retenant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu'il avait en d'autres circonstances autorisé la reproduction des seules paroles de ses chansons, ce qui ne pouvait valoir autorisation générale de dissocier les paroles et la musique pour ne citer que les premières, la cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l'article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. | Le texte et la musique d'une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte soit séparé de la musique ne porte pas nécessairement atteinte au droit moral de l'auteur |
8,580 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 105 F-B
Pourvoi n° G 22-10.169
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
Mme [Y] [X], agissant à titre personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure [U] [K], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° G 22-10.169 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [W], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la Société mutuelle d'assurances du corps de santé français, venant aux droits de la Société le sou médical, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La caisse primaire d'assurance maladie de l'oise a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi principal, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi provoqué, le moyen unique de cassation, annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de Me Occhipinti, avocat de Mme [X], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise, de la SCP Richard, avocat de M. [W], et la Société mutuelle d'assurances du corps de santé français, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 07 octobre 2021), le 15 mai 2010, Mme [X] a donné naissance par césarienne à une fille, [U] [K], qui présente une infirmité motrice cérébrale consécutive à une anoxo-ischémie.
2. Le 8 novembre 2012, contestant sa prise en charge lors de la naissance, au sein de la clinique [5], par M. [W], médecin-anesthésiste (le médecin-anesthésiste) ayant pratiqué une rachianesthésie et par M. [M], pédiatre (le pédiatre), Mme [X] a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (la CCI), qui a ordonné successivement deux expertises confiées à des collèges d'experts.
3. Par un avis du 18 décembre 2014, la CCI a estimé qu'il appartenait à la société Le Sou médical, assureur du pédiatre et du médecin- anesthésiste, d'indemniser les préjudices subis à hauteur de 30 % pour le premier et de 50 % pour le second.
4. Les 14 et 15 février 2017, à l'issue d'une indemnisation versée par la société Le Sou médical au titre de la part des préjudices imputés au pédiatre et d'un refus de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de se substituer à cet assureur pour la part imputée au médecin-anesthésiste, Mme [X] a assigné en responsabilité et indemnisation M. [W], la société Le Sou médical, aux droits de laquelle vient la société MACSF, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise (la caisse), qui a demandé le remboursement de ses débours.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
5. Par le moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, Mme [X] et la caisse font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « qu'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant Mme [X] et la Caisse faute d'établir avec certitude que les manquements imputables au médecin-anesthésiste avaient fait perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et L. 1142-1 du code de la santé publique. »
6. Par le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, la caisse fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu' en cas de faute imputée au professionnel de santé dans la tenue du dossier médical, la charge de la preuve est inversée et il appartient au professionnel de santé de démontrer que sa faute n'est pas à l'origine du dommage corporel subi par la victime ; qu'ayant constaté qu'en méconnaissance des règles de bonne pratique, le Dr [W] n'avait pas consigné les données de surveillance hémodynamique qui auraient permis de savoir si Mme [X] a présenté une hypotension de nature à expliquer l'anoxo-ischémie dont a souffert son enfant, la cour d'appel se devait d'en déduire qu'il appartenait au médecin-anesthésiste de démontrer que sa faute, résultant de ce qu'il a omis de procéder à un acte de nature à prévenir l'hypotension, n'a pas été à l'origine du dommage et donc d'établir qu'il était exclu que Mme [X] ait présenté une hypotension ; qu'en déboutant toutefois la Caisse de ses demandes, au motif que l'hypothèse de l'hypotension n'était pas étayée, la cour d'appel, qui a fait peser la charge et le risque de la preuve sur la victime et la Caisse, a violé les articles 1315 ancien [1353 nouveau] du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien [1231-1nouveau] du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir relevé l'existence de manquements imputables au médecin-anesthésiste pour prévenir le risque d'hypotension artérielle induit par la rachianesthésie, tenant à l'absence de remplissage vasculaire et de consignation des éléments de surveillance hémodynamique, la cour d'appel, se fondant sur les rapports d'expertise, a retenu que l'hypothèse émise par Mme [X], selon laquelle elle aurait présenté une hypotension artérielle sévère qui serait à l'origine de la survenue de l'anoxo-ischémie de l'enfant n'était pas étayée par les données cliniques et les éléments décrits au cours de l'intervention et qu'en l'absence d'indices sérieux en ce sens, elle ne pouvait être admise en se fondant seulement sur des données statistiques.
8. Ayant ainsi écarté l'éventualité que l'infirmité de l'enfant ait été causée par une hypotension artérielle sévère présentée par sa mère, elle n'a pu qu'en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que les manquements du médecin-anesthésiste n'avaient pas fait perdre à l'enfant une chance d'éviter l'anoxo-ischémie.
9. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne Mme [Y] [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit, au pourvoi principal, par Me Occhipinti, avocat aux Conseils, pour Mme [X]
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme [X] de ses demandes ;
ALORS QU'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant Mme [X] de sa demande d'indemnisation faute d'établir avec certitude que les manquements imputables au Dr. [W] avaient fait perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Moyen produit, au pourvoi provoqué, par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise
L'arrêt attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté les demandes formées par la Caisse ;
ALORS QUE, premièrement, en cas de faute imputée au professionnel de santé dans la tenue du dossier médical, la charge de la preuve est inversée et il appartient au professionnel de santé de démontrer que sa faute n'est pas à l'origine du dommage corporel subi par la victime ; qu'ayant constaté qu'en méconnaissance des règles de bonne pratique, le Dr [W] n'avait pas consigné les données de surveillance hémodynamique qui auraient permis de savoir si Mme [X] a présenté une hypotension de nature à expliquer l'anoxo-ischémie dont a souffert son enfant, la cour d'appel se devait d'en déduire qu'il appartenait au Dr [W] de démontrer que sa faute, résultant de ce qu'il a omis de procéder à un acte de nature à prévenir l'hypotension, n'a pas été à l'origine du dommage et donc d'établir qu'il était exclu que Mme [X] ait présenté une hypotension ; qu'en déboutant toutefois la Caisse de ses demandes, au motif que l'hypothèse de l'hypotension n'était pas étayée, la cour d'appel, qui a fait peser la charge et le risque de la preuve sur la victime et la Caisse, a violé les articles 1315 ancien [1353 nouveau] du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien [1231-1 nouveau] du code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant la Caisse de ses demandes, au motif qu'il n'était pas établi avec certitude que les manquements imputables au Dr [W] avaient perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien [1231-1 nouveau] du code civil.
Le greffier de chambre | Une cour d'appel, qui écarte l'éventualité que l'infirmité d'un enfant ait été causée par une hypotension artérielle sévère présentée par sa mère, ne peut qu'en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que les manquements du médecin-anesthésiste n'ont pas fait perdre à l'enfant une chance d'éviter une anoxo-ischémie |
8,581 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 110 F-B
Pourvoi n° A 22-10.852
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
Le directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5] (GHU [Localité 5]) [6], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 22-10.852 contre l'ordonnance rendue le 3 décembre 2021 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 12), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [G] [O], domiciliée [Adresse 2], actuellement hospitalisée au GHU [Localité 5] [6] site [7], dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [Y] [O], domicilié [Adresse 4],
3°/ au procureur général près de la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [O], après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 3 décembre 2021), le 15 janvier 2021, Mme [O] a été admise en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète par décision du directeur d'établissement et à la demande de son père, M. [O], sur le fondement de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique. Le 2 novembre 2021, alors qu'un programme de soins était en cours, le directeur d'établissement a pris une décision de réadmission en hospitalisation complète.
2. Le 4 novembre 2021, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande aux fins de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
Sur l'irrecevabilité du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [O], relevée d'office après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile
Vu l'article 609 du code de procédure civile et l'article R. 3211-13 du code de la santé publique :
3. Le pourvoi formé contre M. [O], qui n'était pas partie à l'instance, n'est pas recevable.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le directeur d'établissement fait grief à l'ordonnance de lever la mesure d'hospitalisation sous contrainte de Mme [O] dans les 24 heures en vue de la mise en place d'un programme de soins adapté à sa situation, alors « qu'ayant constaté, au vu de l'avis médical du 9 novembre 2021 puis du certificat de situation du 1er décembre 2021 que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifiaient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, le juge du fond ne pouvait qu'ordonner le maintien en hospitalisation complète ; qu'en décidant le contraire, il a violé les articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3212-1, I, et L. 3211-12-1 du code de la santé publique :
5. Aux termes du premier texte, une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1° ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ;
2° son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l'article L. 3211-2-1.
6. Lorsqu'il est saisi sur le fondement du second texte, aux fins de se prononcer sur le maintien de l'hospitalisation complète d'un patient, le juge doit examiner le bien fondé de la mesure au regard des éléments médicaux, communiqués par les parties ou établis à sa demande, sans pouvoir porter une appréciation d'ordre médical.
7. Pour prononcer la mainlevée différée de l'hospitalisation complète de Mme [O], après avoir constaté que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, l'ordonnance retient qu'il paraît néanmoins adapté à la situation de l'intéressée, qui a déjà passé de longs mois au sein de l'hôpital et qui a été réhospitalisée à la suite d'une rechute, d'ordonner une mainlevée afin qu'à la suite de permissions de sortie qui se sont avérées positives, l'hôpital puisse mettre en place un programme de soins dans l'intérêt de Mme [O], cette mesure pouvant être de nature à lui laisser la possibilité de poursuivre ses études, nonobstant sa pathologie chronique dont elle semble désormais être consciente à l'audience.
8. En statuant ainsi, alors que les certificats médicaux, dont le caractère régulier et circonstancié n'était pas contesté, se prononçaient tous en faveur du maintien de l'hospitalisation complète, le premier président, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit statué sur le fond dès lors que, les délais pour statuer étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [O] ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle dit l'appel interjeté recevable, l'ordonnance rendue le 3 décembre 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour le directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5].
L'ordonnance attaquée, critiquée par le Directeur du GHU [Localité 5] [6], encourt la censure ;
EN CE QU'elle a infirmé l'ordonnance du 12 novembre 2021 puis ordonné la mainlevée de la mesure d'hospitalisation sous contrainte de l'intéressée dans les 24 heures en vue de la mise en place d'un programme de soins adapté à sa situation ;
ALORS QUE, premièrement, ayant constaté, au vu de l'avis médical du 9 novembre 2021 puis du certificat de situation du 1er décembre 2021 que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifiaient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, le juge du fond ne pouvait qu'ordonner le maintien en hospitalisation complète ; qu'en décidant le contraire, il a violé les articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique ;
ALORS QUE, deuxièmement, en estimant qu'il y avait lieu à mainlevée de la mesure pour que l'hôpital puisse mettre en place un programme de soins dans l'intérêt de Mme [O], et ce, après des permissions de sortie qui se sont avérées positives, la mesure étant de nature à permettre à l'intéressée de poursuivre des études, le juge du fond s'est déterminé sur le fondement de considérations étrangères à l'état mental ou au consentement que visent les textes ; qu'à cet égard également, l'ordonnance attaquée encourt la censure pour violation des articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique ;
ET ALORS QUE, troisièmement, à supposer que les motifs mis en avant puissent concerner l'état mental de la patiente, le juge doit alors être considéré comme s'étant arrogé le pouvoir d'émettre une appréciation d'ordre médical, qui lui échappe, dès lors qu'il est tenu de se conformer aux éléments d'ordre médical figurant au dossier ; que de ce point de vue également, l'ordonnance encourt la censure pour violation des articles L. 3211-12-1, L. 3216-1, L. 3212-3 et R. 3211-12 du code de la santé publique.
Le greffier de chambre | Lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique, aux fins de se prononcer sur le maintien de l'hospitalisation complète d'un patient, le juge doit examiner le bien fondé de la mesure au regard des éléments médicaux, communiqués par les parties ou établis à sa demande, sans pouvoir porter une appréciation d'ordre médical |
8,582 | CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 99 FS-B
Pourvoi n° H 22-10.743
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [S] [R], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 22-10.743 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Guigal, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ au syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] à [Localité 5] , dont le siège est [Adresse 3], représenté par son syndic, la société Cabinet Denis et Cie, domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [R], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Guigal, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Abgrall, MM. Delbano, Bosse-Platière, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Rat, M. Pons, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2021), par acte authentique de vente du 9 mars 2016, la société Guigal (le vendeur) a vendu à M. [R] (l'acquéreur) un appartement dans un immeuble en copropriété.
2. Le 7 décembre 2017, la préfecture a mis en oeuvre une procédure de péril ordinaire concernant cet immeuble.
3. Ayant constaté des désordres affectant les planchers hauts et bas de l'appartement, dus à la présence d'insectes xylophages, l'acquéreur a assigné le vendeur pour obtenir, sur le fondement de la garantie des vices cachés, la réduction du prix de vente et des dommages-intérêts.
4. Le vendeur a appelé le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] (le syndicat des copropriétaires) en garantie sur le fondement des articles 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et 1242 du code civil.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en restitution du prix, alors « que seule la réparation de la chose par le vendeur, non par un tiers, acceptée par l'acquéreur et qui fait disparaître le vice caché empêche l'acheteur d'exercer l'action rédhibitoire ou estimatoire ; qu'en déboutant M. [R] de son action estimatoire au motif qu'il avait accepté que le bien soit remis en état par le syndicat des copropriétaires , que le vice avait disparu et qu'il importait peu que la réparation n'ait pas été effectuée par la venderesse, la société Guigal, mais par la copropriété, la cour d'appel a violé les articles 1641 et 1644 du code civil . »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1641 et 1644 du code civil :
6. Aux termes du premier de ces textes, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.
7. Selon le second, dans ce cas, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
8. En application de ces textes, il est jugé que l'acheteur d'une chose comportant un vice caché qui accepte que le vendeur procède à la remise en état de ce bien ne peut plus invoquer l'action en garantie dès lors que le vice originaire a disparu (Com., 1er février 2011, pourvoi n° 10-11.269, Bull. 2011, IV, n° 15).
9. L'acquéreur, qui a seul le choix des actions prévues par la loi en cas de mise en jeu de la garantie du vendeur pour vice caché, peut accepter que celui-ci procède, par une remise en état à ses frais, à une réparation en nature qui fait disparaître le vice et rétablit l'équilibre contractuel voulu par les parties.
10. Cette solution ne peut pas être étendue à la réparation du vice caché par un tiers, laquelle, n'ayant pas d'incidence sur les rapports contractuels entre l'acquéreur et le vendeur, ne peut supprimer l'action estimatoire permettant à l'acquéreur d'obtenir la restitution du prix à hauteur du coût des travaux mis à sa charge pour remédier au vice.
11. Pour rejeter la demande en restitution de partie du prix, l'arrêt retient qu'ayant accepté que le syndicat des copropriétaires procède aux travaux de remise en état du bien affecté du vice caché, l'acquéreur ne peut plus exercer l'action estimatoire dès lors que le vice a disparu, peu important que la remise en état ait été effectuée par le syndicat et non par le vendeur.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation du chef de dispositif rejetant la demande de M. [R] en restitution du prix sur le fondement de l'action estimatoire entraîne, par voie de conséquence l'annulation de celui rejetant les demandes en dommages-intérêts, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de sa demande en restitution du prix et de ses demandes en paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 15 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Guigal aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Guigal et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [S] [R]
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a débouté M. [R] de sa demande en restitution du prix sur le fondement de l'action estimatoire, et débouté M. [R] de ses demandes de dommages-intérêts pour les sommes de 2 721 € au titre du remboursement de l'appel de charges du 26 avril 2016, de 1 823,67 € au titre du remboursement de l'appel de charges du 8 février 2018, de 6 000 € au titre des honoraires d'avocats exposés lors du référé expertise, de 130 000 € au titre de la perte de valeur du bien et de 9 385,10 euros au titre de la restitution d'une partie des intérêts dus au titre du prêt destiné à financer l'acquisition du bien ;
ALORS, premièrement, QUE seule la réparation de la chose par le vendeur, non par un tiers, acceptée par l'acquéreur et qui fait disparaître le vice caché empêche l'acheteur d'exercer l'action rédhibitoire ou estimatoire ; qu'en déboutant M. [R] de son action estimatoire au motif qu'il avait accepté que le bien soit remis en état par le syndicat des copropriétaires, que le vice avait disparu et qu'il importait peu que la réparation n'ait pas été effectuée par la venderesse, la société Guigal, mais par la copropriété, la cour d'appel a violé les articles 1641 et 1644 du code civil ;
ALORS, deuxièmement, QU'à supposer même que la réparation du bien par un tiers faisant disparaître le vice caché fasse obstacle à l'action en garantie, elle ne prive pas l'acheteur du droit d'être indemnisé des dommages causés par le vice caché ; qu'en jugeant que M. [R] ne pouvait être indemnisé des intérêts du montant emprunté correspondant à la partie du prix dont il demandait la restitution, cette demande ayant été rejetée, non plus que de la perte de valeur du bien, lequel avait été remis en état, la cour d'appel a violé l'article 1645 du code civil ;
ALORS, troisièmement, QUE pour rejeter la demande de M. [R] tendant à être indemnisé des charges de copropriété, les juges du fond ont retenu que ces charges ont été appelées postérieurement à la vente et que l'acte de vente du 9 mars 2016 les faisait supporter par l'acquéreur ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si lesdites charges ne correspondaient pas, en moins en partie, à des travaux votés avant la vente et si en vertu de l'acte de vente du 9 mars 2016 le vendeur ne devait pas en supporter le coût, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1645 du code civil ;
ALORS, quatrièmement, QU'en déboutant M. [R] de sa demande d'indemnisation au titre des appels de charges de copropriété au motif qu'ils ont été émis postérieurement à la vente et qu'une clause de l'acte de vente du 9 mars 2016 prévoyait qu'il les supporterait seul, sans s'expliquer sur le point de savoir si les travaux correspondant aux appels de charges n'étaient pas liés au vice caché et si la société Guigal n'était pas irréfragablement présumée connaître le violé comme l'avait retenu le tribunal, auquel cas cette dernière ne pouvait se prévaloir de la clause en question, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1645 du code civil. | La réparation par un tiers du vice caché affectant la chose vendue, qui n'a pas d'incidence sur les rapports contractuels entre vendeur et acquéreur, ne supprime pas l'action estimatoire de l'acquéreur |
8,583 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 100 FS-B
Pourvoi n° E 21-20.535
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société des Camoins, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-20.535 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige l'opposant à la société Provençale d'investissements, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société des Camoins, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Provençale d'investissements, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, Mme Farrenq-Nési, MM. Delbano, Boyer, Mme Abgrall, M. Bosse-Platière, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Rat, M. Pons, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 juin 2021), le 25 septembre 1963, la société civile immobilière des Camoins (la SCI) a consenti à la société Clinique [4], devenue la société Provençale d'investissements, un bail emphytéotique d'une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans portant sur un terrain lui appartenant, afin d'y construire une clinique de rhumatologie alimentée en eau thermale depuis la source située sur une parcelle voisine, appartenant également à la SCI.
2. Le 6 novembre 1978, les parties ont modifié leurs relations contractuelles en concluant un protocole, un avenant au bail et un contrat de concession d'eau.
3. La Caisse régionale d'assurance maladie du Sud-Est ayant, en 1992, retiré à la clinique son forfait « Boues et eaux thermales », la société Provençale d'investissements a cessé son activité de soins thermaux, à laquelle elle a substitué une activité de rééducation fonctionnelle.
4. Invoquant les manquements du preneur à ses obligations contractuelles, la SCI l'a assigné en résiliation du bail, du contrat de concession d'eau et du protocole, en expulsion et en paiement de redevances et de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, qui est irrecevable.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à l'octroi de dommages-intérêts à raison d'un empiétement imputable à la société Provençale d'investissements, alors « que le dommage né d'un empiétement est continu ; que si même l'action visant à la réparation des dommages causés par un empiétement peut être regardée comme personnelle, elle doit être recevable, au moins dans la limite des cinq années qui précèdent la demande, dès lors que l'empiétement se poursuit et que l'action réelle n'est pas prescrite ; que tel était le cas en l'espèce ; qu'en déclarant la demande dans sa totalité irrecevable, par l'effet de la prescription, les juges du fond ont violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'empiétement dénoncé par la SCI était invoqué au titre d'un manquement contractuel du preneur à ses obligations issues du bail emphytéotique conclu le 25 septembre 1963 et modifié par avenant du 6 novembre 1978, la cour d'appel a exactement retenu que cette action en responsabilité contractuelle était soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, courant à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, soit à la date de la connaissance de l'empiétement et non à celle de la cessation de celui-ci.
8. Ayant constaté que la SCI connaissait l'existence de l'empiétement au moins depuis le 22 avril 2008, date à laquelle elle avait assigné en référé la société Provençale d'investissements, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que l'action exercée le 3 septembre 2018 était prescrite.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
10. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable puis de rejeter sa demande tendant au paiement des redevances, alors « que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ; qu'en subordonnant la recevabilité de la demande, visant le paiement d'une redevance, à l'existence d'un droit de propriété sur la parcelle supportant la source de l'eau dont la fourniture était prévue, les juges du fond, qui ont fait dépendre la recevabilité des demandes de questions de fond, ont violé l'article 31 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 31 du code de procédure civile :
11. Aux termes de ce texte, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
12. Pour déclarer la SCI irrecevable à agir, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, n'étant plus propriétaire de la source thermale, elle est dépourvue d'intérêt à demander le paiement de la redevance de substitution.
13. En statuant ainsi, alors que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et que l'exécution, par la SCI, de son obligation de fourniture d'eau ne constituait pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du deuxième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le chef de dispositif du jugement ayant déclaré irrecevable la demande de la société civile immobilière des Camoins tendant au paiement de la redevance prévue au contrat de concession d'eau sulfureuse en l'état de la vente de la parcelle sur laquelle se trouve la source d'eau thermale et déboute la société de cette demande, l'arrêt rendu le 3 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Provençale d'investissements aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société des Camoins
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par la SCI DES CAMOINS, encourt la censure ;
EN CE QU'il a, rejetant la demande de la SCI DES CAMOINS, prononcé la résiliation du contrat de concession d'eau, conclu le 6 novembre 1978, à compter du 1er novembre 2001 et non à compter du 14 janvier 2020 ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, la résolution judiciaire ne peut être prononcée qu'en cas de manquement d'une partie à ses engagements ; qu'au cas d'espèce, l'absence de fourniture d'eau ne pouvait fonder la résiliation du contrat de concession d'eau dès lors que ce contrat prévoyait formellement les conséquences d'une absence de fourniture d'eau en stipulant qu'en pareille hypothèse, la concession se poursuivrait, sauf à ce que la redevance soit calculée sur d'autres bases ; qu'en retenant l'absence de fourniture d'eau comme manquement aux obligations contractuelles de la SCI DES CAMOINS, les juges du fond ont violé l'article 1184 ancien du Code civil, devenu l'article 1227 du même code ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, et de toute façon, pour résilier la convention de concession d'eau à la date du 1er novembre 2001, les juges du fond ont opposé que la SCI DES CAMOINS avait cédé la propriété de la parcelle cadastrée section B, n° [Cadastre 1], sur laquelle était située la source dont une branche desservait les parcelles données à bail à la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS ; que ce motif était impropre à justifier la résiliation aux torts de la SCI DES CAMOINS, laquelle supposait que celle-ci ait manqué à ses obligations contractuelles, dès lors que la SCI DES CAMOINS pouvait être en mesure de fournir de l'eau quand bien même elle aurait perdu la propriété de la parcelle sur laquelle était située la source ; que fondé sur un motif inopérant, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 1184 ancien du Code civil, devenu les articles 1227 et 1228 du même code ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, et en toute hypothèse, seul un manquement suffisamment grave peut justifier une résiliation judiciaire ; qu'en l'espèce, il est constaté par l'arrêt qu'à partir de 1993, la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS, suite au retrait de son forfait « boues et eaux thermales », a transformé la clinique en clinique de rééducation fonctionnelle, qu'elle a cessé d'utiliser l'eau de la source, s'est abstenue par la suite d'en solliciter la fourniture, qu'elle a cédé le fonds de commerce et qu'elle ne disposait, au reste, pas des autorisations administratives pour utiliser l'eau ; qu'en se fondant sur l'absence de fourniture d'eau pour prononcer la résiliation du contrat quand il résultait de leurs constatations qu'eu égard aux circonstances de la cause, l'absence de fourniture d'eau ne pouvait être qualifié de manquement de nature à justifier une résiliation judiciaire, les juges du fond ont de violé l'article 1184 ancien du Code civil, devenu les articles 1227 et 1228 du même code.
ET ALORS QUE, QUATRIEMEMENT, un manquement ne peut être invoqué à l'effet de justifier la résiliation judiciaire qu'en l'absence de renonciation du créancier à l'obligation en cause ; qu'en l'espèce, il est constaté par l'arrêt qu'à partir de 1993, la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS, suite au retrait de son forfait « boues et eaux thermales », a transformé la clinique en clinique de rééducation fonctionnelle, qu'elle a cessé d'utiliser l'eau de la source, s'est abstenue par la suite d'en solliciter la fourniture, avant de céder le fonds de commerce et qu'elle ne disposait au reste pas des autorisations administratives pour utiliser l'eau ; qu'en se fondant sur l'absence de fourniture d'eau pour prononcer la résiliation du contrat, quand il résultait de leurs constatations que la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS avait renoncé à la fourniture d'eau, les juges du fond ont violé l'article 1184 ancien du Code civil, devenu les articles 1227 et 1228 du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par la SCI DES CAMOINS, encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré irrecevables puis rejeté comme malfondées les demandes de la SCI DES CAMOINS tendant au paiement des redevances prévues dans le cadre du contrat de concession et du protocole d'accord, ensemble déclaré caduc le protocole d'accord du 6 novembre 1978 ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, sauf si l'action est attitrée, la recevabilité d'une action suppose simplement un intérêt à agir ; qu'en subordonnant la recevabilité de la demande, visant le paiement d'une redevance, à l'existence d'un droit de propriété sur la parcelle supportant la source de l'eau dont la fourniture était prévue, les juges du fond ont violé l'article 31 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ; qu'en subordonnant la recevabilité de la demande, visant le paiement d'une redevance, à l'existence d'un droit de propriété sur la parcelle supportant la source de l'eau dont la fourniture était prévue, les juges du fond, qui ont fait dépendre la recevabilité des demandes de questions de fond, ont violé l'article 31 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, dès lors que les juges du fond ont constaté que les redevances étaient contractuellement dues y compris en l'absence d'utilisation de l'eau thermale par le preneur et qu'au cas d'espèce, le preneur n'utilisait plus l'eau depuis 1993 et n'avait jamais manifesté sa volonté de l'utiliser, par hypothèse, la demande, qui ne supposait pas la propriété de la parcelle, ne pouvait être déclarée irrecevable au motif que la propriété de la parcelle avait été cédée ; que sous cet angle également, l'article 31 du Code de procédure civile a été violé ;
ALORS QUE, QUATRIEMEMENT, ayant déclaré la demande irrecevable, les juges du fond ne pouvaient, sans commettre un excès de pouvoir, la déclarer mal-fondée ; que dès lors, l'arrêt a été rendu en violation de l'article 122 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, CINQUIEMEMENT, et en toute hypothèse, l'arrêt ne pouvait opposer, sur le fond, l'absence de propriété de la parcelle, dès lors qu'il constatait que les redevances étaient contractuellement dues y compris en l'absence d'utilisation de l'eau thermale par le preneur et qu'au cas d'espèce, le preneur n'utilisait plus l'eau depuis 1993 et n'avait jamais manifesté sa volonté de l'utiliser ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 1134 ancien du Code civil ;
ALORS QUE, SIXIEMEMENT, dès lors que les juges du fond se sont fondés sur la résiliation du contrat de concession à la date du 1er novembre 2001 pour écarter la demande de paiement des redevances, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt relatif à la résiliation du contrat de concession d'eau ne peut manquer d'entrainer par voie de conséquence l'anéantissement des chefs de l'arrêt relatifs aux redevances ;
ET ALORS QUE, SEPTIEMEMENT, et toujours sur le fond, les juges du fond se sont fondés sur la caducité du protocole du 6 novembre 1978, laquelle a été déduite de la résiliation du contrat de concession d'eau ; que de ce point de vue encore, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt relatif à la résiliation du contrat de concession d'eau ne peut manquer d'entrainer par voie de conséquence l'anéantissement des chefs de l'arrêt relatifs aux redevances.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par la SCI DES CAMOINS, encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté la demande de la SCI DES CAMOINS tendant à l'octroi de dommages et intérêts à raison d'un empiètement imputable à la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, le dommage né d'un empiètement est continu ; que si même l'action visant à la réparation des dommages causés par un empiètement peut être regardée comme personnelle, elle doit être recevable, au moins dans la limite des cinq années qui précèdent la demande, dès lors que l'empiètement se poursuit et que l'action réelle n'est pas prescrite ; que tel était le cas en l'espèce ; qu'en déclarant la demande dans sa totalité irrecevable, par l'effet de la prescription, les juges du fond ont violé l'article 2224 du Code civil ;
ET ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, et en toute hypothèse, qu'en s'abstenant de prendre en considération, au titre de l'interruption et de la suspension de la prescription, l'action en référé visant, avant tout procès, à voir constater l'empiètement, l'ordonnance du 27 juin 2008 par laquelle le juge des référés du Tribunal de grande instance de MARSEILLE a nommé un expert et la circonstance que, celui-ci n'ayant pas remis son rapport, la SCI DES CAMOINS a formé une nouvelle demande d'expertise, qu'un nouvel expert a été nommé par ordonnance du 30 mars 2018 et qu'il a remis son rapport le 26 novembre 2019, les juges du fond ont violé les articles 2227 et 2239 du Code civil. | L'action en responsabilité contractuelle du bailleur invoquant un empiétement commis par le preneur est soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, courant à compter de la date de la connaissance de l'empiétement et non de celle de la cessation de celui-ci |
8,584 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 101 FS-B
Pourvoi n° T 21-20.271
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
1°/ la société MMA IARD assurances mutuelles,
2°/ la société MMA IARD,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3] et agissant en leur qualité d'assureur de la société Scheiber,
3°/ la société Scheiber, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
ont formé le pourvoi n° T 21-20.271 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Gervot Stéphane, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3] et prises en leur qualité d'assureur de la société Gervot Stéphane,
4°/ à M. [Y] [E],
5°/ à Mme [R] [V], épouse [E],
tous deux domiciliés [Adresse 5],
6°/ à la société Maaf assurances, dont le siège est [Adresse 6],
7°/ à la société Rexel France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
8°/ à la société Zurich Global Corporate France, dont le siège est [Adresse 1],
9°/ à la société Vim, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
défendeurs à la cassation.
Les sociétés Rexel France et Zurich Global Corporate France ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, ès qualités, et de la société Scheiber, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Gervot Stéphane et des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, ès qualités, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat des sociétés Rexel France et Zurich Global Corporate France, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Maaf Assurances, de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [E], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, M. Delbano, Mme Farrenq-Nési, M. Boyer, Mme Abgrall, M. Bosse-Platière, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Rat, M. Pons, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 27 mai 2021), M. et Mme [E] ont confié à la société Gervot Stéphane, assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, le lot « électricité - ventilation » de la construction d'une maison d'habitation.
2. La société Gervot Stéphane a fourni une ventilation mécanique contrôlée (VMC) qui lui avait été vendue par la société Rexel France, assurée auprès de la société Zurich Global Corporate France (la société Zurich), et qui avait été fabriquée par la société Vim. La VMC était notamment composée d'une carte électronique fabriquée par la société Scheiber, assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles.
3. Après la réception, intervenue le 27 juillet 2001, un incendie s'est déclaré dans les combles de la maison.
4. Après expertise, M. et Mme [E] ont assigné leur assureur multirisques, la société Maaf assurances, ainsi que les sociétés Gervot Stéphane, Rexel France, Zurich, Vim, Scheiber et MMA IARD. La société MMA IARD assurances mutuelles est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
6. Par leur premier moyen, les sociétés Scheiber, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles font grief à l'arrêt de les condamner à garantir la société Vim des condamnations mises à sa charge, dans la limite de la franchise et du plafond de garantie prévu par la police d'assurance MMA IARD, alors « que l'action en garantie des vices cachés, qui devait être exercée dans un bref délai à compter de la découverte du vice, est également enfermée dans le délai de prescription fixé par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel court à compter de la vente initiale ; qu'en décidant au contraire que le point de départ de cette prescription serait suspendu jusqu'à la date de l'assignation de la société Vim, fabriquant du groupe VMC litigieux, par la société Rexel, revendeur, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce ensemble l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005. »
7. Par leur moyen, les sociétés Rexel France et Zurich font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à garantir la société Gervot Stéphane et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles de l'intégralité des condamnations mises à leur charge, alors « que l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans un bref délai suivant la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente conclue entre les parties ; qu'en affirmant, au contraire, pour déclarer recevables les appels en garantie formés par l'entrepreneur et ses assureurs à l'encontre du fournisseur du groupe VMC, que le point de départ du délai de prescription était l'assignation délivrée contre l'entrepreneur, et que le délai de l'article L. 110-4 du code du commerce était suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître d'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005. »
Réponse de la Cour
8. Pour les ventes conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité et que, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.
9. Il s'ensuit que, l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage (3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié).
10. Dès lors que le vendeur peut voir, ainsi, sa garantie recherchée par le constructeur et qu'il ne peut, non plus, agir avant d'avoir été assigné, le recours contre son propre vendeur ne peut, pas plus, être enfermé dans le délai de prescription de droit commun courant à compter de la vente initiale. La prescription de ce recours est elle-même suspendue jusqu'à ce que la responsabilité de son auteur soit recherchée.
11. La cour d'appel a relevé que la société Gervot Stéphane et son assureur avaient été assignés par la société Maaf assurances, subrogée dans les droits des maîtres de l'ouvrage, le 11 décembre 2014 et qu'ils avaient notifié leurs demandes de garantie à la société Rexel France et à son assureur le 22 novembre 2015.
12. Elle a, ensuite, relevé que la société Rexel France et son assureur, assignés par M. et Mme [E] le 19 juin 2014, avaient assigné la société Vim en garantie le 9 février 2015, laquelle avait assigné à son tour la société Scheiber le 29 mai 2015.
13. Ayant constaté que les actions en garantie des vices cachés de la société Gervot Stéphane et de la société Vim avaient été exercées contre la société Rexel France, la société Scheiber et leurs assureurs dans le délai prévu par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, et ayant retenu, à bon droit, que la prescription de droit commun enfermant ces actions était suspendue jusqu'à ce que leurs auteurs fussent assignés, elle en a exactement déduit que les demandes n'étaient pas prescrites.
14. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Scheiber, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens du pourvoi principal et les sociétés Rexel France, Zurich Global Corporate France aux dépens du pourvoi incident ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SARL Le Prado-Gilbert, avocat aux Conseils, pour les sociétés MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD et la société Scheiber
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Scheiber et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, en leur qualité d'assureurs de la société Scheiber, reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué de les AVOIR condamnées à garantir la société VIM des condamnations mises à sa charge, dans la limite de la franchise et du plafond de garantie prévu par la police d'assurance MMA IARD ;
ALORS QUE l'action en garantie des vices cachés, qui devait être exercée dans un bref délai à compter de la découverte du vice, est également enfermée dans le délai de prescription fixé par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel court à compter de la vente initiale ; qu'en décidant au contraire que le point de départ de cette prescription serait suspendu jusqu'à la date de l'assignation de la société VIM, fabriquant du groupe VMC litigieux, par la société Rexel, revendeur, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce ensemble l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Scheiber et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, en leur qualité d'assureurs de la société Scheiber, reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué de les AVOIR condamnées à garantir la société VIM des condamnations mises à sa charge, dans la limite de la franchise et du plafond de garantie prévu par la police d'assurance MMA Iard ;
1°) ALORS QUE l'action en garantie des vices cachés ne peut pas prospérer sans que soit rapportée la preuve de la réunion des conditions nécessaires à l'application de la garantie contractuelle ; que la cour d'appel a relevé, à la lecture des différents rapports d'expertise, que le groupe VMC installé dans les combles au-dessus de la salle de bain des époux [E] avait été intégralement détruit par l'incendie et qu'il n'en restait plus aucun vestige (arrêt, p. 14, § 1) ; qu'en décidant tout de même que l'incendie serait imputable à l'inflammation d'une carte électronique du groupe VMC, fabriquée par la société Scheiber (arrêt, p. 14, dernier §), malgré l'impossibilité matérielle de vérifier une telle hypothèse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1641 du code civil ;
2°) ALORS QUE l'action indemnitaire ne peut prospérer sans que ce soit établi un rapport de causalité certain entre le vice caché et le préjudice subi ;
que la société Scheiber et ses assureurs faisaient valoir que l'incendie pouvait avoir d'autres causes d'origine électrique, hors du groupe VMC, tenant particulièrement à la présence d'un autre appareil électrique branché sur le câble coaxial encore présent ou à défaut résistif sur l'installation électrique (conclusions, p. 26) ; qu'en décidant cependant que l'incendie serait nécessairement imputable au groupe VMC (arrêt, p. 14 dernier §), sans s'expliquer sur ces autres causes d'incendie d'origine électrique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1645 du code civil ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE l'action indemnitaire ne peut prospérer sans que ce soit établi un rapport de causalité certain entre le vice caché et le préjudice subi ; que la société Scheiber et ses assureurs faisaient valoir que les autres composants de la VMC, dont le bornier de connexion, le condensateur ou le moteur, pouvaient également être à l'origine de l'incendie (conclusions, p. 26 et 27) ; qu'en décidant cependant que l'incendie serait nécessairement imputable à la carte électronique du groupe VMC, fabriquée par la société Scheiber (arrêt, p. 14 dernier §), sans s'expliquer sur les autres causes d'incendie au sein du groupe VMC litigieux, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1645 du code civil ;
4°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE l'action indemnitaire ne peut prospérer sans que ce soit établi un rapport de causalité certain entre le vice caché et le préjudice subi ; que la société Scheiber et ses assureurs faisaient valoir qu'au regard de tests effectués par un laboratoire indépendant, la carte électronique de la société Scheiber présentait tout au plus un simple risque d'échauffement dans des conditions d'humidité sévère, sans pour autant pouvoir aboutir à un risque d'inflammation de la carte électronique ou des autres éléments du groupe VMC (conclusions, p. 18) ; qu'en décidant cependant que l'incendie serait imputable à la carte électronique fabriquée par la société Scheiber (arrêt, p. 14, in fine), sans s'expliquer sur l'exclusion de ce risque grave au regard des tests réalisés par le laboratoire indépendant, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1645 du code civil.
Moyens produits au pourvoi incident par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société Rexel France et la société Zurich Global Corporate France
La société Rexel France et la société Zurich font grief à l'arrêt attaqué DE LES AVOIR condamnées in solidum à garantir la société Gervot et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles de l'intégralité des condamnations mises à leur charge ;
ALORS QUE, l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans un bref délai suivant la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente conclue entre les parties ; qu'en affirmant, au contraire, pour déclarer recevables les appels en garantie formés par l'entrepreneur et ses assureurs à l'encontre du fournisseur du groupe VMC, que le point de départ du délai de prescription était l'assignation délivrée contre l'entrepreneur, et que le délai de l'article L. 110-4 du code du commerce était suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître d'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005. | Pour les ventes conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité et que, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.
Il s'ensuit que, l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage (3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, Bull., (cassation partielle)).
Dès lors que le vendeur peut voir, ainsi, sa garantie recherchée par le constructeur et qu'il ne peut, non plus, agir avant d'avoir été assigné, le recours contre son propre vendeur ne peut, pas plus, être enfermé dans le délai de prescription de droit commun courant à compter de la vente initiale. La prescription de ce recours est elle-même suspendue jusqu'à ce que la responsabilité de son auteur soit recherchée |
8,585 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 110 F-B
Pourvoi n° N 21-16.954
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [S] [B], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° N 21-16.954 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [U] [F], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société MMA IARD,
3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller doyen, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [B], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [F], des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vaissette, conseiller doyen rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 mars 2021), M. [B] ayant été mis en redressement judiciaire le 7 septembre 2005, son plan de continuation, arrêté le 6 septembre 2006, a été résolu par un jugement du 29 mars 2011 qui a prononcé la liquidation judiciaire du débiteur. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 18 janvier 2012 cassé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 22 mai 2013 (pourvoi n° 12-16.641).
2. Le 10 octobre 2017, se prévalant d'une faute de M. [F], son avocat, consistant à ne pas avoir saisi la cour de renvoi dans le délai imparti après l'arrêt de cassation précité, M. [B] l'a assigné en paiement de dommages et intérêts pour compenser le préjudice résultant de la perte de chance d'éviter la liquidation judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [B] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état ayant « annulé » l'assignation du 10 octobre 2017 pour « défaut de capacité » à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi, alors « que le débiteur qui recherche la responsabilité civile professionnelle de son conseil ayant failli dans l'exécution du mandat qui lui avait été donné de contester la liquidation judiciaire prononcée à son encontre exerce un droit qui lui est propre ; qu'en énonçant que "l'action en responsabilité exercée par M. [B] à l'encontre de son avocat constitue une action patrimoniale" qui relève de l'article L. 641-9 du code de commerce, en ce qu' "elle ne porte sur aucun droit propre à ce débiteur", de sorte que ce dernier "n'a pas qualité à agir seul à l'encontre de M. [F], étant dessaisi de l'exercice de ses droits patrimoniaux" et que "(son) défaut de capacité à agir justifie la nullité de l'assignation qu'il a fait délivrer (
) à M. [F] pour engager (sa) responsabilité", cependant que le débiteur avait recherché la responsabilité civile professionnelle de M. [F] pour avoir, après l'arrêt de cassation du 22 mai 2013, qui avait censuré la cour d'appel de Douai ayant ouvert la liquidation de M. [B], omis de saisir la cour d'appel de renvoi dans le délai imparti, ce dont il résultait que le débiteur exerçait un droit propre, en relation avec le prononcé de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »
Réponse de la Cour
5. Si le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens, par l'effet du jugement prononçant la liquidation judiciaire, conserve le droit, pourvu qu'il l'exerce contre le liquidateur ou en sa présence, de former un appel, puis le cas échéant, un pourvoi en cassation, contre les décisions prononçant la résolution de son plan de redressement et sa liquidation judiciaire, il n'est, en revanche, pas recevable à agir en responsabilité contre l'avocat qu'il a mandaté pour le représenter et l'assister dans l'exercice de ce droit propre.
6. Une telle action n'ayant pas pour effet de faire valoir le point de vue du débiteur dans le déroulement de la procédure collective, mais poursuivant une finalité patrimoniale consistant en l'obtention de dommages et intérêts, elle ne peut se rattacher à l'exercice d'un droit propre et la fin de non-recevoir opposée au débiteur n'est pas contraire aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine, seuls atteints par le dessaisissement, sont exercés par le liquidateur pendant toute la durée de la procédure collective.
7. En conséquence, l'arrêt a exactement retenu que M. [B] exerçait contre son avocat une action en responsabilité de nature patrimoniale entrant dans le champ d'application de l'article L. 641-9 du code de commerce, de sorte qu'il n'avait pas qualité pour agir contre M. [F].
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [B].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [S] [B] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'assignation du 10 octobre 2017 pour défaut de capacité à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi ;
Alors que la règle du dessaisissement étant édictée dans l'intérêt des créanciers, seul le liquidateur judiciaire peut s'en prévaloir ; qu'en énonçant, pour juger du contraire, que « M. [F] a qualité à solliciter l'application de la fin de non-recevoir tirée du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire, dont l'invocation n'est pas réservée au seul liquidateur judiciaire », la cour d'appel a violé L. 641-9, I, du code de commerce, ensemble l'article 122 du code de procédure civile et l'article 6§ 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. [S] [B] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'assignation du 10 octobre 2017 pour défaut de capacité à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi ;
Alors 1°) que le débiteur qui recherche la responsabilité civile professionnelle de son conseil ayant failli dans l'exécution du mandat qui lui avait été donné de contester la liquidation judiciaire prononcée à son encontre exerce un droit qui lui est propre ; qu'en énonçant que « l'action en responsabilité exercée par M. [B] à l'encontre de son avocat constitue une action patrimoniale » qui relève de l'article L. 641-9 du code de commerce, en ce qu' « elle ne porte sur aucun droit propre à ce débiteur », de sorte que ce dernier « n'a pas qualité à agir seul à l'encontre de M. [F], étant dessaisi de l'exercice de ses droits patrimoniaux » et que « (son) défaut de capacité à agir justifie la nullité de l'assignation qu'il a fait délivrer (
) à M. [F] pour engager (sa) responsabilité », cependant que le débiteur avait recherché la responsabilité civile professionnelle de M. [F] pour avoir, après l'arrêt de cassation du 22 mai 2013, qui avait censuré la cour d'appel de Douai ayant ouvert la liquidation de M. [B], omis de saisir la cour d'appel de renvoi dans le délai imparti, ce dont il résultait que le débiteur exerçait un droit propre, en relation avec le prononcé de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
Alors 2°) que le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ; que, dans ses écritures d'appel (concl., p. 3), M. [B] a fait valoir que « l'action visant à engager la responsabilité d'un auxiliaire de justice, en l'occurrence (son) ancien avocat, ne relève nullement de la mission de Me [V] », liquidateur, étant précisé que ce dernier lui avait refusé son assistance et que, par ordonnance du 13 mars 2019, le président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer avait, pour rejeter sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc, retenu que « l'action à l'encontre de son ancien conseil n'entre indiscutablement pas dans la mission du liquidateur et qui est exclusivement personnelle au débiteur » et que « sa demande de réparation est consécutive à atteinte personnelle au droit de former un ultime recours à l'encontre du jugement prononçant sa liquidation judiciaire, droit qui lui a d'ailleurs été reconnu tant par la cour d'appel que la Cour de cassation », pour en conclure « le droit de M. [S] [B] tente de faire reconnaître est donc bien un droit propre, de sorte qu'il n'appartient pas au liquidateur judiciaire de substituer M. [S] [B], qui a toute capacité pour accomplir les actes et exercer les droits actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la mise en cause de la responsabilité civile professionnelle du conseil du débiteur pour avoir failli à son mandat de contestation du prononcé de la liquidation judiciaire était comprise dans la mission du liquidateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 641-9, I, du code de commerce. | Le débiteur, dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens par l'effet du jugement prononçant la liquidation judiciaire, conserve le droit, pourvu qu'il l'exerce contre le liquidateur ou en sa présence, de former un appel, puis le cas échéant, un pourvoi en cassation, contre les décisions prononçant la résolution de son plan de redressement et sa liquidation judiciaire.
Il n'est, en revanche, pas recevable à agir en responsabilité contre l'avocat qu'il a mandaté pour le représenter et l'assister dans l'exercice de ce droit propre, une telle action en responsabilité n'ayant pas pour effet de faire valoir le point de vue du débiteur dans le déroulement de la procédure collective, mais poursuivant une finalité patrimoniale consistant en l'obtention de dommages-intérêts et relevant, en conséquence, des droits et actions atteints par le dessaisissement et exercés par le liquidateur pendant la durée de la procédure collective |
8,586 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 111 F-B
Pourvoi n° H 21-14.189
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [D] [E], domicilié [Adresse 3] (Allemagne), a formé le pourvoi n° H 21-14.189 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Spagnolo Stephan, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Les Parcs du Sud, nommée en remplacement de M. [M] [K],
2°/ à la société Les Parcs du Sud, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société De Saint-Rapt et Bertholet, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Parcs du Sud,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [E], de la SCP Spinosi, avocat de la société Les Parcs du Sud et des sociétés Spagnolo Stephan, ès qualités, et De Saint-Rapt et Bertholet, ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société SAS Les Parcs du Sud (la société LPS), la société De Saint-Rapt et Bertholet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société LPS et la société Spagnolo Stephan, en qualité de mandataire judiciaire de la même société, de leur reprise d'instance.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 26 novembre 2020), le 17 mai 2017, la société LPS, dont le capital était détenu à 43,09 % par M. [E], a été mise en redressement judiciaire, la société De Saint-Rapt et Bertholet étant désignée administrateur avec la mission d'assurer seule et entièrement l'administration de l'entreprise.
3. Le 20 décembre 2017, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société LPS, prévoyant l'apurement du passif selon deux options, dit que M. [J], autre actionnaire de la société LPS, était tenu d'exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan de redressement et maintenu l'administrateur en fonction aux fins de régulariser la procédure visée aux articles L. 631-9-1 et R. 631-34-6 du code de commerce.
4. Par une ordonnance de référé du 23 janvier 2018, le président du tribunal a désigné l'étude Balincourt, en la personne de M. [F], avec la mission de convoquer l'assemblée compétente de la société LPS pour statuer au plus tard le 31 mai 2018 sur la décision à prendre conformément aux dispositions de l'article L. 225-248 du code de commerce à la suite de la constatation des capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social, la réduction du capital social à zéro, et une augmentation du capital en numéraire en deux temps réservée à M. [J] et à un autre actionnaire, la société M. Capital Partners.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [E] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce-opposition tendant à la rétractation du jugement du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement de la société LPS, alors « que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [D] [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci était représenté par le représentant légal de la société car il n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre du plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, quand M. [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par ledit jugement portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché, de sorte qu'il invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 583 du code de procédure civile :
6. Il résulte de ce texte que si l'associé est, en principe, représenté, dans les litiges opposant la société à des tiers, par le représentant légal de la société, il est néanmoins recevable à former tierce-opposition contre un jugement auquel celle-ci a été partie s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre.
7. Pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [E], l'arrêt retient, d'abord, qu'il était représenté par le représentant légal de la société qui n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société, lors de l'examen du plan de redressement qui a été arrêté par le tribunal. Il retient ensuite que le jugement du 20 décembre 2017 a arrêté le plan de redressement de la société LPS suivant les modalités figurant dans le projet de plan et en a récapitulé les modalités essentielles, sans mentionner la recapitalisation et la nécessité de nommer un mandataire ad hoc, que la reconstitution des capitaux propres ne peut être imposée par le tribunal et qu'elle est décidée par l'assemblée générale extraordinaire de la société anonyme, que c'est par une décision différente, à savoir l'ordonnance du 26 septembre 2018, que le juge des référés a désigné un mandataire ad hoc avec la mission de convoquer cette assemblée générale. Il en déduit que M. [E], qui développe uniquement des moyens portant sur les modifications du capital social et la désignation d'un mandataire ad hoc, ne justifie d'aucune fraude ou d'un moyen qui lui serait propre concernant l'arrêté d'un plan qui ne porte sur aucun de ces sujets.
8. En statuant ainsi, alors que M. [E] soutenait que le plan de redressement prévoyait la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver une réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital réservée à d'autres associés que lui, dont l'un, M. [J], tenu d'exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan, devenait ainsi un associé presque unique, de sorte que M. [E] invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Les Parcs du Sud, la société De Saint-Rapt et Bertholet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Parcs du Sud, et la société Spagnolo Stephan, en qualité de mandataire judiciaire de la même société, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. [E].
M. [D] [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il l'avait dit irrecevable en sa tierce-opposition tendant à la rétractation du jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement judiciaire de la société Les Parcs du Sud ;
alors 1°/ que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [D] [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci était représenté par le représentant légal de la société car il n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre du plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, quand M. [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par ledit jugement portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché, de sorte qu'il invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce ;
alors 2°/ que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en l'espèce, M. [D] [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché ; que, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci ne justifiait d'aucun moyen qui lui serait propre quand ledit jugement avait arrêté le plan de redressement judiciaire de la société Les Parcs du Sud suivant les modalités figurant dans le projet de plan et les conditions qu'il fixait pour sa mise en oeuvre, à savoir d'une part, la recapitalisation de la société Les Parcs du Sud, qui devait être approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée, et, d'autre part, que les droits de vote de M. [D] [E], qui détenait une minorité de blocage, soient exercés par un mandataire ad hoc, de sorte que M. [E] invoquait un moyen qui lui était propre ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, par des motifs inopérants tirés de ce que la recapitalisation et la nécessité de nommer un administrateur ad hoc n'étaient évoquées que dans la discussion de la décision et non dans son dispositif, que la reconstitution des capitaux ne pouvait être imposée par le tribunal mais décidée par l'assemblée générale de la société et que c'était par une décision différente que le juge des référés avait désigné, à la requête de l'administrateur judiciaire, un mandataire ad hoc avec la mission de convoquer cette assemblée générale, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce ;
alors 3°/ qu' il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 avait arrêté un plan de redressement de la société Les Parcs du Sud dont la mise en oeuvre rendait « indispensable la recapitalisation qui sera approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée ; les droits de vote de M. [D] [E] qui détient une minorité de blocage devront être exercés par un mandataire ad hoc ; dans cette perspective, l'administrateur judiciaire devra rester en fonction uniquement pour mettre en oeuvre la procédure visée par les dispositions de l'article R. 6 31-34·6 du code de commerce » (cf. p. 5) ; que, dans le dispositif de sa décision, le tribunal arrêtait le plan de redressement suivant les modalités figurant dans le projet de plan et les conditions fixées par le jugement et maintenait à cet effet l'administrateur judiciaire en fonction aux fins de régulariser la procédure visée aux articles L. 631-9-1 et R. 631-34-6 du code de commerce, donc pour désigner « un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan » ; qu'il était ainsi clairement prévu, d'une part, la recapitalisation de la société Les Parcs du Sud, qui devait être approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée, et, d'autre part, que les droits de vote de M. [D] [E], qui détenait une minorité de blocage, soient exercés par un mandataire ad hoc ; qu'en retenant que le jugement du 20 décembre 2017 ne portait ni sur les modifications du capital social ni sur la désignation d'un mandataire ad hoc, la cour d'appel a dénaturé le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement de la société Les Parcs du Sud en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
alors 4°/ qu'en toute hypothèse, l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que M. [D] [E] soutenait avoir un intérêt propre à agir dans la mesure où le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, arrêtant le plan de redressement, prévoyait la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote, aux fins d'approuver une réduction suivie d'une augmentation de capital au profit d'un actionnaire presque unique et au détriment de l'actionnaire historique qu'il était ; que, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par celui-ci, elle a retenu qu'il ne justifiait d'aucun moyen qui lui était propre dans la mesure où le jugement du 20 décembre 2017 avait arrêté le plan de redressement de la société Les Parcs du Sud suivant les modalités figurant dans le projet de plan et en avait récapitulé les modalités essentielles, sans mentionner la recapitalisation et la nécessité de nommer un mandataire ad hoc, qui étaient seulement évoquées dans la discussion ; qu'en se déterminant de la sorte tout en relevant pourtant que, dans son dispositif, ledit jugement avait maintenu l'administrateur judiciaire en fonction aux fins de régulariser la procédure visée à l'article L. 631-9-1 du code de commerce, dispositions précisément relatives à la demande de l'administrateur judiciaire de « désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 583 du code de procédure civile. | Est recevable à former tierce-opposition au jugement arrêtant le plan de redressement d'une société l'associé qui soutient que ce plan prévoit la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver une réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital réservée à d'autres associés que lui, dont l'un, tenu d'exécuter le plan, devient un associé presque unique, et qui invoque ainsi un moyen qui lui est propre |
8,587 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 112 F-B
Pourvoi n° B 21-15.771
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société Mirato SpA, société de droit italien, dont le siège est [Adresse 2] (Italie), a formé le pourvoi n° B 21-15.771 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Sharmel France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à M. [X] [D], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Sharmel France,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Mirato SpA, de la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la société Sharmel France, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2020), le 1er octobre 2010, la société Sharmel France (la société Sharmel) a conclu avec la société de droit italien Mirato deux contrats d'importation et de distribution de produits cosmétiques, stipulant une clause compromissoire. Le 26 septembre 2016, à la suite de la résiliation de ces contrats par la société Mirato, la société Sharmel a saisi la chambre de commerce internationale d'une demande d'arbitrage aux fins de voir condamner la société Mirato à lui payer des dommages et intérêts.
2. Par un jugement du 15 mai 2017, un tribunal français a ouvert le redressement judiciaire de la société Sharmel et désigné M. [D] en qualité de mandataire judiciaire.
3. Le 3 juillet 2017, l'acte de mission désignant l'arbitre unique a été signé par les parties et l'arbitre. Soutenant être créancière de la société Sharmel au titre d'un solde de factures impayé, la société Mirato a, le 5 juillet 2017, déclaré une créance à son passif, puis déposé le 29 septembre 2017 un mémoire devant l'arbitre contenant une demande reconventionnelle en condamnation de la société Sharmel à lui payer cette créance.
4. Par une sentence rendue le 17 septembre 2018, l'arbitre a rejeté la demande d'indemnisation de la société Sharmel et l'a condamnée à payer à la société Mirato la somme de 248 548,88 euros, majorée du remboursement des frais d'arbitrage, des frais juridiques et des dépens.
5. Le 15 novembre 2018, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Sharmel, désignant M. [D] commissaire à l'exécution du plan et le maintenant à ses fonctions de mandataire judiciaire jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur le passif.
6. Par une ordonnance du 18 mars 2019, le président du tribunal de grande instance de Paris a conféré l'exequatur à la sentence arbitrale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La société Mirato fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du 18 mars 2019 et de rejeter sa demande d'exequatur alors « qu'en refusant l'exequatur à la sentence arbitrale du 17 septembre 2018 au motif qu'elle condamnait la société Sharmel France à payer la créance de la société Mirato SpA, quand cette circonstance n'empêchait nullement d'accorder l'exequatur à cette décision uniquement pour sa reconnaissance et son opposabilité en France et à l'effet de permettre à la société Mirato SpA de faire inscrire sa créance sur l'état des créances admises au passif de la société Sharmel France, comme prévu par le juge-commissaire dans son ordonnance du 23 juillet 2018, la cour d'appel a violé les articles 1525 et 1520 du code de procédure civile et L. 622-21 du code de commerce, ainsi que l'ordre public international. »
Réponse de la Cour
9. Le principe de l'arrêt des poursuites individuelles, qui relève de l'ordre public international, interdit, après l'ouverture de la procédure collective du débiteur, la saisine d'un tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture et impose à ce créancier de déclarer sa créance et de se soumettre, au préalable, à la procédure de vérification des créances.
10. Après avoir constaté que la demande reconventionnelle en paiement de sa créance avait été formulée par la société Mirato devant l'arbitre après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société débitrice, et qu'aux termes de sa sentence rendue le 17 septembre 2018, l'arbitre avait condamné la société Sharmel au paiement de diverses sommes au profit de la société Mirato, l'arrêt en déduit à bon droit que l'ordonnance accordant l'exequatur d'une telle sentence, au mépris du principe d'égalité des créanciers et d'arrêt des poursuites individuelles, ne pouvait être revêtue de l'exequatur sans méconnaître l'ordre public international.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Mirato SpA aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mirato SpA et la condamne à payer à la société Sharmel France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Mirato SpA.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du 18 mars 2019, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris ayant conféré l'exequatur à la sentence arbitrale rendue sous l'égide de la Chambre de commerce internationale le 17 septembre 2018, et d'avoir rejeté la demande d'exequatur ;
alors qu'en vertu du principe de non-contradiction au détriment d'autrui, qu'invoquait la société Mirato spa (conclusions de la société Mirato spa, p. 10 et s.), la société Sharmel France, dont il est constant qu'elle avait elle-même initié la procédure arbitrale, était irrecevable à prétendre que la sentence arbitrale du 17 septembre 2018 rendue sur son initiative ne devait pas produire d'effets ni lui être opposable en France, ce qu'elle faisait en contestant l'ordonnance d'exequatur de cette décision arbitrale ; qu'en décidant le contraire, au motif que la société Sharmel France contestait l'exequatur et non la sentence arbitrale, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du 18 mars 2019, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris ayant conféré l'exequatur à la sentence arbitrale rendue sous l'égide de la Chambre de commerce internationale le 17 septembre 2018, et d'avoir rejeté la demande d'exequatur ;
alors qu'en refusant l'exequatur à la sentence arbitrale du 17 septembre 2018 au motif qu'elle condamnait la société Sharmel France à payer la créance de la société Mirato spa, quand cette circonstance n'empêchait nullement d'accorder l'exequatur à cette décision uniquement pour sa reconnaissance et son opposabilité en France et à l'effet de permettre à la société Mirato spa de faire inscrire sa créance sur l'état des créances admises au passif de la société Sharmel France, comme prévu par le juge-commissaire dans son ordonnance du 23 juillet 2018, la cour d'appel a violé les articles 1525 et 1520 du code de procédure civile et L. 622-21 du code de commerce, ainsi que l'ordre public international. | Le principe de l'arrêt des poursuites individuelles, qui relève de l'ordre public international, interdit, après l'ouverture de la procédure collective du débiteur, la saisine d'un tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture et impose à ce créancier de déclarer sa créance et de se soumettre, au préalable, à la procédure de vérification des créances.
Doit être approuvé l'arrêt qui, constatant qu'un créancier avait, après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire du débiteur, présenté à un tribunal arbitral international, déjà saisi par le débiteur avant ce jugement, une demande reconventionnelle en paiement d'une créance antérieure contre ce débiteur, refuse de prononcer l'exequatur de la sentence ayant fait droit à cette demande reconventionnelle et condamné le débiteur à payer diverses sommes à ce créancier |
8,588 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 113 F-B
Pourvoi n° A 21-17.932
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
1°/ La société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Pierre Fabre médicament, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° A 21-17.932 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société de droit étranger Royal Jordanian Airlines, dont le siège est [Adresse 1] (Jordanie),
2°/ à la société de droit étranger Helvetia compagnie suisse d'assurances, dont le siège est [Adresse 4] (Suisse), agissant poursuites et diligences en son établissement principal, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société Qualitair & Sea International, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 11],
4°/ à la société de droit étranger Salam Shipping & Forwarding Agency SL, dont le siège est [Adresse 10] (Jordanie),
5°/ à la société Kareem Logistics, dont le siège est [Adresse 10] (Jordanie),
6°/ à la société Al Muna Transport, dont le siège est [Adresse 10] (Jordanie),
défenderesses à la cassation.
Les sociétés Helvetia compagnie suisse d'assurances et Qualitair & Sea International ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les sociétés Salam Shipping & Forwarding Agency SL, Kareem Logistics et Al Muna Transport ont également formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les sociétés Helvetia compagnie suisse d'assurances et Qualitair & Sea International, demanderesses au pourvoi incident, invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les sociétés Salam Shipping & Forwarding Agency SL, Kareem Logistics et Al Muna Transport, demanderesses au pourvoi incident, invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Generali IARD et de la société Pierre Fabre médicament, de Me Balat, avocat de la société de droit étranger Helvetia compagnie suisse d'assurances et de la société Qualitair & Sea International, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société de droit étranger Royal Jordanian Airlines, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société de droit étranger Salam Shipping & Forwarding Agency SL et des sociétés Kareem Logistics et Al Muna Transport, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré
conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 décembre 2020), en décembre 2013, la société Pierre Fabre médicament (la société PFM) a confié à la société Qualitair & Sea International (la société Qualitair), commissionnaire de transport, l'organisation du transport, depuis [Localité 9] jusqu'à [Localité 7] (Irak), de trois lots de produits pharmaceutiques vendus au ministère de la santé irakien.
2. La société Qualitair a confié le transport aérien entre [Localité 9] et [Localité 6] (Jordanie) à la société Royal Jordanian Airlines (la société RJA), laquelle s'est substituée la société jordanienne Salam Shipping & Forwarding Agency SL (la société Salam Shipping) pour l'organisation du transport terrestre d'[Localité 6] à [Localité 7].
3. Le dédouanement à l'arrivée à [Localité 6] a été confié à la société jordanienne Kareem Logistics et le transport terrestre d'[Localité 6] à [Localité 7] à la société jordanienne Al Muna Transport.
4. Les trois lots, qui devaient être transportés sous température dirigée, sont arrivés à [Localité 6] les 21, 22 et 29 décembre 2013 puis, en raison de la fermeture des frontières entre la Jordanie et l'Irak empêchant alors leur acheminement par voie terrestre, ont été conservés, à la demande de la société Kareem Logistics, dans les entrepôts frigorifiques de la société RJA.
5. Ils ont été pris en charge le 18 février 2014 par la société Al Muna Transport et livrés le 23 février 2014 au ministère irakien de la santé.
6. Ayant subi des dépassements de température, les marchandises ont été détruites par le ministère irakien et remplacées par la société PFM.
7. Celle-ci et son assureur dommages, la société Generali IARD (la société Generali), ont assigné en réparation de leur préjudice la société Qualitair et son assureur responsabilité, la société Helvetia compagnie suisse d'assurances (la société Helvetia), lesquelles ont assigné en garantie la société RJA et les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport (les sociétés S-K-A), qui ont demandé à être garanties de toute condamnation par la société RJA.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexés
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. Les sociétés Generali et PFM font grief à l'arrêt de limiter la condamnation in solidum des sociétés Qualitair et Helvetia à la contre-valeur en euros de 9.538 DTS, alors « que, aux termes de son article 1.1, la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à [Localité 8] le 28 mai 1999, ne s'applique qu'aux opérations de transport international de personnes, bagages ou marchandises effectués par aéronef ; que ce texte n'a pas vocation à s'appliquer lorsque le contrat de transport aérien a pris fin, après la livraison des marchandises ; que si l'article 18.3 de cette convention prévoit que la responsabilité de plein droit du transporteur aérien couvre le temps pendant lequel la marchandise est sous sa garde, cette disposition n'a pas pour effet d'étendre le champ d'application de la convention à des missions que le transporteur aérien aurait acceptées à la suite de l'opération de transport aérien ; qu'en jugeant néanmoins que cette convention était applicable à la responsabilité encourue par la société RJA au titre des dommages survenus lors de la marchandise à l'aéroport d'[Localité 6], en tant que la marchandise était toujours sous la garde de cette société au sens de l'article 18.3 de cette convention, après avoir pourtant constaté que la société RJA avait émis trois bons de livraisons pour les trois lots de marchandise, les 21, 22 et 29 décembre 2013 avant de stocker la marchandise dans ses entrepôts, ce qui avait donné lieu à des frais d'entreposage qui avait été facturés par la société RJA, ce dont il résultait que la livraison avait été effectuée et que le contrat de transport avait pris fin, de sorte que la convention de Montréal n'était pas applicable aux relations que les parties ont poursuivies ensuite pour la mission d'entreposage confiée ensuite à la société RJA, la cour d'appel a violé les articles 1.1, 18.3 et 22.3 de la Convention susvisée, par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 18.1, 18.3 et 22.3 de la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international du 28 mai 1999 (la convention de Montréal) :
10. Il résulte de la combinaison des deux premiers de ces textes que le transporteur aérien est de plein droit responsable du dommage si le fait qui l'a causé s'est produit pendant le transport aérien, celui-ci comprenant la période pendant laquelle la marchandise se trouve sous sa garde, seule la livraison marquant la fin de cette période.
11. Selon le troisième, dans le transport de marchandises, la responsabilité du transporteur, en cas de destruction, de perte, d'avarie ou de retard, est limitée à la somme de dix-sept droits de tirage spéciaux par kilogramme.
12. Pour limiter la condamnation des sociétés Qualitair et Helvetia à une certaine somme en application des limites de responsabilité prévues à l'article 22.3 de la convention de Montréal, l'arrêt retient que l'avarie de la marchandise résulte du non-respect des températures prévues contractuellement alors que les produits étaient, sous la garde du transporteur aérien, la société RJA, entreposés dans ses locaux frigorifiques à l'aéroport d'[Localité 6] jusqu'au 17 février 2014.
13. En statuant ainsi, tout en constatant que la société RJA avait émis des bons de livraison les 21, 22 et 29 décembre 2013 après avoir effectué le transport aérien des marchandises et avant de se les voir confier par le commissionnaire substitué, de sorte que le fait ayant causé le dommage ne s'était pas produit pendant le transport aérien, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.
Sur le premier moyen du pourvoi incident relevé par les sociétés S-K-A
Enoncé du moyen
14. Les sociétés S-K-A font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'exception qu'elles avaient soulevée et de les condamner in solidum à garantir les sociétés Qualitair et Helvetia des condamnations mises à leur charge à hauteur de la contre-valeur en euros de 4.181,66 DTS, alors :
« 1°/ qu'en matière de procédure orale, seuls les prétentions et moyens développés à l'audience, ou ceux contenus dans les conclusions écrites auxquelles les parties ont déclaré se référer, saisissent le juge ; que si l'acte d'assignation en intervention forcée appelant un tiers en garantie constitue une défense au fond rendant irrecevable l'exception d'incompétence soulevée ultérieurement, cette règle ne s'applique pas, en matière de procédure orale, lorsque la partie concernée, loin d'assigner en garantie un tiers à la procédure, n'a fait que solliciter la garantie d'une autre partie à l'instance ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que les sociétés S-K-A ont développé oralement à l'audience leurs dernières conclusions ; qu'en opposant que leurs premières conclusions de première instance, qui sollicitaient déjà la garantie de la société RJA, ne soulevaient pas d'exception d'incompétence, quand, en l'absence d'appel en garantie par voie d'intervention forcée, il lui revenait de se référer aux dernières conclusions qui avaient seules été développées à l'audience du tribunal, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-1 et 860-1 du même code ;
2°/ subsidiairement, qu'avant de déclarer une exception d'incompétence irrecevable pour n'avoir pas été soulevée avant toute défense au fond, les juges du second degré sont tenus de rechercher si les premiers juges, devant lesquels la procédure était orale, n'ont pas organisé des échanges écrits entre les parties en application de l'article 446-2 du code de procédure civile et si, le cas échéant, l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée dans les premières conclusions notifiées postérieurement à la mise en place de ce calendrier de procédure ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que le tribunal avait organisé l'échange des écritures en application de l'article 446-2 du code de procédure civile ; qu'en se bornant à observer que les sociétés S-K-A n'avaient pas soulevé d'exception d'incompétence dans leurs premières conclusions déposées devant le tribunal de commerce le 9 septembre 2015, quand il lui appartenait d'examiner le contenu des conclusions déposées postérieurement à la mise en place du calendrier de procédure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-2, 446-4 et 861-3 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 74, 446-1, alinéa 1, 446-2, 446-4 et 861-3 du code de procédure civile :
15. Selon le deuxième de ces textes, qui régit la procédure orale, les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien. Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit.
16. En application des quatrième et cinquième de ces textes, lorsque des échanges ont été organisés entre les parties par le juge du tribunal de commerce chargé d'instruire l'affaire conformément au dispositif de mise en état de la procédure orale prévu par le troisième de ces textes, la date des prétentions et des moyens d'une partie régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre parties.
17. Aux termes du premier, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
18. Il résulte de ces dispositions qu'en procédure orale, lorsque le dispositif de mise en état prévu à l'article 446-2 précité a été mis en oeuvre par le juge chargé d'instruire l'affaire, l'exception d'incompétence doit, pour être recevable, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir dans les premières écritures communiquées par la partie qui s'en prévaut.
19. Pour dire irrecevable l'exception d'incompétence territoriale soulevée par les sociétés S-K-A, l'arrêt retient qu'elle ne figurait pas dans leurs conclusions d'appel en garantie déposées le 9 septembre 2015 devant le tribunal de commerce, lesquelles présentaient une défense au fond en appelant des tiers en garantie.
20. En premier lieu, en statuant ainsi, alors qu'était formée une demande de garantie à l'égard de la société RJA, déjà en la cause, et non un appel en garantie d'un tiers, constitutif en procédure orale d'une défense au fond, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile.
21. En second lieu, en se déterminant comme elle a fait, sans rechercher la date à laquelle le juge chargé d'instruire l'affaire avait organisé les échanges écrits entre les parties, conformément au dispositif de mise en état de la procédure orale prévu à l'article 446-2 du code de procédure civile, ce qui aurait rendu l'article 446-4 applicable, peu important que les parties aient été ou non dispensées de comparaître, la cour d'appel, qui devait déterminer si l'exception d'incompétence avait été soulevée dans les premières conclusions des sociétés S-K-A notifiées postérieurement à la mise en place de ce calendrier de procédure, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident des sociétés S-K-A et le moyen unique du pourvoi incident des sociétés Qualitair et Helvetia, rédigés en termes identiques
Enoncé du moyen
22. Ces sociétés font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'exception d'incompétence soulevée par la société RJA et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant, alors « qu'en application de l'article 333 du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international en l'absence de clause attributive de juridiction, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l'appelant en garantie ; qu'en déniant sa compétence pour statuer sur le recours en garantie exercé contre la société RJA par les sociétés S-K-A, après avoir pourtant retenu sa compétence pour statuer sur les demandes dont celles-ci faisaient l'objet, la cour d'appel a violé l'article 333 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
23. La société RJA conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que ces quatre sociétés n'invoquaient pas devant la cour d'appel l'irrecevabilité de son exception d'incompétence en application de l'article 333 du code de procédure civile.
24. Cependant le moyen est recevable comme étant de pur droit.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 333 du code de procédure civile :
25. En l'absence d'une clause compromissoire ou d'une clause attributive de juridiction, l'article 333 du nouveau code de procédure civile, aux termes duquel le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire, sans qu'il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction, est applicable dans l'ordre international.
26. L'arrêt déclare recevable l'exception d'incompétence soulevée par la société RJA et renvoie les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant.
27. En statuant ainsi, alors que la société RJA, qui n'invoquait ni clause attributive de juridiction ni clause compromissoire, ne pouvait décliner la compétence de la juridiction française dans ses rapports avec les sociétés Qualitair et Helvetia, qui l'avaient appelée en garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'exception des sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport, en ce qu'il infirme le jugement « s'agissant du montant des condamnations et de toutes les condamnations prononcées contre la société Royal Jordanian Airlines », en ce qu'il reçoit l'exception d'incompétence soulevée par la société Royal Jordanian Airlines et renvoie les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant, et en ce que, ajoutant au jugement, il condamne in solidum les sociétés Qualitair & Sea International et Helvetia compagnie suisse d'assurances à payer aux sociétés PFM et Generali la contre-valeur en euros de 9 538 DTS, l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Royal Jordanian Airlines aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits AU POURVOI PRINCIPAL par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour les sociétés Generali IARD et Pierre Fabre médicament.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation in solidum des sociétés Qualitair et Helvetia au bénéfice des sociétés Pierre Fabre Médicament et Generali à la contrevaleur en euros de 9 538 DTS ;
1°) Alors que, aux termes de son article 1.1, la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à [Localité 8] le 28 mai 1999, ne s'applique qu'aux opérations de transport international de personnes, bagages ou marchandises effectués par aéronef ; que ce texte n'a pas vocation à s'appliquer lorsque le contrat de transport aérien a pris fin, après la livraison des marchandises ; que si l'article 18.3 de cette convention prévoit que la responsabilité de plein droit du transporteur aérien couvre le temps pendant lequel la marchandise est sous sa garde, cette disposition n'a pas pour effet d'étendre le champ d'application de la convention à des missions que le transporteur aérien aurait acceptées à la suite de l'opération de transport aérien ; qu'en jugeant néanmoins que cette convention était applicable à la responsabilité encourue par la société Royal Jordanian Airlines au titre des dommages survenus lors de la marchandise à l'aéroport d'[Localité 6], en tant que la marchandise était toujours sous la garde de cette société au sens de l'article 18.3 de cette convention, après avoir pourtant constaté que la société Royal Jordanian Airlines avait émis trois bons de livraisons pour les trois lots de marchandise, les 21, 22 et 29 décembre 2013 (arrêt, p. 12, § 6 ; 15, § 4 ; 17, § 9) avant de stocker la marchandise dans ses entrepôts, ce qui avait donné lieu à des frais d'entreposage qui avait été facturés par la société Royal Jordanian Airlines (arrêt, p. 17, § 13), ce dont il résultait que la livraison avait été effectuée et que le contrat de transport avait pris fin, de sorte que la convention de Montréal n'était pas applicable aux relations que les parties ont poursuivies ensuite pour la mission d'entreposage confiée ensuite à la société Royal Jordanian Airlines, la cour d'appel a violé les articles 1.1, 18.3 et 22.3 de la Convention susvisée, par fausse application ;
2°) Alors, en tout état de cause, qu'à supposer la référence faite par la cour d'appel aux reçus de livraison fût insuffisante à établir la livraison, en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée (concl. d'appel des exposantes, spé. p. 15), si les marchandises n'avaient pas été livrées de sorte que le contrat de transport avait pris fin et que la convention de Montréal n'avait pas vocation à régir les dommages survenus aux marchandises par suite de cette livraison, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1. 1 de cette convention ;
3°) Alors, subsidiairement, qu'est équipollente au dol la faute inexcusable du transporteur, entendue comme la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; qu'après avoir relevé que la convention conclue avec le commissionnaire de transport écartait l'application des plafonds d'indemnisation lorsque la responsabilité de celui-ci était engagée à raison d'une faute dolosive ou équipollente au dol du substitué, la cour d'appel a retenu que si la société Royal Jordanian Airlines avait commis une faute en ne s'assurant pas que la marchandise était stockée à la température de conservation qui lui avait été indiquée, cette faute n'avait pas le caractère d'une faute inexcusable en l'absence de tout élément révélant la conscience par la société Royal Jordanian de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire et sans raison valable ; qu'en statuant ainsi cependant qu'elle a relevé que la société Royal Jordanian Airlines était informée de la nature sensible de la marchandise, à savoir des médicaments et des températures à respecter pour sa conservation (arrêt, p. 17, § 8 et 9), ce dont il s'évince qu'en ne s'assurant pas d'une conservation de la marchandise à cette température, la société Royal Jordanian Airlines, transporteur professionnel, ne pouvait pas ne pas avoir conscience de la probabilité d'une perte de la marchandise résultant d'une mauvaise conservation et avait accepté de manière téméraire, sans raison valable, un tel dommage, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article L. 133-8 du code du commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation in solidum des sociétés Qualitair et Helvetia au bénéfice des sociétés Pierre Fabre Médicament et Generali à la contrevaleur en euros de 9 538 DTS ;
1°) Alors, d'une part, qu'est équipollente au dol la faute inexcusable du transporteur, entendue comme la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; que pour écarter l'existence d'une faute inexcusable du transporteur terrestre, la société Al Muna Transport, dont elle a retenu qu'elle avait assuré le transport des marchandises sans s'assurer du bon fonctionnement ou de la mise en route du système de réfrigération des camions (arrêt, p. 20, pénult. paragr.), la cour d'appel a relevé que n'était établie aucune faute délibérée de sa part, ni qu'elle avait conscience de la probabilité du dommage et l'avait acceptée sans raison valable ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que le transporteur avait été informé de la nature sensible de la marchandise et des températures à respecter pour sa conservation (arrêt, p. 20, § 5 et 6 et p. 17, § 12 et 13), ce dont il résultait qu'en transportant la marchandise sans s'être assurée du bon fonctionnement ou de la mise en route des systèmes de réfrigération, la société Al Muna Transport, transporteur professionnel, a commis une faute délibérée, dépassant la simple négligence, et qu'elle ne pouvait pas ne pas avoir conscience de la probabilité d'un dommage résultant de la perte des marchandises mal conservées, probabilité qu'elle avait acceptée de manière téméraire sans raison valable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article L. 133-8 du code du commerce ;
2°) Alors, d'autre part, qu'est équipollente au dol la faute inexcusable du transporteur, entendue comme la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; qu'en relevant, pour écarter l'existence d'une faute inexcusable de la société Al Muna Transport, d'une part, le refus du destinataire de prendre livraison de la marchandise un jour de fin de semaine et, d'autre part, le contexte politique difficile du pays de destination, sans expliquer en quoi ces deux éléments seraient de nature à exclure le caractère délibéré et la conscience que ne pouvait pas manquer d'avoir le transporteur du dommage qui résulterait probablement d'un transport de la marchandise sans s'être assuré du respect des températures de conservation de cette marchandise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-8 du code du commerce ;
3°) Alors, subsidiairement, qu'indépendamment de toute faute inexcusable du transporteur, la présomption de responsabilité de l'article 17 de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR) signée à Genève le 19 mai 1956 oblige le transporteur à réparer le préjudice subi du fait de la perte de la marchandise survenue entre la prise en charge et la livraison dans la limite du plafond d'indemnisation de l'article 23, soit 8,33 DTS par kilogramme de marchandise perdue ; que le montant de la condamnation prononcée contre le commissionnaire et son assureur, soit la contrevaleur en euros de 9 538 DTS, correspond à l'application du seul plafond de garantie prévu par l'article 22 convention de [Localité 8] au titre de la responsabilité du commissionnaire du fait du transporteur aérien, la société Royal Jordanian Airlines ; qu'en limitant ainsi le montant de la condamnation du commissionnaire, dont la responsabilité était également engagée du fait du de société Al Muna Transport, sans expliquer pourquoi elle écartait l'application cumulative du plafond d'indemnisation prévu par l'article 23 de la convention CMR, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés et de l'article L. 132-6 du code du commerce ;
4°) Alors, enfin, et toujours subsidiairement, qu'en cas de transports successifs, le commissionnaire de transport est tenu de répondre des faits commis par l'ensemble des personnes qu'il s'est substituées pour chacune des phases de transport ; qu'en jugeant que le plafond d'indemnisation prévu par l'article 22.3 de la Convention de Montréal était seul applicable puisque le dommage s'est produit en premier lieu à [Localité 6] dans la suite du transport aérien, sous la garde de la société Royal Jordanian Airlines, motif impropre à exclure la responsabilité du commissionnaire du fait du transporteur terrestre subséquent, dont la responsabilité a été pourtant retenue dans la limite du plafond prévu par l'article 23 de la convention CMR, la cour d'appel a violé les articles 17 et 23 de la convention CMR et l'article L. 132-6 du code du commerce. Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société Qualitair & Sea International et la société de droit étranger Helvetia compagnie suisse d'assurances.
La société Qualitair & Sea International et la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances reprochent à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir reçu l'exception d'incompétence soulevée par la société Royal Jordanian Airlines et renvoyé les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant ;
ALORS QU' en application de l'article 333 du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international en l'absence de clause attributive de juridiction, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l'appelant en garantie ; qu'en déniant sa compétence pour statuer sur le recours en garantie exercé contre la société Royal Jordanian par les sociétés Qualitair & Sea International et Helvetia, après avoir pourtant retenu sa compétence pour statuer sur les demandes dont celles-ci faisaient l'objet, la cour d'appel a violé l'article 333 du code de procédure civile. Moyens produits AU POURVOI INCIDENT par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour la société de droit étranger Salam Shipping & Forwarding Agency SL et les sociétés Kareem Logistics et Al Muna Transport.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'exception des sociétés les sociétés Salam Shipping & Forwarding Agency SL, Kareem Logistics et Al Muna Transport est déclarée irrecevable, et de les AVOIR condamnées in solidum à garantir les sociétés Qualitair et Helvetia des condamnations mises à leur charge à hauteur de la contre-valeur en euros de 4.181,66 DTS ;
AUX MOTIFS QUE l'article 74 du code de procédure civile prévoit notamment que « les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. » ; qu'il ressort du jugement et il n'est pas contesté que les sociétés SKA ont déposé le 9 septembre 2015, devant le tribunal de commerce de Nanterre, des conclusions d'appel en garantie ne contenant pas cette exception d'incompétence ; qu'en ayant présenté une défense au fond en appelant des tiers en garantie, les sociétés SKA étaient irrecevables, en application de l'article 74 du code de procédure civile, à soulever ultérieurement une exception d'incompétence ; que dès lors, l'exception des sociétés SKA sera déclarée irrecevable, et le jugement sera réformé sur ce point ;
1) ALORS QU'en matière de procédure orale, seuls les prétentions et moyens développés à l'audience, ou ceux contenus dans les conclusions écrites auxquelles les parties ont déclaré se référer, saisissent le juge ; que si l'acte d'assignation en intervention forcée appelant un tiers en garantie constitue une défense au fond rendant irrecevable l'exception d'incompétence soulevée ultérieurement, cette règle ne s'applique pas, en matière de procédure orale, lorsque la partie concernée, loin d'assigner en garantie un tiers à la procédure, n'a fait que solliciter la garantie d'une autre partie à l'instance ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport ont développé oralement à l'audience leurs dernières conclusions ; qu'en opposant que leurs premières conclusions de première instance, qui sollicitaient déjà la garantie de la société Royal Jordanian Airlines, ne soulevaient pas d'exception d'incompétence, quand, en l'absence d'appel en garantie par voie d'intervention forcée, il lui revenait de se référer aux dernières conclusions qui avaient seules été développées à l'audience du tribunal, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-1 et 860-1 du même code ;
2) ALORS, subsidiairement, QU'avant de déclarer une exception d'incompétence irrecevable pour n'avoir pas été soulevée avant toute défense au fond, les juges du second degré sont tenus de rechercher si les premiers juges, devant lesquels la procédure était orale, n'ont pas organisé des échanges écrits entre les parties en application de l'article 446-2 du code de procédure civile et si, le cas échéant, l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée dans les premières conclusions notifiées postérieurement à la mise en place de ce calendrier de procédure ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que le tribunal avait organisé l'échange des écritures en application de l'article 446-2 du code de procédure civile (jugement, p. 7) ; qu'en se bornant à observer que les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport n'avaient pas soulevé d'exception d'incompétence dans leurs premières conclusions déposées devant le tribunal de commerce le 9 septembre 2015, quand il lui appartenait d'examiner le contenu des conclusions déposées postérieurement à la mise en place du calendrier de procédure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-2, 446-4 et 861-3 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR reçu l'exception d'incompétence soulevée par la société Royal Jordanian Airlines, et renvoyé les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant ;
AUX MOTIFS QUE l'article 33 de la convention de Montréal prévoit en son point 1 que « l'action en responsabilité devra être portée, au choix du demandeur, dans le territoire d'un des États parties, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination » ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le domicile de la RJA se situe à [Localité 6], en Jordanie, que le transport aérien avait pour destination [Localité 6], que les LTA mentionnent comme adresse de la RJA [Localité 6] en Jordanie ; qu'il n'est ni allégué ni établi l'intervention d'un établissement de la RJA qui serait situé en France lors de la conclusion du contrat ; que par conséquent, le tribunal de commerce de Nanterre n'était pas compétent territorialement pour connaître de la demande présentée à l'encontre de la RJA, et il sera infirmé sur ce point ; que la cour se déclare donc incompétente pour statuer sur les actions exercées à l'encontre de la société RJA et renvoie ainsi les parties à mieux se pourvoir ; que les recours exercés contre la société RJA ne seront donc pas examinés ;
1) ALORS QUE la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à [Localité 8] le 28 mai 1999 ne s'applique qu'entre les parties au contrat de transport aérien ; que par suite, l'action en garantie exercée par un tiers à ce contrat de transport contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d'application de cette convention ; qu'en faisant application en l'espèce des règles prévues par l'article 33 de la convention de Montréal afin de décliner sa compétence pour statuer sur les demandes que formaient les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport, tiers au contrat de transport aérien, à l'encontre de la société Royal Jordanian Airlines, chargée de ce transport, la cour d'appel a violé les articles 1.1, 18.4, 33.1 et 38 de la convention de Montréal du 28 mai 1999, par fausse application ;
2) ALORS QU'en application de l'article 333 du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international en l'absence de clause attributive de juridiction, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l'appelant en garantie ; qu'en déniant sa compétence pour statuer sur le recours en garantie exercé contre la société Royal Jordanian par les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport, après avoir pourtant retenu sa compétence pour statuer sur les demandes dont celles-ci faisaient l'objet, la cour d'appel a violé l'article 333 du code de procédure civile. | Il résulte de la combinaison des articles 18.1 et 18.3 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international que le transporteur aérien est de plein droit responsable du dommage causé à la marchandise si le fait qui l'a causé s'est produit pendant le transport aérien, celui-ci comprenant la période pendant laquelle la marchandise se trouve sous sa garde, seule la livraison marquant la fin de cette période.
Viole ces textes, par fausse application, la cour d'appel qui retient que l'avarie de la marchandise résultant du non-respect des températures prévues contractuellement est survenue pendant que les produits étaient sous la garde du transporteur aérien, entreposés dans ses locaux frigorifiques, tout en constatant que cette société avait émis des bons de livraison après avoir effectué le transport aérien de la marchandise et avant de se la voir confier par le commissionnaire substitué, de sorte que le fait ayant causé le dommage ne s'était pas produit pendant le transport aérien |
8,589 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 117 F-B
Pourvois n°
S 21-11.415
D 21-17.705 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
I - 1°/ La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
2°/ la société [I] - [K], mandataires judiciaires associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 9], anciennement dénommée [R] [I] - [K], en la personne de Mme [I], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SE Transports Benoist,
ont formé le pourvoi n° S 21-11.415 contre un arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel d'Angers (chambre A commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [H] [U],
2°/ à Mme [J] [E], épouse [U],
domiciliés tous deux [Adresse 6],
3°/ à M. [P] [G] [U], domicilié [Adresse 10] (Chine),
4°/ à Mme [V] [G] [U], domiciliée [Adresse 2],
5°/ à la société [U] International China, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4] (Chine),
6°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,
7°/ à la société MMA IARD, société anonyme, venant aux droits de la société Covea Fleet,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3],
8°/ à la société [T], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
9°/ à la société Logafret, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 13],
10°/ à la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF), dont le siège est [Adresse 5], venant aux droits de la société Compagnie Macifilia,
11°/ à la société Jet Speed Global Logistics Limited, dont le siège est [Adresse 1] (Chine),
défendeurs à la cassation.
II - 1°/ la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF), venant aux droits de la société Compagnie Macifilia,
2°/ la société Logafret, société par actions simplifiée,
ont formé le pourvoi n° D 21-17.705 contre le même arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel d'Angers (chambre A commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société [T], société par actions simplifiée,
2°/ à la société [U] International China, société à responsabilité limitée,
3°/ à la société Jet Speed Global Logistics Limited,
4°/ à la société MMA IARD, société anonyme, venant aux droits de la société Covea Fleet,
5°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,
6°/ à Mme [V] [G] [U],
7°/ à M. [P] [G] [U],
8°/ à M. [H] [U],
9°/ à Mme [J] [E], épouse [U],
10°/ à la société Axa France IARD, société anonyme,
11°/ à la société [I] - [K], mandataires judiciaires associés, société civile professionnelle, anciennement dénommée [R] [I] - [K], en la personne de Mme [I], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société SE Transports Benoist,
défendeurs à la cassation.
Les sociétés MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD et [T] ont formé un pourvoi provoqué et incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi S 21-11.415 invoquent, à l'appui de leur recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi provoqué et incident S 21-11.415 invoquent, à l'appui de leur recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi D 21-17.705 invoquent, à l'appui de leur recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) et de la société Logafret, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD et de la société [I] - [K], ès qualités, de la SARL Corlay, avocat des sociétés MMA IARD, MMA IARD assurances mutuelles et [T], de Me Occhipinti, avocat de M. [U], de Mme [E], épouse [U], de M. et Mme [G] [U], après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 21-11.415 et D 21-17.705 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 8 décembre 2020), entre le 3 décembre 2007 et le 16 janvier 2008, la société Faurecia a commandé à la société Developpement ingenierie prototype plastique (la société DIPP) des machines et outillages que celle-ci a achetés à sa filiale chinoise, la société [U] International China (la société DIC). Les matériels, chargés selon les plans établis par la société DIC dans des containers, ont été transportés jusqu'au port chinois de Ningbo par la société Jet Speed Global Logistics Limited. Le 27 août 2008, la société [T] a adressé un ordre de transport à la société Logafret, assurée par la société Macifilia qui s'est substituée la société Transports Benoist pour le transport du [Localité 11] jusqu'à [Localité 12] (Bas-Rhin). Lors de ce trajet, le chauffeur a perdu le contrôle du camion qui s'est renversé, endommageant les outillages. Un expert judiciaire a été désigné en référé.
3. Le 20 août 2009, la société DIPP a assigné la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), venant aux droits de la société Covea Fleet, ainsi que la société Logafret, la société Transports Benoist, puis, après liquidation judiciaire de cette dernière le 12 novembre 2009, la SCP [I]-[K] en qualité de liquidateur. Les sociétés DIC, Jet Speed Global Logistics Limited, la société Axa France IARD (la société Axa), assureur de la société Transports Benoist, et la société Macifilia, assureur de la société Logafret, ont été assignés en garantie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal et du pourvoi provoqué n° S 21-11.415 rédigés en termes identiques et le premier moyen du pourvoi n° D 21-17.705, rédigé en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
4. Par le premier moyen du pourvoi n° S 21-11.415, la société Axa, la SCP [I]-[K], ès qualités, les sociétés MMA et la société [T] font grief à l'arrêt de dire que l'instance n'est pas éteinte par péremption et de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, alors :
« 1°/ que le dépôt de conclusions sollicitant le rétablissement de l'affaire au rôle, et comportant des demandes au fond, ne peut avoir un effet interruptif du délai de péremption que s'il émane d'une partie à l'instance ; que pour dire que les conclusions déposées par les consorts [U] le 7 juin 2011, aux termes desquelles ces derniers prétendaient intervenir aux lieu et place de la société DIPP, qui avait engagée une action en responsabilité contre les acteurs d'une opération de transport, notamment la société Transports Benoist placée en liquidation judiciaire, et son assureur Axa, avaient interrompu le délai de péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu que par ces conclusions, les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile, mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer ; qu'en statuant de la sorte, quand l'acte par lequel les consorts [U], soutenant venir aux droits de la société DIPP en vertu d'une cession de créance conclue avec cette société, s'analysait en une intervention volontaire de sorte qu'à défaut d'avoir été pris conjointement au nom de la société cédante et des cessionnaires de la créance, il n'avait pu avoir un effet interruptif du délai de péremption, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble les articles 4 et 329 du même code ;
2°/ qu'aux termes de leurs conclusions déposées le 7 juin 2011, les consorts [U] avaient indiqué intervenir volontairement à l'instance devant le tribunal de commerce du Mans ; que dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir être "intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP" ; qu'en retenant que les consorts [U] n'avaient pas agi en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en tout état de cause sous l'empire de l'article 1690 du code civil, applicable en la cause, la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; que pour infirmer le jugement entrepris ayant prononcé la péremption de l'instance engagée par la société DIPP par actes des 18 et 20 août 2009, la cour d'appel a retenu que par conclusions du 7 mai 2011, les consorts [U], agissant en qualité de subrogés dans les droits de la société DIPP, avaient manifesté leur volonté de poursuivre l'instance engagée par cette dernière ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses constatations que la cession de créance en vertu de laquelle les consorts [U] déclaraient intervenir à la procédure n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, et qu'avant cette date, les consorts [U] ne pouvaient prétendre agir à l'égard des tiers en qualité de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 1690 du code civil ;
4°/ que seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences accomplies par les parties manifestant leur volonté de poursuivre la procédure ; que des conclusions par lesquelles une partie s'oppose à une demande de rétablissement d'une affaire au rôle ne manifeste pas la volonté de celle-ci de poursuivre l'instance, quand bien même elles comporteraient des demandes subsidiaires au fond ; que pour dire que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012, prises en réponse à l'intervention des consorts [U] pour la faire déclarer irrecevable, constituaient une diligence interruptive du délai de péremption, la cour d'appel a retenu que ces conclusions, qui portaient également, subsidiairement, sur le fond, manifestaient une volonté de leurs auteurs de poursuivre l'instance et de faire progresser l'affaire ; qu'en statuant de la sorte, quand la société [T] et son assureur avaient sollicité le prononcé de l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U], en faisant valoir que ces derniers n'étaient pas parties à l'instance et ne pouvaient dès lors solliciter le rétablissement de l'affaire, ce qui manifestait leur volonté de s'opposer au rétablissement de l'affaire, peu important qu'ils aient subsidiairement conclu sur le fond, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 4 du même code. »
5. Par le premier moyen du pourvoi n° D 21-17.705, la société Logafret et la société MACIF, venant aux droits de la société Macifilia, font grief à l'arrêt de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, de condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, de condamner in solidum la société Logafret, la MACIF et la société Axa (les assureurs), dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à garantir la société [T] et les sociétés MMA à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, de condamner la société Axa à garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 euros correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société Axa France IARD, au titre des préjudices subis par la société DIPP, de condamner in solidum la société DIC et la société Axa France IARD, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 euros, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA la somme de 14 372,76 euros HT, et de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 euros au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur, alors :
« 1°/ que seules les personnes qui ont pris l'initiative d'exercer l'action en élevant une prétention à leur profit, ou contre lesquelles l'acte introductif d'instance a été dirigé ont la qualité de parties à l'instance dont les diligences peuvent interrompre le délai de péremption ; qu'en jugeant, pour retenir que les conclusions des consorts [U] du 7 juin 2011 avaient interrompu le délai de péremption de l'instance introduite par la société DIPP, qu'ils agissaient en qualité de subrogés dans les droits et actions de celle-ci, cependant qu'ils n'avaient, pour autant, pas la qualité de partie à l'instance radiée mais étaient des tiers devant y intervenir volontairement, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 329 du même code ;
2°/ qu'aux termes de leurs conclusions du 7 juin 2011, les consorts [U] soutenaient intervenir à l'instance devant le tribunal de commerce aux lieu et place de la société DIPP et, dans leurs conclusions d'appel, rappelaient qu'ils étaient "intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP" ; qu'en jugeant, cependant, que les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires, la cour d'appel a dénaturé leurs conclusions et, ainsi, violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en toute hypothèse, sous l'empire de l'ancien article 1690 du code civil la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; qu'en jugeant que les conclusions du 7 juin 2011 des consorts [U] avaient interrompu le délai de péremption, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la cession de créance en vertu de laquelle ils prétendaient être subrogés dans les droits et actions de la société DIPP n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, de sorte qu'ils n'avaient pas déposé leurs conclusions du 7 juin 2011 en cette qualité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'ancien article 1690 du code civil ;
4°/ que seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences manifestant la volonté des parties de faire progresser l'affaire ; qu'en retenant, pour juger que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012 avaient également interrompu le délai de péremption, cependant qu'à titre principal, elles soulevaient l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U] en soutenant qu'ils ne pouvaient solliciter le rétablissement de l'affaire au rôle à défaut d'avoir la qualité de partie à l'instance, ce qui manifestait leur volonté qu'il soit mis fin à l'instance, peu important qu'elles aient conclu au fond, à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. L'intervention volontaire dans une instance étant une demande en justice, son auteur devient, par cette seule intervention, partie à cette instance. Il peut, dès lors, en cette qualité, accomplir les diligences de nature à interrompre, à l'égard de tous, le délai de péremption de l'instance.
7. Ayant relevé que, le 7 juin 2011, M. [H] [U] et Mme [E], jusque-là tiers à l'instance, avaient déposé des conclusions dans lesquelles ils indiquaient intervenir aux lieu et place de la société DIPP en se prévalant d'une cession de créance de cette société, ce dont il résultait que le délai de péremption avait été interrompu par cette intervention volontaire, la cour d'appel, par ce seul motif, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, et sans modifier l'objet du litige, a légalement justifié sa décision de ce chef.
8. Le moyen n'est pas fondé.
Sur le deuxième moyen des pourvois principal et provoqué n° S 21-11.415 et le deuxième moyen du pourvoi n° D 21-17.705, réunis
Enoncé du moyen
9. Par le deuxième moyen de leurs pourvois respectifs, la société Axa et la société [I]-[K], ès qualités, la société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, et de condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, de condamner in solidum la société Logafret, la MACIF et la société Axa, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à garantir la société [T] et les sociétés MMA à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, de condamner la société Axa à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA, de la société Logafret et de son assureur, la MACIF, à la somme de 89 221,25 euros correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société Axa, au titre des préjudices subis par la société DIPP, de condamner in solidum la société DIC et la société Axa, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 euros, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA la somme de 14 372,76 euros HT, et de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 euros au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur, alors « que le droit de retrait d'une cession de créance litigieuse ne peut être exercé lorsque la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de M. [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de M. [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec M. [P] [G] [U] et Mme [V] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que les consorts [U] étaient tous créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code. »
10. Par le deuxième moyen de leur pourvoi, la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, font le même grief à l'arrêt alors « qu'il appartient à celui qui se prévaut du droit de retrait de démontrer que la créance cédée est litigieuse et à celui qui s'oppose au retrait de démontrer que la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de M. [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de M. [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec M. [P] [G] [U] et Mme [V] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, c'est-à-dire sans qu'il soit besoin pour chacun d'eux de démontrer qu'ils étaient titulaires d'une créance que la cession venait éteindre la cour d'appel a violé les articles 1134, devenu 1103, et 1315, devenu 1353, du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code. »
11. Par le deuxième moyen de leur pourvoi, les sociétés Logafret et MACIF font le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le financement d'un compte courant d'associé ne confère pas la qualité de créancier de la société qui résulte de la qualité de titulaire du compte ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert, pourtant, au seul nom de M. [H] [U], dès lors qu'il avait également été alimenté par son épouse, quand cela ne faisait pas d'elle la créancière de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 1165, devenu 1199 du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code ;
2°/ que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que si la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert au seul nom de M. [H] [U], sa déclaration, avec son épouse, selon laquelle ce compte était indivis avec M. [P] et Mme [V] [G] [U] "suffis(ait)" sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers l'avaient également alimenté, la cour d'appel a, ce faisant, déchargé ces derniers de la charge de prouver leur qualité de créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. Il n'y a pas lieu à retrait lorsque la cession a été faite à un créancier en paiement de ce qui lui était dû.
13. Après avoir relevé que l'acte de cession de créance du 6 septembre 2010 mentionnait que M. [H] [U], Mme [V] [G] [U] et M. [P] [G] [U] supportaient le coût des conséquences de l'accident par des apports permanents en compte courant qui s'élèvaient au jour de la rédaction de l'acte à la somme de 218 870 euros, et que l'acte stipulait que le prix de la créance cédée fixé à 172 938,72 euros serait payé par compensation avec le compte courant d'associé de M. [H] [U], l'arrêt retient souverainement que les documents comptables et bancaires produits par les consorts [U] établissent qu'ils alimentaient le compte courant d'associés et font la preuve du montant de son solde d'un montant de 218 870 euros au 31 août 2010.
14. De ces constatations et appréciations, dont il résulte que la cession de créance consentie par la société DIPP l'avait été pour rembourser une dette de cette dernière au profit des cessionnaires, la cour d'appel a déduit à bon droit que l'existence d'une créance antérieure à la cession, constituée par un compte courant d'associé, faisait obstacle à l'exercice du retrait litigieux par les sociétés MACIF et Logafret, peu important à cet égard que seuls certains titulaires du compte indivis y aient effectué des apports.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur les troisièmes moyens des pourvois n° S 21-11.415 et n° D 21-17.705, pris en leur première et deuxième branches, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
16. Par ce moyen de leur pourvoi, pris en ses première et deuxième branches, la société Axa et Mme [I], ès qualités, font le même grief à l'arrêt alors :
« 1°/ que le transporteur peut s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur lui s'il démontre que le sinistre a pour cause un cas de force majeure, ou le fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en l'espèce, la société Axa et le liquidateur de la société Transports Benoist faisaient valoir qu'il résultait d'un rapport établi par M. [S], régulièrement produit aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC ; qu'elles se prévalaient également d'un rapport établi à la demande de la société [T] par M. [D] ayant similairement conclu que la cause du renversement de l'ensemble routier résidait dans la position du centre de gravité des marchandises entreposées dans le conteneur ; qu'en retenant que la société Transports Benoist était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, relative à la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, a concouru à la réalisation du dommage, sans examiner les pièces versées aux débats par les exposantes établissant que la vitesse du camion transportant la marchandise n'avait pas été à l'origine du sinistre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°/ que la cour d'appel a retenu que sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière, "l'accident ne serait pas survenu", ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur de la société Transports Benoist n'avait en tout état de cause été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient ab initio été correctement entreposées dans l'ensemble routier ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 133-1 du code de commerce. »
17. Par leur troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, la société Logafret et la MACIF font le même grief à l'arrêt alors :
« 1°/ que le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en jugeant que la société Transports Benoist était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, résultant de la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, ait concouru à la réalisation du dommage, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée par la MACIF et la société Logafret, qui reprenaient à leur compte l'argumentation de la société Axa et de Mme [I], s'il ne résultait pas du rapport de M. [S] versé aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC, conclusion à laquelle était également parvenu M. [D], dans un rapport établi à la demande de M. [T], de sorte que le sinistre provenait de l'erreur de la société DIC qui revêtait les caractéristiques de la force majeure, exonérant donc la société Transport Benoist de toute responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°/ que le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle constatait elle-même que, sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière "l'accident ne serait pas survenu", ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur n'avait été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient été correctement entreposées dans le camion, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 133-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
18. Aux termes de l'article L. 133-1 du code de commerce, le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure. Il est garant des avaries autres que celles qui proviennent du vice propre de la chose ou de la force majeure.
19. Après avoir écarté la responsabilité personnelle de la société [T], l'arrêt retient que celle-ci doit répondre des fautes de ses substitués, les sociétés Logafret et Transports Benoist, transporteurs, dans l'exécution de la commission de transport. Il ajoute que, par des conclusions techniques non contestées, l'expert judiciaire a considéré que l'accident a eu pour facteurs déclencheurs la vitesse excessive du camion, le dépassement et le freinage du camion, et pour facteur générateur la mauvaise répartition du chargement à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité beaucoup trop à l'arrière. Il retient encore que, sans l'excès de vitesse et les variations brutales de direction du camion à l'occasion du dépassement d'un autre véhicule, l'accident n'aurait pas eu lieu, l'expert ayant relevé que, depuis son transport de l'usine chinoise jusqu'à l'accident, sans que l'empotage ait été modifié, le chargement du conteneur n'avait posé aucune difficulté.
20. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer sur des éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a pu déduire que le comportement du transporteur avait eu un rôle causal dans l'accident, exclusif de toute force majeure, et décidé, à bon droit, qu'il ne pouvait dès lors s'exonérer de sa responsabilité.
Mais sur ces moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
21. Par leur troisième moyen, pris en sa troisième branche, la société Axa et Mme [I], ès qualités, font le même grief à l'arrêt alors :
« 3°/ que la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; que pour dire que la société Transports Benoist avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, la cour d'appel a retenu que le chauffeur de la société Transports Benoist, qui "avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse. Au lieu de cela, non seulement il a roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité" ; qu'en statuant par ces motifs, impropres à caractériser la commission par la société Transports Benoist d'une négligence grossière confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à accomplir la mission qu'il a contractuellement acceptée, la cour d'appel a violé l'article 1150 du code civil. »
22. Par leur troisième moyen, pris en sa troisième branche, la société Logafret et la MACIF font le même grief à l'arrêt alors :
« 3°/ que la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; qu'en retenant, pour juger que la société Transports Benoist avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, que le chauffeur, qui "avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse", au lieu de quoi, "non seulement il a(vait) roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a(vait) effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité", la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute lourde du chauffeur, a violé l'article 1150 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
23. Constitue une faute lourde la négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée.
24. Pour retenir la faute lourde du voiturier et condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, l'arrêt retient que le chauffeur, qui avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse et qu'au lieu de cela, il a roulé à une vitesse excessive largement au-delà de la vitesse autorisée et a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait pas ignorer la dangerosité, la circonstance qu'il n'avait pas connaissance de la mauvaise répartition des charges à l'intérieur du conteneur ne diminuant pas la faute commise.
25. En se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser une faute lourde du transporteur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen du pourvoi provoqué, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
26. La société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué de les condamner in solidum à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter du présent arrêt, et de limiter la garantie due par la société DIC à la moitié de cette somme alors « que la responsabilité du commissionnaire de transport du fait de ses substitués ne peut être engagée que dans la mesure de leur propre responsabilité ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que la société [T] n'était responsable que du fait de ses substitués, les sociétés Logafret et Transports Benoist, et n'était pas commissionnaire de transport vis-à-vis de la société DIC ; que la société DIC était responsable du dommage causé à hauteur de la moitié, la société Transports Benoist n'étant responsable que de la moitié ; qu'en condamnant cependant la société [T] pour le tout, en ce compris la part de la société DIC, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et violé les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce :
27. Il résulte de ces textes que lorsque sa responsabilité n'est pas engagée à raison de son fait personnel mais seulement du fait de ses substitués, le commissionnaire de transport ne peut être tenu que dans la limite de la responsabilité de ces derniers.
28. Pour condamner in solidum la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, venant aux droits de la société Covea Fleet à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal, l'arrêt retient que, dès lors que la faute lourde est établie, elle prive le transporteur de la possibilité de se prévaloir des limitations d'indemnités normalement applicables qu'elles soient légales ou conventionnelles et que la faute équipollente au dol de son substitué rejaillit sur le commissionnaire de transport et lui fait perdre le bénéfice des limitations de responsabilités. Il en déduit que la société [T] et ses assureurs sont donc tenus à l'indemnisation intégrale du préjudice.
29. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la société DIC, qui avait assumé la responsabilité des opérations de chargement et avait mal réparti les charges dans le conteneur, devait répondre des conséquences dommageables de sa faute et qu'il y avait lieu d'opérer un partage de responsabilité par moitié entre la société DIC et la société Transports Benoist, la cour d'appel, qui ne pouvait condamner la société [T], commissionnaire de transport et ses assureurs au-delà de la responsabilité de son substitué, la société Transports Benoist, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption et en ce qu'il déclare M. [U], Mme [E], M. [G] [U] et Mme [G] [U] recevables à agir au lieu et place de la société DIPP, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le
présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal n° S 21-11.415 par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD et la société [I] - [K], mandataires judiciaires associés, en la personne de Mme [I], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SE Transports Benoist.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La compagnie AXA FRANCE IARD et Me [Z] [I] font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'AVOIR dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption, et D'AVOIR déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP ;
1°) ALORS QUE le dépôt de conclusions sollicitant le rétablissement de l'affaire au rôle, et comportant des demandes au fond, ne peut avoir un effet interruptif du délai de péremption que s'il émane d'une partie à l'instance ; que pour dire que les conclusions déposées par les consorts [U] le 7 juin 2011, aux termes desquelles ces derniers prétendaient intervenir aux lieu et place de la société DIPP, qui avait engagée une action en responsabilité contre les acteurs d'une opération de transport, notamment la société TRANSPORTS BENOIST placée en liquidation judiciaire, et son assureur AXA FRANCE IARD, avaient interrompu le délai de péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu que par ces conclusions, les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile, mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer ; qu'en statuant de la sorte, quand l'acte par lequel les consorts [U], soutenant venir aux droits de la société DIPP en vertu d'une cession de créance conclue avec cette société, s'analysait en une intervention volontaire de sorte qu'à défaut d'avoir été pris conjointement au nom de la société cédante et des cessionnaires de la créance, il n'avait pu avoir un effet interruptif du délai de péremption, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble les articles 4 et 329 du même code ;
2°) ALORS, EN OUTRE, QU' aux termes de leurs conclusions déposées le 7 juin 2011, les consorts [U] avaient indiqué intervenir volontairement à l'instance devant le tribunal de commerce du MANS ; que dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir être « intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP » (leurs conclusions d'appel, not. p. 11) ; qu'en retenant que les consorts [U] n'avaient pas agi en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE sous l'empire de l'article 1690 du code civil, applicable en la cause, la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; que pour infirmer le jugement entrepris ayant prononcé la péremption de l'instance engagée par la société DIPP par actes des 18 et 20 août 2009, la cour d'appel a retenu que par conclusions du 7 mai 2011, les consorts [U], agissant en qualité de subrogés dans les droits de la société DIPP, avaient manifesté leur volonté de poursuivre l'instance engagée par cette dernière ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses constatations que la cession de créance en vertu de laquelle les consorts [U] déclaraient intervenir à la procédure n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, et qu'avant cette date, les consorts [U] ne pouvaient prétendre agir à l'égard des tiers en qualité de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 1690 du code civil ;
4°) ALORS, ENFIN, QUE seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences accomplies par les parties manifestant leur volonté de poursuivre la procédure ; que des conclusions par lesquelles une partie s'oppose à une demande de rétablissement d'une affaire au rôle ne manifeste pas la volonté de celle-ci de poursuivre l'instance, quand bien même elles comporteraient des demandes subsidiaires au fond ; que pour dire que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012, prises en réponse à l'intervention des consorts [U] pour la faire déclarer irrecevable, constituaient une diligence interruptive du délai de péremption, la cour d'appel a retenu que ces conclusions, qui portaient également, subsidiairement, sur le fond, manifestaient une volonté de leurs auteurs de poursuivre l'instance et de faire progresser l'affaire ; qu'en statuant de la sorte, quand la société [T] et son assureur avaient sollicité le prononcé de l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U], en faisant valoir que ces derniers n'étaient pas parties à l'instance et ne pouvaient dès lors solliciter le rétablissement de l'affaire, ce qui manifestait leur volonté de s'opposer au rétablissement de l'affaire, peu important qu'ils aient subsidiairement conclu sur le fond, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 4 du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La compagnie AXA FRANCE IARD et Me [Z] [I] font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'AVOIR déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, et d'AVOIR en conséquence condamné in solidum la société [T] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à payer à Monsieur [H] [U], Madame [J] [E] épouse [U], Monsieur [P] [G] [U], Madame [V] [G] [U] la somme globale de 749.947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'AVOIR condamné in solidum la société LOGAFRET, la MACIF et la société AXA FRANCE IARD, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA FRANCE IARD à relever et garantir la société LOGAFRET et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société TRANSPORTS BENOIST la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD, de la société LOGAFRET et de son assureur la MACIF, à la somme de 89.221,25 € correspondant à la somme restant due par la société TRANSPORTS BENOIST au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA FRANCE IARD, au titre des préjudices subis par la société DIP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA FRANCE IARD, cette dernière dans la limite de la somme de 13.622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD la somme de 14.372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société TRANSPORTS BENOIST la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur,
ALORS QUE le droit de retrait d'une cession de créance litigieuse ne peut être exercé lorsque la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de Monsieur [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de Monsieur [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec Monsieur [P] [G] [U] et Madame [V] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que les consorts [U] étaient tous créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1134 (devenu 1103) du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La compagnie AXA FRANCE IARD et Me [Z] [I] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum la société LOGAFRET, la MACIF et la société AXA FRANCE IARD, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA FRANCE IARD à relever et garantir la société LOGAFRET et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société TRANSPORTS BENOIST la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD, de la société LOGAFRET et de son assureur la MACIF, à la somme de 89.221,25 € correspondant à la somme restant due par la société TRANSPORTS BENOIST au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA FRANCE IARD, au titre des préjudices subis par la société DIP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA FRANCE IARD, cette dernière dans la limite de la somme de 13.622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD la somme de 14.372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société TRANSPORTS BENOIST la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD, à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur,
1°) ALORS QUE le transporteur peut s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur lui s'il démontre que le sinistre a pour cause un cas de force majeure, ou le fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en l'espèce, la société AXA FRANCE IARD et le liquidateur de la société TRANSPORTS BENOIST faisaient valoir qu'il résultait d'un rapport établi par Monsieur [S], régulièrement produit aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC (leurs conclusions d'appel, p. 18-20) ; qu'elles se prévalaient également d'un rapport établi à la demande de la société [T] par Monsieur [D] ayant similairement conclu que la cause du renversement de l'ensemble routier résidait dans la position du centre de gravité des marchandises entreposées dans le conteneur (p. 19) ; qu'en retenant que la société TRANSPORTS BENOIST était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, relative à la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, a concouru à la réalisation du dommage, sans examiner les pièces versées aux débats par les exposantes établissant que la vitesse du camion transportant la marchandise n'avait pas été à l'origine du sinistre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°) ALORS, AU SURPLUS, QUE la cour d'appel a retenu (arrêt attaqué, p. 23, 5ème et 6ème §) que sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière (arrêt, p. 18, 3ème §), « l'accident ne serait pas survenu », ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur de la société TRANSPORTS BENOIST n'avait en tout état de cause été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient ab initio été correctement entreposées dans l'ensemble routier ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et violé l'article L. 133-1 du code de commerce ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; que pour dire que la société TRANSPORTS BENOIST avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, la cour d'appel a retenu que le chauffeur de la société TRANSPORTS BENOIST, qui « avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse. Au lieu de cela, non seulement il a roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité » ; qu'en statuant par ces motifs, impropres à caractériser la commission par la société TRANSPORTS BENOIST d'une négligence grossière confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à accomplir la mission qu'il a contractuellement acceptée, la cour d'appel a violé l'article 1150 du code civil ;
4°) ALORS, EN OUTRE, QU'en retenant, pour retenir l'existence d'une faite lourde commise par le chauffeur de la société TRANSPORTS BENOIST, que ce dernier, qui « avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse. Au lieu de cela, non seulement il a roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité », quand il résultait de ses propres constatations (arrêt, p. 20, 3ème §) que l'expert avait exclu le rôle causal dans la survenance de l'accident de la surcharge du conteneur, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute lourde qu'aurait commise la société TRANSPORTS BENOIST, a violé l'article 1150 du code civil. Moyens produits au pourvoi provoqué et incident n° S 21-11.415 par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour les sociétés MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD, venant aux droits de la société Covea Fleet, et la société [T].
Premier moyen de cassation
La société [T] et ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles Mma Iard Sa, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption, et d'avoir déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société Dipp ;
Alors que 1°) le dépôt de conclusions sollicitant le rétablissement de l'affaire au rôle, et comportant des demandes au fond, ne peut avoir un effet interruptif du délai de péremption que s'il émane d'une partie à l'instance ; que pour dire que les conclusions déposées par les consorts [U] le 7 juin 2011, aux termes desquelles ces derniers prétendaient intervenir aux lieu et place de la société Dipp, qui avait engagé une action en responsabilité contre les acteurs d'une opération de transport, notamment la société Transports Benoist placée en liquidation judiciaire, et son assureur Axa France Iard, avaient interrompu le délai de péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu que par ces conclusions, les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile, mais de subrogés dans les droits et actions de la société Dipp, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer ; qu'en statuant de la sorte, quand l'acte par lequel les consorts [U], soutenant venir aux droits de la société Dipp en vertu d'une cession de créance conclue avec cette société, s'analysait en une intervention volontaire de sorte qu'à défaut d'avoir été pris conjointement au nom de la société cédante et des cessionnaires de la créance, il n'avait pu avoir un effet interruptif du délai de péremption, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble les articles 4 et 329 du même code ;
Alors que 2°) aux termes de leurs conclusions déposées le 7 juin 2011, les consorts [U] avaient indiqué intervenir volontairement à l'instance devant le tribunal de commerce du Mans ; que dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir être « intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de Dipp » (leurs conclusions d'appel, not. p. 11) ; qu'en retenant que les consorts [U] n'avaient pas agi en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile mais de subrogés dans les droits et actions de la société Dipp, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Alors que 3°) sous l'empire de l'article 1690 du code civil, applicable en la cause, la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; que pour infirmer le jugement entrepris ayant prononcé la péremption de l'instance engagée par la société Dipp par actes des 18 et 20 août 2009, la cour d'appel a retenu que par conclusions du 7 mai 2011, les consorts [U], agissant en qualité de subrogés dans les droits de la société Dipp, avaient manifesté leur volonté de poursuivre l'instance engagée par cette dernière ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses constatations que la cession de créance en vertu de laquelle les consorts [U] déclaraient intervenir à la procédure n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, et qu'avant cette date, les consorts [U] ne pouvaient prétendre agir à l'égard des tiers en qualité de subrogés dans les droits et actions de la société Dipp, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 1690 du code civil ;
Alors que 4°) seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences accomplies par les parties manifestant leur volonté de poursuivre la procédure ; que des conclusions par lesquelles une partie s'oppose à une demande de rétablissement d'une affaire au rôle ne manifeste pas la volonté de celle-ci de poursuivre l'instance, quand bien même elles comporteraient des demandes subsidiaires au fond ; qu'en considérant que, quand bien même les conclusions déposées le 14 mai 2012 pour les sociétés [T] et Covea Fleet avaient été prises en réponse à l'intervention des consorts [U] pour la faire déclarer irrecevable, elles venaient interrompre la péremption dans la mesure où il était conclu, « subsidiairement sur le fond » la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile.
Deuxième moyen de cassation
La société [T] et ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles Mma Iard Sa, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société Dipp, et d'avoir en conséquence condamné in solidum la société [T] et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer à Monsieur [H] [U], Madame [J] [E] épouse [U], Monsieur [P] [G] [U], Madame [V] [G] [U] la somme globale de 749.947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'avoir condamné in solidum la société Logafret, la Macif et la société Axa France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles et Mma Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'avoir condamné la société Axa France Iard à relever et garantir la société Logafret et la Macif des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances et Mma Iard, de la société Logafret et de son assureur la Macif, à la somme de 89.221,25 € correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société Axa France Iard, au titre des préjudices subis par la société DIP, d'avoir condamné in solidum la société Dic et la société Axa France Iard, cette dernière dans la limite de la somme de 13.622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés Mma Iard Assurances et Mma Iard la somme de 14.372,76 € HT, et d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur.
Alors que il appartient à celui qui se prévaut du droit de retrait de démontrer que la créance cédée est litigieuse et à celui qui s'oppose au retrait de démontrer que la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de Monsieur [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de Monsieur [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec Monsieur [P] [G] [U] et Madame [V] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, c'est-à-dire sans qu'il soit besoin pour chacun d'eux de démontrer qu'ils étaient titulaires d'une créance que la cession venait éteindre la cour d'appel a violé les articles 1134 (devenu 1103) et 1315 (devenu 1353) du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code.
Troisième moyen de cassation
La société [T] et ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles Mma Iard Sa, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnées in solidum à M. [H] [U], Mme [J] [E] épouse [U], M. [P] [G] [U] et Mme [V] [G] [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter du présent arrêt, et en ce qu'il a limité la garantie due par la Société Dic à la moitié de cette somme ;
Alors que 1°) la cassation à intervenir sur le troisième moyen du pourvoi principal entraînera, par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce que la société [T] a été condamnée à cette somme du fait de son substitué, la société Transport Benoist ;
Alors que 2°) en toute hypothèse, la responsabilité du commissionnaire de transport du fait de ses substitués ne peut être engagée que dans la mesure de leur propre responsabilité ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que la Société [T] n'était responsable que du fait de ses substitués, les sociétés Logafret et Transports Benoist, et n'était pas commissionnaire de transport vis-à-vis de Dic ; que la société Dic était responsable du dommage causé à hauteur de la moitié, la société Transports Benoist n'étant responsable que de la moitié ; qu'en condamnant cependant la Société [T] pour le tout, en ce compris la part de Dic, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et violé les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce.
Pourvoi incident
Quatrième moyen de cassation
La société [T] et ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles Mma Iard Sa, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation in solidum de la société Logafret, la Macif et la société Axa France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles et Mma Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens,
Alors que la responsabilité du commissionnaire de transport du fait de ses substitués ne peut être engagée que dans la mesure de leur propre responsabilité et, sauf faute personnelle, le commissionnaire doit être garanti par les transporteurs substitués dont la faute est retenue pour l'ensemble des sommes auxquelles il a été condamné ; qu'en considérant que la société [T] et ses assureurs pouvaient être condamnés pour l'entier dommage subi du fait de la faute de la société Transport Benoist et de la Société Logafret qui l'a affrété, mais en limitant la garantie de ceux-ci à la moitié seulement des condamnations prononcées, la cour d'appel a violé les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce ensemble l'article L. 133-1 du même code. Moyens produits au pourvoi principal n° D 21-17.705 par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) et la société Logafret.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption, et d'AVOIR déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, d'AVOIR en conséquence condamné in solidum la société [T] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'AVOIR condamné in solidum la société Logafret, la MACIF et la société AXA France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA France Iard à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 € correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA France Iard, au titre des préjudices subis par la société DIP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA France Iard, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard la somme de 14 372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur ;
1°) ALORS QUE seules les personnes qui ont pris l'initiative d'exercer l'action en élevant une prétention à leur profit, ou contre lesquelles l'acte introductif d'instance a été dirigé ont la qualité de parties à l'instance dont les diligences peuvent interrompre le délai de péremption ; qu'en jugeant, pour retenir que les conclusions des consorts [U] du 7 juin 2011 avaient interrompu le délai de péremption de l'instance introduite par la société DIPP, qu'ils agissaient en qualité de subrogés dans les droits et actions de celle-ci (arrêt, p. 16, al. 5), cependant qu'ils n'avaient, pour autant, pas la qualité de partie à l'instance radiée mais étaient des tiers devant y intervenir volontairement, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 329 du même code ;
2°) ALORS QU'aux termes de leurs conclusions du 7 juin 2011, les consorts [U] soutenaient intervenir à l'instance devant le tribunal de commerce aux lieu et place de la société DIPP (ces conclusions, p. 8) et, dans leurs conclusions d'appel, rappelaient qu'ils étaient « intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP » (ces conclusions, not. p. 11) ; qu'en jugeant, cependant, que les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires, la cour d'appel a dénaturé leurs conclusions et, ainsi, violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, sous l'empire de l'ancien article 1690 du code civil la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; qu'en jugeant que les conclusions du 7 juin 2011 des consorts [U] avaient interrompu le délai de péremption, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la cession de créance en vertu de laquelle ils prétendaient être subrogés dans les droits et actions de la société DIPP n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013 (arrêt, p. 5, al. 8), de sorte qu'ils n'avaient pas déposé leurs conclusions du 7 juin 2011 en cette qualité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'ancien article 1690 du code civil ;
4°) ALORS QUE seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences manifestant la volonté des parties de faire progresser l'affaire ; qu'en retenant, pour juger que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012 avaient également interrompu le délai de péremption, cependant qu'à titre principal, elles soulevaient l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U] en soutenant qu'ils ne pouvaient solliciter le rétablissement de l'affaire au rôle à défaut d'avoir la qualité de partie à l'instance, ce qui manifestait leur volonté qu'il soit mis fin à l'instance, peu important qu'elles aient conclu au fond, à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption, et d'AVOIR déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, d'AVOIR en conséquence condamné in solidum la société [T] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'AVOIR condamné in solidum la société Logafret, la MACIF et la société AXA France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA France Iard à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 € correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA France Iard, au titre des préjudices subis par la société DIPP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA France Iard, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard la somme de 14 372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur ;
1°) ALORS QUE le financement d'un compte courant d'associé ne confère pas la qualité de créancier de la société qui résulte de la qualité de titulaire du compte ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert, pourtant, au seul nom de M. [H] [U], dès lors qu'il avait également été alimenté par son épouse, quand cela ne faisait pas d'elle la créancière de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 1165, devenu 1199 du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code.
2°) ALORS QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que si la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert au seul nom de M. [H] [U], sa déclaration, avec son épouse, selon laquelle ce compte était indivis avec M. [P] et Mme [V] [G] [U] « suffis(ait) » sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers l'avaient également alimenté (arrêt, p. 18, al. 1er), la cour d'appel a, ce faisant, déchargé ces derniers de la charge de prouver leur qualité de créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1353 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum la société [T] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'AVOIR condamné in solidum la société Logafret, la MACIF et la société AXA France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA France Iard à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 € correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA France Iard, au titre des préjudices subis par la société DIPP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA France Iard, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard la somme de 14 372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur ;
1°) ALORS QUE le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en jugeant que la société Transports Benoist était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, résultant de la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, ait concouru à la réalisation du dommage (arrêt, p. 21, al. 1 et 2), sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée par la MACIF et la société Logafret, qui reprenaient à leur compte l'argumentation de la société Axa et du Me [I] (leurs conclusions, p. 8 et 9), s'il ne résultait pas du rapport de M. [S] versé aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC, conclusion à laquelle était également parvenu M. [D], dans un rapport établi à la demande de M. [T] (leurs conclusions, p. 18 à 20), de sorte que le sinistre provenait de l'erreur de la société DIC qui revêtait les caractéristiques de la force majeure, exonérant donc la société Transport Benoist de toute responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle constatait elle-même que, sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière (arrêt, p. 18, al. 3) « l'accident ne serait pas survenu » (p. 23, al. 5 et 6), ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur n'avait été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient été correctement entreposées dans le camion, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 133-1 du code de commerce ;
3°) ALORS QUE la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; qu'en retenant, pour juger que la société Transports Benoist avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, que le chauffeur, qui « avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse », au lieu de quoi, « non seulement il a(vait) roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a(vait) effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité » (arrêt, p. 22), la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute lourde du chauffeur, a violé l'article 1150 du code civil ;
4°) ALORS QUE la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle retenait, elle-même, que l'expert avait exclu le rôle causal dans la survenance de l'accident de la surcharge du conteneur (arrêt, p. 20, al. 3), de sorte qu'il ne pouvait être imputé à faute au chauffeur de ne pas avoir modifié sa conduite en raison du poids du chargement, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute lourde du chauffeur, a violé l'article 1150 du code civil. | Selon l'article 1701, 2°, du code civil, il n'y a pas lieu à retrait litigieux lorsque la cession a été faite à un créancier en paiement de ce qui lui était dû.
Ayant constaté que la cession d'une créance d'indemnisation par une société l'avait été pour rembourser aux cessionnaires une dette de cette société, constituée par un compte courant d'associés détenu indivisément par ceux-ci, la cour d'appel a déduit à bon droit que l'existence d'une créance antérieure à la cession faisait obstacle à l'exercice du retrait litigieux, peu important à cet égard que seuls certains titulaires du compte indivis y aient effectué des apports |
8,590 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 120 F-B
Pourvoi n° V 21-19.330
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société Coopérative Bourgogne, société civile agricole, dont le siège est [Adresse 2], pris en son établissement [Adresse 4], a formé le pourvoi n° V 21-19.330 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au Gaec du Petit Champ, groupement agricole d'exploitation en commun, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Jean-Jacques Deslorieux, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], mandataire judiciaire, prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan du Gaec du Petit Champ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Coopérative Bourgogne, de la SARL Cabinet Briard, avocat du Gaec du Petit Champ, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 10 juin 2021), un jugement du 28 mars 2017, publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales le 12 avril suivant, a mis en sauvegarde le Gaec du Petit Champ (le Gaec).
2. Conformément à l'article L. 622-6 du code de commerce, le Gaec a remis au mandataire judiciaire Ia liste de ses créanciers, sur laquelle figurait la société Coopérative Bourgogne (la Coopérative).
3. La créance de la Coopérative a été contestée par le Gaec, qui a fait valoir que le seul fait que ce créancier apparaisse sur la liste des créanciers ne valait pas déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, au sens de l'alinéa 3 de l'article L. 622-24 du code de commerce.
4. Le Gaec a bénéficié d'un plan de sauvegarde, la société Jean-Jacques Deslorieux étant nommée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La Coopérative fait grief à l'arrêt de dire qu'elle ne rapporte pas la preuve de la réception de sa déclaration de créance par le mandataire judiciaire, de dire que la liste des créanciers remise à ce mandataire par le Gaec ne vaut pas déclaration de créance faite pour son compte par le débiteur et de rejeter sa demande d'admission de créance, alors « que le débiteur qui a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, en précisant l'identité de son créancier et le montant de la créance, est présumé avoir déclaré cette créance pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance ; que pour considérer que la déclaration faite par le GAEC du Petit Champ ne pouvait valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, l'arrêt attaqué retient que la liste des créanciers remise à la SCP Deslorieux, datée du 28 mars 2017, ne comportait ni l'indication des sommes à échoir et la date de leur échéance, ni la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance était éventuellement assortie, ni les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'était pas arrêté ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que la liste des créanciers remise par le débiteur au mandataire judiciaire comportait "dans la colonne des créanciers fournisseurs la mention de la Coopérative Bourgogne du Sud, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir, de 422 493 euros", ce dont elle aurait dû déduire que les éléments essentiels de cette créance, à savoir son titulaire et son montant, avaient été portés à la connaissance du mandataire, ce qui valait déclaration de créance du GAEC du Petit Champ pour le compte de la Coopérative Bourgogne du Sud, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24 et R. 622-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 622-24, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 :
6. Il résulte de ce texte que la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du code de commerce, fait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire par le débiteur.
7. Pour rejeter la demande d'admission de sa créance formée par la Coopérative, l'arrêt énonce, d'abord, que, selon l'article R. 622-5, alinéa 3, du code de commerce, pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 622-24 susvisé, toute déclaration faite par le débiteur, dans le délai fixé par le premier alinéa de l'article R. 622-24 du même code, doit comporter les éléments prévus aux deux premiers alinéas de l'article L. 622-25 du même code et, le cas échéant, ceux prévus par le 2° de l'article R. 622-23 de ce code. Ensuite, après avoir constaté que la liste des créanciers du 28 mars 2017 remise par le Gaec à son mandataire judiciaire comporte, dans la colonne des créanciers fournisseurs, la mention de la Coopérative, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir de 422 493 euros, l'arrêt retient que cette liste ne comporte l'indication ni des sommes à échoir et de la date de leur échéance, ni de la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie, ni des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cependant qu'il n'est pas établi que le débiteur aurait fourni d'autres informations au mandataire judiciaire. L'arrêt en déduit que cette déclaration faite par le Gaec ne peut valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la liste des créanciers remise par le Gaec à son mandataire judiciaire comportait le nom de la Coopérative créancière ainsi que le montant de la créance de cette dernière, ce qui valait déclaration de créance effectuée par le débiteur pour le compte du créancier, dans la limite de ces informations, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables l'appel principal formé par le Gaec du Petit Champ et l'appel incident formé par la société Coopérative Bourgogne, l'arrêt rendu le 10 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne le Gaec du Petit Champ aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Coopérative Bourgogne.
La SCEA Coopérative Bourgogne du Sud fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'elle ne rapporte pas la preuve de la réception de sa déclaration de créance par la SCP Deslorieux, ès qualité de mandataire judiciaire, d'AVOIR dit que la liste des créanciers remise à la SCP Deslorieux par le GAEC du Petit Champ ne vaut pas déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier et l'AVOIR déboutée de sa demande d'admission de créance ;
Alors que le débiteur qui a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, en précisant l'identité de son créancier et le montant de la créance, est présumé avoir déclaré cette créance pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance ; que pour considérer que la déclaration faite par le GAEC du Petit Champ ne pouvait valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, l'arrêt attaqué retient que la liste des créanciers remise à la SCP Deslorieux, datée du 28 mars 2017, ne comportait ni l'indication des sommes à échoir et la date de leur échéance, ni la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance était éventuellement assortie, ni les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'était pas arrêté ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que la liste des créanciers remise par le débiteur au mandataire judiciaire comportait « dans la colonne des créanciers fournisseurs la mention de la Coopérative Bourgogne du Sud, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir, de 422 493 euros », ce dont elle aurait dû déduire que les éléments essentiels de cette créance, à savoir son titulaire et son montant, avaient été portés à la connaissance du mandataire, ce qui valait déclaration de créance du GAEC du Petit Champ pour le compte de la Coopérative Bourgogne du Sud, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24 et R. 622-5 du code de commerce. | Il résulte de l'article L. 622-24, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, que la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du code de commerce, fait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire par le débiteur.
En conséquence, viole ce texte la cour d'appel qui retient que la déclaration effectuée par un débiteur sur la liste de ses créanciers remise à son mandataire judiciaire ne peut valoir déclaration de créance faite pour le compte du créancier, aux motifs que cette liste ne comporte l'indication ni des sommes à échoir et de la date de leur échéance, ni de la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie, ni des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, alors qu'il résulte de ses propres constatations que la liste des créanciers comporte le nom du créancier ainsi que le montant de la créance de ce dernier, ce qui vaut déclaration de créance effectuée par le débiteur pour le compte du créancier, dans la limite de ces informations |
8,591 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 124 F-B
Pourvoi n° R 20-22.496
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société BBL transport, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-22.496 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Calsina carré France, société à responsabilité limitée, dont le siège est chez la société Aide inter entreprises, [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société BBL transport, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Calsina carré France, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 octobre 2020), la société CNI a confié à la société BBL transport (la société BBL) le transport de machines de refroidissement au départ de la France et à destination du Maroc. Le 12 avril 2013, cette dernière en a confié le transport à la société Calsina carré France (la société Calsina). Le 30 avril 2013, faisant état d'un défaut de paiement de son donneur d'ordre, elle lui a donné l'instruction de retenir la marchandise, laquelle est ainsi restée dans les entrepôts de la société Sonatrans, transitaire, à Casablanca (Royaume du Maroc).
2. Par un jugement du 14 octobre 2014, le tribunal de commerce de Meaux a condamné la société CNI à régler à la société BBL les frais de transport d'un montant de 9 725,50 euros. Par un jugement du 26 janvier 2015, le tribunal de commerce de Casablanca a ordonné à la société Kay Logistics, agent commercial de la société Calsina, de remettre les marchandises à leur destinataire.
3. Ayant réglé par voie de compensation la facture du 17 juillet 2015 établie par la société Kay Logistics à hauteur de 53 527,26 euros, au titre des frais de magasinage de la marchandise, et ayant vainement, le 27 août 2015, mis en demeure la société BBL de lui rembourser cette somme, la société Calsina a assigné cette dernière en paiement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. La société BBL fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a agi en qualité de transporteur, de dire que la demande de la société Calsina en remboursement de la facture d'un montant de 56 527,56 euros n'est pas prescrite et de la condamner à lui payer cette somme, alors « que la demande de remboursement d'une créance résultant du paiement par le transporteur à son agent commercial des frais d'entreposage engendrés par un droit de rétention exercé par son donneur d'ordre une fois le transport de la marchandise terminé ne relève pas du domaine d'application de la CMR ; que dès lors, en faisant application des dispositions de la CMR à la prescription de l'action exercée par la société Calsina contre la société BBL, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 32 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 sur le transport international de marchandises par route, dite CMR. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 32-1 de la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, la prescription des actions auxquelles peuvent donner lieu les transports soumis à la Convention est régie par les dispositions de celle-ci. Il s'ensuit que l'action en remboursement des frais d'entreposage de la marchandise, payés par un sous-traitant du transporteur à la suite du droit de rétention exercé sur les instructions du transporteur non réglé de ses frais de transport, se prescrit conformément aux dispositions de l'article 32 de la CMR.
7. Ayant relevé que la société BBL était assignée en qualité de transporteur, la cour d'appel a exactement retenu que l'action, exercée contre elle par la société Calsina, en paiement d'une somme correspondant au montant des frais qu'elle avait payés au titre du magasinage de la marchandise pendant toute la durée d'exercice du droit de rétention, mis en oeuvre sur les instructions de la société BBL, était soumise aux dispositions de l'article 32 de la CMR relatives à la prescription.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
9. La société BBL fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que faute de préciser sur quel fondement le délai de prescription de l'article 32 §1 de la convention CMR, qui prévoit que la prescription annale court à partir de l'expiration d'un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport, aurait été suspendu à l'égard de la société Calsina jusqu'au 17 juillet 2015, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 12, alinéa 1er du code de procédure civile ;
3°/ que selon l'article 2234 du code civil, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure ; qu'à supposer que la cause de suspension résulte de cette disposition, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les circonstances résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure qui auraient placé la société Calsina dans l'impossibilité absolue d'agir pour la préservation de ses droits dans le délai de prescription de l'article 32§1 de la CMR, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article précité. »
Réponse de la Cour
10. La suspension de la prescription des actions relatives aux contrats de transports internationaux de marchandises par route est régie, en vertu de l'article 32 de la CMR, par la loi du tribunal saisi et donc en l'espèce par l'article 2234 du code civil.
11. Ayant constaté que la marchandise avait été transportée de la France vers le Maroc et retenu que la société Calsina, qui avait assigné, le 2 janvier 2017, la société BBL en remboursement de la somme payée au titre des frais de magasinage de la marchandise pendant la durée d'exercice du droit de rétention, a été dans l'impossibilité d'agir pour avoir, de manière légitime et raisonnable, ignoré la naissance de son droit jusqu'au 17 juillet 2015, date d'émission de la facture correspondant à ces frais, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
13. La société BBL fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article 32§2 de la CMR, "une réclamation écrite suspend la prescription jusqu'au jour où le transporteur repousse la réclamation par écrit et restitue les pièces qui y étaient jointes" ; qu'il résulte de cette disposition que l'effet suspensif d'une réclamation écrite ne concerne que l'action contre le transporteur et non l'action du transporteur contre son donneur d'ordre ; qu'en déclarant recevable l'action en paiement introduite par la société Calsina au motif que la réclamation écrite qu'elle avait adressée à la société BBL le 27 août 2015 avait suspendu la prescription, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 32§2 de la CMR. »
Réponse de la Cour
14. Aux termes de l'article 32-2 de la CMR, une réclamation écrite suspend la prescription jusqu'au jour où le transporteur repousse la réclamation par écrit et restitue les pièces qui y étaient jointes.
15. Après avoir relevé que la société BBL avait la qualité de transporteur et que la société Calsina lui avait adressé une réclamation écrite, le 27 août 2015, aux termes de laquelle elle lui réclamait le paiement des frais de magasinage, et retenu que les courriels des 8 septembre et 8 décembre 2015 par lesquels la société BBL lui indiquait qu'elle avait transféré le dossier à son assureur, son avocat et sa direction générale ne constituaient pas un rejet de la réclamation au sens de l'article 32-2 de la CMR, la cour d'appel en a exactement déduit que la prescription interrompue par la réclamation du 27 août 2015 n'avait pas repris son cours avant le 2 janvier 2017, date de délivrance de l'assignation, de sorte que l'action n'était pas prescrite.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société BBL transport aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BBL transport et la condamne à payer à la société Calsina carré France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société BBL transport.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société BBL Transport fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'elle avait agi en qualité de transporteur, d'avoir dit que la demande de la société Calsina Carré France en remboursement de la facture d'un montant de 56 527,56 € n'était pas prescrite, de l'avoir condamnée à payer cette somme à la société Calsina Carré France et d'avoir ordonné la capitalisation des intérêts ;
1°) ALORS QUE celui qui, sans effectuer lui-même aucune opération matérielle de transport, se charge d'organiser le transport en recourant librement au transporteur assumant effectivement le déplacement des marchandises, a la qualité de commissionnaire de transport ; qu'en cas d'incertitude, la qualité de la personne sollicitée par un expéditeur pour se charger d'une opération de transport et qui n'opère pas elle-même matériellement ce transport dépend de la commune intention des parties au moment de la conclusion du contrat sans qu'on puisse a priori présumer sa qualité de transporteur ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société CNI a confié à la société BBL Transport, le transport de machines de refroidissement au départ de la France et à destination du Maroc et que la société BBL Transport, qui n'est pas intervenu dans le transport lui-même, a adressé, à son en-tête, à la société Calsina Carré France deux ordres de transport en date du 12 avril 2013 et son bon pour accord pour le chargement de deux camions depuis FR Lille vers Casablanca le 16 avril 2013 ; que l'arrêt attaqué relève encore que les opérations menées par la société BBL Transport pouvaient s'analyser comme un commissionnement de transport ; que dès lors, en retenant la qualité de transporteur, de préférence à celle de commissionnaire de transport, sans s'attacher à l'intention commune des parties au moment de la conclusion du contrat et bien qu'elle ait constaté que la société BBL Transport n'avait effectué aucune opération effective de transport et avait recouru librement à la société Calsina Carré France pour le faire, la cour d'appel s'est prononcée par une motivation inopérante à exclure la qualification de commissionnaire de transport et a violé les articles L. 132-3 et suivants, L. 133-1 et suivants du code de commerce, L. 1411-1 du code des transports et 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
2°) ALORS QUE la qualité de la personne sollicitée par un expéditeur pour se charger d'une opération de transport et qui n'opère pas elle-même matériellement ce transport, dépend de la commune intention des parties au moment de la conclusion du contrat ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que devant le tribunal de commerce de Meaux ayant donné lieu au jugement du 14 octobre 2014, la société BBL transport s'était présentée comme commissionnaire de transport et avait indiqué avoir organisé à la demande de la société CNI le transport des marchandises sans que cette qualité ne lui ait été contestée par son donneur d'ordre, ni discutée devant le tribunal ; qu'en jugeant néanmoins que la société BBL Transport devait être qualifiée de transporteur dans la présente procédure, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 132-3 et suivants, L. 133-1 et suivants du code de commerce, L. 1411-1 du code des transports et 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
3°) ALORS, en tout état de cause, QUE la demande de remboursement d'une créance résultant du paiement par le transporteur à son agent commercial des frais d'entreposage engendrés par un droit de rétention exercé par son donneur d'ordre une fois le transport de la marchandise terminé ne relève pas du domaine d'application de la convention CMR ; que dès lors, en faisant application des dispositions de la convention CMR à la prescription de l'action exercée par la société Calsina Carré France contre la société BBL Transport, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 32 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 sur le transport international de marchandises par route, dite CMR.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société BBL Transport fait grief à l'arrêt infirmatif d'avoir dit que la demande de la société Calsina Carré France en remboursement de la facture d'un montant de 56 527,56 € n'était pas prescrite, de l'avoir condamnée à payer cette somme à la société Calsina Carré France et d'avoir ordonné la capitalisation des intérêts ;
1°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour dire que l'action de la société Calsina Carré France n'était pas prescrite, l'arrêt attaqué retient que si l'article 32§1 de la CMR prévoit que la prescription court à partir de l'expiration d'un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport, ce délai a été en l'espèce suspendu jusqu'au jour où la société Calsina a eu connaissance de la créance à régler soit le 17 juillet 2015, date à laquelle son agent, la société Kay Logistics, lui a refacturé ces frais après les avoir réglés à la société Sonotrans, en sorte que la prescription avait commencé à courir le 17 juillet 2015 ; qu'en statuant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen tiré de la suspension de la prescription jusqu'au 17 juillet 2015, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE faute de préciser sur quel fondement le délai de prescription de l'article 32 §1 de la convention CMR, qui prévoit que la prescription annale court à partir de l'expiration d'un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport, aurait été suspendu à l'égard de la société Calsina Carré France jusqu'au 17 juillet 2015, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 12, alinéa 1er du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE selon l'article 2234 du code civil, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure ; qu'à supposer que la cause de suspension résulte de cette disposition, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les circonstances résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure qui auraient placé la société Calsina Carré France dans l'impossibilité absolue d'agir pour la préservation de ses droits dans le délai de prescription de l'article 32§1 de la convention CMR, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article précité ;
4°) ALORS en tout état de cause QU'aux termes de l'article 32§2 de la convention CMR, « une réclamation écrite suspend la prescription jusqu'au jour où le transporteur repousse la réclamation par écrit et restitue les pièces qui y étaient jointes » ; qu'il résulte de cette disposition que l'effet suspensif d'une réclamation écrite ne concerne que l'action contre le transporteur et non l'action du transporteur contre son donneur d'ordre ; qu'en déclarant recevable l'action en paiement introduite par la société Calsina Carré France au motif que la réclamation écrite qu'elle avait adressée à la société BBL Transport le 27 août 2015 avait suspendu la prescription , la cour d'appel a violé par fausse application l'article 32§2 de la convention CMR. | Aux termes de l'article 32-1 de la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, la prescription des actions auxquelles peuvent donner lieu les transports soumis à la Convention est régie par les dispositions de celle-ci. Il s'ensuit que l'action en remboursement des frais d'entreposage de la marchandise, payés par un sous-traitant du transporteur à la suite du droit de rétention exercé sur les instructions du transporteur non réglé de ses frais de transport se prescrit conformément aux dispositions de l'article 32 de la CMR |
8,592 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 125 F-B
Pourvoi n° A 21-16.874
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société H2A Télémarketing, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-16.874 contre l'arrêt rendu le 19 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Otis, société en commandite simple, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société H2A Télémarketing, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Otis, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2021), le 28 octobre 2010, la société Otis, ascensoriste, a conclu avec la société H2A Télémarketing (la société H2A), qui gère des centres d'appels, un contrat portant sur la prise en charge, par cette dernière, des appels effectués sur la ligne mise en place par la première, dédiée aux cas de dysfonctionnement ou de pannes d'ascenseur.
2. Invoquant des écarts significatifs entre le nombre d'appels traités et ceux facturés, la société Otis a cessé de payer les factures à compter du mois de mai 2013.
3. La société H2A l'a assignée en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. La société H2A fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution du contrat du 28 octobre 2010 à ses torts, de la condamner à verser à la société Otis une somme de 269 096,06 euros après compensation et de rejeter sa demande de dommages et intérêts, alors « que la restitution en valeur d'une prestation accomplie sur le fondement d'un contrat résolu doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée générée par cette prestation ; qu'au cas présent, pour calculer la valeur des prestations devant être restituées à la société H2A, la cour d'appel a évalué à 0,80 € par appel la gestion de chaque appel pris en charge ; qu'en statuant ainsi, en omettant la taxe sur la valeur ajoutée, qui aurait dû la conduire à appliquer une valeur de 0,96 € (0,80 + 20 %), la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. La société Otis conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit.
7. Cependant, la société H2A, qui ne réclamait devant la cour d'appel que le paiement de ses factures impayées, n'envisageait ni la résolution du contrat ni, dès lors, l'éventualité de remboursements ou d'évaluation des services rendus.
8. La critique étant donc née de l'arrêt attaqué, le moyen est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 256 du code général des impôts :
9. Il résulte du premier de ces textes qu'en cas de résolution du contrat les parties doivent être remises en l'état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion.
10. Il résulte de la combinaison de ces deux textes que la restitution en valeur d'une prestation accomplie sur le fondement d'un contrat résolu doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle cette prestation est assujettie.
11. Pour condamner la société H2A à verser à la société Otis une certaine somme après compensation, l'arrêt évalue la contrepartie financière des prestations correctement accomplies par la société H2A en retenant, en premier lieu, le nombre d'appels facturables, en second lieu, le coût proposé par la société Otis pour chacun de ceux-ci, soit 0,80 euro par appel après exclusion des rémunérations forfaitaires et de la marge bénéficiaire à laquelle la société H2A aurait pu prétendre si la résolution du contrat ne l'en avait pas privée.
12. En se déterminant ainsi, alors que, constituant la contrepartie d'une prestation de services individualisée rendue à celui qui l'avait versée, cette indemnité était assujettie à la TVA, de sorte qu'il lui appartenait de préciser si ce coût de 0,80 euro par appel incluait la taxe sur la valeur ajoutée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société H2A Télémarketing à payer à la société Otis, après compensation, la somme de 269 096,06 euros, l'arrêt rendu le 19 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Otis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Otis et la condamne à payer à la société H2A Télémarketing la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société H2A Télémarketing.
La société H2A Telemarketing fait grief à la décision attaquée d'avoir prononcé la résolution du contrat du 28 octobre 2010 à ses torts, de l'avoir condamnée à verser à la société Otis une somme de 269 096,06 € après compensation et de l'avoir déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;
alors 1/ que le juge ne peut faire droit à une demande en résolution judiciaire formée après que le contrat a pris fin entre les parties ; qu'au cas présent, la société H2A Telemarketing a, par lettre du 27 juin 2013, dénoncé le contrat du 28 octobre 2010 avec effet au 27 septembre 2013, ce dont la société Otis a pris acte par courrier du 16 septembre 2013 ; qu'en prononçant la résolution du contrat du 28 octobre 2010, qui n'était plus en vigueur entre les parties au jour où la demande a été formée, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
alors 2/ que la résolution judiciaire d'un contrat de services à exécution successive n'a d'effet que pour l'avenir si les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat ; qu'au cas présent, le contrat du 28 octobre 2010 prévoyait que la société H2A Telemarketing traiterait les appels d'utilisateurs d'ascenseurs Otis moyennant une rémunération mensuelle ; qu'il s'en évince que les prestations échangées sur le fondement du contrat ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de leur exécution et que la résolution du contrat ne pouvait opérer que pour l'avenir ; qu'en conférant pourtant un effet rétroactif à la résolution du contrat du 28 octobre 2010, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
alors 3/ que la restitution en valeur d'une prestation accomplie sur le fondement d'un contrat résolu doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée générée par cette prestation ; qu'au cas présent, pour calculer la valeur des prestations devant être restituées à la société H2A Telemarketing, la cour d'appel a évalué à 0,80 € par appel la gestion de chaque appel pris en charge ; qu'en statuant ainsi, en omettant la taxe sur la valeur ajoutée, qui aurait dû la conduire à appliquer une valeur de 0,96 € (0,80 + 20 %), la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016. | Il résulte de la combinaison de l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article 256 du code général des impôts que la restitution en valeur d'une prestation accomplie sur le fondement d'un contrat résolu doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à laquelle cette prestation est assujettie |
8,593 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 128 FS-B
Pourvoi n° X 21-13.536
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société Kirow Adelt GmbH, dont le siège est [Adresse 6] (Allemagne), a formé le pourvoi n° X 21-13.536 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Travaux ferroviaires français, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Deutsche Leasing France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Kirow Adelt GmbH, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Travaux ferroviaires français, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Deutsche Leasing France, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 18 novembre 2020), par une offre du 14 avril 2015 acceptée le 30 juin 2015, la société Travaux ferroviaires français (la société TFF) a commandé à la société de droit allemand Kirow Adelt GmbH (la société Kirow) une grue ferroviaire.
2. Par une lettre du 7 juillet 2015, la société Kirow a accepté les termes de cette commande. Cette « confirmation de commande » comportait la mention suivante : « Conditions de livraison : les prix indiqués ci-avant s'entendent sur la base de livraison EXW Leipzig suivant les conditions Incoterms 2010, hors TVA. »
3. Pour financer l'achat de la grue, la société TFF a souscrit, le 23 septembre 2016, un contrat de crédit-bail auprès de la société Deutsche Leasing France (la société Deutsche LF), lequel se référait à cette « confirmation de commande. »
4. Le 22 décembre 2016, la société Deutsche LF (le crédit-bailleur) a adressé une « confirmation de commande » au vendeur, la société Kirow.
Y figuraient les mentions suivantes : « Nous vous passons ainsi commande de ce matériel en vue de sa livraison à notre locataire conformément aux dispositions et aux conditions ci-après. L'acceptation sans réserve de ces conditions nonobstant toutes clauses contraires de vente conditionne la validité de la présente commande. » et « Délai de livraison : la livraison du matériel s'entend de sa réception par le locataire dans ses locaux. Sauf dérogation expresse et écrite, la date limite de livraison prévue est impérative. »
5. La grue a été livrée en mars 2017 et la société Kirow a établi une facture à l'ordre de la société Deutsche LF le 30 mars 2017.
6. Alléguant un défaut de conformité aux normes de sécurité constaté après le basculement de la grue lors de son utilisation sur un chantier, la société TFF, bénéficiant contractuellement d'un mandat conféré par le crédit-bailleur, a assigné la société Kirow, en présence de la société Deutsche LF, devant le tribunal de commerce de Val de Briey, aux fins de prononcer la résolution judiciaire de la vente et de condamner la société Kirow au remboursement intégral du prix, au paiement de l'indemnité forfaitaire de 10 % du prix d'achat prévue au contrat de crédit-bail et de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
7. La société Kirow a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie au profit des juridictions allemandes.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur ce moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. La société Kirow fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Val de Briey pour connaître du litige l'opposant aux sociétés Deutsche LF et TFF et de confirmer la compétence de ce tribunal pour en connaître, alors « qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière contractuelle, s'agissant d'une vente de marchandises, devant le tribunal du lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ; que si ce lieu est en principe celui stipulé au contrat liant les parties, en cas de divergence avec le lieu matériel effectif de livraison, ce dernier doit prévaloir ; qu'en l'espèce, en estimant que le lieu de livraison du contrat de vente entre la société Kirow et la société Deutsche Leasing France était le siège social de la société TFF dans la mesure où la confirmation de commande définissait "la livraison comme la réception par le locataire en ses locaux, ce qui implique que le lieu de livraison "en vertu du contrat" est situé au siège de la société TFF", tout en constatant que la "livraison [av]ait été matériellement réalisée en un autre lieu, la grue ayant en effet été acheminée à [Localité 3], puis à [Localité 5] et enfin à [Localité 4]" (op. cit. loc. cit.), la cour d'appel a violé l'article 7, 1), b) du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article 7, 1), b) du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en matière de vente de marchandises, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite devant le tribunal du lieu où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées.
11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat, qu'afin de vérifier si le lieu de livraison est déterminé « en vertu du contrat », la juridiction nationale saisie doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinents de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms (« international commercial terms »), élaborés par la Chambre de commerce internationale, que s'il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est alors celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l'acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l'opération de vente. (CJUE, Car Trim, 25 février 2010, C-381/08 et Electrosteel Europe, 9 juin 2011, C-87/10).
12. En conséquence, le moyen, qui repose sur le postulat erroné selon lequel, en cas de divergence entre le lieu de livraison stipulé au contrat liant les parties et le lieu matériel effectif de livraison, ce dernier doit prévaloir, n'est pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. La société Kirow fait le même grief à l'arrêt, alors « que le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, la société Kirow contestait être liée par la "confirmation de commande" du 22 décembre 2016 invoquée par la société Deutsche Leasing, dès lors qu'elle ne l'avait pas signée ; en outre, elle rappelait que le contrat de crédit-bail faisait expressément référence à la commande initiale passée entre la société TFF et la société Kirow et stipulait que le crédit-preneur choisissait librement notamment les conditions de livraison et enfin, elle faisait valoir que la facture adressée à la société Deutsche Leasing France comportait l'incoterm EXW Leipzig ; qu'en décidant néanmoins que la société Kirow était liée par les termes de la "confirmation de commande" du 22 décembre 2016 relatifs au "délai de livraison", énonçant que "la livraison du matériel s'entend de sa réception par le locataire dans ses locaux" et comportant uniquement la signature de la société Deutsche Leasing France, aux seuls motifs qu'elle aurait "expressément accepté la substitution de débiteur, en signant, le 30 mars 2017, avec les sociétés intimées la délégation imparfaite de paiement, en application de l'article 1275 ancien du code civil, jointe à cette confirmation de commande, aux termes de laquelle elle a notamment accepté la substitution de la société Deutsche Leasing France à la société TFF dans son obligation de paiement du prix, et d'autre part, elle a exécuté le contrat en livrant le matériel et en adressant, le 30 mars 2017, sa facture à la société Deutsche Leasing France", la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser le consentement de la société Kirow à une fixation du lieu de livraison de la grue au siège social de la société TFF, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1113 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1113 du code civil :
14. Aux termes de ce texte, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager. Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur.
15. Pour rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Kirow, l'arrêt relève qu'à la suite de l'offre de vente du 14 avril 2015 ayant fait l'objet d'une commande émise par la société TFF le 30 juin 2015 et acceptée par la société Kirow le 7 juillet 2015, la société TFF a ensuite souscrit auprès de la société Deutsche LF un contrat de crédit-bail faisant expressément référence à cette commande C/15.06/SL/Kirov01 du 30 juin 2015.
16. Il constate encore que, par une lettre du 22 décembre 2016 intitulée « confirmation de commande », le crédit-bailleur a informé la société Kirow qu'il se substituait à la société TFF pour l'acquisition de la grue ferroviaire et lui a passé commande du matériel.
17. Il retient qu'aux termes de cette « confirmation de commande », qui stipulait expressément que sa validité était conditionnée à une acceptation sans réserve de ses conditions, y compris celles différant des conditions initialement convenues avec la société TFF, la livraison du matériel s'entendait de sa réception par le locataire dans ses locaux et que la société Kirow a expressément accepté la substitution de débiteur en signant, le 30 mars 2017, la délégation imparfaite de paiement jointe à cette « confirmation de commande » et en exécutant le contrat, par la livraison du matériel et l'envoi, le 30 mars 2017, de sa facture à la société Deutsche LF.
18. Il en déduit que toutes les dispositions et conditions de la commande du 22 décembre 2016 sont opposables à la société Kirow et qu'en conséquence le lieu de livraison « en vertu du contrat » est situé au siège de la société TFF.
19. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'acceptation par le vendeur de la clause intitulée « délai de livraison » figurant dans un document non signé par lui, tout en constatant que le contrat de crédit-bail se référait expressément à la commande initiale ayant lié le vendeur et la société TFF et que la facture de la société Kirow reprenait la mention de l'incoterm EXW figurant dans le document « acceptation de la commande » envoyé à la société TFF par la société Kirow le 7 juillet 2015, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy autrement composée ;
Condamne les sociétés Travaux ferroviaires français et Deutsche Leasing France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Travaux ferroviaires français et Deutsche Leasing France et les condamne in solidum à payer à la société Kirow Adelt GmbH la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société Kirow Adelt GmbH.
La société Kirow Ardelt GmbH reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Val de Briey pour connaître du litige l'opposant aux sociétés Deutsche Leasing SAS et Travaux Ferroviaires Français et d'avoir confirmé la compétence de ce tribunal pour en connaître ;
1°) ALORS QUE le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, la société Kirow contestait être liée par la « confirmation de commande » du 22 décembre 2016 invoquée par la société Deutsche Leasing, dès lors qu'elle ne l'avait pas signée (cf conclusions, p. 16, § 1) ; en outre, elle rappelait que le contrat de crédit-bail faisait expressément référence à la commande initiale passée entre la société TFF et la société Kirow et stipulait que le crédit-preneur choisissait librement notamment les conditions de livraison (cf p. 15) et enfin, elle faisait valoir que la facture adressée à la société Deutsche Leasing France comportait l'incoterm EXW Leipzig ; qu'en décidant néanmoins que la société Kirow était liée par les termes de la « confirmation de commande » du 22 décembre 2016 relatifs au « délai de livraison », énonçant que « la livraison du matériel s'entend de sa réception par le locataire dans ses locaux » et comportant uniquement la signature de la société Deutsche Leasing France, aux seuls motifs qu'elle aurait « expressément accepté la substitution de débiteur, en signant, le 30 mars 2017, avec les sociétés intimées la délégation imparfaite de paiement, en application de l'article 1275 ancien du code civil, jointe à cette confirmation de commande, aux termes de laquelle elle a notamment accepté la substitution de la société Deutsche leasing France à la société TFF dans son obligation de paiement du prix, et d'autre part, elle a exécuté le contrat en livrant le matériel et en adressant, le 30 mars 2017, sa facture à la société Deutsche Leasing France » (cf arrêt, p. 10, § 5), la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser le consentement de la société Kirow à une fixation du lieu de livraison de la grue au siège social de la société TFF, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1113 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le juge ne peut refuser d'interpréter, en recherchant la volonté des parties, une clause contractuelle ambigüe ; qu'est ambigüe la portée de la clause, insérée dans une « confirmation de commande » émanant du crédit-bailleur, intitulée « délai de livraison », stipulant que « la livraison du matériel s'entend de sa réception par le locataire dans ses locaux (
) la date limite de livraison prévue est impérative », en particulier lorsqu'une telle clause est contredite par d'autres éléments de la cause, comme la précédente commande émanant du crédit-preneur ainsi que la facture adressée par le vendeur au crédit-bailleur, mentionnant une vente « ex works » ; qu'en décidant, dans ce contexte, qu'en vertu de la clause « délai de livraison » dont elle a estimé qu'elle n'était pas sujette à interprétation, le lieu de livraison était situé au siège social de la société TFF, dès lors que cette clause définit la livraison comme la réception par le locataire en ses locaux, la cour d'appel, qui a refusé d'interpréter une clause ambigüe, a violé l'article 1103 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°) ALORS, TRES SUBSIDIAIREMENT, QU'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière contractuelle, s'agissant d'une vente de marchandises, devant le tribunal du lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ; que si ce lieu est en principe celui stipulé au contrat liant les parties, en cas de divergence avec le lieu matériel effectif de livraison, ce dernier doit prévaloir ; qu'en l'espèce, en estimant que le lieu de livraison du contrat de vente entre la société Kirow et la société Deutsche Leasing France était le siège social de la société TFF dans la mesure où la confirmation de commande définissait « la livraison comme la réception par le locataire en ses locaux, ce qui implique que le lieu de livraison "en vertu du contrat" est situé au siège de la société TFF » (arrêt, p. 11, § 1), tout en constatant que la « livraison [av]ait été matériellement réalisée en un autre lieu, la grue ayant en effet été acheminée à [Localité 3], puis à [Localité 5] et enfin à [Localité 4] » (op. cit. loc. cit.), la cour d'appel a violé l'article 7, 1), b) du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. | Selon l'article 7, 1, b), du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en matière de vente de marchandises, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite devant le tribunal du lieu où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées.
Il en résulte qu'en cas de divergence entre le lieu stipulé au contrat et le lieu matériel effectif de livraison, c'est le premier qui doit prévaloir |
8,594 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 129 FS-B
Pourvoi n° S 21-17.763
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [T].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 1er avril 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [I] [T], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° S 21-17.763 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ au Trésor public, dont le siège est [Adresse 2], représenté par le service des impôts des particuliers de Saint-Quentin Est,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [T], de la SCP Marc Lévis, avocat de la société BNP Paribas, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mmes Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 décembre 2020), par deux actes notariés du 30 juillet 2004, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à M. [T] des prêts destinés à l'acquisition d'un immeuble constituant sa résidence principale et garantis par un privilège de prêteur de deniers ainsi qu'une hypothèque conventionnelle.
2. Par un acte notarié du 15 mai 2009, M. [T] a effectué une déclaration d'insaisissabilité de cet immeuble, qui a été publiée.
3. La banque a prononcé la déchéance du terme des prêts le 17 octobre 2011.
4. Les 10 mai et 7 juin 2012, M. [T] a été mis en redressement puis liquidation judiciaires. Le 12 juin 2012, la banque a déclaré au passif ses créances au titre des prêts. Ces créances ont été admises par des ordonnances du 7 novembre 2013.
5. La banque a délivré à M. [T] un commandement de payer valant saisie immobilière le 8 août 2014, puis l'a assigné à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, afin que soit ordonnée la vente forcée de l'immeuble.
6. M. [T] s'est opposé à cette mesure d'exécution forcée en soulevant, à titre principal, la prescription de l'action de la banque et, subsidiairement, le caractère non exigible de la créance, en se prévalant, notamment, du caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans les prêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. M. [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa contestation relative à la prescription des créances de la banque et, en conséquence, de fixer le montant des créances de cette dernière aux sommes de 135 949,62 et 17 930,35 euros, outre les intérêts, et d'ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière, alors :
« 1°/ que la déclaration d'une créance au passif d'une procédure collective qui a un effet interruptif de la prescription de l'action en paiement sur le gage commun, est sans effet sur la prescription applicable au créancier en ce qu'il entend exercer ses droits sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui ne lui est pas opposable, en marge de la procédure collective de l'entrepreneur individuel, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière ; qu'en jugeant au contraire que la déclaration de ses créances au passif de la procédure collective de M. [T], effectuée par la BNP Paribas le 12 juin 2012, avait interrompu la prescription de l'action que la banque pouvait engager, en marge de la procédure collective, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière, sur la résidence principale de M. [T], objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui ne lui était pas opposable, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;
2°/ que dès lors qu'il peut agir sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui est inopposable, qu'il peut saisir en marge de la procédure collective, et que ses droits sur cet immeuble sont indépendants de ses droits dans la procédure collective, le créancier ne peut bénéficier d'aucune interruption et suspension de la prescription de son action sur cet immeuble du fait de sa déclaration de créance ; qu'en jugeant au contraire que la prescription de l'action de la BNP Paribas sur l'immeuble de M. [T] objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui était inopposable était interrompue par la déclaration de créances de la banque le 12 juin 2012 puis suspendue jusqu'à la décision d'admission des créances le 7 novembre 2013, de sorte que la prescription n'était pas acquise lors de la délivrance du commandement valant saisie le 8 août 2014, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;
3°/ dans un mémoire distinct et motivé, M. [T] a contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la portée effective conférée aux articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce, par l'interprétation jurisprudentielle selon laquelle l'effet interruptif, attaché à la déclaration de créance, de la prescription de l'action du créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité est inopposable sur l'immeuble objet de cette déclaration, se prolonge jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission ou, lorsque aucune décision n'a statué sur cette demande d'admission, jusqu'à la clôture de la procédure collective, ce qui porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi consacré par les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, entraînera par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique. »
Réponse de la Cour
8. En premier lieu, contrairement à ce que postule le moyen en ses première et deuxième branches, il résulte des articles L. 526-1, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 juin 2010 applicable en la cause, et L. 622-24 de ce code que, si un créancier inscrit à qui est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur peut faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble et use de la faculté de déclarer sa créance au passif de la procédure collective du débiteur, il bénéficie de l'effet interruptif de prescription attaché à sa déclaration de créance, cet effet interruptif se prolongeant jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission, dès lors que ce créancier n'est pas dans l'impossibilité d'agir sur l'immeuble au sens de l'article 2234 du code civil.
9. En second lieu, la Cour de cassation ayant, par un arrêt n° 908 F-D du 8 décembre 2021, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [T], le moyen, pris en sa troisième branche, est sans portée.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses contestations relatives aux créances de la banque et, en conséquence, de fixer le montant des créances de cette dernière aux sommes de 135 949,62 et 17 930,35 euros, outre les intérêts, et d'ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière, alors « que les droits du créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable étant indépendants de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble, la décision d'admission ou de rejet de la créance de ce créancier au passif de la procédure collective n'a pas autorité de la chose jugée dans la procédure de saisie immobilière conduite en marge de la procédure collective et dans le cadre de laquelle il appartient au juge de l'exécution de fixer le montant de la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'en retenant néanmoins que M. [T] était irrecevable à contester le montant des créances de la banque au motif que "(l)es décisions (d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure de liquidation judiciaire de M. [T]) (avaient) autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fix(aient), la procédure de saisie immobilière ayant à cet égard le même objet de fixation de la créance du poursuivant", la cour d'appel a violé les articles L. 526-1 du code de commerce et L. 213-6, R. 322-15 et R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
12. La décision d'admission d'une créance au passif de la procédure collective d'un débiteur a, en principe, autorité de la chose jugée sur l'existence, la nature et le montant de la créance admise. Cette autorité s'impose en particulier au juge de l'exécution statuant à l'audience d'orientation qui se tient en cas de saisie immobilière initiée par un créancier auquel est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur et qui peut donc faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble, l'audience d'orientation ayant notamment pour objet, à l'instar de la procédure d'admission, de constater le principe de la créance du créancier poursuivant et d'en mentionner le montant retenu.
13. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
14. Il est statué sur ce moyen après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Enoncé du moyen
15. M. [T] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, le juge est tenu d'examiner, au besoin d'office, les clauses dont le caractère abusif est allégué ; qu'en retenant que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure collective de M. [T] l'empêchaient d'examiner le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée du contrat de prêt servant de fondement aux poursuites, quand elle était tenue d'examiner cette question sur laquelle le juge-commissaire ne s'était pas prononcé, la cour d'appel a violé les articles R. 632-1 du code de la consommation, issu de la directive 93/13 du 5 avril 1993, et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation :
16. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
17. Selon le second de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
18. Par un arrêt du 26 janvier 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que, dans l'hypothèse où, lors d'un précédent examen d'un contrat litigieux ayant abouti à l'adoption d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, le juge national s'est limité à examiner d'office, au regard de la directive 93/13 susvisée, une seule ou certaines des clauses de ce contrat, cette directive impose à un juge national d'apprécier, à la demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif des autres clauses dudit contrat (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14).
19. En outre, par un arrêt du 4 juin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l'ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d'être interprétée en conformité avec la directive 93/13 sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale. À défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette directive, les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d'instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s'opposent à un tel examen (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Médius, C-495/19).
20. Il résulte d'un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en grande chambre le 17 mai 2022, que l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale qui, en raison de l'effet de l'autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d'examiner d'office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d'une procédure d'exécution hypothécaire ni au consommateur, après l'expiration du délai pour former opposition, d'invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l'objet, lors de l'ouverture de la procédure d'exécution hypothécaire, d'un examen d'office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l'exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l'existence de cet examen ni n'indique que l'appréciation portée par ce juge à l'issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l'absence d'opposition formée dans ledit délai (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, C-600/19 Ibercaja Banco).
21. Il résulte en outre d'un arrêt rendu le même jour que ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu'une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d'un créancier n'a pas fait l'objet d'une opposition formée par le débiteur, le juge de l'exécution ne peut pas, au motif que l'autorité de la chose jugée dont cette injonction est revêtue couvre implicitement la validité de ces clauses, excluant tout examen de la validité de ces dernières, ultérieurement, contrôler l'éventuel caractère abusif des clauses du contrat qui ont servi de fondement à ladite injonction (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, affaires jointes C-693/19 SPV Project 503 Srl, et C-831/19 Banco di Desio e della Brianza e.a.).
22. Il s'en déduit que l'autorité de la chose jugée d'une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d'une procédure collective, résultant de l'article 1355 du code civil et de l'article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l'obligation incombant au juge national de procéder à un examen d'office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles.
23. Il en découle que le juge de l'exécution, statuant lors de l'audience d'orientation, à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen.
24. Il en résulte qu'un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d'un prêt immobilier, qu'il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l'occasion de la procédure de saisie immobilière d'un bien appartenant à ce débiteur, mise en oeuvre par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d'une ou plusieurs clauses de l'acte de prêt notarié dès lors qu'il ressort de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge ne s'est pas livré à cet examen.
25. Pour rejeter la contestation de M. [T], qui soutenait que la créance de la banque n'était pas liquide et exigible, au motif que la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans chacun des prêts était abusive, au sens des articles L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation, l'arrêt retient que, les décisions d'admission des créances du 7 novembre 2013 ont autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fixent, que celui-ci, débiteur convoqué à l'audience du juge-commissaire pour qu'il soit statué sur ses contestations, se présente en la même qualité devant le juge de l'exécution statuant en saisie immobilière que devant le juge-commissaire, et il relève que, devant ce juge, le débiteur n'a formulé aucune observation concernant la première créance et qu'il n'a pas davantage contesté la seconde. L'arrêt en déduit que les moyens développés par M. [T] pour contester la validité de certaines clauses des contrats de prêts, en particulier celle portant exigibilité anticipée de ceux-ci, sont inefficaces pour remettre en cause la procédure de saisie immobilière.
26. En statuant ainsi, après avoir constaté que, dans ses décisions d'admission, le juge-commissaire n'avait pas examiné, à la demande de M. [T] ou d'office, le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée des prêts notariés fondant la saisie immobilière litigieuse, de sorte qu'il appartenait au juge de l'exécution, saisi d'une contestation formée sur ce point pour la première fois devant lui par M. [T] lors de l'audience d'orientation, de procéder à cet examen, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société BNP Paribas aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société BNP Paribas à payer à la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui, par Mme Vaissette, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, et par Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [T].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [I] [T] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR rejeté ses contestations et demandes incidentes, notamment celles tirée de la prescription de la créance de la BNP Paribas, d'AVOIR en conséquence fixé le montant des créances de la BNP Paribas, arrêtées au 30 juin 2014, aux sommes respectives de 135 949,62 euros, outre intérêts au taux de 7,60 % et de 17 930,35 euros, outre intérêts au taux de 6,30 % à compter de cette date, et d'AVOIR en conséquence ordonné la poursuite de la procédure de saisie-immobilière sur ses biens immobiliers situés à [Localité 4], par vente amiable ou, à défaut, vente forcée ;
1° ALORS QUE la déclaration d'une créance au passif d'une procédure collective qui a un effet interruptif de la prescription de l'action en paiement sur le gage commun, est sans effet sur la prescription applicable au créancier en ce qu'il entend exercer ses droits sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui ne lui est pas opposable, en marge de la procédure collective de l'entrepreneur individuel, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière ; qu'en jugeant au contraire que la déclaration de ses créances au passif de la procédure collective de M. [T], effectuée par la BNP Paribas le 12 juin 2012, avait interrompu la prescription de l'action que la banque pouvait engager, en marge de la procédure collective, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière, sur la résidence principale de M. [T], objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui ne lui était pas opposable, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;
2° ALORS QUE dès lors qu'il peut agir sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui est inopposable, qu'il peut saisir en marge de la procédure collective, et que ses droits sur cet immeuble sont indépendants de ses droits dans la procédure collective, le créancier ne peut bénéficier d'aucune interruption et suspension de la prescription de son action sur cet immeuble du fait de sa déclaration de créance ; qu'en jugeant au contraire que la prescription de l'action de la BNP Paribas sur l'immeuble de M. [T] objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui était inopposable était interrompue par la déclaration de créances de la banque le 12 juin 2012 puis suspendue jusqu'à la décision d'admission des créances le 7 novembre 2013, de sorte que la prescription n'était pas acquise lors de la délivrance du commandement valant saisie le 8 août 2014, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;
3° ALORS QUE dans un mémoire distinct et motivé, M. [T] a contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la portée effective conférée aux articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce, par l'interprétation jurisprudentielle selon laquelle l'effet interruptif, attaché à la déclaration de créance, de la prescription de l'action du créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité est inopposable sur l'immeuble objet de cette déclaration, se prolonge jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission ou, lorsque aucune décision n'a statué sur cette demande d'admission, jusqu'à la clôture de la procédure collective, ce qui porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi consacré par les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, entraînera par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
(subsidiaire)
M. [I] [T] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables ses contestations relatives aux créances de la BNP Paribas, d'AVOIR en conséquence fixé le montant des créances de la BNP Paribas, arrêtées au 30 juin 2014, aux sommes respectives de 135 949,62 euros, outre intérêts au taux de 7,60 % et de 17 930,35 euros, outre intérêts au taux de 6,30 % à compter de cette date, et d'AVOIR en conséquence ordonné la poursuite de la procédure de saisie-immobilière sur ses biens immobiliers situés à [Localité 4], par vente amiable ou, à défaut, vente forcée ;
1° ALORS QUE les droits du créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable étant indépendants de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble, la décision d'admission ou de rejet de la créance de ce créancier au passif de la procédure collective n'a pas autorité de la chose jugée dans la procédure de saisie immobilière conduite en marge de la procédure collective et dans le cadre de laquelle il appartient au juge de l'exécution de fixer le montant de la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'en retenant néanmoins que M. [T] était irrecevable à contester le montant des créances de la banque au motif que « (l)es décisions (d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure de liquidation judiciaire de M. [T]) (avaient) autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fix(aient), la procédure de saisie immobilière ayant à cet égard le même objet de fixation de la créance du poursuivant », la cour d'appel a violé les articles L. 526-1 du code de commerce et L. 213-6, R. 322-15 et R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution ;
2° ALORS QU'en toute hypothèse, le juge est tenu d'examiner, au besoin d'office, les clauses dont le caractère abusif est allégué ; qu'en retenant que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure collective de M. [T] l'empêchaient d'examiner le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée du contrat de prêt servant de fondement aux poursuites, quand elle était tenue d'examiner cette question sur laquelle le juge-commissaire ne s'était pas prononcé, la cour d'appel a violé les articles R. 632-1 du code de la consommation, issu de la directive 93/13 du 5 avril 1993, et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
(infiniment subsidiaire)
M. [I] [T] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR condamné à payer à la société BNP Paribas la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
ALORS QU'aucune condamnation à paiement ne peut être prononcée contre un débiteur en liquidation judiciaire au profit d'un créancier dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce ; qu'en condamnant M. [T] à payer à la société BNP Paribas la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, quand il faisait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire interdisant sa condamnation au paiement d'une somme d'argent, la cour d'appel a violé les articles L. 622-7, L. 622-21 et L. 641-3 du code de commerce. | Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne rendue en application de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, que l'autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle, en soi, à ce que le juge national soit tenu d'apprécier, sur la demande des parties ou d'office, le caractère éventuellement abusif d'une clause, même au stade d'une mesure d'exécution forcée, dès lors que cet examen n'a pas déjà été effectué à l'occasion du précédent contrôle juridictionnel ayant abouti à la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée (v. not. CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14 ; CJUE, arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C-600/19 ; CJUE, arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 1503 Srl, C-693/19 et Banco di Desio e della Brianza SpA e.a., C-831/19, affaires jointes).
Par conséquent, un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d'un prêt immobilier, qu'il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l'occasion de la procédure de saisie immobilière d'un bien appartenant à ce débiteur, mise en oeuvre par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d'une ou plusieurs clauses de l'acte de prêt notarié dès lors qu'il ressort de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge ne s'est pas livré à cet examen |
8,595 | SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 107 FS-B
Pourvoi n° F 21-16.258
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [I] [T], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 21-16.258 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant
1°/ à la Société des cendres,société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Flamarc,
2°/ à la société A2JZ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, représentée par M. [X] [H], dont le siège est [Adresse 4], pris en qualité d'administrateur judiciaire de la Société des cendres,
3° / à la société MJ CORP, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, représentée par M. [O], dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de mandataire judiciaire de la Société des cendres,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Salomon, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [T], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la Société des cendres, et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Salomon, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Chiron, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Intervention
1. Il est donné acte à la société A2JZ prise en la personne de M. [H] et à la société MJ Corp prise en la personne de M. [O] de leur intervention volontaire à l'instance, respectivement en leur qualité d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la Société des cendres.
Faits et procédure
2 Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 11 mars 2021), M. [T], engagé à compter du 16 mai 1989 par la société Flamarc (la société) aux droits de laquelle vient la Société des cendres, exerçait, dans le dernier état de la relation contractuelle, les fonctions de responsable secteur Rhône-Alpes.
3. Il a été placé en arrêt de travail à compter du 21 octobre 2016.
4. Le 24 janvier 2017, la société a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 février 2017.
5. A l'issue d'une visite de reprise du 6 février 2017, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste en un seul examen et précisé que son reclassement au sein de l'entreprise ou du groupe n'était pas envisageable.
6. Par lettre du 16 février 2017, la société a procédé au licenciement du salarié pour faute lourde.
7. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes indemnitaires et salariales au titre de la mise à pied conservatoire et de la rupture du contrat de travail alors « que lorsqu'à la suite d'un arrêt de travail, un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à occuper tout poste dans l'entreprise au terme d'une seule visite médicale de reprise, les règles d'ordre public relatives au licenciement du salarié inapte non reclassé s'appliquent, ce qui exclut que le salarié déclaré inapte puisse faire l'objet d'un licenciement disciplinaire postérieurement à l'avis d'inaptitude ; qu'en déboutant M. [T] de ses demandes au titre de la rupture de son contrat aux motifs que son licenciement, intervenu le 16 février 2017, était fondé sur une faute grave, quand un licenciement pour faute ne pouvait pas être prononcé postérieurement à l'avis d'inaptitude définitive délivré par le médecin du travail le 6 février 2017, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-2, L. 1226-12 et R 4624-22 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
9. Selon le premier de ces textes, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.
10. Selon le second, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
11. Il en résulte que ces dispositions d'ordre public font obstacle à ce que l'employeur prononce un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude, peu important que l'employeur ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause.
12. Pour débouter le salarié de ses demandes indemnitaires et salariales au titre de la mise à pied conservatoire et de la rupture du contrat de travail, l'arrêt retient que la circonstance que l'inaptitude définitive du salarié à occuper son emploi ait été constatée par le médecin du travail le 6 février 2017, ne privait pas la société de se prévaloir d'une faute lourde de son salarié au soutien du licenciement qu'elle a estimé devoir prononcer à l'issue de la procédure disciplinaire qu'elle avait initiée le 24 janvier précédent.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le salarié, déclaré inapte, avait été licencié pour un motif autre que l'inaptitude, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [T] de ses demandes indemnitaires et salariales au titre de la mise à pied conservatoire et de la rupture du contrat de travail et en ce qu'il condamne M. [T] à payer à la Société des cendres 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la Société des cendres aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société des cendres et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour M. [T]
M. [T] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR débouté des demandes indemnitaires et salariales qu'il formait au titre de la mise à pied conservatoire et de la rupture du contrat de travail ;
ALORS QUE lorsqu'à la suite d'un arrêt de travail, un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à occuper tout poste dans l'entreprise au terme d'une seule visite médicale de reprise, les règles d'ordre public relatives au licenciement du salarié inapte non reclassé s'appliquent, ce qui exclut que le salarié déclaré inapte puisse faire l'objet d'un licenciement disciplinaire postérieurement à l'avis d'inaptitude ; qu'en déboutant M. [T] de ses demandes au titre de la rupture de son contrat aux motifs que son licenciement, intervenu le 16 février 2017, était fondé sur une faute grave, quand un licenciement pour faute ne pouvait pas être prononcé postérieurement à l'avis d'inaptitude définitive délivré par le médecin du travail le 6 février 2017, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-2, L. 1226-12 et R 4624-22 du code du travail | Il résulte des dispositions d'ordre public des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail que, lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur ne peut prononcer un licenciement pour un motif autre que l'inaptitude, peu important qu'il ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause |
8,596 | SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 109 FS-B
Pourvoi n° P 21-19.232
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023
Mme [S] [W], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-19.232 contre l'arrêt rendu le 14 mai 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'association Groupe sos séniors, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de Mme [W], de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'association Groupe sos séniors, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Laplume, M. Chiron, conseillers référendaires, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 14 mai 2021), Mme [W] a été engagée en qualité d'aide soignante le 5 novembre 2012 par l'association Les Feuillantines, aux droits de laquelle vient l'association Groupe sos séniors (l'association).
2. Placée en arrêt de travail à compter du 25 juin 2016 à la suite d'un accident du travail, la salariée a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l'occasion de la visite de reprise du 12 juin 2018, l'avis du médecin mentionnant expressément « l'état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
3. Licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par l'association le 10 juillet 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que l'employeur a respecté son obligation de recherche de reclassement et de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que lorsque le médecin du travail déclare un salarié inapte à son emploi, en mentionnant expressément dans son avis que l'état de santé du salarié fait obstacle à toute reclassement dans l'emploi, l'employeur n'est pas dispensé de son obligation de rechercher le reclassement du salarié au sein des entreprises du groupe auquel l'employeur appartient ; qu'en retenant le contraire, pour dire que l'association Groupe sos séniors avait respecté ses obligations s'agissant de son obligation de recherche de reclassement de la salariée et débouter celle-ci de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1226-10, L. 1226-12, L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail ;
2°/ que dans l'hypothèse où il serait retenu que la cour d'appel de Bourges a adopté les motifs des premiers juges, aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, le groupe auquel appartient l'employeur, au sein duquel celui-ci a l'obligation de rechercher le reclassement du salarié qui a été déclaré inapte, est le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, et non le groupe formé par les seules sociétés entrant dans les prévisions de l'article L. 233-1, des I et II de l'article L. 233-3 et de l'article L. 233-16 du code de commerce ; qu'en énonçant, par conséquent, pour dire que l'association Groupe sos séniors avait respecté ses obligations s'agissant de son obligation de recherche de reclassement de Mme [S] [W] et débouter celle-ci de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que l'existence de liens capitalistiques est une condition préalable à la reconnaissance d'un groupe de reclassement, que la notion de groupe n'existe donc qu'au sens du droit des sociétés, s'agissant de l'obligation de reclassement d'un salarié déclaré inapte, qu'il ne peut, donc, y avoir de groupe dans une association, quand bien même plusieurs associations seraient étroitement liées, que, parce que l'association Groupe sos séniors est une association dont le siège social est situé à [Localité 3], régie par les dispositions du code civil local, elle n'était pas assujettie à l'obligation de rechercher le reclassement de Mme [S] [W] au sein d'un groupe et qu'en conséquence, le périmètre de reclassement était limité à l'entreprise d'affectation de Mme [S] [W], la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.
6. L'arrêt constate que l'avis d'inaptitude mentionne expressément que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.
7. La cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur était dispensé de rechercher et de proposer à la salariée des postes de reclassement.
8. Le rejet de la première branche du moyen rend sans portée la seconde branche.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour Mme [W]
Mme [S] [W] fait grief à l'arrêt, sur ce point confirmatif, attaqué D'AVOIR dit que l'association Groupe Sos Séniors avait respecté ses obligations s'agissant de son obligation de recherche de reclassement de Mme [S] [W] et D'AVOIR débouté en conséquence Mme [S] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE, de première part, lorsque le médecin du travail déclare un salarié inapte à son emploi, en mentionnant expressément dans son avis que l'état de santé du salarié fait obstacle à toute reclassement dans l'emploi, l'employeur n'est pas dispensé de son obligation de rechercher le reclassement du salarié au sein des entreprises du groupe auquel l'employeur appartient ; qu'en retenant le contraire, pour dire que l'association Groupe Sos Séniors avait respecté ses obligations s'agissant de son obligation de recherche de reclassement de Mme [S] [W] et débouter celle-ci de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1226-10, L. 1226-12, L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail ;
ALORS QUE, de seconde part et à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait retenu que la cour d'appel de Bourges a adopté les motifs des premiers juges, aux termes de l'article L. 1226-10 du code du travail, le groupe auquel appartient l'employeur, au sein duquel celui-ci a l'obligation de rechercher le reclassement du salarié qui a été déclaré inapte, est le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce, et non le groupe formé par les seules sociétés entrant dans les prévisions de l'article L. 233-1, des I et II de l'article L. 233-3 et de l'article L. 233-16 du code de commerce ; qu'en énonçant, par conséquent, pour dire que l'association Groupe Sos Séniors avait respecté ses obligations s'agissant de son obligation de recherche de reclassement de Mme [S] [W] et débouter celle-ci de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que l'existence de liens capitalistiques est une condition préalable à la reconnaissance d'un groupe de reclassement, que la notion de groupe n'existe donc qu'au sens du droit des sociétés, s'agissant de l'obligation de reclassement d'un salarié déclaré inapte, qu'il ne peut, donc, y avoir de groupe dans une association, quand bien même plusieurs associations seraient étroitement liées, que, parce que l'association Groupe Sos Séniors est une association dont le siège social est situé à [Localité 3], régie par les dispositions du code civil local, elle n'était pas assujettie à l'obligation de rechercher le reclassement de Mme [S] [W] au sein d'un groupe et qu'en conséquence, le périmètre de reclassement était limité à l'entreprise d'affectation de Mme [S] [W], la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail. | Il résulte de l'article L. 1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, que lorsque le médecin du travail mentionne expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur n'est pas tenu de rechercher un reclassement au salarié.
Ayant constaté que l'avis d'inaptitude mentionnait expressément que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, une cour d'appel en a exactement déduit que l'employeur était dispensé de rechercher et de proposer au salarié des postes de reclassement |
8,597 | SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation
M. SOMMER, président
Arrêt n° 111 FS-B
Pourvoi n° E 21-15.314
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023
La caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Centre-Loire, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-15.314 contre l'arrêt rendu le 5 mars 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [T] [Y], épouse [R], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Centre-Loire, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [Y], et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Laplume, M. Chiron, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 05 mars 2021), Mme [Y], engagée en qualité de guichetière le 16 mars 1982 par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre-Loire, a été licenciée le 30 janvier 2017 pour inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel et impossibilité de reclassement.
2. La convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987 est applicable à la relation de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement de la salariée dénué de cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui verser diverses sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui remettre un bulletin de paie et une attestation Pôle emploi rectifiés et de le condamner à rembourser aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées à la salariée du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'indemnité de chômage , alors « que selon l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit Agricole, le licenciement pour un motif autre que disciplinaire ne peut être effectué qu'après avis des délégués du personnel du collège auquel appartient l'intéressé" ; que ce texte impose donc seulement que l'avis des délégués du personnel soit recueilli avant la notification du licenciement non disciplinaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'inaptitude étant d'origine non professionnelle, aucune consultation des délégués du personnel n'était légalement obligatoire en l'état des textes alors applicables, et que la consultation prévue par l'article 14 de la convention collective avait été réalisée avant le licenciement de Mme [R] ; qu'en énonçant que la consultation des délégués du personnel prévue par ce texte conventionnel devait intervenir après la constatation de l'inaptitude par le médecin du travail, avant la proposition effective d'un poste de reclassement et avant la convocation de la salariée à l'entretien préalable, et en jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse parce que la consultation des délégués du personnel avait été réalisée après cette convocation à l'entretien préalable et quelques jours avant le licenciement, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit agricole, dans sa rédaction antérieure à l'avenant du 21 décembre 2018 :
4. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est à dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.
5. Selon l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit agricole, le licenciement pour un motif autre que disciplinaire ne peut être effectué qu'après avis des délégués du personnel du collège auquel appartient l'intéressé.
6. Il résulte de cette disposition que l'avis des délégués du personnel n'a pas à être préalable à l'entretien préalable, mais uniquement à la prise de décision par l'employeur de licencier.
7. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer à la salariée diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, l'arrêt, après avoir constaté que l'inaptitude n'était pas d'origine professionnelle et que les dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans leur version applicable en la présente espèce, ne prévoyaient pas la consultation préalable des délégués du personnel, retient d'abord qu'en application de l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit agricole précité, s'agissant d'un licenciement pour inaptitude médicalement constatée, la consultation des délégués du personnel devait intervenir après constatation de l'inaptitude par le médecin du travail, avant la proposition effective d'un poste de reclassement approprié à ses capacités, et en tout état de cause, avant la convocation de la salariée à l'entretien préalable et qu'à défaut, l'article 14 précité était privé de toute portée.
8. Il retient ensuite qu'en engageant la procédure de licenciement par convocation du 3 janvier 2017 à un entretien préalable prévu le 11 janvier 2017, soit avant d'avoir procédé à la consultation des délégués du personnel, laquelle n'est intervenue que le 25 janvier 2017 et en procédant au licenciement de la salariée seulement quelques jours après cette consultation, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Centre Loire a privé de toute substance ladite consultation.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte sus-visé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 05 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne Mme [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Centre-Loire
La caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel (CRCAM) Centre Loire FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de Mme [R] était dénué de cause réelle et sérieuse et de l'AVOIR condamnée à verser à la salariée les sommes de 5 449,16 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 544,91 € au titre des congés payés afférents, 74 000 € à titre de dommages-et-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'AVOIR condamnée à remettre à Mme [R] un bulletin de paie et une attestation Pôle emploi rectifiés, et de l'AVOIR condamnée à rembourser aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées à Mme [R] du jour de son licenciement au jour du jugement dans la limite de six mois d'indemnité de chômage,
1. ALORS QUE selon l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit Agricole, « le licenciement pour un motif autre que disciplinaire ne peut être effectué qu'après avis des délégués du personnel du collège auquel appartient l'intéressé » ; que ce texte impose donc seulement que l'avis des délégués du personnel soit recueilli avant la notification du licenciement non disciplinaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'inaptitude étant d'origine non professionnelle, aucune consultation des délégués du personnel n'était légalement obligatoire en l'état des textes alors applicables, et que la consultation prévue par l'article 14 de la convention collective avait été réalisée avant le licenciement de Mme [R] ; qu'en énonçant que la consultation des délégués du personnel prévue par ce texte conventionnel devait intervenir après la constatation de l'inaptitude par le médecin du travail, avant la proposition effective d'un poste de reclassement et avant la convocation de la salariée à l'entretien préalable, et en jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse parce que la consultation des délégués du personnel avait été réalisée après cette convocation à l'entretien préalable et quelques jours avant le licenciement, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2. ALORS en tout état de cause QU'à supposer que la consultation des délégués du personnel prévue par l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit Agricole en cas de licenciement pour un motif autre que disciplinaire doive intervenir avant la convocation à l'entretien préalable, le seul fait que cette consultation intervienne après l'entretien préalable ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé le texte conventionnel susvisé, ensemble l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et l'article L. 1232-1 du même. | L'avis des délégués du personnel prévu par l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit agricole, dans sa rédaction antérieure à l'avenant du 21 décembre 2018, n'a pas à être préalable à l'entretien préalable au licenciement, mais uniquement à la prise de décision de licencier par l'employeur |
8,598 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 112 FS-B
Pourvoi n° A 21-16.805
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société BBGR, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-16.805 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [N] [H], domicilié [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Laplume, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société BB GR, de la SARL Corlay, avocat de M. [H], et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Laplume, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, M. Chiron, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 18 mars 2021), M. [H] a été engagé en qualité de cadre commercial le 26 février 2001 par la société Novisia.
2. Le contrat de travail a été transféré le 1er janvier 2016 à la société BBGR, soumise à la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.
3. Le salarié a été placé en arrêt de travail le 20 octobre 2017 et licencié pour insuffisance professionnelle le 25 octobre 2017.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement abusif et au remboursement aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage, alors « que l'article 16 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 n'interdit pas à l'employeur de licencier le salarié, dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie non professionnelle, pour un motif tiré de son insuffisance professionnelle ; qu'en affirmant en l'espèce que ce texte offrait ''une véritable garantie d'emploi en réservant la possibilité de licencier [un salarié absent pour cause de maladie] aux seuls cas justifiés par un motif économique (si licenciement collectif), ou par la suppression du poste occupé par le salarié malade, ou encore par la nécessité de procéder au remplacement du salarié absent à l'expiration de la durée d'indemnisation à plein tarif'' pour en déduire que le licenciement de M. [H], prononcé pour insuffisance professionnelle alors qu'il était en congé maladie depuis le jour de l'entretien préalable, était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article 16 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 1° de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 :
5. Une convention collective, si elle manque de clarté, doit être interprétée comme la loi, c'est-à-dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte.
6. Selon l'article susvisé, les absences relevant de maladie ou d'accident, y compris les accidents du travail, et justifiées dès que possible par certificat médical pouvant donner lieu à contre-visite, à la demande de l'entreprise, ne constituent pas une rupture du contrat de travail.
À l'issue de la durée d'indemnisation à plein tarif, l'employeur pourra prendre acte de la rupture par force majeure du contrat de travail par nécessité de remplacement effectif. Dans ce cas, la notification du constat de la rupture sera faite à l'intéressé par lettre recommandée.
Lorsque l'employeur aura pris acte de la rupture du contrat de travail, il devra verser à l'intéressé une indemnité égale à celle que celui-ci aurait perçue s'il avait été licencié sans que le délai-congé ait été observé. (...)
Au cours de l'absence de l'ingénieur ou cadre pour maladie ou accident, l'employeur peut rompre le contrat de travail en cas de licenciement collectif ou de suppression de poste, à charge pour lui de verser à l'ingénieur ou cadre licencié l'indemnité de préavis en tenant compte des dispositions des alinéas 4 et 5 du présent article, et de régler l'indemnité de congédiement, le cas échéant. (...)
7. Ces dispositions conventionnelles n'interdisent pas le licenciement du salarié pendant la suspension de son contrat de travail pour maladie pour d'autres causes que la maladie, la garantie d'emploi pour une durée déterminée n'étant prévue que pour le licenciement à la suite d'une absence pour maladie et nécessité de remplacement et prévoient les conditions de l'attribution de l'indemnité de préavis en l'étendant pour certains licenciements spécifiques.
8. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer au salarié une somme à titre d'indemnité pour licenciement abusif, l'arrêt retient que ces dispositions, qui n'ont pas pour seul objet de déterminer l'indemnisation due au salarié malade, offrent aussi une véritable garantie d'emploi en réservant la possibilité de licencier aux seuls cas justifiés par un motif économique (si licenciement collectif), ou par la suppression du poste occupé par le salarié malade, ou encore par la nécessité de procéder au remplacement du salarié absent à l'expiration de la durée d'indemnisation à plein tarif, qu'il est constant que le salarié a été licencié non pour l'un des trois motifs visés par la convention collective, ni même pour un motif disciplinaire ou pour inaptitude physique, mais pour insuffisance professionnelle, et que le licenciement prononcé en violation d'une garantie conventionnelle d'emploi est abusif.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [H] de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'inopposabilité de sa clause de forfait annuel en heures et de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 18 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Angers ;
Condamne M. [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société BB GR
La société BBGR fait grief à la décision infirmative attaquée d'AVOIR condamné la société BBGR à payer à M. [H] la somme de 65 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif et d'AVOIR ordonné le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage ;
ALORS QUE l'article 16 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 n'interdit pas à l'employeur de licencier le salarié, dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie non professionnelle, pour un motif tiré de son insuffisance professionnelle ; qu'en affirmant en l'espèce que ce texte offrait « une véritable garantie d'emploi en réservant la possibilité de licencier [un salarié absent pour cause de maladie] aux seuls cas justifiés par un motif économique (si licenciement collectif), ou par la suppression du poste occupé par le salarié malade, ou encore par la nécessité de procéder au remplacement du salarié absent à l'expiration de la durée d'indemnisation à plein tarif » pour en déduire que le licenciement de [H], prononcé pour insuffisance professionnelle alors qu'il était en congé maladie depuis le jour de l'entretien préalable, était sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article 16 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972. | L'article 16 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972 n'interdit pas le licenciement du salarié pendant la suspension du contrat de travail pour maladie pour d'autres causes que la maladie, la garantie d'emploi pour une durée déterminée n'étant prévue que pour le licenciement à la suite d'une absence pour maladie et nécessité de remplacement et prévoit les conditions de l'attribution de l'indemnité de préavis en l'étendant pour certains licenciements spécifiques |
8,599 | SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 130 FS-B
Pourvoi n° W 21-16.824
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 FÉVRIER 2023
Mme [H] [I], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 21-16.824 contre l'arrêt rendu le 24 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant à la société France télévisions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de Me Haas, avocat de Mme [I], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société France télévisions, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Mmes Lecaplain-Morel, Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mars 2021), Mme [I] a été engagée par la société France télévisions en qualité de cheffe monteuse, suivant plusieurs contrats de travail à durée déterminée, à compter du 22 juillet 2005.
2. Le 22 septembre 2017, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme l'indemnité de requalification, alors « que l'indemnité de requalification de contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel complet perçu avant la saisine de la juridiction prud'homale ; qu'en fixant le montant de l'indemnité de requalification au regard de la rémunération mensuelle moyenne perçue au cours de l'année 2020, après avoir constaté, d'une part, que la rémunération de la salariée devait correspondre à un travail à temps complet et, d'autre part, qu'il ressortait du dernier bulletin de salaire de la salariée versé aux débats que le taux horaire de cette dernière était fixé, après déduction de la majoration destinée à compenser les sujétions liées à l'exercice de missions par intermittence, à hauteur de 14,61 euros de sorte que sa rémunération mensuelle s'élevait à 2 215,89 euros, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, a violé l'article L. 1245-2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est contraire à la position défendue par la salariée devant les juges du fond.
6. Cependant, il résulte de ses conclusions que la salariée a demandé l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre d'indemnité de requalification sans se référer au salaire revendiqué pour la détermination des demandes de nature salariale.
7. Le moyen, qui n'est ni contraire ni incompatible avec la position défendue par la salariée devant les juges du fond, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 1245-2 du code du travail :
8. Il résulte de ce texte que le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel, dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud'homale.
9. Cette moyenne de salaire mensuel doit être déterminée au regard de l'ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu'ils ont une périodicité supérieure au mois.
10. Pour fixer à une certaine somme le montant de l'indemnité de requalification, l'arrêt retient que la salariée a reçu une rémunération mensuelle brute moyenne d'un montant de 1 618,16 euros au cours de l'année 2020.
11. En statuant ainsi, au regard de la moyenne des sommes perçues durant l'année 2020, alors qu'elle avait fixé la rémunération de base de la salariée à 2 215,89 euros par mois en raison de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps complet, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société France télévisions à payer à Mme [I] la somme de 1 618,16 euros à titre d'indemnité de requalification, l'arrêt rendu le 24 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société France télévisions aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société France télévisions et la condamne à payer à Mme [I] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour Mme [I]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [I] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société France télévisions à lui payer la somme de 1 618,16 euros d'indemnité de requalification ;
ALORS QUE l'indemnité de requalification de contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel complet perçu avant la saisine de la juridiction prud'homale ; qu'en fixant le montant de l'indemnité de requalification au regard de la rémunération mensuelle moyenne perçue au cours de l'année 2020, après avoir constaté, d'une part, que la rémunération de la salariée devait correspondre à un travail à temps complet et, d'autre part, qu'il ressortait du dernier bulletin de salaire de Mme [I] versé aux débats que le taux horaire de cette dernière était fixé, après déduction de la majoration destinée à compenser les sujétions liées à l'exercice de missions par intermittence, à hauteur de 14,61 euros de sorte que sa rémunération mensuelle s'élevait à 2 215,89 euros, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations, a violé l'article L. 1245-2 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [I] fait grief à l'arrêt attaqué de L'AVOIR déboutée de ses demandes relatives à la discrimination liée à l'origine ;
ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'une discrimination, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent d'en présumer l'existence ; que, dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur établit que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en procédant à une appréciation séparée des éléments invoqués par Mme [I] à l'appui de la discrimination, quand il lui appartenait de vérifier si, pris dans leur ensemble, ces éléments, parmi lesquels figuraient la mise à l'écart des candidatures présentées en 211 et 2014 puis celle des candidatures présentées en novembre et décembre 2019 ainsi que le plafonnement des jours travaillés, permettaient de présumer l'existence d'une discrimination liée à l'origine, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail. | Le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud'homale. Cette moyenne de salaire mensuel doit être déterminée au regard de l'ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu'ils ont une périodicité supérieure au mois |