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8,200 | SOC.
CDS
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 octobre 2022
Cassation
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1119 FS-B
Pourvoi n° E 21-12.370
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [Z].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 21 mars 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022
L'association Mission locale du pays salonais, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-12.370 contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2), dans le litige l'opposant à M. [D] [Z], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'association Mission locale du pays salonais, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [Z], et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mme Ott, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 décembre 2020), M. [Z] a été engagé par l'association Mission locale du pays salonais (la mission locale) en qualité de conseiller en insertion sociale et professionnelle, d'abord par contrats à durée déterminée des 2 février 2009 et 1er mars 2010, puis dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, suivant avenant à effet du 1er mars 2011, avec reprise d'ancienneté au 2 février 2009.
2. Le 1er mai 2015, le salarié a été mis à disposition de la commune de [Localité 3] pour exercer ses fonctions dans le cadre du dispositif intitulé « seconde chance », issu d'une convention de partenariat entre la ville de [Localité 3] et la mission locale. Ce dispositif vise à accompagner les jeunes en difficulté en leur proposant un accompagnement individualisé et personnalisé leur permettant de s'inscrire dans un parcours d'insertion professionnelle.
3. Par lettre du 15 décembre 2015, la mission locale a licencié le salarié pour faute grave, en lui reprochant d'avoir publié sur son compte Facebook, accessible au public, « des propos incompatibles avec l'exercice de [ses] missions et notamment, une critique importante et tendancieuse du parti politique Les Républicains et [du] Front National, ainsi que des appels à la diffusion du Coran, accompagnés de citations de sourates appelant à la violence », ces faits caractérisant des « manifestations politiques et religieuses qui débordent, d'une part de [sa] vie personnelle et, d'autre part, qui comportent des excès remettant en cause la loyauté minimale requise par la qualité juridique de [sa] mission de service public » et constituant une atteinte à l'obligation de neutralité du salarié, laquelle « englobe un devoir de réserve ainsi qu'une obligation de respect de la laïcité », et un abus de sa liberté d'expression.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
4. La mission locale fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a discriminé le salarié en raison de l'expression de ses opinions politiques et de ses convictions religieuses en procédant à son licenciement, de dire nul le licenciement, de lui ordonner de réintégrer le salarié dans un emploi équivalent à celui qu'il occupait et de la condamner au paiement de diverses sommes, alors :
« 2°/ que le salarié qui participe à une mission de service public est tenu, même en dehors du service, d'un devoir de réserve qui lui impose de s'abstenir de toute manifestation d'opinion de nature à jeter le discrédit sur l'autorité chargée de la mission de service public à laquelle il participe ; qu'il en va ainsi, notamment, d'un salarié appelé à intervenir auprès du jeune public ; qu'en l'espèce, la Mission locale du pays salonais faisait valoir qu'elle avait licencié M. [Z] pour avoir, sur son compte Facebook accessible à tous, violemment critiqué l'action du gouvernement et n'avoir pas respecté les emblèmes de la République comme le drapeau français, ce qui était incompatible avec le devoir de réserve auquel était tenu le salarié en sa qualité d'agent d'une Mission locale investie d'une mission de service public ; qu'en retenant qu'à supposer même que M. [Z] ait participé à une mission de service public, cela ne lui interdisait pas de pouvoir ''librement critiquer l'Etat en dehors de son travail'', la cour d'appel a violé le devoir de réserve et les articles L. 1121-1, L. 1132-1 et L. 5314-2 du code du travail ;
4°/ que le salarié qui participe à une mission de service public est tenu par une obligation de laïcité qui lui interdit de faire du prosélytisme religieux ; qu'il en va ainsi, notamment, d'un salarié appelé à intervenir auprès du jeune public ; qu'en l'espèce, la Mission locale du pays salonais faisait valoir qu'elle avait licencié M. [Z] pour avoir, sur son compte Facebook accessible à tous, fait du prosélytisme religieux agressif en, notamment, diffusant des sourates du Coran appelant au combat et en invitant à diffuser massivement le Coran ; qu'en retenant que ''l'employeur ne pouvait (
) faire interdiction au salarié de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail'' et que ''le devoir de réserve qui s'impose [au salarié] en dehors de ses fonctions ne pouvant concerner l'expression publique de sa foi ni la propagation du message religieux'', la cour d'appel a violé le principe de laïcité du service public, ensemble les articles L. 5314-2, L. 1121-1 et L. 1132-1 du code du travail ;
5°/ que les salariés de droit privé mis à disposition d'une collectivité territoriale sont soumis aux mêmes obligations que les fonctionnaires, dont les obligations de neutralité et de laïcité ; qu'en l'espèce, en retenant qu'un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale, même mis à disposition d'une municipalité, ne perdait nullement sa liberté d'engagement politique et d'expression publique de cet engagement en dehors de l'exercice de ses fonctions et qu'il pouvait librement critiquer l'Etat et se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail, la cour d'appel a violé l'article 61-2 de la loi n° 2007-148 de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 et l'article 11 du décret d'application du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen, pris en sa cinquième branche
5. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est nouveau en ce que la mission locale n'a pas invoqué devant les juges du fond l'application des articles 61-2 de la loi n° 2007-148 de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 et 11 du décret d'application du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux.
6. Cependant, devant les juges du fond, l'employeur invoquait la violation par le salarié de son obligation de neutralité en sa qualité de salarié de la mission locale mis à disposition de la commune de [Localité 3].
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les principes de laïcité et de neutralité du service public, les articles L. 1133-1, L. 5314-1 et L. 5314-2 du code du travail, l'article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-148 de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007, et l'article 11 du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux :
8. En premier lieu, les principes de laïcité et de neutralité du service public qui résultent de l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 sont applicables à l'ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé.
9. L'article L. 5314-1 du code du travail prévoit que des missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes peuvent être constituées entre l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des organisations professionnelles et syndicales et des associations. Elles prennent la forme d'une association ou d'un groupement d'intérêt public.
10. Selon l'article L. 5314-2 du même code, les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, dans le cadre de leur mission de service public pour l'emploi, ont pour objet d'aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans révolus à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement à l'accès à la formation professionnelle initiale ou continue, ou à un emploi. Elles favorisent la concertation entre les différents partenaires en vue de renforcer ou compléter les actions conduites par ceux-ci, notamment pour les jeunes rencontrant des difficultés particulières d'insertion professionnelle et sociale.
Elles contribuent à l'élaboration et à la mise en oeuvre, dans leur zone de compétence, d'une politique locale concertée d'insertion professionnelle et sociale des jeunes. Les résultats obtenus par les missions locales en termes d'insertion professionnelle et sociale, ainsi que la qualité de l'accueil, de l'information, de l'orientation et de l'accompagnement qu'elles procurent aux jeunes sont évalués dans des conditions qui sont fixées par convention avec l'Etat, la région et les autres collectivités territoriales qui les financent. Les financements accordés tiennent compte de ces résultats.
11. Il résulte de ces dispositions que les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes constituées sous forme d'association sont des personnes de droit privé gérant un service public.
12. Il s'ensuit que le salarié de droit privé employé par une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, constituée sous forme d'association, est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et dès lors à une obligation de réserve en dehors de l'exercice de ses fonctions.
13. En second lieu, l'article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable, prévoit que les collectivités territoriales et leurs établissements publics administratifs peuvent, lorsque des fonctions exercées en leur sein nécessitent une qualification technique spécialisée, bénéficier de la mise à disposition de personnels de droit privé, dans les cas et conditions définis par décret en Conseil d'Etat et que les personnels ainsi mis à disposition sont soumis aux règles d'organisation et de fonctionnement du service où ils servent et aux obligations s'imposant aux fonctionnaires.
14. Selon l'article 11, I, du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008, les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés à l'article 2 de la loi du 26 janvier 1984 peuvent, lorsque les besoins du service le justifient, bénéficier de la mise à disposition de personnels de droit privé pour la réalisation d'une mission ou d'un projet déterminé qui ne pourrait être mené à bien sans les qualifications techniques spécialisées détenues par un salarié de droit privé.
15. Au termes de l'article 11, III, du même décret, les règles déontologiques qui s'imposent aux fonctionnaires sont opposables aux personnels mis à disposition en application du I.
16. Il en résulte que le salarié de droit privé mis à disposition d'une collectivité publique territoriale est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et dès lors à une obligation de réserve en dehors de l'exercice de ses fonctions.
17. Pour dire que la mission locale a discriminé le salarié en raison de l'expression de ses opinions politiques et de ses convictions religieuses en procédant à son licenciement et annuler en conséquence le licenciement, l'arrêt retient qu'un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale, même mis à disposition d'une municipalité, ne perd nullement sa liberté d'engagement politique et d'expression publique de cet engagement en dehors de l'exercice de ses fonctions et peut librement critiquer l'Etat en dehors de son travail.
18. L'arrêt retient encore que la mission locale ne peut imposer au salarié le respect de la laïcité en dehors de son activité professionnelle lui interdisant tout prosélytisme religieux dans l'espace public hors le cadre de son service, qu'en effet l'employeur ne constitue nullement une organisation confessionnelle et la laïcité ne s'impose pas aux citoyens dans l'espace public en dehors du service public, puisqu'au contraire la laïcité garantit à chacun l'exercice public de sa foi, qu'ainsi l'employeur ne pouvait faire interdiction au salarié de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail, le devoir de réserve qui s'impose à lui en dehors de ses fonctions ne pouvant concerner l'expression publique de sa foi ni la propagation du message religieux, indépendamment d'éventuels rapports entre foi et activité professionnelle, lesquels rapports ne sont nullement caractérisés en l'espèce.
19. L'arrêt en déduit qu'en reprochant au salarié, au soutien de la mesure de licenciement, de n'avoir pas obtempéré à l'injonction illégitime visant à restreindre sa liberté politique et sa liberté religieuse, l'employeur a commis une discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail, laquelle commande la nullité du licenciement aux termes de l'article L. 1132-4 du même code.
20. En se déterminant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié, conseiller en insertion sociale et professionnelle, référent au sein de la commune de [Localité 3] pour les missions d'insertion auprès d'un public de jeunes en difficulté scolaire et professionnelle, en grande fragilité sociale, avait publié sur son compte Facebook ouvert à tous, sous son propre nom, fin novembre et début décembre 2015, des commentaires mentionnant « Je refuse de mettre le drapeau... Je ne sacrifierai jamais ma religion, ma foi, pour un drapeau quel qu'il soit », « Prophète ! Rappelle-toi le matin où tu quittas ta famille pour aller placer les croyants à leurs postes de combat », la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme il lui était demandé, si la consultation du compte Facebook du salarié permettait son identification en qualité de conseiller d'insertion sociale et professionnelle affecté au sein de la commune de [Localité 3], notamment par les jeunes en difficulté auprès desquels le salarié exerçait ses fonctions, et si, au regard de la virulence des propos litigieux ainsi que de la publicité qui leur était donnée, lesdits propos étaient susceptibles de caractériser un manquement à l'obligation de réserve du salarié en dehors de l'exercice de ses fonctions en tant qu'agent du service public de l'emploi mis à la disposition d'une collectivité territoriale, en sorte que son licenciement était justifié par une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article L. 1133-1 du code du travail, tenant au manquement à son obligation de réserve, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour l'association Mission locale du pays salonais,
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ces chefs, d'AVOIR dit que l'association Mission Locale du Pays Salonais a discriminé M. [D] [Z] en raison de l'expression de ses opinions politiques et de ses convictions religieuses en procédant à son licenciement, d'AVOIR dit nul le licenciement de M. [Z] et d'AVOIR en conséquence condamné l'association Mission Locale du Pays Salonais à verser diverses sommes à M. [Z] et ordonné sa réintégration dans un emploi équivalent à celui qu'il occupait et à lui verser le montant des salaires du 18 décembre 2020 jusqu'à sa réintégration ;
AUX MOTIFS QUE l'article L. 1132-1 du code du travail disposait au temps du licenciement qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de ses opinions politiques ou de ses convictions religieuses et l'article L. 1132-4 précise que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul ; que l'article L. 1121-1 du code du travail précise encore que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ; qu'ainsi, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent toutefois être apportées ; qu'en effet, le droit du travail trouve à s'appliquer à une grande variété de situations parmi lesquelles des relations de travail qui prennent place au plus près des activités politiques ou des convictions religieuses ; que c'est ainsi qu'une organisation politique peut salarier un permanent ou telle église un ministre de son culte ; que dans une autre proximité de l'engagement politique ou des convictions religieuses, une entreprise commerciale peut s'adresser à une clientèle engagée politiquement ou d'une confession spécifique ; qu'il est encore à noter que le contrat de travail peut lier un salarié à une personne morale chargée d'une mission de service public, laquelle personne morale se trouve tenue à une obligation de neutralité et de laïcité ; que toutes ces situations imposent certaines restrictions à la liberté d'expression, tout autant qu'au principe de prohibition des discriminations ; que pour autant, la liberté doit rester le principe, et les restrictions de simples exceptions ; qu'en l'espèce, l'employeur reproche au salarié dans la lettre de licenciement : « une critique importante et tendancieuse du parti politique Les Républicains et le Front National, ainsi que des appels à la diffusion du Coran, accompagné de citations de sourates appelant à la violence », « Les faits consignés par l'huissier caractérisent des manifestations politiques et religieuses qui débordent, d'une part, de votre vie personnelle et, d'autre part, qui comportent des excès remettant en cause la loyauté minimale requise par la qualité juridique de votre mission de service public » ; que l'employeur justifie précisément sa position en formulant les affirmations suivantes : « Au titre de votre obligation de neutralité, il vous est interdit de prendre une quelconque position publique partiale. Cette obligation de neutralité englobe un devoir de réserve, ainsi qu'une obligation de respect de la laïcité [
]. Cette obligation emporte interdiction de se livrer à toute activité de propagande politique et, encore, de porter critique envers l'Etat. [
] Ce devoir de laïcité engendre une interdiction de propagande religieuse et de prosélytisme, dans le cadre du service, mais aussi, au sein d'un espace public » ; qu'ainsi, l'employeur reproche-t-il explicitement au salarié de se livrer, en dehors de son travail et dans l'espace public, à une activité de propagande politique, de critiquer l'Etat et encore de se livrer au prosélytisme religieux, tous comportements qu'il estime incompatibles avec sa mission de service public ; que cependant à supposer que le salarié participe bien à une mission de service public, ce que ce dernier conteste, une telle mission ne lui interdit nullement l'engagement politique ainsi que des activités de propagande politique ; qu'ainsi, même les fonctionnaires, à l'exception des hauts fonctionnaires nommés à la discrétion du gouvernement, jouissent pleinement de leur liberté d'engagement et d'action politique en dehors de l'exercice de leurs fonctions, jusqu'à pouvoir se présenter aux élections politiques sauf exceptions légales ; qu'en conséquence, un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale, même mis à disposition d'une municipalité, ne perd nullement sa liberté d'engagement politique et d'expression publique de cet engagement en dehors de l'exercice de ses fonctions et qu'il peut librement critiquer l'Etat en dehors de son travail ; qu'il apparaît en conséquence que l'employeur, qui n'est en l'espèce nullement un parti politique et qui n'a pas mis son salarié à disposition d'une organisation politique mais d'une municipalité, a violé les dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail en tentant de brider, sans motif valable, la liberté politique du salarié en dehors de la relation de travail ; qu'en reprochant à ce salarié, au soutien d'une mesure de licenciement, de n'avoir pas obtempéré à une telle injonction illégitime, l'employeur a commis une discrimination au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail, laquelle discrimination commande la nullité du licenciement aux termes de l'article L. 1132-4 ; qu'il sera relevé surabondamment que l'employeur prétend encore imposer au salarié le respect de la laïcité en dehors de son activité professionnelle lui interdisant tout prosélytisme religieux dans l'espace public hors le cadre de son service ; que cependant l'employeur ne constitue nullement une organisation confessionnelle et la laïcité ne s'impose pas aux citoyens dans l'espace public en dehors du service public ; que bien au contraire, la laïcité garantit à chacun l'exercice public de sa foi même si cet exercice est tourné vers le témoignage comme c'est parfois le cas dans plusieurs religions du Livre ; qu'il est à noter que le Conseil d'Etat, 4e et 1e chambres réunies, par arrêt du 27 juin 2018, a dit n'y avoir pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la cour administrative d'appel de Nancy, concernant un prêtre dont l'élection en qualité de président d'une université publique était contestée, aux motifs suivants : « 3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit pas être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; qu'aux termes de l'article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances [
] » ; que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; que notamment, il en résulte la neutralité de l'Etat, le respect de toutes les croyances et l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion ; 4. Considérant qu'il résulte ainsi du principe constitutionnel de laïcité que l'accès aux fonctions publiques, dont l'accès aux fonctions de président d'université, s'effectue sans distinction de croyance et de religion ; que, par suite, il ne peut, en principe, être fait obstacle à ce qu'une personne ayant la qualité de ministre d'un culte puisse être élue aux fonctions de président d'université, celle-ci étant alors tenue, eu égard à la neutralité des services publics qui découle également du principe de laïcité, à ne pas manifester ses opinions religieuses dans l'exercice de ses fonctions ainsi qu'à un devoir de réserve en dehors de l'exercice de ces fonctions ; que, par suite, la question de la conformité au principe constitutionnel de laïcité des dispositions législatives contestées par le syndicat requérant, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux » ; qu'ainsi, l'employeur ne pouvait, sans violer les dispositions de l'article L. 1121-1 du code du travail, faire interdiction au salarié de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail, le devoir de réserve qui s'impose à lui en dehors de ses fonctions ne pouvant concerner l'expression publique de sa foi ni la propagation du message religieux, indépendamment d'éventuels rapports entre foi et activité professionnelles, lesquels rapports ne sont nullement caractérisés en l'espèce ; qu'ainsi, en refusant l'exercice de sa liberté religieuse au salarié et en le licenciant pour être passé outre une telle injonction illégitime, l'employeur a commis un acte de discrimination qui entache le licenciement de nullité ; que le licenciement étant nul, il n'y a pas [lieu] d'examiner les autres griefs retenus dans la lettre de licenciement ;
1) ALORS QUE le salarié qui participe à une mission de service public est tenu, même en dehors du service, d'un devoir de réserve qui lui impose de s'abstenir de faire de la propagande politique ; qu'il en va ainsi, notamment, d'un salarié appelé à intervenir auprès du jeune public ; qu'en l'espèce, la Mission locale du pays salonais faisait valoir qu'elle avait licencié M. [Z] pour avoir, sur son compte Facebook accessible à tous, incité à ne pas voter au deuxième tour des élections municipales, violemment critiqué les candidats en lice issus des partis des Républicains et du Front National et qualifié M. [S] de « fasciste, raciste et islamophobe », ce qui était incompatible avec le devoir de réserve auquel était tenu le salarié en sa qualité d'agent d'une Mission locale investie d'une mission de service public ; qu'en retenant qu'à supposer même que M. [Z] ait participé à une mission de service public, cela ne lui interdisait pas d'avoir « des activités de propagande politique » (arrêt p. 8), la cour d'appel a violé le devoir de réserve et les articles L. 1121-1, L. 1132-1 et L. 5314-2 du code du travail ;
2) ALORS QUE le salarié qui participe à une mission de service public est tenu, même en dehors du service, d'un devoir de réserve qui lui impose de s'abstenir de toute manifestation d'opinion de nature à jeter le discrédit sur l'autorité chargée de la mission de service public à laquelle il participe ; qu'il en va ainsi, notamment, d'un salarié appelé à intervenir auprès du jeune public ; qu'en l'espèce, la Mission locale du pays salonais faisait valoir qu'elle avait licencié M. [Z] pour avoir, sur son compte Facebook accessible à tous, violemment critiqué l'action du gouvernement et n'avoir pas respecté les emblèmes de la République comme le drapeau français, ce qui était incompatible avec le devoir de réserve auquel était tenu le salarié en sa qualité d'agent d'une Mission locale investie d'une mission de service public ; qu'en retenant qu'à supposer même que M. [Z] ait participé à une mission de service public, cela ne lui interdisait pas de pouvoir « librement critiquer l'Etat en dehors de son travail » (arrêt p. 8), la cour d'appel a violé le devoir de réserve et les articles L. 1121-1, L. 1132-1 et L. 5314-2 du code du travail ;
3) ALORS QUE les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes, dans le cadre de leur mission de service public pour l'emploi, ont pour objet d'aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans révolus à résoudre l'ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d'accueil, d'information, d'orientation et d'accompagnement à l'accès à la formation professionnelle initiale ou continue, ou à un emploi ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu qu'« à supposer que le salarié participe bien à une mission de service public, ce que ce dernier conteste, une telle mission ne lui interdit nullement l'engagement politique ainsi que des activités de propagande politique » (arrêt p. 8) ; qu'en mettant en doute, pour se déterminant comme elle l'a fait, le fait que le salarié participait bien à une mission de service public, quand cela ressortait de la loi, la cour d'appel a violé les articles L. 5314-2, L. 1121-1 et L. 1132-1 du code du travail ;
4) ALORS QUE le salarié qui participe à une mission de service public est tenu par une obligation de laïcité qui lui interdit de faire du prosélytisme religieux ; qu'il en va ainsi, notamment, d'un salarié appelé à intervenir auprès du jeune public ; qu'en l'espèce, la Mission locale du pays salonais faisait valoir qu'elle avait licencié M. [Z] pour avoir, sur son compte Facebook accessible à tous, fait du prosélytisme religieux agressif en, notamment, diffusant des sourates du Coran appelant au combat et en invitant à diffuser massivement le Coran ; qu'en retenant que « l'employeur ne pouvait (
) faire interdiction au salarié de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail » (arrêt p. 8) et que « le devoir de réserve qui s'impose [au salarié] en dehors de ses fonctions ne pouvant concerner l'expression publique de sa foi ni la propagation du message religieux » (arrêt pp. 8-9), la cour d'appel a violé le principe de laïcité du service public, ensemble les articles L. 5314-2, L. 1121-1 et L. 1132-1 du code du travail ;
5) ALORS, en toute hypothèse, QUE les salariés de droit privé mis à disposition d'une collectivité territoriale sont soumis aux mêmes obligations que les fonctionnaires, dont les obligations de neutralité et de laïcité ; qu'en l'espèce, en retenant qu'un conseiller d'insertion au sein d'une mission locale, même mis à disposition d'une municipalité, ne perdait nullement sa liberté d'engagement politique et d'expression publique de cet engagement en dehors de l'exercice de ses fonctions et qu'il pouvait librement critiquer l'Etat et se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail, la cour d'appel a violé l'article 61-2 de la loi n° 2007-148 de modernisation de la fonction publique du 2 février 2007 et l'article 11 du décret d'application du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux ;
6) ALORS en toute hypothèse QUE le salarié est tenu, au titre de son contrat de travail, d'une obligation de loyauté à laquelle est inhérent un certain devoir de réserve ; que tel est en particulier le cas du salarié employé par une personne en charge d'une mission d'intérêt général, et qui est amené à travailler auprès du jeune public, ce qui justifie une obligation renforcée de loyauté et de réserve ; qu'en affirmant, pour retenir une discrimination impliquant la nullité du licenciement, que « l'employeur ne pouvait (
) faire interdiction au salarié de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail » (arrêt p. 8) et que « le devoir de réserve qui s'impose [au salarié] en dehors de ses fonctions ne pouvant concerner l'expression publique de sa foi ni la propagation du message religieux » (arrêt pp. 8-9), tandis que les fonctions du salarié au service de la mission locale, impliquant notamment une intervention auprès du jeune public, le rendait débiteur d'une obligation de loyauté et de réserve que violait manifestement son comportement et ses propos publics sur son compte facebook, la cour d'appel a violé les articles L. 1121-1 et L. 1221-1 du code du travail ;
7) ALORS, en toute hypothèse, QUE sauf abus, le salarié jouit en dehors de l'entreprise de sa liberté d'expression à laquelle seules les restrictions justifiées par la nature la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; qu'il y a abus de la liberté d'expression lorsque les propos tenus par le salarié sont injurieux, diffamatoires ou excessifs ; qu'à cet égard, le cercle de diffusion des propos constitue un paramètre pertinent, voire prépondérant, à prendre en compte pour apprécier l'existence de l'abus ; qu'en l'espèce, en ne recherchant pas si les messages publiés par M. [Z] sur son compte Facebook accessible par tous n'étaient pas injurieux, diffamatoires ou excessifs et ne constituaient donc pas un abus de la liberté d'expression, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1 et L. 1132-1 du code du travail ;
8) ALORS QUE la lettre de licenciement fixe les termes et les limites du litige ; qu'en l'espèce, pour conclure à la nullité du licenciement de M. [Z], la cour d'appel s'est bornée à retenir que le salarié était en droit d'avoir « des activités de propagande politique », de « librement critiquer l'Etat en dehors de son travail » et « de se livrer à des actes de prosélytisme religieux dans l'espace public en dehors de son travail » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les messages publiés par M. [Z] sur son compte Facebook accessible par tous ne constituaient pas un abus de la liberté d'expression, quand il ressortait de la lettre de licenciement que la Mission locale du pays salonais avait licencié M. [Z] non seulement pour avoir manqué à ses devoirs de réserve et de laïcité mais aussi pour avoir abusé de sa liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article L. 1232-6 du code du travail. | Les principes de laïcité et de neutralité du service public qui résultent de l'article 1 de la Constitution du 4 octobre 1958 sont applicables à l'ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé.
En application des articles L. 5314-1 et L. 5314-2 du code du travail, les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes constituées sous forme d'association sont des personnes de droit privé gérant un service public.
Il résulte par ailleurs de l'article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique, et de l'article 11 du décret n° 2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux, que le salarié de droit privé mis à disposition d'une collectivité territoriale est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public.
Il s'ensuit qu'un salarié de droit privé, employé par une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes et mis à disposition d'une collectivité territoriale, est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et dès lors à une obligation de réserve en dehors de l'exercice de ses fonctions, tant en sa qualité de salarié d'une personne de droit privé gérant un service public qu'en celle de salarié mis à disposition d'une collectivité publique.
Ne donne pas de base légale à sa décision la cour d'appel ayant jugé nul le licenciement d'un salarié car discriminatoire pour avoir été prononcé au motif de l'expression par ce dernier de ses opinions politiques et convictions religieuses, alors qu'il résultait de ses constatations que l'intéressé, référent au sein d'une commune pour les missions d'insertion auprès d'un public de jeunes en difficulté scolaire et professionnelle, en grande fragilité sociale, avait publié sur son compte Facebook ouvert à tous, sous son propre nom, fin novembre et début décembre 2015, des commentaires mentionnant « Je refuse de mettre le drapeau ... Je ne sacrifierai jamais ma religion, ma foi, pour un drapeau quel qu'il soit », « Prophète ! Rappelle-toi le matin où tu quittas ta famille pour aller placer les croyants à leurs postes de combat », sans rechercher, comme il lui était demandé, si la consultation du compte Facebook du salarié permettait son identification en qualité de conseiller d'insertion sociale et professionnelle affecté au sein de la commune, notamment par les jeunes en difficulté auprès desquels il exerçait ses fonctions, et si, au regard de la virulence des propos litigieux ainsi que de la publicité qui leur était donnée, lesdits propos étaient susceptibles de caractériser un manquement à l'obligation de réserve du salarié en dehors de l'exercice de ses fonctions en tant qu'agent du service public de l'emploi mis à la disposition d'une collectivité territoriale, en sorte que son licenciement était justifié par une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article L. 1133-1 du code du travail, tenant au manquement à son obligation de réserve |
8,201 | SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 octobre 2022
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1254 FS-B
Pourvoi n° U 21-18.248
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022
La Régie autonome des transports parisiens, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-18.248 contre l'arrêt rendu le 6 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant à M. [D] [V], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Régie autonome des transports parisiens, de Me Ridoux, avocat de M. [V], et l'avis écrit et oral de M. Gambert, avocat général, lors l'audience publique du 6 septembre 2022, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, M. Le Corre, Mme Prieur, M. Carillon, conseillers référendaires, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 mai 2021), rendu en référé, M. [V], engagé le 20 août 2007 en qualité de machiniste receveur stagiaire par la Régie autonome des transports parisiens (RATP), exerçait depuis le 23 décembre 2013 les fonctions d'agent de sécurité au sein du groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR).
2. Par décision du 8 août 2018, le préfet de police de Paris a abrogé la décision d'autorisation de port d'arme précédemment accordée au salarié.
3. Le salarié a postulé à un poste de machiniste-receveur et la RATP a demandé au ministère de l'intérieur une enquête sur la compatibilité du comportement du salarié avec cette fonction, sur le fondement de l'article L. 114-2 alinéa 1er du code de la sécurité intérieure. Le 30 octobre 2018, le ministre de l'intérieur a rendu un avis d'incompatibilité.
4. Le 12 décembre 2018, le salarié a été licencié, avec dispense de préavis, au visa de cet avis.
5. Sur recours du salarié, le tribunal administratif a, par jugements du 9 mai 2019, annulé la décision d'abrogation de l'autorisation de port d'arme et l'avis d'incompatibilité.
6. Le 13 décembre 2019, le salarié a saisi la formation des référés de la juridiction prud'homale pour obtenir l'annulation du licenciement et sa réintégration.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration du salarié au sein de la RATP dans son dernier poste occupé d'agent de sécurité, ou dans un poste équivalent, dans les quinze jours de la signification de l'arrêt, d'ordonner à défaut de réintégration dans ce délai une astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard pendant six mois, de le condamner à payer par provision au salarié les salaires qu'il n'a pas perçus entre son licenciement et sa réintégration, alors « que le droit au recours effectif devant une juridiction n'a ni pour objet, ni pour effet d'interdire à l'employeur de procéder au licenciement d'un salarié sur le fondement d'une décision administrative rendant impossible l'exercice par le salarié de ses fonctions, dans l'attente d'un éventuel recours exercé par le salarié à l'encontre de cette décision administrative et de l'obtention d'une décision de justice définitive ; que dans une telle hypothèse, si un tel licenciement peut ultérieurement être privé de cause réelle et sérieuse en cas d'annulation de la décision administrative sur laquelle il est appuyé, il ne fait aucunement obstacle à ce que le salarié fasse valoir ses droits, postérieurement au licenciement, devant les juridictions compétentes ; que le droit au recours effectif est alors préservé par la possibilité pour le salarié d'obtenir réparation du préjudice résultant de son licenciement devenu injustifié ; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations de l'arrêt que le salarié a exercé un recours, d'une part, devant la juridiction administrative pour contester l'avis d'incompatibilité émis par le SNEAS sur le fondement de l'alinéa 1er l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, ayant servi de base à son licenciement, qui a donné lieu au jugement du 9 mai 2019 et, d'autre part, devant la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé de son licenciement par la RATP ; que la cour d'appel a néanmoins ordonné la réintégration du salarié au sein de la RATP et lui a alloué une provision au titre des salaires non perçus entre son licenciement et sa réintégration, au motif que la RATP avait prononcé son licenciement au visa de l'avis d'incompatibilité émis par le SNEAS avant que le salarié n'ait pu former un recours administratif à l'encontre de cette décision administrative, dont il n'avait pu prendre connaissance qu'au moment de son licenciement, ce dont elle a déduit que ‘'l'ordonnance rendue le 10 mars 2020 par le juge départiteur qui a dit n'y avoir lieu à référé sera donc infirmée, dès lors que le juge s'est limité à affirmer que le salarié avait bénéficié du droit au recours effectif pour contester la décision administrative, alors que ce recours n'a pu intervenir que postérieurement au licenciement'‘ ; qu'en statuant ainsi, cependant que le droit au recours effectif n'implique pas que le salarié puisse contester en justice le bien-fondé de la cause de son licenciement avant que ledit licenciement ne soit prononcé par l'employeur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constations et a de plus fort violé les articles L. 1235-1, L. 1235-2 et L. 1235-3 du code du travail, ensemble les articles L. 1221-1 du code du travail et 6, § 1 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte de l'article R. 1455-6 du code du travail que le juge des référés peut, même en l'absence de disposition l'y autorisant, ordonner la poursuite des relations contractuelles en cas de violation d'une liberté fondamentale par l'employeur.
10. Selon l'article L. 1235-3-1 du code du travail, est nul le licenciement intervenu en violation de la liberté fondamentale d'agir en justice.
11. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes peuvent être précédées d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées.
12. Aux termes du deuxième alinéa de cet article, si le comportement d'une personne occupant un emploi mentionné au premier alinéa laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l'exercice des missions pour lesquelles elle a été recrutée ou affectée, une enquête administrative peut être menée à la demande de l'employeur ou à l'initiative de l'autorité administrative.
13. Le septième alinéa de cet article dispose que, lorsque le résultat d'une enquête réalisée en application du deuxième alinéa fait apparaître que le comportement du salarié concerné est incompatible avec l'exercice des missions pour lesquelles il a été recruté ou affecté, l'employeur lui propose un emploi autre que ceux mentionnés au premier alinéa et correspondant à ses qualifications et, en cas d'impossibilité de procéder à un tel reclassement ou en cas de refus du salarié, l'employeur engage à son encontre une procédure de licenciement, l'incompatibilité constituant la cause réelle et sérieuse du licenciement.
14. Selon le neuvième alinéa de cet article, dans le cas d'un avis d'incompatibilité émis par l'autorité administrative à la suite d'une enquête administrative menée sur le fondement du deuxième alinéa de cet article, le salarié peut contester, devant le juge administratif, l'avis de l'autorité administrative dans un délai de quinze jours à compter de sa notification et, de même que l'autorité administrative, interjeter appel puis se pourvoir en cassation dans le même délai. Les juridictions saisies au fond statuent dans un délai de deux mois. La procédure de licenciement ne peut être engagée tant qu'il n'a pas été statué en dernier ressort sur ce litige.
15. Il en résulte, d'une part, que l'avis d'incompatibilité émis sur le fondement du premier alinéa de ce texte a pour seul effet de faire obstacle à l'affectation de la personne concernée sur le poste envisagé mais ne peut justifier un licenciement, une telle mesure n'étant autorisée que sur le fondement d'un avis d'incompatibilité délivré en application du deuxième alinéa, à l'issue du recours spécifique exercé le cas échéant par l'intéressé et, d'autre part, que la saisine de l'administration par l'employeur sur un fondement qui ne correspond pas au statut du salarié, constitutive d'un détournement de procédure privant ce dernier du recours suspensif prévu par le texte susvisé, rend le licenciement nul.
16. L'arrêt a constaté que le salarié était affecté depuis le 23 décembre 2013 à un poste d'agent de sécurité au sein du GPSR de la RATP, ce dont il résulte que ce dernier occupait, lors de la demande d'avis, un emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes et que l'enquête administrative le concernant relevait du deuxième alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure.
17. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié en ce qu'il a retenu que le licenciement, intervenu alors que l'intéressé n'avait pas eu connaissance des résultats de l'enquête administrative et n'avait pas été en mesure d'exercer le recours suspensif prévu par ce texte, constituait un trouble manifestement illicite et a ordonné sa réintégration.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la RATP aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la RATP et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Régie autonome des transports parisiens
La RATP fait grief à l'arrêt attaqué infirmatif d'AVOIR ordonné la réintégration de M. [D] [V] au sein de la RATP dans son dernier poste occupé, d'agent de sécurité, ou dans un poste équivalent, dans les quinze jours de la signification du présent arrêt, d'AVOIR ordonné à défaut de réintégration dans ce délai une astreinte provisoire de 500 € par jour de retard pendant six mois, d'AVOIR condamné la RATP à payer par provision à M. [D] [V] les salaires qu'il n'a pas perçus entre son licenciement et sa réintégration ;
1. ALORS QUE si le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite, il reste tenu, pour prononcer une telle mesure, de trancher le différend au regard des règles de droit applicables ; qu'en l'absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d'une liberté fondamentale, le juge ne peut ni annuler un licenciement, ni prononcer la réintégration du salarié dans l'entreprise ; que lorsqu'un licenciement a été fondé sur un avis d'incompatibilité rendu par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) du ministère de l'Intérieur, dans les conditions prévues par l'article L. 144-2 du code de la sécurité intérieure, l'annulation ultérieure de cet avis par la juridiction administrative prive de cause réelle et sérieuse le licenciement prononcé mais n'entraîne pas sa nullité ; qu'il en résulte que lorsque le juge des référés considère qu'un licenciement est privé de cause réelle et sérieuse et/ou a été prononcé au terme d'une procédure irrégulière, il ne peut pas ordonner la réintégration du salarié dans l'entreprise et peut seulement lui allouer une provision de nature indemnitaire, destinée à couvrir le préjudice subi; qu'au cas présent, il ressort des propres constatations de l'arrêt que M. [D] [V] a occupé le poste d'agent de sécurité au Groupe de protection et de sécurité des réseaux (GPSR) au sein du département de la sécurité (SEC) de la RATP du 1er décembre 2013 au 8 août 2018, date à laquelle la Préfecture de police a abrogé l'autorisation du port d'arme dont il bénéficiait ; que M. [V], se trouvant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions d'agent de sécurité, a effectué le 3 septembre 2018 une demande de mobilité vers le poste de machiniste receveur (i.e. conducteur) ; que conformément aux dispositions de l'article L. 114-2 et R. 114-7 du code de la sécurité intérieure, cette candidature a fait l'objet d'une enquête de sécurité du SNEAS ayant donné lieu, le 30 octobre 2018, à un avis d'incompatibilité de M. [V] aux fonctions de machiniste-receveur ; que, pour ce motif, la RATP a licencié M. [V] avec dispense de préavis le 12 décembre 2018 ; que par jugement du 9 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a annulé l'avis d'incompatibilité émis par le SNEAS à l'encontre de M. [V], faute pour le ministère de l'intérieur de produire les éléments factuels l'ayant conduit à prendre cette décision ; que pour ordonner la réintégration de M. [V] au sein de la RATP et lui allouer une provision au titre des salaires non perçus entre son licenciement et sa réintégration, la cour d'appel, statuant en référé, a affirmé que « la RATP, appliquant le dispositif prévu par le deuxième alinéa [de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure], a notifié au salarié son licenciement par lettre du 12 décembre 2018, suite à l'avis d'incompatibilité du 30 octobre 2018 émis par le ministre de l'Intérieur. La RATP a donc mis en oeuvre un licenciement non prévu par le [premier alinéa de l'article L. 114-2], dans un cadre où le salarié n'a pas connaissance des résultats de l'enquête administrative et n'a pas été en mesure d'exercer un recours contre l'avis d'incompatibilité émis à l'issue de cette enquête. Le licenciement prononcé dans ces conditions relève du trouble manifestement illicite qui permet à la juridiction statuant en référé d'ordonner la réintégration du salarié » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la nullité du licenciement n'était pas encourue faute de texte le prévoyant et à défaut d'une violation d'une liberté fondamentale, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-1, L. 1235-2 et L. 1235-3 du code du travail, ensemble l'article 12 du code de procédure civile et R. 1455-6 du code du travail ;
2. ALORS QUE le droit au recours effectif devant une juridiction n'a ni pour objet, ni pour effet d'interdire à l'employeur de procéder au licenciement d'un salarié sur le fondement d'une décision administrative rendant impossible l'exercice par le salarié de ses fonctions, dans l'attente d'un éventuel recours exercé par le salarié à l'encontre de cette décision administrative et de l'obtention d'une décision de justice définitive ; que dans une telle hypothèse, si un tel licenciement peut ultérieurement être privé de cause réelle et sérieuse en cas d'annulation de la décision administrative sur laquelle il est appuyé, il ne fait aucunement obstacle à ce que le salarié fasse valoir ses droits, postérieurement au licenciement, devant les juridictions compétentes ; que le droit au recours effectif est alors préservé par la possibilité pour le salarié d'obtenir réparation du préjudice résultant de son licenciement devenu injustifié ; qu'au cas présent, il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [V] a exercé un recours, d'une part, devant la juridiction administrative pour contester l'avis d'incompatibilité émis par le SNEAS sur le fondement de l'alinéa 1er l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, ayant servi de base à son licenciement, qui a donné lieu au jugement du 9 mai 2019 et, d'autre part, devant la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé de son licenciement par la RATP ; que la cour d'appel a néanmoins ordonné la réintégration de M. [V] au sein de la RATP et lui a alloué une provision au titre des salaires non perçus entre son licenciement et sa réintégration, au motif que la RATP avait prononcé son licenciement au visa de l'avis d'incompatibilité émis par le SNEAS avant que M. [V] n'ait pu former un recours administratif à l'encontre de cette décision administrative, dont il n'avait pu prendre connaissance qu'au moment de son licenciement, ce dont elle a déduit que « l'ordonnance rendue le 10 mars 2020 par le juge départiteur qui a dit n'y avoir lieu à référé sera donc infirmée, dès lors que le juge s'est limité à affirmer que le salarié avait bénéficié du droit au recours effectif pour contester la décision administrative, alors que ce recours n'a pu intervenir que postérieurement au licenciement » ; qu'en statuant ainsi, cependant que le droit au recours effectif n'implique pas que le salarié puisse contester en justice le bien-fondé de la cause de son licenciement avant que ledit licenciement ne soit prononcé par l'employeur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constations et a de plus fort violé les articles L. 1235-1, L. 1235-2 et L. 1235-3 du code du travail, ensemble les articles L. 1221-1 du code du travail et 6, § 1 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. | L'avis d'incompatibilité émis par l'autorité administrative sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure a pour seul effet de faire obstacle à l'affectation de la personne concernée sur le poste envisagé mais ne peut justifier un licenciement. Une telle mesure n'est autorisée que sur le fondement d'un avis d'incompatibilité délivré en application du deuxième alinéa de l'article L. 114-2 , à l'issue du recours spécifique, prévu par le neuvième alinéa de cet article, exercé le cas échéant par l'intéressé.
Ainsi, la saisine de l'administration par l'employeur sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2, alors que le salarié occupe déjà un emploi en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein d'une entreprise de transport public de personnes et relève à ce titre du deuxième alinéa de ce texte, constitue un détournement de procédure privant l'intéressé du recours suspensif prévu par cet article et rend le licenciement, prononcé au visa de l'avis d'incompatibilité émis sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, nul pour violation de la liberté fondamentale d'agir en justice |
8,202 | N° W 21-86.652 FS-B
N° 01214
RB5
19 OCTOBRE 2022
IRRECEVABILITÉ
DÉCHÉANCE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 OCTOBRE 2022
La société [2] et la [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 28 octobre 2021, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre la première, des chefs de pratiques commerciales trompeuses, escroqueries et mise sur le marché de dispositifs médicaux sans avoir obtenu de certificat CE, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit pour la [1].
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la [1], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une enquête préliminaire a été diligentée des chefs susvisés sur les agissements de la société [2] qui, à compter de mars 2020, a créé et administré plusieurs sites internet destinés à la commercialisation de produits pharmaceutiques liés à la pandémie de la Covid-19.
3. Dans le cadre des investigations, les enquêteurs ont procédé à la saisie de la somme de 908 428,77 euros figurant au crédit d'un des deux comptes ouverts par la société [2] auprès de la [1] qui, postérieurement, leur a fait savoir que, par le jeu d'une convention d'unité de comptes conclue entre elle et la société [2] le 14 décembre 2015, le solde fusionné des comptes de celle-ci était en réalité débiteur de 114 985,57 euros.
4. Le juge des libertés et de la détention a ordonné le maintien de la saisie effectuée sur le compte créditeur, à hauteur de 908 428,77 euros, par une ordonnance du 31 mars 2020 dont la société [2] et la [1] ont interjeté appel.
Déchéance du pourvoi formé par la société [2]
5. La société [2] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé par la [1]
6. En vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (1re Civ., 20 avril 1983, pourvoi n° 82-10.114, Bull. 1983, I, n° 127 ; Com., 13 janvier 1987, pourvoi n° 85-13.997, Bull. 1987, IV, n° 15), les sommes inscrites sur un compte bancaire constituent dès leur versement, quelle que soit l'origine des fonds versés, une créance du titulaire du compte contre l'établissement de crédit auprès duquel est ouvert ledit compte.
7. Il en résulte que la [1], établissement détenteur du compte de la société [2], a la qualité de débiteur de cette dernière.
8. La Cour de cassation juge que le débiteur d'une créance saisie en application de l'article 706-153 du code de procédure pénale n'est pas un tiers ayant des droits sur ce bien au sens de ce texte et n'a donc pas qualité pour exercer un recours contre l'ordonnance de saisie ni pour se pourvoir en cassation (Crim., 20 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.066, publié au Bulletin).
9. Il doit en être jugé de même à l'égard de l'établissement de crédit auprès duquel est ouvert le compte sur lequel les sommes ont été saisies en application de l'article 706-154 du code de procédure pénale.
10. Il appartient à l'établissement de crédit débiteur, lorsqu'il conteste devoir consigner la somme due auprès de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, de saisir le magistrat qui a ordonné la saisie ou le juge d'instruction en cas d'ouverture d'une information judiciaire postérieurement à la saisie, d'une requête relative à l'exécution de celle-ci sur le fondement de l'article 706-144 du code de procédure pénale.
11. Il s'ensuit que le pourvoi n'est pas recevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par la société [2] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur le pourvoi formé par la [1] :
LE DÉCLARE IRRECEVABLE ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.
Le Rapporteur Le Président
Le Greffier de chambre | Le solde créditeur d'un compte bancaire constitue, au sens de l'article 706-153 du code de procédure pénale qui prévoit la saisie des droits incorporels, une créance détenue par le titulaire de ce compte à l'encontre de l'établissement bancaire auprès duquel il est ouvert.
Il en résulte qu'en cas de saisie effectuée sur ledit compte en application des dispositions de l'article 706-154 du même code, l'établissement bancaire qui a la qualité de débiteur de la créance, n'est pas un tiers ayant des droits au sens des dispositions susvisées et n'a donc pas qualité pour exercer un recours contre l'ordonnance de saisie, ni pour se pourvoir en cassation |
8,203 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1068 FS-B
Pourvoi n° W 21-13.558
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
Mme [G] [L], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 21-13.558 contre l'arrêt rendu le 7 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 2-1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [R] [U], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [D] [L], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de Mme [L], de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [U], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, Vendryes, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 janvier 2021) et les productions, Mme [L] a, par une déclaration du 25 janvier 2019, relevé appel du jugement par lequel un tribunal de grande instance a déclaré prescrites ses actions en nullité d'une vente consentie à M. [U], en requalification de cette vente en libéralité, en constatation de l'existence d'un recel successoral, rapport à succession et réduction de la quotité disponible et qui l'a déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité d'occupation.
2. Le 5 avril 2019, Mme [L] a fait délivrer à M. [L], intimé n'ayant pas constitué avocat, une assignation devant la cour d'appel, avec signification de la déclaration d'appel, remise par voie électronique au greffe le 9 avril 2019.
3. Le 18 avril 2019, elle a remis au greffe des conclusions.
4. Un conseiller de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d'appel, par une ordonnance que Mme [L] a déférée à la cour d'appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Mme [L] fait grief à l'arrêt de prononcer la caducité de sa déclaration d'appel, alors que « l'assignation vaut conclusions ; que la caducité d'une déclaration d'appel pour absence de signification, dans le délai prescrit, des conclusions à un intimé défaillant, n'est pas encourue si la déclaration d'appel, signifiée à cet intimé, détermine l'objet du litige et l'ensemble des prétentions sur le fond ; qu'en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel de Mme [L], que, par application des dispositions de l'article 911 du code de procédure civile, l'intéressée disposait d'un délai de quatre mois à compter de sa déclaration d'appel, soit jusqu'au 25 mai 2019, pour faire signifier ses conclusions à M. [L], intimé défaillant, que les conclusions datées du 18 avril 2019 n'ont pas été signifiées à l'intimé défaillant malgré l'avis d'avoir à y procéder adressé par le greffe de la cour, que, préalablement, le 5 avril 2019, ainsi qu'elle l'a indiqué dans sa requête, elle « avait fait délivrer par exploit d'huissier à M. [L] une assignation avec signification de la déclaration d'appel et du jugement », que cette assignation valant conclusions ne pouvait empêcher la sanction de caducité qu'à la condition de répondre aux exigences des articles 910-1, 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, c'est-à-dire de déterminer l'objet du litige et, conformément aux dispositions de l'article 910-4 du même code, de présenter l'ensemble des prétentions sur le fond et que seules les conclusions du 18 avril 2019, non signifiées à l'intimé défaillant, répondaient à ces conditions, de sorte que la caducité de l'appel est encourue, faute de signification de ces dernières conclusions à M. [L], quand la déclaration d'appel de Mme [L] déterminait suffisamment l'objet du litige et l'ensemble des prétentions sur le fond, la cour d'appel a violé les articles 4, 56, 911 et 910-1 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
7. Devant la cour d'appel, par application de l'article 56 du code de procédure civile, l'assignation vaut conclusions dès lors qu'elle comporte des prétentions et moyens déterminant l'objet du litige conformément à l'article 954 du même code, et qu'elle répond aux exigences prescrites par les articles 906, 908,910-1, 910-4 et 911. À défaut la déclaration d'appel est caduque.
8. L'arrêt relève, par motifs propres et adoptés, que les conclusions du 18 avril 2019 n'ont pas été signifiées à l'intimé défaillant au plus tard le 25 mai 2019, malgré l'avis d'avoir à y procéder adressé à l'appelante par le greffe, et fait ressortir que l'assignation ne pouvait valoir conclusions à défaut de satisfaire aux exigences requises, de déterminer l'objet du litige et, conformément aux dispositions de l'article 910-4 du même code, de présenter l'ensemble des prétentions sur le fond.
9. Il ajoute que seules les conclusions du 18 avril 2019, non signifiées à l'intimé défaillant, répondent à ces conditions.
10. En l'état de ces constatations, énonciations et appréciations, la cour d'appel a exactement déduit que, faute de signification de ces dernières conclusions à M. [L], la caducité de l'appel était encourue.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [L] et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour Mme [L]
Mme [L] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, confirmant en toutes ses dispositions l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 10 décembre 2019, prononcé la caducité de sa déclaration d'appel ;
1°) ALORS QUE l'assignation vaut conclusions ; que la caducité d'une déclaration d'appel pour absence de signification, dans le délai prescrit, des conclusions à un intimé défaillant, n'est pas encourue si la déclaration d'appel, signifiée à cet intimé, détermine l'objet du litige et l'ensemble des prétentions sur le fond ; qu'en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel de Mme [L], que, par application des dispositions de l'article 911 du code de procédure civile, l'intéressée disposait d'un délai de quatre mois à compter de sa déclaration d'appel, soit jusqu'au 25 mai 2019, pour faire signifier ses conclusions à M. [L], intimé défaillant, que les conclusions datées du 18 avril 2019 n'ont pas été signifiées à l'intimé défaillant malgré l'avis d'avoir à y procéder adressé par le greffe de la cour, que, préalablement, le 5 avril 2019, ainsi qu'elle l'a indiqué dans sa requête, elle « avait fait délivrer par exploit d'huissier à M. [L] une assignation avec signification de la déclaration d'appel et du jugement », que cette assignation valant conclusions ne pouvait empêcher la sanction de caducité qu'à la condition de répondre aux exigences des articles 910-1, 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, c'est-à-dire de déterminer l'objet du litige et, conformément aux dispositions de l'article 910-4 du même code, de présenter l'ensemble des prétentions sur le fond et que seules les conclusions du 18 avril 2019, non signifiées à l'intimé défaillant, répondaient à ces conditions, de sorte que la caducité de l'appel est encourue, faute de signification de ces dernières conclusions à M. [L], quand la déclaration d'appel de Mme [L] déterminait suffisamment l'objet du litige et l'ensemble des prétentions sur le fond, la cour d'appel a violé les articles 4, 56, 911 et 910-1 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'assignation vaut conclusions ; que l'irrégularité résultant de l'absence de motivation de l'assignation est couverte par les dernières conclusions de l'appelant ; qu'au demeurant, en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel de Mme [L], que, par application des dispositions de l'article 911 du code de procédure civile, l'intéressée disposait d'un délai de quatre mois à compter de sa déclaration d'appel, soit jusqu'au 25 mai 2019, pour faire signifier ses conclusions à M. [L], intimé défaillant, que les conclusions datées du 18 avril 2019 n'ont pas été signifiées à l'intimé défaillant malgré l'avis d'avoir à y procéder adressé par le greffe de la cour, que, préalablement, le 5 avril 2019, ainsi qu'elle l'a indiqué dans sa requête, elle « avait fait délivrer par exploit d'huissier à M. [L] une assignation avec signification de la déclaration d'appel et du jugement », que cette assignation valant conclusions ne pouvait empêcher la sanction de caducité qu'à la condition de répondre aux exigences des articles 910-1, 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, c'est-à-dire de déterminer l'objet du litige et, conformément aux dispositions de l'article 910-4 du même code, de présenter l'ensemble des prétentions sur le fond et que seules les conclusions du 18 avril 2019, non signifiées à l'intimé défaillant, répondaient à ces conditions, de sorte que la caducité de l'appel est encourue, faute de signification de ces dernières conclusions à M. [L], quand l'éventuelle irrégularité résultant de l'absence de motivation de l'assignation avait été couverte par les dernières conclusions d'appel de Mme [L], la cour d'appel a violé les articles 4, 56, 911 et 910-1 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE l'assignation vaut conclusions ; que la caducité de la déclaration d'appel, faute de motivation de l'assignation, ne peut être encourue qu'avec la preuve, par celui qui l'invoque, du grief que lui a causé l'irrégularité ; que, de même, en retenant ainsi, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel de Mme [L], que, par application des dispositions de l'article 911 du code de procédure civile, l'intéressée disposait d'un délai de quatre mois à compter de sa déclaration d'appel, soit jusqu'au 25 mai 2019, pour faire signifier ses conclusions à M. [L], intimé défaillant, que les conclusions datées du 18 avril 2019 n'ont pas été signifiées à l'intimé défaillant malgré l'avis d'avoir à y procéder adressé par le greffe de la cour, que, préalablement, le 5 avril 2019, ainsi qu'elle l'a indiqué dans sa requête, elle « avait fait délivrer par exploit d'huissier à M. [L] une assignation avec signification de la déclaration d'appel et du jugement », que cette assignation valant conclusions ne pouvait empêcher la sanction de caducité qu'à la condition de répondre aux exigences des articles 910-1, 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, c'est-à-dire de déterminer l'objet du litige et, conformément aux dispositions de l'article 910-4 du même code, de présenter l'ensemble des prétentions sur le fond et que seules les conclusions du 18 avril 2019, non signifiées à l'intimé défaillant, répondaient à ces conditions, de sorte que la caducité de l'appel est encourue, quand la caducité de la déclaration d'appel de Mme [L], faute de motivation de l'assignation, ne pouvait être encourue qu'avec la preuve, par celui qui l'invoquait, du grief que lui avait causé l'irrégularité, la cour d'appel a violé les articles 114 et 911 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE le prononcé de la caducité d'une déclaration d'appel pour absence de signification, dans le délai prescrit, des conclusions à un intimé défaillant est une sanction disproportionnée au but poursuivi, à savoir l'encadrement des délais de procédure afin d'assurer la célérité et l'efficacité de l'appel, voie de recours ordinaire ; qu'en toute hypothèse, en retenant, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel de Mme [L], que, par application des dispositions de l'article 911 du code de procédure civile, l'intéressée disposait d'un délai de quatre mois à compter de sa déclaration d'appel, soit jusqu'au 25 mai 2019, pour faire signifier ses conclusions à M. [L], intimé défaillant, que les conclusions datées du 18 avril 2019 n'ont pas été signifiées à l'intimé défaillant malgré l'avis d'avoir à y procéder adressé par le greffe de la cour, que, préalablement, le 5 avril 2019, ainsi qu'elle l'a indiqué dans sa requête, elle « avait fait délivrer par exploit d'huissier à M. [L] une assignation avec signification de la déclaration d'appel et du jugement », que cette assignation valant conclusions ne pouvait empêcher la sanction de caducité qu'à la condition de répondre aux exigences des articles 910-1, 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile, c'est-à-dire de déterminer l'objet du litige et, conformément aux dispositions de l'article 910-4 du même code, de présenter l'ensemble des prétentions sur le fond et que seules les conclusions du 18 avril 2019, non signifiées à l'intimé défaillant, répondaient à ces conditions, de sorte que la caducité de l'appel est encourue, quand le prononcé de la caducité de la déclaration d'appel de Mme [L] pour absence de signification, dans le délai prescrit, des conclusions à un intimé défaillant, était une sanction disproportionnée au but poursuivi, à savoir l'encadrement des délais de procédure afin d'assurer la célérité et l'efficacité de l'appel, voie de recours ordinaire, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 911, 910-1, 905-2 et 908 à 910 du code de procédure civile. | Devant la cour d'appel, par application de l'article 56 du code de procédure civile, l'assignation vaut conclusions dès lors qu'elle comporte des prétentions et moyens déterminant l'objet du litige, conformément à l'article 954 du même code, et qu'elle répond aux exigences prescrites par les articles 906, 908, 910-1, 910-4 et 911. A défaut, la déclaration d'appel est caduque |
8,204 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1071 F-B
Pourvoi n° N 21-15.942
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
Mme [E] [F], épouse [G], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-15.942 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel de Versailles (2e chambre, 1re section), dans le litige l'opposant à M. [R] [G], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [F] épouse [G], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [G], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 février 2021) et les productions, M. [G] a relevé appel, le 2 mars 2020, d'un jugement rendu le 19 décembre 2019 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Versailles dans un litige l'opposant à Mme [G] quant au divorce des époux et aux conséquences en résultant.
2. M. [G] a signifié ses premières conclusions d'appelant à Mme [G], alors non constituée, le 11 juin 2020.
3. Le 11 septembre 2020, Mme [G] a déposé ses premières conclusions d'intimée contenant appel incident, devant la 2ème chambre 1ère section de la cour d'appel.
4. Mme [G] a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré d'office irrecevables toutes conclusions que pourrait déposer l'intimée postérieurement au 11 septembre 2020.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Mme [G] fait grief à l'arrêt de rejeter le déféré formé contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état, alors « que les conclusions exigées par l'article 909 du code de procédure civile sont celles, adressées à la cour d'appel, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte et qui déterminent l'objet du litige ; qu'en jugeant qu'elle n'était pas saisie des conclusions d'intimée contenant appel incident de Mme [F] du 11 septembre 2020, motif pris de ce que le dispositif de ces conclusions mentionnait « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état », quand lesdites conclusions, contenant une demande de réformation partielle du jugement entrepris, ainsi que des prétentions et des moyens sur le fond, déterminaient l'objet du litige et avaient été transmises à la cour d'appel par la voie du RPVA dans le délai de trois mois suivant la notification des conclusions de l'appelant, de sorte qu'elle en était bien saisie en dépit de la référence erronée au conseiller de la mise en état, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne comporte pas, a violé les articles 909 et 910-1 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 910-1 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l'objet du litige.
7. Pour déclarer d'office irrecevables toutes conclusions que pourrait déposer l'intimée postérieurement au 11 septembre 2020, l'arrêt retient qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, seul le dispositif des conclusions doit être pris en considération, que (le dispositif des) conclusions signifiées par l'intimée, qui mentionne « il est demandé au conseiller de la mise en état », est adressé au conseiller de la mise en état, et que l'indication « plaise à la cour », dans le corps des écritures, ne peut permettre de le corriger, de sorte que, les règles de procédure civile étant édictées afin de garantir aux parties, dans un cadre de sécurité juridique, un procès équitable, les conclusions de l'intimée du 11 septembre 2020 ne saisissent pas la cour d'appel et, le délai pour conclure n'ayant pas été suspendu, l'intimée n'a pas conclu dans le délai qui lui était imparti.
8. En statuant ainsi, alors que les conclusions au fond de Mme [G] contenaient une demande de réformation partielle du jugement ainsi que des prétentions et moyens sur le fond, et lui avaient été transmises par le RPVA, selon les exigences requises, la cour d'appel, qui en était saisie quand bien même elles comportaient une référence erronée au conseiller de la mise en état, et qui ne pouvait que les déclarer recevables, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à Mme [F] épouse [G] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme [F] épouse [G]
Mme [F] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré infondé et rejeté le déféré qu'elle avait formé à l'encontre d'une ordonnance du conseiller de la mise en état du 13 octobre 2020 qui avait déclaré irrecevables toutes conclusions qu'elle pourrait déposer postérieurement au 11 septembre 2020 ;
1°) ALORS QUE les conclusions exigées par l'article 909 du code de procédure civile sont celles, adressées à la cour d'appel, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte et qui déterminent l'objet du litige ; qu'en jugeant qu'elle n'était pas saisie des conclusions d'intimée contenant appel incident de Mme [F] du 11 septembre 2020, motif pris de ce que le dispositif de ces conclusions mentionnait « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état », quand lesdites conclusions, contenant une demande de réformation partielle du jugement entrepris, ainsi que des prétentions et des moyens sur le fond, déterminaient l'objet du litige et avaient été transmises à la cour d'appel par la voie du RPVA dans le délai de trois mois suivant la notification des conclusions de l'appelant, de sorte qu'elle en était bien saisie en dépit de la référence erronée au conseiller de la mise en état, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne comporte pas, a violé les articles 909 et 910-1 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE si la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion, aucune règle de droit ne détermine le lieu où doit figurer la désignation de la juridiction saisie ; qu'en conséquence, en cas de discordance dans la rédaction des conclusions sur la nature de la juridiction saisie, dans celles-ci, il appartient au juge de prendre en compte l'ensemble de leurs mentions, ainsi que la nature des moyens et prétentions formulés, afin de déterminer quelle a été la volonté de leur auteur ; qu'en refusant de procéder à cette recherche, au motif que seul le dispositif des conclusions doit être pris en considération pour déterminer la juridiction saisie, la cour d'appel a violé les articles 12 et 954 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, sanctionner par une irrecevabilité l'irrégularité consistant pour l'intimé à avoir adressé, par une mention dans le dispositif, ses conclusions au fond déposées dans le délai de l'article 909 du code de procédure civile au conseiller de la mise en état et non à la cour d'appel, porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel ; qu'en se fondant sur le fait que les conclusions d'intimée contenant appel incident de Mme [F] du 11 septembre 2020 mentionnaient, dans leur dispositif, « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état » pour estimer qu'elle n'en était pas saisie, en déduire que l'intimée n'avait pas conclu dans le délai imparti par l'article 909 et déclarer irrecevables toutes conclusions qui pourraient être déposées postérieurement au 11 septembre 2020, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, le droit à un procès équitable exclut l'application immédiate d'une règle de procédure, qui résulte d'une interprétation nouvelle des articles 909 et 954 du code de procédure civile, à une instance introduite par une déclaration d'appel antérieure à sa formulation dans un arrêt publié de la Cour de cassation ; qu'en se fondant sur le fait que les conclusions d'intimée contenant appel incident de Mme [F] du 11 septembre 2020 mentionnaient, dans leur dispositif, « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état » pour estimer qu'elle n'en était pas saisie, en déduire que l'intimée n'avait pas conclu dans le délai imparti par l'article 909 et déclarer irrecevables toutes conclusions qui pourraient être déposées postérieurement au 11 septembre 2020, la cour d'appel a fait application d'une sanction, résultant d'une interprétation nouvelle des articles susvisés, n'ayant jamais été formulée dans un arrêt publié de la Cour de cassation, et a ainsi violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. | En l'état de conclusions formant appel incident, qui déterminent l'objet du litige présenté à la cour d'appel et qui sont remises, dans le délai requis, au greffe de la cour d'appel, mais qui mentionnent par erreur dans leur dispositif qu'elles sont destinées au conseiller de la mise en état, viole l'article 910-1 du code de procédure civile la cour d'appel qui décide que l'intimée n'a pas conclu dans le délai imparti |
8,205 | CIV. 2
FD
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1075 F-B
Pourvoi n° E 21-17.407
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
La SCI Villa Saint Michel, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée SCI Le Manse, société civile immobilière, a formé le pourvoi n° E 21-17.407 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la SCP Alpha mandataires judiciaires, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [V] en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de M. [Y], et anciennement dénommée société [V]-Hermont, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la SCI Villa Saint Michel anciennement dénommée SCI Le Manse, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la SCP Alpha mandataires judiciaires, prise en la personne de M. [V] en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de M. [Y], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 27 mai 2021), le 22 mai 2019, M [V], en qualité de liquidateur de M. [Y] a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière à la SCI Le Manse concernant un de ses immeubles et l'a assignée devant un juge de l'exécution.
2. Par jugement d'orientation du 15 février 2021, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Compiègne a notamment ordonné la vente forcée de l'immeuble
3. Par déclaration du 15 mars 2021, la SCI Le Manse a interjeté appel de ce jugement et a été autorisée à faire assigner à jour fixe à une audience de la cour d'appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La SCI Villa Saint Michel, anciennement dénommée SCI Le Manse, fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant mentionné que le montant retenu pour la créance de la SCP [V]-Hermont, prise en la personne de M. [V], en qualité de mandataire liquidateur de M. [Y], s'élève au 22 mai 2019 à la somme de 150 089,71 euros, outre les intérêts légaux à compter de l'assignation ou de toute mise en demeure préalable tel que prévu par l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 21 septembre 2010, majorés de 5 points à compter du 9 septembre 2015, d'ordonner la vente forcée des biens et droits immobiliers visés au commandement de payer valant saisie immobilière, et de dire que l'audience d'adjudication aura lieu dans les conditions fixées dans le cahier des conditions de la vente, à la barre du tribunal judiciaire de Compiègne le mardi 1er juin 2021 à 13h30, alors « qu'en appel, les prétentions des parties ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées sont formulés dans les conclusions ; que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'elle ne peut se déterminer, y compris dans les procédures à jour fixe, par référence à des débats oraux n'ayant pas porté sur des points abordés par les écritures des parties ; qu'en l'espèce, pour confirmer le jugement d'orientation, la cour d'appel a relevé que Me [V] ès qualités avait fait valoir, à l'audience de plaidoiries, que dans le dispositif de ses conclusions, la SCI Le Manse ne sollicitait ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, de sorte que la cour d'appel ne pouvait que confirmer le jugement ; qu'en se déterminant par référence à des débats oraux non repris dans les conclusions des parties, dans lesquelles ne figurait aucune argumentation en ce sens, la cour d'appel a violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 et 954, alinéas 1er et 3 du code de procédure civile :
5. Il résulte de ces textes que l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties, qu'en appel, dans les procédures avec représentation obligatoire, ces prétentions ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées doivent être expressément formulés dans les conclusions et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
6. Après avoir relevé qu'à l'audience des débats, les conseils des parties ont été entendus en leurs plaidoiries, précisé que le liquidateur de M. [Y] a fait valoir que, dans le dispositif des conclusions de l'appelante, celle-ci ne sollicite ni l'infirmation ni l'annulation du jugement de sorte que la cour ne peut que confirmer le jugement et observé que la SCI Le Manse n'a rien fait valoir sur ce point, l'arrêt retient que cette dernière ne demandant dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement d'orientation, le jugement ne peut qu'être confirmé des chefs critiqués par l'appelante.
7. En statuant ainsi alors que l'argumentation développée oralement par l'intimé ne figurait pas dans ses conclusions, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la SCP Alpha mandataires judiciaires prise en la personne de M. [V] en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la SCI Villa Saint Michel anciennement dénommée SCI Le Manse
La SCI Villa Saint Michel, anciennement SCI Le Manse, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement ayant mentionné que le montant retenu pour la créance de la SCP [V]-Hermont, prise en la personne de Me [V], ès-qualités de mandataire liquidateur de M. [Y], s'élève au 22 mai 2019 à la somme de 150 089,71 €, outre les intérêts légaux à compter de l'assignation ou de toute mise en demeure préalable tel que prévu par l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 21 septembre 2010, majorés de 5 points à compter du 9 septembre 2015, d'avoir ordonné la vente forcée des biens et droits immobiliers visés au commandement de payer valant saisie immobilière, et d'avoir dit que l'audience d'adjudication aura lieu dans les conditions fixées dans le cahier des conditions de la vente, à la barre du tribunal judiciaire de Compiègne le mardi 1er juin 2021 à 13h30,
1°) Alors qu'en appel, les prétentions des parties ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées sont formulés dans les conclusions ; que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'elle ne peut se déterminer, y compris dans les procédures à jour fixe, par référence à des débats oraux n'ayant pas porté sur des points abordés par les écritures des parties ; qu'en l'espèce, pour confirmer le jugement d'orientation, la cour d'appel a relevé que Me [V] ès qualités avait fait valoir, à l'audience de plaidoiries, que dans le dispositif de ses conclusions, la SCI Le Manse ne sollicitait ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, de sorte que la cour d'appel ne pouvait que confirmer le jugement ; qu'en se déterminant par référence à des débats oraux non repris dans les conclusions des parties, dans lesquelles ne figurait aucune argumentation en ce sens, la cour d'appel a violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2°) Alors que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour confirmer le jugement d'orientation, la cour d'appel a relevé que la SCI Le Manse ne demandait dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement d'orientation, de sorte que ce jugement ne pouvait qu'être confirmé des chefs critiqués par la SCI Le Manse ; qu'en relevant ce moyen, qui n'avait pas été articulé par les conclusions des parties, sans provoquer au préalable les explications écrites de la SCI Le Manse sur ce point, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile.
3°) Alors que les juges du fond ont l'obligation d'écarter l'application d'une loi ou d'un règlement s'ils constatent que cette application aurait pour effet, au prix d'une interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire, de porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge de l'une des parties ; qu'en l'espèce, la déclaration d'appel indiquait expressément qu'était poursuivie l'annulation ou l'infirmation du jugement déféré, la requête à jour fixe demandant quant à elle expressément la réformation de la décision entreprise ; que le dispositif des dernières conclusions, s'il ne reprenait pas exactement cette mention, demandait à la cour d'appel de statuer par des chefs de dispositif contraires à ceux du jugement entrepris ; qu'en jugeant dès lors qu'elle ne pouvait que confirmer le jugement, la SCI Le Manse ne sollicitant ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement dans le dispositif de ses conclusions, la cour d'appel, au prix d'une interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire, a porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge de la SCI Le Manse, violant ainsi l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4°) Alors que la cour d'appel ne peut confirmer un jugement sans répondre aux conclusions qui en critiquent la teneur ; qu'en confirmant le jugement entrepris sans répondre aux conclusions qui en contestaient la teneur, qu'il s'agisse de l'appréciation de la demande de sursis à statuer, de l'appréciation de la nullité du commandement aux fins de saisie-vente, de l'extinction de la dette de la SCI Manse, ou à tout le moins de l'inexactitude du décompte des sommes réclamées, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Il résulte des articles 4 et 954, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile que l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties, qu'en appel, dans les procédures avec représentation obligatoire, ces prétentions, ainsi que les moyens sur lesquels elles sont fondées, doivent être expressément formulés dans les conclusions et que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion |
8,206 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1077 F-B
Pourvoi n° V 21-17.375
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
1°/ Mme [R] [T], domiciliée [Adresse 2],
2°/ M. [Z] [O], domicilié [Adresse 1],
3°/ M. [I] [L], domicilié [Adresse 4],
pris tous deux en qualité de curateurs de Mme [R] [T],
ont formé le pourvoi n° V 21-17.375 contre les arrêts rendus les 15 novembre 2019 et 6 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige les opposant à la société Washington valorisation, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [T] et de MM. [O] et [L], en qualité de curateurs de Mme [T], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Washington valorisation, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Paris, 15 novembre 2019 et 6 novembre 2020) et les productions, Mme [T], depuis lors placée sous curatelle renforcée, a contesté devant un tribunal de grande instance la vente de biens immobiliers lui appartenant, intervenue le 9 juillet 2014 au profit de la société Washington valorisation (la société).
2. Par un jugement du 19 décembre 2017, le tribunal l'a déboutée de ses demandes et a débouté la société de sa fin de non-recevoir et de sa demande en paiement de dommages-intérêts.
3. Statuant sur l'appel interjeté par Mme [T], une cour d'appel a, par arrêt du 15 novembre 2019, notamment rejeté la demande de nullité de l'ordonnance de clôture et la demande de rabat de clôture formées par Mme [T].
4. Par arrêt du 6 novembre 2020, la même cour d'appel a déclaré recevables la demande aux fins d'annulation de la promesse de vente du 27 mai 2014 formée par Mme [T] et sa demande de dommages-intérêts, ainsi que sa requête en inscription de faux à l'encontre de la promesse de vente reçue en la forme authentique le 27 mai 2014 et de l'acte authentique de vente du 9 juillet 2014, a rejeté cette requête, et a confirmé le jugement en toutes ses dispositions.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. Mme [T] et ses curateurs font grief à l'arrêt du 15 novembre 2019 de rejeter la demande de nullité de l'ordonnance de clôture et la demande de rabat de clôture formée par Mme [T] aux fins de lui ouvrir un nouveau délai pour conclure et à l'arrêt attaqué du 6 novembre 2020 de débouter Mme [T] de ses demandes, alors « qu'en l'absence de calendrier de procédure fixé par le conseiller de la mise en état à l'occasion de l'examen de l'affaire auquel il procède après l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, les parties peuvent, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer de nouveaux moyens et conclure à nouveau ; qu'en retenant que le respect des dispositions de l'article 910 du code de procédure civile et le principe du contradictoire étaient assurés par l'autorisation donnée à Mme [T] de déposer une note en délibéré pour conclure sur le seul appel incident de la société Washington Valorisation, la cour d'appel a violé les articles 910 et 912 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 910 et 912 du code de procédure civile :
7. Selon le premier de ces textes, l'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour remettre ses conclusions au greffe.
8. Aux termes du second, en l'absence de calendrier de procédure fixé par le conseiller de la mise en état à l'occasion de l'examen de l'affaire auquel il procède après l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, les parties peuvent, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer de nouveaux moyens et conclure à nouveau.
9. Pour rejeter la demande de nullité de l'ordonnance de clôture et la demande de rabat de cette dernière formée par Mme [T], l'arrêt relève qu'elle n'a pas demandé le report de la clôture par des conclusions remises au conseiller de la mise en état avant ladite clôture, alors qu'elle a reçu les conclusions d'appel incident dès le 19 août 2019 et que la date de la clôture était connue des parties depuis le 10 mai 2019. Il ajoute que, si elle n'a effectivement pas bénéficié du délai prévu par l'article 910 du code de procédure civile, elle a été autorisée à produire une note en délibéré sur l'appel incident de la société, de sorte que le respect de ce texte est garanti par l'autorisation de conclure ainsi donnée, sans atteinte au principe du contradictoire, aucune cause grave ni excès de pouvoir ne justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture, la cour ne prenant en compte que la partie de la note en délibéré portant sur l'appel incident.
10. En statuant ainsi, alors qu'il résulte de ses propres constatations que l'ordonnance de clôture avait été rendue prématurément par le conseiller de la mise en état et que Mme [T] n'avait pas bénéficié du délai prévu par l'article 910 du code de procédure civile pour remettre ses conclusions au greffe, dès lors que la remise d'une note en délibéré ne pouvait assurer le respect du principe de la contradiction, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquence de la cassation
11. En application de l'article 625, alinéa deux, du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt rendu le 15 novembre 2019 entraîne, par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt rendu le 6 novembre 2020 qui en est la suite.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2019 par la cour d'appel de Paris ;
ANNULE, par voie de conséquence, l'arrêt rendu le 6 novembre 2020 par la même cour d'appel ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Washington valorisation aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Washington valorisation et la condamne à payer à Mme [T] ainsi qu'à MM. [O] et [L], en qualité de curateurs la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [T] et MM. [O] et [L], en qualité de curateurs
Mme [T] et ses curateurs font grief à l'arrêt attaqué du 15 novembre 2019 d'avoir rejeté la demande de nullité de l'ordonnance de clôture et la demande de rabat de clôture formée par Mme [T] aux fins de lui ouvrir un nouveau délai pour conclure et à l'arrêt attaqué du 6 novembre 2020 d'avoir débouté Mme [T] de ses demandes ;
1°) ALORS QU'en application de l'article 912 du code de procédure civile, la date de la clôture ne peut être fixée par le conseiller de la mise en état avant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces ; que le conseiller de la mise en état, en fixant la date de la clôture au 5 septembre 2019 avant même que le délai de trois mois imparti à Mme [T] pour conclure sur l'appel incident formé le 19 août 2019 par la société Washington Valorisation n'ait expiré, a excédé ses pouvoirs et méconnu les droits de la défense ; qu'en rejetant la demande nullité de l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a violé les articles 910 et 912 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en l'absence de calendrier de procédure fixé par le conseiller de la mise en état à l'occasion de l'examen de l'affaire auquel il procède après l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, les parties peuvent, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer de nouveaux moyens et conclure à nouveau ; qu'en retenant que le respect des dispositions de l'article 910 du code de procédure civile et le principe du contradictoire étaient assurés par l'autorisation donnée à Mme [T] de déposer une note en délibéré pour conclure sur le seul appel incident de la société Washington Valorisation, la cour d'appel a violé les articles 910 et 912 du code de procédure civile. | La remise d'une note en délibéré ne peut assurer le respect du principe de la contradiction au bénéfice d'un intimé qui n'a pas bénéficié du délai prévu à l'article 910 du code de procédure civile pour remettre ses conclusions au greffe |
8,207 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1084 F-B
Pourvoi n° M 21-16.907
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
1°/ la société Demax, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], agissant en la personne de M. [L] [E] en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société Demax, ayant un établissement secondaire [Adresse 3],
3°/ la société [B] [P] & associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], agissant en la personne de M. [B] [P] en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Demax,
ont formé le pourvoi n° M 21-16.907 contre l'arrêt rendu le 1er avril 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans le litige les opposant à la société Allianz Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Demax, la société BTSG², agissant en la personne de M. [L] [E] en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société Demax, et la société [B] [P] & associés, agissant en la personne de M. [B] [P] en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Demax, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz Iard, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er avril 2021), par jugement du 18 octobre 2018, un tribunal de commerce a condamné la société Demax à restituer à la société Allianz Iard, les véhicules qu'elle détenait en exécution du contrat signé entre elles et résilié le 1er décembre 2016, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par véhicule manquant, à l'expiration d'un délai de 21 jours suivant la signification de la décision.
2. Par jugement du 29 janvier 2019, une procédure de sauvegarde a été ouverte à l'égard de la société Demax.
3. Par décision du 5 mars 2019, un juge de l'exécution a liquidé l'astreinte pour la période du 15 novembre au 4 décembre 2018.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Demax fait grief à l'arrêt de liquider l'astreinte ordonnée par le tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 18 octobre 2018 et de fixer à la somme de 920 000 euros la créance de la société Allianz Iard dans la procédure collective de la société Demax, alors « que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe ; qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions susvisées, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que demeurent recevables les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Demax avait fait l'objet d'une procédure collective ouverte par jugement du 29 janvier 2019, qu'elle a interjeté appel le 18 mars 2019 et que la société Allianz a déclaré sa créance le 25 mars 2019 pour le montant de la condamnation obtenue en première instance ; qu'elle a encore constaté qu'aux termes de ses conclusions du 24 février 2020, la société Allianz sollicitait la confirmation du jugement frappé d'appel, lequel avait condamné la société Demax au paiement d'une somme d'argent ; que pour dire toutefois que la demande tendant à la fixation de sa créance à la procédure collective de la société Demax était recevable quoique formée pour la première fois par conclusions du 21 octobre 2020, la cour d'appel a retenu que cette demande tendait à la même prétention que celle initialement formulée sauf à tenir compte de l'élément juridique nouveau ; qu'en statuant ainsi, quand la procédure collective et la déclaration de créance de la société Allianz étaient des faits antérieurs aux premières conclusions déposées par cette société, la cour d'appel a violé l'article 910-4 du code de procédure civile, en sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 910-4 du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
6. Pour fixer à la somme de 920 000 euros la créance de la société Allianz Iard dans la procédure collective de la société Demax, l'arrêt retient que dans des conclusions du 24 février 2020, la société Allianz Iard sollicitait la confirmation du jugement frappé d'appel, ce qui emportait condamnation financière de la société Demax alors que la procédure collective la concernant a été ouverte le 29 janvier 2019, mais qu'avant que la cour ne statue, dans ses dernières écritures du 21 octobre 2020, elle a opportunément ajusté sa demande pour solliciter uniquement la fixation de la créance dans la procédure collective, ce qui tend à la même prétention que celle initialement formulée, sauf à tenir compte de l'élément juridique nouveau et en déduit que l'irrecevabilité ne sera pas retenue.
7. En statuant ainsi, alors que la demande de fixation de la créance de la société Allianz Iard constituait une prétention, qu'elle n'était pas destinée à répliquer aux conclusions de l'appelant ni à faire juger une question née, postérieurement aux premières conclusions, de la révélation d'un fait, la procédure collective et la déclaration de créance de la société Allianz Iard étant antérieures aux premières conclusions déposées par celle-ci, la cour d'appel, qui ne pouvait que déclarer irrecevable cette prétention, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé à la somme de 920 000 euros la créance de la société Allianz Iard dans la procédure collective de la société Demax, l'arrêt rendu le 1er avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Allianz Iard aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Allianz Iard et la condamne à payer à la société Demax, la société BTSG², agissant en la personne de M. [E] en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société Demax et la SELARL [B] [P] & associés, agissant en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la société Demax, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Demax, la société BTSG², agissant en la personne de M. [L] [E] en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société Demax, et la SARL [B] [P] & associés, agissant en la personne de M. [B] [P] en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Demax
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR liquidé l'astreinte ordonnée par le tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 18 octobre 2018 et d'AVOIR fixé à la somme de 920.000 € la créance de la société ALLIANZ IARD dans la procédure collective de la SARL DEMAX ;
1°/ ALORS QUE l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe ; qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions susvisées, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que demeurent recevables les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que la société DEMAX avait fait l'objet d'une procédure collective ouverte par jugement du 29 janvier 2019, qu'elle a interjeté appel le 18 mars 2019 et que la société ALLIANZ a déclaré sa créance le 25 mars 2019 pour le montant de la condamnation obtenue en première instance ; qu'elle a encore constaté qu'aux termes de ses conclusions du 24 février 2020, la société ALLIANZ sollicitait la confirmation du jugement frappé d'appel, lequel avait condamné la société DEMAX au paiement d'une somme d'argent ; que pour dire toutefois que la demande tendant à la fixation de sa créance à la procédure collective de la société DEMAX était recevable quoique formée pour la première fois par conclusions du 21 octobre 2020, la Cour d'appel a retenu que cette demande tendait à la même prétention que celle initialement formulée sauf à tenir compte de l'élément juridique nouveau ; qu'en statuant ainsi, quand la procédure collective et la déclaration de créance de la société ALLIANZ étaient des faits antérieurs aux premières conclusions déposées par cette société, la Cour d'appel a violé l'article 910-4 du code de procédure civile, en sa rédaction applicable au litige ;
2°/ ET ALORS QUE ce n'est que dans les cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée que l'irrecevabilité peut être écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ; que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe ; que ces conclusions déterminent l'objet du litige ; qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions susvisées, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; qu'en déclarant recevables les conclusions déposées le 21 octobre 2020, au-delà du délai d'un mois susvisé, au motif inopérant qu'elles l'avaient été avant que le juge ne statue, la Cour d'appel a violé l'article 910-4 du code de procédure civile en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 126 du même code. | Selon l'article 910-4 du code de procédure civile, les parties doivent, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions, nées postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers, de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Dès lors, encourt la cassation l'arrêt qui retient que la demande de fixation d'une créance dans une procédure collective tendait à la même prétention que la demande en paiement initialement formulée, la cour d'appel ne pouvant que déclarer irrecevable cette prétention |
8,208 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1085 F-B
Pourvoi n° S 21-11.783
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
Mme [R] [P], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 21-11.783 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant à la Caisse d'épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes, société coopérative à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [P], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 décembre 2020), M. [W] et Mme [P] ont souscrit plusieurs prêts notariés, destinés à financer l'acquisition de biens immobiliers, auprès de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes (la banque), qui a engagé des poursuites de saisie immobilière ayant abouti à la vente de l'ensemble des biens saisis, à l'exception de trois lots, sans que leur prix ne couvre le solde des prêts.
2. Mme [P] a assigné la banque en responsabilité pour manquement à ses obligations d'information et de mise en garde à l'occasion de la souscription des prêts.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [P] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'action en réparation des manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde lors de la conclusion des prêts immobiliers, alors :
« 1°/ que le juge de l'exécution ne peut prononcer de condamnation à paiement en dehors des cas prévus par la loi ; que faute de constituer une contestation de la saisie immobilière, la demande présentée par un débiteur tendant à la condamnation de la banque créancière au paiement de dommages-intérêts réparant ses manquements aux obligations d'information et de mise en garde lors de la souscription de contrats de prêt ne relève pas de la compétence du juge de l'exécution, mais du juge de droit commun ; qu'en déclarant l'action de Madame [P] en réparation des dommages causés par les manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde lors de la conclusion des 16 contrats de prêts immobiliers irrecevable pour être une contestation qui aurait dû être soulevée devant le juge de l'exécution, la cour d'appel a violé l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire ;
2°/ que l'autorité de la chose jugée suppose que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité ; que ne constitue pas une contestation de la saisie immobilière, la demande présentée par un débiteur tendant à la condamnation de la banque créancière au paiement de dommages-intérêts réparant ses manquements aux obligations d'information et de mise en garde lors de la souscription de contrats de prêt ; que, dès lors, le jugement d'orientation qui fixe la créance du créancier au regard de son titre exécutoire et l'action en réparation du dommage causé par ce créancier dans l'exécution de ses obligations de mise en garde et de conseil ne sont pas fondées sur la même cause et n'ont pas le même objet, à supposer même que les demandes soient formées par les parties en la même qualité ; qu'en invoquant l'autorité de chose jugée du jugement d'orientation pour déclarer irrecevable l'action de Madame [P] en responsabilité de la banque pour manquement à ses obligations lors de la conclusion des contrats de prêt, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355 du code civil, ensemble l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1355 du code civil, L. 213-6, alinéas 1, 3 et 4, du code de l'organisation judiciaire et R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution :
4. Aux termes du premier de ce texte, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
5. Aux termes du troisième, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l'audience d'orientation prévue à l'article R. 322-15 à moins qu'elle porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci.
6. Selon le deuxième, le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire. Le juge de l'exécution connaît, sous la même réserve, de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s'élèvent à l'occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s'y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit ainsi que de la procédure de distribution qui en découle. Il connaît, sous la même réserve, des demandes en réparation fondées sur l'exécution ou l'inexécution dommageables des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires.
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que la demande formée par le débiteur à l'encontre du créancier poursuivant devant un juge du fond, après l'audience d'orientation prévue à l'article R. 322-15 du code des procédures civiles d'exécution, ne peut être déclarée irrecevable par application de la règle énoncée à l'article R. 311-5 du même code ou de l'autorité de la chose jugée du jugement d'orientation, que si le juge de l'exécution, précédemment saisi de la procédure de saisie immobilière, était compétent pour en connaître.
8. Or, si ce dernier est compétent pour connaître de la contestation d'une mesure d'exécution forcée, il n'entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts contre le créancier saisissant, qui n'est pas fondée sur l'exécution ou l'inexécution dommageable de la mesure.
9. Pour déclarer irrecevable l'action de Mme [P], l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la banque a fait délivrer plusieurs commandements aux fins de saisie des biens immobiliers alors détenus par M. [W] et Mme [P] et objets des prêts, de sorte que cette dernière a dû comparaître devant le juge de l'exécution, que les dispositions de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire énoncent que le juge de l'exécution a compétence exclusive pour connaître des contestations susceptibles de s'élever à l'occasion de la procédure de saisie immobilière, y compris s'agissant de demandes portant sur le fond du droit, l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution prévoyant qu'à peine d'irrecevabilité, aucune contestation ne peut être formée après l'audience d'orientation prévue à l'article R. 322-15 du même code, et que les moyens soulevés par Mme [P] dans la présente procédure intéressaient directement les mesures d'exécution forcée qui étaient alors en jeu, puisque les manquements reprochés à l'établissement bancaire pouvaient, à les supposer caractérisés, faire obstacle à la vente des immeubles. Il en déduit qu'ils devaient être évoqués devant le juge de l'exécution.
10. Il retient, par motifs propres, que l'autorité de la chose jugée dont est revêtu le jugement d'orientation rend irrecevables les contestations sur le fond du droit formées postérieurement à l'audience d'orientation.
11. En statuant ainsi, alors que le juge de l'exécution ne pouvait connaître de la demande tendant à la condamnation de la banque pour manquement à son devoir d'information et de mise en garde lors de la souscription des prêts ayant servi de fondement aux poursuites de saisie immobilière, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la Caisse d'épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse d'épargne et de prévoyance de Rhône-Alpes et la condamne à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [P]
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable l'action de Madame [P] en réparation des manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde lors de la conclusion des prêts immobiliers ;
1°) ALORS QUE le juge de l'exécution ne peut prononcer de condamnation à paiement en dehors des cas prévus par la loi ; que faute de constituer une contestation de la saisie immobilière, la demande présentée par un débiteur tendant à la condamnation de la banque créancière au paiement de dommages-intérêts réparant ses manquements aux obligations d'information et de mise en garde lors de la souscription de contrats de prêt ne relève pas de la compétence du juge de l'exécution, mais du juge de droit commun ; qu'en déclarant l'action de Madame [P] en réparation des dommages causés par les manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde lors de la conclusion des 16 contrats de prêts immobiliers irrecevable pour être une contestation qui aurait dû être soulevée devant le juge de l'exécution, la cour d'appel a violé l'article L.213-6 du code de l'organisation judiciaire ;
2°) ALORS QUE l'autorité de la chose jugée suppose que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité ; que ne constitue pas une contestation de la saisie immobilière, la demande présentée par un débiteur tendant à la condamnation de la banque créancière au paiement de dommages-intérêts réparant ses manquements aux obligations d'information et de mise en garde lors de la souscription de contrats de prêt ; que, dès lors, le jugement d'orientation qui fixe la créance du créancier au regard de son titre exécutoire et l'action en réparation du dommage causé par ce créancier dans l'exécution de ses obligations de mise en garde et de conseil ne sont pas fondées sur la même cause et n'ont pas le même objet, à supposer même que les demandes soient formées par les parties en la même qualité ; qu'en invoquant l'autorité de chose jugée du jugement d'orientation pour déclarer irrecevable l'action de Madame [P] en responsabilité de la banque pour manquement à ses obligations lors de la conclusion des contrats de prêt, la cour d'appel a violé l'article 1351, devenu 1355 du code civil, ensemble l'article R.311-5 du code des procédures civiles d'exécution. | Il résulte de la combinaison des articles 1355 du code civil, L. 213-6, alinéas 1, 3 et 4, du code de l'organisation judiciaire (COJ) et R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution que la demande formée par le débiteur à l'encontre du créancier poursuivant devant un juge du fond après l'audience d'orientation prévue à l'article R. 322-15 du code des procédures civiles d'exécution ne peut être déclarée irrecevable par application de la règle énoncée à l'article R. 311-5 du même code ou de l'autorité de la chose jugée du jugement d'orientation que si le juge de l'exécution, précédemment saisi de la procédure de saisie immobilière, était compétent pour en connaître |
8,209 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Annulation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1086 F-B
Pourvoi n° Q 21-12.241
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
La SCI Tchotcha, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-12.241 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel de Colmar (chambre 12), dans le litige l'opposant à la société Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de la SCI Tchotcha, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 5 novembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 11 mars 2020, pourvoi n° 18-20.534), sur des poursuites de saisie immobilière engagées par la Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne à l'encontre de la SCI Tchotcha (la SCI), un tribunal d'instance, statuant comme tribunal de l'exécution, a ordonné l'exécution forcée.
2. Sur le pourvoi immédiat formé par la SCI, le tribunal a maintenu sa décision et transmis le dossier à une cour d'appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer mal fondé son pourvoi immédiat et, par confirmation de l'ordonnance rendue le 15 décembre 2016 par le tribunal de l'exécution forcée de Colmar, d'ordonner l'adjudication forcée des immeubles lui appartenant, alors :
« 1°/ que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ; qu'en cas de cassation, l'affaire est renvoyée devant une autre juridiction de même nature que celle dont émane l'arrêt ou le jugement cassé ou devant la même juridiction composée d'autres magistrats ; qu'en l'espèce, par arrêt du 11 mars 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 31 mai 2018 par la cour d'appel de Colmar et a renvoyé l'affaire et les parties devant la même cour d'appel, autrement composée ; qu'en statuant dans la composition suivante : « Mme Decottignies, conseillère faisant fonction de présidente, M. Robin, conseiller et Mme Robert-Nicoud, conseillère », alors que M. Robin avait siégé, également en qualité de conseiller, dans la formation ayant rendu l'arrêt cassé du 31 mai 2018, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire et 430 du code de procédure civile ;
2°/ que si les contestations afférentes à la régularité de la composition d'une juridiction dont les parties avaient la possibilité d'avoir connaissance doivent être présentées à peine d'irrecevabilité dès l'ouverture des débats, faute de quoi aucune nullité ne peut être ultérieurement prononcée de ce chef, même d'office, il en va autrement s'agissant de la partie qui n'a pas eu la possibilité de connaître la composition de la cour d'appel dès l'ouverture des débats ; qu'en l'espèce, en raison de la crise sanitaire, l'affaire n'a pas donné lieu à plaidoiries, de sorte que la SCI Tchotcha n'a pas été en mesure de connaître la composition de la cour d'appel à l'ouverture des débats ; qu'en statuant dès lors dans une formation irrégulière, sans qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la SCI Tchotcha ait eu la possibilité de connaître la composition de la cour d'appel dès l'ouverture des débats, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire et 430 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 430 du code de procédure civile et L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire :
4. Selon le second de ces textes, en cas de cassation, l'affaire est renvoyée, sous réserve des dispositions de l'article L. 411-3, devant une autre juridiction de même nature que celle dont émane l'arrêt ou le jugement cassé ou devant la même juridiction composée d'autres magistrats.
5. L'arrêt attaqué, statuant sur renvoi après cassation d'un arrêt rendu par la cour d'appel de Colmar, composée de trois magistrats, dont M. Robin, la cause étant renvoyée devant la même cour d'appel autrement composée, a été rendu après que Mme Decottignies, M. Robin et Mme Robert-Nicoud en ont délibéré.
6. En statuant ainsi, sur renvoi après cassation d'un précédent arrêt auquel M. Robin avait participé et alors qu'il ne résulte d'aucune des énonciations de l'arrêt attaqué qu'une audience aurait été tenue et que la SCI avait eu la possibilité de connaître la composition de la cour d'appel dès l'ouverture des débats, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la Banque populaire Alsace-Lorraine-Champagne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la SCI Tchotcha
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La SCI Tchotcha reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré mal fondé son pourvoi immédiat et, par confirmation de l'ordonnance rendue le 15 décembre 2016 par le tribunal de l'exécution forcée de Colmar, d'avoir ordonné l'adjudication forcée des immeubles appartenant à la SCI Tchotcha ;
ALORS, D'UNE PART, QUE toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ; qu'en cas de cassation, l'affaire est renvoyée devant une autre juridiction de même nature que celle dont émane l'arrêt ou le jugement cassé ou devant la même juridiction composée d'autres magistrats ; qu'en l'espèce, par arrêt du 11 mars 2020, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 31 mai 2018 par la cour d'appel de Colmar et a renvoyé l'affaire et les parties devant la même cour d'appel, autrement composée ; qu'en statuant dans la composition suivante : « Mme Decottignies, conseillère faisant fonction de présidente, M. Robin, conseiller et Mme Robert-Nicoud, conseillère », alors que M. Robin avait siégé, également en qualité de conseiller, dans la formation ayant rendu l'arrêt cassé du 31 mai 2018, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire et 430 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE si les contestations afférentes à la régularité de la composition d'une juridiction dont les parties avaient la possibilité d'avoir connaissance doivent être présentées à peine d'irrecevabilité dès l'ouverture des débats, faute de quoi aucune nullité ne peut être ultérieurement prononcée de ce chef, même d'office, il en va autrement s'agissant de la partie qui n'a pas eu la possibilité de connaître la composition de la cour d'appel dès l'ouverture des débats ; qu'en l'espèce, en raison de la crise sanitaire, l'affaire n'a pas donné lieu à plaidoiries, de sorte que la SCI Tchotcha n'a pas été en mesure de connaître la composition de la cour d'appel à l'ouverture des débats ; qu'en statuant dès lors dans une formation irrégulière, sans qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la SCI Tchotcha ait eu la possibilité de connaître la composition de la cour d'appel dès l'ouverture des débats, la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire et 430 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La SCI Tchotcha reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré mal fondé son pourvoi immédiat et, par confirmation de l'ordonnance rendue le 15 décembre 2016 par le tribunal de l'exécution forcée de Colmar, d'avoir ordonné l'adjudication forcée des immeubles appartenant à la SCI Tchotcha ;
ALORS, D'UNE PART, QU' en cas de défaillance de l'emprunteur, il faut, pour que le prêteur puisse exiger, outre le paiement des échéances demeurées impayées, celui du capital restant dû et des pénalités stipulées au contrat, qu'il ait informé l'emprunteur défaillant, sans équivoque, de sa volonté de considérer le capital restant dû comme immédiatement exigible ; qu'en se fondant, pour considérer que la Banque Populaire avait informé la SCI Tchotcha, en des termes non équivoques, de son intention d'exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, sur un courrier du 16 décembre 2014 adressé par la banque à Mme [Z] [O] (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 6), la cour d'appel, qui a ainsi pris en considération un courrier dépourvu de pertinence dès lors qu'il n'était pas adressé à la SCI Tchotcha, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU' en se fondant également, pour se déterminer, sur un courrier de la banque du 22 décembre 2015, par lequel la Banque Populaire « rappelle l'exigibilité intégrale de la totalité des concours accordés à la SCI Tchotcha » (arrêt attaqué, p. 5 in fine), cependant que ce courrier visait un ensemble de prêts sans concerner spécialement le prêt en cause, de sorte que ce courrier, qui ne comportait d'ailleurs pas la formule « déchéance du terme », était en réalité sans incidence sur les droits des parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La SCI Tchotcha reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré mal fondé son pourvoi immédiat et, par confirmation de l'ordonnance rendue le 15 décembre 2016 par le tribunal de l'exécution forcée de Colmar, d'avoir ordonné l'adjudication forcée des immeubles appartenant à la SCI Tchotcha ;
ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que pour considérer que la SCI Tchotcha ne pouvait, en vue de bénéficier du délai de forclusion biennal, se prévaloir de la qualité de consommateur, la cour d'appel a affirmé que le contrat de prêt du 18 octobre 2008 ne soumettait pas les parties « aux dispositions relatives aux consommateurs » (arrêt attaqué, p. 6, alinéas 3 et 4) ; qu'en statuant ainsi, cependant que le contrat de prêt du 18 octobre 2008 fait expressément référence aux dispositions du code de la consommation (p. 12, alinéa 7), la cour d'appel a méconnu le principe susvisé.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
La SCI Tchotcha reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré mal fondé son pourvoi immédiat et, par confirmation de l'ordonnance rendue le 15 décembre 2016 par le tribunal de l'exécution forcée de Colmar, d'avoir ordonné l'adjudication forcée des immeubles appartenant à la SCI Tchotcha ;
ALORS, D'UNE PART, QUE l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause et que la demande soit entre les mêmes parties ; qu'en affirmant que, saisie dans le cadre d'un pourvoi immédiat, elle ne pouvait « examiner l'ensemble des moyens déjà écartés par le tribunal de Strasbourg » (arrêt attaqué, p. 7, alinéa 2), sans préciser les moyens en cause et sans constater que les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de la fin de non-recevoir tirée de la chose jugée était réunies à leur égard, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil et l'article 480 du code de procédure civile ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU' en toute hypothèse, la banque ne peut opposer à l'emprunteur la déchéance du terme dès lors que la stipulation d'intérêts conventionnels, a été annulée ; qu'en considérant que la Banque Populaire était en droit d'opposer à la SCI Tchotcha la déchéance du terme, sans répondre aux conclusions d'appel de la SCI Tchotcha faisant valoir que le TEG avait en l'espèce été jugé erroné par la cour d'appel de Nancy dans son arrêt du 27 décembre 2016 (conclusions d'appel, p. 11 et suiv.), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Selon l'article L. 431-4 du code de l'organisation judiciaire, en cas de cassation, l'affaire est renvoyée, sous réserve des dispositions de l'article L. 411-3, devant une autre juridiction de même nature que celle dont émane l'arrêt ou le jugement cassé ou devant la même juridiction composée d'autres magistrats.
Dès lors, un magistrat qui a fait partie de la composition d'une cour d'appel ayant rendu un arrêt ultérieurement cassé, ne peut siéger dans la formation appelée à connaître de l'affaire sur renvoi après cassation |
8,210 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1087 F-B
Pourvoi n° X 20-22.801
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
M. [C] [G], domicilié [Adresse 3]), a formé le pourvoi n° X 20-22.801 contre l'arrêt rendu le 13 octobre 2020 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, contentieux de l'exécution), dans le litige l'opposant à la société Eurocom finances SPF, société anonyme de droit luxembourgeois, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1]), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [G], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Eurocom finances SPF, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 13 octobre 2020), le 3 mai 2019, la société Eurocom finances SPF a fait dresser un procès-verbal de saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières appartenant à M. [G] dans la société Renaissance 12 sur le fondement d'un acte notarié de prêt du 23 février 2015 pour une certaine somme.
2. M. [G] a contesté cette saisie.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [G] fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses prétentions et de dire que les frais de la saisie contestée sont à sa charge, alors « que le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie ; que la disproportion ou le caractère abusif d'une mesure d'exécution forcée peut être révélée par des circonstances postérieures à la date à laquelle la mesure a été exercée et le juge de l'exécution doit ordonner la mainlevée d'une mesure d'exécution forcée se révélant, au jour où il statue, abusive ; qu'en retenant néanmoins, pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie, à la requête de la société Eurocom finances, de droits d'associés appartenant à M. [G] dans la société civile Renaissance 12 pour paiement de la somme en principal de 500 000 euros outre pénalités et écarter son caractère abusif ou disproportionné, que ce caractère ne s'appréciant qu'au jour où la mesure avait été exercée, les circonstances postérieurs invoquées par M. [G] sont indifférentes, la cour d'appel a violé l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 111-7 et L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution :
4. Selon le premier de ces textes, le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance. L'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.
5. Selon le second, le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.
6. Il résulte de ces textes que pour trancher la demande de mainlevée de la mesure inutile ou abusive, il appartient au juge de l'exécution de se placer au jour où il statue.
7. Pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie de M. [G], l'arrêt retient qu'il ne peut être sérieusement discuté que, pour apprécier l'abus de saisie allégué ou la disproportion de cette voie d'exécution, la cour doit se placer au jour de la réalisation de la mesure contestée.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Reims du 3 février 2020 en ce qu'il avait déclaré recevable l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la société Eurocom finances SPF et rejeté cette exception de nullité, l'arrêt rendu le 13 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Eurocom finances SPF aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Eurocom finances SPF et la condamne à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour M. [G]
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté M. [G] de toutes ses prétentions et dit que les frais de la saisie contestée sont à sa charge ;
AUX MOTIFS QUE - Sur la demande de mainlevée de la saisie pour abus de droit et disproportion : que l'article L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution énonce que le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance ; l'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation ; que M. [G] énonce à ce sujet que : - la SA Eurocom Finances SPF a récemment pu bénéficier du règlement en sa faveur d'une somme de 230 000 euros suite à la cession par la SCI Nelson de son actif immobilier, ses parts dans la SC Renaissance 12 sont évaluées à plus de 1 470 000 euros, ce qui est très supérieur au solde de créance d'Eurocom Finances SPF, soit 270 000 euros, - Eurocom Finances SPF est elle-même redevable à la SCI EFP (filiale de la SC Renaissance 12) d'une somme de plus 276 000 euros, - la SA Eurocom Finances SPF a déclaré une créance de 480 000 euros au passif de la SCI EFP actuellement en redressement judiciaire, - la SA Eurocom Finances SPF a engagé d'autres actions pour recouvrer les sommes aujourd'hui réclamées au saisi ; Qu'il ne peut être sérieusement discuté que, pour apprécier l'abus de saisie allégué ou la disproportion de cette voie d'exécution, la cour doit se placer au jour de la réalisation de la mesure contestée, soit le 3 mai 2019 ; qu'à cette date, le versement à la SA Eurocom Finances SPF d'une somme de 230 000 euros par la SCI Nelson en sa qualité de caution hypothécaire n'était nullement d'actualité puisque le règlement allégué par M. [G] n'a été effectif que le 27 avril 2020 selon courrier du conseil de la société créancière adressé le 7 mai 2020 à maître [B], mandataire judiciaire, M. [G] produisant sous sa pièce n°23 un courrier du 25 juillet 2019 de ce même avocat à maître [X], notaire à [Localité 4], lettre par laquelle maître [I] demande à l'officier ministériel d'adresser à sa cliente le montant de son hypothèque, soit 230 000 euros ; Qu'il s'évince de ces correspondances que le règlement à Eurocom Finances SPF d'une somme de 230 000 euros suite à la réalisation de l'actif de la SCI Nelson est bien un événement postérieur à la saisie querellée, cette donnée factuelle étant par définition insusceptible d'interférer dans l'appréciation de l'utilité de la mesure d'exécution contestée ; Que si M. [G] entend également rappeler que la SA Eurocom Finances SPF est débitrice d'une somme de 276 000 euros envers la SCI EFP suite à un détournement des loyers dus à cette dernière, il s'agit-là aussi d'une donnée postérieure à la saisie querellée dès lors que le demandeur vise l'arrêt de la cour de Reims du 14 mai 2019, cette décision n'étant pas de nature à influencer l'appréciation au jour de sa réalisation de l'utilité ou non de la mesure d'exécution forcée ; Que, par ailleurs, la créance ainsi consacrée au profit de la SCI EFP n'est pas de nature à modifier le décompte de créance repris dans le procès-verbal de saisie du 3 mai 2019, lequel déduit à concurrence des loyers perçus de la SCI EFP une somme en principal de 111 769,61 euros, sauf à augmenter d'autant la dette de la SC Renaissance 12 envers le prêteur s'il ne fallait pas tenir compte de ces loyers perçus de la part de la SCI caution ; Que, sur la déclaration de créance régularisée le 23 avril 2018 par Eurocom Finances SPF au passif de la SCI EFP pour une somme de 480 000 euros à titre privilégié, il ne peut être négligé que le juge-commissaire a entendu, par ordonnance du 24 octobre 2019, surseoir sur la demande d'admission de la créance d'Eurocom, décision confirmée par arrêt de la cour d'appel de Reims du 26 mai 2020 ; Qu'ainsi, s'il est exact que la société Eurocom Finances SPF avait, au jour de la saisie contestée, déclaré une créance de 480 000 euros au passif du redressement judiciaire de la SCI SFP, il n'avait pas été statué sur l'admission de cette créance dont le sort ne semble pas encore réglé à ce jour ; Qu'il s'ensuit que la référence de M. [G] à cette déclaration de créance est indifférente dans l'appréciation du caractère abusif ou disproportionné de la voie d'exécution forcée contestée ; Que, de surcroît, les "diverses actions parallèles" engagées par Eurocom pour recouvrer les sommes aujourd'hui réclamées à M. [G] ne sont pas davantage explicitées de sorte que la cour ne peut en apprécier les conséquences sur la saisie critiquée au jour où celle-ci a été opérée ; Qu'enfin, sur la disproportion évoquée par M. [G] entre la créance d'Eurocom Finances SPF et la valeur des droits d'associés saisis, il doit être rappelé que le décompte repris dans le procès-verbal de saisie du 3 mai 2019 mentionne une créance de 499 012,45 euros (déduction faite des 111 769,61 euros obtenus par versement contesté des loyers de la SCI EFP) ; Que si le demandeur estime la valeur de ses droits saisis à la requête d'Eurocom Finances SPF à au-moins la somme de 1 470 000 euros, force est d'observer que la méthode de valorisation telle qu'employée par l'intéressé est pour le moins sommaire et en tous les cas non étayée par d'utiles justificatifs ; Qu'en effet, M. [G] expose que la société Renaissance 12 détient 99,80 % de la SCI EFP, laquelle est propriétaire d'un immeuble valorisé à 1 500 000 euros et créancière d'Eurocom à concurrence de 276 000 euros, ainsi que 12 % de [G] Enterprises par laquelle M. [G] exerce son activité professionnelle aux Etats-Unis, société qui a réalisé en 2019 un chiffre d'affaires de 3 560 000 dollars US ; Que les pièces n°10 et 11 visées par M. [G] ont respectivement trait à une offre d'achat émise par M. [S] au sujet d'un immeuble sis à [Adresse 5] (parcelle [Cadastre 2]) et à une attestation notariale évaluant le bien en juillet 2005 à 1 200 000 euros, aucun de ces documents ne faisant référence à la SCI EFP ; Que, par ailleurs, si le document daté du 10 avril 2017 porte la signature des époux [G] et de M. [S] et mentionne un accord des parties sur un prix de 1 440 000 euros net vendeur, le document n°10 bis reprend une autre offre de M. [S] en date du 31 juillet 2017 pour l'achat du même bien immobilier mais à un prix de 1 000 000 euros net vendeur ; Qu'en outre, la pièce n°29 s'apparente à un extrait de bilan comptable (profit et perte - profit and loss) correspondant à l'exercice de janvier à décembre 2019, pièce rédigée en langue anglaise avec l'intitulé "The Globe Theatre" sans que la cour puisse y saisir sans autre explication le lien avec la société [G] Enterprises ; Qu'en conclusion, aucune certitude ne peut caractériser la valorisation de ses droits d'associé dans la SC Renaissance 12 telle que présentée par M. [G] si bien qu'une comparaison d'une somme de 1 470 000 euros avec la créance d'Eurocom Finances SPF telle que reprise dans le procès-verbal de saisie apparaît des plus hasardeuses ; Qu'en définitive, c'est à bon droit que le premier juge a écarté toute connotation abusive voire disproportionnée de la saisie pratiquée à la demande de la société Eurocom Finances SPF sur les droits d'associé de M. [G] dans la société Renaissance 12 et débouté ce dernier de sa demande de mainlevée de la saisie ;
1) ALORS QUE le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie ; que la disproportion ou le caractère abusif d'une mesure d'exécution forcée peut être révélée par des circonstances postérieures à la date à laquelle la mesure a été exercée et le juge de l'exécution doit ordonner la mainlevée d'une mesure d'exécution forcée se révélant, au jour où il statue, abusive ; qu'en retenant néanmoins, pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie, à la requête de la société Eurocom Finances, de droits d'associés appartenant à M. [G] dans la société civile Renaissance 12 pour paiement de la somme en principal de 500 000 euros outre pénalités et écarter son caractère abusif ou disproportionné, que ce caractère ne s'appréciant qu'au jour où la mesure avait été exercée, les circonstances postérieurs invoquées par M. [G] sont indifférentes, la cour d'appel a violé l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
2) ALORS QUE le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie ; qu'en se bornant à retenir, pour en déduire que la saisie n'était pas abusive, que pour apprécier l'abus de saisie ou sa disproportion, elle devait se placer au jour de la réalisation de la mesure contestée sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions de M. [G], p.17, §2 et s.), si la mesure de saisie initiée par Eurocom finances à l'encontre de M. [G], caution solidaire, ne présentait pas un caractère abusif dès lors qu'elle s'inscrivait dans la lignée du comportement de cette société, n'ayant d'autres fins que de dépouiller M. [G] de ses actifs immobiliers, comportement déjà judiciairement stigmatisé par le juge-commissaire en charge du redressement judiciaire d'une caution hypothécaire du prêt, la Sci EFP, (ordonnance du 6 juillet 2018, p. 3) et par ailleurs sanctionné dans une autre instance constatant que la société Eurocom finances SPF avait soustrait abusivement des loyers dus à la société Sci Efp aux fins d'obtenir paiement de la dette résultant de l'acte notariée du 23 février 2015 (jugement du 3 janvier 2018, p. 7), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
3) ALORS, en toute hypothèse, QUE si le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance, l'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation ; que si la disproportion d'une mesure d'exécution forcée s'apprécie à la date où la mesure litigieuse a été exercée, le juge de l'exécution doit prendre en considération les éléments postérieurs révélant, au jour où il statue, l'existence d'une disproportion ; qu'en retenant, pour écarter la disproportion de la mesure litigieuse fondée sur l'acte notarié de prêt d'une somme de 500 000 euros à la société Renaissance 12 et dirigée contre M. [G], caution solidaire de celle-ci, qu'il convenait de se placer au jour de la réalisation de la mesure contestée, le 3 mai 2019, de sorte que ne pouvaient être pris en considération dans l'appréciation du caractère disproportionné, ni le règlement à la société Eurocom Finances devenu effectif seulement le 7 mai 2020 d'une somme de 230 000 euros suite à la réalisation de l'actif de la Sci Nelson, caution hypothécaire de la société Renaissance 12, ni la condamnation prononcée par l'arrêt de la cour d'appel de Reims du 14 mai 2019 du créancier saisissant à verser à la société Efp, également caution hypothécaire de la société Renaissance 12, une somme totale de 276 769 euros à titre de dommages-intérêts, quand ces éléments étaient susceptibles d'établir le caractère disproportionné de la mesure au jour où elle statuait, la cour d'appel a violé l'article L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution. | Il résulte des articles L. 111-7 et L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution que pour trancher de la demande de mainlevée de la mesure inutile ou abusive, il appartient au juge de l'exécution de se placer au jour où il statue |
8,211 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1093 F-B
Pourvoi n° J 20-22.099
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
Mme [T] [X], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 20-22.099 contre l'arrêt n° RG : 19/02844 rendu le 11 septembre 2020 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre sociale, section 3), dans le litige l'opposant à la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [X], de la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 11 septembre 2020), la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens (la caisse) a décerné, le 15 octobre 2018, à Mme [X] (la cotisante), exerçant la profession de biologiste non-médecin, non-salarié, une contrainte pour avoir paiement des cotisations et majorations de retard afférentes au second semestre de l'année 2018.
2. La cotisante a formé opposition à cette contrainte devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Sur les premier, troisième et quatrième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, le premier étant irrecevable et les autres n'étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. La cotisante fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de renvoi en audience collégiale, alors « qu'en matière de procédure orale, le refus d'une partie d'être entendue à juge unique et son souhait de renvoi à l'audience collégiale peuvent être présentés au jour de l'audience ; qu'en ayant jugé le contraire, aux motifs inopérants du dépôt d'un calendrier de procédure, de la nécessité de respecter le contradictoire et du principe de loyauté des débats, quand la collégialité est de droit pour une partie qui doit expressément y renoncer, ce qu'elle peut parfaitement refuser de faire le jour de l'audience, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 945-1 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 945-1 du code de procédure civile :
5. Il résulte de ce texte que si le magistrat chargé du rapport peut tenir seul l'audience, c'est à la double condition de constater que les avocats ou les personnes qui ont qualité pour présenter des observations orales ne s'y opposent pas et d'entendre les plaidoiries.
6. Pour rejeter la demande de renvoi en audience collégiale, l'arrêt relève que les parties ont été avisées par ordonnance de fixation du 1er octobre 2019 que l'affaire était inscrite au rôle d'une audience devant le magistrat rapporteur et que la cotisante qui a accusé réception de cette ordonnance n'a demandé le renvoi en audience collégiale qu'en réponse à la demande de l'intimée présentée lors de l'audience du 4 juin 2020 d'écarter des débats les pièces et conclusions transmises la veille. Il retient qu'une telle demande de renvoi se heurte au principe de loyauté des débats.
7. En statuant ainsi, alors que l'opposition des parties à la tenue de l'audience devant un juge rapporteur peut être présentée le jour même de l'audience et qu'une partie ne peut être privée de son droit à ce que l'affaire l'opposant à son adversaire soit débattue contradictoirement en audience collégiale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Caisse d'assurance vieillesse des pharmaciens et la condamne à payer à Mme [X] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour Mme [X]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [X] fait grief à l'arrêt, confirmatif de ce chef, attaqué d'AVOIR dit que le syndicat des travailleurs assurés librement en Europe pour leur sécurité sociale n'avait pas qualité pour représenter ou assister la demanderesse ;
ALORS QU'un membre d'un groupement professionnel de travailleurs indépendants peut représenter une biologiste non salariée devant un tribunal des affaires de sécurité sociale ; qu'en ayant jugé que M. [K] n'avait pas qualité, en tant que président du [3], groupement syndical de travailleurs indépendants, pour représenter Mme [X] devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, la cour d'appel a violé l'article L. 142-9 du code de la sécurité sociale.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [X] reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté sa demande de renvoi en audience collégiale ;
1°) ALORS QU'en matière de procédure orale, le refus d'une partie d'être entendue à juge unique et son souhait de renvoi à l'audience collégiale peuvent être présentés le jour de l'audience ; qu'en ayant jugé le contraire, la cour d'appel a violé l'article 945-1 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en matière de procédure orale, le refus d'une partie d'être entendue à juge unique et son souhait de renvoi à l'audience collégiale peuvent être présentés au jour de l'audience ; qu'en ayant jugé le contraire, aux motifs inopérants du dépôt d'un calendrier de procédure, de la nécessité de respecter le contradictoire et du principe de loyauté des débats, quand la collégialité est de droit pour une partie qui doit expressément y renoncer, ce qu'elle peut parfaitement refuser de faire le jour de l'audience, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 945-1 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE les juges doivent respecter le contradictoire, même en procédure orale ; qu'en ayant rejeté la demande de Mme [X] de renvoi à la formation collégiale, motif pris du principe de loyauté des débats et du respect du contradictoire, moyen qui n'a aucunement été soumis à la discussion des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR écarté des débats les conclusions et pièces déposées par elle le 3 juin 2020, veille de l'audience ;
ALORS D'UNE PART QU'en procédure orale, des conclusions tardivement déposées ne peuvent être écartées des débats, sans que la partie intéressée n'ait été mise en mesure de faire valoir de motif légitime ; qu'en ayant écarté des débats les conclusions et pièces déposées par Mme [X] le 3 juin 2020, sans lui permettre de faire valoir son motif légitime, tiré de ce qu'au vu de l'ordonnance du 1er octobre 2019 qui lui avait été adressée (en production), elle croyait en toute bonne foi que l'audience prévue n'avait pour objet que d'examiner la recevabilité de son appel, la cour d'appel a violé l'article 446-3 du code de procédure civile ;
ALORS D'AUTRE PART QUE des conclusions ne peuvent être écartées des débats que si le juge constate qu'au regard de leur contenu et des circonstances de leur dépôt, ces conclusions n'ont pu être contradictoirement débattues ; qu'en se bornant, pour écarter les conclusions et pièces déposées par Mme [X] le 3 juin 2020, à faire état de la date de leur dépôt, sans constater que ces conclusions n'avaient pu être débattues, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 15 du Code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [X] fait grief à l'arrêt attaqué, confirmatif de ce chef, d'AVOIR validé la contrainte litigieuse, outre majorations de retard complémentaires ;
1°) ALORS QU'en procédure orale, l'irrecevabilité des conclusions de l'appelant n'a pas pour effet que la cour n'est saisie d'aucun moyen, si l'appelant est comparant ; qu'en ayant énoncé le contraire, la cour d'appel a donc violé l'article R. 142-20-1 du code de la sécurité sociale ;
2°) ALORS QUE la liberté d'entreprendre et celle de choisir son organisme d'assurance sociale s'oppose à l'obligation d'affiliation à un régime de sécurité sociale ; qu'en ayant jugé que Mme [X] avait une obligation d'affiliation auprès de la caisse intimée, la cour d'appel a violé l'article 153 TFUE, ensemble le principe de la liberté d'entreprendre. | Il résulte de l'article 945-1 du code de procédure civile que si le magistrat chargé du rapport peut tenir seul l'audience, c'est à la double condition de constater que les avocats ou les personnes qui ont qualité pour présenter des observations orales ne s'y opposent pas et d'entendre les plaidoiries.
Une cour d'appel ne peut, dès lors, rejeter la demande de renvoi en audience collégiale au motif qu'une partie a attendu le jour de l'audience pour présenter une telle demande alors que l'opposition des parties à la tenue de l'audience devant un juge rapporteur peut être présentée le jour même de l'audience et qu'une partie ne peut être privée de son droit à ce que l'affaire l'opposant à son adversaire soit débattue contradictoirement en audience collégiale |
8,212 | Demande d'avis
n°D 22-70.011
Juridiction : le tribunal judiciaire de Valenciennes
VL12
Avis du 20 octobre 2022
N° 15013 + B
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
COUR DE CASSATION
_________________________
Première chambre civile
Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile :
La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Beauvois, conseiller, et les observations écrites et orales de Mme Caron-Deglise, avocat général ;
Énoncé de la demande d'avis
1. La Cour de cassation a reçu, le 22 juillet 2022, une demande d'avis formée le 24 mai 2022 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Valenciennes, statuant en qualité de juge des tutelles, dans une instance concernant Mme [X] [T], bénéficiaire d'une mesure d'habilitation familiale, et Mme [I] [T], personne habilitée.
2. La demande est ainsi formulée :
« Les actes interdits en matière de tutelle, prévus par l'article 509 du code civil, sont-ils transposables en matière d'habilitation familiale générale par représentation, notamment à la lumière de l'article 494-6 du code civil ? »
Examen de la demande d'avis
3. Aux termes de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l'ordre judiciaire peuvent solliciter l'avis de la Cour de cassation.
4. Le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Valenciennes, statuant en qualité de juge des tutelles, est saisi, par une personne habilitée à représenter une majeure protégée pour tous les actes relatifs à sa personne et ses biens, d'une requête aux fins de renoncer, au nom de celle-ci, à la clause bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie souscrit par son conjoint décédé.
5. La question de droit est nouvelle, présente une difficulté sérieuse et est susceptible de se poser dans de nombreux litiges.
6. L'article 494-6, alinéas 1 à 6, du code civil dispose :
« L'habilitation peut porter sur :
– un ou plusieurs des actes que le tuteur a le pouvoir d'accomplir, seul ou avec une autorisation, sur les biens de l'intéressé ;
– un ou plusieurs actes relatifs à la personne à protéger. Dans ce cas, l'habilitation s'exerce dans le respect des dispositions des articles 457-1 à 459-2 du code civil.
La personne habilitée ne peut accomplir en représentation un acte de disposition à titre gratuit qu'avec l'autorisation du juge des tutelles.
Si l'intérêt de la personne à protéger l'implique, le juge peut délivrer une habilitation générale portant sur l'ensemble des actes ou l'une des deux catégories d'actes mentionnés aux deuxième et troisième alinéas.
La personne habilitée dans le cadre d'une habilitation générale ne peut accomplir un acte pour lequel elle serait en opposition d'intérêts avec la personne protégée. Toutefois, à titre exceptionnel et lorsque l'intérêt de celle-ci l'impose, le juge peut autoriser la personne habilitée à accomplir cet acte.»
7. L'habilitation ne pouvant porter que sur les actes que le tuteur peut accomplir, seul ou avec une autorisation, il en résulte qu'elle ne peut porter sur les actes que le tuteur ne peut accomplir, même avec une autorisation, lesquels sont énoncés à l'article 509 du code civil.
8. La nécessité, pour la personne habilitée, d'obtenir l'autorisation du juge pour accomplir en représentation un acte de disposition à titre gratuit ou, à titre exceptionnel et lorsque l'intérêt de la personne protégée l'impose, un acte pour lequel elle serait en opposition d'intérêts avec celle-ci ne lui confère pas le pouvoir d'agir en dehors des limites ainsi fixées.
9. En conséquence, l'article 494-6 du code civil ne confère pas au juge le pouvoir de délivrer une habilitation familiale en représentation pour les actes visés à l'article 509 du code civil et, a fortiori, celui d'autoriser la personne habilitée en représentation à accomplir ces actes.
EN CONSEQUENCE, la Cour :
EST D'AVIS QUE l'article 494-6 du code civil ne confère pas au juge le pouvoir de délivrer une habilitation familiale en représentation pour les actes visés à l'article 509 du code civil et, a fortiori, celui d'autoriser la personne habilitée en représentation à accomplir ces actes.
Dit que, par application de l'article 1031-6 du code de procédure civile, le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 20 octobre 2022, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 18 octobre 2022 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : M. Chauvin, président, Mme Beauvois, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mme Antoine, M. Fulchiron, Mme Dard, Mme Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, Mme Layemar, greffier de chambre ;
Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre. | L'article 494-6 du code civil ne confère pas au juge le pouvoir de délivrer une habilitation familiale en représentation pour les actes visés à l'article 509 du code civil et, a fortiori, celui d'autoriser la personne habilitée en représentation à accomplir ces actes |
8,213 | N° E 21-85.763 FS-B
N° 01216
SL2
25 OCTOBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
IRRECEVABILITE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
MM. [L] [I], [V] [F], [S] [O], [P] [M], [G] [C] [E] et [Z] [D] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 9 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs, notamment, d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, importations de stupéfiants en bande organisée et blanchiment, a prononcé sur leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure.
Par ordonnance en date du 7 février 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de MM. [P] [M], [S] [O], [G] [C] [E] et [Z] [D], les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [L] [I] et [V] [F], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Examen de la recevabilité des pourvois formés par MM. [S] [O], [P] [M] et [Z] [D]
1. Les avocats de MM. [O], [D] et [M] ayant épuisé, par l'exercice qu'ils en ont fait les 13 et 14 septembre 2021, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, MM. [O], [D] et [M] étaient irrecevables à se pourvoir à nouveau contre la même décision par des déclarations faites les 15 et 16 septembre 2021 au greffe du centre pénitentiaire.
2. Seuls sont recevables les pourvois formés les 13 et 14 septembre 2021.
Faits et procédure
3. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
4. Lors d'une enquête préliminaire diligentée par la juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de [Localité 2] pour des faits d'association de malfaiteurs et d'infraction aux règles de cryptologie, un dispositif de captation des données informatiques sur un serveur alimentant un réseau de téléphones cryptés dit « [1] » a été mis en oeuvre, en application de l'article 706-102-1 du code de procédure pénale. La captation des données informatiques a révélé l'interaction de plusieurs utilisateurs de téléphones cryptés recourant à des pseudonymes et se livrant au trafic de stupéfiants sur le [Adresse 4].
5. Le 30 avril 2020, le procureur de la République de Lille a adressé au procureur de la République de Nancy des éléments relatifs à ces derniers, parmi lesquels MM. [L] [I], [V] [F], [S] [O], [P] [M], [G] [C] [E], [Z] [D].
6. Sur la base de ces éléments, le 30 avril 2020, une information judiciaire a été ouverte à [Localité 3] des chefs d'infractions à la législation sur les armes, importation de stupéfiants en bande organisée, trafic de stupéfiants, associations de malfaiteurs, à laquelle a été jointe, le 13 mai suivant, une information judiciaire déjà en cours des chefs d'importation de produits stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs.
7. Les personnes précitées ont été interpellées et mises en examen le 19 juin 2020, à l'exception de M. [M] qui l'a été le 5 novembre 2020.
8. M. [I] a présenté une requête en nullité le 17 décembre 2020, M. [D] le 18 décembre suivant, MM. [F], [O] et [C] [E] le 21 décembre suivant, M. [M] les 15 et 23 février 2021.
9. MM. [I] et [F] ont formé le 17 février 2021 une demande d'acte tendant à ce que soit jointe à l'information judiciaire la totalité de la procédure « souche » lilloise. Cette demande a été rejetée par ordonnance du juge d'instruction en date du 18 février 2021, frappée d'appel par les demandeurs.
10. Par arrêt avant dire droit en date du 20 mai 2021, la chambre de l'instruction a ordonné la jonction des différentes requêtes et des appels précités, la production aux débats, avant le 7 juin 2021, de différents procès-verbaux de la procédure « souche » lilloise, ainsi que de tous éléments permettant d'expliciter les raisons pour lesquelles l'opération de captation des données informatiques avait rendu nécessaire le blocage de noms de domaine et la modification des règles de routage réseau.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, et les cinquième, sixième et septième moyen proposés par la SCP Spinosi pour M. [I]
Sur les premier, troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième moyens proposés par la SCP Spinosi pour M. [F]
Sur les premier, quatrième et cinquième moyens proposés par la SCP Celice, Texidor, Périer pour M. [D]
Sur le premier moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Périer pour M. [C] [E]
Sur les premier, troisième, quatrième moyens proposés par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [M]
Sur les premier et quatrième moyens proposés par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [O]
11. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé par la SCP Spinosi pour M. [I]
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'illégalité des opérations d'interception et de captation effectuées sur le fondement de l'article 706-102-1 du code de procédure pénale, alors « qu'il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi, celle-ci devant ainsi faire l'objet d'un encadrement légal spécifique et précis ; qu'est ainsi exclue l'interprétation extensive d'un dispositif légal en place, pour justifier, au besoin, le recours à des procédés qu'il ne prévoit pas ; que les dispositions de l'article 706-102-1 du code de procédure pénale prévoient un dispositif technique de captation des données informatiques ayant pour seule vocation de permettre l'accès, l'enregistrement, la conservation et la transmission de données d'un système informatique, à l'exclusion des données en cours de circulation ; qu'en rejetant le moyen de nullité tiré de l'illégalité des opérations d'interception et de captation effectuées, lorsqu'il ressort des pièces de la procédure qu'il a été ordonné, d'une part, la mise en place d'un dispositif de « blocage des opérations » auprès de différents prestataires, de nature à affecter le nom de domaine, la résolution DNS et l'infrastructure réseau en place, et d'autre part, des opérations de « redirection des flux », lesquelles consistent en une « modification des règles de routage du réseau », de telles opérations s'analysant comme des opérations de modifications du système de traitement automatisé de données, et ce notamment afin de s'y maintenir sans être repéré, de sorte qu'elles ne rentraient manifestement pas dans le champ d'application de l'article 706-102-1, sur le fondement duquel elles ont pourtant été entreprises, la chambre de l'instruction a violé les principes et dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
13. Pour écarter le moyen de nullité tiré de ce que l'article 706-102-1 du code de procédure pénale n'autorise que la captation des données informatiques stockées, à l'exclusion des données en cours de transmission, l'arrêt attaqué énonce que les opérations de blocage et de redirection des flux n'ont constitué que des opérations techniques préalables à la mise en oeuvre de la captation des données informatiques.
14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
15. En premier lieu, il n'y a pas à faire de distinction là où l'article 706-102-1 susvisé n'en fait pas.
16. En second lieu, l'opération de captation suppose que les administrateurs de la solution de chiffrement en cause ne soient pas mis en mesure de neutraliser l'opération des enquêteurs, notamment en redirigeant les accès vers un autre serveur.
17. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [D]
Sur le troisième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [C] [E]
Sur le troisième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [O]
Enoncé des moyens
18. Le moyen proposé pour M. [D] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de toute pièce faisant état des deux procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] ainsi que de chacun des actes, pièces ou mentions dont elles constituent le support nécessaire, à savoir de l'intégralité de la procédure le concernant, alors « que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties, ce qui implique qu'une personne mise en examen ait été mise en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en examen ; qu'en énonçant que « l'ensemble des pièces de procédure de Lille déjà versées permettent tant aux mis en examen qu'à la chambre de l'instruction d'apprécier la régularité et la loyauté des éléments initialement recueillis sans qu'il y ait eu une quelconque atteinte à leurs droits fondamentaux, tous éléments ayant au surplus, été soumis à leur contradiction tant lors de leurs auditions en garde à vue que lors de leurs interrogatoires par le magistrat instructeur et des débats devant cette chambre » (arrêt p. 110 § 6), quand l'exposant n'avait pas été mis en mesure de discuter la régularité et la loyauté de l'intégralité des pièces de la procédure « souche » lilloise, de nombreux éléments essentiels de cette procédure n'ayant pas été versés au dossier, ce qui ne lui avait pas permis d'exercer ses droits de la défense, notamment de vérifier la légalité et la qualité des transcriptions des communications issues du système [1] qui fondaient en grande partie sa mise en examen, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale. »
19. Le moyen proposé pour M. [C] [E] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de toute pièce faisant état des deux procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] ainsi que de chacun des actes, pièces ou mentions dont elles constituent le support nécessaire, à savoir de l'intégralité de la procédure le concernant, alors « que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties, ce qui implique qu'une personne mise en examen ait été mise en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en examen ; qu'en énonçant que « l'ensemble des pièces de procédure de Lille déjà versées permettent tant aux mis en examen qu'à la chambre de l'instruction d'apprécier la régularité et la loyauté des éléments initialement recueillis sans qu'il y ait eu une quelconque atteinte à leurs droits fondamentaux, tous éléments ayant au surplus, été soumis à leur contradiction tant lors de leurs auditions en garde à vue que lors de leurs interrogatoires par le magistrat instructeur et des débats devant cette chambre » (arrêt p. 110 § 6), quand l'exposant n'avait pas été mis en mesure de discuter la régularité et la loyauté de l'intégralité des pièces de la procédure « souche » lilloise, de nombreux éléments essentiels de cette procédure n'ayant pas été versés au dossier, ce qui ne lui avait pas permis d'exercer ses droits de la défense, notamment de vérifier la légalité et la qualité des transcriptions des communications issues du système [1] qui fondaient en grande partie sa mise en examen, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale. »
20. Le moyen proposé pour M. [O] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de toute pièce faisant état des deux procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] ainsi que de chacun des actes, pièces ou mentions dont elles constituent le support nécessaire, à savoir de l'intégralité de la procédure le concernant, alors « que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties, ce qui implique qu'une personne mise en examen ait été mise en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en examen ; qu'en énonçant que « l'ensemble des pièces de procédure de Lille déjà versées permettent tant aux mis en examen qu'à la chambre de l'instruction d'apprécier la régularité et la loyauté des éléments initialement recueillis sans qu'il y ait eu une quelconque atteinte à leurs droits fondamentaux, tous éléments ayant au surplus, été soumis à leur contradiction tant lors de leurs auditions en garde à vue que lors de leurs interrogatoires par le magistrat instructeur et des débats devant cette chambre » (arrêt p. 110 § 6), quand l'exposant n'avait pas été mis en mesure de discuter la régularité et la loyauté de l'intégralité des pièces de la procédure « souche » lilloise, de nombreux éléments essentiels de cette procédure n'ayant pas été versés au dossier, ce qui ne lui avait pas permis d'exercer ses droits de la défense, notamment de vérifier la légalité et la qualité des transcriptions des communications issues du système [1] qui fondaient en grande partie sa mise en examen, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
21. Les moyens sont réunis.
22. La Cour de cassation juge qu'une personne mise en examen n'est pas fondée à critiquer, par une requête en annulation, l'absence au dossier de pièces de l'information judiciaire initiale, dès lors qu'elle dispose du droit de présenter une demande à cette fin au juge d'instruction et d'interjeter appel de l'ordonnance de refus qui pourrait lui être opposée (Crim., 1er avril 2020, pourvoi n° 19-80.908).
23. En conséquence, les requérants, qui n'ont pas saisi le juge d'instruction d'une demande d'acte à cette fin, ne sauraient se faire un grief des motifs par lesquels la chambre de l'instruction a rejeté leur requête en annulation tirée de l'absence à l'information judiciaire de pièces provenant de la procédure diligentée par la JIRS de [Localité 2].
24. En conséquence, les moyens ne peuvent être accueillis.
Sur le deuxième moyen proposé par la SCP Spinosi pour MM. [I] et [F]
Enoncé du moyen
25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'absence de versement à la procédure de pièces issues de la procédure souche, alors « que, l'ensemble des actes à la disposition des autorités de poursuites, et de nature à influer sur l'issue du litige, doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle efficace de la part de la juridiction saisie, lequel ne saurait aller sans le versement de ces éléments en procédure ; qu'il en est tout particulièrement ainsi des pièces expressément identifiées comme déterminantes de la régularité de la procédure ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, sans violer ce principe ainsi que les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence de versement de l'intégralité des éléments de l'enquête dans le cadre de laquelle les mesures de captation de données informatiques essentielles ont été opérées, et plus particulièrement de certaines pièces dont le caractère déterminant était spécifiquement démontré. »
Réponse de la Cour
26. Les demandeurs ne sauraient se faire un grief des motifs par lesquels la chambre de l'instruction a rejeté leur requête en annulation tirée de l'absence à l'information judiciaire de pièces provenant de la procédure diligentée par la JIRS de [Localité 2], dès lors qu'ils ne proposent aucun moyen critiquant l'arrêt en ce qu'il a confirmé les ordonnances du 18 février 2021 rejetant leurs demandes tendant au versement desdites pièces.
27. Il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé.
Sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche proposé par la SCP Spinosi pour M. [I],
Enoncé du moyen
28. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité tirés de l'irrégularité des mesures de captation de données informatique et de leur exploitation dans la présente procédure, alors :
« 2°/ que l'exploitation des mesures de captation de données informatiques est conditionnée par le placement sous scellés fermés des enregistrements effectués ; qu'en rejetant le moyen de nullité tiré de cette irrégularité, lorsqu'en dépit d'une injonction expresse de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy par arrêt avant dire droit du 21 mai 2021, de produire aux débats les procès-verbaux relatant le placement sous scellés des enregistrements, il ne figure toujours en procédure aucun élément de nature à établir la réalisation effective d'un tel placement sous scellés, de sorte qu'il est impossible de s'assurer de l'intégrité des données exploitées, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-95-18, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
29. Pour écarter le moyen de nullité pris de l'absence à la procédure du procès-verbal de placement sous scellés fermés des enregistrements, l'arrêt, après avoir ordonné, avant dire droit, la production de cette pièce à la procédure, énonce que les formalités de placement sous scellés prévues à l'article 706-95-18 du code de procédure pénale n'étant pas exclues du champ d'application de l'article 802 du même code, leur inobservation ne saurait donner lieu à annulation en l'absence d'atteinte portée aux intérêts de la personne mise en examen invoquée et démontrée par celle-ci.
30. En l'état de ses seules énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
31. En effet, les allégations du demandeur selon lesquelles il aurait pu être porté atteinte à l'intégrité des données sont, en l'absence de toute contestation, hypothétiques.
32. Il s'ensuit que le grief doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen proposé par la SCP Spinosi pour M. [I]
Enoncé du moyen
33. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité du recours aux moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, alors « qu'en cas de recours aux moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, et sous réserve du respect des obligations qui en découlent, les résultats obtenus sont accompagnés des indications techniques utiles à la compréhension et à leur exploitation ainsi que d'une attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité des résultats transmis ; qu'en se bornant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de la violation de ces dispositions, à affirmer que cette exigence de fourniture d'indications techniques n'est prévue que « sous réserve des obligations découlant du secret de la défense nationale » (arrêt, p. 115), lorsqu'il ressort des pièces de la procédure qu'outre l'absence d'indications techniques, laquelle peut se justifier par les considérations invoquées, aucune attestation de sincérité des résultats n'a été délivrée, une telle attestation ne faisant pourtant, par nature, courir aucun risque d'une telle révélation, de sorte qu'aucune des exigences, pourtant cumulatives, de l'article 230-3 du code de procédure pénale n'a été respectée, la chambre de l'instruction a violé les articles 230-3, 706-102-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 230-3 du code de procédure pénale et 593 du code de procédure pénale :
34. Aux termes du premier de ces articles, sous réserve des obligations découlant du secret de la défense nationale, les résultats sont accompagnés des indications techniques utiles à la compréhension et à leur exploitation ainsi que d'une attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité des résultats transmis. Les éléments ainsi obtenus font l'objet d'un procès-verbal de réception et sont versés au dossier de la procédure.
35. En vertu du second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
36. Pour écarter le moyen de nullité des opérations de captation de données informatiques, pris de l'absence à la procédure des éléments ci-dessus visés, l'arrêt attaqué énonce que la mise en place du dispositif a été réalisée, par voie de réquisition au directeur général de la sécurité intérieure, en recourant à des moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, de sorte qu'il est à ce titre cohérent que le service enquêteur oppose un tel secret.
37. Les juges ajoutent que les différents procès-verbaux d'investigations et de demandes complémentaires du service enquêteur décrivent de façon suffisamment précise le cheminement des investigations ayant nécessité le recours au service technique national de captation judiciaire, ainsi que les résultats d'exploitation de l'outil de captation injecté, dont il a été régulièrement rendu compte au juge des libertés et de la détention.
38. En prononçant ainsi uniquement sur l'absence à la procédure des indications techniques, sans répondre aux conclusions du requérant qui invoquait l'absence de l'attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité des résultats transmis, la chambre de l'instruction, à qui il appartenait, le cas échéant, de solliciter en application de l'article 201 du code de procédure pénale, le versement de cette pièce à la procédure, n'a pas justifié sa décision.
39. Il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef.
Et sur le deuxième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [D]
Sur le deuxième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [C] [E]
Sur le deuxième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [M]
Sur le deuxième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [O]
Enoncé des moyens
40. Le moyen proposé pour M. [D] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à soulever les moyens tenant à la nullité des opérations de captation de données informatiques, alors :
« 1°/ que le demandeur à la nullité est recevable à proposer à la chambre de l'instruction des moyens de nullité pris de l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie, lorsqu'il fait valoir que les pièces de cette procédure qui ont été versées au dossier le concernant sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies, notamment par le recours par l'autorité publique à un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, l'exposant avait intérêt et qualité pour agir en nullité des opérations de captation de données informatiques autorisées dans le cadre des procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] dès lors qu'il soutenait que les transcriptions des données numériques, versées au dossier et fondant en grande partie sa mise en examen, avaient été illégalement recueillies en ce qu'elles procédaient du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles préliminaire, 427, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en déclarant l'exposant irrecevable à soulever la nullité des opérations de captation de données informatiques aux motifs que celui-ci, susceptible d'être l'utilisateur du téléphone crypté avec le pseudonyme « [X] », avait fait valoir son droit au silence lors de sa garde à vue et de son interrogatoire de première comparution et avait refusé de s'expliquer lors de son interrogatoire de fond, de sorte qu'il ne pouvait justifier d'un droit lui étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, la chambre de l'instruction a violé le droit de l'exposant de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ensemble les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016, 63-1 et 116 du code de procédure pénale. »
41. Le moyen proposé pour M. [C] [E] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à soulever les moyens tenant à la nullité des opérations de captation de données informatiques, alors :
« 1°/ que le demandeur à la nullité est recevable à proposer à la chambre de l'instruction des moyens de nullité pris de l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie, lorsqu'il fait valoir que les pièces de cette procédure qui ont été versées au dossier le concernant sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies, notamment par le recours par l'autorité publique à un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, l'exposant avait intérêt et qualité pour agir en nullité des opérations de captation de données informatiques autorisées dans le cadre des procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] dès lors qu'il soutenait que les transcriptions des données numériques, versées au dossier et fondant en grande partie sa mise en examen, avaient été illégalement recueillies en ce qu'elles procédaient du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles préliminaire, 427, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en déclarant l'exposant irrecevable à soulever la nullité des opérations de captation de données informatiques aux motifs que celui-ci, susceptible d'être l'utilisateur du téléphone crypté avec le pseudonyme « [T] », avait déclaré n'avoir jamais utilisé de téléphone crypté, de sorte qu'il ne pouvait justifier d'un droit lui étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, la chambre de l'instruction a violé le droit de l'exposant de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ensemble les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016, 63-1 et 116 du code de procédure pénale. »
42. Le moyen proposé pour M. [M] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à soulever les moyens tenant à la nullité des opérations de captation de données informatiques, alors :
« 1°/ que le demandeur à la nullité est recevable à proposer à la chambre de l'instruction des moyens de nullité pris de l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie, lorsqu'il fait valoir que les pièces de cette procédure qui ont été versées au dossier le concernant sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies, notamment par le recours par l'autorité publique à un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, l'exposant avait intérêt et qualité pour agir en nullité des opérations de captation de données informatiques autorisées dans le cadre des procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] dès lors qu'il soutenait que les transcriptions des données numériques, versées au dossier et fondant en grande partie sa mise en examen, avaient été illégalement recueillies en ce qu'elles procédaient du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles préliminaire, 427, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en déclarant l'exposant irrecevable à soulever la nullité des opérations de captation de données informatiques aux motifs que celui-ci, susceptible d'être l'utilisateur du téléphone crypté avec le pseudonyme « [N] », avait nié tant en garde à vue que devant le juge d'instruction avoir utilisé un téléphone crypté, de sorte qu'il ne pouvait justifier d'un droit lui étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, la chambre de l'instruction a violé le droit de l'exposant de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ensemble les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016, 63-1 et 116 du code de procédure pénale. »
43. Le moyen proposé pour M. [O] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à soulever les moyens tenant à la nullité des opérations de captation de données informatiques, alors :
« 1°/ que le demandeur à la nullité est recevable à proposer à la chambre de l'instruction des moyens de nullité pris de l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie, lorsqu'il fait valoir que les pièces de cette procédure qui ont été versées au dossier le concernant sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies, notamment par le recours par l'autorité publique à un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, l'exposant avait intérêt et qualité pour agir en nullité des opérations de captation de données informatiques autorisées dans le cadre des procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] dès lors qu'il soutenait que les transcriptions des données numériques, versées au dossier et fondant en grande partie sa mise en examen, avaient été illégalement recueillies en ce qu'elles procédaient du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles préliminaire, 427, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en déclarant l'exposant irrecevable à soulever la nullité des opérations de captation de données informatiques aux motifs que celui-ci, susceptible d'être l'utilisateur du téléphone crypté avec le pseudonyme « [U] », avait fait valoir son droit au silence lors de sa garde à vue et de son interrogatoire de première comparution et avait déclaré qu'il s'expliquerait après la décision sur la requête en nullité, de sorte qu'il ne pouvait justifier d'un droit lui étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, la chambre de l'instruction a violé le droit de l'exposant de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ensemble les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016, 63-1 et 116 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
44. Les moyens sont réunis.
Sur les moyens, pris en leur première branche
45. C'est à tort que la chambre de l'instruction a déclaré irrecevable pour défaut de qualité des demandeurs leur moyen pris de ce que les données numériques versées au dossier avaient été recueillies par les enquêteurs par un procédé déloyal.
46. En effet, une personne mise en examen est recevable, sans que puisse lui être opposé un défaut de qualité pris de l'absence d'un droit ou d'un intérêt qui lui est propre, à présenter un moyen de nullité dès lors qu'elle invoque le recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal.
47. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure dès lors qu'il résulte des paragraphes 14 à 16 du présent arrêt qu'aucune déloyauté n'a été commise par les enquêteurs dans la captation des données numériques.
48. Les griefs ne peuvent dès lors être accueillis.
Mais sur les moyens, pris en leur seconde branche
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 802 du code de procédure pénale :
49. Il résulte du premier de ces articles que toute personne a le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
50. La Cour européenne des droits de l'homme juge que ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'accusé.
51. Le droit de ne pas s'auto-incriminer constitue une protection non pas contre la tenue de propos incriminants en tant que telle mais contre l'obtention de preuves par la coercition ou l'oppression. Il concerne en premier lieu le respect de la détermination d'un accusé de garder le silence (CEDH, arrêt du 17 décembre 1996, [H] c. Royaume-Uni, n° 19187/91 ; arrêt du 10 mars 2009, [B] c. Russie, n° 4378/02).
52. Pour rechercher si une procédure a vidé de sa substance même le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, il convient d'examiner la nature et le degré de coercition, l'existence de garanties appropriées dans la procédure et l'utilisation qui est faite des éléments ainsi obtenus.
53. En vertu du second de ces textes, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité, ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne.
54. La Cour de cassation en déduit que pour déterminer si le requérant a qualité pour agir en nullité, la chambre de l'instruction doit rechercher si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité, dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 21-80.642, publié au Bulletin).
55. Le moyen pose la question de savoir si, pour dénier au requérant qualité à agir en nullité, le juge peut lui opposer son choix de garder le silence ou ses dénégations, alors même qu'il résulte des investigations qu'il est concerné par la formalité dont il allégue qu'elle a été méconnue.
56. En premier lieu, il convient d'observer que la lettre de l'article 802 du code de procédure pénale ne s'oppose pas à ce que la preuve que la partie est concernée par la nullité résulte d'éléments de la procédure.
57. En deuxième lieu, dans l'hypothèse précitée, exiger du requérant qu'il justifie que l'acte critiqué a porté atteinte à un droit ou à un intérêt qui lui est propre a pour conséquence de le contraindre, sous peine d'être privé de son droit d'agir en nullité, à renoncer à exercer son droit au silence ou à revenir sur ses déclarations antérieures.
58. Cela peut aussi l'obliger, notamment lorsqu'est en cause un acte attentatoire à la vie privée, à admettre l'existence d'éléments à charge, voire à reconnaître les faits qui lui sont reprochés.
59. Or, les écrits du requérant devant la chambre de l'instruction, à l'appui de sa requête en nullité, sont susceptibles d'être pris en compte par la juridiction chargée de statuer sur son renvoi devant une juridiction de jugement ou de prononcer sur sa culpabilité.
60. Il s'ensuit, qu'en pareil cas, subordonner la recevabilité de l'action en nullité du requérant à la preuve par celui-ci qu'il est concerné par l'irrégularité est de nature à méconnaître son droit à ne pas s'auto-incriminer.
61. Enfin, le contentieux de l'annulation se rattachant au contentieux du bien-fondé de l'accusation, dès lors qu'il permet de contester la légalité du recueil d'un élément de preuve, il ne saurait être dénié au requérant qui est concerné par l'irrégularité le droit de contester la légalité d'un élément ainsi susceptible d'être retenu contre lui par l'accusation.
62. En conséquence, si le requérant n'allègue pas que la formalité méconnue a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher s'il résulte d'éléments de la procédure que tel pourrait être le cas.
63. En l'espèce, pour déclarer les requérants dépourvus de qualité pour solliciter l'annulation des opérations de captation des données numériques, l'arrêt énonce en substance qu'une telle mesure porte atteinte au droit du secret des correspondances protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que par les dispositions des articles 226-15 et suivants du code pénal.
64. Les juges en déduisent qu'il convient d'apprécier pour chacun des requérants à la nullité s'il justifie d'un droit propre auquel la captation des données informatiques arguée de nullité aurait porté atteinte.
65. Ils constatent qu'à l'exception de M. [I] qui a reconnu être l'utilisateur d'un téléphone crypté [1] sous le pseudonyme « [A] », aucun des requérants n'a admis user d'un téléphone crypté avec le système [1] ou avoir le pseudonyme que l'exploitation des communications permettait de lui attribuer ou être l'un des interlocuteurs des communications captées.
66. Ils en déduisent qu'à défaut de pouvoir justifier d'un droit leur étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, MM. [D], [O], [C] [E], [M] n'ont pas qualité à agir et doivent être déclarés irrecevables à soulever la nullité de la mesure de captation des données informatiques mise en oeuvre dans la présente procédure.
67. En prononçant ainsi, alors qu'il résultait des pièces de la procédure que les enquêteurs avaient attribué à chaque requérant l'usage d'un téléphone crypté, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé au paragraphe 62.
68. La cassation est dès lors à nouveau encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés les 15 et 16 septembre 2021 par déclaration au greffe de la maison d'arrêt par MM. [O], [D] et [M] :
Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;
Sur les autres pourvois :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 9 septembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant prononcé sur le moyen de nullité proposé par M. [I] pris de la violation de l'article 230-3 du code de procédure pénale et ayant déclaré MM. [D], [O], [C] [E] et [M] irrecevables à soulever les moyens tendant à la nullité des opérations de captation des données informatiques, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux. | L'article 706-102-1 du code de procédure pénale autorise la captation de toutes données informatiques, y compris celles en cours de transmission. Dès lors sont régulières les opérations de blocage et de redirection des données, préalables nécessaires à leur captation |
8,214 | N° F 21-87.397 F-B
N° 01315
ODVS
25 OCTOBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
M. [S] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 2 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de blanchiment aggravé, associations de malfaiteurs, recel en bande organisée, non justification de ressources, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 21 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [S] [R], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, M. Croizier, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 9 mars 2020, une information judiciaire portant sur un trafic de véhicules frauduleusement radiés du fichier des objets et véhicules volés (FOVeS) a été ouverte des chefs de vols, recel, modification frauduleuse des données d'un système de traitement automatisé mis en oeuvre par l'Etat, en bande organisée, et associations de malfaiteurs.
3. Les investigations réalisées ont mis en évidence que la société [1] avait, en quelques mois, procédé à plusieurs déclarations d'achat d'un véhicule initialement inscrit au FOVeS.
4. L'adresse IP associée à cette société a conduit à l'identification de M. [S] [R]. Ses données de trafic et de localisation ont été exploitées par les enquêteurs.
5. Le 11 décembre 2020, M. [R] a été mis en examen des chefs précités.
6. Le 10 juin 2021, il a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation des procès-verbaux d'exploitation de ses données de connexion.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses sixième et septième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et huitième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors :
« 1°/ qu'en vertu de l'article 15, § 1 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, la conservation généralisée des adresses IP ne peut être autorisée qu'aux fins de recherche des infractions graves ; qu'en vertu des mêmes dispositions, la conservation ciblée des données de trafic et de localisation par les fournisseurs de communication électronique, dont les fournisseurs de téléphonie, ne peut-être permise qu'aux fins de recherche des infractions graves ; qu'il appartient au seul législateur de définir celles des infractions qui doivent être considérées comme suffisamment graves pour justifier de telles mesures de conservation de données personnelles ; que M. [R], mis en examen pour blanchiment, association de malfaiteurs, recel et non-justification de ressources, a soutenu l'irrégularité de la législation et de la règlementation applicable à de telles opérations et contesté les conditions dans lesquelles les adresses IP et les données de connexion et de localisation qui lui étaient attribuées avaient été conservées et exploitées par les enquêteurs ; que la chambre de l'instruction a estimé que la conservation généralisée des adresses IP et des données de trafic et de localisation pendant un an prévue par l'article L. 34-1 du code des postes et communications pour « les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale », était justifiée au regard de la gravité des infractions reprochées au mis en examen ; qu'en ne laissant pas inappliqué l'article L. 34-1 précité, qui ne précisait pourtant pas quelles infractions devaient être considérées comme graves, quand les infractions contre les biens reprochées au mis en examen ne pouvant être considérées comme suffisamment graves pour justifier l'atteinte au respect de la vie privée et à la liberté d'expression voulue par la directive précitée, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 5, 6, 8, 9 et 15 de la directive précitée, lus à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
2°/ qu'en vertu de l'article 15, § 1 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux, la conservation de telles données n'est permise que sur autorisation d'une autorité judiciaire ou d'une autorité administrative indépendante à même d'en apprécier la nécessité ; qu'en ne prenant pas en considération cette condition de régularité de la conservation par les opérateurs de téléphonie de ces données, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 5, 6, 8, 9 et 15 de la directive précitée, lus à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
3°/ que le juge répressif a compétence pour apprécier la légalité des actes réglementaires ; que, pour rejeter la requête en nullité invoquant l'inconventionnalité de l'article R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques fondant la conservation des données, la chambre de l'instruction a estimé que « les diligences télématiques effectuées sur le fondement de [ce texte], l'ont été conformément au droit en vigueur au moment de leur réalisation, alors que leur modification a été reportée d'un délai de 6 mois à compter du mois d'avril 2021, selon les énonciations de la décision « French Data Network » rendue par le Conseil d'Etat le 21 avril 2020; que dès lors il n'a été fait qu'application du droit positif, sans aucune violation de principes ou conventions internationales supérieures » ; qu'en refusant de se prononcer sur la conformité au droit de l'Union européenne de cette disposition comme elle en avait le devoir, la décision du Conseil d'Etat n'ayant aucune autorité de la chose jugée sur cette question, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 111-5 du code pénal ;
4°/ qu'en vertu du principe de primauté du droit de l'Union européenne, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l'Union, le juge national a l'obligation d'assurer le plein effet de celles-ci en laissant au besoin la réglementation nationale inappliquée, peu important que des décisions antérieures en aient admis la légalité et la conventionnalité ; que, dès lors, faute d'avoir constaté l'inopposabilité de la décision du Conseil d'Etat du 21 avril 2020, en tant que l'article R 10-13 du code des postes et communications électroniques n'était pas conforme au droit de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne qui a estimé que la conservation des adresses IP et des données de trafic et de localisation devait être limitée aux infractions graves, que la conservation des données de trafic et de localisation devait être subordonnée à l'autorisation d'une autorité judiciaire ou d'une autorité administrative indépendante et qu'elle était seule compétente pour autoriser le maintien provisoire en vigueur d'une législation nationale non conforme à ces exigences, la chambre de l'instruction, qui a estimé que le maintien en vigueur de l'article R.10-13 du code des postes et communications électronique pendant six mois décidé par le Conseil d'Etat s'imposait à elle, a méconnu le principe de primauté du droit de l'Union européenne, en violation de l'article 88-1 de la Constitution ;
5°/ qu'en vertu de l'article 15, § 1 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux, les enquêteurs ne peuvent accéder aux adresses IP et aux données de connexion et de localisation que sur l'autorisation d'une autorité judiciaire ou d'une autorité administrative indépendante, distincte de celle sous l'autorité de laquelle les enquêteurs agissent : que, pour dire régulières l'obtention et l'exploitation par la police des données concernant le mis en examen, la chambre de l'instruction a considéré que « s'agissant des données liées à ces lignes téléphoniques, il apparait que les réquisitions réalisées par les enquêteurs pour obtenir les données critiquées, ainsi que toutes leurs exploitations, l'ont été, conformément, et dans le respect de la législation française en vigueur, et sur autorisation et sous le contrôle de l'autorité judiciaire, en l'espèce le juge d'instruction, magistrat disposant d'un statut d'indépendance garantie par la Constitution » ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette autorisation, quand l'exposant soutenait que les policiers avaient agi sur le seul fondement d'une commission rogatoire prescrivant de rechercher les auteurs des infractions poursuivies, sans autoriser spécifiquement l'accès aux données concernant les personnes soupçonnées, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 5, 6, 8, 9 et 15 de la directive précitée, lus à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
8°/ qu'il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe d'autonomie procédurale, de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union, à condition toutefois qu'elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne et qu'elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit de l'Union ; que, pour rejeter la requête en nullité, la chambre de l'instruction a estimé que « la question envisagée ici n'est pas celle de la nullité d'un procès-verbal établi conformément à la loi, mais plutôt celle de la valeur probante qui pourra lui être attachée, question dont sera saisie le cas échéant la juridiction du fond » ; qu'en statuant ainsi, quand la conservation et l'exploitation des données procédaient d'une méconnaissance des exigences de l'article 15 de la directive 2002/58/CE, prise notamment pour assurer la protection de la vie privée, quand la méconnaissance des dispositions nationales destinées à assurer la protection d'un tel droit est sanctionnée en principe par l'annulation de tels actes et quand la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 a créé un article 60-1-2 du code de procédure pénale disposant que le non-respect des nouvelles dispositions en matière d'accès aux données de connexion et de localisation fait encourir la nullité, la chambre de l'instruction qui a refusé d'annuler les procès-verbaux établis sur le fondement des données recueillies a violé l'article 173 du code de procédure pénale, ensemble le principe d'équivalence des garanties, tel qu'imposé par l'intégration du droit de l'Union européenne et l'article 88-1 de la Constitution. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
9. Par arrêt en date du 12 juillet 2022, la Cour de cassation a énoncé les principes suivants (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).
10. L'article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, mis en oeuvre par l'article R. 10-13 dudit code, tel qu'il résultait du décret n° 2012-436 du 30 mars 2012, est contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'il imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l'exception des données relatives à l'identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu'en matière de criminalité grave, de celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d'une connexion.
11. En revanche, la France se trouvant exposée, depuis décembre 1994, à une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible à la sécurité nationale, les textes précités de droit interne étaient conformes au droit de l'Union en ce qu'ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée les données de trafic et de localisation, aux fins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, incriminés aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal.
12. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale, dans leur version antérieure à la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022, lus en combinaison avec le sixième alinéa du paragraphe III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, permettaient aux autorités compétentes, de façon conforme au droit de l'Union, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, d'ordonner la conservation rapide, au sens de l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, des données de connexion, même conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.
13. Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle est saisie d'un moyen en ce sens, de vérifier, d'une part, que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave, dont l'appréciation relève du droit national, d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire.
14. S'agissant de la gravité des faits, il appartient au juge de motiver sa décision au regard de la nature des agissements de la personne poursuivie, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.
15. Enfin, l'existence d'un grief pris de l'absence de contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante n'est établie que lorsque l'accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation hors hypothèse de la conservation rapide, n'a pas été circonscrit à une procédure visant à la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire.
16. Il s'ensuit que la Cour de cassation, ayant jugé par l'arrêt précité du 12 juillet 2022, que le droit interne français ne pouvait continuer à s'appliquer que dans les limites et sous les conditions précitées, conformément au principe de la primauté du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle posée.
17. En l'espèce, pour écarter la nullité des réquisitions litigieuses, prise de la non-conformité du droit français aux exigences européennes en matière de conservation des données de connexion, l'arrêt attaqué énonce que la jurisprudence européenne admet la conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP aux fins de lutte contre la criminalité grave, catégorie à laquelle, à l'évidence, appartiennent les crimes et délits pour lesquels M. [R] est mis en examen.
18. Les juges ajoutent que, s'agissant des données liées aux lignes téléphoniques du requérant, il apparaît que les réquisitions des enquêteurs pour obtenir les données critiquées ont été réalisées conformément à la législation française en vigueur, et sur autorisation et sous le contrôle de l'autorité judiciaire, en l'espèce le juge d'instruction, magistrat disposant d'un statut d'indépendance garanti par la Constitution.
19. Ils énoncent également que l'affirmation que les dispositions de l'article R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques ne seraient pas conformes aux engagements européens de la France ne justifie pas de prononcer la nullité des procès-verbaux établis selon le droit français, en un moment où il était applicable, la modification du droit interne ayant été reportée de six mois par l'arrêt du Conseil d'Etat « French Data Network » en date du 21 avril 2021, et ce à compter dudit arrêt.
20. Ils en déduisent qu'il a été ainsi fait application du droit positif sans aucune violation de principes ou de conventions internationales supérieures.
21. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes susénoncés pour les raisons suivantes.
22. En premier lieu, saisi d'un moyen pris de l'illégalité des dispositions de l'article R. 10-13 du code des postes et des communications comme contraire aux exigences de l'Union européenne, il lui appartenait, en application de l'article 111-5 du code pénal, d'en apprécier la pertinence, le principe de primauté du droit de l'Union lui imposant d'assurer le plein effet de ses dispositions en laissant, au besoin, inappliquée toute réglementation contraire de la législation nationale.
23. Dès lors, la chambre de l'instruction ne pouvait, pour refuser d'examiner la conventionnalité de l'article R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques, constater que le Conseil d'Etat avait, par la décision précitée du 21 avril 2021, enjoint au Premier ministre, dans un délai de six mois, à compter de celle-ci, de procéder à l'abrogation dudit article, en ce qu'il ne limitait pas les finalités de l'obligation de conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic et de localisation autres que les données d'identité civile, les coordonnées de contact et de paiement, les données relatives aux contrats et aux comptes et les adresses IP, à la sauvegarde de la sécurité nationale.
24. En deuxième lieu, s'agissant de la conservation de l'adresse IP du requérant, ainsi que de ses données de trafic et de localisation, il lui appartenait de vérifier que les faits, objets de la présente procédure, relevaient de la criminalité grave, au regard de la nature des agissements en cause, de l'importance du dommage en résultant, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue, sans limiter son analyse aux seules qualifications retenues à l'encontre de celui-ci.
25. En outre, et s'agissant de la conservation des données de trafic et de localisation, elle devait également s'assurer que leur conservation rapide et l'accès à celles-ci respectaient les limites du strict nécessaire.
26. En troisième lieu, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen de la procédure, dont elle a le contrôle, qu'il ne résulte d'aucune pièce que le magistrat instructeur, qui a délivré une commission rogatoire rédigée en des termes généraux, ait autorisé les officiers de police judiciaire à procéder aux réquisitions adressées aux opérateurs de télécommunications, en en fixant la durée et le périmètre.
27. Il s'ensuit que l'accès aux données de connexion n'a pas été réalisé de façon conforme au droit de l'Union européenne. Une telle irrégularité n'est de nature à entraîner la nullité que si l'existence d'un grief est établie, conformément au paragraphe 15 de cet arrêt.
28. Enfin, la chambre de l'instruction ne pouvait, sans méconnaître le principe d'équivalence du droit européen, énoncer qu'en cas de méconnaissance de celui-ci, il appartiendrait à la juridiction de jugement d'apprécier la valeur probante des procès-verbaux dressés, mais devait rechercher si un grief était établi, conformément au paragraphe 15 de ce arrêt et, en ce cas, prononcer la nullité des actes litigieux.
29. La cassation est dès lors encourue de ces chefs.
PAR CES MOTIFS,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 2 décembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux. | Il se déduit de l'article 15, § 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que si le juge d'instruction est habilité à contrôler l'accès par les enquêteurs aux données de trafic et de localisation régulièrement conservées par les opérateurs de télécommunications, il doit résulter des pièces de l'information que cet accès a été réalisé sous le contrôle effectif de ce magistrat et selon les modalités qu'il a autorisées, s'agissant de la durée et du périmètre de celui-ci.
Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui écarte la nullité des réquisitions délivrées par les enquêteurs alors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen de la procédure dont elle a le contrôle, qu'il ne résulte d'aucune pièce que le magistrat instructeur, qui a délivré une commission rogatoire rédigée en des termes généraux, ait autorisé les officiers de police judiciaire à procéder aux réquisitions adressées aux opérateurs de télécommunications |
8,215 | N° E 22-81.466 F-D
N° 01317
ODVS
25 OCTOBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
M. [X] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 11 février 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de vols et tentatives de vol, en bande organisée, et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 5 mai 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [X] [H], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés le 25 mars 2021, M. [X] [H] a présenté une requête en nullité de pièces de la procédure qui a été enregistrée au greffe de la chambre de l'instruction le 29 juin 2021.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité du contrôle d'identité réalisé dans le cadre de la procédure du commissariat d'Argenteuil, alors « qu'il résulte de l'arrêt attaqué que pour justifier le contrôle de M. [H] les policiers en patrouille ont constaté le 13 juin 2020 à 22 heures 15, alors qu'ils étaient de passage devant un établissement de lavage, la présence d'un groupe de 7 individus qui lavaient cinq motocyclettes de type cross et un quad, tous non immatriculés, ainsi que de deux individus dont M. [H] qui déchargeaient d'un véhicule de marque Mercedes de type camionnette à hayon deux motocross non immatriculées, et constataient également la présence dans la camionnette de deux jerricans desquels émanaient une forte odeur d'essence sans plomb, ce qui n'était pas de nature à caractériser une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'ils avaient commis ou tenté de commettre une infraction, de sorte qu'en retenant néanmoins, pour dire n'y avoir lieu à annuler le contrôle d'identité, que ces éléments étaient de nature à constituer un indice faisant présumer à tout le moins un recel de véhicules et à justifier le contrôle, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 78-2 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
4. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal d'interpellation pris de l'irrégularité du contrôle d'identité dont a, au préalable, fait l'objet M. [H] le 13 juin 2020 à 22 heures 15, l'arrêt attaqué énonce que les policiers, de passage devant un établissement de lavage de véhicules, ont avisé un groupe de sept personnes qui lavaient cinq motocyclettes de type cross et un quad, véhicules non immatriculés, deux de ces personnes, dont l'intéressé, déchargeant ensuite d'une camionnette deux autres motocyclettes de type cross non immatriculées.
5. Les juges ajoutent que les policiers ont également constaté la présence, dans la camionnette, de deux jerricans d'où émanait une forte odeur d'essence sans plomb, de sorte que ces éléments étaient de nature à constituer à l'égard de l'intéressé un indice de commission de l'infraction de recel de vol du fait de l'absence d'immatriculation des véhicules et de leur nombre.
6. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a relevé des raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction, a justifié sa décision.
7. Le moyen doit dès lors être rejeté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que l'autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de requérir la remise d'informations concernant l'enquête doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête préliminaire en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable ; qu'il résulte tant de la procédure que de l'arrêt attaqué que les autorisations données par le procureur de la République en vue de requérir la remise d'informations concernant l'enquête étaient en date des 16 mai 2018 et 13 janvier 2020, de sorte qu'en refusant d'annuler les réquisitions fondées sur ces autorisations, antérieures à l'ouverture de l'enquête sur des faits qui se seraient déroulés dans la nuit du 15 au 16 mai 2020, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 77-1-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que les dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale sont édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et que leur méconnaissance est constitutive d'une nullité à laquelle les dispositions de l'article 802 du même code sont étrangères ; qu'en écartant la nullité à raison de ce que M. [H] n'apparaîtrait pas sur les enregistrements de vidéo-surveillance ou sur les documents relatifs au certificat d'immatriculation du véhicule [Immatriculation 1], la chambre de l'instruction a méconnu les articles 77-1-1 et 802 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en tout état de cause, il résulte de la procédure que la cote D107 concerne une vidéosurveillance sur laquelle M. [H] a été identifié et la cote D248 concerne des demandes de renseignements auprès de la CAF et de la direction des finances publiques concernant M. [H] ; qu'en écartant la nullité de ces actes sans consacrer aucun motif à l'intérêt pour M. [H] de les critiquer et au grief qu'il subissait, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 77-1-1 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 77-1-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 :
9. Selon ce texte, l'officier ou l'agent de police judiciaire peut, sur autorisation du procureur de la République, requérir des informations intéressant l'enquête de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique. Il en résulte que l'autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers ou agents de police judiciaire de requérir de telles informations doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable, cette interprétation étant commandée par la nécessité de garantir une direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République.
10. L'irrégularité qui découle de la méconnaissance de cette exigence fait nécessairement grief.
11. Pour rejeter le moyen de nullité des réquisitions délivrées par les officiers de police judiciaire en charge de l'enquête préliminaire entre les 18 mai et 4 juin 2020, pris de l'absence d'autorisation du procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce que, si la plupart d'entre elles visent des instructions permanentes du procureur de la République en date des 16 mai 2018 et 13 janvier 2020, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont sollicité « l'autorisation à réquisition conformément à l'article 77-1-1 du code de procédure pénale », en particulier aux fins d'identifier des titulaires de lignes téléphoniques, ainsi que mentionné au procès-verbal d'avis à magistrat du 22 mai, de même qu'ils ont été autorisés à procéder à toutes réquisitions permettant l'identification des auteurs des vols, ainsi que mentionné au procès-verbal d'avis à magistrat du 29 mai, d'où il suit que les réquisitions ont été autorisées par le procureur de la République, qui a ainsi exercé la direction de l'enquête.
12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés, pour les motifs qui suivent.
13. Ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de le constater, le procureur de la République a autorisé, dans le cadre de l'enquête préliminaire en cours, le 29 mai 2020 (D 111), « toutes réquisitions nécessaires permettant l'identification des auteurs des vols », l'autorisation délivrée le 22 mai 2020 (D 51) pour des réquisitions aux fins de géolocalisation de lignes téléphoniques, spécifique, ne pouvant valoir, dès cette date, une telle autorisation générale dans le dossier.
14. Il en résulte qu'avant le 29 mai 2020, les réquisitions qui ne visent aucune autorisation, ou qui visent des autorisations générales et permanentes du procureur de la République non obtenues par l'officier ou l'agent de police judiciaire dans le cadre de l'enquête préliminaire en cours, sont, s'agissant de celles pour lesquelles le requérant avait qualité pour agir en nullité, irrégulières.
15. La cassation est dès lors encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article R. 40-28 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que l'accès au fichier de traitement des antécédents judiciaires est réservé aux agents des services de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités ; que la chambre de l'instruction qui, pour écarter la nullité tirée de l'absence d'habilitation de l'agent ayant consulté ce fichier, s'est contentée d'affirmer que l'accès n'était en pratique techniquement possible qu'à la condition de disposer d'un code d'accès personnalisé délivré aux seules personnes habilitées, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en affirmant encore, sans aucune autre forme de motivation qu'aucun grief ne serait circonstancié, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 230-10, R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale :
17. Il résulte des deux premiers de ces textes que peuvent accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans le traitement d'antécédents judiciaire (TAJ) notamment les agents de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités par les autorités dont ils relèvent, l'habilitation précisant la nature des données auxquelles elle autorise l'accès. En conséquence, hors le cas où la consultation du traitement est effectuée par un enquêteur, autorisé par le procureur de la République, pour les besoins d'une procédure pénale, à délivrer une réquisition à cette fin en application de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, doit figurer au dossier de la procédure le document ou la mention établissant que l'accès à ce traitement a été le fait d'un agent désigné à cette fin et spécialement habilité. Le défaut d'une telle habilitation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont les données personnelles ont été consultées.
18. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
19. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal de consultation du TAJ pris du défaut de mention de l'habilitation de l'agent de la police nationale qui a procédé à cette opération, l'arrêt attaqué énonce qu'en pratique, l'accès à ce traitement n'est techniquement possible qu'à la condition de disposer d'un code d'accès personnalisé délivré aux seules personnes habilitées, de sorte qu'aucune irrégularité n'est caractérisée ni aucun grief circonstancié.
20. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a prononcé par des motifs hypothétiques.
21. En effet, il lui appartenait, au besoin par un supplément d'information, de rechercher si l'agent de la police nationale en cause disposait de l'habilitation lui permettant d'accéder aux informations dont il a fait état dans son rapport.
22. La cassation est dès lors encore encourue de ce chef.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article 64-1 du code de procédure pénale, alors « que les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisées dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel ; qu'en se bornant à constater, pour écarter la nullité tirée de l'absence d'enregistrement de la seconde audition de M. [H], l'existence d'un DVD qui, selon le procèsverbal, supporterait les auditions filmées de ce dernier, sans vérifier par elle-même si l'audition litigieuse y figurait bien, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 64-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 64-1 et 593 du code de procédure pénale :
24. Selon le premier de ces textes, les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime réalisées dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel. La violation de cette disposition porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne placée en garde à vue.
25. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal de deuxième audition de garde à vue de M. [H], l'arrêt attaqué énonce que, si celui-ci ne mentionne pas, à la différence des trois autres procès-verbaux d'audition, qu'il a été procédé à l'enregistrement de celle-ci, il ne saurait se déduire de l'absence d'une telle mention la violation des dispositions de l'article 64-1, dès lors qu'il ressort de la procédure que l'officier de police judiciaire a placé sous scellé le DVD supportant les auditions filmées de l'intéressé, qu'une copie de ce scellé est annexée à la procédure et qu'il n'est pas invoqué par le requérant l'absence d'enregistrement effectif.
26. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a prononcé par des motifs hypothétiques.
27. En effet, il lui appartenait de s'assurer, au besoin par un supplément d'information, que la deuxième audition de l'intéressé, placé en garde à vue pour crime dans les locaux d'un service de police exerçant une mission de police judiciaire, avait fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.
28. La cassation est dès lors encore encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 11 février 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux réquisitions prises sur le fondement de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, au procès-verbal de consultation du TAJ et au procès-verbal de deuxième audition de garde à vue de M. [H], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux. | Il résulte des articles 230-10 et R. 40-28 du code de procédure pénale que peuvent notamment accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans le traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), les agents de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités par les autorités dont ils relèvent, l'habilitation précisant la nature des données auxquelles elle autorise l'accès. En conséquence, hors le cas où la consultation du traitement est effectuée par un enquêteur, autorisé par le procureur de la République, pour les besoins d'une procédure pénale, à délivrer une réquisition à cette fin en application de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, doit figurer au dossier de la procédure le document ou la mention établissant que l'accès à ce traitement a été le fait d'un agent désigné à cette fin et spécialement habilité.
Le défaut d'une telle habilitation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont les données personnelles ont été consultées.
Prononce par des motifs hypothétiques la chambre de l'instruction qui, pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal de consultation du TAJ pris du défaut de mention de l'habilitation de l'agent de la police nationale qui a procédé à cette opération, énonce qu'en pratique, l'accès à ce traitement n'est techniquement possible qu'à la condition de disposer d'un code d'accès personnalisé délivré aux seules personnes habilitées, alors qu'il lui appartenait, au besoin par un supplément d'information, de rechercher si l'agent de la police nationale en cause disposait de cette habilitation |
8,216 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 768 FS-B
Pourvoi n° A 20-22.827
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [N].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [G] [N], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 20-22.827 contre l'ordonnance rendue le 15 octobre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Lyon, dans le litige l'opposant :
1°/ au directeur du centre hospitalier [3] (établissement public), dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Mme [V] [N], domiciliée [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [N], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du directeur du centre hospitalier [3], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, M. Serrier, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [N] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [N].
Faits et procédure
2. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Lyon, 15 octobre 2020), le 24 septembre 2020, M. [N] a été admis en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, par décision du directeur d'établissement et à la demande d'un tiers, sur le fondement de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique.
3. Le 29 septembre 2020, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande aux fins de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. M. [N] fait grief à l'ordonnance d'autoriser son maintien en hospitalisation complète, alors « que le premier président saisi de l'appel interjeté contre une ordonnance ayant autorisé le maintien en hospitalisation d'une personne sans son consentement ne peut se prononcer sans qu'un avis rendu par un psychiatre de l'établissement d'accueil se prononçant sur la nécessité de poursuivre l'hospitalisation complète ne soit adressé au greffe de la cour d'appel au plus tard quarante-huit heures avant l'audience ; que pour juger la procédure régulière cependant qu'il avait constaté que ce délai de quarante-huit heures n'avait pas été respecté, le premier président a relevé qu'il n'était résulté de cette méconnaissance aucune atteinte aux droits de M. [N] dès lors que l'avis médical, établi la veille de l'audience et n'apportant pas d'éléments nouveaux, avait été communiqué sans délai au conseil de M. [N], laquelle avait pu le discuter à l'audience et communiquer un autre certificat médical ; qu'en statuant ainsi, quand l'abrégement du délai laissé à M. [N] et son conseil pour prendre connaissance du certificat avant audience avait nécessairement causé un grief à M. [N] qui n'avait pas bénéficié du temps prévu par la loi pour recueillir des éléments permettant de discuter ce certificat, le premier président a violé l'article L. 3211-12-4 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 3211-12-4, alinéa 3, du code de la santé publique, en cas d'appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention prise en application de l'alinéa 1er de l'article L. 3211-12-1, un avis rendu par un psychiatre de l'établissement d'accueil de la personne admise en soins psychiatriques sans consentement se prononçant sur la nécessité de poursuivre l'hospitalisation complète est adressé au greffe de la cour d'appel au plus tard quarante-huit heures avant l'audience.
6. Il appartient au premier président, en l'absence de respect du délai de quarante-huit heures pour la transmission de l'avis médical au greffe, d'apprécier souverainement s'il en est résulté un grief.
7. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'après avoir constaté que l'avis médical avait été transmis au greffe de la cour d'appel la veille de l'audience, le premier président a écarté l'existence d'un grief en retenant que cet avis n'apportait pas d'éléments nouveaux, qu'il avait été communiqué sans délai au conseil de M. [N] et que l'avocat avait pu le discuter à l'audience et produire un autre certificat médical.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. M. [N] fait le même grief à l'ordonnance, alors « que, lorsqu'une personne est admise en soins psychiatriques sans son consentement, elle doit faire l'objet d'un premier examen médical complet dans les vingt-quatre heures puis un second dans les soixante-douze heures suivant son admission ; qu'en l'espèce, pour juger que les examens médicaux avaient été pratiqués dans les délais légaux, le premier président s'est borné à constater que ceux-ci avaient été pratiqués dans le courant du premier et du troisième jours suivant l'admission de M. [N] ; qu'en statuant par des motifs inopérants qui ne permettaient pas de déterminer, faute d'horodatage des certificats, si les délais légaux de vingt-quatre et soixante-douze heures avaient été respectés, la juridiction d'appel a violé l'article L. 3211-2-2 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3211-2-2 du code de la santé publique :
10. Selon ce texte, lorsqu'une personne est admise en soins psychiatriques sans consentement, elle fait l'objet d'une période d'observation et de soins initiale sous la forme d'une hospitalisation complète qui donne lieu à l'établissement, par un psychiatre de l'établissement d'accueil, de deux certificats médicaux constatant l'état mental du patient et confirmant ou non la nécessité de maintenir les soins, le premier dans les vingt-quatre heures de la décision d'admission, le second dans les soixante-douze heures de celle-ci.
11. Dès lors que les délais y sont exprimés en heures, ils se calculent d'heure à heure.
12. En l'absence de respect des délais prévus par le texte précité, la mainlevée de la mesure ne peut être prononcée que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne, conformément à l'article L. 3216-1, alinéa 2, du code de la santé publique.
13. Pour écarter le moyen tiré de l'absence d'horodatage des certificats médicaux des vingt-quatre et soixante-douze heures ne permettant pas de vérifier le respect des délais légaux et autoriser le maintien de M. [N] en hospitalisation complète, l'ordonnance retient que la loi ne prévoit pas un tel horodatage et que le premier certificat a été établi le 25 septembre 2020, soit dans les vingt-quatre heures de l'admission décidée le 24, et le second le 27 septembre 2020, soit dans les soixante-douze heures de celle-ci.
14. En statuant ainsi, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er , du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
17. Les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 15 octobre 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. [N]
M. [N] fait grief à l'ordonnance confirmative attaquée d'AVOIR autorisé son maintien en hospitalisation complète sans son consentement pour lui prodiguer des soins psychiatriques au-delà d'une durée de douze jours ;
1°) ALORS D'UNE PART QUE lorsqu'une personne est admise en soins psychiatriques sans son consentement, elle doit faire l'objet d'un premier examen médical complet dans les vingt-quatre heures puis un second dans les soixante-douze heures suivant son admission ; qu'en l'espèce, pour juger que les examens médicaux avaient été pratiqués dans les délais légaux, le premier président s'est borné à constater que ceux-ci avaient été pratiqués dans le courant du premier et du troisième jours suivant l'admission de M. [N] ; qu'en statuant par des motifs inopérants qui ne permettaient pas de déterminer, faute d'horodatage des certificats, si les délais légaux de vingt-quatre et soixante-douze heures avaient été respectés, la juridiction d'appel a violé l'article L. 3211-2-2 du code de la santé publique ;
2°) ALORS D'AUTRE PART QUE le premier président saisi de l'appel interjeté contre une ordonnance ayant autorisé le maintien en hospitalisation d'une personne sans son consentement ne peut se prononcer sans qu'un avis rendu par un psychiatre de l'établissement d'accueil se prononçant sur la nécessité de poursuivre l'hospitalisation complète ne soit adressé au greffe de la cour d'appel au plus tard quarante-huit heures avant l'audience ; que pour juger la procédure régulière cependant qu'il avait constaté que ce délai de quarante-huit heures n'avait pas été respecté, le premier président a relevé qu'il n'était résulté de cette méconnaissance aucune atteinte aux droits de M. [N] dès lors que l'avis médical, établi la veille de l'audience et n'apportant pas d'éléments nouveaux, avait été communiqué sans délai au conseil de M. [N], laquelle avait pu le discuter à l'audience et communiquer un autre certificat médical ; qu'en statuant ainsi, quand l'abrègement du délai laissé à M. [N] et son conseil pour prendre connaissance du certificat avant audience avait nécessairement causé un grief à M. [N] qui n'avait pas bénéficié du temps prévu par la loi pour recueillir des éléments permettant de discuter ce certificat, le premier président a violé l'article L. 3211-12-4 du code de la santé publique. | Les délais des vingt-quatre et soixante-douze heures dans lesquels les certificats médicaux de la période d'observation prévue à l'article L. 3211-2-2 du code de la santé publique doivent être établis se calculent d'heure à heure.
En l'absence de respect de ces délais, la mainlevée de la mesure ne peut être prononcée que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne, conformément à l'article L. 3216-1, alinéa 2, du même code |
8,217 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 769 FS-B
Pourvoi n° W 21-10.706
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [P] [S].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 3 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [P] [S], domicilié [Adresse 2], actuellement hospitalisé à l'EPSM de [7], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 21-10.706 contre l'ordonnance rendue le 1er octobre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Reims, dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet de la Marne, domicilié [Adresse 3],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Reims, domicilié en son parquet général, [Adresse 4],
3°/ à l'association ASFA, dont le siège est [Adresse 5], prise en qualité de curatrice de M. [P] [S],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [S], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Reims, 1er octobre 2020), le 20 mars 2017, M. [S] a été admis en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète par décision du préfet de Seine-Saint-Denis sur le fondement de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique. La mesure s'est poursuivie dans le département des Pyrénées-Atlantiques, avec une période de programme de soins entre juin et octobre 2017 et un séjour en unité pour malades difficiles (UMD) entre le 3 janvier 2018 et le 9 octobre 2019. Le 14 janvier 2020, le préfet de ce département a ordonné le transfert du patient à l'UMD de [Localité 6]. Le 23 mars 2020, le juge des libertés et de la détention a autorisé la prolongation de la mesure d'hospitalisation complète.
2. Le 7 septembre 2020, le préfet de la Marne a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. M. [S] a demandé au juge de constater que les conditions de son maintien en UMD n'étaient pas réunies.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. M. [S] fait grief à l'ordonnance d'autoriser la maintien de son hospitalisation complète, alors « qu'il appartient au juge des libertés et de la détention, puis en appel, au magistrat délégué par le premier de la cour d'appel, chargés de contrôler la régularité de la mesure d'hospitalisation complète, de vérifier que le séjour en Unité de malades difficiles est toujours fondé au regard des exigences des articles R. 3222-1 et suivants du code de la santé publique ; qu'en refusant d'exercer ce contrôle au prétexte que seule la commission de suivi médical saisie par le patient est compétente pour donner un avis au préfet sur le maintien ou non de l'intéressé en unité de malades difficiles, sans d'ailleurs vérifier que l'arrêté de maintien en soins psychiatriques du préfet du 17 juillet 2020 avait visé un avis de la commission de suivi médical, l'ordonnance attaquée a violé les articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique, ensemble les articles R. 3222-1 et suivants du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique que le juge des libertés et de la détention contrôle la régularité et le bien-fondé des décisions administratives de soins sans consentement, ainsi que des mesures d'isolement et de contention.
6. Selon l'article R. 3222-1, les UMD accueillent des patients qui relèvent de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète décidés par le représentant de l'Etat dans le département sur le fondement de l'article L. 3213-1 ou l'autorité judiciaire sur le fondement de l'article 706-135 du code de procédure pénale et dont l'état de santé requiert la mise en uvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières.
7. Selon l'article R. 3222-4, dans chaque département d'implantation d'une UMD, il est créé une commission du suivi médical, qui peut, en application de l'article R. 3222-5, se saisir à tout moment de la situation d'un patient hospitalisé dans l'UMD de son département d'implantation, examine au moins tous les six mois le dossier de chaque patient hospitalisé dans l'unité et peut être saisie, en outre, notamment par la personne hospitalisée. Selon l'article R. 3222-6, lorsque cette commission, saisie le cas échéant par le psychiatre responsable de l'UMD, constate que les conditions mentionnées à l'article R. 3222-1 ne sont plus remplies, elle saisit le préfet du département d'implantation de l'unité ou, à [Localité 8], le préfet de police, qui prononce, par arrêté, la sortie du patient de l'UMD et informe de sa décision le préfet ayant pris l'arrêté initial d'admission dans cette unité, ainsi que l'établissement de santé qui avait demandé l'admission du patient.
8. Il s'en déduit, en l'état des textes, que la régularité et le bien-fondé de l'admission et du maintien d'un patient en UMD, considérée comme une modalité d'hospitalisation, ne relèvent pas du contrôle du juge des libertés et de la détention.
9. C'est dès lors à bon droit que le premier président a énoncé, par motifs propres et adoptés, que, si le juge des libertés et de la détention est seul chargé de contrôler la procédure de soins psychiatriques sans consentement, et notamment la régularité des décisions administratives, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la mise en oeuvre d'une mesure médicale, telle que le maintien en UMD.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour M. [S]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [S] fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance du 21 septembre 2020 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne qui l'a débouté de sa demande de mainlevée de la mesure de soins sous contrainte.
ALORS QUE le juge doit vérifier, comme il le lui est demandé, si le signataire de la requête avait qualité, le cas échéant au titre d'une délégation de signature, pour saisir le juge des libertés et de la détention ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêté de délégation de signature que la signataire avait compétence pour signer les arrêtés d'admission en soins psychiatriques, et non pour saisir le juge des libertés d'une requête ; qu'en jugeant néanmoins cette délégation valable pour saisir le juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée a méconnu l'obligation qui s'impose au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause, ensemble l'article 112 du code de procédure civile
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [S] fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance du 21 septembre 2020 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne qui l'a débouté de sa demande de mainlevée de la mesure de soins sous contrainte.
ALORS QU'il appartient au Juge des libertés et de la détention, puis en appel, au magistrat délégué par le premier de la cour d'appel, chargés de contrôler la régularité de la mesure d'hospitalisation complète, de vérifier que le séjour en Unité de Malades Difficiles est toujours fondé au regard des exigences des articles R 3222-1 et suivants du code de la santé publique ; qu'en refusant d'exercer ce contrôle au prétexte que seule la commission de suivi médical saisie par le patient est compétente pour donner un avis au Préfet sur le maintien ou non de l'intéressé en unité de malades difficiles, sans d'ailleurs vérifier que l'arrêté de maintien en soins psychiatriques du Préfet du 17 juillet 2020 avait visé un avis de la commission de suivi médical, l'ordonnance attaquée a violé les articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique, ensemble les articles R 3222-1 et suivants du code de la santé publique
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [S] fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance du 21 septembre 2020 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne qui l'a débouté de sa demande de mainlevée de la mesure de soins sous contrainte
ALORS QUE le maintien en hospitalisation complète doit être justifié par le constat que le patient souffre de troubles mentaux compromettant la sûreté des personnes ou portant gravement atteinte à l'ordre public ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans constater qu'il résultait des certificats médicaux et de la décision du préfet que les troubles mentaux dont souffre le requérant compromettaient la sûreté des personnes ou portaient gravement atteinte à l'ordre public, la magistrate déléguée par le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard des articles L. 3213-1, L. 3213-3 et R. 3213-3 du code de la santé publique. | En l'état des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1, L. 3216-1, R. 3222-1 et R. 3222-4 du code de la santé publique, la régularité et le bien-fondé de l'admission et du maintien d'un patient en unité pour malades difficiles (UMD), considérée comme une modalité d'hospitalisation, ne relèvent pas du contrôle du juge des libertés et de la détention |
8,218 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 781 F-B
Pourvoi n° Y 21-10.938
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
1°/ le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales, domicilié [Adresse 2],
2°/ le conseil de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° Y 21-10.938 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2020 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [M] [I], domicilié [Adresse 1],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Montpellier, domicilié en son [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales et du conseil de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [I], après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 30 novembre 2020), par arrêté du 18 octobre 2018, le conseil de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales (le conseil de l'ordre) a prononcé l'omission du tableau de M. [I] au motif qu'il n'avait pas respecté l'échéancier auquel il s'était engagé pour le paiement de sa dette à la Caisse nationale des barreaux français (la CNBF).
2. Celui-ci a formé un recours qui a été rejeté par décision du conseil de l'ordre du 1er juillet 2019.
3. M. [I] a été placé en redressement judiciaire par décision du 4 juillet suivant et s'est prévalu de cette mesure pour solliciter, le 31 juillet 2019, sa réinscription au tableau.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le bâtonnier et le conseil de l'ordre font grief à l'arrêt d'ordonner la réinscription au tableau de M. [I], alors « que l'avocat qui, sans motifs valables, n'a pas acquitté sa cotisation à la CNBF dans les délais prescrits, peut être omis du tableau ; que sa réinscription est prononcée par le conseil de l'ordre, qui vérifie que l'intéressé remplit les conditions requises pour figurer au tableau, avant d'accueillir sa demande ; qu'après avoir relevé que l'omission de M. [I] avait été prononcée au motif qu'il n'avait pas respecté l'échéancier fixé pour le règlement de sa dette à l'égard de la CNBF, la cour d'appel retient, pour ordonner sa réinscription, que, postérieurement à cette omission, M. [I] a été placé en redressement judiciaire, ce qui lui interdit de payer le reliquat de cette dette antérieure, motif légitime de non-paiement ; qu'en statuant ainsi par un motif inopérant, sans constater que M. [I] aurait procédé au paiement de sa dette à l'égard de la CNBF et que la cause de son omission aurait ainsi disparu, la cour d'appel a violé les articles 105, 2° et 107 du décret du 27 novembre 1991. »
Réponse de la Cour
5. Si, selon l'article 105, 2° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l'avocat qui, sans motifs valables, n'a pas acquitté sa cotisation à la CNBF peut être omis du tableau, sa réinscription est, aux termes de l'article 107, prononcée par le conseil de l'ordre qui, avant d'accueillir la demande de réinscription, vérifie que l'intéressé remplit les conditions requises pour figurer au tableau.
6. Aux termes de l'article L. 622-7 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde de justice, applicable également, selon l'article L. 631-14, à la procédure de redressement judiciaire, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'absence de règlement de cotisations dues par un avocat ayant motivé son omission du tableau ne peut faire obstacle à sa réinscription dans le cas où il fait l'objet d'un redressement judiciaire.
8. Ayant relevé que l'ouverture, le 4 juillet 2019, de la procédure de redressement judiciaire interdisait à M. [I] de régler le reliquat de sa dette à la CNBF, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que le conseil de l'ordre ne pouvait maintenir son refus de réinscription de M. [I] au tableau.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le conseil de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour le bâtonnier de l'ordre des avocats des Pyrénées-Orientales et le conseil de l'ordre des avocats du barreau des Pyrénées-Orientales
Le conseil de l'ordre des avocats du barreau des Pyrénées-Orientales fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé sa décision du 5 septembre 2019 refusant la réinscription au tableau de M. [M] [I], et d'AVOIR ordonné cette réinscription ;
ALORS QUE l'avocat qui, sans motifs valables, n'a pas acquitté sa cotisation à la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) dans les délais prescrits, peut être omis du tableau ; que sa réinscription est prononcée par le conseil de l'ordre, qui vérifie que l'intéressé remplit les conditions requises pour figurer au tableau, avant d'accueillir sa demande ; qu'après avoir relevé que l'omission de M. [I] avait été prononcée au motif qu'il n'avait pas respecté l'échéancier fixé pour le règlement de sa dette à l'égard de la CNBF, la cour d'appel retient, pour ordonner sa réinscription, que, postérieurement à cette omission, M. [I] a été placé en redressement judiciaire, ce qui lui interdit de payer le reliquat de cette dette antérieure, motif légitime de non-paiement ; qu'en statuant ainsi par un motif inopérant, sans constater que M. [I] aurait procédé au paiement de sa dette à l'égard de la CNBF et que la cause de son omission aurait ainsi disparu, la cour d'appel a violé les articles 105 2° et 107 du décret du 27 novembre 1991. | Si, selon l'article 105, 2°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l'avocat qui, sans motifs valables, n'a pas acquitté sa cotisation à la Caisse nationale des barreaux francais (CNBF) peut être omis du tableau, sa réinscription est, aux termes de l'article 107, prononcée par le conseil de l'ordre qui, avant d'accueillir la demande de réinscription, vérifie que l'intéressé remplit les conditions requises pour figurer au tableau.
Aux termes de l'article L. 622-7 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde de justice, applicable également, selon l'article L. 631-14, à la procédure de redressement judiciaire, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.
Il résulte de la combinaison de ces textes que l'absence de règlement de cotisations dues par un avocat ayant motivé son omission du tableau ne peut faire obstacle à sa réinscription dans le cas où il fait l'objet d'un redressement judiciaire |
8,219 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 784 F-B
Pourvoi n° F 21-50.045
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [H].
Admission au bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 19 août 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Lyon, domicilié en son parquet général, 1 rue du Palais, 69321 Lyon cedex, a formé le pourvoi n° F 21-50.045 contre l'ordonnance rendue le 18 mai 2021 par la cour d'appel de Lyon, dans le litige l'opposant à M. [F] [H], domicilié centre hospitalier de [2], [Localité 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [H], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Lyon, 18 mai 2021), le 5 février 2016, M. [H] a été admis en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, par décision du représentant de l'Etat dans le département sur le fondement de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique. Cette hospitalisation s'est poursuivie jusqu'au 8 août 2019, date à laquelle le représentant de l'Etat a transformé la mesure en programme de soins. Le 2 novembre 2020, M. [H] a été réadmis en hospitalisation complète. Par ordonnance du 10 novembre 2020, le juge des libertés et de la détention a autorisé la poursuite de la mesure. Par arrêté du 30 novembre 2020, le représentant de l'Etat a maintenu la mesure pour une durée de six mois à compter du 4 décembre 2020.
2. Le 21 avril 2021, le représentant de l'Etat a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. Le procureur général près la cour d'appel de Lyon fait grief à l'ordonnance de décider de la mainlevée de la mesure, alors « que, sur le fondement de l'article L. 3213-4 du code de la santé publique, la mesure d'hospitalisation psychiatrique sans consentement d'un patient qui a fait l'objet d'une réintégration en hospitalisation complète peut être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département pour une période de six mois ; en affirmant que la mesure d'hospitalisation psychiatrique sans consentement d'un patient qui avait fait l'objet d'une réintégration en hospitalisation complète ne pouvait être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département que pour une période de trois mois, le délégué du premier président de la cour d'appel de Lyon a violé l'article L. 3213-4 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3213-4 du code de la santé publique :
4. Il résulte de ce texte que les soins psychiatriques sans consentement décidés par le représentant de l'Etat dans le département ont une durée initiale d'un mois à compter de la décision d'admission et peuvent être ensuite maintenus pour une nouvelle durée de trois mois, puis par périodes maximales de six mois renouvelables, sans que la modification des modalités de soins, au cours de la mesure, n'ait d'incidence sur ces durées.
5. Pour décider de la mainlevée de la mesure, l'ordonnance retient que, la décision de réadmission en hospitalisation complète du 2 novembre 2020 ayant une durée d'un mois, le maintien de l'hospitalisation sous contrainte de M. [H] n'était pas justifié pour la journée du 3 décembre 2020 et que l'arrêté du 30 novembre 2020 ne pouvait maintenir la mesure pour une période supérieure à trois mois.
6. En statuant ainsi, alors que la précédente décision de maintien des soins datait du 2 juin 2020 et couvrait la période du 4 juin au 4 décembre 2020, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle dit l'appel de M. [H] recevable, l'ordonnance rendue le 18 mai 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Lyon
Il est fait grief à l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Lyon du 18 mai 2021:
"d'avoir dit que l'arrêté du préfet de L'Isère du 30 novembre 2020 ne pouvait maintenir la, mesure de soins psychiatriques sans consentement de Monsieur [F] [H] pour une durée de 6 mois.
Aux motifs que :
1°/ Monsieur [F] [H] a fait l'objet d'une réintégration en hospitalisation complète par arrêté préfectoral du 2 novembre 2020, alors qu'il était en programme de soins depuis plus d'une année.
Dès lors, le préfet pouvait; dans les trois derniers jours du mois suivant la décision d'admission, maintenir la mesure d'hospitalisation en soins psychiatriques sans consentement pour une nouvelle durée de trois mois, soit jusqu'au 2 mars 2021, la mesure pouvant par la suite être maintenue pour des périodes maximales de six mois, renouvelables.
Or; l'arrêté du 30 novembre 2020 a, en contravention avec les dispositions de l'article L 3213-4 du . code. de la santé publique, maintenu la mesure pour une durée de six mois, et cela à compter du 4 décembre 2020.
Il en résulte :
-que le maintien sous le régime de l'hospitalisation sous contrainte n'était pas justifié pour la journée du 3 décembre 2020 ;
-surtout, que depuis le 2 mars 2021, aucun arrêté préfectoral régulier n'autorisait le maintien de Monsieur [F] [H] en hospitalisation sous contrainte.
Aux termes de l'article L.3213-4 alinéa 2 du code de la santé publique, faute de décision du représentant de l'état à l'issue des délais énoncés, la levée de la mesure est acquise. »
1°/ Alors que la décision de « réadmission» en hospitalisation complète d'un patient ne peut pas considérée comme une décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement.
2/ Alors que sur le fondement de l'article 13-4 du code de la santé publique, la mesure. d'hospitalisation psychiatrique sans consentement d'un patient qui a fait l'objet d'une réintégration en hospitalisation complète peut être maintenue par le représentant de l'État dans le département pour une période de 6 mois. | Il résulte de l'article L. 3213-4 du code de la santé publique que les soins psychiatriques sans consentement décidés par le représentant de l'Etat dans le département ont une durée initiale d'un mois à compter de la décision d'admission et peuvent être ensuite maintenus pour une nouvelle durée de trois mois, puis par périodes maximales de six mois renouvelables, sans que la modification des modalités de soins, au cours de la mesure, n'ait d'incidence sur ces durées |
8,220 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 786 F-B
Pourvoi n° G 21-50.047
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Douai, domicilié en son parquet général, [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-50.047 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Douai (audience solennelle), dans le litige l'opposant à M. [L] [B], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [B], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 20 mai 2021), le 6 décembre 2019, Mme [Z], agissant en qualité de procureure générale près la cour d'appel de Douai, a saisi le conseil régional de discipline des barreaux du ressort de cette cour d'appel, aux fins de poursuites disciplinaires à l'encontre de M. [B], avocat au barreau d'Avesnes-sur-Helpe, condamné définitivement le 27 juillet 2017 pour violation du secret professionnel.
2. Celui-ci a soulevé une exception d'irrecevabilité de la saisine, au motif que Mme [Z] n'avait plus qualité pour y procéder, dès lors qu'elle avait été nommée procureure générale près la cour d'appel d'Aix-en-Provence par décret du président de la République du 2 décembre 2019, publié au Journal officiel le 4 décembre 2019.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le procureur général près la cour d'appel de Douai fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'acte de saisine du conseil régional de discipline par Mme [Z], alors « que la décharge d'un magistrat, fut-il procureur général, est effective, par application de l'article 7 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, non pas à compter de la date du décret de nomination ou de sa publication mais à compter de sa date d'installation dans ses nouvelles fonctions, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 7, alinéa 1, de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 :
4. Aux termes de ce texte, les magistrats sont installés dans leurs fonctions en audience solennelle de la juridiction à laquelle ils sont nommés ou rattachés.
5. Il en résulte que c'est l'installation des magistrats qui fixe la date de la prise des nouvelles fonctions et, par voie de conséquence, de la cessation des anciennes.
6. Pour déclarer irrecevable l'acte de saisine du conseil régional de discipline par Mme [Z], l'arrêt retient que M. [B] est bien fondé à soutenir qu'à la date de cette saisine le 6 décembre 2019, la magistrate n'avait plus qualité pour agir dès lors qu'elle avait été déchargée de ses fonctions de procureure générale près la cour d'appel de Douai par décret.
7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que Mme [Z] avait été installée dans ses nouvelles fonctions de procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 2 janvier 2020, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Douai
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir jugé madame [W] [Z] irrecevable à . introduire un recours, le 6 décembre 2020, contre la décision rendue par l'instance disciplinaire à l'encontre d'un avocat au motif qu'elle avait été déchargée des fonctions de·procureur général près la cour· d'appel de Douai par Décret du 2 décembre 2019.
AU MOTIF QUE :
« Aux termes de l'article 23 de la loi n071-1J30 du 31 décembre 1971 portant réforme de certames professions judiciaires et juridiques: « l'instance discipline tire compétente en application de l'article 22 est saisie par le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle elle est instituée ou le bâtonnier dont relève l'avocat mis en cause ».
Maître [L] [B] étant avocat au barreau d'Avesnes-sur-Helpe, le conseil de discipline des avocats des barreaux du ressort de la cour d'appel de Douai devait en conséquence être par le procureur général près la cour d'appel de Douai.
Il résulte du décret du 2 décembre 2019 publié au journal officiel de la Républiqùe française du 4 décembre 2019 que, par décret du président de la· République Française en date du 2 décembre 2019, Madame [W] [Z], avocate générale à la Cour de cassation, est déchargée des fonctions de procureur générale près la cour d'appel de Douai et chargée des fonctions de procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence ».
Certes, il est bien exact,comme le soutient le parquet général, que la prise de fonction de Madame [Z] en qualité de procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence n'est intervenue qu'à la date de son installation dans ses nouvelles fonctions, en application de l'article 7 de l'ordonnance de n°058270 du 22 décembre 1958, cette installation ayant été réalisée le 2 janVier 2020.
Il n'en demeure pas moins, que Maître [B] est bien fondé à soutenir qu'à la date du 6 décembre 2019, quand elle a saisi le conseil régional de discipline, Madame [Z] n'avait plus qualité pour saisir cette instance disciplinaire, dès lors qu'elle avait été déchargée des fonctions de procureure générale près la cour d'appel de Douai par décret, dont Maître [B] peut se prévaloir puisqu'il avait été publié au journal officiel du 4 décembre 2019.
Ne peut être retenu l'argument soulevé par le parquet général au terme duquel il convenait d'assurer la continuité du service public de la justice, alors même qu'il rappelle que le parquet est indivisible dans son organisation et son fonctionnement, et que le premier avocat général avait toute qualité pour saisir l'instance disciplinaire.
Sera en conséquence confirmée la décision du conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Douai en ce qu'il a déclaré irrecevable l'acte de saisine du-dit conseil en date du décembre 2019 à l'encontre de Monsieur le bâtonnier [L] [B] par Madame la procureure générale de la cour d'appel de Douai ainsi que la procédure subséquente. »
ALORS QUE : "La décharge des fonctions d'un magistrat, procureur général, est effective, par application de l'article 7 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, non pas à compter de la date du décret de nomination ou de sa publication mais à compter de la date d'installation dans ses nouvelles fonctions.
En statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé. | Aux termes de l'article 7, alinéa 1, de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, les magistrats sont installés dans leurs fonctions en audience solennelle de la juridiction à laquelle ils sont nommés ou rattachés. Il en résulte que c'est l'installation des magistrats qui fixe la date de la prise des nouvelles fonctions et, par voie de conséquence, de la cessation des anciennes |
8,221 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 787 F-B
Pourvoi n° A 20-23.333
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Le directeur du Centre hospitalier [3], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 20-23.333 contre l'ordonnance rendue le 20 octobre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Hospitalisation sans consentement - 1-11 HO), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [P] [I], domicilié [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d'appel, domicilié en son parquet général, palais Monclar, 13100 Aix-en-Provence,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado Gilbert, avocat du directeur du Centre hospitalier [3], après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1.Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 20 octobre 2020), le 30 septembre 2020, M. [I] a été admis en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, par décision du directeur de l'établissement, au vu d'un péril imminent, sur le fondement de l'article L.3212-1, II, 2° du code de la santé publique.
2. Le 5 octobre 2020, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande aux fins de poursuite de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais, sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le directeur du centre hospitalier [3] fait grief à l'ordonnance de décider de la mainlevée de la mesure, alors « que constitue des difficultés particulières au sens de l'article L. 3212-1,II, 2° du code de la santé publique, le fait, pour la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques sans consentement, de refuser que sa famille soit informée de cette mesure ; qu'en considérant que le centre hospitalier [3] ne justifiait pas avoir fait toute diligence pour informer la famille du patient, mentionnant le cas échéant les difficultés rencontrées, après avoir constaté qu'il résultait de la fiche de recherche des personnes de l'entourage dans les 24 heures de l'admission de M. [I] que l'établissement de santé n'avait pas pu procéder dans ce laps de temps à l'information d'un membre de sa famille « le patient refusant tout contact avec celle-ci et que l'hôpital ne les contacte » ce qui révélait l'existence de difficultés particulières faisant obstacle à l'information de la famille de M. [I], la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, ensemble l'article L. 1110-4 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3212-1, II, 2°, alinéa 2, et L. 1110-4 du code de la santé publique :
5. Selon le premier de ces textes, en cas de décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement prise par un directeur d'établissement au vu d'un péril imminent, celui-ci informe, dans un délai de vingt-quatre heures sauf difficultés particulières, la famille de la personne qui fait l'objet de soins et, le cas échéant, la personne chargée de la protection juridique de l'intéressé ou, à défaut, toute personne justifiant de l'existence de relations avec la personne malade antérieures à l'admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celle-ci.
6. Constitue une difficulté particulière, au sens de ce texte, le fait, pour la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques sans consentement, de refuser que sa famille soit informée de cette mesure dès lors qu'en application du second de ces textes, la personne a droit au respect du secret des informations la concernant.
7. Pour décider de la mainlevée de la mesure de soins, après avoir constaté que, lors de son admission, M. [I] se trouvait en errance, après avoir été mis dehors par ses parents, éprouvait un sentiment de persécution envers sa famille et avait exprimé son refus de faire prévenir celle-ci, l'ordonnance retient que le directeur établissement n'a pas fait toute diligence pour informer une personne de l'entourage de M. [I] susceptible d'agir dans l'intérêt de celui-ci.
8. En statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait qu'en raison du refus exprimé par M. [I] d'une information de sa famille, le directeur d'établissement se trouvait en présence d'une difficulté particulière, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour se prononcer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle dit l'appel recevable, l'ordonnance rendue le 20 octobre 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour Le directeur du Centre hospitalier [3]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le directeur du centre hospitalier [3] reproche à l'ordonnance attaquée, D'AVOIR déclaré non fondé son appel et d'avoir, en conséquence, confirmé la décision rendue le 8 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention d'Aix-en-Provence ayant ordonné la main levée de l'hospitalisation sous contrainte de M. [I] ;
1°) ALORS QUE constitue des difficultés particulières au sens de l'article L. 3212-1,II, 2° du code de la santé publique, le fait, pour la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques sans consentement, de refuser que sa famille soit informée de cette mesure ; qu'en considérant que le centre hospitalier [3] ne justifiait pas avoir fait toute diligence pour informer la famille du patient, mentionnant le cas échéant les difficultés rencontrées, après avoir constaté qu'il résultait de la fiche de recherche des personnes de l'entourage dans les 24 heures de l'admission de M. [I] que l'établissement de santé n'avait pas pu procéder dans ce laps de temps à l'information d'un membre de sa famille « le patient refusant tout contact avec celle-ci et que l'hôpital ne les contacte » ce qui révélait l'existence de difficultés particulières faisant obstacle à l'information de la famille de M. [I], la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, ensemble l'article L. 1110-4 du même code ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le droit d'une personne de tenir son état de santé secret et de s'opposer à ce que les professionnels de santé communiquent à un tiers les informations la concernant peut être limité à la seule condition que les mesures mises en oeuvre poursuivent un but légitime et soient proportionnées au but visé ; qu'en imposant au directeur de l'établissement d'accueil d'informer la famille et les proches de M. [I] qu'il avait admis en soins sans consentement pour péril imminent sur le fondement d'un certificat médical, nonobstant le refus du patient que soit délivrée une telle information, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit de toute personne au respect de sa vie privée et à tenir son état de santé secret, dont il est la composante, et a violé l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) ALORS, PLUS SUBSIDIAIREMENT, QUE le droit d'une personne de tenir son état de santé secret et de s'opposer à ce que les professionnels de santé communiquent à un tiers les informations la concernant peut être limité à la seule condition que les mesures mises en oeuvre poursuivent un but légitime et soient proportionnées au but visé ; que pour ordonner la mainlevée de la mesure d'hospitalisation dont M. [I] faisait l'objet, la cour d'appel a considéré que le centre hospitalier [3] avait commis une irrégularité en ne procédant pas à toute diligence pour informer la famille de M. [I] de celle-ci ; qu'en statuant ainsi, après avoir cependant constaté que celui-ci avait expressément refusé que sa famille en soit informée, que c'était elle qui l'avait « mis dehors » ce qui avait provoqué son état d'errance et un sentiment de persécution, et révélait que la famille du patient n'agissait pas dans son intérêt mais au contraire manifestait un désintérêt quant à son état de santé mental dont elle avait pourtant conscience, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit de M. [I] au respect de sa vie privée, incluant celui de tenir son état de santé secret et a violé l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°) ALORS, ENCORE PLUS SUBSIDIAIREMENT, QUE la mainlevée d'une mesure de soins psychiatriques sans consentement ne peut résulter de la seule irrégularité de la décision administrative la prescrivant, le juge étant tenu de motiver sa décision en énonçant en quoi l'irrégularité constatée a concrètement porté atteinte aux intérêts de la personne faisant l'objet des soins en cause ; qu'en se bornant à énoncer, pour ordonner la mainlevée de la mesure de soins psychiatriques sans consentement dont faisait l'objet M. [I], « que les exigences de l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique n'ont pas été remplies ce qui porte atteinte aux droits de (ce dernier) » (arrêt, p. 6), la cour d'appel, qui a déduit de la seule irrégularité constatée l'atteinte aux intérêts de M. [I] sans motiver in concreto sa décision, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, ensemble l'article L. 3216-1 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION, subsidiaire,
Le directeur du centre hospitalier [3] reproche à l'ordonnance attaquée, D'AVOIR déclaré non fondé son appel et d'avoir, en conséquence, confirmé la décision rendue le 8 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention d'Aix-en-Provence, ayant ordonné la main levée de l'hospitalisation sous contrainte de M. [I] ;
ALORS QUE l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, tant dans sa version issue de la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 que dans sa version issue de l'ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020, est contraire au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'il y a lieu, dès lors, de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'exposant par mémoire distinct et motivé ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale. | Constitue une difficulté particulière, au sens de l'article L. 3212-1, II, 2°, alinéa 2, du code de la santé publique, le fait, pour la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques sans consentement, de refuser que sa famille soit informée de cette mesure dès lors qu'en application de l'article L. 1110-4 du même code, la personne a droit au respect du secret des informations la concernant |
8,222 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 733 FS-B
Pourvoi n° N 21-19.898
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [U] [G], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-19.898 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Edelis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ à la société IFB France, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société BNP PARIBAS personal finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société Axa France vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [G], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société IFB France, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société BNP Paribas personal finance et de la société Axa France vie, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Edelis, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mmes Abgrall, Grall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Davoine, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 26 mai 2021), par l'intermédiaire de la société IFB France (le mandataire), M. [G] (l'acquéreur) a acquis de la société Prestigium, aux droits de laquelle vient la société Edelis (le vendeur), par acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement du 13 octobre 2005, un appartement dans une résidence à titre d'investissement immobilier locatif bénéficiant d'une défiscalisation.
2. Il a financé son acquisition à l'aide d'un prêt immobilier souscrit auprès de la société BNP Paribas Personal Finance (la société BNP Paribas) et assuré auprès de la société Axa France vie.
3. Il a donné le bien à bail commercial à la société Goelia gestion pour une durée de neuf ans à compter de la livraison intervenue le 23 juin 2006, moyennant un loyer annuel de 3 416 euros.
4. Le 16 octobre 2014, l'exploitant a notifié à l'acquéreur son intention de résilier le bail aux conditions initiales en raison de la baisse de rentabilité de l'appartement.
5. Un nouveau bail a été conclu le 11 septembre 2015 pour un loyer fixé à 1 800 euros.
6. En mai et juillet 2016, l'acquéreur, se plaignant d'une baisse de rentabilité et d'une surévaluation de la valeur de son bien, a assigné le vendeur, le mandataire et les sociétés BNP Paribas et Axa France vie en nullité pour dol de la vente et du prêt, subsidiairement en indemnisation des préjudices résultant du manquement du vendeur et de son mandataire à leur devoir de conseil.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité du contrat fondée sur le dol, alors « que la nullité de la convention est encourue lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par une des parties sont telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que, pour écarter le dol, l'arrêt attaqué s'est borné à retenir que l'opération avait accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'était enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers, et que le passif de son patrimoine avait également été diminué du fait des avantages fiscaux dont il avait bénéficié, de sorte que, à défaut de produire les justificatifs permettant de déterminer le montant effectif de ces avantages, il ne démontrait pas le dol allégué ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le vendeur avait commis des manoeuvres dolosives en surévaluant le prix d'achat du bien et des loyers par la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant, en induisant en erreur l'acquéreur sur la rentabilité du bien, auquel il avait fait croire que la valeur de celui-ci allait augmenter pendant toute la durée de l'opération pour atteindre un prix à la revente très favorable, en dissimulant la cession à l'exploitant des locaux destinés à l'accueil et à la réception, réduisant par la même le potention locatif et vénal du lot acquis, et en occultant les risques réels de l'opération en l'absence d'une analyse pertinente des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
8. Selon ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; il ne se présume pas et doit être prouvé.
9. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que l'opération a accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'est enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers perçus durant neuf années et que le passif a été diminué, puisque le dispositif lui ouvrait droit à la récupération de la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix de vente, de sorte que l'acquéreur, qui ne produit aucun justificatif permettant de déterminer le montant effectif des avantages fiscaux dont il a bénéficié, ne démontre pas le dol allégué.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, lors de la conclusion du contrat, l'acquéreur n'avait pas été induit en erreur sur la rentabilité et la valeur du bien par des manoeuvres dolosives consistant en la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant et la cession à celui-ci des locaux destinés à l'accueil et à la réception de la résidence, dissimulés à l'acquéreur, ainsi qu'en l'absence d'analyse des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen relevé d'office
11. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :
12. Selon ce texte, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
13. Il est jugé que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance (1re Civ., 11 mars 2010, pourvoi n° 09-12.710, Bull. 2010, I, n° 62 ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102).
14. Pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité exercée par l'acquéreur contre le vendeur et son mandataire au jour de la signature de l'acte authentique de la vente en l'état futur d'achèvement, soit le 13 octobre 2005, l'arrêt retient que, s'agissant d'un manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'établissement de l'acte critiqué.
15. En statuant ainsi, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause les sociétés BNP Paribas Personal Finance et Axa France vie, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'irrecevabilité de l'assignation pour défaut de publicité foncière, l'arrêt rendu le 26 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause les sociétés BNP Paribas Personal Finance et Axa France vie ;
Condamne les sociétés Edelis et IFB France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté l'acquéreur d'un bien en état futur d'achèvement (M. [G], l'exposant) de sa demande en nullité du contrat de vente fondée sur le dol ;
ALORS QUE la nullité de la convention est encourue lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par une des parties sont telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que, pour écarter le dol, l'arrêt attaqué s'est borné à retenir que l'opération avait accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'était enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers, et que le passif de son patrimoine avait également été diminué du fait des avantages fiscaux dont il avait bénéficié, de sorte que, à défaut de produire les justificatifs permettant de déterminer le montant effectif de ces avantages, il ne démontrait pas le dol allégué ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. les concl. de l'exposant, pp. 24-31), si le vendeur avait commis des manoeuvres dolosives en surévaluant le prix d'achat du bien et des loyers par la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant, en induisant en erreur l'acquéreur sur la rentabilité du bien, auquel il avait fait croire que la valeur de celui-ci allait augmenter pendant toute la durée de l'opération pour atteindre un prix à la revente très favorable, en dissimulant la cession à l'exploitant des locaux destinés à l'accueil et à la réception, réduisant par la même le potentiel locatif et vénal du lot acquis, et en occultant les risques réels de l'opération en l'absence d'une analyse pertinente des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité délictuelle introduite par l'acquéreur d'un bien en état futur d'achèvement (M. [G], l'exposant) ;
ALORS QU'en matière d'investissements locatifs, le point de départ de la prescription de l'action pour manquement au devoir d'information et de conseil du vendeur est la date à laquelle l'acquéreur a pris conscience des pertes qu'il a subies ; qu'en retenant que, pour un manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifestait dès l'établissement de l'acte critiqué et que c'était donc par une exacte analyse des éléments soumis à son appréciation que le premier juge avait fixé le point de départ du délai de prescription à la date de signature de l'acte de vente, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;
ALORS QUE, en outre, l'exposant faisait valoir (v. ses concl. n° 6, pp. 19-20) que ce n'était qu'à l'issue de la période de neuf ans ayant suivi la livraison du bien qu'il avait pris conscience de la surévaluation de la valeur vénale et locative de celui-ci, la convention de concours dont avait bénéficié l'exploitant ayant permis de maintenir artificiellement le loyer initial à un niveau déconnecté du marché et que, ayant eu l'illusion d'avoir disposé lors de l'achat d'une étude financière loyale sur le prix de vente et le rendement escompté, émanant d'une association indépendante, il s'était fié à cette information sans procéder à une vérification personnelle des valeurs vénale et locative du bien ; que, pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt attaqué a retenu, par motifs éventuellement adoptés, que l'acquéreur ne justifiait ni d'une surévaluation du loyer au jour de la conclusion du bail commercial ni d'une surévaluation du prix de vente à défaut de produire des éléments de comparaison tirés du marché immobilier remontant à la date de l'acquisition ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, quand il lui appartenait de rechercher la date à laquelle l'acquéreur avait réalisé que le potentiel locatif qu'il escomptait au vu de la simulation financière qui lui avait été remise ne serait pas celui annoncé lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel n'a conféré à sa décision aucune base légale au regard de l'article 2224 du code civil. | Le délai de l'action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance.
Dès lors, viole l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la cour d'appel qui, pour déclarer prescrite l'action en responsabilité exercée par l'acquéreur d'un bien contre le vendeur et son mandataire pour manquement à l'obligation d'information ou de conseil, retient que le point de départ de la prescription se situe à la date de conclusion du contrat de vente, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne pouvait résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat |
8,223 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 736 FS-B
Pourvoi n° K 21-12.674
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Le syndicat des copropriétaires [Adresse 3], dont le siège est [Adresse 3], [Localité 4], représenté par Mme [P] [O], agissant en qualité d'administrateur judiciaire, domiciliée [Adresse 2], [Localité 1], a formé le pourvoi n° K 21-12.674 contre les arrêts rendus les 28 mars 2019 et 19 novembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la commune de [Localité 4], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité, [Adresse 5], [Localité 4], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat du syndicat des copropriétaires [Adresse 3], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la commune de [Localité 4], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, M. Boyer, Mmes Abgrall, Grall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Davoine, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 28 mars 2019 et 19 novembre 2020), Mmes [X] et [B] et MM. [H], [V] et [Y] sont copropriétaires d'un immeuble situé [Adresse 3], à [Localité 4].
2. Au vu d'un rapport d'expertise préconisant la réalisation de travaux, le maire de la commune de [Localité 4] (la commune) a pris, le 15 janvier 2008, sur le fondement de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation, un arrêté de péril imminent ordonnant aux copropriétaires de démolir une extension en façade Est du bâtiment, de démolir la toiture et de la reconstruire, de chaîner la partie supérieure de la structure de l'immeuble et de poser des témoins de contrôle de mouvement des fissures dans l'escalier, en confortant le plancher des combles en cas d'aggravation des fissures.
3. Au cours de l'été 2009, la commune a fait réaliser d'office les travaux.
4. Par un jugement rendu le 28 février 2012, la juridiction administrative a annulé l'arrêté de péril imminent, sauf en ce qui concerne les travaux sur l'extension de la façade Est.
5. La commune a assigné le syndicat des copropriétaires [Adresse 3] (le syndicat des copropriétaires), qui avait été constitué, en paiement du coût des travaux réalisés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le syndicat des copropriétaires fait grief aux arrêts de dire que la commune est fondée à lui réclamer le remboursement des sommes qu'elle avait engagées au titre des travaux qui n'avaient pas fait l'objet d'un arrêté de péril et de le condamner à payer à la commune une certaine somme, alors :
« 1°/ que l'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il procède de l'accomplissement, par l'appauvri, d'une obligation légale ; qu'en condamnant les copropriétaires à rembourser la commune de [Localité 4], sur le fondement de l'enrichissement sans cause, du montant des travaux réalisés à l'initiative de son maire en application d'un arrêté de péril imminent faisant obligation au maire de faire exécuter d'office les travaux non réalisés par les propriétaires, et à la commune, d'en supporter le coût, d'où il suit que l'appauvrissement de celle-ci, qui procédait d'obligations légales, n'était donc pas sans cause, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et les principes applicables à l'enrichissement sans cause ;
2°/ que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut être admise pour suppléer à une autre action que l'appauvri ne peut intenter par suite d'un obstacle de droit ; qu'ayant justement relevé que la commune n'était plus en droit d'émettre de titre exécutoire pour recouvrer le coût des travaux réalisés en exécution des dispositions annulées de l'arrêté de péril imminent, la cour d'appel, en la déclarant néanmoins fondée en son action dès lors que les travaux dont elle avait supporté le coût avaient enrichi le patrimoine des copropriétaires, l'a ainsi admise à contourner les conséquences de l'annulation contentieuse de l'arrêté de péril imminent et à tenir en échec les règles impératives sanctionnées par cette annulation, en méconnaissance du principe de subsidiarité de l'action fondée sur l'enrichissement injustifié, et de l'article 1371 dans sa rédaction en vigueur à la date des faits. »
Réponse de la Cour
7. D'une part, ayant relevé que l'arrêté de péril imminent, sur le fondement duquel le maire avait prescrit les travaux, avait été annulé par la juridiction administrative, sauf en ce qu'il prescrivait des travaux d'extension de la façade Est, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que, du fait de l'effet rétroactif de l'annulation de cet acte, qui était censé n'avoir jamais existé, l'appauvrissement de la commune ne trouvait pas sa cause dans l'accomplissement, par celle-ci, d'une obligation légale.
8. D'autre part, la cour d'appel a retenu à bon droit que le fait, pour le maire, de ne pas pouvoir délivrer un titre exécutoire afin de mettre à la charge du propriétaire, sur le fondement de l'article L. 511-4 du code de la construction et de l'habitation, le coût des travaux exécutés d'office par la commune en exécution de l'arrêté de péril annulé ne faisait pas obstacle à l'exercice de l'action de la commune fondée sur l'enrichissement sans cause.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. Le syndicat des copropriétaires fait grief aux arrêts de le condamner à payer à la commune la somme de 72 785 euros, alors « que celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit à celui qui s'en trouve appauvri une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement ; que le syndicat de copropriété faisait valoir dans ses conclusions qu'il avait du exposer une somme de 9 840 € HT pour assurer la conformité aux normes des Bâtiments de France des travaux réalisés à l'initiative du maire de [Localité 4] ; qu'en n'apportant aucune réponse à ce moyen de nature à établir que l'enrichissement des copropriétaires du fait de ces travaux était moindre que l'appauvrissement de la commune, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.»
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a retenu qu'il résultait de l'attestation de l'architecte que les travaux effectués pour le compte de la commune s'élevaient, déduction faite de la somme correspondant à ceux relatifs à la façade Est, à la somme de 59 649,70 euros TTC, tandis qu'il ressortait de la facture du bureau d'études technique que les frais d'études techniques s'élevaient à la somme de 5 079,89 euros TTC et les honoraires d'architecte à celle de 8 055,74 euros selon les factures de M. [U].
12. La cour d'appel a ainsi apprécié souverainement, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, le montant de l'enrichissement des copropriétaires du fait des travaux accomplis par la commune.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le syndicat des copropriétaires [Adresse 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du syndicat des copropriétaires [Adresse 3] et le condamne à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SAS Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour le syndicat des copropriétaires [Adresse 3]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], à [Localité 4], fait grief à l'arrêt du 28 mars 2019 d'avoir jugé la commune de [Localité 4] fondée à lui réclamer le remboursement des sommes qu'elle avait engagées au titre des travaux qui n'ont pas fait l'objet d'un arrêté de péril et, par voie de conséquence, à l'arrêt du 19 novembre 2020 de l'avoir condamné à lui payer la somme de 72 785 €.
1°) ALORS QUE l'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il procède de l'accomplissement, par l'appauvri, d'une obligation légale ; qu'en condamnant les copropriétaires à rembourser la commune de [Localité 4], sur le fondement de l'enrichissement sans cause, du montant des travaux réalisés à l'initiative de son maire en application d'un arrêté de péril imminent faisant obligation au maire de faire exécuter d'office les travaux non réalisés par les propriétaires, et à la commune, d'en supporter le coût, d'où il suit que l'appauvrissement de celle-ci, qui procédait d'obligations légales, n'était donc pas sans cause, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et les principes applicables à l'enrichissement sans cause.
2°) ALORS QUE l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut être admise pour suppléer à une autre action que l'appauvri ne peut intenter par suite d'un obstacle de droit ; qu'ayant justement relevé que la commune n'était plus en droit d'émettre de titre exécutoire pour recouvrer le coût des travaux réalisés en exécution des dispositions annulées de l'arrêté de péril imminent, la cour d'appel, en la déclarant néanmoins fondée en son action dès lors que les travaux dont elle avait supporté le coût avaient enrichi le patrimoine des copropriétaires, l'a ainsi admise à contourner les conséquences de l'annulation contentieuse de l'arrêté de péril imminent et à tenir en échec les règles impératives sanctionnées par cette annulation, en méconnaissance du principe de subsidiarité de l'action fondée sur l'enrichissement injustifié, et de l'article 1371 dans sa rédaction en vigueur à la date des faits.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], à [Localité 4], fait grief aux arrêts des 28 mars 2019 et 19 novembre 2020 de l‘avoir condamné à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 72 785 €
ALORS QUE celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit à celui qui s'en trouve appauvri une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement ; que le syndicat de copropriété faisait valoir dans ses conclusions qu'il avait du exposer une somme de 9840 € HT pour assurer la conformité aux normes des Bâtiments de France des travaux réalisés à l'initiative du maire de [Localité 4] ; qu'en n'apportant aucune réponse à ce moyen de nature à établir que l'enrichissement des copropriétaires du fait de ces travaux était moindre que l'appauvrissement de la commune, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | L'impossibilité pour le maire de délivrer un titre exécutoire afin de mettre à la charge du propriétaire, sur le fondement de l'article L. 511-4 du code de la construction et de l'habitation, le coût des travaux exécutés d'office par la commune sur le fondement d'un arrêté de péril imminent, annulé par la juridiction administrative, ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action de la commune fondée sur l'enrichissement sans cause |
8,224 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 737 FS-B
Pourvoi n° U 21-19.053
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
La fondation [I] [T], dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° U 21-19.053 contre l'arrêt rendu le 6 mai 2021 par la cour d'appel de Versailles (14ème chambre), dans le litige l'opposant au département du Val d'Oise, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la fondation [I] [T], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat du département du Val d'Oise, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, M. Boyer, Mmes Abgrall, Grall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Davoine, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 mai 2021), le 15 décembre 1992, l'Association Beauséjour, aux droits de laquelle vient la fondation [I] [T] (la fondation) et le département du Val-d'Oise (le département) ont conclu, pour la réalisation d'un projet de développement d'écoles d'enseignement supérieur, un acte portant dévolution à titre gratuit au département d'un terrain situé sur le site dit « [Adresse 3] » à [Localité 1].
2. Le 15 janvier 1996, le département a consenti à la fondation une promesse unilatérale de vente portant sur les terrains et les bâtiments construits ou à construire sur le site, la levée de la promesse devant intervenir « au plus tôt dès la 11ème année à compter de la plus tardive des déclarations d'achèvement des travaux de constructions et au plus tard 34 ans à compter de la même date ».
3. Suivant délibération adoptée le 25 septembre 2015, le conseil départemental du Val-d'Oise a dénoncé la promesse.
4. La fondation a assigné le département aux fins, principalement, de voir déclarer nul l'acte de dévolution, à titre subsidiaire, de voir prononcer l'exécution forcée de la promesse unilatérale de vente et, à titre infiniment subsidiaire, d'obtenir le paiement de dommages et intérêts.
5. Le département a soulevé l'incompétence de la juridiction judiciaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
6. La fondation fait grief à l'arrêt de confirmer la déclaration d'incompétence du tribunal judiciaire de Pontoise, alors « que le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur la validité d'un titre de propriété comme sur celle des actes portant transfert de propriété ; qu'en jugeant que le juge judiciaire n'est pas compétent pour connaître de conclusions tendant à l'annulation de l'acte authentique emportant dévolution de la propriété de biens immobiliers par une personne privée au profit d'un département au motif inopérant que ces biens, après être entrés dans le patrimoine du département, ont été incorporés à son domaine public, la cour d'appel a violé, par fausse application, la loi des 16-24 août 1790 et le principe de séparation des pouvoirs. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire et le décret du 16 fructidor an III :
7. En application de ces textes, l'ordre juridictionnel compétent pour connaître d'une action en annulation d'un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée dépend de la nature, administrative ou de droit privé, de ce contrat, laquelle s'apprécie à la date à laquelle il a été conclu.
8. A moins que la loi n'en dispose autrement, celui-ci ne sera regardé comme administratif que s'il fait participer la personne privée à l'exécution même du service public ou s'il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
9. Pour dire la juridiction judiciaire incompétente, l'arrêt retient que la qualification de droit privé de l'acte de dévolution n'a pas en elle-même d'incidence sur la solution du litige et que, si la demande d'annulation de cet acte peut avoir pour conséquence de remettre les parties dans la situation initiale, en l'état actuel du droit, le département est propriétaire du site, l'acte litigieux de dévolution ayant eu un effet translatif de propriété.
10. L'arrêt ajoute que la question de l'appartenance du site au domaine public, dont dépend la solution de l'exception d'incompétence, ne présente pas de difficulté sérieuse, et que le juge administratif est compétent pour statuer sur l'ensemble des litiges relatifs à des biens appartenant au domaine public, de sorte que la demande de nullité de l'acte de dévolution ressort de la compétence du tribunal administratif.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'acte de dévolution dont l'annulation était demandée était un contrat de droit privé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne le département du Val-d'Oise aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le département du Val-d'Oise et le condamne à payer à la fondation [I] [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la fondation [I] [T]
La fondation [I] [T] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la déclaration d'incompétence du tribunal judiciaire de Pontoise ;
1°- ALORS QUE la fondation [I] [T] demandait l'annulation de l'acte authentique par lequel la propriété des biens litigieux avait été dévolue au département ; qu'en jugeant que le titre de propriété du département n'était pas contesté, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la fondation et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°- ALORS QUE la propriété s'acquiert et se transmet par succession, par donation et par l'effet des obligations ; qu'en retenant que les conclusions tendant à l'annulation de l'acte authentique emportant transfert de propriété de biens immobiliers au profit du département ne caractérisaient pas une contestation sur la validité d'un titre de propriété, la cour d'appel a violé l'article 711 du code civil
3°- ALORS QUE le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur la validité d'un titre de propriété comme sur celle des actes portant transfert de propriété ; qu'en jugeant que le juge judiciaire n'est pas compétent pour connaître de conclusions tendant à l'annulation de l'acte authentique emportant dévolution de la propriété de biens immobiliers par une personne privée au profit d'un département au motif inopérant que ces biens, après être entrés dans le patrimoine du département, ont été incorporés à son domaine public, la cour d'appel a violé, par fausse application, la loi des 16-24 août 1790 et le principe de séparation des pouvoirs. | L'ordre juridictionnel compétent pour connaître d'une action en annulation d'un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée dépend de la nature, administrative ou de droit privé, de ce contrat, laquelle s'apprécie à la date à laquelle il a été conclu.
A moins que la loi n'en dispose autrement, celui-ci ne sera regardé comme administratif que s'il fait participer la personne privée à l'exécution même du service public ou s'il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs |
8,225 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 616 FS-B
Pourvoi n° D 20-22.416
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société Findi Real Estate, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 20-22.416 contre l'arrêt rendu le 3 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [O] [N], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [O] [N], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Findi Real Estate,
2°/ à la société Citibank Europe PLC, dont le siège est [Adresse 1] (Irlande), venant aux droits de la société Citibank International Limited,
défenderesses à la cassation.
La société Citibank Europe PLC a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Findi Real Estate, de Me Laurent Goldman, avocat de la société Citibank Europe PLC, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [O] [N], en la personne de M. [O] [N], ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, MM. Bedouet, Alt, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 novembre 2020), la SCI Le Sevine (la SCI) a été créée en 2000 pour l'achat d'un terrain en vue de la construction d'un immeuble. Les sociétés Findi Real Estate (la société Findi) et France Invest Real Estate (la société Fire) ont été constituées afin d'acquérir les parts sociales de la société mère de la SCI, la société Barbanniers.
2. Le 12 juillet 2006, la société Citibank International PLC, aux droits de laquelle vient la société Citibank Europe PLC (la société Citibank), a consenti un prêt à la société Findi d'un montant principal de 61 900 000 euros, remboursable in fine le 16 juillet 2011. Le même jour, la société Findi a consenti à la SCI un prêt de 41 958 999,69 euros afin de refinancer son compte courant d'associé et a cédé à la société Fire la totalité des parts sociales qu'elle venait d'acquérir et la créance de refinancement détenue à l'égard de la SCI ainsi que les garanties les accompagnant. Une partie du prix de cession a été stipulée payable à la date d'échéance finale du prêt Citibank.
3. Le 26 juin 2007, la société Citibank a cédé par voie de titrisation sa créance au titre du prêt consenti à la société Findi le 12 juillet 2006 au fonds commun de créance Europrop, devenu FCT Europrop (le FCT), ainsi que l'intégralité des sûretés et privilèges attachés à cette créance.
4. Par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 12 juillet 2011, publié au Bodacc le 27 juillet suivant, la société Findi a été mise en procédure de sauvegarde, la société [O] [N] étant désignée mandataire judiciaire. Un plan de sauvegarde a été arrêté le 28 juin 2012 dont la durée a été prolongée jusqu'au 28 juin 2020.
5. Le 26 septembre 2011, le FCT a déclaré au passif de la société Findi une créance privilégiée de 61 900 000 euros en principal, outre intérêts, au titre du prêt. Puis, le 18 novembre 2011, le FCT a assigné la société Citibank aux fins de résolution du contrat de cession du prêt à son profit et de réparation du préjudice subi. Un arrêt du 6 février 2019 a prononcé la résolution judiciaire de l'acte de cession de créances et des annexes conclu entre la société Citibank et le FCT.
6. Le 25 novembre 2011, la société Citibank a également déclaré au passif de la société Findi une créance « éventuelle » identique à celle déclarée par le FCT, qui a été contestée.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. La société Findi fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la déclaration de créance par la société Citibank et d'admettre la créance principale à hauteur de 61 900 000 euros, alors :
« 1°/ que lorsqu'une procédure collective est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, le délai de déclaration des créances est augmenté exceptionnellement de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire ; que le lieu où demeure une société est la France si celle-ci y dispose d'un établissement ayant une activité en lien avec le litige ; qu'en l'espèce, en jugeant que l'allongement du délai de déclaration de créances est déterminé par le lieu du seul siège social de la société Citibank où se trouvent les organes habilités à la représenter en justice et donc à déclarer les créances ou à déléguer ce pouvoir, pour en déduire que cette société devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, tout en constatant que "la référence de l'article R. 622-24 du code de commerce à la demeure du créancier se comprend au regard de l'article 43 du code de procédure civile, selon lequel le lieu où demeure une personne morale s'entend du lieu où celle-ci est établie", la cour d'appel a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
2°/ qu'en jugeant que, demeurant hors le territoire de la France métropolitaine, la société Citibank devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, lorsqu'elle relevait que les négociations ayant abouti au prêt litigieux objet de la déclaration de créances avaient été menées par le préposé d'un établissement de la société Citibank situé à [Localité 7], lequel avait par ailleurs reçu le pouvoir de signer le contrat de prêt et d'accomplir les actes d'exécution de celui-ci, sans en conclure que la société Citibank disposait en France métropolitaine d'un établissement autonome ayant une activité en lien avec le litige, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
3°/ qu'en retenant que la preuve n'est pas rapportée que le préposé de la succursale parisienne de la société Citibank global markets limited était également le préposé de la succursale française de la société Citibank International PLC, pour en déduire que la société Citibank devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, lorsqu'elle constatait qu'en plus d'être situées à la même adresse à [Localité 7], ces deux succursales appartiennent au groupe Citibank, de sorte que le seul constat tiré d'un pouvoir de négociation, de signature et d'exécution du prêt confié à l'un de leur préposé suffisait à retenir que la société Citibank disposait en France métropolitaine d'un établissement autonome ayant une activité en lien avec le litige ;
4°/ que l'allongement du délai de déclaration de créances prévu par l'alinéa 2e de l'article R. 622-24 du code de commerce édicte un régime dérogatoire au délai de droit commun dont la seule finalité est de compenser au profit du créancier demeurant hors de la France métropolitaine la contrainte résultant de l'éloignement ; qu'en l'espèce, en jugeant cet article applicable au bénéfice de la société Citibank, lorsqu'elle constatait que si celle-ci a procédé à une déclaration de créances le 25 novembre 2011, c'est "compte tenu de la remise en cause de l'opération par le FCT", ce dont il s'inférait que le délai de distance n'a pas été invoqué par la société Citibank conformément à sa finalité, la cour d'appel a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
5°/ qu'en tout état de cause, en retenant que la société Citibank a procédé à une déclaration de créances le 25 novembre 2011 "compte tenu de la remise en cause de l'opération par le FCT" et que le délai de distance permet au créancier ne demeurant pas sur le territoire de la France métropolitaine de surmonter les difficultés liées à la langue et à la connaissance du droit français, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ qu'en tout état de cause, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article R. 622-24 du code de commerce en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était pourtant invitée si, en tant qu'elle était chargée légalement de la gestion et du recouvrement du prêt litigieux sur le territoire de la France métropolitaine, qu'elle connaissait les difficultés de la société Findi Real Estate et qu'elle était informée dès son ouverture de l'existence de la procédure de sauvegarde, la société Citibank suivait attentivement le sort de sa société débitrice, dont elle était particulièrement proche, de sorte que la cour d'appel en aurait déduit qu'elle n'a souffert d'aucun éloignement qui l'aurait empêché de déclarer sa créance dans le délai de droit commun de deux mois ;
7°/ qu'en ne répondant pas au moyen péremptoire tiré de ce que l'octroi d'un délai de distance à la société Citibank conduirait à reconnaître l'existence de deux délais de déclaration distincts pour une seule et même personne, et ce dans la mesure où la société Citibank était légalement en charge du recouvrement du Prêt CITI pour le compte du FCT EUROPROP, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir constaté qu'il n'était pas contesté, d'une part, que la société Citibank était une société de droit anglais qui avait son siège social et son principal établissement à [Localité 6] tant lors de la conclusion du contrat, le 12 juillet 2006, que lors de la déclaration de créance, le 25 novembre 2011, d'autre part, qu'elle disposait également d'un établissement situé à [Localité 7], l'arrêt relève, d'abord, que l'offre de prêt, rédigée en anglais, a été signée par Mme [A], managing director de la société Citibank, que le prêt a été accordé par cette société anglaise « agissant par l'intermédiaire de sa succursale de [Localité 6] représentée par M. [U] [H] et Mme [T] [W], dûment habilités », que le contrat de prêt stipule que toutes les communications relatives aux accords de financement devaient être réalisées pour la société Citibank à son adresse de [Localité 6] en la personne de M. [B] [D], et retient que l'accord du comité de crédit, à l'en-tête Citigroup, rédigé en anglais, montre que si M. [K] était le sponsoring officer, en revanche, l'Originating unit, l'Approving unit et l'Administrative agent bank étaient « [Localité 6] Sec Europe », que les notifications d'intérêts du prêt ont été émises le 18 septembre 2006 par M. [B] [D], que les mails échangés courant avril, mai et juin 2011 entre DTZ Investors pour la société Findi et la société Citibank, aux fins d'obtention d'une prorogation d'un an de l'échéance du prêt, ont été adressés en anglais à M. [B] [D], et que la notification du défaut de remboursement du prêt a été adressée à la société Findi par la société Citibank, depuis son adresse de [Localité 6], et signée par M. [B] [D].
9. L'arrêt relève ensuite que si les négociations ayant abouti au prêt litigieux ont été menées pour l'essentiel par M. [K] « Director - Real estate finance, Citigroup global markets limited, a member of Citigroup,[Adresse 2] », qui avait reçu les 8 mai et 29 juin 2006 le pouvoir de signer le contrat de prêt et d'accomplir les actes d'exécution de celui-ci, et ce, jusqu'au 31 juillet 2006, son bloc de signature indique qu'il était un préposé de la succursale française de la société Citibank Global Markets Limited, dont l'adresse, figurant sur le Kbis, était également au [Adresse 2]. L'arrêt retient que la preuve n'est pas rapportée qu'il était également le préposé de la succursale française de la société Citibank, et que, même à supposer qu'il l'eût été, cela démontrerait seulement que cet établissement n'avait joui d'une certaine autonomie que pour représenter la société lors des négociations, et que la preuve n'est pas établie que les pouvoirs de MM. [H] et [K], relatifs à ce prêt, auraient été prolongés au-delà du mois de juillet 2006 ni que ceux-ci auraient eu le pouvoir d'engager la société Citibank auprès des tiers au-delà de cette date ni qu'ils auraient eu qualité pour déclarer la créance en 2011.
10. De ces constatations et appréciations, d'où il résulte qu'à la date de la publication du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, la personne de la société Citibank ayant le pouvoir de déclarer sa créance, qu'elle fût le représentant légal ou un délégataire de celui-ci, ne se trouvait pas au sein de son établissement en France mais à son siège social à l'étranger, de sorte qu'elle subissait la contrainte résultant de son éloignement, la cour d'appel a pu déduire, par un arrêt motivé et sans se contredire, que la société Citibank, créancière demeurant hors du territoire de la France métropolitaine, devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration de créance prévu à l'article R. 622-24, alinéa 2, du code de commerce, sans que la domiciliation professionnelle de M. [K] à [Localité 7], l'information qui lui avait été donnée quant à l'ouverture de la procédure collective et les arguments relatifs à l'opération distincte de titrisation comme au mandat légal de recouvrement qui lui avait été confié par le FCT, ne puissent l'en priver.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
12. La société Citibank fait grief à l'arrêt d'admettre sa créance à titre privilégié selon les sûretés au titre du prêt Citi régulières, à savoir le nantissement du solde des trois comptes bancaires ouverts par la société Findi, la délégation des sommes dues à la société Findi par la banque de couverture de taux au titre de la convention de couverture de taux et le nantissement des titres de la société Findi, alors « que dans ses conclusions d'appel, la société Citibank faisait valoir que "l'irrégularité des bordereaux Dailly ne signifie pas que les créances qui en étaient l'objet ne sont plus affectées en sûreté de la créance de Prêt Citibank", dès lors que "les cessions Dailly jugées irrégulières par la cour d'appel de Paris ont en tout état de cause dégénéré en nantissements" ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, de nature à établir que la créance déclarée par la banque était également garantie par ces nantissements et ne devait donc pas être admise à titre privilégié selon les seules sûretés décrites dans les écritures de la société Findi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
14. Pour limiter le nombre des sûretés garantissant la créance de la société Citibank, l'arrêt retient qu'à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 février 2019, la société Citibank ne peut plus bénéficier des sûretés attachées au contrat de cession annulé.
15. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Citibank qui soutenait que les cessions Dailly jugées irrégulières par la cour d'appel de Paris avaient dégénéré en nantissements, de sorte que cette société était bien fondée à solliciter aussi son admission à titre privilégié à cet égard, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
16. La société Citibank fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de paiement provisionnel, alors « qu'une juridiction d'appel, saisie d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des prétentions nouvelles, est tenue de l'examiner d'office au regard de chacune des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile ; qu'en se bornant à relever, pour dire irrecevable la demande de paiement provisionnel formée pour la première fois à hauteur d'appel par la société Citibank, qu'elle ne tendait ni à faire écarter une prétention adverse, ni aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, sans rechercher si cette demande n'était pas née de la survenance d'un fait nouveau, tiré de la vente de l'immeuble [Adresse 5] au prix de 53 millions d'euros postérieurement à l'ordonnance du juge-commissaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 564 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 564 à 566 du code de procédure civile :
17. La cour d'appel est tenue d'examiner au regard de chacune des exceptions prévues aux textes susvisés si la demande est nouvelle. Aux termes du premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
18. Pour déclarer irrecevable la demande de provision de la société Citibank, l'arrêt retient que la demande est nouvelle en cause d'appel et qu'elle ne tend ni à faire écarter une prétention adverse, l'objet du litige concernant l'admission au passif de sa créance, ni aux mêmes fins puisque l'admission d'une créance au passif se distingue des modalités de répartition de celle-ci.
19. En se déterminant ainsi, sans rechercher, au besoin d'office, si la demande de provision, qui n'avait pas été formée devant le juge-commissaire, ne se fondait pas sur la survenance de la vente de l'immeuble après l'ordonnance de ce juge frappée d'appel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il admet la créance à titre privilégié selon les sûretés au titre du prêt Citi régulières, à savoir le nantissement du solde des trois comptes bancaires ouverts par la société Findi, la délégation des sommes dues à la société Findi par la banque de couverture de taux au titre de la convention de couverture de taux et le nantissement des titres de la société Findi, en ce qu'il déclare irrecevable la demande de paiement provisionnel formée par la société Citibank Europe PLC et en ce qu'il statue sur les dépens, l'arrêt rendu le 3 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Findi Real Estate aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Findi Real Estate.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Findi Real Estate de sa fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la créance déclarée par la société Citibank, partant, d'avoir confirmé l'ordonnance en ce qu'elle a admis la créance principale à hauteur de 61.900.000 euros ;
1°) Alors que, d'une part, lorsqu'une procédure collective est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, le délai de déclaration des créances est augmenté exceptionnellement de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire ; que le lieu où demeure une société est la France si celle-ci y dispose d'un établissement ayant une activité en lien avec le litige ; qu'en l'espèce, en jugeant que l'allongement du délai de déclaration de créances est déterminé par le lieu du seul siège social de la société Citibank où se trouvent les organes habilités à la représenter en justice et donc à déclarer les créances ou à déléguer ce pouvoir, pour en déduire que cette société devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, tout en constatant que « la référence de l'article R.622-24 du code de commerce à la demeure du créancier se comprend au regard de l'article 43 du code de procédure civile, selon lequel le lieu où demeure une personne morale s'entend du lieu où celle-ci est établie », la cour d'appel a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
2°) Alors que, d'autre part, en jugeant que, demeurant hors le territoire de la France métropolitaine, la société Citibank devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, lorsqu'elle relevait que les négociations ayant abouti au prêt litigieux objet de la déclaration de créances avaient été menées par le préposé d'un établissement de la société Citibank situé à [Localité 7], lequel avait par ailleurs reçu le pouvoir de signer le contrat de prêt et d'accomplir les actes d'exécution de celui-ci, sans en conclure que la société Citibank disposait en France métropolitaine d'un établissement autonome ayant une activité en lien avec le litige, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
3°) Alors que, de troisième part, en retenant que la preuve n'est pas rapportée que le préposé de la succursale parisienne de la société Citibank global markets limited était également le préposé de la succursale française de la société Citibank international Plc, pour en déduire que la société Citibank devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, lorsqu'elle constatait qu'en plus d'être situées à la même adresse à [Localité 7], ces deux succursales appartiennent au groupe Citibank, de sorte que le seul constat tiré d'un pouvoir de négociation, de signature et d'exécution du prêt confié à l'un de leur préposé suffisait à retenir que la société Citibank disposait en France métropolitaine d'un établissement autonome ayant une activité en lien avec le litige ;
4°) Alors que, de quatrième part, l'allongement du délai de déclaration de créances prévu par l'alinéa 2ème de l'article R. 622-24 du code de commerce édicte un régime dérogatoire au délai de droit commun dont la seule finalité est de compenser au profit du créancier demeurant hors de la France métropolitaine la contrainte résultant de l'éloignement ; qu'en l'espèce, en jugeant cet article applicable au bénéfice de la société Citibank, lorsqu'elle constatait que si celle-ci a procédé à une déclaration de créances le 25 novembre 2011, c'est « compte tenu de la remise en cause de l'opération par le FCT » (arrêt, p. 2), ce dont il s'inférait que le délai de distance n'a pas été invoqué par la société Citibank conformément à sa finalité, la cour d'appel a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
5°) Alors que, de cinquième part, en tout état de cause, en retenant que la société Citibank a procédé à une déclaration de créances le 25 novembre 2011 « compte tenu de la remise en cause de l'opération par le FCT » (arrêt, p. 2) et que le délai de distance permet au créancier ne demeurant pas sur le territoire de la France métropolitaine de surmonter les difficultés liées à la langue et à la connaissance du droit français, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°) Alors que, de sixième part, en tout état de cause, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article R. 622-24 du code de commerce en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était pourtant invitée (conclusions d'appel, pp. 74-76) si, en tant qu'elle était chargée légalement de la gestion et du recouvrement du prêt litigieux sur le territoire de la France métropolitaine, qu'elle connaissait les difficultés de la société Findi Real Estate et qu'elle était informée dès son ouverture de l'existence de la procédure de sauvegarde, la société Citibank suivait attentivement le sort de sa société débitrice, dont elle était particulièrement proche, de sorte que la cour d'appel en aurait déduit qu'elle n'a souffert d'aucun éloignement qui l'aurait empêché de déclarer sa créance dans le délai de droit commun de deux mois ;
7°) Alors que, de septième part, en ne répondant pas au moyen péremptoire tiré de ce que l'octroi d'un délai de distance à la société Citibank conduirait à reconnaître l'existence de deux délais de déclaration distincts pour une seule et même personne, et ce dans la mesure où la société Citibank était légalement en charge du recouvrement du Prêt CITI pour le compte du FCT EUROPROP (conclusions d'appel, pp. 72-73), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. Moyens produits au pourvoi incident par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour la société Citibank Europe PLC.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Citibank fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir admis sa créance à titre privilégié que selon les « sûretés au titre du prêt Citi régulières, à savoir le nantissement du solde des trois comptes bancaires ouverts par Findi, la délégation des sommes dues à Findi par la banque de couverture de taux au titre de la convention de couverture de taux et le nantissement des titres de Findi » ;
1°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, la société Citibank faisait valoir que « l'irrégularité des bordereaux Dailly ne signifie pas que les créances qui en étaient l'objet ne sont plus affectées en sûreté de la créance de Prêt Citibank », dès lors que « les cessions Dailly jugées irrégulières par la cour d'appel de Paris ont en tout état de cause dégénéré en nantissements » (p. 40, point 108) ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, de nature à établir que la créance déclarée par la banque était également garantie par ces nantissements et ne devait donc pas être admise à titre privilégié selon les seules sûretés décrites dans les écritures de la société Findi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en retenant également que la société Citibank ne contestait pas les écritures de la société Findi, en ce qu'elle prétendait que la créance de la banque ne devait être admise à titre privilégié qu'au titre des sûretés « régulières » du prêt Citi, à savoir le nantissement du solde des trois comptes bancaires ouverts par Findi, la délégation des sommes dues à Findi par la banque de couverture de taux et le nantissement des titres de Findi, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, dans son arrêt du 6 février 2019, la cour d'appel de Paris a jugé que les cessions Dailly litigieuses étaient « irrégulières » et qu'un acte de cession Dailly « irrégulier n'est pas nul mais simplement disqualifié » ; qu'en retenant néanmoins, pour n'admettre la créance de la banque à titre privilégié que selon certaines sûretés, qu'en suite de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 février 2019, la société Citibank ne pouvait plus bénéficier des sûretés attachées au contrat de cession qui aurait été « annulé », la cour d'appel a dénaturé l'arrêt précité et ainsi violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Citibank fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable sa demande de paiement provisionnel ;
1°) ALORS QU'une juridiction d'appel, saisie d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des prétentions nouvelles, est tenue de l'examiner d'office au regard de chacune des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile ; qu'en se bornant à relever, pour dire irrecevable la demande de paiement provisionnel formée pour la première fois à hauteur d'appel par la société Citibank, qu'elle ne tendait ni à faire écarter une prétention adverse, ni aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, sans rechercher si cette demande n'était pas née de la survenance d'un fait nouveau, tiré de la vente de l'immeuble [Adresse 5] au prix de 53 millions d'euros postérieurement à l'ordonnance du juge-commissaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 564 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher également si la demande de paiement provisionnel formée par la société Citibank n'était pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaires de sa demande d'admission de sa créance au passif de la société Findi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 566 du code de procédure civile. | La cour d'appel, qui constate que la personne d'une société, créancière demeurant hors du territoire de la France métropolitaine, ayant le pouvoir de déclarer sa créance, qu'elle fût le représentant légal ou un délégataire de celui-ci, ne se trouvait pas au sein de son établissement en France mais à son siège social à l'étranger, de sorte qu'elle subissait la contrainte résultant de son éloignement, peut en déduire que cette société doit bénéficier de l'allongement du délai de déclaration de créance prévu à l'article R. 622-24, alinéa 2, du code de commerce |
8,226 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 617 FS-B
Pourvoi n° V 21-12.085
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-12.085 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à M. [I] [G], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas, de la SARL Corlay, avocat de M. [G], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mmes Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, MM. Bedouet, Alt, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes,15 décembre 2020), la société Saint Antoine BA (la société Saint Antoine) a conclu avec ses principaux créanciers un accord de conciliation homologué par un jugement du 12 avril 2012 selon lequel la société BNP Paribas (la banque) s'engageait à consentir un prêt de 75 000 euros, lequel a été signé le 4 mai suivant. M. [G], gérant de la société Saint Antoine, s'est rendu caution solidaire du prêt dans la limite de la somme de 86 250 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des intérêts de retard.
2. Le 30 octobre 2013, la société Saint Antoine a été mise en redressement judiciaire. La banque a déclaré sa créance le 19 novembre suivant et a prononcé la déchéance du terme du prêt le 24 décembre 2015 puis a assigné M. [G] en paiement le 19 juin 2015.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer caduc le cautionnement et de rejeter les autres demandes, alors « que la caducité du plan de conciliation résultant de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'entraîne pas l'extinction des sûretés qui garantissent le remboursement d'un nouvel apport de trésorerie consenti au débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le prêt de 75 000 euros accordé le 4 mai 2012 à la société Saint Antoine BA par la société BNP Paribas constituait à hauteur de 50.000 euros "un nouvel apport en trésorerie bénéficiant du privilège de conciliation" ; qu'en retenant néanmoins que l'engagement de caution de M. [G] garantissant le remboursement de ce prêt était devenu caduc en raison du placement de la société Saint Antoine BA en redressement judiciaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses
propres constatations, a violé l'article L. 611-12 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 611-12 du code de commerce :
4. Si, selon ce texte, lorsqu'il est mis fin de plein droit à un accord de conciliation en raison de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du débiteur, le créancier, qui a consenti à celui-ci des délais ou des remises de dettes dans le cadre de l'accord de conciliation, recouvre l'intégralité de ses créances et des sûretés qui les garantissaient, il ne conserve cependant pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l'accord en contrepartie de ces délais ou de ces abandons de créances.
5. En revanche, le créancier, qui a consenti, pour les besoins de l'accord, une avance donnant naissance à une nouvelle créance, garantie par un cautionnement, est en mesure de demander l'exécution par la caution de cet engagement, en dépit de la caducité de l'accord.
6. Pour déclarer caduc le cautionnement de M. [G], l'arrêt retient que le concours de 75 000 euros consenti par la banque, destiné en partie au remboursement d'une ligne de découvert, qui constitue pour le surplus un nouvel apport en trésorerie, a été accordé dans le cadre de l'accord de conciliation auquel le prononcé du redressement judiciaire a mis fin et en déduit que l'échec de l'accord a entraîné la caducité de celui-ci dans son intégralité, notamment celle des engagements de caution.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, qui est inopérante, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à la société BNP Paribas la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour la société BNP Paribas.
La société BNP Paribas fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré caduc le cautionnement de M. [G] en date du 4 mai 2012 et d'AVOIR rejeté les autres demandes des parties ;
AUX MOTIFS QUE l'ouverture d'une procédure de liquidation met fin de plein droit à l'accord de conciliation homologué par le tribunal dans le cadre de la prévention des difficultés de l'entreprise : Article L 611-12 du code de commerce, dans sa version issue de la loi du 26 juillet 2005, applicable au présent litige : «L'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire met fin de plein droit à l'accord constaté ou homologué en application de l'article L. 611-8. En ce cas, les créanciers recouvrent l'intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues, sans préjudice des dispositions prévues à l'article L. 611-11.» ; que la BNP a accordé, dans le cadre du protocole de conciliation, un prêt de 75.000 euros à la société Saint Antoine, dont 25.000 euros étaient destinés au remboursement d'une ligne de découvert et 50.000 euros constituaient un nouvel apport en trésorerie bénéficiant du privilège de conciliation ; que ce concours, accordé dans le cadre de l'accord de conciliation, a été cautionné à hauteur de 86.250 euros par M. [G] ; que M. [G] considère que la BNP a, dans le cadre de l'accord de conciliation, obtenu une nouvelle garantie et que l'ouverture du redressement judiciaire de la société Saint Antoine aurait mis fin à cet accord rendant son cautionnement à hauteur de 86.250 euros caduc ; que si selon l'article L 611-12 du code de commerce, lorsqu'il est mis fin de plein droit à un accord de conciliation en raison de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire du débiteur, le créancier qui a consenti à celui-ci des délais ou des remises de dette dans le cadre de l'accord de conciliation recouvre l'intégralité de ses créances et des sûretés qui les garantissaient, il ne conserve pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l'accord ; que l'échec de l'accord entraîne la caducité de celui-ci dans son intégralité et notamment des engagements de caution ; que dans le cadre de l'accord de conciliation, la BNP a accordé une nouvelle ouverture de trésorerie de 50.000 euros et le remboursement du découvert existant pour 25.000 euros ; qu'ainsi, du fait de l'échec du protocole de conciliation, la BNP n'a pas conservé le bénéfice de l'engagement de caution accordé par M. [G] dans le cadre de l'accord de conciliation homologué par le tribunal ; que cet engagement est caduc ;
1) ALORS QUE la caducité du plan de conciliation résultant de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'entraîne pas l'extinction des sûretés consenties en contrepartie de l'aménagement des dettes du débiteur ; qu'en retenant, pour débouter la société BNP Paribas de sa demande en paiement contre M. [G], que «l'échec de l'accord entraîne la caducité de celui-ci dans son intégralité et notamment des engagements de caution» (arrêt, p. 3, dernier §), la cour d'appel a violé l'article L. 611-12 du code de commerce ;
2) ALORS, en toute hypothèse, QUE la caducité du plan de conciliation résultant de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'entraîne pas l'extinction des sûretés qui garantissent le remboursement d'un nouvel apport de trésorerie consenti au débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le prêt de 75.000 euros accordé le 4 mai 2012 à la société Saint Antoine BA par la société BNP Paribas constituait à hauteur de 50.000 euros «un nouvel apport en trésorerie bénéficiant du privilège de conciliation» (arrêt, p. 3, antépénultième §, et p. 4, § 1) ; qu'en retenant néanmoins que l'engagement de caution de M. [G] garantissant le remboursement de ce prêt était devenu caduc en raison du placement de la société Saint Antoine BA en redressement judiciaire (arrêt, p. 4, § 2), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 611-12 du code de commerce. | Si, selon l'article L. 611-12 du code de commerce, lorsqu'il est mis fin de plein droit à un accord de conciliation en raison de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du débiteur, le créancier, qui a consenti à celui-ci des délais ou des remises de dettes dans le cadre de l'accord de conciliation, recouvre l'intégralité de ses créances et des sûretés qui les garantissaient, il ne conserve cependant pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l'accord en contrepartie de ces délais ou de ces abandons de créances. En revanche, le créancier, qui a consenti, pour les besoins de l'accord, une avance donnant naissance à une nouvelle créance, garantie par un cautionnement, est en mesure de demander l'exécution par la caution de cet engagement, en dépit de la caducité de l'accord.
Par conséquent, viole ce texte la cour d'appel qui, pour déclarer caduc le cautionnement du gérant de la société débitrice, retient que le concours consenti par la banque, destiné en partie au remboursement d'une ligne de découvert, qui constitue pour le surplus un nouvel apport en trésorerie, a été accordé dans le cadre de l'accord de conciliation auquel le prononcé du redressement judiciaire a mis fin et en déduit que l'échec de l'accord a entraîné la caducité de celui-ci dans son intégralité, notamment celle des engagements de caution |
8,227 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle sans renvoi
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 618 F-B
Pourvoi n° B 20-23.150
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société MJ synergie, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international, a formé le pourvoi n° B 20-23.150 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant à la société And Plast, dont le siège est [Adresse 2] (Andorre), société de droit étranger, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société MJ synergie, ès qualités, les observations écrites de Me [F] (ayant radié sa constitution le 29 septembre 2021, après le dépôt du mémoire en défense), pour la société And Plast, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 octobre 2020), la société DPI international (la société DPI) a été mise en redressement judiciaire le 31 mai 2017. Les sociétés AJ partenaires et MJ synergie ont été désignées respectivement administrateur judiciaire et mandataire judiciaire.
2. Pendant la période d'observation du redressement judiciaire, en septembre et décembre 2017, la société DPI a commandé des outillages à la société And Plast pour un montant total de 355 600 euros. Ces marchandises ont été vendues avec une clause de réserve de propriété, acceptée par le dirigeant de la société DPI le 9 février 2018. La livraison des biens vendus a eu lieu fin février 2018.
3. Le 1er juin 2018, un jugement a arrêté le plan de cession de la société DPI et prononcé sa liquidation judiciaire.
4. Le 21 juin 2018, la société And Plast a revendiqué les matériels auprès du liquidateur qui a refusé d'acquiescer, puis, le 30 juillet 2019, elle a saisi le juge-commissaire qui s'est déclaré incompétent.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de retenir la compétence du juge-commissaire puis, sur opposition, du tribunal, alors « que l'action en revendication d'un bien meuble exercée en vertu d'une créance née postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective, assortie d'une clause de réserve de propriété sur le bien revendiqué, est soumise au droit commun ; qu'elle ne peut dès lors être exercée que devant le juge de droit commun, et non devant le juge de la procédure collective ou le juge-commissaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la revendication exercée par la société And Plast relevait de la compétence du
juge-commissaire, en tant que juridiction de premier ressort de la procédure
collective, exclusivement compétente en matière de revendication ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé que la revendication était exercée par la société And Plast en vertu d'une clause de réserve de propriété associée à une créance née pendant la période d'observation, ce qui impliquait que cette revendication, liée à une créance qui n'était pas soumise à la discipline imposée par l'ouverture de la procédure collective, relevait de la compétence du juge de droit commun, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 624-9, L. 624-17, L. 641-14, R. 621-21, R. 624-13 et R. 662-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 624-9, L. 624-16 rendus applicables à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, et R. 662-3 du code de commerce :
6. Il résulte de la combinaison de ces textes que le juge-commissaire n'est compétent pour connaître de la revendication des biens mobiliers que lorsque le demandeur se prévaut d'un droit de propriété né antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. La revendication d'un droit de propriété né postérieurement à celle-ci relève de l'application des dispositions du code civil.
7. Pour déclarer le juge-commissaire compétent, l'arrêt retient que les dispositions relatives à la revendication des biens meubles n'excluent pas l'hypothèse d'une revendication dont la cause est née durant la période d'observation, que la société And Plast n'entend pas exercer le recours de droit commun du code civil, la marchandise n'étant ni perdue, ni volée. Il ajoute que les effets de la clause de réserve de propriété relèvent de la juridiction de la procédure collective, qui connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, en application de l'article R. 662-3 du code de commerce.
8. En statuant ainsi, alors que la liquidation judiciaire de la société DPI prononcée par le jugement du 1er juin 2018 ne constituait pas une procédure collective nouvelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable le recours exercé par la société And Plast et rejeté la demande reconventionnelle de la société DPI international, l'arrêt rendu le 8 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement rendu le 16 octobre 2019 par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, en ce qu'il a déclaré non fondé le recours exercé par la société And Plast et en ce qu'il a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge-commissaire du 20 décembre 2018 et en ce qu'il s'est déclaré incompétent ;
Condamne la société And Plast aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société And Plast et la condamne à payer à la société MJ synergie, en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour la société MJ synergie, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la compétence était dévolue au juge-commissaire en premier ressort et au tribunal de commerce statuant sur opposition, pour statuer sur l'action en revendication de la part de la société And Plast relativement aux biens commandés par la société DPI International lors de la période d'observation, et, en conséquence, d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix et d'avoir condamné la société MJ Synergie, ès qualités, à verser à la société And Plast la somme de 359.650 € ;
1°) Alors que l'action en revendication d'un bien meuble exercée en vertu d'une créance née postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective, assortie d'une clause de réserve de propriété sur le bien revendiqué, est soumise au droit commun ; qu'elle ne peut dès lors être exercée que devant le juge de droit commun, et non devant le juge de la procédure collective ou le juge-commissaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la revendication exercée par la société And Plast relevait de la compétence du juge-commissaire, en tant que juridiction de premier ressort de la procédure collective, exclusivement compétente en matière de revendication (arrêt, p. 5 § 1 à 4) ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé que la revendication était exercée par la société And Plast en vertu d'une clause de réserve de propriété associée à une créance née pendant la période d'observation, ce qui impliquait que cette revendication, liée à une créance qui n'était pas soumise à la discipline imposée par l'ouverture de la procédure collective, relevait de la compétence du juge de droit commun, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 624-9, L. 624-17, L. 641-14, R. 621-21, R. 624-13 et R. 662-3 du code de commerce ;
2°) Alors qu' en jugeant que la société And Plast n'entendait pas exercer un recours de droit commun, « surtout pas celui visé par l'article 2276 invoqué par DPI, qui est relatif à la revendication de celui qui a perdu ou auquel a été volé une chose, notions étrangères au présent litige » (arrêt, p. 4 § 7), la cour d'appel a violé l'article 2276 du code civil, anciennement l'article 2279 du même code, qui fonde toute action en revendication d'un bien mobilier corporel individualisé.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix, de l'avoir condamnée à verser, ès qualités, à la société And Plast la somme de 359.650 € et d'avoir en conséquence rejeté sa demande reconventionnelle à l'encontre de la société And Plast ;
Alors que peuvent être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure collective, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété ; que néanmoins, pour être opposable à la procédure collective, cette clause doit avoir été convenue librement entre les parties dans un écrit établi au plus tard au moment de la livraison ; que tel n'est pas le cas si l'acceptation de la clause est obtenue par une partie par l'effet d'une contrainte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le dirigeant de la société DPI International avait accepté une clause de réserve de propriété sur les marchandises acquises de la société And Plast dans un écrit établi le 9 février 2018 (arrêt, p. 5 § 7) et que la contrainte ayant conduit à la signature de cette clause n'était pas démontrée (arrêt, p. 6 § 6) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (concl., p. 14), si la signature de la clause de réserve de propriété n'avait été demandée par la société And Plast qu'après la conclusion des contrats de vente avec la société DPI International, en empêchant la livraison effective des marchandises à cette dernière, et si ce comportement avait contraint la société DPI International, alors en période d'observation dans le cadre d'une procédure collective, à accepter la clause de réserve de propriété afin d'éviter un trop grand retard de livraison de ses propres clients, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-16 du code de commerce.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix, et de l'avoir condamnée à verser, ès qualités, à la société And Plast la somme de 359.650 € ;
1°) Alors que les termes du litige sont fixés par les écritures respectives des parties ; qu'en l'espèce, la société And Plast sollicitait, dans le dispositif de ses écritures, à titre principal, que soit ordonnée « la restitution des biens existants en nature dans les locaux de la société DPI International et/ou dans les mains de tiers sous acquéreurs à concurrence de la somme de 359.650 € », et à titre subsidiaire, à défaut de reprise en nature sous quinze jours, la restitution des biens revendiqués à hauteur du prix de vente, soit la somme de 359.650 €, en accordant « le cas échéant le statut de créance privilégiée de l'article L. 622-13 [lire L. 622-17] à cette créance » (concl. adv., p. 16) ; que la société And Plast ne demandait pas la condamnation de la société MJ Synergie, ès qualités, à lui payer la somme de 359.650 € au titre de sa créance née postérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire ; qu'en condamnant néanmoins la société MJ Synergie, ès qualités, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € « au titre d'une créance privilégiée » (arrêt, p. 7 § 10), la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) Alors qu'en toute hypothèse, dans le cadre d'un redressement judiciaire converti en liquidation judiciaire, les créances nées postérieurement au jugement d'ouverture et répondant aux conditions prévues à l'article L. 622-17 du code de commerce, lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance, sont payées par privilège avant toutes les autres créances, sans préjudice des droits de rétention opposables à la procédure collective, à l'exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure, de celles qui sont garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du présent code et de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières ; que lorsque de telles créances sont garanties par une clause de réserve de propriété, et que les biens visés par cette clause ne se retrouvent pas en nature dans l'actif du débiteur, cette stipulation ne confère aucun avantage particulier à son titulaire à l'encontre de ce débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € « au titre d'une créance privilégiée » (arrêt, p. 7 § 10), en vertu de l'article L. 622-17 du code de commerce et compte tenu de la clause de réserve de propriété stipulée sur les marchandises dont la vente était à l'origine de la créance de la société And Plast (arrêt, p. 6 § 9) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que cette clause de réserve de propriété ne conférait à cette société aucun avantage particulier à l'encontre du débiteur en liquidation judiciaire, et notamment ne permettait pas sa condamnation à payer la société And Plast par priorité aux créanciers privilégiés, la cour d'appel a violé l'article L. 622-17 du code de commerce ;
3°) Alors que, subsidiairement, peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens objet d'une clause de réserve de propriété qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement d'ouverture ; qu'en l'espèce, la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, faisait valoir, à titre subsidiaire (concl., p. 15), qu'à supposer possible la revendication sur le fondement du droit des procédures collectives, elle ne pouvait pas intervenir en nature puisque les marchandises en cause avaient été intégrées dans des moules revendus aux clients de la société DPI International avant la conversion en liquidation judiciaire ; qu'elle ajoutait qu'un report de la clause de réserve de propriété sur le prix de ces marchandises ne pourrait se concevoir que sur la part de ce prix n'ayant pas encore été réglée à la société DPI International (concl., p. 16) ; que la cour d'appel a condamné la société MJ Synergie, ès qualités, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € après avoir jugé que, les marchandises n'étant plus présentes en nature dans le patrimoine de la société débitrice, il convenait de reporter les effets de la revendication de la société And Plast sur le prix de vente non réglé (arrêt, p. 6) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ses constatations qu'elle pouvait seulement constater le report de la clause de réserve de propriété sur la part du prix non payé par les sous-acquéreurs à la société DPI International, et non condamner son liquidateur judiciaire, sur l'actif disponible, à hauteur du montant total de la créance, la cour d'appel a violé les articles L. 622-17 et L. 624-18 du code de commerce. | Il résulte de la combinaison des articles L. 624-9, L. 624-16, rendus applicables à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, et R. 662-3 du code de commerce que le juge-commissaire n'est compétent pour connaître de la revendication des biens mobiliers que lorsque le demandeur se prévaut d'un droit de propriété né antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. La revendication d'un droit de propriété né postérieurement à celle-ci relève de l'application des dispositions du code civil |
8,228 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
Mme BÉLAVAL, conseiller le plus ancien
non empêché, faisant fonction de président
Arrêt n° 619 F-B
Pourvoi n° M 21-15.619
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue, société civile coopérative, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 21-15.619 contre l'arrêt rendu le 25 février 2021 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MJ synergie - mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Office notarial des comtés du Forez, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société [J] et associés - mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à M. [K] [J], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller doyen, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MJ synergie - mandataires judiciaires, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société [J] et associés - mandataires judiciaires et de M. [J], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents Mme Bélaval, conseiller le plus ancien non empêché, faisant fonction de président, Mme Vaissette, conseiller doyen rapporteur, M. Riffaud, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 25 février 2021), M. [G] a été mis en redressement judiciaire par un jugement du 13 novembre 2013 qui a désigné la Selarl MJ synergie, représentée par M. [J], en qualité de mandataire judiciaire. La créance de la Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue (la banque) a été admise au passif à titre privilégié à concurrence de 306 572,05 euros.
2. Pendant la période d'observation du redressement judiciaire, plusieurs terrains grevés par des inscriptions d'hypothèques et de privilège de prêteur de deniers de la banque ont été vendus et la SCP [N] [H], notaire ayant reçu les actes, a remis l'intégralité des prix de vente, soit 117 758,11 euros, à la société MJ synergie représentée par M. [J], par des virements des 4 septembre et 7 novembre 2014. Les demandes réitérées de la banque auprès du mandataire judiciaire pour obtenir le versement des sommes provenant des ventes de parcelles n'ont pas abouti, le mandataire judiciaire indiquant avoir remis les sommes en cause au débiteur.
3. Estimant que la responsabilité du mandataire judiciaire était engagée, la banque a, par un acte du 19 octobre 2016, assigné la Selarl MJ synergie, représentée par M. [J], en paiement de la somme de 117 758,11 euros outre intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en responsabilité en tant que dirigée contre la société MJ synergie, représentée par M. [J], alors « que le mandataire judiciaire exerçant au sein d'une société exerce les fonctions de mandataire judiciaire au nom de la société et ne peut plus exercer à titre individuel, de sorte qu'en cas de faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit mutuel à raison des fautes commises par M. [J], mandataire associé de la Selarl MJ synergie, ne pouvait être dirigée que contre M. [J] personnellement et non contre la Selarl MJ synergie, la cour d'appel a violé les articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société [J] et associés - mandataires judiciaires et M. [J] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau dès lors que la banque ne s'est pas prévalue devant la cour d'appel des dispositions des articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce et qu'il n'est pas de pur droit en ce qu'il repose sur le présupposé d'une faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions qui n'a pas été constatée par l'arrêt.
6. Cependant, le moyen, qui soutient la recevabilité de l'action en responsabilité introduite contre la société MJ synergie, à raison de l'allégation d'une faute de M. [J] dans l'exécution de sa mission, ne se réfère à aucun fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt.
7. Le moyen, de pur droit, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles R. 814-83, R. 814-84, R. 814-85, alinéa 2, et R. 814-86 du code de commerce :
8. Selon le premier de ces textes, lorsque le tribunal nomme une société en qualité de mandataire judiciaire, il désigne en son sein un ou plusieurs associés exerçant l'activité de mandataire judiciaire pour la représenter dans l'exercice du mandat qui lui est confié.
Il résulte des textes visés ensuite que l'associé d'une société de mandataires judiciaires, qui exerce ses fonctions au nom de la société, ne peut plus exercer sa profession à titre individuel et doit consacrer à la société toute son activité professionnelle.
9. Pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité dirigée contre la société MJ synergie, représentée par M. [J], l'arrêt retient que le mandataire judiciaire qui exerce son activité sous une forme sociale doit, si sa responsabilité est recherchée, être assigné personnellement, en tant que répondant sur son patrimoine des conséquences de ses fautes personnelles et que toute action initiée par voie d'assignation contre la société civile professionnelle dont il fait partie est irrecevable.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'à la date de la délivrance de l'assignation, la société MJ synergie, représentée par M. [J], était la titulaire du mandat judiciaire, de sorte que l'action en responsabilité, à raison des fautes reprochées dans l'exécution de la mission de mandataire judiciaire, était recevable contre cette société, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement, il déclare irrecevable l'action en responsabilité de la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue, en tant que dirigée à l'encontre de la société MJ synergie, représentée par M. [J], la condamne au paiement d'une indemnité de procédure de 1 000 euros à la société MJ synergie, à la société [J] et associés - mandataires judiciaires et à M. [J] et aux dépens, et la déboute de sa réclamation fondée sur l'article 700 du code de procédure civile y compris en appel, l'arrêt rendu le 25 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société MJ synergie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [J] et associés - mandataires judiciaires à payer à la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue.
La Caisse de Crédit Mutuel de Saint-Etienne Bellevue fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son action en responsabilité irrecevable en tant que dirigée à l'encontre de la SELARL MJ Synergie, représentée par maître [J] ;
1°) Alors que le mandataire judiciaire exerçant au sein d'une société exerce les fonctions de mandataire judiciaire au nom de la société et ne peut plus exercer à titre individuel, de sorte qu'en cas de faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit Mutuel à raison des fautes commises par maître [J], mandataire associé de la SELARL MJ Synergie, ne pouvait être dirigée que contre maître [J] personnellement et non contre la SELARL MJ Synergie, la cour d'appel a violé les articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce ;
2°) Alors que dans une société d'exercice libéral, la société est solidairement responsable avec ses associés des conséquences dommageables de leurs actes ; qu'il en résulte qu'en cas de faute d'un associé, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit Mutuel à raison des fautes commises par maître [J], mandataire associé de la SELARL MJ Synergie, ne pouvait être dirigée que contre maître [J] personnellement et non contre la SELARL MJ Synergie, la cour d'appel a violé l'article 16 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990. | Selon l'article R. 814-83 du code de commerce, lorsque le tribunal nomme une société en qualité de mandataire judiciaire, il désigne en son sein un ou plusieurs associés exerçant l'activité de mandataire judiciaire pour la représenter dans l'exercice du mandat qui lui est confié. Et il résulte des articles R. 814-84, R. 814-85, alinéa 2, et R. 814-86 du code de commerce que l'associé d'une société de mandataires judiciaires, qui exerce ses fonctions au nom de la société, ne peut plus exercer sa profession à titre individuel et doit consacrer à la société toute son activité professionnelle.
Par conséquent, a violé ces textes la cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité dirigée contre une société de mandataires judiciaires, représentée par un associé, a retenu que le mandataire judiciaire qui exerçait son activité sous une forme sociale devait, si sa responsabilité était recherchée, être assigné personnellement, en tant que répondant sur son patrimoine des conséquences de ses fautes personnelles et que toute action initiée par voie d'assignation contre la société dont il faisait partie était irrecevable, alors qu'elle avait constaté qu'à la date de la délivrance de l'assignation, la société de mandataires judiciaires, représentée par cet associé, était la titulaire du mandat judiciaire, de sorte que l'action en responsabilité, à raison des fautes reprochées dans l'exécution de la mission de mandataire judiciaire, était recevable contre cette société |
8,229 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 621 F-B
Pourvoi n° A 20-22.528
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
1°/ La société Ipso facto, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Ekip', société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [S] [I], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ipso facto,
ont formé le pourvoi n° A 20-22.528 contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Win System International Limited, dont le siège est [Adresse 3] (Chine), défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Ipso facto et de la société Ekip', ès qualités, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Win System International Limited, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 octobre 2020), la société Win System International Limited (la société Win), ayant son siège social à [Adresse 4], réalise des transactions financières et des opérations de commerce transfrontières.
2. Au début de l'année 2011, elle a commandé à la société française Ipso facto différents vins bordelais destinés à l'exportation. Les deux factures, émises pour un montant total de 4 682 388 euros, ont été payées par les sociétés Wai Hing Money, Sunny Wide et Sun Sing, habilitées à cet effet.
3. Soutenant que la société Ipso facto n'avait livré qu'une partie de la commande et lui devait la somme de 2 172 000 euros, la société Win l'a assignée en paiement.
4. La société Ekip' a été désignée mandataire judiciaire par le jugement du 14 octobre 2020 ouvrant le redressement judiciaire de la société Ipso facto.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches
Enoncé du moyen
6. Les sociétés Ipso facto et Ekip', ès qualités, font grief à l'arrêt d'écarter l'exception de forclusion, de dire la société Win recevable en son action, de prononcer la résiliation judiciaire des contrats de vente des vins Chevalier de Lascombes 2009, pour un montant de 372 000 euros, et Château Lascombes 2009, pour un montant de 1 800 000 euros, soit au total 2 172 000 euros, de condamner la société Ipso facto à restituer à la société Win la somme de 2 172 000 euros et de condamner la société Ipso facto à verser à la société Win la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors :
« 2°/ que l'article 1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que "la présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises" ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette convention n'est pas applicable au motif que "la vente de vins n'est pas constitutive d'un contrat de vente au sens de cette convention (article 3-1)", quand le vin constitue une marchandise dont la vente internationale relève de la Convention de Vienne, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
3°/ que l'article 3.1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que "sont réputés ventes les contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande celles-ci n'ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou production" ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette convention n'est pas applicable, aux motifs adoptés que la "Convention de Vienne s'applique, selon son article 3, aux contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, ce qui n'est pas le cas de la vente de bouteilles de vins de Bordeaux", quand la stipulation de l'article 3.1 a pour objet d'inclure dans le champ d'application matériel de la Convention la vente de choses futures lorsque l'acquéreur ne fournit pas l'essentiel de la matière première et non de limiter ce champ d'application aux seuls contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;
4°/ que l'article 1.1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que "la présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents lorsque ces États sont des États contractants, ou lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un État contractant" ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette convention n'est pas applicable sur le territoire de Hong Kong, tout en constatant que l'article 3 de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 désigne la loi française pour régir la vente litigieuse en tant que loi du pays où le vendeur a sa résidence habituelle, ce dont il résultait que la Convention de Vienne du 11 avril 1980, qui constitue le droit substantiel français de la vente internationale de marchandises, était applicable au litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
5°/ que la Convention de Vienne du 11 avril 1980 instituant un droit uniforme sur les ventes internationales de marchandises s'impose au juge français, qui doit en faire application sous réserve de son exclusion, selon l'article 6, qui s'interprète comme permettant aux parties de l'éluder tacitement, en s'abstenant de l'invoquer devant le juge français ; qu'en considérant que les parties avaient tacitement exclu l'application de la Convention de Vienne, quand les commémoratifs du jugement établissent que la société Ipso facto invoquait l'application de la Convention de Vienne dans l'instance au fond ayant abouti au jugement du tribunal de commerce de Bordeaux de l'appel duquel elle était saisie, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de Vienne par fausse application ;
6°/ en toute hypothèse, la portée du silence des parties dont s'induirait un accord procédural doit s'apprécier au regard de l'objet du litige ; qu'en déduisant l'exclusion tacite de la Convention de Vienne par les parties de ce que la société Ipso facto n'en avait jamais fait mention dans l'instance en référé, quand le débat devant la juridiction des référés avait trait à son incompétence à raison de l'existence d'une contestation sérieuse tenant à l'absence de tout contrat conclu entre les sociétés Win System International et Sun Sing International, demanderesses en restitution d'un indu prétendu, et la société Ipso facto, de sorte que le silence gardé par cette dernière sur l'applicabilité de la Convention de Vienne ne pouvait avoir aucune portée dans l'instance au fond introduite par la seule société Win System International sur le fondement, différent de celui invoqué dans l'instance en référé, de l'inexécution partielle du même contrat dont la conclusion était auparavant déniée, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 ;
7°/ en toute hypothèse, que la portée du silence des parties dont s'induirait un accord procédural doit s'apprécier au regard de l'objet du litige ; qu'en déduisant l'exclusion tacite de la Convention de Vienne par les parties de ce que la société Ipso facto n'en avait jamais fait mention dans le cadre du litige l'opposant à la société Usa Piilii Jepen International, quand l'instance introduite à l'encontre de cette dernière par la demande de la société Ipso facto tendant à l'exécution des contrats conclus avec elle pour un montant de 17 239 869,08 euros, portait sur des contrats différents de ceux objet du présent litige opposant la société Ipso facto et la société Win System International, de sorte que le silence gardé sur l'applicabilité de la Convention de Vienne dans l'instance à l'encontre de la société Usa Piilii Jepen International était dépourvu de portée dans l'instance l'opposant à la société Win System International, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 7.2 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises (la CVIM) que les questions concernant les matières régies par la CVIM et qui ne sont pas expressément tranchées par elle sont réglées selon les principes généraux dont elle s'inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé.
8. Selon l'article 39, 2, de la CVIM, l'acheteur est, dans tous les cas, déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité, s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises.
9. Les dispositions de la CVIM ne prévoient pas de délai de prescription ou de forclusion et ce délai de deux ans est un délai de dénonciation du défaut de conformité et non un délai pour agir. La fin de non-recevoir soulevée, au visa de ce texte, par la société Ipso facto pour cause de forclusion de l'action formée par la société Win doit être rejetée.
10. Par ces seuls motifs substitués d'office à ceux critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Ipso facto aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Ipso facto et Ekip', en qualité de mandataire judiciaire de la société Ipso facto, et condamne la société Ipso facto à payer à la société Win System International Limited la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Ipso facto et la société Ekip', prise en la personne de M. [I], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ipso facto.
La société Ipso Facto et la société Ekip ès qualités font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR écarté l'exception de forclusion que la société Ipso Facto avait soulevée, d'AVOIR dit la société Win System International recevable en son action, d'AVOIR prononcé la résiliation judiciaire des contrats de vente des vins Chevalier de Lascombes 2009, pour un montant de 372 000 euros, et Château Lascombes 2009, pour un montant de 1 800 000 euros, soit au total 2 172 000 euros, d'AVOIR condamné la société Ipso Facto à restituer à la société Win System International la somme de 2 172 000 euros et d'AVOIR condamné la société Ipso Facto à verser à la société Win System International la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
1°) ALORS QUE méconnaît les exigences d'un procès équitable et statue par une apparence de motivation l'arrêt d'appel dont les motifs ne permettent pas de distinguer les moyens d'une partie du fondement de sa décision ; qu'en considérant, pour débouter la société Ipso Facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que « l'intimée, qui explique son retard à former réclamation par le litige opposant l'appelante à la USA PIILII, soutient que la convention de Vienne n'est pas applicable en soulignant d'une part, à juste titre que la vente de vins n'est pas constitutive d'un contrat de vente au sens de cette convention (article 3-1) ; que d'ailleurs les parties ont tacitement exclu son application, notamment la société Ipso Facto qui n'y a jamais fait mention devant le juge des référés, ni dans le cadre du litige l'opposant à la société USA PIILII, se fondant toujours sur des textes de droit interne français », quand de tels motifs, en présentant d'un même trait les arguments de l'intimée et le raisonnement des juges sans permettre de déterminer ce qui, parmi les moyens de la société Win System International, a effectivement fait l'objet d'une approbation par les juges, font peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'article 1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que « la présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises » ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso Facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette convention n'est pas applicable au motif que « la vente de vins n'est pas constitutive d'un contrat de vente au sens de cette convention (article 3-1) » (arrêt, p. 9, § 2), quand le vin constitue une marchandise dont la vente internationale relève de la Convention de Vienne, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
3°) ALORS QUE l'article 3.1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que « sont réputés ventes les contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande celles-ci n'ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou production » ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso Facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette convention n'est pas applicable, aux motifs adoptés que la « Convention de Vienne s'applique, selon son article 3, aux contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, ce qui n'est pas le cas de la vente de bouteilles de vins de Bordeaux » (jugement, p. 6, § 3), quand la stipulation de l'article 3.1 a pour objet d'inclure dans le champ d'application matériel de la Convention la vente de choses futures lorsque l'acquéreur ne fournit pas l'essentiel de la matière première et non de limiter ce champ d'application aux seuls contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;
4°) ALORS QUE l'article 1.1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que « la présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents lorsque ces États sont des États contractants, ou lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un État contractant » ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso Facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette convention n'est pas applicable sur le territoire de Hong Kong, tout en constatant que l'article 3 de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 désigne la loi française pour régir la vente litigieuse en tant que loi du pays où le vendeur a sa résidence habituelle (arrêt, p. 10, § 1er), ce dont il résultait que la Convention de Vienne du 11 avril 1980, qui constitue le droit substantiel français de la vente internationale de marchandises, était applicable au litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
5°) ALORS QUE la Convention de Vienne du 11 avril 1980 instituant un droit uniforme sur les ventes internationales de marchandises s'impose au juge français, qui doit en faire application sous réserve de son exclusion, selon l'article 6, qui s'interprète comme permettant aux parties de l'éluder tacitement, en s'abstenant de l'invoquer devant le juge français ; qu'en considérant que les parties avaient tacitement exclu l'application de la Convention de Vienne, quand les commémoratifs du jugement (p. 4) établissent que la société Ipso Facto invoquait l'application de la Convention de Vienne dans l'instance au fond ayant abouti au jugement du tribunal de commerce de Bordeaux de l'appel duquel elle était saisie, la cour d'appel violé l'article 6 de la Convention de Vienne par fausse application ;
6°) ALORS QU'en toute hypothèse, la portée du silence des parties dont s'induirait un accord procédural doit s'apprécier au regard de l'objet du litige ; qu'en déduisant l'exclusion tacite de la Convention de Vienne par les parties de ce que la société Ipso Facto n'en avait jamais fait mention dans l'instance en référé, quand le débat devant la juridiction des référés avait trait à son incompétence à raison de l'existence d'une contestation sérieuse tenant à l'absence de tout contrat conclu entre les sociétés Win System International et Sun Sing International, demanderesses en restitution d'un indu prétendu, et la société Ipso Facto, de sorte que le silence gardé par cette dernière sur l'applicabilité de la Convention de Vienne ne pouvait avoir aucune portée dans l'instance au fond introduite par la seule société Win System International sur le fondement, différent de celui invoqué dans l'instance en référé, de l'inexécution partielle du même contrat dont la conclusion était auparavant déniée, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 ;
7°) ALORS QU'en toute hypothèse, la portée du silence des parties dont s'induirait un accord procédural doit s'apprécier au regard de l'objet du litige ; qu'en déduisant l'exclusion tacite de la Convention de Vienne par les parties de ce que la société Ipso Facto n'en avait jamais fait mention dans le cadre du litige l'opposant à la société Usa Piilii Jepen International, quand l'instance introduite à l'encontre de cette dernière par la demande de la société Ipso Facto tendant à l'exécution des contrats conclus avec elle pour un montant de 17 239 869,08 euros, portait sur des contrats différents de ceux objet du présent litige opposant la société Ipso Facto et la société Win System International, de sorte que le silence gardé sur l'applicabilité de la Convention de Vienne dans l'instance à l'encontre de la société Usa Piilii Jepen International était dépourvu de portée dans l'instance l'opposant à la société Win System International, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980. | Il résulte de l'article 7, § 2, de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises (CVIM) que les questions concernant les matières régies par la CVIM et qui ne sont pas expressément tranchées par elle sont réglées selon les principes généraux dont elle s'inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé.
Selon l'article 39, § 2, de la CVIM, l'acheteur est, dans tous les cas, déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité, s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises.
Les dispositions de la CVIM ne prévoyant pas de délai de prescription ou de forclusion et ce délai de deux ans étant un délai de dénonciation du défaut de conformité et non un délai pour agir, la fin de non-recevoir soulevée, au visa de ce texte, par le vendeur pour cause de forclusion de l'action formée par l'acheteur doit être rejetée |
8,230 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 629 F-B
Pourvoi n° E 21-13.474
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société Delta security solutions, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° E 21-13.474 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [H] [R] & A [K], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [R], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Avenir telecom,
2°/ à la société Avenir telecom, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société [O] [V]-[U], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [U], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Avenir telecom,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Delta security solutions, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Avenir telecom et de la société [O] [V]-[U], ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 janvier 2021), un jugement du 9 septembre 2014 a condamné la société Delta security solutions (la société Delta) à payer à la société Avenir telecom la somme de 53 679,33 euros à titre de dommages-intérêts.
2. Le 4 janvier 2016, la société Avenir telecom a été mise en redressement judiciaire.
3. Un arrêt d'appel du 25 octobre 2016 a confirmé le jugement du 9 septembre 2014, sauf sur le montant de la condamnation, et condamné la société Delta à payer à la société Avenir telecom la somme principale de 434 412,22 euros. La société Delta, qui a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, a payé la somme de 389 927 euros entre les mains du mandataire judiciaire de la société Avenir telecom, le 15 décembre 2016.
4. Le 10 juillet 2017, a été arrêté le plan de redressement de la société Avenir telecom sur dix ans.
5. Par un arrêt du 14 février 2018, la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt précité du 25 octobre 2016 du chef de la condamnation de la société Delta.
6. Sur le fondement de cet arrêt de cassation, la société Delta a délivré à la société Avenir telecom un commandement aux fins de saisie-vente, afin d'obtenir le paiement de la somme de 389 927 euros versée en exécution de l'arrêt cassé du 25 octobre 2016.
7. La société Avenir telecom et son mandataire judiciaire ont assigné la société Delta en annulation de ce commandement, devant le juge de l'exécution.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La société Delta fait grief à l'arrêt d'annuler le commandement aux fins de saisie-vente signifié à la société Avenir telecom, alors « que la créance de restitution d'une somme d'argent versée en exécution d'une décision de justice naît de la décision qui réforme la précédente et relève du régime des créances de droit commun, recouvrables par les voies classiques, lorsque la décision de réformation est prononcée après l'adoption du plan de redressement du débiteur de la créance de restitution ; qu'en l'espèce, par arrêt du 14 février 2018, la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 25 octobre 2016 ayant condamné la société Delta security solutions à payer à la société Avenir telecom la somme complémentaire de 389 927 euros ; qu'en considérant que la créance de restitution née de cet arrêt de cassation devait être soumise aux règles de la procédure collective en dépit de l'adoption, le 10 juillet 2017, d'un plan de redressement au prétexte que, par-delà la naissance de la créance de restitution au jour de l'arrêt de cassation, il convenait de prendre en compte le fait générateur de cette créance, constitué par le paiement survenu le 15 décembre 2016, la cour d'appel a violé les articles L. 622-7, L. 622-17 et L. 641-13 du code de commerce dans leur version applicable à l'espèce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-7 et L. 622-17 du code de commerce, et l'article 625 du code de procédure civile :
9. Les créances nouvelles, nées après l'arrêté d'un plan de redressement du débiteur remis à la tête de ses biens, sont soumises au droit commun.
10. Et selon le dernier texte susvisé, l'arrêt de cassation constitue une décision de justice faisant naître un droit à restitution de la somme versée en exécution de la décision cassée.
11. Il en résulte, d'une part, que lorsqu'est soumis à une procédure collective le débiteur d'une créance de restitution née d'un arrêt de cassation, la détermination de la date de naissance de cette créance dépend de la date de l'arrêt de cassation, et non de la date du paiement effectué en exécution de la décision cassée, et, d'autre part, que si l'arrêt de cassation est prononcé après l'arrêté du plan de redressement du débiteur, cette créance de restitution doit être payée conformément aux règles de droit commun.
12. Pour annuler le commandement aux fins de saisie-vente délivré par la société Delta sur le fondement de l'arrêt de cassation du 14 février 2018, l'arrêt attaqué énonce que la cassation a pour effet d'anéantir l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt cassé et que, dès lors que ledit arrêt a été exécuté et qu'il y a eu paiement, une distinction doit être opérée entre l'arrêt de cassation, qui fait simplement naître l'obligation de restitution, et le paiement intervenu en exécution de l'arrêt cassé, qui constitue le fait générateur de la créance de restitution, de sorte que c'est à la date du paiement que s'apprécie la soumission, ou non, de la créance aux règles de la procédure collective. Puis, relevant que le paiement intervenu en exécution de l'arrêt cassé du 25 octobre 2016 a été effectué le 15 décembre 2016, soit pendant la période d'observation du redressement judiciaire de la société Avenir telecom, et que la créance de restitution n'est pas née pour les besoins du déroulement de la procédure ni en contrepartie d'une prestation fournie pendant la période d'observation, l'arrêt en déduit que son paiement est soumis aux règles de la procédure collective.
13. En statuant ainsi, alors que la créance de restitution de la société Delta, née de l'arrêt de cassation du 14 février 2018, pouvait donner lieu à la délivrance du commandement aux fins de saisie-vente, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Avenir telecom aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Delta security solutions.
La société Delta Security Solutions fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du commandement aux fins de saisie vente signifié le 27 juillet 2018 à l'encontre de la société Avenir Telecom en exécution de l'arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2018,
1- ALORS QUE la créance de restitution d'une somme d'argent versée en exécution d'une décision de justice naît de la décision qui réforme la précédente et relève du régime des créances de droit commun, recouvrables par les voies classiques, lorsque la décision de réformation est prononcée après l'adoption du plan de redressement du débiteur de la créance de restitution ; qu'en l'espèce, par arrêt du 14 février 2018, la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 25 octobre 2016 ayant condamné la société Delta Security Solutions à payer à la société Avenir Telecom la somme complémentaire de 389 927 euros ; qu'en considérant que la créance de restitution née de cet arrêt de cassation devait être soumise aux règles de la procédure collective en dépit de l'adoption, le 10 juillet 2017, d'un plan de redressement au prétexte que, par-delà la naissance de la créance de restitution au jour de l'arrêt de cassation, il convenait de prendre en compte le fait générateur de cette créance, constitué par le paiement survenu le 15 décembre 2016, la cour d'appel a violé les articles L. 622-7, L. 622-17 et L. 641-13 du code de commerce dans leur version applicable à l'espèce.
2- ALORS QUE, en tout état de cause, le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que dans ses conclusions d'appel, la société Delta Security Solutions faisait valoir que le paiement intervenu était nul en application de l'article 625 du code de procédure civile, de sorte que la restitution s'imposait de droit, sans que puisse être opposé le principe d'interdiction des poursuites, et que juger le contraire serait incompatible avec son droit à un recours effectif devant le juge de cassation ; qu'en annulant le commandement relatif à la créance de restitution sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Il résulte des articles L. 622-7 et L. 622-17 du code de commerce que les créances nouvelles, nées après l'arrêté d'un plan de redressement du débiteur remis à la tête de ses biens, sont soumises au droit commun. Et selon l'article 625 du code de procédure civile, l'arrêt de cassation constitue une décision de justice faisant naître un droit à restitution de la somme versée en exécution de la décision cassée.
Il s'en déduit, d'une part, que lorsqu'est soumis à une procédure collective le débiteur d'une créance de restitution née d'un arrêt de cassation, la détermination de la date de naissance de cette créance dépend de la date de l'arrêt de cassation, et non de la date du paiement effectué en exécution de la décision cassée, et, d'autre part, que si l'arrêt de cassation est prononcé après l'arrêté du plan de redressement du débiteur, cette créance de restitution doit être payée conformément aux règles de droit commun |
8,231 | SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1120 FS-B
Pourvoi n° F 20-17.105
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE,
DU 26 OCTOBRE 2022
M. [K] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 20-17.105 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2020 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale C), dans le litige l'opposant à la société Oxyria, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pion, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [V], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Oxyria, et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Pion, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Lyon, 12 mars 2020), M. [V], inscrit sur la liste des experts judiciaires de la cour d'appel de Lyon dans la rubrique incendies, a été engagé en qualité de chargé de mission à compter du 5 novembre 2012 par la société Oxyria.
2. Aux termes de l'article 4 bis du contrat de travail, il était stipulé que la rémunération directe ou indirecte des expertises judiciaires qui lui serait versée devrait être intégralement reversée à l'employeur.
3. Les parties ont signé une convention de rupture conventionnelle le 7 mai 2014.
4. L'employeur a assigné le salarié afin d'obtenir, en application de l'article 4 bis du contrat de travail, le paiement des sommes correspondant aux expertises en cours au moment de la rupture du contrat.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que l'article 4 bis du contrat de travail n'est entaché d'aucune illégalité et de le débouter de sa demande de nullité de cette clause et de sa demande subséquente en paiement, par l'employeur, d'une somme à titre de remboursement des honoraires d'expertises judiciaires, alors « que l'expert judiciaire doit accomplir, en toute indépendance et impartialité, la mission qui lui a été personnellement confiée par le juge, ce qui implique nécessairement qu'il perçoive une rémunération propre, laquelle ne peut être reversée, s'il est salarié, à la société qui l'emploie ; qu'en jugeant que l'article 4 bis du contrat de travail de Monsieur [V] n'était pas nul, après avoir pourtant relevé qu'il prévoyait que les rémunérations directes ou indirectes des expertises judiciaires qui seraient versées à [K] [V] devraient être intégralement reversées à la société Oxyria, la cour d'appel a violé les articles 233 du code de procédure civile et 1er de la loi du 29 juin 1971 dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 232 et 233 du code de procédure civile :
6. Selon le premier de ces textes, le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien.
7. Selon le second, le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée. Si le technicien désigné est une personne morale, son représentant légal soumet à l'agrément du juge le nom de la ou des personnes physiques qui assureront, au sein de celle-ci et en son nom l'exécution de la mesure.
8. Il résulte de la combinaison de ces textes que, pour qu'une personne morale puisse percevoir la rémunération afférente à l'expertise, il faut qu'elle ait été elle-même désignée.
9. Pour débouter le salarié de sa demande de nullité de l'article 4 bis du contrat de travail, l'arrêt retient que le salarié étant inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel dans la rubrique incendies, il était stipulé à l'article 4 bis du contrat de travail que la rémunérations directe ou indirecte des expertises judiciaires qui lui serait versée devra être intégralement reversée à l'employeur, que cette clause n'apparaît pas contraire aux dispositions de l'article 233 du code de procédure civile dès lors qu'il résulte du contrat de travail que le salarié a accompli les missions d'expertises judiciaires confiées, pendant le temps de son travail et avec les outils mis à disposition par l'employeur, et que cette clause a été librement consentie entre lui et son employeur.
10. En statuant ainsi, alors qu'est nulle la clause d'un contrat de travail par laquelle un salarié s'engage à reverser à son employeur les rémunérations qui lui ont été versées pour des missions pour lesquelles il a été désigné expert personnellement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le protocole d'accord signé le 30 juin 2014 engage les deux parties qui se doivent de le respecter et de l'appliquer, de le condamner à payer à la société Oxyria une somme au titre du remboursement de frais et honoraires qu'il a perçus pour ses missions d'expertise judiciaire dans les quatre dossiers visés au protocole du 30 juin 2014 et au paiement à la société Oxyria d'une somme en remboursement des frais réglés à la société IC2000, sapiteur choisi par lui dans ses missions d'expertise, alors « que la cassation à intervenir du chef du dispositif critiqué par le deuxième moyen du pourvoi entraînera nécessairement par voie de conséquence, la cassation des chefs du dispositif critiqués par le troisième moyen, qui en sont indivisibles, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
12. La cassation prononcée sur le deuxième moyen emporte la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif critiqués par le troisième moyen, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation prononcée sur les deuxième et troisième moyens entraîne, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif condamnant le salarié à payer une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Oxyria de ses demandes en dommages-intérêts concernant les expertises [R] et Robinettrie Industrielle et pour résistance abusive et en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande en dommages-intérêts de 500 euros pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 12 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne la société Oxyria aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Oxyria et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. [V],
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le protocole d'accord signé le 30 juin 2014 engage les deux parties qui se doivent de le respecter et de l'appliquer, et d'avoir condamné Monsieur [V] à payer à la société Oxyria la somme de 40.219,20 € TTC au titre du remboursement des frais et honoraires qu'il a perçus pour ses missions d'expertise judiciaire dans les quatre dossiers visés au protocole du 30 juin 2014 ;
AUX MOTIFS QU'« En l'espèce, il convient de rappeler que, comme chargé de mission au sein de la société Oxyria, Monsieur [V] avait pour attributions l'exécution de missions de formations, d'expertises, d'études, diagnostic, conception et réalisation et coordination PS, en contrepartie de laquelle, il percevait une rémunération de 2400 € nette, pour une durée hebdomadaire de travail et 35 heures, sauf heures supplémentaires ; que par ailleurs, Monsieur [V] étant inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Lyon dans la rubrique incendies, il était stipulé à l'article 4 bis du contrat de travail que les rémunérations directe ou indirecte des expertises judiciaires qui lui seraient versées devront être intégralement reversées à la société Oxyria [
] ; que dans ces conditions, l'article 4 bis du contrat de travail n'encourt par la nullité ; que cet article fonde par ailleurs l'engagement signé par Monsieur [V] le 30 juin 2014, à l'issue de son contrat de travail, à savoir celui de reverser à son ex-employeur, les rémunérations correspondant aux missions d'expertise exécutées ou commencées pendant la durée du travail ; que nonobstant l'absence de précision de l'engagement de reverser les rémunérations correspondant aux affaires reprises dans l'acte sous seing privé du 30 juin 2014, il résulte clairement des termes du contrat de travail qui s'exécute de bonne foi conformément à l'article 1104 du code civil, que le fait que Monsieur [V] s'engage à terminer ces affaires porte également engagement par lui, conformément à l'article 4 bis du contrat de travail, de reverser à son ex-employeur, les rémunérations des expertises judiciaires, commencées ou exécutées pendant le temps du contrat et qu'il a perçues ; que Monsieur [V] ne peut donc venir affirmer que ce document, même s'il ne le précise pas explicitement, ne porte pas engagement de reverser ces rémunérations tirées des expertises judiciaires exécutées ou commencées pendant la durée du contrat de travail et au sujet desquelles l'article 4 bis continue à produire ses effets ; qu'au surplus, cet acte sous seing privé portait engagement pour la société Oxyria de laisser Monsieur [V] reprendre, sans dédommagement, du matériel, dont liste jointe, ce qui constitue bien une concession de sa part, permettant de qualifier l'accord intervenu après la rupture conventionnelle ; qu'au vu de ces éléments, il convient dès lors de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a validé l'article 4 bis du contrat de travail ainsi que l'engagement résultant de l'acte sous seing privé du 30 juin 2014 et a rejeté la demande au titre du travail dissimulé, celle-ci n'ayant en effet aucun fondement au regard de la validité de la clause du contrat de travail ; que sur le montant des remboursements, il apparait que l'acte sous seing privé du 30 juin 2014 portait, pour certains dossiers, le principe du reversement des rémunérations à l'employeur, sans toutefois en préciser le montant, celui-ci restant à confirmer ; qu'or, la société Oxyria produit les justificatifs définitifs de coût de ces expertises desquels il résulte : - pour l''expertise Mutuelle de l'est, un coût de 6501 € HT, - pour l'expertise [H] : un coût de 7500 € HT, - pour l'expertise Llyod's de Londres, un coût de 11 254 € HT, - pour l'expertise [X], un coût de 8261 € HT, soit un total de 33 516 € HT, soit 40 219,20 € TTC au lieu de la somme de 42 918,58 € TTC prévue dans l'accord, au vu de sommes restant à confirmer ou en attente de règlement ; que dès lors, c'est ce montant de 40 219,20 € TTC qui doit être reversée à la société Oxyria par Monsieur [V] au titre des rémunérations qu'il a perçues dans le cadre des expertises judiciaires initiées pendant la durée du travail et achevées postérieurement ou en cours de règlement, et ce en application de l'acte sous seing privé du 30 juin 2014 et de l'article 4 bis du contrat de travail ; » (arrêt, pp. 4 et 5) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « sur la validité de la transaction : la rupture conventionnelle établie dans les formes légales et homologuée par la DIRECCTE de Rhone-Alpes en date du 17 juin 2014, que la convention annexée prévoit à l'article 1 que « la cessation définitive du contrat de travail de M. [V] interviendra le 30 juin 2014, à cette date seront arrêtés le certificat de travail et l'attestation Pole Emploi » ; à la date du 30 juin 2014 la Sté Oxyria a remis en main propre contre décharge à M. [V] une lettre qui fait état des « affaires que vous vous êtes engagés a terminer » ; ce document comporte une liste d‘affaires en cours d'expertises à cette date ; en signant ce document M. [V] s'engage à mener à bonne fin les affaires obtenues lorsqu'il était sous contrat de travail avec la Sté Oxyria, en respectant tous les termes de son contrat de travail ; la pièce n° 2 du demandeur comporte des annotations de dates de paiements pour les affaires A1308-A1310-A1312-A1314-A1326 avec des commentaires « soldé » pour les affaires F1402-F1434, que les affaires A1338 [H], A1342 MUTUELLE de L'EST, A1354 [X] sont notées « pas encore facturé, montant à confirmer », que l'affaire A1352 LLOYD'S DE LONDRE est « en attente de règlement » qu'en acceptant de terminer ces affaires dont la charge des dépens reste à la Sté Oxyria, M. [V] doit aussi accepter de reverser « La rémunération directe ou indirecte des expertises judiciaires... » prévue au contrat de travail » (jugement, pp. 7 et 8) ;
ALORS QUE la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ; que, pour qualifier de transaction le courrier du 30 juin 2014, la cour d'appel se borne à énoncer qu'après avoir décidé d'une rupture conventionnelle du contrat de travail le 7 mai 2014, à effet au 30 juin 2014, les parties avaient signé le courrier litigieux, en convenant que Monsieur [V] s'engageait à terminer les affaires auxquelles il faisait référence, et la société Oxyria à le laisser reprendre, sans dédommagement, du matériel listé dans le courrier, « ce qui [constituait] bien une concession de sa part, permettant de qualifier l'accord intervenu après la rupture conventionnelle, d'accord transactionnel » (arrêt, pp. 4 et 5) ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser l'existence d'un quelconque désaccord des parties à la date de signature du courrier du 30 juin 2014, et donc l'existence d'une contestation née ou à naître à laquelle les parties auraient entendu mettre un terme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2044 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'article 4 bis du contrat de travail de Monsieur [K] [V] n'est entaché d'aucune illégalité, et d'avoir débouté Monsieur [K] [V] de sa demande de nullité de cet article, et corrélativement de sa demande subséquente en paiement, par la société Oxyria, d'une somme de 95.940,93 € à titre de remboursement des honoraires d'expertises judiciaires ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'« en l'espèce, il convient de rappeler que, comme chargé de mission au sein de la société Oxyria, Monsieur [V] avait pour attributions l'exécution de missions de formations, d'expertises, d'études, diagnostic, conception et réalisation et coordination PS, en contrepartie de laquelle, il percevait une rémunération de 2400 € nette, pour une durée hebdomadaire de travail et 35 heures, sauf heures supplémentaires ; que par ailleurs, Monsieur [V] étant inscrit sur la liste de experts de la cour d'appel de Lyon dans la rubrique incendies, il était stipulé à l'article 4 bis du contrat de travail que les rémunérations directe ou indirecte des expertises judiciaires qui lui seraient versées devront être intégralement reversées à la société Oxyria ; qu'or, cette clause n'apparaît pas contraire aux dispositions de l'article 233 du code de procédure civile qui dispose que l'expert doit réaliser sa mission personnellement, dès lors qu'il résulte en effet du contrat de travail que Monsieur [V] accomplissant ses missions d'expertises judiciaires pendant le temps de son travail et avec les outils mis à disposition par l'employeur, il devait en reverser la rémunération correspondante au dit employeur ; qu'il apparaît ainsi clairement des termes du contrat de travail que, conformément à l'article 1103 du code civil, en signant le contrat qui est un engagement réciproque, les parties ont consenti à supporter les obligations qu'elles se sont elles-mêmes créées ; qu'or, la clause du contrat de travail dont Monsieur [V] demande la nullité a été librement consenti entre lui et son employeur en contrepartie de l'exécution pendant le temps de travail et avec le matériel de l'entreprise par le salarié des missions d'expertise judiciaire qui lui ont été confiées par les juges, missions qu'il a exercé personnellement ; que dans ces conditions, l'article 4 bis du contrat de travail n'encourt par la nullité » (arrêt, p. 4) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l'article L. 1221-1 du code du travail stipule que : « Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter » ; l'article 1103 du code civil précise que « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » ; M. [V] est inscrit en qualité d'expert judiciaire à titre indépendant auprès de la cour d'appel de Lyon, et qu'à ce titre il encaisse les rémunérations directes ou indirectes des expertises judiciaires ; que l'article 3 de son contrat de travail prévoit que M. [V] doit dans le cadre de son activité salariale au sein de la Sté Oxyria, remplir les missions de « formation, expertises, études diagnostics, conceptions et réalisations, coordination SPS », et qu'il poursuivrait précisément son activité d'expertise judiciaire, mais en qualité de salarié de la Sté Oxyria ; les missions d'expertises judiciaires seraient réalisées sur son temps de travail au sein de la Sté Oxyria et aux frais de cette dernière ; l'article 4 bis du contrat de travail intitulé « rémunération expertises judiciaires » précisant : « La rémunération directe ou indirecte des expertises judiciaires qui serait versée à M. [V] devra être intégralement reversée à la Sté Oxyria » ; le contrat de travail a été approuvé et signé par les deux parties, qu'il n'a jamais souffert de discussion, et que conformément à l'article L 1221-1 du code du travail il s'est exécuté de bonne foi par les parties ; dans le cadre de ses missions d'expertises exécutées par M. [V] l'article 233 du code de procédure civile qui précise que : « Le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée
» a été rigoureusement respecté puisque les missions d'expertises ont été exclusivement diligentées par M. [V] en sa qualité d'expert inscrit sur la liste des experts auprès de la cour d'appel de Lyon et salarié de la Sté Oxyria, cette dernière assumant les frais d'expertise ; il est de pratique courante que certains experts exercent leur métier sous contrat de travail donc en tant que salarié, dans le cadre de sociétés, bureaux d'études, ou autres personnes morales, qui encaissent directement les honoraires sous le contrôle des tribunaux ; aux vues de ces pratiques, ces usages n'ont rien de répréhensible ; en conséquence, la convention entre les parties stipulée à l'article 4 bis du contrat de travail précisant que : « La rémunération directe ou indirecte des expertises judiciaires qui serait versée à M. [V] devra être intégralement reversée à la Sté Oxyria » n'est entachée d'aucune illégalité, M. [V] sera débouté de sa demande de nullité de l'article 4 bis de son contrat de travail » (jugement, pp. 7 et 8) ;
ALORS QUE l'expert judiciaire doit accomplir, en toute indépendance et impartialité, la mission qui lui a été personnellement confiée par le juge, ce qui implique nécessairement qu'il perçoive une rémunération propre, laquelle ne peut être reversée, s'il est salarié, à la société qui l'emploie ; qu'en jugeant que l'article 4 bis du contrat de travail de Monsieur [V] n'était pas nul, après avoir pourtant relevé qu'il prévoyait que les rémunérations directes ou indirectes des expertises judiciaires qui seraient versées à [K] [V] devraient être intégralement reversées à la société Oxyria, la cour d'appel a violé les articles 233 du code de procédure civile et 1er de la loi du 29 juin 1971 dans sa rédaction issue de la loi du 11 février 2004.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le protocole d'accord signé le 30 juin 2014 engage les deux parties qui se doivent de le respecter et de l'appliquer, d'avoir condamné Monsieur [K] [V] à payer à la société Oxyria la somme de 40.219,20 € TTC au titre du remboursement de frais et honoraires qu'il a perçus pour ses missions d'expertise judiciaire dans les 4 dossiers visés au protocole du 30 juin 2014, et d'avoir condamné M. [V] au paiement à la société Oxyria de la somme de 8.207,04 € TTC en remboursement des frais réglés à la société IC2000, sapiteur choisi par lui dans ses missions d'expertise
AUX MOTIFS QUE « En l'espèce, il convient de rappeler que, comme chargé de mission au sein de la société Oxyria, Monsieur [V] avait pour attributions l'exécution de missions de formations, d'expertises, d'études, diagnostic, conception et réalisation et coordination PS, en contrepartie de laquelle, il percevait une rémunération de 2400 € nette, pour une durée hebdomadaire de travail et 35 heures, sauf heures supplémentaires ; que par ailleurs, Monsieur [V] étant inscrit sur la liste des experts de la cour d'appel de Lyon dans la rubrique incendies, il était stipulé à l'article 4 bis du contrat de travail que les rémunérations directe ou indirecte des expertises judiciaires qui lui seraient versées devront être intégralement reversées à la société Oxyria [
] dans ces conditions, l'article 4 bis du contrat de travail n'encourt par la nullité ; que cet article fonde par ailleurs l'engagement signé par Monsieur [V] le 30 juin 2014, à l'issue de son contrat de travail, à savoir celui de reverser à son ex-employeur, les rémunérations correspondant aux missions d'expertise exécutées ou commencées pendant la durée du travail ; que nonobstant l'absence de précision de l'engagement de reverser les rémunérations correspondant aux affaires reprises dans l'acte sous seing privé du 30 juin 2014, il résulte clairement des termes du contrat de travail qui s'exécute de bonne foi conformément à l'article 1104 du code civil, que le fait que Monsieur [V] s'engage à terminer ces affaires porte également engagement par lui, conformément à l'article 4 bis du contrat de travail, de reverser à son ex-employeur, les rémunérations des expertises judiciaires, commencées ou exécutées pendant le temps du contrat et qu'il a perçues ; que Monsieur [V] ne peut donc venir affirmer que ce document, même s'il ne le précise pas explicitement, ne porte pas engagement de reverser ces rémunérations tirées des expertises judiciaires exécutées ou commencées pendant la durée du contrat de travail et au sujet desquelles l'article 4 bis continue à produire ses effets ; qu'au surplus, cet acte sous seing privé portait engagement pour la société Oxyria de laisser Monsieur [V] reprendre, sans dédommagement, du matériel, dont liste jointe, ce qui constitue bien une concession de sa part, permettant de qualifier l'accord intervenu après la rupture conventionnelle ; qu'au vu de ces éléments, il convient dès lors de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a validé l'article 4 bis du contrat de travail ainsi que l'engagement résultant de l'acte sous seing privé du 30 juin 2014 et a rejeté la demande au titre du travail dissimulé, celle-ci n'ayant en effet aucun fondement au regard de la validité de la clause du contrat de travail ; que sur le montant des remboursements, il apparait que l'acte sous seing privé du 30 juin 2014 portait, pour certains dossiers, le principe du reversement des rémunérations à l'employeur, sans toutefois en préciser le montant, celui-ci restant à confirmer ; qu'or, la société Oxyria produit les justificatifs définitifs de coût de ces expertises desquels il résulte : - pour l''expertise Mutuelle de l'est, un coût de 6501 € HT, - pour l'expertise [H] : un coût de 7500 € HT, - pour l'expertise Llyod's de Londres, un coût de 11 254 € HT, - pour l'expertise [X], un coût de 8261 € HT, soit un total de 33 516 € HT, soit 40 219,20 € TTC au lieu de la somme de 42 918,58 € TTC prévue dans l'accord, au vu de sommes restant à confirmer ou en attente de règlement ; que dès lors, c'est ce montant de 40 219,20 € TTC qui doit être reversée à la société Oxyria par Monsieur [V] au titre des rémunérations qu'il a perçues dans le cadre des expertises judiciaires initiées pendant la durée du travail et achevées postérieurement ou en cours de règlement, et ce en application de l'acte sous seing privé du 30 juin 2014 et de l'article 4 bis du contrat de travail ; la décision déférée sera réformée de ce chef ; il est enfin établi par la société Oxyria qu'elle a été condamnée à régler à la société IC2000, laboratoire sapiteur auquel Monsieur [V] a fait appel à trois reprises dans le cadre d'expertises judiciaires effectuées pendant la durée du contrat de travail, la somme de 8740,80 € ; qu'or, ces frais qui sont en rapport direct avec les expertises judiciaires réalisées par Monsieur [V] pendant la durée de son contrat de travail et qui ont été pris en charge par la régie des tribunaux dans le cadre du montant total des expertises, ce que Monsieur [V] ne conteste pas, doivent se voir appliquer les dispositions de l'article 4 bis du contrat de travail, de sorte que Monsieur [V] sera condamné à en reverser le coût à son employeur » (arrêt, pp. 4 et 5) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « sur la validité de la transaction : la rupture conventionnelle établie dans les formes légales et homologuée par la DIRECCTE de Rhône-Alpes en date du 17 juin 2014, que la convention annexée prévoit à l'article 1 que « la cessation définitive du contrat de travail de M. [V] interviendra le 30 juin 2014, à cette date seront arrêtés le certificat de travail et l'attestation Pôle Emploi. » ; à la date du 30 juin 2014, la société Oxyria a remis en main propre contre décharge à M. [V] une lettre qui fait état des « affaires que vous vous êtes engagés à terminer » ; ce document comporte une liste d'affaires en cours d'expertises à cette date ; en signant ce document M. [V] s'engage à mener à bonne fin les affaires obtenues lorsqu'il était sous contrat de travail avec la société Oxyria, en respectant tous les termes de son contrat de travail ; la pièce n° 2 du demandeur comporte des annotations de dates de paiements pour les affaires A1308-A1310-A1312-A1314-A1326 avec des commentaires « soldé » pour les affaires F1402-F1434, que les affaires A1338 [H], A1342 Mutuelle de L'est, A1354 [X] sont notées « pas encore facturé, montant à confirmer », que l'affaire A1352 Lloyd's de Londres est « en attente de règlement » qu'en acceptant de terminer ces affaires dont la charge des dépens reste à la société Oxyria, M. [V] doit aussi accepter de reverser « La rémunération directe ou indirecte des expertises judiciaires
» prévue au contrat de travail » (jugement, p. 8) ;
ALORS QUE la cassation à intervenir du chef du dispositif critiqué par le deuxième moyen du pourvoi entraînera nécessairement par voie de conséquence, la cassation des chefs du dispositif critiqués par le troisième moyen, qui en sont indivisibles, en application de l'article 624 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. [V] au paiement à la société Oxyria de la somme de 8.207,04 € TTC en remboursement des frais réglés à la société IC2000, sapiteur choisi par lui dans ses missions d'expertise ;
AUX MOTIFS QU'« il est enfin établi par la société Oxyria qu'elle a été condamnée à régler à la société IC2000, laboratoire sapiteur auquel Monsieur [V] a fait appel à trois reprises dans le cadre d'expertises judiciaires effectuées pendant la durée du contrat de travail, la somme de 8740, 80 € ; or, ces frais qui sont en rapport direct avec les expertises judiciaires réalisées par Monsieur [V] pendant la durée de son contrat de travail et qui ont été pris en charge par la régie des tribunaux dans le cadre du montant total des expertises, ce que Monsieur [V] ne conteste pas, doivent se voir appliquer les dispositions de l'article 4 bis du contrat de travail, de sorte que Monsieur [V] sera condamné à en reverser le coût à son employeur » (arrêt p. 5) ;
ALORS QUE les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la cour d'appel constate que l'article 3 du contrat de travail de Monsieur [V] prévoit que les missions d'expertise judiciaire seraient réalisées sur son temps de travail au sein de la société Oxyria « et aux frais de cette dernière » (cf. jugement, p. 7), et que l'article 4 bis du contrat de travail prévoit que les rémunérations directe ou indirecte des expertises judiciaires qui seraient versées à Monsieur [V] devraient être intégralement reversées à la société Oxyria ; qu'il résulte de ces stipulations que les frais de recours à un sapiteur dans le cadre d'une mission d'expertise judiciaire réalisée par Monsieur [V], durant la validité de son contrat de travail, devaient être pris en charge par la société Oxyria, et non pas supportés par le salarié, à qui il appartenait seulement de reverser le montant de la rémunération qu'il avait perçue pour les expertises judiciaires qu'il avait réalisées ; qu'en affirmant que les frais de la société IC2000, laboratoire sapiteur auquel Monsieur [V] avait fait appel à trois reprises dans le cadre d'expertises judiciaires effectuées « pendant la durée de son contrat de travail » (arrêt p. 5), et qui avaient été « pris en charge par la régie des tribunaux dans le cadre du montant total des expertises » (ibid.), devaient se voir appliquer les dispositions de l'article 4 bis du contrat de travail, pour condamner Monsieur [V] à en reverser le coût à son employeur, sans établir, comme elle y était invitée (conclusions, p. 8), que le salarié aurait perçu effectivement une rémunération à ce titre qu'il aurait omis de reverser à son employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, devenu 1103 du code civil. | Est nulle la clause d'un contrat de travail par laquelle un salarié s'engage à reverser à son employeur les rémunérations qui lui ont été versées pour des missions pour lesquelles il a été désigné expert personnellement |
8,232 | SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1121 FS-B
Pourvoi n° M 20-17.501
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [H].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 mai 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [J] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-17.501 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l'opposant à M. [G] [H], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [V], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [H], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), M. [H], salarié de M. [V] et exerçant les fonctions de peintre, a été placé en arrêt de travail pour maladie le 30 mai 2017.
2. Le 6 décembre 2017, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour motif économique.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité du licenciement et de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la nullité du licenciement, alors « que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement ; qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si la circonstance que dès le 13 novembre 2017, l'employeur avait convoqué le salarié à un entretien préalable à un licenciement économique fixé au 21 novembre suivant, qu'à la suite d'une erreur de distribution de La Poste, le courrier avait été reçu moins de cinq [jours] ouvrables avant l'entretien, de sorte que l'employeur avait convoqué, par lettre du 20 novembre, le salarié à un nouvel entretien préalable à un licenciement économique le 27, avant de lui notifier, le 6 décembre, son licenciement économique pour cessation totale d'activité de l'entreprise au 31 décembre 2017, n'établissait pas que cette cessation d'activité constituait la cause du licenciement, d'autant qu'il résultait de ses propres constatations que c'était seulement postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement pour motif économique que, le 24 novembre 2017, le salarié avait adressé à l'employeur un arrêt de travail pour maladie professionnelle, l'avait informé le 28 novembre d'une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de l'assurance maladie et qu'il avait pris l'attache de la médecine du travail pour une visite de reprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1233-3 et L. 1235-3-1 du code du travail ».
Réponse de la Cour
4. Vu les articles L. 1233-3 et L. 1235-1 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le second dans sa rédaction issue de l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 :
5. Selon le premier de ces textes, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un motif non inhérent à la personne du salarié résultant d'une suppression d'emploi consécutive notamment à la cessation d'activité de l'entreprise. Selon le second de ces textes, il appartient au juge d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur.
6. Pour prononcer la nullité du licenciement, l'arrêt retient qu'au moment de la notification du licenciement le 6 décembre 2017, l'employeur était informé de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle par le salarié et de ce que le médecin du travail était saisi par celui-ci en vue d'une reprise, et que, dès lors, au moment de la notification du licenciement pour motif économique, l'employeur disposait d'éléments suffisants lui permettant de retenir que l'état de santé du salarié pourrait faire l'objet d'une inaptitude en lien avec l'activité professionnelle, et que le véritable motif du licenciement était lié à l'état de santé du salarié.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la cessation d'activité de l'entreprise invoquée à l'appui du licenciement ne constituait pas la véritable cause du licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
8. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce la nullité du licenciement et condamne M. [H] à payer à M. [V] à la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice causé par la nullité du licenciement, l'arrêt rendu le 20 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [V],
M. [J] [V] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité du licenciement de M. [H] et d'avoir condamné à payer à ce dernier la somme 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la nullité du licenciement, outre 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Alors 1°) que la cessation d'activité complète et définitive de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement ; qu'en n'ayant pas recherché, ainsi qu'elle y était invitée, si la circonstance que dès le 13 novembre 2017, l'employeur avait convoqué le salarié à un « entretien préalable à un licenciement économique » fixé au 21 novembre suivant, qu'à la suite d'une erreur de distribution de La Poste, le courrier avait été reçu moins de cinq [jours] ouvrables avant l'entretien, de sorte que l'employeur avait convoqué, par lettre du 20 novembre, le salarié à un nouvel « entretien préalable à un licenciement économique » le 27, avant de lui notifier, le 6 décembre, son licenciement économique pour cessation totale d'activité de l'entreprise au 31 décembre 2017, n'établissait pas que cette cessation d'activité constituait la cause du licenciement, d'autant qu'il résultait de ses propres constatations que c'était seulement postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement pour motif économique que, le 24 novembre 2017, le salarié avait adressé à l'employeur un arrêt de travail pour maladie professionnelle, l'avait informé le 28 novembre d'une demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de l'assurance maladie et qu'il avait pris l'attache de la médecine du travail pour une visite de reprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1233-3 et L. 1235-3-1 du code du travail ;
Alors 2°) qu'en cas de litige sur l'existence d'une discrimination, le salarié qui l'invoque doit présenter des éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'une discrimination ; qu'au vu de ces éléments, dans l'affirmative, il incombe à employeur de justifier sa décision par des éléments objectifs ; que l'employeur qui licencie le salarié en raison d'une cessation complète et définitive d'activité justifie objectivement par un élément étranger à toute discrimination la mesure de licenciement ; qu'en l'espèce, en ayant retenu que le licenciement du 6 décembre 2017 était nul car lié à l'état de santé du salarié, sans avoir constaté, d'abord, que M. [H] présentait des éléments laissant présumer qu'il avait été licencié en raison de son état de santé et, dans l'affirmative, sans avoir vérifié si l'employeur ne justifiait pas que le licenciement était objectivement justifié, comme il le soutenait, par la cessation d'activité de l'entreprise au 31 décembre 2017, la cour d'appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
Alors 3°) qu'en se fondant sur les circonstances qu'au moment de la notification du licenciement pour motif économique, le 6 décembre 2017, l'employeur était informé d'une demande de reconnaissance de maladie professionnelle par le salarié et que le médecin du travail était saisi par celui-ci en vue d'une visite de reprise, et que « l'employeur disposait d'éléments suffisants lui permettant de retenir que l'état de santé du salarié pourrait faire l'objet d'une inaptitude en lien avec l'activité professionnelle », quand ces éléments étaient inopérants pour en déduire que « le véritable motif du licenciement était lié à l'état de santé du salarié » et non à la cessation définitive d'activité au 31 décembre 2017, d'autant qu'elle relevait par ailleurs que l'employeur « n'était pas informé du caractère professionnel de l'inaptitude envisagée » et n'avait pas connaissance de l'imminence d'un avis d'inaptitude pour origine professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1233-3 et L. 1235-3-1 du code du travail. | Ne donne pas de base légale à sa décision, la cour d'appel qui déclare nul le licenciement au motif que celui-ci est lié à l'état de santé du salarié, sans rechercher si la cessation d'activité de l'entreprise invoquée à l'appui du licenciement ne constitue pas la véritable cause du licenciement |
8,233 | SOC.
OR
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1122 FS-B
Pourvoi n° S 21-10.495
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
Mme [X] [O], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-10.495 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à la société SICAE de [Localité 4], société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [O], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société SICAE de [Localité 4], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, conseillers, Mmes Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 15 octobre 2020), rendu après cassation (Soc., 5 décembre 2018, n° 17-21.883), Mme [O] a été engagée le 2 janvier 1994 par la société Coopérative d'intérêt collectif agricole d'électricité (SICAE) de [Localité 4] suivant contrat à durée indéterminée en qualité de comptable.
2. Cette relation contractuelle a pris fin le 31 décembre 2011, date à compter de laquelle Mme [O] a été mutée au centre nucléaire de production d'énergie (CNPE) de [Localité 3].
3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement, par la SICAE, d'indemnités au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes formées au titre de la rupture de son contrat de travail, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et des dommages-intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, alors « que le transfert tripartite du contrat de travail suppose que soient réunis dans un même acte à la fois l'accord du primo-employeur, celui de l'employeur substitué ainsi que l'accord exprès du salarié ; que pour débouter la salariée de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail, l'arrêt retient qu'une convention tripartite a été recherchée à partir du moment où celle-ci a fait sa demande de mutation au CNPE de [Localité 3], et qu'elle s'est formée d'abord par l'acceptation de sa demande par EDF qui a pris à sa charge les obligations incombant à l'employeur, puis par l'acceptation de cette mutation par la SICAE qui a laissé partir Mme [O] sans rompre son contrat de travail, et enfin par l'accord de Mme [O] qui a accepté sa mutation au CNPE de [Localité 3] ; qu'en se déterminant ainsi, sans constater la conclusion d'une convention réunissant à la fois l'accord de la salariée et celui de ses deux employeurs successifs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1231-1 du code du travail et de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article L. 1231-1 du code du travail :
5. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
6. Selon le second, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou, d'un commun accord, dans les conditions prévues par les dispositions du titre III du Livre II.
7. Pour débouter la salariée de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt constate qu'elle a formé et signé une demande de mutation sur un imprimé EDF et GDF SUEZ le 26 octobre 2011 mentionnant, pour sa situation actuelle, qu'elle est comptable GF (groupe fonctionnel) 09 NR (niveau de rémunération) 135 échelon 7 et désignant la SICAE comme direction d'appartenance pour pourvoir un emploi dont la vacance a été publiée, en l'occurrence un emploi de technicien de gestion G, GF 8/9 au CNPE de [Localité 3]. Il ajoute que sa candidature a été acceptée, à effet au 1er janvier 2012, par les membres de la commission secondaire du personnel du CNPE de [Localité 3] lors de la séance du 16 décembre 2011 et que le changement ainsi apporté à sa situation administrative lui a été notifié par lettre de la société EDF adressée à son adresse professionnelle à la SICAE sous couvert du directeur, mentionnant son ancienne situation de comptable à la SICAE GF 09 et NR 135 et sa nouvelle situation de technicien de gestion au CNPE de [Localité 3] GF 9 et NR 135.
8. L'arrêt retient que le contrat de travail n'a pas été rompu, l'intéressée ayant été mutée de la SICAE au CNPE de [Localité 3] dans des conditions qui caractérisent un changement de situation administrative du fait de la modification de son affectation dans des entités différentes du groupe EDF GDF SUEZ dont la SICAE fait partie ainsi que le CNPE de [Localité 3].
9. L'arrêt conclut à l'existence d'une convention tripartite, formée d'abord par l'acceptation de la demande de la salariée par EDF qui a pris à sa charge les obligations incombant à l'employeur, puis par l'acceptation de cette mutation par la SICAE qui a laissé partir la salariée sans rompre son contrat de travail, et enfin par l'accord de cette dernière qui a accepté sa mutation au CNPE de [Localité 3].
10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations qu'aucune convention tripartite n'avait été signée entre la salariée et ses employeurs successifs organisant la poursuite du même contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Coopérative d'intérêt collectif agricole d'électricité de [Localité 4] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Coopérative d'intérêt collectif agricole d'électricité de [Localité 4] et la condamne à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [O]
Mme [O] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes formées au titre de la rupture de son contrat de travail, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et des dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.
1° ALORS QUE le transfert tripartite du contrat de travail suppose que soient réunis dans un même acte à la fois l'accord du primo-employeur, celui de l'employeur substitué ainsi que l'accord exprès du salarié ; que pour débouter la salariée de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail, l'arrêt retient qu'une convention tripartite « a été recherchée à partir du moment où Mme [O] a fait sa demande de mutation au CNPE de [Localité 3], et qu'elle s'est formée d'abord par l'acceptation de sa demande par EDF qui a pris à sa charge les obligations incombant à l'employeur, puis par l'acceptation de cette mutation par la SICAE qui a laissé partir Mme [O] sans rompre son contrat de travail, et enfin par l'accord de Mme [O] qui a accepté sa mutation au CNPE de [Localité 3] » ; qu'en se déterminant ainsi, sans constater la conclusion d'une convention réunissant à la fois l'accord de la salariée et celui de ses deux employeurs successifs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1231-1 du code du travail et de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
2° ALORS QUE si la conclusion d'une convention tripartite de transfert ne permet pas au salarié de prétendre qu'il aurait fait l'objet d'un licenciement, c'est à la condition que cette convention ait pour objet d'organiser la poursuite du contrat de travail ; qu'en se bornant à relever que la convention avait « abouti à la mutation de Mme [O] de la SICAE au CNPE de [Localité 3] », la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser la poursuite du contrat de travail, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1231-1 du code du travail et de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
3° ALORS QUE la remise d'un certificat de travail caractérise la volonté de l'employeur de rompre la relation contractuelle ; qu'en l'espèce, il est constant que la SICAE de [Localité 4] avait remis à la salariée un certificat de travail qui situait la fin de sa présence dans l'entreprise à la date du 31 décembre 2011 ; qu'en retenant cependant qu'elle avait « laissé partir Mme [O] sans rompre son contrat de travail », la cour d'appel a violé l'article L. 1231-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. | Viole les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 1231-1 du code du travail, la cour d'appel qui conclut à l'existence d'une convention tripartite alors qu'elle avait constaté qu'aucune convention n'avait été signée entre un salarié et ses employeurs successifs organisant la poursuite du contrat de travail |
8,234 | SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1140 FS-B
Pourvoi n° P 21-14.816
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société Le Populaire du Centre (la société), société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-14.816 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant à M. [M] [Y], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Le Populaire du Centre, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [Y], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Paris, 11 février 2021), M. [Y] a été engagé, le 1er octobre 1986, par la société Le Populaire du Centre (la société) et occupait en dernier lieu le poste de chef de rédaction adjoint en charge du service photographie.
2. Licencié pour faute grave le 16 janvier 2017, il a saisi la juridiction prud'homale le 11 mai 2017 aux fins de contester son licenciement et de demander l'allocation de diverses indemnités.
3. Le 10 avril 2018, le journaliste a saisi la commission arbitrale des journalistes aux fins de faire fixer son indemnité de licenciement et condamner la société à la lui verser.
4. La société a formé un recours en annulation contre la décision de la commission arbitrale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de confirmer la décision de la commission arbitrale ayant fixé le montant de l'indemnité de licenciement du journaliste en application de l'article L. 7112-4 du code du travail pour la totalité de son ancienneté de vingt-huit années, alors « que l'article L. 7112-4 du code du travail donne à la commission arbitrale des journalistes compétence pour réduire ou même supprimer le montant de l'indemnité de licenciement " en cas de faute grave ou de fautes répétées " ; qu'en revanche, il ne lui donne pas compétence pour se prononcer sur la matérialité et la gravité des faits fautifs qui motivent le licenciement, sur la base de critères distincts de ceux pris en compte par le conseil de prud'hommes ; qu'en affirmant cependant que " la commission arbitrale des journalistes a pleine compétence pour fixer l'indemnité de rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur due en application de l'article L. 7112-4 du code du travail et retenir des critères pour y parvenir, indépendamment de ceux retenus par la juridiction prud'homale qui conserve la sienne du chef des autres préjudices pour lesquels le journaliste peut demander réparation", la cour d'appel a violé l'article L. 7112-4 du code du travail ».
Réponse de la Cour
6. La commission arbitrale des journalistes, compétente par application de l'article L. 7112-4 du code du travail pour réduire ou supprimer l'indemnité de licenciement due au journaliste en cas de faute grave ou de fautes répétées, doit, pour fixer le quantum ou supprimer cette indemnité, apprécier la gravité ou l'existence des fautes alléguées, sans que la décision de la juridiction prud'homale, statuant sur les autres indemnités réclamées au titre de la rupture du contrat de travail, ne s'impose à elle.
7. La cour d'appel a, ainsi, retenu, à bon droit, que la commission arbitrale avait la pleine compétence pour fixer l'indemnité de rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur et retenir les critères pour y parvenir, indépendamment de ceux retenus par la juridiction prud'homale, qui conserve la sienne du chef des autres préjudices pour lesquels le journaliste peut demander réparation.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
9. L'employeur fait le même grief à l'arrêt, alors « que commet une faute grave le salarié responsable d'un service qui refuse de communiquer avec les salariés placés sous son autorité et se rend coupable de brimades, humiliations et dévalorisations ; qu'en l'espèce, pour justifier des faits reprochés au journaliste, la société avait produit aux débats le courrier des trois salariés du service photographie dénonçant le comportement de celui-ci à leur égard, le climat de travail malsain créé par ce dernier et leur souffrance psychologique, ainsi que le rapport d'enquête établi par un cabinet extérieur, comportant les questionnaires remplis par les salariés du service et des courriers électroniques dans lesquels ces salariés donnaient des exemples de propos vexatoires tenus par le journaliste à leur encontre ; qu'en se bornant à affirmer que la société ne rapporte pas d'éléments précis et circonstanciés pour caractériser une faute grave, sans examiner, ni analyser même sommairement ces différentes éléments, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. En application de l'article L. 7112-4 du code du travail, la décision de la commission arbitrale est obligatoire et ne peut être frappée d'appel.
11. Dès lors, la cour d'appel, qui, à bon droit, n'a pas accueilli le recours en annulation dont elle était saisie, n'avait pas à statuer sur le fond.
12. La décision se trouve par ces motifs de pur droit, substitués aux motifs critiqués, après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile, légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Le Populaire du Centre aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Le Populaire du Centre et la condamne à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Le Populaire du Centre,
La société Le Populaire du Centre fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé la décision de la commission arbitrale des journalistes du 25 février 2019 ayant fixé à 150.000 euros le montant de l'indemnité de licenciement de M. [Y] en application de l'article L. 7112-4 du code du travail pour la totalité de son ancienneté de 28 années ;
1. ALORS QUE l'article L. 7112-4 du code du travail donne à la commission arbitrale des journalistes compétence pour réduire ou même supprimer le montant de l'indemnité de licenciement « en cas de faute grave ou de fautes répétées » ; qu'en revanche, il ne lui donne pas compétence pour se prononcer sur la matérialité et la gravité des faits fautifs qui motivent le licenciement, sur la base de critères distincts de ceux pris en compte par le conseil de prud'hommes ; qu'en affirmant cependant que « la commission arbitrale des journalistes a pleine compétence pour fixer l'indemnité de rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur due en application de l'article L. 7112-4 du code du travail et retenir des critères pour y parvenir, indépendamment de deux retenus par la juridiction prud'homale qui conserve la sienne du chef des autres préjudices pour lesquels le journaliste peut demander réparation », la cour d'appel a violé l'article L. 7112-4 du code du travail ;
2. ALORS QUE commet une faute grave le salarié responsable d'un service qui refuse de communiquer avec les salariés placés sous son autorité et se rend coupable de brimades, humiliations et dévalorisations ; qu'en l'espèce, pour justifier des faits reprochés à M. [Y], la société Le Populaire du Centre avait produit aux débats le courrier des trois salariés du service photographie dénonçant le comportement de M. [Y] à leur égard, le climat de travail malsain créé par ce dernier et leur souffrance psychologique, ainsi que le rapport d'enquête établi par un cabinet extérieur, comportant les questionnaires remplis par les salariés du service et des courriers électroniques dans lesquels ces salariés donnaient des exemples de propos vexatoires tenus par M. [Y] à leur encontre ; qu'en se bornant à affirmer que la société Le Populaire du Centre ne rapporte pas d'éléments précis et circonstanciés pour caractériser une faute grave, sans examiner, ni analyser même sommairement ces différentes éléments, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. | La commission arbitrale des journalistes, compétente par application de l'article L. 7112-4 du code du travail pour réduire ou supprimer l'indemnité de licenciement due au journaliste en cas de faute grave ou de fautes répétées, doit, pour fixer le quantum ou supprimer cette indemnité, apprécier la gravité ou l'existence des fautes alléguées, sans que la décision de la juridiction prud'homale, statuant sur les autres indemnités réclamées au titre de la rupture du contrat de travail, ne s'impose à elle |
8,235 | SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1141 FS-B
Pourvoi n° K 21-15.963
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [F] [B], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 21-15.963 contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société ICTS Atlantique, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [B], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société ICTS Atlantique, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux,14 octobre 2020), M. [B] a été engagé, à compter du 1er février 2002, en qualité d'opérateur qualifié de sûreté aéroportuaire par la société SGA suivant contrat à durée indéterminée. Son contrat de travail a été transféré à la société ICTS Atlantique (la société) le 19 octobre 2012.
2. Victime d'un accident du travail le 20 novembre 2014, son contrat de travail s'est, dès lors, trouvé suspendu.
3. Le 1er mars 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de la prime annuelle de sûreté aéroportuaire pour les années 2015 et 2016.
4. Il a été licencié le 13 juillet 2017 pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes de rappel de prime annuelle de sûreté aéroportuaire et de dommages-intérêts, alors « que le versement de la prime annuelle de sûreté aéroportuaire, en une seule fois en novembre, est subordonné à la double condition d'une année d'ancienneté et d'une présence au 31 octobre de chaque année, sans que soit imposée une présence effective du salarié au travail à cette date ; qu'en l'espèce, il est constant que le salarié remplissait la condition d'ancienneté et était présent dans les effectifs de l'entreprise les 31 octobre 2015 et 2016 ; qu'en retenant néanmoins que le salarié ne pouvait bénéficier de la prime motif pris que pour les années 2015 et 2016 il n'était pas effectivement dans l'entreprise au 31 octobre 2015 et 2016, étant alors en arrêt de travail", la cour d'appel a violé l'article 2.5 de l'annexe VIII de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1er de l'annexe VIII de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 et l'article 2.5 de la même annexe :
6. Selon le premier de ces textes, les dispositions de l'accord s'appliquent aux entreprises et aux personnels employés par elles qui, dans le cadre du champ d'application général de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité, exercent effectivement toutes activités de contrôle de sûreté des personnes, des bagages, du fret, des colis postaux, des aéronefs et des véhicules effectuées sur les aéroports français. Elles cessent de s'appliquer aux personnels concernés dès lors qu'ils ne sont plus affectés à une mission relevant de la sûreté aérienne et aéroportuaire au sens ci-dessus défini.
7. Aux termes du second, outre la prime de performance mentionnée à l'article 3.06 ci-après et spécifiquement eu égard aux pratiques salariales existantes pour d'autres métiers exercés sur les plates-formes aéroportuaires, les salariés entrant dans le champ d'application de la présente annexe perçoivent une prime annuelle de sûreté aéroportuaire égale à 1 mois du dernier salaire brut de base du salarié concerné, non cumulable dans l'avenir avec toute autre prime éventuelle versée annuellement. Cette prime est soumise à la totalité des cotisations sociales (assurance maladie, vieillesse et chômage, etc.)
Le versement de cette prime en une seule fois en novembre est subordonné à la double condition de 1 année d'ancienneté, au sens de l'article 6.05 des clauses générales de la convention collective nationale, et d'une présence au 31 octobre de chaque année. Cette prime n'est donc pas proratisable en cas d'entrée ou de départ en cours d'année, en dehors des cas de transfert au titre de l'accord conventionnel de reprise du personnel. Dans ce dernier cas, l'entreprise sortante réglera au salarié transféré ayant déjà acquis plus de 1 an d'ancienneté au moment de son départ le montant proratisé de cette prime pour la nouvelle période en cours. Le solde sera réglé par l'entreprise entrante à l'échéance normale du versement de la prime.
8. Il résulte de ces dispositions conventionnelles que la condition de présence du salarié au 31 octobre de chaque année s'entend de la présence dans les effectifs de l'entreprise, au 31 octobre de chaque année, du salarié affecté à une mission relevant de la sûreté aérienne et aéroportuaire telle que ces dispositions la définissent.
9. Pour rejeter la demande du salarié en paiement de la prime annuelle de sûreté aéroportuaire dite prime PASA, l'arrêt relève qu'il n'est nullement contesté que l'intéressé remplit la condition relative à son ancienneté, que cependant pour les années 2015 et 2016 il n'était pas présent effectivement dans l'entreprise au 31 octobre 2015 et 2016, étant alors en arrêt de travail.
10. Il retient que si la convention collective précitée prévoit une condition de présence à la date du paiement de la prime, le salarié, alors en arrêt de travail à cette date, ne peut y prétendre. Il ajoute qu'il s'agit d'une exigence de présence effective dans l'entreprise et non d'une exigence de présence continue aux effectifs comme a pu le soutenir le salarié.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [B] de ses demandes en paiement d'un rappel de prime de sûreté aéroportuaire et de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 14 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société ICTS Atlantique aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société ICTS Atlantique et la condamne à payer à M. [B] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [B]
M. [B] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de ses demandes de rappel de prime de sûreté aéroportuaire et de dommages et intérêts.
ALORS QUE le versement de la prime annuelle de sûreté aéroportuaire, en une seule fois en novembre, est subordonné à la double condition d'une année d'ancienneté et d'une présence au 31 octobre de chaque année, sans que soit imposée une présence effective du salarié au travail à cette date ; qu'en l'espèce, il est constant que le salarié remplissait la condition d'ancienneté et était présent dans les effectifs de l'entreprise les 31 octobre 2015 et 2016 ; qu'en retenant néanmoins que le salarié ne pouvait bénéficier de la prime motif pris que « pour les années2015 et 2016 il n'était pas effectivement dans l'entreprise au 31 octobre 2015 et 2016, étant alors en arrêt de travail », la cour d'appel a violé l'article 2.5 de l'annexe VIII de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985. | En application de l'article 2.5 de l'annexe VIII de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985, le versement aux salariés, entrant dans le champ d'application de cette annexe, d'une prime annuelle de sûreté aéroportuaire est subordonné à une double condition, la seconde étant la présence au 31 octobre de chaque année.
Il résulte de ce texte et de l'article 1 de la même annexe VIII que cette condition s'entend de la présence dans les effectifs de l'entreprise, au 31 octobre de chaque année, du salarié affecté à une mission relevant de la sûreté aérienne et aéroportuaire telle que les dispositions conventionnelles la définissent.
Dès lors viole ces textes la cour d'appel qui pour rejeter la demande du salarié en paiement de cette prime annuelle de sûreté aéroportuaire, dite prime PASA, au titre des années 2015 et 2016 retient que la condition de présence prévue par la convention collective s'entend d'une présence effective dans l'entreprise et non d'une présence continue aux effectifs et que l'intéressé, qui, alors en arrêt de travail, n'était pas présent effectivement dans l'entreprise au 31 octobre 2015 et 2016, ne pouvait prétendre à la prime qu'il sollicitait |
8,236 | SOC.
OR
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1142 FS-P
Pourvoi n° D 20-12.066
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [G] [C], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 20-12.066 contre l'arrêt rendu le 7 novembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-4), dans le litige l'opposant à la société Vintage Cruises, dont le siège est [Adresse 5] (Portugal), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Sornay, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [C], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Vintage Cruises, et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Sornay, conseiller rapporteur, M. Schamber conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Rouchayrole, Flores, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 novembre 2019), M. [C] a été engagé par la société Vintage Cruises pour la période du 2 juin 2017 au 30 mars 2022 en qualité d'officier mécanicien posté sur le navire de passagers « SS Delphine », immatriculé à Madère (Portugal) et propriété de cette société de droit portugais.
2. L'employeur a rompu unilatéralement ce contrat de travail avant son terme, le 17 septembre 2017.
3. Contestant cette décision, le salarié a fait procéder à [Localité 4] le 25 octobre 2017 à une saisie conservatoire de ce navire, en garantie d'une créance de salaires et indemnités liée à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail évaluée à 310 000 euros.
4. Il a par ailleurs saisi au fond le 9 novembre 2017 le conseil de prud'hommes de Nice afin d'obtenir le paiement par l'employeur de ces salaires et indemnités.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré compétent pour juger le différend l'opposant à son employeur et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors « que les tribunaux de l'État dans lequel la saisie d'un navire a été opérée sont compétents pour statuer sur le fond du procès, lorsque le demandeur a sa résidence habituelle dans cet État ; que, pour dire le conseil de prud'hommes de Nice incompétent pour statuer sur la créance salariale de M. [C], marin sur le navire SS Delphine, la cour d'appel a retenu que s'il avait été judiciairement autorisé à saisir en France, la saisie opérée a cessé de produire ses effets attributifs de compétence à la suite de sa mainlevée contre séquestre et que les tribunaux français ne peuvent se prononcer sur le fond du droit que si leur compétence est fondée sur une autre règle que celle régissant l'action conservatoire ; qu'en statuant ainsi, quand la seule résidence habituelle en France du créancier saisissant, constatée par l'arrêt, fondait la compétence internationale de la juridiction française pour statuer au fond, la cour d'appel, qui a ajouté, à l'article 7, 1 a de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles concernant la saisie conservatoire des navires de mer, une condition qu'il ne comporte pas, a violé ce texte ».
Réponse de la Cour
Vu les articles 5 et 7, § 1, de la convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer :
6. Selon le premier de ces textes, le tribunal ou toute autre autorité judiciaire compétente dans le ressort duquel le navire a été saisi, accordera la mainlevée de la saisie lorsqu'une caution ou une garantie suffisantes auront été fournies, sauf dans le cas où la saisie est pratiquée en raison des créances maritimes énumérées à l'article premier ci-dessus, sous les lettres o et p ; en ce cas, le juge peut permettre l'exploitation du navire par le possesseur, lorsque celui-ci aura fourni des garanties suffisantes, ou régler la gestion du navire pendant la durée de la saisie. Faute d'accord entre les parties sur l'importance de la caution ou de la garantie, le tribunal ou l'autorité judiciaire compétente en fixera la nature et le montant. La demande de mainlevée de la saisie moyennant une telle garantie, ne pourra être interprétée ni comme une reconnaissance de responsabilité, ni comme une renonciation au bénéfice de la limitation légale de la responsabilité du propriétaire du navire.
7. Selon le second, les tribunaux de l'État dans lequel la saisie d'un navire a été opérée sont compétents pour statuer sur le fond du procès, soit si ces tribunaux sont compétents en vertu de la loi interne de l'État dans lequel la saisie est pratiquée, soit dans certains autres cas, nommément définis.
8. Pour infirmer le jugement et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt retient que s'il est exact que le salarié a sa résidence habituelle au [Localité 3] et qu'en droit interne français, l'article R. 1412-1 du code du travail permet au salarié de saisir le conseil de prud'hommes « du lieu où l'engagement a été contracté », en l'espèce le port français de [Localité 2], la saisie conservatoire pratiquée à sa demande a été levée contre séquestre, par une convention régularisée « à une date qui n'est pas précisée », de sorte que la compétence spécifique de la juridiction ayant ordonné cette mesure aux fins de fixer la créance maritime et éventuellement de rendre un titre exécutoire permettant la vente forcée du bien a cessé par l'effet de cette mainlevée, qui interdit désormais l'appréhension matérielle de ce navire.
9. En statuant ainsi, alors qu'il résulte des articles 5 et 7, § 1, de cette convention que la mainlevée de la saisie d'un navire moyennant la constitution d'une garantie n'a pas pour effet de remettre en cause la compétence des tribunaux de l'État dans lequel la saisie du navire a été opérée pour statuer sur le fond du procès, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquence de la cassation
10. Il est fait application, ainsi qu'il est suggéré en demande, des articles L. 411-3 alinéa 1er du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. La cassation prononcée n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, il n'y a, en effet, pas lieu à renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que l'affaire se poursuit au fond devant le conseil de prud'hommes de Nice ;
Condamne la société Vintage Cruises aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Vintage Cruises et la condamne à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour M. [C]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement du 22 janvier 2019 par lequel le conseil de prud'hommes de Nice s'était déclaré compétent pour juger le différend opposant M. [C] à la société Vintage Cruises et d'AVOIR renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
AUX MOTIFS QUE « sur la compétence du "forum arresti", le salarié a été autorisé par une ordonnance du juge de l'exécution près le tribunal de grande instance de Marseille signée le 25 octobre 2017 à saisir à titre conservatoire le navire "SS Delphine" en garantie d'une créance évaluée à 310 000 euros ; l'article 7-1 de la convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer dispose que : "Les tribunaux de l'État dans lequel la saisie a été opérée seront compétents pour statuer sur le fond du procès : - soit si ces tribunaux sont compétents en vertu de la loi interne de l'État dans lequel la saisie a été pratiquée, - soit dans les cas suivants, nommément définis : a) si le demandeur a sa résidence habituelle ou son principal établissement dans l'État ou la saisie a été pratiquée
" ; mais s'il est exact que M. [C] a sa résidence habituelle au [Localité 3] (Seine-Maritime) et qu'en droit interne français, l'article R. 1412-1 du code du travail permet au salarié de saisir le conseil de prud'hommes "du lieu où l'engagement a été contracté", en l'espèce le port français de [Localité 2], la saisie conservatoire pratiquée à sa demande a été levée contre séquestre par une convention régularisée à une date qui n'est pas précisée, de sorte que la compétence spécifique de la juridiction ayant ordonné cette mesure aux fins de fixer la créance maritime et éventuellement de rendre un titre exécutoire permettant la vente forcée du bien a cessé par l'effet de cette mainlevée qui interdit désormais l'appréhension matérielle de ce navire ; par ailleurs, et surtout, il convient, en matière de droit international privé, de séparer l'action conservatoire de l'action au fond qui, elle, résulte des normes nationales, internationales ou conventionnelles ; en ce sens, si les juridictions françaises sont seules compétentes pout statuer sur la validité d'une saisie pratiquée en France et apprécier, à cette occasion, le principe de la créance, les tribunaux ne peuvent se prononcer sur le fond du droit que si leur compétence est fondée sur une autre règle (nationale, internationale ou conventionnelle) ; la compétence du "forum arresti" trouve là sa limite ; le moyen principal soutenu par le conseil du salarié n'est donc pas en soi opérant » ;
ET QUE « sur le droit européen applicable, il résulte de ses propres constatations que le travailleur accomplissait la majeure partie de son travail en dehors des eaux territoriales françaises puisque le relevé des trajets effectués par le navire qu'il produit aux débats (sa pièce 2) établit que durant les trois mois et demi de son service M. [C] a été en mer, en dehors des eaux territoriales, du 12 juillet au 8 septembre 2017, ce qui, rapporté à la durée de l'effectivité de son engagement, autorise son employeur à conclure que son salarié n'accomplissait pas habituellement son travail en France ; par ailleurs, le navire affrété par la société Vintage Cruises n'est pas un "établissement" au sens de l'article 21 précité, dès lors que cet instrument de travail ne dispose aucunement d'une autonomie juridique propre à retenir cette qualification, de sorte que ce marin doit être réputé n'ayant jamais accompli son travail dans un même pays et que le juge territorialement compétent pour connaître de son litige envers son employeur s'entend dans cette hypothèse de la juridiction du lieu "où se trouvait l'établissement qui a embauché le travailleur", soit, au cas d'espèce, le siège situé à Madère de la société de droit portugais Vintage Cruises » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE les tribunaux de l'État dans lequel la saisie d'un navire a été opérée sont compétents pour statuer sur le fond du procès, lorsque le demandeur a sa résidence habituelle dans cet État ; que, pour dire le conseil de prud'hommes de Nice incompétent pour statuer sur la créance salariale de M. [C], marin sur le navire SS Delphine, la cour d'appel a retenu que s'il avait été judiciairement autorisé à saisir en France, la saisie opérée a cessé de produire ses effets attributifs de compétence à la suite de sa mainlevée contre séquestre et que les tribunaux français ne peuvent se prononcer sur le fond du droit que si leur compétence est fondée sur une autre règle que celle régissant l'action conservatoire ; qu'en statuant ainsi, quand la seule résidence habituelle en France du créancier saisissant, constatée par l'arrêt, fondait la compétence internationale de la juridiction française pour statuer au fond, la cour d'appel, qui a ajouté, à l'article 7, 1 a de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles concernant la saisie conservatoire des navires de mer, une condition qu'il ne comporte pas, a violé ce texte ;
ALORS, AUSSI ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE la cour d'appel, qui a elle-même constaté que M. [C] a sa résidence habituelle au [Localité 3] et que l'engagement avait été contracté dans le port français de [Localité 2], ce qui, conformément à l'article R 1412-1 du code du travail permettait au salarié de saisir le juge prud'homal français, ne pouvait renvoyer les parties à mieux se pourvoir au prétexte « qu'à une date qui n'est pas précisée », la saisie conservatoire du navire « SS Delphine » avait été levée contre séquestre ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé derechef l'article 7, 1 a de la Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 et l'article R 1412-1 précité ;
ALORS, ENCORE ET EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail s'entend, dans le secteur des transports, tel le secteur maritime, du lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que du lieu où se trouvent ses outils de travail ; qu'en retenant l'incompétence de la juridiction française pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de son employeur par le salarié au prétexte que celui-ci n'accomplissait pas habituellement son travail dans les eaux territoriales françaises, de sorte qu'était compétente la juridiction portugaise du lieu où se trouvait l'établissement qui avait embauché le travailleur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par le salarié (conclusions, p. 17, § 2 à 8), s'il ne résultait pas d'un faisceau d'indices constitués par les lieux d'embarquement du salarié et d'amarrage du navire que le port de [Localité 2] constituait le port d'attache et donc le lieu à partir duquel le marin accomplissait habituellement son travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21 1 b du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
ALORS, ENFIN ET EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE la compétence de la juridiction du lieu où se trouve, ou se trouvait, l'établissement qui a embauché le travailleur est subsidiaire par rapport à celle du lieu où, ou à partir duquel, le travailleur accomplit habituellement son travail ou à celle du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; qu'en retenant l'incompétence de la juridiction française pour statuer sur les demandes formées à l'encontre de son employeur par le salarié au prétexte que celui-ci n'accomplissait pas habituellement son travail en France, de sorte qu'était compétente la juridiction portugaise du lieu où se trouvait l'établissement qui avait embauché le travailleur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée par le salarié (conclusions, p. 16 in fine et p. 17, in fine), s'il ne résultait pas d'un faisceau d'indices constitué par la signature du contrat, par l'embarquement du marin et par l'amarrage du navire dans le port français de [Localité 2] que, nonobstant la navigation ultérieure du navire en dehors des eaux territoriales françaises, la France était le dernier lieu où M. [C] avait accompli habituellement son travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 21 1 b du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale | Il résulte des articles 5 et 7, § 1, de la Convention internationale de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l'unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer, que la mainlevée de la saisie d'un navire moyennant la constitution d'une garantie n'a pas pour effet de remettre en cause la compétence des tribunaux de l'État dans lequel la saisie du navire a été opérée pour statuer sur le fond du procès |
8,237 | SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1144 FS-B+R
Pourvoi n° V 21-14.178
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [V] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-14.178 contre l'arrêt rendu le 27 janvier 2021 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à la société Garage du Poteau de Senlis dépannage, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. [K], de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Garage du Poteau de Senlis dépannage, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 27 janvier 2021), M. [K] a été engagé à compter du 12 décembre 1988 comme dépanneur par la société Garage du Poteau de Senlis dépannage, qui exerce une activité de dépannage de véhicules à la demande des particuliers, des professionnels ainsi que des compagnies d'assurance et d'assistance et assure une permanence pour intervenir sur une portion délimitée d'autoroute.
2. Les parties étaient convenues d'une rémunération mensuelle brute de 1 782,63 euros et du paiement des heures supplémentaires et repos compensateurs au moyen d'une commission de 10 % du chiffre d'affaires du dépannage poids-lourds et d'une commission de 20 % du chiffre d'affaires du dépannage véhicules légers, pour les interventions réalisées en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise.
3. Le 10 décembre 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire du contrat de travail et en paiement de diverses sommes.
4. Le salarié a été licencié le 27 juin 2017.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses trois dernières branches et le troisième moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de toutes ses demandes et notamment de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, au titre de la rupture brutale du contrat de travail, au titre du non-respect de la durée légale, au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents, au titre du repos compensateur, outre congés payés afférents, au titre du travail dissimulé, de nullité de son licenciement et de toutes les indemnités afférentes et subsidiairement de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de toutes les indemnités afférentes, alors « que ayant expressément retenu que le salarié, dépanneur autoroutier de la société, au cours des périodes dites « d'astreinte » litigieuses de 15 jours consécutifs, « était tenu de se tenir en permanence ou à proximité immédiate des ou dans les locaux de l'entreprise, en dehors des heures et jours d'ouverture, afin de répondre sans délai à toute demande d'intervention » et qu'il était à cette fin muni d'un téléphone et intervenait à la demande d'un dispatcheur affecté à la réception continue des appels d'urgence, la cour d'appel qui conclut que l'organisation telle qu'elle résulte des pièces et documents versés aux débats lui permettent « de dire que ces périodes étaient des astreintes et non pas des permanences constituant un temps de travail effectif », sans nullement rechercher ni apprécier, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si, au regard des sujétions auxquelles le salarié était effectivement soumis au cours des périodes litigieuses, ce dernier n'était pas en permanence à la disposition de son employeur et s'il pouvait ou non vaquer librement à ses occupations personnelles, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L 3121-5 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L 3121-9 dudit code dans sa rédaction issue de cette loi et L 3121-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3121-1 du code du travail et l'article L. 3121-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
7. Aux termes du premier de ces textes, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
8. Selon le second, constitue au contraire une astreinte la période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif.
9. La Cour de justice de l'Union européenne juge que relève de la notion de "temps de travail effectif", au sens de la directive 2003/88, l'intégralité des périodes de garde, y compris celles sous régime d'astreinte, au cours desquelles les contraintes imposées au travailleur sont d'une nature telle qu'elles affectent objectivement et très significativement la faculté, pour ce dernier, de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts. Inversement, lorsque les contraintes imposées au travailleur au cours d'une période de garde déterminée n'atteignent pas un tel degré d'intensité et lui permettent de gérer son temps et de se consacrer à ses propres intérêts sans contraintes majeures, seul le temps lié à la prestation de travail qui est, le cas échéant, effectivement réalisée au cours d'une telle période constitue du "temps de travail", aux fins de l'application de la directive 2003/88 (CJUE 9 mars 2021, C-344/19, D.J. c/Radiotelevizija Slovenija, points 37 et 38).
10. Pour débouter le salarié de ses demandes à titre d'heures supplémentaires, l'arrêt retient que, conformément aux dispositions de la convention collective applicable, les dépanneurs de la société étaient tenus de se tenir en permanence ou à proximité immédiate des ou dans les locaux de l'entreprise, en dehors des heures et jours d'ouverture, afin de répondre sans délai à toute demande d'intervention. L'arrêt ajoute qu'il était constitué des équipes de trois ou quatre dépanneurs, munis d'un téléphone qui intervenaient à la demande du dispatcheur, lequel contrairement aux autres salariés, était spécialement affecté à la réception continue des appels d'urgence. L'arrêt en déduit que ces périodes étaient des astreintes et non pas des permanences constituant un temps de travail effectif.
11. En se déterminant ainsi, alors que le salarié invoquait le court délai d'intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l'appel de l'usager, sans vérifier si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d'astreinte, à des contraintes d'une intensité telle qu'elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours de ces périodes, le temps pendant lequel ses services professionnels n'étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « que si l'article 1.09 d) de la convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile du 15 janvier 1981, applicable, prévoit que « Lorsque des dépassements fréquents ou répétitifs de l'horaire collectif sont prévisibles, le paiement des heures supplémentaires peut être inclus dans la rémunération mensuelle sous la forme d'un forfait
. », un tel forfait, assis sur un salaire mensuel, doit être d'un montant fixe et ne peut être constitué d'une rémunération sous forme de commission sur le chiffre d'affaires réalisé lors des dépannages accomplis en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise ; qu'en retenant qu'en vertu des dispositions précitées de la convention collective et de la lettre du 1er mars 2000 signée par l'exposant aux termes de laquelle ce dernier aurait accepté que ses heures supplémentaires ne lui soient pas payées « en heures supplémentaires avec la majoration correspondante » mais « sous forme d'une commission sur le chiffre d'affaires hors taxes réalisé de nuit », les heures supplémentaires effectuées par l'exposant et les repos compensateurs dûs lors du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires de 220 heures ont été rémunérées sous forme d'une commission calculée en pourcentage du chiffre d'affaires du dépannage poids-lourds et du dépannage véhicules légers, réalisés en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise et que « ce forfait est licite » la cour d'appel a violé les articles 1.09 d) et 1.09 bis de la convention collective précitée ensemble l'article L 3121-28 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 212-5 du code du travail, alors en vigueur, et l'article 1.09 d) de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile du cycle, du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981 :
13. Selon le second de ces textes, lorsque des dépassements fréquents ou répétitifs de l'horaire collectif sont prévisibles, le paiement des heures supplémentaires peut être inclus dans la rémunération mensuelle sous la forme d'un forfait. Le nombre d'heures sur lequel est calculé le forfait doit être déterminé en respectant la limite du nombre d'heures prévu par le contingent annuel d'heures supplémentaires visé à l'article 1.09 bis ou, exceptionnellement, d'un nombre supérieur autorisé par l'inspecteur du travail. L'inclusion du paiement des heures supplémentaires dans la rémunération forfaitaire ne se présume pas. Elle doit résulter d'un accord de volonté non équivoque des parties, d'une disposition expresse du contrat de travail ou d'un avenant à celui-ci. La rémunération forfaitaire convenue doit être au moins égale au minimum mensuel garanti applicable au salarié, complété par une majoration pour les heures supplémentaires comprises dans le forfait, majoration calculée comme indiqué à l'annexe " Salaires minima ". Ce forfait s'accompagne d'un mode de contrôle de la durée réelle du travail, qui doit être conforme aux prescriptions de l'article 1.09 a.
14. La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait.
15. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que le salarié a, dans une lettre du 1er mars 2000, donné son accord pour que les heures supplémentaires soient payées sous forme d'une commission sur le chiffre d'affaires hors taxes réalisé de nuit. L'arrêt ajoute que les heures supplémentaires effectuées par le salarié et les repos compensateurs lors du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires de 220 heures ont été rémunérés sous forme d'une commission de 10 % du chiffre d'affaires du dépannage poids-lourds et d'une commission de 20 % du chiffre d'affaires du dépannage véhicules légers réalisés en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise. L'arrêt en déduit que le forfait est licite.
16. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que le salarié avait effectué 737,47 heures supplémentaires en 2013, 873,31 en 2014 et 762,46 en 2015 hors astreinte et qu'il résultait de ses constatations que le forfait convenu entre les parties ne précisait ni le nombre d'heures incluses dans le forfait ni la rémunération mensuelle correspondante, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
La cassation sur les chefs de dispositif critiqués par les deuxième et troisième moyens, qui porte sur les demandes de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents, n'entraîne pas la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif rejetant la demande en nullité du licenciement et en paiement des indemnités afférentes, qui ne s'y rattache pas par un lien de dépendance nécessaire ou d'indivisibilité.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [K] de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, en nullité de son licenciement et en paiement des indemnités afférentes, de dommages-intérêts pour voie de fait et d'une indemnité pour défaut de formation, l'arrêt rendu le 27 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Garage du Poteau de Senlis dépannage aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Garage du Poteau de Senlis dépannage et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour M. [K]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR débouté l'exposant de toutes ses demandes et notamment de dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, de nullité de son licenciement et de toutes les indemnités y afférentes dont le doublement de l'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages et intérêts pour voie de fait ;
1°) ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l'affirmative, il revient alors au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'au soutien de la reconnaissance du harcèlement moral dont il avait été victime, l'exposant avait invoqué et offert de démontrer plusieurs faits et agissements dont il avait été victime et qui avaient eu pour effet d'entraîner une dégradation de ses conditions de travail, de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale et de compromettre son avenir professionnel, ainsi que cela ressortait encore des nombreux éléments médicaux qu'il produisait ; qu'en écartant d'abord les nombreuses attestations versées par l'exposant et décrivant de manière concordante son supérieur hiérarchique, Monsieur [X], comme une personne instable, colérique et agressive, s'emportant verbalement « tout en se levant de son siège donnant l'impression d'être prêt à en découdre avec son interlocuteur » et notamment celle de Madame [N] évoquant l'animosité de M. [X] à l'égard de l'exposant au motif notamment que « l'employeur verse des attestations en sens contraire », puis en justifiant le fait que M. [X] avait finalement été muté dans la holding, le 1er septembre 2016, se trouvant confiné à des tâches administratives sans plus de rapport avec les dépanneurs par le fait que cette décision de l'employeur « s'est inscrite dans une démarche de rationalité économique », puis en écartant les certificats médicaux et autres pièces médicales attestant de la dégradation de l'état de santé de l'exposant comme étant « insuffisants à eux-seuls à laisser présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral s'ils ne sont pas corroborés par d'autres éléments objectifs », la cour d'appel a procédé à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par l'exposant, en justifiant chacun d'eux pris isolément, sans nullement apprécier si, pris dans leur ensemble, les éléments ainsi matériellement établis, dont les documents médicaux relatifs à une altération de l'état de santé de l'exposant, ne laissaient pas présumer l'existence d'un harcèlement moral et a violé les articles L 1152-1 du code du travail et L 1154-1 dudit code ;
2°) ALORS QUE pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge de prendre en compte tous les éléments invoqués par le salarié ; qu'au titre du harcèlement moral, l'exposant avait notamment fait valoir que le 27 novembre 2015 Monsieur [X] s'en était pris à lui, en lui adressant des insultes, menaces voire menaces de mort, que l'exposant n'avait eu de salut que dans la fuite et qu'il avait immédiatement déposé une main-courante auprès de la police pour dénoncer ces faits qui participaient au harcèlement moral dont il avait été victime, ; qu'en se bornant à constater de manière inopérante que « le salarié appelant ne sollicite pas l'annulation de la sanction disciplinaire de mise à pied prise le 18 décembre 2015 en relation notamment avec l'incident l'ayant opposé à Monsieur [X] le 27 novembre 2015 alors même qu'il en conteste les circonstances et qu'il a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour ces faits, suite au classement sans suite de sa plainte initiale » sans prendre en compte cet « incident », dont elle avait pourtant constaté la réalité et qui avait été qualifié par l'employeur dans sa lettre du 18 décembre 2015 d'« altercation violente avec Monsieur [H] [X] contraignant un collaborateur de notre société à intervenir pour vous séparer », ni apprécier si, pris avec les autres éléments matériellement établis, il ne faisait pas présumer l'existence d'un harcèlement moral dont avait été victime l'exposant, la cour d'appel a violé l'article L 1154-1 du code du travail,
3°) ALORS à titre subsidiaire QUE la charge de la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié qui n'est tenu que de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement ; qu'à supposer qu'elle ait retenu, par motifs adoptés des premiers juges que, si Monsieur [K] expose avoir été victime le 27 novembre 2015 d'une agression de la part de Monsieur [X] sur son lieu de travail et verse la déclaration de main-courante dans laquelle il explique que Monsieur [X] lui a lancé plusieurs insultes ou grossièretés l'a menacé de coup avant de se diriger vers lui pour le frapper ce que trois salariés l'ont empêché de faire par leur intervention, « toutefois Monsieur [K] ne produit aucun élément corroborant ses déclarations » la cour d'appel qui a fait peser la charge de la preuve du harcèlement moral sur le salarié a violé l'article L 1154-1 du code du travail ;
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR débouté l'exposant de toutes ses demandes et notamment de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, au titre de la rupture brutale du contrat de travail, au titre du non-respect de la durée légale, au titre des heures supplémentaires outre congés payés y afférents, au titre du repos compensateur, outre congés payés y afférents, au titre du travail dissimulé, de nullité de son licenciement et de toutes les indemnités y afférentes et subsidiairement de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de toutes les indemnités y afférentes ;
1°) ALORS QU' ayant expressément retenu que l'exposant, dépanneur autoroutier de la société, au cours des périodes dites « d'astreinte » litigieuses de 15 jours consécutifs, « était tenu de se tenir en permanence ou à proximité immédiate des ou dans les locaux de l'entreprise, en dehors des heures et jours d'ouverture, afin de répondre sans délai à toute demande d'intervention » et qu'il était à cette fin muni d'un téléphone et intervenait à la demande d'un dispatcheur affecté à la réception continue des appels d'urgence, la cour d'appel qui conclut que l'organisation telle qu'elle résulte des pièces et documents versés aux débats lui permettent « de dire que ces périodes étaient des astreintes et non pas des permanences constituant un temps de travail effectif », sans nullement rechercher ni apprécier, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si, au regard des sujétions auxquelles l'exposant était effectivement soumis au cours des périodes litigieuses, ce dernier n'était pas en permanence à la disposition de son employeur et s'il pouvait ou non vaquer librement à ses occupations personnelles, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L 3121-5 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L 3121-9 dudit code dans sa rédaction issue de cette loi et L 3121-1 du code du travail ;
2°) ALORS D'AUTRE PART QUE tout jugement doit être motivé ; qu'après avoir expressément retenu que l'exposant, dépanneur autoroutier de la société, au cours des périodes dites d'astreinte litigieuses de 15 jours consécutifs, « était tenu de se tenir en permanence ou à proximité immédiate des ou dans les locaux de l'entreprise, en dehors des heures et jours d'ouverture, afin de répondre sans délai à toute demande d'intervention » et qu'il était à cette fin muni d'un téléphone et intervenait à la demande d'un dispatcheur affecté à la réception continue des appels d'urgence, la cour d'appel qui conclut que « l'organisation telle qu'elle résulte des pièces et documents versés aux débats permettent à la cour de dire que ces périodes étaient des astreintes et non pas des permanences constituant un temps de travail effectif » sans nullement préciser la nature et le contenu des « pièces et documents versés aux débats » sur lesquels elle se serait ainsi fondée, ni procédé à leur analyse même sommaire, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS DE TROISIÈME PART et à titre subsidiaire QUE l'article 1.10 e) 1. « Permanences de service » de la convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile du 15 janvier 1981, applicable, prévoit que « le contrat de travail peut donc comporter une clause d'astreinte », que « Les salariés dont le contrat de travail prévoit une clause d'astreinte doivent être normalement assurés de bénéficier, entre chaque période quotidienne de travail, d'un repos au moins égal à 11 heures consécutives » et encore que « La rémunération spécifique des astreintes, leurs modalités (permanence tenue au domicile ou en tout lieu autre que le lieu de travail, contact programmé avec une centrale d'appel...), les conditions de repos journalier et hebdomadaire et les compensations en repos visées ci-avant doivent être indiquées dans le contrat de travail. » ; que l'exposant avait fait valoir qu'en vertu de ce texte, si l'employeur veut mettre en place un système s'astreinte il peut le faire, mais doit impérativement le faire à travers une disposition du contrat de travail, qu'il s'agit là d'une condition nécessaire et indispensable à défaut de laquelle l'employeur ne peut pas invoquer les dispositions spécifiques de l'astreinte (conclusions d'appel p 30 et 31) ; qu'en affirmant qu'aucune disposition de la convention collective n'impose à peine de nullité que l'astreinte soit formalisée au contrat de travail, les modalités étant fixées par l'employeur conformément aux dispositions de l'article L 3121-7 du code du travail et qu'il suffit que le salarié soit informé de celles-ci et de ses conditions de travail, la cour d'appel a violé les dispositions précitées de la convention collective ensemble l'article L 3121-1 du code du travail ;
4°) ALORS ENFIN QUE l'article 1.10 e) 1. « Permanences de service » de la convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile du 15 janvier 1981, applicable, prévoit notamment à la charge de l'employeur que « La programmation individuelle des périodes d'astreinte doit être portée à la connaissance de chaque salarié concerné 15 jours à l'avance, sauf circonstances exceptionnelles et sous réserve que le salarié en soit averti au moins 1 jour franc à l'avance
.En fin de mois, l'employeur doit remettre à chaque salarié concerné un document récapitulant le nombre d'heures d'astreinte effectuées par celui-ci au cours du mois écoulé ainsi que la compensation correspondante. » ; que l'exposant avait fait valoir qu'en l'espèce l'employeur ne s'était jamais conformé à ces obligations de sorte qu'il ne pouvait se prévaloir des dispositions propres aux astreintes (conclusions d'appel p 31) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen pertinent des conclusions d'appel dont elle était saisie, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
LE POURVOI REPROCHE À L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR débouté l'exposant de toutes ses demandes et notamment de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, au titre de la rupture brutale du contrat de travail, au titre du non-respect de la durée légale, au titre des heures supplémentaires outre congés payés y afférents, au titre du repos compensateur, outre congés payés y afférents, au titre du travail dissimulé, de nullité de son licenciement et de toutes les indemnités y afférentes et subsidiairement de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de toutes les indemnités y afférentes ;
1°) ALORS D'UNE PART QUE si l'article 1.09 d) de la convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile du 15 janvier 1981, applicable, prévoit que « Lorsque des dépassements fréquents ou répétitifs de l'horaire collectif sont prévisibles, le paiement des heures supplémentaires peut être inclus dans la rémunération mensuelle sous la forme d'un forfait
. », un tel forfait, assis sur un salaire mensuel, doit être d'un montant fixe et ne peut être constitué d'une rémunération sous forme de commission sur le chiffre d'affaires réalisé lors des dépannages accomplis en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise ; qu'en retenant qu'en vertu des dispositions précitées de la convention collective et de la lettre du 1er mars 2000 signée par l'exposant aux termes de laquelle ce dernier aurait accepté que ses heures supplémentaires ne lui soient pas payées « en heures supplémentaires avec la majoration correspondante » mais « sous forme d'une commission sur le chiffre d'affaires hors taxes réalisé de nuit », les heures supplémentaires effectuées par l'exposant et les repos compensateurs dûs lors du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires de 220 heures ont été rémunérées sous forme d'une commission calculée en pourcentage du chiffre d'affaires du dépannage poids-lourds et du dépannage véhicules légers, réalisés en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise et que « ce forfait est licite » (arrêt p 9) la cour d'appel a violé les articles 1.09 d) et 1.09 bis de la convention collective précitée ensemble l'article L 3121-28 du code du travail ;
2°) ALORS D'AUTRE PART QUE l'article 1.09 d) de la convention collective nationale du commerce et de la réparation automobile du 15 janvier 1981, applicable prévoit que « Lorsque des dépassements fréquents ou répétitifs de l'horaire collectif sont prévisibles, le paiement des heures supplémentaires peut être inclus dans la rémunération mensuelle sous la forme d'un forfait. Le nombre d'heures sur lequel est calculé le forfait doit être déterminé en respectant la limite du nombre d'heures prévu par le contingent annuel d'heures supplémentaires visé à l'article 1.09 bis ou, exceptionnellement, d'un nombre supérieur autorisé par l'inspecteur du travail. (
.). Ce forfait s'accompagne d'un mode de contrôle de la durée réelle du travail, qui doit être conforme aux prescriptions de l'article 1.09 a. » ; qu'il en résulte que ce forfait n'est pas applicable et ne peut rémunérer les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel de 220 heures supplémentaires prévu par l'article 1.09 bis c) de la convention collective, lesquelles doivent être rémunérées sous la forme d'un complément de salaire assorti d'une majoration égale à 30 % du salaire de base, s'ajoutant à ce dernier conformément aux dispositions de l'article 1.09 bis g) de la convention collective ; qu'ayant expressément constaté que l'exposant avait réalisé 737,47 heures supplémentaires en 2013, 873,31 heures en 2014 et 762,46 heures en 2015 hors astreinte la cour d'appel qui énonce qu'est licite le « forfait » rémunérant l'ensemble de ces heures supplémentaires sous forme d'une commission calculée en pourcentage du chiffre d'affaires du dépannage poids-lourds et véhicules légers réalisés en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise a violé les articles 1.09 d) et 1.09 bis de la convention collective précitée ensemble l'article L 3121-28 du code du travail ;
3°) ALORS ENFIN et à titre subsidiaire QUE l'exposant avait fait valoir qu'il ressortait des termes clairs et précis de la lettre du 1er mars 2000 portant accord sur une rémunération forfaitaire pour les heures supplémentaires effectuées selon lesquels : « Suite à la mise en application de la loi des 35 heures et de l'utilisation du contingent d'heures supplémentaires, vous avez organisé une réunion entre tous les dépanneurs du garage en février 2000. Vous nous avez fait deux propositions : Soit que les dépannages effectués en dehors des heures d'ouverture du Garage – c'est-à dire en heures supplémentaires - nous soient payées en heures supplémentaires avec la majoration correspondante Soit qu'ils nous soient payés sous la forme d'une commission sur le chiffre d'affaire hors taxes réalisé de nuit. Après réflexion de ma part, je vous demande à ce que mes heures supplémentaires me soient payées sous forme d'une commission sur le chiffre d'affaire hors taxes réalisé de nuit », que ladite rémunération forfaitaire à la supposer même licite, ne couvrait pas l'indemnisation des repos compensateurs générés par les nombreuses heures supplémentaires accomplies (conclusions d'appel p 37) ; qu'en affirmant qu'en vertu de cet accord les heures supplémentaires effectuées par le salarié et les repos compensateurs dûs lors du dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires de 220 heures ont été rémunérés sous forme d'une commission de 10 % du chiffre d'affaires du dépannage poids-lourds et d'une commission de 20 % du chiffre d'affaires du dépannage véhicule légers en dehors des horaires d'ouverture de l'entreprise, la cour d'appel a dénaturé les termes et clairs et précis de la lettre susvisée dont il ne ressortait pas que les repos compensateurs étaient rémunérés dans le cadre de la commission forfaitaire convenue pour la rémunération des seules heures supplémentaires accomplies et a méconnu le principe faisant interdiction au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; | Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui, alors que le salarié invoquait le court délai d'intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l'appel de l'usager, a écarté la demande en requalification d'une période d'astreinte en temps de travail effectif, sans vérifier si le salarié avait été soumis, au cours de cette période, à des contraintes d'une intensité telle qu'elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement au cours de cette période, le temps pendant lequel ses services professionnels n'étaient pas sollicités et de vaquer à des occupations personnelles |
8,238 | SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1145 FS-B
Pourvoi n° T 21-15.142
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
1°/ Mme [X] [K],
2°/ M. [Y] [Z],
tous deux domiciliés [Adresse 2] et agissant en qualité d'inspecteurs du travail de l'unité de contrôle n°1 du Var de la Direccte de Paca,
3°/ M. [P] [T],
4°/ Mme [G] [H],
tous deux domiciliés [Adresse 2] et agissant en qualité d'inspecteurs du travail de l'unité de contrôle n°3 du Var de la Direccte de Paca,
ont formé le pourvoi n° T 21-15.142 contre l'arrêt rendue le 14 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-2), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Distribution Casino France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], exploitant le supermarché Casino de [Localité 4],
2°/ au syndicat Union départementale CGT du Var, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La société Distribution Casino France a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [K], MM. [Z], [T] et de Mme [H], ès qualités, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Distribution Casino France, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 janvier 2021), rendu en référé, l'arrêté du préfet du Var du 12 février 1969 a décidé la fermeture, sur tout le territoire du Var, de tous les magasins d'alimentation ou parties d'établissements sédentaires ou ambulants dans lesquels il est vendu des denrées alimentaires de toute nature, au choix du chef d'établissement, soit la journée entière du dimanche, soit la journée entière le lundi, soit du dimanche midi au lundi midi.
2. A la suite d'un contrôle effectué les 20 et 21 octobre 2019 dans le supermarché Casino de [Localité 4], ouvert au public et ayant pour activité principale la vente de produits et d'articles alimentaires, les inspecteurs du travail des unités de contrôle n° 1 et n° 3 du Var de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Provence Alpes Côte d'Azur ont saisi le juge des référés d'un tribunal judiciaire afin d'obtenir la fermeture de ce magasin en application de l'arrêté du 12 février 1969.
Examen du moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
3. Les inspecteurs du travail font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de fermeture sous astreinte le dimanche du supermarché Casino de [Localité 4], alors :
« 1° / que la violation d'un arrêté préfectoral de fermeture des commerces alimentaires dont la légalité n'est pas sérieusement contestée constitue un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué, ''que le supermarché Casino de [Localité 4] est ouvert le dimanche et le lundi toute la journée, contrevenant ainsi à l'interdiction posée par... l'arrêté du 12 février 1969, pris en application de l'accord sur les modalités de fermeture hebdomadaire des commerces concernés intervenu le 15 janvier 1969 [...lequel] a décidé en son article 1er : ''Sur tout le territoire du département du Var, tous les magasins d'alimentation ou parties d'établissements sédentaires ou ambulants dans lesquels il est vendu des denrées alimentaires de toute nature, au détail à l'exclusion des commerces de boulangerie, boulangerie-pâtisserie et pâtisserie - seront fermés à la clientèle une journée par semaine laissée, au départ, au choix du chef d'établissement, à savoir : - Soit la journée entière du dimanche, - soit la journée entière du lundi, - soit du dimanche midi au lundi midi'' ; que par ailleurs, ''la contestation portant sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 12 février 1969 n'est pas sérieuse'' ; qu'enfin ''sont employés sur site le dimanche à tout le moins les employés d'une société de gardiennage'' ; qu'en déboutant cependant les inspecteurs du travail des unités de contrôle n° 1 et n° 3 du Var de la Direccte de Provence Alpes Côte d'Azur de leur action tendant à faire cesser le trouble manifestement illicite ainsi causé la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 3132-29 et L. 3132-31 du code du travail, ensemble l'article 873 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il n'appartient qu'à l'autorité administrative, auteur de l'arrêté d'interdiction prévu par l'article L. 3132-29 du code du travail, de préciser les bénéficiaires de l'exception introduite par la loi n° 92-60 du 18 janvier 1992 au profit ''des activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées'' ; qu'en retenant, pour débouter les inspecteurs du travail des unités de contrôle n° 1 et n° 3 du Var de la Direccte de Provence Alpes Côte d'Azur de leur demande d'interdiction de l'ouverture dominicale du supermarché Casino de [Localité 4] que ''le recours à une intervention humaine, que ce soit par la hotline ou par la présence d'agents de sécurité'' mis à sa disposition par une entreprise de prestation de services ''ne permet pas, avec l'évidence requise en référé, de dénier l'automaticité par ailleurs mise en oeuvre par la SAS Distribution Casino France dans l'ouverture et le fonctionnement de ses magasins'' quand il ne lui appartenait pas de se substituer à l'autorité administrative pour apprécier si l'activité considérée était exercée dans des conditions relevant de l'exception légale, la cour d'appel a méconnu le principe de séparation des pouvoirs issu de la loi des 16/24 août 1790 ;
3°/ que l'exception aux règles de fermeture dominicale édictée par l'article L.3132-29 du code du travail ne s'applique qu'aux établissements fonctionnant sans le concours de personnel ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'ouverture dominicale du supermarché Casino de [Localité 4] requiert ''le recours à une intervention humaine, que ce soit par la hotline ou par la présence d'agents de sécurité'' mis à sa disposition par une entreprise de prestation de services ; qu'en déclarant cependant que ce recours ''ne permet pas, avec l'évidence requise en référé, de dénier l'automaticité par ailleurs mise en oeuvre par la SAS Distribution Casino France dans l'ouverture et le fonctionnement de ses magasins'' aux motifs inopérants que les sociétés de gardiennage employant ces agents de sécurité ''bénéficient d'une dérogation légale à la règle du repos dominical'' la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les articles L.3132-29 et L.3132-31 du code du travail, ensemble l'article 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l'article L. 3132-29, alinéa 1er, du code du travail, lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées.
5. Selon l'arrêté du préfet du Var du 12 février 1969, sur tout le territoire du Var, tous les magasins d'alimentation ou parties d'établissements sédentaires ou ambulants dans lesquels il est vendu des denrées alimentaires de toute nature, au détail, à l'exclusion des commerces de boulangerie, boulangerie-pâtisserie et pâtisserie, seront fermés à la clientèle une journée par semaine laissée au départ au choix du chef d'établissement, à savoir, soit la journée entière du dimanche, soit la journée entière du lundi, soit du dimanche midi au lundi midi.
6. C'est par une exacte application de la loi et sans violer le principe de la séparation des pouvoirs que la cour d'appel a décidé que la journée de fermeture imposée par l'arrêté préfectoral ne concernait pas les activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées.
7. L'arrêt relève que le recours à une intervention humaine que ce soit par la hotline ou la présence d'agents de sécurité ne permet pas de dénier l'automaticité mise en oeuvre par la société dans l'ouverture et le fonctionnement de ses magasins. L'arrêt ajoute qu'il n'était pas démontré que les agents de sécurité et de surveillance, lesquels n'étaient pas salariés de la société, intervenaient aux termes de contrats de prestation de services et bénéficiaient d'une dérogation légale à la règle du repos dominical, agissaient en dehors de leur fonction afin de participer au fonctionnement du magasin, pour son rangement ou l'assistance aux caisses.
8. En l'état de ces constatations, la cour d'appel a pu décider qu'aucun trouble manifestement illicite n'était caractérisé.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [K], MM. [Z], [T] et Mme [H], en leur qualité d'inspecteurs du travail, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme [K], MM. [Z], [T] et Mme [H], ès qualités,demandeurs au pourvoi principal
Les inspecteurs du travail des unités de contrôle n° 1 et n° 3 du Var de la DIRECCTE de Provence Alpes Côte d'Azur font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à référé, s'agissant de la demande de fermeture sous astreinte le dimanche du supermarché Casino de [Localité 4] exploité par la SAS distribution Casino France ;
1°) ALORS QUE la violation d'un arrêté préfectoral de fermeture des commerces alimentaires dont la légalité n'est pas sérieusement contestée constitue un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué, « que le supermarché Casino de [Localité 4] est ouvert le dimanche et le lundi toute la journée, contrevenant ainsi à l'interdiction posée par... l'arrêté du 12 février 1969, pris en application de l'accord sur les modalités de fermeture hebdomadaire des commerces concernés intervenu le 15 janvier 1969 [...lequel] a décidé en son article 1er : « Sur tout le territoire du département du Var, tous les magasins d'alimentation ou parties d'établissements sédentaires ou ambulants dans lesquels il est vendu des denrées alimentaires de toute nature, au détail à l'exclusion des commerces de boulangerie, boulangerie-pâtisserie et pâtisserie - seront fermés à la clientèle une journée par semaine laissée, au départ, au choix du chef d'établissement, à savoir : - Soit la journée entière du dimanche, - soit la journée entière du lundi, - soit du dimanche midi au lundi midi » ; que par ailleurs, « la contestation portant sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 12 février 1969 n'est pas sérieuse » ; qu'enfin « sont employés sur site le dimanche à tout le moins les employés d'une société de gardiennage » ; qu'en déboutant cependant les inspecteurs du travail des unités de contrôle n° 1 et n° 3 du Var de la DIRECCTE de Provence Alpes Côte d'Azur de leur action tendant à faire cesser le trouble manifestement illicite ainsi causé la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L.3132-29 et L.3132-31 du code du travail, ensemble l'article 873 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'il n'appartient qu'à l'autorité administrative, auteur de l'arrêté d'interdiction prévu par l'article L.3132-29 du code du travail, de préciser les bénéficiaires de l'exception introduite par la loi n°92-60 du 18 janvier 1992 au profit « des activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées » ; qu'en retenant, pour débouter les inspecteurs du travail des unités de contrôle n° 1 et n° 3 du Var de la DIRECCTE de Provence Alpes Côte d'Azur de leur demande d'interdiction de l'ouverture dominicale du supermarché Casino de [Localité 4] que « le recours à une intervention humaine, que ce soit par la hotline ou par la présence d'agents de sécurité » mis à sa disposition par une entreprise de prestation de services « ne permet pas, avec l'évidence requise en référé, de dénier l'automaticité par ailleurs mise en oeuvre par la SAS Distribution Casino France dans l'ouverture et le fonctionnement de ses magasins » quand il ne lui appartenait pas de se substituer à l'autorité administrative pour apprécier si l'activité considérée était exercée dans des conditions relevant de l'exception légale, la cour d'appel a méconnu le principe de séparation des pouvoirs issu de la loi des 16/24 août 1790 ;
3°) ALORS en toute hypothèse QUE l'exception aux règles de fermeture dominicale édictée par l'article L.3132-29 du code du travail ne s'applique qu'aux établissements fonctionnant sans le concours de personnel ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'ouverture dominicale du supermarché Casino de [Localité 4] requiert « le recours à une intervention humaine, que ce soit par la hotline ou par la présence d'agents de sécurité » mis à sa disposition par une entreprise de prestation de services ; qu'en déclarant cependant que ce recours « ne permet pas, avec l'évidence requise en référé, de dénier l'automaticité par ailleurs mise en oeuvre par la SAS Distribution Casino France dans l'ouverture et le fonctionnement de ses magasins » aux motifs inopérants que les sociétés de gardiennage employant ces agents de sécurité « bénéficient d'une dérogation légale à la règle du repos dominical » la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les articles L.3132-29 et L.3132-31 du code du travail, ensemble l'article 873 du code de procédure civile | L'arrêté préfectoral, pris en application de l'article L. 3132-29 , alinéa 1, du code du travail, qui prévoit la fermeture à la clientèle, une journée par semaine, de tous les magasins d'alimentation ou parties d'établissements sédentaires ou ambulants dans lesquels il est vendu des denrées alimentaires de toute nature au détail, à l'exclusion des commerces de boulangerie, boulangerie-pâtisserie et pâtisserie, ne concerne pas les activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées.
La cour d'appel, saisie en référé, qui a constaté que, pendant la journée de fermeture prévue par arrêté préfectoral, les magasins fonctionnaient de façon automatique et qu'il n'était pas démontré que les agents de surveillance, qui bénéficiaient d'une dérogation légale à la règle de repos dominical, agissaient en dehors de leurs fonctions afin de participer au fonctionnement du magasin pour son rangement ou l'assistance aux caisses, a pu décider qu'aucun trouble manifestement illicite n'était caractérisé |
8,239 | SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1150 FS-B
Pourvoi n° T 21-19.075
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société Distribution Casino France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 21-19.075 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2021 par la cour d'appel de Toulouse (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'inspection du travail de la Haute Garonne unité régionale de lutte contre le travail illégal, dont le siège est [Adresse 6],
2°/ au syndicat CFDT services Ariège Gasgogne Midi Toulousain, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la Fédération de l'équipement environnement transport et services Force Ouvrière, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à Mme [V] [F], domiciliée [Adresse 2], prise en sa qualité de ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion,
5°/ à M. [A] [P],
6°/ à Mme [N] [O],
7°/ à Mme [E] [U],
8°/ à Mme [K] [B],
9°/ à Mme [D] [W],
10°/ à Mme [V] [H],
tous six domiciliés [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
En présence de :
la société Lynx sécurité, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3].
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Distribution Casino France, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [P], Mmes [O], [U], [B], [W] et [R], de Me Haas, avocat de la Fédération de l'équipement environnement transport et services Force Ouvrière, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du syndicat CFDT services Ariège Gasgogne Midi Toulousain, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 8 juin 2021), rendu en référé, des contrôles ont été effectués par l'inspection du travail le dimanche 6 octobre 2019 dans trois supermarchés de la société Distribution Casino France (la société) situés à [10], [7] et [9], où il a été constaté, après 13 heures, la présence de salariés de la société ETIC, chargée d'aider les clients du supermarché lors du paiement aux caisses automatiques ainsi que des salariés d'une société de sécurité, la société Lynx.
2. Les inspecteurs du travail de l'unité régionale de lutte contre le travail illégal et des unités de contrôle n° 1, 3 et 5 de [Localité 8], ont saisi le juge des référés d'un tribunal judiciaire d'une demande à l'encontre de la société Distribution Casino France pour obtenir la fermeture des magasins le dimanche à 13 heures.
3. Les syndicats CFDT services Ariège Gascogne Midi Toulousain et Fédération de l'équipement environnement transport et services Force Ouvrière sont intervenus à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de dire recevable l'action en référé formée par les inspecteurs du travail, alors :
« 1° / que les dispositions relatives à la durée du travail aux repos et aux congés, sont ''applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés'', de sorte que seul l'emploi illicite par l'employeur de ses propres salariés, en méconnaissance des dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13, relatifs au repos dominical, rend recevable la demande en référé, formée par l'inspecteur du travail, à l'encontre de cet employeur ; que la cour d'appel a constaté qu'aucun salarié de la société Distribution Casino France n'était présent sur les lieux le dimanche après-midi ; qu'en affirmant cependant, pour déclarer recevable l'action des inspecteurs du travail, tendant à voir imposer la fermeture de l'établissement le dimanche après-midi, à raison de la présence sur les lieux d'agents de sécurité, salariés d'une société de surveillance et gardiennage sous-traitante, que l'article L 3132-31 du code du travail ''vise tout salarié qui serait employé en infraction à la réglementation sur le travail le dimanche dans les commerces de vente au détail'' et que ''d'interprétation stricte, ce texte ne permet pas d'ajouter une condition qu'il ne prévoit pas telle que la restriction de son champ d'application aux seuls salariés du commerce de vente au détail donneur d'ordre à l'exclusion de tout salarié d'une entreprise tierce présente dans les lieux exerçant la même activité que celle des salariés du commerce de détail concerné'', quand il ressortait, au contraire, de l'interprétation stricte du texte que l'action n'était recevable qu'à l'encontre d'un employeur faisant travailler ses salariés en méconnaissance des règles régissant le repos dominical, la cour d'appel a violé, par fausse application les articles L. 3111-1 et L. 3132-31 du code du travail, les articles 31 et 32 du code de procédure civile, ensemble le principe de l'autonomie de la personne morale ;
2° / que la recevabilité de la saisine en référé du juge judiciaire, par l'inspecteur du travail, en application des dispositions de l'article L. 3132-31 du code du travail, est subordonnée à la double condition d'un emploi illicite des salariés et de ce que l'illicéité résulte de la méconnaissance par leur employeur des dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13, relatifs au repos dominical ; qu'il résulte de l'article R. 3132-5 du code du travail que les entreprises de surveillance et de gardiennage font partie des catégories d'établissement admis à donner le repos hebdomadaire par roulement à leurs salariés effectuant des services de surveillance, de gardiennage et de lutte contre l'incendie ; qu'en affirmant, pour dire recevable l'action exercée par les inspecteurs du travail, que ''la société prestataire qui héberge des salariés sur son site le dimanche en infraction à la législation, (
), commet une violation de la règle du repos dominical protectrice des salariés qui autorise l'inspection du travail à saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L. 3132-31 du code du travail, qui, organisant un régime spécial de référé, suffit à la recevabilité de l'action'', quand la recevabilité de l'action est subordonnée au constat préalable d'un emploi illicite de salariés en méconnaissance de la règle du repos dominical, la cour d'appel, qui n'a pas constaté préalablement un tel emploi, a violé les articles L. 3132-31 et R. 3132-5 du code du travail, ensemble les articles 31 et 32 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 3132-31 du code du travail, l'inspecteur du travail peut, nonobstant toutes poursuites pénales, saisir en référé le juge judiciaire pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail. Il en résulte que ce pouvoir peut s'exercer dans tous les cas où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche, peu important qu'il s'agisse de salariés de l'établissement concerné ou d'entreprises de prestations de services.
6. Ayant constaté que les inspecteurs du travail soutenaient que les magasins de la société étaient ouverts le dimanche après-midi grâce à la présence d'agents de sécurité, la cour d'appel, après avoir exactement énoncé que le caractère illicite de l'emploi salarié relevait de l'examen du bien-fondé de la demande et non de sa recevabilité, a décidé à bon droit, que l'action en référé, qui s'inscrivait dans le cadre de la dénonciation d'une violation des règles relatives au repos dominical, était recevable.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur les deuxième et troisième moyens, réunis
Enoncé du moyen
8. Par son deuxième moyen, la société fait grief à l'arrêt de lui ordonner de fermer trois supermarchés le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte, de la condamner à payer aux syndicats une somme à titre de dommages-intérêts et d'interdire, sous astreinte, à la société Lynx sécurité d'employer des salariés le dimanche après 13 heures dans ces magasins, alors « que l'emploi illicite de salariés, en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail, s'apprécie exclusivement au regard de la fonction et des missions confiées par l'employeur à ces salariés ; qu'est inopérante, pour apprécier l'existence d'un tel emploi illicite, la circonstance que certains agents de surveillance aient excédé les termes de leur mission, dès lors que leur comportement ne résultait ni des ordres, ni de la demande de leur employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il ressortait tant de la convention conclue entre la société Distribution Casino France avec la société Lynx Sécurité que des fiches de poste des salariés en cause, que la fonction des agents était limitée à la seule surveillance et sécurité et ne pouvait « en aucun cas s'étendre à des fonctions normalement dévolues aux salariés de l'entreprise cliente » ; qu'en retenant cependant l'existence d'un « emploi illicite » des agents de sécurité, au motif inopérant que les inspecteurs du travail avaient constaté que certains d'entre eux avaient empiété sur les activités normalement dévolues aux salariés de la SA Distribution Casino France, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, a encore violé, par fausse application, l'article L. 3132-31 du code du travail, ensemble et par refus d'application, les articles L. 3132-12 et R. 3132-5 du même code. »
9. Par son troisième moyen, la société fait grief à l'arrêt de lui ordonner de fermer trois supermarchés le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte, de la condamner à payer aux syndicats une somme à titre de dommages-intérêts, alors :
« 1° / qu'il résulte de l'article L 3132-31 du code du travail que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du même code ; qu'il s'en déduit que seules des mesures prononcées à l'encontre de l'employeur, responsable de l'emploi illicite, peuvent être prononcées ; qu'en ordonnant la fermeture des supermarchés Casino [10], Casino [7] et Casino [9] le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte provisoire de 20 000 euros par ouverture constatée, quand elle avait constaté que les agents de sécurité présents sur les lieux étaient employés de la société Lynx Sécurité, la cour d'appel a violé l'article L. 3132-31 précité ;
2°/ que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du même code ; qu'en affirmant cependant, pour dire que la mesure de fermeture des trois magasins le dimanche à partir de 13 h était légitime et proportionnelle à l'objectif poursuivi, qu' ''il est constant que la présence d'agents de sécurité dans un magasin de vente alimentaire en libre-service mais en mode de paiement automatique est source de confusion tant pour les clients que pour les agents de sécurité sur qui repose exclusivement le soin de dire au cas par cas ce qui relève ou pas de leur mission de surveillance alors qu'ils sont confrontés à de nombreux dysfonctionnements des caisses ou sollicitations des clients'', quand aucun texte n'interdit l'ouverture d'un commerce alimentaire le dimanche après-midi recourant à des modalités de fonctionnement et de paiement automatisés ainsi qu'à la présence, obligatoire, d'agents de surveillance et de sécurité, la cour d'appel a violé, par fausse application l'article L 3132-31 du code du travail, ensemble le principe de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise ;
3°/ que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures nécessaires et proportionnées pour faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du même code ; que la circonstance qu'une infraction par l'employeur des salariés peut être réitérée n'est pas de nature à justifier la fermeture des commerces, appartenant à une société tierce, dans lesquels ces salariés travaillent ; que dans ses conclusions la société Distribution Casino France faisait valoir qu'une injonction sous astreinte à l'employeur des agents de sécurité, de faire respecter par ses salariés la législation et les termes de leur emploi, suffisait à écarter tout emploi illicite ; qu'en ordonnant la fermeture des magasins, aux motifs inopérants que les faits avaient été réitérés, que cette solution nécessiterait de mettre en place de nouveaux contrôles de l'inspection du travail et que si cette sanction permettrait de mettre un terme à une infraction éventuellement constatée, elle ne permettrait pas suffisamment d'en prévenir la réitération, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au principe de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article L. 3132-31 du code du travail, l'inspecteur du travail peut, nonobstant toutes poursuites pénales, saisir en référé le juge judiciaire pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser dans les établissements de vente au détail et de prestations de services au consommateur l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail. Il en résulte que ce pouvoir peut s'exercer dans tous les cas où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche, peu important qu'il s'agisse de salariés de l'établissement ou d'entreprises de prestation de services.
11. Examinant les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a relevé que les agents de sécurité de la société Lynx empiétaient sur les activités normalement dévolues aux salariés des magasins en orientant les clients vers la hotline en cas de dysfonctionnement, aidaient les clients en difficulté avec la caisse automatique, par exemple en utilisant la "scanette" ou lors des paiements, rappelaient que les achats ne pouvaient se faire que par carte bancaire et sans vente d'alcool, renseignaient les clients sur les rayons ouverts ou non, procédaient au retrait des produits interdits à la vente, procédaient à l'ouverture des barrières en sortie de caisse si le ticket du client était inopérant, avaient en charge la fermeture du magasin de [7], rangeaient les paniers, scanaient parfois les produits ou le ticket de parking à la place des clients, intervenaient directement auprès de l'assistance, procédaient au retrait d'un produit non acheté, renseignaient les clients dans le magasin ou appelaient un responsable en raison d'anomalies au niveau des caisses automatiques.
12. En l'état de ces constatations, dont il résultait que, du fait de la participation des agents de sécurité aux activités du magasin, les modalités de fonctionnement et de paiement n'étaient pas automatisées, la cour d'appel a décidé à bon droit que des salariés étaient employés en violation des règles sur le repos dominical.
13. Ayant constaté que, malgré des engagements de la société qui, à la suite des premiers contrôles, avait reconnu des manquements au respect des activités des agents de sécurité et affirmait y avoir remédié, de nouveaux manquements avaient été relevés par l'inspection du travail, la cour d'appel a, sans encourir le grief de la troisième branche du troisième moyen, estimé qu'une simple mesure d'injonction de respecter la législation était insuffisante pour assurer le respect du repos dominical et que la fermeture des magasins devait être ordonnée.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Distribution Casino France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Distribution Casino France et la condamne à payer au ministre chargé du travail et à M. [A], Mmes [O], [U], [B], [W] et [H], en qualités d'inspecteurs du travail, la somme globale de 2 000 euros et aux syndicats CFDT services Ariège Gascogne Midi Toulousain et Fédération de l'équipement environnement transport et services Force Ouvrière la somme de 500 euros chacun ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Distribution Casino France
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Distribution Casino France fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit recevable l'action en référé formée par les inspecteurs du travail,
1 - ALORS QUE les dispositions relatives à la durée du travail aux repos et aux congés, sont « applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés », de sorte que seul l'emploi illicite par l'employeur de ses propres salariés, en méconnaissance des dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13, relatifs au repos dominical, rend recevable la demande en référé, formée par l'inspecteur du travail, à l'encontre de cet employeur ; que la cour d'appel a constaté qu'aucun salarié de la société Distribution Casino France n' était présent sur les lieux le dimanche après-midi ; qu'en affirmant cependant, pour déclarer recevable l'action des inspecteurs du travail, tendant à voir imposer la fermeture de l'établissement le dimanche après-midi, à raison de la présence sur les lieux d'agents de sécurité, salariés d'une société de surveillance et gardiennage sous-traitante, que l'article L 3132-31 du code du travail « vise tout salarié qui serait employé en infraction à la réglementation sur le travail le dimanche dans les commerces de vente au détail » et que « d'interprétation stricte, ce texte ne permet pas d'ajouter une condition qu'il ne prévoit pas telle que la restriction de son champ d'application aux seuls salariés du commerce de vente au détail donneur d'ordre à l'exclusion de tout salarié d'une entreprise tierce présente dans les lieux exerçant la même activité que celle des salariés du commerce de détail concerné », quand il ressortait, au contraire, de l'interprétation stricte du texte que l'action n'était recevable qu'à l'encontre d'un employeur faisant travailler ses salariés en méconnaissance des règles régissant le repros dominical, la cour d'appel a violé, par fausse application les articles L 3111-1 et L 3132-31 du code du travail, les articles 31 et 32 du code de procédure civile, ensemble le principe de l'autonomie de la personne morale ;
2 – ALORS encore QUE la recevabilité de la saisine en référé du juge judiciaire, par l'inspecteur du travail, en application des dispositions de l'article L 3132-31 du code du travail, est subordonnée à la double condition d'un emploi illicite des salariés et de ce que l'illicéité résulte de la méconnaissance par leur employeur des dispositions des articles L. 3132-3 et L. 3132-13, relatifs au repos dominical ; qu'il résulte de l'article R 3132-5 du code du travail que les entreprises de surveillance et de gardiennage font partie des catégories d'établissement admis à donner le repos hebdomadaire par roulement à leurs salariés effectuant des services de surveillance, de gardiennage et de lutte contre l'incendie ; qu'en affirmant, pour dire recevable l'action exercée par les inspecteurs du travail, que « la société prestataire qui héberge des salariés sur son site le dimanche en infraction à la législation, (
), commet une violation de la règle du repos dominical protectrice des salariés qui autorise l'inspection du travail à saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L 3132-31 du code du travail, qui, organisant un régime spécial de référé, suffit à la recevabilité de l'action », quand la recevabilité de l'action est subordonnée au constat préalable d'un emploi illicite de salariés en méconnaissance de la règle du repos dominical, la cour d'appel, qui n'a pas constaté préalablement un tel emploi, a violé les articles L 3132-31 et R 3132-5 du code du travail, ensemble les articles 31 et 32 du code de procédure civile ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
La société Distribution Casino France fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné à la société Distribution Casino France de fermer les supermarchés Casino [10], Casino [7] et Casino [9] le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte provisoire de 20 000 € par ouverture constatée, condamné la société Distribution Casino France à payer au syndicat CFDT Services Ariège Gascogne Midi Toulousain et de la Fédération de l'Equipement, Environnement, Transport et Services, Force Ouvrière, chacun, la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts et interdit, sous astreinte de 20 000 €, par dimanche et par salarié, à la société Lynx Sécurité d'employer des salariés le dimanche après 13 heures dans les magasins Casino [10], Casino [7] et Casino [9],
ALORS QUE l'emploi illicite de salariés, en infraction aux dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du code du travail, s'apprécie exclusivement au regard de la fonction et des missions confiées par l'employeur à ces salariés ; qu'est inopérante, pour apprécier l'existence d'un tel emploi illicite, la circonstance que certains agents de surveillance aient excédé les termes de leur mission, dès lors que leur comportement ne résultait ni des ordres, ni de la demande de leur employeur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il ressortait tant de la convention conclue entre la société Distribution Casino France avec la société Lynx Sécurité que des fiches de poste des salariés en cause, que la fonction des agents était limitée à la seule surveillance et sécurité et ne pouvait « en aucun cas s'étendre à des fonctions normalement dévolues aux salariés de l'entreprise cliente » ; qu'en retenant cependant l'existence d'un « emploi illicite » des agents de sécurité, au motif inopérant que les inspecteurs du travail avaient constaté que certains d'entre eux avaient empiété sur les activités normalement dévolues aux salariés de la SA Distribution Casino France, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations, a encore violé, par fausse application, l'article L 3132-31 du code du travail, ensemble et par refus d'application, les articles L 3132-12 et R 3132-5 du même code.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Distribution Casino France fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné à la société Distribution Casino France de fermer les supermarchés Casino [10], Casino [7] et Casino [9] le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte provisoire de 20 000 € par ouverture constatée et de l'avoir condamnée à payer au syndicat CFDT Services Ariège Gascogne Midi Toulousain et de la Fédération de l'Equipement, Environnement, Transport et Services, Force Ouvrière, chacun, la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts,
1) ALORS QU' il résulte de l'article L 3132-31 du code du travail que le juge des référés ne peut ordonner que les mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du même code ; qu'il s'en déduit que seules des mesures prononcées à l'encontre de l'employeur, responsable de l'emploi illicite, peuvent être prononcées ; qu'en ordonnant la fermeture des supermarchés Casino [10], Casino [7] et Casino [9] le dimanche après-midi à compter de 13 heures, sous astreinte provisoire de 20 000 € par ouverture constatée, quand elle avait constaté que les agents de sécurité présents sur les lieux étaient employés de la société Lynx Sécurité, la cour d'appel a violé l'article L 3132-31 précité ;
2) ALORS QUE le juge des référés ne peut ordonner que les mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du même code ; qu'en affirmant cependant, pour dire que la mesure de fermeture des trois magasins le dimanche à partir de 13 h était légitime et proportionnelle à l'objectif poursuivi, qu' « il est constant que la présence d'agents de sécurité dans un magasin de vente alimentaire en libre-service mais en mode de paiement automatique est source de confusion tant pour les clients que pour les agents de sécurité sur qui repose exclusivement le soin de dire au cas par cas ce qui relève ou pas de leur mission de surveillance alors qu'ils sont confrontés à de nombreux dysfonctionnements des caisses ou sollicitations des clients », quand aucun texte n'interdit l'ouverture d'un commerce alimentaire le dimanche après-midi recourant à des modalités de fonctionnement et de paiement automatisés ainsi qu'à la présence, obligatoire, d'agents de surveillance et de sécurité, la cour d'appel a violé, par fausse application l'article L 3132-31 du code du travail, ensemble le principe de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise ;
3) ALORS, en tout état de cause, QUE le juge des référés ne peut ordonner que les mesures nécessaires et proportionnées pour faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction aux dispositions des articles L 3132-3 et L 3132-13 du même code ; que la circonstance qu'une infraction par l'employeur des salariés peut être réitérée n'est pas de nature à justifier la fermeture des commerces, appartenant à une société tierce, dans lesquels ces salariés travaillent ; que dans ses conclusions la société Distribution Casino France faisait valoir qu'une injonction sous astreinte à l'employeur des agents de sécurité, de faire respecter par ses salariés la législation et les termes de leur emploi, suffisait à écarter tout emploi illicite ; qu'en ordonnant la fermeture des magasins, aux motifs inopérants que les faits avaient été réitérés, que cette solution nécessiterait de mettre en place de nouveaux contrôles de l'inspection du travail et que si cette sanction permettrait de mettre un terme à une infraction éventuellement constatée, elle ne permettrait pas suffisamment d'en prévenir la réitération, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au principe de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprise | Le pouvoir de saisir le juge des référés pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser l'emploi illicite de salariés en infraction des articles L. 3132-3 et L. 3132-13 du code du travail, que l'inspecteur du travail tient de l'article L. 3132-31 du même code, peut s'exercer dans tous les cas où des salariés sont employés de façon illicite un dimanche, peu important qu'il s'agisse de salariés de l'établissement ou d'entreprises de prestation de services.
Fait l'exacte application de la loi la cour d'appel qui, ayant retenu que, du fait de la participation des agents de sécurité aux activités du magasin, les modalités de fonctionnement et de paiement n'étaient pas automatisées, a décidé que des salariés étaient employés en violation des règles sur le repos dominical |
8,240 | N° K 21-84.618 F-B
N° 01340
RB5
26 OCTOBRE 2022
REJET
IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 OCTOBRE 2022
M. [N] [P] a formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'assises de la Saône-et-Loire, en date du 9 juillet 2021, qui, pour vol avec arme, en récidive, l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle, avec période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [N] [P], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 15 novembre 2018, M. [N] [P] a été mis en accusation devant la cour d'assises de la Côte-d'Or du chef de vol avec arme, en récidive.
3. Par arrêt du 16 mai 2019, cette juridiction l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation. Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.
4. L'accusé a relevé appel des arrêts pénal et civil. Le ministère public et les parties civiles ont formé appel incident.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé pour M. [P]
5. Le demandeur, ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait personnellement le 15 juillet 2021, le droit de se pourvoir contre les arrêts attaqués, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre les mêmes décisions, par l'intermédiaire de son avocat.
6. Seul est recevable le pourvoi formé par l'accusé.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] coupable, alors :
« 2°/ que le jury a tiré des conclusions en défaveur du prévenu en raison de son silence sans avoir reçu aucune instruction à cet égard ; que l'article 353 du code de procédure pénale étant dans cette mesure inconstitutionnel, comme cela est soutenu par un mémoire de question prioritaire de constitutionnalité distinct et motivé, la procédure a été irrégulière et l'arrêt ne répond pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale, en violation de l'article 591 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'une condamnation ne saurait être fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer ; qu'en l'espèce, pour déclarer M. [P] coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'arrêt attaqué s'est essentiellement fondé sur son silence et sur l'insuffisance de ses explications, et ce alors même qu'il résulte de la procédure que l'accusé n'a pas été informé sur les éventuel effets juridiques de son silence et qu'aucune instruction sur les conclusions en sa défaveur pouvant être tirées de son silence n'a été donnée au jury ; qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a porté atteinte tant au principe de la présomption d'innocence qu'au droit de se taire et a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
9. La Cour de cassation ayant, par arrêt du 21 avril 2022, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
10. Selon l'article 328 du code de procédure pénale, après l'avoir informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, le président de la cour d'assises interroge l'accusé et reçoit ses déclarations.
11. S'agissant des conséquences pouvant être tirées de l'exercice par un accusé de son droit au silence, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 8 février 1996, Murray c. Royaume-Uni, n° 18731/91) a énoncé que le droit de garder le silence n'est pas absolu. Elle a précisé, d'une part, qu'il est manifestement incompatible avec le droit de se taire et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination de fonder une condamnation exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer. Elle a ajouté, d'autre part, qu'il est tout aussi évident que ces interdictions ne peuvent et ne sauraient empêcher de prendre en compte le silence de l'intéressé, dans des situations qui appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de persuasion des éléments à charge.
12. La garantie de l'effectivité du droit de garder le silence impose donc de proscrire qu'une déclaration de culpabilité soit fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence de l'accusé ou sur son refus de répondre à des questions.
13. Pour déclarer l'accusé coupable de vol avec arme, l'arrêt attaqué énonce que, en dépit de dénégations répétées et d'explications fluctuantes accueillies pour la première fois, près de trois années après la clôture de l'instruction au cours de laquelle l'intéressé avait fait le choix de demeurer particulièrement taisant, il ne parvient toujours pas à expliquer de manière cohérente et circonstanciée la présence de son ADN sur le serflex ayant servi à entraver l'une des victimes, et abandonné sur les lieux.
14. Il relève que cet élément probant est corroboré notamment par l'exploitation des données téléphoniques qui ont permis d'établir la présence de l'accusé dans l'agglomération dijonnaise le jour des faits, et ce alors même qu'il multipliait sur cette même période des allers-retours entre la Bourgogne et le Sud de la France, outre une interruption de toute utilisation de son téléphone sur une tranche horaire couvrant la commission du vol à main armée.
15. La cour d'assises ajoute que l'accusé a par ailleurs admis avoir fréquenté le magasin dans lequel a été commis le vol, à plusieurs reprises dans le courant de l'année 2015.
16. Elle retient en outre que les témoignages, concordants sur ce point, soulignent une certaine maîtrise et le contrôle des opérations de celui des deux auteurs qui a contraint une salariée à lui remettre les fonds, avant de l'attacher à l'aide du serflex sur lequel on a retrouvé le profil génétique de M. [P].
17. Elle précise que l'auteur non identifié à ce jour a été décrit comme remplissant un rôle d'exécutant dans la neutralisation des deux autres membres du personnel du magasin, cette distribution des rôles n'étant pas sans faire écho à certains des précédents passages à l'acte, judiciairement sanctionnés, de l'accusé.
18. En statuant ainsi, et dès lors qu'elle n'a pas fondé la déclaration de culpabilité exclusivement ou essentiellement sur le silence de l'accusé, la cour d'assises n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
19. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
20. Par ailleurs, aucun moyen n'est produit contre l'arrêt civil, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé pour M. [P] :
Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;
Sur le pourvoi formé par M. [P] :
LE REJETTE ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six octobre deux mille vingt-deux. | La garantie de l'effectivité du droit de garder le silence impose de proscrire qu'une déclaration de culpabilité soit fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence de l'accusé ou sur son refus de répondre à des questions |
8,241 | N° Z 21-85.850 F-B
N° 01341
RB5
26 OCTOBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 OCTOBRE 2022
Mme [X] [H], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, en date du 28 septembre 2021, qui a, notamment, déclaré M. [W] [M] pénalement irresponsable des faits d'assassinats, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [X] [H], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [W] [M] a été mis en examen pour assassinats.
3. Par ordonnance du 3 mai 2021, le juge d'instruction a saisi la chambre de l'instruction d'une ordonnance de transmission de pièces, en application des dispositions de l'article 706-120 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le second moyen
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a statué sans mentionner que M. [M], mis en examen, avait été informé de son droit de garder le silence, alors « que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie d'une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que monsieur [M] a comparu (p. 1), a été entendu en ses explications (p. 3) et a eu la parole en dernier (p. 4), mais qu'il n'en résulte pas que le président l'a informé de son droit de se taire ; qu'en omettant d'informer la personne mise en examen, dès l'ouverture des débats, de son droit de garder le silence, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 600 du code de procédure pénale, nul ne peut, en aucun cas, se prévaloir contre la partie poursuivie de la violation ou omission des règles établies pour assurer la défense de celle-ci.
7. Les dispositions de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, dont il se déduit le droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ont pour objet la protection de l'accusé, au sens de cet article.
8. Il en résulte que la partie civile est sans qualité pour se prévaloir du défaut de notification à la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie d'une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
9. Ainsi, le moyen est irrecevable.
10. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six octobre deux mille vingt-deux. | Il résulte des dispositions combinées des articles 6, §§ 1 et 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 600 du code de procédure pénale que la partie civile est sans qualité pour se prévaloir du défaut de notification à la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie d'une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire |
8,242 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1097 FS-B
Pourvoi n° H 21-24.424
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ Mme [M] [Z], épouse [C],
2°/ Mme [N] [C],
toutes deux domiciliées [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° H 21-24.424 contre l'arrêt n° RG : 20/09346 rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à M. [T] [C], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [Z] et Mme [N] [C], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, M. [C] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Il s'est réfugié au sous-sol de l'établissement, dans l'une des chambres froides, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.
2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), M. [C], son épouse Mme [Z], et leur fille, Mme [N] [C], l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [Z] et Mme [N] [C] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de Mme [Z] et de Mme [N] [C], respectivement épouse et fille de M. [C], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (
) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.
5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.
7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.
8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.
9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.
10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.
11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.
12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072 en cours de publication), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.
13. Pour dire Mmes [Z] et [C] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.
14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit Mme [Z] et Mme [N] [C] irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à Mme [Z] et Mme [N] [C] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme [Z] et Mme [N] [C]
Mme [M] [Z] épouse [C] et Mme [N] [C] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit Mme [M] [Z] épouse [C] et Mme [N] [C] irrecevables en leurs demandes,
Alors que, il résulte des dispositions des articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de Mme [M] [Z] épouse [C] et de Mme [N] [C], respectivement épouse et fille de M. [C], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (
) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut » (arrêt, p. 11), cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances. | Les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances n'excluent pas l'indemnisation, selon les règles du droit commun, du préjudice personnel des proches de la victime directe d'actes de terrorisme, en cas de survie de celle-ci.
Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions formées par les proches d'une victime directe d'un acte de terrorisme au motif que leur qualité d'ayants droit fait défaut |
8,243 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1098 FS-B
Pourvoi n° G 21-24.425
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ M. [D] [P], domicilié [Adresse 1],
2°/ Mme [F] [X], domiciliée [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° G 21-24.425 contre l'arrêt n° RG : 20/00817 rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à Mme [K] [N], épouse [P], domiciliée [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [P] et Mme [X], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, Mme Gaillardot, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, Mme [P] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Elle y était prise en otage, aux côtés d'autres clients, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.
2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), Mme [P], son mari, M. [P] et Mme [X], sa fille, l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [P] et Mme [X] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de M. [P] et Mme [X], respectivement époux et fille de Mme [P], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (
) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.
5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.
7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.
8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.
9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.
10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.
11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.
12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072 en cours de publication), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.
13. Pour dire M. [P] et Mme [X] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.
14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit M. [D] [P] et Mme [F] [X] irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [P] et Mme [X] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. [P] et Mme [X]
M. [P] et Mme [X] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit M. [P] et Mme [X] irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel,
Alors que, il résulte des dispositions des articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de M. [P] et Mme [X], respectivement époux et fille de Mme [P], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (
) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut » (arrêt, p. 7), cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances. | Les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances n'excluent pas l'indemnisation, selon les règles du droit commun, du préjudice personnel des proches de la victime directe d'actes de terrorisme, en cas de survie de celle-ci.
Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions formées par les proches d'une victime directe d'un acte de terrorisme au motif que leur qualité d'ayants droit fait défaut |
8,244 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1099 FS-B
Pourvoi n° J 21-24.426
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ M. [U] [O] [K],
2°/ Mme [T] [K],
3°/ Mme [C] [K],
4°/ [G] [K], représentée par ses représentants légaux, M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P], épouse [K],
tous quatre domiciliés [Adresse 1] (Etats-Unis),
ont formé le pourvoi n° J 21-24.426 contre l'arrêt n° RG : 20/09349 rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à Mme [E] [P], épouse [K], domiciliée [Adresse 1] (Etats-Unis), prise en son nom personnel,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P] épouse [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, Mme [P] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Elle y était prise en otage, aux côtés d'autres clients, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.
2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), Mme [P], son mari, M. [K] et leurs filles, Mmes [T] et [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux, M. [K] et Mme [P], (les consorts [K] [P]) l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Les consorts [K] [P] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de l'époux et des filles de Mme [K] que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (
) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.
5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.
7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.
8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.
9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.
10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.
11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.
12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072 en cours de publication), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.
13. Pour dire les consorts [K] [P] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.
14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K] représentée par Mme [E] [K] et M. [U] [O] [K], irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [K], M. [K] et Mme [P] es qualités de représentants légaux de leur fille mineure [G] [K], et Mmes [T] et [C] [K] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P] épouse [K]
Les consorts [K], exposants, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et Mme [G] [K], représentée par Mme [E] [K] et M. [U] [O] [K], irrecevables en leurs demandes,
Alors que, il résulte des dispositions des articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de l'époux et des filles de Mme [K], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (
) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut » (arrêt, p. 13), cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances. | Les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-3 du code des assurances n'excluent pas l'indemnisation, selon les règles du droit commun, du préjudice personnel des proches de la victime directe d'actes de terrorisme, en cas de survie de celle-ci.
Encourt, dès lors, la cassation l'arrêt qui déclare irrecevables les demandes d'indemnisation par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions formées par les proches d'une victime directe d'un acte de terrorisme au motif que leur qualité d'ayants droit fait défaut |
8,245 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1100 FS-B
Pourvoi n° K 21-12.881
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 21-12.881 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 4), dans le litige l'opposant à M. [L] [P], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
M. [P] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [P], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mme Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), le 24 novembre 2011, M. [P] et [E] [T] ont été victimes d'un enlèvement revendiqué par un groupe terroriste. [E] [T] a été exécuté le 10 mars 2013 par ses ravisseurs. M. [P] a été libéré le 29 novembre 2014.
2. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) a versé plusieurs provisions à M. [P] et, après expertise, lui a présenté une offre d'indemnisation qu'il a refusée.
3. M. [P] a saisi un tribunal de grande instance pour obtenir l'indemnisation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. Le FGTI fait grief à l'arrêt de fixer à la somme de 262 918, 30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs, alors « que le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour la victime une perte ou un profit ; qu'en jugeant, pour fixer à la somme de 262 918, 30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs subie par M. [P], que celui-ci subirait une « perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable » cependant qu'il résultait de ses propres constatations que M. [P] était sans emploi à la date du fait dommageable, de sorte qu'il ne pouvait prétendre, avant comme après la consolidation, qu'à l'indemnisation d'une perte de chance d'exercer une activité professionnelle, la cour d'appel, qui a indemnisé M. [P] sur la base de revenus hypothétiques, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir constaté que l'année de son enlèvement, M. [P] avait travaillé jusqu'au 18 mars, puis bénéficié jusqu'au 31 octobre 2011 d'un contrat à durée déterminée, l'arrêt relève que ses revenus n'étaient pas réguliers de sorte qu'il convenait de se référer à la moyenne de ses salaires des quatre dernières années précédant son enlèvement pour déterminer le montant à prendre en considération pour le calcul de ses pertes de gains.
6. Il ajoute que M. [P] n'a pu travailler pendant plusieurs années en raison des faits eux-mêmes, sa détention ayant duré plus de trois ans, puis des troubles qu'il a présentés, en lien avec son enlèvement et sa détention, qui l'empêchent de pouvoir retravailler après la consolidation de son état de santé.
7. En l'état de ses constatations et énonciations, dont elle a déduit que M. [P] subissait une perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'existence et de l'étendue de ce préjudice, peu important que M. [P] ait été sans emploi depuis quelques semaines au moment de son enlèvement, que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. Le FGTI fait grief à l'arrêt d'allouer à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors « que le déficit fonctionnel permanent indemnise les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales ; qu'en allouant à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre d'une incidence professionnelle réparant « l'état d'inactivité professionnelle dans lequel il se trouve, qui l'empêche de s'épanouir professionnellement et lui fait perdre une partie de son existence sociale », tout en lui allouant par ailleurs une somme de 82 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, dont elle constatait elle-même qu'elle avait le même objet, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »
Réponse de la Cour
10. L'arrêt, pour allouer à M. [P] une certaine somme au titre du poste de l'incidence professionnelle, énonce qu'il invoque à juste titre l'état d'inactivité professionnelle dans lequel il se trouve, qui l'empêche de s'épanouir professionnellement et lui fait perdre une partie de son existence sociale.
11. Pour lui allouer une autre somme au titre du déficit fonctionnel permanent, l'arrêt retient que les séquelles conservées par M. [P] après la consolidation de son état entraînent, non seulement des atteintes aux fonctions physiologiques, mais également une perte de la qualité de vie et des troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.
12. Il résulte de ce qui précède que, malgré la référence commune à l'existence sociale de M. [P], la cour d'appel, qui a évalué les conséquences des séquelles qu'il présentait, d'une part, dans la sphère professionnelle liées à son exclusion définitive du monde du travail, d'autre part, en dehors de celle-ci, n'a pas réparé deux fois le même préjudice.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
14. Le FGTI fait grief à l'arrêt d'allouer à M. [P] une somme de 500 000 euros au titre des souffrances, alors « que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [P] sollicitait l'octroi d'une somme de 80 000 euros au titre des souffrances endurées ; qu'en allouant à M. [P] la somme de 500 000 euros au titre de ce chef de préjudice, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Après avoir rappelé que M. [P] demande, au titre du préjudice de souffrances endurées, la somme de 80 000 euros et considère avoir subi un préjudice spécifique situationnel d'angoisse autonome qui justifie l'octroi de la somme de 10 100 000 euros, l'arrêt énonce que le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées regroupe toutes les souffrances de la victime, qu'elles soient physiques ou psychiques, et les troubles qui y sont associés, subies à compter de la survenance de l'événement à l'origine de ces souffrances et ce, quel que soit l'acte y ayant conduit.
16. L'arrêt retient ensuite que le préjudice de souffrances de M. [P] est constitué, notamment, par le traumatisme subi lors de son enlèvement sous la menace de l'arme des djihadistes, dont le canon était pointé sur sa tempe, les souffrances physiques subies pendant ses trois années de détention et l'angoisse dans laquelle il a vécu, confronté à de multiples reprises à la réalité de la mort par des simulacres d'exécution.
17. Il résulte de ce qui précède qu'en rejetant la demande de M. [P] au titre du préjudice situationnel d'angoisse et en lui allouant la somme de 500 000 euros au titre des souffrances endurées, la cour d'appel, qui n'a pas réparé deux fois le même préjudice ni accordé à la victime une indemnisation excédant la somme des demandes présentées de ces chefs, n'a pas modifié les termes du litige.
18. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le pourvoi incident éventuel
19. Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel de M. [P], devenu sans objet par suite du rejet du pourvoi principal.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
DIT n'y avoir lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel formé par M. [P] ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le FGTI fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fixé à la somme de 262 918,30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs ;
ALORS QUE le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour la victime une perte ou un profit ; qu'en jugeant, pour fixer à la somme de 262 918,30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs subie par M. [P], que celui-ci subirait une « perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable » (arrêt, p. 8, § 6) cependant qu'il résultait de ses propres constatations (arrêt, p. 6, § 4) que M. [P] était sans emploi à la date du fait dommageable, de sorte qu'il ne pouvait prétendre, avant comme après la consolidation, qu'à l'indemnisation d'une perte de chance d'exercer une activité professionnelle, la cour d'appel, qui a indemnisé M. [P] sur la base de revenus hypothétiques, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Le FGTI fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR alloué à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;
ALORS QUE le déficit fonctionnel permanent indemnise les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales ; qu'en allouant à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre d'une incidence professionnelle réparant « l'état d'inactivité professionnelle dans lequel il se trouve, qui l'empêche de s'épanouir professionnellement et lui fait perdre une partie de son existence sociale » (arrêt, p. 9, § 7), tout en lui allouant par ailleurs une somme de 82 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, dont elle constatait elle-même qu'elle avait le même objet (arrêt, p. 11, § 3), la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Le FGTI fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR alloué à M. [P] une somme de 500 000 euros au titre des souffrances ;
ALORS QUE dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [P] sollicitait l'octroi d'une somme de 80 000 euros au titre des souffrances endurées ; qu'en allouant à M. [P] la somme de 500 000 euros au titre de ce chef de préjudice, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. Moyens produits au pourvoi incident éventuel par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la victime directe d'actes de terrorisme (M. [P], l'exposant) de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice situationnel d'angoisse ;
ALORS QUE le préjudice spécifique d'angoisse d'une victime directe d'actes de terrorisme a pour finalité l'indemnisation de ses souffrances psychiques spécifiques ressenties durant le cours même de l'événement traumatique, indépendamment de ses suites éventuelles (décès, souffrances physiques ou psychiques) ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a assimilé l'indemnisation du « préjudice situationnel d'angoisse » subi par la victime directe d'actes de terrorisme pendant le cours même de ces événements violents, indépendamment de leurs suites, à celle du préjudice « des souffrances endurées » regroupant « les souffrances (
) physiques ou psychiques » subies « à compter de la survenance de l'événement » violent ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a méconnu le principe de réparation intégrale sans perte ni profit, et l'article 1382 du code civil, devenu article 1240 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir accordé à la victime directe d'actes de terrorisme (M. [P], l'exposant) une indemnisation limitée à la somme de 735 000 euros au titre du préjudice de rétention, et d'avoir en conséquence condamné l'organisme ad hoc (le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme) à lui verser de ce chef cette seule somme ;
ALORS QUE l'indemnisation des victimes directes d'actes de terrorisme doit respecter le principe de la réparation intégrale ; qu'en l'espèce, pour déterminer le préjudice de rétention subi par l'exposant entre son enlèvement en novembre 2011 et sa libération en décembre 2014, l'arrêt attaqué, par motifs adoptés, a procédé à une évaluation différenciée de l'indemnité en fonction de chaque « année » de détention ; qu'en statuant de la sorte, sans indiquer sur quels éléments elle se serait fondée et justifier une telle méthode par une quelconque évolution dans les conditions de vie de la victime au cours de sa détention, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit et de l'article 1382 du code civil, devenu article 1240 du même code. | Ne modifie pas les termes du litige la cour d'appel qui, saisie par une victime directe d'un acte de terrorisme, de demandes d'indemnisation, d'une part, d'un préjudice situationnel d'angoisse autonome, d'autre part, des souffrances endurées, après avoir énoncé que le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées regroupe toutes les souffrances de la victime, qu'elles soient physiques ou psychiques, rejette la demande formée au titre du préjudice situationnel d'angoisse et alloue, au titre des souffrances endurées, une indemnité dont le montant n'excède pas la somme des demandes présentées de ces deux chefs |
8,246 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1101 FS-B
Pourvoi n° K 21-13.134
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ Mme [K] [L],
2°/ M. [M] [T],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° K 21-13.134 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations et plaidoiries de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de Mme [L] et de M. [T], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Martin, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes et Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 janvier 2021), Mme [L] et M. [T], qui étaient présents à proximité du site de l'attentat perpétré le 14 juillet 2016, à Nice, au moyen d'un camion qui s'était engouffré dans la foule, ont adressé au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) une demande d'indemnisation de leurs préjudices, en faisant valoir qu'ils avaient subi des répercussions psychologiques à la suite de cet événement.
2. Le FGTI ayant refusé de les indemniser, au motif qu'ils ne se trouvaient pas sur le lieu même de l'attentat, Mme [L] et M. [T] l'ont assigné devant un tribunal de grande instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [L] et M. [T] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ne peuvent prétendre à la qualité de victimes d'acte de terrorisme au sens de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, et à une indemnisation par le FGTI, et de les débouter de l'intégralité de leurs demandes, alors :
« 1°/ que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que les exposants n'avaient pas le statut de victimes, que le camion s'était arrêté à 400 mètres de là où ils se trouvaient, sans rechercher, comme elle y était invitée, si avant l'arrêt du camion les exposants avaient été exposés au risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal ;
2°/ que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en affirmant, pour refuser le statut de victimes à M. [T] et Mme [L], qu'ils se trouvaient à 400 mètres du camion au moment de la fin de sa course, la cour d'appel qui a soumis la reconnaissance de la qualité de victime à la réalisation du risque, a violé les articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
4. L'article 421-1 du code pénal prévoit que certaines infractions constituent des actes de terrorisme lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
5. Selon l'article L. 126-1 du code des assurances, qui a codifié, en substance, l'article 9 de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 et L. 422-3.
6. S'agissant d'actes de terrorisme en lien avec les infractions d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes, sont des victimes, au sens de l'article L.126-1 précité, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.
7. Le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime.
8. L'arrêt relève que le Palais de la Méditerranée devant lequel la course du camion avait pris fin était éloigné de 400 mètres du théâtre de Verdure où se trouvaient Mme [L] et M. [T] et constate qu'ils ne s'étaient pas trouvés sur la trajectoire de ce véhicule.
9. En l'état de ces constatations et énonciations mettant en évidence que Mme [L] et M. [T] n'avaient, à aucun moment, été directement exposés à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument délaissée, a pu décider qu'ils n'avaient pas la qualité de victimes au sens des textes susmentionnés.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gouz-Fitoussi, avocat aux Conseils, pour Mme [L] et M. [T]
M. [T] et Mme [L] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'ils ne pouvaient prétendre à la qualité de victime d'acte de terrorisme au sens de la loi du 9 septembre 1986, et à une indemnisation subséquente par le fonds de garantie et de les avoir déboutés de l'intégralité de leurs demandes ;
Alors 1°) que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que les exposants n'avaient pas le statut de victimes, que le camion s'était arrêté à 400 mètres de là où ils se trouvaient, sans rechercher, comme elle y était invitée, si avant l'arrêt du camion les exposants avaient été exposés au risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal ;
Alors 2°) que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en affirmant, pour refuser le statut de victimes à M. [T] et Mme [L], qu'ils se trouvaient à 400 mètres du camion au moment de la fin de sa course, la cour d'appel qui a soumis la reconnaissance de la qualité de victime à la réalisation du risque, a violé les articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal. | S'agissant d'actes de terrorisme en lien avec les infractions d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes, sont des victimes, au sens de l'article L.126-1 du code des assurances, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.
Le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime.
Une cour d'appel, qui relève que des personnes étaient éloignés de 400 mètres du lieu où avait pris fin l'attentat, et qui met ainsi en évidence qu'elles n'avaient, à aucun moment, été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle, a pu décider qu'elles n'avaient pas la qualité de victimes au sens de ce texte et ne pouvaient ainsi être indemnisées par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) |
8,247 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1104 F-B
Pourvoi n° G 21-12.028
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [H] [O].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 11 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
M. [H] [O], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° G 21-12.028 contre l'ordonnance n° RG 18/01982 rendue le 18 décembre 2019 par la première présidente de la cour d'appel d'Orléans, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [E] [T], domicilié [Adresse 3],
2°/ à Mme [C] [N], épouse [O], domiciliée [Adresse 1],
3°/ à Mme [U] [O], domiciliée [Adresse 4],
4°/ à Mme [I] [O], domiciliée [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. [O], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Mmes [C], [U] et [I] [O] et M. [O] (les consorts [O]) ont confié à M. [T], avocat, la défense de leurs intérêts dans une procédure conduite à l'encontre de la société AXA. Une convention d'honoraires a été signée le 30 juin 2016 entre les parties.
2. Après avoir mis un terme à son mandat, l'avocat, bâtonnier de son ordre, a saisi le président du tribunal de grande instance le 19 mars 2018 en fixation du montant de ses honoraires et condamnation in solidum des consorts [O] à lui verser la somme de 2 056,94 euros.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [O] fait grief à l'ordonnance de condamner l'avocat à restituer aux consorts [O] un trop perçu de 155,80 euros, alors « que le bâtonnier et le premier président, saisis d'une demande en fixation d'honoraires d'un avocat, sont compétents pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d'honoraires ; qu'en considérant qu'il n'entrait pas dans ses pouvoirs de statuer sur la nullité pour vice de consentement de la convention d'honoraires et, par suite, que le moyen invoqué en ce sens était inopérant, le premier président a violé les articles 1108 et 1109 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1108 et 1109, devenus respectivement, 1128 et 1130 du code civil et 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat :
4. Selon le premier de ces textes, le consentement de la partie qui s'oblige est l'une des conditions essentielles de la validité de la convention. Aux termes du second, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. Il résulte du dernier que les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires d'avocat ne peuvent être réglées que par la procédure prévue par ce décret.
5. Pour écarter le moyen présenté par les consorts [O], tiré de la nullité pour vice du consentement de la convention d'honoraires qu'ils avaient conclue avec l'avocat, l'ordonnance énonce que le premier président ne dispose pas du pouvoir de statuer sur cette éventuelle nullité.
6. En statuant ainsi, alors que le premier président, saisi d'une demande en fixation d'honoraires d'un avocat, a le pouvoir pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d'honoraires, la première présidente a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle a ordonné la jonction des dossiers 18/3444 et 18/1982 sous le n° 18/1982, et déclaré recevable le recours formé par Mmes [I], [U] et [C] [O] et M. [H] [O] contre « l'ordonnance de taxe » rendue par le président du tribunal de grande instance de Blois le 19 juillet 2018 sous le n° 18/584, l'ordonnance rendue le 18 décembre 2019, entre les parties, par la première présidente de la cour d'appel d'Orléans ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Versailles ;
Condamne M. [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [T] à payer à Me Haas la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour M. [O]
M. [O] fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée D'AVOIR Me [T] condamné à restituer aux consorts [O] la somme trop perçue de 155,80 euros ;
ALORS, 1°), QUE le bâtonnier et le premier président, saisis d'une demande en fixation d'honoraires d'un avocat, sont compétents pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d'honoraires ; qu'en considérant qu'il n'entrait pas dans ses pouvoirs de statuer sur la nullité pour vice de consentement de la convention d'honoraires et, par suite, que le moyen invoqué en ce sens était inopérant, le premier président a violé les articles 1108 et 1109 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
ALORS, 2°), QUE, dans leurs conclusions d'appel, les consorts [O] faisaient valoir qu'une partie des diligences accomplies par l'avocat avaient été inutiles à la défense de leurs intérêts ; qu'en laissant sans réponse ce moyen, qui n'était pas inopérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Il résulte des articles 1108 et 1109, devenus respectivement 1128 et 1130, du code civil et 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, que le premier président, saisi d'une demande en fixation d'honoraires d'un avocat, a le pouvoir pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d'honoraires |
8,248 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1111 F-B
Pourvoi n° H 21-10.739
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
La société Cabinet Coll, société d'exercice libéral par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-10.739 contre l'ordonnance n° RG : 18/00024 rendue le 27 novembre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Paris (Pôle 2, chambre 6), dans le litige l'opposant à Mme [S] [G], divorcée [K], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Cabinet Coll, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [G], divorcée [K], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Isola, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 27 novembre 2020) et les productions, Mme [G] a confié la défense de ses intérêts, le 20 mars 2014, à la société Cabinet Coll (l'avocat) pour l'assister dans une procédure l'opposant à son époux.
2. Une convention d'honoraires a été conclue le même jour, prévoyant un forfait, non remboursable, de 3 500 euros TTC, en cas de dessaisissement de l'avocat par le client et une clause d'indemnité de dédit prévoyant, dans la même hypothèse, que l'honoraire restant à courir serait dû, plafonné à 2 500 euros HT (3 000 euros TTC).
3. Mme [G] a mis fin au mandat qui la liait à l'avocat par courriel du 6 octobre 2015, confirmé par lettre du 28 décembre 2015.
4. Le 14 avril 2016, elle a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris d'une contestation d'honoraires afin d'obtenir le remboursement des honoraires versés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen qui est irrecevable et sur le second, pris en sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. L'avocat fait grief à l'ordonnance de réputer non écrites les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212, alinéa 1er, et L. 241-1 du code de la consommation, de fixer à la somme de 900 euros TTC les honoraires dus à l'avocat, de constater que Mme [G] avait versé à ce dernier la somme de 3 500 euros TTC au titre des honoraires et de condamner en conséquence l'avocat à lui rembourser la somme de 2 600 euros TTC, alors :
« 1°/ que la procédure spéciale prévue par l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats ; qu'il en résulte que le bâtonnier, et sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, des différends portant sur l'existence ou la validité du mandat confié à l'avocat ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires devait être réputée non écrite comme étant abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation, le premier président a excédé ses pouvoirs et violé l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
2°/ que, subsidiairement, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le déséquilibre significatif doit être apprécié par les juges du fond en fonction de l'équilibre général des prestations réciproques et du principe de liberté contractuelle ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires créait un déséquilibre significatif au détriment du client, en ce qu'aucune clause de dédit n'était réciproquement prévue au profit du client en cas de dessaisissement anticipé par l'avocat, sans rechercher si, ainsi que le mentionnait expressément la convention d'honoraires, la clause de dédit ne trouvait pas sa contrepartie, favorable au client, dans la fixation d'un honoraire forfaitaire ferme sans aucun dépassement d'un montant largement inférieur à celui qui aurait résulté de l'application d'un taux-horaire, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 212-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
7. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, [C], C-243/08).
8. Selon l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
9. Il entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d'avocat, d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur.
10. C'est donc sans excéder ses pouvoirs que le premier président, qui ne s'est pas prononcé sur la validité du mandat de l'avocat, a retenu que les dispositions du code de la consommation sont applicables aux conventions d'honoraires d'avocats et a examiné le caractère abusif des clauses de la convention litigieuse.
11. Relevant, ensuite, qu'en l'espèce, les deux clauses, respectivement prévues par les articles III-1 et V-5-5 de la convention d'honoraires, étaient contradictoires quant à leur montant, le premier article prévoyant qu'en cas de dessaisissement de l'avocat par le client, les honoraires forfaitaires de 3 500 euros TTC restaient dus en totalité et le second que les indemnités de dédit ne pouvaient dépasser 2 500 euros HT, soit 3 000 euros TTC, il a retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que ces clauses ont, chacune, pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au contrat, dès lors que, d'une part, l'avocat obtiendrait de sa cliente, le paiement de la totalité des honoraires ou leur quasi-totalité alors qu'il n'avait effectué que deux prestations sur les six qu'il s'était engagé à effectuer pour le montant forfaitaire fixé et que les deux montants du dédit apparaissaient disproportionnés avec les diligences réalisées, d'autre part, qu'il n'est nullement prévu, en cas de « dessaisissement » anticipé par l'avocat, une clause de dédit en faveur de la cliente.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Cabinet Coll aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cabinet Coll et la condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Cabinet Coll
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La SELASU CABINET COLL fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR réputé non écrite les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212 alinéa 1er et L. 241-1 du Code de la consommation, d'AVOIR fixé à la somme de 900 € TTC les honoraires dus au Cabinet COLL par Madame [G], d'AVOIR constaté que celle-ci avait versé au Cabinet COLL la somme de 3.500 € TTC au titre des honoraires d'AVOIR et condamné en conséquence le Cabinet COLL à rembourser à Madame [G] la somme de 2.600 € TTC ;
ALORS QUE les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats sont soumises au bâtonnier, lequel statue dans un délai de quatre mois prorogeable une fois par décision expresse ; qu'à l'expiration de ces délais, le bâtonnier est dessaisi de la réclamation formée devant lui, et cela même si aucune des parties n'a porté cette réclamation devant le premier président dans le délai d'un mois suivant l'expiration de ces délais, de sorte que la décision qu'il prendrait ultérieurement doit être déclarée nulle ; qu'en l'espèce, le premier président a expressément constaté que Madame [G] avait saisi le bâtonnier « par lettre RAR du 14 avril 2016 et qu'aucune décision n'ayant été rendue dans les mois suivants, elle s'est enquise auprès des services du bâtonnier par courrier RAR du 25 septembre 2017 des suites données à sa saisine du 14 avril 2016 » et que la décision du bâtonnier avait finalement été rendue le 21 décembre 2017, soit postérieurement à son dessaisissement ; qu'il s'en déduit, ainsi que le soutenait l'exposant, que la décision de bâtonnier est nulle ; qu'en jugeant le contraire, le premier Président de la Cour d'appel, qui a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La SELASU CABINET COLL fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR réputé non écrite les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212 alinéa 1er et L. 241-1 du Code de la consommation, d'AVOIR fixé à la somme de 900 € TTC les honoraires dus au Cabinet COLL par Madame [G], d'AVOIR constaté que celle-ci avait versé au Cabinet COLL la somme de 3.500 € TTC au titre des honoraires d'AVOIR et condamné en conséquence le Cabinet COLL à rembourser à Madame [G] la somme de 2.600 € TTC ;
1°/ ALORS QUE la procédure spéciale prévue par l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats ; qu'il en résulte que le bâtonnier, et sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, des différends portant sur l'existence ou la validité du mandat confié à l'avocat ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires devait être réputée non écrite comme étant abusive au sens de l'article L. 212-1 du Code de la consommation, le premier Président a excédé ses pouvoirs et violé l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
2°/ ET ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le déséquilibre significatif doit être apprécié par les juges du fond en fonction de l'équilibre général des prestations réciproques et du principe de liberté contractuelle ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires créait un déséquilibre significatif au détriment du client, en ce qu'aucune clause de dédit n'était réciproquement prévue au profit du client en cas de dessaisissement anticipé par l'avocat, sans rechercher si, ainsi que le mentionnait expressément la convention d'honoraires, la clause de dédit ne trouvait pas sa contrepartie, favorable au client, dans la fixation d'un honoraire forfaitaire ferme sans aucun dépassement d'un montant largement inférieur à celui qui aurait résulté de l'application d'un taux-horaire, le premier Président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 212-1 du Code de la consommation ;
3°/ ET ALORS ENFIN, SUBSIDIAIREMENT, QUE lorsqu'à la date de dessaisissement de l'avocat, il n'a pas été mis fin au mandat par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, la convention préalable d'honoraires cesse d'être applicable et les honoraires correspondant à la mission partielle effectuée par l'avocat jusqu'à cette date doivent être appréciés en fonction des seuls critères définis par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ; qu'ainsi les honoraires sont fixés en tenant compte des usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences effectuées ; qu'à cet égard, le bâtonnier ou, sur recours, le premier président, ne saurait porter une appréciation sur la qualité du travail effectué par l'avocat pour fixer lesdits honoraires ; qu'en l'espèce, le premier Président, pour évaluer les honoraires dus par Madame [G] au Cabinet COLL, a relevé que si l'affaire était complexe en raison de son caractère international, l'avocat n'avait toutefois pas fait état dans son projet de requête en divorce de la Convention franco-marocaine de 1981 pourtant applicable dès lors que Madame [G] est de nationalité marocaine ; qu'en portant ainsi un jugement sur la pertinence des recherches effectuées par le Cabinet COLL pour déterminer le montant des honoraires qui lui étaient dus, le premier Président a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. | Il entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d'avocat, d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur |
8,249 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1114 F-B
Pourvoi n° Q 21-14.334
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [S] [E] [J].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 2 février 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
Mme [Y] [S] [E] [J], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 21-14.334 contre l'arrêt rendu le 14 mai 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [S] [E] [J], de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société MAAF assurances, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 mai 2020), Mme [S] [E] [J], domiciliée en France, a été victime de blessures à la suite d'un accident de la circulation survenu en Espagne alors qu'elle était passagère d'un bus immatriculé en France, entré en collision avec un bus immatriculé au Portugal, assuré auprès de la société de droit portugais Fidelidade.
2. Mme [S] [E] [J] a assigné en référé la société MAAF assurances (la MAAF) intervenant comme représentante en France de la société d'assurance Fidelidade, aux fins d'obtenir la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ainsi que le versement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les trois moyens, réunis
Enoncé des moyens
3. Par son premier moyen, Mme [S] [E] [J] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande à l'encontre de la MAAF tendant à ordonner une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ qu'en se référant à la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et à l'arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 relatif à cette directive, quand il leur fallait seulement se référer à la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, sachant que le contenu des deux directives était différent, et en tout cas, à l'article L. 310-2-2 du code des assurances, les juges du fond ont violé par fausse application l'article 4 de la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et par refus d'application l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, et l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
2°/ qu'en tout cas, dès lors que tant au regard de l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 qu'au regard de l'article L. 310-2-2 du code des assurances, le représentant de l'assureur étranger a pour mission de « traiter et régler » les sinistres, il a nécessairement qualité pour défendre à une action en justice, comme le souligne le considérant 37 de la directive ; qu'il a notamment qualité pour défendre à une action fondée sur l'article 145 du code de procédure civile et destinée à la mise en place d'une mesure d'instruction en vue de résoudre le litige futur relatif à l'indemnisation de la victime ; qu'à cet égard, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
3°/ que, dès lors que l'absence de contestation sérieuse n'est pas une condition légalement requise par le texte, les juges du fond ont violé l'article 145 du code de procédure civile. »
4. Par son deuxième moyen, Mme [S] [E] [J] fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le défendeur à la demande en référé soit le défendeur à l'action au fond ; qu'à ce titre, le représentant, tel que visé à l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et à l'article L. 310-2-2 du code des assurances, peut en tout cas être défendeur à l'action engagée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, peu important que l'assureur ne puisse éventuellement être défendeur dans le cadre de l'action au fond ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 145 du code de procédure civile et des articles 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et L. 310-2-2 du code des assurances. »
5. Par son troisième moyen, Mme [S] [E] [J] fait grief à l'arrêt d'écarter sa demande de provision, alors :
« 1°/ qu'en se référant à la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et à l'arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 relatif à cette directive, quand il leur fallait seulement se référer à la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, sachant que le contenu des deux directives était différent, et en tout cas, à l'article L. 310-2-2 du code des assurances, les juges du fond ont violé par fausse application l'article 4 de la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et par refus d'application l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, et l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
2°/ qu'en tout cas, dès lors que tant au regard de l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 qu'au regard de l'article L. 310-2-2 du code des assurances, le représentant de l'assureur étranger a pour mission de « traiter et régler » les sinistres, il a nécessairement qualité pour défendre à une action en justice comme le souligne le considérant 37 de la directive ; qu'il a notamment qualité pour défendre à une action visant à l'octroi d'une provision sur le fondement de l'article 809 ancien du code de procédure civile ; qu'en écartant la demande de provision, les juges du fond ont violé l'article 809 ancien du code de procédure civile, l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
3°/ qu'à supposer que le représentant n'ait pas le pouvoir de défendre à une action au fond, de toute façon, ayant pour mission de traiter et de régler le sinistre, il a au moins qualité pour défendre à une demande visant à l'octroi d'une provision, dès lors notamment que la provision peut être remise en cause dans le cadre d'une action au fond et qu'étant représentant, l'assureur est en droit de faire supporter la provision par l'entité qu'il représente ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 809 ancien du code de procédure civile, de l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et de l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
4°/ que si l'octroi de la provision suppose une obligation non sérieusement contestable, l'absence de contestation sérieuse a trait à l'obligation de réparer et non au point de savoir si un assureur français peut être attrait en qualité de représentant d'un assureur étranger pour qu'il soit statué sur la provision ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué doit être censuré pour violation de l'article 809 ancien du code de procédure civile, de l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et de l'article L. 310-2-2 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
6. L'arrêt rappelle d'abord exactement que les dispositions de l'article 4 de la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 prescrivant aux entreprises d'assurance couvrant les risques liés à la responsabilité civile des véhicules terrestres à moteur de nommer un représentant chargé du règlement des sinistres dans chaque État membre autre que celui où elles ont reçu leur agrément administratif ont été reprises, dans des termes identiques, à l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009.
7. En effet, l'article 4.1 de la directive 2000/16/CE susmentionnée, comme l'article 21.1 de la directive 2009/103/CE, disposent que le représentant a pour mission de « traiter et de régler les sinistres résultant d'un accident » dans les cas visés par ces textes. L'article L. 310-2-2 du code des assurances transposant ces dispositions reprend ces mêmes termes.
8. La cour d'appel s'est à juste titre référée à l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) le 15 décembre 2016 (CJUE, 15 décembre 2016, affaire C-558/15 - [Z] [G] [N] et autres), qui a interprété l'article 4 de la directive 2000/26/CE, pour rechercher la teneur de la mission du représentant de l'assureur au sens de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009.
9. Ayant relevé que, par cet arrêt, la CJUE avait dit pour droit que l'article 4 de la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres de prévoir que le représentant chargé du règlement des sinistres puisse être assigné lui-même, en lieu et place de l'entreprise d'assurance qu'il représente, devant la juridiction nationale saisie d'un recours en indemnisation intenté par une personne lésée entrant dans le champ d'application de la directive, et retenu exactement qu'aucun texte de transposition ne prévoit que le représentant soit débiteur de l'indemnisation due par l'assureur étranger, la cour d'appel a décidé à bon droit que ne se déduit d'aucun texte le droit pour la victime de diriger l'action judiciaire en indemnisation, même provisionnelle, exclusivement contre le représentant de l'assureur.
10. Par ailleurs, l'action en référé fondée sur l'article 145 du code de procédure civile devant être dirigée contre la personne à laquelle la mesure d'instruction pourra être opposée dans un litige éventuel au fond, elle doit l'être, en cas d'expertise médicale faisant suite à un accident de la circulation, contre le débiteur de la réparation du dommage corporel, soit au cas particulier, l'assureur du véhicule impliqué dans l'accident, et non son représentant au sens des directives susmentionnées.
11. Dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté les demande de Mme [S] [E] [J] dirigées contre la MAAF.
12. Les moyens, dont le premier est inopérant en sa troisième branche, comme s'attaquant à des motifs surabondants de l'arrêt, ne sont, dès lors, pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [S] [E] [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour Mme [S] [E] [J]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt infirmatif attaqué, critiqué par Madame [S] [E] [J], encourt la censure ;
EN CE QU'il a refusé, sur la demande formée par Madame [S] à l'encontre de la MAAF, de prescrire une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, premièrement, en se référant à la Directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et à l'arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 relatif à cette directive, quand il leur fallait seulement se référer à la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, sachant que le contenu des deux directives était différent, et en tout cas, à l'article L.310-2-2 du code des assurances, les juges du fond ont violé par fausse application l'article 4 de la Directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et par refus d'application l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, et l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ALORS QUE, deuxièmement, et en tout cas, dès lors que tant au regard de l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 qu'au regard de l'article L.310-2-2 du code des assurances, le représentant de l'assureur étranger a pour mission de « traiter et régler » les sinistres, il a nécessairement qualité pour défendre à une action en justice, comme le souligne le considérant 37 de la directive ; qu'il a notamment qualité pour défendre à une action fondée sur l'article 145 du code de procédure civile et destinée à la mise en place d'une mesure d'instruction en vue de résoudre le litige futur relatif à l'indemnisation de la victime ; qu'à cet égard, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ET ALORS QUE, troisièmement, dès lors que l'absence de contestation sérieuse n'est pas une condition légalement requise par le texte, les juges du fond ont violé l'article 145 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
L'arrêt infirmatif attaqué, critiqué par Madame [S] [E] [J], encourt la censure ;
EN CE QU'il a refusé, sur la demande formée par Madame [S] à l'encontre de la MAAF de prescrire une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le défendeur à la demande en référé soit le défendeur à l'action au fond ; qu'à ce titre, le représentant, tel que visé à l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et à l'article 310-2-2 du code des assurances, peut en tout cas être défendeur à l'action engagée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, peu important que l'assureur ne puisse éventuellement être défendeur dans le cadre de l'action au fond ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 145 du code de procédure civile et des articles 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et L.310-2-2 du code des assurances.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt infirmatif attaqué, critiqué par Madame [S] [E] [J], encourt la censure ;
EN CE QU'il a écarté la demande de provision ;
ALORS QUE, premièrement, en se référant à la Directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et à l'arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 relatif à cette directive, quand il leur fallait seulement se référer à la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, sachant que le contenu des deux directives était différent, et en tout cas, à l'article L.310-2-2 du code des assurances, les juges du fond ont violé par fausse application l'article 4 de la Directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et par refus d'application l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, et l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ALORS QUE, deuxièmement, et en tout cas, dès lors que tant au regard de l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 qu'au regard de l'article L.310-2-2 du code des assurances, le représentant de l'assureur étranger a pour mission de « traiter et régler » les sinistres, il a nécessairement qualité pour défendre à une action en justice comme le souligne le considérant 37 de la directive ; qu'il a notamment qualité pour défendre à une action visant à l'octroi d'une provision sur le fondement de l'article 809 ancien du code de procédure civile ; qu'en écartant la demande de provision, les juges du fond ont violé l'article 809 ancien du code de procédure civile, l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ALORS QUE, troisièmement, à supposer que le représentant n'ait pas le pouvoir de défendre à une action au fond, de toute façon, ayant pour mission de traiter et de régler le sinistre, il a au moins qualité pour défendre à une demande visant à l'octroi d'une provision, dès lors notamment que la provision peut être remise en cause dans le cadre d'une action au fond et qu'étant représentant, l'assureur est en droit de faire supporter la provision par l'entité qu'il représente ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 809 ancien du code de procédure civile, de l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et de l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ET ALORS QUE, quatrièmement, si l'octroi de la provision suppose une obligation non sérieusement contestable, l'absence de contestation sérieuse a trait à l'obligation de réparer et non au point de savoir si un assureur français peut être attrait en qualité de représentant d'un assureur étranger pour qu'il soit statué sur la provision ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué doit être censuré pour violation de l'article 809 ancien du code de procédure civile, de l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et de l'article L.310-2-2 du code des assurances. | Les dispositions de l'article 4 de la directive 2000/26/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 mai 2000 prescrivant aux entreprises d'assurance couvrant les risques liés à la responsabilité civile des véhicules terrestres à moteur de nommer un représentant chargé du règlement des sinistres dans chaque État membre autre que celui où elles ont reçu leur agrément administratif ont été reprises, dans des termes identiques, à l'article 21 de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009.
La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4 de la première de ces directives doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres de prévoir que le représentant chargé du règlement des sinistres puisse être assigné lui-même, en lieu et place de l'entreprise d'assurance qu'il représente, devant la juridiction nationale saisie d'un recours en indemnisation intenté par une personne lésée entrant dans le champ d'application de la directive. Par ailleurs, aucune disposition de transposition de ces textes en droit français ne prévoit que le représentant soit débiteur de l'indemnisation due par l'assureur étranger.
Dès lors, une cour d'appel décide à bon droit qu'il ne se déduit d'aucun texte le droit pour la victime de diriger l'action judiciaire en indemnisation, même provisionnelle, ou l'action aux fins d'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, exclusivement contre le représentant de l'assureur |
8,250 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 759 F-B
Pourvoi n° S 21-15.026
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 OCTOBRE 2022
La société Lyonnaise de banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-15.026 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [W], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Travere Industries,
2°/ à la société Travere Industries, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société Rioux, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Travere Industries,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Lyonnaise de banque, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 février 2021), la société Lyonnaise de banque (la banque) a consenti à la société Travere Industries (la société Travere) un prêt professionnel.
2. Les 3 novembre 2008 et 23 janvier 2011, la société Travere a été successivement mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, M. [W] et la société Rioux étant désignés co-liquidateurs. La banque a procédé, au titre du prêt, à deux déclarations de créance successives, que la société Travere a contestées. Par une ordonnance du 15 octobre 2012, le juge-commissaire a admis la créance. Par un arrêt du 11 juin 2015, la cour d'appel a infirmé cette ordonnance, dit que le juge-commissaire était dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation qui opposait les parties, sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et ouvert aux parties un délai d'un mois pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion.
3. La banque a assigné la société Travere et les liquidateurs devant le tribunal pour trancher la contestation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de dire que les déclarations de créance sont irrégulières et de rejeter ses demandes, alors « que sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet de la créance, ainsi que pour apprécier la régularité de la déclaration de créance ; que par conséquent, le juge-commissaire qui, constatant l'existence d'une contestation ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel, renvoie les parties à mieux se pourvoir et à saisir le juge compétent, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise pour statuer sur la créance en l'admettant ou en la rejetant ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire par ordonnance du 9 octobre 2012, constatant que la banque justifiait de la régularité de sa déclaration et du quantum de sa créance, a prononcé l'admission de celle-ci au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries ; que par arrêt infirmatif du 11 juin 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, constatant que le juge-commissaire est dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation opposant les parties, a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et a invité les parties à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois, à peine de forclusion ; que saisi par la banque, le tribunal de commerce de Toulon, par jugement du 26 juin 2017 a fixé la créance de celle-ci au passif de la liquidation judiciaire de la débitrice ; que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne pouvait décider que les déclarations de la banque étaient irrégulières et débouter celle-ci de toutes ses demandes ; qu'en statuant ainsi quand il lui appartenait de relever d'office son pouvoir juridictionnel pour statuer sur la régularité des déclarations de créances de la banque, la cour d'appel, qui a commis un excès de pouvoir, a violé l'article L 624-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, ensemble l'article 125 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 12 mars 2014 :
5. Il résulte de ce texte que lorsque le juge-commissaire constate qu'une contestation de créance ne relève pas de son pouvoir juridictionnel, sursoit à statuer sur l'admission de la créance et invite les parties à saisir le juge compétent sur cette contestation, ou lorsque, s'estimant incompétent pour trancher la contestation, il renvoie les parties à saisir le juge compétent, le juge-commissaire demeure seul compétent pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance et admettre ou rejeter la créance.
6. Pour dire que les déclarations de créance sont irrégulières et rejeter les demandes de la banque, l'arrêt retient qu'il n'est pas justifié que le signataire des déclarations successives avait reçu délégation de pouvoir d'ester en justice de la part du représentant légal de la banque ou d'un délégataire ayant reçu lui-même le pouvoir de subdéléguer.
7. En statuant ainsi, alors que la cour d'appel, statuant par son arrêt du 11 juin 2015 avec les pouvoirs du juge-commissaire, était seule compétente pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs de juge compétent pour trancher la contestation sérieuse, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Travere Industries, M. [W] et la société Rioux, ces derniers en leur qualité de liquidateurs de la société Travere Industries, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lyonnaise de banque ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société Lyonnaise de banque.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué.
D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.
ALORS QUE sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet de la créance, ainsi que pour apprécier la régularité de la déclaration de créance ; que par conséquent, le juge-commissaire qui, constatant l'existence d'une contestation ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel, renvoie les parties à mieux se pourvoir et à saisir le juge compétent, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise pour statuer sur la créance en l'admettant ou en la rejetant ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire par ordonnance du 9 octobre 2012, constatant que la banque justifiait de la régularité de sa déclaration et du quantum de sa créance, a prononcé l'admission de celle-ci au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries ; que par arrêt infirmatif du 11 juin 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, constatant que le juge-commissaire est dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation opposant les parties, a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et a invité les parties à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois ,à peine de forclusion ; que saisi par la banque, le tribunal de commerce de Toulon, par jugement du 26 juin 2017 a fixé la créance de celle-ci au passif de la liquidation judiciaire de la débitrice ; que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne pouvait décider que les déclarations de la banque étaient irrégulières et débouter celle-ci de toutes ses demandes ; qu'en statuant ainsi quand il lui appartenait de relever d'office son pouvoir juridictionnel pour statuer sur la régularité des déclarations de créances de la banque, la cour d'appel, qui a commis un excès de pouvoir, a violé l'article L 624-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, ensemble l'article 125 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué
D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.
ALORS D'UNE PART QU' aucune pièce justificative ne doit être exigée à l'appui de l'expédition de l'acte authentique en ce qui concerne les énonciations établissant l'état, la capacité et la qualité de parties lorsque ces énonciations sont certifiées exactes dans l'acte par le notaire ; et que l'analyse certifiée du notaire suffit à établir la capacité juridique dont dispose son auteur pour accomplir l'acte concerné ; que pour juger irrégulières les déclarations de créance de la Société Lyonnaise de Banque au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries, l'arrêt retient qu'à cette déclaration du 18 novembre 2008 est jointe une attestation notariée du 23 janvier 2006 de Me [U] notaire [
]attestant que la Lyonnaise de Banque, représentée par M. [C], directeur général adjoint a donné à M. [S] qui exerce les fonctions de chargé de procuration-contentieux les pouvoirs indiqués au verso ; qu'il est indiqué dans cette attestation que M. [C] a reçu pouvoirs de M. [B], président directeur général ; [
] mais que cette attestation notariée ne permet pas à la cour de vérifier que M. [C] avait bien reçu délégation de pouvoir d'ester en justice[
] et qu'il pouvait subdéléguer cette prérogative à M. [S] ; qu'en se déterminant ainsi quand la mention portée au bas de l'attestation du 23 janvier 2006 selon laquelle le notaire certifiait la qualité et la capacité de M. [C] incluait nécessairement sa capacité juridique à ester en justice et à déclarer les créances, ainsi qu'à subdéléguer ses pouvoirs, la cour d'appel a violé l'article 2158 ancien du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006.
ALORS D'AUTRE PART QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents qui leur sont soumis ; et que constitue une dénaturation par omission le fait de tenir pour inexistante une pièce versée aux débats ; que pour juger que les déclarations de créance de la banque sont irrégulières, l'arrêt retient que l'absence de signature des intéressés et notamment de M. [S] (sur l'attestation notariée du 23 janvier 2006) et de tout autre document ne permet pas de vérifier qu'il est bien le signataire de la déclaration de créance du 18 novembre 2008 ; qu'en statuant ainsi sans prendre en considération et sans analyser les spécimens de signature de M. [S] accompagnés d'une copie de sa carte d'identité versés aux débats par la banque (pièce n° 17) pour les comparer à celle portée sur la déclaration sous le nom de M. [S], la cour d'appel a dénaturé ces documents.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (très subsidiaire)
La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué
D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.
ALORS QUE le juge ne peut méconnaitre l'objet du litige dont il est saisi ; que pour juger irrégulières les déclarations de créance (sic) de la banque, la cour d'appel retient qu'il n'est pas démontré que la seconde déclaration de créance datée du 18 janvier 2011 a été effectuée par un employé de la Lyonnaise de Banque ayant reçu délégation de pouvoir d'y procéder ; qu'en statuant ainsi quand dans le dispositif de ses conclusions, la débitrice se bornait à solliciter le rejet de la créance déclarée par la banque pour irrégularité de la déclaration des créances, laquelle se rapportait exclusivement à la déclaration initiale effectuée le 18 novembre 2008, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. | Il résulte de l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, que lorsque le juge-commissaire constate qu'une contestation de créance ne relève pas de son pouvoir juridictionnel, sursoit à statuer sur l'admission de la créance et invite les parties à saisir le juge compétent sur cette contestation, ou lorsque, s'estimant incompétent pour trancher la contestation, il renvoie les parties à saisir le juge compétent, le juge-commissaire demeure seul compétent pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance et admettre ou rejeter la créance.
Doit être cassé l'arrêt de la cour d'appel qui, statuant sur l'appel du jugement du tribunal compétent pour trancher une contestation sérieuse portant sur une créance déclarée au passif d'un débiteur en procédure collective, excède ses pouvoirs en disant irrégulière la déclaration de créance pour défaut de justification du pouvoir de son signataire |
8,251 | N° W 22-84.862 F-B
N° 01448
ODVS
25 OCTOBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
M. [Y] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 22 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre lui notamment des chefs de viols et tentative de meurtre aggravé, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Y] [E], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [Y] [E] a été mis en examen des chefs précités le 14 juillet 2021 et placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes.
3. L'ordonnance portant organisation des services dudit tribunal à compter du 3 janvier 2022 précisait notamment que les affectations des juges pourraient en complément ou modification de cette dernière être arrêtées par des tableaux de service établis par le président du tribunal ou son délégataire.
4. S'agissant du service pénal du juge des libertés et de la détention, il était précisé que, hors périodes de service allégé et de fins de semaine, le service était assuré par Mmes [P] et [V] [G].
5. Le 7 avril 2022, le président du tribunal a rendu une ordonnance, au visa de l'article L. 252-1 du code de l'organisation judiciaire, disposant que, en raison de l'arrêt de travail de Mme [P], étaient désignés, en qualité de juge des libertés et de la détention, les magistrats visés aux tableaux de service hebdomadaires.
6. Par ordonnance du 5 juillet 2022, Mme Adeline Rousseau, magistrate désignée comme juge des libertés et de la détention par le tableau de service pour la semaine du 4 au 8 juillet 2022, a prolongé la détention de M. [E] pour une durée de six mois.
7. M. [E] a interjeté appel de cette ordonnance.
Examen des moyens
Sur le second moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité du débat contradictoire, alors :
« 1°/ que tout jugement doit établir la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu ; que l'exposant faisait valoir (v. ses concl. p. 4) que l'ordonnance de prolongation de sa détention provisoire indiquait le nom de la magistrate qui l'avait rendue, Mme Rousseau, et sa qualité de juge des libertés et de la détention, mais ne mentionnait pas les éléments d'information permettant de s'assurer de la régularité de sa désignation et en particulier l'ordonnance par laquelle elle avait été désignée ; qu'en se bornant à retenir que, selon une ordonnance du 7 avril 2022 du président du tribunal judiciaire de Nantes constatant l'arrêt maladie de Mme [P], juge des libertés et de la détention, et renvoyant aux tableaux de service hebdomadaire, à la date du 5 juillet 2022, ce tableau de service désignait Mme Rousseau pour exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention sans constater que l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de l'exposant mentionnait la décision ayant désigné le juge des libertés et de la détention qui l'avait rendue, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L 137-1 et L 137-1-1 et 593 du code de procédure pénale ;
2° / que le juge des libertés et de la détention peut être suppléé en cas de vacance d'emploi, d'absence ou d'empêchement, par un magistrat du siège du premier grade ou hors hiérarchie désigné par le président du tribunal judiciaire ; qu'en cas d'empêchement de ces magistrats, le président du tribunal judiciaire peut désigner un magistrat du second grade ; que pour considérer que le magistrat ayant présidé le débat contradictoire en vue de la prolongation de la détention provisoire de M. [E] avait été régulièrement désigné, la chambre de l'instruction s'est bornée à retenir que, par ordonnance du 7 avril 2022, le président du tribunal judiciaire de Nantes a constaté l'arrêt maladie de Mme [P] et dit qu'il serait suppléé à cette absence par les magistrats visés aux tableaux de services hebdomadaires et qu'à la date du 5 juillet 2022, ce tableau de service désignait Mme Rousseau pour exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention ; qu'en se déterminant ainsi, quand elle constatait que l'ordonnance du 7 avril 2022 ne désignait nominativement aucun magistrat suppléant le juge des libertés et de la détention et se bornait à renvoyer à des tableaux de service hebdomadaires qui, par définition, n'étaient pas établis à la date de l'ordonnance ni a fortiori annexés à l'ordonnance, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 137-1 et 137-1-1 du code de procédure pénale.
3°/ que le juge des libertés et de la détention peut être suppléé en cas de vacance d'emploi, d'absence ou d'empêchement, par un magistrat du siège du premier grade ou hors hiérarchie désigné par le président du tribunal judiciaire ; qu'en cas d'empêchement de ces magistrats, le président du tribunal judiciaire peut désigner un magistrat du second grade ; qu'en se bornant à retenir que, par ordonnance du 7 avril 2022, le président du tribunal judiciaire de Nantes a constaté l'arrêt maladie de Mme [P] et dit qu'il serait suppléé à cette absence par les magistrats visés aux tableaux de services hebdomadaires et qu'à la date du 5 juillet 2022, ce tableau de service désignait Mme Rousseau pour exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention sans constater que le président du tribunal judiciaire avait une contrôle sur l'établissement et les éventuelles modifications desdits tableaux de service hebdomadaires en vue d'assurer de la régularité de la suppléance du juge des libertés et de la détention au regard des dispositions de l'article 137-1-1 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 137-1 et 137-1-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel la désignation du juge des libertés et de la détention était irrégulière, l'arrêt attaqué énonce que l'ordonnance de roulement du 3 janvier 2022 dispose que le service du juge des libertés et de la détention est composé de deux magistrates nommément désignées, et que, par ordonnance du 7 avril 2022, le président a constaté l'arrêt maladie de l'une d'entre elles et indiqué qu'il serait suppléé à cette absence par les magistrats visés aux tableaux de service hebdomadaires.
11. Les juges ajoutent qu'au 5 juillet 2022, date de l'ordonnance critiquée, le tableau de service désignait en qualité de juge des libertés et de la détention le magistrat ayant rendu l'ordonnance.
12. Ils en déduisent que ce magistrat avait été régulièrement désigné.
13. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.
14. En premier lieu, aucun texte n'impose que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention mentionne la décision l'ayant désigné en cette qualité.
15. En deuxième lieu, il importe peu que le juge des libertés et de la détention ait été désigné par le tableau de service hebdomadaire pour la semaine du 4 au 8 juillet 2022, postérieur à l'ordonnance du président du 7 avril 2022, dès lors que ledit tableau a été établi par ce dernier ou son délégataire.
16. Enfin, l'empêchement de l'un des juges des libertés et de la détention titulaires étant établi par l'ordonnance du président du tribunal du 7 avril 2022, il se déduit du tableau de service de la semaine considérée que les autres magistrats du premier grade de plus haut rang que celui ayant statué étaient empêchés car absents ou requis par l'exercice de leurs autres missions dans la juridiction.
17. Ainsi, le moyen doit être écarté.
18. Par ailleurs l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des articles 137-3 et 143-1 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux. | Aucun texte n'impose que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention plaçant un prévenu en détention provisoire ne mentionne la décision l'ayant désigné en cette qualité.
Il se déduit de l'article 137-1-1 du code de procédure pénale que le juge des libertés et de la détention peut être suppléé en cas de vacance d'emploi, d'absence ou d'empêchement, par un magistrat du siège désigné nominativement par un tableau de service établi par le président du tribunal judiciaire ou son délégataire.
Fait une exacte application du texte susvisé la chambre de l'instruction qui, pour rejeter le moyen de nullité du débat contradictoire tiré de l'irrégularité de la désignation du juge des libertés et de la détention, relève que, d'une part, le président du tribunal judiciaire, constatant l'arrêt maladie de l'un des juges des libertés et de la détention désigné par l'ordonnance de roulement, a dit qu'il serait suppléé à cette absence par les magistrats désignés aux tableaux de service hebdomadaires, d'autre part, le tableau de service désignait, à la date de la décision critiquée, en qualité de juge des libertés et de la détention, le magistrat l'ayant rendue |
8,252 | N° F 22-84.986 F-B
N° 01468
ECF
26 OCTOBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 OCTOBRE 2022
M. [H] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 27 juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de meurtres en bande organisée et tentative, association de malfaiteurs, en récidive, a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [H] [J], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [H] [J] a été mis en accusation des chefs susvisés et renvoyé devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône par ordonnance du juge d'instruction, en date du 28 mars 2019, maintenant les effets du mandat d'arrêt décerné à son encontre le 24 août 2018, en exécution duquel il a été placé en détention provisoire le 31 décembre 2019.
3. L'ordonnance de mise en accusation est devenue définitive le 4 mai 2020.
4. M. [J] a été mis en liberté le 8 juillet 2020.
5. L'intéressé ne s'étant pas présenté à l'interrogatoire préalable à sa comparution devant la cour d'assises, le président de cette cour a décerné mandat d'arrêt à son encontre le 25 novembre 2020.
6. Par arrêt rendu par défaut en date du 30 janvier 2021, maintenant les effets de ce mandat d'arrêt, la cour d'assises a déclaré M. [J] coupable de complicité de meurtres et de tentative de meurtre, en bande organisée et en récidive, et l'a condamné à trente ans de réclusion criminelle.
7. Le mandat d'arrêt a été mis à exécution le 1er septembre 2021.
8. Selon requête déposée le 1er juillet 2022, le procureur général a saisi la chambre de l'instruction aux fins de prolongation exceptionnelle de la détention provisoire de l'accusé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, alors :
« 1°/ que l'accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d'assises est immédiatement remis en liberté s'il n'a pas comparu devant celle-ci à l'expiration d'un délai d'un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s'il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire ; que si l'accusé, qui était détenu à la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, a été remis en liberté au cours de la procédure, il ne peut être ultérieurement replacé en détention qu'à la condition que le cumul des périodes pendant lesquelles il a ainsi été détenu n'excède pas un an ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que M. [J] était détenu pour les faits de la cause au jour où sa mise en accusation est devenue définitive ; qu'il a ainsi été détenu jusqu'au 8 juillet 2020, de sorte qu'il a passé 64 jours en détention ; que par un arrêt du 30 janvier 2021, rendu par défaut à l'égard de M. [J], la cour d'assises des Bouches-du-Rhône l'a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à 30 années de réclusion criminelle et a ordonné le maintien des effets du mandat d'arrêt émis à son encontre le 25 novembre 2020 ; que ce mandat d'arrêt a été mis à exécution le 1er septembre 2021 ; qu'il s'ensuit que l'exposant, qui avait déjà été détenu 64 jours dans l'attente de sa comparution devant la cour d'assises, devait comparaître devant cette juridiction avant le 22 juin 2022, faute de quoi l'article 181, alinéa 8, du code de procédure pénale, imposait qu'il soit remis en liberté ; qu'en retenant toutefois, pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, la date du 1er septembre 2021 comme point de départ du délai d'un an au terme duquel l'accusé doit avoir comparu devant la cour d'assises sous peine de remise en liberté d'office, quand ce délai, qui avait commencé à courir dès le 4 mai 2020, avait été suspendu, et non interrompu, du 8 juillet 2020 au 1er septembre 2021, la chambre de l'instruction a violé les articles 181, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que si le délai d'un an au terme duquel l'accusé doit avoir comparu devant la cour d'assises sous peine de remise en liberté d'office peut être prolongé, à titre exceptionnel, pour une durée de six mois, c'est à la condition qu'il soit justifié de circonstances ayant empêché l'audience au fond de débuter avant ce délai ; qu'en retenant, pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, que devaient être réalisés « les actes indispensables dans le cadre de toute procédure criminelle, à savoir audition au fond, enquête de personnalité, expertises psychologique et psychiatrique », et que « ces actes, imposant la saisine du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Marseille aux fins d'audition de [H] [J] et de désignation d'experts psychiatre et psychologue et d'un enquêteur de personnalité, ne pouvaient pas être réalisés dans le délai courant jusqu'au 31 août 2022 », sans s'expliquer sur les raisons qui avaient empêché la réalisation de ces actes, peu nombreux, sur une période d'une année entière, la chambre de l'instruction n'a pas suffisamment justifié sa décision au regard des articles 181, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
10. L'arrêt attaqué prolonge la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022.
11. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des articles 181 et 379-4 du code de procédure pénale.
12. En effet, la durée de la détention provisoire accomplie en application de l'alinéa 8 du premier de ces textes ne s'impute pas sur la durée de celle subie, sur le fondement distinct de l'alinéa 2 du second, à la suite de la mise à exécution du mandat d'arrêt assortissant la condamnation de l'accusé jugé par défaut à une peine ferme privative de liberté.
13. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
14. Pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J], l'arrêt attaqué énonce qu'il a fui à l'étranger dès le début de la procédure, n'a jamais été entendu et n'a été placé en détention provisoire qu'après l'ordonnance de mise en accusation ; que, cette ordonnance étant devenue définitive le 4 mai 2020, le président de la cour d'assises a apporté une diligence particulière à la poursuite de la procédure en ordonnant, le 29 mai 2020, un supplément d'information ; qu'ayant été mis en liberté, M. [J] a de nouveau pris la fuite et a été jugé par défaut, à la suite de quoi un mandat d'arrêt lui a été notifié le 1er septembre 2021 ; qu'il n'a pu être jugé en mai 2022, des actes imposant la saisine d'un juge d'instruction, ainsi que la désignation de deux experts et d'un enquêteur de personnalité, devant être réalisés en vue de l'audience et ne pouvant l'être avant le 31 août 2022.
15. En l'état de ces énonciations, desquelles il résulte que les autorités compétentes ont apporté au jugement de l'affaire, qui est audiencée du 6 au 13 février 2023, une diligence adaptée aux circonstances, la chambre de l'instruction, qui s'est déterminée par des considérations répondant aux exigences de l'article 181, alinéa 9, du code de procédure pénale, a justifié sa décision.
16. Ainsi, le moyen doit être écarté.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six octobre deux mille vingt-deux. | La durée de la détention provisoire accomplie en application de l'article 181, alinéa 8, du code de procédure pénale ne s'impute pas sur la durée de celle subie, sur le fondement distinct de l'article 379-4, alinéa 2, du même code, à la suite de la mise à exécution du mandat d'arrêt assortissant la condamnation de l'accusé jugé par défaut à une peine ferme privative de liberté |
8,253 | COUR DE CASSATION FB
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 7 novembre 2022
M. Pascal CHAUVIN, présidentCassation
faisant fonction de premier président
Arrêt n° 659 B+R
Pourvoi n° K 21-83.146
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 7 NOVEMBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Douai, domicilié en son parquet général, [Adresse 2], a formé un pourvoi contre l'arrêt rendu le 20 avril 2021 par la cour d'appel de Douai (6e chambre des appels correctionnels), dans le litige l'opposant à M. [C] [O], détenu à la maison d'arrêt de [Localité 3], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Par arrêt du 2 février 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.
Le demandeur invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt.
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par le procureur général près la cour d'appel de Douai.
Le rapport écrit de M. Barincou, conseiller, et l'avis écrit de M. Valat, avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, assisté de M. Dureux, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, l'avis de M. Valat, après débats en l'audience publique du 14 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président de la première chambre civile, faisant fonction de premier président, MM. Pireyre, Sommer, Mme Teiller, M. Vigneau, présidents, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, doyens de chambre faisant fonction de présidents, M. Barincou, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Darbois, Martinel, doyens de chambre, Mmes Ingall-Montagnier, Auroy, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, Mmes Planchon, Poinseaux, M. Boyer, Mmes Chauve, Ducloz, conseillers, M. Valat, avocat général, Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, et après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [O], placé en garde à vue à l'occasion d'une enquête pour infractions à la législation sur les stupéfiants, a refusé de communiquer aux enquêteurs les mots de passe des deux smartphones découverts en sa possession lors de son interpellation.
3. Il a été poursuivi pour détention et offre ou cession de cannabis ainsi que pour refus de remettre la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, en s'opposant à la communication du code de déverrouillage d'un téléphone susceptible d'avoir été utilisé pour les besoins d'un trafic de stupéfiants.
4. Par jugement du 15 mai 2018, le tribunal correctionnel l'a condamné pour infractions à la législation sur les stupéfiants, mais relaxé du délit de refus de remettre ou de mettre en oeuvre la convention secrète d'un moyen de cryptologie.
5. Par arrêt du 11 juillet 2019, la cour d'appel de Douai a confirmé cette relaxe.
6. La Cour de cassation (Crim., 13 octobre 2020, pourvoi n° 19-85.984, publié) a cassé et annulé cet arrêt.
7. Par arrêt du 20 avril 2021, la cour d'appel de Douai, saisie sur renvoi, a confirmé la décision de relaxe. Le procureur général près la cour d'appel de Douai s'est pourvu en cassation.
8. Par arrêt du 2 février 2022, la chambre criminelle a ordonné le renvoi de l'affaire devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. Le procureur général près la cour d'appel de Douai fait grief à l'arrêt de relaxer le prévenu du chef de refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, faits prévus et réprimés à l'article 434-15-2 du code pénal, alors « qu'il ressort des dispositions de l'article 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et des articles 132-79 du code pénal et R. 871-3 du code de la sécurité intérieure que l'on entend comme "conventions permettant le déchiffrement des données transformées au moyen des prestations de cryptologie" les "clés cryptographiques ainsi que tout moyen logiciel ou de toute information permettant la mise au clair de ces données" ; qu'en affirmant, de manière générale, que le code de déverrouillage d'un smartphone n'est pas une convention secrète de chiffrement sans effectuer l'analyse des caractéristiques techniques du téléphone concerné I-phone 4, pourtant indispensable pour fonder sa décision, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 434-15-2 du code pénal et 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique :
10. Selon le premier de ces textes, est punissable toute personne qui, ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, refuse de la remettre aux autorités judiciaires ou de la mettre en oeuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.
11. Selon le second, un moyen de cryptologie s'entend de tout matériel ou logiciel conçu ou modifié pour transformer des données, qu'il s'agisse d'informations ou de signaux, à l'aide de conventions secrètes ou pour réaliser l'opération inverse avec ou sans convention secrète. Les moyens de cryptologie ont principalement pour objet de garantir la sécurité du stockage ou de la transmission de données, en permettant d'assurer leur confidentialité, leur authentification ou le contrôle de leur intégrité.
12. Pour l'application du premier de ces textes et au sens du second, une convention de déchiffrement s'entend de tout moyen logiciel ou de toute autre information permettant la mise au clair d'une donnée transformée par un moyen de cryptologie, que ce soit à l'occasion de son stockage ou de sa transmission. Il en résulte que le code de déverrouillage d'un téléphone mobile peut constituer une clé de déchiffrement si ce téléphone est équipé d'un moyen de cryptologie.
13. Dès lors, il incombe au juge de rechercher si le téléphone en cause est équipé d'un tel moyen et si son code de déverouillage permet de mettre au clair tout ou partie des données cryptées qu'il contient ou auxquelles il donne accès.
14. Pour confirmer la relaxe, l'arrêt retient que la clé de déverrouillage de l'écran d'accueil d'un smartphone n'est pas une convention secrète de déchiffrement, car elle n'intervient pas à l'occasion de l'émission d'un message et ne vise pas à rendre incompréhensibles ou compréhensibles des données, au sens de l'article 29 de la loi du 21 juin 2004, mais tend seulement à permettre d'accéder aux données et aux applications d'un téléphone, lesquelles peuvent être ou non cryptées.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le sept novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Douai.
Sur le moyen unique de cassation pris d'un défaut de motif (article 593 du code de procédure pénale).
En ce que l'arrêt attaqué a relaxé le prévenu du chef de refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, faits prévus et réprimés par les articles 434-15-2 et 434-44 du code pénal au motif que :
« la mise en oeuvre d'un moyen de cryptologie suppose la transformation à l'occasion de la communication entre plusieurs personnes de données claires pour les rendre incompréhensibles ou de données codées pour les rendre claires. Dès lors la clé de déverrouillage de l'écran d'accueil d'un smartphone n 'est pas une convention secrète de chiffrement car elle n'intervient pas à l'occasion d'un message et ne vise pas à rendre incompréhensibles ou compréhensibles des données au sens de l'article 29 de la loi du 21 juin 2004 mais tend seulement à permettre d'accéder aux données et aux applications d'un téléphone, lesquelles peuvent être ou non cryptées ».
Alors qu'il ressort des dispositions de l'article 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et des articles 132-79 du code pénal et R871-3 du code de la sécurité intérieure que l'on entend comme « conventions permettant le déchiffrement des données transformées au moyen des prestations de cryptologie » les « clés cryptographiques ainsi que tout moyen logiciel ou de toute information permettant la mise au clair de ces données »
Qu'en affirmant de manière générale que le code de déverrouillage d'un smartphone n'est pas une convention secrète de chiffrement sans effectuer l'analyse des caractéristiques techniques du téléphone concerné I-phone 4, pourtant indispensable pour fonder sa décision, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision. | Selon l'article 434-15-2 du code pénal, est punissable toute personne qui, ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie susceptible d'avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, refuse de la remettre aux autorités judiciaires ou de la mettre en oeuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.
La convention de déchiffrement, visée par ce texte, s'entend de tout moyen logiciel ou de toute autre information permettant la mise au clair d'une donnée transformée par un moyen de cryptologie, que ce soit à l'occasion de son stockage ou de sa transmission.
Il en résulte que le code de déverrouillage d'un téléphone mobile peut constituer une clé de déchiffrement si ce téléphone est équipé d'un moyen de cryptologie de sorte que, pour l'application de l'article 434-15-2 du code pénal, il incombe au juge de rechercher si le téléphone en cause est équipé d'un tel moyen et si son code de déverrouillage permet de mettre au clair tout ou partie des données cryptées qu'il contient ou auxquelles il donne accès |
8,254 | N° E 21-86.499 F-B
N° 01353
ECF
8 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 NOVEMBRE 2022
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 8 septembre 2021, qui, pour exercice illégal de la profession de géomètre-expert, l'a condamnée à 1 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société [1], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat du Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts et du Conseil régional des géomètres-experts de Lyon, parties civiles, et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le Conseil régional des géomètres-experts de Lyon et le Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts ont fait citer la société [1] devant le tribunal correctionnel du chef d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert, à raison de l'établissement, les 17 avril et 19 octobre 2015, de deux documents d'arpentage relevant du monopole des géomètres-experts.
3. Les juges du premier degré l'ont déclarée coupable de ces faits et ont prononcé sur les intérêts civils.
4. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de la décision.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens
Enoncé des moyens
5. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi le document d'arpentage en date du 17 avril 2015, alors :
« 1°/ que l'interprétation jurisprudentielle d'une loi d'incrimination ayant pour effet, au détriment du prévenu, d'étendre le champ de cette incrimination n'est pas applicable à des faits non définitivement jugés et qui, commis antérieurement à cette nouvelle interprétation, ne constituaient pas une infraction ; qu'en se fondant sur la « lecture convergente que font les deux ordres de juridiction » des articles 1, 2, et 7 de la loi du 7 mai 1946 et en faisant dès lors application à la Sarl [1], poursuivie pour l'établissement d'un document d'arpentage du 17 avril 2015, de l'interprétation de ces dispositions faite par la chambre criminelle dans son arrêt du 1er septembre 2015 (Crim., 1er septembre 2015, Bull. crim. n° 134) consistant à étendre l'application du délit d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert à la réalisation de certains documents d'arpentage en ce que destinés à être annexés ou à accompagner un acte translatif de propriété, ils participeraient à la rédaction de tels actes et fixeraient les limites des biens fonciers lorsque le Conseil d'Etat, qui n'a été saisi d'aucun recours contre l'arrêté du 30 juillet 2010 ni contre la doctrine fiscale de 2012 affirmant la compétence des géomètres-topographes agréés pour établir tout document d'arpentage, n'a jamais inclus les documents d'arpentage dans le monopole avant le 1er septembre 2015 et que la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation antérieure au 1er septembre 2015 avait exclu les documents d'arpentage du champ du monopole des géomètres-experts soit en rejetant, dans un arrêt de principe publié, le pourvoi contre la relaxe du prévenu auquel était reproché d'avoir établi ces documents (Crim., 16 mai 2006, n° 05-82.870, Bull. crim. n° 134) soit en faisant droit au pourvoi de la partie civile qui distinguait néanmoins les documents pénalement poursuivis des documents d'arpentage qu'elle reconnaissait non soumis à monopole (Crim., 8 février 2011, n° 10-83.917), la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le respect du principe de légalité des délits et des peines interdit qu'un prévenu se voit appliquer une interprétation jurisprudentielle consacrée postérieurement à la commission des faits poursuivis, ayant pour effet d'étendre le champ de la répression et non prévisible ; qu'en faisant application à la Sarl [1] poursuivie pour l'établissement d'un document d'arpentage en date du 17 avril 2015 de l'interprétation faite par la chambre criminelle dans son arrêt du 1er septembre 2015 (Crim., 1er septembre 2015, Bull. crim. n° 134) des articles 1er, 2 et 7 de la loi du 7 mai 1946 qui était imprévisible et n'a pas pu « s'insérer » dans la jurisprudence antérieure de la chambre criminelle ayant exclu les documents d'arpentage du champ du monopole des géomètres-experts soit en rejetant, dans un arrêt de principe publié, le pourvoi contre la relaxe du prévenu auquel était reproché d'avoir établi ces documents (Crim., 16 mai 2006, n° 05-82.870, Bull. crim. n° 134) soit en faisant droit au pourvoi de la partie civile qui distinguait néanmoins les documents pénalement poursuivis des documents d'arpentage qu'elle reconnaissait non soumis à monopole (Crim., 8 février 2011, n° 10-83.917), ce que confirmaient la modification de la doctrine fiscale dès le lendemain de l'arrêt du 1er septembre 2015 ainsi que l'envoi à la prévenue d'un courrier le 21 septembre 2015 par le service du cadastre qui, face à la modification du champ de compétences des professionnels autres que les géomètres-experts dans la doctrine fiscale, prévoyait même des dispositions transitoires autorisant le dépôt au cadastre de documents d'arpentage « accompagnant ou destinés à être suivis d'un acte notarié ou administratif », la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que n'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ; qu'en ne répondant pas explicitement au moyen tiré de l'erreur sur le droit invoqué par la prévenue et en se bornant à invoquer la hiérarchie des normes sans examiner, comme elle y était invitée, si l'information donnée par l'administration fiscale, dans sa doctrine publiée, aux professionnels qu'elle agrée sur le champ de leurs compétences concernant les documents d'arpentage servant de fondement aux poursuites et sans rechercher si cette information, alors que ni le décret du 30 avril 1955 ni l'arrêté du 30 juillet 2010 ni l'agrément délivré individuellement ne précisaient que des documents d'arpentage pouvaient relever du monopole des géomètres-experts, n'avait pas donné lieu à une erreur sur le droit au bénéfice de la prévenue, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 122-3 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'exercice illégal de la profession de géomètre-expert est une infraction intentionnelle, supposant la conscience et la volonté d'enfreindre le monopole des géomètres-experts ; qu'en déclarant la Sarl [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi le document d'arpentage du 17 avril 2015, cependant qu'au vu du libellé des articles 1er, 2 et 7 de la loi du 7 mai 1946 et des articles 25 et 30 du décret du 30 avril 1955 qui ne prévoient pas que certains documents d'arpentage relèveraient du monopole et de leur interprétation par la chambre criminelle ayant exclu dans ses arrêts antérieurs à celui du 1er septembre 2015 ces documents du monopole, la prévenue, même en ayant recours à des conseils éclairés, ne pouvait évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, que l'établissement d'un document d'arpentage tel que celui établi le 17 avril 2015 était de nature à constituer le délit d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 du code pénal, 1, 2 et 7 de la loi du 7 mai 1946, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que des dispositions réglementaires peuvent autoriser la commission d'une infraction ; que l'interprétation jurisprudentielle nouvelle et imprévisible de dispositions réglementaires qui prévoient un fait justificatif ayant pour effet, au détriment du prévenu, de restreindre le champ de ce fait justificatif n'est pas applicable à des faits non définitivement jugés et commis antérieurement à cette nouvelle interprétation ; qu'en faisant application de l'interprétation jurisprudentielle des articles 25 et 30 du décret du 30 avril 1955 faite par la chambre criminelle dans son arrêt du 1er septembre 2015 selon laquelle parmi les documents d'arpentage visés par ces dispositions réglementaires, certains constituent des travaux relevant du monopole des géomètres-experts, cependant qu'antérieurement à l'arrêt de la chambre criminelle du 1er septembre 2015, les articles 25 et 30 du décret du 30 avril 1955 autorisaient les géomètres-topographes à établir tout document d'arpentage, la cour d'appel a violé les articles 122-4 du code pénal et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
6. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour avoir établi les documents d'arpentage du 17 avril 2015 et 19 octobre 2015, alors :
« 1°/ qu'un document d'arpentage ne peut jamais fixer les limites de propriété ; qu'en relevant, pour déclarer la Sarl [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour l'établissement de deux documents d'arpentage, que ces documents ont été établis afin de permettre la division d'une parcelle et l'édification d'une construction sur la nouvelle parcelle, qu'ils ont été visés dans l'acte notarié de cession de la parcelle et annexés à celui-ci et qu'ils constituaient un bornage destiné à fixer les nouvelles limites de propriété, cependant que le document d'arpentage, même annexé à un acte notarié et visé dans celui-ci, demeure un document cadastral inapte, par sa nature et son objet, à fixer des limites de propriété ainsi que l'Ordre des géomètres-experts le reconnaît lui-même, la cour d'appel a violé les articles 1, 2, 7 de la loi du 7 mai 1946, 25 du décret du 30 avril 1955, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'un document d'arpentage ne peut jamais fixer les limites de propriété ; que l'insuffisance de motifs équivaut à l'absence de motifs ; qu'en retenant que le document d'arpentage établi le 17 avril 2015 par la prévenue était un bornage sans répondre aux conclusions d'appel se prévalant de la clause de l'acte notarié qui constatait expressément que les limites et la contenance cadastrale mentionnées dans le document annexé n'étaient qu'indicatives et que le cadastre n'était pas un document à caractère juridique mais à caractère fiscal, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1, 2, 7 de la loi du 7 mai 1946, 25 du décret du 30 avril 1955 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le document cadastral constatant une ligne de séparation au sein d'une parcelle entre une partie que le propriétaire entend conserver et une partie qu'il entend créer en vue de sa cession ne peut jamais constituer un plan fixant les limites de biens fonciers puisqu'au jour de l'établissement du document, la parcelle au sein de laquelle une ligne de séparation a été établie appartient à un seul propriétaire ; qu'en relevant que les documents d'arpentage divisant la parcelle appartenant à un unique propriétaire en deux ou trois nouvelles parcelles créent une nouvelle limite parcellaire entre deux fonds et constituaient un bornage, la cour d'appel a violé les articles 1, 2, 7 de la loi du 7 mai 1946, 25 du décret du 30 avril 1955, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que les propriétaires de deux fonds voisins peuvent se mettre d'accord pour fixer les limites de leurs propriétés sans faire appel à un professionnel ; qu'en retenant, après avoir constaté que les documents d'arpentage litigieux comportaient la signature du propriétaire initial et des futurs acheteurs, que ces documents constituent en réalité un bornage destiné à fixer les nouvelles limites de propriété et entrent dans le champ du monopole des géomètres-experts, l'existence d'un accord entre propriétaires ou l'absence de désaccord et de conflit étant à cet égard indifférentes au regard de l'objet et de la finalité du monopole cependant que le monopole des géomètres-experts étant accessoire par rapport à l'accord des propriétaires quant à la fixation des limites de leur propriété, le projet de division entre l'actuel propriétaire d'une parcelle et l'acheteur potentiel d'une partie de celle-ci lors de l'établissement du document d'arpentage devient, au moment de la réalisation de la cession, un bornage amiable procédant régulièrement de l'accord de propriétaires de fonds voisins, la cour d'appel a violé les articles 646 du code civil, 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que n'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ; que l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi du 7 mai 1946 prévoit que ne sont pas opposables aux services publics pour l'exécution des travaux qui leur incombent les dispositions de son premier alinéa prévoyant que peuvent seuls effectuer les travaux prévus au 1° de l'article 1er les géomètres-experts inscrits à l'ordre ; qu'en se bornant à relever que les dispositions de la loi de 1946 avaient dans la hiérarchie des normes une valeur supérieure aux textes réglementaires invoquées par la prévenue sans rechercher comme elle y était invitée si la Sarl [1], bénéficiaire d'un agrément de l'administration fiscale pour établir des documents d'arpentage et délégataire à ce titre d'une mission de service public, celui du cadastre, n'avait pas établi les documents d'arpentage litigieux en application de l'alinéa 2 de l'article 2 de la loi du 7 mai 1946 de sorte que le monopole des géomètres-experts ne lui était pas opposable, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1, 2, 7 de la loi du 7 mai 1946, ensemble l'article 122-4 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
6°/ que ne saurait être pénalement responsable le professionnel ayant agi sur l'autorisation de l'administration qui a édicté des dispositions transitoires pour autoriser temporairement l'établissement et le dépôt d'actes enfreignant la loi pénale ; qu'en déclarant la Sarl [1] coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert pour l'établissement du document d'arpentage du 19 octobre 2015, cependant que la prévenue avait été autorisée par l'administration fiscale, par courrier du 21 septembre 2015 prévoyant « A titre de mesure transitoire, les documents d'arpentage en cours de confection à la date du 2 septembre 2015 c'est-à-dire les documents pour lesquels les géomètres agréés ont engagé les travaux de terrain où se sont engagés contractuellement avant cette date, pourront être déposés pour vérification et numérotage au service du cadastre jusqu'au 2 décembre 2015, quand même ils accompagneraient un tel acte », à établir un tel document et qu'elle bénéficiait à ce titre du fait justificatif de l'article 122-4 du code pénal ou à tout le moins de celui de l'article 122-3, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble l'article 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Les moyens sont réunis.
8. Pour confirmer le jugement ayant déclaré la prévenue coupable, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée par la loi du 16 décembre 1987, et de la lecture convergente qu'en font les deux ordres de juridiction judiciaire et administratif, que les documents de modification du parcellaire cadastral ou tout autre document d'arpentage qui établit une ligne de séparation au sein d'une parcelle entre une partie que le propriétaire entend conserver et une partie qu'il entend créer en vue de sa cession, et qui a donc vocation à devenir la limite séparative de deux fonds issus de la vente, entrent dans le champ du monopole des géomètres-experts en ce qu'ils fixent les nouvelles limites de biens fonciers et créent des droits réels qui y sont attachés, leur auteur participant directement à la rédaction d'un acte translatif de propriété.
9. Les juges ajoutent qu'il en résulte, d'une part, que les géomètres-experts peuvent effectuer tous les actes fixant les limites de biens fonciers, des relevés, plans et documents topographiques, à toutes échelles et sous quelque forme que ce soit, dès lors que ces actes concernent la définition des droits attachés à la propriété foncière, que l'opération ait un caractère amiable ou contentieux, d'autre part, que les géomètres-topographes peuvent effectuer les mesurages de superficies et descriptions et, plus généralement, toutes les opérations techniques ou études sur l'évaluation, la gestion ou l'aménagement des biens fonciers, dès lors que ces travaux sont sans incidence, directe ou non, sur la propriété foncière et ses limites.
10. Ils précisent qu'il appartient donc aux géomètres-topographes de s'assurer, préalablement au commencement de leur mission, de l'objet et de la finalité du document de délimitation qui leur est demandé.
11. Ils relèvent également que le décret du 30 avril 1955 relatif à la rénovation et à la conservation du cadastre et l'arrêté du 30 juillet 2010 fixant les modalités d'attribution des agréments pour l'exécution des travaux cadastraux ont, dans la hiérarchie des normes, une valeur moindre que la loi du 7 mai 1946 puisqu'il s'agit de textes réglementaires et non pas législatifs et que si les articles 25 et 30 du décret du 30 avril 1955 disposent que les documents d'arpentage constatant un changement de limites de propriétés, notamment par suite de divisions, lotissement, partage peuvent être réalisés par les personnes agréées à cette fin, ils ne peuvent avoir pour but ou pour effet de contrevenir aux dispositions de cette loi.
12. Ils retiennent encore qu'il ressort également de l'article 8 de l'arrêté du 30 juillet 2010 que les personnes agréées s'interdisent de réaliser des études et travaux topographiques destinés à fixer eux-mêmes des limites des biens fonciers ou les droits qui y sont attachés, de sorte que l'agrément fiscal ne confère au géomètre agréé aucune des compétences dévolues par la loi au géomètre-expert et ne peut autoriser son titulaire à violer la loi.
13. Pour conclure ensuite que les documents du 17 avril 2015 et du 19 octobre 2015 ne constituent pas de simples arpentages, mais des bornages destinés à fixer de nouvelles limites de propriété et à en permettre le transfert, et entrent de la sorte dans le champ du monopole des géomètres-experts, les juges constatent que ces actes divisent une parcelle en plusieurs parcelles, créent une nouvelle limite parcellaire entre des fonds et comportent les signatures tant du propriétaire initial que du futur acquéreur de l'une de ces parcelles, ainsi que cela ressort des actes notariés ultérieurs qui en consacrent la vente et font expressément référence à cette division parcellaire certifiée et numérotée par le service du cadastre, qu'ils annexent. Ils en déduisent que cette division parcellaire était un préalable nécessaire à la cession de parcelles destinées à la construction et que la prévenue ne pouvait ignorer ce but au moment de l'établissement des actes. Ils précisent que l'existence ou non d'un accord entre propriétaires est indifférente au regard de l'objet et de la finalité du monopole instauré au profit des géomètres-experts.
14. Par motifs adoptés, ils énoncent également que la prévenue ne pouvait se méprendre sur la portée de la lettre de l'administration fiscale du 21 septembre 2015 autorisant à titre transitoire les géomètres-topographes agréés à déposer au cadastre les documents d'arpentage, en cours de confection au 2 septembre 2015, accompagnant un acte notarié ou destinés à être suivis d'un tel acte, que si cette lettre pouvait entretenir un certain flou, l'administration n'avait pas le pouvoir de régulariser des actes contraires à la loi en l'état d'un droit clair et constant depuis plusieurs années et que la prévenue pouvait consulter l'un de ses organismes professionnels avant de dresser des documents d'arpentage destinés à diviser des fonds et à être annexés à des actes notariés de vente, de sorte que l'erreur invincible sur le droit n'est pas établie.
15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu à tous les chefs péremptoires des conclusions de la prévenue, a justifié sa décision, sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.
16. En premier lieu, elle a souverainement apprécié que les documents en cause ne consistaient pas en des documents fiscaux dépourvus d'incidence foncière, mais avaient au contraire pour effet de fixer de nouvelles limites de biens fonciers, peu important que le propriétaire actuel et le futur acquéreur soient d'accord pour la fixation de ces nouvelles limites.
17. En deuxième lieu, l'interprétation stricte des textes sur lesquels elle s'est fondée résulte non d'un arrêt qui aurait été rendu de manière imprévisible par la Cour de cassation le 1er septembre 2015, mais de la jurisprudence dans laquelle cet arrêt s'insère, selon laquelle les actes réservés aux géomètres-experts sont ceux qui fixent les limites des biens fonciers pour l'établissement des droits réels, préparent, accompagnent ou suivent l'intervention d'un notaire et participent des actes translatifs ou déclaratifs de propriété, tandis que les actes relevant de la compétence des géomètres- topographes concernent les documents d'arpentage et tous travaux cadastraux relatifs à la situation fiscale du fonds concerné.
18. En troisième lieu, elle a caractérisé l'élément intentionnel, sans qu'il y ait lieu de distinguer, eu égard à ce qui est énoncé au paragraphe précédent, entre chacun des deux actes concernés, selon qu'il a été établi avant ou après l'arrêt du 1er septembre 2015.
19. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société [1] devra payer au Conseil régional des géomètres-experts de Lyon et au Conseil supérieur de l'ordre des géomètres-experts, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit novembre deux mille vingt-deux. | Les actes qui ont pour effet de fixer les nouvelles limites de biens fonciers et de créer des droits réels qui y seraient attachés, et participent ainsi à la rédaction des actes translatifs ou déclaratifs de propriété, relèvent du monopole des géomètres-experts.
Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer un géomètre-topographe coupable d'exercice illégal de la profession de géomètre-expert, apprécie souverainement que les documents qu'il a établis ne sont pas des documents fiscaux dépourvus d'incidence foncière, mais ont, au contraire, pour effet de fixer de nouvelles limites de biens fonciers, peu important que le propriétaire actuel et le futur acquéreur en soient d'accord |
8,255 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 748 FS-B
Pourvoi n° V 21-16.846
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2022
La caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) du Finistère, société coopérative à capital et personnel variables, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 21-16.846 contre l'arrêt rendu le 14 février 2020 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre), dans le litige l'opposant à Mme [L] [N], épouse [C], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère, de Me Balat, avocat de Mme [N], et l'avis écrit de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Hascher, Bruyère, Ancel, conseillers, Mmes Kloda, Dumas, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 14 février 2020), la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère (la banque) a consenti à Mme [N] (l'emprunteur) un prêt destiné à l'acquisition d'un bien immobilier constituant sa résidence principale.
2. Des échéances étant demeurées impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt, puis a assigné l'emprunteur en paiement. A titre reconventionnel, celui-ci a demandé la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts en soutenant qu'elle avait manqué à son obligation de mise en garde.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'emprunteur une indemnité égale au montant de ce qu'elle demeure lui devoir en exécution du prêt qu'elle lui a consenti et d'ordonner la compensation entre leurs obligations respectives, alors « que l'établissement de crédit prêteur de deniers n'est pas débiteur d'une obligation de mise en garde envers l'emprunteur, lorsque celui-ci, à la date où il s'est engagé, disposait de capacités financières lui permettant de faire face à son engagement, et ne se trouvait pas, par conséquent, exposé à un risque d'endettement ; que quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ; qu'en énonçant, pour retenir que la banque était débitrice d'une obligation de mise en garde envers l'emprunteur d'une part, que "la circonstance que l'opération ait été financée en partie grâce à un apport personnel est sans incidence sur les capacités de remboursement de l'emprunteur", et, d'autre part, qu'"il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt, dès lors que le financement accordé par la banque était précisément destiné à permettre à l'emprunteur d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation", la cour d'appel, qui dispense objectivement l'emprunteur de remplir son engagement, sur son bien immobilier, a violé les articles 1147 ancien, 2284 et 2285 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
4. Il résulte de ce texte que, pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus.
5. Pour condamner la banque à payer des dommages-intérêts à l'emprunteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde, l'arrêt retient que la circonstance que l'opération ait été financée en partie grâce à un apport personnel est sans incidence sur les capacités de remboursement de l'emprunteur et qu'il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt, dès lors que le financement accordé était destiné à lui permettre d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation.
6. En statuant ainsi, sans prendre en compte la valeur du bien immobilier financé par l'emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère à payer à Mme [N] la même somme à laquelle elle est condamnée au profit de la banque, avec compensation, l'arrêt rendu le 14 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne Mme [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Finistère
La Crcam du Finistère fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à Mme [L] [N]-[C] une indemnité égale au montant de ce qu'elle demeure lui devoir en exécution du prêt qu'elle lui a consenti le 29 février 2012, et D'AVOIR ordonné la compensation entre les obligations respectives des deux parties ;
. ALORS QUE l'établissement de crédit prêteur de deniers n'est pas débiteur d'une obligation de mise en garde envers l'emprunteur, lorsque celui-ci, à la date où il s'est engagé, disposait de capacités financières lui permettant de faire face à son engagement, et ne se trouvait pas, par conséquent, exposé à un risque d'endettement ; que quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ; qu'en énonçant, pour retenir que la Crcam du Finistère était débitrice d'une obligation de mise en garde envers Mme [L] [N]-[C], d'une part, que « la circonstance que l'opération ait été financée en partie grâce à un apport personnel est sans incidence sur les capacités de remboursement de l'emprunteur », et, d'autre part, qu'« il n'y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale faisant l'objet du prêt, dès lors que le financement accordé par la banque était précisément destiné à permettre à Mme [C] d'accéder à la propriété de façon pérenne, et non d'investir avec le projet de revendre l'immeuble et de rembourser le prêt par anticipation », la cour d'appel, qui dispense objectivement Mme [L] [N]-[C] de remplir son engagement, sur son bien immobilier, a violé les articles 1147 ancien, 2284 et 2285 du code civil. | Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que, pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus, incluant la valeur du bien immobilier financé par l'emprunt, sous déduction du montant de la dette au jour de la conclusion du contrat |
8,256 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 749 FS-B
Pourvoi n° G 21-17.203
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2022
La société Vidatel Ltd, Société des Iles Vierges britanniques, dont le siège est Morgan & Morgan Trust Corp. Ltd, [Adresse 1] (Iles Vierges britanniques), a formé le pourvoi n° G 21-17.203 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 16, chambre commerciale internationale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société PT Ventures SGPS, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2] (Portugal), société de droit portugais,
2°/ à la société Mercury Servicos de Telecomunicacoes, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3] (Angola), société de droit angolais,
3°/ à la société Geni, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4] (Angola), société de droit angolais,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller doyen, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Vidate Ltd, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société PT Ventures SGPS, et l'avis écrit de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller doyen rapporteur, MM. Hascher, Bruyère, conseillers, Mmes Kloda, Dumas, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 janvier 2021), la société Vidatel Ltd (Vidatel), immatriculée aux Iles vierges britanniques, la société portugaise PT Ventures SGPS SA (PT Ventures) et les sociétés angolaises Mercury Serviços de Telecomunicaçaos (Mercury) et Geni SA (Geni), actionnaires à hauteur de 25 % chacune de la société angolaise Unitel, sont parties à un pacte d'actionnaires conclu le 15 décembre 2000 et comportant une clause d'arbitrage par un tribunal siégeant à Paris, sous l'égide de la Chambre de commerce internationale (CCI), et composé de quatre arbitres désignés par chacune d'elles et d'un président choisi par les arbitres et, à défaut d'accord entre eux, par l'institution d'arbitrage.
2. Le 13 octobre 2015, alléguant avoir été évincée de la gestion de la société Unitel en violation du pacte d'actionnaires, la société PT Ventures a déposé auprès du secrétariat de la CCI une requête d'arbitrage contre ses trois co-associés, par laquelle elle demandait que le tribunal soit composé de trois arbitres et non de cinq, l'un désigné par elle et l'autre conjointement par les sociétés Vidatel, Mercury et Geni, afin que soit respecté le principe de l'égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral, compte tenu des intérêts convergents des défenderesses.
3. La société PT Ventures a désigné son arbitre sous la condition précitée et chacune des trois défenderesses a désigné son arbitre. Les quatre arbitres ont accepté leur mission.
4. Après avoir vainement invité les parties à s'accorder sur un nouveau mode de désignation, la Cour d'arbitrage de la CCI a nommé d'office quatre arbitres et un président et a procédé à la jonction de cette instance avec un second arbitrage que les sociétés Vidatel, Mercury et Geni avaient introduit en désignant les arbitres qu'elles avaient précédemment choisis dans le premier arbitrage.
5. La société Vidatel a formé un recours en annulation de la sentence arbitrale du 20 février 2019 et de l'addendum du 30 avril 2019.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Vidatel fait grief à l'arrêt de rejeter le recours en annulation et de la condamner à verser à la société PT Ventures une somme de 300 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que la sentence arbitrale peut être annulée lorsque le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ; que selon l'article 1453 du code de procédure civile, lorsque le litige oppose plus de deux parties et que celles-ci ne s'accordent pas sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui, désigne le ou les arbitres ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté que la clause d'arbitrage figurant à l'article 16 du pacte d'actionnaires précisait que "toute demande, tout différend ou toute autre question survenant entre les Parties en ce qui concerne ou découlant du présent acte ou de sa violation, sera tranché par voie d'arbitrage, par un groupe de cinq [5] arbitres, chaque Partie devant en désigner un et le cinquième devant être désigné par les quatre autres arbitres, sous réserve, toutefois, que si les arbitres désignés par les Parties ne trouvent pas d'accord, l'arbitre indépendant devra être désigné par le président en exercice de la Chambre de commerce internationale. Ledit arbitrage se déroulera conformément au Règlement de la Chambre de commerce internationale", que la société PT Ventures a désigné un arbitre le 27 octobre 2015, la société Vidatel le 20 novembre suivant, la société Geni le 24 novembre 2015 et la société Mercury le 16 décembre suivant, et qu'"au 28 janvier 2016, les quatre arbitres nommés par les parties avaient accepté leur désignation", ce dont il résultait que le 14 avril suivant, date à laquelle la CCI a informé les parties que la Cour internationale d'arbitrage avait nommé d'office cinq arbitres, les parties s'étant accordées sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, le centre d'arbitrage ne pouvait désigner les arbitres, la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2° et 1520, 2° du code de procédure civile ;
2°/ que selon l'article 11 (6) du règlement d'arbitrage CCI, dans sa version applicable, "Sous réserve des conventions particulières des parties, le tribunal arbitral est constitué conformément aux dispositions des articles 12 et 13" ; que l'article 12 (8) de ce règlement dispose qu'à "défaut d'une désignation conjointe conformément à l'article 12, paragraphe 6 ou 7, et de tout autre accord entre les parties sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la Cour peut nommer chacun des membres du tribunal arbitral et désigne l'un d'entre eux en qualité de président. Dans ce cas, la Cour est libre de choisir toute personne qu'elle juge adéquate pour agir en qualité d'arbitre, en appliquant l'article 13 lorsqu'elle l'estime approprié" ; que l'article 41 du même règlement précise que "Dans tous les cas non visés expressément au Règlement, la Cour et le tribunal arbitral procèdent en s'inspirant du Règlement et en faisant tous les efforts pour que la sentence soit susceptible de sanction légale" ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que l'article "41 précité autorisait donc la Cour d'arbitrage de la CCI à faire application de l'article 12 (8) pour un tribunal arbitral composé par cinq arbitres" et qu'"il ne résulte pas non plus de la mise en oeuvre de ces modalités de désignation par la CCI, une violation de la clause d'arbitrage dès lors que ces modalités ont été appliquées conformément au Règlement de la CCI, auquel les Parties ont entendu expressément se soumettre", après avoir pourtant constaté que la convention d'arbitrage insérée à l'article 16 du pacte d'actionnaires prévoit que "toute demande, tout différend ou toute autre question survenant entre les Parties en ce qui concerne ou découlant du présent Pacte ou de sa violation, sera tranché par voie d'arbitrage, par un groupe de cinq [5] arbitres, chaque Partie devant en désigner un et le cinquième devant être désigné par les quatre autres arbitres, sous réserve, toutefois, que si les arbitres désignés par les Parties ne trouvent pas d'accord, l'arbitre indépendant devra être désigné par le président en exercice de la Chambre de commerce internationale", que la société PT Ventures a désigné un arbitre le 27 octobre 2015, la société Vidatel le 20 novembre suivant, la société Geni le 24 novembre 2015 et la société Mercury le 16 décembre suivant, et qu'"au 28 janvier 2016, les quatre arbitres nommés par les parties avaient accepté leur désignation", de sorte que les parties s'étant accordées sur les modalités de constitution du tribunal arbitral dans la convention d'arbitrage et ayant par la suite chacune désigné un arbitre, le règlement d'arbitrage n'autorisait pas la Cour internationale d'arbitrage à nommer chacun des membres du tribunal arbitral et à désigner l'un d'entre eux en qualité de président à la date du 14 avril 2016, la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2°, 1520, 2° du code de procédure civile, ensemble les articles 11 (6), 12 (8) et 41 du règlement d'arbitrage de la CCI, dans sa version applicable ;
3°/ que le principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres, lequel ne se confond pas avec l'exigence d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre, postule uniquement que les parties disposent des mêmes droits dans le processus de désignation des arbitres ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que "si au jour de la conclusion de la clause compromissoire, il était conforme audit principe de prévoir que chacune des parties au pacte d'actionnaires puisse effectivement être en mesure de désigner un arbitre, au jour où le litige est né, ce principe de l'égalité doit s'apprécier non plus seulement au regard de la qualité des parties au contrat, mais aussi au regard des prétentions et des intérêts de chacune des parties au litige", que "ce faisant, si plusieurs d'entre elles sont susceptibles de défendre des intérêts communs et partagés contre une seule autre, il convient de veiller à constituer un tribunal arbitral permettant d'en garantir le respect" et que "ainsi, dans la configuration telle que celle de la présente cause, au terme de laquelle le litige oppose l'un des actionnaires au trois autres, le premier mettant en cause l'action conjointe de ces derniers dans son éviction et le non-respect dudit pacte, le respect du principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres justifiait, en l'absence de meilleur accord des parties, de s'assurer d'une modalité de désignation compatible avec le respect dudit principe, qui s'impose aux parties nonobstant les dispositions de la convention d'arbitrage", la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2° et 1520, 2° du code de procédure civile, ensemble le principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article 1453 du code de procédure civile qui, selon l'article 1506, 2°, est applicable à l'arbitrage international, lorsque le litige oppose plus de deux parties et que celles-ci ne s'accordent pas sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui, désigne le ou les arbitres.
8. Selon l'article 12 (8) du règlement d'arbitrage de la CCI auquel renvoyait la clause compromissoire, à défaut de tout autre accord entre les parties sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la Cour d'arbitrage de la CCI peut nommer chacun des membres du tribunal arbitral et désigne l'un d'entre eux en qualité de président.
9. Ayant relevé que la société PT Ventures avait désigné son arbitre sous la condition que les sociétés Vidatel, Mercury et Geni désignassent conjointement un seul arbitre, en raison d'une convergence d'intérêts entre elles, et que celles-ci avaient manifesté leur refus d'un tribunal arbitral de trois membres en désignant chacune un arbitre, a pu retenir, en dehors de tout débat sur l'indépendance et l'impartialité des arbitres, qu'il existait un désaccord sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, lequel justifiait que le centre d'arbitrage désignât lui-même l'intégralité des membres du tribunal arbitral, de sorte que, toutes les parties se trouvant privées du droit de choisir leur arbitre, l'égalité entre elles se trouvait préservée.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. La société Vidatel fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ qu'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que "pour être caractérisé ce doute raisonnable doit résulter d'un potentiel conflit d'intérêts dans la personne de l'arbitre, qui peut être soit direct parce qu'il concerne un lien avec une partie, soit indirect parce qu'il vise un lien d'un arbitre avec un tiers intéressé à l'arbitrage" (arrêt, n° 119) et que "lorsque le potentiel conflit d'intérêts est seulement indirect, l'appréciation du doute raisonnable dépendra notamment de l'intensité et de la proximité du lien entre l'arbitre, le tiers intéressé est l'une des parties à l'arbitrage" (arrêt, n° 119), la cour d'appel a violé les articles 1456 alinéa 2, 1506, 2° et 1520, 2° du code de procédure civile ;
2°/ qu'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris "qu'en application de l'alinéa 3 de l'article 1464 du code de procédure civile, les parties sont tenues de satisfaire au principe de célérité et de loyauté dans la conduite de la procédure, en vertu duquel notamment en cas de doute sur l'incidence d'une circonstance dont elles ont pu avoir connaissance sur l'indépendance d'un arbitre, elles doivent l'en aviser ou aviser l'institution chargée de l'arbitrage pour recueillir des observations complémentaires, sans attendre l'issue de l'arbitrage pour s'en prévaloir, selon que cette issue lui est favorable ou non" et que "à défaut, ces parties sont présumées avoir considéré que cette circonstance n'est pas de nature à créer dans leur esprit un doute raisonnable quant à l'indépendance de l'arbitre" (arrêt, n° 128), pour en déduire, les liens entre le cabinet de M. [X] et certaines sociétés dans lesquelles M. [G] avait des participations étant notoires, puisque publiées notamment dans la Global Arbitration Review (arrêt, n° 126 et 127), que "la société Vidatel ne pouvait pas ne pas avoir eu connaissance" et qu'il ressort "du principe de loyauté procédurale, que si celle-ci n'a pas souhaité en faire état ou solliciter des explications complémentaires auprès de l'arbitre ou du centre chargé de l'organiser, c'est que ces circonstances n'étaient pas non plus de nature à créer, dans son esprit, comme dans celui d'une personne placée dans une même situation ayant eu accès aux mêmes éléments d'information raisonnablement accessibles, un doute raisonnable sur l'indépendance de l'arbitre" (arrêt, n° 129), la cour d'appel a violé les articles 1456, alinéa 2, 1464, alinéa 3, 1506, 2, 1506, 3° et 1520, 2° du code de procédure civile ;
3°/ qu'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'après avoir constaté que la société Vidatel s'était opposée pendant l'arbitrage à ce que le cabinet de M. [X] conseille l'administrateur judiciaire désigné par les juridictions brésiliennes dans la restructuration de la société Oi et de sa filiale PTIF en "faisant notamment valoir que si la société Oi n'était pas une partie à l'arbitrage, elle détenait « indirectement » à travers la société PTV une participation dans la société Unitel", ce qui avait conduit l'arbitre à refuser cette mission (arrêt, n° 147-148), en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la conjugaison de toutes les circonstances non révélées invoquées, soit que M. [X] et/ou son cabinet avaient, pendant l'arbitrage, représenté les intérêts de sociétés détenues par M. [G], M. [G] lui-même, entré au capital de la société Oi après le début de l'instance arbitrale (arrêt, n° 138) et la société BNY Mellon, prestataire de la société Oi, pour la conversion de 20 milliards de dette (arrêt, n° 149), n'était pas de nature à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'indépendance et à l'impartialité de cet arbitre, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1456 alinéa 2, 1506, 2° et 1520, 2° du code de procédure civile ;
4°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; que dans ses dernières conclusions, la société Vidatel faisait valoir que la restructuration de la société Oi, débutée en juin 2016, en parallèle avec l'arbitrage s'était déroulé du 20 octobre 2015 à la sentence du 20 février 2019, et que M. [G] avait acquis sa participation dans cette société en juin 2016 avec l'objectif de la revendre ultérieurement avec une plus-value importante ; qu'elle ajoutait qu'il avait oeuvré pour influencer la gestion de cette société dès son entrée au capital, qu'il avait été décrit à l'époque des faits, par plusieurs sources, comme l'actionnaire contrôlant la société Oi en dépit d'une participation minoritaire et que l'existence d'un arbitrage d'une valeur de plus de trois milliards de dollars américains, impliquant une filiale détenue majoritairement par la société Oi, la société PT Ventures, constituait un élément essentiel pour la situation financière de cette société Oi à laquelle M. [G] était directement intéressé, ce d'autant que la société Oi s'était engagée, d'après un communiqué du 8 janvier 2019, en cas de vente de sa participation à la société Unitel, à verser une partie des sommes reçues de la transaction à la société Pharol, dont M. [G] détenait des parts et dans laquelle il siégeait au conseil d'administration jusqu'au mois de décembre 2019 ; qu'elle avait en outre souligné que le produit de la vente éventuelle de la participation de la société PT Ventures dans la société Unitel dépendait directement du succès de la première dans l'arbitrage ; qu'elle en déduisait que les liens entre M. [X] et/ou son cabinet d'avocats avec M. [G] et les autres sociétés liées à la société Oi et à M. [G] étaient susceptibles de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de cet arbitre (concl., n° 236 à 248 et n° 304) ; qu'en relevant que "les circonstances particulières de l'espèce" n'imposaient pas à l'arbitre de révéler les liens entretenus par lui et/ou son cabinet avec M. [G] dès lors que sa "participation notoire (
) dans la société Oi, au surplus minoritaire et indirecte, cette société étant séparée de sa filiale par quatre degrés de sociétés interposées, ne crée pas davantage un lien suffisamment proche et intense entre la société PT Ventures, d'une part, et M. [X] et son cabinet, d'autre part, de nature à provoquer dans l'esprit des parties, ou une personne placée dans la même situation, un doute raisonnable quant à son indépendance", sans répondre à ces conclusions opérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
12. Aux termes de l'article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, applicable à l'arbitrage international par renvoi de l'article 1506, 2°, il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité. Il lui est également fait obligation de révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission.
13. La cour d'appel a relevé que les circonstances dont la société Vidatel soutenaient qu'elles auraient dû être révélées par M. [X] ne concernaient pas d'éventuels liens avec l'une des parties à l'arbitrage, notamment la société PT Ventures, ni même avec l'ancienne société mère de celle-ci, la société Oi, mais, d'une part, avec l'un des actionnaires de celle-ci, M. [G], qui disposait de participations dans diverses sociétés représentées au capital de la société Oi dans des pourcentages variables, sans être majoritaire, et dans des durées elles-mêmes variables, d'autre part, avec la société BNY Mellon, prestataire de services financiers pour la société Oi dont il n'apparaissait pas qu'elle ait eu avec celle-ci des intérêts convergents ou liés à l'issue de l'arbitrage.
14. Elle en a souverainement déduit, sans avoir à procéder à une recherche ou à répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que, de l'ensemble de ces circonstances, il ne résultait pas un lien suffisamment proche et intense entre la société PT Ventures et le cabinet de M. [X] pour provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'indépendance de celui-ci.
15. Abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Vidatel Ltd aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Vidatel Ltd et la condamne à payer à la société PT Ventures la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société Vidatel Ltd
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Vidatel fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le recours en annulation contre la sentence arbitrale intitulée « final award » (ICC CASE n° 21404/ASM/JPA) et l'addendum de la sentence intitulée « addendum to the final award », respectivement rendus à Paris le 20 février 2019 et le 30 avril 2019, sous l'égide de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, de l'avoir condamnée à verser à la société PT Ventures SGPS une somme de 300.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
1°) ALORS QUE la sentence arbitrale peut être annulée lorsque le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ; que selon l'article 1453 du Code de procédure civile, lorsque le litige oppose plus de deux parties et que celles-ci ne s'accordent pas sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui, désigne le ou les arbitres ; qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté que la clause d'arbitrage figurant à l'article 16 du pacte d'actionnaires précisait que « toute demande, tout différend ou toute autre question survenant entre les Parties en ce qui concerne ou découlant du présent Pacte ou de sa violation, sera tranché par voie d'arbitrage, par un groupe de cinq [5] arbitres, chaque Partie devant en désigner un et le cinquième devant être désigné par les quatre autres arbitres, sous réserve, toutefois, que si les arbitres désignés par les Parties ne trouvent pas d'accord, l'arbitre indépendant devra être désigné par le président en exercice de la Chambre de commerce internationale. Ledit arbitrage se déroulera conformément au Règlement de la Chambre de commerce internationale », que la société PT Ventures a désigné un arbitre le 27 octobre 2015 (arrêt, n° 7), la société Vidatel le 20 novembre suivant, la société Geni le 24 novembre 2015 et la société Mercury le 16 décembre suivant (arrêt, n° 10), et qu'« au 28 janvier 2016, les quatre arbitres nommés par les parties avaient accepté leur désignation » (arrêt, n° 14), ce dont il résultait que le 14 avril suivant, date à laquelle la CCI a informé les parties que la cour internationale d'arbitrage avait nommé d'office cinq arbitres (arrêt, n° 17), les parties s'étant accordées sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, le centre d'arbitrage ne pouvait désigner les arbitres, la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2° et 1520, 2° du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE selon l'article 11 (6) du règlement d'arbitrage CCI, dans sa version applicable, « Sous réserve des conventions particulières des parties, le tribunal arbitral est constitué conformément aux dispositions des articles 12 et 13 » ; que l'article 12 (8) de ce règlement dispose qu'à « défaut d'une désignation conjointe conformément à l'article 12, paragraphe 6 ou 7, et de tout autre accord entre les parties sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la Cour peut nommer chacun des membres du tribunal arbitral et désigne l'un d'entre eux en qualité de président. Dans ce cas, la Cour est libre de choisir toute personne qu'elle juge adéquate pour agir en qualité d'arbitre, en appliquant l'article 13 lorsqu'elle l'estime approprié » ; que l'article 41 du même règlement précise que « Dans tous les cas non visés expressément au Règlement, la Cour et le tribunal arbitral procèdent en s'inspirant du Règlement et en faisant tous les efforts pour que la sentence soit susceptible de sanction légale » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que l'article « 41 précité autorisait donc la Cour d'arbitrage de la CCI à faire application de l'article 12 (8) pour un tribunal arbitral composé par cinq arbitres » (arrêt, n° 60) et qu'« il ne résulte pas non plus de la mise en oeuvre de ces modalités de désignation par la CCI, une violation de la clause d'arbitrage dès lors que ces modalités ont été appliquées conformément au Règlement de la CCI, auquel les Parties ont entendu expressément se soumettre » (arrêt, n° 61), après avoir pourtant constaté que la convention d'arbitrage insérée à l'article 16 du pacte d'actionnaires prévoit que « toute demande, tout différend ou toute autre question survenant entre les Parties en ce qui concerne ou découlant du présent Pacte ou de sa violation, sera tranché par voie d'arbitrage, par un groupe de cinq [5] arbitres, chaque Partie devant en désigner un et le cinquième devant être désigné par les quatre autres arbitres, sous réserve, toutefois, que si les arbitres désignés par les Parties ne trouvent pas d'accord, l'arbitre indépendant devra être désigné par le président en exercice de la Chambre de commerce internationale », que la société PT Ventures a désigné un arbitre le 27 octobre 2015 (arrêt, n° 7), la société Vidatel le 20 novembre suivant, la société Geni le 24 novembre 2015 et la société Mercury le 16 décembre suivant (arrêt, n° 10), et qu'« au 28 janvier 2016, les quatre arbitres nommés par les parties avaient accepté leur désignation » (arrêt, n° 14), de sorte que les parties s'étant accordées sur les modalités de constitution du tribunal arbitral dans la convention d'arbitrage et ayant par la suite chacune désigné un arbitre, le règlement d'arbitrage n'autorisait pas la cour internationale d'arbitrage à nommer chacun des membres du tribunal arbitral et à désigner l'un d'entre eux en qualité de président à la date du 14 avril 2016, la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2°, 1520, 2° du code de procédure civile, ensemble les articles 11 (6), 12 (8) et 41 du règlement d'arbitrage de la CCI, dans sa version applicable ;
3°) ALORS QUE le principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres, lequel ne se confond pas avec l'exigence d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre, postule uniquement que les parties disposent des mêmes droits dans le processus de désignation des arbitres ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que « si au jour de la conclusion de la clause compromissoire, il était conforme audit principe de prévoir que chacune des parties au pacte d'actionnaires puisse effectivement être en mesure de désigner un arbitre, au jour où le litige est né, ce principe de l'égalité doit s'apprécier non plus seulement au regard de la qualité des parties au contrat, mais aussi au regard des prétentions et des intérêts de chacune des parties au litige », que « ce faisant, si plusieurs d'entre elles sont susceptibles de défendre des intérêts communs et partagés contre une seule autre, il convient de veiller à constituer un tribunal arbitral permettant d'en garantir le respect » et que « ainsi, dans la configuration telle que celle de la présente cause, au terme de laquelle le litige oppose l'un des actionnaires au trois autres, le premier mettant en cause l'action conjointe de ces derniers dans son éviction et le non-respect dudit pacte, le respect du principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres justifiait, en l'absence de meilleur accord des parties, de s'assurer d'une modalité de désignation compatible avec le respect dudit principe, qui s'impose aux parties nonobstant les dispositions de la convention d'arbitrage » (arrêt, n° 64 et 65), la cour d'appel a violé les articles 1453, 1506, 2° et 1520, 2° du code de procédure civile, ensemble le principe de l'égalité des parties dans la désignation des arbitres.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Vidatel fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le recours en annulation contre la sentence arbitrale intitulée « final award » (ICC CASE n°21404/ASM/JPA) et l'addendum de la sentence intitulée « addendum to the final award », respectivement rendus à Paris le 20 février 2019 et le 30 avril 2019, sous l'égide de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, de l'avoir condamnée à verser à la société PT Ventures SGPS une somme de 300.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
1°) ALORS QU'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que « pour être caractérisé ce doute raisonnable doit résulter d'un potentiel conflit d'intérêts dans la personne de l'arbitre, qui peut être soit direct parce qu'il concerne un lien avec une partie, soit indirect parce qu'il vise un lien d'un arbitre avec un tiers intéressé à l'arbitrage » (arrêt, n° 119) et que « lorsque le potentiel conflit d'intérêts est seulement indirect, l'appréciation du doute raisonnable dépendra notamment de l'intensité et de la proximité du lien entre l'arbitre, le tiers intéressé est l'une des parties à l'arbitrage » (arrêt, n° 119), la cour d'appel a violé les articles 1456 alinéa 2, 1506, 2° et 1520, 2° du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris « qu'en application de l'alinéa 3 de l'article 1464 du code de procédure civile, les parties sont tenues de satisfaire au principe de célérité et de loyauté dans la conduite de la procédure, en vertu duquel notamment en cas de doute sur l'incidence d'une circonstance dont elles ont pu avoir connaissance sur l'indépendance d'un arbitre, elles doivent l'en aviser ou aviser l'institution chargée de l'arbitrage pour recueillir des observations complémentaires, sans attendre l'issue de l'arbitrage pour s'en prévaloir, selon que cette issue lui est favorable ou non » et que « à défaut, ces parties sont présumées avoir considéré que cette circonstance n'est pas de nature à créer dans leur esprit un doute raisonnable quant à l'indépendance de l'arbitre » (arrêt, n° 128), pour en déduire, les liens entre le cabinet de M. [X] et certaines sociétés dans lesquelles M. [G] avait des participations étant notoires, puisque publiées notamment dans la Global Arbitration Review (arrêt, n° 126 et 127), que « la société Vidatel ne pouvait pas ne pas avoir eu connaissance » et qu'il ressort « du principe de loyauté procédurale, que si celle-ci n'a pas souhaité en faire état ou solliciter des explications complémentaires auprès de l'arbitre ou du centre chargé de l'organiser, c'est que ces circonstances n'étaient pas non plus de nature à créer, dans son esprit, comme dans celui d'une personne placée dans une même situation ayant eu accès aux mêmes éléments d'information raisonnablement accessibles, un doute raisonnable sur l'indépendance de l'arbitre » (arrêt, n° 129), la cour d'appel a violé les articles 1456, alinéa 2, 1464, alinéa 3, 1506, 2, 1506, 3° et 1520, 2° du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'il est fait obligation à l'arbitre de révéler sans délai toute circonstance, même notoire, susceptible de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à son indépendance ou son impartialité qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission, sans qu'elles soient tenues de procéder à de quelconques recherches après le début des opérations d'arbitrage et, qu'à défaut, la sentence rendue par lui peut être annulée ; qu'après avoir constaté que la société Vidatel s'était opposée pendant l'arbitrage à ce que le cabinet de M. [X] conseille l'administrateur judiciaire désigné par les juridictions brésiliennes dans la restructuration de la société Oi et de sa filiale PTIF en « faisant notamment valoir que si la société Oi n'était pas une partie à l'arbitrage, elle détenait « indirectement » à travers la société PTV une participation dans la société Unitel », ce qui avait conduit l'arbitre à refuser cette mission (arrêt, n° 147-148), en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la conjugaison de toutes les circonstances non révélées invoquées, soit que M. [X] et/ou son cabinet avaient, pendant l'arbitrage, représenté les intérêts de sociétés détenues par M. [G], M. [G] lui-même, entré au capital de la société Oi après le début de l'instance arbitrale (arrêt, n° 138) et la société BNY Mellon, prestataire de la société Oi, pour la conversion de 20 milliards de dette (arrêt, n° 149), n'était pas de nature à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'indépendance et à l'impartialité de cet arbitre, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1456 alinéa 2, 1506, 2° et 1520, 2° du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; que dans ses dernières conclusions, la société Vidatel faisait valoir que la restructuration de la société Oi, débutée en juin 2016, en parallèle avec l'arbitrage s'était déroulé du 20 octobre 2015 à la sentence du 20 février 2019, et que M. [G] avait acquis sa participation dans cette société en juin 2016 avec l'objectif de la revendre ultérieurement avec une plus-value importante ; qu'elle ajoutait qu'il avait oeuvré pour influencer la gestion de cette société dès son entrée au capital, qu'il avait été décrit à l'époque des faits, par plusieurs sources, comme l'actionnaire contrôlant la société Oi en dépit d'une participation minoritaire et que l'existence d'un arbitrage d'une valeur de plus de trois milliards de dollars américains, impliquant une filiale détenue majoritairement par la société Oi, la société PT Ventures, constituait un élément essentiel pour la situation financière de cette société Oi à laquelle M. [G] était directement intéressé, ce d'autant que la société Oi s'était engagée, d'après un communiqué du 8 janvier 2019, en cas de vente de sa participation à la société Unitel, à verser une partie des sommes reçues de la transaction à la société Pharol, dont M. [G] détenait des parts et dans laquelle il siégeait au conseil d'administration jusqu'au mois de décembre 2019 ; qu'elle avait en outre souligné que le produit de la vente éventuelle de la participation de la société PT Ventures dans la société Unitel dépendait directement du succès de la première dans l'arbitrage ; qu'elle en déduisait que les liens entre M. [X] et/ou son cabinet d'avocats avec M. [G] et les autres sociétés liées à la société Oi et à M. [G] étaient susceptibles de provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité de cet arbitre (concl., n° 236 à 248 et n° 304) ; qu'en relevant que « les circonstances particulières de l'espèce » n'imposaient pas à l'arbitre de révéler les liens entretenus par lui et/ou son cabinet avec M. [G] dès lors que sa « participation notoire (
) dans la société Oi, au surplus minoritaire et indirecte, cette société étant séparée de sa filiale par quatre degrés de sociétés interposées, ne crée pas davantage un lien suffisamment proche et intense entre la société PT Ventures, d'une part, et M. [X] et son cabinet, d'autre part, de nature à provoquer dans l'esprit des parties, ou une personne placée dans la même situation, un doute raisonnable quant à son indépendance », sans répondre à ces conclusions opérantes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Aux termes de l'article 1453 du code de procédure civile qui, selon l'article 1506, 2°, est applicable à l'arbitrage international, lorsque le litige oppose plus de deux parties et que celles-ci ne s'accordent pas sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui désigne le ou les arbitres.
Dès lors qu'une clause d'arbitrage prévoit que le tribunal sera composé de quatre arbitres désignés par chacune des sociétés partie à un pacte d'actionnaires et d'un président choisi par les arbitres, caractérise un désaccord sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, lequel justifie que la Chambre de commerce internationale (CCI) désigne l'intégralité de ses membres en application de l'article 12, 8, du règlement d'arbitrage de la CCI auquel renvoie la clause compromissoire, la désignation de son arbitre par l'une de ces sociétés, sous la condition, refusée par elles, que les autres désignent conjointement un seul arbitre en raison d'une convergence d'intérêts entre elles |
8,257 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 752 FS-B
Pourvoi n° W 21-11.304
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2022
1°/ M. [P] [H],
2°/ Mme [M] [E], épouse [H],
domiciliés tous deux [Adresse 2], agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de [B] [H],
ont formé le pourvoi n° W 21-11.304 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 9), dans le litige les opposant à la société Tunis Air, société tunisienne de l'air, dont le siège est [Adresse 3] (Tunisie), prise en son établissement sis [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme [H], tant en leur nom personnel qu'ès qualités, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Tunis Air, et l'avis écrit de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Bruyère, Ancel, conseillers, Mmes Kloda, Dumas, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), M. [H] et Mme [E], agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur enfant mineur, ont saisi d'une demande d'indemnisation pour retard important le tribunal d'instance du lieu de départ en France de leur vol Tunis Air à destination de [Localité 5].
2. La société Tunis Air a soulevé l'incompétence des juridictions françaises.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [H] et Mme [E] font grief à l'arrêt de déclarer le juge français incompétent, alors « qu'aux fins de l'application du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004, le transporteur aérien qui dispose dans un État membre de l'Union européenne d'une succursale pouvant être qualifiée de centre d'opérations qui se manifeste d'une façon durable vers l'extérieur doit être considéré comme domicilié dans un État membre au sens des articles 4 et 63 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis) ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que "l'article 63 évoque l'existence d'un principal établissement et non de l'un des principaux établissements de la personne morale", que "les pièces produites ne permettent pas d'établir que l'établissement domicilié dans le 8e arrondissement de Paris puisse être défini comme le principal établissement de la compagnie Tunis Air parmi tous ses établissements implantés dans le monde ni que l'administration centrale de la société est située à Paris alors que son siège social statutaire est situé à Tunis-Carthage" et que "l'existence d'un établissement inscrit au registre du commerce et des sociétés avec une autonomie de gestion et un organe de direction ne suffit pas à établir la compétence territoriale alléguée" (arrêt, p. 6, § 2 à 4), quand la seule existence en France d'une succursale de la société Tunis Air permettait de considérer qu'elle y était domiciliée au sens des articles 4 et 63 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, la cour d'appel a violé ces textes. »
Réponse de la Cour
4. Le moyen, qui invoque la notion de succursale, étrangère à l'application de l'article 63, § 1, du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (Bruxelles I bis), est inopérant.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
5. M. [H] et Mme [E] font le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 9 juill. 2009, Rehder, C-204/08, du 19 nov. 2009, Sturgeon, C-402/07 et C-432/07, et du 23 oct. 2012, Nelson, C-581/10 et C-629/10) que le règlement (CE) n° 261/2004 instaure un régime de réparation standardisée et immédiate des préjudices que constituent les désagréments dus aux retards, lequel s'inscrit en amont de la convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international et, partant, est autonome par rapport au régime issu de celle-ci ; qu'il s'en déduit que les dispositions du code des transports et du code de l'aviation civile, qui renvoient à la Convention de Montréal, n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande fondée sur ce règlement ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que "les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages et intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air", quand les dispositions des articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile, qui reprennent celles de l'article 33 de la Convention de Montréal, étaient inapplicables à la demande formée par les époux [H] à l'encontre de la société Tunis Air sur le fondement du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004, la cour d'appel a violé les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile par fausse application, ensemble l'article 7 du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004 ;
3°/ qu'en toute hypothèse, l'extension à l'ordre international des règles de compétence territoriale internes figurant à l'article 46 du code de procédure civile permet au demandeur de saisir, à son choix, outre la juridiction du domicile du défendeur, celle du lieu de l'exécution de la prestation de service, lequel s'entend, pour un transport aérien de passagers, soit du lieu de départ, soit du lieu d'arrivée de l'avion ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que si "l'article 46 donne au demandeur la possibilité de saisir à son choix, outre le lieu du domicile du défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service", "néanmoins, il convient de rappeler que les règles spéciales dérogent aux règles générales" et que "les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages-intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air" (arrêt, p. 6, § 9 à 11), quand l'inapplicabilité des articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile permettait aux époux [H] de saisir valablement le tribunal d'Ivry-sur-Seine, lieu de départ de l'avion, la cour d'appel a violé l'article 46 du code de procédure civile par refus d'application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, l'article 6, § 1, du règlement Bruxelles I bis, les articles L. 321-3 et L. 322-3 du code de l'aviation civile, repris aux articles L. 6422-2 et L. 6421-3 du code des transports, les articles R. 321-1 et R. 322-2 du code de l'aviation civile et l'article 46 du code de procédure civile :
6. Le premier de ces textes fixe le montant des indemnités forfaitaires dues par le transporteur aérien en cas de refus d'embarquement, de retard important ou d'annulation de vol.
7. Aux termes du deuxième, si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre.
8. Il résulte du troisième, rendu applicable par le quatrième au transport de personnes, que la responsabilité du transporteur aérien est régie par la Convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Montréal le 28 mai 1999.
9. Selon le sixième, auquel renvoie le cinquième en matière de transport aérien de personnes, l'action en responsabilité contre le transporteur aérien de marchandises prévue à l'article L. 321-5 doit être portée, au choix du demandeur, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination.
10. Aux termes du septième, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service.
11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 9 juillet 2009, C-204/08, du 19 novembre 2009, C-402/07 et C-432/07 et du 23 octobre 2012, C-581/10 et C-629/10) que le règlement n° 261/2004 instaure un régime de réparation standardisée et immédiate des préjudices que constituent les désagréments dus aux retards, lequel s'inscrit en amont de la Convention de Montréal et, partant, est autonome par rapport au régime issu de celle-ci.
12. Pour juger que la juridiction du lieu d'embarquement n'est pas compétente, l'arrêt retient que les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile, qui dérogent à la disposition générale de l'article 46 du code de procédure civile, sont applicables à l'action en dommages-intérêts engagée contre la société Tunis Air et qu'ils ne prévoient pas ce chef de compétence.
13. En statuant ainsi, alors que les dispositions du code des transports et du code de l'aviation civile, qui renvoient à la Convention de Montréal, n'avaient pas vocation à s'appliquer à la demande de M. [H] et Mme [E] fondée sur le règlement n° 261/2004 précité, la cour d'appel, à laquelle il incombait de faire application des dispositions de l'article 46 du code de procédure civile, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Tunis Air aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Tunis Air et la condamne à payer à M. [H] et Mme [E], agissant tant en leur nom personnel qu'en tant que représentants légaux de leur enfant mineur, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [H]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. et Mme [H], en leur nom personnel et en qualité de représentant légal de leur enfant mineur [B], font grief l'arrêt attaqué d'AVOIR dit le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent et de les AVOIR invités à se pourvoir ainsi qu'ils aviseraient ;
1°) ALORS QU'aux fins de l'application du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004, le transporteur aérien qui dispose dans un État membre de l'Union européenne d'une succursale pouvant être qualifiée de centre d'opérations qui se manifeste d'une façon durable vers l'extérieur doit être considéré comme domicilié dans un État membre au sens des articles 4 et 63 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis) ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que « l'article 63 évoque l'existence d'un principal établissement et non de l'un des principaux établissements de la personne morale », que « les pièces produites ne permettent pas d'établir que l'établissement domicilié dans le 8e arrondissement de Paris puisse être défini comme le principal établissement de la compagnie Tunis Air parmi tous ses établissements implantés dans le monde ni que l'administration centrale de la société est située à Paris alors que son siège social statutaire est situé à Tunis-Carthage » et que « l'existence d'un établissement inscrit au registre du commerce et des sociétés avec une autonomie de gestion et un organe de direction ne suffit pas à établir la compétence territoriale alléguée » (arrêt, p. 6, § 2 à 4), quand la seule existence en France d'une succursale de la société Tunis Air permettait de considérer qu'elle y était domiciliée au sens des articles 4 et 63 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, la cour d'appel a violé ces textes ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêts du 9 juill. 2009, Rehder, C-204/08, du 19 nov. 2009, Sturgeon, C-402/07 et C-432/07, et du 23 oct. 2012, Nelson, C-581/10 et C-629/10) que le règlement (CE) n° 261/2004 instaure un régime de réparation standardisée et immédiate des préjudices que constituent les désagréments dus aux retards, lequel s'inscrit en amont de la convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international et, partant, est autonome par rapport au régime issu de celle-ci ; qu'il s'en déduit que les dispositions du code des transports et du code de l'aviation civile, qui renvoient à la Convention de Montréal, n'ont pas vocation à s'appliquer à une demande fondée sur ce règlement ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que « les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages et intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air », quand les dispositions des articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile, qui reprennent celles de l'article 33 de la Convention de Montréal, étaient inapplicables à la demande formée par les époux [H] à l'encontre de la société Tunis Air sur le fondement du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004, la cour d'appel a violé les articles R. et R. 321-1 du code de l'aviation civile par fausse application, ensemble l'article 7 du règlement CE n° 261/2004 du 11 février 2004 ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, l'extension à l'ordre international des règles de compétence territoriale internes figurant à l'article 46 du code de procédure civile permet au demandeur de saisir, à son choix, outre la juridiction du domicile du défendeur, celle du lieu de l'exécution de la prestation de service, lequel s'entend, pour un transport aérien de passagers, soit du lieu de départ, soit du lieu d'arrivée de l'avion ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que si « l'article 46 donne au demandeur la possibilité de saisir à son choix, outre le lieu du domicile du défendeur, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service », « néanmoins, il convient de rappeler que les règles spéciales dérogent aux règles générales » et que « les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages et intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air » (arrêt, p. 6, § 9 à 11), quand l'inapplicabilité des articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile permettait aux époux [H] de saisir valablement le tribunal d'Ivry-sur-Seine, lieu de départ de l'avion, la cour d'appel a violé l'article 46 du code de procédure civile par refus d'application ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, le privilège de juridiction édicté par l'article 14 du code civil, qui a pour seul fondement la nationalité française du demandeur, ne peut être tenu en échec par les règles générales de compétence territoriale lorsque celles-ci ne donnent pas compétence aux tribunaux français ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que « les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages et intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air », qu'une telle action « doit être portée au choix du demandeur, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination », qu'« à cet égard, le TI d'Ivry n'est pas le lieu de l'établissement par le soin duquel le contrat a été conclu » et que « le siège social de l'intimée étant situé à Tunis et le vol litigieux étant à destination de Tunis, ces règles de compétence nationales ne permettent pas non plus de justifier la compétence du tribunal d'Ivry-sur-Seine » (arrêt, p. 6, pén. § à p. 7,§ 2), quand les règles de compétence territoriale édictées par les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile ne pouvaient mettre en échec la compétence résiduelle des juridictions françaises fondée sur la nationalité du demandeur, la cour d'appel a violé l'article 14 du code civil ;
5°) ALORS QU'en toute hypothèse, le demandeur français peut valablement saisir, sur le fondement de l'article 14 du code civil, le tribunal français qu'il choisit en raison d'un lien de rattachement de l'instance au territoire français, ou à défaut, selon les exigences d'une bonne administration de la justice ; qu'en jugeant le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent aux motifs que « les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages et intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air », qu'elle « doit être portée au choix du demandeur, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination », qu'« à cet égard, le TI d'Ivry n'est pas le lieu de l'établissement par le soin duquel le contrat a été conclu » et que « le siège social de l'intimée étant situé à Tunis et le vol litigieux étant à destination de Tunis, ces règles de compétence nationales ne permettent pas non plus de justifier la compétence du tribunal d'Ivry-sur-Seine » (arrêt, p. 6, pén. § à p. 7,§ 2), sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée par les conclusions d'appel (p. 4, § 5 et 6, en droit, et p. 10, § 5, en fait), si la situation de l'aéroport d'[Localité 4], lieu de départ de l'avion pour le transport litigieux, dans le ressort du tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine ne conférait pas à celui-ci compétence, conforme aux exigences d'une bonne administration de la justice, pour statuer sur le litige, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. et Mme [H] en leur nom personnel et en qualité de représentant légal de leur enfant mineur [B] font grief l'arrêt attaqué de les AVOIR invités à se pourvoir ainsi qu'ils aviseraient ;
ALORS QUE la cour saisie de l'appel d'un jugement statuant exclusivement sur la compétence doit renvoyer l'affaire à la juridiction qu'elle estime compétente, à moins qu'elle estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère et renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir ; qu'en invitant les appelants à se pourvoir ainsi qu'ils aviseraient, aux motifs que « les articles R. 322-2 et R. 321-1 du code de l'aviation civile concernant l'action en responsabilité contre le transporteur aérien n'ont pas été abrogés et sont applicables en l'espèce à l'action en dommages et intérêts intentée à l'encontre de la société Tunis Air », qu'elle « doit être portée au choix du demandeur, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination », qu'« à cet égard, le TI d'Ivry n'est pas le lieu de l'établissement par le soin duquel le contrat a été conclu » et que « le siège social de l'intimée étant situé à Tunis et le vol litigieux étant à destination de Tunis, ces règles de compétence nationales ne permettent pas non plus de justifier la compétence du tribunal d'Ivry-sur-Seine » (arrêt, p. 6, pén. § à p. 7,§ 2), bien qu'elle ait constaté qu'« aux termes de l'article 14 [du code civil], l'étranger peut être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un français » (arrêt, p. 6, § 8), ce dont il résultait qu'il lui incombait, si elle jugeait le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine incompétent et sauf à constater expressément l'incompétence internationale des juridictions françaises, de désigner celle des juridictions françaises qu'elle estimait territorialement compétente, la cour d'appel a violé les articles 81 et 86 du code de procédure civile. | Le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 du Conseil du 4 février 1991 instaure un régime de réparation standardisée et immédiate des préjudices que constituent les désagréments dus aux retards, lequel s'inscrit en amont de la Convention de Montréal du 28 mai 1999 et, partant, est autonome par rapport au régime issu de celle-ci.
Aux termes de l'article 6, § 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis), si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre.
Dès lors, il incombe à la juridiction saisie d'une demande d'indemnisation pour retard important d'un vol Tunis Air au départ de la France et à destination de Tunis de faire application des dispositions de l'article 46 du code de procédure civile |
8,258 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 754 F-B
Pourvoi n° U 21-50.034
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [L] [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 29 juin 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 21-50.034 contre l'arrêt rendu le 13 avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans le litige l'opposant à Mme [L] [C], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller doyen, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [C], après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller doyen rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 mai 2019), Mme [C], née le 24 décembre 1990 à [Localité 3] (Tunisie), a souscrit, sur le fondement de l'article 21-13-2 du code civil, une déclaration de nationalité française dont l'enregistrement a été refusé par le ministre de l'intérieur au motif que l'intéressée aurait établi sa résidence habituelle sur le territoire français après l'âge de six ans.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Le ministère public fait grief à l'arrêt de dire que Mme [C] a acquis la nationalité française le 22 mars 2017, alors « qu'en application de l'article 21-13-2 du code, civil "peuvent réclamer la nationalité française à leur majorité, par déclaration souscrite auprès de l'autorité administrative en application des articles 26 à 26-5, les personnes qui résident habituellement sur le territoire français depuis l'âge de six ans, si elles ont suivi leur scolarité obligatoire en France dans des établissements d'enseignement soumis au contrôle de l'Etat, lorsqu'elles ont un frère ou une soeur ayant acquis la nationalité française en application des articles 21-7 ou 21-11" ; que la condition de résidence habituelle en France s'apprécie à compter de la date anniversaire des six ans du déclarant; qu'en considérant que l'article 21-13-2 exige une résidence habituelle en France, non pas à la date de l'anniversaire des six ans mais depuis l'âge de six ans, c'est-à-dire à compter du sixième anniversaire et jusqu'au septième, si bien que Mme [C], née le 24 décembre 1990 et arrivée sur le territoire français en octobre 1997, à l'âge de six ans et neuf mois, remplissait la condition de résidence posée par la loi, la cour d'appel a violé texte susvisé. »
Réponse de la Cour
3. L'article 21-13-2 du code civil dispose :
« Peuvent réclamer la nationalité française à leur majorité, par déclaration souscrite auprès de l'autorité administrative en application des articles 26 à 26-5, les personnes qui résident habituellement sur le territoire français depuis l'âge de six ans, si elles ont suivi leur scolarité obligatoire en France dans des établissements d'enseignement soumis au contrôle de l'Etat, lorsqu'elles ont un frère ou une soeur ayant acquis la nationalité française en application des articles 21-7 ou 21-11. »
4. Il en résulte que bénéficient de cette disposition les personnes qui ont suivi leur scolarité en France, dans les établissements désignés par ce texte, à compter de l'année scolaire suivant leur sixième anniversaire.
5. Ayant constaté que Mme [C], née le 24 décembre 1990, était arrivée sur le territoire français en octobre 1997 et qu'elle y avait été scolarisée à compter du 17 novembre 1997, soit, au cours de l'année scolaire suivant son sixième anniversaire, la cour d'appel en a exactement déduit que celle-ci remplissait les conditions fixées par le texte précité.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Paris
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris qui a dit que Mme [L] [C] a acquis la nationalité française le 22 mars 2017 en vertu de l'article 21-13-2 du code civil:
AUX MOTIFS QUE " Mme [L] [C] soutient qu'elle réside en France depuis l'âge de six ans, puisqu'elle est née le 24 décembre 1990, qu'elle est arrivée sur le territoire français en octobre 1997 et qu'elle y a été scolarisée à compter du 17 novembre 1997. Le ministère public répond qu'elle ne remplissait donc pas la condition d'âge prévue par l'article 21-13-2 du code civil, qui vise « les personnes qui résident habituellement sur le territoire français depuis l'âge de six ans », c'est-à-dire, selon le ministère public, les personnes qui y résident à compter de la date anniversaire des six ans et non pas celles qui y sont arrivées, comme Mme [L] [C], au cours de leur septième année. Toutefois, ainsi que l'a retenu le jugement par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte, l'interprétation invoquée par le ministère public n'est pas conform e à la lettre de l'article 21-13-2 qui exige une résidence habituelle en France non pas à la date de l'anniversaire des six ans mais depuis l'âge de six ans, c'est-à-dire à compter du sixième anniversaire et jusqu'au septième. En troisième lieu, Mme [L] [C] justifie de sa scolarité en France à compter du 17 novembre 1997 jusqu'à l'année scolaire 2016-2017. Le ministère public soutient toutefois qu'elle doit justifier de sa scolarité en France à compter de sa date d'anniversaire des six ans, soit à compter du 24 décembre 1996. Néanmoins, au regard de ce qui vient d'être indiqué, Cette interprétation est erronée " ;
ALORS QU'en application de l'article. 21-13-2 du code, civil "peuvent réclamer la nationalité française à leur majorité, par déclaration souscrite auprès de l'autorité administrative en application des articles 26 à 26-5, les personnes qui résident habituellement sur le territoire français depuis l'âge de six ans, si elles ont suivi leur scolarité obligatoire en France dans des établissements d'enseignement soumis au contrôle de l'Etat, lorsqu'elles ont un frère ou une soeur ayant acquis la nationalité française en application des articles 21-7 ou 21-11" ; que la condition de résidence habituelle en France s'apprécie à compter de la date anniversaire des six ans du déclarant ; qu'en considérant que l'article 21-13-2 exige une résidence habituelle en France, non pas à la date de l'anniversaire des six ans mais depuis l'âge de six ans, c'est-à-dire à compter du sixième anniversaire et jusqu'au septième, si bien que Mme [L] [C], née le 24 décembre 1990 et arrivée sur le territoire français en octobre 1997, à l'âge de ans et neuf mois, remplissait la condition de résidence posée par la loi, la cour d'appel a violé texte susvisé ; | Il résulte de l'article 21-13-2 du code civil que les personnes qui ont suivi leur scolarité en France, dans les établissements désignés par ce texte, à compter de l'année scolaire suivant leur sixième anniversaire, peuvent réclamer la nationalité française à leur majorité, par déclaration souscrite auprès de l'autorité administrative en application des articles 26 à 26-5 du même code |
8,259 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 759 F-P+B
Pourvoi n° K 21-18.493
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2022
1°/ Mme [I] [Z], veuve [Y], ayant élu domicile en France chez Mme [D] [Y], demeurant [Adresse 1], domiciliée [Adresse 4] (Gabon),
2°/ M. [M] [Y], domicilié [Adresse 2],
3°/ M. [K] [Y], ayant élu domicile en France chez Mme [D] [Y], demeurant [Adresse 1], domicilié [Adresse 5] (Gabon),
4°/ Mme [D] [Y], domiciliée [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° K 21-18.493 contre l'ordonnance rendue le 22 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Montpellier, dans le litige les opposant à Mme [B] [C], épouse [U], domiciliée [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [Z] veuve [Y], de M. [Y], de Mme [D] [Y], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [C], après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée (tribunal judiciaire de Montpellier, 22 avril 2021), le 13 janvier 2020, Mme [Z], veuve [Y], Mme [D] [Y] et MM. [K] et [O] [Y] (les consorts [Y]) ont assigné Mme [C] devant le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, aux fins d'exequatur d'une décision de la cour d'appel de Port-Gentil (Gabon) la condamnant à leur payer une certaine somme.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Les consorts [Y] font grief à l'arrêt de retenir le défaut de pouvoir de statuer de la juridiction et de les déclarer irrecevables en leurs demandes, alors « que l'exequatur du jugement rendu par une juridiction gabonaise est accordée par le président du tribunal judiciaire saisi et statuant selon la procédure accélérée au fond ; qu'en se déclarant incompétent sur le fondement de l'article R. 212-8 du code de l'organisation judiciaire quand le président du tribunal judiciaire était désigné comme compétent par l'article 36 de la convention d'aide mutuelle juridique entre la France et la République du Gabon, applicable à la demande d'exequatur, le juge a violé cet article 36 de la convention d'aide mutuelle juridique entre la France et la République du Gabon, et ensemble l'article R. 212-8 du code de l'organisation judiciaire par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 36 de la convention d'aide mutuelle juridique entre la France et la République du Gabon du 23 juillet 1963 et l'article 28 de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 prise en application de l'article 28 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice :
3. Selon le premier de ces textes, l'exequatur est accordé par le président du tribunal de grande instance qui est saisi et statue suivant la forme prévue pour les référés.
4. Le second dispose :
« Le président du tribunal judiciaire connaît des litiges attribués par conventions internationales au « président » statuant « suivant la forme prévue pour les référés ». Il statue selon la procédure accélérée au fond. »
5. Pour déclarer la demande d'exequatur irrecevable, l'ordonnance retient que les consorts [Y] ont saisi le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, que le décret n° 2019-912 du 30 août 2019, en son article 10, a supprimé le tribunal de grande instance et que seul le tribunal judiciaire à juge unique peut connaître d'une demande d'exequatur, de sorte que les dispositions des articles 839 et 481-1 du code de procédure civile n'ont plus vocation à s'appliquer.
6. En statuant ainsi, le président du tribunal judiciaire a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application et le second par fausse application.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 22 avril 2021, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Montpellier autrement composé ;
Condamne Mme [Z], veuve [Y], Mme [D] [Y] et MM. [K] et [O] [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [Z], veuve [Y], Mme [D] [Y] et MM. [K] et [O] [Y] et les condamne à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme [Z] veuve [Y], M. [Y] et Mme [D] [Y],
MME [I] [Z], M. [K] [Y], M. [O] [Y] et MME [D] [Y] FONT GRIEF à l'ordonnance attaquée d'avoir rappelé le défaut de pouvoir de statuer de la juridiction et de les avoir déclarés irrecevables en leurs demandes ;
ALORS QUE l'exequatur du jugement rendu par une juridiction gabonaise est accordée par le président du tribunal judiciaire saisi et statuant selon la procédure accélérée au fond ; qu'en se déclarant incompétent sur le fondement de l'article R.212-8 du code de l'organisation judiciaire quand le président du tribunal judiciaire était désigné comme compétent par l'article 36 de la convention d'aide mutuelle juridique entre la France et la République du Gabon, applicable à la demande d'exequatur, le juge a violé cet article 36 de la convention d'aide mutuelle juridique entre la France et la République du Gabon, et ensemble l'article R. 212-8 du code de l'organisation judiciaire par fausse application. | Statuant selon la procédure accélérée au fond, viole, par refus d'application, l'article 36 de la Convention d'aide mutuelle juridique entre la France et la République du Gabon du 23 juillet 1963 et, par fausse application, l'article 28 de l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 prise en application de l'article 28 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le président du tribunal judiciaire qui retient, pour déclarer irrecevable une demande d'exequatur, que le décret n° 2019-912 du 30 août 2019, en son article 10, a supprimé le tribunal de grande instance et que seul le tribunal judiciaire à juge unique peut connaître d'une demande d'exequatur |
8,260 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 763 FS-B
Pourvois n°
C 21-20.464
G 21-20.814 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2022
I. la ville de [Localité 4], représentée par son son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, [Localité 4], a formé le pourvoi n° C 21-20.464 contre un arrêt rendu le 6 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Centre [Localité 4], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 4],
2°/ à la société Flandinvest, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3],
défenderesses à la cassation.
II. La société Flandinvest, société à responsabilité limitée, [Localité 3], a formé le pourvoi n° G 21-20.814 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant :
1°/ à la ville de [Localité 4],
2°/ à la société Centre [Localité 4], société à responsabilité limitée,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° C 21-20.464 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi n° G 21-20.814 invoque à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mmes Gallet et Schmitt, conseillers référendaires, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la ville de [Localité 4], de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Flandinvest et de la société Centre [Localité 4], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mmes Gallet et Schmitt, conseillers référendaires rapporteurs, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, conseillers, M. Jariel, Mme Aldigé, M. Baraké, Mme Davoine, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° G 21-20.814 et C 21-20.464 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 mai 2021, n° RG 20/18843), le 29 juin 2017, le maire de [Localité 4] a assigné les sociétés Flandinvest et Centre [Localité 4], respectivement propriétaire et gestionnaire d'un appartement situé dans un immeuble [Localité 4], en paiement d'une amende civile sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, pour avoir loué cet appartement de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile en contravention avec les dispositions de l'article L. 631-7 du même code.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° G 21-20.814
Enoncé du moyen
3. La société Flandinvest fait grief à l'arrêt de retenir qu'elle a enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation et de la condamner au paiement d'une amende de 20 000 euros, alors « que pour l'application de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, les locaux faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel les travaux sont autorisés ; qu'à [Localité 4], avant la révision du PLU de 2010, la location meublée saisonnière faisait encore partie de la destination "habitation" et était exclue de la catégorie "hébergement hôtelier" ; qu'ainsi, des travaux autorisés avant 2010, ayant pour conséquence de changer la destination d'un hôtel en "habitation" ne peuvent être regardés comme entraînant un changement d'usage pour de l'habitation, lorsque ce changement de destination a été effectué pour permettre d'exploiter une activité de location meublée saisonnière dans le local en cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, au vu des pièces produites par la Ville de [Localité 4], qu'il était établi que l'autorisation accordée par la mairie, dans le cadre du permis de construire, a eu pour conséquence un changement des lieux d'hôtel à logement d'habitation, "de sorte que l'usage d'habitation du lot en cause est caractérisé, au sens de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation", qu'il était constant que lors de son achat du bien immobilier en 2010, la société Flandinvest avait acquis un bien réputé à usage d'habitation, "ce qui ressortait indubitablement des dispositions de l'article L. 631-7 déjà applicables au moment de l'achat, avec assimilation du changement de destination au changement d'usage, dispositions issues de la loi du 4 août 2008, peu important la circonstance alléguée par les intimées que le précédent propriétaire ait exercé une activité de location meublée saisonnière" et que "les développements sur la location meublée supposée licite en 2002 (notions de meublé touristique avant la loi Alur ou encore définition à l'époque de la location meublée saisonnière) sont ainsi sans effet sur la qualification à retenir pour le lot en cause, à savoir un bien réputé à usage d'habitation, acquis tel quel par la société propriétaire intimée, nonobstant aussi les mentions du fichier informatique du relevé de propriété de la ville (annexe 3 du constat d'infraction mentionnant parfois la lettre P comme professionnelle)" ; qu'en se déterminant par de tels motifs, quand il lui appartenait de rechercher, comme elle y était invitée, si, à l'époque des travaux litigieux, la location meublée saisonnière faisait encore partie de la destination "habitation" et si, dans ces conditions, il ne résultait pas des éléments invoqués par la société Flandinvest que l'autorisation donnée par la mairie, pour le changement de destination d'un hôtel en "habitation" avait, en réalité, permis à l'ancien propriétaire d'exploiter une activité de location meublée saisonnière dans le local en cause, en sorte que l'usage pour lequel les travaux avaient été autorisés ne constituait pas un usage d'habitation, la cour d'appel a violé l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation. »
Réponse de la Cour
4. La cour d'appel a énoncé à bon droit que, selon l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, les locaux faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel les travaux sont autorisés.
5. Appréciant la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, elle a relevé que le dossier de permis de construire déposé en 2001 avait pour objet la réalisation de travaux en vue du changement de destination du bâtiment, à usage d'hôtel meublé, en habitation, avec création de six logements et a souverainement retenu que l'opération avait entraîné un changement de destination des lieux, d'hôtel à logements d'habitation.
6. Sans être tenue d'effectuer une recherche inopérante, la cour d'appel en a exactement déduit que le lot en cause devait être qualifié de bien réputé à usage d'habitation, acquis tel quel par la société propriétaire.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi n° C 21-20.464
Enoncé du moyen
8. La Ville de [Localité 4] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande à l'encontre de la société Centre [Localité 4], alors :
« 1°/ qu'en application des articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation toute personne qui loue un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile, ou qui ne se conforme pas aux obligations imposées en matière de changement d'usage est condamnée à une amende civile ; qu'en retenant que la société Centre [Localité 4] ne pouvait être condamnée au paiement d'une telle amende, quand il résultait de leurs constatations que la société Centre [Localité 4] était chargée de mettre à la disposition de tiers, pour de courtes durées, des locaux à usage d'habitation, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation ;
2°/ qu'en retenant que la société Centre [Localité 4] ne pouvait être condamnée au paiement d'une amende civile aux motifs impropres qu'elle n'est pas le propriétaire des locaux loués, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation ;
3°/ qu'en retenant que la société Centre [Localité 4] ne pouvait être condamnée au paiement d'une amende civile au motifs impropres que la décision de louer le bien émane de son mandant, la société Flandinvest, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du Code de la construction et de l'habitation ;
4°/ qu'en retenant que la société Centre [Localité 4] ne pouvait être condamnée au paiement d'une amende civile aux motifs impropres qu'elle n'a pas changé de manière illicite l'usage du bien sans autorisation préalable, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article L. 631-7, alinéa 1er, du code de la construction et de l'habitation, dans certaines communes, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est soumis à autorisation préalable.
10. Aux termes de l'alinéa 6 du même article, le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens de cet article.
11. Selon l'article L. 651-2 du même code, toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application de cet article est condamnée à une amende civile.
12. Celle-ci constituant une sanction ayant le caractère d'une punition (3e Civ., 5 juillet 2018, QPC n° 18-40.014), les éléments constitutifs du manquement qu'elle sanctionne sont, par application du principe de légalité des délits et des peines, d'interprétation stricte.
13. Ainsi, celui qui se livre ou prête son concours à la mise en location, par une activité d'entremise ou de négociation ou par la mise à disposition d'une plateforme numérique, en méconnaissance de l'article L. 631-7, et dont les obligations spécifiques sont prévues par l'article L. 324-2-1 du code du tourisme, n'encourt pas l'amende civile prévue par l'article L. 651-2.
14. Ayant constaté que la société Centre [Localité 4] avait pour activité la mise à disposition des biens meublés donnés en location, la cour d'appel en a exactement déduit qu'elle ne pouvait se voir reprocher d'en avoir changé l'usage en méconnaissance des dispositions de l'article L. 631-7.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la ville de [Localité 4] (demanderesse au C 21-20.464)
L'arrêt attaqué, critiqué par la VILLE de [Localité 4], encourt la censure ;
EN CE QU'il a débouté la VILLE de [Localité 4] de sa demande de condamnation de la SARL CENTRE [Localité 4] à une amende civile ;
ALORS QUE, PREMIÈREMENT, en application des articles L. 631-7 et L.651-2 du Code de la construction et de l'habitation toute personne qui loue un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile, ou qui ne se conforme pas aux obligations imposées en matière de changement d'usage est condamnée à une amende civile ; qu'en retenant que la société CENTRE [Localité 4] ne pouvait être condamnée au paiement d'une telle amende, quand il résultait de leurs constatations que la société CENTRE [Localité 4] était chargée de mettre à la disposition de tiers, pour de courtes durées, des locaux à usage d'habitation, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L.651-2 du Code de la construction et de l'habitation ;
ALORS QUE, DEUXIÈMEMENT, et en tout cas, qu'en retenant que la société CENTRE [Localité 4] ne pouvait être condamnée au paiement d'une amende civile aux motifs impropres qu'elle n'est pas le propriétaire des locaux loués, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L.651-2 du Code de la construction et de l'habitation ;
ALORS QUE, TROISIÈMEMENT, qu'en retenant que la société CENTRE [Localité 4] ne pouvait être condamnée au paiement d'une amende civile au motifs impropres que la décision de louer le bien émane de son mandant, la société FLANDINVEST, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L.651-2 du Code de la construction et de l'habitation ;
ET ALORS QUE, QUATRIÈMEMENT, qu'en retenant que la société CENTRE [Localité 4] ne pouvait être condamnée au paiement d'une amende civile aux motifs impropres qu'elle n'a pas changé de manière illicite l'usage du bien sans autorisation préalable, les juges du fond ont violé les articles L. 631-7 et L.651-2 du Code de la construction et de l'habitation Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier avocat aux Conseils, pour la société Flandinvest (demanderesse au pourvoi n° G 21-20.814)
La société Flandinvest fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à la Ville de [Localité 4] une amende de 20 000 euros ;
ALORS QUE pour l'application de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, les locaux faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel les travaux sont autorisés ; qu'à [Localité 4], avant la révision du PLU de 2010, la location meublée saisonnière faisait encore partie de la destination « habitation » et était exclue de la catégorie « hébergement hôtelier » ; qu'ainsi, des travaux autorisés avant 2010, ayant pour conséquence de changer la destination d'un hôtel en « habitation » ne peuvent être regardés comme entraînant un changement d'usage pour de l'habitation, lorsque ce changement de destination a été effectué pour permettre d'exploiter une activité de location meublée saisonnière dans le local en cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, au vu des pièces produites par la Ville de [Localité 4], qu'il était établi que l'autorisation accordée par la mairie, dans le cadre du permis de construire, a eu pour conséquence un changement des lieux d'hôtel à logement d'habitation, « de sorte que l'usage d'habitation du lot en cause est caractérisé, au sens de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation », qu'il était constant que lors de son achat du bien immobilier en 2010, la société Flandinvest avait acquis un bien réputé à usage d'habitation, « ce qui ressortait indubitablement des dispositions de l'article L. 631-7 déjà applicables au moment de l'achat, avec assimilation du changement de destination au changement d'usage, dispositions issues de la loi du 4 août 2008, peu important la circonstance alléguée par les intimées que le précédent propriétaire ait exercé une activité de location meublée saisonnière » et que « les développements sur la location meublée supposée licite en 2002 (notions de meublé touristique avant la loi Alur ou encore définition à l'époque de la location meublée saisonnière) sont ainsi sans effet sur la qualification à retenir pour le lot en cause, à savoir un bien réputé à usage d'habitation, acquis tel quel par la société propriétaire intimée, nonobstant aussi les mentions du fichier informatique du relevé de propriété de la ville (annexe 3 du constat d'infraction mentionnant parfois la lettre « P » comme professionnelle) » ; qu'en se déterminant par de tels motifs, quand il lui appartenait de rechercher, comme elle y était invitée, si, à l'époque des travaux litigieux, la location meublée saisonnière faisait encore partie de la destination « habitation » et si, dans ces conditions, il ne résultait pas des éléments invoqués par la société Flandinvest que l'autorisation donnée par la mairie, pour le changement de destination d'un hôtel en « habitation » avait, en réalité, permis à l'ancien propriétaire d'exploiter une activité de location meublée saisonnière dans le local en cause, en sorte que l'usage pour lequel les travaux avaient été autorisés ne constituait pas un usage d'habitation, la cour d'appel a violé l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation. | Celui qui se livre ou prête son concours, par une activité d'entremise ou de négociation ou par la mise à disposition d'une plateforme numérique, à la mise en location d'un local meublé en méconnaissance de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, dont les obligations spécifiques sont prévues par l'article L. 324-2-1 du code du tourisme, n'encourt pas l'amende civile prévue par l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation |
8,261 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 768 FS-B
Pourvoi n° S 21-19.212
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 NOVEMBRE 2022
1°/ M. [N] [E],
2°/ Mme [P] [Y],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° S 21-19.212 contre l'arrêt rendu le 27 avril 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société L'Oeillet, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à Mme [G] [M], épouse [W], domiciliée [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La société L'Oeillet et Mme [M] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt.
Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [E] et de Mme [Y], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société L'Oeillet et de Mme [M], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mme Davoine, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 27 avril 2021), le 27 avril 2017, la société civile immobilière L'Oeillet (la bailleresse) a donné à bail à M. [E] et Mme [Y] (les locataires) une maison à usage d'habitation.
2. Se prévalant d'un écart entre la surface mentionnée au bail et celle mesurée par eux, les locataires, après vaine demande à la bailleresse, l'ont assignée, ainsi que Mme [M], « sa représentante », en diminution de loyer et en paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. Les locataires font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme tardive leur demande en diminution de loyer, alors « que lorsque la surface habitable de la chose louée est inférieure de plus d'un vingtième à celle exprimée dans le contrat de location, le bailleur supporte, à la demande du locataire, une diminution du loyer proportionnelle à l'écart constaté ; qu'à défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du bailleur dans un délai de deux mois à compter de la demande en diminution de loyer, le juge peut être saisi, dans le délai de quatre mois à compter de cette même demande, afin de déterminer, le cas échéant, la diminution de loyer à appliquer ; qu'en retenant, pour en déduire que M. [E] et Mme [Y] se prévalaient vainement d'une cause d'interruption du délai de leur action en diminution du loyer, que le délai prévu par ce texte était un délai préfix de forclusion quand ce délai est un délai de prescription, la cour d'appel a violé l'article 3-1 de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article 2219 nouveau du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. La cour d'appel a énoncé, à bon droit, que le délai de quatre mois prévu par l'article 3-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 est un délai de forclusion courant à compter de la demande faite au bailleur.
6. Dès lors, après avoir constaté que les preneurs avaient demandé à la bailleresse de réduire le loyer le 18 août 2017 et que l'assignation avait été délivrée le 5 février 2018, soit plus de quatre mois plus tard, elle en a exactement déduit que cette demande était irrecevable.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La bailleresse et Mme [M] font grief à l'arrêt de dire que les locataires sont redevables d'une somme de 2 184 euros au titre des impayés de loyers et de les condamner solidairement à leur verser, après compensation, la somme globale de 416 euros, outre celle de 540,80 euros au titre de la majoration du dépôt de garantie, alors « que la SCI L'Oeillet et Mme [M] faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel que les consorts [E] [Y] ne s'étaient pas acquittés du règlement des loyers des mois d'octobre et novembre 2017, soit de la somme de 2 600 euros, de sorte que le juge a procédé à un calcul erroné en retenant au titre des impayés de loyers dus par les locataires la somme de 2 184 euros ; qu'en retenant pourtant que "le locataire est redevable envers le propriétaire d'une somme de 2 184 euros au titre des impayés de loyers des mois d'octobre et de novembre 2017 et que ces sommes ne sont pas contestées par les parties" de sorte qu'après compensation la créance due par la SCI L'Oeillet et Mme [M] aux consorts [E] [Y] était de 416 euros quand il ressortait précisément des conclusions du bailleur que ces sommes étaient contestées, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
9. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
10. Pour limiter à la somme de 2 184 euros l'arriéré locatif correspondant aux échéances d'octobre et de novembre 2017, l'arrêt retient que ce montant n'était pas contesté par les parties devant le premier juge.
11. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, la bailleresse, contestant l'application d'un loyer diminué à proportion de l'écart entre la surface indiquée au bail et celle mesurée par les preneurs, réclamait la condamnation des locataires au paiement de la somme de 2 600 euros correspondant à deux échéances du loyer contractuellement fixé, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de dispositif de l'arrêt condamnant la bailleresse à payer aux locataires, après compensation, la somme de 416 euros, entraîne par voie de conséquence celle du dispositif de l'arrêt la condamnant à leur payer la somme globale de 540,80 euros au titre de la majoration du dépôt de garantie, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
15. Dès lors que la demande en diminution de loyer est irrecevable, que les preneurs ne contestent pas devoir les échéances d'octobre et de novembre 2017, et que le loyer mensuel contractuellement fixé s'élevait à 1 300 euros, les preneurs sont redevables envers la bailleresse d'une somme de 2 600 euros au titre des arriérés de loyers.
16. Par ailleurs, la cour d'appel confirme le jugement en ce qu'il condamne la bailleresse à payer aux locataires une somme du même montant.
17. Après compensation entre les créances respectives des parties, il y a donc lieu de rejeter les demandes en paiement.
18. En conséquence, la demande en paiement d'une majoration de 10 %, fondée sur les dispositions de l'article 22, alinéa 7, de la loi du 6 juillet 1989, doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il dit que le locataire est redevable envers le propriétaire d'une somme de 2 184 euros au titre des impayés de loyers, condamne solidairement la société civile immobilière L'Oeillet et Mme [M] à verser à M. [E] et à Mme [Y], après compensation, la somme globale de 416 euros, ainsi que celle de 540,80 euros au titre de la majoration du dépôt de garantie, l'arrêt rendu le 27 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
FIXE à 2 600 euros l'arriéré de loyers ;
Après compensation entre les créances respectives des parties, rejette les demandes en paiement ;
Condamne M. [E] et Mme [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour M. [E] et Mme [Y]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable comme tardive la demande formée par M. [E] et Mme [Y] tendant à voir diminuer le montant du loyer ;
AUX MOTIFS QUE sur la demande de diminution du montant du loyer ; l'article 3-1 de la loi du 6 juillet 1989 dispose : « Lorsque la surface habitable de la chose louée est inférieure de plus d'un vingtième à celle exprimée dans le contrat de location, le bailleur supporte, à la demande du locataire, une diminution du loyer proportionnelle à l'écart constaté. A défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du bailleur dans un délai de deux mois à compter de la demande en diminution de loyer, le juge peut être saisi, dans le délai de quatre mois à compter de cette même demande, afin de déterminer, le cas échéant, la diminution de loyer à appliquer. La diminution de loyer acceptée par le bailleur ou prononcée par le juge prend effet à la date de signature du bail. Si la demande en diminution du loyer par le locataire intervient plus de six mois à compter de la prise d'effet du bail, la diminution de loyer acceptée par le bailleur ou prononcée par le juge prend effet à la date de la demande. » ; il est constant les consorts [E] [Y] ont formé une demande de diminution de loyer par envoi à la Sci L'oeillet une lettre recommandée en date du 18 août 2017, invoquant une différence de plus d'un vingtième ente la superficie du bien loué mentionnée dans le bail et la superficie réelle habitable ; qu'ils ont délivré assignation à la Sci et à Mme [M] le 5 février 2017 à cette même fin ; que par courrier du 6 septembre 2017, la Sci L'oeillet, prise en la personne de Mme [M] répondait à différentes autres demandes formulées dans le courrier des consorts [E] [Y] du 18 août 2017, portant sur des désordres affectant leur logement, mais ne formulait aucune observation sur le demande de diminution de loyer, se contentant de conseiller aux locataires de donner congé de leur bail pour trouver un autre bien pouvant leur convenir ; au soutien de leur appel, les consorts [E] [Y] font valoir que la lettre du 6 septembre 2017 de la Sci L'oeillet équivaut à une absence de réponse des bailleurs, et d'autre part, est interruptive de prescription, un nouveau délai de deux mois commençant à courir à compter de cette date, expirant le 6 novembre 2017, le délai de quatre mois prescrit par la loi du 6 juillet 1989 expirant le 6 mars 2018 ; or, il convient de relever, comme l'a observé justement le premier juge que la loi du 6 juillet 1989 constitue un texte spécial, dérogeant à la loi générale, et instaurant un délai préfix de forclusion de quatre mois à compter de la première demande de diminution de loyer ; c'est par conséquent par une juste application de la loi que le premier juge a déclaré irrecevable la demande de diminution de loyer
formée par les consorts [E] [Y] ; sur la demande de remboursement du trop-perçu locatif : les consorts [E] [Y] ayant été jugés irrecevables en leur demande de diminution de loyer, seront déboutés de cette demande, aucun trop perçu locatif ne pouvant être retenu à leur bénéfice ;
ALORS QUE lorsque la surface habitable de la chose louée est inférieure de plus d'un vingtième à celle exprimée dans le contrat de location, le bailleur supporte, à la demande du locataire, une diminution du loyer proportionnelle à l'écart constaté ; qu'à défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du bailleur dans un délai de deux mois à compter de la demande en diminution de loyer, le juge peut être saisi, dans le délai de quatre mois à compter de cette même demande, afin de déterminer, le cas échéant, la diminution de loyer à appliquer ; qu'en retenant, pour en déduire que M. [E] et Mme [Y] se prévalaient vainement d'une cause d'interruption du délai de leur action en diminution du loyer, que le délai prévu par ce texte était un délai préfix de forclusion quand ce délai est un délai de prescription, la cour d'appel a violé l'article 3-1 de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article 2219 nouveau du code civil.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. [E] et Mme [Y] de leur demande tenant à voir condamner la Sci L'oeillet et Mme [M] à leur payer des dommages-intérêts pour préjudice moral résultant d'une tromperie et d'AVOIR, déboutant les parties et leurs demandes plus amples ou contraires, débouté M. [E] et Mme [Y] de leur demande de restitution d'un trop perçu locatif ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur la demande de remboursement du trop-perçu locatif : les consorts [E] [Y] ayant été jugés irrecevables en leur demande de diminution de loyer, seront déboutés de cette demande, aucun trop perçu locatif ne pouvant être retenu à leur bénéfice ; sur la demande de dommages-intérêts formée par les consorts [E] [Y] au titre de leur préjudice moral : la demande de diminution de loyer formée par les consorts n'a pas été examinée comme ayant été jugée irrecevable comme forclose. Il en résulte notamment que la mauvaise foi de la SCI L'oeillet et de Mme [M] n'est pas établie par les éléments du dossier, les considérations relatives à l'activité professionnelle de M. [W] apparaissant étrangères au litige présent ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il convient de préciser en outre que cette même demande, fondée à titre subsidiaire sur « le droit commun » et « la responsabilité contractuelle du bailleur » devra être écartée, puisque la loi du 6 juillet 1989 constitue un texte spécial, lequel déroge nécessairement à la loi générale ; sur la demande de 1000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral résultant d'une tromperie ; que les locataires soutiennent qu'ils ont été volontairement trompés lors de la signature du bail, le bailleur connaissant parfaitement la surface du bien loué, comme cela ressort du cadastre ; que le propriétaire soutient qu'il a intégré, en toute bonne foi, la superficie du garage nouvellement construit ; que l'existence d'une tromperie volontaire n'est pas rapportée par les éléments objectifs du dossier ; que, par ailleurs, la demande en diminution du loyer pour la différence constatée entre la superficie mentionnée au bail et la superficie réelle habitable, a déjà été écartée pour irrecevabilité ; que la demande en dommages et intérêts pour tromperie sera donc rejetée ;
1) ALORS QUE les dispositions de l'article 3-1 de la loi du 6 juillet 1989 aux termes desquelles le bailleur supporte une diminution de loyer lorsque la surface habitable de la chose louée est inférieure de plus d'un vingtième à celle exprimée dans le contrat de location, n'excluent pas la possibilité pour le locataire de solliciter, sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle, l'indemnisation du préjudice subi du fait d'une faute du bailleur ayant loué une surface habitable ne correspondant pas à celle prévue contractuellement ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 3-1 de la loi du 6 juillet 1989, ensemble l'article 1231-1 nouveau du code civil ;
2) ALORS, en toute hypothèse, QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en se bornant à affirmer que la mauvaise foi de la Sci L'oeillet et de Mme [M] n'était pas établie par les éléments du dossier, sans répondre aux conclusions opérantes de M. [E] et Mme [Y] (conclusions p.13 et 14) faisant valoir que le cadastre, nécessairement connu des bailleurs, faisait mention d'une surface habitable de 84 m², que les bailleurs avaient acheté récemment le bien immobilier donné à bail et avaient une exacte connaissance de la surface habitable de sorte qu'ils avaient de mauvaise foi mentionné une surface habitable de 100 m² incluant le garage, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné solidairement la SCI L'oeillet et Mme [G] [M] à verser à M. [E] et Mme [Y] la somme globale de 540,80 euros au titre de la majoration du dépôt de garantie et d'AVOIR débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur la demande de majoration du dépôt de garantie : le jugement sera également confirmé sur ce point, le premier juge ayant fait une juste application des dispositions de l'article 22 de la loi du 6 juillet 1989 précédemment citées ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE le dépôt de garantie restant dû au locataire s'élevait à 416 euros ; que cette somme aurait dû être remise au locataire au plus tard le 30 décembre 2017 ; que la majoration doit être calculée sur la période comprise entre cette date et la date de délivrance de l'assignation, le 5 février 2018, qu'elle s'établit donc à la somme de 10 % de 146 euros x 13 = 540,80 euros ;
ALORS QU'à défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d'une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard ; que M. [E] et Mme [Y] faisaient valoir qu'une somme de 5 200 euros était due au titre de la majoration prévue par l'article 22, alinéa 7, de la loi du 6 juillet 1989, le dépôt de garantie n'étant toujours pas restituée ; qu'en retenant, par motifs adoptés des premiers juges, que la majoration de 10 % en raison de l'absence de paiement du dépôt de garantie restant dû au locataire devait être calculée sur la période comprise entre la date à laquelle la somme aurait dû être remise au plus tard aux locataires, le 30 décembre 2017, et la date de délivrance de l'assignation, le 5 février 2018, quand la majoration était due jusqu'à complet paiement du dépôt de garantie restant dû, la cour d'appel a violé l'article 22, alinéa 7, de la loi du 6 juillet 1989.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la SCI L'Oeillet et Mme [M].
La SCI L'oeillet et Mme [M] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que le locataire est redevable envers le propriétaire d'une somme de 2 184 euros au titre des impayés de loyers, de les avoir condamnés solidairement à verser à M. [E] et Mme [Y], après compensation, la somme globale de 416 euros et de les avoir condamnés solidairement à verser à M. [E] et à Mme [Y] la somme globale de 540,80 euros au titre de la majoration du dépôt de garantie
1) ALORS QUE la SCI L'oeillet et Mme [M] faisaient valoir dans leurs conclusions d'appel que les consorts [E] [Y] ne s'étaient pas acquittés du règlement des loyers des mois d'octobre et novembre 2017, soit de la somme de 2 600 euros, de sorte que le juge a procédé à un calcul erroné en retenant au titre des impayés de loyers dus par les locataires la somme de 2 184 euros (conclusions p.13) ; qu'en retenant pourtant que « le locataire est redevable envers le propriétaire d'une somme de 2 184 euros au titre des impayés de loyers des mois d'octobre et de novembre 2017 et que ces sommes ne sont pas contestées par les parties » de sorte qu'après compensation la créance due par la SCI L'oeillet et Mme [M] aux consorts [E] [Y] était de 416 euros quand il ressortait précisément des conclusions du bailleur que ces sommes étaient contestées, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2) ALORS QU'il ressort du contrat de bail que le loyer mensuel était de 1 300 euros ; qu'en retenant pourtant que le locataire était redevable envers le propriétaire d'une somme de 2 184 euros au titre des impayés de loyers des mois d'octobre et de novembre 2017 et qu'après compensation la créance due par la SCI L'oeillet et Mme [M] aux consorts [E] [Y] était de 416 euros quand il ressortait du contrat de bail que les locataires étaient redevables de la somme de 2 600 euros de sorte que par compensation avec les loyers impayés, le compte entre les parties s'était apuré et l'obligation de restitution du dépôt de garantie avait été remplie, la cour d'appel a dénaturé le contrat de bail ;
3) ALORS QU'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt ayant condamné le bailleur à payer au locataire, après compensation, la somme globale de 416 euros entrainera par voie de conséquence celle du chef de dispositif de l'arrêt ayant condamné le bailleur à payer au locataire une somme de 540,80 euros au titre de la majoration du dépôt de garantie. | Le délai de quatre mois prévu par l'article 3-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 est un délai de forclusion courant à compter de la demande faite au bailleur |
8,262 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Rejet
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 638 F-B
Pourvoi n° E 20-20.830
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [K] [Y], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 20-20.830 contre l'arrêt rendu le 18 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant à la Société civile des Mousquetaires, société civile, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [Y], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Société civile des Mousquetaires, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2020) et les productions, M. [Y] est devenu associé de la Société civile des Mousquetaires (la SCM) en 1996, en acquérant vingt-sept parts au prix unitaire de 10 740 francs (1 637,30 euros). Le 7 décembre 1997, il a notifié son retrait de la SCM. Par assemblée générale du 16 juin 1998, la SCM a fixé la valeur de la part à 14 990 francs (2 285 euros) et ratifié la démission de M. [Y]. Une somme représentative de la valeur totale de ses parts ainsi calculée lui a été versée en quatre échéances, la dernière intervenant le 28 janvier 2002.
2. M. [Y] a contesté la valorisation de ses parts. En dernier lieu, par une ordonnance du 17 mars 2009, le président d'un tribunal de grande instance, saisi en application de l'article 1843-4 du code civil, a désigné M. [N], lequel a déposé son rapport le 20 février 2012, fixant la valeur unitaire de la part à 48 546 euros, en se fondant notamment sur les derniers résultats comptables obtenus en 2009 et 2010.
3. Sur le fondement de ce rapport, M. [Y] a, le 20 mars 2012, assigné la SCM devant le tribunal de grande instance en paiement du complément de la somme lui restant due sur ses parts, telles qu'évaluées par l'expert.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches
Enoncé du moyen
5. M. [Y] reproche à l'arrêt d'annuler le rapport d'expertise déposé par M. [N] le 20 février 2012, de le débouter de l'intégralité de ses demandes et de dire que les frais de l'expertise seront supportés par moitié par chacune des parties, alors :
« 1°/ que l'article 17-7) des statuts de la SCM prévoyait que "la société étant une société à capital variable, chaque associé dispose également de la possibilité de 'démissionner', c'est-à-dire que souhaitant se retirer, il peut demander à la société de lui acheter ses parts. Dans ce cas, il doit adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la gérance, qui dispose d'un délai de deux mois pour lui répondre. La gérance peut accepter elle-même la décision mais sous réserve de ratification par la plus proche réunion des associés statuant dans les conditions de quorum et de majorité requises pour les décisions ordinaires, laquelle fixe également les conditions et les délais du paiement de la valeur des parts, à moins que ces modalités aient été fixées par le Règlement Intérieur. En cas de démission, les parts sont achetées par la société par diminution du capital effectif et des réserves. La valeur retenue est celle déterminée par le Règlement Intérieur. A défaut, elle est fixée par l'Assemblée des Associés qui statue sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance. En cas de contestation, la valeur est déterminée à dire d'Expert, comme indiqué ci-dessus en matière de cession" ; qu'il résulte uniquement de cette clause que l'assemblée générale saisie pour ratifier la décision qui peut être prise par la gérance d'accepter la "démission" d'un associé, fixe les conditions et délais du paiement de la valeur des parts, et que la valeur des parts de l'associé désirant se retirer de la SCM est celle déterminée par le règlement intérieur, ou à défaut celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance, sans que ne soit déterminée la date devant être prise en considération pour évaluer les parts de l'associé retrayant ; qu'en jugeant que, "en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations", de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la société SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, la cour d'appel a dénaturé l'article 17-7) des statuts de la SCM, en violation de l'article 1134 (devenu 1192) du code civil, ensemble le principe selon lequel les juges du fond ne doivent pas dénaturer les documents qui sont soumis à leur examen ;
2°/ qu'en toute hypothèse, en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en jugeant qu'en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations, de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, quand cette clause se bornait à prévoir que la valeur des parts de l'associé retrayant était celle fixée par le règlement intérieur ou à défaut, celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou l'acceptation de celle-ci par la gérance, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une clause statutaire qui dérogerait au principe selon lequel la valeur des droits de l'associé retrayant doit être fixée à la date la plus proche possible du remboursement, a méconnu les articles 1134 (désormais 1103) et 1843-4 du code civil (ce dernier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 31 juillet 1994) ;
4°/ qu'en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que la valeur des parts de M. [Y] devait être déterminée à la date à laquelle la démission de M. [Y] avait été acceptée par l'assemblée générale de la SCM, soit le 16 juin 1998, date à laquelle cette assemblée générale avait également fixé la valeur des parts sociales de M. [Y], la cour d'appel a violé l'article 1843-4 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 31 juillet 1994). »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles 1843-4 et 1869 du code civil qu'en l'absence de dispositions contraires des statuts, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, auquel il est procédé selon les modalités prévues, le cas échéant, par les statuts, sans préjudice du droit pour l'associé qui conteste cette valeur, de la faire déterminer, à la date du remboursement ainsi effectué, par un expert désigné dans les conditions prévues par le premier de ces textes.
7. Si c'est à tort que la cour d'appel a retenu que la date à laquelle est statutairement fixée l'évaluation des parts est nécessairement celle, s'imposant à l'expert, du jour où est officiellement acté le retrait de l'associé, soit en l'espèce en 1998, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure dès lors qu'en se plaçant à la date d'établissement de son rapport, en 2012, et non à la date à laquelle la SCM a, le 28 janvier 2002, remboursé ses parts sociales à M. [Y] à la valeur fixée par l'assemblée des associés, l'expert a commis une erreur grossière.
8. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.
9. Le moyen ne peut donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [Y] et le condamne à payer à la Société civile des Mousquetaires la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [Y].
M. [K] [Y] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé le rapport d'expertise rendu par M. [N] le 20 février 2012, de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes et d'avoir dit que les frais de l'expertise seraient supportés par moitié par chacune des parties ;
Alors 1°) que l'article 17-7) des statuts de la Société Civile des Mousquetaires (pièce n° 1 produite devant la cour d'appel par M. [Y]) prévoyait que « la société étant une société à capital variable, chaque associé dispose également de la possibilité de « démissionner », c'est-à-dire que souhaitant se retirer, il peut demander à la société de lui acheter ses parts. Dans ce cas, il doit adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la gérance, qui dispose d'un délai de deux mois pour lui répondre. La gérance peut accepter elle-même la décision mais sous réserve de ratification par la plus proche réunion des associés statuant dans les conditions de quorum et de majorité requises pour les décisions ordinaires, laquelle fixe également les conditions et les délais du paiement de la valeur des parts, à moins que ces modalités aient été fixées par le Règlement Intérieur. En cas de démission, les parts sont achetées par la société par diminution du capital effectif et des réserves. La valeur retenue est celle déterminée par le Règlement Intérieur. A défaut, elle est fixée par l'Assemblée des Associés qui statue sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance. En cas de contestation, la valeur est déterminée à dire d'Expert, comme indiqué ci-dessus en matière de cession » ; qu'il résulte uniquement de cette clause que l'assemblée générale saisie pour ratifier la décision qui peut être prise par la gérance d'accepter la « démission » d'un associé fixe les conditions et délais du paiement de la valeur des parts, et que la valeur des parts de l'associé désirant se retirer de la SCM est celle déterminée par le règlement intérieur, ou à défaut celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance, sans que ne soit déterminée la date devant être prise en considération pour évaluer les parts de l'associé retrayant ; qu'en jugeant qu' « en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations », de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la société SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, la cour d'appel a dénaturé l'article 17-7) des statuts de la SCM, en violation de l'article 1134 (devenu 1192) du code civil, ensemble le principe selon lequel les juges du fond ne doivent pas dénaturer les documents qui sont soumis à leur examen ;
Alors 2°) et en toute hypothèse, qu'en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en jugeant qu'en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations, de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, quand cette clause se bornait à prévoir que la valeur des parts de l'associé retrayant était celle fixée par le règlement intérieur ou à défaut, celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou l'acceptation de celle-ci par la gérance, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une clause statutaire qui dérogerait au principe selon lequel la valeur des droits de l'associé retrayant doit être fixée à la date la plus proche possible du remboursement, la cour d'appel a méconnu les articles 1134 (désormais 1103) et 1843-4 du code civil (ce dernier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 31 juillet 1994) ;
Alors 3°) et en outre que sous l'empire de l'article 1843-4 du code civil, dans sa version applicable antérieurement à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, l'expert désigné sur le fondement de ce texte est libre du choix de la méthode d'évaluation des titres sociaux et n'est en particulier pas tenu par celle choisie par les parties, ou par les critères d'évaluation qui pourraient résulter des statuts ; qu'en faisant application de l'article 17-7) des statuts de la SCM prévoyant que l'assemblée générale de la société statuant sur l'acceptation de la démission fixerait également les conditions et délais de paiement de la valeur des parts, et qui disposait qu'en cas de démission, les parts seraient rachetées par la société à une valeur déterminée par le règlement intérieur ou à défaut, fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou l'acceptation de celle-ci par la gérance, la cour d'appel, sous couvert de déterminer la date à laquelle l'expert devait se placer pour évaluer les droits sociaux de M. [Y], a imposé à l'expert une modalité d'évaluation de ces droits, en violation de l'article 1843-4 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 31 juillet 1994) ;
Alors 4°) et enfin qu'en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges (jugement de première instance, p. 14-15), que la valeur des parts de M. [Y] devait être déterminée à la date à laquelle la démission de M. [Y] avait été acceptée par l'assemblée générale de la SCM, soit le 16 juin 1998, date à laquelle cette assemblée générale avait également fixé la valeur des parts sociales de M. [Y], la cour d'appel a violé l'article 1843-4 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 31 juillet 1994). | Il résulte des articles 1843-4 et 1869 du code civil qu'en l'absence de dispositions contraires des statuts, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, auquel il est procédé selon les modalités prévues, le cas échéant, par les statuts, sans préjudice du droit pour l'associé qui conteste cette valeur, de la faire déterminer, à la date du remboursement ainsi effectué, par un expert désigné dans les conditions prévues par le premier de ces textes.
En présence d'une clause statutaire dont il ressort que, en cas de retrait d'un associé, celui-ci perd sa qualité à la date à laquelle il est remboursé de ses droits par la société au prix fixé par elle conformément aux statuts, l'expert désigné en application de l'article 1843-4 du code civil commet une erreur grossière en se plaçant à la date à laquelle il procède à cette évaluation. Pour ce faire, l'expert doit se placer, non à la date à laquelle le retrait a été accepté par la société, mais à la date à laquelle celle-ci a versé à l'associé le prix de rachat des parts tel qu'elle l'a fixé en application des statuts |
8,263 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 658 F-B
Pourvoi n° Z 20-19.077
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [L] [V].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 Mai 2021
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 NOVEMBRE 2022
Mme [R] [V], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 20-19.077 contre l'arrêt rendu le 11 juin 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société HEP, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à M. [L] [V], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de Mme [V], de Me Balat, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 juin 2020), la société à responsabilité limitée HEP a été constituée le 5 mai 2014 entre Mme [V], M. [V] et M. [D], Mme [V] en étant la gérante.
2. La société HEP a notamment pour objet social l'exploitation d'un café, bar, brasserie ainsi que toutes opérations immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à cette exploitation. Elle a, pour exercer son activité, conclu le 17 juillet 2014 un bail commercial portant sur un local à usage commercial situé à [Localité 4] (Hauts-de-France).
3. La SCI des Collières, constituée entre Mme [V] et M. [D], a, le 14 mars 2017, acquis l'immeuble comprenant le local à usage commercial loué par la société HEP pour exercer son activité.
4. M. [V] a, par un acte du 1er septembre 2017, assigné Mme [V] et la société HEP, représentée par Mme [V], aux fins de voir condamner Mme [V] à payer des sommes en réparation de son préjudice et de celui subi par la société HEP. Mme [V] a opposé une fin de non-recevoir tirée de ce que la société HEP n'était pas valablement représentée faute de désignation d'un mandataire ad hoc.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, en ce qu'ils font grief à l'arrêt de dire que Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué à son devoir de loyauté à l'égard de M. [V] et de la condamner à payer à M. [V] une somme en réparation de son préjudice moral, et sur le quatrième moyen, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt d'écarter la fin de non-recevoir tirée de ce que la société HEP n'est pas régulièrement représentée dans l'instance relative à l'action sociale exercée par M. [V], de dire que Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué à son devoir de loyauté à l'égard de la société HEP et de la condamner à payer à la société HEP une somme à titre de dommages-intérêts
Enoncé du moyen
6. Mme [V] fait grief à l'arrêt d'écarter la fin de non-recevoir présentée en défense, de dire qu'en dissimulant l'information selon laquelle l'immeuble exploité par la société HEP était à vendre et, en se portant elle-même acquéreur par le biais de la SCI des Collières, Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué au devoir de loyauté à l'égard de la société HEP engageant sa responsabilité, et de condamner Mme [V] à verser à la société HEP une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, et ce, avec intérêts au taux légal, alors :
« 1° / qu'excède ses pouvoirs la cour d'appel qui se prononce sur les mérites de l'action ut singuli tant que la société n'est pas valablement représentée à l'instance ; qu'en cas de conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société n'est valablement représentée qu'après la désignation d'un mandataire ad hoc ; qu'en retenant pourtant que "l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc ne constitue pas une condition de recevabilité de l'action" , la cour d'appel a violé l'article R. 223-32 du code de commerce, ensemble les principes qui régissent l'excès de pouvoir ;
2°/ qu'en cas de conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société n'est valablement représentée qu'après la désignation d'un mandataire ad hoc ; qu'il appartient à la juridiction saisie de désigner ce mandataire ad hoc ; qu'en retenant, par motifs propres et éventuellement adoptés, que M. [V] n'avait pas qualité pour solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc et que Mme [V] n'avait elle-même pas formé une demande aux fins de désignation d'un tel mandataire ad hoc, quand il appartenait au juge lui-même de procéder à cette désignation, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard de l'article R. 223-32 du code de commerce, ensemble les principes qui régissent l'excès de pouvoir ;
3°/ que le représentant légal de la société en exercice se trouve nécessairement en état de conflit d'intérêts lorsque l'action ut singuli est exercée à son encontre, et non contre l'un de ses prédécesseurs ; qu'en retenant pourtant qu'en l'absence de demande de Mme [V] contre la société HEP, il n'existerait pas de conflit d'intérêts, quand Mme [V], partie dont était sollicitée la condamnation au paiement de dommages et intérêts au profit de la société HEP, était représentant légal de la société HEP, la cour d'appel a violé l'article R. 223-32 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 223-32 du code de commerce et les principes qui régissent l'excès de pouvoir :
7. Selon ce texte, lorsque l'action sociale est intentée par un associé, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux. Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre celle-ci et ses représentants légaux.
8. Il en résulte que l'action sociale exercée par un associé n'est recevable que si la société est régulièrement représentée dans l'instance. Lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu'il appartient au juge de désigner à la demande de l'associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d'office.
9. Pour écarter la fin de non-recevoir tirée de ce que la société HEP n'était pas régulièrement représentée dans l'instance relative à l'action sociale exercée par M. [V] et condamner Mme [V] à payer à cette société des dommages-intérêts en réparation de son préjudice, l'arrêt, après avoir constaté, dans son en-tête, que Mme [V] était assignée à la fois à titre personnel et en sa qualité de représentant légal de la société HEP, retient, par motifs propres et adoptés, que si l'action ut singuli exige, en raison de sa nature sociale, la mise en cause régulière de la société par l'intermédiaire de son représentant légal, l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc ne constitue pas une condition de recevabilité de l'action, que Mme [V] ne sollicite pas elle-même la désignation d'un mandataire ad hoc et qu'il n'existe pas de conflit d'intérêts entre cette dernière et la société HEP, dès lors que Mme [V] ne forme aucune demande à l'encontre de la société.
10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme [V] avait été assignée à la fois à titre personnel et en tant que représentante légale de la société HEP et que, par suite, il existait un conflit d'intérêts entre la société HEP, prétendument victime des agissements de sa gérante, et cette dernière, ce dont elle aurait dû déduire qu'elle devait désigner un mandataire ad hoc pour que la société HEP soit régulièrement représentée, peu important qu'elle n'ait pas été saisie d'une demande en ce sens, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement entrepris, il écarte la fin de non-recevoir soulevée par Mme [V] et en ce qu'il dit que Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué au devoir de loyauté à l'égard de la société HEP et la condamne à verser à la société HEP la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, l'arrêt rendu le 11 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne M. [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour Mme [V].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir écarté la fin de non-recevoir présentée en défense, d'avoir dit qu'en dissimulant l'information selon laquelle l'immeuble exploité par la société HEP était à vendre et en se portant elle-même acquéreur par le biais de la SCI des Collières, Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué au devoir de loyauté à l'égard de la société HEP engageant sa responsabilité, et d'avoir condamné Mme [V] à verser à la société HEP une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, et ce avec intérêts au taux légal, et d'avoir condamné Mme [V] à verser à M. [V] une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « sur la recevabilité des demandes : que la cour relève en premier lieu qu'aucune des parties n'a fait signifier ses écritures à la société HEP partie défaillante ; que pour autant les demandes de M. [L] [V] ne sont pas faites contre la société HEP mais à son profit, et Mme [R] [V] ne forme pas plus de demande à l'encontre de la société HEP ; que Mme [R] [V] conclut à l'irrecevabilité des demandes de M. [L] [V] faute de désignation d'un mandataire ad hoc appelé à représenter dans la présente procédure la société HEP ; qu'elle expose que ses intérêts sont divergents de ceux de la société HEP et que cette dernière n'est pas valablement représentée dans le cadre de la procédure ; qu'il résulte de l'article L223-22 du Code de commerce que le gérant d'une société est tenu à l'égard tant de la société que de ses associés à une obligation de loyauté et qu'il engage sa responsabilité si l'inexécution de cette obligation engendre un préjudice ; que selon l'article R223-32 du même code : "Lorsque l'action sociale est intentée par un ou plusieurs associés, agissant soit individuellement, soit dans les conditions prévues à l'article R. 223-31, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux. Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance, lorsqu'il existe un conflit d'intérêt entre celle-ci et ses représentants légaux" ; qu'ainsi, la loi autorise l'exercice de l'action sociale par un associé agissant individuellement à l'effet d'obtenir, outre l'allocation de dommages et intérêts à son profit, l'allocation de dommages et intérêts au profit de la société ; qu'il s'agit donc d'un droit propre des associés de présenter des demandes en réparation au profit de la société ; qu'en conséquence, si l'action ut singuli exige, en raison de sa nature sociale, la mise en cause régulière de la société par l'intermédiaire de son représentant légal, l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc ne constitue pas une condition de recevabilité de l'action ; que la fin de non-recevoir soulevée par l'action de Mme [R] [V], qui ne sollicite pas elle-même une telle désignation d'un mandataire ad hoc et qui au demeurant ne forme aucune demande à l'encontre de la société HEP, sera en conséquence rejetée et le jugement confirmé de ce chef» ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « si elle estimait se trouver en conflit d'intérêts, il appartenait à la gérante de la personne morale, co-assignée de solliciter la désignation d'un mandataire distinct chargé de représenter cette société dans le cadre du présent procès, tandis que le demandeur, associé de la SARL et non pas son représentant, n'avait pas qualité à solliciter une telle désignation ; que l'absence de requête en telle désignation de la part de Mme [R] [D]-[V], première défenderesse, ne rend pas pour autant irrecevable l'action de M. [L] [V], étant aussi observé qu'aucune demande n'est d'ailleurs présentée au fond par la gérante envers la SARL, d'où l'absence de conflit d'intérêts en ce sens ; que la fin de non-recevoir sera donc écartée et qu'il sera statué par jugement réputé contradictoire, sachant quant au fond et au vu de l'article 472 du CPC, qu'envers la partie non comparante il ne peut être fait droit à la demande que dans la mesure où elle se trouve bien fondée » ;
1/ ALORS QU'excède ses pouvoirs la cour d'appel qui se prononce sur les mérites de l'action ut singuli tant que la société n'est pas valablement représentée à l'instance ; qu'en cas de conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société n'est valablement représentée qu'après la désignation d'un mandataire ad hoc ; qu'en retenant pourtant que « l'absence de désignation d'un mandataire ad hoc ne constitue pas une condition de recevabilité de l'action », la cour d'appel a violé l'article R. 223-32 du code de commerce, ensemble les principes qui régissent l'excès de pouvoir ;
2/ ALORS QU'en cas de conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société n'est valablement représentée qu'après la désignation d'un mandataire ad hoc ; qu'il appartient à la juridiction saisie de désigner ce mandataire ad hoc ; qu'en retenant, par motifs propres et éventuellement adoptés, que M. [V] n'avait pas qualité pour solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc et que Mme [V] n'avait elle-même pas formé une demande aux fins de désignation d'un tel mandataire ad hoc, quand il appartenait au juge lui-même de procéder à cette désignation, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard de l'article R. 223-32 du code de commerce, ensemble les principes qui régissent l'excès de pouvoir ;
3/ ALORS QUE le représentant légal de la société en exercice se trouve nécessairement en état de conflit d'intérêts lorsque l'action ut singuli est exercée à son encontre, et non contre l'un de ses prédécesseurs ; qu'en retenant pourtant qu'en l'absence de demande de Mme [V] contre la société HEP, il n'existerait pas de conflit d'intérêts, quand Mme [V], partie dont était sollicitée la condamnation au paiement de dommages et intérêts au profit de la société HEP, était représentant légal de la société HEP, la cour d'appel a violé l'article R. 223-32 du code de commerce.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ces chefs, d'avoir dit qu'en dissimulant l'information selon laquelle l'immeuble exploité par la société HEP était à vendre et en se portant elle-même acquéreur par le biais de la SCI des Collières, Mme [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué au devoir de loyauté tant à l'égard de la société HEP que de M. [V], engageant sa responsabilité, d'avoir condamné Mme [V] à verser à la société HEP une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, et ce avec intérêts au taux légal, et d'avoir condamné Mme [V] à verser à M. [V] une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal ;
AUX MOTIFS QUE : « sur la faute de gestion reprochée à Mme [V] : que l'action ut singuli de M. [L] [V] est fondée sur le droit commun des sociétés en vertu duquel le gérant d'une société est tenu d'une obligation de loyauté et ne doit pas commettre de faute de gestion ; qu'il reproche à Mme [R] [V], gérante de la SARL HEP, d'avoir gardé le silence quant au projet de cession de l'immeuble d'exploitation de la société HEP et des garages associés, d'avoir acquis par l'intermédiaire de la SCI des Collières l'ensemble immobilier litigieux au détriment des intérêts de la société HEP et d'avoir ainsi commis des fautes de gestion qui ont causé un préjudice direct et certain tant à la société HEP qu'à lui-même en sa qualité d'associé minoritaire de ladite société ; que Mme [R] [V] fait valoir en substance qu'elle n'a réalisé aucune manoeuvre au préjudice de son frère ou de la société HEP, laquelle n'avait pas pour objet social l'acquisition de biens immobiliers et ne disposait d'aucune capacité financière à procéder à l'acquisition des locaux litigieux ; elle ajoute que le bailleur n'avait aucune obligation de notifier à l'un de ses locataires le projet de cession globale, raison pour laquelle le notaire du bailleur s'est contenté d'une présentation informelle et orale de la mise en vente d'un ensemble immobilier et qu'elle n'avait elle-même aucune raison de convoquer une assemblée générale des associés de la société HEP pour les informer de la mise en vente d'un ensemble immobilier comprenant notamment le bien constituant le local commercial au sein duquel le fonds de commerce était exploité ; qu'elle poursuit en indiquant que son frère, [L] [V], était informé de la vente de l'immeuble par les anciens propriétaires et se prévaut à l'appui de cette affirmation d'attestations dont celle de M. [D], ainsi que du courrier que lui a adressé M. [V] le 2 mars 2017 ; qu'il est constant que figure parmi les obligations du dirigeant social celle de veiller et d'agir en toute circonstance dans l'intérêt exclusif de la société et qu'à ce titre, son comportement ne doit pas affecter la situation ou le développement économique de la société ; que de façon plus générale, il est tenu d'agir en toutes circonstances de bonne foi dans l'intérêt de la société et de ses associés ; qu'il convient donc en l'espèce de rechercher si Mme [R] [V] a agi dans le respect de cette obligation ; que Mme [R] [V] a, en sa qualité de gérante de la société HEP, été avertie par le bailleur et/ou le notaire habituel des parties que le bailleur entendait céder une partie de son patrimoine immobilier, dont principalement l'immeuble exploité par la société HEP et les garages attachés, et M. [L] [V] démontre avoir eu connaissance de cette information par un tiers ; qu'à cet égard l'attestation de M. [D] selon laquelle les trois associés étaient informés de la décision de la fille des propriétaires de procéder à la vente de l'ensemble immobilier ne peut emporter la conviction de la cour dès lors que le témoin est le concubin de Mme [V], lui-même associé de la société HEP et par ailleurs cogérant avec Mme [V] de la SCI des Collières créée spécifiquement en vue de l'acquisition de l'immeuble situé [Adresse 3] ; que les autres attestations produites par Mme [R] [V] selon lesquelles M. [L] [V] était présent lors de l'annonce de la mise en vente de l'immeuble le 18 septembre 2016, sont tout aussi dénuées de portée, quel que soit l'endroit, le jour ou l'heure où M. [V] fêtait son anniversaire, dès lors que les témoins ne font état que d'une prétendue discussion informelle entre le notaire et Mme [V] à laquelle aurait assisté M. [V], ce d'autant qu'il résulte aussi d'un autre témoignage que Mme [V] a indiqué courant janvier 2017 que l'immeuble n'était pas à vendre et qu'en tout état de cause il n'était pas dans ses intentions de l'acheter ; qu'enfin le courrier de M. [L] [V] adressé à sa soeur Mme [V] le 2 mars 2017, soit 12 jours avant la signature de l'acte de vente du bien intervenue le 14 mars 2017, resté sans réponse, et aux termes duquel, ce dernier se fondant sur la croyance erronée de l'existence d'un droit de préemption au profit de la société HEP, sollicitait des informations "sur la vente de l'immeuble" n'est pas de nature à dispenser Mme [V], dirigeante de la société HEP, de sa propre obligation de loyauté et d'information en cette qualité ; qu'il résulte de ces éléments qu'en dissimulant l'information selon laquelle l'immeuble exploité par la société HEP était à vendre et en se portant elle-même acquéreur par le biais de la SCI des Collières constituée à cet effet le 23 décembre 2016 et immatriculée le 3 février 2017, et dont elle est cogérante avec son concubin M. [D], Mme [R] [V] s'est rendue coupable de réticence dolosive et a manqué au devoir de loyauté qui s'impose au dirigeant d'une société tant à l'égard de la société HEP en tant que personne morale qu'à l'égard de M. [L] [V] en tant qu'associé ; qu'elle a donc commis une faute engageant sa responsabilité et susceptible de causer un préjudice » ;
ALORS QUE ne manque pas à son devoir de loyauté le dirigeant social qui informe ses associés de son projet d'acquisition de l'immeuble dans lequel est exploité le fonds de commerce de la société ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté l'existence d'un « courrier de M. [L] [V] adressé à sa soeur Mme [V] le 2 mars 2012, soit 12 jours avant l'acte de vente du bien intervenu le 14 mars 2017, resté sans réponse, et aux termes duquel, ce dernier se fondant sur la croyance erronée de l'existence d'un droit de préemption au profit de la société HEP, sollicitait des informations « sur la vente de l'immeuble » » ; qu'il en résultait nécessairement que M. [V], avant même la vente, était informé de l'existence du projet d'acquisition de Mme [V], de sorte que cette dernière avait rempli ses obligations ; qu'en retenant pourtant que cette lettre ne serait « pas de nature à dispenser Mme [V], dirigeante de la société HEP, de sa propre obligation de loyauté et d'information en cette qualité » (arrêt, p. 5, dernier alinéa), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article L. 223-22 du code de commerce.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir condamné Mme [V] à verser à la société HEP une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, et ce avec intérêts au taux légal ;
AUX MOTIFS QUE : « sur le préjudice : que s'agissant de la société HEP, l'appelant invoque la perte de chance de préserver ses intérêts et limiter tout risque de contentieux lié à un bail commercial, de réaliser des économies quant au règlement des loyers commerciaux, de réaliser des profits sur l'exploitation de son patrimoine immobilier et d'accroître les actifs immobilisés et donc le gage de ses créanciers ; que M. [L] [V] fait ainsi valoir que la société HEP a perdu une chance certaine d'acquérir l'immeuble en cause et de réaliser de substantielles économies et de réels profits. Il indique que la société HEP aurait eu la capacité financière d'acquérir l'immeuble, notamment avec son intervention, et qu'elle avait d'ailleurs tout intérêt à l'acquérir, que le bail qui lui est consenti par la SCI Des Collières pour la location des locaux servant à l'exploitation de son fonds de commerce représente à lui seul un loyer mensuel de 1.950 euros et que l'ensemble des loyers perçus par la SCI des Collières s'élèverait a minima à la somme de 2.430 euros chaque mois, que le bénéfice mensuel minimal est donc de 2.880 euros une fois le crédit amorti sur 15 ans et verse aux débats en pièce n° 15 un "tableau de calcul du préjudice de la société HEP actualisé au vu de l'acte d'acquisition de l'immeuble" chiffrant le préjudice de la société HEP sur une durée de 30 ans à la somme de 645.073, 20 euros [
] ; que Mme [R] [V] réplique que la société HEP ne pouvait réaliser une opération immobilière, qu'elle n'a subi aucun préjudice ni n'a été écartée d'aucun profit potentiel faute pour elle de disposer des ressources qui lui auraient permis l'acquisition de ses locaux d'exploitation, que la société est titulaire d'un bail commercial notarié et bénéficie donc de la garantie accordée par le statut des baux commerciaux à tout locataire commercial, en ce compris le droit au renouvellement ; qu'elle ajoute que les réclamations personnelles de M. [V] font le cas échéant double emploi puisque celui-ci ne peut à la fois voir reconstituer par une action ut singuli un actif social dont il serait bénéficiaire au prorata de sa détention dans le capital social, et formuler par ailleurs la même demande à l'encontre de la même personne physique que celle qui aurait à restaurer l'actif social ; qu'il résulte des statuts de la société HEP que celle-ci avait notamment pour objet social d'acquérir l'immeuble litigieux dès lors qu'il permettait de sauvegarder directement ou indirectement ses intérêts commerciaux ou financiers ; que la société HEP a donc été privée de la possibilité de faire entrer dans son patrimoine un immeuble dont la valeur a été estimée à 345.000 euros en 2017 ; que par ailleurs, si la société HEP n'avait manifestement pas les capacités financières de procéder à l'acquisition de l'immeuble, M. [L] [V] se plaignant lui-même de difficultés dans un courrier adressé à Mme [R] [V] daté du 11 mars 2019 et faisant suite à une assemblée du 11 décembre 2018, il n'est pas établi qu'elle n'aurait pas eu la faculté de recourir à un emprunt bancaire, la SCI des Collières, cogérée par Mme [R] [V] ayant elle-même acquis l'immeuble au moyen d'un prêt consenti par la Banque Populaire du Nord, remboursable en 15 ans par mensualités de 2.176,26 euros avec un taux d'intérêt de 1, 5 % selon l'acte de cession versé aux débats ; qu'enfin l'acquisition de l'immeuble rendait nécessairement le bail commercial dont bénéficie la société HEP sans objet et la demande de remboursement de son compte courant d'associé par M. [L] [V] n'a aucune incidence sur le préjudice subi par la société HEP ; que le loyer mensuel de la société HEP est à ce jour de 1.950 euros ; que le coût du crédit octroyé à la SCI des Collières pour l'acquisition de l'immeuble est de 2.176, 26 euros sur une durée de 15 ans et la SCI perçoit actuellement des revenus locatifs de 750 euros par mois qui seront portés à 810 euros mensuels lorsque le deuxième garage sera loué, et dont devront être déduites les charges foncières imputables au propriétaire ; que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la perte de chance de la société HEP doit être fixée à la somme de 50.000 euros » ;
1/ ALORS QUE le manquement du dirigeant qui omet d'informer la société et ses associés de son projet d'acquisition immobilière, dont il a eu connaissance à l'occasion de son mandat social, ne cause un dommage à la société que si elle était en mesure elle-même de mener à bien l'acquisition ; qu'il est donc nécessaire que l'acquisition immobilière ait été susceptible de s'inscrire dans l'objet social de la société ; qu'en l'espèce, Mme [V] soulignait dans ses conclusions qu'avait été mis en vente un ensemble immobilier comprenant non seulement le local au sein duquel était exploité le fonds de commerce, mais également des locaux à usage d'habitation et deux garages totalement étrangers à l'exploitation commerciale de la société HEP, de sorte que l'opération excédait son objet social (conclusions, p. 7) ; qu'en retenant pourtant qu' « il résulte des statuts de la société HEP que celle-ci avait notamment pour objet social d'acquérir l'immeuble litigieux dès lors qu'il permettait de sauvegarder directement ou indirectement ses intérêts commerciaux ou financiers » (arrêt, p. 7, alinéa 2), sans s'expliquer, comme elle était invitée à le faire, sur la circonstance que l'immeuble litigieux était un ensemble immobilier dont l'usage excédait sensiblement les nécessités de l'exploitation commerciale et financière du fonds de commerce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-22 du code de commerce ;
2/ ALORS QU'il appartient à celui qui se prétend victime d'un dommage d'en établir l'existence ; qu'en retenant pourtant qu' « il n'est pas établi qu'elle [la société HEP] n'aurait pas eu la faculté de recourir à un emprunt bancaire » pour financer l'acquisition d'un montant de 345 000 euros, quand il incombait à M. [V], agissant au bénéfice de la société HEP, d'établir l'existence du supposé dommage causé par la prétendue faute de Mme [V], la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
3/ ALORS ET EN TOUT ETAT DE CAUSE QUE le manquement du dirigeant qui omet d'informer la société et ses associés de son projet d'acquisition immobilière, dont il a eu connaissance à l'occasion de son mandat social, ne cause un dommage à la société que si elle était en mesure elle-même de mener à bien l'acquisition ; qu'il est donc nécessaire que la société ait été en mesure de financer l'acquisition litigieuse ; qu'en l'espèce, Mme [V] soulignait dans ses conclusions qu'il résultait du premier bilan de la société HEP, pour la période du 5 mai 2014 au 30 juin 2015, que la société était très endettée dès sa création puisqu'elle avait acquis à crédit un fonds de commerce d'une valeur nette de 112 000 euros, qu'elle restait devoir au titre de l'emprunt une somme de 93 601 €, et que son capital social n'était que de 5 000 euros ; qu'elle établissait encore que le deuxième exercice s'était soldé par une perte de 5 630 euros, et que le troisième exercice ne révélait un bénéfice comptable de la société HEP que de 14 595 euros ; que Mme [V] versait aux débats, au soutien de ce moyen, les trois premiers bilans comptables de la société HEP (pièces n° 1 à 3) ; qu'en retenant pourtant qu' « il n'est pas établi qu'elle n'aurait pas eu la faculté de recourir à un emprunt bancaire » pour financer l'acquisition d'un montant de 345 000 euros sans s'expliquer, serait-ce sommairement, sur ces pièces, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir condamné Mme [V] à verser à M. [V] une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral, et ce avec intérêts au taux légal ;
AUX MOTIFS QUE : « sur le préjudice [
] : s'agissant de son propre préjudice, M. [L] [V] invoque une perte de chance de tirer profit de l'investissement immobilier et notamment de toucher des dividendes et de revendre ultérieurement ses parts sociales avec valorisation ; que compte tenu du fait qu'il détient 30 % du capital de la société HEP, il évalue son préjudice personnel à la somme de 193.521, 96 euros selon "tableau de calcul du préjudice de M. [V] actualisé au vu de l'acte d'acquisition de l'immeuble" qu'il produit en pièce n° 16 ; qu'enfin il invoque un préjudice moral résultant du fait que la gérante de la société HEP est sa soeur en qui il avait pleine confiance, ajoutant que sans son intervention financière, la société HEP n'aurait pas pu exister ni prospérer et qu'il se retrouve désormais associé minoritaire dans une société au climat délétère, qu'il évalue à la somme de 15.000 euros [
] ; que s'agissant du préjudice personnel de M. [L] [V], celui-ci invoque une perte de chance de tirer profit de l'investissement immobilier et notamment de toucher des dividendes et de revendre à meilleur prix ses parts sociales ; que l'indemnisation de ce préjudice personnel ne fait pas double emploi avec celui subi par la société dès lors qu'il est expressément prévu par l'article L223-22 du Code du commerce en sus de l'action sociale en responsabilité contre les gérants ; qu'il est rappelé que les dividendes n'ont pas d'existence juridique avant l'approbation de l'exercice par l'assemblée générale, la constatation par celle-ci de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé ; que ces conditions multiples, ajoutées au fait qu'en l'espèce Mme [R] [V] et M. [D] sont associés majoritaires de la SARL HEP rendent la perte de chance invoquée par M. [L] [V] totalement incertaine ; que par ailleurs, s'il est possible de considérer que l'acquisition des murs aurait augmenté la valeur de la société, encore aurait-il fallu que celle-ci ait pu supporter le remboursement total du prêt d'acquisition, ce qui n'est pas plus certain en l'espèce ; qu'il en résulte que M. [L] [V] qui ne démontre pas une perte de chance certaine, doit être débouté de ses demandes de dommages intérêts pour préjudice personnel ; qu'il a en revanche subi un préjudice moral de par la perte de confiance en son associée, qui est par ailleurs sa soeur, qui sera réparée par l'octroi de la somme de 3.000 euros » ;
ALORS QUE Mme [V] soulignait dans ses conclusions que la faute qui lui était imputée n'était pas à l'origine du dommage moral invoqué par son frère dès lors que leurs relations s'étaient dégradées de longue date, de sorte que si M. [V] avait perdu confiance en sa soeur, cette circonstance n'était en rien imputable à l'acquisition litigieuse (conclusions, p. 12) ; qu'en retenant pourtant que M. [V] aurait « subi un préjudice moral de par la perte de confiance en son associée, qui est par ailleurs sa soeur » (arrêt, p. 8, alinéa 1er), sans aucunement rechercher si ce préjudice était imputable à la faute supposée de Mme [V], ou s'il ne résultait pas d'une dégradation antérieure de leurs relations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 223-22 du code de commerce. | Selon l'article R. 223-32 du code de commerce, lorsque l'action sociale est intentée par un associé, le tribunal ne peut statuer que si la société a été régulièrement mise en cause par l'intermédiaire de ses représentants légaux. Le tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter la société dans l'instance lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre celle-ci et ses représentants légaux.
Il en résulte que l'action sociale exercée par un associé n'est recevable que si la société est régulièrement représentée dans l'instance. Lorsqu'il existe un conflit d'intérêts entre la société et son représentant légal, la société ne peut être régulièrement représentée que par un mandataire ad hoc, qu'il appartient au juge de désigner à la demande de l'associé ou du représentant légal ou, le cas échéant, d'office |
8,264 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 659 F-B
Pourvoi n° V 20-22.063
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 NOVEMBRE 2022
La société Santé actions, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 20-22.063 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Santé restauration services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de la société Santé actions, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Santé restauration services, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 septembre 2020), la société Santé restauration services a, le 10 octobre 2000, conclu un contrat avec la société Clinique chirurgicale obstétricale [3] et [4] (la société Clinique [3]), détenue à 99 % par la société Santé actions, portant sur un service de prestations alimentaires.
2. La société Santé restauration services a, par lettres recommandées des 18, 24 et 30 décembre 2013, mis en demeure la société Clinique [3] de payer plusieurs factures. La société Santé actions a, le 24 décembre 2013, payé à la société Santé restauration services la somme de 30 000 euros au titre de l'une de ces factures.
3. N'ayant pu obtenir le règlement complet des factures, la société Santé restauration services a déclaré sa créance au passif de la société Clinique [3], mise en liquidation judiciaire. Le liquidateur judiciaire a, le 26 février 2015, émis un certificat d'irrécouvrabilité de cette créance.
4. Après avoir, le 27 avril 2016, mis en demeure la société Santé actions de lui payer une somme au titre des factures impayées par la société Clinique [3], la société Santé restauration services l'a assignée en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
5. La société Santé actions fait grief à l'arrêt de la condamner, en qualité de société mère, à régler à la société Santé restauration services une somme de 125 681,83 euros au titre de factures impayées par sa filiale, seule engagée à l'égard de la société créancière dans le cadre d'un contrat de restauration du 10 octobre 2000, outre les intérêts à compter de chaque échéance contractuelle au taux de refinancement de la BCE majoré de 10 points, et la capitalisation des intérêts, ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ qu'en vertu de l'effet relatif des contrats et de l'autonomie juridique des sociétés membres d'un groupe, une société mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale, sauf en cas d'immixtion dans la gestion de la filiale et à la condition que cette immixtion ait été de nature à créer une apparence trompeuse, propre à faire croire à un créancier de la filiale que la société mère était devenue son partenaire contractuel ; que ces conditions sont cumulatives ; qu'en considérant en l'espèce que la société mère était obligée à la totalité de la dette de sa filiale envers un créancier à raison seulement d'un paiement partiel (virement de 30 000 euros émis en décembre 2013) destiné à couvrir dans l'urgence sa filiale d'un impayé objet d'une mise en demeure, la cour n'a pas cherché à caractériser l'existence d'une immixtion active de la société mère dans la gestion de sa filiale, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 1165, devenu 1199, et 1842 du code civil ;
2°/ en se bornant à retenir que la société mère avait couvert le 24 décembre 2013 une dette de sa filiale à l'égard du créancier prestataire de service de cette dernière, la cour n'a pas recherché si et en quoi ce versement, dans les circonstances de la cause telles que rappelées par la société requérante (caractère exclusif et autonome de la relation de sa filiale avec la société Santé restauration ; absence de réclamation à l'endroit de la société mère avant la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité de la créance du fournisseur), permettait néanmoins au créancier de nourrir la croyance que la société mère s'était engagée pour l'ensemble des dettes antérieures et postérieures de sa filiale ; qu'en se déterminant par voie d'affirmation sans autrement caractériser la croyance légitime du créancier, la cour a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1165, devenu 1199, et 1842 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1842 du code civil et l'article 1165 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
6. Il résulte de l'application combinée de ces textes qu'une société n'est tenue de répondre de la dette d'une filiale que si son immixtion dans les relations contractuelles de cette filiale a été de nature à créer, pour le cocontractant de celle-ci, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement qu'il était aussi le cocontractant de la société mère.
7. Pour condamner la société Santé actions à payer à la société Santé restauration services une somme au titre de factures non réglées par la société Clinique [3], sa filiale, l'arrêt, après avoir relevé que la société Santé restauration services avait, les 18, 24 et 30 décembre 2013, mis en demeure la société Clinique [3] de payer ces factures, qu'elle avait déclaré sa créance, d'un montant de 125 691,83 euros, au passif de la société Clinique [3], mise en liquidation judiciaire, que le liquidateur judiciaire avait, le 26 février 2015, émis un certificat d'irrécouvrabilité et que ce n'est qu'au mois d'avril 2016 qu'elle avait mis en demeure la société mère Santé actions de payer les sommes qui lui étaient dues par sa filiale, retient que le fait que la société Santé actions ait délivré un ordre de virement de 30 000 euros pour couvrir une dette de la société Clinique [3] à l'égard de la société Santé restauration services, à un moment où cette dernière venait de mettre en demeure sa cocontractante de lui régler une somme de 52 014,59 euros au titre de factures impayées à peine de résiliation de plein droit du contrat les liant, a légitimement pu fonder la croyance de la société Santé restauration services dans l'engagement de la société mère aux côtés de sa filiale pour régler les dettes issues de ce contrat.
8. En se déterminant ainsi, alors que le paiement partiel, par la société Santé actions, d'une dette que sa filiale avait été mise en demeure de payer, ne saurait, à lui seul, caractériser une immixtion de cette société de nature à créer, pour la société Santé restauration services, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement que la société Santé actions s'était substituée à sa filiale dans l'exécution du contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en que, confirmant le jugement, il déboute la société Santé restauration services de sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims ;
Condamne la société Santé restauration services aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Santé restauration services et la condamne à payer à la société Santé actions la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour la société Santé actions.
La demanderesse au pourvoi reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée en qualité de société-mère à régler à la SAS Santé Restauration Services une somme de 125.681,83 € TTC au titre de factures (factures des 30 septembre, 31 octobre, 30 novembre et 31 décembre 2013 ainsi que du 14 février 2014) impayées par sa filiale, seule engagée à l'égard de la société créancière dans le cadre d'un contrat de restauration du 10 octobre 2000, outre les intérêts à compter de chaque échéance contractuelle au taux de refinancement de la BCE majoré de 10 points, et la capitalisation des intérêts ainsi qu'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
aux motifs que « Sur la demande en paiement de factures : La société Santé Restauration réclame à la société Santé Action le paiement de factures demeurées impayées par sa filiale, la société clinique [3], soit : -25.157,92 euros TTC au titre du solde d'une facture n°2013/209 du 30 septembre 2013, -26.856,67 euros TTC au titre d'une facture n°2013/210 du 31 octobre 2013, -27.110,69 euros TTC au titre d'une facture n°2013/211 du 30 novembre 2013, -27.111,56 euros TTC au titre d'une facture n°2013/212 du 31 décembre 2013, -16.092 euros TTC au titre d'une facture n°2014/00201 du 14 février 2014,-3.363 euros TTC au titre d'une facture n°2014/00202 du 14 février 2014. En vertu de l'effet relatif des contrats et du principe d'autonomie juridique des sociétés membres d'un groupe, la société mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale. Toutefois l'immixtion d'une société mère, de nature à créer une apparence propre à faire croire à un créancier de l'une de ses filiales qu'elle s'y substitue dans l'exécution d'un contrat, oblige ladite société mère à répondre de la dette de sa filiale. La société qui se prévaut d'une telle immixtion doit rapporter la preuve que cette immixtion a été de nature à créer une apparence trompeuse, à l'origine de sa croyance que la société mère s'est engagée aux côtés ou à la place de sa filiale. En l'espèce, pour soutenir que la société Santé actions s'est immiscée dans la gestion de sa filiale, la société Santé restauration services se prévaut: - d'une détention de la clinique [3] par la société Santé Actions à concurrence de 99% du capital social, -de l'apposition du cachet de la société Santé Actions et de la signature de son Président sur l'avenant n°8 du 9 novembre 2012, -d'un échange de courriels de décembre 2013 entre la clinique et la société Santé Restauration services adressé en copie à M. [F], Président de la société Santé Action, et Mme [N], comptable de la société Santé actions, et d'un courriel de décembre 2013 dans lequel cette dernière se préoccupe des paiements de la clinique, -d'un ordre de virement de 30.000 euros donné par la société Santé Action le 24 décembre 2013 au profit de la société Santé restauration services pour régler une dette de la clinique St Louis qui avait émis un chèque le 30 octobre 2013 dont le paiement a été refusé pour défaut de provision. Ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges la détention par une société- mère du capital social d'une filiale à concurrence de 99% n'induit pas une présomption d'immixtion dans sa gestion. En outre, l'apposition du cachet de la société Santé Actions et de la signature de M. [M] [F] sur l'avenant n°8 du 9 novembre 2012, ne permet pas de caractériser une immixtion dès lors que l'avenant n°8 mentionne bien que seule la société clinique [3] est partie au contrat et que M. [F] a signé cet avenant en qualité de président de la société clinique [3] étant précisé que le directeur général de cette société avait démissionné le 26 janvier 2012. Ainsi la société Santé Restauration Services n'a pas pu se méprendre sur l'identité de son cocontractant par la seule apposition par erreur du cachet de la société Santé Action sur cet avenant. En revanche, le fait que la société Santé Actions ait délivré un ordre de virement de 30.000 euros pour couvrir une dette de la société clinique [3] à l'égard de la société Santé Restauration Services à un moment où cette dernière venait de mettre en demeure sa cocontractante de lui régler une somme de 52.014,59 euros au titre de factures impayées à peine de résiliation de plein droit du contrat les liant a légitimement pu fonder la croyance de la société Santé Restauration Services dans l'engagement de la société mère aux côtés de sa filiale pour régler les dettes issues de ce contrat. En conséquence, il convient de faire droit à la demande en paiement et la société Santé Actions sera condamnée à payer à la société Santé Restauration Services une somme de 125.691,83 euros TTC au titre des factures des 30 septembre, 31 octobre, 30 novembre et 31 décembre 2013 ainsi que du 14 février 2014 impayées par la société clinique [3] assortie d'intérêts à compter de chaque échéance contractuelle au taux de refinancement de la BCE majoré de 10 points. La capitalisation des intérêts sera ordonnée. Le jugement entrepris sera infirmé sur ces points » (arrêt attaqué p. 4, dernier § à p. 6, § 1er) ;
1°) alors que, d'une part, en vertu de l'effet relatif des contrats et de l'autonomie juridique des sociétés membres d'un groupe, une société-mère ne peut être tenue des engagements souscrits par sa filiale sauf en cas d'immixtion dans la gestion de la filiale et à la condition que cette immixtion ait été de nature à créer une apparence trompeuse, propre à faire croire à un créancier de la filiale que la société mère était devenue son partenaire contractuel ; que ces conditions sont cumulatives ; qu'en considérant en l'espèce que la société-mère était obligée à la totalité de la dette de sa filiale envers un créancier à raison seulement d'un paiement partiel (virement de 30.000 € émis en décembre 2013) destiné à couvrir dans l'urgence sa filiale d'un impayé objet d'une mise en demeure, la cour n'a pas cherché à caractériser l'existence d'une immixtion active de la société-mère dans la gestion de sa filiale, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 1165 devenu 1199 et 1842 du code civil ;
2°) alors que, d'autre part, en se bornant à retenir que la société-mère avait couvert le 24 décembre 2013 une dette de sa filiale à l'égard du créancier prestataire de service de cette dernière, la cour n'a pas recherché si et en quoi ce versement, dans les circonstances de la cause telles que rappelées par la société requérante (concl. p. 3, 5 et 8 : caractère exclusif et autonome de la relation de sa filiale avec la société Santé Restauration ; absence de réclamation à l'endroit de la société-mère avant la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité de la créance du fournisseur, etc.), permettait néanmoins au créancier de nourrir la croyance que la société-mère s'était engagée pour l'ensemble des dettes antérieures et postérieures de sa filiale ; qu'en se déterminant par voie d'affirmation sans autrement caractériser la croyance légitime du créancier, la cour a derechef privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1165 devenu 1199 et 1842 du code civil. | Il résulte de l'application combinée de l'article 1842 du code civil et de l'article 1165 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'une société n'est tenue de répondre de la dette d'une filiale que si son immixtion dans les relations contractuelles de cette filiale a été de nature à créer, pour le cocontractant de celle-ci, une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement qu'il était aussi le cocontractant de la société mère.
Ne suffit pas, à lui seul, à caractériser une immixion de nature à créer une telle apparence trompeuse le paiement partiel, par une société, d'une dette que sa filiale avait été mise en demeure de payer |
8,265 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 661 FS-B
Pourvoi n° M 20-20.031
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 NOVEMBRE 2022
La société Crédit industriel et commercial (CIC), dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 20-20.031 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Fidexi, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société HSBC Continental Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société HSBC France,
défenderesses à la cassation.
La société HSBC Continental Europe, anciennement société HSBC France, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Crédit industriel et commercial, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la société Fidexi, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société HSBC Continental Europe, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Gillis, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Bedouet, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Boutié, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), le 12 février 2015, la société Fidexi a émis un chèque à l'ordre de « LPB immobilier conseil », lequel a été débité de son compte ouvert dans les livres de la société HSBC France (la société HSBC) au profit de la société Batus, titulaire d'un compte au Crédit industriel et commercial (la société CIC), à la suite d'une falsification du nom du bénéficiaire.
2. Soutenant que la société HSBC avait manqué à son obligation de vigilance lors de l'encaissement de ce chèque, la société Fidexi l'a assignée en réparation. Cette dernière a appelé en garantie la société CIC.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième et troisième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société HSBC à payer à la société Fidexi la somme de 39 513,60 euros, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014 , alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société HSBC à payer à la société Fidexi la somme de 39 513,60 euros, et sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
4. La société CIC fait grief à l'arrêt de condamner la société HSBC à payer à la société Fidexi la somme de 39 513,60 euros, alors « qu'en exécution de leur obligation générale de vigilance, une banque tirée et une banque présentatrice, chargées chacune de contrôler la régularité formelle d'un chèque, sont tenues de détecter les seules anomalies apparentes affectant le titre, aucune anomalie n'étant présumée apparente ; que pour accueillir partiellement l'action récursoire de la banque tirée (HSBC) à l'égard de la banque présentatrice (CIC), l'arrêt retient que l'anomalie consistant, comme en l'espèce, à faire disparaître le nom du bénéficiaire initial par grattage et à y substituer un autre nom doit être présumée au regard du constat selon lequel rares sont des falsifications parfaites ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353 du code civil, ensemble l'article 1382, devenu 1240 du même code. »
5. La société HSBC fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que la banque à laquelle un chèque est présenté n'est tenue de détecter que les seules anomalies apparentes ; que la cour d'appel, qui a regardé comme établie la falsification du chèque émis le 12 février 2015 par la société Fidexi, par grattage du nom du bénéficiaire initial et substitution d'un autre nom, n'a cependant pu constater aucune anomalie sur la copie du chèque produite aux débats ; qu'elle n'en a pas moins retenu la responsabilité de la banque tirée, par la considération qu'en présence d'une falsification de la nature de celle qui avait été commise, il y avait lieu de présumer l'existence d'une anomalie apparente sur l'original du chèque, qui avait été détruit ; qu'en faisant ainsi peser sur la banque tirée l'obligation de déceler la falsification d'un chèque dont il n'était pas positivement établi qu'il était affecté d'une anomalie apparente, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil, ensemble l'article 1937 du même code ;
2°/ que l'existence d'une anomalie apparente sur l'original d'un chèque falsifié ne saurait être présumée, lorsque seule une copie du chèque subsiste et que cette copie ne laisse apparaître aucune anomalie ; que la cour d'appel n'a pu constater aucune anomalie sur la copie du chèque qui avait seule été conservée et qui était produite aux débats ; qu'elle a toutefois retenu la responsabilité de la banque tirée, en présumant l'existence d'une anomalie apparente sur l'original détruit ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1315 ancien, devenu 1353, du code civil ;
3°/ que, tenue de vérifier la régularité formelle du titre qui lui est présenté, la banque tirée n'engage sa responsabilité, en cas de paiement d'un chèque falsifié, qu'à la condition que le chèque ait été affecté d'une anomalie apparente ; que le défaut de production de l'original du chèque falsifié, lorsque la copie versée aux débats ne permet pas de constater l'existence d'une anomalie apparente, n'autorise pas le juge à présupposer que la banque tirée a manqué à son obligation de vigilance en payant le chèque ; que la cour d'appel, qui n'a pu constater aucune anomalie apparente sur la copie du chèque qui avait seule été conservée et qui était produite aux débats, a néanmoins retenu la responsabilité de la banque, en relevant que la copie produite était en noir et blanc, et de mauvaise qualité, et en affirmant qu'il appartient aux établissements bancaires d'assumer le risque lié au processus de l'image-chèque, créé dans leur seul intérêt ; qu'en statuant ainsi, par des considérations impropres à caractériser un manquement de la banque tirée à son obligation de vigilance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil, ensemble l'article 1937 du même code. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de la combinaison des articles 9 du code de procédure civile et 1315, alinéa 2, devenu 1353, alinéa 2, du code civil que s'il incombe à l'émetteur d'un chèque d'établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l'original de ce chèque, de prouver que celui-ci n'était pas affecté d'une anomalie apparente, à moins que le chèque n'ait été restitué au tireur.
7. L'arrêt relève qu'un nom a été substitué par grattage à celui du bénéficiaire initial sur le chèque litigieux, que l'original de ce chèque a été détruit par la banque tirée et que la photocopie du chèque produite est en noir et blanc et de mauvaise qualité, et retient que cette photocopie ne permet pas de constater l'absence d'anomalie matérielle.
8. Il en résulte que la société HSBC ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que le chèque n'était pas affecté d'une anomalie apparente et, par suite, qu'elle a satisfait à son obligation de vigilance.
9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux justement critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de condamner la société CIC à garantir partiellement la société HSBC du montant de la condamnation prononcée à son encontre
Enoncé du moyen
10. La société CIC fait grief à l'arrêt de la condamner à garantir la société HSBC du montant de la condamnation prononcée à son encontre à hauteur de 9 878,40 euros, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que pour accueillir partiellement l'appel en garantie formé par la banque tirée à l'égard de la banque présentatrice, l'arrêt retient que cette dernière n'apporte aucun élément sur les conditions dans lesquelles elle a pu ouvrir un compte au client à l'origine des malversations ; qu'en statuant ainsi quand ni la victime du détournement du chèque ni la banque HSBC n'avait invoqué une quelconque négligence du CIC lors de l'ouverture du compte bancaire de sa cliente et sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle a relevé d'office, la cour d'appel a violé les articles 4 et 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
11. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
12. Pour accueillir l'appel en garantie de la société CIC formé par la société HSBC, l'arrêt retient que la société CIC n'apporte aucun élément sur les conditions dans lesquelles elle avait pu ouvrir un compte à son client à l'origine de malversations.
13. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Crédit industriel et commercial à garantir la société HSBC France du montant de la condamnation prononcée à l'encontre de cette dernière au profit de la société Fidexi à hauteur de 9 878,40 euros et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile dans les rapports entre la société HSBC France et la société Crédit industriel et commercial, l'arrêt rendu le 20 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société HSBC Continental Europe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société HSBC Continental Europe, la condamne à payer à la société Fidexi la somme de 3 000 euros et à payer à la société Crédit industriel et commercial la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux, et signé par lui et M. Mollard, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société Crédit industriel et commercial.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société HSBC France à payer à la société Fidexi la somme de 39 513,60 euros outre intérêts et D'AVOIR condamné le CIC à garantir la société HSBC du montant de cette condamnation à hauteur de 9 878,40 euros.
AUX MOTIFS, sur la demande principale, QUE «Il n'est contesté par aucune des parties en présence que HSBC France, comme banque tirée et CIC en sa qualité de banque présentatrice ont l'une et l'autre l'obligation de contrôler la régularité formelle du chèque litigieux et que la responsabilité de chacune d'elles est engagée si une irrégularité apparente n'a pas été décelée par un employé normalement diligent ; que la difficulté soulevée dans ce dossier résulte de l'incapacité pour la cour de constater l'existence (ou l'absence) d'anomalie matérielle à l'examen de la photocopie, en noir et blanc -alors que grattage et lessivage permettent souvent de constater une différence de couleur au niveau du nom du bénéficiaire- et de mauvaise qualité, produite aux débats ; que pour estimer cette circonstance indifférente, HSBC France rappelle en premier lieu les termes de l'article L131-38 du code monétaire et financier qui présume, qu'en l'absence d'opposition au paiement du chèque, elle s'est valablement libérée ; qu'elle consacre ensuite de longs développements à l'absence d'anomalie apparente précisant que s'agissant d'un chèque dit «circulant » au regard de son montant supérieur à 5 000 €, le CIC a pu exercer son contrôle avant de lui retourner la formule litigieuse, confortant son absence d'irrégularité manifeste, l'autorisant à le détruire passé le délai de 60 jours imparti à son émetteur pour faire opposition ; qu'elle ajoute que la société Fidexi ne justifie pas de l'envoi du chèque en recommandé, mesure qu'imposait son montant élevé, ni davantage de ne pas être assurée pour ce type de dommage, qu'elle décrit ensuite les diligences opérées pour récupérer la provision avant d'évoquer les usages et pratiques professionnelles résultant des règlements des chambres de compensation (supprimées en février et juin 2002 à la suite du passage à l'échange d'images chèques-EIC-), ou du comité d'organisation et de de normalisation bancaire à l'origine du système de télé-compensation (SIT) qui s'imposent aux banques comme aux clients utilisant les chèques comme moyens de paiement ; qu'elle rappelle qu'en l'espèce, la convention signée par la société Fidexi comporte adhésion aux conditions générales dont l'article 6 renvoie aux règles interbancaires ; que s'agissant plus particulièrement de la destruction du chèque, elle soutient qu'il résulte des règles relatives à l'Echange d'Images Chèques (EIC) que les originaux des chèques sont conservés pendant soixante jours pour en déduire qu'elle a légitimement détruit (le chèque litigieux) passé (ce) délai, que la responsabilité de la banque n'étant pas recherchée pour absence de respect de l'opposition, dont il est constant qu'elle a été tardive, le développement afférent est sans objet ; que la circonstance que le CIC n'ait pas décelé d'anomalie ne saurait davantage établir son absence ; que contrairement à ce que soutient HSBC France, l'instruction n002-002-Kl-P-R du 9 janvier 2002 mettant en place l'EIC ne traite que de la conservation des vignettes (formules de chèques) non circulantes ; que ce texte, dont HSBC France soutient à bon droit qu'il peut être opposé à la société Fidexi, distingue notamment deux séries de chèques, ceux inférieurs à 5 000 € (seuil porté à 10 000 € le 3 octobre 2016), représentant 98 % du volume traité, dont le traitement a été simplifié, la banque présentatrice ne recevant qu'une image chèque, soit un fichier intégrant les éléments de la ligne magnétique des chèques tirés sur les établissements adhérents ainsi que les éléments de montant et d'identification du banquier remettant et ceux d'un montant supérieur ; que, si l'instruction précise au chapitre 1 § 5, consacré aux chèques non circulants du (page 9) : «Les vignettes non-circulantes sont donc conservées par le banquier remettant selon les règles suivantes : deux mois d'archivage pour l'original des vignettes ...», aucune disposition comparable ne figure dans le §6 de l'instruction consacré aux «CHEQUES CIRCULANTS» ; que cette distinction correspond d'ailleurs à l'économie générale du texte, l'instruction ayant eu pour objet de limiter les coûts afférents à la circulation physique des vignettes, dont le nombre a pu atteindre 4 milliards dans les années 2000, pour diminuer d'un peu moins de moitié à notre époque, tout en maintenant, conformément aux voeux émis par la banque centrale une « circulation physique» (en sus de l'échange de fichiers dématérialisés) pour les chèques les plus importants, d'un montant supérieur à 5 000 € (10 000 € aujourd'hui) lesquels ne représentent que 2 % des formules émises ; qu'il en résulte que contrairement à ce que soutient HSBC France, les banques sont tenues de conserver l'original des chèques jusqu'à l'expiration du délai de prescription quinquennale de l'article LIlO-4 du code de commerce pour permettre aux juridictions saisies de se prononcer sur un éventuel manquement des préposés de la banque à leur obligation de vigilance au moment de l'examen des originaux ; qu'ainsi, si la destruction n'est pas en elle-même constitutive d'une faute entraînant une garantie automatique de la banque ou si cette dernière ne peut être soupçonnée d'avoir procédé à la destruction en raison des anomalies relevées, il convient, lorsqu'il est démontré, comme en l'espèce, que le nom du bénéficiaire initial a disparu par grattage et qu'un autre a été substitué, de présumer que l'anomalie était apparente non seulement au regard du constat selon lequel rares sont les falsifications «parfaites» mais surtout parce que le processus de l'image-chèque ayant été créé dans le seul intérêt des banques, elles doivent en assumer le risque surtout dans l'hypothèse où elles ne sont même pas en mesure de produire une photocopie couleur de qualité. ; qu'il convient en conséquence, infirmant le jugement déféré d'accueillir l'action en responsabilité engagée par la société Fidexi ; qu'en l'absence de tout élément sur les circonstances dans lesquelles le chèque a pu être détourné, aucune faute de la société Fidexi n'est démontrée de nature à réduire l'indemnité allouée» ;
Et AUX MOTIFS, sur l'appel en garantie, QUE : « L'anomalie étant présumée décelable et le CIC n'apportant aucun élément sur les conditions dans lesquelles il avait pu ouvrir un compte à ce client à l'origine de malversations, l'appel en garantie de HSBC France est fondé, que la banque présentatrice n'étant cependant pas appelée à conserver la vignette qu'elle doit retourner à la banque tirée, sa responsabilité n'est engagée qu'à hauteur de 25% soit 9 878, 40 euros. »
ALORS D'UNE PART QU'en exécution de leur obligation générale de vigilance, une banque tirée et une banque présentatrice, chargées chacune de contrôler la régularité formelle d'un chèque, sont tenues de détecter les seules anomalies apparentes affectant le titre, aucune anomalie n'étant présumée apparente ; que pour accueillir partiellement l'action récursoire de la banque tirée (HSBC) à l'égard de la banque présentatrice (CIC), l'arrêt retient que l'anomalie consistant, comme en l'espèce, à faire disparaître le nom du bénéficiaire initial par grattage et à y substituer un autre nom doit être présumé au regard du constat selon lequel rares sont des falsifications parfaites ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353 du code civil, ensemble l'article 1382, devenu 1240 du même code ;
ALORS D'AUTRE PART QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que pour accueillir partiellement l'appel en garantie formé par la banque tirée à l'égard de la banque présentatrice, l'arrêt retient que cette dernière n'apporte aucun élément sur les conditions dans lesquelles elle a pu ouvrir un compte au client à l'origine des malversations ; qu'en statuant ainsi quand ni la victime du détournement du chèque ni la banque HSBC n'avait invoqué une quelconque négligence du CIC lors de l'ouverture du compte bancaire de sa cliente et sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle a relevé d'office, la cour d'appel a violé les articles 4 et 16 du code de procédure civile ;
ALORS ENFIN QUE la banque chargée d'encaisser un chèque, après s'être assurée de l'identité du déposant et avoir vérifié qu'il en est bien le bénéficiaire, est tenue de contrôler la régularité formelle du titre et de détecter les seules anomalies apparentes ; que pour accueillir partiellement l'appel en garantie de la banque tirée contre la banque présentatrice, l'arrêt retient que cette dernière n'apporte aucune précision sur les conditions dans lesquelles elle a pu ouvrir un compte au client à l'origine des malversations ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs impropres à établir en quoi les circonstances dans lesquelles le CIC avait ouvert en ses livres un compte bancaire au nom de l'auteur de la falsification du chèque auraient rendu décelables des anomalies dont elle a au demeurant présumé le caractère apparent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240 du code civil.
Moyen produit au pourvoi incident par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société HSBC Continental Europe, anciennement société HSBC France.
La société HSBC fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à la société Fidexi la somme de 39 513,60 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la décision ;
1) Alors que la banque à laquelle un chèque est présenté n'est tenue de détecter que les seules anomalies apparentes ; que la cour d'appel, qui a regardé comme établie la falsification du chèque émis le 12 février 2015 par la société Fidexi, par grattage du nom du bénéficiaire initial et substitution d'un autre nom, n'a cependant pu constater aucune anomalie sur la copie du chèque produite aux débats ; qu'elle n'en a pas moins retenu la responsabilité de la banque tirée, par la considération qu'en présence d'une falsification de la nature de celle qui avait été commise, il y avait lieu de présumer l'existence d'une anomalie apparente sur l'original du chèque, qui avait été détruit ; qu'en faisant ainsi peser sur la banque tirée l'obligation de déceler la falsification d'un chèque dont il n'était pas positivement établi qu'il était affecté d'une anomalie apparente, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil, ensemble l'article 1937 du même code ;
2) Alors que l'existence d'une anomalie apparente sur l'original d'un chèque falsifié ne saurait être présumée, lorsque seule une copie du chèque subsiste et que cette copie ne laisse apparaître aucune anomalie ; que la cour d'appel n'a pu constater aucune anomalie sur la copie du chèque qui avait seule été conservée et qui était produite aux débats ; qu'elle a toutefois retenu la responsabilité de la banque tirée, en présumant l'existence d'une anomalie apparente sur l'original détruit ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1315 ancien, devenu 1353, du code civil ;
3) Alors que, tenue de vérifier la régularité formelle du titre qui lui est présentée, la banque tirée n'engage sa responsabilité, en cas de paiement d'un chèque falsifié, qu'à la condition que le chèque ait été affecté d'une anomalie apparente ; que le défaut de production de l'original du chèque falsifié, lorsque la copie versée aux débats ne permet pas de constater l'existence d'une anomalie apparente, n'autorise pas le juge à présupposer que la banque tirée a manqué à son obligation de vigilance en payant le chèque ; que la cour d'appel, qui n'a pu constater aucune anomalie apparente sur la copie du chèque qui avait seule été conservée et qui était produite aux débats, a néanmoins retenu la responsabilité de la banque, en relevant que la copie produite était en noir et blanc, et de mauvaise qualité, et en affirmant qu'il appartient aux établissements bancaires d'assumer le risque lié au processus de l'image-chèque, créé dans leur seul intérêt ; qu'en statuant ainsi, par des considérations impropres à caractériser un manquement de la banque tirée à son obligation de vigilance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil, ensemble l'article 1937 du même code. | Il résulte de la combinaison des articles 9 du code de procédure civile et 1315, alinéa 2, devenu 1353, alinéa 2, du code civil que s'il incombe à l'émetteur d'un chèque d'établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l'original de ce chèque, de prouver que celui-ci n'était pas affecté d'une anomalie apparente, à moins que le chèque n'ait été restitué au tireur |
8,266 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 novembre 2022
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 662 FS-B
Pourvoi n° R 21-10.540
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [T] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-10.540 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2020 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Littoral FM et de communication (Solico), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [L], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Littoral FM et de communication, et l'avis de Mme Gueguen, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Bedouet, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, Mme Gueguen, premier avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 17 novembre 2020) et les productions, par un acte du 7 juillet 2009, M. [L] a acquis un certain nombre de parts de la société à responsabilité limitée à capital variable Littoral FM et de communication (la société Solico), membre du GIE Les indépendants (le GIE).
2. L'article 13.3 des statuts de la société Solico stipule que tout associé peut être exclu de la société pour justes motifs par une décision des associés réunis en assemblée générale statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts.
3. Lors de l'assemblée générale de la société Solico du 17 octobre 2012, les associés ont voté l'exclusion de M. [L].
4. Invoquant l'absence d'indication, dans les statuts de la société Solico, des motifs d'exclusion d'un associé, M. [L] l'a assignée en annulation de la clause d'exclusion.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. M. [L] fait grief à l'arrêt de dire que la clause d'exclusion prévue dans les statuts de la société Solico n'est pas nulle, et, en conséquence, de dire que la procédure de son exclusion est régulière, de dire que le motif de son exclusion n'est pas abusif, de rejeter ses demandes de réintégration et de dommages-intérêts et de dire la réduction de capital de la société Solico légitime et fondée, alors « qu'une clause statutaire stipulant la faculté d'exclure un associé n'est licite que si elle précise les causes justifiant cette exclusion ; qu'en affirmant au contraire la validité de l'article 13.3 des statuts de la société Solico permettant l'exclusion d'un associé "pour justes motifs", peu important que ces statuts ne définissent pas, de manière limitative, les causes d'exclusion possibles, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article L. 231-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article L. 231-6, alinéa 2, du code de commerce qu'est licite une clause des statuts d'une société commerciale à capital variable stipulant que tout associé peut être exclu de la société pour justes motifs par une décision des associés réunis en assemblée générale statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts, quand bien même cette clause ne précise pas les motifs d'exclusion.
8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [L] et le condamne à payer à la société Littoral FM et de communication la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour M. [L].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la clause d'exclusion prévue dans les statuts de la société Solico n'est pas nulle et, en conséquence, d'AVOIR dit que la procédure d'exclusion de Monsieur [T] [L] est régulière, d'AVOIR dit que le motif d'exclusion de M. [T] [L] n'est pas abusif, d'AVOIR débouté M. [T] [L] de ses demandes de réintégration et de dommages-intérêts et d'AVOIR dit la réduction de capital de la société Solico légitime et fondée ;
AUX MOTIFS QU'aux termes du premier alinéa de l'article 13.3 des statuts : « Tout associé peut être exclu de la société pour justes motifs par une décision des associés réunis en assemblée générale et statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts » ; que l'article L. 231-6, alinéa 2, du code de commerce, applicable aux sociétés commerciales à capital variable, dispose qu'il peut être stipulé que l'assemblée générale a le droit de décider, à la majorité fixée pour la modification des statuts, que l'un ou plusieurs des associés cessent de faire partie de la société ; qu'il ne peut être soutenu, par référence aux dispositions de l'article L. 227-16 selon lesquelles les statuts d'une société par actions simplifiée peuvent, dans les conditions qu'ils déterminent, prévoir qu'un associé peut être tenu de céder ses actions, que la clause insérée à l'article 13.3 des statuts serait nulle au motif que les causes d'exclusion de l'associé ne sont pas précisément définies ; que la clause litigieuse prévoit, en effet, que l'exclusion doit être justifiée par un juste motif ce qui, à l'évidence, oblige l'assemblée générale, statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts, à n'exclure l'associé que pour un motif sérieux et légitime, peu important que les statuts ne définissent pas, de manière limitative, les causes d'exclusion possibles, d'autant que la mise en oeuvre de la clause d'exclusion statutaire est soumise au contrôle des juridictions en ce qui concerne l'appréciation tant du motif d'exclusion que de la régularité de la procédure mise en oeuvre ; que le premier juge a ainsi justement rejeté la demande de M. [L] visant à obtenir l'annulation de la clause insérée à l'article 13.3 des statuts ;
1) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour juger valable la clause d'exclusion d'un associé figurant à l'article 13.3 des statuts de la société Solico, la cour d'appel a statué au visa de l'article L. 231-6, alinéa 2, du code de commerce applicable aux sociétés commerciales à capital variable, en indiquant qu'il résulte de ce texte que, dans ces sociétés, il peut être stipulé à la majorité fixée pour la modification des statuts que l'un ou plusieurs des associés cessent de faire partie de la société ; qu'en relevant ce moyen d'office, dès lors qu'il n'était pas invoqué par M. [L] et que les conclusions d'appel de la société Solico avaient été jugées irrecevables, sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2) ALORS QU'une clause statutaire stipulant la faculté d'exclure un associé n'est licite que si elle précise les causes justifiant cette exclusion ; qu'en affirmant au contraire la validité de l'article 13.3 des statuts de la société Solico permettant l'exclusion d'un associé «pour justes motifs», peu important que ces statuts ne définissent pas, de manière limitative, les causes d'exclusion possibles, la cour d'appel a violé l'article 1382 devenu 1240 du code civil et l'article L. 231-6 du code de commerce.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la procédure d'exclusion de M. [T] [L] est régulière, d'AVOIR dit que le motif d'exclusion de M. [T] [L] n'est pas abusif et d'AVOIR débouté M. [T] [L] de ses demandes de réintégration et de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE l'article 13.3, alinéa 2, des statuts est ainsi rédigé : «L'associé susceptible d'être exclu est convoqué spécialement au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception à l'assemblée générale qui peut procéder à son exclusion tant en sa présence qu'en son absence. Les griefs invoqués à l'encontre de l'associé susceptible d'être exclu doivent lui être préalablement communiqués au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception le convoquant spécialement à l'assemblée générale devant statuer sur son exclusion afin qu'il puisse librement exprimer les motifs de son désaccord sur le projet d'exclusion, lesquels devront, en tout état de cause, être portés dans le procès-verbal de l'assemblée générale l'ayant décidée» ; que dans le cas présent, M. [L] a été convoqué à l'assemblée générale extraordinaire du 3 octobre 2012, reportée à sa demande au 17 octobre suivant, par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 17 septembre 2012 précisant très clairement les griefs invoqués à son encontre, à savoir le contentieux prud'homal l'opposant au GIE Les Indépendants susceptible d'entraîner l'exclusion de la société Solico du GIE en application de son règlement intérieur, modifié par une assemblée générale du 12 décembre 2011, prévoyant désormais, conformément à l'article 13.1, que tout adhérent ou membre cesse de plein droit d'être adhérent ou membre du GIE, sauf décision contraire du conseil d'administration, en cas d'entrée dans le capital de l'adhérent ou du membre concerné d'une entité ou d'une personne physique ayant initié une procédure contentieuse à l'encontre du GIE et/ou de ses organes de direction et dont la procédure est pendante à la date d'entrée dans le capital ou dont la procédure est éteinte depuis moins de trois ans à la date d'entrée dans le capital ; qu'il a également été joint à la lettre de convocation le rapport de gestion de la gérance à l'assemblée générale extraordinaire reprenant les termes de la lettre de convocation relativement au risque d'exclusion de la société Solico du GIE Les Indépendants en raison du contentieux, datant de moins de trois ans, ayant opposé M. [L] à celui-ci, le risque d'exclusion étant, selon le rapport de gestion, contraire à l'intérêt social du fait que l'essentiel des ressources de la société provient des recettes publicitaires dont elle bénéficie en sa qualité de membre du GIE ; qu'il résulte des énonciations du procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 17 octobre 2012 que l'exclusion de M. [L] a été votée, aux termes de la troisième résolution, par 430 voix contre 70, après qu'une discussion se soit ouverte au cours de laquelle l'intéressé a exposé à l'assemblée les raisons qui, selon lui, ne justifieraient pas son éventuelle exclusion de la société, sujet qui constitue le point principal de l'ordre du jour de la présente assemblée, celui-ci considérant, en effet, que les motifs avancés dans le courrier de convocation qui lui a été adressé par le gérant ne sont pas fondés pour décider de cette exclusion ; que contrairement à ce qu'indique M. [L], dans un courrier adressé le 15 novembre 2012 au gérant, rien ne permet d'affirmer que la résolution a été adoptée avant qu'il n'ait pu présenter à l'assemblée les motifs de son désaccord sur le projet d'exclusion, dont il faisait l'objet ; qu'en toute hypothèse, le procès-verbal de l'assemblée générale, qui se borne à indiquer que M. [L] a exposé à l'assemblée les raisons qui, selon lui, ne justifieraient pas son éventuelle exclusion de la société, ne mentionne pas, de manière précise, les motifs de son désaccord sur le projet d'exclusion, en méconnaissance des dispositions de l'article 13.3 des statuts ; que pour autant, l'omission, dans le procès-verbal de l'assemblée générale, de l'indication des motifs du désaccord de M. [L] au projet d'exclusion le concernant n'est à l'origine d'aucun préjudice particulier, alors que l'intéressé a pu participer à l'assemblée générale et y exprimer les motifs de son désaccord même si ceux-ci ne sont pas relatés dans le procès-verbal, motifs qu'il avait d'ailleurs exprimés dans un courrier recommandé adressé le 21 septembre 2012, préalablement à l'assemblée, au gérant de la société Solico et dans lequel il évoquait la renonciation, du moins tacite, du conseil d'administration du GIE Les Indépendants à mettre en oeuvre une procédure d'exclusion contre ses membres et la saisine de l'Autorité de la concurrence quant à la compatibilité du règlement intérieur modifié avec les engagements contractuels pris par le GIE pour la protection des intérêts et de l'indépendance des radios ; qu'il ne peut donc être soutenu que M. [L] a nécessairement subi un préjudice du fait de la privation de son droit de participer à l'assemblée, de s'y exprimer et d'y voter ;
ALORS QUE la violation d'une clause statutaire qui stipule que les motifs du désaccord de l'associé visé par une procédure d'exclusion devront être portés dans le procès-verbal de l'assemblée générale l'ayant décidée cause nécessairement un préjudice à l'intéressé, fût-il seulement moral ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé l'omission, dans le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société Solico du 17 octobre 2012, de l'indication des motifs du désaccord de M. [L] au projet d'exclusion le concernant ; qu'en le déboutant néanmoins de sa demande de dommages et intérêts formée à ce titre, motif pris que cette omission n'est à l'origine d'aucun préjudice particulier, l'intéressé ayant pu participer à l'assemblée générale et y exprimer les motifs de son désaccord même si ceux-ci ne sont pas relatés dans le procès-verbal, la cour d'appel a violé les articles 1382 devenu 1240 et 1844, alinéa 1er et 3 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le motif d'exclusion de M. [T] [L] n'est pas abusif et, en conséquence, d'AVOIR débouté M. [T] [L] de ses demandes de réintégration et de dommages-intérêts et d'AVOIR dit la réduction de capital de la société Solico légitime et fondée ;
AUX MOTIFS QUE l'omission, dans le procès-verbal de l'assemblée générale, de l'indication des motifs du désaccord de M. [L] au projet d'exclusion le concernant n'est à l'origine d'aucun préjudice particulier, alors que l'intéressé a pu participer à l'assemblée générale et y exprimer les motifs de son désaccord même si ceux-ci ne sont pas relatés dans le procès-verbal, motifs qu'il avait d'ailleurs exprimés dans un courrier recommandé adressé le 21 septembre 2012, préalablement à l'assemblée, au gérant de la société Solico et dans lequel il évoquait la renonciation, du moins tacite, du conseil d'administration du GIE Les Indépendants à mettre en oeuvre une procédure d'exclusion contre ses membres et la saisine de l'Autorité de la concurrence quant à la compatibilité du règlement intérieur modifié avec les engagements contractuels pris par le GIE pour la protection des intérêts et de l'indépendance des radios ; que l'agrément de M. [L] comme nouvel associé de la société Solico est intervenu aux termes de l'assemblée générale extraordinaire du 4 novembre 2011 à la suite d'une cession de parts sociales résultant d'un acte sous seing privé du 7 juillet 2009, soit antérieurement à la modification apportée par le GIE Les Indépendants à son règlement intérieur par l'assemblée générale du 12 décembre 2011 ; que si la société Solico n'ignorait pas le contentieux prud'homal ayant opposé M. [L] au GIE lorsque celui-ci est entré au capital de la société, elle ne pouvait, en revanche, anticiper la modification apportée le 12 décembre 2011 par le GIE Les Indépendants aux cas de sorties de droit prévus à l'article 13.1, notamment en cas d'entrée dans le capital du membre du GIE de toute entité ou personne physique ayant initié une procédure contentieuse à l'encontre du GIE et/ou de ses organes de direction et dont la procédure est pendante à la date d'entrée dans le capital ou dont la procédure est éteinte depuis moins de trois ans à la date d'entrée dans le capital ; que M. [L] est donc malvenu de prétendre que le motif retenu pour l'exclure de la société Solico, laquelle encourait elle-même le risque d'être exclue du GIE sur le fondement de l'article 13.1 du règlement intérieur modifié le 12 décembre 2011 du fait de la procédure prud'homale qu'il avait initiée moins de trois ans avant la date de son entrée dans le capital, ne constitue pas un motif d'exclusion valable, alors même que les associés avaient accepté de prendre le risque de l'agréer comme nouvel associé en toute connaissance de cette procédure prud'homale ; qu'il ne peut davantage être soutenu que le retrait par le GIE Les Indépendants, après une décision n° 15-D-02 du 26 février 2015 de l'Autorité de la concurrence, des cas de sorties de plein droit, dont celui prévu à l'article 13.1 b) du règlement intérieur modifié le 12 décembre 2011, vaut reconnaissance par le GIE de ce que le motif d'exclusion ayant fondé sa propre exclusion de la société Solico n'était pas valable et contraire aux exigences de l'Autorité de la concurrence, de sorte qu'aujourd'hui, ce motif n'existe plus ; qu'en effet, la décision de l'Autorité de la concurrence est intervenue plus de deux ans après l'assemblée générale du 17 octobre 2012 décidant l'exclusion de M. [L], à une époque où le règlement intérieur modifié le 12 décembre 2011 était applicable et faisait réellement courir à la société un risque d'exclusion du GIE qui lui procurait l'essentiel de ses ressources en recettes publicitaires ; qu'en en outre, la décision de l'Autorité de la concurrence du 26 février 2015 a fait obligation au GIE Les Indépendants de respecter la décision du conseil de la concurrence n° 06-D-29 du 6 octobre 2006, sous peine d'astreinte, en prévoyant dans le règlement intérieur une procédure contradictoire telle que décrite par les engagements pour les cas de sortie de droit à l'exception de ceux prévus par le règlement intérieur du 18 octobre 2005 ; que le point 138 de la décision énonce ainsi que, loin de se conformer à son engagement, le GIE a élaboré des dispositions qui créent une distinction entre les cas d'exclusion et ceux de sortie de droit non prévus par la décision (du 6 octobre 2006) et a inséré de nouveaux cas de sortie qui échappent à la procédure contradictoire ; que c'est donc à juste titre que le premier juge a considéré que l'exclusion de M. [L] ne revêtait aucun caractère abusif et a débouté celui-ci tant de sa demande de réintégration au capital de la société Solico que de sa demande en paiement de dommages et intérêts ; le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé dans toutes ses dispositions ;
1) ALORS QUE l'exclusion de l'associé d'une société est abusive lorsqu'elle n'est pas justifiée par un motif grave ; que ne peut constituer un tel motif celui qui est contraire à l'ordre public ; qu'il ressort des constatations de la cour d'appel qu'en application d'une décision n° 06-D-29 du 6 octobre 2006 du conseil de la concurrence, le GIE Les Indépendants était tenu de prévoir une procédure contradictoire pour les nouveaux cas de sortie de droit d'un adhérent du GIE qui seraient intégrés dans son règlement intérieur, mais qu'il avait néanmoins modifié ce règlement le 12 décembre 2011 en prévoyant, sans procédure contradictoire, un nouveau cas de sortie de droit d'un adhérent en cas d'entrée dans le capital du membre du GIE de toute entité ou personne physique ayant initié une procédure contentieuse à l'encontre du GIE et/ou de ses organes de direction et dont la procédure était pendante à la date d'entrée dans le capital ou dont la procédure est éteinte depuis moins de trois ans à la date d'entrée dans le capital ; qu'il en résulte que ce nouveau cas de sortie de droit était contraire à l'ordre public concurrentiel, comme M. [L], par courrier du 21 septembre 2012, en avait d'ailleurs informé la société Solico préalablement à l'assemblée générale de la société ayant décidé son exclusion et ainsi que devait le retenir l'autorité de la concurrence par sa décision définitive n° 15-D-02 du 26 février 2015 ; qu'en affirmant néanmoins que l'exclusion par la société Solico de M. [L], fondée sur le risque pour celle-ci d'être exclue du GIE sur le fondement de ce nouveau cas de sortie de droit, n'était pas abusive, au motif inopérant que la décision de l'autorité de la concurrence du 26 février 2015 était postérieure à l'exclusion décidée le 17 octobre 2012, la cour d'appel a violé les articles L. 231-6 et L. 464-2 du code de commerce, ce dernier dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 6 du code civil ;
2) ALORS QUE l'exclusion de l'associé d'une société est abusive lorsqu'elle repose sur un motif tiré d'un simple risque pour la société qui ne s'est pas concrétisé ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, dans un courrier recommandé adressé le 21 septembre 2012, préalablement à l'assemblée générale du 17 octobre 2012, au gérant de la société Solico, M. [L] avait évoqué la renonciation, au moins tacite, du conseil d'administration du GIE Les Indépendants à mettre en oeuvre une procédure d'exclusion contre ses membres ; que pour affirmer que l'exclusion par la société Solico de M. [L] n'était pas abusive, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que cette société encourait elle-même le risque d'être exclue du GIE Les Indépendants sur le fondement de l'article 13.1 du règlement intérieur de ce dernier prévoyant un cas de sortie de droit d'un adhérent en raison de la composition de son capital social, sauf décision contraire du conseil d'administration du GIE ; qu'en statuant ainsi, sans constater que le risque invoqué par la société Solico et que M. [L] contestait, s'était concrétisé par une quelconque démarche en ce sens du GIE, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 231-6 du code de commerce et de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. | Il résulte de l'article L. 231-6, alinéa 2, du code de commerce qu'est licite une clause des statuts d'une société commerciale à capital variable stipulant que tout associé peut être exclu de la société pour justes motifs par une décision des associés réunis en assemblée générale statuant à la majorité fixée pour la modification des statuts, quand bien même cette clause ne précise pas les motifs d'exclusion |
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BD4
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1182 F-B
Pourvoi n° A 21-60.183
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 NOVEMBRE 2022
1°/ le syndicat Solidaires informatique, dont le siège est [Adresse 11],
2°/ M. [CO] [M], domicilié [Adresse 7],
3°/ M. [W] [J], domicilié [Adresse 10],
ont formé le pourvoi n° A 21-60.183 contre le jugement rendu le 19 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Lyon (pôle social, P2), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Solutec, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 18],
2°/ à la Fédération nationale du personnel de l'encadrement des sociétés de service informatique, des études, du conseil et de l'ingénierie, CFE-CGE, dont le siège est [Adresse 12],
3°/ à M. [CY] [U], domicilié [Adresse 20],
4°/ à Mme [K] [I], domiciliée [Adresse 1],
5°/ à M. [T] [R], domicilié [Adresse 2],
6°/ à Mme [H] [A], domiciliée [Adresse 15],
7°/ à M. [N] [C], domicilié [Adresse 22],
8°/ à M. [B] [P], domicilié [Adresse 19],
9°/ à M. [D] [L], domicilié [Adresse 21],
10°/ à Mme [SD] [OP], domiciliée [Adresse 4],
11°/ à M. [AB] [RU], domicilié [Adresse 17],
12°/ à M. [PS] [PI], domicilié [Adresse 9],
13°/ à M. [V] [F], domicilié [Adresse 8],
14°/ à Mme [RK] [E], domiciliée [Adresse 3],
15°/ à M. [AT] [Y], domicilié [Adresse 13],
16°/ à Mme [Z] [O], domiciliée [Adresse 16],
17°/ à M. [G] [X], domicilié [Adresse 5],
18°/ à M. [S] [RB], domicilié [Adresse 14],
19°/ à Mme [DR] [CO], domiciliée [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Les parties ou leurs mandataires ont produit des mémoires.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Solutec, après débats en l'audience publique du 21 septembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Lyon , 19 juillet 2021), un protocole d'accord préélectoral a été signé le 14 mai 2019 entre la société Solutec (la société) et trois organisations syndicales en vue de la mise en place du comité social et économique au sein de la société, prévoyant un collège unique, les proportions de femmes et d'hommes dans ce collège étant respectivement de 28,1 % et de 71,9 %, douze postes étant à pourvoir. Les élections se sont tenues du 21 au 28 juin 2019 (premier tour) et du 5 au 12 juillet 2019 (second tour).
2. Le nombre de membres titulaires ayant été réduit de moitié, la société a organisé en 2021 des élections partielles afin de pourvoir six postes de titulaires et douze de suppléants.
3.Le syndicat Solidaires informatique (le syndicat) a déposé une liste de quatre candidats tant pour les titulaires que pour les suppléants, composée uniquement d'hommes. A l'issue du second tour, ont été élus sur ces listes M. [J] en qualité de titulaire et MM. [RU], [PI], [M], en qualité de suppléants.
4. La société a saisi le tribunal judiciaire le 23 avril 2021 en annulation de l'élection de MM. [J] et [M] au motif que les listes sur lesquelles ils ont été élus ne respectent pas les règles de la représentation proportionnée entre les femmes et les hommes.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. Le syndicat, MM. [M] et [J] font grief au jugement d'annuler l'élection de M. [J] en tant qu'élu titulaire au comité social et économique de la société et celle de M. [M] en tant qu'élu suppléant au sein du même comité social et économique, alors « que le tribunal, en retenant que l'appréciation de la question du respect de la parité pour la liste du syndicat devait s'apprécier à chaque dépôt de la liste (élection initiale et élection partielle) n'a pas donné de base légale à sa décision et a fait une application inexacte de la loi. »
Réponse de la Cour
7. En application de l'article L. 2314-10 du code du travail les élections partielles se déroulent dans les conditions fixées à l'article L. 2314-29 pour pourvoir tous les sièges vacants dans les collèges intéressés, sur la base des dispositions en vigueur lors de l'élection précédente.
8. Lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l'article L. 2314-30 du code du travail, c'est-à-dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté. Lorsque l'application des règles de proportionnalité et de l'arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe il résulte de l'article précité que les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues. Les dispositions de l'article L. 2314-30 du code du travail étant d'ordre public absolu, le protocole préélectoral ne peut y déroger.
9. Aux termes de l'article L. 2314-32 du code du travail, en cas de non-respect par une liste de candidats des règles de représentation proportionnée entre les femmes et les hommes prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2314-30 du code du travail, le juge annule l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter. Le juge annule l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats.
10. Le tribunal judiciaire, qui a relevé que le syndicat avait présenté, en vue des élections partielles des membres du comité social et économique de la société, des listes incomplètes composées de quatre hommes et constaté que ces listes comportaient un homme en surnombre au regard de la proportion de femmes et d'hommes figurant dans le protocole d'accord préélectoral établi pour les élections initiales en a déduit à bon droit qu'il convenait d'annuler l'élection du dernier élu du sexe surreprésenté, soit M. [J] sur la liste des titulaires et M. [M] sur la liste des suppléants.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux. | En application de l'article L. 2314-10 du code du travail, les élections partielles se déroulent dans les conditions fixées à l'article L. 2314-29 pour pourvoir tous les sièges vacants dans les collèges intéressés, sur la base des dispositions en vigueur lors de l'élection précédente.
Lorsque plusieurs sièges sont à pourvoir, les organisations syndicales sont tenues de présenter une liste conforme à l'article L. 2314-30 du code du travail, c'est-à-dire respectant la proportion de la part des hommes et des femmes dans le collège électoral considéré et devant comporter au moins un candidat au titre du sexe sous-représenté. Lorsque l'application des règles de proportionnalité et de l'arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5 conduit, au regard du nombre de sièges à pourvoir, à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe il résulte de l'article précité que les listes de candidats peuvent comporter un candidat du sexe sous-représenté, sans que les organisations syndicales y soient tenues. Les dispositions de l'article L. 2314-30 du code du travail étant d'ordre public absolu, le protocole préélectoral ne peut y déroger.
Aux termes de l'article L. 2314-32 du code du travail, en cas de non-respect par une liste de candidats des règles de représentation proportionnée entre les femmes et les hommes prévues à la première phrase du premier alinéa de l'article L. 2314-30 du code du travail, le juge annule l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d'hommes que celle-ci devait respecter. Le juge annule l'élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats.
Il résulte de ces textes que les règles relatives à la représentation proportionnée entre les femmes et les hommes sont applicables aux élections partielles, sur la base du protocole préélectoral établi pour les élections initiales |
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1184 F-B
Pourvoi n° U 21-20.525
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 NOVEMBRE 2022
1°/ Le groupement d'intérêt économique Klesia, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 4],
2°/ Le groupement d'intérêt économique Klesia ADP, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 4],
3°/ L'institut de retraite complémentaire Klesia Agirc-Arrco, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 4],
ont formé le pourvoi n° U 21-20.525 contre le jugement rendu le 16 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Rennes (pôle social), dans le litige les opposant :
1°/ au syndicat Solidaires CRCPM, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 4],
2°/ à M. [P] [T], domicilié [Adresse 1], [Localité 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat du groupement d'intérêt économique Klesia, du groupement d'intérêt économique Klesia ADP et de l'institut de retraite complémentaire Klesia Agirc-Arrco, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du syndicat Solidaires CRCPM, de M. [T], après débats en l'audience publique du 21 septembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Rennes, 16 juillet 2021), l'association de moyens Klesia (l'AMK) a conclu, le 5 juillet 2019, un accord collectif d'entreprise avec les syndicats CFDT, FO et CFE-CGC, prévoyant, en son article 1er, la mise en place d'un comité social et économique unique au niveau de l'AMK constituant un établissement unique pour l'ensemble des implantations géographiques. Ce même article prévoyait le nombre de délégués syndicaux pouvant légalement être désignés dans ce périmètre et la possibilité de désigner en sus des délégués syndicaux de proximité dans les différents sites de l'AMK. L'élection des membres de la délégation du personnel au comité social et économique s'est déroulée en novembre 2019.
2. Un nouvel accord a été signé le 22 décembre 2020, reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale (l'UES Klesia) entre trois entités et fixant le périmètre de mise en place du comité social et économique unique au niveau de l'UES Klesia, ainsi que le nombre de délégués syndicaux pouvant être désignés dans ce périmètre, avec possibilité pour chaque organisation syndicale représentative de désigner un total de quatre délégués syndicaux d'entité, toutes entités confondues, et six délégués syndicaux territoriaux. Cet accord prévoit que les mandats syndicaux sont maintenus jusqu'aux élections du nouveau comité social et économique devant intervenir le 31 juillet 2021 au plus tard.
3. Entre temps, le syndicat CGT des salariés Klesia et le syndicat Solidaires CRCPM avaient contesté la validité de l'accord du 5 juillet 2019 devant le tribunal judiciaire de Paris qui, par jugement du 2 février 2021, a notamment retenu que les dispositions de l'article 1er de l'accord contrevenaient aux règles d'ordre public prévues par les articles L. 2143-3 et L. 2143-13 du code du travail, en ce qu'elles interdisaient la désignation d'un délégué syndical d'établissement, tout en le réintroduisant sous l'appellation « délégué syndical de proximité » et en restreignant le crédit d'heures du délégué syndical pourtant légalement encadré, en sorte que ces dispositions devaient être annulées.
4. Par lettre du 29 mars 2021, le syndicat Solidaires CRCPM a informé le directeur des affaires sociales de l'association de moyens Klesia de la désignation de M. [T] en qualité de délégué syndical au sein de Klesia sur le site de [Localité 2].
5. Par requête reçue au greffe le 9 avril 2021, le GIE Klesia ADP, l'Institution de retraite complémentaire Klesia Agirc-Arcco et le GIE Klesia, entités composant l'UES Klesia, ont saisi le tribunal judiciaire de Rennes afin d'obtenir l'annulation de cette désignation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
6. Le GIE Klesia ADP, le GIE Klesia et l'Institution de retraite complémentaire Klesia Agirc-Arrco font grief au jugement de les débouter de leur demande d'annulation de la désignation de M. [T] en qualité de délégué syndical de Klesia sur le site de [Localité 2] et de leurs demandes indemnitaires, alors :
« 1°/ que le syndicat doit indiquer, à peine de nullité de la désignation, le cadre dans lequel il désigne un délégué syndical et la nature du mandat confié ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que l'association de moyens Klesia avait disparu le 1er janvier 2021, ses activités et son personnel ayant été repris et répartis, à cette date, entre trois entités juridiquement distinctes ; qu'un accord collectif majoritaire du 22 décembre 2020 avait reconnu l'existence d'une unité économique et sociale entre ces trois entités et prévu, dans l'attente des élections devant être organisées au plus tard le 31 juillet 2021, le maintien des mandats en cours des instances représentatives du personnel et des représentants syndicaux ; que ni l'accord collectif du 22 décembre 2020, ni celui du 5 juillet 2019 ne prévoient la désignation de délégués syndicaux « de site » au sein de l'UES ou de l'entreprise, ni la désignation de délégués syndicaux d'établissement ; qu'en affirmant cependant que la désignation litigieuse, notifiée au directeur des ressources humaines de « l'association de moyens Klesia » et visant un mandat de « délégué syndical au sein de Klesia sur le site de [Localité 2] » n'était pas imprécise, au motif inopérant que le même salarié avait été désigné en 2017 en qualité de délégué syndical sur le « site de [Localité 2] », ce qui n'était pas de nature à renseigner sur le périmètre de cette nouvelle désignation et la nature du mandat ainsi confié, compte tenu des accords collectifs existants et de l'évolution dans l'organisation juridique de l'entreprise, le tribunal a violé les articles L. 2143-3 et L. 2143-8 du code du travail ;
2°/ que les exposants soutenaient que le cadre de désignation mentionné dans la lettre de désignation du 29 mars 2021 était imprécis, dans la mesure où l'association de moyens Klesia avait disparu, trois entités distinctes lui ayant succédé, et que seules deux de ces entités déployaient une activité sur le site de [Localité 2] ; qu'en se bornant à relever, pour écarter le moyen tiré de l'imprécision de la lettre de désignation, que le salarié avait été désigné délégué syndical de l'association de moyens Klesia sur le site de [Localité 2] à la suite des élections des membres du comité d'entreprise de 2017, sans s'expliquer sur l'incidence de la réorganisation ayant entraîné la disparition de l'association de moyens Klesia et la répartition de ses activités entre trois entités distinctes, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2143-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article L. 2143-3, alinéa 4, du code du travail, la désignation d'un délégué syndical peut intervenir au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques.
8. Ces dispositions, même si elles n'ouvrent qu'une faculté aux organisations syndicales représentatives, sont d'ordre public quant au périmètre de désignation des délégués syndicaux.
9. Il s'ensuit que ni un accord collectif de droit commun, ni l'accord d'entreprise prévu par l'article L. 2313-2 du code du travail concernant la mise en place du comité social et économique et des comités sociaux et économiques d'établissement ne peuvent priver un syndicat du droit de désigner un délégué syndical au niveau d'un établissement au sens de l'article L. 2143-3 du code du travail.
10. Ayant constaté que M. [T] était délégué syndical sur le site de [Localité 2] depuis 2017 et que jusqu'à l'organisation de nouvelles élections en juillet 2021, la reconnaissance d'une UES à compter du 1er janvier 2021 n'avait aucun autre effet que d'imposer aux syndicats ayant préalablement désigné des délégués syndicaux de préciser, le cas échéant, le nouveau périmètre de ces désignations en tenant compte des désignations intervenues, le tribunal en a déduit que la désignation du même salarié en qualité de délégué syndical sur le même site était précise. Le tribunal, qui a ainsi effectué la recherche visée par la deuxième branche, n'encourt pas les griefs du moyen.
Mais sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
11. Le GIE Klesia ADP, le GIE Klesia et l'Institution de retraite complémentaire Klesia Agirc-Arrco font le même grief au jugement, alors :
« 3°/ que la preuve du caractère distinct d'un établissement pèse sur celui qui l'invoque ; que la désignation non-contestée d'un délégué syndical au sein d'une division de l'entreprise n'interdit pas à l'employeur de contester, au cours d'un nouveau cycle électoral, le caractère d'établissement distinct de cette même division ; qu'elle ne lui impose pas davantage de se prévaloir d'éléments nouveaux, tels qu'une réorganisation de l'entreprise, pour remettre en cause l'existence d'un établissement distinct et contester une autre désignation intervenue au cours d'un nouveau cycle électoral ; qu'en affirmant néanmoins que, du fait de la désignation non contestée d'un délégué syndical sur le site de [Localité 2] en 2017, l'employeur était « privé de la possibilité de remettre en cause la qualité du ''site de [Localité 2]'' comme périmètre de désignation de délégués syndicaux, sauf à prouver que la réorganisation de l'entreprise ait eu pour effet de modifier la communauté de travail de ce site », le tribunal a donné à cette précédente désignation une portée qu'elle n'avait pas et inversé la charge de la preuve, en violation des articles L. 2143-3 et L. 2143-8 du code du travail ;
4°/ que constitue un établissement distinct au sens de l'article L. 2143-3 du code du travail l'établissement regroupant au moins 50 salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques ; que la possibilité, prévue par un accord collectif, de désigner des représentants de proximité au sein d'une implantation de l'entreprise ne suffit pas à démontrer la présence, dans cette implantation, d'une communauté de travail ayant des intérêts propres ; qu'en relevant encore que le site de [Localité 2] a été retenu par l'accord collectif du 22 décembre 2020 comme l'un des dix périmètres de désignation de représentants de proximité, le tribunal s'est fondé sur un motif impropre à caractériser un établissement distinct, en violation des articles L. 2143-3 et L. 2313-7 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 2143-3, alinéa 4, du code du travail :
12. Aux termes de ce texte, la désignation d'un délégué syndical peut intervenir au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques.
13. Pour retenir que la désignation contestée était valable en ce qu'elle était faite au niveau d'un établissement distinct du périmètre de mise en place du comité social et économique, nonobstant les stipulations des accords du 5 juillet 2019 et du 22 décembre 2020, le jugement retient que la désignation de M. [T] sur le site de [Localité 2] en 2017 n'a jamais été contestée par l'employeur, que cette antériorité prive donc l'employeur de la possibilité de remettre en cause la qualité du site de [Localité 2] comme périmètre de désignation de délégués syndicaux, sauf à prouver que la réorganisation de l'entreprise ait eu pour effet de modifier la communauté de travail de ce site, que cependant aucune des pièces versées au débat par l'employeur ne permet de caractériser de modifications ayant remis en question l'existence de la communauté de travail des salariés de Klesia localisés sur le site de [Localité 2], ce site ayant, en outre, été retenu par l'accord du 22 décembre comme l'un des dix périmètres de désignation des « représentants de proximité ».
14. En statuant ainsi, par des motifs inopérants tenant au périmètre de désignation des représentants de proximité, alors qu'il appartenait au syndicat se prévalant de la persistance du caractère distinct de l'établissement de [Localité 2] d'en apporter la preuve, le tribunal, qui n'a pas caractérisé l'existence, à la date de la désignation syndicale, d'une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 16 juillet 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Nantes ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour le GIE Klesia, le GIE Klesia ADP, l'IRC Klesia Agirc-Arrco
III. Le GIE Klesia ADP, le GIE Klesia et l'IRC Klesia Agirc-Arrco font grief au jugement attaqué de les AVOIR déboutés de leur demande d'annulation de la désignation de M. [P] [T] en qualité de délégué syndical de Klesia sur le site de [Localité 2] et de leurs demandes indemnitaires ;
1. ALORS QUE le syndicat doit indiquer, à peine de nullité de la désignation, le cadre dans lequel il désigne un délégué syndical et la nature du mandat confié ; qu'en l'espèce, les exposants faisaient valoir que l'association de moyens Klesia avait disparu le 1er janvier 2021, ses activités et son personnel ayant été repris et répartis, à cette date, entre trois entités juridiquement distinctes ; qu'un accord collectif majoritaire du 22 décembre 2020 avait reconnu l'existence d'une unité économique et sociale entre ces trois entités et prévu, dans l'attente des élections devant être organisées au plus tard le 31 juillet 2021, le maintien des mandats en cours des instances représentatives du personnel et des représentants syndicaux ; que ni l'accord collectif du 22 décembre 2020, ni celui du 5 juillet 2019 ne prévoient la désignation de délégués syndicaux « de site » au sein de l'UES ou de l'entreprise, ni la désignation de délégués syndicaux d'établissement ; qu'en affirmant cependant que la désignation litigieuse, notifiée au directeur des ressources humaines de « l'association de moyens Klesia » et visant un mandat de « délégué syndical au sein de Klesia sur le site de [Localité 2] » n'était pas imprécise, au motif inopérant que le même salarié avait été désigné en 2017 en qualité de délégué syndical sur le « site de [Localité 2] », ce qui n'était pas de nature à renseigner sur le périmètre de cette nouvelle désignation et la nature du mandat ainsi confié, compte tenu des accords collectifs existants et de l'évolution dans l'organisation juridique de l'entreprise, le tribunal a violé les articles L. 2143-3 et L. 2143-8 du code du travail ;
2. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE les exposants soutenaient que le cadre de désignation mentionné dans la lettre de désignation du 29 mars 2021 était imprécis, dans la mesure où l'association de moyens Klesia avait disparu, trois entités distinctes lui ayant succédé, et que seules deux de ces entités déployaient une activité sur le site de [Localité 2] ; qu'en se bornant à relever, pour écarter le moyen tiré de l'imprécision de la lettre de désignation, que le salarié avait été désigné délégué syndical de l'association de moyens Klesia sur le site de [Localité 2] à la suite des élections des membres du comité d'entreprise de 2017, sans s'expliquer sur l'incidence de la réorganisation ayant entraîné la disparition de l'association de moyens Klesia et la répartition de ses activités entre trois entités distinctes, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 2143-3 du code du travail ;
3. ALORS QUE la preuve du caractère distinct d'un établissement pèse sur celui qui l'invoque ; que la désignation non-contestée d'un délégué syndical au sein d'une division de l'entreprise n'interdit pas à l'employeur de contester, au cours d'un nouveau cycle électoral, le caractère d'établissement distinct de cette même division ; qu'elle ne lui impose pas davantage de se prévaloir d'éléments nouveaux, tels qu'une réorganisation de l'entreprise, pour remettre en cause l'existence d'un établissement distinct et contester une autre désignation intervenue au cours d'un nouveau cycle électoral ; qu'en affirmant néanmoins que, du fait de la désignation non contestée d'un délégué syndical sur le site de [Localité 2] en 2017, l'employeur était « privé de la possibilité de remettre en cause la qualité du « site de [Localité 2] » comme périmètre de désignation de délégués syndicaux, sauf à prouver que la réorganisation de l'entreprise ait eu pour effet de modifier la communauté de travail de ce site », le tribunal a donné à cette précédente désignation une portée qu'elle n'avait pas et inversé la charge de la preuve, en violation des articles L. 2143-3 et L. 2143-8 du code du travail ;
4. ALORS QUE constitue un établissement distinct au sens de l'article L. 2143-3 du code du travail l'établissement regroupant au moins 50 salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques ; que la possibilité, prévue par un accord collectif, de désigner des représentants de proximité au sein d'une implantation de l'entreprise ne suffit pas à démontrer la présence, dans cette implantation, d'une communauté de travail ayant des intérêts propres ; qu'en relevant encore que le site de [Localité 2] a été retenu par l'accord collectif du 22 décembre 2020 comme l'un des dix périmètres de désignation de représentants de proximité, le tribunal s'est fondé sur un motif impropre à caractériser un établissement distinct, en violation des articles L. 2143-3 et L. 2313-7 du code du travail. | Aux termes de l'article L. 2143-3, alinéa 4, du code du travail, la désignation d'un délégué syndical peut intervenir au sein de l'établissement regroupant des salariés placés sous la direction d'un représentant de l'employeur et constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques.
Il résulte de ces dispositions qu'il incombe au syndicat qui se prévaut du caractère distinct d'un établissement d'en apporter la preuve et que le tribunal doit caractériser l'existence, à la date de la désignation syndicale, d'une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques. A cet égard, la seule référence au périmètre de désignation des représentants de proximité est inopérante |
8,269 | SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 novembre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1185 F-B
Pourvoi n° M 21-19.598
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 NOVEMBRE 2022
Le Syndicat national des transports urbains, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-19.598 contre l'arrêt rendu le 21 mai 2021 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre - section 1), dans le litige l'opposant à l' établissement public Tisseo, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat du Syndicat national des transports urbains, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de l'établissement public Tisseo, après débats en l'audience publique du 21 septembre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 21 mai 2021) et les productions, la régie Tisseo (la régie) est un établissement public à caractère industriel et commercial chargé de l'exploitation du réseau de transport toulousain, soumis à la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs. Il emploie plus de 2 700 salariés, dont une dizaine au sein du service Automatismes, chargés de la maintenance des lignes du métro automatisé.
2. Un accord de branche relatif au développement du dialogue social, à la prévention des conflits et à la continuité du service public a été signé le 3 décembre 2007 et étendu par arrêté du 9 juin 2008 pour tous les employeurs et salariés compris dans le champ d'application de la convention collective susvisée.
3. Le 8 mars 2016, le directeur général de la régie a, par note de service, indiqué que la participation des personnels d'astreinte du service Automatismes à un mouvement de grève était impossible et que les personnels de ce service d'astreinte devaient donc, en cas de panne ou de dysfonctionnements des automatismes métro, répondre aux appels d'astreinte et se déplacer en cas d'intervention nécessaire, sous peine de sanctions disciplinaires.
4. Par acte d'huissier du 19 mars 2018, le Syndicat national des transports urbain CFDT (le syndicat SNTU-CFDT) a assigné la régie aux fins de voir déclarer la note de service inopposable aux salariés, obliger à son retrait sous astreinte et d'obtenir paiement de dommages-intérêts pour entrave et atteinte à l'intérêt collectif de la profession.
Examen du moyen
Sur le moyen relevé d'office
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :
6. Il n'appartient qu'à la juridiction de l'ordre administratif de se prononcer sur une demande de retrait et de déclaration d'inopposabilité à l'ensemble des salariés concernés d'un établissement public industriel et commercial d'une note de service du directeur général relative à l'exercice du droit de grève d'une partie du personnel durant les périodes d'astreinte, laquelle constitue un acte réglementaire relatif à l'organisation du service public.
7. L'arrêt retient que, si la note de service prise le 8 mars 2016 par la régie, organisme privé chargé d'une mission de service public, constitue par nature un acte administratif dont la légalité relève de l'appréciation du juge administratif, la violation alléguée de l'accord de branche du 3 décembre 2007 par cette note de service relève de la compétence du juge judiciaire.
8. En statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés du fondement juridique de la demande, alors que l'objet de la demande du syndicat tendait à voir ordonner le retrait ou l'inopposabilité aux salariés concernés de la note de service du 8 mars 2016 qui vise à l'organisation de la mission de service public de la régie, de sorte que cette demande relève de la compétence de la juridiction administrative, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes du Syndicat national des transports urbains visant à dire inopposable aux salariés du service Automatismes la note interne du 8 mars 2016 et à ordonner à la régie Tisseo de retirer sa note interne du 8 mars 2016 sous astreinte, l'arrêt rendu le 21 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi de ces chefs ;
DÉCLARE la juridiction judiciaire incompétente pour dire inopposable aux salariés du service Automatismes la note interne du 8 mars 2016 et ordonner à la régie Tisseo de retirer sa note interne du 8 mars 2016 sous astreinte ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour le Syndicat national des transports urbains
Le syndicat SNTU-CFDT fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à ce qu'il soit dit que l'accord collectif du 3 décembre 2007 s'oppose à ce qu'un employeur interdise aux salariés d'un service de participer à un mouvement de grève pendant leurs astreintes, jugé qu'en interdisant aux salariés du service automatisme d'exercer leur droit de grève pendant les astreintes, la régie Tisseo a violé le droit de grève des salariés concernés et par là même l'accord du 3 décembre 2007, dit inopposable aux salariés du service automatisme la note interne du 8 mars 2016 et ordonné à la régie Tisseo de retirer sa note interne du 8 mars 2016 sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard constaté à compter du lendemain de la signification de la décision à intervenir ;
1°) ALORS QUE, si l'article L. 1324-2 du code des transports permet de fixer, par accord de branche professionnelle ou d'entreprise, un cadre dans lequel un plan de prévisibilité du service public peut être établi, il ne consacre aucun droit pour les entreprises de transports terrestres réguliers de voyageurs de réglementer unilatéralement l'exercice du droit de grève de leurs salariés, en fixant le principe ou les modalités de réquisition de salariés grévistes pour mettre en oeuvre un service minimum ou d'astreinte ; qu'il s'ensuit que, sauf disposition législative contraire, une note de service ne peut apporter à l'exercice du droit de grève une restriction autre que celles expressément prévues par l'accordcadre conclu en application de ce texte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel - après avoir rappelé que la note de service du 8 mars 2016 « a pour objet d'interdire aux deux salariés d'astreinte en fin de semaine de faire grève pendant la durée de cette astreinte » - a constaté que « l'accord collectif de branche du 3 décembre 2007 étendu par arrêté du 9 juin 2008 a pour objet, d'après son préambule, de concilier l'exercice du droit de grève et le principe de continuité du service public dans les transports urbains », qu'« il énonce un cadre général et commun à toutes les entreprises de transport urbain de voyage auquel il donne un caractère impératif à l'ensemble de ses dispositions », qu'« il prévoit diverses mesures visant à renforcer le dialogue social et la négociation préalable afin de prévenir les conflits, d'améliorer la continuité du service public et réguler la concurrence entre les entreprises » et qu'« il crée notamment un observatoire de la négociation collective avec un fonds de financement du dialogue social de branche, et prévoit la mise en place de plans de transport pendant le déroulement d'une grève » ; que, pour débouter le syndicat SNTU-CFDT de ses demandes, elle a retenu, d'une part, que « l'accord de branche comporte 25 articles et que le syndicat SNTU-CFDT ne se réfère à aucune disposition précise de cet accord ayant pour effet de restreindre les pouvoirs d'organisation du service public conférés à l'établissement public, voire de lui interdire de prendre des dispositions spécifiques visant à interdire à des agents d'un service circonscrit d'exercer un droit de grève pendant des périodes d'astreinte », d'autre part, qu'« il ne résulte pas de la lecture du préambule de l'accord collectif une volonté des partenaires sociaux de priver les entreprises soumises à l'accord de branche de la possibilité d'organiser ses services », puis en a déduit qu'« en l'absence d'interdiction formelle, le fait pour l'EPIC Tisseo d'avoir limité le droit de grève de douze agents composant le service automatisme en période d'astreinte n'est donc pas contraire à l'accord collectif » ; qu'en statuant ainsi sur le fondement erroné de l'absence de disposition conventionnelle interdisant à l'employeur de restreindre unilatéralement le droit de grève des salariés pendant leurs périodes d'astreinte, la cour d'appel a violé l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et, par fausse interprétation, l'article L. 1324-2 du code des transports ;
2°) ET ALORS QU'en statuant comme elle l'a fait, quand aucune disposition de l'accord-cadre du 3 décembre 2007 n'autorisait l'employeur à restreindre unilatéralement l'exercice du droit de grève de salariés en période d'astreinte, la cour d'appel a derechef violé l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et, par fausse interprétation, l'article L. 1324-2 du code des transports. | En application de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, il n'appartient qu'à la juridiction de l'ordre administratif de se prononcer sur une demande de retrait et de déclaration d'inopposabilité à l'ensemble des salariés concernés d'un établissement public industriel et commercial d'une note de service du directeur général relative à l'exercice du droit de grève d'une partie du personnel durant les périodes d'astreinte, laquelle constitue un acte réglementaire relatif à l'organisation du service public |
8,270 | N° N 21-85.655 FP-B-R
N° 01304
RB5
9 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 NOVEMBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Versailles, MM. [E] [P] et [B] [K] ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 9e chambre, en date du 15 septembre 2021, qui, dans la procédure suivie contre les deux derniers et MM. [R] [G], [J] [A] et [X] [Z], des chefs de complicité de corruption active, recel, abus de biens sociaux, faux et usage, a prononcé l'annulation partielle des poursuites et ordonné le renvoi pour le surplus.
Par ordonnance du 30 novembre 2021, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de MM. [E] [P] et [B] [K], les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [X] [Z] et [J] [A] et les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de MM. [J] et [U] [F] et de Mme [N] [F], en leur nom personnel et venant aux droits de [H] [C], et de la société [3], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 22 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Ingall-Montagnier, Labrousse, M. d'Huy, Mmes Ménotti, Leprieur, Sudre, MM. Samuel, Maziau, Mme Goanvic, conseillers de la chambre, MM. Ascensi, Joly, Violeau, Mallard, conseillers référendaires, Mme Bellone, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 26 juin 2002, le procureur de la République a ouvert une information des chefs de corruption et trafic d'influence à la suite d'un signalement de la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes des Hauts-de-Seine concernant les conditions du renouvellement en 2000 de la délégation de service public de production et de distribution du chauffage du quartier de la Défense au profit de la société [2]. [S] [L], alors maire de [Localité 4] et président du syndicat intercommunal délégant, était soupçonné d'avoir fait approuver par celui-ci la décision de n'engager des négociations qu'avec l'entité [2] représentée par M. [J] [A], associé à M. [R] [G] et à M. [X] [Z], en contrepartie du versement de commissions occultes en espèces entre juin 2001 et janvier 2002.
3. De nombreux réquisitoires supplétifs ont été délivrés entre 2004 et 2005 pour des faits de recel, d'abus de biens sociaux et complicité de ce délit, de favoritisme et d'entente et de recel de ces infractions, et de faux et usage, ces derniers faits ayant été dénoncés par les consorts [F]. Par ailleurs, le 27 juin 2005, le juge d'instruction a ordonné la jonction de cette procédure avec l'information ouverte le 23 janvier 2003 du chef d'abus de biens sociaux impliquant la société [3] dirigée par M. [E] [P].
4. Six personnes, dont [S] [L], décédé le [Date décès 1] 2019, ont été mises en examen et, le 7 novembre 2019, le juge d'instruction a ordonné le renvoi de MM. [G], [A], [Z], [P] et [K] devant le tribunal correctionnel qui a annulé l'ensemble de la procédure d'enquête et d'information, par un jugement du 11 janvier 2021 à l'encontre duquel le ministère public et les parties civiles ont interjeté appel.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé par M. [P], contestée en défense par les consorts [F]
5. L'existence d'un mandat d'arrêt décerné à l'encontre de M. [P] est sans incidence sur la recevabilité de son pourvoi.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième et cinquième moyens proposés par le procureur général et le moyen proposé pour MM. [P] et [K], pris en ses première et troisième branches
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatrième moyen proposé par le procureur général
Enoncé du moyen
7. Le quatrième moyen proposé par le procureur général est pris de la violation des articles préliminaire, 427, 591, 593 et 802 du code de procédure pénale.
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé les poursuites ayant conduit au renvoi de MM. [G], [A] et [Z] devant le tribunal correctionnel de Nanterre ainsi qu'à celui de MM. [P] et [K] pour les faits en relation avec le volet de l'affaire relatif à des faits de corruption, alors :
1°/ que la méconnaissance de la recommandation énoncée à l'article préliminaire du code de procédure pénale relative au respect d'un délai raisonnable pour statuer sur l'accusation d'une personne ne porte pas nécessairement atteinte aux principes de fonctionnement de la justice pénale et aux droits de la défense et ne compromet pas irrémédiablement l'équité du procès et l'équilibre des droits des parties et est en tout état de cause sans incidence directe sur la validité des procédures ;
2°/ que l'impossibilité pour la cour d'appel d'interroger personnellement des témoins à charge ou des co-prévenus ou de permettre aux parties de les interroger ou de les faire interroger n'est pas de nature à entraîner la nullité de la procédure et ne porte pas nécessairement atteinte au respect des droits de la défense.
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 802 du code de procédure pénale :
9. L'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme énonce le droit de tout accusé de voir sa cause jugée par un tribunal dans un délai raisonnable, une fois le processus judiciaire entamé. Ce droit trouve son assise dans la nécessité de veiller à ce qu'un accusé ne demeure pas trop longtemps dans l'incertitude de la solution réservée à l'accusation pénale qui sera portée contre lui (CEDH, arrêt du 8 juillet 2008, Kart c. Turquie, n° 8917/05, § 68).
10. Le moyen pose la question des conséquences du dépassement du délai raisonnable sur la validité de la procédure.
11. La Cour de cassation juge de manière constante que le dépassement du délai raisonnable défini à l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme est sans incidence sur la validité de la procédure. Il ne saurait conduire à son annulation et, sous réserve des lois relatives à la prescription, il ne constitue pas une cause d'extinction de l'action publique (Crim., 3 février 1993, pourvoi n° 92-83.443, Bull. crim. 1993, n° 57 ; Ass. plén., 4 juin 2021, pourvoi n° 21-81.656, publié au Bulletin).
12. Il résulte du paragraphe 9 que le droit à être jugé dans un délai raisonnable protège les seuls intérêts des personnes concernées par la procédure en cours. La méconnaissance de ce droit ne constitue donc pas la violation d'une règle d'ordre public. Elle ne constitue pas davantage la violation d'une règle de forme prescrite par la loi à peine de nullité, ni l'inobservation d'une formalité substantielle au sens de l'article 802 du code de procédure pénale. En effet, elle ne compromet pas en elle-même les droits de la défense, ses éventuelles conséquences sur l'exercice de ces droits devant en revanche être prises en compte au stade du jugement au fond, dans les conditions indiquées aux paragraphes 23 à 26.
13. Au demeurant, en cas d'information préparatoire, l'article 385 du code de procédure pénale prévoit que, lorsque la juridiction est saisie par l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du juge d'instruction, les parties sont irrecevables à invoquer devant la juridiction de jugement des exceptions de nullité de la procédure antérieure, dès lors que ladite ordonnance purge les vices de la procédure en application de l'article 179, alinéa 6, du même code (Crim., 26 mai 2010, pourvoi n° 10-81.839, Bull. crim. 2010, n° 95). En vertu du même texte, les juridictions de jugement, lorsqu'elles constatent une irrégularité de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, n'ont pas qualité pour l'annuler mais peuvent seulement renvoyer l'affaire au ministère public pour saisine du juge d'instruction aux fins de régularisation de cet acte (Crim., 13 juin 2019, pourvoi n° 19-82.326, Bull. crim. 2019, n° 112).
14. Enfin, la durée excessive d'une procédure ne peut aboutir à son invalidation complète, alors que chacun des actes qui la constitue est intrinsèquement régulier.
15. Ces règles ne méconnaissent aucun principe conventionnel.
16. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme juge que les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d'une procédure sont effectifs au sens de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (CEDH, arrêt du 24 janvier 2017, Hiernaux c. Belgique, n° 28022/15, § 45).
17. Elle n'a jamais estimé qu'une méconnaissance du droit d'être jugé dans un délai raisonnable constituait une atteinte aux droits de la défense.
18. Plusieurs mécanismes de droit interne répondent aux exigences conventionnelles.
19. Tout d'abord, au stade de l'information, les articles 221-1 à 221-3 du code de procédure pénale permettent aux parties, sous certaines conditions, et au président de la chambre de l'instruction qui, en vertu de l'article 220 du même code, s'emploie à ce que les procédures ne subissent aucun retard injustifié, de saisir cette juridiction, qui, après évocation, peut poursuivre elle-même l'information, ou la clôturer ou la confier à un autre juge d'instruction.
20. Ensuite, en vertu de l'article 175-1 du même code, une partie peut demander au juge d'instruction la clôture de l'information.
21. Enfin, l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire prévoit la possibilité, pour la partie concernée, d'engager la responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice, en particulier en cas de dépassement du délai raisonnable (1re Civ., 4 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.955, Bull. 2010, I, n° 219).
22. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que doit être maintenu le principe selon lequel la méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les droits de la défense sont sans incidence sur la validité des procédures.
23. Par conséquent, la juridiction de jugement qui constate le caractère excessif de la durée de la procédure ne peut se dispenser d'examiner l'affaire sur le fond. Dans cet office, elle dispose de plusieurs voies de droit lui permettant de prendre cette situation en compte.
24. Tout d'abord, il lui appartient, en application de l'article 427 du code de procédure pénale, d'apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et sont débattus contradictoirement devant elle. Elle doit, à ce titre, prendre en considération l'éventuel dépérissement des preuves imputable au temps écoulé depuis la date des faits, et l'impossibilité qui pourrait en résulter, pour les parties, d'en discuter la valeur et la portée. Ainsi, elle doit appliquer le principe conventionnel selon lequel une condamnation ne peut être prononcée sur le fondement d'un unique témoignage émanant d'un témoin auquel le prévenu n'a jamais été confronté malgré ses demandes. Le dépérissement des preuves peut, le cas échéant, conduire à une décision de relaxe.
25. Ensuite, selon le dernier alinéa de l'article 10 du code de procédure pénale, en présence de parties civiles, lorsqu'il constate que l'état mental ou physique du prévenu rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense, le juge peut, d'office ou à la demande des parties, décider, après avoir ordonné une expertise permettant de constater cette impossibilité, qu'il sera tenu une audience pour statuer uniquement sur l'action civile, après avoir constaté la suspension de l'action publique et sursis à statuer sur celle-ci.
26. Enfin, dans le cadre de l'application des critères de l'article 132-1 du code pénal, le juge peut déterminer la nature, le quantum et le régime des peines qu'il prononce en prenant en compte les éventuelles conséquences du dépassement du délai raisonnable et, le cas échéant, prononcer une dispense de peine s'il constate que les conditions de l'article 132-59 du code pénal sont remplies.
27. En l'espèce, pour annuler les poursuites ayant conduit au renvoi de MM. [G], [A] et [Z] devant le tribunal correctionnel, et de MM. [P] et [K] pour « les faits en relation avec le volet corruption », l'arrêt attaqué énonce que l'évaluation globale du déroulement de la procédure qui a duré près d'une vingtaine d'années, en fonction de la complexité de l'affaire, du comportement des parties et des autorités compétentes, permet de retenir que la procédure a excédé un délai raisonnable.
28. L'arrêt souligne ensuite que ce dépassement empêche MM. [G] et [A], qui n'en ont plus la capacité physique et intellectuelle, de participer à leur procès, de suivre les débats et de les commenter, de vérifier l'exactitude de leurs moyens de défense et de les comparer aux déclarations des autres prévenus, victimes ou témoins, d'être confrontés à ceux-ci et d'exercer de manière effective les droits de la défense, ces manquements ne pouvant être compensés par la représentation des prévenus par leur avocat à l'audience, et que les faits de corruption, abus de biens sociaux et recel d'abus de biens sociaux ne pouvant être débattus contradictoirement à l'audience, les intéressés se verraient privés de leur droit à un procès équitable.
29. Les juges relèvent encore que si M. [Z] est capable d'assister à son procès, il ne pourra répondre des infractions qui lui sont reprochées en l'absence de [S] [L] et de MM. [G] et [A], qu'il lui appartiendrait de se défendre seul sur l'ensemble des faits, y compris sur des questions pour lesquelles il ne peut s'expliquer en lieu et place des personnes concernées, que n'étant pas en mesure de répondre utilement aux déclarations de certains témoins avec lesquels il n'a jamais eu le moindre échange, il devrait réfuter les accusations portées à l'encontre de chacun des trois autres prévenus sans pouvoir leur être confronté et en étant privé de toute possibilité de voir corroborer ses déclarations.
30. Ils ajoutent qu'il en est de même pour MM. [P] et [K] qui, s'ils sont capables d'assister à leur procès, seraient privés de débats contradictoires et ne pourraient, en l'absence des principaux mis en cause, exercer de manière effective les droits de la défense.
31. S'agissant des conséquences du constat du caractère déraisonnable de la procédure, de l'atteinte au droit à un procès équitable, au principe du contradictoire et à l'équilibre des droits des parties, ainsi qu'aux droits de la défense, pour MM. [G], [A] et [Z], la cour d'appel, après avoir constaté que la procédure relative aux faits en relation avec le « volet corruption » viole la norme d'un délai raisonnable et porte atteinte de façon irrémédiable à l'ensemble des principes de fonctionnement de la justice pénale, notamment le respect des droits de la défense et des règles d'administration de la preuve, conclut qu'elle ne peut participer elle-même à cette violation en laissant se poursuivre un procès dépourvu de tout caractère équitable.
32. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe rappelé au paragraphe 22.
33. D'une part, elle a déduit faussement de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article préliminaire du code de procédure pénale qu'elle devait annuler les poursuites.
34. D'autre part, elle n'a pas statué sur le bien-fondé de la prévention au regard des éléments qui lui étaient soumis conformément à l'article 427 du code de procédure pénale.
35. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Sur le moyen proposé pour MM. [P] et [K], pris en sa deuxième branche
36. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a évoqué s'agissant des faits de faux et usage de faux, d'abus de biens sociaux et de recel d'abus de biens sociaux commis au préjudice de la société [3] reprochés à MM. [P] et [K] et a renvoyé pour que ces derniers soient jugés au fond de ces chefs, alors :
« 2°/ qu'en se bornant, pour évoquer et permettre le jugement de MM. [P] et [K] des chefs de faux et usage de faux, d'abus de biens sociaux et de recel d'abus de biens sociaux commis au préjudice de [3], à énoncer que « le délai déraisonnable de la procédure, quoique caractérisé, ne porte pas atteinte aux droits de la défense de MM. [P] et [K] qui sont en capacité de les exercer de manière effective », quand l'exercice effectif de ces droits suppose que MM. [P] et [K] puissent faire interroger des témoins et mis en cause, ce que l'écoulement du temps et la violation de l'exigence de délai raisonnable les empêchent de faire, la Chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
37. La cassation prononcée sur le pourvoi du procureur général rend inopérant le grief.
Portée et conséquences de la cassation
38. L'arrêt est cassé en toutes ses dispositions sauf celles ayant ordonné le renvoi à l'égard de MM. [P] et [K] pour être jugés des chefs d'abus de biens sociaux, de recel, de faux et d'usage.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par MM. [P] et [K] :
Les REJETTE ;
Sur le pourvoi formé par le procureur général :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 15 septembre 2021, en toutes ses dispositions sauf celles ayant ordonné le renvoi à l'égard de MM. [P] et [K] pour être jugés des chefs d'abus de biens sociaux, de recel, de faux et d'usage ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Fixe à 2 500 euros la somme globale que MM. [P] et [K] devront verser aux consorts [F] et à la société [3] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf novembre deux mille vingt-deux. | En application des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 802 du code de procédure pénale, la méconnaissance du délai raisonnable et ses éventuelles conséquences sur les droits de la défense sont sans incidence sur la validité des procédures et, sous réserve des lois relatives à la prescription, ne constitue pas une cause d'extinction de l'action publique.
Cette méconnaissance ne constitue pas plus ni la violation d'une règle d'ordre public ou d'une règle de forme prescrite par la loi, ni l'inobservation d'une formalité substantielle au sens de l'article 802 du code de procédure pénale dès lors qu'elle ne compromet pas en elle-même les droits de la défense. Ses éventuelles conséquences sur l'exercice de ces droits doivent en revanche être prises en compte au stade du jugement au fond selon les modalités suivantes.
Tout d'abord, il appartient au juge, en application de l'article 427 du code de procédure pénale, d'apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui lui sont soumis et sont débattus contradictoirement devant lui, le dépérissement des preuves pouvant, le cas échéant, conduire à une décision de relaxe.
Ensuite, en présence de parties civiles, le juge peut faire application du dernier alinéa de l'article 10 du code de procédure pénale, et décider, après avoir ordonné une expertise constatant que l'état mental ou physique du prévenu rend durablement impossible sa comparution personnelle dans des conditions lui permettant d'exercer sa défense, qu'il sera tenu une audience pour statuer uniquement sur l'action civile, après avoir constaté la suspension de l'action publique et sursis à statuer sur celle-ci.
Enfin, dans le cadre de l'application des critères de l'article 132-1 du code pénal, le juge peut déterminer la nature, le quantum et le régime des peines qu'il prononce en prenant en compte les éventuelles conséquences du dépassement du délai raisonnable et, le cas échéant, prononcer une dispense de peine s'il constate que les conditions de l'article 132-59 du code pénal sont remplies.
Encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui, après avoir constaté que le dépassement du délai raisonnable de la procédure a entraîné une atteinte définitive au droit à un procès équitable et aux droits de la défense qui fait obstacle à la poursuite du procès pénal, prononce l'annulation des poursuites ayant conduit au renvoi des prévenus devant le tribunal correctionnel |
8,271 | N° V 21-86.996 F-B
N° 01372
SL2
9 NOVEMBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [G] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 18 novembre 2021, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef de fraude fiscale, a déclaré sans objet son appel de l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [G] [I], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 22 mai 2020, le juge des libertés et de la détention a autorisé le maintien de la saisie pénale de sommes inscrites au crédit d'un
compte bancaire détenu par M. [G] [I].
3. Ce dernier a formé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que l'appel formé par M. [I] contre l'ordonnance « d'autorisation de maintien d'une saisie pénale de sommes inscrites au crédit du compte bancaire » était devenu sans objet, alors « que la saisie pénale ayant pour objet de garantir l'exécution de la peine de confiscation, ses effets ne cessent que lorsque la peine de confiscation est exécutoire ; que l'appel formé contre l'ordonnance de saisie pénale ou de maintien d'une saisie pénale de sommes inscrites au crédit d'un compte bancaire rendue par le juge des libertés et de la détention au cours d'une enquête préliminaire devient sans objet uniquement si le jugement du tribunal correctionnel, postérieur à cet appel, statuant sur la culpabilité de la personne dont le bien a été saisi et prononçant la confiscation du bien saisi a ordonné l'exécution provisoire de la confiscation ou si, en l'absence de prononcé de l'exécution provisoire, le jugement est devenu définitif au jour de l'examen de l'appel ; qu'en se bornant à retenir, pour dire qu'était devenu sans objet l'appel formé par M. [I] contre l'ordonnance d'autorisation de maintien d'une saisie pénale de sommes inscrites au crédit de son compte bancaire pour un montant de 181 874,56 euros rendue par le juge des libertés et de la détention au cours d'une enquête préliminaire, que par une décision du 24 septembre 2021, la 15e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre avait reconnu M. [I] coupable des faits de soustraction frauduleuse à l'établissement de l'impôt et l'avait condamné à la confiscation de la somme de 300 904,67 euros et de celle de 181 874,56 euros à titre de peine complémentaire et que la chambre correctionnelle était désormais saisie de l'appel de ces confiscations (arrêt p.8), sans relever dans ses motifs que le tribunal correctionnel aurait ordonné l'exécution provisoire de la peine de confiscation et cependant qu'elle constatait l'appel formé contre ce jugement (arrêt p. 8) pris en toutes ses dispositions par le prévenu (arrêt p. 4), de sorte que ce jugement n'était pas définitif au jour où elle a statué, la chambre de l'instruction a violé les articles 131-21 du code pénal, 708, 706-153, 706-154, 591 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 708, 706-141, 706-143, 706-145 et 706-150 du code de procédure pénale :
5. Il se déduit des quatre premiers de ces textes qu'une ordonnance de saisie pénale cesse irrévocablement de produire ses effets uniquement lorsque la décision ordonnant la mainlevée de la mesure ou la confiscation du bien saisi est devenue définitive.
6. Il résulte du dernier que l'ordonnance de saisie immobilière est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision.
7. Pour dire que l'appel formé contre l'ordonnance de saisie des sommes figurant sur un compte bancaire appartenant à M. [I] est devenu sans objet, l'arrêt attaqué énonce que par décision du 24 septembre 2021, le tribunal correctionnel a reconnu l'intéressé coupable des faits de soustraction frauduleuse à l'établissement de l'impôt, l'a condamné notamment à la confiscation de la somme de 300 904,67 euros et de celle de 181 874,56 euros à titre de peine complémentaire.
8. Les juges en déduisent que la chambre correctionnelle étant désormais saisie de l'appel de ces confiscations, l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention est devenu sans objet.
9. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la peine complémentaire de confiscation ne présentait pas un caractère définitif, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
10. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 18 novembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf novembre deux mille vingt-deux. | Il se déduit des articles 706-141, 706-143, 706-145 et 708 du code de procédure pénale qu'une ordonnance de saisie pénale cesse irrévocablement de produire ses effets uniquement lorsque la décision ordonnant la mainlevée de la mesure ou la confiscation du bien saisi est devenue définitive.
Il résulte de l'article 706-150 du même code que l'ordonnance de saisie immobilière est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision.
Encourt la cassation, la chambre de l'instruction qui déclare sans objet l'appel formé contre une ordonnance de saisie pénale au motif que l'appelant a été condamné par le tribunal correctionnel, notamment à la confiscation des biens saisis, tout en constatant qu'un recours ayant été formé contre cette décision, la peine complémentaire prononcée n'est pas définitive |
8,272 | N° N 21-85.747 F-B
N° 01377
SL2
9 NOVEMBRE 2022
REJET
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 9 NOVEMBRE 2022
M. [M] [O], la société [2] [O] [3], M. [D] [F] et la société [12] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, en date du 16 septembre 2021, qui, pour importations sans déclaration de marchandises prohibées et fausse déclaration en valeur, les a condamnés solidairement à des amendes douanières.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, commun aux demandeurs, un mémoire additionnel, un mémoire en défense et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction régionale des douanes et droits indirects d'[Localité 1], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'importation d'ail extérieure à la Communauté européenne est soumise à un droit de douane sur la valeur et à un droit spécifique additionnel. Ce droit spécifique peut ne pas être dû dès lors que l'importateur a obtenu de l'établissement FranceAgriMer des certificats d'importation l'exonérant du paiement de ce droit pour certaines périodes de temps et certaines quantités, dans le cadre de contingents définis par la Commission européenne. L'importateur bénéficiant de ces certificats d'importation ne peut plus prétendre à l'exonération du droit spécifique additionnel lorsqu'il a importé la quantité d'ail indiquée sur les certificats qui lui ont été attribués. En application de l'article 6, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 341/2007 du 29 mars 2007, instaurant le régime de certificats d'importation et de certificats d'origine pour l'ail, les certificats d'importation étaient, à l'époque des faits, incessibles.
3. Le 26 juin 2010, les services des douanes ont initié un contrôle sur les importations d'ail du Mexique et d'Argentine effectuées entre 2009 et 2011 par la société [6] (société [5]), devenue la société [11], spécialisée dans le commerce d'ail en gros.
4. Par procès-verbal du 9 décembre 2013 ont été notifiées à la société [5] les infractions de fausse déclaration de destinataire réel commises à l'aide de documents inapplicables ayant conduit à éluder 341 628 euros de droits spécifiques, 1 479 euros de droits de douane et 30 821 euros de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), fausse déclaration ou manoeuvre ayant pour but ou pour effet d'obtenir, en tout ou partie, une exonération, un droit réduit ou un avantage quelconque attaché à l'importation et fausse déclaration de valeur.
5. Par procès-verbal du 10 décembre 2013 les mêmes infractions ont été notifiées à la société [2] [O] [3] en qualité d'intéressée à la fraude.
6. Selon l'administration des douanes, la société [5] avait élaboré avec la complicité de la société [2] [O] [3] un montage commercial frauduleux lui permettant de continuer à bénéficier des avantages tarifaires attachés aux certificats, consistant, après avoir épuisé son quota de certificats, à importer de l'ail argentin que la société [10] vendait avant dédouanement à différentes entités du groupe hollandais [2] [O] [3] lequel dédouanait l'ail grâce aux certificats dont il disposait au moment de l'opération, le dédouanement lui permettant d'être exonéré du paiement du droit spécifique.
7. L'administration des douanes leur a également reproché d'avoir déposé en douane au cours de l'année 2010 des déclarations sur lesquelles était faussement indiqué que les marchandises importées étaient destinées à être mises à la consommation dans un autre Etat membre de l'Union européenne, alors qu'elles n'avaient pas quitté le territoire français, ce qui avait permis à la société [5] de bénéficier indûment d'une exonération de taxe sur la valeur ajoutée.
8. Enfin les agents des douanes ont indiqué avoir constaté que le montant facturé figurant sur deux déclarations en douane avait été sous-évalué.
9. À la suite de ces notifications, deux avis de mise en recouvrement reprenant le total des droits des taxes dues ont été émis à l'encontre des sociétés [5] et [2] [O] [7], qui les ont contestés.
10. Par arrêt en date du 11 juin 2020, statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Grenoble a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement.
11. Entre temps, MM. [F] et [O], ainsi que les sociétés [5] et [2] [O] [3] ont été cités, le 4 novembre 2016, devant le tribunal correctionnel pour avoir, d'une part, commis des manoeuvres ayant eu pour effet d'éluder le paiement de 341 628 euros de droits de douane et 8 863 euros de TVA, faits constitutifs d'un délit douanier qualifié d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, d'autre part, sollicité indûment le bénéfice de l'article 262 ter, I, du code général des impôts, et ainsi éludé 25 053 euros de TVA, faits constitutifs d'un délit douanier qualifié d'importation en contrebande de marchandises prohibées, enfin, commis une fausse déclaration de valeur ayant permis d'éluder le paiement de 1 479 euros de droits de douane et 4 205 euros de TVA, contravention connexe.
12. Par jugement en date du 27 juin 2018, le tribunal correctionnel a rejeté les différentes exceptions de nullité soulevées par la défense, a déclaré l'ensemble des prévenus coupable des faits de la prévention et les a condamnés solidairement au paiement de trois amendes douanières d'un montant respectif de 1 500 euros, 645 754 euros et 314 193 euros.
13. Les prévenus et le procureur de la République ont interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premiers moyens, pris en leur deuxième branche, proposés pour les demandeurs, le second moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, proposé pour M. [F] et la société [11], le deuxième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7] et le moyen additionnel, pris en sa seconde branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7]
14. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les premiers moyens, pris en leurs premières, troisièmes, quatrièmes et cinquièmes branches proposés pour M. [F], la société [11], M. [O] et la société [2] [O] [7],
Enoncé des moyens
15. Le moyen proposé pour M. [F] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, alors :
« 1°/ que si les agents de douanes peuvent consigner dans un procès-verbal de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du code des douanes et recueillir des déclarations, l'article 334 de ce même code ne leur confère pas un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée ; qu'il résulte des propres constatations de la décision attaquée et des pièces de la procédure que M. [F], représentant de la société [11], a fait l'objet d'une audition formelle sur les fraudes supposées et sa connaissance des mécanismes mis en place ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de nullité de ces auditions réalisées en dehors de tout cadre légal, la cour d'appel a méconnu les articles 334 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le principe du contradictoire implique pour les parties le droit d'accès aux informations et la communication de toutes les pièces de la procédure ; qu'ainsi, l'administration des douanes doit communiquer à l'opérateur l'ensemble des éléments fondant sa position afin qu'il puisse utilement y répondre avant qu'elle ne lui délivre un procès-verbal d'infraction ; qu'en relevant, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, pris de la violation du contradictoire, que l'article 67 A du code des douanes applicable au moment des faits n'exigeait pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisé la référence des documents et informations sur lesquelles l'administration s'est fondée, lorsque l'absence de communication de l'intégralité des éléments sur lesquels l'administration se fonde prive le redevable de son droit d'accès aux informations et de la communication de toutes les pièces de la procédure, la cour d'appel a méconnu le droit à un procès équitable tel qu'il est défini par l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'action de l'administration des douanes en répression des délits douaniers se prescrit dans les mêmes délais et dans les mêmes conditions que l'action publique en matière de délits de droit commun ; qu'en rejetant l'exception de prescription de l'action fiscale, lorsque les procès-verbaux de notification du 9 et du 10 décembre 2013, entachés de nullité, n'ont pu ni interrompre ni suspendre la prescription de l'action publique à l'égard de quiconque, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 351 du code des douanes, 8 du code de procédure pénale en sa rédaction applicable à l'époque des faits, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que le juge pénal doit prendre en compte la nullité des actes définitivement prononcée par le juge civil ; que sur renvoi après cassation (Cass. com. 2 octobre 2019, pourvoi n° 18-11.286), par une décision définitive rendue le 11 juin 2020, la cour d'appel de Grenoble, statuant sur la contestation élevée par la société [10] contre l'avis de mise en recouvrement, a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement du 23 décembre 2013 ; qu'en refusant de tenir compte de cette décision et de prononcer la nullité desdits actes, aux motifs inopérants que la décision civile ne peut s'imposer au juge pénal faute d'identité d'objet et de cause, la cour d'appel a méconnu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
16. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [7] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, alors :
« 1°/ que si les agents de douanes peuvent consigner dans un procès-verbal de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du code des douanes et recueillir des déclarations, l'article 334 de ce même code ne leur confère pas un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée ; qu'il résulte des propres constatations de la décision attaquée et des pièces de la procédure que M. [F], représentant de la société [11], a fait l'objet d'une audition formelle sur les fraudes supposées et sa connaissance des mécanismes mis en place ; qu'en rejetant néanmoins l'exception de nullité de ces auditions réalisées en dehors de tout cadre légal, la cour d'appel a méconnu les articles 334 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que le principe du contradictoire implique pour les parties le droit d'accès aux informations et la communication de toutes les pièces de la procédure ; qu'ainsi, l'administration des douanes doit communiquer à l'opérateur l'ensemble des éléments fondant sa position afin qu'il puisse utilement y répondre avant qu'elle ne lui délivre un procès-verbal d'infraction ; qu'en relevant, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, pris de la violation du contradictoire, que l'article 67 A du code des douanes applicable au moment des faits n'exigeait pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisé la référence des documents et informations sur lesquelles l'administration s'est fondée, lorsque l'absence de communication de l'intégralité des éléments sur lesquels l'administration se fonde prive le redevable de son droit d'accès aux informations et de la communication de toutes les pièces de la procédure, la cour d'appel a méconnu le droit à un procès équitable tel qu'il est défini par l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ainsi que les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que l'action de l'administration des douanes en répression des délits douaniers se prescrit dans les mêmes délais et dans les mêmes conditions que l'action publique en matière de délits de droit commun ; qu'en rejetant l'exception de prescription de l'action fiscale, lorsque les procès-verbaux de notification du 9 et du 10 décembre 2013, entachés de nullité, n'ont pu ni interrompre ni suspendre la prescription de l'action publique à l'égard de quiconque, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des articles 351 du code des douanes, 8 du code de procédure pénale en sa rédaction applicable à l'époque des faits, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
5°/ que le juge pénal doit prendre en compte la nullité des actes définitivement prononcée par le juge civil ; que sur renvoi après cassation (Cass. com. 2 octobre 2019, pourvoi n° 18-11.286), par une décision définitive rendue le 11 juin 2020, la cour d'appel de Grenoble, statuant sur la contestation élevée par la société [10] contre l'avis de mise en recouvrement, a annulé le résultat d'enquête du 16 septembre 2013, le procès-verbal de notification d'infraction du 9 décembre 2013 et l'avis de mise en recouvrement du 23 décembre 2013 ; qu'en refusant de tenir compte de cette décision et de prononcer la nullité desdits actes, aux motifs inopérants que la décision civile ne peut s'imposer au juge pénal faute d'identité d'objet et de cause, la cour d'appel a méconnu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Les moyens sont réunis.
Sur les premiers moyens, pris en leurs premières branches
18. Pour écarter l'exception tirée de la nullité de l'audition de M. [F] réalisée par les agents des douanes, l'arrêt attaqué énonce que l'article 334 du code des douanes, qui impose aux agents de l'administration des douanes de consigner dans les procès-verbaux de constat les résultats des contrôles opérés dans les conditions de l'article 65 du même code et d'une manière générale ceux des enquêtes et interrogatoires effectués par eux, prévoit ainsi expressément la possibilité pour les agents des douanes de procéder à des interrogatoires et qu'il est constant que les agents des douanes peuvent procéder à l'occasion des opérations de contrôle à des auditions.
19. Il relève qu'en l'espèce les personnes n'ont pas refusé d'être entendues par les enquêteurs et que dès le commencement du contrôle la société a eu connaissance de sa nature.
20. Les juges ajoutent que les agents des douanes peuvent parfaitement procéder à des interrogatoires en lien avec les enquêtes qu'ils diligentent à l'occasion de leurs missions de contrôle sans qu'il soit porté atteinte au respect des droits de la défense et que ces auditions, effectuées sans contrainte, ne sauraient être confondues avec le placement en garde à vue ou la retenue douanière.
21. Ils constatent que les personnes auditionnées n'ont pas demandé à être assistées par un avocat et qu'au moment des faits l'article 67 F relatif à l'audition libre en matière douanière instaurant des droits n'était pas en vigueur, le seul cadre d'une audition étant l'audition simple prévue par l'article 334 du code des douanes ou l'audition en cas de retenue douanière avec la notification des droits comme en garde à vue en cas d'exercice d'une contrainte.
22. La cour d'appel retient que, par ailleurs, le tribunal a justement rappelé que les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu'à preuve contraire de l'exactitude de la sincérité des aveux et déclarations qu'ils rapportent.
23. C'est à tort que la cour d'appel a rejeté l'exception de nullité.
24. En effet, les dispositions de l'article 65 du code des douanes, qui prévoient au profit des agents des douanes un droit de communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, ainsi que celles de l'article 334 du même code, qui concernent uniquement la forme sous laquelle doivent être consignés les résultats des contrôles et enquêtes réalisés par ces agents, si elles ne leur interdisent pas de recueillir des déclarations spontanées relatives aux éléments communiqués, ne leur confèrent pas un pouvoir général d'audition.
25. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que les juges pour retenir la culpabilité des prévenus se sont fondés sur d'autres éléments, soumis au débat contradictoire, notamment sur les constatations matérielles contenues dans les procès-verbaux.
26. Le grief sera donc écarté.
Sur les premiers moyens, pris en leurs troisièmes branches
27. En l'espèce, pour écarter le moyen de nullité du procès-verbal de notification d'infraction du 10 décembre 2013, tiré de ce que l'administration des douanes, en violation du principe du contradictoire, n'avait pas communiqué au redevable, préalablement à son établissement, les documents sur lesquels elle a fondé sa décision, l'arrêt attaqué énonce que le principe du contradictoire, applicable au cours de l'enquête aboutissant à l'établissement d'un procès-verbal de notification d'infraction implique que le destinataire d'une décision susceptible de lui faire grief doit être à même avant cette décision de faire connaître utilement son point de vue et bénéficier pour ce faire d'un délai suffisant.
28. Il constate que l'article 67 A du code des douanes, dans sa version applicable au moment des faits, n'exige pas que les documents ayant fondé l'avis de résultat d'enquête soient communiqués au redevable mais que lui soit précisée la référence des documents et informations sur lesquels l'administration s'est fondée.
29. Les juges relèvent que l'échange préalable contradictoire prévu par ledit article a eu lieu après réception par la société [2] [O] [3] de l'avis de résultat d'enquête auquel elle a répondu en présentant des observations.
30. Ils ajoutent qu'il résulte du procès-verbal du 10 décembre 2013 que le représentant de la société [2] [O] [3], régulièrement convoqué le 5 novembre 2013 afin que lui soient notifiées les infractions douanières retenues à son encontre, ne s'est pas présenté auprès de l'administration.
31. La cour d'appel en conclut que la société [2] [O] [3] a bien été mise en mesure de solliciter auprès de l'administration la communication des documents visés dans l'avis d'enquête et de faire valoir ses moyens de défense dans un délai suffisant préalablement à l'établissement du procès-verbal d'infraction et avant la délivrance de l'avis de mise en recouvrement.
32. C'est à tort que la cour d'appel s'est fondée sur les dispositions de l'article 67 A du code des douanes.
33. En effet, il résulte de l'article 67 D du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de la loi de finances rectificative pour 2009, que ne s'appliquent pas aux décisions conduisant à la notification d'infractions prévues par le code des douanes les dispositions de l'article 67 A de ce code organisant la mise en oeuvre du droit d'être entendu préalablement à toute décision prise en application du code des douanes communautaire et de ses dispositions d'application, lorsqu'elle est défavorable ou lorsqu'elle notifie une dette douanière telle que définie à l'article 4, paragraphe 9, du code des douanes communautaire (Crim., 6 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.724).
34. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte de ses motifs que les prévenus, qui pouvaient solliciter auprès de l'administration des douanes la remise des documents sur lesquels était fondée sa décision, dont la liste leur avait été communiquée, avaient été mis en mesure de faire connaître leur point de vue sur les importations litigieuses dans un délai suffisant et en connaissance de cause.
35. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur les premiers moyens, pris en leurs cinquièmes branches
36. La question posée par les moyens est de savoir si une partie ayant obtenu du juge civil l'annulation de la procédure au cours de laquelle des infractions douanières ont été constatées par l'administration des douanes, peut invoquer l'autorité de la chose jugée de cette décision devant le juge pénal, saisi en vue de la répression de ces infractions.
37. L'action portée devant le juge civil tend à contester la validité de l'avis de mise en recouvrement émis par l'administration des douanes et des droits indirects en application de l'article 345 du code des douanes.
38. L'action portée devant le juge pénal tend à l'appréciation de la culpabilité de la personne poursuivie et à l'application, le cas échéant, des sanctions pénales et douanières prévues par le code des douanes.
39. Ces instances, si elles peuvent concerner les mêmes parties, n'ont ni le même objet, ni la même cause.
40. Cette distinction explique que la régularité de la procédure douanière puisse être appréciée différemment par les juridictions civiles et pénales. Les premières doivent s'assurer que l'administration des douanes a régulièrement établi un avis de mise en recouvrement, qui constitue un titre exécutoire par la loi et autorise en conséquence le recouvrement forcé de la créance sur les biens du débiteur, avant toute intervention judiciaire. Les secondes vérifient la régularité de la notification d'infractions douanières, dont les fondements juridiques et factuels seront discutés contradictoirement au cours de la procédure pénale préalablement à l'application de toute sanction.
41. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la décision du juge civil, saisi de la contestation de l'avis de mise en recouvrement de droits douaniers éludés, constatant une irrégularité de la procédure douanière, ne peut avoir au pénal l'autorité de la chose jugée et ne saurait s'imposer à la juridiction correctionnelle.
42. Le grief n'est donc pas fondé.
Sur les premiers moyens, pris en leurs quatrièmes branches
43. Les griefs, devenus sans objet du fait du rejet des deuxièmes, troisièmes et cinquièmes branches des moyens, doivent être écartés.
Sur le second moyen, pris en ses première deuxième et troisième branches, proposé pour M. [F] et la société [11] et le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]
Enoncé des moyens
44. Le moyen proposé pour M. [F] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :
« 1°/ que l'article 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union, sauf lorsque ces opérations ont été conçues artificiellement, soit que l'importateur titulaire des certificats n'assume aucun risque commercial, soit que la marge bénéficiaire de l'importateur soit insignifiante ou que les prix de la vente par les importateurs à l'acheteur dans l'Union soient inférieurs aux prix du marché ; qu'en se bornant à affirmer, pour juger que les infractions reprochées aux prévenus sont établies, que les agissements poursuivis sont constitutifs de manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 426-4 du code des douanes, sans jamais démontrer l'absence de risque commercial pour l'importateur ou le caractère insignifiant de la marge réalisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 426-4 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu' en se bornant à juger qu'en dépit de la régularité formelle de chaque opération, celles-ci, envisagées dans leur ensemble, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne, sans s'en expliquer davantage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et méconnu de plus fort les articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l'objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée ; qu'en déclarant le prévenu coupable de fausse déclaration en douane ou manoeuvre afin d'obtenir un remboursement, une exonération, une réduction ou un avantage attaché à l'import, infraction prévue par l'article 426 alinéa 1 4° du code des douanes, lorsque cette incrimination a été abrogée par l'article 30 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, entrée en vigueur le 27 décembre 2020, la cour d'appel a violé les articles 112-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
45. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [11] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :
« 1°/ que l'article 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007 doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union, sauf lorsque ces opérations ont été conçues artificiellement, soit que l'importateur titulaire des certificats n'assume aucun risque commercial, soit que la marge bénéficiaire de l'importateur soit insignifiante ou que les prix de la vente par les importateurs à l'acheteur dans l'Union soient inférieurs aux prix du marché ; qu'en se bornant à affirmer, pour juger que les infractions reprochées aux prévenus sont établies, que les agissements poursuivis sont constitutifs de manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 426-4 du code des douanes, sans jamais démontrer l'absence de risque commercial pour l'importateur ou le caractère insignifiant de la marge réalisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 426-4 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en se bornant à juger qu'en dépit de la régularité formelle de chaque opération, celles-ci, envisagées dans leur ensemble, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne, sans s'en expliquer davantage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale et méconnu de plus fort les articles 6, paragraphe 4, du règlement n° 341/2007, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'une loi nouvelle qui abroge une incrimination s'applique aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur et faisant l'objet de poursuites non encore terminées par une décision passée en force de chose jugée ; qu'en déclarant le prévenu coupable de fausse déclaration en douane ou manoeuvre afin d'obtenir un remboursement, une exonération, une réduction ou un avantage attaché à l'import, infraction prévue par l'article 426 alinéa 1, 4°, du code des douanes, lorsque cette incrimination a été abrogée par l'article 30 de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, entrée en vigueur le 27 décembre 2020, la cour d'appel a violé les articles 112-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
46. Les moyens sont réunis.
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [F] et la société [11], et le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]
47. Pour écarter le moyen tiré de l'application de la loi pénale plus douce, l'arrêt attaqué énonce que si le règlement (UE) n° 2020/760 du 17 décembre 2019, entré en application le 1er janvier 2021, a abrogé le règlement (CE) n° 341/2007 de la Commission du 29 mars 2007 et de l'article 426, 4°, du code des douanes, le premier précise néanmoins expressément que le second et le règlement d'exécution continuent de s'appliquer aux certificats d'importation et d'exportation qui ont été délivrés sur sa base jusqu'à l'expiration de ces certificats d'importation et d'exportation.
48. Il relève que, de même, si l'article 7 dudit règlement autorise la transmissibilité des certificats d'importation, celle-ci est soumise à des conditions strictes et qu'en tout état de cause la loi pénale en tant que telle n'a pas été abrogée, les articles 414 et 426, 4°, du code des douanes étant toujours en vigueur.
49. La cour d'appel en conclut que le règlement européen du 17 décembre 2019 n'a aucun impact sur la caractérisation des infractions, qu'à l'époque des faits les certificats n'étaient pas transmissibles et que les infractions étaient donc bien constituées.
50. C'est à tort que la cour d'appel a considéré que l'article 426, 4°, du code des douanes était toujours en vigueur.
51. En effet, ce texte a été abrogé par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020.
52. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure.
53. En effet, en premier lieu, il n'est pas contesté que les faits retenus contre les prévenus entrent tant dans les prévisions de l'article 426, 4°, du code des douanes, applicable au moment où ils ont été commis, que dans celles de l'article 414-2 dudit code applicable aujourd'hui, seules les peines plus douces encourues sous l'empire du premier texte pouvant être prononcées.
54. En second lieu, il résulte des articles 112-1 du code pénal et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 7 août 2018 (Clergeau e.a., n° C-115/17), que le principe de l'application immédiate de la loi pénale plus douce ne trouve pas à s'appliquer en cas d'abrogation des dispositions communautaires méconnues par les prévenus, lorsque les poursuites ont été engagées à raison d'un comportement qui reste incriminé et que les sanctions encourues n'ont pas été modifiées dans un sens moins sévère.
55. Les griefs ne sont donc pas fondés.
Sur le second moyen proposé pour M. [F] et la société [11] et le deuxième moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3], pris en leurs premières et deuxièmes branches
56. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 341/2007 de la Commission, du 29 mars 2007, portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires et instaurant un régime de certificats d'importation et de certificats d'origine pour l'ail et certains autres produits agricoles importés des pays tiers, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas, en principe, à des opérations par lesquelles un importateur, titulaire de certificats d'importation à taux réduit, achète une marchandise hors de l'Union européenne auprès d'un opérateur, lui-même importateur traditionnel au sens de l'article 4, paragraphe 2, de ce règlement, mais ayant épuisé ses propres certificats d'importation à taux réduit, puis la lui revend après l'avoir importée dans l'Union.
57. La Cour précise que toutefois, de telles opérations sont constitutives d'un abus de droit lorsqu'elles ont été conçues artificiellement dans le but essentiel de bénéficier du tarif préférentiel.
58. La Cour conclut qu'il appartient au juge national de vérifier l'existence d'une pratique abusive, en prenant en compte les faits et les circonstances de l'espèce, y compris les opérations commerciales précédant et suivant l'importation en cause (CJUE, arrêt du13 mars 2014, SICES e.a, C-155/13).
59. L'existence d'un abus de droit implique la réunion d'un élément objectif et d'un élément subjectif.
60. Ainsi, en premier lieu, il doit ressortir d'un ensemble de circonstances objectives que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l'Union, l'objectif poursuivi par cette réglementation n'a pas été atteint.
61. En second lieu, il doit être établi que le but essentiel des opérations en cause est l'obtention d'un avantage indu.
62. En l'espèce, pour déclarer les prévenus coupables du délit de fausses déclarations ayant pour effet d'obtenir en tout ou partie un remboursement, une exonération, un droit réduit ou un avantage, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il n'est pas contestable qu'au terme de l'enquête, le fait pour la société [5], qui avait épuisé son quota de certificats, d'avoir commandé de l'ail à son fournisseur argentin, de l'avoir revendu sous douane à [2] [O] [3] puis, de l'avoir acheté après dédouanement, lui a permis de ne pas payer le droit spécifique, même si prises individuellement, les opérations d'achat, d'importation et de revente sont juridiquement valides et que la discussion porte donc sur le point de savoir si ces opérations peuvent trouver une autre justification que celle de permettre à la société [5] d'importer de l'ail en exonération de droits spécifiques ou si celle-ci, avec la complicité de la société [2] [O] [3], a élaboré un montage commercial lui permettant de continuer à bénéficier des avantages tarifaires attachés aux certificats.
63. Il retient que lors de deux périodes situées entre le 7 janvier 2010 et le 1er mars 2010 et entre le 8 février 2011 et le 10 mars 2011, correspondant au moment où la société [5] avait épuisé ses certificats d'importation, cette dernière a procédé aux opérations suivantes : elle a continué à importer de l'ail argentin qu'elle a vendu avant dédouanement à différentes entités du groupe hollandais [2] [O] [3], alors que cette dernière société bénéficiait de certificats lui permettant d'être exonérée au moment du dédouanement du paiement de droits spécifiques ; immédiatement après dédouanement la société [5] a racheté exactement la quantité d'ail qu'elle avait préalablement vendue à un prix augmenté d'une marge de l'ordre de 5 à 7 %, puis, une fois dédouanée, la marchandise arrivée à [Localité 9] et stockée à [Localité 4], a été directement transportée à [Localité 8] dans les locaux de la société [5].
64. L'arrêt relève que la société [5] a toujours avancé deux arguments pour justifier économiquement ses opérations d'achat et de revente, à savoir d'une part que l'opération d'importation d'ail originaire d'Argentine et sa revente à la société [5] ont permis à la société [2] [O] [3] de bénéficier d'une marge de 5 à 7 % pour les années 2010 et 2011 entre la valeur d'achat et la valeur de revente, d'autre part que la société [2] [O] [3], qui disposait de certificats d'importation, avait tout intérêt à importer les quantités d'ailleurs reprises sur ces documents pour éviter de s'exposer à la sanction prévue par le règlement relatif aux contingents tarifaires de l'ail importé d'Argentine.
65. Il relève également que le détail des opérations d'achat et de revente réalisées permet de recenser trente-cinq opérations qui seraient d'après M. [F] de simples opérations spéculatives, ce dernier soutenant qu'il vend sa marchandise car il n'en a pas besoin et la rachète en fonction du marché, mais que ce n'est pas la société [2] [O] [3] qui est à l'origine de l'importation d'ail mais bien la société [5], qui achète l'ail en Argentine à son fournisseur et achemine ensuite la marchandise vers l'Union européenne, [2] [O] [3] ne procédant en fait qu'au dédouanement.
66. Les juges exposent que si la société [2] [O] [3] a certes un intérêt économique à procéder à la revente à [5] puisqu'elle en tire un bénéfice, il peut être remarqué également que cette dernière a perdu au total au moins en deux mois plus de 100 000 euros lors de ces opérations d'achat et de revente, que vingt-quatre des trente-cinq opérations d'achat/revente se déroulent dans la même journée ou sur deux jours, que les autres opérations se déroulent également dans un délai très court et que cette manière de procéder tend effectivement à démontrer que la société [5] est assurée de disposer d'une marchandise comme bon lui semble, qu'elle a pourtant vendue à [2] [O] [3] et dont elle n'est en conséquence plus le propriétaire.
67. Ils soulignent que l'argument de la simple logique spéculative invoqué par la défense cède au vu du constat des pertes de plus de 100 000 euros enregistrées par la société [5] sur la période considérée et engendrées par les transactions opérées avec [2] [O] [3], alors que le mécanisme suivi décrit, qui n'intervient que lorsque la société [5] ne dispose plus de ses propres certificats et qui représente environ 30 % de ses importations d'ail, lui permet d'éviter d'avoir à payer sur les quantités considérées 341 628 euros de droits spécifiques et que déduction faite du bénéfice réalisé par [2] [O] [3], soit 106 046 euros, la société [5] a pu bénéficier d'un gain net de 235 582 euros.
68. Ils en déduisent que la société [5] peut être donc considérée comme l'importateur effectif ayant bénéficié du tarif préférentiel auquel elle ne pouvait normalement pas prétendre.
69. Les juges ajoutent que les prévenus invoquent vainement la position de la Cour de justice de l'Union européenne qui leur permettrait selon eux désormais de procéder aux opérations considérées par les douanes comme litigieuses, l'application de la réglementation de l'Union ne pouvant être étendue jusqu'à couvrir des pratiques abusives d'opérateurs, c'est-à-dire des opérations réalisées non pas dans le cadre de transactions commerciales normales, mais seulement dans le but de tirer abusivement avantage du droit de l'Union.
70. Ils énoncent à ce titre qu'il ressort des éléments qui précèdent et en dépit de la régularité formelle de chaque opération, que celles-ci, envisagées dans leur ensemble, sur deux campagnes successives, ne permettent pas d'atteindre l'objectif poursuivi par la réglementation européenne.
71. Ils indiquent qu'il a pu être observé que la société [5] a procédé ainsi uniquement avec la société [2] [O] [3] et n'avait pas d'autres fournisseurs dans ce domaine spécifique et que les opérations ont ainsi permis à la société [5], acheteur dans l'Union, qui est également un importateur ayant épuisé ses propres certificats, de se fournir en ail importé à tarif préférentiel et d'étendre son influence sur le marché au-delà de la part du contingent tarifaire qui lui était attribuée.
72. Ils relèvent également que l'enquête a démontré que la marchandise provenant d'Argentine et vendue par la société [5] à [2] [O] [3], qui était rachetée le jour même de son dédouanement par [5], ne quittait jamais le territoire français après stockage et était directement acheminée dans les entrepôts de la société [5] sans jamais passer par les Pays-Bas, faisant de la société [5] le destinataire réel de la marchandise et qu'en outre, la société [5] assurait la totalité du transport et de la logistique, contactait d'ailleurs le commissionnaire en douane en vue du dédouanement pourtant réalisé au nom de [2] [O] [3] et in fine remboursait les droits de douane acquittés.
73. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments l'existence d'un abus de droit, a justifié sa décision.
74. En effet, en premier lieu, s'agissant de l'élément objectif de l'abus de droit et en ce qui concerne la finalité du règlement n° 341/2007, il ressort des considérants 13 et 14 de ce règlement, lus en combinaison avec les considérants 9 et 10 de ce même règlement, qu'il y a lieu, dans la gestion des contingents tarifaires, de sauvegarder la concurrence entre les véritables importateurs de sorte qu'aucun importateur individuel ne soit capable de contrôler le marché.
75. Or, les opérations litigieuses ne permettent pas d'atteindre cet objectif, dès lors qu'elles peuvent conduire l'acheteur dans l'Union, qui est également un importateur traditionnel ayant épuisé ses propres certificats « A » et n'étant par suite plus en mesure d'importer de l'ail au tarif préférentiel, de se fournir en ail importé à tarif préférentiel et d'étendre son influence sur le marché au-delà de la part du contingent tarifaire qui lui a été attribuée.
76. En second lieu, s'agissant de l'élément subjectif de l'abus de droit, il résulte des motifs de l'arrêt, que si les opérations litigieuses n'ont pas été dénuées de tout avantage pour la société [2] [O] [3], elles ont été conçues artificiellement dans le but essentiel de bénéficier du tarif préférentiel, l'importateur titulaire des certificats « A » n'ayant assumé aucun risque commercial.
77. Les griefs doivent en conséquence être écartés.
Mais sur le moyen additionnel, pris en sa première branche, proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3]
Enoncé du moyen
78. Le moyen proposé pour M. [O] et la société [2] [O] [3] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement sur la culpabilité, alors :
« 1°/ que l'article 399, § 1, du code des douanes punit « ceux qui ont participé comme intéressés d'une manière quelconque à un délit de contrebande ou à un délit d'importation ou d'exportation sans déclaration » ; qu'en retenant, pour déclarer la société [2] [O] [3] coupable de l'infraction de fausse déclaration en valeur prévue à l'article 412 du code des douanes, de nature contraventionnelle, que sa responsabilité est engagée en qualité d'intéressé à la fraude de l'infraction douanière relevée (arrêt attaqué p. 18), la cour d'appel a méconnu les articles 399, § 1 et 412 du code des douanes, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 399 du code des douanes :
79. Il résulte de ce texte que l'intéressement à la fraude n'est punissable que si cette fraude à un caractère délictuel.
80. Pour déclarer M. [O] et la société [2] [O] [3] coupables du chef de fausse déclaration en valeur, contravention prévue et réprimée par l'article 412 du code des douanes, l'arrêt attaqué, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de l'infraction, retient que leur responsabilité est engagée en qualité d'intéressés à la fraude.
81. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
82. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
83. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [O] et de la société [2] [O] [3] du chef de la contravention de fausse déclaration en valeur et à l'amende douanière de 1 500 euros prononcée en répression à leur encontre. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par M. [F] et la société [12] anciennement [6] :
REJETTE les pourvois ;
Sur les pourvois formés par M. [O] et la société [2] [O] [3] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 16 septembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [O] et de la société [2] [O] [3] du chef de la contravention de fausse déclaration en valeur et à l'amende douanière de 1 500 euros prononcée en répression à leur encontre, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf novembre deux mille vingt-deux. | Les dispositions de l'article 65 du code des douanes, qui prévoient au profit des agents des douanes un droit de communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, ainsi que celles de l'article 334 du même code, qui concernent uniquement la forme sous laquelle doivent être consignés les résultats des contrôles et enquêtes réalisés par ces agents, si elles ne leur interdisent pas de recueillir des déclarations spontanées relatives aux éléments communiqués, ne leur confèrent pas un pouvoir général d'audition.
La cour d'appel, qui rejette l'exception de nullité de l'audition pratiquée irrégulièrement par des agents des douanes, n'encourt néanmoins pas la censure dès lors que les juges, pour retenir la culpabilité des prévenus, se sont fondés sur d'autres éléments, soumis au débat contradictoire, notamment sur les constatations matérielles contenues dans les procès-verbaux |
8,273 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 novembre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1120 F-B
Pourvoi n° Y 21-14.664
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 NOVEMBRE 2022
L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) du Nord-Pas-de-Calais, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-14.664 contre l'arrêt rendu le 4 février 2021 par la cour d'appel d'Amiens (2e protection sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [T] [S], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société [4], société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. [S] et la société [4], et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 4 février 2021), la société [4] (la société) et M. [S], son ancien président, ont sollicité, sur le fondement de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, la restitution partielle par l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais (l'URSSAF) de la contribution visée à l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, versée en 2012.
2. Leurs demandes ayant été rejetées, ils ont saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'URSSAF fait grief à l'arrêt de faire droit au recours de la société, alors « que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; que lorsque la conformité à la Constitution d'une loi déjà promulguée est appréciée à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine, la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel peut prendre effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ; que le Conseil constitutionnel peut également déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition litigieuse a produits sont susceptibles d'être remis en cause ; qu'à défaut de précision dans la décision du Conseil constitutionnel, la déclaration d'inconstitutionnalité est ainsi réputée prendre effet à compter de la publication de la décision, sans remise en cause des effets que la disposition litigieuse a produits ; qu'en l'espèce, par une décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, à l'occasion de l'examen de dispositions de la loi de finances pour 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions, issues d'une précédente loi déjà promulguée, des cinquième et neuvième alinéas de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale et les mots : « et inférieure ou égale à 24 000 euros par mois » figurant aux quatrième et huitième alinéas de ce même article ; que dans cette décision, le Conseil constitutionnel n'a précisé ni date d'effet de cette déclaration d'inconstitutionnalité, ni remise en cause des effets produits par les dispositions concernées ; que cette déclaration d'inconstitutionnalité devait donc produire effet à compter de la date de publication de la décision, soit le 30 décembre 2012, de sorte que les contributions antérieurement versées au titre de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale ne devaient pas être remises en cause ; qu'en retenant néanmoins que la décision n° 2012-662 DC du Conseil constitutionnel devait être appliquée aux contributions versées au titre de l'année 2012 et que par conséquent l'URSSAF devait rembourser à la société la quote-part de la contribution prévue par l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale au taux de 21 %, qu'elle avait précomptée pour le compte de certains bénéficiaires de retraites à prestations définies au titre de l'année 2012, la cour d'appel a violé l'article 62 de la Constitution, ensemble l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, les rentes versées dans le cadre des régimes de retraite à prestations définies sont soumises à une contribution à la charge du bénéficiaire dont le taux est fixé, par les quatrième et huitième alinéas, à 14 % pour la part de ces rentes supérieure à 1 000 euros et inférieure ou égale à 24 000 euros par mois et, par les cinquième et neuvième alinéas, à 21 % pour la part de ces rentes supérieure à 24 000 euros par mois.
5. Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les cinquième et neuvième alinéas de l'article L. 137-11-1 et, aux quatrième et huitième alinéas, les mots : « et inférieure ou égale à 24 000 euros par mois. »
6. Rappelant que la conformité à la Constitution d'une loi déjà promulguée peut être appréciée à l'occasion de l'examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine, le Conseil constitutionnel a dit que l'article 3 de la loi de finances pour 2013 qui lui était déférée, instaurant une nouvelle tranche marginale d'imposition sur les revenus de 45 %, affectait le domaine d'application des dispositions de l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale.
7. Il a considéré, en effet, que le taux marginal maximal d'imposition pesant sur les rentes versées dans le cadre des régimes de retraite à prestations définies était porté, par suite de la modification prévue par l'article 3 et après prise en compte de la déductibilité d'une fraction de la contribution sociale généralisée ainsi que d'une fraction de la contribution prévue par l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale de l'assiette de l'impôt sur le revenu, à 75,04 % pour les rentes perçues en 2012 et à 75,34 % pour les rentes perçues à compter de 2013, que ce nouveau niveau d'imposition faisait peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives et qu'il était contraire au principe d'égalité devant les charges publiques.
8. Il en a déduit que pour remédier à l'inconstitutionnalité tenant à la charge excessive au regard des facultés contributives de certains contribuables percevant des rentes versées dans le cadre des régimes de retraite à prestations définies, les dispositions susvisées devaient être déclarées contraires à la Constitution.
9. À défaut de report dans le temps de ses effets, la déclaration d'inconstitutionnalité a pris effet à compter de la publication de la décision (Cons. Const., 13 juin 2013, décision n° 2013-672 DC ; Cons. Const., 18 octobre 2013, décision n° 2013-349 QPC ; Cons. Const., 24 octobre 2012, décision n° 2012-656 DC).
10. Il en résulte que les dispositions censurées ne s'appliquent pas aux rentes perçues en 2012 et soumises au nouveau barème d'imposition prévu par l'article 3 de la loi de finances pour 2013.
11. Dès lors, c'est sans encourir le grief du moyen, que la cour d'appel a dit que la quote-part de la contribution précomptée, en application de ces dispositions, par la société sur les rentes versées en 2012, devait lui être restituée.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais et la condamne à payer à la société [4] et M. [S] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'URSSAF du Nord-Pas-de-Calais
L'URSSAF Nord Pas-de-Calais fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à restituer à la société [4] la quote-part de la contribution prévue par l'article L.137-11-1 du code de la sécurité sociale au taux de 21%, qu'elle a précomptée pour le compte de certains bénéficiaires de retraites à prestations définies au titre de l'année 2012, à savoir MM. [P], [S], [Z] et [W] et Mme [M], pour un montant de 182 594,51 €, assorti des intérêts moratoires au taux légal à compter du 17 janvier 2014.
Alors que les décisions du Conseil Constitutionnel s'imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ; que lorsque la conformité à la Constitution d'une loi déjà promulguée est appréciée à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine, la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel peut prendre effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision ; que le Conseil constitutionnel peut également déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition litigieuse a produits sont susceptibles d'être remis en cause ; qu'à défaut de précision dans la décision du Conseil constitutionnel, la déclaration d'inconstitutionnalité est ainsi réputée prendre effet à compter de la publication de la décision, sans remise en cause des effets que la disposition litigieuse a produits ; qu'en l'espèce, par une décision n°2012-662 DC du 29 décembre 2012, à l'occasion de l'examen de dispositions de la loi de finances pour 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions, issues d'une précédente loi déjà promulguée, des cinquième et neuvième alinéas de l'article L.137-11-1 du code de la sécurité sociale et les mots : « et inférieure ou égale à 24 000 euros par mois » figurant aux quatrième et huitième alinéas de ce même article ; que dans cette décision, le Conseil constitutionnel n'a précisé ni date d'effet de cette déclaration d'inconstitutionnalité, ni remise en cause des effets produits par les dispositions concernées ; que cette déclaration d'inconstitutionnalité devait donc produire effet à compter de la date de publication de la décision, soit le 30 décembre 2012, de sorte que les contributions antérieurement versées au titre de l'article L.137-11-1 du code de la sécurité sociale ne devaient pas être remises en cause ; qu'en retenant néanmoins que la décision n°2012-662 DC du Conseil constitutionnel devait être appliquée aux contributions versées au titre de l'année 2012 et que par conséquent l'URSSAF Nord Pas-de-Calais devait rembourser à la société [4] la quote-part de la contribution prévue par l'article L.137-11-1 du code de la sécurité sociale au taux de 21%, qu'elle avait précomptée pour le compte de certains bénéficiaires de retraites à prestations définies au titre de l'année 2012, la cour d'appel a violé l'article 62 de la Constitution, ensemble l'article L.137-11-1 du code de la sécurité sociale. | Selon l'article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011, les rentes versées dans le cadre des régimes de retraite à prestations définies sont soumises à une contribution à la charge du bénéficiaire dont le taux est fixé, par les quatrième et huitième alinéas, à 14 % pour la part de ces rentes supérieure à 1 000 euros et inférieure ou égale à 24 000 euros par mois et, par les cinquième et neuvième alinéas, à 21 % pour la part de ces rentes supérieure à 24 000 euros par mois.
Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les cinquième et neuvième alinéas de l'article L. 137-11-1 et, aux quatrième et huitième alinéas, les mots : "et inférieure ou égale à 24 000 euros par mois."
A défaut de report dans le temps de ses effets, la déclaration d'inconstitutionnalité a pris effet à compter de la publication de la décision (décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 ; décision n° 2013-349 QPC du 18 octobre 2013 ; décision n° 2012-656 DC du 24 octobre 2012).
Il en résulte que les dispositions censurées ne s'appliquent pas aux rentes perçues en 2012 et soumises au nouveau barème d'imposition prévu par l'article 3 de la loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 |
8,274 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 novembre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1134 F-B
Pourvoi n° C 21-12.759
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 NOVEMBRE 2022
La caisse primaire d'assurance maladie du Var, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-12.759 contre l'arrêt rendu le 8 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-8), dans le litige l'opposant à la société Hôpital [4] - [6], société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], prise en son établissement, la société Hôpital [4] - Clinique [5], [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Var, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Hôpital privé [4] - [5], et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 janvier 2021), à la suite d'un contrôle de facturation réalisé au sein de la société Hôpital privé [4] - [5] (l'établissement de santé) pour les années 2011 et 2012, la caisse primaire d'assurance maladie du Var (la caisse) a, par lettre recommandée du 11 août 2014, notifié à l'établissement de santé une pénalité financière.
2. L'établissement de santé a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt d'annuler la procédure de pénalité financière, alors « qu'aux termes des articles L. 162-1-14 et R. 147-2, III, du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable en l'espèce, la voie de recours ouverte à l'établissement de soins pour contester la pénalité qui lui était notifiée par la caisse était la saisine du tribunal ; qu'en l'espèce, en retenant qu'en invitant l'établissement de santé à saisir directement le tribunal des affaires de sécurité sociale plutôt que la commission de recours amiable, dès la notification de la pénalité, la caisse n'aurait pas respecté les droits de l'établissement en le privant d'une voie de recours, la cour d'appel a violé les articles L. 162-1-14 et R. 147-2, III, du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 162-1-14 et R. 147-2, III, du code de la sécurité sociale, le premier alors en vigueur et le second dans sa rédaction applicable au litige :
4. Aux termes du premier de ces textes, la pénalité est motivée et peut être contestée devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.
5. Selon le second, la notification de payer précise la cause, la nature, le montant des sommes réclamées au titre de la pénalité ou de chacune des pénalités prononcées et mentionne l'existence d'un délai d'un mois à partir de sa réception, imparti au débiteur pour s'acquitter des sommes réclamées, ainsi que les voies et délais de recours.
6. Il en résulte que la contestation de la pénalité financière notifiée à un professionnel de santé est portée devant la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale, sans qu'il y ait lieu de saisir, au préalable, la commission de recours amiable.
7. Pour annuler la pénalité financière, l'arrêt relève que l'article R. 142-1 du code de la sécurité sociale impose la saisine préalable de la commission de recours amiable pour contester toute décision d'un organisme de sécurité sociale. Il ajoute qu'en invitant l'établissement de santé à saisir directement le tribunal des affaires de sécurité sociale plutôt que la commission de recours amiable, dès la notification de la pénalité, la caisse n'a pas respecté les droits de cet établissement en le privant d'une voie de recours.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Hôpital privé [4] - [5] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Hôpital privé [4] - [5] et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Var la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var
La caisse primaire d'assurance maladie du Var fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR annulé la procédure de pénalité financière de 789 594 euros objet de la notification à l'hôpital [4]-[5] en date du 11 août 2014 et de l'avoir condamnée à lui payer la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
ALORS QU'aux termes des articles L.162-1-14 et R.147-2 III du code de la sécurité sociale, dans leur version applicable en l'espèce, la voie de recours ouverte à l'établissement de soins pour contester la pénalité qui lui était notifiée par la caisse était la saisine du tribunal ; qu'en l'espèce, en retenant qu'en invitant l'établissement de santé à saisir directement le tribunal des affaires de sécurité sociale plutôt que la commission de recours amiable, dès la notification de la pénalité, la CPAM du Var n'aurait pas respecté les droits de l'établissement en le privant d'une voie de recours, la cour d'appel a violé les articles L.162-1-14 et R.147-2 III du code de la sécurité sociale. | Il résulte des articles L. 162-1-14 et R. 147-2, III, du code de la sécurité sociale que la contestation de la pénalité financière notifiée à un professionnel de santé est portée devant la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale, sans qu'il y ait lieu de saisir, au préalable, la commission de recours amiable |
8,275 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 novembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1140 F-B
Pourvois n°
A 20-22.275
Z 21-10.157 Jonction
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 NOVEMBRE 2022
I. L'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'Allocations familiales (URSSAF) d'Aquitaine, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 20-22.275 contre l'arrêt n° RG : 18/01298 rendu le 12 novembre 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à la société Mutuelle assurance des instituteurs de France, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesse à la cassation.
II. La société Mutuelle assurance des instituteurs de France a formé le pourvoi n° Z 21-10.157 contre le même arrêt rendu dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Aquitaine,
défenderesse à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° A 20-22.275 invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi n° Z 21-10.157 invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF d'Aquitaine, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Mutuelle assurance des instituteurs de France, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 20-22.275 et Z 21-10.157 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 12 novembre 2020), à la suite d'un contrôle de la société Mutuelle assurance des instituteurs de France (la cotisante), portant sur les années 2009 à 2011, l'URSSAF de la Gironde, aux droits de laquelle vient l'URSSAF d'Aquitaine (l'URSSAF) a adressé à celle-ci une lettre d'observations, le 18 septembre 2012, suivie d'une mise en demeure portant sur la réintégration dans l'assiette de la contribution due par toute personne soumise à l'obligation d'assurance en matière de circulation de véhicules terrestre à moteur des frais d'échéance et des droits d'adhésion facturés aux assurés.
3. La cotisante a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi n° A 20-22.275, et le troisième moyen du pourvoi n° Z 21-10.157, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi n° A 20-22.275, qui est irrecevable, ni sur le troisième moyen du pourvoi n° Z 21-10.157, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen du pourvoi n° Z 21-10.157
Enoncé du moyen
5. La cotisante fait grief à l'arrêt de valider partiellement la mise en demeure, alors :
« 1°/ que l'article L. 211-1 du code des assurances instaure une obligation d'assurance en matière de circulation des véhicules terrestres à moteur ; que selon l'article L. 137-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 applicable du 1er janvier 2004 au 1er janvier 2016, « une contribution est due par toute personne physique ou morale qui est soumise à l'obligation d'assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur [VTM] instituée par l'article L. 211-1 du code des assurances. Le taux de la contribution est fixé à 15 % du montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation afférentes à l'assurance obligatoire susmentionnée » ; que l'article L. 137-7 du même code confirme que le produit de cette contribution TVTM « correspond au montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance émises » ; qu'en vertu de ces textes, la contribution porte ainsi sur les primes ou cotisations d'assurance afférentes à la responsabilité civile en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur ; que sont en revanche exclus de l'assiette de la TVTM : i. les sommes perçues par l'assureur autres que les primes ou cotisations d'assurance ; ii. les frais non inhérents à la garantie d'assurance, iii. les frais inhérents à la garantie d'assurance mais non afférents aux garanties de responsabilité civile ; que les frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique - majorés de 6,10 € hors taxes à 10,06 € hors taxes pour les sociétaires non prélevés - ne sont pas la contrepartie de la ou des garanties souscrites par les assurés et n'ouvrent aucun droit supplémentaire pour ces derniers ; qu'étant non inhérents à la garantie d'assurance, les frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique ne rentrent pas dans l'assiette de la TVTM ; que pour retenir au contraire un principe d'assujettissement à la TVTM de ces frais et valider le redressement infligé à la société pour une part correspondant à la couverture de la responsabilité civile obligatoire, la cour d'appel a déduit des dispositions de l'article L. 137-7 - en ce qu'elles prévoient la déduction d'un prélèvement de 0,8 % destiné à compenser les frais de collecte de la contribution TVTM - que « le montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance entrant dans l'assiette de la contribution instituée par l'article L. 137-6 inclut les frais de gestion et de recouvrement qui en constituent un élément après déduction du prélèvement destiné à les compenser », et que, pour la fixation de l'assiette de la TVTM, la loi ne fait pas distinction entre le montant de la prime stricto sensu et les accessoires de la prime, de sorte que « la prime s'entendait de tout ce qui formait le prix de l'assurance » ; qu'en statuant ainsi alors que les frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique ne sont ni une prime d'assurance, ni des frais inhérents à la prime d'assurance de responsabilité civile, et ne participent pas au « prix de l'assurance », mais constituent des frais non inhérents à la garantie d'assurance liés à la hausse des coûts générés par l'absence de recours au prélèvement, de sorte qu'ils ne rentrent pas, même pour partie, dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a violé les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble l'article L. 211-1 du code des assurances ;
2°/ que la cour d'appel a de même retenu que « la cotisante ne justifie pas que les frais d'échéance majorés de 6,10 euros hors taxes à 10,06 euros hors taxes pour les sociétaires non prélevés, correspondent à des frais supplémentaires liés à un mode de paiement particulier, plus précisément elle ne démontre pas qu'ils sont facturés à la suite d'une demande spécifique de l'assuré » ; qu'en se fondant sur de tels motifs, impropres à établir que ce surcoût participait au financement de l'obligation d'assurance de responsabilité civile à raison des dommages causés par un véhicule terrestre à moteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 ensemble l'article L. 211-1 du code des assurances ;
3°/ que pour inclure les frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a de même retenu, à supposer adoptés ces motifs du jugement, que « par primes ou cotisations, il faut entendre tout ce qui forme le prix de l'assurance, à savoir toutes les sommes hors taxes que l'assuré doit payer à l'assureur pour être couvert dans le cadre de la responsabilité civile obligatoire sans qu'il y ait lieu d'opérer une distinction entre la fraction de la prime ou cotisation représentant le risque assuré par la société d'assurance et la fraction correspondant aux frais de fonctionnement ou aux frais de gestion entraînés par les opérations de couverture du risque responsabilité civile ; c'est en effet ce prix-là qu'il incombe à l'assuré de payer pour être couvert » ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à conférer la nature de prime d'assurance aux frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique et à justifier qu'ils soient inclus, même partiellement, dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble l'article L. 211-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article L. 137-7 du code de la sécurité sociale que le montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance entrant dans l'assiette de la contribution instituée par l'article L. 137-6 de ce code inclut les frais de gestion qui en constituent un élément après déduction du prélèvement destiné à les compenser.
7. L'arrêt énonce que la prime s'entend de tout ce qui forme le prix de l'assurance, soit toutes les sommes hors taxes que l'assuré s'engage à payer à l'assureur pour être garanti des risques prévus au contrat. Il retient que les frais d'échéance s'imposent à l'assuré. Il constate que la cotisante ne justifie pas que les frais d'échéance majorés pour les sociétaires ne faisant pas l'objet d'un prélèvement correspondent à des frais supplémentaires liés à un mode de paiement particulier, ni qu'ils sont facturés à la suite d'une demande spécifique de l'assuré.
8. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que les frais d'échéance constituent des frais de gestion qui entrent dans l'assiette de la contribution, de sorte qu'elle a légalement justifié sa décision.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° Z 21-10.157, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
10. La cotisante fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'article L. 211-1 du code des assurances instaure une obligation d'assurance en matière de circulation des véhicules terrestres à moteur ; que selon l'article L. 137-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 applicable du 1er janvier 2004 au 1er janvier 2016, « une contribution est due par toute personne physique ou morale qui est soumise à l'obligation d'assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur [VTM] instituée par l'article L. 211-1 du code des assurances. Le taux de la contribution est fixé à 15 % du montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation afférentes à l'assurance obligatoire susmentionnée » ; que l'article L. 137-7 du même code précise que le produit de cette contribution TVTM « correspond au montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance émises » ; qu'en vertu de ces textes, la contribution porte ainsi sur les primes ou cotisations d'assurance afférentes à la responsabilité civile en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur ; que sont en revanche exclus de l'assiette de la TVTM : i. les sommes perçues par l'assureur autres que les primes ou cotisations d'assurance ; ii. les frais non inhérents à la garantie d'assurance, iii. les frais inhérents à la garantie d'assurance mais non afférents aux garanties de responsabilité civile ; que le droit d'adhésion est un apport, visant à alimenter le fonds d'établissement des sociétés d'assurance mutuelle (SAM), versé par le sociétaire en cette qualité à raison de sa seule adhésion à la SAM, en contrepartie de laquelle il reçoit une part sociale et dispose d'un droit de vote ; qu'étant non inhérent à la garantie d'assurance, le droit d'adhésion ne rentre pas dans l'assiette de la TVTM ; que pour retenir au contraire un « principe d'assujettissement des droits d'adhésion » et valider le redressement pour une part correspondant à la couverture de la responsabilité civile obligatoire, la cour d'appel a retenu qu'il se déduit des dispositions de l'article L. 137-7 du code « que le montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance entrant dans l'assiette de la contribution instituée par l'article L. 137-6 inclut les frais de gestion et de recouvrement qui en constituent un élément après déduction du prélèvement destiné à les compenser », que l'article L. 137-7 prévoit un abattement de 0,8 % pour les frais de collecte, que pour la fixation de l'assiette de la TVTM la loi ne fait pas de distinction entre le montant de la prime stricto sensu et les accessoires de la prime, et enfin que « la prime s'entendait de tout ce qui formait le prix de l'assurance » ; qu'en statuant ainsi alors que les droits d'adhésion ne sont ni une prime d'assurance, ni un frais inhérent à la garantie d'assurance de responsabilité civile, et ne participent pas au « prix de l'assurance », mais constituent un apport visant à alimenter le fonds d'établissement des sociétés d'assurance mutuelle en contrepartie duquel les assurés deviennent sociétaires et disposent de parts sociales et d'un droit de vote, de sorte qu'ils ne rentrent pas, même pour partie, dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a violé les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble les articles L. 211-1 et R. 322-47 du code des assurances ;
2°/ que les droits d'adhésion constituent, tel que le précise l'article 209 IV du code général des impôts, un « apport » de l'assuré ; que tel que le précise le Conseil d'Etat « Le droit d'adhésion est, en conséquence, d'une autre nature que la cotisation ou prime d'assurance qui constitue la contrepartie d'une opération d'assurance donnant droit à une prestation en cas de réalisation du risque stipulé dans la convention à laquelle ils se rattachent » (CE 22 nov. 2017, n° 406943, MACIF, mentionné dans les tables du recueil Lebon) ; que ne constituant pas une prime ou cotisation d'assurance, cet apport au fonds d'établissement ne rentre pas dans l'assiette de la TVTM ; qu'en se fondant au contraire, pour considérer que les droits d'adhésion rentraient dans l'assiette de la TVTM, sur les motifs selon lesquels les droits d'adhésion correspondaient à des sommes hors taxes que l'assuré devait payer à l'assureur pour être couvert dans le cadre de la responsabilité civile obligatoire, en méconnaissance de la nature d'apport de ces droits d'adhésion, la cour d'appel a violé les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble les articles L. 211-1 et R. 322-47 du code des assurances et 209 IV du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code de la sécurité sociale, R. 322-47, 5° et 6°, du code des assurances :
11. Il résulte du dernier de ces textes que, contribuant au financement du fonds d'établissement, qui constitue l'équivalent de capitaux propres pour une société d'assurance mutuelle, et non à celui de son exploitation, le droit d'adhésion qu'il prévoit a pour seule contrepartie l'acquisition de la qualité de sociétaire.
12. Il s'ensuit que le droit d'adhésion est d'une autre nature que la cotisation ou prime d'assurance qui constitue la contrepartie d'une opération d'assurance donnant droit à une prestation en cas de réalisation du risque stipulé dans la convention à laquelle ils se rattachent, de sorte qu'il n'entre pas dans l'assiette de la contribution prévue par les deux premiers de ces textes.
13. L'arrêt énonce que la prime s'entend de tout ce qui forme le prix de l'assurance, soit toutes les sommes hors taxes que l'assuré s'engage à payer à l'assureur pour être garanti des risques prévus au contrat. Il constate que les statuts de la société prévoient que l'admission d'un adhérent est subordonnée au paiement par ce dernier d'un droit d'adhésion lors de la souscription de son premier contrat. Il retient que les frais d'entrée s'imposent à l'assuré.
14. En statuant ainsi, alors que le droit d'adhésion payé par l'assuré à la souscription de son premier contrat ne constitue pas des frais de gestion, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de remise totale des majorations de retard formulée par la société MAIF et en ce qu'il fixe le point de départ des intérêts de retard au taux légal sur l'indu, l'arrêt rendu le 12 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Condamne l'URSSAF d'Aquitaine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF d'Aquitaine et la condamne à payer à la société Mutuelle assurance des instituteurs de France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi n° A 20-22.275 par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'URSSAF d'Aquitaine
L'URSSAF Aquitaine fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR validé la mise en demeure en date du 24 décembre 2012 pour un montant ramené à la somme de 1.055.276 euros au titre des cotisations outre des majorations de retard y afférentes initiales et complémentaires et d'AVOIR condamné l'URSSAF Aquitaine à restituer à la MAIF la somme de 630.356 euros au titre des cotisations indûment perçues outre la somme de 196.940 euros au titre des majorations indûment perçues, sous réserve de la déduction des majorations de retard effectivement dues qui devront être recalculées en fonction du nouveau montant du redressement,
1/ ALORS QUE l'employeur doit produire au moment des opérations de contrôle diligentées par les inspecteurs du recouvrement les éléments nécessaires à la détermination des cotisations dues ; qu'en l'espèce, il ressortait de la lettre d'observations que les inspecteurs du recouvrement s'étaient vus remettre lors des opérations de contrôle les bases déclarées à l'Autorité de Contrôle Prudentiel, les déclarations adressées à l'URSSAF, les balances (balances générales des comptes et balances des comptes par catégories ministérielles) et la note interne relative aux montants des frais accessoires et à leur taxation (lettre d'observations p.3) ; qu'en se fondant sur un extrait de l'état C10 prévu par l'article A 344-10 du code des assurances ainsi qu'un récapitulatif des assiettes de taxes pour minorer le montant du redressement quand ces pièces avaient exclusivement été produites lors la phase contentieuse du litige et n'avaient pas été communiquées à l'Inspecteur du recouvrement lors du contrôle, la cour d'appel a violé les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code de la sécurité sociale, ensemble l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale,
2/ ALORS QUE les constatations des inspecteurs du recouvrement ne peuvent être combattues par la seule affirmation contraire du cotisant ; qu'en se fondant sur les déclarations de la Responsable du service qualité au sein de la MAIF pour retenir qu'il était acquis que les pièces produites par la MAIF dans le cadre du contentieux avaient déjà été soumises aux inspecteurs du recouvrement lors des opérations de contrôle quand il ressortait des constatations des inspecteurs du recouvrement, lesquelles font foi jusqu'à preuve contraire, que ces pièces n'avaient pas été transmises à l'Inspecteur du recouvrement, la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353 du code civil,
3/ ALORS QUE, en toute hypothèse, l'assiette de la contribution sur les véhicules terrestres à moteur est constituée de l'intégralité du prix de l'assurance responsabilité civile automobile, y incluant les frais d'échéance payés annuellement par le sociétaire ; que, les frais d'échéance étant forfaitaires, leur montant ne varie pas en fonction du nombre de garanties souscrites ; qu'il en résulte qu'ils sont dus en leur intégralité du seul fait de la souscription à l'assurance responsabilité civile automobile et doivent être assujettis à la contribution sur les véhicules terrestres à moteur dès lors que cette assurance a été souscrite ; qu'en jugeant que, lorsque le sociétaire avait souscrit une assurance responsabilité civile ainsi que des garanties complémentaires, il convenait de proratiser le montant des frais d'échéance en assujettissant à la contribution sur les véhicules terrestres à moteur les frais d'échéance afférents à la seule assurance responsabilité civile automobile, la cour d'appel a violé les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code de la sécurité sociale. Moyens produits au pourvoi n° Z 21-10.157 par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF)
PREMIER MOYEN DE CASSATION
(Intégration des droits d'adhésion dans l'assiette de la TVTM)
La MAIF fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR validé la mise en demeure du 24 décembre 2012 pour un montant ramené à la somme de 1.055.276 euros au titre des cotisations, outre les majorations de retard y afférentes initiales et complémentaires, d'AVOIR déclaré acquis à l'URSSAF d'Aquitaine la somme de 1.055.276 € au titre des cotisations, outre les majorations de retard initiales et complémentaires afférentes réglées par la MAIF et d'AVOIR condamné l'URSSAF d'Aquitaine à ne restituer à la MAIF que la somme de 630.356 € au titre des cotisations indûment perçues outre la somme de 196.940 € au titre des majorations indûment perçues, sous réserve de la déduction des majorations de retard effectivement dues qui devront être recalculées en fonction du nouveau montant du redressement soit 1.055.276 € ;
1. ALORS QUE l'article L. 211-1 du code des assurances instaure une obligation d'assurance en matière de circulation des véhicules terrestres à moteur ; que selon l'article L. 137-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue de la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003 applicable du 1er janvier 2004 au 1er janvier 2016, « une contribution est due par toute personne physique ou morale qui est soumise à l'obligation d'assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur [VTM] instituée par l'article L. 211-1 du code des assurances. Le taux de la contribution est fixé à 15 % du montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation afférentes à l'assurance obligatoire susmentionnée » ; que l'article L. 137-7 du même code précise que le produit de cette contribution TVTM « correspond au montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance émises » ; qu'en vertu de ces textes, la contribution porte ainsi sur les primes ou cotisations d'assurance afférentes à la responsabilité civile en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur ; que sont en revanche exclus de l'assiette de la TVTM : i. les sommes perçues par l'assureur autres que les primes ou cotisations d'assurance ; ii. les frais non-inhérents à la garantie d'assurance, iii. les frais inhérents à la garantie d'assurance mais non-afférents aux garanties de responsabilité civile ; que le droit d'adhésion est un apport, visant à alimenter le fonds d'établissement des sociétés d'assurance mutuelle (SAM), versé par le sociétaire en cette qualité à raison de sa seule adhésion à la SAM, en contrepartie de laquelle il reçoit une part sociale et dispose d'un droit de vote ; qu'étant non-inhérent à la garantie d'assurance, le droit d'adhésion ne rentre pas dans l'assiette de la TVTM ; que pour retenir au contraire un « principe d'assujettissement des droits d'adhésion » (arrêt p. 6 § 2) et valider le redressement pour une part correspondant à la couverture de la responsabilité civile obligatoire, la cour d'appel a retenu qu'il se déduit des dispositions de l'article L. 137-7 du code « que le montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance entrant dans l'assiette de la contribution instituée par l'article L. 137-6 inclut les frais de gestion et de recouvrement qui en constituent un élément après déduction du prélèvement destiné à les compenser », que l'article L. 137-7 prévoit un abattement de 0,8 % pour les frais de collecte, que pour la fixation de l'assiette de la TVTM la loi ne fait pas de distinction entre le montant de la prime stricto sensu et les accessoires de la prime, et enfin que « la prime s'entendait de tout ce qui formait le prix de l'assurance » (arrêt p. 5 et 6) ; qu'en statuant ainsi alors que les droits d'adhésion ne sont ni une prime d'assurance, ni un frais inhérent à la garantie d'assurance de responsabilité civile, et ne participent pas au « prix de l'assurance », mais constituent un apport visant à alimenter le fonds d'établissement des sociétés d'assurance mutuelle en contrepartie duquel les assurés deviennent sociétaires et disposent de parts sociales et d'un droit de vote, de sorte qu'ils ne rentrent pas, même pour partie, dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a violé les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble les articles L. 211-1 et R. 322-47 du code des assurances ;
2. ALORS DE MEME QUE les droits d'adhésion constituent, tel que le précise l'article 209 IV du code général des impôts, un « apport » de l'assuré ; que tel que le précise le Conseil d'Etat « Le droit d'adhésion est, en conséquence, d'une autre nature que la cotisation ou prime d'assurance qui constitue la contrepartie d'une opération d'assurance donnant droit à une prestation en cas de réalisation du risque stipulé dans la convention à laquelle ils se rattachent » (CE 22 nov. 2017, n° 406943, MACIF, mentionné dans les tables du recueil Lebon) ; que ne constituant pas une prime ou cotisation d'assurance, cet apport au fonds d'établissement ne rentre pas dans l'assiette de la TVTM ; qu'en se fondant au contraire, pour considérer que les droits d'adhésion rentraient dans l'assiette de la TVTM, sur les motifs selon lesquels les droits d'adhésion correspondaient à des sommes hors taxes que l'assuré devait payer à l'assureur pour être couvert dans le cadre de la responsabilité civile obligatoire (arrêt p. 5 § 5 et p. 6 § 1), en méconnaissance de la nature d'apport de ces droits d'adhésion, la cour d'appel a violé les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble les articles L. 211-1 et R. 322-47 du code des assurances et 209 IV du code général des impôts ;
3. ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QU'en ne répondant pas au moyen par lequel la MAIF a soutenu qu'en vertu de ses statuts, ainsi que des articles R. 322-47-6° du code des assurances et 209 IV du code général des impôts, les sommes reçues par la MAIF sous la forme de frais d'adhésion constituent un apport de l'assuré destiné à alimenter le fonds d'établissement de la société et donnent droit à une part sociale en qualité de sociétaire et à un droit de vote (conclusions p. 7 § 9), de sorte qu'elles ne participent pas au prix de l'assurance et n'ont pas à être intégrées dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4. ALORS QUE pour inclure les droits d'adhésion dans l'assiette de la TVTM la cour d'appel a retenu, à supposer adoptés ces motifs du jugement, que « l'admission à la société est subordonnée à l'engagement par l'adhérent d'acquitter, au moment de la souscription de son premier contrat, un droit d'adhésion dont le montant est fixé annuellement par le conseil d'administration lors de la première réunion qui suit l'assemblée » (jugement p. 7 § 2) ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à conférer aux droits d'adhésion la nature de prime d'assurance et à justifier qu'ils soient inclus dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble les articles L. 211-1 et R. 322-47 du code des assurances.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
(Intégration dans l'assiette de la TVTM de la part des frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique autre que le prélèvement)
La MAIF fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR validé la mise en demeure du 24 décembre 2012 pour un montant ramené à la somme de 1.055.276 euros au titre des cotisations, outre les majorations de retard y afférentes initiales et complémentaires, d'AVOIR déclaré acquis à l'URSSAF d'Aquitaine la somme de 1.055.276 € au titre des cotisations, outre les majorations de retard initiales et complémentaires afférentes réglées par la MAIF et d'AVOIR condamné l'URSSAF d'Aquitaine à ne restituer à la MAIF que la somme de 630.356 € au titre des cotisations indûment perçues outre la somme de 196.940 € au titre des majorations indûment perçues, sous réserve de la déduction des majorations de retard effectivement dues qui devront être recalculées en fonction du nouveau montant du redressement soit 1.055.276 € ;
1. ALORS QUE l'article L. 211-1 du code des assurances instaure une obligation d'assurance en matière de circulation des véhicules terrestres à moteur ; que selon l'article L. 137-6 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue de la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003 applicable du 1er janvier 2004 au 1er janvier 2016, « une contribution est due par toute personne physique ou morale qui est soumise à l'obligation d'assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur [VTM] instituée par l'article L. 211-1 du code des assurances. Le taux de la contribution est fixé à 15 % du montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation afférentes à l'assurance obligatoire susmentionnée » ; que l'article L. 137-7 du même code confirme que le produit de cette contribution TVTM « correspond au montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance émises » ; qu'en vertu de ces textes, la contribution porte ainsi sur les primes ou cotisations d'assurance afférentes à la responsabilité civile en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur ; que sont en revanche exclus de l'assiette de la TVTM : i. les sommes perçues par l'assureur autres que les primes ou cotisations d'assurance ; ii. les frais non-inhérents à la garantie d'assurance, iii. les frais inhérents à la garantie d'assurance mais non-afférents aux garanties de responsabilité civile ; que les frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique - majorés de 6,10 € hors taxe à 10,06 € hors taxe pour les sociétaires non prélevés - ne sont pas la contrepartie de la ou des garanties souscrites par les assurés et n'ouvrent aucun droit supplémentaire pour ces derniers ; qu'étant non-inhérents à la garantie d'assurance, les frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique ne rentrent pas dans l'assiette de la TVTM ; que pour retenir au contraire un principe d'assujettissement à la TVTM de ces frais et valider le redressement infligé à la société pour une part correspondant à la couverture de la responsabilité civile obligatoire, la cour d'appel a déduit des dispositions de l'article L. 137-7 - en ce qu'elles prévoient la déduction d'un prélèvement de 0,8% destiné à compenser les frais de collecte de la contribution TVTM - que « le montant des primes, cotisations ou fractions de prime ou de cotisation d'assurance entrant dans l'assiette de la contribution instituée par l'article L. 137-6 inclut les frais de gestion et de recouvrement qui en constituent un élément après déduction du prélèvement destiné à les compenser », et que, pour la fixation de l'assiette de la TVTM, la loi ne fait pas distinction entre le montant de la prime stricto sensu et les accessoires de la prime, de sorte que « la prime s'entendait de tout ce qui formait le prix de l'assurance » (arrêt p. 5 et 6) ; qu'en statuant ainsi alors que les frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique ne sont ni une prime d'assurance, ni des frais inhérents à la prime d'assurance de responsabilité civile, et ne participent pas au « prix de l'assurance », mais constituent des frais non-inhérents à la garantie d'assurance liés à la hausse des coûts générés par l'absence de recours au prélèvement, de sorte qu'ils ne rentrent pas, même pour partie, dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a violé les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble l'article L. 211-1 du code des assurances ;
2. ALORS QUE la cour d'appel a de même retenu que « la MAIF ne justifie pas que les frais d'échéance majorés de 6,10 euros hors-taxes à 10,06 euro hors-taxes pour les sociétaires non prélevés, correspondent à des frais supplémentaires liés à un mode de paiement particulier, plus précisément elle ne démontre pas qu'ils sont facturés à la suite d'une demande spécifique de l'assuré » ; qu'en se fondant sur de tels motifs, impropres à établir que ce surcoût participait au financement de l'obligation d'assurance de responsabilité civile à raison des dommages causés par un véhicule terrestre à moteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003 ensemble l'article L.211-1 du code des assurances ;
3. ALORS QUE pour inclure les frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique dans l'assiette de la TVTM la cour d'appel a de même retenu, à supposer adoptés ces motifs du jugement, que « par primes ou cotisations, il faut entendre tout ce qui forme le prix de l'assurance, à savoir toutes les sommes hors taxes que l'assuré doit payer à l'assureur pour être couvert dans le cadre de la responsabilité civile obligatoire sans qu'il y ait lieu d'opérer une distinction entre la fraction de la prime ou cotisation représentant le risque assuré par la société d'assurance et la fraction correspondant aux frais de fonctionnement ou aux frais de gestion entraînés par les opérations de couverture du risque responsabilité civile ; c'est en effet ce prix-là qu'il incombe à l'assuré de payer pour être couvert » (jugement p. 6 § 4) ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à conférer la nature de prime d'assurance aux frais d'échéance correspondant à un mode de paiement spécifique et à justifier qu'ils soient inclus, même partiellement, dans l'assiette de la TVTM, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 137-6 et L. 137-7 du code la sécurité sociale dans leur version issue de la loi n°2003-1199 du 18 décembre 2003, ensemble l'article L. 211-1 du code des assurances.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
(Point de départ des intérêts légaux)
La MAIF fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fait produire intérêt aux taux légal aux sommes que l'URSSAF d'Aquitaine a été condamnée à restituer à la MAIF à compter seulement du 15 janvier 2016.
ALORS QUE celui qui a reçu une somme qui ne lui était pas due, est obligé de la restituer avec les intérêts moratoires au jour de la demande de remboursement, dès lors que le montant de ladite somme peut être déterminé ; qu'une demande de paiement vaut sommation de payer ou interpellation suffisante au sens de l'article 1153 du code civil, devenu l'article 1231-6, dès lors que le montant en est déterminable, ce qui fait courir les intérêts moratoires ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt que consécutivement au paiement avec réserves des montants visés dans la mise en demeure du 24 décembre 2012, la MAIF a saisi le 23 janvier 2013 la commission de recours amiable d'une demande d'annulation de la mise en demeure, demande réitérée lors de la saisine du TASS le 18 avril 2013 ; que pour décider, s'agissant des sommes que l'URSSAF d'Aquitaine a été condamnée à restituer à la MAIF, que les intérêts légaux ne commençaient à courir qu'à compter du 15 janvier 2016, la cour d'appel a retenu que la requête aux fins de saisine de la commission de recours amiable du 23 janvier 2013 ne produisait pas les effets d'une mise en demeure en ce qu'elle ne comportait aucune demande en restitution des sommes payées par la MAIF et que la MAIF ne produisait aucune pièce permettant d'établir qu'elle avait sollicité le remboursement de l'indu avant le 15 janvier 2016 (arrêt p. 7 dernier §) ; qu'en statuant ainsi alors que la demande de remboursement des cotisations s'évinçait implicitement et nécessairement de la demande d'annulation du redressement formulée dès la saisine de la Commission de recours amiable le 23 janvier 2013, puis réitérée dans le cadre de la saisine du Tribunal des Affaires de Sécurité sociale du 18 avril 2013, ce qui valait sommation de payer ou interpellation suffisante de procéder au remboursement des rappels de contributions visés dans la mise en demeure du 24 décembre 2012, la cour d'appel a violé l'article 1153 du code civil, devenu l'article 1231-6 du code civil. | Il résulte de l'article R. 322-47, 5° et 6°, du code des assurances que, contribuant au financement du fonds d'établissement, qui constitue l'équivalent de capitaux propres pour une société d'assurance mutuelle, et non à celui de son exploitation, le droit d'adhésion qu'il prévoit a pour seule contrepartie l'acquisition de la qualité de sociétaire.
Il s'ensuit que le droit d'adhésion est d'une autre nature que la cotisation ou prime d'assurance, qui constitue la contrepartie d'une opération d'assurance donnant droit à une prestation en cas de réalisation du risque stipulé dans la convention à laquelle ils se rattachent, de sorte qu'il n'entre pas dans l'assiette de la contribution prévue par les articles L. 137-6 et L. 137-7 du code de la sécurité sociale |
8,276 | N° S 22-80.097 FS-B
N° 01311
ODVS
15 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [O] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 16 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants et importation en contrebande de marchandises prohibées, en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 5 mai 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [O] [L], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, Mme Ménotti, M. Maziau, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Michon, conseillers référendaires, M. Croizier, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en cause pour son implication dans un trafic de cannabis entre l'Espagne et la France, M. [O] [L], à l'issue de son interrogatoire de première comparution, le 22 octobre 2020, a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire.
3. La chambre de l'instruction a été saisie par l'avocat de l'intéressé, le 22 avril 2021, d'une requête en nullité d'actes de la procédure.
Examen des moyens
Sur les premier, troisième et quatrième moyens et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que les requêtes sont recevables et au fond, faisant partiellement droit à la requête de M. [L], a ordonné la cancellation des cotes D 20/2 à D 20/3 et rejeté les requêtes pour le surplus, alors :
« 1°/ qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée qu'autant que celle-ci est prévue par la loi et nécessaire ; que seuls les dispositifs fixes de captation d'images et à condition d'une autorisation du juge, peuvent être installés en vue de la surveillance d'éventuelles infractions ; qu'en relevant, pour dire la procédure régulière sur le fondement de l'article 706-96 du Code de procédure pénale, que « le juge d'instruction a autorisé pour une durée de quatre mois une captation d'images par voie aérienne » quand seules les dispositifs fixes étaient autorisés, les juges du fond ont méconnu les articles 6§1 et 8 de la Convention européenne de sauvegardes des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 111-2 du Code pénal, des articles préliminaire, 75, 78, 591, 593 et 706-96 du Code de procédure pénale ;
2°/ qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de la vie privée qu'autant que celle-ci est prévue par la loi et nécessaire ; qu'un dispositif mobile de captation d'images ne peut être utilisé que dès lors que « des circonstances liées aux lieux de l'opération rendent particulièrement difficile le recours à d'autres outils de captation d'images ou que ces circonstances soient susceptibles d'exposer les agents à un danger significatif » ; qu'en autorisant le dispositif de captation d'image par drone sans dire en quoi les circonstances excluaient toute possibilité de recours à un autre dispositif, les juges du fond ont de nouveau méconnu les articles 6§1 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et les articles préliminaire, 75, 78, 591, 593 et 706-96 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit notamment la protection de la vie privée et familiale et du domicile.
7. La captation, la fixation, la transmission, l'enregistrement et le stockage d'images prises au domicile d'une personne, sans le consentement de cette dernière, constituent une ingérence active dans les droits ci-dessus, qui ne peut être admise qu'à la condition d'avoir une base légale suffisante, et de poursuivre un but légitime dans une société démocratique, en considération duquel ladite ingérence doit être nécessaire et proportionnée.
8. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 8 mai 2018, Ben Faiza c. France, n° 31446/12) n'exige pas qu'une loi, pour être prévisible, décline toutes les situations qu'elle a vocation à encadrer, compte tenu du caractère général inhérent à toute règle normative.
9. La prévention des infractions pénales et la recherche de leurs auteurs constituent des objectifs conformes aux exigences susvisées.
10. L'article 706-96 du code de procédure pénale prévoit qu'il peut être recouru à la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans leur consentement, notamment la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé.
11. Il n'y a pas à faire de distinction selon que le dispositif est fixe ou mobile, là où l'article 706-96 et les textes applicables à un tel procédé n'en font pas.
12. Ces mêmes textes limitent son utilisation aux seules enquêtes en matière de criminalité et de délinquance organisées et de crimes.
13. Ils la soumettent au contrôle d'un magistrat du siège, qui doit s'assurer, par une décision spéciale, après avis du ministère public, que sa mise en oeuvre est nécessaire à la manifestation de la vérité et proportionnée, qui ne peut autoriser son emploi que pour une durée limitée, dispose de l'accès au dossier pendant l'enquête et doit être tenu informé du déroulement de celle-ci pour pouvoir mettre un terme à la mesure à tout moment.
14. Il se déduit de ce qui précède que la législation interne est suffisamment claire, prévisible et accessible et que l'ingérence qu'elle consacre dans le droit à la protection du domicile et de la vie privée et familiale poursuit, dans une société démocratique, un but légitime à la réalisation duquel elle est nécessaire et proportionnée.
15. Pour rejeter la requête en annulation des opérations de captation d'images réalisées sur la propriété de M. [L], une maison entourée d'un jardin clos, et ses abords immédiats, par une caméra aéroportée, l'arrêt attaqué décrit comment les enquêteurs ont, préalablement à ces opérations, mis à jour le fonctionnement d'un réseau structuré et pérenne de trafic transfrontalier de stupéfiants, organisant des livraisons régulières de quantités importantes de cannabis au domicile du mis en cause.
16. Les juges relèvent que l'article 706-96 du code de procédure pénale encadrant le recours à un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de l'image d'une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, dans des conditions qu'ils décrivent précisément, répond aux exigences formulées tant par le Conseil constitutionnel que par le Conseil d'Etat.
17. Ils précisent que la mise en oeuvre de la mesure contestée a été autorisée, pour une durée de quatre mois, par une ordonnance motivée du juge d'instruction, prise après réquisitions du procureur de la République, en exécution de laquelle ont été opérées par voie aérienne, entre le 24 janvier et le 12 mars 2020, diverses captations d'images des lieux désignés par cette décision, les procès-verbaux relatifs à ces opérations figurant tous au dossier de l'information.
18. La chambre de l'instruction observe que, pour justifier de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure, le magistrat a rappelé comment le trafic a été mis en évidence et pourquoi les lieux désignés ont été ciblés par les enquêteurs.
19. Elle ajoute que le juge d'instruction, relevant que la configuration de ces mêmes lieux rendait toute surveillance difficile, a exposé les motifs pour lesquels ces investigations sont indispensables à la manifestation de la vérité.
20. La chambre de l'instruction en déduit que ces opérations, prévues par la loi, ont été autorisées et exécutées conformément au dispositif légal les régissant et sans méconnaître les dispositions conventionnelles dont la violation est alléguée.
21. En se déterminant par ces motifs, et dès lors, qu'en outre, les enquêteurs ont agi sur délégation expresse du magistrat qui a ordonné la mesure, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles et les textes invoqués au moyen.
22. Dès lors, celui-ci doit être écarté.
23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze novembre deux mille vingt-deux. | L'article 706-96 du code de procédure pénale, qui permet de recourir à un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, notamment la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, ne fait pas de distinction selon que ce dispositif est fixe ou mobile.
L'usage d'une caméra aéroportée pour procéder à de telles investigations, dans les conditions posées par les articles 706-95-11 et suivants du code de procédure pénale, n'est pas contraire aux exigences de l'article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Justifie sa décision la chambre de l'instruction, qui, pour écarter l'exception de nullité des opérations de captation d'images des personnes se trouvant dans une propriété privée à l'aide d'une caméra aéroportée, relève que la mise en oeuvre de cette mesure a été autorisée, après réquisitions du procureur de la République, par une décision expresse et motivée du juge d'instruction, conforme aux exigences de l'article 706-95-13 du code de procédure pénale |
8,277 | N° V 21-87.295 F- B
N° 01392
GM
15 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [B] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 7 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants et infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 21 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [B] [E], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [B] [E] a été mis en examen des chefs susvisés le 12 mars 2021.
3. Le 26 mars 2021, le juge d'instruction a notifié aux parties l'avis de fin d'information prévu à l'article 175 du code de procédure pénale.
4. Le 26 avril suivant, l'avocat de M. [E] a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation d'actes de la procédure.
Examen des moyens
Sur les premier à quatrième, sixième et septième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la perquisition réalisée au domicile de M. [E], alors :
« 1/° que l'urgence qui justifie une perquisition nocturne doit être caractérisée au moment de cette perquisition ; qu'en jugeant valable une perquisition nocturne effectuée sur la base d'une autorisation donnée deux mois plus tôt, laquelle ne pouvait par hypothèse constater l'urgence à perquisitionner au moment des opérations, la Chambre de l'instruction a violé les articles 706-91, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2/° qu'en se fondant, pour caractériser l'urgence à perquisitionner le domicile de M. [E], sur le fait que M. [E] avait fait l'objet de recherches infructueuses et qu'il avait fui avant l'arrivée des enquêteurs, motifs impropres à établir l'urgence d'une perquisition nocturne, la chambre de l'instruction a derechef violé les articles 706-91, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale :
7. Il résulte de ces textes que l'autorisation donnée par le juge d'instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d'habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée (Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174).
8. Il en découle qu'est nulle l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée (Crim., 13 septembre 2022, pourvoi n° 21-87.452, publié au Bulletin).
9. Il se déduit de ce qui précède que si le juge d'instruction peut, par une ordonnance motivée conformément aux exigences ci-dessus, autoriser de telles perquisitions en considération de la situation d'urgence inhérente à des interpellations dont la date n'est pas encore fixée et du risque de dépérissement des preuves qui en résultera, encore doit-il, pour garantir l'effectivité de son contrôle, s'assurer de la persistance de cette urgence au regard des éléments de fait et de droit énoncés dans ladite ordonnance, avant que ces perquisitions ne soient réalisées.
10. Lorsque l'ordonnance a été ainsi délivrée antérieurement aux actes qu'elle vise, il appartient aux enquêteurs de recueillir l'avis préalable, serait-il même oral, du juge d'instruction, et de justifier de l'accomplissement de cette formalité en procédure.
11. Pour rejeter la demande d'annulation de la procédure réalisée au domicile de M. [E] le 13 décembre 2021, l'arrêt attaqué énonce que l'ordonnance prévue par l'article 706-91 du code de procédure pénale a été délivrée le 13 septembre, qu'elle est motivée de manière circonstanciée et repose sur une analyse des faits objet des investigations, spécialement le caractère nocturne des agissements des mis en cause.
12. Les juges relèvent que c'est en considération de la situation qui sera générée par les interpellations à venir et du risque de dépérissement des preuves qui en découlera que cette autorisation a été établie.
13. Ils ajoutent que ce texte n'interdit pas que ladite autorisation soit donnée à l'avance, la notion d'urgence étant à apprécier, non pas à ce moment-là, mais au moment, qui n'est pas nécessairement prévisible, où la perquisition autorisée sera opportune pour la manifestation de la vérité.
14. Ils retiennent que cette urgence était caractérisée, d'une part, en raison des recherches en cours afin d'interpeller le mis en cause, d'autre part, en raison de la nécessité de s'assurer de sa personne, la perquisition ayant été effectuée après constat, par les enquêteurs, de la fuite de l'intéressé de son domicile.
15. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
16. En effet, si elle a, à juste titre, relevé que, d'une part, l'ordonnance délivrée par le juge d'instruction était régulière, d'autre part, l'urgence s'apprécie au moment où la perquisition est réalisée, il ne résulte néanmoins pas des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que les enquêteurs aient avisé préalablement le magistrat ni que celui-ci ait donné son accord, de sorte qu'il n'a pas exercé de contrôle effectif sur la mesure.
17. La cassation est de ce fait encourue.
Portée et conséquences de la cassation.
18. La cassation sera limitée aux seules dispositions de l'arrêt relatives à la perquisition réalisée au domicile de M. [E] le 13 décembre 2021, toutes autres dispositions étant expressément maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 7 décembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la perquisition du 13 décembre 2021 au domicile de M. [E], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze novembre deux mille vingt-deux. | Si le juge d'instruction peut, par une ordonnance motivée conformément aux exigences de l'article 706-92 du code de procédure pénale, autoriser des perquisitions de nuit en considération de la situation d'urgence inhérente à des interpellations dont la date n'est pas encore fixée et du risque de dépérissement des preuves qui en résultera, encore doit-il, pour garantir l'effectivité de son contrôle, s'assurer de la persistance de cette urgence au regard des éléments de fait et de droit énoncés dans ladite ordonnance, avant que ces perquisitions ne soient réalisées.
Lorsqu'une ordonnance a été délivrée dans de telles conditions, il appartient aux enquêteurs de recueillir l'avis préalable, serait-il même oral, de ce magistrat, et de justifier de l'accomplissement de cette formalité en procédure.
Encourt la cassation l'arrêt par lequel une chambre de l'instruction rejette le grief de nullité pris de l'absence d'un tel contrôle, alors qu'aucune pièce de procédure n'en établit la réalité |
8,278 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 790 FS-B
Pourvoi n° S 21-15.095
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
M. [O] [W], domicilié chez Mme [B] [W], [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-15.095 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 3 - chambre 4), dans le litige l'opposant à Mme [H] [L] [M], épouse [W], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [W], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, Dard, Beauvois, M. Fulchiron, conseillers, Mme Azar, M. Buat-Ménard conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 février 2021) et les productions, par requête du 8 juin 2020, Mme [L] [M] a saisi un juge aux affaires familiales afin d'obtenir, sur le fondement des articles 515-9 et suivants du code civil, une ordonnance de protection à l'égard de son époux, M. [W].
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. [W] fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception de nullité de la requête, alors « que, dans les cas prévus aux articles 515-9 et 515-13 du code civil, le juge est saisi par une requête remise ou adressée au greffe ; que la requête doit contenir un exposé sommaire des motifs de la demande et, en annexe, les pièces sur lesquelles celle-ci est fondée, à peine de nullité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reconnu que la requête initiale comportait quinze pièces, mais que d'autres avaient été ultérieurement communiquées ; qu'en jugeant néanmoins la requête valable, alors qu'elle ne comportait pas toutes les pièces sur lesquelles elle était fondée, la cour d'appel a violé l'article 1136-3 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles 114 et 1136-3, alinéas 1 et 2, du code de procédure civile que la nullité sanctionnant l'absence d'annexion, à la requête aux fins de délivrance d'une ordonnance de protection, des pièces sur lesquelles la demande est fondée est une nullité de forme qui ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause une telle irrégularité.
6. La cour d'appel a constaté que la requête déposée par Mme [L] [M] aux fins de délivrance d'une ordonnance de protection comportait quinze pièces en annexe et que celle-ci avait communiqué par la suite à M. [W] cinq autres pièces, sans que celui-ci ait précisé en quoi consistait le grief tiré de la communication de ces nouvelles pièces postérieurement au dépôt de la requête.
4. Il en résulte que l'exception de nullité n'était pas fondée.
5. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [W]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [W] fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de nullité de la requête en date du 15 juin 2020 de Mme [L] [M] ;
Alors que, dans les cas prévus aux articles 515-9 et 515-13 du code civil, le juge est saisi par une requête remise ou adressée au greffe ; que la requête doit contenir un exposé sommaire des motifs de la demande et, en annexe, les pièces sur lesquelles celle-ci est fondée, à peine de nullité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reconnu que la requête initiale comportait 15 pièces, mais que d'autres avaient été ultérieurement communiquées ; qu'en jugeant néanmoins la requête valable, alors qu'elle ne comportait pas toutes les pièces sur lesquelles elle était fondée, la cour d'appel a violé l'article 1136-3 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [W] fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance entreprise en toute ses dispositions ;
Alors que lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ; que l'ordonnance de protection est délivrée, par le juge aux affaires familiales, dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ; que la cour d'appel doit apprécier la situation de danger actuel pour le conjoint ou les enfants à la date où elle statue ; qu'en l'espèce, si la cour d'appel a souverainement considéré comme vraisemblable la commission de faits de violences commis début mai 2020, elle n'a, en revanche, pas constaté que ces violences constituaient une situation de danger au jour où elle a statué, c'est-à-dire le 11 février 2021 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a donc privé sa décision de base légale au regard des articles 515-9 et 515-11 du code civil. | Il résulte des articles 114 et 1136-3, alinéas 1 et 2, du code de procédure civile que la nullité sanctionnant l'absence d'annexion, à la requête aux fins de délivrance d'une ordonnance de protection, des pièces sur lesquelles la demande est fondée est une nullité de forme qui ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause une telle irrégularité |
8,279 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 791 FS-B
Pourvoi n° A 21-11.837
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
M. [S] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-11.837 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [E] [P], épouse [Y], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à M. [I] [P], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [S] [P], de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme [P] et de M. [I] [P], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, Dard, Beauvois, M.Fulchiron, conseillers, M. Duval, Mme Azar, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 17 décembre 2020), [L] [P] et son épouse, [T] [R], sont décédés respectivement les 23 mai 1995 et 14 juillet 2001, en laissant pour leur succéder leurs trois enfants, [I], [E] et [S].
2. Ils leur avaient consenti plusieurs donations, M. [S] [P] ayant notamment reçu, par acte du 29 décembre 1993, la nue-propriété d'un immeuble sous condition de règlement d'une charge consistant en un versement d'une certaine somme à la date de la donation.
3. Des difficultés sont survenues au cours des opérations de comptes, liquidation et partage des successions.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [S] [P] fait grief à l'arrêt de fixer à la somme de 275 630,09 euros le montant du rapport qu'il doit à la succession, alors « que le montant du rapport dû en vertu d'une donation avec charge n'est que de la différence entre la valeur du bien donné et la charge, déterminée au jour où la charge a été exécutée et ensuite réévaluée au jour du partage ; qu'en jugeant que le rapport était dû à hauteur de l'émolument gratuit procuré par la donation, déterminé en déduisant de la valeur du bien déterminée au jour du partage (336 000 euros), la valeur nominale de la charge fixée au jour de la donation (60 369,91 euros), la cour d'appel a violé l'article 860 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article 860 du code civil que, lorsqu'une donation est assortie de la charge pour le donataire de régler une certaine somme, par versements périodiques ou en capital, le rapport n'est dû qu'à concurrence de l'émolument net procuré par la libéralité, calculé en déduisant de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation, le montant de la charge déterminé au jour de son exécution.
6. La cour d'appel a retenu à bon droit, pour déterminer le montant du rapport, que, s'agissant d'une donation avec charge payable au jour de la donation, la valeur de l'émolument net s'établissait par la déduction du montant de la charge grevant la donation, sans réévaluation de celle-ci au jour du partage.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [S] [P] et le condamne à payer à M. [I] et Mme [E] [P] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [P]
M. [S] [P] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR fixé à la somme de 275 630,09 euros le montant du rapport qu'il devait à la succession ;
ALORS QUE le montant du rapport dû en vertu d'une donation avec charge n'est que de la différence entre la valeur du bien donné et la charge, déterminée au jour où la charge a été exécutée et ensuite réévaluée au jour du partage ; qu'en jugeant que le rapport était dû à hauteur de l'émolument gratuit procuré par la donation, déterminé en déduisant de la valeur du bien déterminée au jour du partage (336 000 euros), la valeur nominale de la charge fixée au jour de la donation (60 369,91 euros), la cour d'appel a violé l'article 860 du code civil. | Il résulte de l'article 860 du code civil que, lorsqu'une donation est assortie de la charge pour le donataire de régler une certaine somme, par versements périodiques ou en capital, le rapport n'est dû qu'à concurrence de l'émolument net procuré par la libéralité, calculé en déduisant de la valeur du bien donné à l'époque du partage, d'après son état à l'époque de la donation, le montant de la charge déterminé au jour de son exécution |
8,280 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 807 F-B
Pourvoi n° Q 21-11.528
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
M. [O] [P] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-11.528 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre B), dans le litige l'opposant à Mme [I] [X], domiciliée Les [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Azar, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [P] [L], et l'avis oral de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Azar, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, M. Sassoust, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 décembre 2020), des relations de M. [P] [L] et Mme [X] est issue [R], née le 3 novembre 2005.
2. A la suite de leur séparation, un juge aux affaires familiales a fixé la résidence de l'enfant au domicile de sa mère et accordé au père un droit de visite.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, cinquième, sixième et septième branches, et sur le second moyen, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches
Enoncé du moyen
4. M. [P] [L] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de droit de visite et d'hébergement, alors :
« 2°/ que le parent qui exerce conjointement l'autorité parentale ne peut se voir refuser un droit de visite et d'hébergement que pour des motifs graves tenant à l'intérêt supérieur de l'enfant ; que les juges du fond doivent constater l'existence de tels motifs pour justifier une restriction du droit de visite et d'hébergement ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande d'un droit d'hébergement, le juge aux affaires familiales se fonde sur des extraits de SMS datés de 2018 et 2019 pour en déduire que M. [P] [L] "ne préserve pas toujours sa fille du conflit parental" ; qu'en se déterminant par des motifs inopérants au sens de l'article 373-2-1 code civil, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de cette disposition.
3°/ que si l'intérêt de l'enfant le commande, le juge peut confier l'exercice de l'autorité parentale à l'un des deux parents ; que l'exercice du droit de visite et d'hébergement ne peut être refusé à l'autre parent que pour des motifs graves ; qu'en rejetant la demande de visite et d'hébergement du père en se fondant sur une audition de l'enfant datée de plus de deux ans, sans caractériser un motif grave tenant à l'intérêt de l'enfant, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 373-1-1, alinéa 2, du code civil ;
4°/ que l'exercice d'un droit de visite et d'hébergement de l'enfant est une condition déterminante du maintien du lien parental, qui ne saurait se réduire à un simple droit de visite ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande motivée de M. [P] [L], tendant à obtenir un droit d'hébergement de sa fille, le juge aux affaires familiales a considéré "qu'il y avait lieu d'accorder au père un simple droit de visite [...] limité à deux heures, le samedi des semaines impaires" (jugement entrepris, p 5 § 8) en se fondant sur des circonstances inopérantes et marginales, impropres à caractériser un motif grave tenant à l'intérêt de l'enfant, la cour d'appel a encore violé l'article 373-2-1 du code civil, ensemble l'article 3 § 1 de la Convention de New York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, et l'article 373-2-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article 373-9, alinéa 3 du code civil que, lorsque la résidence de l'enfant est fixée au domicile de l'un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent, lequel peut prendre dans l'intérêt de l'enfant, la forme d'un droit de visite simple sans hébergement.
6.La cour d'appel a retenu, tant par motifs propres qu'adoptés, que M. [P] [L] ne rapportait pas la preuve d'avoir été empêché d'exercer son droit de visite et d'hébergement et ne prétendait d'ailleurs pas même avoir tenté de le faire, que l'adolescente avait expliqué ne plus vouloir rencontrer son père dans la mesure où des visites récentes, exercées après plusieurs années sans rencontre, se seraient mal passées et que les modalités d'un droit de visite simple étaient adaptées à une reprise de contact en l'état d'une longue interruption des séjours de [R] auprès de son père.
7. Sans être tenue de constater des motifs graves dès lors qu'elle ne refusait pas au père de l'enfant tout droit de visite, elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [P] [L] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [P] [L]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [O] [P] [L] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande d'un droit de visite et d'hébergement ;
1°) ALORS QUE, dans toutes décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'il est de l'intérêt de l'enfant d'être élevé par ses deux parents et, lorsqu'ils sont séparés, d'entretenir des relations personnelles avec chacun d'eux ; que, sauf motifs graves, rien ne justifie qu'un enfant soit coupé des liens paternels ; que les juges du fond ont l'obligation de prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant ; qu'en l'espèce, en se bornant à prendre en considération " les sentiments exprimés par [R] " (arrêt, p. 6 § 7), sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, quel était son intérêt supérieur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 § 1 de la Convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, ensemble les articles 373-2 et 373-2-1 du code civil ;
2°) ALORS QUE, le parent qui exerce conjointement l'autorité parentale ne peut se voir refuser un droit de visite et d'hébergement que pour des motifs graves tenant à l'intérêt supérieur de l'enfant ; que les juges du fond doivent constater l'existence de tels motifs pour justifier une restriction du droit de visite et d'hébergement ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande d'un droit d'hébergement, le juge aux affaires familiales se fonde sur des extraits de SMS datés de 2018 et 2019 pour en déduire que M. [P] [L] " ne préserve pas toujours sa fille du conflit parental " (jugement entrepris, p. 5 § 5) ; qu'en se déterminant par des motifs inopérants au sens de l'article 373-2-1 du code civil, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de cette disposition ;
3°) ALORS QUE si l'intérêt de l'enfant le commande, le juge peut confier l'exercice de l'autorité parentale à l'un des deux parents ; que l'exercice du droit de visite et d'hébergement ne peut être refusé à l'autre parent que pour des motifs graves ; qu'en rejetant la demande de visite et d'hébergement du père en se fondant sur une audition de l'enfant datée de plus de deux ans, sans caractériser un motif grave tenant à l'intérêt de l'enfant, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 373-2-1, alinéa 2, du code civil ;
4°) ALORS QUE l'exercice d'un droit de visite et d'hébergement de l'enfant est une condition déterminante du maintien du lien parental, qui ne saurait se réduire à un simple droit de visite ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande motivée de M. [P] [L], tendant à obtenir un droit d'hébergement de sa fille, le juge aux affaires familiales a considéré qu' " il y [avait] lieu d'accorder au père un simple droit de visite [
] limité à 2 h, le samedi des semaines impaires " (jugement entrepris, p. 5 § 8) en se fondant sur des circonstances inopérantes et marginales, impropres à constituer un motif grave ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser un motif grave tenant à l'intérêt de l'enfant, la cour d'appel a encore violé l'article 373-2-1 du code civil, ensemble l'article 3 § 1 de la Convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, et l'article 373-2-1 du code civil ;
5°) ALORS QUE les motifs graves et l'intérêt de l'enfant s'apprécient à la date à laquelle le juge statue et en fonction de l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre ; qu'en l'espèce, l'arrêt se fonde sur les souhaits de [R] recueillis dans une audition du 21 novembre 2018, soit plus de 2 ans auparavant ; qu'en se fondant ainsi sur des considérations aussi anciennes que dépourvues de pertinence, quand il lui appartenait de recueillir la volonté actuelle de l'enfant et, au besoin, d'ordonner d'office une nouvelle audition pour se déterminer légalement sur l'intérêt supérieur de l'enfant [R] eu égard à une possible évolution de la relation parentale, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 373-2, 373-2-1 et 373-2-11-2° du code civil ;
6°) ALORS QUE, chacun des père et mère doit maintenir des relations avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent ; qu'il est de l'intérêt de l'enfant et du devoir de chacun des parents de favoriser ces relations ; que lorsqu'il statue sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, le juge doit notamment prendre en considération l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre ; qu'en l'espèce, il est constant et non contesté que l'opposition de Mme [X] a entravé l'établissement d'une relation normale entre un père et sa fille ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si le comportement de Mme [X] ne traduisait pas son refus de respecter le droit de l'enfant [R] à entretenir des relations normales avec le père (productions n° 5 et s.), la cour d'appel a derechef violé les articles 373-2 et 373-2-11-3° du code civil.
7°) ALORS, en toute hypothèse, QUE tout jugement doit être motivé, à peine de nullité, que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans répondre au moyen pertinent dont elle était saisie selon lequel Mme [X] entravait la relation normale de M. [P] [L] avec sa fille en ce qu'elle refusait par principe l'exercice de ses droits parentaux essentiels (productions n° 2 et 7), la cour d'appel a méconnu les exigences des articles 455 du code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [O] [P] [L] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de fixation de sa contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant [R] en la forme de la prise en charge des frais de la cantine scolaire et d'habillement et d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a retenu la forme d'une pension alimentaire devant être versée à Mme [X] ;
1°) ALORS QUE chacun des parents doit contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent et des besoins de l'enfant ; que chaque parent étant tenu de contribuer à l'entretien des enfants, en fonction de ses ressources respectives, les juges du fond doivent se déterminer selon la réalité de celles-ci et des besoins concrets des enfants concernés ; qu'en se bornant, à considérer que " la contribution de M. [P] [L] à l'entretien et à l'éducation de [R] doit conserver la forme de principe de la pension alimentaire " (arrêt, p. 7 § 4), sans analyser, comme elle y était expressément invitée, ni les besoins réels des enfants, ni l'utilité de cette contribution au regard des motifs pertinents invoqués par M. [P] [L] (productions n° 6 et s.), la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 371-2 du code civil ;
2°) ALORS QUE les frais occasionnés par l'exercice du droit de visite et d'hébergement par un parent doivent suivre le régime d'ensemble applicable aux frais d'entretien et d'éducation de l'enfant ; qu'ils doivent donc être répartis en considération de la situation matérielle respective des parents et des besoins réels de l'enfant ; qu'en l'espèce, en considérant que " la participation du père à l'entretien et l'éducation de sa fille est essentiellement centrée sur des besoins accessoires en vêtements et matériels informatiques de prix, sans rapport avec les nécessités de la vie quotidienne de l'enfant " (arrêt, p. 7 § 3), sans égard pour la réalité de ses besoins réels de l'enfant [R], la cour d'appel a violé l'article 371-2 du code civil ;
3°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé ; qu'en l'espèce, il résulte clairement des conclusions de M. [P] [L] qu'il demandait que " sa contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant [prenne] exclusivement la forme de la prise en charge directe des frais de cantine scolaire et des dépenses d'habillement " (page 4) ; qu'en refusant de prendre en considération la demande de la prise en charge des frais de la cantine et sa portée alimentaire pour ne retenir que la prise en charge des frais d'habillement et des biens de consommation, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE tout jugement doit être motivé, à peine de nullité ; que le juge ne peut statuer par voie d'affirmation ; qu'en l'espèce, en jugeant qu'" en l'occurrence, les échanges de messages entre Monsieur [P] [L] et [R] montrent que la participation du père à l'entretien et l'éducation de sa fille est essentiellement centrée sur des besoins accessoires en vêtements et matériels informatiques de prix, sans rapport avec les nécessités de la vie quotidienne de l'enfant " (page 7), sans examiner , fût-ce sommairement, la teneur exacte des échanges pris dans leur ensemble (productions n° 5 et s.), la cour d'appel a violé l' article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°) ALORS, enfin et en toute hypothèse, QUE le juge ne peut dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; qu'en l'espèce, les échanges entre M. [P] et sa fille dépassent les strictes considérations matérielles pour s'inscrire dans une volonté de relation affective et éducative (productions n° 6 et .) ; qu'en retenant cependant que " les échanges de messages entre Monsieur [P] [L] et [R] montrent que la participation du père à l'entretien et l'éducation de sa fille est essentiellement centrée sur des besoins accessoires en vêtements et matériels informatiques de prix " (arrêt, page 7), le juge aux affaires familiales a livré une interprétation déformante des SMS clairs dont il a extrait des fragments qui ne reflètent ni la teneur exacte ni la portée de ces échanges (productions n° 5 et s.) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe de non-dénaturation. | Il résulte de l'article 373-2-9, alinéa 3, du code civil que, lorsque la résidence de l'enfant est fixée au domicile de l'un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l'autre parent, lequel peut prendre dans l'intérêt de l'enfant, la forme d'un droit de visite simple sans hébergement.
Dès lors, justifie légalement sa décision une cour d'appel qui octroie un droit de visite simple à un parent sans constater l'existence d'un motif grave |
8,281 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 797 FS-B
Pourvoi n° G 21-23.505
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
La société Giovellina, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], chez Madame [U] [P], [Localité 4], a formé le pourvoi n° G 21-23.505 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2021 par la cour d'appel de Bastia (Chambre civile - Section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Bastia charpentes armatures, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Giovellina, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, MM. Jacques, Boyer, Mme Grandjean, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 15 septembre 2021), la société Giovellina a confié la réalisation de la charpente métallique et du revêtement d'un bâtiment à usage commercial à la société Bastia charpentes armatures (la société BCA), assurée auprès de la SMABTP.
2. La société Giovellina a formé opposition à une ordonnance portant injonction de payer le solde du prix du marché à la société BCA et elle a formé des demandes reconventionnelles aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
3. La société BCA a appelé la SMABTP en intervention forcée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La société Giovellina fait grief à l'arrêt de refuser d'homologuer le rapport de l'expert sur les préjudices subis, de la renvoyer à assigner si elle l'estime nécessaire, concernant le montant de ces préjudices, de la condamner à payer à la société BCA une certaine somme au titre du solde du marché et de rejeter l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société BCA et la SMABTP, alors « que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en énonçant que la société Giovellina, usufruitière, serait sans qualité pour agir en garantie décennale, tout en constatant qu'elle était liée à la société BCA par un contrat de louage d'ouvrage et qu'elle avait fait construire l'immeuble litigieux en qualité de maitresse d'ouvrage, la Cour d'appel a violé les articles 578 et 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. L'usufruitier, quoique titulaire du droit de jouir de la chose comme le propriétaire, n'en est pas le propriétaire et ne peut donc exercer, en sa seule qualité d'usufruitier, l'action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l'ouvrage et non à sa jouissance.
7. C'est, dès lors, à bon droit que la cour d'appel, qui a relevé que la société Giovellina reconnaissait être usufruitière de l'ouvrage et devant laquelle elle ne prétendait pas avoir été mandatée par le nu-propriétaire, a retenu que cette société ne pouvait agir contre le constructeur et son assureur sur le fondement de la garantie décennale.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. La société Giovellina fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à le supposer sans qualité pour agir en garantie décennale, l'usufruitier lié par un contrat de louage d'ouvrage au constructeur, a en tout état de cause qualité pour agir en réparation de l'ensemble des désordres y compris de nature décennale, affectant l'ouvrage, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en l'espèce, comme le constate l'arrêt attaqué, la société Giovellina fondait expressément ses demandes sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l'article 1147 ancien du code civil ; qu'en la déclarant sans qualité pour agir contre sa cocontractante, la Cour d'appel a violé les articles 578 du code civil, 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
10. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
11. Aux termes du second, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
12. Il en résulte que l'usufruitier, qui n'a pas qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale, peut néanmoins agir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, en réparation des dommages que lui cause la mauvaise exécution des contrats qu'il a conclus pour la construction de l'ouvrage, y compris les dommages affectant l'ouvrage.
13. Pour rejeter les demandes de la société Giovellina, l'arrêt retient que les demandes reconventionnelles présentées par cette société, sous couvert d'être fondées sur la responsabilité contractuelle de la société BCA, s'avèrent être la conséquence des désordres allégués pour lesquels, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, est recherchée la garantie décennale du constructeur.
14. Il retient que l'usufruitière n'a pas qualité pour agir en garantie décennale contre le constructeur, pas plus que pour les dommages immatériels en découlant, à charge pour elle d'assumer son intervention en qualité de maître de l'ouvrage dans une construction sans préexistant pour laquelle elle s'est substituée à la nue-propriétaire.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les travaux avaient été exécutés pour le compte de la société Giovellina, qui avait conclu le contrat d'entreprise et qui demandait la réparation des dommages résultant de la mauvaise exécution de ce contrat sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation prononcée porte sur le rejet des demandes formées tant contre la société BCA que contre la SMABTP, dont la responsabilité était recherchée, notamment, sur le fondement d'une assurance de responsabilité civile.
17. Il n'est pas nécessaire, dès lors, de statuer sur le troisième moyen.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Giovellina à payer à la société Bastia charpentes armatures la somme de 30 113,81 euros au titre du solde du marché avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en ce qu'il renvoie la société Giovellina à assigner si elle l'estime nécessaire concernant les préjudices subis et en ce qu'il rejette l'ensemble des demandes de la société Giovellina, l'arrêt rendu le 15 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Bastia charpentes armatures et la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics laux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum la société Bastia charpentes armatures et la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics à payer à la société Giovellina la somme de 3 000 euros et rejette la demande formée par la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Giovellina
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Giovellina fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à la société BCA la somme de 30.113,81 euros, montant du solde restant dû au titre du marché avec intérêts de droit à compter de la présente décision ;
1°- Alors que la facture du 30 juillet 2015 faisant apparaitre l'application d'une TVA de 20% au lieu de 10%, invoquée par la société Giovellina dans ses conclusions (p14) figurait à la page 46 du rapport d'expertise produit (en pièce n° 37) aux débats par cette dernière, qui faisait valoir que l'expert n'avait pas tenu compte de l'erreur qui affecte cette facture, en invitant ainsi la Cour d'appel à vérifier le rapport d'expertise dans lequel figurait cette facture ; qu'en énonçant que cette facture n'aurait pas été produite aux débats par la société Giovelllina, la Cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise versé aux débats, comportant cette facture en page 46, en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°- Alors en tout état de cause, que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que c'est à la société BCA qui réclamait le paiement des sommes facturées le 30 juillet 2015 qu'il incombait de justifier du calcul de sa créance et partant de produire la facture en cause pour démontrer le montant de la TVA qu'elle avait appliquée et qui était contesté ; qu'en faisant peser le risque de cette preuve sur la société Giovellina, la Cour d'appel a violé l'article 1315 ancien devenu 1353 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Giovellina fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé d'homologuer le rapport de l'expert, sur les préjudices subis, de l'avoir renvoyée à assigner si elle l'estime nécessaire, concernant le montant de ces préjudices, de l'avoir condamnée à payer à la société BCA la somme de 30.113,81 euros, montant du solde restant dû au titre du marché avec intérêts de droit à compter de la présente décision, et de l'avoir déboutée de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société BCA et la SMABTP ;
1°- Alors que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en énonçant que l'usufruitier bien que cocontractant du constructeur n'aurait pas qualité pour agir en garantie décennale contre le constructeur, sans avoir invité préalablement les parties à s'expliquer sur ce moyen qu'elle relevait d'office, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°- Alors que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en énonçant que la société Giovellina, usufruitière, serait sans qualité pour agir en garantie décennale, tout en constatant qu'elle était liée à la société BCA par un contrat de louage d'ouvrage et qu'elle avait fait construire l'immeuble litigieux en qualité de maitresse d'ouvrage, la Cour d'appel a violé les articles 578 et 1792 du code civil ;
3°- Alors qu'à le supposer sans qualité pour agir en garantie décennale, l'usufruitier lié par un contrat de louage d'ouvrage au constructeur, a en tout état de cause qualité pour agir en réparation de l'ensemble des désordres y compris de nature décennale, affectant l'ouvrage, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en l'espèce, comme le constate l'arrêt attaqué, la société Giovellina fondait expressément ses demandes sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l'article 1147 ancien du code civil ; qu'en la déclarant sans qualité pour agir contre sa cocontractante, la Cour d'appel a violé les articles 578 du code civil, 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°- Alors qu'en énonçant que la réparation des désordres serait recherchée par la société Giovellina sur le fondement de la garantie décennale, quand ainsi qu'elle l'admet elle-même, les conclusions de la société Giovellina étaient fondées sur la responsabilité contractuelle de droit commun, la Cour d'appel a dénaturé ces conclusions en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;
5°- Alors que les désordres apparents qui font l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception ne relèvent pas de la garantie décennale ; qu'en énonçant que sous couvert de responsabilité contractuelle de droit commun, la société Giovellina invoquerait des désordres relevant de la garantie décennale quand cette dernière se prévalait notamment de désordres qui avaient fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception, listés et examinés par l'expert judiciaire, la Cour d'appel a violé les articles 1792 du code civil et 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
6°- Alors qu'en se bornant à écarter la réparation du préjudice financier engendré par les désordres, sans s'expliquer comme elle était invitée, sur le préjudice financier résultant du retard dans l'exécution des travaux et du non respect de la date de livraison, sans relation avec les désordres affectant l'immeuble, dont la réparation ne pouvait relever que de la responsabilité contractuelle de droit commun, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
7°- Alors que commet un déni de justice, le juge qui refuse d'évaluer un préjudice dont il admet l'existence dans son principe ; qu'à supposer que pour rejeter la réparation du préjudice financier résultant du retard dans la livraison de l'ouvrage, elle ait entendu s'approprier les motifs du jugement selon lesquels le préjudice financier résultant des retards dans les travaux qui sont démontrés et qui ont nécessairement généré un préjudice, ne peut être chiffré objectivement en l'état des sommes retenues par l'expert, s'agissant essentiellement d'estimations, ce dernier ayant renvoyé à l'appréciation des tribunaux, en refusant ainsi d'évaluer le préjudice dont elle constatait l'existence dans son principe, la Cour d'appel a violé l'article 4 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Giovellina fait grief à l'arrêt attaqué l'avoir déboutée de l'ensemble de ses demandes dirigée contre la SMABTP ;
Alors que la société Giovellina faisait valoir que le contrat d'assurance de la société BCA couvre aussi bien les désordres relevant de la garantie décennale que les désordres relevant de la responsabilité civile en cours ou après travaux, et demandait la condamnation de la SMABTP à garantir la responsabilité contractuelle de droit commun de son assurée ; qu'en énonçant que l'assureur de la société BCA serait recherché en sa qualité d'assureur en responsabilité décennale sur le fondement de l'article 1792 du code civil que seule la nupropriétaire pourrait actionner, la Cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Giovellina en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. | L'usufruitier, quoique titulaire du droit de jouir de la chose comme le propriétaire, n'en est pas le propriétaire et ne peut donc exercer, en sa seule qualité d'usufruitier, l'action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l'ouvrage et non à sa jouissance |
8,282 | CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 798 FS-B
Pourvoi n° K 21-24.473
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
1°/ M. [I] [Z],
2°/ Mme [V] [X], épouse [Z],
domiciliés tous deux [Adresse 2]
ont formé le pourvoi n° K 21-24.473 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [K] [C] [B],
2°/ à Mme [M] [O], épouse [C]
domiciliés tous deux [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [Z], de la SCP Richard, avocat de M. et Mme [C], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Grandjean conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 octobre 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 23 mars 2017, pourvoi n° 16-11.081, Bull. 2017, III, n° 43), le 8 mars 2008, M. et Mme [C]-[B], propriétaires d'une maison et d'un terrain attenant, ont obtenu un permis de construire pour la réalisation d'une pergola avec abri voiture et toiture terrasse destinée à accueillir des panneaux solaires.
2. M. et Mme [Z], propriétaires du fonds voisin, ont formé un recours contre ce permis, qui a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative.
3. Ils ont demandé la démolition de la construction sur le fondement de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et, subsidiairement, l'allocation de dommages-intérêts sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche Enoncé du moyen
5. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de démolition de la construction édifiée par M. et Mme [C]-[B], alors « que, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n°2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, figurent « m) les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du [code du patrimoine] » ; que selon ces textes, ces abords s'entendent, en l'absence de périmètre délimité par l'autorité administrative, de la zone située à moins de cinq cent mètres du monument historique ; que la condition, qu'ils posent, tenant à ce que la construction soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui ne vise qu'à déterminer les constructions qui, au sein de cette zone, bénéficient de la protection ; qu'en subordonnant la démolition, pour la refuser, à ce que la construction litigieuse soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui, quand cette condition est étrangère à la définition du périmètre protégé, les juges du fond ont violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble les articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l'Etat dans le département sur le fondement du second alinéa de l'article L. 600-6, si la construction est située dans l'une des zones limitativement énumérées par ce texte, dont les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine.
7. La condamnation à démolir la construction édifiée en méconnaissance d'une règle d'urbanisme ou d'une servitude d'utilité publique et dont le permis de construire a été annulé est donc subordonnée à la seule localisation géographique de la construction à l'intérieur d'une zone soumise à un régime particulier de protection.
8. En vertu de l'article L. 621-30, II, du code du patrimoine, en l'absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords des monuments historiques s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci.
9. La zone dans laquelle la protection au titre des abords est susceptible de s'appliquer aux immeubles visibles du monument historique ou visibles en même temps que lui étant celle qui est située à moins de cinq cents mètres du monument, toute construction édifiée dans cette zone peut être démolie dans les conditions prévues à l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme.
10. Ayant relevé qu'aucun périmètre de protection n'était délimité et que M. et Mme [Z] ne rapportaient pas la preuve que la construction était située à moins de cinq cents mètres d'un monument historique, la cour d'appel, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants subordonnant la démolition à ce que la construction fût visible du monument historique ou visible en même temps que lui, en a déduit, à bon droit, qu'elle ne se situait pas aux abords d'un monument historique.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
12. M. et Mme [Z] font le même grief à l'arrêt, alors « que, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, se trouvent « i) les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnées au 1° de l'article L. 515-16 [du code de l'environnement], celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé » ; qu'en refusant la démolition, quand ils constataient pourtant que la construction litigieuse se situe dans une zone mentionnée comme à risque, fût-il faible, dans le Plan de Prévention des Risques Incendie de Forêt (PPRIF), où le droit de réaliser des constructions nouvelles est limité, au motif inopérant que la construction litigieuse pouvait être édifiée sans condition selon le PPRIF, les juges du fond ont violé L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble l'article L. 562-1 du code de l'environnement. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 480-13, 1°, i), du code de l'urbanisme et L. 562-1, II, 1° et 2°, du code de l'environnement :
13. Selon le premier de ces textes, lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l'Etat dans le département sur le fondement du second alinéa de l'article L. 600-6, si la construction est située dans l'une des zones limitativement énumérées par cet article, dont celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'environnement, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé.
14. Aux termes du second, les plans de prévention des risques naturels prévisibles ont pour objet, en tant que de besoin :
1° De délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle, notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles, pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ;
2° De délimiter les zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1°.
15. S'il en résulte que la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé pour excès de pouvoir ne peut être ordonnée, lorsque la construction est située dans une zone figurant dans un plan de prévention des risques naturels prévisibles, que lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé en application des 1° ou 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'urbanisme, il suffit que la construction soit située dans une zone comportant de telles limitations ou interdictions, sans qu'il soit nécessaire qu'elle contrevienne elle-même à ces prescriptions.
16. Pour rejeter la demande de démolition présentée par M. et Mme [Z], la cour d'appel, qui constate que la commune de Vence est soumise à un plan de prévention des risques incendie de forêt, retient que ce plan autorise sans condition les annexes dans la section B2 et que, la construction de M. et Mme [C]-[B], située dans cette section, ayant été qualifiée d'annexe par la juridiction administrative, elle ne fait pas l'objet d'une limitation ou d'une suppression du droit d'implantation au titre du plan de prévention.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts présentée par M. et Mme [Z], l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. et Mme [C]-[B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [C]-[B] et les condamne à payer à M. et Mme [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Z]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par M. et Mme [Z], encourt la censure ;
EN CE QU' il a, infirmant le jugement, débouté M. et Mme [Z] de leur demande de démolition de la construction édifiée par M. et Mme [C] [B] ;
ALORS QUE, premièrement, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n°2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, figurent « m) les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du [code du patrimoine] » ; que selon ces textes, ces abords s'entendent, en l'absence de périmètre délimité par l'autorité administrative, de la zone située à moins de cinq cent mètres du monument historique ; que la condition, qu'ils posent, tenant à ce que la construction soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui ne vise qu'à déterminer les constructions qui, au sein de cette zone, bénéficie de la protection ; qu'en subordonnant la démolition, pour la refuser, à ce que la construction litigieuse soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui, quand cette condition est étrangère à la définition du périmètre protégé, les juges du fond ont violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble les articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine ;
ALORS QUE, deuxièmement, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n°2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, se trouvent « i) les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnées au 1° de l'article L. 515-16 [du code de l'environnement], celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé » ; qu'en refusant la démolition, quand ils constataient pourtant que la construction litigieuse se situe dans une zone mentionnée comme à risque, fût-il faible, dans le Plan de Prévention des Risques Incendie de Forêt (PPRIF), où le droit de réaliser des constructions nouvelles est limité, au motif inopérant que la construction litigieuse pouvait être édifiée sans condition selon le PPRIF, les juges du fond ont violé L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble l'article L. 562-1 du code de l'environnement.
SECOND MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par M. et Mme [Z], encourt la censure ;
EN CE QU' il a débouté M. et Mme [Z] de leur demande subsidiaire de dommages et intérêts ;
ALORS QUE, premièrement, nul ne peut causer à autrui un trouble dépassant les inconvénients ordinaires du voisinage ; qu'en retenant, pour écarter tout trouble anormal de voisinage, qu'il n'y avait pas eu aggravation des vues dès lors qu'il existait déjà une vue sur la propriété de M. et Mme [Z] depuis l'emplacement de la construction litigieuse, sans s'expliquer, comme il y était invités, sur le fait qu'il existait une haie de près de trois mètres de hauteur qui obérait toute vue sur la propriété de M. et Mme [Z] depuis ledit emplacement avant qu'elle n'ait été arrachée pour les besoins des travaux, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage, ensemble les articles 544 et 651 du code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, le trouble anormal de voisinage peut être d'ordre purement esthétique ; qu'en décidant que le caractère inesthétique de la construction ne pouvait à lui seul justifier de l'existence d'un trouble anormal, les juges du fond ont violé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage, ensemble les articles 544 et 651 du code civil ;
ALORS QUE, troisièmement, le juge ne peut refuser de statuer sur une contestation qui lui est soumise, sous peine de commettre un déni de justice ; qu'en objectant, pour refuser de se prononcer, que le caractère inesthétique de la construction relève de la pure subjectivité, les juges du fond ont violé l'article 4 du code civil. | En application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, la condamnation à démolir une construction édifiée en méconnaissance d'une règle d'urbanisme ou d'une servitude d'utilité publique et dont le permis de construire a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative est subordonnée à la seule localisation géographique de la construction à l'intérieur d'une zone soumise à un régime particulier de protection.
Ainsi, en vertu de l'article L. 621-30, II, du code du patrimoine, en l'absence de périmètre délimité, toute construction édifiée dans une zone située à moins de cinq cent mètres d'un monument historique peut être démolie dans les conditions prévues à l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, peu important que cette construction soit ou non visible du monument ou en même temps que lui |
8,283 | CIV. 3
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 800 FS-B
Pourvoi n° X 21-18.527
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
1°/ Mme [K] [Y], veuve [O], domiciliée [Adresse 2],
2°/ M. [H] [O], domicilié [Adresse 6],
3°/ Mme [S] [O], épouse [B], domiciliée [Adresse 1],
4°/ Mme [A] [O], épouse [V], domiciliée [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° X 21-18.527 contre l'arrêt rendu le 6 mai 2021 par la cour d'appel de Montpellier (2ème chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [M] [W], veuve [O],
2°/ à M. [P] [O], domicilié [Adresse 3],
3°/ à M. [R] [O], mineur représenté par sa mère Mme [M] [W],
domiciliés tous trois [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [K] [Y], de M. [H] [O], et de Mmes [S] et [A] [O], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [M] [O], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, MM. Jacques, Boyer, Mme Grandjean, conseillers, Mme Djikpa, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [K] [Y], veuve [O], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] (les consorts [O]) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre MM. [P] et [R] [O].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 6 mai 2021), par acte du 28 mars 1991, les consorts [O] ont, en leur qualité respective d'usufruitière et de nus-propriétaires, donné à bail rural à [J] [O], des bâtiments à usage d'exploitation et d'habitation, ainsi que diverses parcelles.
3. [J] [O] est décédé le 10 février 2018, laissant pour lui succéder son épouse, Mme [M] [W], veuve [O], et leurs deux enfants, [P] et [R] [O], ce dernier étant mineur.
4. Par requête du 11 juillet 2018, les consorts [O] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux aux fins de voir constater leur refus de la continuation du bail par les ayants droit du preneur et obtenir leur expulsion, et ont, par exploit du 12 juillet 2018, notifié à Mme [M] [W], veuve [O] et à ses enfants, une résiliation du bail en application de l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime.
5. Après une mise en demeure infructueuse, les consorts [O], ont, par une seconde requête du 16 novembre 2018, saisi le tribunal d'une demande de résiliation du bail pour défaut de paiement des fermages.
6. Par requête du 23 août 2018, Mme [M] [W], veuve [O] et MM. [P] et [R] [O] ont saisi le tribunal en contestation de la résiliation du bail notifiée le 12 juillet précédent.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Les consorts [O] font grief à l'arrêt de dire que Mme [M] [W], veuve [O] peut bénéficier du statut de preneur du bail dont son conjoint était titulaire et de rejeter leur demande de résiliation du bail, alors « qu'au décès du preneur, le bail rural se poursuit au profit de la personne ayant participé à l'exploitation pendant un temps suffisant, en qualité de conjoint, de partenaire d'un pacte civil de solidarité, d'ascendant ou de descendant ; que la participation qui peut être prise en compte est exclusivement celle réalisée en qualité de conjoint, de partenaire, d'ascendant ou de descendant, à l'exclusion de toute participation antérieure à l'acquisition d'une telle qualité ; que dès lors, les juges du fond, qui avaient constaté que Mme [M] [W] n'avait épousé le preneur que 49 jours avant son décès, ne pouvaient refuser de rechercher si cette durée était suffisante et prendre en considération une participation à l'exploitation antérieure au mariage ; qu'ils ont ainsi violé l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a énoncé que, selon l'article L. 411-34, alinéa 1er, du code rural et de la pêche maritime, en cas de décès du preneur, le bail continue au profit de son conjoint, du partenaire avec lequel il est lié par un pacte de solidarité, de ses ascendants et de ses descendants participant à l'exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès.
10. Ayant constaté que Mme [M] [W], veuve [O] était l'épouse de [J] [O] au jour de son décès et souverainement retenu qu'elle avait participé de manière régulière et effective aux travaux de l'exploitation depuis plus de cinq ans avant celui-ci, elle en a exactement déduit qu'elle pouvait bénéficier, à compter du 10 février 2018, du statut de preneur du bail dont son conjoint était titulaire, peu important qu'elle n'ait acquis la qualité de conjoint que peu de temps avant son décès.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [K] [Y], veuve [O], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [K] [Y], veuve [O], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] et les condamne à payer à Mme [M] [W], veuve [O] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les consorts [O]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [K] [Y], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Mme [M] [W] veuve [O] pouvait bénéficier du statut de preneur du bail dont son conjoint était titulaire et ce, à compter du 10 février 2018, et d'avoir rejeté leur demande de résiliation du bail ;
ALORS QU'au décès du preneur, le bail rural se poursuit au profit de la personne ayant participé à l'exploitation pendant un temps suffisant, en qualité de conjoint, de partenaire d'un pacte civil de solidarité, d'ascendant ou de descendant ; que la participation qui peut être prise en compte est exclusivement celle réalisée en qualité de conjoint, de partenaire, d'ascendant ou de descendant, à l'exclusion de toute participation antérieure à l'acquisition d'une telle qualité ; que dès lors, les juges du fond, qui avaient constaté que Mme [M] [W] n'avait épousé le preneur que 49 jours avant son décès, ne pouvaient refuser de rechercher si cette durée était suffisante et prendre en considération une participation à l'exploitation antérieure au mariage ; qu'ils ont ainsi violé l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [K] [Y], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur demande de résiliation du bail ;
1- ALORS QUE le juge doit respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office, sans inviter les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de l'existence de raisons sérieuses et légitimes justifiaient le non-paiement des fermages, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.
2- ALORS QU'il revient à celui qui invoque des raisons sérieuses et légitimes de ne pas s'acquitter des fermages d'en démontrer la réalité ; qu'en retenant néanmoins qu'il n'était pas démontré que les propriétaires bailleurs aient jamais réclamé à [J] [O] de son vivant les fermages, la cour d'appel a mis à la charge des bailleurs la démonstration de l'absence de raison sérieuse et légitime de ne pas s'acquitter des fermages et a ainsi violé les articles 1353 du code civil et L. 411-31 du code rural. | En application de l'article L. 411-34, alinéa 1, du code rural et de la pêche maritime, en cas de décès du preneur, le bail continue au profit de son conjoint participant à l'exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès, peu important qu'il n'ait acquis la qualité de conjoint que peu de temps avant son décès |
8,284 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Rejet
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 668 F-B
Pourvoi n° E 21-17.338
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 NOVEMBRE 2022
La société Conforama France, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 21-17.338 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (chambre commerciale internationale, pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Industria Conciaria Volturno SRL, société de droit italien, dont le siège est [Adresse 5] (Italie), représentée par son liquidateur amiable M. [E] [G],
2°/ à la société High Point Real Estate LLC, société de droit de l'Etat de Caroline du Nord, Etats-Unis, dont le siège est [Adresse 2] (États-Unis), prise en tant que besoin en son principal établissement domicilié [Adresse 1] (Etats-Unis),
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
la société High Point Real Estate LLC a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Conforama France, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société High Point Real Estate LLC, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2021), de 2004 à 2006, la société Conforama France (la société Conforama), société de droit français ayant pour activité la vente de biens d'équipement et d'ameublement, a eu comme fournisseur la société de droit américain Mab Ltd (la société Mab), en liquidation amiable depuis le 21 décembre 2006.
2. Le 20 juillet 2006, la société de droit italien Industria Conciaria Volturno Srl (la société ICV), ayant pour activité le commerce de peaux et de meubles, créancière de la société Mab, a fait pratiquer une saisie conservatoire entre les mains de la société Conforama en vue du paiement de sa créance.
3. Le 24 août 2006, la société de droit américain High Point Real Estate LLC (la société HPRE), prêteur à des fins d'investissements immobiliers ou financiers, créancière de la société Mab, a fait pratiquer une saisie conservatoire entre les mains de la société Conforama au titre de sa créance.
4. La société Conforama, après avoir déclaré être débitrice de la société Mab, a indiqué détenir une créance sur cette dernière au titre de trois factures des 24 mars, 20 juin et 5 juillet 2006, venant en compensation avec la créance de la société Mab.
5. Le 9 septembre 2008, la société ICV a assigné la société Conforama, sur le fondement d'une action oblique, pour contester les factures de la société Conforama à l'égard de la société Mab. Un sursis à statuer a été ordonné dans l'attente de l'issue de la procédure parallèle opposant la société ICV à la société Mab sur le montant de la créance.
6. Par lettre du 20 décembre 2013, la société HPRE a demandé le rétablissement de la procédure engagée par la société ICV contre la société Conforama sur le fondement de l'action oblique et a demandé à intervenir volontairement dans cette instance, régularisant des conclusions à cette fin le 5 mai 2014.
7. La société Conforama a opposé à la société HPRE la prescription de son action.
Examen des moyens
Sur les deuxième et quatrième moyens du pourvoi principal et les premier et troisième moyens du pourvoi incident, ci-après annexés
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La société Conforama fait grief à l'arrêt d'ordonner le rejet des débats de la pièce n° 50, d'ordonner la cancellation de tous les paragraphes des conclusions faisant mention, soit de la pièce n° 50, soit de toute référence à ladite pièce ou à son contenu et de confirmer les décisions entreprises en toutes leurs dispositions, sauf en ce qu'elles ont déclaré la société HPRE recevable à agir et lui ont alloué une indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que les échanges entre cabinets d'avocats dont le signataire n'est pas avocat ne sont pas couverts par la confidentialité des correspondances entre avocats ni par le secret professionnel ; qu'au cas présent, la cour d'appel a estimé que le courrier électronique transmis par la secrétaire du conseil d'ICV, et ses annexes, seraient couverts par le secret et la confidentialité dès lors que le courrier portait clairement comme objet le nom des parties et du dossier concerné et précisait la nature des pièces jointes ; qu'en statuant ainsi, cependant que la secrétaire du conseil d'ICV n'était pas avocate, la cour d'appel a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article 3-1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat ;
2°/ que les documents envoyés par un avocat à l'un de ses confrères et indiqués comme étant des pièces d'une procédure judiciaire peuvent être transmis par l'avocat destinataire à son client concerné par la procédure judiciaire ; que le client n'étant aucunement tenu par un quelconque secret ou confidentialité des correspondances, peut ensuite produire le document reçu à une procédure ; qu'au cas présent, la cour d'appel a estimé que le courrier électronique transmis par la secrétaire du conseil d'ICV, et ses annexes, seraient couverts par le secret et la confidentialité ; qu'en statuant ainsi, sans tenir compte de ce que la société Conforama, destinataire d'un document indiqué par son expéditeur comme une pièce de procédure, n'était tenu par aucun secret ou confidentialité des correspondances, la cour d'appel a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble les articles 3-1 et 3-2 du règlement intérieur national de la profession d'avocat. »
Réponse de la Cour
10. Après avoir énoncé qu'il résulte de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 3-1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat que les correspondances entre avocats et/ou entre un avocat et son client ne peuvent être produites en justice, sans aucune exception, et que leur production ne peut être légitimée par l'exercice des droits de la défense, sauf pour la propre défense de l'avocat, l'arrêt retient que, quand bien même seraient-elles échangées par courriel entre la secrétaire d'un avocat et un avocat, les correspondances entre avocats portant clairement comme objet le nom des parties et du dossier concerné et précisant la nature des pièces jointes, ces correspondances sont couvertes par le même secret, dès lors qu'elles ne portent pas la mention « officielle ». Il relève qu'en l'espèce, la société Conforama a produit en pièce n° 50 un document dont il résulte qu'elle l'a obtenu par courriel de son avocat, qui lui-même l'avait reçu du cabinet de son confrère le 30 juin 2017, mentionnant expressément qu'il s'agissait d'une transmission concernant un dossier « Industria Conciaria V / Mab Lt + HPRE » et qu'un « protocole d'accord transactionnel » était joint, sans toutefois mentionner le caractère « officiel » de cette transmission.
11. De ces constatations et appréciations, c'est à bon droit que, peu important les conditions de leur transmission et l'auteur de leur production, la cour d'appel a déduit que les pièces en cause étaient couvertes par le secret professionnel de l'avocat et ne pouvaient être produites en justice.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
13. La société Conforama fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ qu'il appartient au juge d'interpréter le contrat ; que les principes Unidroit peuvent parfaitement être appliqués même à défaut de mention expresse dans les accords commerciaux ; que les principes Unidroit eux-mêmes indiquent qu'ils peuvent être appliqués "lorsque les parties acceptent que leur contrat soit régi par les principes généraux du droit, la lex mercatoria ou autre formule similaire" ; qu'en refusant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges d'appliquer les principes Unidroit au motif qu'ils ne seraient pas expressément visés, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause ;
2°/ que l'article 1er du contrat fournisseur (Conforama supplyer agreement) du 15 juillet 2004 prévoyait expressément que "les conditions d'achat couvrent (
) les accords de coopération commerciale associés" ("The terms of purchase cover (
) associated agreements on commercial cooperation") ; qu'en énonçant que "la coopération commerciale entre Conforama ou ses filiales d'une part, et Mab Natale de l'autre, ne relève pas des dispositions relatives à la loi applicable prévues par CACCCC2004 ou CSA2004 [nom donné par le tribunal au Contrat fournisseur du 15 juillet 2004]", la cour d'appel a dénaturé ledit contrat, en violation de l'article 1134 devenu 1192 du code civil ;
3°/ que le choix de la loi applicable à un contrat international peut, soit être exprès, soit résulter implicitement des circonstances de la cause ; qu'en particulier, en présence d'un groupe de contrats dérivant d'une convention initiale, telles que des conditions générales, le choix par les parties d'une loi pour régir ce contrat initial vaut en principe également pour les autres contrats liés ; qu'au cas présent, en écartant la clause de choix de loi prévue conjointement par les conditions générales d'achat et de fourniture du 15 octobre 2004 et par le contrat fournisseur du 15 juillet 2004, au motif que le contrat de coopération commerciale serait distinct de ces conditions générales et contrat fournisseur, sans rechercher si ces choix de lois conformes ne constituaient pas des circonstances de la cause impliquant un choix implicite de loi pour régir la relation de coopération commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;
4°/ que la loi entretenant les liens les plus étroits avec un contrat accessoire de coopération commerciale est celle régissant le rapport principal de distribution que la coopération commerciale a pour objet ; qu'au cas présent, le rapport de distribution était soumis par les parties aux principes et usages du commerce international ; qu'en soumettant la coopération commerciale à la loi française au motif que la prestation était rendue en France, la cour d'appel a violé l'article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;
5°/ que la loi entretenant les liens les plus étroits avec un contrat accessoire de coopération commerciale est celle régissant le rapport principal de distribution que la coopération commerciale a pour objet ; qu'à supposer les clauses soumettant le rapport de distribution aux principes et usages du commerce international inapplicables, la loi applicable au rapport de distribution était alors la loi de l'Etat de résidence habituelle du fournisseur, débiteur de la prestation caractéristique au sens de la Convention de Rome, c'est-à-dire la loi américaine ; qu'en soumettant la coopération commerciale à la loi française au motif que la prestation était rendue en France, la cour d'appel a violé l'article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980. »
Réponse de la Cour
14. En premier lieu, il résulte de l'article 3, paragraphe 1, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, que les principes généraux applicables aux contrats internationaux, tels que ceux qui ont été élaborés par l'Institut international pour l'unification du droit privé (Unidroit), ne constituent pas une loi pouvant être choisie par les parties au sens de cette disposition. Le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
15. En second lieu, après avoir énoncé qu'à défaut de choix par les parties, l'article 4, paragraphe 1, de la Convention de Rome prévoit que le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits et que, selon le paragraphe 2 de cet article, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle, puis relevé que les contrats de coopération commerciale étaient distincts des contrats « fournisseur », l'arrêt retient qu'il résulte des éléments versés au dossier et notamment de leur objet, qui porte sur la promotion commerciale, par le biais de publicités ou de catalogues mis à la disposition des clients ou sur internet, et la visibilité des produits en magasin, que les contrats litigieux avaient les liens les plus étroits avec la France. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que la prestation caractéristique devait être fournie par le distributeur, ayant son siège en France, et que le contrat ne présentait pas de liens plus étroits avec un pays autre, la cour d'appel a retenu à bon droit l'application du droit français aux contrats de coopération commerciale litigieux.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le deuxième moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
17. La société HPRE fait grief à l'arrêt de la déclarer prescrite et en conséquence irrecevable à agir contre la société Conforama, alors « que le délai de prescription est interrompu par un acte d'exécution forcée ; que la prescription d'une action oblique formée par un créancier contre le débiteur de son débiteur peut notamment être interrompue par des actes d'exécution forcée exercés contre le débiteur du demandeur à l'action et notifiés au débiteur de son débiteur, défendeur à l'action oblique ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société HPRE avait signifié le 17 novembre 2011 à la société Conforama un acte de conversion en saisie-attribution d'une saisie conservatoire pratiquée en 2006 pour obtenir le paiement de sa créance contre la société Mab ; qu'en refusant de faire produire à cet acte d'exécution forcée contre la société Mab un effet interruptif de prescription de l'action oblique exercée contre la société Conforama, débitrice de la société Mab, la cour d'appel a violé l'article 2244 du code civil, ensemble l'article 1166 du même code, dans leur rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
18. Après avoir relevé que la société HPRE n'était intervenue volontairement que le 20 décembre 2013 à l'action oblique engagée par la société ICV pour contester les factures émises par la société Conforama à l'égard de la société Mab, tandis qu'il n'était pas contesté qu'elle avait eu connaissance des faits ayant justifié l'exercice de cette action en 2006, l'arrêt retient que la signification, le 17 novembre 2011, à la société Conforama, de la conversion en saisie-attribution de la saisie-conservatoire pratiquée entre ses mains en 2006 constitue un acte d'exécution forcée à l'encontre de la seule société Mab et non à l'encontre de la société Conforama et que le recouvrement de la créance contre la société Mab est distinct, tant dans son objet que dans son fondement, de l'action oblique exercée contre la société Conforama. Il retient encore que l'article 2244 du code civil ne confère d'effet interruptif qu'aux actes exercés à l'encontre du débiteur concerné par l'action et relève qu'il n'y a eu aucun acte d'exécution forcée à l'encontre de la société Conforama, ni même aucune mesure conservatoire, susceptible d'interrompre la prescription de l'action engagée par la société HPRE contre cette société.
19. De ces constatations et appréciations, l'arrêt a exactement déduit que la prescription de l'action oblique engagée par la société HPRE à l'encontre de la société Conforama n'avait pas été interrompue par l'acte du 17 novembre 2011 et que cette action était donc prescrite.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal et le pourvoi incident ;
Condamne la société Conforama France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SAS Hannotin Avocats, avocat aux Conseils, pour la société Conforama France.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Conforama fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné le rejet des débats de la pièce n°50, d'avoir ordonné la cancellation de tous les paragraphes des conclusions faisant mention soit de la pièce n°50 soit de toute référence à ladite pièce ou à son contenu et d'avoir confirmé les décisions entreprises en toutes leurs dispositions sauf en ce qu'elles ont déclaré la société HPRE recevable à agir, et lui ont alloué une indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
1°) Alors que les échanges entre cabinets d'avocats dont le signataire n'est pas avocat ne sont pas couverts par la confidentialité des correspondances entre avocats ni par le secret professionnel ; qu'au cas présent, la cour d'appel a estimé que le courrier électronique transmis par la secrétaire du conseil d'ICV, et ses annexes, seraient couverts par le secret et la confidentialité dès lors que le courrier portait clairement comme objet le nom des parties et du dossier concerné et précisait la nature des pièces jointes ; qu'en statuant ainsi, cependant que la secrétaire du conseil d'ICV n'était pas avocate, la cour d'appel a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article 3-1 du Règlement intérieur national de la profession d'avocat ;
2°) Alors que les documents envoyés par un avocat à l'un de ses confrères et indiqués comme étant des pièces d'une procédure judiciaire peuvent être transmis par l'avocat destinataire à son client concerné par la procédure judiciaire ; que le client n'étant aucunement tenu par un quelconque secret ou confidentialité des correspondances, peut ensuite produire le document reçu à une procédure ; qu'au cas présent, la cour d'appel a estimé que le courrier électronique transmis par la secrétaire du conseil d'ICV, et ses annexes, seraient couverts par le secret et la confidentialité ; qu'en statuant ainsi, sans tenir compte de ce que la société Conforama, destinataire d'un document indiqué par son expéditeur comme une pièce de procédure, n'était tenu par aucun secret ou confidentialité des correspondances, la cour d'appel a violé l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble les articles 3-1 et 3-2 du Règlement intérieur national de la profession d'avocat.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Conforama fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé les décisions entreprises en toutes leurs dispositions sauf en ce qu'elles ont déclaré la société HPRE recevable à agir, et lui ont alloué une indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
1°) Alors que l'exposante faisait valoir que le courrier de la DDCCRF de Seine et Marne du 14 mars 2008 avait été établi sans susciter ou recueillir d'une quelconque manière les observations de la société Conforama et donc en violation du principe de la contradiction (conclusions d'appel, p. 77) ; que la cour d'appel n'a aucunement répondu sur ce point, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) Alors que le juge doit en toute hypothèse respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; qu'au cas présent, l'exposante faisait valoir que le courrier de la DDCCRF de Seine et Marne avait été établi sans susciter ou recueillir d'une quelconque manière les observations de la société Conforama et donc en violation du principe de la contradiction ; qu'en se fondant sur ce courrier pour écarter les factures émises par Conforama (arrêt attaqué, p. 24, al. 2), la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Conforama fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé les décisions entreprises en toutes leurs dispositions sauf en ce qu'elles ont déclaré la société HPRE recevable à agir, et lui ont alloué une indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
1°) Alors que il appartient au juge d'interpréter le contrat ; que les principes Unidroit peuvent parfaitement être appliqués même à défaut de mention expresse dans les accords commerciaux ; que les principes Unidroit eux-mêmes indiquent qu'ils peuvent être appliqués « lorsque les parties acceptent que leur contrat soit régi par les principes généraux du droit, la lex mercatoria ou autre formule similaire » ; qu'en refusant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges (jugement entrepris, p. 14) d'appliquer les principes Unidroit au motif qu'ils ne seraient pas expressément visés, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable en la cause ;
2°) Alors que l'article 1er du contrat fournisseur (Conforama supplyer agreement) du 15 juillet 2004 prévoyait expressément que « les conditions d'achat couvrent (
) les accords de coopération commerciale associés » (« The terms of purchase cover (
) associated agreements on commercial cooperation ») ; qu'en énonçant que « la coopération commerciale entre Conforama ou ses filiales d'une part, et Mab Natale de l'autre, ne relève pas des dispositions relatives à la loi applicable prévues par CACCCC2004 ou CSA2004 [nom donné par le tribunal au Contrat fournisseur du 15 juillet 2004] » (jugement entrepris, p. 14), la cour d'appel a dénaturé ledit contrat, en violation de l'article 1134 devenu 1192 du code civil ;
3°) Alors que, en tout état de cause, le choix de la loi applicable à un contrat international peut, soit être exprès, soit résulter implicitement des circonstances de la cause ; qu'en particulier, en présence d'un groupe de contrats dérivant d'une convention initiale, telles que des conditions générales, le choix par les parties d'une loi pour régir ce contrat initial vaut en principe également pour les autres contrats liés ; qu'au cas présent, en écartant la clause de choix de loi prévue conjointement par les conditions générales d'achat et de fourniture du 15 octobre 2004 et par le contrat fournisseur du 15 juillet 2004, au motif que le contrat de coopération commerciale serait distinct de ces conditions générales et contrat fournisseur, sans rechercher si ces choix de lois conformes ne constituaient pas des circonstances de la cause impliquant un choix implicite de loi pour régir la relation de coopération commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;
4°) Alors que, en tout état de cause, la loi entretenant les liens les plus étroits avec un contrat accessoire de coopération commerciale est celle régissant le rapport principal de distribution que la coopération commerciale a pour objet ; qu'au cas présent, le rapport de distribution était soumis par les parties aux principes et usages du commerce international ; qu'en soumettant le coopération commerciale à la loi française au motif que la prestation était rendue en France, la cour d'appel a violé l'article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 ;
5°) Alors que, subsidiairement, la loi entretenant les liens les plus étroits avec un contrat accessoire de coopération commerciale est celle régissant le rapport principal de distribution que la coopération commerciale a pour objet ; qu'à supposer les clauses soumettant le rapport de distribution aux principes et usages du commerce international inapplicable, la loi applicable au rapport de distribution était alors la loi de l'état de résidence habituelle du fournisseur, débiteur de la prestation caractéristique au sens de la Convention de Rome, c'est-à-dire la loi américaine ; qu'en soumettant le coopération commerciale à la loi française au motif que la prestation était rendue en France, la cour d'appel a violé l'article 4 de la Convention de Rome du 19 juin 1980.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
La société Conforama fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé les décisions entreprises en toutes leurs dispositions sauf en ce qu'elles ont déclaré la société HPRE recevable à agir, et lui ont alloué une indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Alors que, aux termes de l'article 4.2 de l'accord-cadre de coopération commerciale du 10 janvier 2006, les parties disposaient d'un délai de forclusion de 15 jours pour contester les factures et qu'à défaut de contestation, les créances correspondantes n'étaient plus contestables et devenaient certaines, liquides et exigibles ; que, pour écarter l'application de ce délai de forclusion, la cour d'appel a retenu que « les dispositions applicables relèvent d'une réglementation impérative qui ne peuvent être écartées, même d'un commun accord, et qu'en outre, en l'espèce, compte tenu de la date très tardive de l'émission desdites factures, clairement rétroactives, et de leur imprécision sur les prestations concernées, ces factures ne pouvaient ni avoir date certaine, ni être régularisées a posteriori » (arrêt attaqué, pt. 157) et que le prix des prestations serait manifestement disproportionné (arrêt attaqué, pt. 158) ; qu'en statuant ainsi, par des motifs manifestement insusceptibles d'écarter la clause de forclusion stipulée, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 devenu 1103 du code civil. Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société High Point Real Estate LLC.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société HPRE fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée prescrite et en conséquence irrecevable à agir contre la société Conforama France ;
1°) ALORS QU'il résulte de l'assignation du 20 avril 2009 délivrée par la société HPRE devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Meaux (p. 14, § 7) que cette société avait assigné la société Conforama en formulant à son encontre, dans le dispositif, une demande tendant à voir « Dire que CONFORAMA France devra remettre à HPRE les sommes qu'elle reste devoir à MAB, Ltd » ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter l'effet interruptif de cette action en justice, que celle-ci ne comportait aucune demande à l'encontre de la société Conforama France, pour en déduire qu'en aucun cas l'action engagée devant le juge de l'exécution par la société HPRE n'avait pour objet une action oblique contre la société Conforama France, mais seulement contre ICV et Eurotrac, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'assignation délivrée par la société HPRE devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Meaux datée du 20 avril 2009, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) ALORS QU'il résulte du jugement du 13 janvier 2011 du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Meaux (p. 4, 14ème tiret) que la société HPRE formait une demande tendant à voir « dire que CONFORAMA France devra remettre à HPRE les sommes qu'elle reste devoir à MAB Ltd » ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter l'effet interruptif de cette action en justice, qu'il résultait de ce jugement que l'action engagée devant le juge de l'exécution ne comportait aucune demande à l'encontre de la société Conforama France, pour en déduire qu'en aucun cas l'action engagée devant le juge de l'exécution par la société HPRE n'avait pour objet une action oblique contre la société Conforama France, mais seulement contre ICV et Eurotrac, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du jugement du 13 janvier 2011 susvisé, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
3°) ALORS QU'il résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 novembre 2012 (p. 5, alinéa 6) que la société HPRE formait une demande tendant à voir « dire que CONFORAMA France devra remettre à HPRE les sommes qu'elle reste devoir à MAB Ltd » ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter l'effet interruptif de cette action en justice, qu'il résultait de cet arrêt que l'action engagée devant le juge de l'exécution ne comportait aucune demande à l'encontre de la société Conforama France, pour en déduire qu'en aucun cas l'action engagée devant le juge de l'exécution par la société HPRE n'avait pour objet une action oblique contre la société Conforama France, mais seulement contre ICV et Eurotrac, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'arrêt du 15 novembre 2012 susvisé, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société HPRE fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée prescrite et en conséquence irrecevable à agir contre la société Conforama France ;
ALORS QUE le délai de prescription est interrompu par un acte d'exécution forcée ; que la prescription d'une action oblique formée par un créancier contre le débiteur de son débiteur peut notamment être interrompue par des actes d'exécution forcée exercés contre le débiteur du demandeur à l'action et notifiés au débiteur de son débiteur, défendeur à l'action oblique ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société HPRE avait signifié le 17 novembre 2011 à la société Conforama France un acte de conversion en saisie-attribution d'une saisie conservatoire pratiquée en 2006 pour obtenir le paiement de sa créance contre la société Mab Ltd ; qu'en refusant de faire produire à cet acte d'exécution forcée contre la société Mab Ltd un effet interruptif de prescription de l'action oblique exercée contre la société Conforama France, débitrice de la société Mab Ltd, la cour d'appel a violé l'article 2244 du code civil, ensemble l'article 1166 du même code, dans leur rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société HPRE fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclarée prescrite et en conséquence irrecevable à agir contre la société Conforama ;
ALORS QUE l'intervention d'un second créancier sur l'action oblique exercée par un premier créancier ne doit pas nécessairement emprunter la voie d'une intervention volontaire à titre accessoire ; qu'en énonçant que « si par application de l'article 1166 du code civil (ancien), les créanciers peuvent être admis en concours à l'action engagée par le premier créancier agissant par voie oblique, et être admis à demander la distribution de la somme obtenue, une telle action ne peut se faire que par la voie de l'intervention à titre accessoire pour en bénéficier, ce qui n'était pas le cas de l'intervention formée par la société HPRE à titre principal », la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, et a violé l'article 1166 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. | Il résulte de l'article 3, § 1, de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, que les principes généraux applicables aux contrats internationaux, tels que ceux qui ont été élaborés par l'Institut international pour l'unification du droit privé (Unidroit), ne constituent pas une loi pouvant être choisie par les parties au sens de cette disposition |
8,285 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 673 FS-B
Pourvoi n° R 21-10.126
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 NOVEMBRE 2022
La société SBA vins, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 21-10.126 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant à M. [D] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de la société SBA vins, de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [E], et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Michel-Amsellem, MM. Bedouet, Alt, conseillers, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 novembre 2020), après avoir mis fin au contrat d'agent commercial qui le liait à la société SBA vins en imputant la rupture aux manquements de la mandante à ses obligations, M. [E] l'a assignée en paiement d'une indemnité de cessation de contrat.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
3. La société SBA vins fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [E] la somme de 168 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de la rupture et de rejeter sa demande de dommages et intérêts, alors :
« 1°/ que la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale ; que l'agent commercial, tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son mandant, est tenu d'obtenir l'accord de ce dernier pour représenter une entreprise concurrente à celui-ci ; qu'en jugeant que la représentation par M. [E] d'une maison de champagne concurrente à celles représentées par la société SBA vins n'était pas constitutive d'une faute, sans constater que M. [E] avait, au préalable, obtenu l'accord de la société SBA vins, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 134-3, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
2°/ que la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale ; que l'agent commercial, tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son mandant, est tenu d'obtenir l'accord de ce dernier pour représenter une entreprise concurrente à celui-ci ; qu'en relevant, pour juger que la représentation par M. [E] d'une maison de champagne concurrente n'était pas constitutive d'une faute, qu'il n'y avait eu aucune volonté de dissimulation, que M. [E] n'était pas lié par une clause d'exclusivité ou de non-concurrence et que le nombre de maisons de champagne est important, cependant que ces circonstances étaient impropres à exclure la commission par l'agent commercial d'une faute grave découlant de l'absence d'accord préalable de son mandant, la cour d'appel a violé les articles L. 134-3, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
3°/ que la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale ; que l'agent commercial, tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son mandant, commet une faute grave en nouant des relations directes avec les clients de son mandant, en le lui dissimulant ; qu'en jugeant que la société SBA vins ne caractérisait pas la faute de M. [E] pour avoir passé des commandes directement avec ses clients tout en relevant que la société SBA vins produisait trois commandes du 10 juin au 1er juillet 2014 qui avaient été directement transmises aux mandants de la société SBA vins, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 134-3, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l'article L. 134-13 du code de commerce que, lorsque la cessation du contrat d'agence commerciale résulte de l'initiative de l'agent et qu'elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant, la réparation prévue à l'article L. 134-12 de ce code demeure due à l'agent, quand bien même celui-ci aurait commis une faute grave dans l'exécution du contrat.
5. L'arrêt retient que la société SBA vins, en ne transmettant pas à M. [E] les éléments nécessaires au calcul de ses commissions, ce qui a engendré des retards dans le paiement de celles-ci, et en vendant de manière renouvelée du vin sur le site vente-privée.com, ce qui était de nature à faire naître un grand mécontentement chez les producteurs de vins et à mettre fin à certaines commandes, a manqué à ses obligations et a amené M. [E] à résilier, de manière justifiée, son contrat d'agent commercial.
6. Par ces seuls motifs, vainement critiqués par les quatrième et cinquième branches, abstraction faite de ceux critiqués par les première, deuxième et troisième branches, surabondants dès lors qu'ayant été retenu que la cessation du contrat, intervenue à l'initiative de M. [E], était justifiée par des circonstances imputables à la société SBA vins, l'éventuelle commission d'une faute grave par l'agent commercial était sans incidence sur son droit à la réparation prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce, la cour d'appel a justifié sa décision de ce chef.
7. Le moyen est donc inopérant.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La société SBA vins fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [E] la somme de 168 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de la rupture, alors « que la réparation doit être intégrale sans perte ni profit pour la victime ; que l'indemnité compensatrice a pour objet de réparer le préjudice subi par l'agent commercial résultant de la perte des rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties ; qu'en fixant l'indemnité due à M. [E] à deux ans de commissions, soit la somme de 168 000 euros, tout en relevant que pendant les deux années suivant la rupture l'agent avait conservé 89 517,56 euros de recettes de commissions en lien avec les clients résultant de son activité auprès de SBA vins, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 134-12 du code de commerce et le principe de la réparation intégrale. »
Réponse de la Cour
9. L'indemnité prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce ayant pour objet la réparation du préjudice qui résulte, pour l'agent commercial, de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune, il n'y a pas lieu d'en déduire les commissions perçues par l'agent, postérieurement à la cessation du contrat, au titre de la prospection de tout ou partie de cette même clientèle pour un autre mandant.
10. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SBA vins aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société SBA vins et la condamne à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société SBA vins.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société SBA Vins à payer à M. [E] la somme de 168 000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de la rupture avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2014 et D'AVOIR débouté la société SBA Vins de sa demande de dommages et intérêts ;
ALORS, 1°), QUE la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale ; que l'agent commercial, tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son mandant, est tenu d'obtenir l'accord de ce dernier pour représenter une entreprise concurrente à celui-ci ; qu'en jugeant que la représentation par M. [E] d'une maison de champagne concurrente à celles représentées par la société SBA Vins n'était pas constitutive d'une faute, sans constater que M. [E] avait, au préalable, obtenu l'accord de la société SBA Vins, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 134-3, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
ALORS, 2°), QUE la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale ; que l'agent commercial, tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son mandant, est tenu d'obtenir l'accord de ce dernier pour représenter une entreprise concurrente à celui-ci ; qu'en relevant, pour juger que la représentation par M. [E] d'une maison de champagne concurrente n'était pas constitutive d'une faute, qu'il n'y avait eu aucune volonté de dissimulation, que M. [E] n'était pas lié par une clause d'exclusivité ou de non-concurrence et que le nombre de maisons de champagne est important, cependant que ces circonstances étaient impropres à exclure la commission par l'agent commercial d'une faute grave découlant de l'absence d'accord préalable de son mandant, la cour d'appel a violé les articles L. 134-3, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
ALORS, 3°), QUE la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice de d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale ; que l'agent commercial, tenu d'une obligation de loyauté à l'égard de son mandant, commet une faute grave en nouant des relations directes avec les clients de son mandant, en le lui dissimulant ; qu'en jugeant que la société SBA Vins ne caractérisait pas la faute de M. [E] pour avoir passé des commandes directement avec ses clients tout en relevant que la société SBA Vins produisait trois commandes du 10 juin au 1er juillet 2014 qui avaient été directement transmises aux mandants de la société SBA Vins, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 134-3, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
ALORS, 4°), QU'en cas de démission de l'agent commercial, l'indemnité compensatrice n'est pas due, sauf à ce dernier à démontrer que la rupture du contrat est justifiée par des circonstances exclusivement imputables au mandant ; qu'en jugeant que, par la faute du mandant, l'agent commercial avait subi des retards dans le paiement de ses commissions, après avoir pourtant relevé que l'agent avait bénéficié d'avances sur commissions et qu'en réalité, il avait bénéficié d'un trop-perçu dans le paiement de ses commissions, ce dont il résultait que M. [E] n'avait pas subi de préjudice, ni même de retard dans le paiement de ses commissions, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
ALORS, 5°), QUE le juge doit examiner tous les éléments produits par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en retenant qu'en vendant du vin sur le site de vente en ligne vente.privée.com, le mandant n'avait pas mis en mesure son agent commercial d'exécuter pleinement son mandat, sans examiner le contrat produit en pièce 57 par la société SBA Vins, duquel il résultait que la mise en vente du vin sur le site de ventes privées résultait d'accords directement conclus entre les producteurs et la société exploitant le site, sans son intervention de sorte que cette opération ne lui était pas imputable, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société SBA Vins à payer à M. [E] la somme de 168 000 euros au titre de l'indemnité de compensatrice de la rupture avec intérêts au taux légal à compter du 7 juillet 2014 ;
ALORS QUE la réparation doit être intégrale sans perte ni profit pour la victime ; que l'indemnité compensatrice a pour objet de réparer le préjudice subi par l'agent commercial résultant de la perte des rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties ; qu'en fixant l'indemnité due à M. [E] à deux ans de commissions, soit la somme de 168 000 euros, tout en relevant que pendant les deux années suivant la rupture l'agent avait conservé 89 517,56 euros de recettes de commissions en lien avec les clients résultant de son activité auprès de SBA Vins, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 134-12 du code de commerce et le principe de la réparation intégrale. | Il résulte de l'article L. 134-13 du code de commerce que, lorsque la cessation du contrat d'agence commerciale résulte de l'initiative de l'agent et qu'elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant, la réparation prévue à l'article L. 134-12 de ce code demeure due à l'agent, quand bien même celui-ci aurait commis une faute grave dans l'exécution du contrat |
8,286 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 675 FS-B
Pourvoi n° X 21-17.423
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 NOVEMBRE 2022
La société Acopal, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3], a formé le pourvoi n° X 21-17.423 contre l'arrêt rendu le 6 mai 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Paniers Terdis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de la société Acopal, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Paniers Terdis, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Michel-Amsellem, MM. Bedouet, Alt, conseillers, M. Blanc, Mmes Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 mai 2021) et les productions, la société Acopal exerçait, depuis 2008, l'activité d'agent commercial pour le compte de la société Terdis devenue ultérieurement Paniers Terdis. Le 3 mai 2013, les sociétés Acopal et Terdis, ont conclu un contrat dénommé « contrat de prestation merchandising », par lequel la société Terdis a confié à la société Acopal l'optimisation de la mise en place de ses produits dans les rayons, et, le 7 mai suivant, un contrat d'agence commerciale. Le 11 octobre 2013, un contrat d'agence commerciale et un contrat de « merchandising » ont été conclus entre la société Paniers Terdis et la société Acopal.
2. La société Paniers Terdis a, par lettre reçue le 4 mars 2016 par la société Acopal, résilié le contrat d'agence commerciale les liant.
3. La société Acopal a assigné la société Paniers Terdis en paiement des indemnités de rupture et de préavis et en communication de pièces.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La société Acopal fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'indemnités de rupture et de préavis, alors :
« 1°/ que l'activité déployée par l'agent commercial pour un concurrent de son mandant, connue et tolérée par ce dernier, ne peut constituer une faute grave justifiant la privation de l'indemnité compensatrice de rupture et l'absence de préavis ; qu'il suffit à cet égard que le mandant ait connu cette situation avant la conclusion du contrat d'agence commerciale et qu'il l'ait tolérée durant l'exécution de celui-ci ; qu'au cas d'espèce, en considérant au contraire qu'il fallait que la société Terdis ait eu connaissance de l'activité déployée par la société Acopal pour la société concurrente Georgelin depuis le 11 octobre 2013, date d'entrée en vigueur du contrat d'agence se substituant au contrat précédent, et non antérieurement, la cour d'appel a violé les articles L. 134-3, L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
2°/ que l'activité déployée par l'agent commercial pour un concurrent de son mandant, connue et tolérée par ce dernier, ne peut constituer une faute grave justifiant la privation de l'indemnité compensatrice de rupture ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant de rechercher, comme l'avaient retenu les premiers juges et comme l'y invitait la société Acopal, si, peu important que les rapports commerciaux entre la société Terdis et la société Georgelin aient cessé le 22 octobre 2009, les relations d'agence commerciale entre la société Acopal et la société Terdis n'avaient pas commencé dès l'année 2008 (le contrat écrit de 2013 n'ayant fait que formaliser ces relations) et si le mandant n'avait pas connaissance dès cette époque du fait que la société Acopal travaillait aussi avec la société concurrente Georgelin, de sorte qu'il avait toléré cette situation, ce qui interdisait d'y voir une faute grave commise par l'agent, la cour d'appel n'a en tout état de cause pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 134-3, L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. L'arrêt relève d'abord, d'un côté, que le contrat d'agence commerciale, signé le 11 octobre 2013, stipule que l'agent « ne peut accepter la représentation de produits susceptibles de concurrencer ceux faisant l'objet du présent contrat », de l'autre, que la société Acopal reconnaît avoir exercé, postérieurement, une activité d'agent commercial également pour la société Georgelin, entreprise concurrente de la société Paniers Terdis. Il retient ensuite que la société Acopal ne rapporte pas la preuve que, depuis la date de signature du contrat la liant à la société Paniers Terdis, cette dernière était informée de cette activité concurrente et l'avait tolérée, et que la tolérance du mandant ne peut être déduite de l'existence dans le passé de relations d'affaires entre la société Terdis et la société concurrente.
6. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que l'insertion dans le contrat de la clause interdisant toute représentation d'une entreprise concurrente remettait en cause la tolérance que la société Terdis avait pu antérieurement consentir à la société Acopal pour entretenir des relations d'agent commercial au profit de la société Georgelin, a pu déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, qu'en poursuivant ses relations avec cette société concurrente, la société Acopal avait commis une faute grave.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. La société Acopal fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnité compensatrice de rupture, alors « que les dispositions de droit interne transposant une directive de l'Union européenne doivent être interprétées à la lumière de celle-ci, notamment lorsqu'elle a elle-même été interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne ; que dans son arrêt Volvo Car Germany GmbH du 28 octobre 2010 (aff. C-203/09), la Cour de justice a dit pour droit que "l'article 18, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, s'oppose à ce qu'un agent commercial indépendant soit privé de son indemnité de clientèle lorsque le commettant établit l'existence d'un manquement de l'agent commercial, ayant eu lieu après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis et avant l'échéance de celui-ci, qui était de nature à justifier une résiliation sans délai du contrat en cause", après avoir exposé, dans les motifs de sa décision, que le législateur européen" entendait exiger l'existence d'une causalité directe entre le manquement imputable à l'agent commercial et la décision du commettant de mettre fin au contrat afin de pouvoir priver l'agent commercial de l'indemnité prévue à l'article 17 de la directive" (§ 39), qu' " en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l'article 18, sous a), de la directive est d'interprétation stricte (
) partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité non expressément prévue par cette disposition" (§ 42) et que "lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, sous a), de la directive (
) par conséquent, l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat" (§ 43) ; que les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, qui sont issus de la transposition en droit interne de la directive susvisée, doivent donc être interprétés en ce sens que seule une faute grave commise avant la rupture du contrat et connue du mandant peut être considérée comme ayant provoqué la rupture, excluant le droit à indemnité de l'agent commercial ; qu'en l'espèce, en estimant au contraire, pour repousser la demande d'indemnité compensatrice de rupture, qu'il importait peu que le manquement qu'elle qualifiait de faute grave – soit la représentation par la société Acopal d'un concurrent du mandant sans que ce dernier en ait prétendument eu connaissance –, n'ait été découvert que postérieurement à la rupture, quand cette circonstance excluait toute causalité directe entre le manquement litigieux et la rupture du contrat, la cour d'appel a violé les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, lus à la lumière des articles 17 et 18 de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, ensemble l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 134-12, alinéa 1, et L. 134-13 du code de commerce, transposant les articles 17 §3 et 18 de la directive 86/653/CEE relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants du 18 décembre 1986 :
9. Aux termes du premier de ces textes, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Selon le second, la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
10. La chambre commerciale, financière et économique juge régulièrement que les manquements graves commis par l'agent commercial pendant l'exécution du contrat, y compris ceux découverts par son mandant postérieurement à la rupture des relations contractuelles, sont de nature à priver l'agent commercial de son droit à indemnité (Com., 1er juin 2010, pourvoi n° 09-14.115 ; Com., 24 novembre 2015, pourvoi n° 14-17.747 ; Com., 19 juin 2019, pourvoi n° 18-11.727).
11. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE), par un arrêt du 28 octobre 2010 (Volvo Car Germany GmbH, aff. C-203/09, points 38, 42 et 43), a rappelé, que, « aux termes de l'article 18, sous a), de la directive, l'indemnité qui y est visée n'est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat » pour « un manquement imputable à l'agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai », que « en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l'article 18, sous a), de la directive est d'interprétation stricte. Partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité non expressément prévue par cette disposition » et considéré que « lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, sous a), de la directive. Par conséquent, l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat. »
12. La CJUE a aussi énoncé, dans un arrêt du 19 avril 2018 (CMR c/ Demeures terre et tradition SARL, C-645/16, paragraphe 35), que « toute interprétation de l'article 17 de cette directive qui pourrait s'avérer être au détriment de l'agent commercial était exclue. »
13. En considération de l'interprétation qui doit être donnée aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, il apparaît nécessaire de modifier la jurisprudence de cette chambre et de retenir désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.
14. Pour rejeter la demande d'indemnité de rupture formée par la société Acopal, l'arrêt retient qu'il importe peu que, découvert postérieurement à la rupture, un manquement à l'obligation de loyauté ne soit pas mentionné dans la lettre de résiliation si ce manquement, susceptible de constituer une faute grave, a été commis antérieurement à cette rupture.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
16. La société Acopal fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de communication de pièces et celle au titre du droit de suite, alors « que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ; que l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues ; qu'au cas d'espèce, en repoussant la demande de communication de pièces et la demande de paiement formées par la société Acopal au titre du droit de suite, motif pris de ce qu'elle ne justifiait pas de son activité auprès des clients concernés pour la période antérieure au 30 juin 2016, quand il incombait à la société Paniers Terdis de fournir au préalable les documents comptables nécessaires à la vérification des commissions dues, la cour d'appel a violé les articles L. 134-4, L. 134-7 et R. 134-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 134-6, L. 134-7 et R. 134-3 du code de commerce :
17. Aux termes du deuxième de ces textes, pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à sa commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues au premier de ces textes, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence. Selon le troisième, l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier, un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.
18. Pour rejeter la demande de communication de documents comptables, l'arrêt retient que la société Acopal n'apporte aucun élément de nature à justifier une activité particulière de sa part dans les départements visés et auprès des clients concernés avant la date de cessation du contrat ayant généré des opérations conclues principalement grâce à son activité, dans un délai raisonnable après cette date.
19. En statuant ainsi, alors que la société Acopal était en droit d'exiger de son mandant la communication de tous les documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions susceptibles de lui être dues, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par la société Acopal en paiement de l'indemnité compensatrice de rupture, de communication de pièces et au titre du droit de suite, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Paniers Terdis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Paniers Terdis et la condamne à payer à la société Acopal la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Krivine et Viaud, avocat aux Conseils, pour la société Acopal.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Acopal fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté sa demande d'indemnité compensatrice de rupture et sa demande d'indemnité de préavis ;
1. ALORS QUE l'activité déployée par l'agent commercial pour un concurrent de son mandant, connue et tolérée par ce dernier, ne peut constituer une faute grave justifiant la privation de l'indemnité compensatrice de rupture et l'absence de préavis ; qu'il suffit à cet égard que le mandant ait connu cette situation avant la conclusion du contrat d'agence commerciale et qu'il l'ait tolérée durant l'exécution de celui-ci ; qu'au cas d'espèce, en considérant au contraire qu'il fallait que la société Terdis ait eu connaissance de l'activité déployée par la société Acopal pour la société concurrente Georgelin depuis le 11 octobre 2013, date d'entrée en vigueur du contrat d'agence se substituant au contrat précédent, et non antérieurement, la cour d'appel a violé les articles L. 134-3, L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
2. ALORS, subsidiairement, QUE l'activité déployée par l'agent commercial pour un concurrent de son mandant, connue et tolérée par ce dernier, ne peut constituer une faute grave justifiant la privation de l'indemnité compensatrice de rupture ; qu'au cas d'espèce, en s'abstenant de rechercher, comme l'avaient retenu les premiers juges (jugement entrepris, p. 6-7) et comme l'y invitait la société Acopal (conclusions d'appel, p. 18-21), si, peu important que les rapports commerciaux entre la société Terdis et la société Georgelin aient cessé le 22 octobre 2009, les relations d'agence commerciale entre la société Acopal et la société Terdis n'avaient pas commencé dès l'année 2008 (le contrat écrit de 2013 n'ayant fait que formaliser ces relations) et si le mandant n'avait pas connaissance dès cette époque du fait que la société Acopal travaillait aussi avec la société concurrente Georgelin, de sorte qu'il avait toléré cette situation, ce qui interdisait d'y voir une faute grave commise par l'agent, la cour d'appel n'a en tout état de cause pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 134-3, L. 134-11, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
(subsidiaire au premier)
La société Acopal fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté sa demande d'indemnité compensatrice de rupture ;
1. ALORS QU'aux termes de l'article L. 134-12 du code de commerce, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi en cas de cessation de ses relations avec le mandant ; que si par exception, cette réparation n'est pas due, en vertu de l'article L. 134-13, 1° du même code, lorsque la cessation du contrat a été provoquée par la faute grave de l'agent commercial, il faut nécessairement que cette faute ait été connue du mandant avant qu'il prenne sa décision de rompre le contrat, sans quoi ce manquement ne peut pas être considéré comme ayant provoqué la rupture ; qu'au cas d'espèce, en estimant au contraire, pour repousser la demande d'indemnité compensatrice de rupture, qu'il importait peu que le manquement qu'elle qualifiait de faute grave – soit la représentation par la société Acopal d'un concurrent du mandant sans que ce dernier en ait prétendument eu connaissance –, n'ait été découvert que postérieurement à la rupture, quand cette circonstance excluait que la rupture du contrat ait pu être provoquée par ce manquement, la cour d'appel a violé les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce ;
2. ALORS QUE les dispositions de droit interne transposant une directive de l'Union européenne doivent être interprétées à la lumière de celle-ci, notamment lorsqu'elle a elle-même été interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne ; que dans son arrêt Volvo Car Germany GmbH du 28 octobre 2010 (aff. C-203/09), la Cour de justice a dit pour droit que « l'article 18, sous a), de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, s'oppose à ce qu'un agent commercial indépendant soit privé de son indemnité de clientèle lorsque le commettant établit l'existence d'un manquement de l'agent commercial, ayant eu lieu après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis et avant l'échéance de celui-ci, qui était de nature à justifier une résiliation sans délai du contrat en cause », après avoir exposé, dans les motifs de sa décision, que le législateur européen « entendait exiger l'existence d'une causalité directe entre le manquement imputable à l'agent commercial et la décision du commettant de mettre fin au contrat afin de pouvoir priver l'agent commercial de l'indemnité prévue à l'article 17 de la directive » (§ 39), qu' « en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l'article 18, sous a), de la directive est d'interprétation stricte (
) partant, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité non expressément prévue par cette disposition » (§ 42) et que « lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, sous a), de la directive (
) par conséquent, l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat » (§ 43) ; que les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, qui sont issus de la transposition en droit interne de la directive susvisée, doivent donc être interprétés en ce sens que seule une faute grave commise avant la rupture du contrat et connue du mandant peut être considérée comme ayant provoqué la rupture, excluant le droit à indemnité de l'agent commercial ; qu'en l'espèce, en estimant au contraire, pour repousser la demande d'indemnité compensatrice de rupture, qu'il importait peu que le manquement qu'elle qualifiait de faute grave – soit la représentation par la société Acopal d'un concurrent du mandant sans que ce dernier en ait prétendument eu connaissance –, n'ait été découvert que postérieurement à la rupture, quand cette circonstance excluait toute causalité directe entre le manquement litigieux et la rupture du contrat, la cour d'appel a violé les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce, lus à la lumière des articles 17 et 18 de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, ensemble l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
La société Acopal fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté sa demande de communication de pièces et sa demande au titre du droit de suite ;
1. ALORS QUE les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ; que l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues ; qu'au cas d'espèce, en repoussant la demande de communication de pièces et la demande de paiement formées par la société Acopal au titre du droit de suite, motif pris de ce qu'elle ne justifiait pas de son activité auprès des clients concernés pour la période antérieure au 30 juin 2016, quand il incombait à la société Paniers Terdis de fournir au préalable les documents comptables nécessaires à la vérification des commissions dues, la cour d'appel a violé les articles L. 134-4, L. 134-7 et R. 134-3 du code de commerce ;
2. ALORS, subsidiairement, QU' à supposer qu'il appartienne à l'agent commercial de démontrer à titre préalable l'existence de prestations fournies pour la période de référence, en l'espèce, la cour d'appel avait retenu, en visant le magasin Carrefour de [Localité 4], que la société Acopal « rapporte la preuve d'avoir effectué des prestations pour la société Terdis postérieurement à la notification le 4 mars 2016 de la rupture du contrat d'agence » (arrêt p. 7, alinéa 5) ; qu'en énonçant ensuite que « la société Acopal n'apporte aucun élément susceptible de justifier d'une activité particulière de sa part dans les départements visés [dont le département 94] et auprès des trois clients concernés [dont la société Carrefour] avant le 30 juin 2016 » (arrêt p. 9, alinéa 6), la cour d'appel, qui a statué par des motifs contradictoires, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3. ALORS, plus subsidiairement, QU'en s'abstenant d'expliquer pour quelles raisons les prestations réalisées par la société Acopal relativement au magasin Carrefour de [Localité 4] n'avaient pas à être prises en considération au moment de statuer sur le droit de suite de l'agent, la cour d'appel a en tout état de cause privé son arrêt de base légale au regard des articles L. 134-4, L. 134-7 et R. 134-3 du code de commerce. | La jurisprudence de la chambre commerciale, selon laquelle les manquements graves commis par l'agent commercial pendant l'exécution du contrat, y compris ceux découverts par son mandant postérieurement à la rupture des relations contractuelles, sont de nature à priver l'agent commercial de son droit à indemnité, doit être modifiée au regard de l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a faite des articles 17, §§ 3 et 18, de la directive 86/653/CEE relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants du 18 décembre 1986 transposant les articles L. 134-12, alinéa 1, et L. 134-13 du code de commerce, dans les arrêts des 28 octobre 2010 (Volvo Car Germany GmbH, aff. C-203/09) et 19 avril 2018 (CMR c/ Demeures terre et tradition SARL, C-645/16).
Ainsi, il convient de retenir désormais que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité |
8,287 | SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1204 F-B
Pourvoi n° Q 21-17.255
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 NOVEMBRE 2022
Le Syndicat mixte Baie de Somme Grand Littoral Picard, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-17.255 contre l'arrêt rendu le 14 avril 2021 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [R], domicilié [Adresse 2],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat du Syndicat mixte Baie de Somme Grand Littoral Picard, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [R], après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Van Ruymbeke, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 14 avril 2021), M. [R], engagé le 3 mars 2008 en qualité de référent formation par le Syndicat mixte de Baie de Somme Grand Littoral Picard, a été placé en arrêt de travail pour maladie du 17 janvier au 11 juin 2017, puis à compter du 9 octobre 2017.
2. Le 4 décembre 2017, le médecin du travail a émis l'avis suivant :
«inapte - étude de poste et étude des conditions de travail réalisées le 15/11/2017
échange avec l'employeur - l'état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi».
3. Le 26 décembre 2017, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois, alors « qu'il résulte de l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et de l'article L. 1226-2-1 du code du travail issu de cette même loi, que l'employeur n'est pas tenu de consulter les représentants du personnel lorsque le médecin du travail l'a dispensé de toute recherche de reclassement en mentionnant expressément, dans l'avis d'inaptitude, que "tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé", ou que "l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi" ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'avis d'inaptitude du salarié en date du 4 décembre 2017 mentionnait expressément que "l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi" ; qu'en retenant, pour dire le licenciement du salarié sans cause réelle ni sérieuse, qu'il résultait de la combinaison des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction précitée, que "la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l'employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, peu important que le médecin du travail ait dispensé l'employeur de toute recherche de reclassement", la cour d'appel a violé l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article L. 1226-2-1 du code du travail issu de cette même loi. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
5. Il résulte du premier de ces textes que lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, et que cette proposition doit prendre en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise.
6. Selon le second, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
7. Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel.
8. Pour dire le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail que la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l'employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, peu important que le médecin du travail ait dispensé l'employeur de toute recherche de reclassement.
9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'avis du médecin du travail mentionnait que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, la cour d'appel a violé les textes sus-visés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral et de la nullité du licenciement, l'arrêt rendu le 14 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par le président, en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux, et par Mme Dumont, greffier de chambre, en remplacement du greffier empêché.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour le Syndicat mixte Baie de Somme Grand Littoral Picard
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le SYNDICAT MIXTE BAIE DE SOMME GRAND LITTORAL PICARD fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ces chefs, d'AVOIR dit le licenciement de Monsieur [R] dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'AVOIR condamné l'exposant à lui payer la somme de 21.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de l'AVOIR condamné au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de trois mois ;
ALORS QU'il résulte de l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et de l'article L. 1226-2-1 du code du travail issu de cette même loi, que l'employeur n'est pas tenu de consulter les représentants du personnel lorsque le médecin du travail l'a dispensé de toute recherche de reclassement en mentionnant expressément, dans l'avis d'inaptitude, que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé », ou que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'avis d'inaptitude de Monsieur [R] en date du 4 décembre 2017 mentionnait expressément que « l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » ; qu'en retenant, pour dire le licenciement du salarié sans cause réelle ni sérieuse, qu'il résultait de la combinaison des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du code du travail dans leur rédaction précitée, que « la méconnaissance des dispositions relatives au reclassement du salarié déclaré inapte consécutivement à un accident non professionnel ou une maladie, dont celle imposant à l'employeur de consulter les délégués du personnel, prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, peu important que le médecin du travail ait dispensé l'employeur de toute recherche de reclassement », la cour d'appel a violé l'article L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et l'article L. 1226-2-1 du code du travail issu de cette même loi.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le SYNDICAT MIXTE BAIE DE SOMME GRAND LITTORAL PICARD fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ces chefs, de l'AVOIR condamné à payer à Monsieur [R] les sommes de 10.380 € à titre d'indemnité de préavis et de 1.038 € à titre de congés payés afférents ;
1. ALORS QUE la cour d'appel s'étant fondée, pour condamner l'exposant au paiement d'une indemnité de préavis et congés payés afférents, sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, la cassation à intervenir sur le fondement du précédent moyen entraînera celle du chef de dispositif attaqué, par application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2. ET ALORS en tout état de cause QUE le salarié ne peut prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice d'un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, à moins que le licenciement ne soit sans cause réelle ni sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement ; qu'en conséquence, il ne peut prétendre à une telle indemnité lorsque le médecin du travail a, en application de l'article L. 1226-2-1 du code du travail, dispensé l'employeur de son obligation de reclassement ; qu'en retenant, pour condamner l'exposant au paiement d'une indemnité de préavis et congés payés afférents, que « si le salarié en peut en principe prétendre au paiement d'un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur au respect des règles sur la consultation des représentants du personnel dans le cadre de son obligation de reclassement consécutive à l'inaptitude, peu important la dispense accordée par le médecin du travail », la cour d'appel a violé les articles L. 1226-2 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, L. 1226-2-1 du code du travail issu de cette même loi, L. 1226-4 et L. 1234-5 du même code. | Selon l'article L. 1226-2-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel |
8,288 | N° P 22-80.807 FS-B
N° 01328
RB5
16 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 NOVEMBRE 2022
M. [H] [E] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Douai, en date du 13 janvier 2022, qui a prononcé sur sa requête portant sur les conditions de détention.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [H] [E], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, Mmes Leprieur, Sudre, MM. Turbeaux, Laurent, Gouton, Brugère, conseillers de la chambre, M. Mallard, conseiller référendaire, M. Bougy, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 10 décembre 2021, le juge de l'application des peines de Béthune a déclaré partiellement bien-fondée la requête de M. [H] [E] portant sur ses conditions de détention, et a dit que les conditions de détention suivantes dont il fait l'objet, sont contraires à la dignité de la personne humaine :
- soumission à un régime de prise en charge individualisée, sans réexamen de sa situation dans les délais mentionnés dans la décision du 8 octobre 2021,
- menottage et présence de personnel de surveillance lors des examens médicaux, lorsque le personnel médical ne l'a pas exigé,
- absence de traduction des prescriptions médicales et de présence d'un interprète ou d'un soignant hispanophone lors des consultations médicales,
et enfin, a fixé un délai d'un mois pour permettre à l'administration pénitentiaire d'y mettre fin.
3. Le ministère public a relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité du pourvoi
4. Il y a lieu de considérer, qu'à défaut de texte législatif contraire, l'ordonnance du président de la chambre de l'application des peines statuant sur une requête sur les conditions de détention d'une personne condamnée entre dans les prévisions de l'article 712-15 du code de procédure pénale duquel il résulte que les ordonnances rendues par ce magistrat peuvent faire l'objet dans les cinq jours de leur notification, d'un pourvoi en cassation qui n'est pas suspensif.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté comme mal fondée la requête du condamné portant sur les conditions de détention actuelles, alors :
« 1°/ qu'en cas d'appel par le ministère public d'une ordonnance rendue sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, la personne détenue qui avait demandé à être entendue en première instance doit être auditionnée de nouveau par le juge d'appel ; qu'au présent cas, il ressort de l'ordonnance de première instance (p. 2) que M. [E] avait demandé à être entendu par le juge ; qu'en statuant sur l'appel de cette ordonnance formé par le parquet, sans avoir organisé de nouvelle audition de la personne détenue, la présidente de la chambre de l'application des peines a violé les articles préliminaire et 803-8 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberté fondamentales ;
2°/ qu'en cas d'appel par le ministère public d'une ordonnance rendue sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, la personne détenue et son avocat doivent recevoir communication de l'avis écrit déposé par le parquet devant le juge d'appel et être mis en mesure d'y répondre avant que le juge ne statue ; qu'il ressort du dossier de la procédure qu'un avis écrit de l'avocat général a été déposé le 11 janvier 2022 ; qu'il ne résulte d'aucune mention de l'ordonnance attaquée ni d'aucune pièce de la procédure que cet avis ait été communiqué à M. [E] et à son avocat ni que ces derniers aient été mis en mesure d'y répondre avant que le juge ne se prononce ; qu'en statuant ainsi, la présidente de la chambre de l'application des peines a méconnu les droits de la défense et violé les articles préliminaire et 803-8 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberté fondamentales. »
Réponse de la Cour
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
6. La procédure applicable aux requêtes en conditions indignes de détention garantit de manière suffisante le droit d'accès au juge pour les motifs qui suivent.
7. Il se déduit de la lecture combinée des articles 803-8, R. 249-24 et R. 249-35 du code de procédure pénale, d'une part, que la personne détenue peut, au moment du dépôt de sa requête, demander à comparaître devant le juge de l'application des peines, d'autre part, que, saisi d'une telle demande ce magistrat doit procéder à cette audition s'il entend rendre une décision d'irrecevabilité, et, enfin, que si la requête est déclarée recevable, l'audition doit être réalisée avant la décision sur le bien-fondé de celle-ci.
8. Devant le président de la chambre de l'application des peines, la personne détenue peut présenter toutes observations utiles, personnellement ou par l'intermédiaire de son avocat, auxquelles ce magistrat est tenu de répondre.
9. Dès lors, le grief fait au président d'avoir statué sans entendre le requérant est inopérant, en ce qu'il vise l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui n'est pas applicable en matière d'exécution des peines, et doit être écarté.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
10. Le demandeur ne saurait se faire un grief du défaut de communication de l'avis écrit déposé par le ministère public devant le président de la chambre de l'application des peines au soutien de son recours, dès lors que, d'une part, l'article 803-8 du code de procédure pénale ne prévoit pas cette communication et, d'autre part, que le demandeur, informé de ce recours, n'a pas sollicité que les éventuelles observations de l'appelant lui soient communiquées.
11. Le moyen ne peut dès lors être admis.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté comme mal fondée la requête du condamné portant sur les conditions de détention actuelles, alors :
« 1°/ que constitue un traitement contraire à la dignité de la personne humaine le port de menottes ou la présence du personnel pénitentiaire durant des examens médicaux du détenu, lorsque ces mesures ne sont pas concrètement justifiées par des risques sérieux de fuite, de blessure ou de dommage ; qu'en l'espèce, en se bornant à affirmer que le menottage du détenu et la présence de personnel de surveillance lors des examens médicaux ne constituait pas des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine (ordonnance, p. 4), sans constater que ces mesures étaient concrètement justifiées par un risque sérieux de fuite, de blessure ou de dommage, la présidente de la chambre de l'application des peines n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 803-8 du code de procédure pénale et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que l'absence de traduction au détenu des prestations médicales qui lui sont dispensées, dans une langue qu'il comprend, constitue un traitement contraire à la dignité de la personne humaine ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs erronés que « la fourniture à un détenu, par l'administration pénitentiaire d'une traduction/ interprétation dans une langue qu'il comprend des prestations médicales qui lui sont dispensées en détention est étrangère aux prescriptions de l'article 3 de la CEDH et de l'article 803-9 du code de procédure pénale » (ordonnance, p. 5), la présidente de la chambre de l'application des peines a violé l'article 803-8 du code de procédure pénale et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Sur le second moyen, pris en sa première branche
13. Pour écarter le grief pris de l'indignité des conditions de détention du demandeur, en raison de son menottage lors d'examens médicaux et de déplacements au sein de l'établissement où il est détenu, le président de la chambre de l'application des peines relève que le personnel médical peut solliciter le menottage de la personne qui fait l'objet d'un examen ainsi que la présence de l'escorte, ce qui est justifié, en l'espèce, par le statut et le comportement passé de l'intéressé.
14. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, et dès lors que les allégations du demandeur sur son menottage lors des déplacements dans l'établissement où il est détenu ne sont plus d'actualité, le grief ne saurait être admis.
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche
15. Pour infirmer la décision du juge de l'application des peines ayant considéré comme contraire à la dignité de la personne humaine, l'absence de traduction des prescriptions médicales et de présence d'un interprète ou d'un soignant hispanophone lors des consultations médicales, l'ordonnance attaquée énonce que la fourniture à un détenu, par l'administration pénitentiaire, d'une traduction ou interprétation dans une langue qu'il comprend, des prestations médicales qui lui sont dispensées en détention est étrangère aux prescriptions de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 803-8 du code de procédure pénale.
16. En se déterminant ainsi, dès lors qu'il n'est pas contesté que M. [E] a eu accès à un traitement médical adapté à son état de santé, le président de la chambre de l'application des peines a justifié sa décision.
17. Ainsi, le grief doit être écarté.
18. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize novembre deux mille vingt-deux. | N'encourt pas la censure l'ordonnance du président de la chambre de l'application des peines qui, saisi sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, statue au vu de l'avis écrit du ministère public et des observations écrites que la personne condamnée peut produire, la comparution de cette dernière n'étant pas de droit, et l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'étant pas applicable en matière d'exécution des peines.
Le demandeur ne saurait se faire un grief du défaut de communication de l'avis écrit déposé par le ministère public devant le président de la chambre de l'application des peines au soutien de son recours, dès lors que d'une part, l'article 803-8 du code de procédure pénale ne prévoit pas cette communication et , d'autre part, que le demandeur, informé de ce recours, n'a pas sollicité que les éventuelles observations de l'appelant lui soient communiquées |
8,289 | N° B 22-85.097 F-B
N° 01545
SL2
15 NOVEMBRE 2022
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [M] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 20 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants et d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [M] [V], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés, M. [M] [V] a été placé en détention provisoire le 16 juin 2022.
3. À côté de sa signature, dans la rubrique dédiée à la notification de l'ordonnance, il a apposé la mention manuscrite « je fais appel ».
4. Par courrier du 13 juillet 2022, son avocat a demandé au procureur général la mise en liberté d'office de l'intéressé, au motif qu'il n'avait pas été statué dans les délais prévus par la loi sur l'appel déclaré par ce dernier devant le juge des libertés et de la détention à l'issue du débat contradictoire.
5. Un acte d'appel a été établi le même jour par le greffe du tribunal judiciaire, au vu de ce seul courrier.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit que la chambre de l'instruction n'était pas régulièrement saisie, en l'absence d'appel régulièrement formé et a dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner le moyen tiré du défaut de délivrance du permis de communiquer, alors « que si la déclaration d'appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée et doit être signée par le greffier et par l'appelant lui-même, la mention « je fais appel » à côté de la signature du mis en examen sur la seule dernière page de l'ordonnance de placement en détention provisoire, dans l'espace consacré aux formalités de notification, suffit à constituer une déclaration d'appel, dès lors qu'elle est suivie de la signature du greffier, même au titre d'une formalité de notification ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [V] a manifesté son intention d'interjeter appel de l'ordonnance du 16 juin 2022 par lequel le juge des libertés et de la détention a ordonné son placement en détention provisoire en inscrivant la mention manuscrite « je fait appel » sur la troisième page de cette ordonnance, à côté de sa signature ; que le greffier du juge des libertés et de la détention a, sur la même page, également apposé sa signature, sans pour autant transcrire la déclaration d'appel au registre du tribunal judiciaire ; qu'en retenant toutefois, pour dire qu'elle n'était pas régulièrement saisie, en l'absence d'appel régulièrement formé, que la signature du greffier du juge des libertés et de la détention ne figurait sur l'ordonnance de placement en détention provisoire qu'au titre de l'accomplissement de la formalité de notification, de sorte que cette signature ne saurait authentifier la déclaration d'appel de Monsieur [V], la Chambre de l'instruction a violé les articles 186, 502, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 502 du code de procédure pénale :
7. Il résulte de ce texte que la déclaration d'appel est faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée.
8. Pour dire que la juridiction n'était pas saisie d'un appel, l'arrêt attaqué énonce que M. [V] a apposé sur la dernière page de l'ordonnance de placement en détention provisoire, sous la mention de réception d'une copie de l'ordonnance et de l'imprimé de déclaration des droits, la mention manuscrite « je fais appel » suivie de sa signature.
9. Les juges observent que l'article 502 du code de procédure pénale prévoit que la déclaration d'appel doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée et doit être signée par lui.
10. Ils relèvent que l'ordonnance contestée, sur laquelle a été portée la mention ci-dessus, n'a pas été signée par le greffier et que la signature de ce dernier figurant uniquement au titre de l'accomplissement de la formalité de notification à l'avocat, il ne saurait s'en déduire que le greffier a eu connaissance d'une déclaration d'appel dans des conditions conformes aux exigences du texte susvisé.
11. Ils en déduisent que l'appel enregistré par le greffe du tribunal judiciaire le 13 juillet 2022 a été formé irrégulièrement.
12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé, pour les motifs qui suivent.
13. Premièrement, le débat contradictoire à l'issue duquel M. [V] a été placé en détention provisoire s'est tenu en présence du juge saisi, du greffier qui l'assistait et de l'intéressé.
14. Deuxièmement, pour attester de la réception d'une copie de l'ordonnance, M. [V] a apposé sa signature au pied de celle-ci, en présence du greffier, qui y a apposé sa signature.
15. Enfin, en ajoutant, à côté de sa signature, la mention « je fais appel », l'intéressé a manifesté sans équivoque sa volonté de faire appel, devant ce greffier, qui devait, dès lors, en tirer les conséquences en enregistrant cet appel.
16. La cassation est ainsi encourue.
Portée et conséquences de la cassation
17. Dès lors que la chambre de l'instruction ne s'est pas prononcée sur l'appel formé par M. [V] le 16 juin 2022, dans le délai prescrit par l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale, celui-ci doit être mis d'office en liberté ; la cassation aura donc lieu sans renvoi et l'intéressé sera remis en liberté s'il n'est détenu pour autre cause.
18. Cependant, les dispositions de l'article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des délais prévus par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'article 144 du même code.
19. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [V] ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi.
20. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin de :
- empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que l'intéressé, déjà mis en examen pour des faits de même nature commis récemment, d'une part, a cherché à élaborer une version commune des faits avec M. [T] [A], en sollicitant M. [K] [E], d'autre part, a refusé de laisser les enquêteurs accéder au contenu de ses téléphones portables, alors que toutes les personnes impliquées n'ont pas encore été identifiées ;
- mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement, en ce que l'intéressé était, au moment des faits, placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d'une information portant sur des faits de même nature, après avoir été en détention provisoire pendant quatorze mois, alors que, d'une part, ses déclarations sur ses activités professionnelles n'ont pu être vérifiées, d'autre part, les sommes en jeu (rémunération des comparses et montant des achats) sont sans commune mesure avec les revenus que l'intéressé dit tirer de l'activité professionnelle qu'il revendique, soit 1 400 euros par mois.
21. Afin d'assurer ces objectifs, M. [V] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.
22. Le magistrat chargé de l'information est compétent pour l'application des articles 139 et suivants et 141-2 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 20 juillet 2022 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que M. [V] est détenu sans titre depuis le 27 juin 2022 dans la présente procédure ;
ORDONNE la mise en liberté de M. [V] s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de M. [V] ;
DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :
- Ne pas sortir des limites territoriales suivantes : département des Hauts-de- Seine ;
- Ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer [Adresse 1], qu'aux conditions et pour les motifs suivants : chaque jour de 7 heures à 19 heures ;
- Se présenter, le lendemain de sa libération, avant 17 heures, et ensuite chaque jour, entre 9 heures et 17 heures, au commissariat central de police de [Localité 2], 54 rue du 19 mars 1962 ;
- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit, les personnes suivantes :
MM. [T] [A], [K] [E], [L] [Y], [C] [F], [S] [X] ;
DESIGNE, pour veiller au respect des obligations prévues aux rubriques ci-dessus, le commissaire central de police de [Localité 2] ;
DESIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;
RAPPELLE qu'en application de l'article 141-2 du code de procédure pénale, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze novembre deux mille vingt-deux. | Est régulier l'appel de la personne mise en examen formé à l'issue du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention par apposition de la mention manuscrite « je fais appel », au pied de l'ordonnance la plaçant en détention provisoire, à côté de sa signature et en présence du greffier qui a également apposé la sienne |
8,290 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 novembre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1148 FS-B
Pourvoi n° B 21-16.185
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2022
La société Blanchisserie Roncaglia, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-16.185 contre l'ordonnance rendue le 13 avril 2021 par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-11 OP), dans le litige l'opposant à Mme [V] [C], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de la société Blanchisserie Roncaglia, de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [C], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Kermina, M. Delbano, Mme Vendryes, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée (Aix-en-Provence, 13 avril 2021), la société Blanchisserie Roncaglia (la société) a confié différents dossiers à Mme [C] (l'avocat) aux fins de recouvrement d'impayés et il a été mis un terme à ces relations en 2015.
2. Le 27 décembre 2016, l'avocat a saisi le bâtonnier de son ordre en fixation de ses honoraires et, par décision du 23 mai 2017, celui-ci a fixé le solde des honoraires dus par la société, laquelle a formé un recours contre cette décision.
3. Une ordonnance du premier président du 3 juillet 2018 qui a fixé les honoraires dus à l'avocat, a, sur le pourvoi formé par la société, été cassée en toutes ses dispositions par arrêt de la Cour de cassation qui a renvoyé l'affaire devant le premier président d'une cour d'appel (2e Civ., 21 novembre 2019, pourvoi n° 18-22.152).
4. La société a saisi le premier président par déclaration adressée par voie électronique le 6 avril 2020, aux fins de voir statuer sur le recours formé.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
6. La société fait grief à l'ordonnance de dire irrecevable sa déclaration de saisine après renvoi de cassation du 6 avril 2020 adressée par voie électronique au premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et d'écarter sa demande tendant à la « régularisation » de la déclaration de saisine susdite, alors « qu'en matière de contestation d'honoraires, la saisine du premier président d'une cour d'appel, sur renvoi après cassation, peut s'effectuer par voie électronique ; qu'en retenant, pour dire irrecevable la déclaration de saisine de la société Blanchisserie Roncaglia, que les textes relatifs à la communication électronique en matière civile ne s'appliquent pas à cette procédure et que sa saisine ne pouvait donc être effectuée par voie électronique, le premier président a violé les articles 748-1, 748-6 et 1032 du code de procédure civile, 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, 1er de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel et 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte des dispositions combinées des articles 932 et 1032 du code de procédure civile qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, la saisine de la cour d'appel de renvoi s'effectue conformément aux formes prescrites pour l'exercice du droit d'appel en cette matière (3e Civ., 11 février 2016, n° 13-11.685, publié).
8. Selon l'alinéa 1er de l'article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, la décision du bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel, qui est saisi par l'avocat ou la partie, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le délai de recours est d'un mois.
9. Selon l'article 748-1 du code de procédure civile relatif à la communication par voie électronique qui figure au sein de dispositions communes à toutes les juridictions, les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent titre, sans préjudice des dispositions spéciales imposant l'usage de ce mode de communication.
10. Aux termes de l'article 748-6, les procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de l'identification des parties à la communication électronique, l'intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d'établir de manière certaine la date d'envoi et celle de la mise à disposition ou celle de la réception par le destinataire.
11. Il résulte de l'alinéa 1er de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel, qui vise les articles 748-1 à 748-6 du code de procédure civile, que lorsqu'ils sont effectués par voie électronique entre auxiliaires de justice assistant ou représentant les parties ou entre un tel auxiliaire et la juridiction, dans le cadre d'une procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel, les envois et remises des déclarations d'appel, des actes de constitution et des pièces qui leur sont associées doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté.
12. Sous l'empire de ces dispositions, la Cour de cassation a jugé qu'étant porté devant le premier président de la cour d'appel, le recours formé, en application de l'article 176 du décret du 27 novembre 1991, contre la décision du bâtonnier statuant en matière de contestations d'honoraires et débours n'entre pas dans le champ d'application de l'arrêté du garde des Sceaux du 5 mai 2010, relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel, tel que fixé par son article 1er (2e Civ., 6 septembre 2018, pourvoi n° 17-20.047, Bull. 2018, II, n° 165).
13. L'arrêté précité a été abrogé par l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication électronique en matière civile devant les cours d'appel.
14. Selon l'article 2 de ce dernier arrêté, lorsqu'ils sont effectués par voie électronique entre avocats, ou entre un avocat et la juridiction, ou entre le ministère public et un avocat, ou entre le ministère public et la juridiction, dans le cadre d'une procédure avec ou sans représentation obligatoire devant la cour d'appel ou son premier président, les envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 du code de procédure civile doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté.
15. L'article 24 dispose que le présent arrêté entre en vigueur à la date de sa publication à l'exception des dispositions de l'article 2, en ce qu'elles portent sur la transmission des actes de procédure au premier président de la cour d'appel, qui entrent en vigueur le 1er septembre 2020.
16. La déclaration de saisine ayant été effectuée le 6 avril 2020, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les textes relatifs à la communication électronique issus de l'arrêté du 20 mai 2020 ne s'appliquent pas à cette procédure.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
17. La société fait le même grief à l'ordonnance, alors « que le droit d'accès à un tribunal, composante du droit à un procès équitable, ne peut être limité par des règles procédurales que dans la mesure où elles ne privent pas ce droit d'effectivité ; qu'en privant la société Blanchisserie Roncaglia de la faculté de saisir le premier président par le moyen de communication électronique sécurisé dont disposait son avocat, le premier président a porté une atteinte disproportionnée à son droit d'accès au juge et ainsi violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
18. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, le droit d'accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire ». Toutefois, le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle par nature une réglementation par l'État, lequel jouit à cet égard d'une certaine marge d'appréciation. Cette réglementation par l'État peut varier dans le temps et dans l'espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l'accès ouvert à l'individu d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l'article 6, § 1, que si elles poursuivent un but légitime et s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (notamment CEDH Zubac c/ Croatie, 5 avril 2018, requête n° 40160/12).
19. L'article 748-6 du code de procédure civile subordonne la faculté, offerte aux parties par l'article 748-1 du même code, de remettre par la voie électronique la déclaration de recours prévue par l'article 176 susmentionné, à l'emploi de procédés techniques garantissant, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, la fiabilité de l'identification des parties, l'intégrité des documents, ainsi que la confidentialité et la conservation des échanges et la date certaine des transmissions (2e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-25.431, Bull. 2016, II, n° 247).
20. La règle était prévisible. En effet, le recours formé en application de l'article 176 du décret du 27 novembre 1991 contre la décision du bâtonnier statuant en matière de contestations d'honoraires et débours devant le premier président n'entre pas dans le champ d'application de l'arrêté du garde des Sceaux du 5 mai 2010, applicable en l'espèce, et relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel, tel que fixé par son article 1er (2e Civ., 6 septembre 2018, pourvoi n° 17-20.047, Bull. 2018, II, n° 165).
21. La circonstance qu'un arrêté soit intervenu le 20 mai 2020, abrogeant l'arrêté précité du 5 mai 2010 et qui est applicable, selon les dispositions transitoires, au 1er septembre 2020 pour la transmission des actes de procédure au premier président, ne saurait avoir pour effet de valider rétroactivement la transmission de la déclaration de recours faite en application de l'article 176 du décret du 27 novembre 1991, fût-elle effectuée par un avocat au moyen du réseau privé virtuel avocat, mais en dehors de toute prévision d'un arrêté du garde des Sceaux.
22. Cette sanction n'est pas disproportionnée et ne constitue pas un excès de formalisme portant atteinte à l'équité du procès, dès lors que, répondant aux objectifs de sécurisation de l'usage de la communication électronique, par des textes qui en réglementent les conditions, éclairés par un arrêt publié dans une procédure analogue, elle est dénuée d'ambiguïté pour un professionnel avisé comme un auxiliaire de justice lorsqu'il recourt à la communication électronique et ne le prive pas de la possibilité d'adresser au greffe la déclaration de recours dans les conditions prévues par l'article 176 du décret du 27 novembre 1991, lesquelles ne comportent aucun obstacle pratique.
23. C'est donc à bon droit qu'un premier président, qui n'était pas saisi de la déclaration de saisine, rejette l'argumentation prise de la violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en relevant que la saisine par lettre recommandée avec accusé de réception ne représente aucune difficulté technique particulière, surtout pour une partie représentée par un avocat.
24. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Blanchisserie Roncaglia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Blanchisserie Roncaglia et la condamne à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour la société Blanchisserie Roncaglia
La société Blanchisserie Roncaglia fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir dit irrecevable sa déclaration de saisine après renvoi de cassation du 6 avril 2020 adressée par voie électronique au premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et d'avoir écarté sa demande tendant à la « régularisation » de la déclaration de saisine sus-dite ;
1°) ALORS QU'en matière de contestation d'honoraires, la saisine du premier président d'une cour d'appel, sur renvoi après cassation, peut s'effectuer par voie électronique ; qu'en retenant, pour dire irrecevable la déclaration de saisine de la société Blanchisserie Roncaglia, que les textes relatifs à la communication électronique en matière civile ne s'appliquent pas à cette procédure et que sa saisine ne pouvait donc être effectuée par voie électronique, le premier président a violé les articles 748-1, 748-6 et 1032 du code de procédure civile, 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, 1er de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel et 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel ;
2°) ALORS QUE, en tout état de cause, dans ses conclusions d'appel, la société Blanchisserie Roncaglia avait uniquement fait valoir que, sur renvoi après cassation, la déclaration de saisine du premier président de la cour d'appel en matière de contestation d'honoraires « peut être remise (
) par voie électronique » (conclusions, p. 12 § 5, on souligne) ; qu'en retenant néanmoins, pour écarter le moyen tiré de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, qu'imposer la voie électronique pour saisir la juridiction réduirait de façon certaine l'accès à celle-ci, le premier président a dénaturé les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le droit d'accès à un tribunal, composante du droit à un procès équitable, ne peut être limité par des règles procédurales que dans la mesure où elles ne privent pas ce droit d'effectivité ; qu'en privant la société Blanchisserie Roncaglia de la faculté de saisir le premier président par le moyen de communication électronique sécurisé dont disposait son avocat, le premier président a porté une atteinte disproportionnée à son droit d'accès au juge et ainsi violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. | 1. Selon l'article 2 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel, lorsqu'ils sont effectués par voie électronique entre avocats ou entre un avocat et la juridiction ou entre le ministère public et un avocat ou entre le ministère public et la juridiction, dans le cadre d'une procédure avec ou sans représentation obligatoire devant la cour d'appel ou son premier président, les envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 du code de procédure civile doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté.
L'article 24 dispose que cet arrêté entre en vigueur à la date de sa publication, à l'exception des dispositions de l'article 2, en ce qu'elles portent sur la transmission des actes de procédure au premier président de la cour d'appel, qui entrent en vigueur le 1er septembre 2020.
C'est dès lors à bon droit qu'une cour d'appel, saisie, sur renvoi après cassation, d'une déclaration de saisine antérieure au 1er septembre 2020, retient que les textes relatifs à la communication électronique issus de l'arrêté du 20 mai 2020 ne s'appliquent pas.
2. L' article 748-6 du code de procédure civile subordonne la faculté offerte aux parties par l'article 748-1 du même code de remettre par la voie électronique la déclaration de recours prévue par l'article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 à l'emploi de procédés techniques garantissant, dans des conditions fixées par arrêté du garde des sceaux, la fiabilité de l'identification des parties, l'intégrité des documents, ainsi que la confidentialité et la conservation des échanges et la date certaine des transmissions. (2e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-25.431, Bull. 2016, II, n° 247).
La règle était prévisible. En effet, le recours formé en application de l'article 176 du décret du 27 novembre 1991 contre la décision du bâtonnier statuant en matière de contestations d'honoraires et débours devant le premier président n'entre pas dans le champ d'application de l'arrêté du garde des sceaux du 5 mai 2010 et relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel, tel que fixé par son article 1 (2e Civ., 6 septembre 2018, pourvoi n° 17-20.047, Bull. 2018, II, n° 165).
La circonstance qu'un arrêté soit intervenu le 20 mai 2020, abrogeant l'arrêté du 5 mai 2010 et qui est applicable, selon les dispositions transitoires, au 1er septembre 2020 pour la transmission des actes de procédure au premier président, ne saurait avoir pour effet de valider rétroactivement la transmission de la déclaration de recours faite en application de l'article 176 du décret du 27 novembre 1991, serait-elle effectuée par un avocat au moyen du réseau privé virtuel avocat, mais en dehors de toute prévision d'un arrêté du garde des sceaux.
Cette sanction n'est pas disproportionnée et ne constitue pas un excès de formalisme portant atteinte à l'équité du procès, dès lors que, répondant aux objectifs de sécurisation de l'usage de la communication électronique, par des textes qui en réglementent les conditions, éclairés par un arrêt publié dans une procédure analogue, elle est dénuée d'ambiguïté pour un professionnel avisé comme un auxiliaire de justice lorsqu'il recourt à la communication électronique et ne le prive pas de la possibilité d'adresser au greffe la déclaration de recours dans les conditions prévues par l'article 176 du décret du 27 novembre 1991, lesquelles ne comportent aucun obstacle pratique.
C'est donc à bon droit qu'un premier président rejette l'argumentation prise de la violation de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en relevant que la saisine par lettre recommandée avec accusé de réception ne représente aucune difficulté technique particulière, surtout pour une partie représentée par un avocat |
8,291 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 novembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1149 FS-B
Pourvoi n° J 20-20.650
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2022
M. [Z] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 20-20.650 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics et assimilés, société d'assurances mutuelles, nom commercial GMF, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [U], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics et assimilés, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, M. Delbano, Mme Vendryes, conseillers, Mme Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2020), la société Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics et assimilés (la société GMF) a relevé appel d'un jugement rendu dans une affaire l'opposant à M. [U].
2. M. [U] n'a pas constitué avocat.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. [U] fait grief à l'arrêt, infirmant partiellement le jugement entrepris, de réduire à 18 854,94 euros la somme que la société GMF était condamnée à lui payer et de le débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ qu'en application de l'article 911 du code de procédure civile, les conclusions de l'appelant doivent être signifiées aux parties qui n'ont pas constitué avocat dans le mois suivant l'expiration du délai de leur remise au greffe de la cour d'appel, à peine de caducité de la déclaration d'appel, que le juge d'appel doit relever au besoin d'office ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a simplement constaté que la déclaration d'appel, l'avis d'inscription au rôle émis le 19 octobre 2018 et celui de désignation du conseiller de la mise en état avaient été signifiés au domicile de M. [U] par la GMF selon acte d'huissier du 10 décembre 2018, de sorte que son arrêt devait être réputé contradictoire, mais n'a pas vérifié si l'appelante avait signifié ses conclusions à M. [U] dans le délai qui lui était imparti pour ce faire, ce qui n'était pas le cas ; qu'en statuant au fond, au vu des conclusions déposées par la société GMF, sans ni rechercher d'office, ni constater que la société GMF avait régulièrement signifié ses conclusions à M. [U], qui n'avait pas constitué avocat, dans le délai de l'article 911 du code de procédure civile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale de ce texte, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
2°/ que s'il doit être statué au fond lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge ne peut faire droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière et recevable ; qu'en l'espèce, en statuant au fond sur les conclusions de la société GMF, sans s'assurer que lesdites conclusions avaient été valablement signifiées à M. [U], qui n'avait pas constitué avocat, dans le délai impératif de l'article 911 du code de procédure civile et que la déclaration d'appel n'était donc pas caduque, la cour d'appel a violé l'article 472 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
4. Si, en application de l'article 14 du code de procédure civile, il appartient à la cour d'appel de vérifier que la partie non comparante a été régulièrement appelée, elle n'est pas tenue de vérifier d'office si l'appelant a, dans le délai imparti par les articles 908 et 911 du code de procédure civile, signifié ses conclusions à l'intimé qui n'a pas constitué avocat.
5. Ayant constaté que l'intimé était défaillant et que la déclaration d'appel lui avait été régulièrement signifiée à domicile, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder d'office à la recherche invoquée, a, sans méconnaître l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, légalement justifié sa décision.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. M. [U] fait grief à l'arrêt, infirmant partiellement le jugement entrepris, de réduire à 18 854,94 euros la somme que la GMF était condamnée à lui payer et de le débouter de sa demande d'indemnité, alors « que, s'il doit être statué au fond lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge ne peut faire droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée ; qu'en l'espèce, pour réduire le montant alloué à M. [U], la cour d'appel a simplement jugé que « la cour constate que l'assureur n'est pas contredit en cause d'appel lorsqu'il demande de déduire de [la somme fixée par l'expert comme montant indemnisable] subsidiairement, outre la franchise, au regard des contradictions et doutes détaillées ci-dessus dans le cadre de la demande de mise en jeu de la clause de déchéance de la garantie, la somme de 6 496,47 euros, au titre des justificatifs appartenant à des tierces personnes, et de 1 031,68 euros pour les achats en magasins effectués hors des horaires de travail de M. [U] » et que « compte tenu de ces éléments et en l'absence de toute contestation et d'arguments permettant de démentir les affirmations de la GMF, la cour fixe la somme à revenir à l'assuré à 18 854,94 euros » ; qu'en faisant ainsi droit aux prétentions de l'appelante, au seul motif que celles-ci n'étaient pas contestées en cause d'appel, sans démontrer la recevabilité et le bien-fondé des déductions sollicitées par l'assureur, la cour d'appel a violé l'article 472, alinéa 2, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 472, alinéa 2, du code de procédure civile :
7. Selon ce texte, si l'intimé ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, mais le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés.
8. Pour réduire à la somme de 18 854,94 euros la somme que la GMF était condamnée à payer à M. [U] et le débouter de sa demande d'indemnité, l'arrêt retient que l'assureur n'est pas contredit en cause d'appel lorsqu'il demande de déduire de la somme de 26 550,09 euros les sommes de 6 496,47 euros, au titre des justificatifs appartenant à des tierces personnes et de 1 031,68 euros au titre des achats en magasins effectués hors des horaires de travail de M. [U].
9. L'arrêt en déduit que compte tenu de ces éléments et en l'absence de toute contestation et d'arguments permettant de démentir les affirmations de la GMF, la somme à revenir à l'assuré doit être fixée à 18 854,94 euros.
10. En statuant ainsi, sans analyser, même de manière sommaire, les éléments de preuve produits à l'appui de la demande de l'assureur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement en ce qu'il avait jugé que les conditions d'application de la clause de déchéance de garantie invoquée par la demande formée par la société Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics et assimilés n'étaient pas réunies, l'arrêt rendu le 16 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics et assimilés aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics et assimilés et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. [U]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, infirmant partiellement le jugement entrepris, réduit à 18.854,94 € la somme que la GMF était condamnée à lui régler et de l'AVOIR débouté de sa demande de dommages-intérêts ;
1°) ALORS D'UNE PART QU'en application de l'article 911 du Code de procédure civile, les conclusions de l'appelant doivent être signifiées aux parties qui n'ont pas constitué avocat dans le mois suivant l'expiration du délai de leur remise au greffe de la cour d'appel, à peine de caducité de la déclaration d'appel, que le juge d'appel doit relever au besoin d'office ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a simplement constaté que la déclaration d'appel, l'avis d'inscription au rôle émis le 19 octobre 2018 et celui de désignation du conseiller de la mise en état avaient été signifiés au domicile de M. [U] par la GMF selon acte d'huissier du 10 décembre 2018, de sorte que son arrêt devait être réputé contradictoire, mais n'a pas vérifié si l'appelante avait signifié ses conclusions à l'exposant dans le délai qui lui était imparti pour ce faire, ce qui n'était pas le cas ; qu'en statuant au fond, au vu des conclusions déposées par la société GMF, sans ni rechercher d'office, ni constater que la société GMF avait régulièrement signifié ses conclusions à M. [U], qui n'avait pas constitué avocat, dans le délai de l'article 911 du Code de procédure civile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale de ce texte, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
2°) ALORS D'AUTRE PART QUE s'il doit être statué au fond lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge ne peut faire droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière et recevable ; qu'en l'espèce, en statuant au fond sur les conclusions de la société GMF, sans s'assurer que lesdites conclusions avaient été valablement signifiées à l'exposant, qui n'avait pas constitué avocat, dans le délai impératif de l'article 911 du Code de procédure civile et que la déclaration d'appel n'était donc pas caduque, la cour d'appel a violé l'article 472 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
M. [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, infirmant partiellement le jugement entrepris, réduit à 18.854,94 € la somme que la GMF était condamnée à lui régler et de l'AVOIR débouté de sa demande d'indemnité ;
ALORS QUE, s'il doit être statué au fond lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge ne peut faire droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée ; qu'en l'espèce, pour réduire le montant alloué à l'exposant, la cour d'appel a simplement jugé que « la cour constate que l'assureur n'est pas contredit en cause d'appel lorsqu'il demande de déduire de [la somme fixée par l'expert comme montant indemnisable] subsidiairement, outre la franchise, au regard des contradictions et doutes détaillées ci-dessus dans le cadre de la demande de mise en jeu de la clause de déchéance de la garantie, la somme de 6.496,47 €, au titre des justificatifs appartenant à des tierces personnes, et de 1.031,68 € pour les achats en magasins effectués hors des horaires de travail de M. [U] » et que « compte tenu de ces éléments et en l'absence de toute contestation et d'arguments permettant de démentir les affirmations de la GMF, la cour fixe la somme à revenir à l'assuré à 18.854,94 € » ; qu'en faisant ainsi droit aux prétentions de l'appelante, au seul motif que celles-ci n'étaient pas contestées en cause d'appel, sans démontrer la recevabilité et le bien-fondé des déductions sollicitées par l'assureur, la cour d'appel a violé l'article 472, al.2, du Code de procédure civile. | Si, en application de l'article 14 du code de procédure civile, il appartient à la cour d'appel de vérifier que la partie non comparante a été régulièrement appelée, elle n'est pas tenue de vérifier d'office si l'appelant a, dans le délai imparti par les articles 908 et 911 du code de procédure civile, signifié ses conclusions à l'intimé qui n'a pas constitué avocat |
8,292 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 novembre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1150 F-B
Pourvoi n° J 21-13.524
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2022
1°/ Mme [L] [S], domiciliée [Adresse 10],
2°/ M. [KL] [X],
3°/ Mme [SY] [X],
tous deux domiciliés [Adresse 9],
4°/ M. [D] [M],
5°/ Mme [V] [M],
tous deux domiciliés [Adresse 6],
6°/ M. [O] [P],
7°/ Mme [F] [P],
tous deux domiciliés [Adresse 25],
8°/ M. [TH] [Z],
9°/ Mme [ET] [Z],
tous deux domiciliés [Adresse 19],
10°/ M. [U] [R], domicilié [Adresse 21],
11°/ M. [J] [B], domicilié [Adresse 8],
12°/ Mme [JA] [N], domiciliée [Adresse 22],
13°/ M. [JJ] [Y],
14°/ Mme [TR] [Y],
tous deux domiciliés [Adresse 14],
15°/ M. [WW] [C],
16°/ Mme [WM] [C],
tous deux domiciliés [Adresse 24],
17°/ M. [PL] [YR],
18°/ Mme [E] [YR],
tous deux domiciliés [Adresse 12],
19°/ M. [K] [FL], domicilié [Adresse 26],
20°/ M. [OJ] [DD],
21°/ Mme [ZJ] [DD],
tous deux domiciliés [Adresse 7],
22°/ M. [H] [JT],
23°/ Mme [A] [JT],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
24°/ M. [OA] [YH],
25°/ Mme [XO] [YH],
tous deux domiciliés [Adresse 27],
26°/ Mme [AG] [FV], domiciliée [Adresse 29],
27°/ M. [FC] [KC],
28°/ Mme [ZJ] [KC],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
29°/ Mme [XY] [WD], domiciliée [Adresse 3],
30°/ M. [TH] [MY],
31°/ Mme [T] [MY],
tous deux domiciliés [Adresse 20],
32°/ M. [DM] [SF],
33°/ Mme [LE] [OT],
tous deux domiciliés [Adresse 16],
34°/ M. [FC] [ZA], domicilié [Adresse 13],
35°/ Mme [V] [BC], domiciliée [Adresse 23],
36°/ Mme [I] [CK], domiciliée [Adresse 28],
37°/ M. [G] [NH],
38°/ Mme [W] [NH],
tous deux domiciliés [Adresse 17],
39°/ la société Coty immobilier Est, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 18],
40°/ la société Romac, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° J 21-13.524 contre l'arrêt rendu le 25 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 - chambre 10), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [NR] [GE], domiciliée [Adresse 15],
2°/ à la société European Homes France, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Aedificia participations, dont le siège est [Adresse 30],
4°/ à la société IFB France, dont le siège est [Adresse 11],
défenderesses à la cassation.
La société European Homes France a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [S], M. et Mme [X], M. et Mme [M], M. et Mme [P], M. et Mme [Z], M. [R], M. [B], Mme [N], M. et Mme [Y], M. et Mme [C], M. et Mme [YR], M. [FL], M. et Mme [DD], M. et Mme [JT], M. et Mme [YH], Mme [FV], M. et Mme [KC], Mme [WD], M. et Mme [MY], M. [SF], Mme [OT], M. [ZA], Mme [BC], Mme [CK], M. et Mme [NH], la société Coty immobilier Est et la société Romac, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société European Homes France, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Aedificia participations et la société IFB France, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 février 2021) et les productions, Mme [S] et 39 autres personnes, dont deux personnes morales, ainsi que Mme [GE], ont acquis des lots dans un immeuble vendu en l'état futur d'achèvement dans le cadre d'une opération de défiscalisation. Se plaignant d'une moins-value lors de la revente de leur lot et du surcoût des charges, Mme [S], Mme [GE] et les 39 autres acquéreurs ont assigné la société European Homes France, la société Aedificia participations et la société IFB France, opérateurs, à fins d'être indemnisés de leurs préjudices.
2. L'action en responsabilité de chacun des demandeurs ayant été déclarée prescrite par un jugement qui n'a pas été signifié, les acquéreurs, à l'exception de Mme [GE], ont, le 7 novembre 2018, relevé appel des dispositions de la décision leur faisant grief en intimant la société European Homes France, la société Aedificia participations et la société IFB France (les sociétés), mais pas Mme [GE].
3. Leur déclaration d'appel a été déclarée caduque sur le fondement de l'article 908 du code de procédure civile.
4. Le 27 juin 2019, Mme [GE] a relevé appel des dispositions du jugement lui faisant grief, en intimant les sociétés ainsi que Mme [S] et les 39 autres acquéreurs (les acquéreurs).
5. Dans le délai de l'article 909 du code de procédure civile, les acquéreurs ont formé, pour chacun, appel incident des dispositions du jugement leur faisant grief, en présentant des prétentions identiques à celles qu'ils avaient formées en qualité d'appelants principaux.
6. Les acquéreurs ont déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant dit que leur appel incident était irrecevable.
7. La société European Homes France a conclu à l'infirmation de l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant dit que l'appréciation du défaut d'intérêt à agir de Mme [GE] au soutien des demandes de nullité et d'irrecevabilité de sa déclaration d'appel relevait des juges du fond.
Examen du moyen unique du pourvoi principal
Enoncé du moyen
8. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de dire irrecevable leur appel incident, alors :
« 1°/ qu'il résulte des articles 550 et 911-1 du code de procédure civile qu'une partie dont la déclaration d'appel a été frappée de caducité est toujours recevable, en cas d'appel principal formé par une autre partie, à former appel incident dans le délai ouvert par cet appel principal ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'appel incident formé par les consorts [S] et autres sur l'appel principal formé par Mme [GE] contre le jugement rendu le 21 septembre 2018 par le tribunal de grande instance de Bobigny, qu'ils ne pouvaient se prévaloir de l'article 550 du code de procédure civile relatif à l'appel incident ou provoqué dès lors que leur recours ne constituait que la réitération de leur appel principal déclaré caduc, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
2°/ que l'appel incident peut également émaner, sur l'appel principal ou incident qui le provoque, de toute personne, même non intimée, ayant été partie en première instance ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante qu'« il n'existe aucun lien d'instance entre Mme [GE] et les autres acquéreurs qui s'étaient simplement regroupés pour faire valoir, devant le tribunal de grande instance de Bobigny, leurs prétentions et droits respectifs à l'encontre des sociétés European Homes France, Aedificia participations et IFB France » et que « d'ailleurs, l'appel de Mme [GE] ne remet en cause le jugement rendu par cette juridiction qu'en ce qu'il lui fait personnellement grief et rejette ses demandes à l'encontre des sociétés susmentionnées », quand les consorts [S] et autres, parties en première instance, étaient recevables à former appel incident contre les mêmes parties que celles contre laquelle Mme [GE], avait formé son appel principal, et ce même en l'absence de demandes formées contre eux par l'appelante principale, la cour d'appel a méconnu les articles 546 et suivants, ensemble l'article 911-1 du code de procédure civile ;
3°/ subsidiairement, que saisie par le déféré formé contre l'ordonnance d'un conseiller de la mise en état, la cour d'appel qui, statuant dans le champ de compétence d'attribution de ce dernier, ne peut se prononcer sur l'intérêt des parties à relever appel d'une décision rendue au fond ; qu'en retenant qu'« il n'existe aucun lien d'instance entre Mme [GE] et les autres acquéreurs qui s'étaient simplement regroupés pour faire valoir, devant le tribunal de grande instance de Bobigny, leurs prétentions et droits respectifs à l'encontre des sociétés European Homes France, Aedificia participations et IFB France » et que « d'ailleurs, l'appel de Mme [GE] ne remet en cause que le jugement rendu par cette juridiction qu'en ce qui lui fait personnellement grief et rejette ses demandes à l'encontre des sociétés susmentionnées », la cour d'appel, qui a apprécié l'intérêt de Mme [GE] à relever appel à l'égard des consorts [S] et autres, et l'intérêt de ces derniers à relever appel incident, a excédé ses pouvoirs et ainsi méconnu l'article 907 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable à la cause issue du décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 ;
4°/ qu'en tout état de cause, l'identité de demandes formées par des appelants à l'encontre d'un jugement ayant déclaré prescrite leur action contre une partie caractérise un lien d'instance entre les demandeurs et les défendeurs ; que pour déclarer irrecevable l'appel incident des consorts [S] et autres, la cour d'appel a retenu que Mme [GE], appelante principale, n'avait pas formé de demande contre eux et en a déduit que l'appel incident ne constituait que la réitération de leur appel principal déclaré caduc ; qu'en statuant ainsi, quand l'identité des demandes formées par Mme [GE] et les consorts [S] et autres, contre les sociétés European Homes France, Aedificia participations et IFB France, caractérisait l'existence d'un lien d'instance entre l'appelante principale et les appelants incidents, la cour d'appel a violé l'article 911-1 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. Si l'article 911-1 du code de procédure civile interdit, en son alinéa 3, à l'appelant, dont la déclaration a été frappée de caducité ou dont l'appel a été déclaré irrecevable, de réitérer un appel principal contre le même jugement et à l'égard de la même partie, et prohibe, en son alinéa 4, à l'intimé qui n'a pas formé d'appel incident ou provoqué dans les délais requis ou dont l'appel incident ou provoqué a été déclaré irrecevable de former un appel principal, il ne fait pas obstacle à ce que l'appelant, dont la déclaration d'appel a été frappée de caducité, devenu intimé sur un appel principal limité du même jugement, de critiquer à nouveau la disposition du jugement lui faisant grief, en formant un appel incident.
10. Cependant, il résulte des articles 548 et 550 du code de procédure civile que lorsqu'un jugement contient plusieurs chefs distincts et qu'une partie interjette appel de l'un d'eux, l'intimé ne peut appeler incidemment des autres chefs contre un autre intimé que s'il existe, quant à l'objet du litige, un lien juridique entre toutes les parties.
11. Ayant constaté que Mme [GE] et les autres acquéreurs s'étaient simplement regroupés pour faire valoir, devant le tribunal de grande instance, leurs prétentions et droits respectifs à l'encontre des sociétés European Homes France, Aedificia participations et IFB France, l'appel de Mme [GE] ne remettant d'ailleurs en cause que les dispositions du jugement lui faisant grief, de sorte qu'aucun lien d'instance ne s'était créé entre eux, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcée sur l'intérêt des parties à former appel principal ou appel incident, a exactement fait ressortir de ses constatations, peu important que les demandes des acquéreurs, dont Mme [GE], aient le même objet, qu'il n'existait aucun lien juridique, quant à l'objet du litige, entre les parties, et que l'appel incident des acquéreurs, qui ne tendait qu'à réitérer les demandes qu'ils avaient formées à l'appui de leur acte d'appel du 7 novembre 2018, déclaré caduc, n'entrait pas dans les prévisions de l'article 550 du code de procédure civile et était irrecevable.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi incident éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne les demandeurs au pourvoi aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les demandeurs au pourvoi et les condamne à payer aux sociétés Aedificia participations et IFB France la somme globale de 3 000 euros et à la société European Homes France la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme [S], M. et Mme [X], M. et Mme [M], M. et Mme [P], M. et Mme [Z], M. [R], M. [B], Mme [N], M. et Mme [Y], M. et Mme [C], M. et Mme [YR], M. [FL], M. et Mme [DD], M. et Mme [JT], M. et Mme [YH], Mme [FV], M. et Mme [KC], Mme [WD], M. et Mme [MY], M. [SF], Mme [OT], M. [ZA], Mme [BC], Mme [CK], M. et Mme [NH], la société Coty immobilier Est et la société Romac
Les consorts [S] et autres font grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 16 septembre 2020 ayant dit que leur appel incident est irrecevable ;
Alors 1°) qu'il résulte des articles 550 et 911-1 du code de procédure civile qu'une partie dont la déclaration d'appel a été frappée de caducité est toujours recevable, en cas d'appel principal formé par une autre partie, à former appel incident dans le délai ouvert par cet appel principal ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'appel incident formé par les consorts [S] et autres sur l'appel principal formé par Mme [GE] contre le jugement rendu le 21 septembre 2018 par le tribunal de grande instance de Bobigny, qu'ils ne pouvaient se prévaloir de l'article 550 du code de procédure civile relatif à l'appel incident ou provoqué dès lors que leur recours ne constituait que la réitération de leur appel principal déclaré caduc, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
Alors 2°) que l'appel incident peut également émaner, sur l'appel principal ou incident qui le provoque, de toute personne, même non intimée, ayant été partie en première instance ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante qu'« il n'existe aucun lien d'instance entre Mme [GE] et les autres acquéreurs qui s'étaient simplement regroupés pour faire valoir, devant le tribunal de grande instance de Bobigny, leurs prétentions et droits respectifs à l'encontre des sociétés European Homes France, Aedificia Participations et IFB France » et que « d'ailleurs, l'appel de Mme [GE] ne remet en cause le jugement rendu par cette juridiction qu'en ce qu'il lui fait personnellement grief et rejette ses demandes à l'encontre des sociétés susmentionnées », quand les consorts [S] et autres, parties en première instance, étaient recevables à former appel incident contre les mêmes parties que celles contre laquelle Mme [GE], avait formé son appel principal, et ce même en l'absence de demandes formées contre eux par l'appelante principale, la cour d'appel a méconnu les articles 546 et suivants, ensemble l'article 911-1 du code de procédure civile ;
Alors 3°) que, subsidiairement, saisie par le déféré formé contre l'ordonnance d'un conseiller de la mise en état, la cour d'appel qui, statuant dans le champ de compétence d'attribution de ce dernier, ne peut se prononcer sur l'intérêt des parties à relever appel d'une décision rendue au fond ; qu'en retenant qu'« il n'existe aucun lien d'instance entre Mme [GE] et les autres acquéreurs qui s'étaient simplement regroupés pour faire valoir, devant le tribunal de grande instance de Bobigny, leurs prétentions et droits respectifs à l'encontre des sociétés European Homes France, Aedificia Participations et IFB France » et que « d'ailleurs, l'appel de Mme [GE] ne remet en cause que le jugement rendu par cette juridiction qu'en ce qui lui fait personnellement grief et rejette ses demandes à l'encontre des sociétés susmentionnées », la cour d'appel, qui a apprécié l'intérêt de Mme [GE] à relever appel à l'égard des consorts [S] et autres, et l'intérêt de ces derniers à relever appel incident, a excédé ses pouvoirs et ainsi méconnu l'article 907 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable à la cause issue du décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009 ;
Alors 4°) qu'en tout état de cause, l'identité de demandes formées par des appelants à l'encontre d'un jugement ayant déclaré prescrite leur action contre une partie caractérise un lien d'instance entre les demandeurs et les défendeurs ; que pour déclarer irrecevable l'appel incident des consorts [S] et autres, la cour d'appel a retenu que Mme [GE], appelante principale, n'avait pas formé de demande contre eux et en a déduit que l'appel incident ne constituait que la réitération de leur appel principal déclaré caduc ; qu'en statuant ainsi, quand l'identité des demandes formées par Mme [GE] et les consorts [S] et autres, contre les sociétés European Homes France, Aedificia Participations et IFB France, caractérisait l'existence d'un lien d'instance entre l'appelante principale et les appelants incidents, la cour d'appel a violé l'article 911-1 du code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident éventuel par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société European Homes France
L'arrêt attaqué, critiqué par la société EUROPEAN HOMES FRANCE, encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré irrecevable comme tardif le recours présenté par la société EUROPEAN HOMES FRANCE ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, lorsqu'une partie a déféré l'ordonnance du Conseiller de la mise en état en critiquant l'un des chefs de son dispositif, la partie adverse peut, sans pouvoir se voir opposer le délai de 15 jours de l'articles 916 du Code de procédure civile, étendre la critique à d'autres chefs de la décision déférée ; qu'en décidant le contraire, pour déclarer irrecevable comme tardif le recours de la société EUROPEAN HOMES FRANCE, formulé par voie de conclusions du 11 décembre 2020, quand les acquéreurs avaient régulièrement déféré l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 16 septembre 2020, la Cour d'appel a violé l'article 916 du Code de procédure civile ;
ET ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, lorsqu'une partie a déféré l'ordonnance du conseiller de la mise en état en critiquant l'un des chefs de son dispositif et lorsque l'ensemble des parties sont présentes et représentées, la partie adverse peut, par voie de conclusions, étendre la critique à d'autres chefs de la décision déférée ; qu'en décidant le contraire, pour déclarer irrecevable comme irrégulier le recours de la société EUROPEAN HOMES FRANCE, formulé par voie de conclusions du 11 décembre 2020, quand les acquéreurs avaient régulièrement déféré l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 16 septembre 2020, la Cour d'appel a violé l'article 916 du Code de procédure civile. | Si l'article 911-1 du code de procédure civile interdit, en son alinéa 3, à l'appelant, dont la déclaration a été frappée de caducité ou dont l'appel a été déclaré irrecevable, de réitérer un appel principal contre le même jugement et à l'égard de la même partie, et interdit, en son alinéa 4, à l'intimé qui n'a pas formé d'appel incident ou provoqué dans les délais requis ou dont l'appel incident ou provoqué a été déclaré irrecevable, de former un appel principal, il ne fait pas obstacle à ce que l'appelant dont la déclaration d'appel a été frappée de caducité, devenu intimé sur un appel principal limité du même jugement, de critiquer à nouveau la disposition du jugement lui faisant grief en formant un appel incident.
Cependant, il résulte des articles 548 et 550 du code de procédure civile que lorsqu'un jugement contient plusieurs chefs distincts et qu'une partie interjette appel de l'un d'eux, l'intimé ne peut appeler incidemment des autres chefs contre un autre intimé que s'il existe, quant à l'objet du litige, un lien juridique entre toutes les parties |
8,293 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 novembre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1161 F-B
Pourvoi n° V 20-20.660
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2022
M. [K] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° V 20-20.660 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2020 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [D], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes, et après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller, et Mme Thomas greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 7 juillet 2020), par acte du 15 mars 1994, M. [D] s‘est porté caution solidaire de la société Helispire envers la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de l'Isère, aux droits de laquelle vient la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Rhône Alpes (la banque).
2. A la suite de la liquidation judiciaire de la société, M. [D] a été condamné, par arrêt du 12 septembre 2002, à verser à la banque la somme de 23 420 euros outre les intérêts.
3. Par requête du 1er mars 2018, la banque a saisi un tribunal d'instance d'une demande de convocation de M. [D] en vue d'une tentative de conciliation préalable à la saisie des rémunérations de son travail.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. [D] fait grief à l'arrêt de le débouter de son exception d'irrecevabilité pour cause de prescription, de constater que la CRCAM Sud Rhône-Alpes justifiait d'une créance liquide et exigible de 23 340 euros en principal et de 15 512,06 euros au titre des intérêts non prescrits entre le 1er mars 2013 et le 21 avril 2020 outre les sommes dues au titre de l'article 700 du code de procédure civile fixés par l'arrêt d'appel de 2002 à hauteur de 457,35 euros soit un total de 39 389,41 euros, et d'ordonner la saisie de ses rémunérations à hauteur de 39 389,41 euros, entre les mains de la société Apicil de [Localité 3], le RSI Rhône-Alpes de Lyon et la Caisse Carsat Rhône-Alpes de Lyon, alors :
« 1°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en relevant, pour débouter M. [D] de son exception fondée sur la prescription, que « l'assignation de la caisse régionale du Crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes ayant été déposée au greffe du tribunal le 1er mars 2018, l'action n'est pas prescrite », quand il résultait des termes clairs et précis de celui-ci que cet acte constituait une requête, qui tendait à la convocation de M. [D] en vue d'une tentative de conciliation préalable à la saisie des rémunérations du travail, la cour d'appel l'a dénaturé et a méconnu le principe susvisé ;
2°/ que faute d'avoir été porté à la connaissance du débiteur, le dépôt au greffe d'une requête aux fins de conciliation prévu par l'article R. 3252-12 du code du travail, acte unilatéral et non contradictoire qui tend à la convocation du débiteur devant le tribunal d'instance aux fins de saisie des rémunérations, n'a pas d'effet interruptif de la prescription ; qu'en retenant, pour débouter M. [D] de son exception de prescription, que « l'assignation de la caisse régionale du Crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes ayant été déposée au greffe du tribunal le 1er mars 2018, l'action n'est pas prescrite », quand cet acte constituait une requête aux fins de conciliation, qui n'avait pas d'effet interruptif, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
7. Il en résulte que la requête à fin de convocation d'une partie à une tentative de conciliation préalable à une saisie des rémunérations, prévue à l'article R 3252-13 alinéa 1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, qui constitue une demande en justice, interrompt le délai de prescription.
8. Ayant relevé, d'une part, que la banque avait, par requête déposée au greffe le 1er mars 2018, improprement qualifiée dans ses motifs d'assignation sans qu'il en résulte pour autant une dénaturation de cette requête, demandé la convocation de M. [D] en vue d'une tentative de conciliation préalable à la saisie des rémunérations du travail, d'autre part, qu'en application de la réforme de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le délai de 10 ans à compter de l'entrée en vigueur de cette loi expirait le 19 juin 2018, la cour d'appel en a exactement déduit que l'action de la banque n'était pas prescrite.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [D] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [D] et le condamne à payer à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Sud Rhône Alpes la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [D]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [K] [D] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de son exception d'irrecevabilité pour cause de prescription, d'avoir constaté que la CRCAM Sud Rhône-Alpes justifiait d'une créance liquide et exigible de 23 420 euros en principal et de 15 512, 06 euros au titre des intérêts non prescrits entre le 1er mars 2013 et le 21 avril 2020, outre les sommes dues au titre de l'article 700 du code de procédure civile fixées par l'arrêt d'appel de 2002 à hauteur de 457, 35 euros, soit un total de 39 389, 41 euros, et d'avoir ordonné la saisie des rémunérations de [K] [D] à hauteur de 39 389, 41 euros entre les mains de la SA Apicil de [Localité 3], le RSI Rhône-Alpes et la Caisse Carsat Rhône-Alpes de Lyon ;
Alors, d'une part, qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en relevant, pour débouter M. [D] de son exception fondée sur la prescription, que " l'assignation de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes ayant été déposée au greffe du tribunal le 1er mars 2018, l'action n'est pas prescrite " (arrêt p. 6, § 7), quand il résultait des termes clairs et précis de celui-ci que cet acte constituait une requête, qui tendait à la convocation de M. [D] en vue d'une tentative de conciliation préalable à la saisie des rémunérations du travail, la cour d'appel l'a dénaturé et a méconnu le principe susvisé ;
Alors, d'autre part, et en toute hypothèse, que faute d'avoir été porté à la connaissance du débiteur, le dépôt au greffe du tribunal d'une requête aux fins de conciliation prévu par l'article R. 3252-12 du code du travail, acte unilatéral et non contradictoire qui tend à la convocation du débiteur devant le tribunal d'instance aux fins de saisie des rémunérations, n'a pas d'effet interruptif de la prescription; qu'en retenant, pour débouter M. [D] de son exception de prescription, que " l'assignation de la Caisse régionale du crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes ayant été déposée au greffe du tribunal le 1er mars 2018, l'action n'est pas prescrite " (arrêt p. 6, § 7), quand cet acte constituait une requête aux fins de conciliation, qui n'avait pas d'effet interruptif, la cour d'appel a violé l'article 2241 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [D] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande au titre des délais de paiement ;
Alors qu'en matière de saisie des rémunérations, le juge d'instance, qui peut connaître toutes difficultés d'exécution entrant dans le champ de compétence matérielle du juge de l'exécution, a le pouvoir de suspendre l'exécution et de retarder la saisie en accordant des délais de paiement ; qu'en affirmant, pour débouter M. [D] de sa demande et infirmer le jugement qui lui avait octroyé des délais de paiement, que " la notion de délai de paiement est incompatible avec une saisie des rémunérations ", quand il n'existait aucune incompatibilité de cet ordre et que le juge d'instance disposait du pouvoir d'accorder des délais de paiement, la cour d'appel a violé l'article 510 du code de procédure civile. | Il résulte de l'article 2241 du code civil que la requête à fin de convocation d'une partie à une tentative de conciliation préalable à une saisie des rémunérations, prévue à l'article R. 3252-13, alinéa 1, du code du travail, qui constitue une demande en justice, interrompt le délai de prescription |
8,294 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 novembre 2022
Cassation sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1174 F-B
Pourvoi n° E 20-18.047
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [G], veuve [K].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 novembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2022
Mme [N] [G], veuve [K], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 20-18.047 contre l'arrêt rendu le 3 octobre 2019 par la cour d'appel de Rouen (chambre de la proximité), dans le litige l'opposant à la société Intramuros, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de Mme [G], veuve [K], de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Intramuros, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 3 octobre 2019), à la requête du liquidateur de Mme [G], par jugement du 27 août 2015, confirmé par un arrêt du 14 septembre 2016, il a été ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision existant entre Mme [G] et sa fille, Mme [K], sur un bien immobilier.
2. Par jugement d'adjudication sur licitation du 18 mai 2018, il a été procédé à la vente de cet immeuble au bénéfice de la société Intramuros.
3. Sur appel de ce jugement, par arrêt du 28 février 2019, une cour d'appel a notamment déclaré irrecevable l'appel de Mme [G] à l'encontre de ce jugement et rejeté les demandes de Mme [K].
4. Par acte du 21 juin 2018, la société Intramuros a fait délivrer à Mme [G] un commandement de quitter les lieux dans le délai de deux mois.
5. Le 9 août 2018, Mme [G] a saisi un juge de l'exécution en nullité de ce commandement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Mme [G] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité du commandement de quitter les lieux, alors « que les articles L. 642-18 du code de commerce, L. 311-6 et L. 322-13 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas applicables à la vente sur licitation ordonnée en vue du partage d'une indivision ; que, dès lors, en déduisant de ces textes que Mme [G], du fait de sa qualité de saisie, ne pouvait se fonder sur les articles 621 et 764 du code civil pour faire valoir ses droits d'usufruitière et d'usage et d'habitation, la cour d'appel a violé les articles L. 642-18 du code de commerce, L. 311-6 et L. 322-13 du code des procédures civiles d'exécution, par fausse application, ensemble les articles 621 et 764 du code civil, par refus d'application. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 322-13 du code des procédures civiles d'exécution et les articles 1271 à 1281 et 1377 du code de procédure civile :
7. S'il résulte de la combinaison des articles 1377 et 1271 à 1281 du code de procédure civile relatives à la vente sur licitation que de nombreuses règles régissant la procédure de saisie immobilière s'appliquent, par renvoi de texte, à la procédure de vente judiciaire d'immeubles après partage, l'article L. 322-13 du code des procédures civiles d'exécution ne lui est pas applicable.
8. Il en résulte qu'un jugement de vente sur adjudication par licitation ne vaut pas titre d'expulsion.
9. Pour confirmer le jugement ayant rejeté la demande de nullité du commandement d'avoir à quitter les lieux, l'arrêt retient, d'abord, que la vente des immeubles d'une personne physique en liquidation judiciaire est régie par l'article L. 642-18 du code de commerce, lequel renvoie aux articles L. 322-5 à L. 322-13 du code des procédures civiles d'exécution à l'exception des articles L. 322-6 et L. 322-9, R. 642-27 et suivants du code de commerce renvoyant aux dispositions du code des procédures civiles d'exécution relatives à la saisie immobilière.
10. L'arrêt retient, ensuite, que l'article L. 322-13 du code des procédures civiles d'exécution précise que le jugement d'adjudication sur licitation constitue un titre d'expulsion à l'encontre du saisi conformément à l'article L. 311-6 de ce code.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. Il résulte des paragraphes 7 et 8 que le jugement d'adjudication sur licitation ne valant pas titre d'expulsion, il convient d'annuler le commandement de quitter les lieux du 21 juin 2018.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Infirme le jugement du 27 février 2019 ;
Annule le commandement de quitter les lieux du 21 juin 2018 ;
Condamne la société Intramuros aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Rouen ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées tant devant la cour d'appel de Rouen que devant la Cour de cassation ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour Mme [G], veuve [K]
Mme [G] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté sa demande en nullité du commandement de quitter les lieux ;
ALORS QUE les articles L. 642-18 du code de commerce, L. 311-6 et L. 322-13 du code des procédures civiles d'exécution ne sont pas applicables à la vente sur licitation ordonnée en vue du partage d'une indivision ; que, dès lors, en déduisant de ces textes que Mme [G], du fait de sa qualité de saisie, ne pouvait se fonder sur les articles 621 et 764 du code civil pour faire valoir ses droits d'usufruitière et d'usage et d'habitation, la cour d'appel a violé les articles L. 642-18 du code de commerce, L. 311-6 et L. 322-13 du code des procédures civiles d'exécution, par fausse application, ensemble les articles 621 et 764 du code civil, par refus d'application. | Un jugement de vente sur adjudication par licitation ne vaut pas titre d'expulsion |
8,295 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 17 novembre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1187 FS-B
Pourvoi n° R 20-19.782
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 NOVEMBRE 2022
La société Mecajet, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 20-19.782 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société RGY concept, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Mecajet, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société RGY concept, de la société Axa France IARD, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, M. Besson, Mme Durin-Karsenty, MM. Martin, Delbano, Mmes Vendryes, Isola, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, MM. Cardini, Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Latreille, Bonnet, Philippart, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 2 juillet 2020) et les productions, la société Mecajet a confié à la société RGY concept (la société RGY) la réalisation des plans des appareils de chauffage-climatisation devant équiper des navettes ferroviaires dont la fabrication lui était commandée.
2. La société Mecajet, invoquant avoir subi un préjudice en raison d'une erreur de cotation des plans, a assigné la société RGY et son assureur, la société Axa France Iard (la société Axa), devant un tribunal de commerce qui les a condamnées solidairement à lui payer une certaine somme à titre indemnitaire.
3. La société RGY a interjeté un appel principal de ce jugement.
4. La société Axa, intimée, n'a pas constitué avocat.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Mecajet fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement et de rejeter toutes ses demandes, alors « que l'appel d'une partie ne produit effet à l'égard des autres parties condamnées ne s'étant pas jointes à l'instance qu'en cas d'indivisibilité ; que la société Axa, condamnée en première instance, n'a pas relevé appel ni constitué avocat devant la cour d'appel ; qu'en infirmant le jugement en son entier et en faisant ainsi produire au seul appel de la société RGY effet à l'égard de la société Axa cependant que les condamnations solidaires de l'assuré et de son assureur à indemniser la société Mecajet n'étaient pas indivisibles, la cour d'appel a violé l'article 553 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 553 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.
7. Il en résulte qu'en l'absence d'impossibilité d'exécuter simultanément deux décisions concernant les parties au litige, l'indivisibilité, au sens de l'article 553 du code de procédure civile, n'étant pas caractérisée, l'appel de l'une des parties ne peut pas produire effet à l'égard d'une partie défaillante.
8. Pour débouter la société Mecajet de sa demande de condamnation solidaire de la société RGY et de la société Axa, l'arrêt retient que la société RGY ne peut être tenue de réparer les conséquences financières subies par la société Mecajet pour assurer la reprise des désordres des châssis mis en production.
9. En statuant ainsi, alors qu'en l'absence d'impossibilité de poursuivre simultanément l'exécution du jugement ayant condamné la société Axa et de l'arrêt déboutant la société Mecajet de sa demande de condamnation de la société RGY, l'appel de cette dernière ne pouvait produire effet à l'égard de la société Axa, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La société Mecajet fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à déclarer la société RGY responsable du désordre constaté le 5 mai 2017 et de la condamner solidairement avec son assureur, la société Axa, à l'indemniser de son entier préjudice, soit à lui payer les sommes de 258 675 euros et de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que la société Mecajet fondait ses demandes sur les articles 1217 et 1231-1 du code civil et que la société RGY justifiait sa prétention au rejet des demandes de la société Mecajet sur une prétendue absence de lien de causalité entre la faute qu'elle avait commise et les dépenses engagées par la société Mecajet ; qu'aucune des parties n'a donc évoqué l'exigence de la prévisibilité du dommage en matière de responsabilité contractuelle ; qu'en se fondant ainsi d'office sur l'article 1231-3 du code civil sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
11. Aux termes de ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.
12. Pour rejeter les demandes de la société Mecajet, l'arrêt retient que si la société RGY pouvait prévoir que l'erreur de cotation de ses plans entraînerait une impossibilité de mettre en oeuvre les composants mécaniques réalisés sur la base de ceux-ci, elle ne pouvait en revanche prévoir ni que la société Mecajet choisirait de passer outre la phase de réalisation d'un prototype et d'engager directement la production de 20 châssis pour gagner sur les délais de mise en oeuvre impartis par le marché, ni qu'elle mettrait tout en oeuvre, à savoir l'engagement de deux sociétés d'ingénierie tierces et la remise en production en urgence de nombreuses pièces, pour sauver son marché face à un partenaire commercial tel que la société Eurotunnel, de sorte que les préjudices dont la société Mecajet réclame réparation constituent des dommages que la société RGY, dont il n'est pas soutenu qu'elle avait commis une faute lourde ou dolosive, ne pouvait pas prévoir au sens de l'article 1231-3 du code civil.
13. En statuant ainsi, en faisant d'office application au litige de l'article 1231-3 du code civil, la prévisibilité du dommage n'ayant pas été invoquée par les parties dans le débat sur le lien de causalité entre la faute de la société RGY et le préjudice allégué par la société Mecajet, la cour d'appel, qui n'a pas invité les parties à présenter leurs observations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne la société RGY concept et la société Axa France IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société RGY concept et la société Axa France IARD et les condamne in solidum à payer à la société Mecajet la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept novembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour la société Mecajet
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement du 24 septembre 2018 par lequel le tribunal du commerce de Douai avait condamné solidairement la société RGY et la société Axa, ès qualités d'assureur de la société RGY, à payer à la société Mecajet, en réparation de son préjudice, la somme de 110 000 euros HT, outre les intérêts à compter du 14 mars 2018 et sous déduction de la provision versée, et d'avoir rejeté toutes les demandes de la société Mecajet ;
AUX MOTIFS QUE les préjudices dont la société Mecajet réclame réparation constituent des dommages que la société RGY ne pouvait pas prévoir ; qu'il n'est pas soulevé que la faute de la société RGY présente le caractère d'une faute lourde ou dolosive ; qu'en conséquence, la société RGY ne peut être tenue de réparer les conséquences financières subies par la société Mecajet pour assurer la reprise des désordres sur les 20 châssis mis en production ; que le jugement sera infirmé et les demandes de la société Mecajet visant à voir condamner solidairement la société RGY avec sa compagnie d'assurance AXA à l'indemniser de son entier préjudice, qui ne sont pas fondées, seront rejetées ;
ALORS QUE l'appel d'une partie ne produit effet à l'égard des autres parties condamnées ne s'étant pas jointes à l'instance qu'en cas d'indivisibilité ; que la société AXA, condamnée en première instance, n'a pas relevé appel ni constitué avocat devant la cour d'appel (arrêt p. 1 et p. 3) ; qu'en infirmant le jugement en son entier et en faisant ainsi produire au seul appel de la société RGY effet à l'égard de la société AXA cependant que les condamnations solidaires de l'assuré et de son assureur à indemniser la société Mecajet n'étaient pas indivisibles, la cour d'appel a violé l'article 553 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Mecajet de ses demandes tendant à voir dire la société RGY déclarée responsable du désordre constaté le 5 mai 2017 sur le chantier Eurotunnel et condamnée solidairement avec son assureur, la compagnie Axa, à l'indemniser de son entier préjudice, soit à lui payer les sommes de 258 675 euros et de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QU'il ressort de la note d'expertise n° 2 du cabinet Cunningham Lindsey versée au dossier que « les nouvelles pattes dont les trous de fixation étaient décalés par rapport au modèle initial ont été positionnées (telles) quelles sur le plan du châssis sans que le positionnement des trous de montage dans le châssis soit décalé de la même valeur. Les pattes se sont donc trouvées décalées par rapport à leur position initiale et la cote d'entraxe des fixations qui constituaient pourtant une cote fonctionnelle majeure s'en trouvait modifiée d'autant » ; que la société RGY ne conteste pas être l'auteur d'une erreur de côte dans les plans communiqués à la société Mecajet pour la réalisation de pattes de fixation de châssis, dans le cadre de l'exécution par celle-ci du marché de rénovation du système de chauffage-climatisation du matériel roulant de la société Eurotunnel, résultant du fait qu'elle n'a pas pris en compte une modification du modèle, intervenue à la demande de son donneur d'ordre ; que le débat sur le refus par la société RGY de la commande n° 13440 est sans objet, puisque la société RGY a in fine réalisé des plans pour la société Mecajet dans le cadre du marché Eurotunnel, relatifs au système de fixation des châssis devant supporter les appareils de chauffage/climatisation, comme en attestent les échanges de mail entre les ingénieurs des deux sociétés de janvier 2017 relatifs aux côtes des fixations, dont il n'est pas contesté qu'ils comportaient une erreur de côte ne permettant pas une mise en oeuvre efficiente ; que la société RGY conteste non pas sa faute, mais le lien de causalité entre celle-ci et le préjudice allégué par la société Mecajet, au motif que cette dernière devait, au titre du contrat la liant à Eurotunnel, réaliser, à la suite de son étude, un prototype devant être validé avant d'engager la production de 148 pièces, et que le respect de cette procédure aurait permis de détecter l'erreur et de la corriger avec des conséquences financières très limitées ; que selon l'article 1231-3 du code civil, « le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive » ; qu'il résulte des dernières conclusions de la société Mecajet que « la société RGY s'est vu remettre l'ensemble du cahier des charges d'Eurotunnel » ; que la société RGY avait en conséquence connaissance du protocole prévu de réalisation d'un prototype, lequel, même relevant des conditions contractuelles stipulées entre les sociétés Mecajet et Eurotunnel, constituait le cadre prévisible de diagnostic et de reprise d'erreurs possibles ; que si la société RGY pouvait prévoir que l'erreur de cotation de ses plans entraînerait une impossibilité de mettre en oeuvre les composants mécaniques réalisés sur la base de ceux-ci, elle ne pouvait en revanche prévoir ni, d'une part, que la société Mecajet choisirait de passer outre la phase de réalisation d'un prototype et d'engager directement la production de 20 châssis pour gagner du temps sur les délais de mise en oeuvre impartis par le marché, ni, d'autre part, qu'elle mettrait tout en oeuvre, à savoir l'engagement de deux sociétés d'ingénierie tierces et la remise en production en urgence de nombreuses pièces, pour sauver son marché face à un partenaire commercial tel que la société Eurotunnel ; qu'en conséquence, les préjudices dont la société Mecajet réclame réparation constituent des dommages que la société RGY ne pouvait pas prévoir ; qu'il n'est pas soulevé que la faute de la société RGY présentait le caractère d'une faute lourde ou dolosive ;
1) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que la société Mecajet fondait ses demandes sur les articles 1217 et 1231-1 du code civil et que la société RGY justifiait sa prétention au rejet des demandes de la société Mecajet sur une prétendue absence de lien de causalité entre la faute qu'elle avait commise et les dépenses engagées par la société Mecajet ; qu'aucune des parties n'a donc évoqué l'exigence de la prévisibilité du dommage en matière de responsabilité contractuelle ; qu'en se fondant ainsi d'office sur l'article 1231-3 du code civil sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2) ALORS QUE doit être indemnisée, en matière de responsabilité contractuelle, la part du dommage qui était prévisible lors de la conclusion du contrat et a constitué une suite immédiate et directe de l'inexécution de ce contrat ; que la cour d'appel a relevé, d'une part, que la société RGY pouvait prévoir que l'erreur de cotation de ses plans entraînerait une impossibilité de mettre en oeuvre les composants mécaniques réalisés sur la base de ceux-ci et, d'autre part, que, selon la société RGY, le respect, par la société Mecajet, de la procédure prévue par le contrat la liant à la société Eurotunnel, à savoir réaliser un prototype devant être validé avant d'engager la production, aurait permis de détecter l'erreur et de la corriger avec des conséquences financières très limitées ; qu'il ressort ainsi des énonciations de l'arrêt que l'inexécution par la société RGY de ses obligations aurait, en toute hypothèse, causé un dommage prévisible à la société Mecajet ; qu'en omettant de prendre en compte les conséquences financières, même limitées, qu'a eues l'erreur de cotation des plans commise par RGY et en refusant de les indemniser, la cour d'appel a violé les articles 1217, 1231-1, 1231-2 et 1231-3 du code civil. | Il résulte de l'article 553 du code de procédure civile qu'en l'absence d'impossibilité d'exécuter simultanément deux décisions concernant les parties au litige, l'indivisibilité, au sens de l'article 553 du code de procédure civile, n'étant pas caractérisée, l'appel de l'une des parties ne peut pas produire effet à l'égard d'une partie défaillante.
Viole ce texte, la cour d'appel qui, en l'absence d'impossibilité de poursuivre simultanément l'exécution du jugement ayant condamné l'assureur et l'arrêt déboutant la victime de sa demande de condamnation de l'assuré, rejette la demande de la victime en condamnation solidaire de l'assuré et de l'assureur, ce dernier étant défaillant, alors que l'appel de l'assuré ne pouvait produire effet à l'égard de l'assureur |
8,296 | N° V 22-85.114 F-B
N° 01546
SL2
15 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [L] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 28 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre lui du chef de meurtre, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [L] [U], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [L] [U] a été mis en examen du chef susvisé le 20 mai 2022, puis placé en détention provisoire.
3. Il a rempli un imprimé disponible à la maison d'arrêt, qu'il a daté du 30 mai 2022, dans lequel il a indiqué qu'il voulait relever appel de son placement en détention provisoire, enregistré au greffe de l'établissement pénitentiaire le 1er juin suivant.
4. Par courriers des 18 et 20 juillet 2022, l'avocat de M. [U] a demandé au procureur général la mise en liberté d'office de l'intéressé, au motif que la chambre de l'instruction n'avait pas encore statué sur cet appel.
5. Sur demande du parquet général, un acte d'appel a été formalisé le 20 juillet par le greffe de l'établissement pénitentiaire sur le registre prévu à cet effet, que l'intéressé a refusé de signer, et qui a été enregistré au greffe du tribunal judiciaire le même jour.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel interjeté par M. [L] [U] à l'encontre de l'ordonnance de placement en détention provisoire rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Auxerre le 20 mai 2022, alors :
« 1°/ que dénature les pièces du dossier et méconnait les articles 186, 194, 503 et 593 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction qui déclare irrecevable l'appel interjeté par M. [U] contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire d'Auxerre du 20 mai 2022, par une déclaration en date du 30 mai 2022, en énonçant que si « la volonté de M. [U] de faire appel de son placement en détention provisoire ressort clairement du document dont la maison d'arrêt lui a accusé réception le 1er juin 2022 (cf. accusé de réception), soit hors du délai légal de dix jours qui expirait le 30 mai à minuit, seule cette date de réception est en effet certaine, aucun élément de la procédure ne permettant d'établir que [L] [U] a fait connaître de façon certaine le 30 mai 2022 au greffe de la maison d'arrêt, de quelque façon que ce soit et non équivoque, sa volonté de faire appel », alors même qu'il ressortait précisément dudit accusé de réception que le document dont s'agit par lequel M. [U] indiquait « demander l'appel de (son) placement en détention », sur la date de la demande était bien le 30 mai 2022 ;
2°/ que tout document dans lequel une personne provisoirement détenue manifeste sa volonté d'interjeter appel d'une décision de placement en détention ou de rejet de demande de mise en liberté, vaut appel de cette décision à la date à laquelle cette volonté est émise sans équivoque possible ; que l'arrêt ne pouvait ainsi considérer que « seule la date de réception est certaine » et qu'aucun grief tiré d'une absence de diligence ne peut être tiré de ce que la maison d'arrêt a enregistré l'appel le 1er juin 2022, sans s'expliquer précisément sur la date à laquelle a été émise le volonté de M. [U] d'interjeter appel, laquelle figure exactement sur l'accusé de réception comme « date de la demande », même si la « réception par les services du greffe a été datée du surlendemain 1er juin à 15h18 », étant précisé qu'il était mentionné une estimation de temps nécessaire pour une réponse à la demande de dix jours ; qu'en effet, la date de l'appel ne peut dépendre de la diligence mise par l'administration à enregistrer la déclaration d'appel et à y répondre, la chambre de l'instruction a donc méconnu les textes susvisés, ensemble les articles 502 et 503 du code de procédure pénale et les droits de la défense ;
3°/ qu'en matière de déclaration d'appel, c'est la date à laquelle a été émise la demande qui doit être prise en considération, non point la date à laquelle le greffe a traité cet appel qui dépend de circonstances tout à fait étrangères à la volonté de l'appelant, l'enregistrement tardif d'une déclaration d'appel ne constituant pas une circonstance imprévisible ou insurmontable extérieure au service de la justice, justifiant le retard dont s'agit ; qu'en statuant donc comme elle l'a fait, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés et le principe du droit à un recours effectif ;
4°/ qu'enfin le délai dont dispose la chambre de l'instruction pour statuer sur l'appel d'une ordonnance de mise en détention provisoire est de 10 jours à compter de cet appel, faute de quoi la personne concernée est mise d'office en liberté ; que le retard d'acheminement du document manifestant la volonté de la personne détenue d'interjeter appel de cette ordonnance ne saurait constituer une cause de prorogation de ce délai ; qu'en statuant le 28 juillet 2022 sur les mérites d'un appel formé le 30 mai 2022 et enregistré le 1er juin suivant, la chambre de l'instruction a violé les dispositions sus-rappelées et l'article 194 du code de procédure pénale, ensemble les droits de la défense. La cassation interviendra sans renvoi avec mise en liberté. »
Réponse de la Cour
7. Pour déclarer irrecevable l'appel de M. [U], l'arrêt attaqué énonce que la demande établie par ce dernier en vue d'une déclaration d'appel a été faite sur un imprimé destiné aux requêtes internes à l'établissement pénitentiaire, enregistré au greffe de celui-ci le 1er juin 2022, et qu'un formulaire d'appel a ensuite été établi le 20 juillet suivant, retranscrit au greffe de la juridiction le même jour.
8. Les juges relèvent que, si l'intéressé a ainsi clairement manifesté sa volonté de faire appel, seule peut être retenue comme certaine la date du 1er juin 2022, aucun élément de la procédure ne permettant d'établir que M. [U] a fait connaître, de quelque façon que ce soit et non équivoque, sa volonté de faire appel dès le 30 mai 2022, date mentionnée sur sa requête adressée au greffe de la maison d'arrêt.
9. Ils en déduisent que, si l'établissement pénitentiaire devait enregistrer cet appel au 1er juin 2022 et y donner les suites qui s'imposent, aucun grief ne peut être tiré de cette absence de diligence, l'appel étant alors irrecevable.
10. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.
11. D'une part, la requête, dont seul l'enregistrement, le 1er juin 2022 au greffe de l'établissement pénitentiaire, lui conférait date certaine, soit postérieurement à l'expiration du délai pour faire appel, ne pouvait produire les mêmes effets qu'une déclaration d'appel.
12. D'autre part, le demandeur ne saurait se faire grief du caractère tardif de l'arrêt de la chambre de l'instruction, dès lors que celle-ci n'était pas saisie d'un appel.
13. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.
14. L'arrêt est par ailleurs régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze novembre deux mille vingt-deux. | La requête de la personne mise en examen par laquelle elle manifeste son intention de faire appel de l'ordonnance la plaçant en détention provisoire, dont seul l'enregistrement au greffe de l'établissement pénitentiaire confère date certaine, ne peut produire les mêmes effets qu'un appel lorsqu'elle est enregistrée postérieurement à l'expiration du délai d'appel prévu par la loi |
8,297 | N° F 22-85.101 F-B
N° 01550
SL2
15 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 15 NOVEMBRE 2022
M. [U] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 10e section, en date du 27 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Des mémoires ampliatif et personnel ont été produits.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de M. [U] [S], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [U] [S] a été mis en examen des chefs précités puis placé en détention provisoire le 29 octobre 2021.
3. Le 7 juillet 2022, il a présenté une demande de mise en liberté à la chambre de l'instruction, en application de l'article 148-4 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le second moyen du mémoire ampliatif et le moyen du mémoire personnel
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen du mémoire ampliatif
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande en mise en liberté de M. [U] [S], alors « que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction saisie d'une demande de mise en liberté doit, dès l'ouverture des débats, être informée de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; qu'en l'espèce, il résulte des mentions de l'arrêt attaqué (page 2) que si l'exposant a été informé de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de garder le silence, cette information ne lui a été donnée que postérieurement au rapport oral de la présidente, aux observations de son conseil et aux réquisitions de l'avocat général ; qu'en cet état, la décision entreprise a méconnu les exigences du procès équitable et violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. La notification du droit de se taire, après l'ouverture des débats, à la personne mise en examen qui comparaît devant la chambre de l'instruction, n'est pas contraire à l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'elle a lieu avant que l'intéressé ne soit entendu sur les faits qui lui sont reprochés, conformément à l'alinéa 4, de l'article 199 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.
7. Tel est le cas en l'espèce.
8. Ainsi, le moyen doit être écarté.
9. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze novembre deux mille vingt-deux. | La notification du droit de se taire, après l'ouverture des débats, à la personne mise en examen qui comparait devant la chambre de l'instruction, n'est pas contraire à l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle a lieu avant que l'intéressé ne soit entendu sur les faits qui lui sont reprochés, conformément à l'alinéa 4, de l'article 199 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.
N'encourt pas la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction saisie d'une demande de mise en liberté dont il résulte des mentions que le président a procédé à cette notification postérieurement à son rapport oral, aux observations du conseil de la personne détenue et aux réquisitions de l'avocat général mais avant que la personne mise en examen ne soit entendue |
8,298 | N° N 22-83.221 F-B
N° 01423
SL2
22 NOVEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 NOVEMBRE 2022
M. [O] [U] et M. [K] [L] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar, en date du 28 avril 2022, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, infractions à la législation sur les armes et importation de produits stupéfiants, en récidive, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 6 juillet 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Un mémoire, commun aux demandeurs, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [O] [U] et de M. [K] [L], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 27 janvier 2019 a été ouverte une information judiciaire, dans le cadre de laquelle MM. [K] [L] et [O] [U] ont été mis en examen des chefs susvisés.
3. Les 13 décembre 2021 et 17 février 2022, leurs avocats respectifs ont présenté devant la chambre de l'instruction des requêtes en nullité qui ont été examinées conjointement par cette juridiction.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité et les demandes présentées par les exposants, alors :
« 1°/ qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'inconventionnalité, au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des mesures d'obtention, exploitation et conservation des données dont les exposants ont fait l'objet, que ces mesures ne pouvaient être contestées sur le fondement de leur inconstitutionnalité, la chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant, impropre à répondre aux conclusions de l'exposant et par conséquent insuffisant, et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'inconventionnalité, au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des mesures d'obtention, exploitation et conservation des données dont les exposants ont fait l'objet, que « les deux requêtes des mis en examen, de même que le mémoire en réplique aux réquisitions du ministère public, ne précisent pas quels actes ou quelles pièces de procédure seraient frappés de nullité parce que réalisés sur le fondement de l'article L. 34-2 du CPCE », quand les requêtes présentées par Messieurs [U] et [L] visaient de manière générale tous les actes par lesquels les enquêteurs avaient requis les « opérateurs téléphoniques français », « afin d'obtenir le détail géolocalisé » des puces qui leur étaient attribuées et l'exploitation subséquente de ces données par les agents de police dans le cadre d' « analyses techniques » et, de manière plus spécifique, les cotes D. 1462, D. 1512, D. 1513, D. 1514, D. 1531, D. 1593, D. 1610, D. 1611 et D. 1612, de sorte que les exposants visaient précisément les actes et les pièces dont ils contestaient la régularité, la chambre de l'instruction a statué par un motif erroné, impropre à répondre aux conclusions de l'exposant, et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la chambre de l'instruction saisie d'une contestation relative à l'accès aux données de trafic et de localisation d'une personne mise en examen doit s'assurer d'une part que la procédure visait à la lutte contre la criminalité grave et d'autre part que les réquisitions étaient tout à la fois nécessaires et proportionnées à la poursuite des infractions objet de la procédure dont elle est saisie ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [U] et Monsieur [L] contestaient la conventionnalité des mesures aux cours desquelles les enquêteurs avaient eu accès à leurs données de trafic et de localisation ; qu'en se contentant d'énoncer, pour dire régulier l'accès aux données de connexion de Monsieur [U] et Monsieur [L], que les enquêteurs agissaient sur commission rogatoire, sans s'assurer de la gravité des faits reprochés aux exposants ni de la nécessité et de la proportionnalité de l'accès à ces données, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour écarter les moyens de nullité et les demandes présentées par les requérants, pris de la non-conformité du droit français aux exigences européennes en matière de conservation des données de connexion, l'arrêt attaqué retient que ni les deux requêtes des personnes mises en examen, ni le mémoire en réplique aux réquisitions du ministère public, ne précisent quels actes ou quelles pièces de procédure seraient frappés de nullité parce que réalisés sur le fondement de l'article L. 34-2 du code de postes et des communications électroniques.
7. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
8. En effet le grief pris de la violation des exigences européennes en matière de conservation et d'accès aux données de connexion ainsi que de celles énoncées à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui n'est pas d'ordre public, n'affecte qu'un intérêt privé.
9. Il s'en déduit que le demandeur, lorsqu'il présente une requête en nullité d'actes de la procédure, doit indiquer précisément à la chambre de l'instruction chacun des actes dont il sollicite l'annulation.
10. Dès lors, le moyen, inopérant en sa première branche en ce qu'elle critique un motif surabondant, doit être écarté.
11. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux novembre deux mille vingt-deux. | Le demandeur, qui soulève devant la chambre de l'instruction un moyen de nullité pris de la violation des exigences européennes en matière de modalités de conservation et d'accès aux données de connexion, lesquelles ont pour objet la protection du droit au respect de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d'expression et dont la méconnaissance n'affecte qu'un intérêt privé, doit indiquer précisément chacun des actes dont il sollicite l'annulation |
8,299 | N° Y 21-86.010 F-B
N° 01424
SL2
22 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 NOVEMBRE 2022
Mme [G] [O] et la société [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 4-10, en date du 17 mars 2021, qui, pour pratique commerciale trompeuse, a condamné, la première, à six mois d'emprisonnement avec sursis et 100 000 euros d'amende, la seconde, à 500 000 euros d'amende, a ordonné des mesures de publication et de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demanderesses, a été produit.
Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [G] [O] et de la société [1], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Une enquête a été diligentée, à la suite de plaintes de consommateurs qui s'estimaient trompés par la communication de la société [2], devenue société [1], agence de publicité dont l'activité intègre la vente par correspondance de produits alimentaires, via les enseignes « Délices et gourmandises » et « Les délices d'Annie », pour leur avoir fait miroiter des gains de loterie inexistants dans le cadre de publipostages.
3. Les comportements incriminés consistaient, notamment, en l'utilisation d'emballages, de vocabulaire et d'univers graphique propres à entretenir une confusion avec des documents officiels, présentant comme une certitude un événement hypothétique, soit le gain d'un lot de l'ordre de 9 000 euros, et entretenant l'amalgame entre participation au jeu et nécessité de passer commande.
4. Le tribunal correctionnel a déclaré la société et sa présidente, Mme [G] [O], coupables de pratique commerciale trompeuse, les a condamnées à diverses peines et à payer solidairement des sommes à quatre parties civiles en réparation de leurs préjudices matériels ou moraux.
5. Les prévenues et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le huitième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement en ses dispositions civiles, alors :
« 1°/ que seul le préjudice direct et personnel résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que, dès lors, en condamnant les prévenues à payer aux parties civiles, au titre de leur préjudice matériel, le montant des gains promis par les jeux dont elles avaient été destinataires, la cour d'appel, qui s'est placée sur le terrain quasi-contractuel pour fixer le montant de l'indemnisation, a méconnu la nature délictuelle de l'action civile et a violé les articles 2, 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil ;
2°/ que, en tout état de cause, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice causé par une infraction, il ne saurait en résulter pour la victime ni perte ni profit ; qu'en confirmant le jugement déféré en ce qu'il a condamné les prévenues à payer à Mme [W] la somme de 52 895,24 euros en réparation de son préjudice matériel, comme correspondant à hauteur de 50 000 euros au montant des gains promis dans les « documents » reçus par celle-ci et à hauteur de 2 895,24 euros au montant des 154 commandes qu'elle a passées entre mars 2013 et septembre 2014 auprès de la société prévenue, sans constater que ces « documents » correspondaient aux jeux concernés par la prévention ni s'expliquer sur leur nombre et sur le montant du gain promis par chacun d'entre eux, et sans expliquer en quoi les 154 commandes passées par Mme [W], dont il n'est pas contesté qu'elle a reçu et consommé les produits commandés, s'analyseraient comme un préjudice résultant directement des faits dont les prévenues ont été déclarées coupables, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
8. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
9. Pour confirmer le jugement sur les intérêts civils, l'arrêt attaqué énonce, par motifs adoptés, que le préjudice matériel de Mme [H] [W] et de MM. [V] [E], [K] [S] et [J] [B] doit être réparé à hauteur de 50 000 euros, notamment, pour la première et de 8 000 euros pour le deuxième au titre des gains promis et non perçus, de 9 000 euros pour le troisième et de 5 000 euros pour le quatrième sans autre précision.
10. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, pour les motifs qui suivent.
11. En premier lieu, l'absence de perception des gains promis n'est de nature à constituer par la déception qu'elle engendre, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, qu'un préjudice moral.
12. En second lieu, les juges n'ont pas suffisamment caractérisé l'intérêt patrimonial auquel les comportements sanctionnés avaient porté atteinte.
13. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions civiles. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 mars 2021, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux novembre deux mille vingt-deux. | L'absence de perception des gains promis, dans le cadre d'une loterie publicitaire constitutive du délit de pratique commerciale trompeuse, n'est de nature à constituer par la déception qu'elle engendre, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, qu'un préjudice moral |