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8,000 | COMM.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2022
Rejet
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 462 FS-B
Pourvoi n° K 21-13.571
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 6 JUILLET 2022
La société Géo France finance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 21-13.571 contre l'ordonnance rendue le 3 mars 2021 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 15), dans le litige l'opposant au directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, domicilié [Adresse 5], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Géo France finance, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mme Fèvre, Mme Ducloz, conseillers, M. Guerlot, Mmes de Cabarrus, Lion, Lefeuvre, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 3 mars 2021), les juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Paris et de Créteil ont, sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, autorisé l'administration fiscale à effectuer des visites et saisies en vue de rechercher la fraude des sociétés Géo France finance (la société GFF), European Tradings Materials et Manufacture française des Ardennes, dans les locaux et dépendances situés [Adresse 4] et [Adresse 1] et [Adresse 2].
2. Les opérations de visite et de saisies ont été réalisées les 28 et 29 mai 2019.
3. La société GFF a interjeté appel des ordonnances d'autorisation et formé un recours contre le déroulement de ces opérations.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. La société GFF fait grief à l'ordonnance de déclarer régulières les opérations de visite et de saisies en date des 28 et 29 mai 2019 effectuées dans les locaux sis [Adresse 4], alors :
« 1°/ que l'officier de police judiciaire doit assister aux opérations de visite et saisies, afin de tenir informé de leur déroulement le magistrat qui les a autorisées ; qu'ainsi des saisies ne peuvent être valablement effectuées qu'en la présence constante d'un officier de police judiciaire ; qu'en affirmant au contraire que "si l'officier de police judiciaire doit être présent durant les opérations de visite domiciliaire, son rôle est limité à un contrôle de celles-ci et à une intervention en cas d'incident", si bien que celui-ci peut s'absenter pourvu qu'il reste joignable et à la disposition des participants à la visite, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;
2°/ qu'en énonçant, pour déclarer régulières les opérations de visite et saisies effectuées dans ses locaux malgré les absences répétées de l'officier de police judiciaire, que celui-ci était resté à la disposition des participants aux opérations ou encore qu'il "n'a pas été relevé d'incident lié aux absences renouvelées de l'officier de police judiciaire", après avoir admis que ces absences avérées de l'officier de police judiciaire pendant le déroulement des opérations "n'ont pas été mentionnées sur le procès-verbal relatant les modalités et le déroulement des opérations et consignant les constatations effectuées", ce dont il résultait que ce procès-verbal était dépourvu de valeur probante et que les conditions du déroulement des opérations réalisées en l'absence de l'officier de police judiciaire ne pouvaient pas être déterminées avec certitude, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, la visite et la saisie de documents s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. A cette fin, il désigne le chef du service qui nomme l'officier de police judiciaire chargé d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement. L'officier de police judiciaire veille au respect du secret professionnel et des droits de la défense. Un procès-verbal relatant les modalités et le déroulement de l'opération de visite et de saisies et consignant les constatations effectuées est dressé sur-le-champ par les agents de l'administration des impôts.
7. Après avoir constaté que l'officier de police judiciaire s'était absenté du local où se déroulaient les opérations de visite domiciliaire à onze reprises durant les quinze heures qu'ont duré les opérations, pendant cinq à dix minutes à chaque heure, en restant à proximité du local où elles se déroulaient, et que, si ces absences n'ont pas été mentionnées sur le procès-verbal relatant le déroulement des opérations, aucun incident n'a été soulevé à ce propos et ce procès-verbal a été signé sans que des observations eussent été formulées, l'ordonnance relève que l'officier de police judiciaire, demeuré à proximité du local et à tout moment joignable, est resté à la disposition des participants aux opérations de visite, même durant ses courtes absences, et n'a pas eu à intervenir dans les opérations.
8. De ces constatations, dont l'exactitude n'est pas contestée, et dès lors que la société GFF n'invoquait aucune atteinte aux intérêts que l'officier de police judiciaire a pour mission de protéger, rendue possible par les absences de ce dernier, le premier président a déduit à bon droit qu'il n'y avait pas lieu à annulation des opérations.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Géo France finance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Géo France finance et la condamne à payer au directeur général des finances publiques, représenté par l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction nationale d'enquêtes fiscales, la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Géo France finance.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Géo France Finance fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé les ordonnances d'autorisation de visites rendues par le juge des libertés et de la détention Paris en date du 22 mai 2019 et par le juge des libertés et de la détention de Créteil en date du 23 mai 2019,
1°) ALORS QUE les dispositions de l'article L 16B du livre des procédures fiscales, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, sont contraires aux articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en tant qu'elles aboutissent à considérer que « les motifs et le dispositif des ordonnances rendues en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales sont réputés établis par le juge qui les a rendues et signées (et) que la circonstance que ces décisions soient rédigées dans les mêmes termes que d'autres décisions visant les mêmes personnes et rendues par d'autres magistrats dans les limites de leur compétence, est sans incidence sur leur régularité » ; que l'annulation par le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, en application de l'article 61-1 de la Constitution, de l'article L 16 B du livre des procédures fiscales, tel qu'interprété par la Cour de cassation privera de base légale l'ordonnance attaquée ;
2°) ALORS QU'en matière de visites domiciliaires, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ; qu'il appartient au conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel saisi d'un tel recours de procéder à un examen concret des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, afin d'apprécier le bien-fondé de la mesure ; que le premier président qui doit analyser les documents produits par l'administration vérifie que les faits résultant des éléments fournis à l'appui de la requête permettent de présumer l‘existence d'une fraude ; qu'en refusant d'apprécier la valeur probante du procès-verbal de rejet de comptabilité établi par l'administration fiscale bien que ce procès-verbal ait été communiqué à l'appui de la requête et constituait donc un élément permettant de présumer de l'existence d'une fraude, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ;
3°) ALORS QU'en matière de visites domiciliaires, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ; qu'il appartient au conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel saisi d'un tel recours de procéder à un examen concret des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, afin d'apprécier le bien-fondé de la mesure ; que les dispositions de l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ne limitent pas le contrôle exercé par le premier président dans le cadre du débat contradictoire qu'elles instaurent en cas d'appel à l'examen d'une simple apparence de licéité de l'origine des pièces produite au soutien de la requête et que saisi d'une contestation sur ce point, le premier président doit vérifier que les éléments d'information fournis par l'administration fiscale requérante ont été obtenus par elle de manière licite ; qu'en affirmant, pour considérer que la déclaration de M. [T] aux autorités hollandaises dont la teneur était contestée et plus généralement tous les documents issus des demandes d'entraide internationale adressées aux autorités hollandaises, singapouriennes et chinoises pouvaient constituer des présomptions de fraude, qu'il suffit que le juge vérifie l'origine apparemment licite de ces pièces, la conseillère déléguée a violé de plus fort les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ;
4°) ALORS QU'en matière de visites domiciliaires, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ; qu'il appartient au conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel saisi d'un tel recours de procéder à un examen concret des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, afin d'apprécier le bien-fondé de la mesure ; qu'il appartient au juge chargé d'autoriser la visite, comme au premier président saisi en appel d'apprécier le bienfondé de la requête ; qu'en affirmant au contraire que le juge n'a pas à apprécier la teneur ou le bien fondé des pièces apparemment licites produites à l'appui de la requête, ni à vérifier les questions et documents soumis aux autorités étrangères ou communiquées à celles-ci, la conseillère déléguée a violé de plus fort les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ;
5°) ALORS QU'en matière de visites domiciliaires, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ; qu'il appartient au conseiller délégué par le premier président de la cour d'appel saisi d'un tel recours de procéder à un examen concret des éléments de fait et de droit qui lui sont soumis, afin d'apprécier le bien-fondé de la mesure ; que l'administration est tenue d'un devoir de loyauté vis- vis du juge ; que lorsqu'il est soutenu que l'administration fiscale a sciemment omis de présenter au juge des libertés et de la détention certaines pièces à décharge de nature à remettre en cause les éléments retenus au titre de l'existence d'une présomption de fraude fiscale ou a présenté des documents incomplets, le premier président est tenu d'examiner ce grief ; qu'en refusant de répondre à ce moyen, puis en retenant que le juge n'a pas à vérifier les questions et documents soumis aux autorités étrangères ou communiquées à celles-ci, la conseillère déléguée a violé de plus fort les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales ;
6°) ALORS QUE l'administration est tenue d'un devoir de loyauté vis- vis du juge et doit communiquer à la partie qui le demande, les pièces dont elle fait état à l'appui de la requête ; que si l'administration n'a pas l'obligation de communiquer la totalité des pièces en sa possession, elle doit néanmoins produire l'intégralité des pièces sur lesquelles elle se fonde ; qu'en décidant le contraire, la conseillère déléguée a violé de plus fort les articles 6 et 8 de la convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article L 16 B du livre des procédures fiscales.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Géo France Finance fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir déclaré régulières les opérations de visite et saisies en date des 28 mai 2019 et 29 mai 2019 effectuées dans les locaux sis [Adresse 4], présumés occupés par la Sas GEO FRANCE FINANCE et/ou Ia SARL Unipersonnelle GEO ENERGIE ET SERVICES et ou la SASU GEOLEASE FRANCE et/ou Ia SASU GEO ENERGIE et/ou Ia SAS WORLD IN PROGRESS STUDIO et/ou toute autre entité animée ou détenue directement indirectement par [O] [C] ;
1°) ALORS QUE l'officier de police judiciaire doit assister aux opérations de visites et saisie, afin de tenir informé de leur déroulement le magistrat qui les a autorisées ; qu'ainsi des saisies ne peuvent être valablement effectuées qu'en la présence constante d'un officier de police judiciaire ; qu'en affirmant au contraire que « si l'officier de police judiciaire doit être présent durant les opérations de visite domiciliaire, son rôle est limité à un contrôle de celles-ci et à une intervention en cas d'incident » si bien que celui-ci peut s'absenter pourvu qu'il reste joignable et à la disposition des participants à la visite, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et L 16 B du livre des procédures fiscales ;
2°) ALORS QU'en énonçant, pour déclarer régulières les opérations de visite et saisie effectuées dans les locaux de la société GFF malgré les absences répétées de l'officier de police judiciaire, que celui-ci était resté à la disposition des participants aux opérations ou encore qu'il « n'a pas été relevé d'incident lié aux absences renouvelées de l'officier de police judiciaire », après avoir admis que ces absences avérées de l'officier de police judiciaire pendant le déroulement des opérations « n'ont pas été mentionnées sur le procès-verbal relatant les modalités et le déroulement des opérations et consignant les constatations effectuées », ce dont il résultait que ce procès-verbal était dépourvu de valeur probante et que les conditions du déroulement des opérations réalisées en l'absence de l'officier de police judiciaire ne pouvaient pas être déterminées avec certitude, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et L 16 B du livre des procédures fiscales. | Le premier président, qui constate que l'officier de police judiciaire chargé d'assister aux opérations de visite et de saisies, qui s'est absenté du local où elles se déroulaient, est demeuré à proximité de ce local et à tout moment joignable, qu'aucun incident n'a été soulevé à ce propos et que le procès-verbal a été signé sans que des observations soient formulées, en déduit à bon droit qu'il n'y pas lieu d'annuler les opérations de visite et de saisies dès lors que n'est invoquée aucune atteinte aux intérêts que l'officier de police judiciaire a pour mission de protéger, rendue possible par ses absences |
8,001 | SOC.
CP/LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 890 FP-B
Pourvois n°
J 20-21.777
à B 20-21.839
JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022
1°/ M. [PG] [WD], domicilié [Adresse 4],
2°/ M. [M] [V], domicilié [Adresse 44],
3°/ M. [AC] [YN], domicilié [Adresse 13],
4°/ M. [KL] [FK], domicilié [Adresse 63],
5°/ M. [B] [JD], domicilié [Adresse 55],
6°/ M. [F] [RG], domicilié [Adresse 30],
7°/ M. [DA] [BD], domicilié [Adresse 6],
8°/ M. [F] [TR], domicilié [Adresse 56],
9°/ M. [HZ] [MP], domicilié [Adresse 18],
10°/ M. [UX] [KJ], domicilié [Adresse 43],
11°/ M. [NY] [SK], domicilié [Adresse 50],
12°/ M. [GV] [WH], domicilié [Adresse 9],
13°/ M. [HZ] [OA], domicilié [Adresse 47],
14°/ M. [Z] [XF], domicilié [Adresse 45],
15°/ M. [Z] [LJ], domicilié [Adresse 41],
16°/ M. [I] [LP], domicilié [Adresse 12],
17°/ M. [FM] [FO], domicilié [Adresse 51],
18°/ M. [YP] [EI], domicilié [Adresse 24],
19°/ M. [YL] [RE], domicilié [Adresse 3],
20°/ M. [KF] [XN], domicilié [Adresse 49],
21°/ M. [BV] [HT], domicilié [Adresse 15],
22°/ M. [SR] [MW], domicilié [Adresse 20],
23°/ M. [H] [EC], domicilié [Adresse 21],
24°/ M. [XL] [YU] [P], domicilié [Adresse 57]
25°/ M. [HX] [WB], domicilié [Adresse 14],
26°/ M. [R] [GM], domicilié [Adresse 59],
27°/ M. [KH] [EK], domicilié [Adresse 11],
28°/ M. [DD] [KD], domicilié [Adresse 17],
29°/ M. [SO] [YS], domicilié [Adresse 22],
30°/ M. [GR] [S], domicilié [Adresse 26],
31°/ M. [K] [O], domicilié [Adresse 16],
32°/ M. [Z] [Y], domicilié [Adresse 10]
33°/ M. [IZ] [D], domicilié [Adresse 37],
34°/ M. [PA] [L], domicilié [Adresse 36],
35°/ M. [MU] [N], domicilié [Adresse 31],
36°/ M. [ZU] [A], domicilié [Adresse 29],
37°/ M. [SR] [E], domicilié [Adresse 53],
38°/ M. [SR] [X], domicilié [Adresse 65],
39°/ M. [F] [U], domicilié [Adresse 8],
40°/ M. [HV] [T], domicilié [Adresse 23],
41°/ M. [BV] [W], domicilié [Adresse 2],
42°/ M. [BR] [XH], domicilié [Adresse 64] (Belgique),
43°/ M. [J] [EG], domicilié [Adresse 34],
44°/ M. [Z] [PC], domicilié [Adresse 5],
45°/ M. [NU] [MS], domicilié [Adresse 19],
46°/ M. [DA] [AM], domicilié [Adresse 27],
47°/ M. [G] [TT], domicilié [Adresse 35],
48°/ M. [MN] [XJ], domicilié [Adresse 46],
49°/ M. [C] [JB], domicilié [Adresse 38],
50°/ M. [I] [LN], domicilié [Adresse 40],
51°/ M. [KF] [LL], domicilié [Adresse 33],
52°/ M. [RI] [UZ], domicilié [Adresse 7],
53°/ M. [RI] [WF], domicilié [Adresse 60],
54°/ M. [PE] [EE], domicilié [Adresse 25],
55°/ M. [VB] [GT], domicilié [Adresse 1],
56°/ M. [SM] [TV], domicilié [Adresse 54],
57°/ M. [FI] [GO], domicilié [Adresse 61],
58°/ M. [CY] [BH], domicilié [Adresse 42],
59°/ M. [JF] [RK], domicilié [Adresse 32],
60°/ M. [HZ] [AS], domicilié [Adresse 52],
61°/ M. [DD] [ZS], domicilié [Adresse 28],
62°/ M. [DB] [NW], domicilié [Adresse 58],
63°/ M. [CZ] [ZW], domicilié [Adresse 48],
64°/ le Syndicat territorial CGT des personnels des industries électrique et gazière de la métropole lilloise, dont le siège est [Adresse 62],
ont formé respectivement les pourvois n° J 20-21.777, K 20-21.778, M 20-21.779, N 20-21.780, P 20-21.781, Q 20-21.782, R 20-21.783, S 20-21.784, T 20-21.785, U 20-21.786, V 20-21.787, W 20-21.788, X 20-21.789, Y 20-21.790, Z 20-21.791, A 20-21.792, B 20-21.793, C 20-21.794, D 20-21.795, E 20-21.796, F 20-21.797, H 20-21.798, G 20-21.799, J 20-21.800, K 20-21.801, M 20-21.802, N 20-21.803, P 20-21.804, Q 20-21.805, R 20-21.806, S 20-21.807, T 20-21.808, U 20-21.809, V 20-21.810, W 20-21.811, X 20-21.812, Y 20-21.813, Z 20-21.814, A 20-21.815, B 20-21.816, C 20-21.817, D 20-21.818, E 20-21.819, F 20-21.820, H 20-21.821, G 20-21.822, J 20-21.823, K 20-21.824, M 20-21.825, N 20-21.826, P 20-21.827, Q 20-21.828, R 20-21.829, S 20-21.830, T 20-21.831, U 20-21.832, V 20-21.833, W 20-21.834, X 20-21.835, Y 20-21.836, Z 20-21.837, A 20-21.838 et B 20-21.839 contre soixante-trois arrêts rendus le 31 janvier 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale, prud'hommes), dans les litiges les opposant :
1°/ à la société Enedis, société anonyme, dont le siège est [Adresse 66],
2°/ à la société GRDF, société anonyme, dont le siège est [Adresse 39],
défenderesses à la cassation.
Les cinquante demandeurs qui déclarent maintenir leurs pourvois invoquent, à l'appui de ceux-ci, les deux moyens communs de cassation annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [WD] et des soixante-deux autres salariés et du Syndicat territorial CGT des personnels des industries électrique et gazière de la métropole lilloise, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Enedis et de la société GRDF, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 2 juin 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, Mme Mariette, MM. Rinuy, Ricour, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Cavrois, Ott, Le Lay, conseillers, Mmes Ala, Prache, Lanoue, Valéry, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° J 20-21.777 à B 20-21.839 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte à MM. [JD], [RK], [TT], [D], [XJ], [WD], [PC], [GM], [V], [AM], [TV], [TR], [U] et [LJ] du désistement de leur pourvoi.
Faits et procédure
3. Selon les arrêts attaqués (Douai, 31 janvier 2020), M. [WD] et soixante-deux autres salariés, techniciens d'intervention des sociétés Enedis et GRDF ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'indemnités d'entretien de leurs tenues de travail et ont présenté, en cours d'instance, une demande en paiement d'indemnités méridiennes de repas.
4. Le Syndicat territorial CGT des personnels des industries électrique et gazière de la métropole lilloise (le syndicat) est intervenu volontairement aux instances.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les salariés font grief aux arrêts de rejeter leurs demandes en condamnation des employeurs au paiement de diverses sommes à titre d'indemnités méridiennes de repas pour chaque journée travaillée depuis le 1er septembre 2005 jusqu'au 31 mai 2018, alors « que l'indemnité de repas prévue par la circulaire Pers. 793 du 11 août 1982 est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service dans sa zone habituelle de travail au cours de la période comprise entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la cour d'appel que les missions des salariés avaient une nature itinérante, ces derniers réalisant habituellement des interventions techniques sur le terrain hors de leur centre de rattachement ; qu'il s'en déduisait que ces derniers se trouvaient nécessairement en déplacement pendant la période comprise entre 11 heures et 13 heures ; qu'en déboutant néanmoins les salariés de leurs demandes à titre d'indemnité de repas au motif que ces derniers ne justifieraient pas qu'ils étaient en déplacement pour les besoins du service durant la période susvisée, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les dispositions de l'article 231 de la circulaire Pers. 793 du 11 août 1982 ensemble celles de l'article 28 du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 et celles de l'article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1315, devenu 1353, du code civil et l'article 231 de la circulaire Pers. 793 du 11 août 1982 prise en application du statut national du personnel des industries électriques et gazières :
6. Aux termes du premier des textes susvisés, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
7. Selon le second de ces textes, pour qu'il y ait ouverture du droit à l'indemnité de repas, il faut que l'agent se soit trouvé en déplacement pour raison de service pendant les heures normales de repas, lesquelles sont comprises entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner et entre 18 heures et 21 heures pour le dîner, étant entendu que ces heures sont celles de fin de travail ou de fin de déplacement.
8. Pour débouter les salariés de leur demande en paiement d'une indemnité méridienne de repas pour chaque journée travaillée du 1er septembre 2005 au 31 mai 2018, les arrêts, après avoir relevé que les employeurs avaient ponctuellement réglé aux salariés des indemnités méridiennes de repas, retiennent que, pour la fraction excédant les paiements d'ores et déjà effectués, les salariés doivent prouver leurs déplacements pour les besoins du service durant l'intégralité de la période méridienne ouvrant droit à l'indemnité c'est-à-dire entre 11 et 13 heures. Ils constatent que les intéressés ne donnent aucune information ni sur l'étendue de leur zone habituelle de compétences ni sur l'existence de cantines et restaurants agréés. Ils ajoutent que les salariés, à qui il n'était pas interdit de regagner le centre de rattachement ou leur domicile pour y prendre leur déjeuner, ne fournissent aucun élément sur les lieux de leurs interventions et placent ainsi la cour dans l'impossibilité de retenir, au moyen d'un faisceau de présomptions, l'existence de déplacements sur la totalité de la période entre 11 heures et 13 heures. Ils relèvent qu'au soutien de leur demande, les salariés produisent des bulletins de paie ainsi qu'un tableau récapitulatif comportant une totalisation de leurs déplacements mensuels, des sommes payées et des sommes manquantes. Ils retiennent que ces tableaux récapitulatifs, pas plus que les écritures oralement développées, ne contiennent aucune précision sur les lieux et les horaires de leurs déplacements, le fait que les salariés se soient déplacés n'autorisant pas à déduire qu'ils l'aient été continûment entre 11 heures et 13 heures.
9. Ils relèvent encore que sont produits aux débats les bulletins de paie comportant en annexe des feuillets de décompte des temps de travail intitulés « éléments variables de temps » reprenant mensuellement diverses données dont les heures de début et de fin de service, jour après jour, les heures supplémentaires, les astreintes et le nombre de repas en zone habituelle de travail. Ils considèrent qu'aucun de ces documents n'accrédite l'existence de déplacements des salariés sur la totalité de la période entre 11 heures et 13 heures autres que ceux ayant déjà donné lieu à paiement de l'indemnité correspondante et que ces pièces révèlent qu'en général les intéressés commençaient leur service vers 7 heures 45 pour l'achever vers 11 heures 45 avant de le reprendre l'après-midi le plus souvent à partir de 13 heures. Ils retiennent que les comptes-rendus d'évaluation annuels ne font que relater la nature itinérante des missions sans démontrer l'existence de déplacements excédant ceux déjà réglés. Ils observent qu'étant dotés d'un véhicule d'intervention le retour des salariés au centre de rattachement ou à leur domicile n'était pas impossible et que ceux-ci ne justifient pas de la moindre dépense de restauration.
10. Ils déduisent de ce qui précède que les salariés ont été entièrement remplis de leurs droits.
11. En se déterminant ainsi, alors qu'il n'était pas contesté que les salariés techniciens itinérants étaient en déplacement sur la journée dans leur zone habituelle de travail et que ceux-ci produisaient les tableaux établis à partir des comptes rendus individuels journaliers d'activité validés par la hiérarchie, de sorte qu'il appartenait aux employeurs qui se prétendaient libérés de leur obligation au paiement de l'indemnité de repas de démontrer que les salariés avaient la possibilité de revenir, entre 11 heures et 13 heures, à leur centre de rattachement, la cour d'appel, qui devait analyser les éléments produits par les employeurs, après l'arrêt avant-dire droit, au soutien de leur argumentation subsidiaire, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. Le syndicat fait grief aux arrêts de le débouter de ses demandes de dommages-intérêts, alors « que la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur le premier moyen de cassation relatif au paiement des indemnités méridiennes de repas entraînera, par application de l'article 624 du code de procédure civile, celle du chef de dispositif par lequel la cour d'appel a débouté le syndicat de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, dès lors que cette demande était notamment fondée sur l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession caractérisée par le non-paiement des indemnités méridiennes de repas en violation du statut des personnels des industries électriques et gazières et de la circulaire Pers. 973 prise pour son application. »
Réponse de la Cour
13. La cassation prononcée entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef du dispositif déboutant le syndicat de sa demande de dommages-intérêts, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils déboutent MM. [YN], [FK], [RG], [BD], [MP], [KJ], [SK], [WH], [OA], [XF], [LP], [FO], [EI], [RE], [XN], [HT], [MW], [EC], [YU] [P], [WB], [EK], [KD], [YS], [S], [O], [Y], [L], [N], [A], [E], [X], [T], [W], [XH], [EG], [MS], [JB], [LN], [LL], [UZ], [WF], [EE], [GT], [GO], [BH], [AS], [ZS], [NW] et [ZW] de leurs demandes en paiement de diverses sommes à titre d'indemnités méridiennes de repas pour chaque journée travaillée depuis le 1er septembre 2005 jusqu'au 31 mai 2018 et au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'ils déboutent le Syndicat territorial CGT des personnels des industries électrique et gazière de la métropole lilloise de sa demande de dommages-intérêts, les arrêts rendus le 31 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée ;
Condamne les sociétés Enedis et GRDF aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Enedis et GRDF et les condamne à payer aux quarante-neuf salariés qui ont maintenu leur pourvoi la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens communs produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. [WD] et les quarante-neuf autres demandeurs aux pourvois n° J 20-21.777 à B 20-21.839, à l'exception de MM. [JD], [RK], [TT], [D], [XJ], [WD], [PC], [GM], [V], [AM], [TV], [TR], [U] et [LJ]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Les salariés exposants font grief aux arrêts attaqués d'avoir rejeté leurs demandes tendant à voir les sociétés ENEDIS et GRDF condamnées in solidum à leur payer diverses sommes à titre d'indemnités méridiennes de repas pour chaque journée travaillée depuis le 1er septembre 2005 jusqu'au 31 mai 2018 ;
ALORS en premier lieu QUE l'indemnité de repas prévue par la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service dans sa zone habituelle de travail au cours de la période comprise entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de la Cour d'appel que les missions des salariés exposants avaient une nature itinérante, ces derniers réalisant habituellement des interventions techniques sur le terrain hors de leur centre de rattachement ; qu'il s'en déduisait que ces derniers se trouvaient nécessairement en déplacement pendant la période comprise entre 11 heures et 13 heures ; qu'en déboutant néanmoins les salariés exposants de leurs demandes à titre d'indemnité de repas au motif que ces derniers ne justifieraient pas qu'ils étaient en déplacement pour les besoins du service durant la période susvisée, la Cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les dispositions de l'article 231 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 ensemble celles de l'article 28 du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 et celles de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
ALORS en deuxième lieu QUE l'indemnité de repas prévue par la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service dans sa zone habituelle de travail au cours de la période comprise entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner ; qu'en l'espèce, pour débouter les salariés de leurs demandes à ce titre, la Cour d'appel a relevé que ces derniers prenaient habituellement leur service vers 7h45 pour l'achever vers 11h45 avant de le reprendre l'après-midi, le plus souvent à partir de 13 heures ; qu'en se fondant sur cette interruption de service dont il ne pouvait être déduit qu'elle mettait fin au déplacement des salariés concernés, faute pour les sociétés ENEDIS et GRDF de rapporter la preuve qu'était effectivement organisé le retour au centre de rattachement des salariés pendant cette interruption, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article 231 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 ensemble celles de l'article 28 du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 et celles de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
ALORS en troisième lieu QUE l'indemnité de repas prévue par la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service dans sa zone habituelle de travail au cours de la période comprise entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner ; qu'en l'espèce, pour débouter les salariés exposants de leur demande à ce titre, la Cour d'appel a relevé qu'étant dotés d'un véhicule d'intervention, leur retour au centre de rattachement ou leur domicile n'était pas impossible ; qu'en statuant par ces motifs inopérants alors que cette indemnité est due peu important que les salariés aient disposé d'un véhicule de service leur permettant de regagner leur centre de rattachement ou leur domicile, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article 231 de cette circulaire ensemble celles de l'article 28 du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 et celles de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
ALORS en quatrième lieu QUE l'indemnité de repas prévue par la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service dans sa zone habituelle de travail au cours de la période comprise entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner ; qu'en l'espèce, pour débouter les salariés de leurs demandes à ce titre, la Cour d'appel a relevé que ces derniers ne donnaient aucune information sur l'étendue de leur zone habituelle de compétences ni sur les lieux de leurs interventions, qu'en statuant par ces motifs inopérants alors que cette indemnité est due peu important l'étendue de la zone de travail habituelle et le lieu du déplacement, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article 231 de cette circulaire ensemble celles de l'article 28 du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 et celles de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
ALORS en cinquième lieu QUE l'indemnité de repas prévue par la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service dans sa zone habituelle de travail au cours de la période comprise entre 11 heures et 13 heures pour le déjeuner ; qu'elle est versée en fonction d'un régime de forfaits fixés en fonction des prix réels pratiqués dans les hôtels et restaurants de la région considérée ; qu'en l'espèce, pour débouter les salariés exposants de leur demande à ce titre, la Cour d'appel a relevé qu'ils ne justifiaient pas de la moindre dépense de restauration ; qu'en statuant par ces motifs inopérants alors que le versement de l'indemnité de repas qui revêt un caractère forfaitaire n'est pas conditionnée à la justification de dépenses de restauration, la Cour d'appel a de nouveau violé les dispositions de cette circulaire ensemble celles de l'article 28 du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 et celles de l'article L. 1221-1 du Code du travail ;
ALORS enfin QUE, selon l'article 232 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1982, s'il existe sur le lieu du déplacement une cantine ou un restaurant agréé faisant office de cantine où il peut prendre son repas, l'agent en déplacement est indemnisé sur la base du prix payé par lui à cette cantine ou reçoit de son exploitation les tickets nécessaires ; qu'en l'espèce, pour débouter les salariés exposants de leurs demandes à titre d'indemnité de repas, la Cour d'appel a relevé que ces derniers ne donnaient aucune information sur l'existence de cantines et restaurants agréés dans leur zone habituelle de compétence ; qu'en statuant par de tels motifs alors que l'existence de cantines et restaurants agréés dans la zone habituelle de travail des salariés n'était susceptible d'avoir une incidence que sur le montant de l'indemnité revendiquée et non sur le droit des salariés à cette indemnité, la Cour d'appel a violé les dispositions des articles 231 et 232 de la circulaire susvisée ensemble celles de l'article 28 du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par décret n° 46-1541 du 22 juin 1946 et celles de l'article L. 1221-1 du Code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le syndicat territorial CGT des Personnels des Industries Electrique et Gazière de la Métropole lilloise fait grief aux arrêts attaqués de l'avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession ;
ALORS en premier lieu QUE la cassation qui ne manquera pas d'intervenir sur le premier moyen de cassation relatif au paiement des indemnités méridiennes de repas entraînera, par application de l'article 624 du code de procédure civile, celle du chef de dispositif par lequel la Cour d'appel a débouté le syndicat territorial CGT des Personnels des Industries Electrique et Gazière de la Métropole lilloise de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession, dès lors que cette demande était notamment fondée sur l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession caractérisée par le non-paiement des indemnités méridiennes de repas en violation du statut des personnels des industries électriques et gazières et de la circulaire PERS 973 prise pour son application ;
ALORS en second lieu QU'en application de l'article L. 2132-3 du Code du travail, les syndicats peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; qu'au cas présent, le syndicat territorial CGT des Personnels des Industries Electrique et Gazière de la Métropole lilloise faisait notamment valoir que, s'agissant de l'indemnité de nettoyage des vêtements de travail, les sociétés employeurs avaient continué de faire application de la PERS 633 pendant plus de 17 ans malgré l'entrée en vigueur des dispositions légales issues de la loi du 31 décembre 1991 et que, lorsqu'elles s'étaient finalement conformées à ces dispositions, à compter du 1er décembre 2008, elle avaient refusé toute régularisation pour la période antérieure non prescrite, obligeant ainsi les agents concernés à saisir la juridiction prud'homale pour faire valoir leurs droits à ce titre ; que sur ce fondement, le syndicat sollicitait la condamnation des sociétés ENEDIS et GRDF à lui payer une somme en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente ; qu'en déboutant le syndicat exposant de sa demande à ce titre au motif qu'il ne justifiait d'aucun préjudice propre, la Cour d'appel qui a statué par des motifs inopérants, a violé les dispositions de l'article L. 2132-3 du Code du travail. | Il résulte de l'article 231 de la circulaire PERS 793 du 11 août 1982 prise en application du statut national du personnel des industries électriques et gazières (IEG) que l'indemnité de repas prévue par ce texte est due dès lors que le salarié se trouve en déplacement pour raison de service pendant les heures normales de repas, lesquelles sont comprises entre onze heures et treize heures pour le déjeuner.
Si, en application de l'article 1315, devenu 1353, du code civil, il incombe à l'agent de prouver s'être trouvé en déplacement pour raison de service pendant l'intégralité de la pause dite méridienne, il appartient à l'employeur de justifier qu'il s'est libéré de son obligation de paiement de la prime de repas en démontrant que le salarié en déplacement pour la journée pour raison de service avait la possibilité de revenir, entre 11 heures et 13 heures, à son centre de rattachement.
Ne donne pas de base légale à sa décision au regard des deux textes susvisés, la cour d'appel qui rejette la demande en paiement d'indemnités méridiennes de repas formée par les salariés, techniciens itinérants en déplacement sur la journée dans leur zone habituelle de travail, qui produisaient des tableaux établis à partir des comptes-rendus individuels journaliers d'activité validés par la hiérarchie, sans analyser les éléments que les employeurs, qui se prétendaient libérés de leur obligation au paiement de l'indemnité de repas, avaient, à sa demande, versés aux débats |
8,002 | SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2022
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 891 FP-B
Pourvoi n° G 21-18.100
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022
La société Arc France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-18.100 contre le jugement rendu le 22 avril 2021 par le conseil de prud'hommes de Saint-Omer (section industrie), dans le litige l'opposant à M. [I] [M], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Arc France, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [M], et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 2 juin 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, Mme Mariette MM. Rinuy, Ricour, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Monge, Ott, Le Lay, conseillers, Mmes Ala, Prache, Lanoue, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Saint-Omer, 22 avril 2021), rendu en dernier ressort, M. [M] a été engagé le 2 février 1988 par la société Arc France et exerce les fonctions de conducteur industriel dans la filière conditionnement.
2. Alors qu'il se trouvait en situation d'arrêt maladie depuis la fin du mois de février 2020, le salarié a été placé en activité partielle en raison de la crise sanitaire liée à la propagation de la Covid 19.
3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'un rappel de rémunération correspondant à la différence entre les sommes perçues au titre de l'activité partielle et celles qu'il estimait être dues au titre de l'indemnisation conventionnelle de son absence pour cause de maladie.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief au jugement de le condamner au paiement de certaines sommes à titre de rappel de salaire, alors « qu'en l'absence de disposition conventionnelle plus favorable, pendant un arrêt maladie, le salarié bénéficie, en plus des indemnités journalières de sécurité sociale, d'une indemnité complémentaire calculée en fonction de la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait continué à travailler ; que l'article 7 de l'annexe I à la convention collective des industries mécaniques du verre du 8 juin 1972, qui définit le montant et la durée de l'indemnisation du salarié pendant un arrêt maladie, précise qu'‘'en aucun cas, l'indemnité à charge de l'employeur versée en application de l'ensemble des dispositions ci-dessus ne doit permettre à l'agent intéressé de percevoir davantage que la rémunération totale qu'il aurait perçue s'il avait travaillé'‘ ; qu'il en résulte que, pendant une période d'activité partielle, le salarié qui bénéficie d'un arrêt maladie ne peut prétendre à une indemnisation d'un montant supérieur à celle due au titre de l'activité partielle ; qu'en considérant, en l'espèce, que dès lors qu'aucune disposition ne prévoyait le passage des salariés en arrêt maladie sous le régime de l'activité partielle avant le 1er mai 2020, M. [M], qui était en arrêt maladie avant le 17 mars 2020, devait rester soumis sous le régime de la maladie jusqu'au 1er mai 2020 et pouvait en conséquence prétendre à une indemnisation complémentaire à celle perçue sous le régime de l'activité partielle, le conseil de prud'hommes a reconnu au salarié en arrêt maladie un complément de salaire supérieur à la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait été en mesure de travailler ; qu'il a en conséquence violé l'article 7 de l'annexe I à la convention collective précitée et l'article R. 5122-18 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 7 de l'annexe I, conditions particulières de travail des ouvriers et employés, à la convention collective nationale de la fabrication mécanique du verre du 8 juin 1972 :
5. Selon ce texte, l'indemnisation des périodes d'absence pour cause de maladie ou d'accident est calculée par référence à l'horaire pratiqué dans l'établissement ou la partie d'établissement pendant l'absence de l'intéressé. En aucun cas l'indemnité versée par l'employeur au titre de l'indemnisation des absences pour cause de maladie ou d'accident ne doit permettre à l'agent intéressé de percevoir davantage que la rémunération totale qu'il aurait reçue s'il avait travaillé.
6. Si ces dispositions conventionnelles ont pour objet d'éviter que le salarié absent pour cause de maladie ou d'accident subisse de ce chef un préjudice par rapport aux autres membres du personnel, elles n'ont pas institué en sa faveur un avantage lui permettant de recevoir une rémunération supérieure à celle qu'il aurait effectivement perçue en l'absence d'un tel arrêt de travail. Il en résulte que lorsque l'employeur a recours au régime d'activité partielle, le salarié en arrêt de travail pour cause de maladie ou d'accident ne peut prétendre à une indemnisation supérieure à ce qu'il aurait perçu s'il avait été en mesure de travailler.
7. Pour condamner l'employeur au paiement d'un rappel de salaire le jugement retient que le régime de l'arrêt de travail pour maladie s'appliquait au salarié au cours des mois de mars et d'avril 2020 et que l'employeur ne pouvait pas le placer en activité partielle avant le 1er mai 2020. Il ajoute que le montant de l'indemnité complémentaire versée entre le 12 mars et le 30 avril 2020 était égal, en tenant compte du montant des indemnités journalières de la sécurité sociale, à 90 % de la rémunération brute que le salarié aurait perçue s'il avait travaillé.
8. En statuant ainsi, alors qu'il avait constaté que l'employeur avait recouru à l'activité partielle, le conseil de prud'hommes a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 22 avril 2021, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Saint-Omer ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Boulogne-sur-Mer ;
Condamne M. [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Arc France
La société Arc France fait grief au jugement attaqué d'AVOIR condamné la société Arc France à payer à M. [M] les sommes de 352,56 euros au titre du rappel de salaire du mois de mars 2020, outre 35 euros au titre des congés payés afférents, 629,75 euros au titre du rappel de salaire du mois d'avril 2020, outre 62 euros au titre des congés payés afférents, et 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
ALORS QU' en l'absence de disposition conventionnelle plus favorable, pendant un arrêt maladie, le salarié bénéficie, en plus des indemnités journalières de sécurité sociale, d'une indemnité complémentaire calculée en fonction de la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait continué à travailler ; que l'article 7 de l'annexe I à la convention collective des industries mécaniques du verre du 8 juin 1972, qui définit le montant et la durée de l'indemnisation du salarié pendant un arrêt maladie, précise qu' « en aucun cas, l'indemnité à charge de l'employeur versée en application de l'ensemble des dispositions ci-dessus ne doit permettre à l'agent intéressé de percevoir davantage que la rémunération totale qu'il aurait perçue s'il avait travaillé » ; qu'il en résulte que, pendant une période d'activité partielle, le salarié qui bénéficie d'un arrêt maladie ne peut prétendre à une indemnisation d'un montant supérieur à celle due au titre de l'activité partielle ; qu'en considérant, en l'espèce, que dès lors qu'aucune disposition ne prévoyait le passage des salariés en arrêt maladie sous le régime de l'activité partielle avant le 1er mai 2020, M. [M], qui était en arrêt maladie avant le 17 mars 2020, devait rester soumis sous le régime de la maladie jusqu'au 1er mai 2020 et pouvait en conséquence prétendre à une indemnisation complémentaire à celle perçue sous le régime de l'activité partielle, le conseil de prud'hommes a reconnu au salarié en arrêt maladie un complément de salaire supérieur à la rémunération qu'il aurait perçue s'il avait été en mesure de travailler ; qu'il a en conséquence violé l'article 7 de l'annexe I à la convention collective précitée et l'article R. 5122-18 du code du travail | Si les dispositions de l'article 7 de l'annexe I, conditions particulières de travail des ouvriers et employés, à la convention collective nationale de la fabrication mécanique du verre du 8 juin 1972, ont pour objet d'éviter que le salarié absent pour cause de maladie ou d'accident subisse de ce chef un préjudice par rapport aux autres membres du personnel, elles n'ont pas institué en sa faveur un avantage lui permettant de recevoir une rémunération supérieure à celle qu'il aurait effectivement perçue en l'absence d'un tel arrêt de travail. Il en résulte que lorsque l'employeur a recours au régime d'activité partielle, le salarié en arrêt de travail pour cause de maladie ou d'accident ne peut prétendre à une indemnisation supérieure à ce qu'il aurait perçu s'il avait été en mesure de travailler |
8,003 | SOC.
ZB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 892 FP-B+R
Pourvoi n° U 21-15.189
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022
1°/ la société SIP, société en commandite simple, dont le siège est [Adresse 6],
2°/ la société Genzyme Polyclonals SAS, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ la société Sanofi-Aventis groupe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],
4°/ la société Sanofi chimie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
5°/ la société Sanofi Pasteur, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
6°/ la société Sanofi Pasteur Europe, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
7°/ la société Sanofi Winthrop industrie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
8°/ la société Sanofi-Aventis France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
9°/ la société Sanofi-Aventis recherche & développement, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° U 21-15.189 contre l'arrêt rendu le 1er avril 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige les opposant à la Fédération nationale des industries chimiques-CGT, dont le siège est [Adresse 5], défenderesse à la cassation.
La Fédération nationale des industries chimiques-CGT a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Marguerite, conseiller référendaire et de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société SIP, de la société Genzyme Polyclonals SAS, de la société Sanofi-Aventis groupe, de la société Sanofi chimie, de la société Sanofi Pasteur, de la société Sanofi Pasteur Europe, de la société Sanofi Winthrop industrie, de la société Sanofi-Aventis France et de la société Sanofi-Aventis recherche & développement, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la Fédération nationale des industries chimiques-CGT, et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 2 juin 2022 où étaient présents, M. Cathala, président, Mme Marguerite, conseiller référendaire corapporteur, M. Flores, conseiller corapporteur, M, Huglo, conseiller doyen, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, Mme Mariette, MM. Rinuy. Ricour, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Monge, Ott, Le Lay, conseillers, Mmes Ala, Lanoue, Valéry, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er avril 2021), rendu en référé, par deux notes de service des 26 mars et 29 avril 2020, les sociétés Sanofi Winthrop industrie, Sanofi-Aventis France, Sanofi-Aventis groupe, Sanofi chimie, Genzyme Polyclonals SAS, Sanofi-Aventis recherche & développement, Sanofi Pasteur, SIP et Sanofi Pasteur Europe (les sociétés) ont décidé de la mise en oeuvre des dispositions des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 afin d'imposer la prise de jours de repos ou de jours épargnés sur le compte-épargne temps, d'une part, aux salariés qui ne pouvaient exercer leur activité en télétravail au cours du confinement et, d'autre part, aux salariés ne pouvant exercer leur activité en télétravail et maintenus à domicile, après le 4 mai 2020, pour garder un enfant de moins de 16 ans ou en raison de leur vulnérablité au covid-19 ou de celle d'une personne avec laquelle ils partagent leur domicile.
2. La Fédération nationale des industries chimiques-CGT (le syndicat) a saisi le juge des référés d'un tribunal judiciaire afin de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de la mise en oeuvre de ces notes de service et en rétablissement des droits des salariés concernés.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident du syndicat
Enoncé du moyen
3. Le syndicat fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande tendant à enjoindre aux sociétés de rétablir dans leurs droits les salariés concernés par les notes de service des 26 mars et 29 avril 2020 et notamment de recréditer les jours de RTT/OTT illégalement imposés et droits illégalement prélevés sur le compte épargne-temps desdits salariés, alors « que les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; qu'en s'abstenant de juger recevable la demande du syndicat tendant, sur le fondement de l'intérêt collectif de la profession, à ce qu'il soit ordonné aux sociétés employeurs de rétablir les salariés dans leurs droits atteints par le trouble manifestement illicite dument constaté, sans qu'il soit demandé la constitution de droits déterminés au profit de salariés nommément désignés, la cour d'appel a violé l'article L. 2132-3 du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
5. Si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier, au regard des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, de prise des jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail ou d'une convention de forfait ou résultant de l'utilisation de droits affectés à un compte épargne-temps, sa demande tendant à obtenir que les salariés concernés soient rétablis dans leurs droits, ce qui implique de déterminer, pour chacun d'entre-eux, le nombre exact de jours de repos que l'employeur a utilisés au titre des mesures dérogatoires, qui n'a pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, n'est pas recevable.
6. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi principal des sociétés
Enoncé du moyen
7. Les sociétés font grief à l'arrêt de dire que les mesures prises par elles dans la note de service du 29 avril 2020 constituent un trouble manifestement illicite, alors :
« 1°/ que le dispositif d'activité partielle prévu par les articles L 5122-1 et suivants du code du travail, adapté dans le cadre de la crise sanitaire liée à la covid 19, constitue un dispositif facultatif pour l'employeur qui peut décider de ne pas y recourir et de dispenser d'activité ses salariés tout en leur maintenant l'intégralité de leur salaire, ce qui leur est plus favorable ; que les sociétés du groupe Sanofi faisaient valoir que depuis le début de la crise sanitaire, elles avaient fait le choix de ne pas recourir à l'activité partielle en plaçant en dispense d'activité tous leurs salariés se trouvant dans l'impossibilité de travailler, tout en leur maintenant à 100 % leur rémunération ; qu'en jugeant qu'étaient impératives les dispositions de l'article 20 de la loi de finance rectificative n° 2020-473 du 25 avril 2020 ayant substitué à compter du 1er mai 2020 pour les salariés empêchés de travailler pour garde d'enfants de moins de 16 ans ou en raison de leur vulnérabilité, le dispositif d'activité partielle au dispositif d'arrêt de travail dérogatoire dont ces salariés bénéficiaient jusqu'alors, pour en déduire que les sociétés du groupe Sanofi auraient dû les placer en activité partielle à compter de cette date et ne pouvaient en conséquence leur imposer la prise de jours de repos en application des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, la cour d'appel a violé l'article 20 de la loi de finances rectificative n° 2020-473 du 25 avril 2020, ensemble les dispositions des articles L. 5122-1 et suivantes du code du travail ;
2°/ que la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a autorisé le gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi ‘'afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi'‘ ayant pour objet ‘'de permettre à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte-épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d'utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique'‘ ; qu'en application de cette disposition, les articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 disposent que ‘'lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19'‘, l'employeur peut imposer à des dates déterminées, la prise de jours de réduction du temps de travail, modifier unilatéralement la date de prise de ces jours ou imposer que les droits affectes sur le compte épargne-temps du salarié soient utilisés en jours de repos ; que cette faculté ouverte à ‘'tout employeur'‘ dans le cadre des mesures destinées à faire face à la crise économique nationale induite par la propagation de la covid 19, n'est pas subordonnée à la démonstration par l'employeur de difficultés économiques qui lui sont propres ; qu'en jugeant le contraire, pour en déduire que faute pour les sociétés du groupe Sanofi de démontrer être confrontées à des difficultés économiques, elles ne pouvaient avoir recours à ce dispositif dérogatoire en matière de jours de repos, la cour d'appel a violé l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et les articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020. »
Réponse de la Cour
8. Aux termes de l'article 20,I, de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020, sont placés en position d'activité partielle les salariés de droit privé se trouvant dans l'impossibilité de continuer à travailler pour l'un des motifs suivants :
- le salarié est une personne vulnérable présentant un risque de développer une forme grave d'infection au virus SARS-CoV-2, selon des critères définis par voie réglementaire ;
- le salarié partage le même domicile qu'une personne vulnérable au sens du deuxième alinéa du présent I ;
- le salarié est parent d'un enfant de moins de seize ans ou d'une personne en situation de handicap faisant l'objet d'une mesure d'isolement, d'éviction ou de maintien à domicile.
9. Selon l'article 20,II, du même texte, les salariés mentionnés au I dudit article perçoivent à ce titre l'indemnité d'activité partielle mentionnée au II de l'article L. 5122-1 du code du travail, sans que les conditions prévues au I du même article L. 5122-1 soient requises, et leur employeur bénéficie de l'allocation d'activité partielle prévue au II de ce texte.
10. Ces dispositions fixent un régime d'ouverture de l'activité partielle, distinct de celui ouvert par les articles L. 5122-1 et R. 5122-1 du code du travail au regard de la situation de l'entreprise, qui est fondé sur la situation personnelle de certains salariés et qui s'applique à eux, sauf à ce que l'employeur assure le maintien de la rémunération et des avantages découlant du contrat de travail, malgré l'impossibilité de travailler de ces derniers.
11. Ainsi, les mesures des articles 2 à 5 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, qui permettent à l'employeur, lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie au regard des difficultés économiques liées à la propagation du covid 19, d'imposer unilatéralement l'utilisation de droits à repos acquis, ne s'appliquent pas aux salariés qui se trouvent dans l'impossibilité de continuer à travailler au motif qu'ils relèveraient, en raison de leur situation personnelle, du régime d'activité partielle institué par l'article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020.
12. Ayant décidé à bon droit que l'employeur ne pouvait se prévaloir des dispositions des articles 2 à 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 pour traiter la situation des salariés relevant des dispositions de l'article 20,I, de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020, la cour d'appel a pu décider que les mesures prévues par la note de service du 29 avril 2020 constituaient un trouble manifestement illicite.
13. Le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
14. Les sociétés font grief à l'arrêt de dire que les mesures prises par elles dans la note de service du 26 mars 2020 constituent un trouble manifestement illicite, alors « que la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a autorisé le gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi ‘'afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi'‘, ayant pour objet ‘'de permettre à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d'utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique'‘ ; qu'en application de cette disposition, les articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 disposent que ‘'lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19'‘, l'employeur peut imposer, à des dates déterminées, la prise de jours de réduction du temps de travail, modifier unilatéralement la date de prise de ces jours ou imposer que les droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié soient utilisés en jours de repos ; que cette faculté ouverte à ‘'tout employeur'‘ dans le cadre des mesures destinées à faire face à la crise économique nationale induite par la propagation de la covid 19, n'est pas subordonnée à la démonstration par l'employeur de difficultés économiques qui lui sont propres ; qu'en jugeant le contraire, pour en déduire que faute pour les sociétés du groupe Sanofi de démontrer être confrontées à des difficultés économiques, elles ne pouvaient avoir recours à ce dispositif dérogatoire en matière de jours de repos, la cour d'appel a violé l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 et les articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2 à 5 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d'urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos :
15. Selon les textes susvisés, lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, l'employeur peut, nonobstant les dispositions légales ou conventionnelles applicables, sous réserve de respecter un délai de prévenance d'au moins un jour franc, imposer la prise, dans la limite de dix jours, à des dates déterminées par lui, de jours de repos acquis par le salarié au titre de la réduction du temps de travail et qu'il pouvait fixer librement, des jours de repos prévus par une convention de forfait ou de jours de repos résultant de l'utilisation des droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié. L'employeur peut, dans les mêmes conditions, modifier unilatéralement les dates de prise de jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail ou d'une convention de forfait.
16. En cas de litige, il appartient au juge de vérifier que l'employeur, auquel incombe la charge de la preuve, justifie que les mesures dérogatoires, qu'il a adoptées en application des articles 2 à 5 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, ont été prises en raison de répercussions de la situation de crise sanitaire sur l'entreprise.
17. Pour décider que les mesures prises par les sociétés par notes de service en date des 26 mars et 29 avril 2020 constituent un trouble manifestement illicite, l'arrêt relève que les sociétés invoquent la nécessité d'adapter leur organisation, face à une augmentation inattendue de l'absentéisme tenant au fait qu'une partie de leurs collaborateurs se trouvait à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail, d'aménager les espaces de travail et d'adapter le taux d'occupation des locaux en raison des conditions sanitaires. L'arrêt retient ensuite que les sociétés ne rapportent pas la preuve des difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, les mesures d'adaptation dont elles excipent ne les caractérisant pas.
18. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants tirés de l'absence de preuve de difficultés économiques liées à la propagation du covid-19, sans préciser en quoi les éléments tirés de l'obligation d'adapter l'organisation du travail, face à une augmentation inattendue de l'absentéisme tenant au fait qu'une partie des salariés se trouvait à leur domicile sans pouvoir exercer leur activité en télétravail, de la nécessité d'aménager les espaces de travail et d'adapter le taux d'occupation des locaux en raison des conditions sanitaires, n'étaient pas de nature à justifier le recours aux mesures permises par les articles 2 à 5 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les mesures prises par les sociétés Sanofi Winthrop industrie, Sanofi-Aventis France, Sanofi-Aventis groupe, Sanofi chimie, Genzyme Polyclonals SAS, Sanofi-Aventis recherche & développement, Sanofi Pasteur, SIP et Sanofi Pasteur Europe dans la note de service du 26 mars 2020 constituent un trouble manifestement illicite et condamne in solidum les sociétés Sanofi Winthrop industrie, Sanofi-Aventis France, Sanofi-Aventis groupe, Sanofi chimie, Genzyme Polyclonals SAS, Sanofi-Aventis recherche & développement, Sanofi Pasteur, SIP et Sanofi Pasteur Europe à payer à la Fédération nationale des industries chimiques-CGT la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 1er avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la Fédération nationale des industries chimiques-CGT aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour les demanderesses au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Les sociétés demanderesses au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que les mesures prises par les sociétés Sanofi Winthrop Industrie, Sanofi Aventis France, Sanofi Aventis Groupe, Sanofi Chimie, Genzyme Polyclonals SAS, Sanofi-Aventis Recherche & Développement, Sanofi Pasteur, SIP et Sanofi Pasteur Europe dans la note de service du 26 mars 2020 constituent un trouble manifestement illicite
1/ ALORS QU' entre dans les pouvoirs du juge des référés celui d'interpréter les dispositions réglementaires issues d'une ordonnance prise par le gouvernement en application de l'article 38 de la Constitution ; qu'en retenant qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs du juge des référés, mais dans ceux du juge administratif, d'apprécier la légalité d'une ordonnance, d'essence réglementaire jusqu'à sa validation législative, pour infirmer la décision du juge des référés de première instance, qui n'avait fait qu'interpréter les articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 à la lumière de la loi d'habitation n° 2020-290 du 23 mars 2020 en retenant que ces articles autorisaient tout employeur à prendre les mesures dérogatoires en matière de jours de réduction du temps de travail et de jours de repos affectés sur le compte épargne temps qui y étaient prévues sans avoir à justifier de « difficultés économiques liées à la propagation du covid 19 », lesquelles n'avaient pas à être appréciées au cas par cas pour chacune des entreprises, mais constituaient le contexte national justifiant les mesures dérogatoires pouvant être prises par l'employeur, la cour d'appel a méconnu l'étendue des pouvoirs du juge des référés en violation de l'article 835 du code de procédure civile ;
2/ ALORS QU'il appartient à celui qui l'invoque d'établir l'existence d'un trouble manifestement illicite ; qu'en retenant que s'agissant de dispositions exceptionnelles, dérogatoires au droit du travail, c'était à l'entreprise d'apporter la contradiction à la partie soulevant l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1353 du code civil ;
3/ ALORS QUE la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 a autorisé le gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid 19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi », ayant pour objet « de permettre à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d'utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique » ; qu'en application de cette disposition, les articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 disposent que « lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid-19 », l'employeur peut imposer, à des dates déterminées, la prise de jours de réduction du temps de travail, modifier unilatéralement la date de prise de ces jours ou imposer que les droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié soient utilisés en jours de repos ; que cette faculté ouverte à « tout employeur » dans le cadre des mesures destinées à faire face à la crise économique nationale induite par la propagation de la covid 19, n'est pas subordonnée à la démonstration par l'employeur de difficultés économiques qui lui sont propres ; qu'en jugeant le contraire, pour en déduire que faute pour les sociétés du groupe Sanofi de démontrer être confrontées à des difficultés économiques, elles ne pouvaient avoir recours à ce dispositif dérogatoire en matière de jours de repos, la cour d'appel a violé l'article 11 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 et les articles 2 et 4 l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Les sociétés demanderesses au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que les mesures prises par les sociétés Sanofi Winthrop Industrie, Sanofi Aventis France, Sanofi Aventis Groupe, Sanofi Chimie, Genzyme Polyclonals SAS, Sanofi-Aventis Recherche & Développement, Sanofi Pasteur, SIP et Sanofi Pasteur Europe dans la note de service du 29 avril 2020 constituent un trouble manifestement illicite
1/ ALORS QUE le dispositif d'activité partielle prévu par les articles L 5122-1 et suivants du code du travail, adapté dans le cadre de la crise sanitaire liée à la covid 19, constitue un dispositif facultatif pour l'employeur qui peut décider de ne pas y recourir et de dispenser d'activité ses salariés tout en leur maintenant l'intégralité de leur salaire, ce qui leur est plus favorable ; que les sociétés du groupe Sanofi faisaient valoir que depuis le début de la crise sanitaire, elles avaient fait le choix de ne pas recourir à l'activité partielle en plaçant en dispense d'activité tous leurs salariés se trouvant dans l'impossibilité de travailler, tout en leur maintenant à 100 % leur rémunération (conclusions d'appel des exposantes p 4-7 ; p 34-35) ; qu'en jugeant qu'étaient impératives les dispositions de l'article 20 de la loi de finance rectificative n° 2020-473 du 25 avril 2020 ayant substitué à compter du 1er mai 2020 pour les salariés empêchés de travailler pour garde d'enfants de moins de 16 ans ou en raison de leur vulnérabilité, le dispositif d'activité partielle au dispositif d'arrêt de travail dérogatoire dont ces salariés bénéficiaient jusqu'alors, pour en déduire que les sociétés du groupe Sanofi auraient dû les placer en activité partielle à compter de cette date et ne pouvaient en conséquence leur imposer la prise de jours de repos en application des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, la cour d'appel a violé l'article 20 de la loi de finances rectificative n° 2020-473 du 25 avril 2020, ensemble les dispositions des articles L 5122-1 et suivantes du code du travail ;
2/ ALORS QUE la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 a autorisé le gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi « afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid 19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation, et notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi » ayant pour objet « de permettre à tout employeur d'imposer ou de modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait et des jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d'utilisation définis au livre Ier de la troisième partie du code du travail, par les conventions et accords collectifs ainsi que par le statut général de la fonction publique » ; qu'en application de cette disposition, les articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 disposent que « lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du covid 19 », l'employeur peut imposer à des dates déterminées, la prise de jours de réduction du temps de travail, modifier unilatéralement la date de prise de ces jours ou imposer que les droits affectes sur le compte épargne-temps du salarié soient utilisés en jours de repos ; que cette faculté ouverte à « tout employeur » dans le cadre des mesures destinées à faire face à la crise économique nationale induite par la propagation de la covid 19, n'est pas subordonnée à la démonstration par l'employeur de difficultés économiques qui lui sont propres ; qu'en jugeant le contraire, pour en déduire que faute pour les sociétés du groupe Sanofi de démontrer être confrontées à des difficultés économiques, elles ne pouvaient avoir recours à ce dispositif dérogatoire en matière de jours de repos, la cour d'appel a violé l'article 11 de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 et les articles 2 et 4 l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020.
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la Fédération nationale des industries chimiques-CGT, demanderesse au pourvoi incident
La fédération syndicale FNIC-CGT fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable sa demande tendant à enjoindre les sociétés du groupe Sanofi de rétablir dans leurs droits les salariés impactés par les notes de service des 26 mars et 29 avril 2020 et notamment de recréditer dans les 7 jours du prononcé de la décision à intervenir les jours de RTT/OTT illégalement imposés et droits illégalement prélevés sur le compte épargne-temps desdits salariés.
ALORS QUE les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice et peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; qu'en s'abstenant de juger recevable la demande du syndicat tendant, sur le fondement de l'intérêt collectif de la profession, à ce qu'il soit ordonné aux sociétés employeurs de rétablir les salariés dans leurs droits atteints par le trouble manifestement illicite dument constaté, sans qu'il soit demandé la constitution de droits déterminés au profit de salariés nommément désignés, la cour d'appel a violé l'article L. 2132-3 du code du travail, ensemble l'article 835 du code de procédure civile | En cas de litige relatif à la mise en oeuvre par l'employeur des dispositions des articles 2 à 5 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, lui permettant, lorsque l'intérêt de l'entreprise le justifie eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du COVID-19, d'imposer aux salariés à des dates déterminées par lui la prise de jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail, d'une convention de forfait ou résultant de droits affectés sur un compte épargne-temps, il appartient au juge de vérifier que l'employeur, auquel incombe la charge de la preuve, justifie que les mesures dérogatoires, qu'il a adoptées en application de ces articles, ont été prises en raison de répercussions de la situation de crise sanitaire sur l'entreprise |
8,004 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 769 FS-B
Pourvoi n° F 21-10.945
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
La société GMF assurances, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 21-10.945 contre l'arrêt rendu le 9 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 3), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Y] [E], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société GMF assurances, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [E], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, MM. Besson, Martin, Mme Chauve, conseillers, M. Talabardon, Mme Guého, M. Ittah, Mme Brouzes, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 novembre 2020), alors qu'il effectuait des travaux sur le toit de son garage, M. [E] a trébuché et est tombé au travers de la lucarne du garage de son voisin, M. [H], heurtant dans sa chute le véhicule de ce dernier qui y était stationné.
2. Après la mise en oeuvre d'une mesure d'expertise amiable, M. [E] a assigné la société GMF assurances, assureur du véhicule de M. [H] (l'assureur), en indemnisation de ses préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Vu l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :
3. Selon ce texte, les dispositions du chapitre 1er de la loi susvisée s'appliquent, même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques et semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres.
4. Au sens de ce texte, ne constitue pas un accident de la circulation, celui résultant de la chute d'une victime sur un véhicule en stationnement dans un garage privé, lorsqu'aucun des éléments liés à sa fonction de déplacement n'est à l'origine de l'accident.
5. Pour retenir que M. [E] avait été victime d'un accident de la circulation, au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, l'arrêt constate qu'étant monté sur son toit pour effectuer des travaux de réparation, il a trébuché et est tombé au travers de la lucarne du toit du garage de son voisin, heurtant dans sa chute le véhicule qui y était stationné et que le stationnement d'un véhicule terrestre à moteur constitue en tant que tel un fait de circulation.
6. En statuant ainsi, alors que cet accident ne constituait pas un accident de la circulation au sens de ces dispositions, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société GMF assurances
La GMF Assurances fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que M. [Y] [E] a été victime, le 16 avril 2015, d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué le véhicule appartenant à M. [B] [H] et assuré auprès la GMF, d'avoir dit que le droit à indemnisation de M. [Y] [E] des suites de cet accident de la circulation est entier, avant-dire droit sur la liquidation du préjudice corporel de M. [Y] [E], d'avoir ordonné une mesure d'expertise médicale et commis pour y procéder le docteur [V] [D], et d'avoir condamné la GMF à verser à M. [Y] [E] une indemnité provisionnelle 12 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice corporel ;
Alors 1°) que la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 prévoit l'indemnisation des dommages résultant des atteintes à leur personne aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, que ne constitue pas un accident de la circulation, au sens de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, l'accident survenu du fait de ce qu'un individu glisse sur le toit de sa maison, chute à travers la lucarne du garage fermé et strictement privé de son voisin, et heurte dans sa chute le toit d'un véhicule qui s'y trouvait en stationnement plutôt que sur le sol du garage, dès lors que cet accident se serait réalisée même sans la présence du véhicule ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
Alors 2°) que la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 prévoit l'indemnisation des dommages résultant des atteintes à leur personne aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ; que le dommage dont la victime se prévaut doit être imputable à l'accident ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, la GMF Assurances soutenait que « le véhicule de M. [H] n'avait joué aucun rôle actif dans l'accident ; que celui-ci se serait produit en tout état de cause, qu'il soit présent ou non dans le garage, et ainsi que le dommage n'avait pas pour origine le véhicule lui-même mais la chute du toit, que le véhicule s'est trouvé sur la trajectoire de M. [E] et que l'accident se serait produit même en l'absence du véhicule qui ne constitue en aucun cas la cause du dommage de M. [E] » (conclusions, p. 5, 4 derniers §) et encore que « le véhicule n'était pas à l'origine du dommage de M. [E] » (p. 9, 3 derniers §) ; qu'en se bornant à retenir que « y compris lorsque le véhicule impliqué est en stationnement dans un garage privé, étant observé que le stationnement d'un véhicule terrestre à moteur constitue en tant que tel un fait de circulation ; que par ailleurs, est impliqué dans un accident de la circulation, au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, tout véhicule en mouvement ou en stationnement, qui a joué un rôle quelconque dans sa réalisation » (arrêt, p. 4, § 11-12), que « M. [E] ayant heurté dans sa chute la véhicule de M. [H], il est établi que celui-ci a joué un rôle dans la survenance de l'accident, ce qui suffit caractériser son implication » (arrêt, p. 4, dernier §), pour en déduire que « la loi de 1985 devait trouver application dès lors que M. [E] avait été victime, le 16 avril 2015, d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule appartenant à M. [H], assuré par la société GMF » (p. 5, § 2), sans rechercher si le dommage était imputable à la présence du véhicule ou s'il serait survenu même en l'absence de véhicule du fait de la chute de M. [H] dans le garage fermé de son voisin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985. | Ne constitue pas un accident de la circulation, au sens de l'article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, celui résultant de la chute d'une victime sur un véhicule en stationnement dans un garage privé, lorsqu'aucun des éléments liés à sa fonction de déplacement n'est à l'origine de l'accident.
Viole le texte susvisé la cour d'appel qui, pour faire application des dispositions de la loi du 5 juillet 1985, après avoir constaté que la victime qui était montée sur son toit pour effectuer des travaux de réparation, avait trébuché et était tombée au travers de la lucarne du toit du garage de son voisin, heurtant dans sa chute le véhicule qui y était stationné, retient que le stationnement du véhicule constituait en tant que tel un fait de circulation |
8,005 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 770 FS-B
Pourvoi n° A 20-19.147
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
M. [E] [H], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° A 20-19.147 contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [I] [W], domicilié [Adresse 2],
2°/ à l'Association diocésaine de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
L'Association diocésaine de [Localité 4] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Talabardon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [H], de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de l'Association diocésaine de [Localité 4], de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. [W], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Talabardon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, MM. Besson, Martin, Mme Chauve, conseillers, Mme Guého, MM. Ittah, Pradel, Mme Brouzes, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 décembre 2019) et les productions, le 23 septembre 2016, M. [H] a assigné devant un tribunal de grande instance M. [W] et l'Association diocésaine de [Localité 4], en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5], en responsabilité et indemnisation de préjudices consécutifs, d'une part, à des viols et agressions sexuelles que M. [W], membre de la direction d'un établissement d'enseignement scolaire, lui aurait fait subir de 1972 à 1975, alors qu'il était collégien, d'autre part, à l'attitude de M. [W] et de sa hiérarchie lorsque M. [H] a dénoncé les faits à partir de l'année 2001.
2. Le tribunal a déclaré les demandes irrecevables comme prescrites.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses troisième et quatrième branches, et le moyen unique du pourvoi incident de l'Association diocésaine de [Localité 4], ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui, pour les deux premiers, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation et, pour le troisième, est irrecevable.
Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [H] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement déclarant ses demandes irrecevables comme prescrites, alors « que, selon l'article 2270-1 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et tel qu'il était interprété en jurisprudence, en cas de préjudice corporel, la date de consolidation fait courir le délai de prescription de dix ans applicable aux actions en responsabilité civile extra contractuelles ; qu'en fixant le point de départ de la prescription de l'action de M. [H] à l'année 1989, date à laquelle celui-ci a entamé une thérapie, sans vérifier si et à quelle date le dommage avait été consolidé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2270-1 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2270-1, alinéa 1, du code civil, en vigueur du 1er janvier 1986 au 18 juin 2008, et l'article 2226 du même code issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :
5. Aux termes du premier de ces textes, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.
6. Selon une jurisprudence constante, le délai de la prescription prévue par ce texte courait, en cas de préjudice corporel, à compter de la date de la consolidation.
7. Cette solution a été reprise par le second de ces textes, selon lequel l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.
8. L'arrêt, avoir après relevé que M. [H] se prévalait des dispositions de l'article 2226 du code civil et qu'il invoquait à cet égard l'effraction physique et psychique commise par M. [W] à l'origine d'un préjudice corporel non consolidé, retient, d'abord, que la psychothérapie entreprise par l'intéressé au mois d'octobre 1989 est révélatrice de sa prise de conscience de l'aggravation du dommage allégué et de la nécessité d'y remédier, même si la connaissance et la manifestation de ce dommage étaient antérieures eu égard à la nature des attouchements sexuels que l'intéressé dit avoir subis lorsqu'il était adolescent.
9. Il en déduit que la juridiction de première instance a, à juste titre, retenu comme point de départ du délai de la prescription de l'article 2270-1 du code civil, alors applicable, au plus tard l'année 1989, de sorte que cette prescription était acquise lors de l'introduction de l'instance civile en responsabilité et indemnisation.
10. L'arrêt retient, ensuite, que M. [H] invoque vainement les dispositions de l'article 2226 du même code, dès lors qu'à la date de leur entrée en vigueur, la prescription des faits était d'ores et déjà intervenue et ce, depuis plusieurs années.
11. Il en conclut que l'argumentation de l'intéressé relative à un dommage corporel est inopérante.
12. En se déterminant ainsi, alors que le préjudice dont se prévalait M. [H] constituait un préjudice corporel au sens et pour l'application tant de l'article 2270-1 du code civil, alors en vigueur, tel qu'interprété par la jurisprudence, que de l'article 2226 du même code, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher si ce préjudice avait fait l'objet d'une consolidation et, le cas échéant, à quelle date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
13. M. [H] formule le même grief, alors « que l'action en responsabilité civile fondée sur un dommage causé par des agressions sexuelles contre un mineur est prescrite par vingt ans ; qu'en considérant que la prescription aurait été acquise au plus tard au mois d'octobre 1999 par application du délai de prescription de 10 ans, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 alinéa 2 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
14. L'Association diocésaine de [Localité 4] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est nouveau, M. [H] ne s'étant pas prévalu dans ses conclusions devant la cour d'appel de la disposition modificative dont il invoque la violation.
15. Cependant, le grief, qui est de pur droit, est, comme tel, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 :
16. Selon ce texte, dont les dispositions ont été reprises à l'article 2226, alinéa 2, du code civil, le délai de prescription des actions en responsabilité civile extracontractuelle est porté de dix à vingt ans lorsque le dommage est causé par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur.
17. Pour déclarer prescrite l'action de M. [H], l'arrêt, après avoir énoncé que la juridiction de première instance avait, à juste titre, pris comme point de départ du délai de prescription au plus tard la psychothérapie que celui-ci avait entreprise au mois d'octobre 1989, retient que la prescription a été acquise, au plus tard, au mois d'octobre 1999 par application du délai de prescription de dix ans.
18. En statuant ainsi, alors qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998, le délai de prescription de l'action en responsabilité civile extracontractuelle fondée sur le dommage causé par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur était de vingt ans, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi principal, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident de l'Association diocésaine de [Localité 4] ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, d'une part, il déclare irrecevable comme prescrite la demande formée par M. [H] contre M. [W] en raison des faits de viols et d'agressions sexuelles qui lui sont imputés, d'autre part, il condamne M. [H] aux dépens de première instance et d'appel et rejette ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [W] et l'Association diocésaine de [Localité 4], ainsi que celle formée par M. [H] contre cette association, et condamne M. [W] à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. [H]
M. [H] fait grief à la décision confirmative attaquée d'avoir déclaré ses demandes irrecevables comme prescrites ;
alors 1°/ que selon l'article 2270-1 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et tel qu'il était interprété en jurisprudence, en cas de préjudice corporel, la date de consolidation fait courir le délai de prescription de dix ans applicable aux actions en responsabilité civile extra contractuelles ; qu'en fixant le point de départ de la prescription de l'action de M. [H] à l'année 1989, date à laquelle celui-ci a entamé une thérapie, sans vérifier si et à quelle date le dommage avait été consolidé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2270-1 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
alors, subsidiairement, 2°/ que selon l'article 2270-1 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 et tel qu'il était interprété en jurisprudence, en cas de préjudice corporel, la date de consolidation fait courir le délai de prescription de dix ans applicable aux actions en responsabilité civile extra contractuelles ; que la consolidation est le moment où l'état de la victime ne doit plus en principe évoluer ; qu'en considérant, pour retenir comme point de départ de la prescription au plus tard l'année 1989, que la thérapie par M. [H] aurait été révélatrice de sa prise de conscience de l'aggravation du dommage et de la nécessité d'y remédier, motif impropre à établir que l'état de M. [H] ne devait plus évoluer à partir de 1989, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2270-1 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
alors, subsidiairement, 3°/ qu' il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que dans son attestation du 27 juin 2002, le docteur [R] a certifié « avoir suivi en psychothérapie Monsieur [E] [H] du 21 septembre 1994 au 19 décembre 1996 en raison de son état anxio-dépressif » et que « c'est au cours de ce travail de psychothérapie que traversant un jour le Jardin des [6], il revit Monsieur [W] entouré d'une nuée de jeunes garçons. C'est alors qu'il a pris conscience d'avoir été victime d'un viol touchant son corps et son psychisme et que le « bon père » n'était autre qu'un être malfaisant » ; qu'en considérant que le caractère déterminant de l'année 1995 n'aurait pas été démontré, quand il résultait clairement et sans équivoque aucune de l'attestation de M. [R] que c'est alors que ce dernier suivait M. [H] en psychothérapie, soit entre le 21 septembre 1994 et le 19 décembre 1996, que ce dernier avait pris conscience qu'il avait été victime de viol, la cour d'appel a dénaturé cette attestation, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
alors subsidiairement 4°/ que dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, l'article 2270-1 du code civil prévoyait, comme point de départ du délai de prescription, soit la manifestation du dommage, soit son aggravation ; qu'en retenant comme point de départ de la prescription au plus tard l'année 1989, sans rechercher si le dommage de l'exposant ne s'était pas aggravé en mars 2002, date de la dénégation publique de M. [G], en raison des conséquences de cette dénégation sur sa santé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2270-1 du code civil dans sa version issue de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
alors subsidiairement 5°/ que l'action en responsabilité civile fondée sur un dommage causé par des agressions sexuelles contre un mineur est prescrite par vingt ans ; qu'en considérant que la prescription aurait été acquise au plus tard au mois d'octobre 1999 par application du délai de prescription de 10 ans, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 alinéa 2 du code civil, dans sa version issue de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 ; Moyen produit au pourvoi incident éventuel par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour l'Association diocésaine de [Localité 4] (ADP)
L'association ADP fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande tendant à voir l'action de M. [H] à son encontre déclarée irrecevable sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881,
Alors que toute demande de dommages et intérêts trouvant sont fondement dans des imputations publiques doit nécessairement être présentée dans le cadre de la loi sur la presse à peine d'irrecevabilité ; que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la Loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1382 ancien devenu 1240 du code civil ; qu'en l'espèce l'action de M. [H] dirigée contre l'ADP avait été engagée en raison de la communication publique effectuée par le cardinal [G] le 19 mars 2002, de sorte que sa recevabilité devait être appréciée au regard des seules dispositions de la loi du 29 juillet 1881, sans qu'importe à cet égard la nature du préjudice invoqué par la victime ; qu'en refusant d'examiner la recevabilité de l'action au regard des dispositions de la loi sur la presse pour le seul motif que les atteintes dont se prévalait M. [H] ne relevaient pas de la diffamation, la cour d'appel a violé ces dispositions par refus d'application et l'article 1240 du code civil par fausse application. | Le préjudice, dont se prévaut la personne victime d'agression sexuelle constitue un préjudice corporel.
Or, selon une jurisprudence constante, en cas de préjudice corporel, le délai de la prescription prévue par l'article 2270-1, alinéa 1, du code civil, en vigueur du 1er janvier 1986 au 18 juin 2008, courait à compter de la date de la consolidation de l'état de victime. Cette solution a été reprise par l'article 2226 du même code, issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
Dès lors, manque de base légale l'arrêt d'une cour d'appel qui retient que le délai de prescription de l'action en responsabilité et indemnisation, engagée par une personne soutenant avoir été victime d'agressions sexuelles dans son adolescence, a couru au plus tard à la date à laquelle l'intéressée a entrepris une psychothérapie, au motif qu'une telle démarche serait révélatrice de sa prise de conscience de l'aggravation de son dommage et de la nécessité d'y remédier, sans rechercher si le préjudice allégué avait fait l'objet d'une consolidation et, le cas échéant, à quelle date |
8,006 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 771 FS-B
Pourvoi n° Z 20-23.240
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
M. [K] [L], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° Z 20-23.240 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne, dont le siège est [Adresse 2], prise en qualité de gestionnaire des recours contre tiers de la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges,
3°/ à M. [X] [I], domicilié [Adresse 4],
4°/ à M. [P] [G], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [L], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, MM. Besson, Martin, Mme Chauve, conseillers, MM. Talabardon, Ittah, Pradel, Mme Brouzes, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
Il est donné acte à M. [L] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges, M. [I] et M. [G].
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 15 septembre 2020), M. [L], qui avait consommé de l'alcool, a cédé à M. [I] le volant de son véhicule et un accident est survenu, occasionnant des blessures à M. [G], passager avant.
2. Poursuivi du chef de blessures involontaires, M. [L] a été relaxé par jugement d'un tribunal correctionnel, en l'absence de preuve de ce qu'il avait tiré le frein à main et provoqué l'accident. Par ce même jugement, M. [G] et la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges (la caisse des Vosges), parties civiles, ont été déboutés de leurs prétentions. Le désistement de l'appel formé par cette caisse contre ce jugement a été constaté par la cour d'appel.
3. La caisse des Vosges a assigné devant un tribunal de grande instance M. [L], en qualité de propriétaire et gardien du véhicule, en remboursement de ses débours.
4. La caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne (la caisse de la Haute-Marne) est intervenue volontairement à l'instance en tant que gestionnaire des recours de la caisse des Vosges.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. M. [L] fait grief à l'arrêt de le déclarer responsable de l'accident dont M. [G] a été victime et de le condamner à payer à la caisse de la Haute-Marne d'une part, une somme de 101 635,60 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2016 et des intérêts desdits intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, d'autre part, une indemnité de 1 080 euros, et, enfin, une indemnité de 2 000 euros, alors « que si le propriétaire de la voiture à laquelle l'accident de la circulation est imputable, est présumé en être le gardien, il en va autrement lorsqu'il est établi qu'un tiers était, au moment de l'accident de la circulation, seul à même de prévenir le dommage que cet accident a causé ; qu'il résulte du jugement répressif rendu, le 1er octobre 2013 par le tribunal correctionnel d'Épinal que M. [L], propriétaire de la voiture à laquelle l'accident de la circulation du 5 novembre 2010 est imputable, était assis, au moment de la sortie de route, à l'arrière de sa voiture et dans un état d'ébriété tel qu'il lui interdisait de prévenir le dommage qui est survenu, tandis que l'ancien propriétaire de la voiture, M. [I], en était alors le conducteur et disposait donc de tous les moyens qui auraient permis d'éviter ce même dommage ; qu'en énonçant dans ces conditions, de façon abstraite, que « le fait que le propriétaire de la voiture en ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne en raison de son état d'ébriété tout en restant passager dans son propre véhicule n'est pas de nature à transférer au profit du conducteur les pouvoirs de direction, d'usage et de contrôle qui caractérisent la garde », sans se demander qui, de M. [L] ou de ce conducteur, était objectivement à même d'empêcher l'accident, la cour d'appel a violé l'article 2 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 :
7. Il résulte de ce texte que les victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d'un tiers par le conducteur ou le gardien de ce véhicule.
8. Pour déclarer M. [L] responsable de l'accident sur le fondement de cette loi et le condamner à payer certaines sommes à la caisse de la Haute-Marne, l'arrêt énonce que M. [L], qui n'était pas en état de conduire en raison de son état d'ivresse manifeste, a demandé à M. [I] de prendre le volant pour ramener ses amis et lui à leurs domiciles respectifs et que celui-ci, qui se trouvait aux commandes du véhicule dont il avait la maîtrise au moment de l'accident, doit être qualifié de conducteur. Il ajoute que le fait que le propriétaire de ce véhicule ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne en raison de son état d'ébriété tout en restant passager dans son propre véhicule n'était pas de nature à transférer au conducteur les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle caractérisant la garde.
9. En se déterminant par ces seuls motifs, impropres à exclure, en considération des circonstances de la cause, que le propriétaire non conducteur avait perdu tout pouvoir d'usage, de contrôle et de direction de son véhicule, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. [L] responsable, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, de l'accident de la circulation dont M. [G] a été victime et le condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne la somme de 101 635,60 euros, montant des prestations qu'elle a servies à M. [G], les intérêts au taux légal à valoir sur cette somme à compter du 26 février 2016, intérêts qui se capitaliseront dans la mesure où ils sont dus au moins pour une année entière et la somme de 1 080 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, l'arrêt rendu le 15 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour M. [L]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [K] [L] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR :
. déclaré responsable de l'accident de la circulation dont M. [P] [G] a été victime le 5 novembre 2010 ;
. condamné à payer à la Cpam de la Haute-Marne, d'une part, une somme de 101 635 € 60, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2016 et des intérêts desdits intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, d'autre part, une indemnité de 1 080 €, et, enfin, une indemnité de 2 000 € ;
. ALORS QUE le chef du dispositif du jugement répressif qui statue de façon irrévocable sur l'action civile, a autorité de la chose jugée au civil dans les conditions des articles 1354 du code civil et 480 du code de procédure civile ; que le dispositif du jugement rendu le 1er octobre 2013 par le tribunal correctionnel d'Épinal « déboute de sa demande » la Cpam des Vosges, aux droits de qui vient Cpam de la Haute-Marne, contre M. [K] [L], laquelle visait à le voir condamner à lui rembourser les débours qu'elle a exposés en conséquence de l'accident de la circulation dont M. [P] [G] a été victime le 5 novembre 2010 ; qu'en accueillant contre le même M. [K] [L] exactement la même demande, la cour d'appel de Nancy, juge civil saisi par la Cpam de la Haute-Marne après que celle-ci se fut désistée de l'appel qu'elle avait régularisé contre le jugement répressif du 1er octobre 2013, a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [K] [L] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR :
. déclaré responsable de l'accident de la circulation dont M. [P] [G] a été victime le 5 novembre 2010 ;
. condamné à payer à la Cpam de la Haute-Marne, d'une part, une somme de 101 635 € 60, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 février 2016 et des intérêts desdits intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, d'autre part, une indemnité de 1 080 €, et, enfin, une indemnité de 2 000 € ;
. ALORS QUE, si le propriétaire de la voiture à laquelle l'accident de la circulation est imputable, est présumé en être le gardien, il en va autrement lorsqu'il est établi qu'un tiers était, au moment de l'accident de la circulation, seul à même de prévenir le dommage que cet accident a causé ; qu'il résulte du jugement répressif rendu, le 1er octobre 2013 par le tribunal correctionnel d'Épinal que M. [K] [L], propriétaire de la voiture à laquelle l'accident de la circulation du 5 novembre 2010 est imputable, était assis, au moment de la sortie de route, à l'arrière de sa voiture et dans un état d'ébriété tel qu'il lui interdisait de prévenir le dommage qui est survenu, tandis que l'ancien propriétaire de la voiture, M. [X] [I], en était alors le conducteur et disposait donc de tous les moyens qui auraient permis d'éviter ce même dommage ; qu'en énonçant dans ces conditions, de façon abstraite, que « le fait que le propriétaire de la voiture en ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne en raison de son état d'ébriété tout en restant passager dans son propre véhicule n'est pas de nature à transférer au profit du conducteur les pouvoirs de direction, d'usage et de contrôle qui caractérisent la garde », sans se demander qui, de M. [K] [L] ou de ce conducteur, était objectivement à même d'empêcher l'accident, la cour d'appel a violé l'article 2 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. | N'a pas donné de base légale à sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer le propriétaire d'un véhicule responsable, sur le fondement de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, de l'accident de la circulation ayant occasionné des dommages à l'un des passagers, retient que le fait que ce propriétaire ait, dans son seul intérêt et pour un laps de temps limité, confié la conduite à une autre personne, en raison de son état d'ébriété, tout en restant passager dans son propre véhicule n'était pas de nature à transférer au conducteur les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle caractérisant la garde, ces seuls motifs étant impropres à exclure, en considération des circonstances de la cause, que le propriétaire non conducteur avait perdu tout pouvoir d'usage, de contrôle et de direction de son véhicule |
8,007 | J2021317
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 776 F-B
Pourvoi n° Q 21-14.288
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
1°/ Mme [V] [H], veuve [K],
2°/ [S] [K], mineure représentée par sa mère, Mme [V] [H], veuve [K],
3°/ M. [Y] [K],
4°/ Mme [X] [K],
tous domiciliés [Adresse 1], [Localité 4],
ont formé le pourvoi n° Q 21-14.288 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige les opposant à la société Generali vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chauve, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [V] [H], veuve [K], en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure [S] [K], M. [Y] [K] et Mme [X] [K], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Generali vie, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Chauve, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2021), [Z] [K], qui avait souscrit auprès de la société Generali vie (l'assureur) un contrat garantissant le versement d'un capital en cas de décès, est décédé lors d'une plongée sous-marine profonde.
2. Son épouse, Mme [V] [K], agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentante légale de sa fille mineure [S] [K], M. [Y] [K] et Mme [X] [K] ont assigné l'assureur qui refusait sa garantie, au motif qu'une clause de la police souscrite par [Z] [K] excluait la couverture des sinistres résultant de la pratique, non encadrée par une fédération ou un club sportif agréé, de sports à risques, telle la plongée avec équipement autonome.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Mme [V] [K], en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille [S], M. [Y] [K] et Mme [X] [K] font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes formées à l'encontre de l'assureur, alors « que les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elles doivent être interprétées ; qu'après avoir relevé que les dispositions générales du contrat PGM comportaient une clause excluant des garanties PTIA, décès ou PTIA par accident, « la pratique régulière ou non régulière et non encadrée par une fédération ou un club sportif agréé des sports à risques suivants : (
) plongée avec équipement autonome », l'arrêt énonce que cette clause d'exclusion est claire et ne nécessite aucune interprétation, en ce qu'une plongée en palanquée est réputée encadrée, d'après les dispositions du code du sport et le guide de palanquée, lorsqu'un guide dit « guide de palanquée » ou « encadrant » accompagne les plongeurs dans l'eau tandis que le directeur de plongée, présent le lieu de l'immersion ne peut avoir la qualité d'encadrement ; que l'arrêt ajoute qu'[Z] [K], plongeur expérimenté, titulaire d'une licence de plongée de la FFESSM, devait être considéré comme ayant parfaitement compris la signification des termes « encadrement » et « plongée en autonomie » qui lui étaient nécessairement familiers ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a procédé à l'interprétation de la clause d'exclusion de garantie en raison de son imprécision, ce dont il résultait qu'elle n'était ni formelle, ni limitée, a violé l'article L 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêt, après avoir rappelé à bon droit que les clauses d'exclusion de garantie doivent, pour être formelles et limitées au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, se référer à des faits, circonstances ou obligations définis avec une précision telle que l'assuré puisse connaître exactement l'étendue de sa garantie, relève que la clause opposée par l'assureur excluait de la garantie « la pratique régulière ou non régulière et non encadrée par une fédération ou un club sportif agréé des sports à risques suivants : (...) plongée avec équipement autonome ».
5. Il retient ensuite que la mise en jeu de l'exclusion suppose de déterminer si l'activité à risque en cause était ou non encadrée et qu'[Z] [K] a parfaitement compris l'exacte signification du terme « encadrement ».
6. En l'état de ses constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement décidé que la clause était formelle et limitée.
7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. Mme [V] [K], en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille [S], M. [Y] [K] et Mme [X] [K] font le même grief, alors « en tout état de cause, qu'à supposer que la clause d'exclusion du contrat d'assurance soit formelle et limitée, elle demeure d'application stricte en ce qu'elle n'exclut de la garantie décès que la pratique de la plongée avec équipement autonome « non encadrée par une fédération ou un club sportif agréé » ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que la plongée, au cours de laquelle [Z] [K] est décédé, a été organisée par la société « Eau bleue », affiliée à la FFESSM et déclarée auprès de la DDJS et a été effectuée sous la surveillance d'un directeur de plongée, M. [D], présent sur les lieux de la plongée ; qu'en jugeant néanmoins que l'accident était survenu dans des circonstances relevant de la clause d'exclusion de garantie en ce qu'[Z] [K] n'était pas accompagné dans l'eau par un guide de palanquée ou un encadrant, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, devenu 1103, du code civil :
9. Il résulte de ce texte que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
10. L'arrêt, après avoir constaté que l'assureur opposait un refus de garantie aux ayants droit de son assuré en invoquant la clause excluant de la garantie la pratique non encadrée par une fédération ou un club sportif agrée de la plongée avec équipement autonome, rappelle les dispositions de l'article A322-72 du code du sport sur le statut et la mission du directeur de plongée.
11. Il constate ensuite que la plongée au cours de laquelle [Z] [K] est décédé a été organisée par une structure affiliée à la fédération de tutelle et déclarée à la direction départementale de la jeunesse et des sports et a été effectuée en présence de M. [D], exploitant de cette structure, présent sur les lieux de l'immersion en qualité de directeur de plongée.
12. Il ajoute néanmoins que les fonctions de directeur de plongée, seulement présent sur le lieu de l'immersion, et d'encadrant ou « guide de palanquée » qui plonge avec les nageurs, dont les conditions de formation ne sont pas identiques et qui n'ont pas le même rôle, ne se confondent pas, seul ce dernier ayant la qualité d'encadrant.
13. Il en déduit que la plongée au cours de laquelle [Z] [K] est décédé n'était pas encadrée et qu'il y avait lieu de faire application de la clause d'exclusion.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations et énonciations que l'accident dont a été victime [Z] [K] s'est produit lors d'une plongée encadrée par un club sportif agréé, ce dont il résultait que la clause d'exclusion de garantie n'avait pas lieu de s'appliquer, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Generali vie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Generali vie et la condamne à payer à Mme [V] [K], en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille [S], à M. [Y] [K] et à Mme [X] [K] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [V] [H], veuve [K], en son nom personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure [S] [K], M. [Y] [K] et Mme [X] [K]
Mme [V] [K], en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de sa fille [S], M. [Y] [K] et Mme [X] [K] font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes formées à l'encontre de la société Generali Vie ;
1°) ALORS QUE les clauses d'exclusion de garantie ne peuvent être tenues pour formelles et limitées dès lors qu'elles doivent être interprétées ; qu'après avoir relevé que les dispositions générales du contrat PGM comportait une clause excluant des garanties PTIA, décès ou PTIA par accident, « la pratique régulière ou non régulière et non encadrée par une fédération ou un club sportif agréé des sports à risques suivants : (
) plongée avec équipement autonome », l'arrêt énonce que cette clause d'exclusion est claire et ne nécessite aucune interprétation, en ce qu'une plongée en palanquée est réputée encadrée, d'après les dispositions du code du sport et le guide de palanquée, lorsqu'un guide dit « guide de palanquée » ou « encadrant » accompagne les plongeurs dans l'eau tandis que le directeur de plongée, présent le lieu de l'immersion ne peut avoir la qualité d'encadrement ; que l'arrêt ajoute qu'[Z] [K], plongeur expérimenté, titulaire d'une licence de plongée de la FFESSM, devait être considéré comme ayant parfaitement compris la signification des termes « encadrement » et « plongée en autonomie » qui lui étaient nécessairement familiers ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a procédé à l'interprétation de la clause d'exclusion de garantie en raison de son imprécision, ce dont il résultait qu'elle n'était ni formelle, ni limitée, a violé l'article L 113-1 du code des assurances ;
2°) ALORS, en tout état de cause, Qu'à supposer que la clause d'exclusion du contrat d'assurance soit formelle et limitée, elle demeure d'application stricte en ce qu'elle n'exclut de la garantie décès que la pratique de la plongée avec équipement autonome « non encadrée par une fédération ou un club sportif agréé » ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que la plongée, au cours de laquelle [Z] [K] est décédé, a été organisée par la société « Eau bleue », affiliée à la FFESSM et déclarée auprès de la DDJS et a été effectuée sous la surveillance d'un directeur de plongée, M. [D], présent sur les lieux de la plongée ; qu'en jugeant néanmoins que l'accident était survenu dans des circonstances relevant de la clause d'exclusion de garantie en ce qu'[Z] [K] n'était pas accompagné dans l'eau par un guide de palanquée ou un encadrant, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. | Est formelle et limitée, au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances, la clause qui exclut de la garantie, "la pratique régulière ou non régulière et non encadrée par une fédération ou un club sportif agréé des sports à risques suivants : (...) plongée avec équipement autonome" |
8,008 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 780 F-B
Pourvoi n° U 16-17.147
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
M. [V] [K], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 16-17.147 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2016 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant à la société Generali vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [K], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Generali vie, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 janvier 2016), le 17 avril 1996, par l'intermédiaire d'un courtier, M. [K] a souscrit auprès de la société Fédération continentale un contrat d'assurance-vie. Jusqu'en 2007, il a sollicité et obtenu plusieurs avances.
2. Par lettre du 8 mars 2011, l'assureur a informé M. [K] qu'à défaut de réponse à sa demande de remboursement des sommes dues au titre des avances et intérêts courus sur celles-ci, il avait procédé au rachat total de son contrat.
3. N'ayant pas obtenu le paiement de la somme de 125 380,58 euros qu'il réclamait à M. [K], l'assureur a assigné celui-ci en paiement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
4. M. [K] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à l'assureur la somme de 125 380,58 euros au titre d'un trop-perçu d'avances sur son contrat d'assurance-vie et de rejeter ainsi ses demandes visant à voir constater que la résiliation du contrat par l'assureur était nulle et de nul effet, ou subsidiairement que la résiliation était abusive, ainsi que ses demandes de dommages-intérêts, alors « que les conventions légalement formées font la loi des parties ; que toute modification des stipulations contractuelles nécessite un nouvel accord de volonté ; qu'à ce titre, et en l'absence de clause contraire, l'assureur ne dispose pas du pouvoir de modifier unilatéralement les conditions des contrats souscrits par ses assurés ; qu'en conférant en l'espèce un tel effet à la lettre du 18 mai 2006 par laquelle l'assureur avait communiqué ses nouvelles conditions générales à M. [K], les juges du fond ont encore violé l'article 1134 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause :
5. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
6. Pour condamner M. [K] à payer à l'assureur la somme de 125 380,58 euros, l'arrêt énonce que le régime de l'avance est défini par un règlement général dont M. [K] affirme avoir été destinataire par lettre du 18 mai 2006, dont les dispositions sont applicables aux avances consenties au cours de l'année 2006 et qui stipule que si le montant de l'avance à rembourser devient égal ou supérieur à 100 % de la valeur de rachat du contrat, celui-ci sera racheté en faveur de l'assureur afin de rembourser le montant de l'avance. L'arrêt ajoute que faute de documents antérieurs, ce règlement fait la loi des parties depuis le 18 mai 2006 et était donc applicable lorsque l'assureur a procédé au rachat critiqué.
7. En statuant ainsi, par des motifs dont il résulte que l'assureur avait modifié unilatéralement le contrat d'assurance-vie en prévoyant à son profit une faculté de rachat total en cas de dépassement de la valeur de rachat du contrat par le montant total des avances consenties, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt condamnant M. [K] à payer à l'assureur la somme de 125 380,58 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2011 entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant la demande de dommages-intérêts formée par M. [K] contre l'assureur du fait de la violation de son obligation d'information et de conseil, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 janvier 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Generali vie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Generali vie et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [K]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a condamné M. [K] à payer à la société GENERALI VIE la somme de 125.380,58 euros au titre d'un trop-perçu d'avances sur son contrat d'assurance-vie, et en ce qu'il a rejeté ce faisant ses demandes visant à voir constater que la résiliation du contrat par la société GENERALI VIE était nulle et de nul effet, ou subsidiairement que la résiliation était abusive, ainsi que ses demandes en dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « c'est au travers d'un "règlement général" que le régime de l'avance est défini. [V] [K] conteste avoir reçu lors de la conclusion du contrat ce règlement général et a fait valoir qu'il n'a été destinataire de ce document que par un courrier du 18 mai 2006, l'assureur ne rapportant pas la preuve d'un envoi antérieur. La société Generali Vie verse aux débats un document intitulé "règlement général des avances sur le contrat Chevrillon-Philippe Continentale 1007" ce qui correspond à la référence du contrat conclu avec [V] [K]. Il y est mentionné que les dispositions qui y figurent sont applicables aux avances consenties au cours de l'année 2006. Le tribunal sera approuvé d'avoir retenu, faute de documents antérieurs, que ce règlement fait la loi des parties depuis le 18 mai 2006 et était donc applicable lorsque l'assureur a procédé au rachat critiqué » (arrêt, p. 5) ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « le régime de l'avance est donc librement fixé par les parties, aux termes d'un « règlement général » établi par l'assureur, qui doit nécessairement stipuler que le montant de l'avance est limité à la valeur de rachat du contrat ; qu'en l'espèce, Monsieur [K] conteste avoir reçu, au moment du contrat, le règlement général des avances établi par LA FÉDÉRATION CONTINENTALE ; qu'il soutient que ce document lui a été transmis par l'assureur, à sa demande, par courrier daté du 18 mai 2006 ; que la demanderesse ne s'explique nullement sur ce point ; qu'elle produit un document intitulé « règlement général des avances sur le contrat [M] / CONTINENTALE 1007 », qui est effectivement la référence du contrat litigieux ; que cette pièce n'est pas datée ; qu'elle mentionne, à la dernière ligne, que les dispositions énoncées ci-dessus sont applicables aux avances consenties au cours de l'année 2006 sur le contrat [M] / CONTINENTALE ; qu'il s'ensuit que ce document a été rédigé en 2006 et ne saurait donc s'appliquer avant cette date. Monsieur [K] admet l'avoir reçue ; qu'il ne l'a pas contestée ; qu'il y a donc lieu de dire que ce règlement a fait la loi des parties à partir du 18 mai 2006 ; que le rachat critiqué ayant été effectué en 2010, le règlement susvisé était alors en vigueur » (jugement, pp. 6-7) ;
ALORS QUE, premièrement, les juges sont tenus de répondre aux moyens qui les saisissent ; qu'en l'espèce, M. [K] soutenait qu'il n'avait jamais accepté les nouvelles conditions générales communiquées par courrier du 18 mai 2006 (conclusions du 15 octobre 2015, p. 10, in limine) ; qu'en s'abstenant d'apporter la moindre réponse à ce moyen, les juges du fond ont entaché leur décision d'un défaut de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, deuxièmement, l'acceptation ne peut se déduire du simple silence ; qu'en déduisant de la seule réception du courrier du 18 mai 2006 que les nouvelles conditions générales qui y étaient jointes étaient opposables à M. [K] à compter de cette date, les juges du fond ont violé les articles 1101 et 1134 du code civil ;
ALORS QUE, troisièmement, et en tout cas, le silence ne peut valoir acceptation que s'il s'accompagne de circonstances particulières propres à manifester la volonté non équivoque de son auteur ; qu'en déduisant de la seule réception du courrier du 18 mai 2006 que M. [K] avait accepté les nouvelles conditions générales qui y figuraient, sans relever aucune circonstance de nature à conférer une telle signification à son silence, les juges du fond ont de toute façon privé leur décision de base légale au regard ses articles 1101 et 1134 du code de civil ;
ALORS QUE, quatrièmement, toute addition ou modification au contrat d'assurance doit être constatée par un avenant signé des parties ; qu'en donnant effet aux nouvelles conditions générales communiquées le 18 mai 2006 pour cette seule raison que celles-ci n'avaient fait l'objet d'aucune contestation par M. [K], les juges du fond ont également violé l'article L. 112-3 du code des assurances ;
ET ALORS QUE, cinquièmement, les conventions légalement formées font la loi des parties ; que toute modification des stipulations contractuelles nécessite un nouvel accord de volonté ; qu'à ce titre, et en l'absence de clause contraire, l'assureur ne dispose pas du pouvoir de modifier unilatéralement les conditions des contrats souscrit par ses assurés ; qu'en conférant en l'espèce un tel effet à la lettre du 18 mai 2006 par laquelle la société GENERALI VIE avait communiqué ses nouvelles conditions générales à M. [K], les juges du fond ont encore violé l'article 1134 du code de civil.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (à titre subsidiaire)
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a condamné M. [K] à payer à la société GENERALI VIE la somme de 125.380,58 euros au titre d'un trop-perçu d'avances sur son contrat d'assurance-vie, et en ce qu'il a rejeté ce faisant ses demandes visant à voir constater que la résiliation du contrat par la société GENERALI VIE était nulle et de nul effet, ou subsidiairement que la résiliation était abusive, ainsi que ses demandes en dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « [V] [K] conteste la validité de la résiliation unilatérale du contrat d'assurance-vie par la société Generali Vie qui serait intervenue à son insu le 22 février 2010, affirmant que celle-ci aurait dû être précédée d'une mise en demeure, que le contrat liant les parties est dépourvu de la clause de la faculté de rachat total du contrat et que la preuve n'est pas rapportée de ce qu'il a reçu la lettre l'informant de la résiliation ; que dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie en application de l'article L 132-21 du code des assurances, l'assureur peut consentir des avances au contractant, cette avance n'étant qu'une faculté offerte à l'assureur de consentir un prêt à l'assuré, dès lors qu'il s'agit de mettre à la disposition de ce dernier des fonds dans la limite de la valeur de rachat du contrat tout en lui permettant de conserver le bénéfice de ce contrat ; que le contrat d'assurance-vie et l'avance accordée en exécution de ce contrat sont donc indissociables de telle sorte que si l'épargne atteinte ne peut plus servir de contrepartie suffisante à l'avance consentie, le contrat ne peut se poursuivre, faute de provision mathématique ; qu'ainsi que le rappelle le tribunal, l'article L 132-21 précité a connu, au cours de la vie du contrat liant [V] [K] et la société Generali Vie, plusieurs versions dont la dernière, applicable depuis le 1" octobre 2007, précise que "dans la limite de la valeur de rachat du contrat, l'assureur peut consentir des avances au contractant" ; que le régime légal des avances n'est soumis à aucune autre disposition que cet article ; que les longs développements que consacre [V] [K] aux modalités de la résiliation au regard de L 132-20 sont sans portée, l'article précité n'ayant vocation à s'appliquer qu'au défaut de paiement des primes ; que c'est au travers d'un "règlement général" que le régime de l'avance est défini. [V] [K] conteste avoir reçu lors de la conclusion du contrat ce règlement général et a fait valoir qu'il n'a été destinataire de ce document que par un courrier du 18 mai 2006, l'assureur ne rapportant pas la preuve d'un envoi antérieur ; que la société Generali Vie verse aux débats un document intitulé "règlement général des avances sur le contrat Chevrillon-Philippe Continentale 1007" ce qui correspond à la référence du contrat conclu avec [V] [K] ; qu'il y est mentionné que les dispositions qui y figurent sont applicables aux avances consenties au cours de l'année 2006 ; que le tribunal sera approuvé d'avoir retenu, faute de documents antérieurs, que ce règlement fait la loi des parties depuis le 18 mai 2006 et était donc applicable lorsque l'assureur a procédé au rachat critiqué ; que ce règlement dispose en son article 4 que "si le montant de l'avance à rembourser devient égal ou supérieur à 100 % de la valeur de rachat du contrat, le contrat sera racheté en faveur de la Fédération Continentale afin de rembourser le montant de votre avance" ; que le règlement ne prévoit pas l'envoi d'une lettre préalablement à ce rachat ; que [V] [K], bien qu'échangeant une correspondance nourrie avec la société Generali Vie, dit ne pas avoir reçu la lettre que celle-ci affirme lui avoir adressée le 20 janvier 2010, dont copie est versée aux débats, par laquelle elle l'informe de ce que le montant de l'avance qui lui avait été consentie, intérêts compris, dépassait celui de son épargne, le sommant de régulariser cette situation par paiement de la somme de 112.747 euros, faute de quoi elle procédait au rachat total du contrat ; qu'il n'est en revanche pas contesté que [V] [K] a reçu, au cours des années précédentes, plusieurs courriers l'informant du niveau élevé des avances compte tenu des intérêts d'avance à venir, le conduisant d'ailleurs en 2005 à procéder au remboursement de celles-ci, avant de demander à nouveau des avances ; que ces courriers l'informaient, spécialement celui du 7 octobre 2002, de ce que si cette situation perdurait, le contrat serait mis à néant faute d'épargne existant sur le compte ; qu'il sera observé que dans chacune des correspondances que la société Generali Vie a adressées à [V] [K], elle n'a pas manqué de l'inviter à se rapprocher de son courtier – aux droits duquel se trouve aujourd'hui la société UBS France – ce que [V] [K] s'est manifestement abstenu de faire alors pourtant que le courtier en assurances est tenu d'une obligation de conseil ; qu'il est constant que les arbitrages demandés par [V] [K] ont été par la suite refusés en janvier 2011 du fait du rachat du contrat de telle sorte qu'en tout état de cause [V] [K] n'ignore pas depuis cette date que le contrat a été mis à néant et que l'assureur le considère comme son débiteur ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé que la société Generali Vie était fondée à procéder au rachat total du contrat litigieux, rachat qui a été effectué le 22 février 2010, à l'expiration d'un délai permettant à l'assuré de régulariser sa situation, que [V] [K] affirme aujourd'hui sans pouvoir être suivi un instant ne pas avoir connue ; que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté [V] [K] de ses demandes en dommages-intérêts tendant à réparer la prétendue perte de chance de réaliser des arbitrages et son préjudice moral ; que le rachat décidé par la société Generali Vie n'est pas fautif et la demande en paiement de la somme de 150.000 euros à titre de dommages-intérêts sera rejetée » (arrêt, pp. 4-6) ;
AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS D'ABORD QUE « sur le rachat total, en matière d'assurance sur la vie, l'avance consiste, pour l'assureur, à verser au souscripteur une somme d'argent imputable sur la provision mathématique du contrat, sans avoir à procéder à un rachat de ce dernier ; qu'en contrepartie l'assuré s'engage, en général, à verser des intérêts destinés à compenser ceux que l'assureur aurait normalement perçus par le placement de ses provisions ; que l'avance suppose en conséquence l'existence d'une provision mathématique ; qu'en tout état de cause, elle ne peut dépasser la valeur de rachat du contrat ; que l'article L132-21 du Code des assurances, inséré dans le chapitre consacré aux assurances sur la vie et aux opérations de capitalisation, est le seul à envisager la matière des avances. Il a été modifié plusieurs fois entre 1992 et 2009 ; que ses versions successivement applicables à l'espèce sont les suivantes : - du 17 juillet 1992 au premier janvier 2004 : « Dans la limite de la valeur de rachat, l'assureur peut consentir des avances au contractant » ; - du premier janvier 2004 au premier octobre 2007 : « Dans la limite de la valeur de rachat du contrat ou de la valeur de transfert du plan d'épargne individuelle pour la retraite tel que défini à l'article 108 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 précitée, l'assureur peut consentir des avances au contractant » ; - depuis le Premier octobre 2007 : « Dans la limite de la valeur de rachat du contrat, l'assureur peut consentir des avances au contractant » ; qu'aucune autre disposition légale ne s'applique au régime des avances ; qu'en effet, l'article L 132-20 du même Code, cité par le défendeur, ne s'applique qu'en cas de défaut de paiement de prime ou de fraction de prime ; que le régime de l'avance est donc librement fixé par les parties, aux termes d'un « règlement général » établi par l'assureur, qui doit nécessairement stipuler que le montant de l'avance est limité à la valeur de rachat du contrat ; qu'en l'espèce, Monsieur [K] conteste avoir reçu, au moment du contrat, le règlement général des avances établi par LA FÉDÉRATION CONTINENTALE ; qu'il soutient que ce document lui a été transmis par l'assureur, à sa demande, par courrier daté du 18 mai 2006 ; que la demanderesse ne s'explique nullement sur ce point ; qu'elle produit un document intitulé « règlement général des avances sur le contrat [M] / CONTINENTALE 1007 », qui est effectivement la référence du contrat litigieux ; que cette pièce n'est pas datée ; qu'elle mentionne, à la dernière ligne, que « les dispositions énoncées ci-dessus sont applicables aux avances consenties au cours de l'année 2006 sur le contrat [M] / CONTINENTALE » ; qu'il s'ensuit que ce document a été rédigé en 2006 et ne saurait donc s'appliquer avant cette date ; que Monsieur [K] admet l'avoir reçue ; qu'il ne l'a pas contestée, qu'il y a donc lieu de dire que ce règlement a fait la loi des parties à partir du 18 mai 2006 ; que le rachat critiqué ayant été effectué en 2010, le règlement susvisé était alors en vigueur ; qu'il dispose, en son chapitre 4 intitulé « remboursement de l'avance » : « L'avance (principal et intérêts) est remboursable à tout moment et au plus tard à son dixième anniversaire.(...) Si le montant de l'avance à rembourser devient égal ou supérieur à 100% de la valeur de rachat du contrat, le contrat sera racheté en faveur de La Fédération Continentale, afin de rembourser le montant de votre avance » ; que par courrier daté du 20 janvier 2010, GENERALI PATRIMOINE, venant aux droits de LA FÉDÉRATION CONTINENTALE, a averti Monsieur [K] de ce que le montant de l'avance qui lui avait été consentie, intérêts compris, dépassait celui de son épargne ; qu'elle l'a mis en demeure de régulariser sa situation, par paiement de la somme de 112.747 euros, correspondant à la différence entre ces montants ; qu'elle l'a averti qu'à défaut, elle procéderait au rachat total du contrat ; que Monsieur [K] conteste la réception de ce courrier ; que la demanderesse n'en prouve ni l'expédition ni la réception ; que toutefois, le règlement susvisé ne prévoit pas l'envoi d'une lettre à l'assuré ; que Monsieur [K] ne démontre pas que le montant des avances, intérêts compris, ait été inférieur à son épargne, à la date du rachat ; que GENERALI VIE était donc fondée à procéder au rachat total du contrat litigieux, opération effectuée dans les conditions du contrat faisant la loi des parties ; que par conséquent, le tribunal constatera que le contrat a fait l'objet d'un rachat total par l'assureur le 22 février 2010, et qu'il se trouve régulièrement résilié depuis cette date. Ce rachat est opposable à Monsieur [K] ; que la société GENERALI VIE n'ayant commis aucune faute, Monsieur [K] sera débouté de sa demande de dommages-intérêts fondée tant pour la perte de chance d'opérer des arbitrages favorables que sur son prétendu préjudice moral » (jugement, pp. 5-8) ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS ENSUITE QUE « sur l'exécution du contrat, l'article 1134 du Code civil dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'elles doivent être exécutées de bonne foi ; que Monsieur [K] reproche à la demanderesse de lui avoir consenti des avances systématiques, dépassant la proportion de 60 % de l'épargne disponible sur le contrat ; que GENERALI VIE réplique n'avoir jamais consenti d'avances sans contrepartie sur la provision mathématique du contrat ; que le règlement général des avances prévoit en son paragraphe 1, intitulé « modalités d'obtention d'une avance » : « Le cumul des avances ne peut pas dépasser 70% de la valeur atteinte au jour de la demande (...) En cas de demande de rachat partiel et pour que celui-ci soit accepté, le montant des avances cumulées suite à l'opération de rachat, ne peut excéder 80% de la valeur atteinte ». ; que le paragraphe 4 ajoute que « si le montant de l'avance à rembourser devient égal ou supérieur à 100% de la valeur de rachat du contrat, le contrat sera racheté en faveur de la FÉDERATION CONTINENTALE, afin de rembourser le montant de votre avance » ; que l'article L 132-21 du Code des assurances interdit à l'assureur de consentir des avances excédant la valeur de rachat du contrat ; que s'il est établi par le courrier daté du 8 mars 2011, que le montant des avances (nominal et intérêts) a dépassé celui de la valorisation du contrat arrêtée au 31 décembre 2009, Monsieur [K] ne démontre pas que ce dépassement résulte du cumul des avances consenties par l'assureur et qu'il ne soit pas le résultat des intérêts ayant couru sur ces sommes ; qu'il est donc défaillant dans l'administration de la preuve d'une faute contractuelle ; qu'en outre, il ne produit pas les engagements à caractère déontologique des entreprises d'assurance qu'il invoque ; qu'il ne démontre donc pas que GENERALI VIE ait contrevenu à des obligations résultant desdits engagements ; que par conséquent, ce moyen sera rejeté et Monsieur [K], débouté de sa demande de dommages-intérêts ;
que sur le respect de la réglementation relative aux prêts, l'article 1907 du Code civil prévoit que l'intérêt est légal ou conventionnel. L'intérêt légal est fixé par la loi ; que l'intérêt conventionnel peut excéder celui de la loi toutes les fois que la loi ne le prohibe pas. Le taux de l'intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ; que Monsieur [K] reproche à l'assureur de ne pas l'avoir informé du montant du TEG applicable, à chaque avance consentie ; qu'il en déduit avoir été privé de la possibilité de connaître le coût exact du crédit, d'effectuer des comparaisons et de vérifier si le seuil de l'usure n'était pas dépassé ; qu'il demande que GENERALI VIE soit déchue du droit aux intérêts ; qu'en réplique, la demanderesse soutient que le taux d'intérêt applicable était déterminé depuis 1996, et qu'il a été rappelé à Monsieur [K] à chacune des avances qui lui a été consentie ; qu'elle conteste que ce taux soit usuraire ; qu'il est acquis aux débats que l'avance consentie par l'assureur à l'assuré constitue une mise à disposition des fonds investis moyennant le versement d'un intérêt ; qu'elle s'analyse donc comme un prêt à intérêt au sens de l'article 1905 du Code civil, de telle sorte que le taux conventionnel de cet intérêt doit être fixé par écrit lors de la signature du contrat conformément aux exigences de l'article 1907, alinéa 2, du Code civil ; que si GENERALI VIE ne rapporte pas la preuve de la remise à Monsieur [K], au moment du contrat, d'un écrit mentionnant le taux applicable aux avances, elle a indiqué sur les courriers accompagnant chacune de ces opérations qu'elles porteraient intérêt au taux du taux moyen mensuel des emprunts d'Etat à long terme, majoré de 1,5 points ; que ces courriers ont été reçus par Monsieur [K], sans protestation ni réserve de sa part, jusqu'au 15 mars 2006 ; que par courriers des 14 avril 2006 et 18 mai 2006, GENERALI VIE a confirmé à l'assuré que le taux susvisé était le seul applicable. Monsieur [K] ne l'a plus contesté avant l'introduction de la présente instance ; qu'il y a donc lieu de considérer que l'assuré a ainsi reconnu son obligation de payer des intérêts conventionnels ; que de surcroît, Monsieur [K] ne démontre nullement que des frais et coûts connexes lui seraient imputés, outre les intérêts ; qu'il ne saurait donc soutenir que le coût global du crédit lui a été dissimulé ; qu'il ne démontre pas davantage que le taux pratiqué ait été usuraire, au sens de l'article L 313-3 du Code de la consommation ; que nulle faute de l'assureur n'est donc établie ; que le moyen sera rejeté ; que le tribunal dira qu'il n'y a pas lieu de déchoir GENERALI VIE de son droit aux intérêts conventionnels ;
que sur la créance de GENERALI VIE, GENERALI VIE produit le décompte des avances et des intérêts, pour la période du 30 novembre 1996 au 28 février 2010 ; qu'il s'ensuit qu'à cette date, Monsieur [K] lui était redevable de la somme totale de 524.753,58 euros ; que le contrat a été racheté pour la somme totale de 399.34,95 euros, sur laquelle il y a lieu d'imputer celle de 3.619,16 euros, au titre des pénalités ; qu'il sera tenu compte de la somme de 3.357,21 euros, prélevée par erreur au titre de frais d'arbitrage puis réinvestie sur le contrat ; que Monsieur [K] reste donc redevable à GENERALI VIE de la somme de 125.380,58 euros ; que par conséquent, Monsieur [K] sera condamné à payer à GENERALI VIE la somme de 125 380,58 euros » (jugement, pp. 12-15) ;
ALORS QUE, premièrement, les juges sont tenus de répondre aux moyens qui les saisissent ; qu'en l'espèce, M. [K] soutenait que, à considérer même que la clause figurant dans les conditions générales communiquées le 18 mai 2006 puisse lui être opposable, celle-ci ne pouvait de toute façon concerner les avances obtenues antérieurement à l'année 2006 (conclusions du 15 octobre 2015, p. 10, al. 3) ; qu'en s'abstenant d'apporter la moindre réponse à ce moyen, les juges du fond ont entaché leur décision d'un défaut de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, deuxièmement, les juges ont eux-mêmes retenu que les stipulations des conditions générales communiquées le 18 mai 2006 étaient applicables aux avances consenties à partir de l'année 2006 (arrêt, p. 5, al. 2) ; qu'en faisant néanmoins application de l'article 4 de ces conditions générales à l'ensemble des avances obtenues par M. [K] depuis 2001 qui avaient abouti au solde débiteur réclamé par la société GENERALI VIE, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations, en violation des articles 1134 et 1184 du code civil ;
ALORS QUE, troisièmement, et en tout cas, en s'abstenant de rechercher, comme il lui était demandé, si le fait que M. [K] n'aient eu connaissance de l'existence de nouvelles conditions générales que le 18 mai 2006 n'excluait pas que celles-ci pussent être applicables pour les avances consenties au titre des années antérieures, les juges du fond ont à tout le moins privé leur décision de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du code civil ;
ALORS QUE, quatrièmement, en cas d'ambiguïté, le contrat d'assurance doit s'interpréter en faveur de l'assuré ; qu'en l'espèce, M. [K] soulignait que l'article 4 des conditions générales applicables à compter de l'année 2006 était à tout le moins ambigu quant au point de savoir, faute de toute mention en ce sens, s'il était applicable aux avances déjà consenties (conclusions du 15 octobre 2015, p. 10, in medio) ; qu'en faisant néanmoins application de cette stipulation nouvelle aux avances déjà consenties avant cette date, les juges l'ont interprétée dans un sens défavorable à l'assuré ; qu'en statuant de la sorte, les juges du fond ont violé l'article L. 133-2 ancien du code de la consommation, devenu l'article L. 211-1 du même code ;
ALORS QUE, cinquièmement, sauf dispense expresse et non équivoque, une clause résolutoire ne peut être mise en oeuvre qu'après sommation préalable du débiteur visant la clause résolutoire et le manquement invoqué ; qu'en l'espèce, M. [K] contestait formellement avoir jamais reçu la lettre du 20 ou du 21 janvier 2010 par lequel la société GENERALI VIE l'aurait mis en demeure d'abonder son contrat d'assurance-vie à peine de rachat total par l'assureur ; que par ailleurs, les juges ont eux-mêmes constaté que les précédentes avances obtenues de l'assureur avaient été partiellement remboursées par M. [K] en 2005 (arrêt, p. 2, al. 2), et que la clause résolutoire avait été introduite dans les conditions générales applicables en 2006 (ibid., p. 5) ; qu'en se fondant néanmoins sur de précédents courriers envoyés à M. [K], et notamment sur celui du 7 octobre 2002, pour juger que l'assuré avait été mis en demeure de rembourser les avances obtenues à peine de rachat du contrat d'assurance, cependant que ces courriers ne pouvaient viser une clause résolutoire qui n'existait pas à cette date et ne pouvaient concerner une situation qui avait évolué du fait des remboursements effectués ultérieurement par M. [K], les juges du fond ont de toute façon privé leur décision de base légale au regard des articles 1146 et 1184 du code civil ;
ALORS QUE, sixièmement, sauf dispense expresse et non équivoque, une clause résolutoire ne peut être mise en oeuvre qu'après sommation préalable du débiteur visant la clause résolutoire et le manquement invoqué ; qu'en se fondant en outre en l'espèce sur la circonstance que M. [K] n'ignorait plus, depuis le mois de janvier 2011, que la société GENERALI VIE le considérait comme son débiteur à raison du rachat de son contrat (arrêt, p. 5, in fine), la cour d'appel a statué par un motif inopérant, privant une nouvelle fois sa décision de base légale au regard des articles 1146 et 1184 du code civil.
ET ALORS QUE, septièmement, il incombe au créancier d'établir que les conditions de mise en oeuvre une condition résolutoire sont réunies ; qu'en l'espèce, M. [K] contestait formellement que son contrat pût présenter un solde débiteur à la date du 22 février 2010 (conclusions, du 15 octobre 2015, p. 12, al. 3 et suiv.) ; qu'en opposant encore, par motif adopté (jugement, p. 7, in fine), que M. [K] ne démontrait pas que le montant des avances, intérêt compris, ait été inférieur à son épargne, les juges du fond ont renversé la charge de la preuve, et ainsi violé l'article 1315 du code civil, ensemble l'article 1184 du même code.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a condamné M. [K] à payer à la société GENERALI VIE la somme de 125.380,58 euros au titre d'un trop-perçu d'avances sur son contrat d'assurance-vie, et a rejeté ce faisant sa demande visant à voir condamner cette société à lui verser 100.000 euros de dommages-intérêts pour violation de son obligation d'information et de conseil ainsi que pour dépassement du plafond des avances autorisées ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « [V] [K] fait valoir que, néophyte de la finance, il n'a jamais été informé par la société Generali Vie de la nature juridique des avances consenties et n'avoir appris que fort tardivement, en décembre 2002, qu'il s'agissait d'un prêt, reprochant ainsi à l'assureur un manquement à son devoir d'information et de conseil ; que [V] [K] reproche encore à la société Generali Vie de lui avoir octroyé des avances au mépris des seuils autorisés, en rappelant que les organismes professionnels auxquels celle-ci adhère ont pris des "engagements déontologiques" de ne pas faire dépasser aux avances le seuil de 60 % ; que [V] [K] demande en réparation de la violation de ces deux obligations l'allocation de la somme de 100 000 euros ; que la société Generali Vie réplique que [V] [K] a toujours su en quoi consistait une avance et rappelle que l'article L. 132-21 du code des assurances autorise les avances dans la limite de la valeur de rachat du contrat, soulignant que l'engagement déontologique de la Fédération française des sociétés d'assurance et de ses membres ne lie que les assureurs entre eux ; qu'il sera tout d'abord observé que lorsque le contrat a été conclu par l'intermédiaire d'un courtier c'est sur ce dernier que pèse le devoir de conseil ; qu'à la suite du tribunal, la cour relève qu'a quatorze reprises, entre décembre 1996 et janvier 2006, [V] [K] a procédé à des demandes d'avances qui lui ont été consenties, ce qui permet de retenir qu'il connaissait la possibilité d'obtenir des avances et qu'il en a demandé alors même qu'il avait appris, à l'en suivre, qu'il s'agissait de prêts ; que la société Generali Vie rappelle à raison la teneur d'une correspondance adressée par [V] [K] le 21 juillet 2000 aux termes de laquelle il a écrit de sa main : "je vous prie de bien vouloir effectuer une avance à hauteur de 400 000 francs sur mon contrat 10070013. Le chèque bancaire devra être effectué à l'aide de North West Investment. Cette avance viendra clôturer le nantissement effectué au profit de Miromesnil Gestion anciennement Banque Monod. J'ajoute que j'ai pris connaissance que cette avance est consentie avec intérêts. Le taux d'intérêts est défini comme étant le taux moyen d'Etat majoré de 1.5 points" (souligné par la cour) ; que les mêmes précisions sont rappelées, de la main de l'assuré, dans la quittance de règlement qu'il établit le même jour ; qu'enfin, à chaque avance consentie, l'assureur a adressé à [V] [K] une lettre lui rappelant le montant de l'avance consentie et le taux d'intérêts. [V] [K] écrivait à la société Generali le 6 janvier 2003 : "vous me rappelez que l'avance constitue un prêt consenti par votre compagnie" et demandait ultérieurement de nouvelles avances ; qu'il a donc existé au cours du contrat de nombreux écrits qui ont régulièrement rappelé à l'assuré l'existence d'un intérêt et fixant son taux, ce qui n'a nullement empêché celui-ci de demander de nouvelles avances ; que la société Generali Vie justifie que le taux pratiqué n'est pas usuraire, contrairement à ce que soutient [V] [K] ; que ce taux est déterminable et il n'est pas dans les pouvoirs de l'assureur de le faire varier unilatéralement ; que c'est donc à raison que le tribunal a dit n'y avoir lieu à déclarer la société Generali Vie déchue de son droit aux intérêts conventionnels ; que [V] [K] ne peut pas davantage être suivi lorsqu'il soutient tout ignorer de la matière financière et de ce que constitue une avance alors que dans le même temps il donne des instructions pour procéder à divers arbitrages, ce qui établit qu'il ne confond pas les deux termes et la teneur des instructions qu'il adresse alors par écrit donne à penser que le sujet est loin de lui être étranger ; qu'en cours d'exécution du contrat, l'assureur a considéré dans un premier temps que l'avance ne pouvait excéder un seuil de 80 % de l'épargne ; que le 17 novembre 2006, [V] [K] demandait une avance de 20.000 euros et l'assureur lui répondait que l'épargne atteinte par son contrat à cette date atteignait 545.505,51 euros alors que le montant total des avances consenties intérêts compris s'élevait à 420.327,96 euros et que, selon les recommandations de la FFSA, le seuil de 60 % de l'épargne ne pouvait désormais être dépassé ; qu'or, loin d'adhérer à cette recommandation protectrice, [V] [K] répondait que le seuil de 80 % était devenu "le droit des parties" et réitérait sa demande d'avance les 26 janvier et 21 mars 2007 amenant l'assureur à renouveler son refus ; que le 12 avril 2007, la société Generali Vie cédait à l'insistance de [V] [K] et consentait l'avance demandée, en rappelant le taux d'intérêts pratiqué et que cette avance était faite à titre exceptionnel et "pour la dernière fois" ; que [V] [K] apparaît en conséquence bien mal venu de reprocher à la société Generali Vie un manquement dont il ne démontre pas la réalité et de surcroît ne rapporte pas la preuve du préjudice qui en serait résulté pour lui ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en dommages-intérêts formée par [V] [K] de ce chef ; qu'il le sera également en ce qu'il a fait droit à la demande de la société Generali Vie tendant à la condamnation de [V] [K] à lui payer la somme de 125.380,58 euros, au vu du décompte des avances et des intérêts arrêtés au 28 février 2010 depuis novembre 1996, faisant apparaître que [V] [K] était alors redevable de la somme totale de 524.753,58 euros, Il en a été déduit celle de 399.634,95 euros montant du rachat, il convient d'y ajouter le montant des pénalités (3 619,16 euros) et d'en déduire la somme de 3.357,21 euros prélevée à tort au titre de frais d'arbitrage » (arrêt, pp. 6-7) ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « sur l'obligation d'information et de conseil, l'article 1147 du Code civil dispose que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ; que sur ce fondement, la jurisprudence a dégagé une obligation d'information à la charge de l'assureur ; qu'en revanche, dès lors qu'il n'est pas en contact avec l'assuré auquel le produit est proposé par un courtier, l'assureur ne peut se voir imputer un devoir de conseil ; qu'en l'espèce, Monsieur [K] soutient n'avoir jamais eu connaissance du régime détaillé des avances auxquelles son contrat donnait droit ; qu'il ajoute avoir ignoré leur nature juridique, jusqu'à ce que l'assureur, dans une lettre datée du 2 décembre 2002, lui révèle qu'il s'agissait d'un « prêt accordé par notre compagnie » ; que la demanderesse critique ce moyen en arguant du contenu des courriers que Monsieur [K] lui a adressés, et de ses propres réponses ; que le tribunal constatera que sont versés aux débats quatorze courriers adressés par Monsieur [K] à son assureur, entre décembre 1996 et janvier 2006, pour solliciter une avance sur son contrat d'assurance vie, dans les conditions suivantes : courrier daté du 2 décembre 1996, avance de 2 500 000 francs ; - courrier daté du 21 juillet 2000, avance de 400 000 francs ; courrier daté du 18 octobre 2000, avance de 250 000 francs ; courrier daté du 23 janvier 2001, avance de 130 000 francs ; courrier daté du 13 mars 2001, avance de 130 000 francs ; courrier daté du 10 avril 2001, avance de 130 000 francs ; courrier daté du 15 avril 2001, avance de 130 000 francs ; courrier daté du 22 mai 2001, avance de 60 000 francs ; courrier daté du 30 mai 2001, avance de 60 000 francs ; courrier daté du 11 juin 2001, avance de 90 000 francs ; courrier du 19 mai 2005, avance de 45 000 euros ; courrier daté du 6 octobre 2005, avance de 20 000 euros ; courrier daté du 17 novembre 2006, avance de 20 000 euros ; courrier daté du 16 janvier 2006, avance de 30 000 euros ; que Monsieur [K] n'explique nullement comment il a eu connaissance de la possibilité de solliciter des avances ni le sens qu'il donnait à ces opérations, qu'il a multipliées ; que s'il soutient avoir ignoré leur nature et leur régime, cette affirmation est en contradiction avec son courrier daté du 21 juillet 2000 ; qu'en effet, il a écrit dans le courrier : « Je vous prie de bien vouloir effectuer une avance à hauteur de 400 000 francs sur mon contrat 100713. (...) J'ajoute que j'ai pris connaissance que cette avance est consentie avec intérêts ; le taux d'intérêt est défini comme étant le taux moyen d'Etat majoré de 1,5 point. Je retourne ci-joint la quittance de règlement d'avance signée par mes soins » ; dans la quittance : « Je soussigné Monsieur [V] [K] reconnais avoir demandé à la compagnie Fédération Continentale en règlement d'une avance sur mon contrat, la somme de 400 000 francs sous forme de chèque bancaire libellé à l'ordre de la Sté North West Investissement. Il est bien entendu que le versement précité, ci-dessus, est à valoir et à retenir par priorité en capital et intérêts sur toutes sommes qui pourraient, en application des conditions générales et particulières du contrat précité, être dues en échéances, en cas de décès, de rachat, ou de toute autre cause. Elle portera intérêts au taux moyen des emprunts d'Etat majoré de 1,5 points » ; que ces mentions confirment la connaissance, par l'assuré, dès l'année 2000, de la nature et des conditions d'octroi des avances ; que de plus, la FÉDÉRATION CONTINENTALE a adressé à Monsieur [K], pour confirmation des avances consenties à sa demande, des courriers mentionnant aussi le taux d'intérêt applicable ainsi que le point de départ du calcul desdits intérêts (courriers datés des 5 décembre 1996, 5 mai 1999, 21 juillet 2000, 20 octobre 2000, 29 janvier 2001, 20 février 2001, 20 mars 2001, 19 avril 2001, 17 mai 2001,11 juin 2001, 21 juin 2001, 26 novembre 2002, 14 janvier 2003, 18 octobre 2005, 17 janvier 2006, 12 avril 2007) ; que dans plusieurs de ces courriers il été expliqué que l'avance considérée s'ajoutait aux précédentes, pour un montant global précisément indiqué (courriers datés des 5 mai 1999, 21 juillet 2000, 20 octobre 2000, 29 janvier 2001, 20 février 2001, 17 mai 2001, 11 juin 2001, 21 juin 2001, 26 novembre 2002, 18 octobre 2005,17 janvier 2006, 12 avril 2007) ; que si Monsieur [K] a, par courriers datés des 20 novembre 2001, 20 décembre 2001, 2 novembre 2004, 15 mars 2002, 14 janvier 2003, demandé des explications à l'assureur, celles-ci avaient pour objet le détail des frais et le taux d'agios appliqué, et non le mécanisme desdites avances ; que par courrier daté du 21 juin 2001, la FÉDÉRATION CONTINENTALE a exposé à l'assuré que le montant maximum de l'avance ne pouvait excéder 70 % de l'épargne acquise, diminué du montant du remboursement des avances en cours ; qu'elle a fait suivre cette explication d'un calcul précis, et en a déduit que seule la somme de 22 852 francs serait virée à Monsieur [K] ; que par courrier du 7 octobre 2002, l'assureur a à nouveau averti l'assuré que son épargne ne suffisait plus à absorber le montant de l'avance à rembourser, compte tenu des intérêts à venir ; qu'elle lui a demandé d'effectuer un remboursement ; que par courriers des 28 octobre et 12 novembre 2002, elle a confirmé son analyse et indiqué ne plus pouvoir effectuer d'opération sur le contrat ; que dans sa lettre datée du 18 novembre 2002, Monsieur [K] n'a nullement contesté que l'avance soit imputée sur l'épargne ; qu'il a en revanche soutenu qu'il n'avait pas été convenu que ses arbitrages soient subordonnés à un rapport précis entre l'épargne acquise et le montant des avances, ni que l'assureur puisse exiger le remboursement de tout ou partie de celles-ci, voire qu'il puisse procéder au rachat total du contrat ; qu'en outre, il a réclamé « un état récapitulatif complet des avances consenties et des intérêts y relatifs au titre du contrat visé en références depuis l'origine », demande qui confirme que, contrairement à ses écritures, il savait être redevable d'intérêts courus sur ces sommes ; que dans sa lettre du 6 janvier 2003, en réponse à celle de l'assureur datée du 2 décembre 2002, Monsieur [K] n'a pas davantage contesté la nature de l'avance, « prêt accordé par votre compagnie » ; qu'il a en effet indiqué : « vous me rappelez que l'avance constitue un prêt consenti par votre compagnie », ce qui induit que cette information était déjà connue de lui ; que par lettres datées des décembre 2002, 14 janvier 2003, 9 septembre 2004, 7 octobre 2004, 2 et 21 décembre 2004, l'assureur a indiqué ne plus pouvoir donner suite aux demandes d'avance, en raison du rapport entre le montant des avances consenties et l'épargne acquise ; que par courrier du 19 mai 2005, Monsieur [K] a sollicité à la fois une avance de 45.000 euros et a ajouté : « à cet effet nous rembourserons 900.000 euros sur les avances en cours » ; que le courtier a ainsi transmis à l'assureur un ordre de rachat partiel, destiné à un remboursement partiel de l'avance ; que dans son courrier du 5 mars 2006, Monsieur [K] a confirmé avoir remboursé 900.000 euros d'avances sur son contrat, puis a posé à l'assureur des questions fiscales relatives au calcul de la plus-value, de la retenue fiscale et de l'abattement annuel ; que ces termes confirment la parfaite connaissance, par l'assuré, de la notion d'avance ; que Monsieur [K] n'a pas davantage contesté l'application du taux moyen mensuel des emprunts d'Etat à long terme, majoré de 1,5 points ; que dans son courrier daté du 15 mars 2006, il a d'ailleurs reconnu que ce taux lui avait été appliqué depuis l'origine ; que c'est sur la base du site Web de la FÉDÉRATION CONTINENTALE, et d'un règlement général qu'il n'a pas produit, qu'il a déduit que seul un taux majoré de 1 point lui est applicable ; que par courriers des 14 avril 2006 et 18 mai 2006, GENERALI VIE lui a confirmé que le taux majoré de 1,5 point était le seul applicable ; que Monsieur [K] ne l'a plus contesté avant l'introduction de la présente instance ; que s'il indique dans ses écritures avoir sollicité des avances en considération du taux d'intérêt que lui avait indiqué le courtier dans un courrier daté du 27 janvier 2000, c'est-à-dire le taux moyen des emprunts d'Etat augmenté de 1 %, cette affirmation est en contradiction avec son absence de réaction à la réception des courriers émis par GENERALI VIE, lesquels ont toujours mentionné un taux majoré de 1,5 point, et avec la lettre manuscrite datée du 21 juillet 2000 ; que Monsieur [K] ne saurait soutenir de bonne foi avoir cru que le taux indiqué par le courtier était celui qui lui était applicable ; que de plus, le tribunal constatera que Monsieur [K] a concomitamment aux avances, passé des ordres d'arbitrage (courriers des 15 mars 2002 et 18 novembre 2002), circonstance qui révèle sa connaissance de la diversité des opérations qui lui étaient offertes par con contrat ; que d'ailleurs, dans ses courriers datés du 8 juin 2005, septembre 2005, 18 et 31 octobre 2005, il a sollicité des explications au sujet d'arbitrages et de ventes de SICAV, sans jamais employer le terme d'avance, et sans confondre celles-ci avec les autres opérations ordonnées à l'assureur ; qu'enfin, il y a lieu de rappeler que l'assuré était assisté par le cabinet [M], courtier, contre lequel il n'agit pas, et dont il a nécessairement reçu les informations et les conseils ; qu'il résulte de ce qui précède que Monsieur [K] a été informé par l'assureur, au moment du contrat et tout au long de celui-ci, du mécanisme et du régime applicable aux avances, qu'il a pratiqué de manière répétée et habituelle, sans jamais le remettre en cause ; que par conséquent, aucun manquement de l'assureur à son obligation d'information n'est établi ; que ce moyen sera rejeté et Monsieur [K], débouté de sa demande de dommages-intérêts » (jugement, pp. 8-12) ;
ALORS QUE, premièrement, le fait qu'un contrat ait été conclu par l'intermédiaire d'un courtier n'exonère pas l'assureur de son obligation d'information et de conseil ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles L. 112-2 et L. 112-3 du code des assurances, les articles L. 111-1 et suivants du code de la consommation, et l'article 1147 du code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, en objectant que le contrat d'assurance avait été conclu par l'intermédiaire d'un courtier, quand M. [K] reprochait à la société GENERALI VIE de ne pas l'avoir ultérieurement informé, à l'occasion de chacune des avances consenties, de ce que celles-ci constituaient un prêt remboursable avec intérêt, les juges du fond ont statué par un motif inopérant et ont privé leur décision de base légale au regard l'article 1147 du code civil ;
ALORS QUE, troisièmement, la violation des obligations déontologiques d'un professionnel constitue un manquement susceptible de donner lieu à réparation ; que l'assureur ne saurait se retrancher derrière l'insistance de son assuré pour s'affranchir de ses obligations déontologiques ; qu'en estimant en l'espèce que la société GENERALI VIE n'avait commis aucune faute à dépasser le seuil d'avances de 60 % fixé par recommandation de la Fédération française des sociétés d'assurance pour cette seule raison qu'elle avait ce faisant cédé à l'insistance de son assuré pour élever ce seuil à 80 %, les juges du fond ont violé les articles 1147 et 1382 du code civil ;
ALORS QUE, quatrièmement, il était constant en l'espèce que la clause résolutoire stipulée aux conditions générales avait été mise en oeuvre pour cette raison que les avances consenties par la société GENERALI VIE à M. [K] avaient fini par dépasser 100 % de la valeur de rachat du contrat ; qu'en opposant à la demande de dommages-intérêts de M. [K] que celui-ci avait exigé que le seuil déontologique de 60 % soit élevé à 80 % et que l'assureur n'avait fait que céder à son insistance en lui consentant de nouvelles avances, tout en constatant que la société GENERALI VIE avait procédé au rachat total du contrat pour cette raison que les sommes dues par M. [K] au titre des avances avaient dépassé de 125.380,58 euros la valeur totale de rachat de son contrat, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations, violant une nouvelle fois l'article 1147 du code civil.
ET ALORS QUE, cinquièmement, M. [K] reprochait à la société GENERALI VIE de ne pas l'avoir averti que les avances constituaient des prêts assortis d'un taux d'intérêt ; que les juges du fond ont eux-mêmes constaté que M. [K] était redevable au titre de ces prêts, non seulement du capital retiré, mais encore des intérêts et de pénalités de retard ; qu'en affirmant que M. [K] ne rapportait pas la preuve de son préjudice, une nouvelle fois, les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs propres constatations, et ont violé l'article 1147 du code civil.
QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a condamné M. [K] à payer à la société GENERALI VIE la somme de 125.380,58 euros au titre d'un trop-perçu d'avances augmenté des intérêts conventionnels sur son contrat d'assurance-vie ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « la société GENERALI VIE justifie que le taux pratiqué n'est pas usuraire, contrairement à ce que soutient [V] [K] ; que ce taux est déterminable et il n'est pas dans les pouvoirs de l'assureur de le faire varier unilatéralement. » (arrêt, p. 7, al. 2).
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QUE « l'article 1907 du Code civil prévoit que l'intérêt est légal ou conventionnel ; que l'intérêt légal est fixé par la loi ; que l'intérêt conventionnel peut excéder celui de la loi toutes les fois que la loi ne le prohibe pas ; que le taux de l'intérêt conventionnel doit être fixé par écrit ; que Monsieur [K] reproche à l'assureur de ne pas l'avoir informé du montant du TEG applicable, à chaque avance consentie ; qu'il en déduit avoir été privé de la possibilité de connaître le coût exact du crédit, d'effectuer des comparaisons et de vérifier si le seuil de l'usure n'était pas dépassé ; qu'il demande que GENERALI VIE soit déchue du droit aux intérêts ; qu'en réplique, la demanderesse soutient que le taux d'intérêt applicable était déterminé depuis 1996, et qu'il a été rappelé à Monsieur [K] à chacune des avances qui lui a été consentie ; qu'elle conteste que ce taux soit usuraire ; qu'il est acquis aux débats que l'avance consentie par l'assureur à l'assuré constitue une mise à disposition des fonds investis moyennant le versement d'un intérêt ; qu'elle s'analyse donc comme un prêt à intérêt au sens de l'article 1905 du Code civil, de telle sorte que le taux conventionnel de cet intérêt doit être fixé par écrit lors de la signature du contrat conformément aux exigences de l'article 1907, alinéa 2, du Code civil ; que si GENERALI VIE ne rapporte pas la preuve de la remise à Monsieur [K], au moment du contrat, d'un écrit mentionnant le taux applicable aux avances, elle a indiqué sur les courriers accompagnant chacune de ces opérations qu'elles porteraient intérêt au taux du taux moyen mensuel des emprunts d'État à long terme, majoré de 1,5 point ; que ces courriers ont été reçus par Monsieur [K], sans protestation ni réserve de sa part, jusqu'au 15 mars 2006 ; que par courriers des 14 avril 2006 et 18 mai 2006, GENERALI VIE a confirmé à l'assuré que le taux susvisé était le seul applicable ; que Monsieur [K] ne l'a plus contesté avant l'introduction de la présente instance ; qu'il y a donc lieu de considérer que l'assuré a ainsi reconnu son obligation de payer des intérêts conventionnels ; que de surcroît, Monsieur [K] ne démontre nullement que des frais et coûts connexes lui seraient imputés, outre les intérêts ; qu'il ne saurait donc soutenir que le coût global du crédit lui a été dissimulé ; qu'il ne démontre pas davantage que le taux pratiqué ait été usuraire, au sens de l'article L 313-3 du Code de la consommation ; que nulle faute de l'assureur n'est donc établie » (jugement, pp. 13-14) ;
ALORS QUE, premièrement, les juges sont tenus de ne pas dénaturer les moyens qui les saisissent ; qu'en l'espèce, M. [K] soutenait que le taux d'intérêt conventionnel appliqué par la société GENERALI VIE était nul dès lors qu'il ne lui avait pas été communiqué par écrit à l'occasion de chacune de ses avances et qu'il ne correspondait en outre pas au taux effectif global dont la mention est requise par l'article L. 313-2 du code de la consommation dans sa rédaction applicable en l'espèce (conclusions du 15 octobre 2015, p. 18) ; qu'en opposant que le taux d'intérêt appliqué par l'assureur n'était pas usuraire, contrairement à ce que soutenait, selon les juges, M. [K], la cour d'appel a dénaturé les conclusions de M. [K], en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, deuxièmement, l'avance consentie par un assureur au souscripteur d'un contrat d'assurance-vie moyennant intérêt constitue un prêt à intérêt régi par le code de la consommation ; qu'à ce titre, le taux effectif global, calculé conformément à l'article L. 313-1 de ce code dans sa rédaction applicable en l'espèce, doit être mentionné par écrit pour chacune des avances consenties par l'assureur ; qu'en se bornant à retenir, par motif éventuellement adopté des premiers juges, que les avances étaient accompagnées d'un courrier faisant référence au taux moyen mensuel des emprunts d'État à long terme majoré de 1,5 point, sans vérifier, comme il lui était demandé, si cette mention était conforme à celle du taux effectif global exigée par le code de la consommation, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l'article 1907 du code civil et des articles L. 311-1, L. 311-2, L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation dans leur rédaction applicable en l'espèce ;
ALORS QUE, troisièmement, le taux d'intérêt conventionnel doit, comme le taux effectif global, être calculé sur la base de l'année civile dans tout acte de prêt consenti à un consommateur ou à un non-professionnel ; qu'en l'espèce, M. [K] soulignait que le seul taux d'intérêt mentionné dans les courriers de la société GENERALI VIE visait un taux d'intérêt égal au taux moyen mensuel des emprunts d'État à long terme majoré de 1,5 point ; qu'en retenant, par motif éventuellement adopté, que la référence à ce taux mensuel suffisait à la validité de la stipulation du taux d'intérêt conventionnel opposé à M. [K], les juges du fond ont violé l'article 1907 du code civil, ensemble les articles L. 313-1 et R. 313-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable en l'espèce ;
ET ALORS QUE, quatrièmement, les juges sont tenus de répondre aux moyens qui les saisissent ; qu'en l'espèce, au-delà de l'information devant être délivrée à l'occasion de chaque avance, M. [K] faisait valoir que le taux effectif global des prêts en cours devait également être rappelé au moyen de la délivrance de relevés annuels (conclusions du 15 octobre 2015, p. 18, in medio) ; qu'en s'abstenant d'apporter la moindre répondre à ce moyen, les juges du fond ont en outre violé l'article 455 du code de procédure civile. | Constitue une modification unilatérale du contrat d'assurance-vie le fait, pour l'assureur, de prévoir à son profit, dans un règlement général établi postérieurement à la souscription, une faculté de rachat total en cas de dépassement de la valeur de rachat du contrat par le montant total des avances consenties.
Dès lors, viole l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause, la cour d'appel qui, pour condamner l'assuré à rembourser l'assureur après l'exercice par celui-ci d'une telle faculté, retient que depuis la date à laquelle l'assuré en a été destinataire, ce règlement fait la loi des parties |
8,009 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 781 F-B
Pourvoi n° U 21-11.601
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
Mme [I] [M], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 21-11.601 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 5), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Allianz France, société anonyme,
2°/ à la société Allianz vie, société anonyme,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],
3°/ à la société Gan patrimoine, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guého, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [M], de Me Bouthors, avocat de la société Gan patrimoine, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat des sociétés Allianz France et Allianz vie, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Guého, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 décembre 2020), Mme [M], qui soutenait avoir souscrit, par l'intermédiaire d'un mandataire, [G] [T], divers contrats auprès de la société Gan capitalisation, aux droits de laquelle vient la société Gan patrimoine (la société Gan), a assigné celles-ci afin d'ordonner une expertise judiciaire destinée à vérifier la validité des contrats d'épargne au porteur qu'elle détenait, à chiffrer le préjudice résultant de la fraude dont elle déclarait avoir été victime de la part de [G] [T] et à condamner la société Gan au paiement d'une certaine somme sur le fondement de l'article L. 511-1 du code des assurances.
2. Mme [M] a par la suite assigné en paiement de dommages-intérêts les sociétés Allianz vie et Allianz France (les sociétés Allianz), venant aux droits de la société AGF, auprès de laquelle elle soutenait avoir souscrit d'autres contrats.
3. Les instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
5. Mme [M] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les actions diligentées par elle contre la société Gan, alors :
« 1°/ que la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances s'applique aux seules actions dérivant d'un contrat d'assurance ; que le contrat de capitalisation n'est pas un contrat d'assurance ; que Mme [M] recherchait la responsabilité de la société Gan sur le fondement des articles L. 511-1 et suivants du code des assurances, en soutenant que son mandataire, [G] [T], lui avait remis des bons de capitalisation au porteur falsifiés et qu'il n'avait pas transmis à l'assureur les fonds qu'elle lui avait remis à charge de les verser sur ces supports ; qu'en appliquant la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances à une telle action qui ne mettait pas en cause un contrat d'assurance, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 114-1 du code des assurances et par refus d'application l'article 2224 du code civil ;
2°/ que la prescription biennale de l'article L. 114-2 du code des assurances s'applique aux seules actions dérivant d'un contrat d'assurance, ce qui suppose qu'elles mettent en cause les stipulations du contrat d'assurance ; que la cour d'appel relève que Mme [M] a engagé une action en responsabilité fondée sur l'article L. 511-1 du code des assurances, dans sa version résultant de l'ordonnance du 10 février 2016, contre l'assureur en tant que civilement responsable du dommage causé par la remise de faux bons de capitalisation et du détournement des sommes remises par son mandataire agissant en cette qualité ; qu'une telle action trouve sa source dans une tromperie du mandataire et ne met pas en cause les stipulations du contrat d'assurance ; qu'en décidant cependant que son action dérivait d'un contrat d'assurance, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 114-1 du code des assurances et par refus d'application l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 114-1 du code des assurances :
6. Il résulte de ce texte que seules les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont soumises à la prescription biennale qu'il prévoit.
7. Pour déclarer irrecevable l'action de Mme [M] contre la société Gan, l'arrêt, après avoir constaté que Mme [M] avait déposé au greffe, pour consultation, les originaux de plusieurs contrats de capitalisation dénommés Gan invest, Gan valeurs, Gan options et Gan CFE, retient qu'en l'espèce, Mme [M] recherche la responsabilité de la société Gan sur le fondement des articles L. 511-1 et suivants du code des assurances et du mandat, en soutenant que [G] [T] lui a remis des bons au porteur falsifiés et qu'il n'a pas transmis à la société Gan les fonds qu'elle lui avait remis à charge de les verser sur l'un des contrats d'assurance-vie.
8. L'arrêt ajoute que [G] [T] a reçu mandat de la société Gan aux fins notamment de développer la souscription des contrats de capitalisation de cette société, que des contrats d'épargne au porteur et d'assurance-vie ont ainsi été souscrits entre 1994 et 2002, par son intermédiaire, par Mme [M] et pour le compte de sa fille, et que des experts désignés par la société Gan ont confirmé que certains des bons qu'il avait délivrés étaient des faux.
9. L'arrêt en déduit que l'action exercée, qui ne vise pas uniquement à obtenir l'indemnisation de préjudices invoqués du fait de la remise de faux bons de capitalisation, mais plus globalement à indemniser l'ensemble des actes fautifs attribués à [G] [T], dérive d'un contrat d'assurance au sens de l'article L. 114-1 du code des assurances qui édicte une prescription biennale.
10. En statuant ainsi, alors d'une part, qu'elle constatait que certains des contrats en cause étaient des contrats de capitalisation, et non des contrats d'assurance, d'autre part, que l'action engagée contre l'assureur en qualité de civilement responsable, qui tendait à la réparation d'agissements frauduleux de son mandataire, était ainsi dépourvue de lien avec les stipulations d'un contrat d'assurance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable comme prescrite l'action diligentée par Mme [M] à l'encontre de la société Gan patrimoine, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Gan patrimoine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [M] contre la société Allianz vie et la société Allianz France et la demande formée par la société Gan patrimoine, et condamne la société Gan patrimoine à payer à Mme [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour Mme [M]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [M] grief à l'arrêt infirmatif attaqué de déclarer irrecevables comme prescrites les actions diligentées par Mme [M] à l'encontre de la société Gan Patrimoine, alors :
1°) que la prescription biennale de l'article L.114-1 du code des assurances s'applique aux seules actions dérivant d'un contrat d'assurance ; que le contrat de capitalisation n'est pas un contrat d'assurance ; que Mme [M], recherchait la responsabilité de la société Gan Patrimoine sur le fondement des articles L.511-1 et suivants du code des assurances, en soutenant que son mandataire, [G] [T], lui avait remis des bons de capitalisation au porteur falsifiés et qu'il n'avait pas transmis à l'assureur les fonds qu'elle lui a remis à charge de les verser sur ces supports (conclusions, p.47-56) ; qu'en appliquant la prescription biennale de l'article L.114-1 du code des assurances à une telle action (arrêt, p.8, §7) qui ne mettait pas en cause un contrat d'assurance, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L.114-1 du code des assurances et par refus d'application l'article 2224 du code civil ;
2°) que, subsidiairement, la prescription biennale de l'article L.114-2 du code des assurances s'applique aux seules actions dérivant d'un contrat d'assurance, ce qui suppose qu'elles mettent en cause les stipulations du contrat d'assurance ; que la cour d'appel relève que Mme [M] a engagé une action en responsabilité fondée sur l'article L.511-1 du code des assurances, dans sa version résultant de l'ordonnance du 10 février 2016, contre l'assureur en tant que civilement responsable du dommage causé par la remise de faux bons de capitalisation et du détournement des sommes remises par son mandataire agissant en cette qualité (arrêt, p.7, §2) ; qu'une telle action trouve sa source dans une tromperie du mandataire et ne met pas en cause les stipulations du contrat d'assurance ; qu'en décidant cependant que son action dérivait d'un contrat d'assurance, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L.114-1 du code des assurances et par refus d'application l'article 2224 du code civil ;
3°) que, l'action en responsabilité engagée par l'assuré contre l'assureur en raison d'un manquement à ses obligations se prescrit par deux ans à compter de la date à laquelle l'assuré a eu connaissance de ce manquement et du préjudice qui en résultant pour lui ; que les doutes sur la validité de bons de souscription et le caractère décelable des irrégularités les affectant ne suffisent pas à établir que l'assuré avait connaissance à cette date de leur invalidité ; que, pour décider que l'action de Mme [M] à l'encontre de la société Gan Patrimoine était prescrite, la cour d'appel retient que Mme [M] avait été informée en décembre 2012 par l'épouse de [G] [T] qu'il avait détourné des fonds remis par certains de ses clients, de sorte qu'à compter de cette date, elle ne pouvait ignorer que les fonds qu'elle avait remis à [G] [T] étaient susceptibles d'avoir en tout ou partie été détournés (arrêt, p.9, §4-5), que par la suite, par acte du 29 avril 2013, elle avait engagé des actions en revendication de certains bons qu'elle détenait de sorte qu'elle ne pouvait ignorer que ces bons étaient douteux (arrêt, p.11, §2) et que, dans ses conclusions, elle admettait avoir eu des doutes sur la valeur des bons bien avant l'action en revendication engagée le 29 avril 2013 (arrêt, p.11, §3) ; qu'en se fondant sur les seuls doutes sur la validité des bons et sur le caractère décelable des irrégularités affectant les actes, insuffisants à écarter l'ignorance de Mme [M] sur le caractère irrégulier de ces bons à cette date, la cour d'appel a violé l'article L.114-1 du code des assurances.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [M] grief à l'arrêt infirmatif attaqué de déclarer irrecevables comme prescrites les actions diligentées par Mme [M] à l'encontre des sociétés Allianz Vie et Allianz France, alors que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité à l'encontre d'un assureur en tant que civilement responsable du dommage causé par la remise de faux bons de capitalisation et du détournement des sommes remises pour dépôt sur ces supports par son mandataire apparent doit être fixé, non au jour de la souscription des bons et de la remise des sommes d'argent, mais au jour où le souscripteur a pris connaissance du caractère irrégulier des bons et su que les fonds remis avaient été détournés ; que, pour faire courir le délai de la prescription quinquennale au moment de la remise des bons, la cour d'appel retient que l'observation des bons révélait qu'ils s'agit de faux bons et que Mme [M] ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de déceler la fausseté de ces bons dès leur remise ; qu'en statuant ainsi, sans constater qu'à la date de la remise des bons, Mme [M] avait connaissance de ces irrégularités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. | Il résulte de l'article L. 114-1 du code des assurances que seules les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont soumises à la prescription biennale qu'il prévoit.
Viole ce texte la cour d'appel qui fait application de ce délai alors d'une part, qu'elle constatait que certains des contrats en cause étaient des contrats de capitalisation, et non des contrats d'assurance, d'autre part, que l'action engagée contre l'assureur en qualité de civilement responsable, qui tendait à la réparation d'agissements frauduleux de son mandataire, était ainsi dépourvue de lien avec les stipulations d'un contrat d'assurance, la cour d'appel a violé le texte susvisé |
8,010 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 804 F-B
Pourvoi n° G 21-11.821
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
La société [3], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-11.821 contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2020 par la cour d'appel d'Amiens (2e chambre), dans le litige l'opposant à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail des Pays de la Loire, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [3], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail des Pays de la Loire, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 4 décembre 2020), la société [3] (la société) ayant repris, le 1er septembre 2016, l'EURL [4] (l'EURL), dans le cadre d'une transmission universelle de patrimoine, la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail des Pays de la Loire (la CARSAT) a, par décision du 12 novembre 2018, transféré les éléments de tarification de l'EURL sur le compte employeur de la société et lui a notifié un nouveau taux de cotisation au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles à effet du 1er septembre 2016 et pour les années 2017 et 2018.
2. La société a saisi d'un recours la juridiction de la tarification.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors :
« 1°/ que selon les articles L. 242-5 et R. 143-21 du code de la sécurité sociale, le taux de la cotisation due au titre des risques professionnels est déterminé annuellement et, devant être contesté par l'employeur dans les deux mois de sa notification par la caisse régionale d'assurance retraite et de la santé au travail, revêt, passé ce délai, un caractère définitif ; qu'il en résulte que, sauf fraude ou dissimulation de la part de l'employeur, la CARSAT ne peut procéder à une révision rétroactive de taux de cotisation régulièrement notifiés, postérieurement à l'expiration de ce délai de recours ; que selon l'article R. 241-1 du même code, en vue de la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles, les caisses primaires et les unions de recouvrement sont tenues de fournir aux caisses d'assurance retraite et de la santé au travail tous les éléments financiers susceptibles de faire connaître les dépenses et les recettes, soit par employeur, soit par branche d'activité ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que l'eurl avait, par courrier du 20 septembre 2016, informé l'URSSAF de son absorption et de la reprise de l'ensemble de son personnel par la société, dans le cadre d'une transfert universel de propriété, à compter du 1er septembre 2016, et que l'URSSAF avait, le 13 octobre 2016, procédé à la radiation du compte employeur professionnel de l'eurl ; qu'il résulte de ces constatations que les organismes de sécurité sociale avaient bien été informés dès 2016 de l'absorption et de la reprise du personnel de l'eurl par la société, dans le cadre d'une transmission universelle de patrimoine, de sorte qu'en l'absence de toute dissimulation, la CARSAT ne pouvait prétendre se fonder sur cette opération pour procéder, par décision du 12 novembre 2018, à la révision rétroactive des taux de cotisations 2016, 2017 et 2018 qui avaient été régulièrement notifiés à la société et présentaient un caractère définitif ; qu'en se fondant sur un motif inopérant tiré de l'absence de déclaration de l'opération faite par la société elle-même auprès de la CARSAT pour juger le contraire, la cour d'appel a méconnu les conséquences de ses constatations et violé les articles L. 242-5, R. 143-21 et R. 241-1 du code de la sécurité sociale ;
3°/ que si, aux termes de l'alinéa 3 de l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale, le classement d'un risque dans une catégorie peut être modifié à toute époque, les dispositions de son premier alinéa imposent que le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles soit déterminé annuellement pour chaque catégorie de risque par la CARSAT ; qu'il en résulte que la survenance d'une circonstance de nature à aggraver le risque d'un établissement n'a pas pour effet de remettre en cause le taux de la cotisation accident du travail maladie professionnelle notifié par la CARSAT pour l'exercice en cours ; qu'en jugeant que la CARSAT était fondée à reprendre la tarification de l'établissement à compter de la date de la reprise de l'eurl, soit le 1er septembre 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La CARSAT conteste la recevabilité du moyen, pris en sa troisième branche. Elle soutient que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.
6. Cependant, est de pur droit le moyen qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
8. Il résulte de la combinaison des articles L. 242-5, alinéas 1 et 3, et R. 143-21 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, applicable au litige, et le second alors en vigueur, que le taux de la cotisation due au titre des risques professionnels est déterminé annuellement et revêt, s'il n'est pas contesté dans le délai de deux mois à compter de sa notification par l'organisme social, un caractère définitif, sauf si une décision de justice ultérieure vient en modifier le calcul ou si l'employeur n'a pas déclaré à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail toute circonstance de nature à aggraver les risques.
9. L'arrêt relève que l'EURL a informé l'URSSAF, le 20 septembre 2016, de ce qu'elle avait fait l'objet d'une transmission universelle de propriété et que l'ensemble de ses salariés était transféré à la société et que l'URSSAF lui a répondu qu'elle procédait à la radiation de son compte employeur à effet du 31 août 2016. Il retient que cette démarche ne peut, cependant, être assimilée au respect par la société de sa propre obligation d'informer la CARSAT de la reprise du personnel de l'EURL et par conséquent, d'une aggravation du risque. L'arrêt constate qu'en définitive, la société n'a informé la CARSAT de la reprise de l'EURL intervenue le 1er septembre 2016 que par courrier du 9 novembre 2018.
10. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a déduit à bon droit que la CARSAT était fondée à modifier rétroactivement les taux applicables à compter du 1er septembre 2016 et, pour les années 2017 et 2018.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [3] et la condamne à payer à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail des Pays de la Loire la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société [3]
La société [3] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son recours mal fondé, de l'avoir déboutée de l'ensemble de ses demandes et d'avoir dit que la CARSAT des Pays-de-la-Loire était fondée à reprendre la tarification de l'établissement à compter de la date de la reprise de la société [4], soit le 1er septembre 2016 ;
1. ALORS QUE selon les articles L. 242-5 et R. 143-21 du code de la sécurité sociale, le taux de la cotisation due au titre des risques professionnels est déterminé annuellement et, devant être contesté par l'employeur dans les deux mois de sa notification par la caisse régionale d'assurance retraite et de la santé au travail, revêt, passé ce délai, un caractère définitif ; qu'il en résulte que, sauf fraude ou dissimulation de la part de l'employeur, la CARSAT ne peut procéder à une révision rétroactive de taux de cotisation régulièrement notifiés, postérieurement à l'expiration de ce délai de recours ; que selon l'article R. 241-1 du même code, en vue de la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles, les caisses primaires et les unions de recouvrement sont tenues de fournir aux caisses d'assurance retraite et de la santé au travail tous les éléments financiers susceptibles de faire connaître les dépenses et les recettes, soit par employeur, soit par branche d'activité ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que la société [4] avait, par courrier du 20 septembre 2016, informé l'URSSAF de son absorption et de la reprise de l'ensemble de son personnel par la société [3], dans le cadre d'une transfert universel de propriété, à compter du 1er septembre 2016, et que l'URSSAF avait, le 13 octobre 2016, procédé à la radiation du compte employeur professionnel de la société [4] ; qu'il résulte de ces constatations que les organismes de sécurité sociale avaient bien été informés dès 2016 de l'absorption et de la reprise du personnel de la société [4] par la société [3], dans le cadre d'une transmission universelle de patrimoine, de sorte qu'en l'absence de toute dissimulation, la CARSAT ne pouvait prétendre se fonder sur cette opération pour procéder, par décision du 12 novembre 2018, à la révision rétroactive des taux de cotisations 2016, 2017 et 2018 qui avaient été régulièrement notifiés à la société [3] et présentaient un caractère définitif ; qu'en se fondant sur un motif inopérant tiré de l'absence de déclaration de l'opération faite par la société [3] elle-même auprès de la CARSAT pour juger le contraire, la cour d'appel a méconnu les conséquences de ses constatations et violé les articles L. 242-5, R. 143-21 et R. 241-1 du code de la sécurité sociale ;
2. ALORS QUE la transmission universelle du patrimoine emporte transmission de tous les droits, biens et obligations de la société absorbée à la société absorbante et permet donc à cette dernière de justifier de l'accomplissement de ses obligations en se prévalant des actes accomplis par la société absorbée ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que la société [4] avait, par courrier du 20 septembre 2016, informé l'URSSAF de son absorption et de la reprise de l'ensemble de son personnel par la société [3], dans le cadre d'une transfert universel de propriété, à compter du 1er septembre 2016, et que l'URSSAF avait, le 13 octobre 2016, procédé à la radiation du compte employeur professionnel de la société [4] ; qu'ayant constaté que la société absorbée avait effectivement informé l'URSSAF de l'évolution du risque par courrier du 20 septembre 2016, la cour d'appel aurait dû en déduire que la société [3] avait bien satisfait à son obligation d'information des organismes sociaux ; qu'en lui reprochant néanmoins de ne pas avoir elle-même déclaré l'opération, la cour d'appel a violé les articles 1844-4 et 1844-5 du code civil et 236-3 du code de commerce, ensemble les articles L. 242-5, R. 143-21 et R. 241-1 du code de la sécurité sociale ;
3. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE si, aux termes de l'alinéa 3 de l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale, le classement d'un risque dans une catégorie peut être modifié à toute époque, les dispositions de son premier alinéa imposent que le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles soit déterminé annuellement pour chaque catégorie de risque par la CARSAT ; qu'il en résulte que la survenance d'une circonstance de nature à aggraver le risque d'un établissement n'a pas pour effet de remettre en cause le taux de la cotisation accident du travail maladie professionnelle notifié par la CARSAT pour l'exercice en cours ; qu'en jugeant que la CARSAT des Pays-de-la-Loire était fondée à reprendre la tarification de l'établissement à compter de la date de la reprise de la société [4], soit le 1er septembre 2016, la cour d'appel a violé l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale. | Il résulte de la combinaison des articles L. 242-5, alinéas 1 et 3, et R. 143-21 du code de la sécurité sociale, le premier dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, applicable au litige, et le second, alors en vigueur, que le taux de la cotisation due au titre des risques professionnels est déterminé annuellement et revêt, s'il n'est pas contesté dans le délai de deux mois à compter de sa notification par l'organisme social, un caractère définitif, sauf si une décision de justice ultérieure vient en modifier le calcul ou si l'employeur n'a pas déclaré à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail toute circonstance de nature à aggraver les risques |
8,011 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 806 F-B
Pourvoi n° N 21-13.527
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
M. [C] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-13.527 contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 12), dans le litige l'opposant au conseil départemental de la [Localité 5], dont le siège est [Adresse 3], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [Y], de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat du conseil départemental de la [Localité 5], et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 décembre 2020) et les productions, [R] [Y] (la bénéficiaire), née le 11 septembre 1926, est décédée le 21 décembre 2013, en laissant pour lui succéder son fils et unique héritier, M. [Y] (l'héritier). Elle avait été hébergée à la maison de retraite de [Localité 2] du 1er avril 2004 au 20 avril 2004 puis à la maison de retraite de l'hôpital de [Localité 4] du 17 janvier 2005 au 12 novembre 2009 et admise au bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées accueillies en établissement. Par décision du 16 février 2016, notifiée à l'héritier, le président du conseil départemental de la [Localité 5] a ordonné la récupération sur la succession de la bénéficiaire des frais d'hébergement engagés pour son compte du 1er avril 2004 au 12 novembre 2009 pour un montant de 98 398,83 euros.
2. L'héritier a saisi d'un recours la juridiction de l'aide sociale, alors compétente.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses cinq autres branches
Enoncé du moyen
4. L'héritier fait grief à l'arrêt de rejeter son recours et de le condamner à rembourser une certaine somme au département, alors :
« 3°/ que le règlement départemental d'aide sociale ne peut déroger aux règles prévues par les lois et règlements, dans un sens plus favorable, qu'en matière de conditions d'attribution et de montants ; qu'il ne peut déroger aux règles relatives aux modalités de versement de l'aide ; qu'en considérant, pour écarter le moyen tiré de ce que l'aide sociale n'ayant pas été versée à la bénéficiaire, mais directement à l'hôpital, cette aide ne pouvait donner lieu à récupération, que l'article R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles pose le principe général du versement direct au bénéficiaire de l'aide sociale, mais n'interdit en aucune manière au département de choisir d'autres modalités, en particulier pour les frais de séjour des personnes hébergées dans des établissements adaptés, la cour d'appel, qui a ainsi estimé que le règlement départemental pouvait déroger à une règle, édictée par décret, relative aux modalités de versement de l'aide, a violé les articles L. 121-4 et R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles ;
4°/ qu'en tout état de cause, le règlement départemental d'aide sociale ne peut édicter que des dispositions plus favorables au bénéficiaire de l'aide que celles prévues par les lois et règlement ; que le versement direct de l'aide sociale à l'hôpital, s'il est plus favorable à ce dernier, n'est pas plus favorable au bénéficiaire de l'aide ; qu'en considérant que l'article R. 131-5 pose le principe général du versement direct au bénéficiaire de l'aide sociale, mais n'interdit en aucune manière au département de choisir d'autres modalités, la cour d'appel, qui a ainsi estimé que le règlement pouvait prévoir une règle dérogatoire sans que cette règle soit plus favorable au bénéficiaire de l'aide sociale, a violé les articles L. 121-4 et R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles ;
5°/ que les ressources de la personne âgée sont affectées au paiement de ses frais d'hébergement dans la limite de 90 % ; que la personne âgée s'acquitte elle-même de sa contribution à l'établissement d'accueil ; qu'en considérant, pour condamner l'héritier à rembourser l'intégralité des sommes versés par le département à l'hôpital, que la bénéficiaire aurait dû verser « au département », au titre de la participation à ses frais d'hébergement et d'entretien, une somme représentant 90 % de ses ressources, la cour d'appel a violé les articles L. 132-3, R. 132-2, R. 314-158 et R. 314-159 du code de l'action sociale et des familles ;
6°/ que seul le conseil départemental, dans le cadre de l'édiction du règlement départemental d'aide sociale, peut, en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements ; que l'exécutif du département ne peut pas décider, ponctuellement, de payer, en plus de l'aide sociale octroyée, la part correspondant à la contribution de la personne âgée à ses frais d'hébergement ; que, comme le faisait valoir l'héritier, le règlement départemental d'aide sociale de [Localité 5] prévoyait que l'aide sociale à l'hébergement n'avait vocation à prendre en charge que les dépenses d'hébergement « non couvertes par la participation de la personne âgée » ; qu'en considérant, pour condamner l'héritier à rembourser l'intégralité des sommes versées par le département à l'hôpital, que la prise en charge, par le département, de la participation de la bénéficiaire était rendue possible en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, la cour d'appel a violé cet article, ainsi que l'article 1er de la fiche 16 du règlement départemental d'aide sociale de [Localité 5] ;
7°/ qu'en tout état de cause, le département assure la charge financière des décisions, prises sur le fondement de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, accordant au bénéficiaire de l'aide sociale des montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements ; que la cour d'appel a relevé que la prise en charge, par le département, de la part correspondant à la contribution de la bénéficiaire à ses frais d'hébergement était possible en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale ; qu'en considérant que l'héritier devait rembourser l'intégralité des sommes versées par la département à l'hôpital, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résultait que la charge financière de la décision de payer la part de la bénéficiaire devait être assurée par le département et que le paiement de cette part ne pouvait donc donner lieu à récupération, violant ainsi l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. Le conseil départemental conteste la recevabilité du moyen, pris en ses quatrième et septième branches. Il soutient que, mélangé de fait et de droit, il serait nouveau.
6. Toutefois, ces griefs qui ne se réfèrent à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, sont de pur droit.
7. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
8. En vertu des articles L. 231-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles, l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées est au nombre des prestations légales d'aide sociale à la charge du département mentionnées à l'article L. 121-1 de ce code.
9. L'article L. 121-3 du même code prévoit que dans les conditions définies par la législation et la réglementation sociales, le conseil départemental adopte un règlement départemental d'aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d'aide sociale relevant du département.
10. L'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles précise que le conseil départemental peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l'article L. 121-1 et que le département assure la charge financière de ces décisions. Au demeurant, il n'interdit pas au conseil départemental d'organiser dans le règlement départemental d'aide sociale des modalités particulières de versement de l'aide sociale destinées à en assurer l'effectivité telles que son versement direct à l'établissement d'accueil de la personne âgée.
11. Il résulte par ailleurs des articles L. 132-3, L. 132-4 et R. 132-2 du code de l'action sociale et des familles, que les personnes âgées accueillies au titre de l'aide sociale dans des établissements et services sociaux ou médico-sociaux doivent s'acquitter elles-mêmes de la participation financière mise à leur charge pour leur hébergement et leur entretien, dans la limite de 90 % de leurs ressources, qu'elles peuvent toutefois demander que leurs ressources soient perçues par le comptable public ou le responsable de l'établissement et que cette mesure peut aussi leur être imposée, par une décision du président du conseil départemental à la demande de l'établissement lorsqu'elles ne se sont pas acquittées de leur participation pendant trois mois.
12. Enfin, selon l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, le département qui a engagé des dépenses d'aide sociale dispose d'un recours en recouvrement sur l'actif net de la succession du bénéficiaire.
13. L'arrêt constate qu'il a été décidé d'accorder à la bénéficiaire, tant pour l'attribution initiale que pour le renouvellement en 2005, une aide sociale partielle avec une participation mensuelle d'un certain montant à la charge de son conjoint, lequel est décédé le 23 décembre 2005 et sans participation de son fils et que la bénéficiaire devait verser, au titre de sa participation à ses frais d'hébergement et d'entretien, une somme représentant 90 % de ses ressources. Il relève que toutefois, l'état de santé de cette dernière ne lui permettait pas de signer elle-même les documents administratifs et médicaux nécessaires à son admission et qu'il ne pouvait pas davantage être attendu de sa part qu'elle accomplisse des démarches pour matérialiser sa contribution volontaire.
14. Il relève encore que l'article 13-5 du règlement départemental d'aide sociale adopté le 25 novembre 2003, applicable en la cause, prévoit que pour la prise en charge des frais de séjour, le département verse à l'établissement la totalité des frais de séjour des bénéficiaires de l'aide sociale, sans déduction de la participation. Il retient que l'article R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles pose le principe général du versement direct au bénéficiaire de l'aide sociale mais n'interdit en aucune manière au département de choisir d'autres modalités, en particulier pour les frais de séjour des personnes hébergées dans les établissements adaptés. Il ajoute qu'une telle mesure est pleinement justifiée pour garantir la continuité de la prise en charge de personnes qui sont vulnérables et s'assurer de la bonne affectation de l'aide.
15. De ces constatations et énonciations, faisant ressortir que le département qui, agissant dans l'intérêt exclusif et pour le compte du bénéficiaire de l'aide sociale, a pris en charge la totalité des frais de séjour de celui-ci, sans déduction de sa participation, est en droit d'en réclamer le remboursement à sa succession, conformément au droit commun des obligations, en même temps qu'il exerce en application de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles l'action en récupération de l'aide sociale accordée, la cour d'appel a exactement déduit que le conseil départemental était fondé à réclamer à la succession de la bénéficiaire le remboursement de l'intégralité des frais d'hébergement et d'entretien dont il avait assuré l'avance.
16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [Y] et le condamne à payer au conseil départemental de la [Localité 5] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour M. [Y]
IL EST REPROCHE à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté le recours de M. [C] [Y] tendant à l'annulation de la décision du 1er février 2016 du président du conseil départemental, d'avoir validé la créance du département de la [Localité 5] sur la succession de Mme [R] [Y] à hauteur de la somme de 96 467,30 euros, et d'avoir dit que M. [C] [Y] devra rembourser ladite somme de 96 467,30 euros au département de la [Localité 5] ;
1°) ALORS QUE, pour pouvoir donner lieu à récupération sur succession, l'aide sociale doit avoir été demandée par son bénéficiaire, ou le représentant de celui-ci ; que, comme le faisait valoir M. [Y] (requête d'appel, p. 9), le département avait admis dans ses écritures que l'aide sociale avait été demandée par le seul hôpital de [Localité 4] (mémoire en défense, p. 5 § 2 et pièce d'appel n° 17, p. 2 § 2) ; qu'en considérant, pour valider la créance du département au titre de l'aide sociale accordée à Mme [Y], que cette aide avait été régulièrement sollicitée et accordée, sans rechercher, comme elle y était invitée (requête d'appel, p. 9-10), si la circonstance que l'aide sociale avait été demandée, non par Mme [Y] ou son représentant, mais par l'hôpital, n'interdisait pas au département de procéder à la récupération sur succession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 132-8 et R. 131-1 du code de l'action sociale et des familles et de l'article 2 de la fiche 16 du règlement départemental d'aide sociale de [Localité 5] ;
2°) ALORS QU'en se bornant à relever, pour en déduire que l'aide sociale avait été régulièrement sollicitée et accordée, que M. [J] [Y] s'occupait à cette époque de la prise en charge de son épouse, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que la demande d'aide sociale avait été déposée par M. [J] [Y], a statué par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 132-8 et R. 131-1 du code de l'action sociale et de l'article 2 de la fiche 16 du règlement départemental d'aide sociale de [Localité 5] ;
3°) ALORS QUE le règlement départemental d'aide sociale ne peut déroger aux règles prévues par les lois et règlements, dans un sens plus favorable, qu'en matière de conditions d'attribution et de montants ; qu'il ne peut déroger aux règles relatives aux modalités de versement de l'aide ; qu'en considérant, pour écarter le moyen tiré de ce que l'aide sociale n'ayant pas été versée à Mme [Y], mais directement à l'hôpital, cette aide ne pouvait donner lieu à récupération, que l'article R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles pose le principe général du versement direct au bénéficiaire de l'aide sociale, mais n'interdit en aucune manière au département de choisir d'autres modalités, en particulier pour les frais de séjour des personnes hébergées dans des établissements adaptés, la cour d'appel, qui a ainsi estimé que le règlement départemental pouvait déroger à une règle, édictée par décret, relative aux modalités de versement de l'aide, a violé les articles L. 121-4 et R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles ;
4°) ALORS QU'en tout état de cause, le règlement départemental d'aide sociale ne peut édicter que des dispositions plus favorables au bénéficiaire de l'aide que celles prévues par les lois et règlement ; que le versement direct de l'aide sociale à l'hôpital, s'il est plus favorable à ce dernier, n'est pas plus favorable au bénéficiaire de l'aide ; qu'en considérant que l'article R. 131-5 pose le principe général du versement direct au bénéficiaire de l'aide sociale, mais n'interdit en aucune manière au département de choisir d'autres modalités, la cour d'appel, qui a ainsi estimé que le règlement pouvait prévoir une règle dérogatoire sans que cette règle soit plus favorable au bénéficiaire de l'aide sociale, a violé les articles L. 121-4 et R. 131-5 du code de l'action sociale et des familles ;
5°) ALORS QUE les ressources de la personne âgée sont affectées au paiement de ses frais d'hébergement dans la limite de 90 % ; que la personne âgée s'acquitte elle-même de sa contribution à l'établissement d'accueil ; qu'en considérant, pour condamner M. [Y] à rembourser l'intégralité des sommes versés par le département à l'hôpital, que Mme [Y] aurait dû verser « au département », au titre de la participation à ses frais d'hébergement et d'entretien, une somme représentant 90 % de ses ressources, la cour d'appel a violé les articles L. 132-3, R. 132-2, R. 314-158 et R. 314-159 du code de l'action sociale et des familles ;
6°) ALORS QUE seul le conseil départemental, dans le cadre de l'édiction du règlement départemental d'aide sociale, peut, en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements ; que l'exécutif du département ne peut pas décider, ponctuellement, de payer, en plus de l'aide sociale octroyée, la part correspondant à la contribution de la personne âgée à ses frais d'hébergement ; que, comme le faisait valoir M. [Y] (requête d'appel, p. 14), le règlement départemental d'aide sociale de [Localité 5] prévoyait que l'aide sociale à l'hébergement n'avait vocation à prendre en charge que les dépenses d'hébergement « non couvertes par la participation de la personne âgée » ; qu'en considérant, pour condamner M. [Y] à rembourser l'intégralité des sommes versées par le département à l'hôpital, que la prise en charge, par le département, de la participation de Mme [Y] était rendue possible en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, la cour d'appel a violé cet article, ainsi que l'article 1er de la fiche 16 du règlement départemental d'aide sociale de [Localité 5] ;
7°) ALORS QU'en tout état de cause, le département assure la charge financière des décisions, prises sur le fondement de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles, accordant au bénéficiaire de l'aide sociale des montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements ; que la cour d'appel a relevé que la prise en charge, par le département, de la part correspondant à la contribution de Mme [Y] à ses frais d'hébergement était possible en application de l'article L. 121-4 du code de l'action sociale ; qu'en considérant que M. [Y] devait rembourser l'intégralité des sommes versées par la département à l'hôpital, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résultait que la charge financière de la décision de payer la part de Mme [Y] devait être assurée par le département et que le paiement de cette part ne pouvait donc donner lieu à récupération, violant ainsi l'article L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles. | Il résulte des articles L. 121-3 et L. 121-4 du code de l'action sociale et des familles que le conseil départemental adopte un règlement départemental d'aide sociale définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d'aide sociale relevant du département, qu'il peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l'article L. 121-1 et que, dans ce cas, le département assure la charge financière de ces décisions.
L'article L. 121-4 susvisé n'interdit pas au conseil départemental d'organiser dans le règlement départemental d'aide sociale des modalités particulières de versement de l'aide sociale destinées à en assurer l'effectivité telles que son versement direct à l'établissement d'accueil de la personne âgée.
Fait une exacte application de ces dispositions et des articles L. 132-3 à L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, la cour d'appel qui, constatant que conformément aux dispositions du règlement départemental d'aide sociale applicable en la cause, le département a versé à l'établissement d'accueil la totalité des frais de séjour de la bénéficiaire d'une aide sociale partielle, sans déduction de la participation mise à sa charge, décide que le département, ayant agi dans l'intérêt exclusif et pour le compte de la bénéficiaire, dans l'incapacité de s'acquitter elle-même de sa contribution volontaire, est en droit d'en réclamer le remboursement à sa succession, conformément au droit commun des obligations, en même temps qu'il exerce, en application de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, l'action en récupération de l'aide sociale accordée |
8,012 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 808 F-B
Pourvoi n° R 20-18.471
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
La Société [5], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 20-18.471 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2020 par la cour d'appel de Nîmes (chambre sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Languedoc-Roussillon, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société [5], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Languedoc-Roussillon, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 juin 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2011 à 2013, l'URSSAF de Languedoc-Roussillon (l'URSSAF) a adressé à la Société [5] (la société) une lettre d'observations comportant plusieurs chefs de redressement, suivie d'une mise en demeure.
2. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que tout « contrôle » de l'organisme de recouvrement doit être réalisé dans le respect des garanties de procédure contradictoire offertes au cotisant en vertu de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale ; que les inspecteurs de l'URSSAF sont en mesure de solliciter de la part de l'entreprise contrôlée les documents utiles au contrôle et d'interroger les personnes rémunérées par cette dernière ; qu'est en revanche entaché de nullité le contrôle au cours duquel les inspecteurs ont sollicité et obtenu la production de pièces détenues, non par la personne objet du redressement ou par ses salariés, mais par des personnes tierces - peu important qu'elles interviennent au sein d'un même groupe - sans avoir sollicité préalablement ces pièces auprès de la personne contrôlée et sans les lui avoir communiquées ; qu'en l'espèce la société s'est prévalue de la nullité du chef de redressement « acomptes, avances, frais non récupérés » en ce qu'il repose sur le recueil par les inspecteurs de l'URSSAF du témoignage d'une personne tierce à la société, monsieur [I], responsable du service comptable de la société [8] ; qu'en écartant ce moyen et en validant le chef de redressement en cause tout en constatant qu' « il est incontestable que les inspecteurs de l'URSSAF se sont entretenus avec M. [I] alors que conformément aux dispositions de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale qui sont d'application stricte, ils ne peuvent procéder qu'à l'audition de personnes salariées de l'entreprise contrôlée », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 243-7 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 243-7 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige :
5. Il résulte du second de ces textes, dont les dispositions sont d'interprétation stricte, que les agents de contrôle ne peuvent recueillir des informations qu'auprès de la personne contrôlée et des personnes rémunérées par celle-ci.
6. Pour valider le chef de redressement « acomptes, avances, prêts non récupérés », l'arrêt retient que s'il est incontestable que les inspecteurs de l'URSSAF se sont entretenus avec le responsable de la société [8] alors que, conformément aux dispositions de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale qui sont d'application stricte, ils ne peuvent procéder qu'à l'audition de personnes salariées de l'entreprise contrôlée, il n'en demeure pas moins que le redressement résulte de l'analyse par les inspecteurs des documents remis directement par la société, que ce tiers n'a pas été le seul interlocuteur des inspecteurs qui, préalablement à cette audition, avaient interrogé les personnes « mandatées » par la société, lesquelles leur avaient apporté des réponses sauf sur ce chef de redressement et que l'audition litigieuse n'avait eu aucune incidence sur le respect du principe du contradictoire, dans la mesure où le tiers, mis en relation à l'initiative de la société avec les inspecteurs, ne leur avait apporté aucun élément significatif de nature à modifier leur position sur le chef de redressement.
7. En statuant ainsi, alors que les renseignements n'avaient pas été demandés auprès de la société contrôlée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne l'URSSAF de Languedoc-Roussillon aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'URSSAF de Languedoc-Roussillon et la condamne à payer à la Société [5] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Société [5] ([7])
PREMIER MOYEN DE CASSATION
(régularité de la procédure de contrôle)
La Société [7] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR déclarée mal fondée en son recours et de l'en AVOIR déboutée, et de l'AVOIR condamnée à payer à l'URSSAF de Languedoc-Roussillon la somme de 14.454 € en deniers ou quittances, outre les majorations de retard complémentaire, ainsi qu'au paiement de la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de Procédure Civile et d'AVOIR rejeté ses demandes plus amples ou contraires ;
ALORS QUE selon l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2013-1107 du 3 décembre 2013, la lettre d'observations que l'organisme de recouvrement doit envoyer à l'issue d'un contrôle exercé en application de l'article L. 243-7, doit être adressée exclusivement à la personne qui est tenue, en sa qualité d'employeur, aux obligations afférentes au paiement des cotisations et contributions qui ont fait l'objet du contrôle ; qu'en l'espèce la Société [7] s'est prévalue de la nullité de la procédure de contrôle et de redressement motif pris de ce que la lettre d'observations du 16 octobre 2014 ne lui avait pas été notifiée à l'adresse de son siège social, mais à l'un de ses établissements secondaires (l'établissement [Adresse 4]), établissement qui ne disposait pas de la qualité d'employeur tenu aux obligations afférentes au paiement des cotisations et contributions qui ont fait l'objet du contrôle ; qu'au soutien de ce moyen la société a fait valoir que la lettre d'observations mentionnait avoir été adressée « [Adresse 6], ce qui constitue l'adresse de l'établissement [Adresse 4] et non du siège social de la société [7] ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que « l'URSSAF a adressé une lettre d'observations datée du 16 octobre 2014 par lettre recommandée avec accusé de réception, revenu signé, à l'adresse suivante : « SAS Société [5] ; En la personne de son représentant légal ; [Adresse 6] ; [Adresse 9] ; [Localité 2] » (arrêt p. 11 § 3) ; que pour valider néanmoins le redressement, la cour d'appel a retenu qu'en dépit de la mention d'une adresse erronée sur la lettre d'observations - la « [Adresse 6] » - la régularité de l'envoi n'était pas viciée « dès lors que l'identité de la société est correcte et qu'il n'existe aucune confusion possible sur le destinataire » (arrêt p. 11 § 4) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations desquelles il ressort que la lettre d'observations n'a pas été envoyée à l'adresse postale du siège social de la Société [7], a violé l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale pris en sa version applicable au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
(Chef de redressement « acomptes, avances, frais non récupérés »)
La Société [7] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR déclarée mal fondée en son recours et de l'en AVOIR déboutée, et de l'AVOIR condamné à payer à l'URSSAF de Languedoc-Roussillon la somme de 14.454 € en deniers ou quittances, outre les majorations de retard complémentaire, ainsi qu'au paiement de la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de Procédure Civile et d'AVOIR rejeté ses demandes plus amples ou contraires ;
1/ ALORS QUE tout « contrôle » de l'organisme de recouvrement doit être réalisé dans le respect des garanties de procédure contradictoire offertes au cotisant en vertu de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale ; que les inspecteurs de l'URSSAF sont en mesure de solliciter de la part de l'entreprise contrôlée les documents utiles au contrôle et d'interroger les personnes rémunérées par cette dernière ; qu'est en revanche entaché de nullité le contrôle au cours duquel les inspecteurs ont sollicité et obtenu la production de pièces détenues, non par la personne objet du redressement ou par ses salariés, mais par des personnes tierces - peu important qu'elles interviennent au sein d'un même groupe - sans avoir sollicité préalablement ces pièces auprès de la personne contrôlée et sans les lui avoir communiquées ; qu'en l'espèce la Société [7] s'est prévalue de la nullité du chef de redressement « acomptes, avances, frais non récupérés » en ce qu'il repose sur le recueil par les inspecteurs de l'URSSAF du témoignage d'une personne tierce à la société, monsieur [I], responsable du service comptable de la société [8] ; qu'en écartant ce moyen et en validant le chef de redressement en cause tout en constatant qu' « il est incontestable que les inspecteurs de l'URSSAF se sont entretenus avec M [I] alors que conformément aux dispositions de l'article R243-59 du code de la sécurité sociale qui sont d'application stricte, ils ne peuvent procéder qu'à l'audition de personnes salariées de l'entreprise contrôlée » (arrêt p. 17 § 2), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L.243-7 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale ;
2/ ALORS QU'est entaché de nullité le contrôle au cours duquel les inspecteurs ont sollicité et obtenu la production de pièces détenues, non par la personne objet du redressement ou par ses salariés, mais par des personnes tierces - peu important qu'elles interviennent au sein d'un même groupe - sans avoir sollicité préalablement ces pièces auprès de la personne contrôlée, et sans les lui avoir communiquées ; que pour valider le chef de redressement « acomptes, avances, frais non récupérés » en dépit de l'audition irrégulière d'une personne tierce à la Société [7], la cour d'appel a retenu, d'une part, que le redressement résultait également de l'analyse par les inspecteurs de documents remis par la société ainsi que de l'audition d'autres personnes « mandatées » par la Société et, d'autre part, que le responsable du service comptable de la société [8] auditionné par l'URSSAF (monsieur [I]) n'avait pas apporté d'éléments significatifs de nature à modifier la position des inspecteurs (arrêt p. 17 § 3) ; qu'en statuant ainsi, par des motifs insusceptibles de régulariser la procédure affectée d'un vice substantiel en ce qu'elle repose pour partie sur l'audition illégale d'une personne tierce à l'entreprise, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L.243-7 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale ;
3/ ALORS QU'en se fondant, pour valider la procédure en dépit de l'audition par les inspecteurs d'une personne tierce, sur le motif impropre selon lequel le responsable du service comptable de la société [8] interrogé par les inspecteurs de l'URSSAF leur avait été présenté par la société [7], cependant que cette circonstance n'autorisait pas les inspecteurs de l'URSSAF de solliciter directement auprès d'un tiers des documents et informations qui n'avaient pas été directement demandés à la personne contrôlée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L.243-7 et R. 243-59 du code de la sécurité sociale. | Il résulte de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, dont les dispositions sont d'interprétation stricte, que les agents de contrôle ne peuvent recueillir des informations qu'auprès de la personne contrôlée et des personnes rémunérées par celle-ci. Viole les articles L. 243-7 et R. 243-59 de ce code, dans leur rédaction applicable au litige, la cour d'appel qui ne tire pas les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait que les renseignements n'avaient pas été demandés auprès de la société contrôlée |
8,013 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 825 F-B
Pourvoi n° H 21-11.866
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
Mme [W] [M], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-11.866 contre l'arrêt rendu le 15 mai 2020 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre sociale), dans le litige l'opposant à la caisse de mutualité sociale agricole du Languedoc, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [M], et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 15 mai 2020), à la suite de la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de l'Hérault, qui a reconnu à l'un de ses parents un taux d'incapacité permanente supérieur ou égal à 80 % avec nécessité d'une assistance ou d'une présence permanente à domicile, Mme [M] a sollicité auprès de la caisse de mutualité sociale agricole du Languedoc (la caisse) le bénéfice de l'affiliation gratuite à l'assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale, à compter du 1er mai 2011, en sa qualité d'aidant familial.
2. Sa demande ayant été rejetée au motif qu'elle ne vivait pas au domicile de son parent, Mme [M] a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [M] fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'affiliation gratuite à l'assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale, alors « que selon les articles L. 381-1, R. 381-1 et D. 381-3 du code de la sécurité sociale, est affiliée obligatoirement à l'assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale la personne qui assume, au foyer familial, la charge d'un handicapé adulte dont l'incapacité permanente est au moins égale à 80 % et dont la nécessité pour elle de bénéficier à domicile de l'assistance ou de la présence de l'aidant familial a été reconnue par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ; que la notion de « foyer familial » impose seulement que la prise en charge, par la personne aidante, de l'adulte handicapé soit effectuée au domicile de ce dernier ; que l'affiliation gratuite à l'assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale de la personne aidante a pour objet de compenser l'absence de possibilité, pour cette personne, d'exercer un travail ; que le fait que la personne aidante ne soit pas domiciliée chez l'adulte handicapé est indifférent et ne peut permettre à la caisse de refuser de faire droit à la demande d'affiliation dès lors que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a accordé à l'adulte handicapé un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80 %, a émis un avis favorable à l'affiliation de l'aidant au régime d'assurance vieillesse et que la réalité de l'aide apportée par la personne sollicitant l'affiliation n'est pas contestée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées avait accordé, le 19 octobre 2011, un taux d'incapacité à M. [V] [M] supérieur à 80 % avec nécessité d'une assistance à domicile et a émis un avis favorable pour affiliation de Mme [W] [M] à l'assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale ; que la réalité de l'aide apportée par Mme [W] [M] à M. [V] [M] n'était pas contestée ; que pour rejeter la demande d'affiliation de Mme [M], la cour d'appel a énoncé que « si l'assistance ou la présence de l'aidant familial n'est plus nécessairement permanente, il n'en reste pas moins qu'au regard de la condition de foyer familial prévue à l'article L. 381-1 du code de la sécurité sociale, Mme [W] [M] ne peut être considérée comme assumant au foyer familial la charge de Mme [J] [M] [en réalité [V] [M]] puisqu'[ils] ne partagent pas le même foyer, Mme [W] [M], quelle que soit son implication dans la lourde et méritoire tâche consistant à s'occuper de son parent handicapé reconnaissant (
) la permanence, en ce qui la concerne, d'un foyer distinct » ; qu'en statuant ainsi, tandis que le code de la sécurité sociale n'impose pas que l'aidant vive au domicile de la personne aidée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, violant l'article L. 381-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige issu de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, l'article R. 381-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige issue du décret n° 2011-1278 du 11 octobre 2011, et l'article D. 381-3 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 381-1, alinéa 6, 2°, du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, applicable au litige :
4. Selon ce texte, est affilié obligatoirement à l'assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale, pour autant que ses ressources ou celles du ménage ne dépassent pas le plafond du complément familial et qu'elle n'exerce aucune activité professionnelle ou seulement une activité à temps partiel, la personne et, pour un couple, l'un ou l'autre de ses membres, assumant, au foyer familial, la charge d'une personne adulte handicapée dont la commission prévue à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles reconnaît que l'état nécessite une assistance ou une présence définies dans des conditions fixées par décret et dont le taux d'incapacité permanente est au moins égal à 80 %, dès lors que ladite personne handicapée est son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son ascendant, descendant ou collatéral ou l'ascendant, descendant ou collatéral d'un des membres du couple.
5. Ce texte n'impose pas que l'aidant familial réside au sein du même foyer que la personne dont il assume la charge effective.
6. Pour rejeter le recours, l'arrêt retient essentiellement que Mme [M] ne peut être considérée comme assumant au foyer familial la charge de son parent puisqu'ils ne partagent pas le même foyer.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté une condition à la loi, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la caisse de mutualité sociale agricole du Languedoc aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour Mme [M]
Mme [M] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement du 27 mai 2019 du pôle social du tribunal de grande instance de Montpellier en ce qu'il a dit sa contestation mal fondée et a confirmé la décision de refus de la CMSA du Languedoc rejetant sa demande d'affiliation gratuite à l'assurance vieillesse ;
ALORS QUE selon les articles L. 381-1, R. 381-1 et D. 381-3 du code de la sécurité sociale, est affiliée obligatoirement à l'assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale la personne qui assume, au foyer familial, la charge d'un handicapé adulte dont l'incapacité permanente est au moins égale à 80% et dont la nécessité pour elle de bénéficier à domicile de l'assistance ou de la présence de l'aidant familial a été reconnue par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ; que la notion de « foyer familial » impose seulement que la prise en charge, par la personne aidante, de l'adulte handicapé soit effectuée au domicile de ce dernier ; que l'affiliation gratuite à l'assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale de la personne aidante a pour objet de compenser l'absence de possibilité, pour cette personne, d'exercer un travail ; que le fait que la personne aidante ne soit pas domiciliée chez l'adulte handicapé est indifférent et ne peut permettre à la caisse de refuser de faire droit à la demande d'affiliation dès lors que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a accordé à l'adulte handicapé un taux d'incapacité supérieur ou égal à 80%, a émis un avis favorable à l'affiliation de l'aidant au régime d'assurance vieillesse et que la réalité de l'aide apportée par la personne sollicitant l'affiliation n'est pas contestée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées avait accordé, le 19 octobre 2011, un taux d'incapacité à M. [V] [M] supérieur à 80% avec nécessité d'une assistance à domicile et a émis un avis favorable pour affiliation de Mme [W] [M] à l'assurance vieillesse du régime général de la sécurité sociale (arrêt, p. 2 et jugement, p. 2) ; que la réalité de l'aide apportée par Mme [W] [M] à M. [V] [M] n'était pas contestée ; que pour rejeter la demande d'affiliation de Mme [M], la cour d'appel a énoncé que « si l'assistance ou la présence de l'aidant familial n'est plus nécessairement permanente, il n'en reste pas moins qu'au regard de la condition de foyer familial prévue à l'article L. 381-1 du code de la sécurité sociale, Mme [W] [M] ne peut être considérée comme assumant au foyer familial la charge de Mme [J] [M] [en réalité [V] [M]] puisqu'[ils] ne partagent pas le même foyer, Mme [W] [M], quelle que soit son implication dans la lourde et méritoire tâche consistant à s'occuper de son parent handicapé reconnaissant (
) la permanence, en ce qui la concerne, d'un foyer distinct » (arrêt, p. 3 ; v. également jugement, p. 3) ; qu'en statuant ainsi, tandis que le code de la sécurité sociale n'impose pas que l'aidant vive au domicile de la personne aidée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, violant l'article L. 381-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige issu de la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010, l'article R. 381-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige issue du décret n°2011-1278 du 11 octobre 2011, et l'article D. 381-3 du code de la sécurité sociale. | Selon l'article L. 381-1, alinéa 6, 2°, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, est affilié obligatoirement à l'assurance vieillesse du régime général de sécurité sociale, pour autant que ses ressources ou celles du ménage ne dépassent pas le plafond du complément familial et qu'elle n'exerce aucune activité professionnelle ou seulement une activité à temps partiel, la personne assumant, au foyer familial, la charge d'une personne adulte handicapée dont la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées reconnaît que l'état nécessite une assistance ou une présence et dont le taux d'incapacité permanente est au moins égal à 80 %.
Ce texte n'impose pas que l'aidant familial réside au sein du même foyer que la personne dont il assume la charge effective |
8,014 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 826 F-B
Pourvoi n° S 21-10.449
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
Mme [F] [M], épouse [U], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 21-10.449 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (9e chambre sécurité sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG), dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société [5] ([5]), société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], prise en son établissement [5] direction commerce Ouest, [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [M], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société [5], et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 18 novembre 2020), et les productions, Mme [M] (la victime), employée par la société [5] (l'employeur) depuis le mois de novembre 2009, a, le 17 décembre 2013, établi une déclaration de maladie professionnelle. Le 12 août 2014, la caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique (la CPAM) a notifié aux parties la prise en charge de cette maladie au titre de la législation professionnelle.
2. L'employeur a saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins d'inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle. La victime a saisi cette même juridiction d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.
3. Les deux instances ont été jointes après mise en cause de la Caisse nationale des industries électriques et gazières (la CNIEG).
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La victime fait grief à l'arrêt de déclarer son appel irrecevable, alors « que si le régime général de la sécurité sociale a en charge les prestations en nature des affiliés à la CNIEG, en revanche les majorations de rente et les indemnités allouées aux victimes d'une faute inexcusable de l'employeur sont à la charge du régime spécial des industries électriques et gazières ; qu'en déclarant irrecevable l'appel formé par la victime dans l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable l'opposant à son employeur, faute pour elle d'avoir mis en cause la CPAM devant la cour d'appel, cependant que seule la mise en cause de la CNIEG était nécessaire, la cour d'appel a violé l'article L. 452-4, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 16 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 et l'article 1er du décret n° 2004-1354 du 10 décembre 2004. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 452-4, alinéa 1, du code de la sécurité sociale, 16, I, de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 et 1er, I, 1° et 3°, du décret n° 2004-1354 du 10 décembre 2004 :
5. Selon le premier de ces textes, en cas d'action en reconnaissance de la faute inexcusable d'un employeur, la caisse de sécurité sociale doit être appelée en déclaration de jugement commun par la victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle.
6. Selon les deux derniers, la CNIEG est chargée d'assurer, à compter du 1er janvier 2005, le fonctionnement du régime des accidents du travail et maladies professionnelles des industries électriques et gazières et de verser aux salariés concernés les prestations en espèces correspondantes.
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que la CNIEG étant chargée d'assurer aux bénéficiaires du régime spécial le paiement des conséquences financières de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la victime de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle, affiliée à ce régime, n'est pas tenue d'appeler la CPAM en déclaration de jugement commun en cas d'action tendant à cette fin.
8. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt énonce que les caisses du régime général restent compétentes pour ce qui a trait à la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, et à la prise en charge des prestations en nature liées à l'accident ou à la maladie. Il en déduit que la CPAM reste concernée par la discussion sur le caractère professionnel de la pathologie déclarée par la victime et sur la faute inexcusable de l'employeur, de sorte que l'appel de la victime est irrecevable à défaut d'avoir été interjeté à l'encontre de la CPAM.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Condamne la société [5] et la Caisse nationale des industries électriques et gazières aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [5] et la condamne à payer à Mme [M], épouse [U], la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme [M], épouse [U]
Mme [U] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré son appel irrecevable ;
1°) ALORS QUE si le régime général de la sécurité sociale a en charge les prestations en nature des affiliés à la CNIEG, en revanche les majorations de rente et les indemnités allouées aux victimes d'une faute inexcusable de l'employeur sont à la charge du régime spécial des industries électriques et gazières ; qu'en déclarant irrecevable l'appel formé par Mme [U] dans l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable l'opposant à son employeur, faute pour elle d'avoir mis en cause la CPAM devant la cour d'appel, cependant que seule la mise en cause de la CNIEG était nécessaire, la cour d'appel a violé l'article L. 452-4 al. 1er du code de la sécurité sociale, ensemble l'article 16 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 et l'article 1er du décret n° 2004-1354 du 10 décembre 2004 ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la méconnaissance par la victime des dispositions de l'article L. 452-4 al. 1er du code de la sécurité sociale, lui imposant d'appeler la caisse en déclaration de jugement commun, n'est sanctionnée que par la nullité du jugement sur le fond ; qu'en déclarant irrecevable l'appel formé par Mme [U] dans l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable l'opposant à son employeur, faute pour elle d'avoir mis en cause la CPAM devant la cour d'appel, cependant que cette carence ne pouvait être sanctionnée que par la nullité du jugement, la cour d'appel a violé l'article L. 455-2 du code de la sécurité sociale ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, la méconnaissance par la victime des dispositions de l'article L. 452-4 al. 1er du code de la sécurité sociale ne peut être invoquée que par le ministère public, les caisses de sécurité sociale intéressées ou le tiers responsable, lorsque ces derniers y ont intérêt ; qu'en déclarant irrecevable l'appel formé par Mme [U] dans l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable l'opposant à son employeur, faute pour elle d'avoir mis en cause la CPAM devant la cour d'appel, cependant que la société [5] était sans qualité et sans intérêt à invoquer la méconnaissance par Mme [U] des dispositions de l'article L. 452-4 al. 1er du code de la sécurité sociale, la cour d'appel a violé l'article L. 455-2 du code de la sécurité sociale. | Il résulte de la combinaison des articles L. 452-4, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale, 16, I, de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 et 1er, I, 1° et 3°, du décret n° 2004-1354 du 10 décembre 2004 que la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) étant chargée d'assurer aux bénéficiaires du régime spécial le paiement des conséquences financières de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, un salarié de la société EDF affilié à ce régime, victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, n'est pas tenu d'appeler la caisse primaire d'assurance maladie en déclaration de jugement commun en cas d'action tendant à cette fin |
8,015 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 832 F-B
Pourvoi n° M 20-21.365
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Ardennes, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 20-21.365 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à Mme [R] [P], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 8 septembre 2020), à la suite d'un contrôle de l'application des règles de tarification et de facturation des actes professionnels, la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes (la caisse) a notifié, le 25 avril 2016, à Mme [P], infirmière libérale (la professionnelle de santé), un indu d'un certain montant pour la période du 22 avril 2013 au 31 décembre 2015.
2. La professionnelle de santé a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, et le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches
Enoncé des moyens
3. La caisse fait grief à l'arrêt de dire irrégulier le contrôle de l'activité de la professionnelle de santé et de rejeter sa demande en remboursement de l'indu, alors :
« 1°/ que le juge tranche le litige conformé ment aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en estimant que l'agent de la caisse ayant opéré le contrôle n'était pas régulièrement habilité pour utiliser le système informationnel de l'assurance maladie (SIAM), sans préciser sur quelles règles de droit ils se fondaient, les juges du fond ont violé l'article 12 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en tranchant le litige au regard de la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 qui, pour valoir simplement avis sur un projet de décision présenté par le directeur de la CNAM, est dépourvue de toute valeur réglementaire, les juges du fond ont violé l'article 12 du code de procédure civile ;
1°/ que nulle disposition du décret n° 2015-389 du 3 avril 2015, lequel fixe les obligations pesant sur les organismes de sécurité lorsqu'ils mettent en uvre un traitement automatisé de données en matière de lutte contre les fautes, abus et fraudes, ne prévoit l'envoi d'une demande d'avis allégé à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ; qu'en estimant que la caisse était tenue d'une telle obligation, les juges du fond ont violé les articles 1er à 6 du décret n°2015-389 du 3 avril 2015 ;
2°/ que nulle disposition du décret n°2015-389 du 3 avril 2015, lequel fixe les obligations pesant sur les organismes de sécurité lorsqu'ils mettent en uvre un traitement automatisé de données en matière de lutte contre les fautes, abus et fraudes, ne prévoit l'enregistrement des critères et raisonnements sur lesquels le contrôle est fondé ; qu'en estimant que la caisse était tenue d'une telle obligation, les juges du fond ont violé les articles 1er à 6 du décret n° 2015-389 du 3 avril 2015 ;
4°/ qu'ont accès aux données à caractère non médical d'un traitement automatisé les agents individuellement habilités par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent ; qu'en retenant que l'agent de la caisse ayant procédé au contrôle n'était pas régulièrement habilitée à utiliser le logiciel SIAM, s'agissant des données à caractère non médical recueillies dans le cadre du contrôle concernant la professionnelle de santé, après avoir pourtant constaté que l'habilitation produite était revêtue de la signature du directeur de la Caisse, les juges du fond ont violé l'article 3 du décret n° 2015-389 du 3 avril 2015. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 12 du code de procédure civile, L. 161-29, R. 161-31 et R. 161-32 du code de la sécurité sociale, 1er et 3 du décret n°2015-389 du 3 avril 2015 :
4. Aux termes du premier de ces textes, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.
5. Selon le deuxième, dans l'intérêt de la santé publique et en vue de contribuer à la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, les professionnels et les organismes ou établissements dispensant des actes ou prestations remboursables par l'assurance maladie à des assurés sociaux ou à leurs ayants droit communiquent aux organismes d'assurance maladie concernés le numéro de code des actes effectués, des prestations servies à ces assurés sociaux ou à leurs ayants droit, y compris lorsque ces prestations sont établies à partir des données mentionnées aux articles L. 6113-7 et L. 6113-8 du code de la santé publique, et des pathologies diagnostiquées. Pour assurer l'exécution de leur mission, les caisses nationales mettent en oeuvre un traitement automatisé des données mentionnées à l'alinéa précédent. Sous réserve des dispositions de l'alinéa suivant, le personnel des organismes d'assurance maladie a connaissance, dans le cadre de ses fonctions et pour la durée nécessaire à leur accomplissement, des numéros de code des pathologies diagnostiquées, des actes effectués et des prestations servies au bénéfice d'une personne déterminée, y compris lorsque ces prestations sont établies à partir des données mentionnées aux articles L. 6113-7 et L. 6113-8 du code de la santé publique, tels qu'ils figurent sur le support utilisé pour la transmission prévue au premier alinéa ou dans les données issues du traitement susmentionné. Seuls les praticiens-conseils et les personnels placés sous leur autorité ont accès aux données nominatives issues du traitement susvisé, lorsqu'elles sont associées au numéro de code d'une pathologie diagnostiquée.
6. Le troisième précise que des dispositions légales et réglementaires autorisent ou imposent un traitement automatisé des données relatives aux actes effectués, aux prestations servies et aux pathologies diagnostiquées, ainsi que la transmission aux praticiens-conseils et aux personnels des organismes d'assurance maladie de celles de ces données qu'ils sont, respectivement, habilités à connaître dans des conditions et limites définies par l'article L. 161-29. Les assurés sociaux exercent leur droit d'accès aux informations les concernant, dans les conditions prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, auprès de l'organisme d'assurance maladie auquel ils sont affiliés.
7. Aux termes du quatrième, les organismes chargés de la gestion d'un régime obligatoire d'assurance maladie sont tenus de prendre toutes les dispositions nécessaires aux fins de préserver, notamment dans le cadre du traitement mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 161-29, la confidentialité des données transmises et traitées aux termes de cet article, et en particulier pour limiter aux seuls personnels habilités l'accès direct aux données médicales relatives aux assurés ou à leurs ayants droit. A cette fin, les directeurs des organismes mentionnés à l'alinéa précédent veillent au respect des dispositions de l'acte autorisant le traitement automatisé, ainsi que des règles limitant l'accès direct aux données médicales des personnels placés sous leur autorité. Les praticiens-conseils veillent au respect des mêmes règles par les personnels placés sous leur autorité.
8. Selon l'article 1er du décret n° 2015-389 du 3 avril 2015, pour l'application des dispositions du chapitre IV ter du titre I et du livre I et de la première partie du code de la sécurité sociale relatives au contrôle et à la lutte contre la fraude ainsi que des articles L. 224-14 et L. 315-1 du code de la sécurité sociale et des articles L. 723-2 et L. 723-11 du code rural et de la pêche maritime, les organismes gestionnaires des régimes obligatoires de base de l'assurance maladie sont autorisés à mettre en uvre des traitements de données à caractère personnel dont la finalité est la lutte contre la fraude interne et les fautes, abus et fraudes des assurés (...), professionnels et établissements de santé (...), ou toute autre personne physique ou morale autorisée à réaliser des actes de prévention, de diagnostic et de soins, à réaliser une prestation de service ou des analyses de biologie médicale ou à délivrer des produits ou dispositifs médicaux, et à cet effet :
1° Effectuer les opérations nécessaires au calcul des indus et des sanctions et à suivre et analyser des situations administratives, des prestations versées, des soins produits et des biens délivrés ;
2° Elaborer une typologie des risques de fautes, abus et fraudes permettant de mieux cibler les dossiers à contrôler ;(...)
7° Suivre les signalements de suspicions de fautes, abus et fraudes afin de diligenter les contrôles, mener les investigations et, le cas échéant, d'engager des actions contentieuses ou des mesures d'accompagnement ;
8° Suivre les actions contentieuses et les actions de prévention et de lutte contre les fautes, abus et fraudes (...).
9. Selon l'article 3, I et II, du même décret, ont accès aux données des traitements mentionnés à l'article 1er pour leur enregistrement et leur gestion et à raison de leurs attributions respectives et dans la limite du besoin d'en connaître les agents intervenant dans la prise en charge des assurés, individuellement habilités par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent. Sont destinataires des données des traitements mentionnés à l'article 1er strictement nécessaires à l'exercice de leurs missions et dans la limite du besoin d'en connaître, notamment les agents de l'Etat ou des organismes de protection sociale mentionnés à l'article L. 114-16-3 du code de sécurité sociale.
10. Il résulte de la combinaison ces textes, dont la finalité est la lutte contre les fautes, abus et fraudes des professionnels de santé notamment, d'une part, qu'ont accès aux systèmes de traitements de données à caractère personnel, les agents intervenant dans la prise en charge des assurés, individuellement habilités par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent, et, d'autre part, qu'aucune de ces dispositions n'impose à l'organisme chargé du contrôle, lorsqu'il met en uvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dans le cadre d'un contrôle administratif de facturation auprès d'un professionnel de santé, de saisir la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'une demande d'avis allégée prévue par la délibération de cette Commission n° 88-31 du 22 mars 1988, ni de justifier auprès du professionnel de santé contrôlé, de l'enregistrement des critères et raisonnement sur lesquels est fondé ce contrôle.
11. Pour dire que le contrôle mené par la caisse est irrégulier et rejeter la demande en répétition de l'indu formée par celle-ci, l'arrêt relève que n'est pas produite aux débats la délégation du médecin conseil régional autorisant le médecin conseil chef de service à signer l'habilitation de l'agent ayant procédé au contrôle à accéder au système informationnel de l'assurance maladie (SIAM) et à l'utiliser. Il retient, par ailleurs, que la caisse ne démontre pas que les demandes d'avis allégées prévues par la délibération de la CNIL ont été déposées auprès de cette dernière ni qu'elle a procédé à l'enregistrement des critères et raisonnement sur lesquels était fondé le contrôle dont la professionnelle de santé a fait l'objet, de façon à en permettre le contrôle a posteriori.
12. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy, autrement composée ;
Condamne Mme [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne Mme [P] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a, infirmant le jugement, dit le contrôle par la Caisse de l'activité professionnelle de Mme [P] irrégulier et débouté la Caisse de sa demande de répétition de l'indu ;
ALORS QUE, premièrement, le juge tranche le litige conformé-ment aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en estimant que Mme [S] n'était pas régulièrement habilitée pour utiliser le système SIAM, sans préciser sur quelles règles de droit ils se fondaient, les juges du fond ont violé l'article 12 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, deuxièmement, le juge tranche le litige conformé-ment aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en tranchant le litige au regard de la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 qui, pour valoir simplement avis sur un projet de décision présenté par le directeur de la CNAM, est dépourvue de toute valeur réglementaire, les juges du fond ont violé l'article 12 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, troisièmement, le juge tranche le litige conformé-ment aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'à supposer que la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 ait valeur réglementaire, de toute façon, les obligations pesant sur la Caisse, en ce qui concerne la mise en oeuvre d'un traitement automatisé de données en matière de lutte contre les fautes, abus et fraudes, étaient fixées par le décret n°2015-389 du 3 avril 2015, s'agissant d'un contrôle opéré en 2016 ; que faute d'avoir donné application aux dispositions de ce texte, seules applicables, les juges du fond ont violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 1er du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a, infirmant le jugement, dit le contrôle par la Caisse de l'activité professionnelle de Mme [P] irrégulier et débouté la Caisse de sa demande de répétition de l'indu ;
ALORS QUE, premièrement, nulle disposition du décret n°2015-389 du 3 avril 2015, lequel fixe les obligations pesant sur les organismes de sécurité lorsqu'ils mettent en oeuvre un traitement automatisé de données en matière de lutte contre les fautes, abus et fraudes, ne prévoit l'envoi d'une demande d'avis allégé à la CNIL ; qu'en estimant que la Caisse était tenue d'une telle obligation, les juges du fond ont violé les articles 1er à 6 du décret n°2015-389 du 3 avril 2015 ;
ALORS QUE, deuxièmement, nulle disposition du décret n°2015-389 du 3 avril 2015, lequel fixe les obligations pesant sur les organismes de sécurité lorsqu'ils mettent en oeuvre un traitement automatisé de données en matière de lutte contre les fautes, abus et fraudes, ne prévoit l'enregistrement des critères et raisonnements sur lesquels le contrôle est fondé ; qu'en estimant que la Caisse était tenue d'une telle obligation, les juges du fond ont violé les articles 1er à 6 du décret n°2015-389 du 3 avril 2015 ;
ALORS QUE, troisièmement, la règle selon laquelle l'agent de l'organisme usant du système de traitement automatisé des données doit être habilité à cette fin ayant pour seul objet de limiter, pour des raisons de sécurité et de confidentialité, le nombre de personnes au sein de l'organisme susceptibles d'utiliser le système de traitement automatisé de données, sa méconnaissance n'est pas susceptible de causer un grief personnel au professionnel de santé visé par la requête, de sorte qu'il est sans intérêt, ni qualité pour contester la régularité du contrôle en objectant du défaut d'habilitation de l'agent qui l'a opérée ; qu'en admettant que Mme [P] puisse élever une contestation quant à l'habilitation de Mme [S] ayant opéré le contrôle la concernant, les juges du fond ont violé l'article 3 du décret n°2015-389 du 3 avril 2015 ;
ALORS QUE, quatrièmement, ont accès aux données à caractère non médical d'un traitement automatisé les agents individuellement habilités par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent ; qu'en retenant que Mme [S] n'était pas régulièrement habilitée à utiliser le logiciel SIAM, s'agissant des données à caractère non médical recueillies dans le cadre du contrôle concernant Mme [P], après avoir pourtant constaté que l'habilitation produite était revêtue de la signature du directeur de la Caisse, les juges du fond ont violé l'article 3 du décret n°2015-389 du 3 avril 2015 ;
ALORS QUE, cinquièmement, et en plus subsidiairement, n'ont accès aux données à caractère médical que les praticiens conseils et personnels placés sous leur autorité, dans le respect des règles du secret médical et dans la stricte mesure où ces données sont nécessaires à l'exercice des missions qui leur sont confiées ; qu'à supposer que les données recueillies dans le cadre du contrôle concernant Mme [P] aient un caractère médical, de toute façon, en opposant le défaut de production de la délégation du médecin conseil régional au médecin conseil chef de service, sans s'interroger quant au point de savoir si l'habilitation produite ne justifiait pas de ce que Mme [S] était placée sous l'autorité d'un médecin conseil, les juges du fond ont privé leur décision de base légale de l'article 3 du décret n°2015-389 du 3 avril 2015.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
L'arrêt attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a, infirmant le jugement, dit le contrôle par la Caisse de l'activité professionnelle de Mme [P] irrégulier et débouté la Caisse de sa demande de répétition de l'indu ;
ALORS QUE, premièrement, la décision du directeur de la CNAM en date du 27 février 1996, prise suite à la délibération de la CNIL n°96-002 en date du 16 janvier 1996, ayant supprimé l'obligation de saisir la CNIL d'une demande d'avis allégée, prévue antérieurement, lorsque le système SIAM est utilisé pour la mise en oeuvre d'un thème figurant dans le répertoire national, tel que « activité d'un praticien » ; qu'en estimant que la Caisse était tenue d'une telle obligation, les juges du fond ont violé la décision du directeur de la CNAM en date du 27 février 1996, interprétée à la lumière de la délibération de la CNIL n°96-002 du 16 janvier 1996 ;
ALORS QUE, deuxièmement, constitue un enregistrement des critères et raisonnements permettant un contrôle a posteriori le tableau récapitulatif de l'indu que la Caisse établit à partir des données collectées lors du contrôle ; qu'en estimant que la Caisse avait méconnu l'obligation qui lui était faite de procéder à l'enregistrement des critères et raisonnements, sans s'expliquer quant au tableau récapitulatif de l'indu produit par la Caisse, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 5 et 7 de la décision du directeur de la CNAM en date du 22 avril 1988, interprétés à la lumière de la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 ;
ALORS QUE, troisièmement, la règle selon laquelle l'agent de l'organisme usant du système de traitement automatisé des données doit être habilité à cette fin ayant pour seul objet de limiter, pour des raisons de confidentialité, le nombre de personnes au sein de l'organisme susceptibles d'utiliser le système de traitement automatisé de données, sa méconnaissance n'est pas susceptible de causer un grief personnel au professionnel de santé visé par la requête, de sorte qu'il est sans intérêt, ni qualité pour contester la régularité du contrôle en objectant du défaut d'habilitation de l'agent qui l'a opérée ; qu'en admettant que Mme [P] puisse élever une contestation quant à l'habilitation de Mme [S] ayant opéré le contrôle la concernant, les juges du fond ont violé l'article 6 de la décision du directeur de la CNAM en date du 22 avril 1988, interprété à la lumière de la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 ;
ALORS QUE, quatrièmement, sont autorisés à user du système SIAM les agents habilités conjointement par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent et le médecin conseil chef du service du contrôle médical ; qu'en retenant que Mme [S] n'était pas régulièrement habilitée à utiliser le logiciel SIAM, quand ils constataient que l'habilitation produite était revêtue des signatures du directeur de la Caisse et du médecin conseil chef de service, les juges du fond ont violé l'article 6 de la décision du directeur de la CNAM en date du 22 avril 1988, interprété à la lumière de la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 ;
ALORS QUE, cinquièmement, sont autorisés à user du système SIAM les agents habilités conjointement par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent et le médecin conseil chef du service du contrôle médical ; qu'en opposant que la Caisse ne justifiait pas de la délégation du médecin conseil régional au médecin conseil chef de service, quand un tel motif est inopérant dès lors que le médecin conseil chef de service, habilitant un agent à user du système SIAM, exerce un pouvoir propre, les juges du fond ont violé l'article 6 de la décision du directeur de la CNAM en date du 22 avril 1988, interprété à la lumière de la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988.
QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION (très subsidiaire)
L'arrêt attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a, infirmant le jugement, dit le contrôle par la Caisse de l'activité professionnelle de Mme [P] irrégulier et débouté la Caisse de sa demande de répétition de l'indu ;
ALORS QUE, premièrement, la délibération de la CNIL n°96-002 en date du 16 janvier 1996 ayant supprimé l'obligation de saisir la CNIL d'une demande d'avis allégée, prévue antérieurement, lorsque le système SIAM est utilisé pour la mise en oeuvre d'un thème figurant dans le répertoire national, tel que « activité d'un praticien » ; qu'en estimant que la Caisse était tenue d'une telle obligation, les juges du fond ont violé la délibération de la CNIL n°96-002 du 16 janvier 1996 ;
ALORS QUE, deuxièmement, constitue un enregistrement des critères et raisonnements permettant un contrôle a posteriori le tableau récapitulatif de l'indu que la Caisse établit à partir des données collectées lors du contrôle ; qu'en estimant que la Caisse avait méconnu l'obligation qui lui était faite de procéder à l'enregistrement des critères et raisonnements, sans s'expliquer quant au tableau récapitulatif de l'indu produit par la Caisse, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 ;
ALORS QUE, troisièmement, la règle selon laquelle l'agent de l'organisme usant du système de traitement automatisé des données doit être habilité à cette fin ayant pour seul objet de limiter, pour des raisons de confidentialité, le nombre de personnes au sein de l'organisme susceptibles d'utiliser le système de traitement automatisé de données, sa méconnaissance n'est pas susceptible de causer un grief personnel au professionnel de santé visé par la requête, de sorte qu'il est sans intérêt, ni qualité pour contester la régularité du contrôle en objectant du défaut d'habilitation de l'agent qui l'a opérée ; qu'en admettant que Mme [P] puisse élever une contestation quant à l'habilitation de Mme [S] ayant opéré le contrôle la concernant, les juges du fond ont violé la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 ;
ALORS QUE, quatrièmement, sont autorisés à user du système SIAM les agents habilités conjointement par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent et le médecin conseil chef du service du contrôle médical ; qu'en retenant que Mme [S] n'était pas régulièrement habilitée à utiliser le logiciel SIAM, quand ils constataient que l'habilitation produite était revêtue des signatures du directeur de la Caisse et du médecin conseil chef de service, les juges du fond ont violé la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988 ;
ALORS QUE, cinquièmement, sont autorisés à user du système SIAM les agents habilités conjointement par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent et le médecin conseil chef du service du contrôle médical ; qu'en opposant que la Caisse ne justifiait pas de la délégation du médecin conseil régional au médecin conseil chef de service, quand un tel motif est inopérant dès lors que le médecin conseil chef de service, habilitant un agent à user du système SIAM, exerce un pouvoir propre, les juges du fond ont violé la délibération de la CNIL n°88-31 du 22 mars 1988. | Il résulte de la combinaison des articles L. 161-29, R. 161-31 et R. 161-32 du code de la sécurité sociale, 1er et 3 du décret n° 2015-389 du 3 avril 2015, dont la finalité est la lutte contre les fautes, abus et fraudes des professionnels de santé, notamment, d'une part, qu'ont accès aux systèmes de traitements de données à caractère personnel, les agents intervenant dans la prise en charge des assurés, individuellement habilités par le directeur de l'organisme d'assurance maladie auquel ils appartiennent, et, d'autre part, qu'il n'est pas exigé de l'organisme chargé du contrôle, lorsqu'il met en oeuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dans le cadre d'un contrôle administratif de facturation auprès d'un professionnel de santé, qu'il saisisse la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'une demande d'avis allégée prévue par la délibération de cette Commission n° 88-31 du 22 mars 1988, ni qu'il justifie auprès du professionnel de santé contrôlé, de l'enregistrement des critères et raisonnement sur lesquels est fondé ce contrôle |
8,016 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 juillet 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 834 F-B
Pourvoi n° S 21-11.484
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [H].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 20 janvier 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 JUILLET 2022
M. [D] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-11.484 contre l'arrêt rendu le 14 avril 2020 par la cour d'appel de Lyon (chambre de la protection sociale), dans le litige l'opposant à la caisse d'allocations familiales de la Loire, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Labaune, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de M. [H], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse d'allocations familiales de la Loire, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Labaune, conseiller référendaire rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 avril 2020), à la suite d'un contrôle diligenté le 23 novembre 2015, la caisse d'allocations familiales de la Loire (la caisse) a notifié le 30 mai 2016 à M. [H] (l'allocataire) un indu de prestations sociales, notamment au titre de l'allocation de logement à caractère social pour la période du 1er juin 2014 au 30 avril 2016.
2. L'allocataire a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. L'allocataire fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que l'organisme ayant usé du droit de communication en application de l'article L. 114-19 de code de la sécurité sociale est tenu d'informer la personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision ; que cette obligation d'information doit être spontanément exécutée par l'organisme concerné ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que l'allocataire aurait été informé de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels la caisse d'allocations familiales s'est fondée pour prendre sa décision, qu'il ressortirait du rapport d'enquête que l'allocataire aurait reçu une information orale préalable à l'exercice du droit de communication, puis une autre information, toujours orale, postérieurement à la réception, par le contrôleur, des informations demandées aux divers organismes sollicités, sans rechercher, notamment dans les courriers en date des 30 mai 2016 et 20 septembre 2016, si la caisse d'allocations familiales établissait avoir exécuté l'obligation de communication qui pesait sur elle, la cour d'appel a violé les articles L. 114-19 et L. 114-21 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 114-19 et L. 114-21 du code de la sécurité sociale :
5. Selon le second de ces textes, l'organisme ayant usé du droit de communication en application du premier est tenu d'informer la personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision.
6. Cette obligation d'information constitue une formalité substantielle dont le non respect entraîne la nullité de la procédure de contrôle. Il doit y être satisfait avec une précision suffisante pour mettre la personne contrôlée en mesure de disposer d'un accès effectif, avant la mise en recouvrement de l'indu, à ces informations et documents.
7. Pour rejeter la demande de l'allocataire tendant à l'annulation de la procédure de contrôle, l'arrêt énonce qu'il ressort du rapport d'enquête établi par l'agent chargé du contrôle que l'allocataire a été informé, lors d'un premier entretien à son domicile, que le contrôleur aurait recours au droit de communication auprès des banques pour obtenir les relevés bancaires qu'il refusait de lui fournir, que lors d'un entretien téléphonique ultérieur, il a été informé qu'il ne pouvait être considéré comme locataire au regard de divers éléments (absence de mouvements bancaires permettant de confirmer le versement d'un loyer, virements réguliers sur le compte du propriétaire ne correspondant pas au montant du loyer mais permettant de retenir une situation de vie commune, existence de divers virements provenant d'un compte en Suisse sur le compte de l'allocataire à la banque postale), et qu'enfin, il a été informé plus globalement de la faculté pour la caisse de mettre en oeuvre le droit de communication prévu aux articles L. 114-9 et suivants du code de la sécurité sociale et de son droit à obtenir la communication des documents obtenus des tiers, et ce oralement lors d'un entretien. Il constate que l'allocataire n'a sollicité la communication d'aucun document obtenu des tiers et retient que celui-ci a été informé de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès des tiers sur lesquels la caisse s'est fondée pour prendre sa décision.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne la caisse d'allocations familiales de la Loire aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse d'allocations familiales de la Loire et la condamne à payer à la SCP Delamarre et Jéhannin la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour M. [H]
M. [H] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamné à verser à la caisse d'allocations familiales de la Loire la somme de 4 403,82 euros au titre d'un indu d'aide au logement à caractère social :
1°) ALORS QUE l'organisme ayant usé du droit de communication en application de l'article L. 114-19 de code de la sécurité sociale est tenu d'informer la personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision ; que cette obligation d'information doit être spontanément exécutée par l'organisme concerné ; qu'en se bornant à retenir, pour dire que M. [H] aurait été informé de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels la caisse d'allocations familiales s'est fondée pour prendre sa décision, qu'il ressortirait du rapport d'enquête que M. [H] aurait reçu une information orale préalable à l'exercice du droit de communication, puis une autre information, toujours orale, postérieurement à la réception, par le contrôleur, des informations demandées aux divers organismes sollicités (arrêt, p. 5), sans rechercher, notamment dans les courriers en date des 30 mai 2016 et 20 septembre 2016, si la caisse d'allocations familiales établissait avoir exécuté l'obligation de communication qui pesait sur elle, la cour d'appel a violé les articles L. 114-19 et L. 114-21 du code de la sécurité sociale ;
2°) ALORS QUE les directeurs des organismes de sécurité sociale confient à des agents chargés du contrôle, assermentés et agréés dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale, le soin de procéder à toutes vérifications ou enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations ; qu'en retenant, pour dire que la caisse d'allocations familiales établirait l'agrément de Mme [T], que la caisse versait la décision d'agrément définitif prise par le directeur général de la Caisse nationale d'allocations familiales en date du 8 mars 2016 à effet du 22 décembre 2015, cependant qu'il ressortait des pièces du dossier que si le rapport d'enquête avait été rendu le 7 avril 2016, le contrôle avait été diligenté le 23 novembre 2015 et le contrôle au domicile de M. [H] s'était déroulé le 19 décembre 2015 (rapport d'enquête, p. 1), ce que la cour elle-même a relevé (arrêt, p. 5, § 1), de sorte que Mme [T] n'était pas agréée, ni à la date de l'entretien au domicile de M. [H], ni, a fortiori, à la date à laquelle le contrôle de la situation de [H] avait été décidé, le 23 novembre 2015, la cour a violé l'article L. 114-10 du code de la sécurité sociale ;
3°) ALORS QUE les ressources et la situation de famille sont prises en compte pour déterminer l'éligibilité à l'allocation de logement sociale ; qu'en retenant une « situation de vie commune » (arrêt, p. 7, § 9) entre M. [H] et M. [R], sans rechercher si les circonstances que M. [H] avait réglé un loyer à M. [R] durant la période litigieuse, que M. [H] et M. [R] étaient deux associés de travail, collaborant depuis vingt-cinq ans, et que la caisse d'allocations familiales avait procédé au redressement de M. [R] comme foyer propre n'étaient pas de nature à faire écarter la qualification de vie commune, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 831-1, L. 831-4 et R. 831-5 du code de la sécurité sociale. | Selon l'article L. 114-21 du code de la sécurité sociale, l'organisme ayant usé du droit de communication en application de l'article L. 114-19 du même code, est tenu d'informer la personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est prise la décision de supprimer le service d'une prestation ou de mettre des sommes en recouvrement, de la teneur et de l'origine des informations et documents obtenus auprès de tiers sur lesquels il s'est fondé pour prendre cette décision.
Il doit être satisfait à cette obligation d'information, qui constitue une formalité substantielle, dont le non respect entraîne la nullité de la procédure de contrôle, avec une précision suffisante pour mettre la personne contrôlée en mesure de disposer d'un accès effectif, avant la mise en recouvrement de l'indu, à ces informations et documents |
8,017 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 6 juillet 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 546 FS-B
Pourvoi n° G 21-12.833
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 JUILLET 2022
1°/ M. [X] [E],
2°/ Mme [H] [V],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° G 21-12.833 contre l'arrêt rendu le 3 septembre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 8, section 4), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [M] [U],
2°/ à Mme [J] [B],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
3°/ à M. [P] [U], domicilié [Adresse 6], 4°/ à la société [U], exploitation agricole à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. et Mme [E], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat des consorts [U], de la société [U] et de Mme [B], et l'avis de Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, Mme Gallet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 3 septembre 2020), par acte notarié du 16 décembre 1985, [Z] [L] a renouvelé, à compter du 11 novembre 1978, le bail, à effet du 11 novembre 1969, consenti à Mme [C] [U], et continué avec l'agrément de la bailleresse par M. [M] [U] et Mme [B], son épouse, (M. et Mme [U]), sur la parcelle cadastrée section AY n° [Cadastre 5].
2. Par acte du même jour, elle a donné à bail, pour une durée de neuf ans à compter du 11 novembre 1985, à M. et Mme [U] la parcelle cadastrée section AY n° [Cadastre 4], devenue, après division, la parcelle AY n° [Cadastre 3].
3. Par acte notarié du 29 mai 1996, [Z] [L] a donné la nue-propriété des parcelles AY n° [Cadastre 5] et AY n° [Cadastre 3] à M. et Mme [E], qui en ont recouvré l'usufruit au décès de la donatrice survenu le 10 avril 1999.
4. M. [M] [U] a pris sa retraite le 1er septembre 2005, mais a continué à exploiter seul à titre de parcelle de subsistance les parcelles cadastrées AY n° [Cadastre 5] et AY n° [Cadastre 3] et Mme [B] s'est de fait désolidarisée du bail.
5. Invoquant l'exploitation des parcelles AY n° [Cadastre 5] et AY n° [Cadastre 3] par M. [M] [U] seul, M. et Mme [E] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail et en paiement de dommages-intérêts.
6. M. [P] [U] et l'EARL [U] sont intervenus volontairement à titre accessoire en cause d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. M. et Mme [E] font grief à l'arrêt de constater que M. [M] [U] exploite seul les parcelles AY n° [Cadastre 5] et AY n° [Cadastre 3] à titre de parcelles de subsistance et de rejeter leur demande de résiliation des baux consentis sur lesdites parcelles, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 411-35 alinéa 3 du code rural et de la pêche maritime, applicable aux baux en cours selon les modalités prévues par l'article 4-VI-B de la loi du 13 octobre 2014, que lorsqu'un des copreneurs du bail cesse de participer à l'exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose d'un délai de trois mois à compter de cette cessation ou de l'entrée en vigueur de la loi pour demander au bailleur que le bail se poursuive à son seul nom ; qu'aux termes de l'article L. 411-31 II du même code, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie de toute contravention aux dispositions de l'article L. 411-35 ; qu'il résulte de ces textes que le défaut d'accomplissement de l'obligation d'information du propriétaire, en cas de cessation d'activité de l'un des copreneurs, constitue un manquement justifiant le prononcé de la résiliation du bail ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande de résiliation des baux portant sur les parcelles AY [Cadastre 3] et AY [Cadastre 5], que les alinéas 3 et 4 de l'article L. 411-35, dans sa rédaction issue de la loi du 13 octobre 2014, ne créent ni obligation, ni interdiction pour le copreneur resté en place, mais prévoient une modalité de régularisation du bail destiné à permettre sa poursuite en son seul nom, et que le défaut de notification de la cessation d'activité ne constitue donc pas une infraction aux dispositions de l'article L. 411-35 de nature à permettre la résiliation de plein droit du bail prévue par l'article L. 411-31, quand elle constatait que les baux des 20 janvier 1970 et 11 novembre 1985, portant respectivement sur les parcelles AY [Cadastre 5] et AY [Cadastre 3], avaient été consentis à M. [M] [U] et à son épouse Mme [B], copreneurs, et que M. [M] [U] les exploitait seul à titre de parcelles de subsistance depuis 2005 sans que les bailleurs aient reçu aucune information, la cour d'appel a violé les articles L. 411-31 II 1° et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
2°/ qu'il ne peut être renoncé au droit d'ordre public de se prévaloir d'un manquement aux obligations prévues par l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime; qu'en rejetant la demande de M. et Mme [E] de résiliation des baux portant sur les parcelles AY [Cadastre 3] et AY [Cadastre 5], au motif qu'en recevant directement les fermages afférents à ces parcelles postérieurement au 2 septembre 2010, date à laquelle, selon la cour d'appel, les époux [E] avaient su que M. [M] [U] exploitait seul les parcelles litigieuses, ces derniers avaient consenti à la poursuite du bail au seul bénéfice de M. [M] [U], quand la seule perception des fermages ne pouvait valoir renonciation par avance au droit d'ordre public de se prévaloir de manquements à l'article L 411-35, la cour d'appel a violé les articles L. 411-35 et L. 411-31 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
8. Aux termes de l'article L. 411-46, alinéa 2, du code rural et de la pêche maritime, en cas de départ de l'un des conjoints ou partenaires d'un pacte civil de solidarité copreneurs du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l'exploitation a droit au renouvellement du bail.
9. Il s'en déduit que, lorsqu'en application de ce texte, le bail s'est renouvelé de plein droit au seul nom du copreneur qui a poursuivi l'exploitation, celui-ci ne peut être cessionnaire irrégulier du droit de son conjoint, ce qui exclut que son bail puisse être résilié pour manquement à l'obligation d'information du propriétaire en cas de cessation d'activité de l'un des copreneurs qui résulte des alinéas 3 et 4 de l'article L. 411-35 du même code, dans sa version issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014.
10. La cour d'appel a relevé que les baux consentis sur les parcelles AY n° [Cadastre 5] et AY n° [Cadastre 3] à M. et Mme [U], s'étaient renouvelés, le 11 novembre 2012 s'agissant de la parcelle AY n° [Cadastre 3] et les 11 novembre 2008 et 2017 s'agissant de la parcelle AY n° [Cadastre 5], depuis le départ à la retraite de M. [M] [U] et l'exploitation de ces deux parcelles par lui seul à compter du 1er septembre 2005.
11. Il en résulte que ces baux s'étant renouvelés de plein droit au seul nom de M. [M] [U], la demande de résiliation de ces baux ne pouvait qu'être rejetée.
12. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués par le pourvoi, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [E]
M. et Mme [E] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que M. [M] [U] exploitait seul les parcelles AY [Cadastre 5] et AY [Cadastre 3] sises sur la commune de Saint Folquin à titre de parcelles de subsistance et de les avoir déboutés de leur demande de résiliation des baux consentis portant sur lesdites parcelles ;
1) ALORS QU'il résulte de l'article L. 411-35 alinéa 3 du code rural et de la pêche maritime, applicable aux baux en cours selon les modalités prévues par l'article 4-VI-B de la loi du 13 octobre 2014, que lorsqu'un des copreneurs du bail cesse de participer à l'exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose d'un délai de trois mois à compter de cette cessation ou de l'entrée en vigueur de la loi pour demander au bailleur que le bail se poursuive à son seul nom ; qu'aux termes de l'article L. 411-31 II du même code, le bailleur peut demander la résiliation du bail s'il justifie de toute contravention aux dispositions de l'article L. 411-35 ; qu'il résulte de ces textes que le défaut d'accomplissement de l'obligation d'information du propriétaire, en cas de cessation d'activité de l'un des copreneurs, constitue un manquement justifiant le prononcé de la résiliation du bail ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande de résiliation des baux portant sur les parcelles AY [Cadastre 3] et AY [Cadastre 5], que les alinéas 3 et 4 de l'article L. 411-35, dans sa rédaction issue de la loi du 13 octobre 2014, ne créent ni obligation, ni interdiction pour le copreneur resté en place, mais prévoient une modalité de régularisation du bail destiné à permettre sa poursuite en son seul nom, et que le défaut de notification de la cessation d'activité ne constitue donc pas une infraction aux dispositions de l'article L. 411-35 de nature à permettre la résiliation de plein droit du bail prévue par l'article L. 411-31 (arrêt p.6), quand elle constatait que les baux des 20 janvier 1970 et 11 novembre 1985, portant respectivement sur les parcelles AY [Cadastre 5] et AY [Cadastre 3], avaient été consentis à M. [M] [U] et à son épouse Mme [B], copreneurs, et que M. [M] [U] les exploitait seul à titre de parcelles de subsistance depuis 2005 sans que les bailleurs aient reçu aucune information, la cour d'appel a violé les articles L. 411-31 II 1° et L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;
2) ALORS QU'il ne peut être renoncé au droit d'ordre public de se prévaloir d'un manquement aux obligations prévues par l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ; qu'en rejetant la demande de M. et Mme [E] de résiliation des baux portant sur les parcelles AY [Cadastre 3] et AY [Cadastre 5], au motif qu'en recevant directement les fermages afférents à ces parcelles postérieurement au 2 septembre 2010, date à laquelle, selon la cour d'appel, les époux [E] avaient su que M. [M] [U] exploitait seul les parcelles litigieuses, ces derniers avaient consenti à la poursuite du bail au seul bénéfice de M. [M] [U], quand la seule perception des fermages ne pouvait valoir renonciation par avance au droit d'ordre public de se prévaloir de manquements à l'article L 411-35, la cour d'appel a violé les articles L 411-35 et L 411-31 du code rural et de la pêche maritime. | Aux termes de l'article L. 411-46, alinéa 2, du code rural et de la pêche maritime, en cas de départ de l'un des conjoints ou partenaires d'un pacte civil de solidarité copreneurs du bail, le conjoint ou le partenaire qui poursuit l'exploitation a droit au renouvellement du bail.
Il s'en déduit que, lorsqu'en application de ce texte, le bail s'est renouvelé de plein droit au seul nom du copreneur qui a poursuivi l'exploitation, celui-ci ne peut être cessionnaire irrégulier du droit de son conjoint, ce qui exclut que son bail puisse être résilié pour manquement à l'obligation d'information du propriétaire en cas de cessation d'activité de l'un des copreneurs qui résulte des alinéas 3 et 4 de l'article L. 411-35 du même code, dans sa version issue de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 |
8,018 | Demande d'avis
n°X 22-70.005
Juridiction : la cour d'appel de Paris
DC5
Avis du 8 juillet 2022
n° 15008 B
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
COUR DE CASSATION
_________________________
Deuxième chambre civile
Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile :
La Cour de cassation a reçu le 13 avril 2022 une demande d'avis formée le même jour par la cour d'appel de Paris, dans une instance opposant M. [K] aux sociétés GPSI et LBC.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, et les observations écrites et orales de M. Aparisi, avocat général.
Énoncé de la demande d'avis
1. La demande est ainsi formulée :
« 1 - Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont-ils immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires ?
2 - Dans l'affirmative, une déclaration, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue-t-elle l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, dès lors que la déclaration d'appel mentionne expressément l'existence d'une annexe, et ce même en l'absence d'empêchement technique ? »
2. La présidente de la Conférence nationale des premiers présidents de cour d'appel, le président du Conseil national des Barreaux, le président de la Conférence des bâtonniers et la bâtonnière de l'ordre des avocats au barreau de Paris, ont, en application des articles L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire et 1015-2 du code de procédure civile, déposé chacun une note écrite et ont été entendus en audience publique les 14 et 16 juin 2022.
Examen de la demande d'avis
Sur la première question
3. Pour répondre à la première question, il convient de se demander si les règles édictées par le décret n° 2022-245 du 25 février 2022, modifiant, en son article 1er, 16°, l'article 901 du code de procédure civile, et par l'arrêté du même jour, modifiant l'arrêté du 20 mai 2020, sont applicables immédiatement aux instances d'appel en cours introduites par une déclaration d'appel antérieure à leur entrée en vigueur, ou si elles ont un effet rétroactif.
4. L'application dans le temps des textes législatifs ou réglementaires, en matière civile, est régie par l'article 2 du code civil, qui énonce : « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ». En droit civil, ce principe a valeur législative.
5. En procédure civile, il résulte des principes généraux du droit transitoire, tels que dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'en l'absence de disposition spéciale, les lois relatives à la procédure et aux voies d'exécution sont d'application immédiate aux instances en cours ( Avis de la Cour de cassation, 22 mars 1999, n° 09-90.005, Bull. 1999, avis, n° 2). Cependant, si ces lois sont applicables aux instances en cours, elles n'ont pas pour conséquence de priver d'effet les actes qui ont été régulièrement accomplis sous l'empire de la loi ancienne (en ce sens, 2e Civ., 30 avril 2003, pourvoi n° 00-14.333, Bull. 2003, II, n° 123 ; Com., 27 janvier 1998, pourvoi n° 94-15.063, Bull. 1998, IV, n° 46).
6. Cette règle d'interdiction de remise en cause d'un acte régulièrement accompli découle tant du principe de non rétroactivité de la loi que de l'exigence de protection des droits acquis, liée au principe de sécurité juridique. La loi ne peut remettre en cause des situations définitivement fixées dans le passé. Elle est, en revanche, immédiatement applicable à des situations qui, ayant leur origine dans le passé, ne sont pas définitivement acquises.
7. Le décret du 25 février 2022 a modifié l'article 901, 4°, du code de procédure civile en tant qu'il prévoit que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, en ajoutant dans ce texte, après les mots : « faite par acte », les mots : « , comportant le cas échéant une annexe, ». L'article 6 du décret précise que cette disposition est applicable aux instances en cours.
8. L'arrêté du 25 février 2022 a modifié celui du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel. L'article 3 de ce texte prévoit qu'il entre en vigueur le lendemain de sa publication et qu'il est applicable aux instances en cours.
9. En application des principes ci-dessus, si ces textes réglementaires ne peuvent remettre en cause des actes régulièrement accomplis sous l'empire de textes antérieurs, ils peuvent, en revanche, conférer validité à des actes antérieurs, pour autant qu'ils n'ont pas, à la suite d'une exception de nullité, été annulés par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l' arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.
10. Cette interprétation donne son plein effet aux dispositions transitoires précitées des deux textes, toutes les instances en cours au jour de la publication de ceux-ci ayant été introduites pas des actes d'appel qui leur sont nécessairement antérieurs.
11. Il résulte de ce qui précède, qu' à la première question, il convient de répondre que les nouvelles dispositions régissent, dans les instances en cours, les déclarations d'appel formées antérieurement à leur entrée en vigueur et qu'elles ont pour effet de conférer validité aux déclarations d'appel formées antérieurement à leur entrée en vigueur, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l'arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.
Sur la seconde question
12. La seconde question posée par la demande d'avis est celle de savoir comment doit être interprété l'ajout, opéré par le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 à l'article 901 du code de procédure civile, des termes : « comportant le cas échéant une annexe » après la phrase : « la déclaration d'appel est faite par acte » et quelles sont ses conséquences sur la régularité de la déclaration d'appel.
13. Préalablement, il y a lieu de préciser que le présupposé introduit dans la formulation de la question, telle que posée par la cour d'appel de Paris, par la locution « dès lors que la déclaration d'appel mentionne expressément l'existence d'une annexe », doit être regardé comme une simple donnée du litige à l'occasion duquel a été formulée la demande d' avis.
14. L'expression « le cas échéant » figurant à l'article 901 modifié par le décret du 25 février 2022, qui n'est pas dénuée d'ambiguïté, pourrait renvoyer à une condition d'utilisation de l'annexe, tel l'empêchement technique, notamment le dépassement du nombre de caractères maximum prévus par le Réseau privé virtuel justice.
15. Cependant, une interprétation téléologique du décret aboutit à considérer que cet ajout vise à permettre l'usage de l'annexe, même en l'absence d'empêchement technique.
16. Il résulte de ce qui précède qu'à la seconde question, il convient de répondre qu'une déclaration d'appel à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction et ce, même en l'absence d'empêchement technique.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
EST D'AVIS QUE
1 - Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l' arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.
2 - Une déclaration d'appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués, constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, même en l'absence d'empêchement technique.
DIT que, par application de l'article 1031-6 du code de procédure civile, le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française ;
Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 8 juillet 2022, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 5 juillet 2022 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Kermina, M. Delbano, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Dumas, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général, M. Carrasco, greffier de chambre ;
Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre. | Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 modifiant l'article 901 du code de procédure civile et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent, qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l' arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.
Une déclaration d'appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqués constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, même en l'absence d'empêchement technique |
8,019 | N° Y 21-83.710 FS-B R
N° 00769
GM
12 JUILLET 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUILLET 2022
M. [C] [L] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 7e section, en date du 27 mai 2021, qui, dans l'information suivie contre lui, notamment, des chefs de meurtre et tentative, destruction de biens, en bande organisée, et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 23 septembre 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Ménotti, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [L] [E], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 19 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Ménotti, conseiller rapporteur, M. Bonnal, M. de Larosière de Champfeu, Mme Leprieur, Mme Sudre, M. Maziau, Mme Issenjou, M. Turbeaux, Mme Labrousse, M. Seys, M. Dary, Mme Thomas, M. Laurent, conseillers de la chambre, Mme Barbé, M. Violeau, M. Mallard, Mme Guerrini, M. Michon, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. À la suite d'une fusillade intervenue le 24 août 2019 au cours de laquelle [D] [P] a été tué, diverses investigations ont été effectuées par les enquêteurs sous le régime de la flagrance, puis une information a été ouverte des chefs susvisés, le 6 septembre suivant.
3. Interpellé le 23 juin 2020, M. [C] [L] [E] a été mis en examen le 26 juin et placé en détention provisoire.
4. Le 28 décembre 2020, il a déposé une requête en nullité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces présentées par M. [L] [E], alors « que par mémoire distinct, il est sollicité le renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, et en particulier au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ; que l'abrogation de ce texte, en vertu duquel ont été recueillies, conservées et exploitées les données concernant M. [L] [E], entraînera la cassation de l'arrêt. »
Réponse de la Cour
6. Si le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2021-976/977 QPC du 25 février 2022, déclaré contraires à la Constitution certaines dispositions de l'article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques en ce qu'elles portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, il a précisé que les mesures en cause ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
7. Il s'ensuit que le moyen est devenu sans objet.
Sur les deuxième et troisième moyens
Enoncé des moyens
8. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces présentée par M. [L] [E], alors :
« 1°/ que viole l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne la juridiction qui retient à l'encontre d'une personne des éléments de preuve obtenus par un recueil et une conservation préventifs, généralisés et indifférenciés des données relatives au trafic et des données de localisation incompatibles avec le droit de l'Union, notamment parce que ce recueil et cette conservation ne sont ni ciblés ni soumis à l'autorisation et au contrôle d'une autorité indépendante ; qu'au cas d'espèce, M. [L] [E] faisait valoir, pour solliciter l'annulation des données de trafic et de localisation requises, obtenues et exploitées à son encontre, que ces données avaient été conservées de façon préventive, généralisée et indifférenciée en violation des textes précités ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, la chambre de l'instruction a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que viole l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne la juridiction qui retient à l'encontre d'une personne des éléments de preuve obtenus par un recueil et une conservation préventifs, généralisés et indifférenciés des données relatives au trafic et des données de localisation incompatibles avec le droit de l'Union, notamment parce que ce recueil et cette conservation ne sont ni ciblés ni soumis à l'autorisation et au contrôle d'une autorité indépendante ; qu'au cas d'espèce, M. [L] [E] faisait valoir, pour solliciter l'annulation des données de trafic et de localisation requises, obtenues et exploitées à son encontre, que ces données avaient été conservées de façon préventive, généralisée et indifférenciée en violation des textes précités ; qu'en retenant, pour rejeter cette demande, que l'atteinte ainsi portée à la vie privée de M. [L] [E] était proportionnée à l'objectif poursuivi, la chambre de l'instruction a violé les articles 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
9. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces présentée par M. [L] [E], alors « que viole le droit à la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme la juridiction qui retient à l'encontre d'une personne des éléments de preuve obtenus par un recueil et une conservation des données relatives au trafic et des données de localisation préventifs, généralisés, indifférenciés et échappant à toute autorisation ou contrôle d'une autorité indépendante ; qu'au cas d'espèce, M. [L] [E] faisait valoir, pour solliciter l'annulation des données de trafic et de localisation requises, obtenues et exploitées à son encontre, qu'en violation du texte précité ces données avaient été conservées de façon préventive, généralisée et indifférenciée, et que leur recueil ne faisait l'objet ni d'une autorisation en amont ni d'un contrôle en aval par une autorité indépendante ; qu'en retenant, pour rejeter cette demande ; qu'il en déduisait que l'atteinte ainsi portée à sa vie privée était disproportionnée à l'objectif poursuivi ; qu'en retenant, pour rejeter la requête, que l'ingérence dans la vie privée de M. [L] [E] résultant du recueil et de l'exploitation de ces données était proportionnée au but légitime de poursuite des infractions pénales, la chambre de l'instruction a violé l'article 8 précité. »
Réponse de la Cour
10. Les moyens sont réunis.
11. Afin de garantir l'effectivité de l'ensemble des dispositions du droit de l'Union européenne, le principe de primauté impose aux juridictions nationales d'interpréter, dans toute la mesure du possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l'Union. A défaut de pouvoir procéder à une telle interprétation, le juge national a l'obligation d'assurer le plein effet des dispositions du droit de l'Union en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il [L] à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (CJCE, arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77).
12. Il convient, dès lors, d'examiner si, à la date des réquisitions litigieuses, la réglementation française sur la conservation et l'accès aux données de connexion était conforme au droit de l'Union.
Sur la régularité de la conservation
Sur les exigences du droit de l'Union en matière de conservation générale et indifférenciée des données de connexion
13. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit qu'il résulte de l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que le droit de l'Union européenne s'oppose à une conservation généralisée et indifférenciée, à titre préventif, des données de trafic et de localisation aux fins de lutte contre la criminalité, quel que soit son degré de gravité. Seule est admise une conservation généralisée et indifférenciée de ces données, en cas de menace grave, réelle et actuelle ou prévisible pour la sécurité nationale, sur injonction faite aux fournisseurs de services de télécommunications électroniques, pouvant faire l'objet d'un contrôle effectif par une juridiction ou une autorité administrative indépendante, dont la décision est dotée d'un effet contraignant, chargée de vérifier l'existence d'une telle menace et le respect des conditions et garanties devant être prévues, injonction ne pouvant être émise que pour une période limitée au strict nécessaire, mais renouvelable en cas de persistance de la menace.
14. En revanche, le droit de l'Union ne s'oppose pas à des mesures législatives prévoyant, aux fins de lutte contre la criminalité grave :
- une conservation ciblée des données relatives au trafic et des données de localisation qui soit délimitée, sur la base d'éléments objectifs et non discriminatoires, en fonction de catégories de personnes concernées ou au moyen d'un critère géographique, pour une période temporellement limitée au strict nécessaire, mais renouvelable ;
- une conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP attribuées à la source d'une connexion, pour une période temporellement limitée au strict nécessaire ;
- une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives à l'identité civile, aux comptes et aux paiements des utilisateurs de moyens de communications électroniques ;
- le recours à une injonction faite aux fournisseurs de services de communications électroniques, au moyen d'une décision de l'autorité compétente soumise à un contrôle juridictionnel effectif, de procéder, pour une durée déterminée, à la conservation rapide des données relatives au trafic et des données de localisation dont disposent ces fournisseurs de services, dès lors que ces mesures assurent, par des règles claires et précises, que la conservation des données en cause est subordonnée au respect des conditions matérielles et procédurales afférentes et que les personnes concernées disposent de garanties effectives contre les risques d'abus.
15. Cette conservation rapide a pour fondement l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cyber-criminalité, signée à Budapest le 23 novembre 2001, les Etats membres pouvant prévoir dans leur législation qu'un accès aux données de trafic et de localisation peut avoir lieu à des fins de lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, dans le respect des conditions matérielles et procédurales prévues en droit européen (CJUE, arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., [4] e.a., C-511/18, C-512/18, C-520/18).
16. Selon la CJUE, la conservation rapide et l'accès aux données ainsi conservées peuvent porter sur les données stockées par les fournisseurs de services de communications électroniques sur la base des articles 5, 6 et 9 de la directive 2002/58/CE ou sur celle des mesures législatives prises en vertu de l'article 15, paragraphe 1 (CJUE, arrêt La Quadrature du net, précité, points 160 et 167).
17. Cette position a été maintenue dans l'arrêt Commissioner of An Garda Siochana du 5 avril 2022 (C-140/20, points 85 et 87), la Cour ayant seulement écarté, à nouveau, la conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation aux fins de lutte contre la criminalité grave pour répondre à une objection du gouvernement danois (même arrêt, points 96 à 100).
18. La conservation rapide peut donc porter sur les données que détiennent les opérateurs de télécommunications électroniques, soit pour leurs besoins propres, soit au titre d'une obligation de conservation imposée aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.
19. L'interprétation qui exclurait du champ d'application de la conservation rapide les données conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale priverait d'effet utile sa finalité, qui est de permettre aux autorités nationales, en matière de lutte contre la criminalité grave, d'accéder à des données qui n'ont pas été conservées dans ce but.
20. Par ailleurs, une telle mesure peut être étendue aux données relatives au trafic et aux données de localisation afférentes à des personnes autres que celles qui sont soupçonnées d'avoir projeté ou commis une infraction pénale grave, pour autant que ces données puissent, sur la base d'éléments objectifs et non discriminatoires, contribuer à l'élucidation d'une telle infraction, telles les données de la victime et celles de son entourage social ou professionnel (CJUE, arrêt Commissioner of An Garda Siochana, précité, point 88).
Sur la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion en droit français
21. L'article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version en vigueur à la date des faits, imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques la conservation généralisée et indifférenciée, pour une durée maximale d'un an, des données de connexion énumérées à l'article R. 10-13 dudit code, pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales.
22. Ce dernier texte, dans sa version en vigueur à la date des faits, précisait que cette obligation de conservation, d'une durée d'un an, portait sur :
a) les informations permettant d'identifier l'utilisateur ;
b) les données relatives aux équipements terminaux de communication utilisés ;
c) les caractéristiques techniques ainsi que la date, l'horaire et la durée de chaque communication ;
d) les données relatives aux services complémentaires demandés ou utilisés et leurs fournisseurs ;
e) les données permettant d'identifier le ou les destinataires de la communication.
23. Il prévoyait également que, pour les activités de téléphonie, l'opérateur devait conserver les données relatives au trafic et, en outre, celles permettant d'identifier l'origine et la localisation de la communication.
Sur la conformité du droit français au droit européen s'agissant de la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion
24. Il résulte des principes rappelés aux paragraphes 13 et 14 qu'il convient d'écarter les textes précités de droit interne en ce qu'ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l'exception des données relatives à l'identité civile et aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi que, dans le cadre de la recherche et la répression de la criminalité grave, aux adresses IP.
25. En revanche, l'obligation de conservation des données de trafic et de localisation imposée aux opérateurs par l'article L. 34-1, III, du code précité, mis en oeuvre par l'article R. 10-13 dudit code, en ce qu'elle permet notamment la recherche, la constatation et la poursuite des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, infractions incriminées aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal, est conforme au droit de l'Union, comme poursuivant l'objectif de sauvegarde de la sécurité nationale.
26. La durée de conservation de ces données, pour une année, apparaît strictement nécessaire aux besoins de la sauvegarde de la sécurité nationale.
27. Pour autant, les dispositions des articles précités du code des postes et des communications électroniques ne subordonnent pas le maintien de cette obligation de conservation à un réexamen périodique de l'existence d'une menace grave, réelle et actuelle ou prévisible pour la sécurité nationale.
28. Il s'ensuit que cette obligation de conservation ne vaut injonction au sens où l'entend la CJUE et cette conservation n'est régulière que si le juge saisi du contentieux constate, sous le contrôle de la Cour de cassation, l'existence d'une menace présentant les caractéristiques précitées.
29. A cet égard, même en tenant compte de l'exigence du droit de l'Union selon laquelle cette conservation ne saurait présenter un caractère systémique (CJUE, arrêt La Quadrature du Net, précité, point 138), il résulte notamment des pièces régulièrement produites par le procureur général près la Cour de cassation relatives aux attentats commis en France depuis décembre 1994, soit antérieurement à la date des faits, que la France se trouve exposée, en raison du terrorisme et de l'activité de groupes radicaux et extrémistes, à une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible à la sécurité nationale.
30. Dès lors, l'obligation faite aux opérateurs de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale les données de connexion énumérées à l'article R. 10-13 du code précité, qui ont fait l'objet des réquisitions litigieuses, était conforme au droit de l'Union.
31. Le Conseil d'Etat n'a d'ailleurs déclaré illégales les dispositions de cet article qu'en ce qu'elles imposaient aux opérateurs de communications électroniques, aux fournisseurs d'accès à internet et aux hébergeurs la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, autres que les données relatives à l'identité civile, aux adresses IP et aux informations relatives aux comptes et aux paiements, aux fins de lutte contre la criminalité et de prévention des menaces à l'ordre public et ne prévoyaient pas un réexamen périodique de l'existence d'une menace grave, réelle et actuelle ou prévisible pour la sécurité nationale (CE, 21 avril 2021, French Data Network, n° 393099, point 58).
Sur la conservation rapide en droit français
32. Il convient ensuite de rechercher s'il existait, à la date des faits, une réglementation conforme au droit de l'Union permettant la conservation rapide des données de trafic et de localisation. Une telle réglementation doit notamment préciser la ou les finalités pour laquelle ou lesquelles une conservation rapide peut être ordonnée (CJUE, arrêt La Quadrature du Net, précité, point 132).
33. A la date des faits, la communication des données de trafic ou de localisation conservées par les opérateurs de télécommunication pouvait faire l'objet de réquisitions lors d'une enquête de flagrance, en application des articles 60-1 et 60-2 du code de procédure pénale, par un officier de police judiciaire ou par un agent de police judiciaire agissant sous son contrôle, lors d'une enquête préliminaire, sur le fondement des articles 77-1-1 et 77-1-2 dudit code, sur autorisation du procureur de la République, enfin, en cas d'ouverture d'une information, en application des articles 99-3 et 99-4, de ce code, par un officier de police judiciaire autorisé par commission rogatoire du juge d'instruction. La régularité de ces opérations peut être contestée devant la chambre de l'instruction ou la juridiction de jugement, sous le contrôle de la Cour de cassation.
34. Ces dispositions, qui prévoyaient la communication immédiate des données de connexion aux autorités nationales compétentes, doivent être analysées comme valant injonction de conservation rapide, au sens de la Convention de Budapest. En effet, le rapport explicatif de celle-ci précise que l'injonction de conservation rapide peut résulter d'une injonction de produire.
35. En outre, aux termes du sixième alinéa du paragraphe III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, les mesures portant atteinte à la vie privée d'une personne ne peuvent être prises, sur décision ou sous contrôle effectif de l'autorité judiciaire, que si elles sont, au regard des circonstances de l'espèce, nécessaires à la manifestation de la vérité et proportionnées à la gravité de l'infraction.
36. Il s'ensuit que les dispositions précitées combinées peuvent être interprétées de façon conforme au droit de l'Union comme permettant, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, la conservation rapide des données de connexion stockées, même conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.
37. Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle est saisie d'un moyen en ce sens, de vérifier, d'une part, que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave, dont l'appréciation relève du droit national, d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire.
38. S'agissant de la gravité des faits, il appartient au juge de motiver sa décision au regard de la nature des agissements de la personne poursuivie, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.
Sur l'accès aux données
Sur les exigences européennes en matière d'accès aux données
39. La CJUE a jugé (CJUE, arrêt du 2 mars 2021, H.K./Prokuratuur, C-746/18) que l'accès aux données de connexion ne peut être autorisé que :
- si ces données ont été conservées conformément aux exigences du droit européen ;
- s'il a eu lieu pour la finalité ayant justifié la conservation ou une finalité plus grave, sauf conservation rapide ;
- s'il est limité au strict nécessaire ;
- s'agissant des données de trafic et de localisation, s'il est circonscrit aux procédures visant à la lutte contre la criminalité grave ;
- et s'il est soumis au contrôle préalable d'une juridiction ou d'une entité administrative indépendante.
Sur l'exigence d'un contrôle préalable
40. Il résulte de la jurisprudence de la CJUE que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux, s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, qui dirige la procédure d'enquête et exerce, le cas échéant, l'action publique, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et à la localisation (CJUE, arrêt H.K./Prokuratuur, précité). Elle juge également qu'un fonctionnaire de police ne constitue pas une juridiction et ne présente pas toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité requises (CJUE, arrêt Commissioner of An Garda Siochana, précité).
41. En effet, la CJUE rappelle qu'il est essentiel que l'accès des autorités nationales compétentes aux données conservées soit subordonné à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, susceptible d'assurer un juste équilibre entre, d'une part, les intérêts liés aux besoins de l'enquête dans le cadre de la lutte contre la criminalité grave, et, d'autre part, les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel.
42. Ainsi, les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l'Union uniquement en ce qu'ils ne prévoient pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante.
43. En revanche, le juge d'instruction est habilité à contrôler l'accès aux données de connexion. En effet, d'une part, il n'est pas une partie à la procédure mais une juridiction qui statue notamment sur les demandes d'actes d'investigation formées par les parties, lesquelles disposent d'un recours en cas de refus ; d'autre part, il n'exerce pas l'action publique mais statue de façon impartiale sur le sort de celle-ci, mise en mouvement par le ministère public ou, le cas échéant, la partie civile.
Sur les conséquences de la méconnaissance des exigences du droit de l'Union européenne
44. La CJUE juge qu'il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe d'autonomie procédurale, de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union, à condition toutefois qu'elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne - principe d'équivalence - et qu'elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit de l'Union - principe d'effectivité - (CJUE, arrêt La Quadrature du Net, précité, point 223).
45. Le principe d'effectivité impose au juge pénal national d'écarter des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus au moyen d'une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation incompatible avec le droit de l'Union ou encore au moyen d'un accès à ces données en violation de ce droit, à l'occasion d'une procédure pénale ouverte à l'encontre de personnes soupçonnées d'actes de criminalité, si celles-ci ne sont pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d'un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits (CJUE, arrêt La Quadrature du Net, précité, points 226 et 227).
46. A cet égard, il résulte des articles 156 et suivants du code de procédure pénale que toute personne mise en examen peut solliciter du juge d'instruction une expertise et, le cas échéant, une contre-expertise, sous le contrôle de la chambre de l'instruction, lorsque se pose une question d'ordre technique. Il en est de même devant la juridiction de jugement.
47. Il s'ensuit que la législation française offre ainsi à toute personne mise en examen ou poursuivie la possibilité de contester efficacement la pertinence des éléments de preuve résultant de l'exploitation des données de connexion.
48. Le principe d'équivalence commande que l'ensemble des règles de procédure nationales s'applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l'Union et aux recours fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables.
49. Hors les cas de nullité d'ordre public, qui touchent à la bonne administration de la justice, la juridiction, saisie d'une requête ou d'une exception de nullité, doit d'abord rechercher si le requérant a intérêt à demander l'annulation de l'acte, puis, s'il a qualité pour la demander et, enfin, si l'irrégularité alléguée lui a causé un grief. Pour déterminer si le requérant a qualité pour agir en nullité, la juridiction doit examiner si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité, dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 21-80.642, publié au Bulletin).
50. Les exigences européennes en matière de conservation et d'accès aux données de connexion ont pour objet la protection du droit au respect de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d'expression (CJUE, arrêt La Quadrature du Net, précité), de sorte que leur méconnaissance n'affecte qu'un intérêt privé.
51. Il en est ainsi en particulier de l'exigence d'un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante qui vise à garantir, en pratique, le plein respect des conditions d'accès aux données à caractère personnel, telles que précisées au paragraphe 39, et notamment que l'ingérence dans l'exercice des droits précités est limitée à ce qui est strictement nécessaire (CJUE, arrêt H.K./Prokuratuur précité, points 51 et 58 ; CJUE, arrêt Commissioner of An Garda Siochana précité, point 110).
52. Il s'ensuit qu'en application du principe d'équivalence, la personne mise en examen ou poursuivie n'est recevable à invoquer la violation de cette exigence en matière d'accès aux données de connexion que si elle prétend être titulaire ou utilisatrice de l'une des lignes identifiées ou si elle établit qu'il aurait été porté atteinte à sa vie privée, à l'occasion des investigations litigieuses (Crim., 6 février 2018, pourvoi n° 17-84.380, Bull. crim. 2018, n° 30).
53. Enfin, le juge pénal ne peut prononcer la nullité, en application des dispositions de l'article 802 du code de procédure pénale, que si l'irrégularité elle-même a occasionné un préjudice au requérant, lequel ne peut résulter de la seule mise en cause de celui-ci par l'acte critiqué (Crim., 7 septembre 2021, précité).
54. La Cour de cassation juge que l'irrégularité fait nécessairement grief au requérant, lorsque la méconnaissance de la règle a irrévocablement affecté les droits de celui-ci.
55. Tel est le cas lorsque l'acte attentatoire à la vie privée a été accompli par une autorité qui n'était pas compétente, à défaut d'y avoir été autorisée, conformément à la loi. Tel est également le cas lorsque l'acte n'a pas été motivé par l'autorité compétente pour l'ordonner alors qu'il devait l'être (Crim., 8 juillet 2015, pourvoi n° 15-81.731, Bull. crim. 2015, n° 174).
56. A défaut, il appartient au requérant de justifier d'une atteinte à ses intérêts. La Cour de cassation juge qu'il en est ainsi notamment lorsque l'acte attentatoire à la vie privée a été accompli par un agent compétent mais sans le contrôle d'un tiers alors que celui-ci était prévu par la loi (Crim., 7 décembre 2021, pourvoi n° 20-82.733, publié au Bulletin). C'est le cas du procureur de la République ou de l'officier de police judiciaire compétent en vertu du droit national pour accéder aux données de connexion, mais qui agit sans le contrôle préalable d'une juridiction ou d'une entité administrative indépendante.
57. Il se déduit des principes énoncés ci-dessus aux paragraphes 50 et 51 que cette absence de contrôle indépendant préalable ne peut faire grief au requérant que s'il établit l'existence d'une ingérence injustifiée dans sa vie privée et dans ses données à caractère personnel, de sorte que cet accès aurait dû être prohibé.
58. Il appartient, dès lors, à la chambre de l'instruction de s'assurer du respect des quatre premières conditions énoncées au paragraphe 39 et notamment de ce que, d'une part, l'accès a porté sur des données régulièrement conservées, d'autre part, la ou les catégories de données visées, ainsi que la durée pour laquelle l'accès à celles-ci a eu lieu, étaient, au regard des circonstances de l'espèce, limitées à ce qui était strictement justifié par les nécessités de l'enquête.
59. En l'espèce, pour rejeter la demande de nullité résultant des modalités de conservation et d'accès aux données de connexion concernant M. [L] [E], la chambre de l'instruction énonce que les lignes téléphoniques utilisées par celui-ci ont été exploitées par les enquêteurs, suite à leur identification dans le cadre de l'exploitation du flux des bornes couvrant les lieux intéressant l'enquête, à savoir la scène de crime d'[Localité 2] au moment du meurtre, la scène de l'incendie du véhicule Mercedes des auteurs à [Localité 1] et le secteur du domicile de la victime, [D] [P], à [Localité 3], où était localisé de manière récurrente le véhicule utilisé par les tueurs.
60. Elle précise que l'obtention de ces données et leur exploitation ont permis de localiser l'intéressé à proximité des lieux où se trouvait [D] [P], d'en conclure qu'il surveillait ce dernier et de constater qu'il se trouvait encore aux abords de son domicile peu de temps avant son assassinat, de sorte qu'il a pu donner le signal du départ à un individu pour venir le rejoindre à cet endroit où la victime a été abattue peu de temps après.
61. Elle ajoute que M. [L] [E], mis en examen le 26 juin 2020, a eu accès à la procédure à partir de cette date et était donc, depuis lors, en mesure de commenter efficacement l'ensemble des éléments de la procédure qui caractérisait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable son implication comme auteur ou complice des faits.
62. Elle conclut que l'ingérence alléguée dans la vie privée de M. [L] [E] du fait des réquisitions des enquêteurs aux opérateurs téléphoniques est prévue par la loi, qu'elle a eu un but légitime qui est celui de la recherche d'infractions pénales relevant de la criminalité grave, en l'espèce meurtre et tentative de meurtre en bande organisée, destruction par moyen dangereux en bande organisée, association de malfaiiteurs, recel en bande organisée, que cet objectif tendant à la recherche d'infractions pénales est nécessaire dans une société démocratique, et que cette ingérence apparaît proportionnée à la poursuite de l'objectif.
63. En l'état de ces motifs, dont il résulte que l'accès aux informations litigieuses a porté sur des données régulièrement conservées et qu'il a eu lieu en vue de la poursuite d'infractions relevant de la criminalité grave, dans des conditions limitant cet accès à ce qui était strictement justifié par les nécessités de l'enquête, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
64. En conséquence, celui-ci doit être écarté.
65. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juillet deux mille vingt-deux. | Le principe de primauté du droit de l'Union européenne impose d'assurer le plein effet de ses dispositions en laissant, au besoin, inappliquée toute réglementation contraire de la législation nationale |
8,020 | N° T 21-83.820 FS-B
N° 00771
GM
12 JUILLET 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUILLET 2022
M. [F] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 8 juin 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation et exportation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants, associations de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 13 septembre 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [U], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, M. de Larosière de Champfeu, Mme Ménotti, Mme Leprieur, Mme Sudre, M. Maziau, Mme Issenjou, M. Turbeaux, M. Seys, M. Dary, Mme Thomas, M. Laurent, conseillers de la chambre, Mme Barbé, M. Violeau, M. Mallard, Mme Guerrini, M. Michon, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. A la suite de l'interception dans les eaux territoriales au large de la Martinique d'une embarcation dans laquelle étaient découvertes plusieurs dizaines de kilogrammes de cocaïne, une information judiciaire a été ouverte.
3. Le 6 novembre 2020, M. [F] [U] a été mis en examen des chefs précités.
4. Le 20 avril 2021, il a déposé une requête en nullité visant notamment les réquisitions des enquêteurs portant sur les données de trafic et de localisation de la téléphonie et les actes d'exploitation de ces données.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité portant sur les réquisitions des enquêteurs portant sur les données de trafic et de localisation de la téléphonie et des actes d'exploitation de ces données, alors :
« 1°/ que l'article 15, paragraphe 1 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, s'oppose à des mesures législatives prévoyant, aux fins de protection de la sécurité nationale ou de lutte contre les infractions graves, à titre préventif, la conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation des communications par les fournisseurs des services de communication électronique ; que, dans son mémoire, le mis en examen invoquait la nullité de l'ensemble des opérations d'identification de personnes, dont lui-même, en lien avec les personnes soupçonnées par les enquêteurs d'avoir commis les infractions dont ils étaient saisis, par l'utilisation des données de trafic et de localisation des communications électroniques que les fournisseurs de services de communications électroniques, en l'espèce, les fournisseurs de téléphonie, sont tenus de conserver pendant un an, en application des articles L. 34-1 et R. 10-13 du code des postes et communications électroniques et des articles 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numériques imposant aux fournisseurs de communications électronique la conservations de toutes les données notamment de trafic et de localisation et l'article 1er du décret du 25 février 2011 pris pour son application, en ce que ces dispositions violaient le droit de l'Union européenne, et en particulier l'article 15 de la directive 2002/58/CE précitée ; qu'en considérant, pour rejeter le moyen de nullité, que le trafic de stupéfiants entrait dans la catégorie des infractions graves justifiant un stockage massif et indifférencié des données de trafic et de localisation gérées par les fournisseurs de communication électronique dans les conditions prévues par l'article 15 de la directive 2002/58, quand les dispositions légales et réglementaires précitées n'ont précisé ni quelles infractions graves justifiaient une obligation de conservation, ni les catégories de données à conserver, ni les personnes concernées, ni les autorités habilitées à définir les cas dans lesquels ce stockage s'impose, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 15 de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 88-1 de la Constitution ;
2°/ qu'en vertu de l'article 8, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit à la vie privée et au respect des correspondances que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ; qu'en estimant que la conservation en vue de leur exploitation dans le cadre des enquêtes pénales des données de trafic et de localisation des utilisateurs des moyens de communication électroniques étaient justifiées pour la recherche des infractions graves, quand le législateur n'a pas défini les catégories d'infractions graves justifiant une telle ingérence, ni l'autorité habilitée à se prononcer sur l'obligation de conserver de telles données, la cour d'appel a violé l'article 8, §2, de la Convention européenne des droits de l'homme ;
3°/ qu'en vertu de l'article 15 de la directive 2002/52/CE de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, les données de trafic et de localisation ne peuvent être exploitées que pour la fin qui a autorisé la conservation ; qu'en se référant à l'arrêt du Conseil d'Etat du 21 avril 2021, ayant jugé que l'obligation de conservation des données de connexion et de localisation pendant un an prévue par la législation et la réglementation nationale, était justifiée par les impératifs de protection de la sécurité nationale que constitue la lutte contre le terrorisme, conservation pourtant non subordonnée à une autorisation d'une juridiction ou d'une autorité indépendante, la chambre de l'instruction, qui a jugé que l'accès à ces données par les enquêteurs agissant sur commission rogatoire était justifié dans le cadre de la recherche des auteurs des infractions visées aux poursuites, pourtant sans lien avec le terrorisme, a violé l'article 15 de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
4°/ qu'en vertu de l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, l'accès des autorités nationales compétentes aux données de trafic et de localisation conservées est subordonné à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction soit par une entité administrative, tiers par rapport à l'autorité de poursuite, et à la condition que la décision de cette juridiction ou de cette entité intervienne à la suite d'une demande motivée de cette autorité de poursuite ; que, par ailleurs, en vertu de l'article 8, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, l'exploitation de données de trafic et de connexion pour les besoins d'une enquête répressive ne peut intervenir que sur décision d'un juge indépendant et impartial ; que, dans son mémoire, le mis en examen contestait l'accès par les enquêteurs, agissant sur commission rogatoire, aux données de trafic et de localisation concernant différentes personnes, conservées par les fournisseurs de communication électronique, en ce que cet accès n'avait pas été autorisé par une juridiction ; que la chambre de l'instruction qui ne s'est pas prononcée sur ce moyen de nullité, a privé sa décision de base légale en violation des articles 198 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Par arrêt de ce jour, la Cour de cassation a énoncé les principes suivants (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).
8. L'article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, mis en oeuvre par l'article R. 10-13 dudit code, tel qu'il résultait du décret n° 2012-436 du 30 mars 2012, est contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'il imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l'exception des données relatives à l'identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu'en matière de criminalité grave, de celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d'une connexion.
9. En revanche, la France se trouvant exposée, depuis décembre 1994, à une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible à la sécurité nationale, les textes précités de droit interne étaient conformes au droit de l'Union en ce qu'ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée les données de trafic et de localisation, aux fins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, incriminés aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal.
10. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale, dans leur version antérieure à la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022, lus en combinaison avec le sixième alinéa du paragraphe III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, permettaient aux autorités compétentes, de façon conforme au droit de l'Union, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, d'ordonner la conservation rapide, au sens de l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, des données de connexion, même conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.
11. Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle est saisie d'un moyen en ce sens, de vérifier, d'une part, que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave, dont l'appréciation relève du droit national, d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire.
12. S'agissant de la gravité des faits, il appartient au juge de motiver sa décision au regard de la nature des agissements de la personne poursuivie, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.
13. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l'Union uniquement en ce qu'ils ne prévoient pas préalablement à l'accès aux données un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante. En revanche, le juge d'instruction est habilité à contrôler l'accès aux données de connexion.
14. Une personne mise en examen n'est recevable à invoquer la violation de l'exigence précitée que si elle prétend être titulaire ou utilisatrice de l'une des lignes identifiées ou si elle établit qu'il aurait été porté atteinte à sa vie privée, à l'occasion des investigations litigieuses.
15. L'existence d'un grief pris de l'absence d'un tel contrôle est établie si l'accès aux données de trafic et de localisation a méconnu les conditions matérielles posées par le droit de l'Union. Tel est le cas si l'accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, s'il a eu lieu, hors hypothèse de la conservation rapide, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation, n'a pas été circonscrit à une procédure visant à lutter contre la criminalité grave et a excédé les limites du strict nécessaire.
16. En l'espèce, M. [U] ne justifie ni même n'allègue qu'il aurait été porté atteinte à sa vie privée par les réquisitions délivrées aux opérateurs durant l'enquête ou sur commission rogatoire et tendant à obtenir les facturations détaillées et les géolocalisations des lignes téléphoniques dont il n'était ni titulaire ni utilisateur. Il n'a dès lors pas qualité pour en solliciter la nullité.
17. En revanche, il est recevable à solliciter la nullité des réquisitions portant sur les lignes téléphoniques dont il était l'utilisateur, auxquelles les enquêteurs n'ont eu accès que sur commission rogatoire du juge d'instruction.
18. C'est à tort que, pour ne pas faire droit à la nullité des procès-verbaux d'exploitation de facturations détaillées et de données géolocalisées concernant le requérant, l'arrêt énonce en substance que les articles L. 34-1 et R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques, dans leur version en vigueur au moment des faits, prévoyaient une conservation ciblée des données de connexion.
19. En effet, une telle conservation n'existait pas en droit français.
20. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure pour les motifs qui suivent.
21. D'une part, la chambre de l'instruction a, à juste titre, énoncé que les faits d'importation et d'exportation de plusieurs centaines de kilogrammes de cocaïne d'une grande pureté, en bande organisée, par une structure criminelle de dimension internationale, entrent dans le champ de la criminalité grave.
22. D'autre part, elle a également relevé que l'ingérence dans la vie privée du requérant constituée par les réquisitions aux opérateurs téléphoniques et l'exploitation des données d'identité, de trafic et de géolocalisation apparaissait tout à la fois nécessaire et proportionnée à la poursuite d'infractions pénales relevant de la criminalité grave.
23. Il s'ensuit qu'agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction, les enquêteurs pouvaient, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées au moyen, accéder aux données de trafic et de localisation régulièrement conservées pour la finalité de la sauvegarde de la sécurité nationale.
24. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.
25. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juillet deux mille vingt-deux. | Une personne mise en examen n'est recevable à invoquer la violation des exigences de l'Union européenne en matière de conservation des données de connexion que si elle prétend être titulaire ou utilisatrice de l'une des lignes identifiées ou si elle établit qu'il aurait été porté atteinte à sa vie privée, à l'occasion des investigations litigieuses |
8,021 | N° T 21-84.096 FS-B
N° 00772
GM
12 JUILLET 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUILLET 2022
MM. [R] [K] et [S] [M] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 20 mai 2021, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs notamment d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, en récidive, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 13 septembre 2021, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de MM. [K] et [M], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, M. Bonnal, M. de Larosière de Champfeu, Mme Ménotti, Mme Leprieur, Mme Sudre, M. Maziau, Mme Issenjou, M. Turbeaux, M. Seys, M. Dary, Mme Thomas, M. Laurent, conseillers de la chambre, Mme Barbé, M. Violeau, M. Mallard, Mme Guerrini, M. Michon, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 30 septembre 2019, une enquête préliminaire a été ouverte à la suite de la réception par un service de police d'une carte de visite portant l'inscription « Uber Green » et proposant un service de livraison d'herbe de cannabis, joignable chaque jour à un numéro indiqué.
3. Les investigations, notamment téléphoniques, sur le fondement de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, ainsi que les surveillances ont permis de confirmer l'existence d'un trafic de stupéfiants.
4. Le 14 novembre 2019, le procureur de la République a ouvert une information judiciaire contre personne non dénommée des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs.
5. La poursuite des investigations, notamment des réquisitions aux opérateurs de télécommunications, a permis d'identifier MM. [S] [M] et [R] [K], qui ont été interpellés et mis en examen respectivement les 11 et 12 juin 2020.
6. Le 14 décembre 2020, ils ont présenté une requête conjointe en nullité de l'ensemble des réquisitions délivrées à ces opérateurs en exposant que tant la conservation des données de connexion que leur communication aux enquêteurs étaient contraires au droit de l'Union européenne.
Examen des moyens
Sur l'irrecevabilité du moyen en ce qu'il est proposé pour M. [M], relevée d'office et mise dans le débat
7. Il résulte des dispositions de l'article 173-1 du code de procédure pénale que, sous peine d'irrecevabilité, la personne mise en examen doit faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution dans un délai de six mois à compter de cet interrogatoire, sauf dans le cas où elle n'aurait pu les connaître.
8. En l'espèce, M. [M] a été mis en examen le 11 juin 2020 de sorte que le délai de forclusion, prévu à l'article précité, expirait le vendredi 11 décembre 2020.
9. C'est, dès lors, à tort que la chambre de l'instruction a déclaré recevable la requête en nullité de l'intéressé, en date du 14 décembre 2020, au visa de l'article 4 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
10. En effet, la Cour de cassation juge que le délai de six mois imparti par l'article 173-1 du code de procédure pénale à la personne mise en examen pour faire état des moyens pris de la nullité des actes accomplis avant son interrogatoire de première comparution ou de cet interrogatoire lui-même, à compter de la notification de sa mise en examen, ne s'interprète pas comme un délai de recours et n'entre pas dans les prévisions de cet article (Crim., 9 février 2021, pourvoi n° 20-84.939).
11. Il s'ensuit que le moyen, en ce qu'il est présenté par M. [M], doit être déclaré irrecevable.
Sur le moyen en ce qu'il est présenté pour M. [K]
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité tendant à l'annulation, d'une part, de l'ensemble des réquisitions portant sur les données à caractère personnel conservées par les opérateurs de communications électroniques, d'autre part, de l'ensemble des actes subséquents ayant trouvé leur support nécessaire dans ces actes irréguliers et a, en conséquence, ordonné le renvoi de la procédure au juge d'instruction, alors :
« 1°/ que le droit interne ne peut prévoir, aux fins de la lutte contre la criminalité grave et de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique, qu'une conservation ciblée des données relatives au trafic et des données de localisation qui soit délimitée, sur la base d'éléments objectifs et non discriminatoires, en fonction de catégories de personnes concernées ou au moyen d'un critère géographique, pour une période temporellement limitée au strict nécessaire, ce qui exclut toute conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic ou de localisation ; qu'en rejetant cependant la requête en nullité de M. [K], poursuivi des chefs de récidive de trafic de produits stupéfiants, d'association de malfaiteurs et de blanchiment, tendant à l'annulation des pièces obtenues au moyen de la conservation généralisée et indifférenciée de leurs données de trafic et de localisation, aux motifs que le droit de l'Union européenne ne s'opposait pas à cette conservation généralisée des données, la cour d'appel a violé l'article 15, § 1er, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, ensemble l'article 23, § 1er, du règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
2°/ que le droit interne ne peut prévoir, à des fins de lutte contre la criminalité, une conservation généralisée et indifférenciée de l'ensemble des données relatives au trafic et des données de localisation de tous les abonnés et utilisateurs inscrits concernant tous les moyens de communication électronique ; qu'en rejetant la requête en nullité de M. [K], poursuivi des chefs de récidive de trafic de produits stupéfiants, d'association de malfaiteurs et de blanchiment, tendant à l'annulation des pièces obtenues au moyen de la conservation généralisée et indifférenciée de ses données de trafic et de localisation, aux motifs que la conservation de l'ensemble de ses données ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée ou à la protection de ses données personnelles, la cour d'appel a statué par des motifs tout à la fois impropres et inopérants à justifier son arrêt, violant ainsi l'article 15, § 1er, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, ensemble l'article 23, § 1er, du règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
3°/ que le ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, n'est pas une autorité indépendante compétente pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale ; qu'en jugeant le contraire pour rejeter l' exception de nullité de M. [K], aux motifs que « l'autorité judiciaire (
) comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet », la cour d'appel s'est fondée sur des motifs impropres et inopérants à justifier son arrêt, violant ainsi l'article 15, § 1er, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, ensemble l'article 23, § 1er, du règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
4°/ que le juge pénal doit écarter des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation incompatible avec le droit de l'Union, dans le cadre d'une procédure pénale ouverte à l'encontre de personnes soupçonnées d'actes de criminalité, dès lors que ces personnes ne sont pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d'un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits ; qu'en rejetant cependant la requête en nullité de M. [K], poursuivi des chefs de récidive de trafic de produits stupéfiants, d'association de malfaiteurs et de blanchiment, tendant à l'annulation des pièces obtenues au moyen de la conservation généralisée et indifférenciée de ses données de trafic et de localisation, aux seuls motifs que le droit de l'Union européenne ne s'opposait pas à cette conservation généralisée des données et que la conservation de l'ensemble de ses données ne portait pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée ou à la protection de ses données personnelles, d'une part, et, que les officiers de police judiciaire avaient agi sur l'autorisation et sous le contrôle du procureur de la République dans le cadre de l'enquête initiale (autorisation recueillie expressément le 30 septembre 2019), c'est-à-dire sur l'autorisation préalable et sous le contrôle permanent de l'autorité judiciaire « qui comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet », d'autre part, sans rechercher si M. [K] était en mesure de commenter efficacement les informations et les éléments de preuve recueillis à son encontre, provenant d'un domaine échappant à la connaissance des juges et qui étaient susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 15, § 1er, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, ensemble l'article 23, § 1er , du règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1er, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
13. Par arrêt de ce jour, la Cour de cassation a énoncé les principes suivants (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin).
14. L'article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, mis en oeuvre par l'article R. 10-13 dudit code, tel qu'il résultait du décret n° 2012-436 du 30 mars 2012, est contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'il imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l'exception des données relatives à l'identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu'en matière de criminalité grave, de celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d'une connexion.
15. En revanche, la France se trouvant exposée, depuis décembre 1994, à une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible à la sécurité nationale, les textes précités de droit interne étaient conformes au droit de l'Union en ce qu'ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée les données de trafic et de localisation, aux fins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, incriminés aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal.
16. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale, dans leur version antérieure à la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022, lus en combinaison avec le sixième alinéa du paragraphe III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, permettaient aux autorités compétentes, de façon conforme au droit de l'Union, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, d'ordonner la conservation rapide, au sens de l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, des données de connexion, même conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.
17. Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle est saisie d'un moyen en ce sens, de vérifier, d'une part, que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave, dont l'appréciation relève du droit national, d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire.
18. S'agissant de la gravité des faits, il appartient au juge de motiver sa décision au regard de la nature des agissements de la personne poursuivie, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.
19. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l'Union uniquement en ce qu'ils ne prévoient pas préalablement à l'accès aux données un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante. En revanche, le juge d'instruction est habilité à contrôler l'accès aux données de connexion.
20. Une personne mise en examen n'est recevable à invoquer la violation de l'exigence précitée que si elle prétend être titulaire ou utilisatrice de l'une des lignes identifiées ou si elle établit qu'il aurait été porté atteinte à sa vie privée, à l'occasion des investigations litigieuses.
21. L'existence d'un grief pris de l'absence d'un tel contrôle est établie si l'accès aux données de trafic et de localisation a méconnu les conditions matérielles posées par le droit de l'Union. Tel est le cas si l'accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, s'il a eu lieu, hors hypothèse de la conservation rapide, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation, n'a pas été circonscrit à une procédure visant à lutter contre la criminalité grave et a excédé les limites du strict nécessaire.
22. En l'espèce, M. [K] ne justifie ni même n'allègue qu'il aurait été porté atteinte à sa vie privée par les réquisitions délivrées aux opérateurs téléphoniques tendant à obtenir les facturations détaillées et les géolocalisations de lignes téléphoniques dont il n'était ni le titulaire ni l'utilisateur. Il n'a dès lors pas qualité pour en solliciter la nullité.
23. En revanche, il est recevable à solliciter la nullité des investigations relatives aux données de connexion de la ligne dont il était l'utilisateur et auxquelles ont accédé les enquêteurs sur commission rogatoire du juge d'instruction.
24. C'est à tort, pour la raison exposée au paragraphe 14, que, pour ne pas faire droit à la nullité prise de la conservation irrégulière de ces données, l'arrêt énonce en substance que la lutte contre la criminalité grave justifie l'ingérence dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, sous réserve de proportionnalité au but poursuivi et que cette ingérence soit encadrée par la loi.
25. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure pour les raisons suivantes.
26. En premier lieu, la chambre de l'instruction a énoncé que les faits, passibles d'une peine de dix ans d'emprisonnement, relevaient, par leur ampleur et leur structure, de la criminalité organisée.
27. Dès lors, ils relevaient de la criminalité grave.
28. En second lieu, la chambre de l'instruction a constaté que c'est exclusivement dans le cadre de l'enquête, dont l'objet était délimité précisément, que les enquêteurs ont sollicité, pour une période limitée, des informations alors détenues par les opérateurs de téléphonie concernant des lignes en lien direct avec les infractions motivant les investigations.
29. Il s'ensuit qu'agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction, les enquêteurs pouvaient, sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées au moyen, accéder aux données de trafic et de localisation régulièrement conservées pour la finalité de la sauvegarde de la sécurité nationale.
30. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.
31. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juillet deux mille vingt-deux. | Une personne mise en examen n'est recevable à invoquer la violation des exigences de l'Union européenne en matière de conservation des données de connexion que si elle prétend être titulaire ou utilisatrice de l'une des lignes identifiées ou si elle établit qu'il aurait été porté atteinte à sa vie privée, à l'occasion des investigations litigieuses |
8,022 | N° A 20-86.652 FS-B
N° 00773
GM
12 JUILLET 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUILLET 2022
M. [F] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 16 novembre 2020, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'enlèvement et séquestration en bande organisée et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 1er mars 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Barbé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [F] [H], et les conclusions de M. Valat, avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 19 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Barbé, conseiller rapporteur, M. Bonnal, M. de Larosière de Champfeu, Mme Ménotti, Mme Leprieur, Mme Sudre, M. Maziau, Mme Issenjou, M. Turbeaux, Mme Labrousse, M. Seys, M. Dary, Mme Thomas, M. Laurent, conseillers de la chambre, M. Violeau, M. Mallard, Mme Guerrini, M. Michon, conseillers référendaires, M. Valat, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [B] [Y] s'est présenté aux services de police le 22 décembre 2019 au matin, pour signaler l'enlèvement de son fils [V] [Y], âgé de 17 ans, survenu dans la nuit.
3. Il a expliqué aux enquêteurs qu'il conservait des stupéfiants dans son garage pour le compte de tiers et que, suite à la disparition de trente kilogrammes de résine de cannabis qui y étaient entreposés, les trafiquants avaient enlevé son fils qu'ils menaçaient de tuer s'il ne se rendait pas au rendez-vous qu'ils lui fixaient.
4. Un dispositif de surveillance a alors été mis en place vers 14 heures par la brigade de recherches et d'intervention dans le périmètre de géolocalisation de trois téléphones, deux utilisés par les ravisseurs et le troisième appartenant à la victime elle-même.
5. En présence constante d'un enquêteur, M. [B] [Y] a communiqué par téléphone avec les ravisseurs et s'est rendu au point de rendez-vous. Constatant la présence, vers 16 heures, de la victime accompagnée d'un jeune homme, identifié par la suite comme étant [N] [H], les policiers ont interpellé ce dernier et mis la victime en sécurité.
6. La poursuite de l'enquête a donné lieu à l'interpellation de plusieurs autres personnes dont M. [F] [H], oncle de [N] [H], et la mise en évidence d'un lien entre les téléphones utilisés par les ravisseurs et ceux qui ont été géolocalisés.
7. M. [F] [H] a été mis en examen le 26 décembre 2019.
8. Il a formé une requête en nullité de deux autorisations de géolocalisation des lignes téléphoniques et de tous les actes subséquents, critiquant l'insuffisance de leur motivation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité des autorisations de géolocalisation des lignes téléphoniques n° [XXXXXXXX01] et n° [XXXXXXXX02], alors :
« 1°/ qu'en édictant les dispositions des articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale - lesquelles autorisent, dans le cadre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire ou d'une procédure prévue aux articles 74 à 74-2, le recours à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel d'une personne, à l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, par décision du seul procureur de la République et sans contrôle préalable par une juridiction indépendante pour une durée maximale de quinze jours ou huit jours consécutifs selon les cas -, le législateur a, d'une part, porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée ainsi qu'aux droits de la défense et à un recours effectif et, d'autre part, méconnu sa propre compétence en affectant ces mêmes droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a rejeté la demande d'annulation des autorisations de géolocalisation prises par le seul procureur de la République sur le fondement de ces textes ; que dès lors, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale consécutivement à la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra ;
2°/ que l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 du Parlement et du Conseil du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte, s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale (CJUE, 2 mars 2021, H.K./Prokuratuur, Aff. C-746/18) ; que, dès lors, en refusant d'annuler les décisions d'autorisation de géolocalisation des lignes téléphoniques n° [XXXXXXXX01] et n° [XXXXXXXX02], prises par le seul procureur de la République sur le fondement des articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale sans contrôle préalable effectué soit par une juridiction soit par une entité administrative indépendante, la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;
3°/ que toute ingérence dans le droit au respect de la vie privée doit être nécessaire et proportionnée, ce qui implique qu'elle soit entourée de garanties adéquates et suffisantes contre les abus ; qu'en refusant d'annuler les décisions d'autorisation de géolocalisation des lignes téléphoniques n° [XXXXXXXX01] et n° [XXXXXXXX02] prises par le seul procureur de la République, lorsque ce magistrat, qui dirige la procédure d'enquête et exerce l'action publique, est partie à la procédure et, par conséquent, ne présente pas les garanties d'impartialité et d'indépendance nécessaires pour apprécier la nécessité et la proportionnalité de l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée que constituent les opérations de géolocalisation, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ».
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
10. Par décision n° 2021-930 QPC du 23 septembre 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré la première phrase du 1° de l'article 230-33 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, conforme à la Constitution.
11. Dès lors, le grief devient sans objet.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
12. Afin de garantir l'effectivité de l'ensemble des dispositions du droit de l'Union européenne, le principe de primauté impose aux juridictions nationales d'interpréter, dans toute la mesure du possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l'Union. A défaut de pouvoir procéder à une telle interprétation, le juge national a l'obligation d'assurer le plein effet des dispositions du droit de l'Union en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (CJCE, arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77).
13. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) énonce que le droit communautaire n'impose pas aux juridictions nationales de soulever d'office un moyen tiré de la violation de dispositions communautaires, lorsque l'examen de ce moyen les obligerait à sortir des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties. Ces juridictions sont néanmoins tenues de soulever d'office les moyens de droit tirés d'une règle communautaire contraignante lorsque, en vertu du droit national, elles ont l'obligation ou la faculté de le faire par rapport à une règle contraignante de droit national (CJCE, arrêt du 14 décembre 1995,Van Schijndel et van Veen, C-430/93 et C-431/93, point 14 ; CJUE, arrêt du 12 février 2008, Kempter, C-2/06, point 45).
14. Plus particulièrement dans les procédures de cassation, la CJUE énonce que le droit de l'Union, en principe, ne s'oppose pas à ce que les États membres, conformément au principe de l'autonomie procédurale, limitent ou soumettent à des conditions les moyens susceptibles d'être invoqués dans ces procédures, sous réserve du respect des principes d'effectivité et d'équivalence (CJUE, arrêt du 17 mars 2016, Bensada Benallal, C-161/15, point 27).
15. Le principe d'équivalence commande que l'ensemble des règles de procédure nationales s'applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit de l'Union et aux recours fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables.
16. En droit national, le moyen présenté pour la première fois devant la Cour de cassation est nouveau, et, comme tel, irrecevable (Crim., 18 juin 1997, pourvoi n° 96-84.926, Bull. crim. 1997, n° 246), sauf s'il s'agit d'un moyen d'ordre public et de pur droit (Crim., 1er octobre 1987, pourvoi n° 86-96.148, Bull. crim. 1987, n° 323).
17. Par arrêt de ce jour (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin), la Cour de cassation a jugé que les exigences européennes en matière de conservation et d'accès aux données de connexion ont pour objet la protection du droit au respect de la vie privée, du droit à la protection des données à caractère personnel et du droit à la liberté d'expression (CJUE, arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., French Data Network e.a., C-511/18, C-512/18, C-520/18), de sorte que leur méconnaissance n'affecte qu'un intérêt privé.
18. Dès lors, le moyen pris de la violation de l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne par la Cour de justice de l'Union européenne, n'est pas d'ordre public.
19. Il doit, par conséquent, avoir été préalablement soumis aux juges du fond pour être recevable devant la Cour de cassation.
20. Le principe d'effectivité impose, en outre, que les parties aient une véritable possibilité de soulever un moyen fondé sur le droit de l'Union européenne devant une juridiction nationale.
21. Au cas d'espèce, il convient de constater que le requérant a eu la possibilité de soulever, devant les juges du fond, le moyen pris de la violation de l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne par la Cour de justice de l'Union européenne.
22. Or, le requérant n'a pas soulevé ce moyen devant les juges du fond. Il a seulement invoqué l'insuffisance de la motivation des autorisations de géolocalisation.
23. En conséquence, le grief est irrecevable.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
24. Le grief, qui n'a pas été soumis à la juridiction du fond, n'est pas recevable devant la Cour de cassation.
25. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
26. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité des autorisations de géolocalisation des lignes téléphoniques n° [XXXXXXXX01] et n° [XXXXXXXX02], alors :
« 1°/ que la décision du procureur de la République autorisant, à l'occasion d'une enquête de flagrance, une opération de géolocalisation, doit être écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que cette opération est nécessaire ; que la chambre de l'instruction, saisie d'une requête en annulation de cette décision prise par le procureur de la République, au motif du défaut de motivation de cette dernière conformément aux exigences légales, ne peut substituer sa propre motivation à celle de ce magistrat ; qu'en l'espèce, par une décision écrite prise au visa de « l'enquête de flagrance conduite sur des faits d'enlèvement, séquestration en bande organisée », le procureur de la République a autorisé la géolocalisation de la ligne téléphonique n° [XXXXXXXX01] aux seuls motifs que « les nécessités de l'enquête exigent qu'il soit procédé à des réquisitions aux fins de géolocalisation en temps réel » de cette ligne téléphonique « utilisée par un des ravisseurs » ; qu'en écartant la demande d'annulation de cette autorisation, motifs pris que celle-ci « expose explicitement les éléments de fait rendant ces opérations aussi nécessaires qu'éminemment urgentes, à savoir l'utilisation de cette ligne téléphonique par l'un des auteurs des faits d'enlèvement et de séquestration en cours au moment où l'autorisation critiquée a été sollicitée et accordée, faits susceptibles d'exposer leur auteur à des peines criminelles et aussi d'aboutir à des conséquences extrêmes pour la victime, conséquences dont il existait alors des raisons plausibles de penser que seule une réaction rapide et efficace des autorités publiques pouvait permettre de les limiter », lorsque la décision du procureur de la République n'exposait aucun élément factuel susceptible d'établir l'existence d'un lien entre les ravisseurs et la ligne téléphonique dont elle autorisait la géolocalisation et qu'elle ne mentionnait ni ne caractérisait l'existence d'une quelconque urgence, la chambre de l'instruction, qui ne pouvait substituer ses propres motifs à ceux de la décision du procureur de la République, a violé les articles préliminaire, 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que la décision du procureur de la République autorisant, à l'occasion d'une enquête de flagrance, une opération de géolocalisation, doit être écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que cette opération est nécessaire ; que la chambre de l'instruction, saisie d'une requête en annulation de cette décision prise par le procureur de la République, au motif du défaut de motivation de cette dernière conformément aux exigences légales, ne peut substituer sa propre motivation à celle de ce magistrat ; qu'en l'espèce, par une décision écrite prise au visa de « l'enquête de flagrance diligentée (
) sur des faits d'enlèvement et séquestration sans libération volontaire en bande organisée », le procureur de la République a autorisé la géolocalisation de la ligne téléphonique n° [XXXXXXXX02] aux motifs que « les nécessités de l'enquête exigent qu'il soit procédé à des réquisitions aux fins de géolocalisation en temps réel » de cette ligne téléphonique « non identifiée à ce jour mais susceptible d'être utilisée par l'un des auteurs des faits » ; qu'en écartant la demande d'annulation de cette autorisation, motifs pris que celle-ci « expose explicitement les éléments de fait rendant ces opérations aussi nécessaires qu'éminemment urgentes, à savoir l'utilisation de cette ligne téléphonique par l'un des auteurs des faits d'enlèvement et de séquestration en cours au moment où l'autorisation critiquée a été sollicitée et accordée, faits susceptibles d'exposer leur auteur à des peines criminelles et aussi d'aboutir à des conséquences extrêmes pour la victime, conséquences dont il existait alors des raisons plausibles de penser que seule une réaction rapide et efficace des autorités publiques pouvait permettre de les limiter », lorsque la décision du procureur de la République n'exposait aucun élément factuel susceptible d'établir l'existence d'un lien entre les ravisseurs et la ligne téléphonique dont elle autorisait la géolocalisation et qu'elle ne mentionnait ni ne caractérisait l'existence d'une quelconque urgence, la chambre de l'instruction, qui ne pouvait substituer ses propres motifs à ceux de la décision du procureur de la République, a violé les articles préliminaire, 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ».
Réponse de la Cour
27. Pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la géolocalisation en temps réel des deux lignes téléphoniques utilisées par les personnes soupçonnées d'être les ravisseurs de la victime, l'arrêt attaqué relève qu'elle a été autorisée dans le cadre d'une enquête portant sur des faits susceptibles de qualification criminelle, que cette autorisation a été accordée par le procureur de la République compétent, à l'occasion d'une enquête de flagrance et que cette décision est écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires.
28. Les juges énoncent, en effet, que la motivation, aussi succincte soit-elle, est pleinement suffisante dans la mesure où elle expose explicitement les éléments de fait rendant ces opérations aussi nécessaires qu'éminemment urgentes, à savoir l'utilisation de cette ligne téléphonique par l'un des potentiels auteurs des faits d'enlèvement et de séquestration en cours au moment où l'autorisation critiquée a été sollicitée et accordée, faits susceptibles d'exposer leur auteur à des peines criminelles et aussi d'aboutir à des conséquences extrêmes pour la victime, conséquences dont il existait alors des raisons plausibles de penser que seule une réaction rapide et efficace des autorités publiques pouvait permettre de les limiter.
29. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui n'a pas substitué ses motifs à ceux du procureur de la République qui a autorisé la géolocalisation mais en a précisé le contexte, n'a pas méconnu les textes visés au moyen.
30. Dès lors, celui-ci doit être écarté.
31. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juillet deux mille vingt-deux. | Le principe de primauté impose aux juridictions nationales d'interpréter, dans toute la mesure du possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l'Union européenne, lequel ne s'oppose pas à ce que les États membres, conformément au principe de l'autonomie procédurale, limitent ou soumettent à des conditions les moyens de droit tirés d'une règle communautaire contraignante susceptibles d'être invoqués dans les procédures de cassation, sous réserve du respect des principes d'effectivité et d'équivalence |
8,023 | N° B 21-83.805 FS-B
N° 00774
GM
12 JUILLET 2022
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUILLET 2022
M. [R] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 27 mai 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de dégradation et violences aggravées en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 13 septembre 2021, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. [R] [Y], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, M. Bonnal, M. de Larosière de Champfeu,
Mme Ménotti, Mme Leprieur, Mme Sudre, M. Maziau, Mme Issenjou, M. Turbeaux, Mme Labrousse, M. Seys, M. Dary, Mme Thomas, M. Laurent, conseillers de la chambre, Mme Barbé, M. Mallard, Mme Guerrini, M. Michon, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 11 novembre 2019, M. [X] [L] a porté plainte pour des faits de violences avec arme.
3. Le 5 décembre 2019, le procureur de la République a autorisé, pour une durée de huit jours, la géolocalisation des lignes téléphoniques de MM. [R] [Y] et [K] [D], identifiés comme étant susceptibles d'être les auteurs de ces violences.
4. Le même jour, le juge des libertés et de la détention, sur la requête du procureur de la République, a autorisé la perquisition de leur domicile sans leur assentiment.
5. Le 13 décembre 2019, le juge des libertés et de la détention a autorisé la prolongation de la géolocalisation.
6. M. [Y] a été interpellé à son domicile le 7 janvier 2020, puis placé en garde à vue pour des faits de violences volontaires avec arme en réunion et de dégradation volontaire.
7. Au cours de la garde à vue, il a précisé avoir été ivre au moment des faits.
8. Après ouverture d'une information judiciaire, M. [Y] a été mis en examen des chefs de violences volontaires en état d'ivresse sans incapacité totale de travail et dégradation volontaire.
9. Le 8 juin 2020, il a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de l'autorisation de géolocalisation en temps réel prise à son encontre, de l'autorisation de perquisition sans assentiment de son domicile et des actes subséquents.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
10. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches
Enoncé du moyen
11. Le moyen, en ses première et quatrième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de l'autorisation de géolocalisation en temps réel prise à l'encontre de M. [Y] et des actes subséquents, alors :
« 1°/ que l'article 230-33 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, est inconventionnel en ce qu'il donne compétence au procureur de la République, dont la mission est de diriger l'enquête et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser, sans un contrôle préalable par une autorité indépendante, une mesure de géolocalisation en temps réel - qui constitue une ingérence grave dans la vie privée du suspect - dans le cadre d'une enquête, en particulier dans le cadre d'une enquête préliminaire ; qu'en l'espèce, sur le fondement de ce texte, la géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] a été autorisée, dans le cadre d'une enquête préliminaire, par décision du procureur de la République du 5 décembre 2019 ; qu'en rejetant la requête de l'exposant tendant à l'annulation de l'autorisation de cette mesure, la chambre de l'instruction a violé l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
4°/ que l'article 230-33 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, dispose que « la décision du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction est écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations [de géolocalisation] sont nécessaires » ; qu'il en résulte que la motivation de la nécessité des opérations de géolocalisation doit figurer dans la décision même du procureur de la République qui autorise ces opérations et, le cas échéant, dans la décision du juge des libertés et de la détention qui prolonge lesdites opérations ; qu'en se bornant à retenir que la nécessité de la mesure de géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] était effective au moment de l'autorisation et s'était trouvée amplifiée par les faits de l'espèce, sans vérifier si les décisions du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention, qui ont autorisé puis prolongé cette mesure, étaient motivées par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que l'opération de géolocalisation était nécessaire, cependant que l'existence de cette motivation au sein même de ces décisions était contestée par M. [Y] dans sa requête en annulation, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 230-33 du code de procédure pénale et violé les articles 591 et 593 du même code. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
12. Par arrêt de ce jour (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 20-86.652, publié au Bulletin), la Cour de cassation a jugé que le grief pris de la violation des exigences européennes en matière de conservation et d'accès aux données de connexion ainsi que de celles énoncées à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas d'ordre public et doit avoir été soumis aux juges du fond pour être recevable devant la Cour de cassation.
13. En l'espèce, M. [Y] n'a pas soulevé devant la chambre de l'instruction le grief pris de la violation des textes susvisés.
14. En conséquence, le grief est irrecevable.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
15. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'insuffisance de motivation de la mesure de géolocalisation, l'arrêt attaqué énonce, en substance, qu'indépendamment de la stabilité du domicile de M. [Y], il convenait, en vue d'éviter les risques de fuite, de déperdition des preuves et de concertation entre les protagonistes, de réaliser, dans la mesure du possible, une opération d'interpellations concomitantes.
16. C'est à tort que la chambre de l'instruction a rejeté ce moyen s'agissant de l'autorisation du procureur de la République, alors qu'il résulte des pièces de la procédure soumises au contrôle de la Cour de cassation qu'il s'est borné à autoriser le recours à cette mesure par une motivation stéréotypée sans se référer à des circonstances de fait.
17. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure pour les motifs qui suivent.
18. En premier lieu, la nullité n'est pas encourue en application de l'article 802 du code de procédure pénale, dans la mesure où M. [Y] n'a ni justifié ni même allégué une atteinte à ses intérêts, aucune localisation en temps réel n'ayant été effectuée en vertu de l'autorisation délivrée par le procureur de la République.
19. En second lieu, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui analyse les éléments de fait et de droit justifiant la nécessité de la mesure, sur le fondement de laquelle M. [Y] a été géolocalisé, répond aux prescriptions de l'article 230-33 du code de procédure pénale.
20. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche et sur le second moyen
Enoncé des moyens
21. Le premier moyen, en sa troisième branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de l'autorisation de géolocalisation en temps réel prise à l'encontre de M. [Y] et des actes subséquents, alors :
« 3°/ que pour qu'il puisse être recouru à une mesure de géolocalisation en temps réel dans le cadre d'une enquête, l'article 230-32 du code de procédure pénale exige que l'enquête porte sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en l'espèce, à la date à laquelle la géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] a été autorisée, aucune des qualifications pouvant être retenues à son encontre ne lui faisait encourir une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en rejetant néanmoins la requête de l'exposant aux fins d'annulation de l'autorisation de cette mesure de géolocalisation et des actes subséquents, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
22. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation de l'autorisation de procéder à des mesures de perquisition sans assentiment au domicile M. [Y] et des actes subséquents, alors « que pour qu'il puisse être recouru à une mesure de perquisition sans assentiment dans le cadre d'une enquête préliminaire, l'article 76, alinéa 4, du code de procédure pénale exige que l'enquête porte sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en l'espèce, à la date à laquelle la perquisition sans assentiment du domicile de M. [Y] a été autorisée, aucune des qualifications pouvant être retenues à son encontre ne lui faisait encourir une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en rejetant néanmoins la requête de M. [Y] aux fins d'annulation de l'autorisation de cette perquisition et des actes subséquents, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
23. Les moyens sont réunis.
24. Pour écarter les moyens de nullité selon lesquels ni la mesure de géolocalisation ni la perquisition sans assentiment ne pouvaient être ordonnées au regard des faits susceptibles d'être reprochés à l'intéressé, l'arrêt attaqué énonce en substance que ces mesures ont été autorisées dans le cadre d'une enquête diligentée notamment des chefs de violences volontaires sans incapacité totale de travail avec arme, ces faits pouvant également être aggravés par la circonstance de la réunion.
25. Les juges relèvent que la géolocalisation était justifiée par la nécessité de procéder aux interpellations simultanées de MM. [Y] et [D].
26. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance et de contradiction, la chambre de l'instruction a justifié sa décision et n'a pas encouru les griefs allégués.
27. En effet, lorsque l'enquête est diligentée pour des faits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement, conformément aux exigences des articles 76 et 230-32 du code de procédure pénale, les mesures prévues par ces dispositions peuvent être mises en oeuvre, quelles que soient les qualifications retenues à l'issue de l'enquête à l'égard de chacune des personnes impliquées.
28. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
29. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juillet deux mille vingt-deux. | Lorsque l'enquête est diligentée pour des faits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement, conformément aux exigences des articles 76 et 230-32 du code de procédure pénale, les mesures prévues par ces dispositions peuvent être mises en oeuvre, quelles que soient les qualifications retenues à l'issue de l'enquête à l'égard de chacune des personnes impliquées.
Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui écarte le moyen de nullité selon lequel ni la géolocalisation ni la perquisition sans assentiment ne pouvaient être ordonnées au regard des faits susceptibles d'être reprochés à l'intéressé, après avoir constaté que ces mesures ont été autorisées dans le cadre d'une enquête diligentée notamment des chefs de violences volontaires sans incapacité totale de travail avec arme |
8,024 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 juillet 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 609 FS-B
Pourvoi n° E 20-20.738
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUILLET 2022
M. [M] [A], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° E 20-20.738 contre l'arrêt rendu le 30 avril 2020 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [U] [P], veuve [R],
2°/ à M. [D] [R],
3°/ à Mme [C] [R],
tous trois domiciliés [Adresse 2],
4°/ à Mme [S] [R], domiciliée [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [A], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [P], de M. [R] et de Mmes [C] et [S] [R], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mme Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 30 avril 2020), [T] [L] est décédée le 31 juillet 2001, en l'état d'un testament olographe daté du 18 novembre 2000 et instituant [Z] [R] légataire universel.
2. Par acte du 4 août 2017, Mme [U] [P], M. [D] [R] et Mmes [C] et [S] [R] (les consorts [R]), ayants droit de [Z] [R], décédé le 14 novembre 2014, ont assigné M. [A] en restitution de sommes perçues en exécution d'un testament olographe daté du 20 avril 2001 et annulé par un arrêt du 6 janvier 2011.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [A] fait grief à l'arrêt de déclarer l'action des consorts [R] recevable et de le condamner à leur payer les sommes de 65 550 et 10 589,22 euros avec intérêts au taux légal à compter du 3 février 2011, ainsi que celle de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que la prescription quinquennale de l'action en restitution consécutive à une annulation commence à courir à compter de l'annulation de l'acte ; que pour considérer qu'était non prescrite l'action des consorts [R] initiée par acte du 4 août 2017, tendant à la restitution des sommes versées à M. [A] en exécution du testament de Mme [K], la cour d'appel a déclaré que le point de départ du délai de prescription quinquennale enfermant cette action, qui ne pouvait être antérieur à l'arrêt du 6 janvier 2011 ayant prononcé l'annulation du testament de Mme [K] susvisé, devait être fixé au 3 octobre 2013, date à laquelle les consorts [R] avaient reçu le décompte des sommes versées à M. [A] au titre de la succession de Mme [K], sans lequel le montant exact de leurs demandes ne pouvait être déterminé, et sans lequel il leur était impossible de démontrer que M. [A] avait perçu des sommes ; qu'en statuant ainsi, cependant que le point de départ du délai de prescription devait être fixé au 6 janvier 2011, date de l'arrêt d'annulation du testament bénéficiant à M. [A], la cour d'appel a violé l'article 1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
6. Il en résulte que l'action en restitution consécutive à l'annulation d'un testament se prescrit par cinq ans à compter du jour où l'héritier ou le légataire rétabli dans ses droits a connu ou aurait dû connaître l'appréhension, par le bénéficiaire du testament annulé, des biens revendiqués, sans que le point de départ du délai de prescription puisse être antérieur au prononcé de la nullité.
7. La cour d'appel a retenu souverainement que c'est le 3 octobre 2013 que les consorts [R] avaient été en mesure d'obtenir du notaire chargé du règlement de la succession l'information selon laquelle des sommes avaient été versées à M. [A] en qualité de légataire universel.
8. Ayant relevé que l'action des consorts [R] avait été introduite le 4 août 2017, elle en a exactement déduit que celle-ci était recevable.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [A] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [A] et le condamne à payer aux consorts [R] la somme de 3 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille vingt-deux.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour M. [A].
M. [M] [A] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué, D'AVOIR déclaré recevable l'action engagée par les consorts [R], venant aux droits de M. [Z] [R] à l'encontre de M. [A] et, en conséquence, D'AVOIR condamné M. [A] à payer aux consorts [R] venant aux droits de M. [Z] [R] les sommes de 65 550 euros et 10 589,22 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt du 6 janvier 2011 effectuée le 3 février 2011, outre la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
1°) ALORS QUE la prescription quinquennale de l'action en restitution consécutive à une annulation commence à courir à compter de l'annulation de l'acte ; que pour considérer qu'était non prescrite l'action des consorts [R] initiée par acte du 4 août 2017, tendant à la restitution des sommes versées à M. [A] en exécution du testament de Mme [K], la cour d'appel a déclaré que le point de départ du délai de prescription quinquennale enfermant cette action, qui ne pouvait être antérieur à l'arrêt du 6 janvier 2011 ayant prononcé l'annulation du testament de Mme [K] susvisé, devait être fixé au 3 octobre 2013, date à laquelle les consorts [R] avaient reçu le décompte des sommes versées à M. [A] au titre de la succession de Mme [K], sans lequel le montant exact de leurs demandes ne pouvait être déterminé, et sans lequel il leur était impossible de démontrer que M. [A] avait perçu des sommes ; qu'en statuant ainsi, cependant que le point de départ du délai de prescription devait être fixé au 6 janvier 2011, date de l'arrêt d'annulation du testament bénéficiant à M. [A], la cour d'appel a violé l'article 1304 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS en toute hypothèse QUE l'annulation d'un acte emporte obligation à restitution de ce qui a été versé en exécution de l'acte annulé ; que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que pour déclarer non prescrite l'action des consorts [R] initiée par acte du 4 août 2017, tendant à la restitution des sommes versées à M. [A] en exécution du testament de Mme [K], la cour d'appel a déclaré que le point de départ du délai de prescription quinquennale enfermant cette action, qui ne pouvait être antérieur à l'arrêt du 6 janvier 2011 ayant prononcé l'annulation du testament de Mme [K] susvisé, devait être fixé au 3 octobre 2013, date à laquelle les consorts [R] avaient reçu le décompte des sommes versées à M. [A] au titre de la succession de Mme [K], sans lequel le montant exact de leurs demandes ne pouvait être déterminé et sans lequel il leur était impossible de démontrer que M. [A] avait perçu des sommes ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée par les conclusions d'appel de M. [A] (p. 5 à 8), s'il ne résultait pas notamment des conclusions de M. [Z] [R] du 2 juin 2005 prises au soutien de sa demande d'annulation du testament litigieux, que ce dernier savait alors déjà que M. [A] avait perçu des sommes en exécution du testament litigieux, et s'il n'était en toute hypothèse pas, dans le cadre de cette action en annulation, déjà en mesure de solliciter toute mesure d'investigation sur d'éventuels versements intervenus, dont il pouvait d'ores et déjà demander la restitution en cas d'annulation du testament, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2224 et 1178 du code civil.
Le greffier de chambre | Il résulte de l'article 2224 du code civil que l'action en restitution consécutive à l'annulation d'un testament se prescrit par cinq ans à compter du jour où l'héritier ou le légataire rétabli dans ses droits a connu ou aurait dû connaître l'appréhension, par le bénéficiaire du testament annulé, des biens revendiqués, sans que le point de départ du délai de prescription puisse être antérieur au prononcé de la nullité |
8,025 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 juillet 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 568 FS-B
Pourvoi n° T 21-16.407
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUILLET 2022
1°/ M. [S] [U],
2°/ Mme [T] [E], épouse [U],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° T 21-16.407 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [K] [C], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société du Parc, société civile immobilière, dont le siège est chez M. [P] [W], [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La société du Parc a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. et Mme [U], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [C], de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société du Parc, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 mars 2021), le 21 mars 2000, M. et Mme [U] ont acquis le lot n° 16 du lotissement de la Haute Garonnette, constitué d'une maison d'habitation bâtie sur un terrain de 1 658 mètres carrés.
2. Le 15 mai 2007, la société civile immobilière du Parc (la SCI) est devenue propriétaire du lot voisin n° 17.
3. Ayant obtenu un permis de construire le 16 octobre 2008 et un permis modificatif le 22 décembre 2011, la SCI a, sous la maîtrise d'oeuvre de M. [C], architecte, démoli la villa préexistante et reconstruit un bâtiment comprenant sept logements et des garages.
4. Invoquant la violation du cahier des charges du lotissement, M. et Mme [U] ont assigné la SCI et M. [C] aux fins d'obtenir, à titre principal, la démolition des ouvrages édifiés et, subsidiairement, des dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses quatrième à sixième branches, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [U] font grief à l'arrêt de dire que, par la construction contrevenant au cahier des charges, la SCI ne leur a causé qu'un préjudice dont elle leur doit réparation à concurrence d'une somme de 50 000 euros, alors :
« 1°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; qu'en considérant, pour refuser d'ordonner la démolition de la construction litigieuse, que le juge restait libre d'apprécier si la démolition était adaptée au préjudice prouvé par la partie qui la demandait ou si une réparation indemnitaire était suffisante à réparer le dommage intégral, quand, la violation des clauses du cahier des charges étant établie, elle ne pouvait refuser la démolition qu'à raison d'une impossibilité d'exécution de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que l'expulsion et la démolition sont les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien ; qu'en ajoutant que la démolition était « en pratique impossible en ce que les sept logements construits par la SCI étaient occupés », quand il n'en résultait en toute hypothèse aucune impossibilité d'exécution de la démolition, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que la démolition ne peut en aucun cas constituer une sanction disproportionnée ; qu'en ajoutant encore qu'il était totalement disproportionné de demander la destruction d'un immeuble d'habitation collective uniquement pour éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément d'un voisinage moins bourgeois, le bâtiment en question ayant été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et seuls M. et Mme [U] se plaignant de cette construction qui ne leur occasionnait aucune perte de vue ou aucun vis-à-vis, quand la démolition ne pouvait constituer une sanction disproportionnée, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel a constaté que, si la construction violait l'article 8 du cahier des charges du lotissement, dès lors qu'elle n'était pas implantée dans un carré de trente mètres sur trente mètres, le cahier des charges, qui n'avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d'un édifice important sur le lot acquis par la SCI et que la construction réalisée, située à l'arrière de la villa de M. et Mme [U], n'occultait pas la vue dont ils bénéficiaient, l'expert étant d'avis qu'il n'en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif pour M. et Mme [U] en raison de la présence, en amont de leur propriété, d'un ensemble de sept logements se substituant à une ancienne villa.
8. Ayant retenu qu'il était totalement disproportionné de demander la démolition d'un immeuble d'habitation collective dans l'unique but d'éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l'immeuble avait été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et n'occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d'appel, qui a fait ressortir l'existence d'une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d'exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
10. La SCI fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de M. [C] à la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du dommage causé par ses manquements, alors « qu'en se bornant à énoncer pour opérer un partage de responsabilité que la SCI du Parc, même constituée entre époux, avait une compétence professionnelle certaine en matière de construction dès lors que son objet social était précisément d'acquérir et de construire tous biens immobiliers puis de les gérer quand cette constatation ne suffisait pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel à l'occasion du contrat de maîtrise d'oeuvre litigieux dès lors que le domaine de la construction faisait appel à des connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel a méconnu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
11. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
12. Pour limiter la condamnation de M. [C] à garantir la SCI des condamnations prononcées contre elle, l'arrêt retient que M. [C] peut légitimement demander que sa responsabilité soit atténuée par le fait que la SCI maître de l'ouvrage, même constituée entre époux, a une compétence professionnelle certaine en matière de construction car son objet social est précisément d'acquérir et de construire tous biens immobiliers, puis de les gérer.
13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à établir la qualité de professionnel de la construction de la SCI, laquelle suppose des connaissances et des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen du pourvoi incident, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le chef de dispositif du jugement ayant condamné M. [C] à garantir la société civile immobilière du Parc de la condamnation prononcée contre elle au titre de la violation du cahier des charges du lotissement, il limite la condamnation de M. [C] à payer à cette société la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du dommage causé par ses manquements, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. et Mme [U] aux dépens du pourvoi principal et M. [C] à ceux du pourvoi incident ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [U] (demandeurs au pourvoi principal)
Les époux [U] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR, ayant dit que la construction édifiée par la SCI du Parc sur sa propriété n'était pas jumelée et qu'elle contrevenait aux stipulations de l'article 8 du cahier des charges en ce qu'elle n'entrait pas dans un carré de 30x30 mètres, jugé que, par cette construction illicite, la SCI du Parc n'avait causé qu'un préjudice aux époux [U], dont ils pouvaient prétendre à réparation à concurrence d'une somme de 50.000 € ;
1°) ALORS QUE le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; qu'en considérant, pour refuser d'ordonner la démolition de la construction litigieuse, que le juge restait libre d'apprécier si la démolition était adaptée au préjudice prouvé par la partie qui la demandait ou si une réparation indemnitaire était suffisante à réparer le dommage intégral, quand, la violation des clauses du cahier des charges étant établie, elle ne pouvait refuser la démolition qu'à raison d'une impossibilité d'exécution de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que l'expulsion et la démolition sont les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien ; qu'en ajoutant que la démolition était « en pratique impossible en ce que les sept logements construits par la SCI étaient occupés », quand il n'en résultait en toute hypothèse aucune impossibilité d'exécution de la démolition, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QUE le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que la démolition ne peut en aucun cas constituer une sanction disproportionnée ; qu'en ajoutant encore qu'il était totalement disproportionné de demander la destruction d'un immeuble d'habitation collective uniquement pour éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément d'un voisinage moins bourgeois, le bâtiment en question ayant été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et seuls les époux [U] se plaignant de cette construction qui ne leur occasionnait aucune perte de vue ou aucun vis-à-vis, quand la démolition ne pouvait constituer une sanction disproportionnée, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°) ALORS QUE (subsidiairement) le jugement devant être motivé, la contradiction de motifs équivaut au défaut de motifs ; qu'en retenant, pour fixer à 50.000 € le montant du préjudice subi par les époux [U] du fait de la construction illicite de la SCI du Parc, qu'ils produisaient, pour toute preuve de leur préjudice, un « pré-rapport d'expertise » dressé par un expert immobilier, M. [N], le 10 septembre 2017, et que le dossier des époux [U] contenait également des photographies aériennes de la construction de la SCI, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE (subsidiairement) lorsqu'une partie à laquelle un rapport d'expertise est opposé n'a pas été appelée ou représentée au cours des opérations d'expertise, le juge ne peut refuser d'examiner ce rapport, dès lors que celui-ci a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties ; qu'en ajoutant, pour écarter le rapport de M. [N] qui indiquait que la perte de valeur vénale de la maison de ses requérants, due à la perte d'intimité et de vues, ainsi que des nuisances sonores subies du fait « des constructions voisines » s'élevait à 450.000 €, que ce rapport présentait un caractère non contradictoire, quand ce document de preuve avait été régulièrement versé aux débats et soumis à la libre discussion des parties, de sorte qu'elle ne pouvait utilement opposer son caractère noncontradictoire, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QUE (subsidiairement) le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en ajoutant, enfin, que le rapport de M. [N] constituait une analyse purement abstraite des éléments de valeur de la propriété par rapport à sa localisation, sans mention de constatations personnelles des nuisances auxquelles il n'était fait allusion que comme un facteur théorique de baisse de la valeur vénale du bien, quand, dans son rapport, l'expert soulignait que « la masse imposante et écrasante des constructions édifiées au Nord/Est de la propriété [U], dévalue ce bien. Les nouvelles constructions, édifiées en surplomb de la propriété [U] génèrent, pour les occupants de cette propriété, une gêne, une perte d'intimité, des nuisances sonores et des préjudices consécutifs. Les constructions nouvellement réalisées, de par leur implantation, leur emprise au sol et leur volume, contrarient et impactent les vues de la construction limitrophe [U], cette gêne est ressentie dès l'entrée de la propriété et ce, sur toute la superficie du jardin d'agrément jusqu'à la construction, soit une surface de l'ordre de 1.000 m² », la cour d'appel a méconnu le principe susvisé. Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour la société du Parc (demanderesse au pourvoi incident)
La SCI du Parc FAIT GRIEF A l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir, après avoir dit que M. [K] [C] avait engagé sa responsabilité contractuelle au titre de la maitrise d'oeuvre de la construction édifiée par la SCI du Parc, limité la condamnation de M. [K] [C] à la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du dommage causés par ses manquements.
1°)- ALORS QUE en l'absence de toute précision sur le fondement de la demande, les juges du fond doivent examiner les faits sous tous leurs aspects juridiques conformément aux règles de droit qui leur sont applicables ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que l'architecte, M. [C], en sa qualité de maitre d'oeuvre de conception et de construction du projet que lui avait confié la SCI, devait intégrer dans ses travaux le respect des stipulations d'urbanisme du cahier des charges du lotissement ; qu'elle a également relevé que s'agissant d'une construction non jumelée, ladite construction devait s'inscrire aux termes de l'article 8 du cahier des charges dans un carré de 30 / 30 m, ce qui n'était pas le cas de la construction litigieuse d'où une violation dudit article 8 ; qu'en se bornant à énoncer que si la SCI ne précisait pas le texte légal sur lequel elle fondait sa demande de condamnation, il s'agissait nécessairement d'un fondement contractuel sans rechercher, comme elle en avait l'obligation, si le non-respect des stipulations d'urbanisme de l'article 8 du cahier des charges dont la violation devait nécessairement entrainer, selon les époux [U], la démolition de l'ouvrage, ne constituait dès lors pas un désordre de nature à le rendre impropre à sa destination en raison de sa mauvaise implantation et n'engageait donc pas la responsabilité de M. [C] sur le fondement de l'article 1792 du code civil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 12 du code de procédure civile.
- 2°) ALORS QUE en se bornant à énoncer pour opérer un partage de responsabilité que la SCI du Parc, même constituée entre époux, avait une compétence professionnelle certaine en matière de construction dès lors que son objet social était précisément d'acquérir et de construire tous biens immobiliers puis de les gérer quand cette constatation ne suffisait pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel à l'occasion du contrat de maîtrise d'oeuvre litigieux dès lors que le domaine de la construction faisait appel à des connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel a méconnu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
3°) - ALORS QUE tout état de cause, pour opérer un partage de responsabilité, la cour s'est bornée à énoncer que la SCI du Parc, même constituée entre époux, avait une compétence certaine en matière de construction compte tenu de son objet social qui était précisément d'acquérir et de construire tous les biens immobiliers puis de les gérer et que M. [C] pouvait légitimement demander que sa responsabilité soit atténuée ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage ou son acceptation délibérée des risques, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. | Une cour d'appel qui fait ressortir l'existence d'une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour le créancier, peut en déduire que la demande d'exécution en nature doit être rejetée et que la violation du cahier des charges du lotissement doit être sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts |
8,026 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 juillet 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 569 FS-B
Pourvoi n° U 21-16.408
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUILLET 2022
1°/ M. [J] [Y],
2°/ Mme [N] [O], épouse [Y],
domiciliés tous deux [Adresse 5], [Localité 3],
ont formé le pourvoi n° U 21-16.408 contre l'arrêt rendu le 11 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [X] [F], domicilié Le Caoupré d'Alvine, [Adresse 2], [Localité 4],
2°/ à la société Domaine du Cap, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3],
défendeurs à la cassation.
La société Domaine du Cap a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation également annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. et Mme [Y], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [F], de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la société Domaine du Cap, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 mars 2021), le 21 mars 2000, M. et Mme [Y] ont acquis le lot n° 16 du lotissement de la Haute Garonnette, constitué d'une maison d'habitation bâtie sur un terrain de 1 658 m².
2. Le 15 décembre 2011, la société civile immobilière Domaine du cap (la SCI) est devenue propriétaire du lot n° 18.
3. En vertu d'un permis de construire du 12 mars 2008 et d'un permis modificatif du 22 décembre 2011, elle a entrepris, sous la maîtrise d'uvre de M. [F], la construction d'un immeuble de six logements avec piscine.
4. Invoquant la violation du cahier des charges du lotissement, M. et Mme [Y] ont assigné la SCI et M. [F] aux fins d'obtenir, à titre principal, la démolition des ouvrages édifiés et, subsidiairement, des dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses quatrième à sixième branches, du pourvoi principal et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [Y] font grief à l'arrêt de dire que, par la construction contrevenant au cahier des charges, la SCI ne leur a causé qu'un préjudice dont elle leur doit réparation à concurrence d'une somme de 20 000 euros, alors :
« 1°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; qu'en considérant, pour refuser d'ordonner la démolition de la construction litigieuse, que le juge restait libre d'apprécier si la démolition était adaptée au préjudice prouvé par la partie qui la demandait ou si une réparation indemnitaire était suffisante à réparer le dommage intégral, quand, la violation des clauses du cahier des charges étant établie, elle ne pouvait refuser la démolition qu'à raison d'une impossibilité d'exécution de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que l'expulsion et la démolition sont les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien ; qu'en ajoutant que la démolition était « en pratique impossible en ce que les six logements construits par la SCI étaient occupés », quand il n'en résultait en toute hypothèse aucune impossibilité d'exécution de la démolition, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ que le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que la démolition ne peut en aucun cas constituer une sanction disproportionnée ; qu'en ajoutant encore qu'il était totalement disproportionné de demander la destruction d'un immeuble d'habitation collective uniquement pour éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément d'un voisinage moins bourgeois, le bâtiment en question ayant été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et seuls M. et Mme [Y] se plaignant de cette construction qui ne leur occasionnait aucune perte de vue ou aucun vis-à-vis, quand la démolition ne pouvait constituer une sanction disproportionnée, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel a constaté que, si la construction violait l'article 8 du cahier des charges du lotissement, dès lors qu'elle n'était pas implantée dans un carré de trente mètres sur trente mètres, le cahier des charges, qui n'avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d'un édifice important sur le lot acquis par la SCI et que la construction réalisée, située à l'arrière de la villa de M. et Mme [Y], n'occultait pas la vue dont ils bénéficiaient, l'expert étant d'avis qu'il n'en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif pour M. et Mme [Y] en raison de la présence, en amont de leur propriété, d'un ensemble de six logements se substituant à une ancienne villa.
8. Ayant retenu qu'il était totalement disproportionné de demander la démolition d'un immeuble d'habitation collective dans l'unique but d'éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l'immeuble avait été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et n'occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d'appel, qui a fait ressortir l'existence d'une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d'exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
10. La SCI fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation de M. [F] à la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « qu'en se bornant à énoncer pour opérer un partage de responsabilité que la SCI Domaine du Cap, même constituée entre époux, avait une compétence professionnelle certaine en matière de construction dès lors que son objet social était précisément d'acquérir et de construire tous biens immobiliers puis de les gérer quand cette constatation ne suffisait pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel à l'occasion du contrat de maîtrise d'oeuvre litigieux dès lors que le domaine de la construction faisait appel à des connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel a méconnu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
11. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
12. Pour limiter la condamnation de M. [F] à garantir la SCI des condamnations prononcées contre elle, l'arrêt retient que M. [F] peut légitimement demander que sa responsabilité soit atténuée en raison de la qualité de professionnelle de la SCI, maître de l'ouvrage, dont l'objet social est précisément d'acquérir et de construire tous biens immobiliers, puis de les gérer, la circonstance qu'elle soit constituée entre époux ne suffisant pas à anéantir la présomption de sa compétence de constructeur immobilier.
13. En statuant ainsi, par des motifs impropres à établir la qualité de professionnel de la construction de la SCI, laquelle suppose des connaissances et des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen du pourvoi incident, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le chef de dispositif du jugement ayant condamné M. [F] à garantir la société civile immobilière Domaine du parc de la condamnation prononcée contre elle au titre de la violation du cahier des charges du lotissement, il limite la condamnation de M. [F] à payer à cette société la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du dommage causé par ses manquements, l'arrêt rendu le 11 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. et Mme [Y] aux dépens du pourvoi principal et M. [F] à ceux du pourvoi incident ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Y] (demandeurs au pourvoi principal)
Les époux [Y] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR, ayant dit que la construction édifiée par la SCI Domaine du Cap sur sa propriété n'était pas jumelée et qu'elle contrevenait aux stipulations de l'article 8 du cahier des charges en ce qu'elle n'entrait pas dans un carré de 30x30 mètres, jugé que, par cette construction illicite, la SCI Domaine du Cap n'avait causé qu'un préjudice aux époux [Y], dont ils pouvaient prétendre à réparation à concurrence d'une somme de 20.000 € ;
1°) ALORS QUE le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; qu'en considérant, pour refuser d'ordonner la démolition de la construction litigieuse, que le juge restait libre d'apprécier si la démolition était adaptée au préjudice prouvé par la partie qui la demandait ou si une réparation indemnitaire était suffisante à réparer le dommage intégral, quand, la violation des clauses du cahier des charges étant établie, elle ne pouvait refuser la démolition qu'à raison d'une impossibilité d'exécution de celle-ci, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que l'expulsion et la démolition sont les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien ; qu'en ajoutant que la démolition était « en pratique impossible en ce que les six logements construits par la SCI étaient occupés », quand il n'en résultait en toute hypothèse aucune impossibilité d'exécution de la démolition, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QUE le propriétaire d'un lot dans un lotissement a le droit de demander que ce qui a été fait par contravention à l'engagement contractuel résultant du cahier des charges soit détruit, indépendamment de l'existence ou de l'importance du préjudice, dès lors que, la réalisation de la violation des clauses du cahier des charges étant établie, il n'existe aucune impossibilité d'exécution de la démolition ; que la démolition ne peut en aucun cas constituer une sanction disproportionnée ; qu'en ajoutant encore qu'il était totalement disproportionné de demander la destruction d'un immeuble d'habitation collective uniquement pour éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément d'un voisinage moins bourgeois, le bâtiment en question ayant été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et seuls les époux [Y] se plaignant de cette construction qui ne leur occasionnait aucune perte de vue ou aucun vis-à-vis, quand la démolition ne pouvait constituer une sanction disproportionnée, la cour d'appel a violé l'article 1143 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°) ALORS QUE (subsidiairement) le jugement devant être motivé, la contradiction de motifs équivaut au défaut de motifs ; qu'en retenant, pour fixer à 20.000 € le montant du préjudice subi par les époux [Y] du fait de la construction illicite de la SCI Domaine du Cap, qu'ils produisaient, pour toute preuve de leur préjudice, un « pré-rapport d'expertise » dressé par un expert immobilier, M. [U], le 10 septembre 2017, et que le dossier des époux [Y] contenait également des photographies aériennes de la construction de la SCI, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE (subsidiairement) lorsqu'une partie à laquelle un rapport d'expertise est opposé n'a pas été appelée ou représentée au cours des opérations d'expertise, le juge ne peut refuser d'examiner ce rapport, dès lors que celui-ci a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties ; qu'en ajoutant, pour écarter le rapport de M. [U] qui indiquait que la perte de valeur vénale de la maison de ses requérants, due à la perte d'intimité et de vues, ainsi que des nuisances sonores subies du fait « des constructions voisines » s'élevait à 450.000 €, que ce rapport présentait un caractère non contradictoire, quand ce document de preuve avait été régulièrement versé aux débats et soumis à la libre discussion des parties, de sorte qu'elle ne pouvait utilement opposer son caractère noncontradictoire, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QUE (subsidiairement) le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en ajoutant, enfin, que le rapport de M. [U] constituait une analyse purement abstraite des éléments de valeur de la propriété par rapport à sa localisation, sans mention de constatations personnelles des nuisances auxquelles il n'était fait allusion que comme un facteur théorique de baisse de la valeur vénale du bien, quand, dans son rapport, l'expert soulignait que « la masse imposante et écrasante des constructions édifiées au Nord/Est de la propriété [Y], dévalue ce bien. Les nouvelles constructions, édifiées en surplomb de la propriété [Y] génèrent, pour les occupants de cette propriété, une gêne, une perte d'intimité, des nuisances sonores et des préjudices consécutifs. Les constructions nouvellement réalisées, de par leur implantation, leur emprise au sol et leur volume, contrarient et impactent les vues de la construction limitrophe [Y], cette gêne est ressentie dès l'entrée de la propriété et ce, sur toute la superficie du jardin d'agrément jusqu'à la construction, soit une surface de l'ordre de 1.000 m² », la cour d'appel a méconnu le principe susvisé.
Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour la société Domaine du Cap (demanderesse au pourvoi incident)
- La SCI Domaine du Cap (et non la SCI du Parc comme indiqué par erreur par la cour dans son dispositif) FAIT GRIEF A l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir, après avoir dit que M. [X] [F] avait engagé sa responsabilité contractuelle au titre de la maitrise d'oeuvre de la construction édifiée par la SCI Domaine du Cap, limité la condamnation de M. [X] [F] à la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du dommage causés par ses manquements.
1°)- ALORS QUE en l'absence de toute précision sur le fondement de la demande, les juges du fond doivent examiner les faits sous tous leurs aspects juridiques conformément aux règles de droit qui leur sont applicables ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour d'appel que l'architecte, M. [F], en sa qualité de maitre d'oeuvre de conception et de construction du projet que lui avait confié la SCI, devait intégrer dans ses travaux le respect des stipulations d'urbanisme du cahier des charges du lotissement ; qu'elle a également relevé que s'agissant d'une construction non jumelée, ladite construction devait s'inscrire aux termes de l'article 8 du cahier des charges dans un carré de 30 / 30 m, ce qui n'était pas le cas de la construction litigieuse d'où une violation dudit article 8 ; qu'en se bornant à énoncer que si la SCI ne précisait pas le texte légal sur lequel elle fondait sa demande de condamnation, il s'agissait nécessairement d'un fondement contractuel sans rechercher, comme elle en avait l'obligation, si le non-respect des stipulations d'urbanisme de l'article 8 du cahier des charges dont la violation devait nécessairement entrainer, selon les époux [Y], la démolition de l'ouvrage, ne constituait dès lors pas un désordre de nature à le rendre impropre à sa destination en raison de sa mauvaise implantation et n'engageait donc pas la responsabilité de M. [F] sur le fondement de l'article 1792 du code civil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 12 du code de procédure civile.
- 2°) ALORS QUE en se bornant à énoncer pour opérer un partage de responsabilité que la SCI Domaine du Cap, même constituée entre époux, avait une compétence professionnelle certaine en matière de construction dès lors que son objet social était précisément d'acquérir et de construire tous biens immobiliers puis de les gérer quand cette constatation ne suffisait pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel à l'occasion du contrat de maîtrise d'oeuvre litigieux dès lors que le domaine de la construction faisait appel à des connaissances ainsi qu'à des compétences techniques spécifiques, la cour d'appel a méconnu l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
3°) - ALORS QUE tout état de cause, pour opérer un partage de responsabilité, la cour s'est bornée à énoncer que la SCI Domaine du Cap, même constituée entre époux, avait une compétence certaine en matière de construction compte tenu de son objet social qui était précisément d'acquérir et de construire tous les biens immobiliers puis de les gérer et que M. [F] pouvait légitimement demander que sa responsabilité soit atténuée ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage ou son acceptation délibérée des risques, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. | Une cour d'appel qui fait ressortir l'existence d'une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour le créancier, peut en déduire que la demande d'exécution en nature doit être rejetée et que la violation du cahier des charges du lotissement doit être sanctionnée par l'allocation de dommages-intérêts |
8,027 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 juillet 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 570 FS-B
Pourvoi n° Q 21-18.796
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUILLET 2022
1°/ M. [K] [H], domicilié [Adresse 10] et Mme [N], [Adresse 7],
2°/ l'association Olympic Art Malaga Boé, dont le siège est [Adresse 8],
3°/ M. [M] [G], domicilié [Adresse 9],
4°/ Mme [Y] [I], domiciliée [Adresse 3],
5°/ Mme [P] [L], domiciliée [Adresse 2],
6°/ Mme [E] [A], domiciliée [Adresse 1],
7°/ M. [Z] [W], domicilié [Adresse 4],
8°/ M. [X] [B], domicilié [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° Q 21-18.796 contre l'arrêt rendu le 28 avril 2021 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre civile), dans le litige les opposant à l'association Fédération française de taekwondo et disciplines associées, dont le siège est [Adresse 5], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [H], de l'association Olympic Art Malaga Boé, de M. [G], de Mmes [I], [L], [A] et de MM. [W] et [B], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de l'association Fédération française de taekwondo et disciplines associées, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 28 avril 2021), rendu en référé, par lettre du 28 mai 2020, la Fédération française de taekwondo et disciplines associées (la FFTDA) a convoqué une assemblée générale ordinaire dématérialisée devant se tenir du 26 au 30 juin suivant.
2. Contestant la régularité de cette convocation, M. [H], l'association Olympic Art Malaga Boé, M. [G], Mme [I], Mme [L], Mme [A], M. [W] et M. [B] (les consorts [H]), ont assigné en référé à heure indiquée la FFTDA afin d'obtenir l'annulation de la convocation et de faire ordonner à la fédération de procéder à l'élection des délégués manquants, au retrait d'un des délégués et à la communication de la liste des délégués, des modalités d'organisation du vote ainsi que de tous les éléments permettant un vote éclairé dans les délais statutaires.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de déclarer leurs demandes irrecevables pour défaut de mise en oeuvre préalable de la procédure de conciliation, alors « que dans le souci de préserver l'effectivité du recours en justice, le préalable de conciliation obligatoire n'a pas à être mis en oeuvre lorsque la situation litigieuse présente une situation d'urgence ; qu'en estimant que la procédure de conciliation préalable n'exclut pas les procédures de référé, quand l'extrême urgence de la situation, qui a justifié le bénéfice de l'autorisation d'agir en référé d'heure à heure, faisait obstacle à la saisine préalable obligatoire du CNOSF, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et R. 141-5 du code du sport. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 141-4 et R. 141-5 du code du sport et 835 du code de procédure civile :
4. Il résulte du premier de ces textes que toute personne a droit à un recours effectif au juge.
5. En vertu du deuxième, le comité national olympique et sportif français est chargé, sauf en matière de dopage, d'une mission de conciliation dans les conflits opposant les licenciés, les groupements sportifs et les fédérations agréées.
6. Aux termes du troisième, la saisine de ce comité à fin de conciliation constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux, lorsque le conflit résulte d'une décision, susceptible ou non de recours interne, prise par une fédération dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts.
7. Selon le quatrième, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
8. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que le principe de protection juridictionnelle effective ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui impose la mise en oeuvre préalable d'une procédure de conciliation extrajudiciaire, pour autant que des mesures provisoires sont envisageables dans les cas exceptionnels où l'urgence de la situation l'impose (CJUE, 18 mars 2010, Alassini et a., C-317/08, C-318/08, C- 319/08 et C-320/08).
9. Il est jugé que des dispositions légales instituant une procédure de médiation préalable et obligatoire ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent (1re Civ., 24 novembre 2021, pourvoi n° 20-15.789, publié).
10. En conséquence, en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, les dispositions de l'article R. 141-5 du code du sport instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés.
11. Pour déclarer irrecevables les demandes, l'arrêt retient que l'article R. 141-5 du code du sport vise à filtrer tout recours judiciaire, sans exclure les procédures de référé de son champ d'application, afin d'y apporter le cas échéant une solution amiable et d'éviter un procès.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
13. Les consorts [H] font le même grief à l'arrêt, alors « que la saisine du comité afin de conciliation ne constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux, que lorsque le conflit résulte d'une décision, susceptible ou non de recours interne, prise par une fédération dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts ; que le recours tendant à voir empêcher la tenue d'une prochaine assemblée générale en raison de son illégalité, en ce qu'il n'est pas dirigé contre une décision prise par la FFTDA dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, n'est pas soumis à l'obligation de conciliation préalable ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article R. 141-5 du code du sport. »
Réponse de la Cour
Vu l'article R. 141-5 du code du sport :
14. Il résulte de ce texte que la saisine du comité national olympique et sportif français à fin de conciliation ne constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux que lorsque le conflit résulte d'une décision, susceptible ou non de recours interne, prise par une fédération dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts.
15. Pour déclarer irrecevables les demandes, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l'article R. 141-5 du code du sport doit recevoir application, la convocation à une assemblée générale de la FFDTA, en application des statuts de cette fédération, s'analysant en une décision.
16. En statuant ainsi, alors qu'une convocation, qui a le caractère d'un acte préparatoire aux délibérations de l'assemblée générale, ne constitue pas une décision, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la Fédération française de taekwondo et disciplines associées aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Fédération française de taekwondo et disciplines associées et la condamne à payer à M. [H], l'association Olympic Art Malaga Boé, M. [G], Mme [I], Mme [L], Mme [A], M. [W] et M. [B] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. [H], l'association Olympic art Malaga Boé, M. [G], Mmes [I], [L], [A] et MM. [W] et [B]
M. [H], l'association Olympic Art Malaga Boé, M. [G], Mme [I], Mme [L], Mme [A], M. [Z] [W] et M. [B] font grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré leurs demandes irrecevables pour défaut de mise en oeuvre préalable de la procédure de conciliation édictée à l'article R 141-5 du code du sport ;
1°) ALORS QUE dans le souci de préserver l'effectivité du recours en justice, le préalable de conciliation obligatoire n'a pas à être mis en oeuvre lorsque la situation litigieuse présente une situation d'urgence ; qu'en estimant que la procédure de conciliation préalable n'exclut pas les procédures de référé, quand l'extrême urgence de la situation, qui a justifié le bénéfice de l'autorisation d'agir en référé d'heure à heure, faisait obstacle à la saisine préalable obligatoire du CNOSF, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et R. 141-5 du code du sport ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QUE la saisine du comité afin de conciliation ne constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux, que lorsque le conflit résulte d'une décision, susceptible ou non de recours interne, prise par une fédération dans l'exercice de prérogatives de puissance publique ou en application de ses statuts ; que le recours tendant à voir empêcher la tenue d'une prochaine assemblée générale en raison de son illégalité, en ce qu'il n'est pas dirigé contre une décision prise par la FFTDA dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, n'est pas soumis à l'obligation de conciliation préalable ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article R. 141-5 du code du sport. | En cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent, les dispositions de l'article R. 141-5 du code du sport instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable ne font pas obstacle à la saisine du juge des référés |
8,028 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 juillet 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 571 FS-B
Pourvoi n° G 19-20.231
Aide juridictionnelle partielle en demande
au profit de Mme [R].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 8 juin 2020.
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [Y].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 21 novembre 2019.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 JUILLET 2022
1°/ M. [L] [R],
2°/ Mme [Z] [P], épouse [R],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° G 19-20.231 contre l'arrêt rendu le 30 avril 2019 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [N] [Y],
2°/ à Mme [M] [S], épouse [Y],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. et Mme [R], de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de M. et Mme [Y], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Jacques, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 30 avril 2019), par acte du 6 août 2012, M. et Mme [Y] ont acquis de M. et Mme [R] une maison d'habitation sur laquelle ceux-ci avaient réalisé des travaux de rénovation en 2006.
2. Se plaignant de remontées d'humidité affectant notamment le carrelage et des cloisons en plaques de plâtre, M. et Mme [Y] ont, après expertise, assigné les vendeurs en réparation.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office
3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article 1792 du code civil :
4. Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
5. Il est jugé, en application de ce texte, que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (3e Civ., 15 janvier 2017, pourvoi n°16-19.640, Bull. 2017, III, n°71 ; 3e Civ., 14 septembre 2017, pourvoi n° 16-17.323, Bull. 2017, III, n° 100 ; 3e Civ., 26 octobre 2017, n°16-18.120, Bull. 2017, III, n° 119 ; 3e Civ.,7 mars 2019, pourvoi n°18-11.741).
6. Cette règle ne vaut cependant, s'agissant des éléments adjoints à l'existant, que lorsque les désordres trouvent leur siège dans un élément d'équipement au sens de l'article 1792-3 du code civil, c'est-à-dire un élément destiné à fonctionner (3e Civ., 13 février 2020, pourvoi n° 19-10.249, publié).
7. Il en résulte que les désordres, quel que soit leur degré de gravité, affectant un élément non destiné à fonctionner, adjoint à l'existant, relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur ou réputé constructeur.
8. Pour condamner M. et Mme [R] sur le fondement de la responsabilité décennale, l'arrêt retient que, si le carrelage collé sur une chape et les cloisons de plaques de plâtre sont des éléments dissociables de l'ouvrage, dès lors que leur dépose et leur remplacement peuvent être effectués sans détérioration de celui-ci, les désordres les affectant rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination.
9. En statuant ainsi alors qu'un carrelage et des cloisons, adjoints à l'existant, ne sont pas destinés à fonctionner, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;
Condamne M. et Mme [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize juillet deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [R]
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit que la responsabilité des époux [R] était pleinement engagée en leur qualité de constructeur et qu'à ce titre, la garantie décennale s'appliquera pleinement aux désordres affectant le rez-de-chaussée habitable de l'immeuble, et d'avoir en conséquence condamné solidairement les époux [R] à payer aux époux [Y] la somme de 39 396,50 € TTC au titre des travaux consacrés à la reprise du dallage de sol et l'étanchéité de l'immeuble, la somme de 10 780,77 € TTC au titre des déposes/repose des cloisons et reprises de placoplâtre et peintures, une indemnité de 2 500 € au titre des frais de relogement et une indemnité de 4 000 € au titre de leur préjudice moral ;
Aux motifs propres que « Sur la responsabilité décennale des vendeurs au titre du carrelage et des placoplâtres ; que les époux [R] rappellent, à titre liminaire, que leur responsabilité ne peut être recherchée que dans la limite des clauses insérées de l'acte de vente ; qu'ils considèrent, à la lecture des stipulations de la convention, que pour prétendre à la garantie décennale, leurs adversaires n'ont d'autre choix que de démontrer que les vendeurs ont la qualité de constructeurs ; que l'expertise judiciaire a mis en évidence des désordres affectant la dalle supportant le carrelage et les cloisons en placoplâtre, laquelle dalle ne comporte pas de barrières anti-remontées capillaires, destinées à bloquer la remontée d'humidité s'effectuant par le sol ; qu'il en résulte des remontées d'humidité dans l'habitation et la présence de salpêtre aux joints de carrelage et dans les murs ; que les époux [R] contestent énergiquement avoir réalisé la dalle litigieuse et produisent pour en justifier quatre attestations, dont trois émanent de membres de leur famille (pièces n° 18, 19 et 20) et ne peuvent de ce fait qu'être accueillies avec circonspection ; que s'agissant du quatrième témoignage (pièce n° 17 ) il fait état de la présence de la dalle le 18 juin 2006, soit le lendemain de l'acquisition de la vente par les époux [R] ; que les époux [R] versent également un cliché photographique sur lequel figurent tout à la fois la chape litigieuse et Mme [R], alors enceinte de sa fille [J], née le 1er septembre 2006, et en déduisent que la chape existait antérieurement à la vente ; que la date de la photographie n'étant pas certifiée, il ne peut cependant en être tiré aucune conséquence ; que l'expert judiciaire a indiqué dans son rapport qu'un doute subsistait sur le réalisateur de la chape défaillante ; que malgré les pièces produites par les époux [R], ce doute existe encore ; que les époux [Y] expliquent qu'il importe peu que la chape ait été réalisée par les précédents propriétaires et que les époux [R] doivent être considérés comme des constructeurs dès lors qu'ils ont accepté le support d'une chape sur laquelle ils ont réalisé par la suite des travaux de carrelage ; que les premiers juges ont estimé pour leur part que quand bien même la chape ne serait l'oeuvre des époux [R], ceux-ci étaient tenus préalablement à la pose du carrelage et des cloisons, qu'ils ont réalisés, de vérifier la solidité, la conformité et l'efficacité du support, éventuellement en s'adjoignant le concours d'un professionnel ; qu'ils ont estimé qu'en n'y procédant pas, les époux [R], qui avaient acquis lors dits travaux les qualités cumulées de maître de l'ouvrage/maître d'oeuvre et de constructeur, devaient endosser la responsabilité dans son ensemble ; que les époux [R] soutiennent ensuite que le carrelage et les cloisons en placoplâtre constituent des éléments dissociables et que leur pose ne saurait conférer la qualité de constructeurs au sens de l'article 1792 et suivants du code civil ; qu'ils affirment en effet que la pose, sur la chape litigieuse, d'un carrelage et de cloisons en placoplâtre, éléments dissociables, ne peut conférer à ceux-ci la qualité d'ouvrage ; que le carrelage collé sur une chape et des cloisons en placoplâtre sont des éléments dissociables de l'ouvrage dès lors que leur dépose et leur remplacement peuvent être effectués sans détérioration de l'ouvrage ; que toutefois il est de jurisprudence constante que la responsabilité de plein droit doit fonctionner dès lors que les dommages les affectant rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ; que l'expert judiciaire a conclu dans son rapport que les désordres constatés affectaient l'habitation d'une humidité anormalement élevée et détériorait les embellissements ; qu'il s'ensuit que ces désordres rendent l'habitation impropre à sa destination ; qu'eu égard à la localisation des désordres et à leur manifestation, les époux [Y], qui ne sont pas des professionnels du bâtiment ni un public averti, ne pouvaient les déceler à l'oeil nu ; que les premiers juges ont justement retenu que la manifestation principale des désordres, à savoir la présence excessive d'humidité dans l'habitation, dépend essentiellement du contexte climatique et pluviométrique et que la négociation et la vente de l'immeuble étaient pour leur part intervenues en période estivale ; qu'il n'est pas contesté que les travaux litigieux ont été réalisés depuis moins de dix ans ; qu'il convient, en conséquence des développements qui précèdent, d'approuver le jugement déféré en ce qu'il a dit que la garantie décennale avait vocation à s'appliquer aux désordres de la présente espèce et a déclaré les époux [R] responsables à ce titre ; - Sur l'indemnisation des époux [Y] au titre du carrelage et des placoplâtres ; que s'agissant de la reprise de la dalle et du carrelage, les époux [Y] ont produit en première instance le devis d'une entreprise (SARL Chiocca) conforme aux préconisations de l'expert judiciaire ; que cette estimation, d'un montant total de 37 471,50 € TTC, qui a été adoptée dans la décision querellée, sera donc retenue ; que la reprise de la maçonnerie et du carrelage induit la dépose de divers éléments mobiliers et d'équipement ; que cette opération a été justement chiffrée dans le jugement entrepris, à la somme de 1 925 € TTC ; qu'en ce qui concerne la reprise des placoplâtres non porteurs, leur dépose et leur remplacement seront prévus à concurrence de 26,50 m² ; qu'il convient d'inclure dans ce poste les travaux de reprise des parties des cloisons et des murs porteurs intérieurs endommagés par la reprise des autres cloisons ; qu'en considération des surfaces concernées et des devis versés aux débats (SARL Salvador) le montant total des travaux sera fixé, peinture incluse, à la somme de 10 780,77 € ; que les époux [Y] demandent aussi de leur allouer 4 000 € correspondant aux frais de relogement durant la durée des travaux de reprise alors que l'expert judiciaire propose à ce titre la somme de 500 € en se basant sur le devis du gîte "la Clé des champs" ; que les époux [R] s'insurgent contre cette demande en expliquant que les désordres n'affectent que le hall de la maison et que les travaux n'empêcheront donc pas les occupants de demeurer dans leur habitation ; que les travaux de reprise du carrelage et des cloisons mobiles au rez-de-chaussée de l'immeuble imposeront aux époux [Y] de quitter leur logement durant le temps de leur exécution ; qu'en validant le devis su-mentionné l'expert a implicitement fixé la durée des travaux (500 euros pour 5 nuits) ; que les époux [Y] ne démontrant pas que la durée des travaux sera supérieure à celle prévue par l'expert, le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ; (
) ; que les époux [Y] demandent réparation de leur préjudice moral ; qu'eu égard au désagrément résultant des désordres depuis l'acquisition du bien et au refus des époux [R] de toute solution amiable, l'indemnisation de 4 000 € retenue par les premiers juges sera confirmée » (arrêt attaqué, p. 4 à 6) ;
Et aux motifs éventuellement adoptés des premiers juges que « Sur les mesures d'expertise ; Sur l'intervention de M. [I] ; qu'il convient de préciser en liminaire que le terme d'expertise amiable est réservé par la Cour de cassation aux opérations de ce type qui ont été conduites par les parties au litige et auxquelles elles ont toutes participé, ce qui n'est pas le cas en l'espèce n'étant pas contesté que, bien qu'avisés des désordres affectant l'immeuble par courrier RAR du 15 septembre 2013 (pièce 4), les époux [R] n'ont pas donné suite à la demande des époux [Y] et que dans ces conditions, l'expertise s'est déroulée en la présence des seuls demandeurs, situation qualifiée par la haute cour d'expertise officieuse ; que les époux [Y] versent donc au débat un compte rendu d'expertise officieuse, en date du 30 septembre 2013, établi par M. [I] (pièce 3) détaillant de manière précise les désordres constatés ainsi que leur possible aggravation dans le temps, tendant à une insalubrité généralisée des lieux ; qu'il convient donc de considérer que dans la mesure où le compte rendu de [I] a été adressé sur le champ aux vendeurs et versé aux débats et donc soumis contradictoirement à la libre discussion des parties, celle-ci a désormais valeur de preuve ; que les époux [R] soutiennent à tort que, n'ayant pas été convoqués aux opérations d'expertise par l'expert [I], le principe du contradictoire n'a pas été respecté et que les conclusions de ce dernier ne leur sont pas opposables ; que le Cour de cassation a confirmé à de nombreuses reprises la valeur de preuve des expertises amiables ou officieuses (Civ. 1ère 13 avr. 1999 ; Com. 30 oct. 2000 ; Civ. 2ème, 7 nov. 2002 ; Civ. 1ère 24 sept 2002, 11 mars 2003 ; Ch. Mixte 18 septembre 2012) ; que conformément aux conditions fixées par l'arrêt de la chambre mixte du 18 septembre 2012, qui précise que le juge ne pouvait se fonder exclusivement sur une expertise réalisée à la demande d'une des parties sans que cette expertise soit corroborée par une autre pièce du dossier, les époux [Y] produisent à cet effet de nombreux devis, factures, planches photographiques, courriers du maire de la commune, venant corroborer ou ne contredisant pas les constatations de l'expert [I] ; Sur l'expertise de M. [X] ; qu'il convient à titre liminaire de rappeler les dispositions des articles 246 et 238 du CPC qui prévoient que le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions de l'expert, lequel ne doit jamais porter d'appréciations d'ordre juridique ; que les époux [Y] contestent à juste titre les conclusions de M. [X] concernant la cause essentielle de leur problématique, s'agissant de l'humidité excessive du sol sous la dalle de la partie habitable et des remontées par capillarité dans les ouvrages horizontaux (carrelage) et verticaux (cloisons "placo", contre-cloisons et murs) ; que suite aux sondages réalisés, l'expert [X] constate : une absence de "polyane" sous la forme béton ; une épaisseur de chape de 5 cm ; un béton de faible densité aux agrégats fins et de marne humide (et manifestement non "armée" et exempt de résine de gâchage d'imperméabilisation, c'est à dire l'existence d'un support, en tout et pour tout, non conforme aux prescriptions AFNOR en la matière) ; une humidité saturée dans tous les doublages de la maison ; une maçonnerie humide derrière les doublages ; qu'au vu de ces éléments et alors qu'il constate en outre une humidité excessive généralisée à l'ensemble du rez-de-chaussée de l'immeuble et des remontées capillaires dans tous les pieds de mur et cloisons, l'expert [X] se limite à proposer un sur-carrelage, simplement collé sur l'actuel et une désolidarisation des cloisons, le tout étant manifestement inspiré d'une analyse juridique erronée et par surcroît interdite à un expert, sur la réalisation et les responsabilités afférentes à la seule chape de sol ; que les analyses techniques et constatations causales de l'expert [X] sont validées ; que les propositions réparatoires de l'expert [X] sont en revanche écartées en totalité comme totalement inefficientes au regard de l'origine principale des désordres affectant cette construction qui a très exactement été mise en évidence par l'expert [I] et par les entrepreneurs ayant fourni des devis de reprise à la demande des époux [Y], s'agissant en réalité de la mauvaise gestion des eaux de pluie et/ou d'infiltration, en présence d'un bâtiment ancien partiellement réhabilité dans ses parties hautes et d'aucune manière au niveau de ses fondations et drainages extérieurs, et dont le premier niveau habitable est désormais situé dans le prolongement et en partie basse des garages, soit inversement à la configuration originelle ; que comme il le sera plus amplement exposé infra, les reprises à effectuer porteront essentiellement sur la mise en place d'un drainage permettant la récupération et l'évacuation des eaux d'infiltration sur le pourtour de l'immeuble au niveau des fondations, l'étanchéité et la mise hors d'eau du bâtiment en sa partie basse et la réfection de la chape, des carrelages et cloisons du rez-de-chaussée ; Sur la responsabilité des époux [R] ; qu'aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, chaque partie doit établir la réalité des faits qu'elle invoque et nécessaire au succès de ses prétentions, l'article 1353 du code civil, (ancien article 1315) rappelant que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui aurait entraîné l'extinction de son obligation ; qu'il convient en liminaire de rappeler les dispositions d'ordre général issues du code civil, fondant les bases de tout engagement contractuel y compris, comme en l'espèce, en présence d'un acte de vente passé en la forme authentique et portant sur un bien immobilier ; que l'article 1134 du code civil en vigueur à la date de l'engagement, dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ; que l'article 1135 dispose que les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais encore toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donne à l'obligation d'après sa nature ; que l'article 1156 dispose qu'on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral du terme, et qu'en vertu de l'article 1162, dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé est en faveur de celui qui a contracté obligation ; que l'acte de vente régularisé le 6 août 2012, mentionne : - en page 3 : > "Le vendeur, en s'obligeant aux garanties ordinaires et de droit en pareille matière et notamment sous celle énoncées aux présentes, vend à l'acquéreur, qui accepte, le bien ci-après désigné" ; - en page 13 : > "L'acquéreur prendra l'immeuble, sous réserve des déclarations faites et des garanties consenties dans l'acte par le vendeur, dans l'état où il se trouve au jour de l'entrée en jouissance, sans garantie de la part de ce dernier en raison des vices apparents ou cachés dont le sol, le sous-sol et les ouvrages, s'ils existent, pourraient être affectés. Il est subrogé dans tous les droits et actions du vendeur relativement à l'immeuble, ainsi qu'à l'encontre des auteurs des rapports constitutifs du dossier de diagnostic techniques. Le vendeur sera néanmoins tenu à la garantie des vices cachés s'il a la qualité de professionnel de l'immobilier ou de la construction ou s'il s'est comporté comme tel sans en avoir les compétences professionnelles". > "Le vendeur subroge l'acquéreur dans le bénéfice des garanties prévues par les articles 1792, 1792-2, 1792-3 du code civil en ce que ces garanties peuvent encore exister compte tenu des délais fixés par l'article 1792-4-1 du code civil". - en page 15 : > "Sur l'existence de travaux depuis dix ans : - que les travaux suivants ont été effectués sur l'immeuble et ce depuis les dix dernières années, savoir : - les travaux de rénovation tels qu'indiqués par le vendeur ont concerné les points suivants : - la réfection de la toiture réalisée en 2005 par le précédent propriétaire, ainsi que le déclare le vendeur, - création d'une ouverture de fenêtre dans un grenier sans aucune création de surface, - transformation d'une partie agricole en logement à usage d'habitation, - création d'un auvent. Le vendeur déclare que les travaux sus visés ont été réalisés uniquement par ses soins et qu'il n'a fait appel à aucune entreprise pour les réaliser. L'acquéreur reconnaît que le notaire soussigné a particulièrement attiré son attention sur les conséquences tant juridiques que financières, pouvant résulter de l'absence d'entreprise. L'acquéreur déclare vouloir faire son affaire personnelle de cette situation sans recours contre quiconque ". - en pages 17 et 18 : > "Garanties et responsabilités : L'acquéreur bénéficie de la garantie accordée dans le cadre de responsabilité décennale prévue par l'article 1792 du code civil. Cette responsabilité, d'une durée de dix ans, s'étend à tous les dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage, ou qui, l'affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a cependant pas lieu si le dommage a été occasionné par une cause étrangère indépendante de l'état du terrain ou de la réalisation de la construction. Débiteurs : les débiteurs des diverses garanties dont l'acquéreur peut bénéficier à la suite de l'achat sont : a / le vendeur-constructeur pour la totalité de la construction, b / les entrepreneurs ayant réalisé les travaux pour le compte du constructeur. > "Le vendeur déclare qu'aucune police d'assurance dommages ouvrage ni d'assurance de responsabilité décennale "constructeur non réalisateur" n'a été souscrite pour la réalisation de ces rénovations ; que le vendeur déclare que les travaux sus visés ont été réalisés uniquement par ses soins et qu'il n'a fait appel à aucune entreprise pour les réaliser" ; qu'il ne saurait être valablement soutenu que l'acte de vente aurait "purgé" l'ensemble des vices et désordres affectant le bien, comme dès lors connus ou acceptés des acquéreurs ayant visité les lieux avant d'en faire l'acquisition ; qu'il ne saurait pas d'avantage être soutenu que les acquéreurs auraient renoncé à toute action contre quiconque, étant plus amplement démontré infra que la responsabilité des époux [R] est de nature décennale, garantie légale d'ordre public à laquelle il ne peut être dérogée par convention entre particuliers ; qu'il convient de se référer à la nature même des désordres et plus particulièrement à leurs survenances et manifestations, en lien avec des infiltrations de sol nécessairement consécutives à des épisodes climatiques pluvieux, pour en déduire que, sauf la présence éventuelle de calcites dans les joints du carrelage de sol, la problématique dans son ensemble n'était pas apparente lors de l'acquisition ; que s'il est permis d'admettre que dès la visite des lieux certains désordres pouvaient être éventuellement décelables à l' oeil nu pour un public averti ou professionnel, ce qui n'est pas le cas des époux [Y], il est indiscutable que la période de transaction [ août 2012 ] n'était pas propice sur un plan climatique et pluviométrique à la manifestation des dits désordres ; que dans ces conditions, il convient de considérer qu'au jour de la vente les époux [Y] ne pouvaient prendre connaissance des désordres dont s'agit, ni par conséquent renoncer contractuellement à toute action en réparation ou reprise desdits désordres à l'encontre du vendeur / constructeur ; que s'agissant plus particulièrement de la dalle (ou chape) sous carrelage que les vendeurs contestent avoir eux-mêmes édifiée, il importe peu que cet ouvrage soit ou non le fruit de leur oeuvre, dès lors qu'ils étaient tenus préalablement à l'apposition ou superposition d'un ouvrage complémentaire, soit en l'espèce la pose des carrelages et des cloisons qu'ils reconnaissent avoir eux-mêmes réalisée, de vérifier la solidité, la conformité et l'efficacité du support, éventuellement en s'adjoignant le concours d'un professionnel ; qu'en n'y procédant pas et considérant que les époux [R] ont acquis lors desdits travaux les qualités cumulées de Maître de l'ouvrage - Maître d'oeuvre et constructeur, ils endossent par conséquent la responsabilité dans son ensemble des désordres affectant l'ouvrage litigieux ; qu'à ce sujet, la Cour de cassation a rappelé que le devoir de conseil peut s'étendre aux entrepreneurs entre eux, lorsque le travail de l'un dépend du travail de l'autre (Cass. 3e civ., 31 janv. 2007) et qu'en toute hypothèse, l'entrepreneur doit refuser d'exécuter des travaux qu'il sait inefficaces (Cass. 3e civ., 21 mai 2014) ; qu'ainsi, avant de procéder à toute réalisation, les époux [R] étaient donc tenus de tester la fiabilité du support (ou d'y faire procéder par un professionnel) ; que cet examen les aurait nécessairement conduit à procéder à des travaux préparatoires de drainage, de reprise préalable de la dalle de sol et de consolidations complémentaires ; que les sondages effectués dans le cadre de l'expertise judiciaire démontrent manifestement qu'aucune de ces précautions et réalisations n'a été entreprise par les époux [R] ; que l'approche juridique erronée et non appropriée de l'expert judiciaire à ce sujet ne saurait par conséquent influencer à la baisse la nature, les technicités et ordonnancement de travaux nécessaires à la mise en conformité de l'immeuble en cause ; que par application de l'article 1792-1 du code civil, le vendeur est réputé constructeur lorsqu'il vend après achèvement un ouvrage qu'il a construit ou fait construire, ce qui est le cas en l'espèce ; qu'à la différence du vendeur qui cède un immeuble en l'état futur d'achèvement (Cass. 3e civ., 29 mars 2000), le vendeur qui cède l'immeuble après achèvement doit non seulement la garantie décennale mais également la garantie des vices cachés de l'article 1641 du code civil (Cass. 3e civ., 11 mai 2010) ; que la Cour de cassation a retenu qu'il incombait à l'acquéreur de démontrer que des travaux ont été réalisés depuis moins de dix ans pour bénéficier de l'application de l'article 1792 du code civil (Cass. 3e civ., 19 nov. 2013), ce qui n'est pas discuté en l'espèce ; qu'il est donc établi au regard des éléments précédemment énoncés, que la garantie décennale s'applique pleinement aux désordres affectant le rez-de-chaussée habitable de l'immeuble ; qu'il est en outre objectivé que, n'ayant pas souscrit de garantie en ce sens, les époux [R] supporteront en personne l'intégralité des sommes allouées aux époux [Y] au titre de travaux de reprise exposés ci-dessous ; Sur les reprises au niveau du rez-de-chaussée habitable ; que conformément aux divers devis de travaux et chiffrages produits aux débats par les époux [Y], celui réalisé par l'entreprise Chiocca sera retenu comme regroupant et comportant l'ensemble des prestations (y compris un drainage extérieur) nécessaires à la mise en conformité de l'immeuble, au vu des constatations techniques réalisées par les deux experts ; que la somme totale des travaux consacrés à la reprise du dallage de sol sera donc fixée à 39 396,50 € TTC, comprenant 37 471,50 € au titre de ladite prestation et 1925,00 € au titre de la dépose des éléments mobiliers et d'équipement dans les locaux concernés (devis Salvador) ; que s'agissant des reprises de placoplâtre, il convient de considérer que la démolition et la reprise en totalité du sol du rez-de-chaussée impose par conséquent le démontage et le remplacement de la totalité des cloisons intérieures non porteuses, soit 26,50 m2 et seulement, les reprises en parties basses des parties endommagées sur les cloisons et murs porteurs intérieurs, soit une surface cumulée d'un maximum de 20 m2 ; qu'en seront exclues en totalité, les travaux concernant les placages en plafond et plafonds suspendus ; qu'en revanche, en raison de l'ampleur et des incidences prévisibles du chantier, les travaux de peintures seront accordés en totalité ; que le devis de l'entreprise Salvador, proposant lesdites prestations détaillées et chiffrées, sert de base à ce calcul ; que la somme totale des travaux consacrés à la dépose / repose des cloisons, reprises de placoplâtre et peintures sera donc fixée à 10 780,77 € TTC, comprenant 2 306,50 € HT au titre de cloisons et placoplâtre (26,50 m2 x 41 € + 20 m2 x 21 €) et 7 494,20 € HT au titre des peintures intérieures sur les parties ayant fait l'objet de remplacement ou reprises ; (
) ; Sur les préjudices indirects ; - les frais de relogement : considérant une durée de réalisation de travaux pouvant s' étendre sur deux mois, il convient d'accorder aux époux [Y] une juste et équitable indemnité de relogement temporaire d'un montant total de 2 500 € ; (
) ; - le préjudice moral des époux [Y] : considérant la durée d'occupation du bien depuis son acquisition, dans une atmosphère saturée d'humidité, le tout en l'absence de solutionnement consensuel du fait de défendeurs malgré tentatives des demandeurs en ce sens, il convient d'accorder aux époux [Y] une juste et équitable indemnité de 4 000 € » (jugement entrepris, p. 3 à 9) ;
1) Alors qu'il appartient à l'acquéreur d'établir que le vendeur a la qualité de constructeur ; qu'en reprochant aux époux [R], vendeurs, de ne pas démontrer que la dalle sur laquelle avaient été posés le carrelage et les cloisons de placoplâtre existait avant qu'ils n'aient acquis la maison et qu'un doute subsistait sur ce point, quand il appartenait aux époux [Y], acquéreurs, d'établir que la dalle avait été construite par les époux [R], la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil ;
2) Alors que la garantie décennale n'est pas opposable au propriétaire d'une habitation qui pose lui-même un carrelage et élève des cloisons sur une dalle préexistante sans avoir préalablement vérifié ou fait vérifier que celle-ci avait été réalisée dans des conditions propres à assurer l'étanchéité de l'habitation ; qu'en jugeant, par motifs adoptés des premiers juges (cf. jugement entrepris, p. 7, §2), que les époux [R] étaient tenus préalablement à la pose de carrelage sur la dalle préexistante de vérifier la solidité, la conformité et l'efficacité de celle-ci, propres à assurer l'étanchéité de l'habitation, éventuellement en s'adjoignant le concours d'un professionnel, la cour d'appel a violé les articles 1792 et 1792-1 du code civil ;
3) Alors que le vendeur d'un immeuble qui a procédé à des travaux de rénovation ne peut avoir la qualité de constructeur, et par conséquent être déclaré responsable envers les acquéreurs des désordres affectant cet immeuble sur le fondement de la garantie décennale, que dans l'hypothèse où l'importance des travaux réalisés les assimile à des travaux de construction d'un ouvrage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la garantie décennale était due par les époux [R] dès lors que les dommages affectant le carrelage et les cloisons en placoplâtre installés par eux sur la dalle défaillante, dissociables de l'ouvrage, rendaient l'habitation dans son ensemble impropre à sa destination (cf. arrêt attaqué, p. 5, §2) ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que ces travaux de rénovation, ayant consisté à poser du carrelage et des cloisons en placoplâtre sur une chape préexistante, revêtaient une importance telle qu'ils devaient être assimilés à des travaux de construction d'un ouvrage en bâtiment, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 1792-1 du code civil ;
4) Alors, en tout état de cause, que la garantie décennale n'est due qu'en cas de désordres compromettant la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en se bornant à relever que les désordres constatés affectaient la maison d'une humidité anormalement élevée qui détériorait les embellissements, sans caractériser que ces désordres rendaient l'immeuble impropre à sa destination, c'est-à-dire à l'habitation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 1792 et 1792-1 du code civil ;
5) Alors, subsidiairement, que le constructeur d'un ouvrage ne doit pas la garantie décennale s'il prouve que les désordres proviennent d'une cause étrangère ; que dans leur conclusions d'appel, les époux [R] faisaient valoir, preuve à l'appui, que, pendant les six ans d'occupation de la maison, ils n'avaient jamais subi le moindre désordre lié à l'humidité et que, si depuis l'emménagement des époux [Y], la maison souffrait d'un défaut de chauffage et de ventilation, ils avaient constaté, lors de leur visite du 10 septembre 2013, l'existence d'un trou profond creusé à proximité du garage permettant l'infiltration d'eau sous le rez-de-chaussée (cf. conclusions d'appel des exposants, p. 7 et 8 et pièce d'appel n°22) ; qu'en s'abstenant de se prononcer, comme elle était invitée, sur l'origine de l'humidité invoquée par les époux [R], étrangère aux travaux de rénovation réalisés par eux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. | Les désordres affectant un élément d'équipement adjoint à l'existant et rendant l'ouvrage impropre à sa destination ne relèvent de la responsabilité décennale des constructeurs que lorsqu'ils trouvent leur siège dans un élément d'équipement au sens de l'article 1792-3 du code civil, c'est-à-dire un élément destiné à fonctionner.
Les désordres, quel que soit leur degré de gravité, affectant un élément non destiné à fonctionner, adjoint à l'existant, relèvent exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur ou réputé constructeur.
Dès lors, viole l'article 1792 du code civil, une cour d'appel qui répare des désordres affectant un carrelage et des cloisons adjoints à l'existant sur le fondement de la responsabilité décennale alors que ces éléments ne sont pas destinés à fonctionner |
8,029 | SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 juillet 2022
Rejet
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 853 F-B
Pourvoi n° N 21-15.091
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [I].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 janvier 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUILLET 2022
M. [X] [I], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-15.091 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2019 par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [U] [O], domiciliée [Adresse 2], exerçant sous l'enseigne Snack bar Célimène, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Lay, conseiller, les observations de la SCP Ghestin, avocat de M. [I], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [O], après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de La Réunion, 25 novembre 2019), M. [I] (le salarié), licencié le 23 août 2014 par Mme [O], a obtenu le 20 novembre 2014 le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
2. Aucune saisine de la juridiction prud'homale n'étant intervenue dans le délai d'un an, la décision d'admission à l'aide juridictionnelle est devenue caduque et le salarié a formé une nouvelle demande le 10 mai 2016 qui a fait l'objet d'une admission le 19 mai 2016.
3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 15 décembre 2016.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer son action prescrite, alors :
« 1°/ que la deuxième demande d'aide juridictionnelle, après constatations de la caducité d'une première demande, effectuée dans le délai de deux ans de l'action en contestation de la rupture du contrat de travail interrompt ce délai et fait courir un nouveau délai de même durée ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le licenciement contesté a été notifié à le 13 août 2014 et a pris effet le 20 octobre suivant ; que le salarié a déposé une première demande d'aide juridictionnelle pour contester son licenciement le 17 octobre 2014 qui lui a été accordée le 20 novembre suivant mais dont la caducité a été constatée et que le 10 mai 2016, il a déposé une nouvelle demande d'aide juridictionnelle aux mêmes fins qui lui a été accordée le 19 mai suivant, le conseil de prud'hommes ayant été saisi par requête du 14 décembre 2016 ; qu'en déclarant cette saisine du conseil de prud'hommes tardive, aux motifs que la deuxième demande d'aide juridictionnelle déposée n'a eu d'effet que relativement à la caducité affectant la première décision d'octroi de l'aide juridictionnelle du 20 décembre 2014, la cour d'appel a violé les articles 38 du décret du 19 décembre 1991 relatif à l‘aide juridique, 2231 du code civil, ensemble L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause ;
2°/ que la caducité d'un acte ne fait pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle instance, si l'action n'est pas éteinte par ailleurs ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué qu'après la constatation de la caducité de sa première demande d'aide juridictionnelle en vue de contester son licenciement, le salarié a formé dans le délai de deux ans de son licenciement une nouvelle demande d'aide juridictionnelle aux mêmes fins, laquelle lui a été accordée ; qu'en estimant que cette deuxième demande d'aide juridictionnelle formée dans le délai de l'action en contestation de son licenciement n'avait pas interrompu le délai de cette action, la cour d'appel a violé les articles 38 du décret du 19 décembre 1991, 2231 du code civil, L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 385 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu les faits lui permettant d'exercer ses droits.
6. En application de l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 dans sa version antérieure au décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016, l'action est réputée intentée dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant son expiration et si la demande en justice est intentée dans un nouveau délai de même durée à compter :
a) De la notification de la décision d'admission provisoire ;
b) De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;
c) De la date à laquelle la décision d'admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ;
d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.
7. Aux termes de l'article 54 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 dans sa version antérieure au décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016, la décision d'admission à l'aide juridictionnelle est caduque si, dans l'année de sa notification, la juridiction n'a pas été saisie de l'instance en vue de laquelle l'admission a été prononcée.
8. Il en résulte que la demande d'aide juridictionnelle, présentée en vue de saisir la juridiction prud'homale de la contestation d'un licenciement, après qu'une précédente décision d'admission est devenue caduque, n'interrompt pas une nouvelle fois le délai de saisine de la juridiction qui a recommencé à courir à compter de la notification de la décision d'admission de la première demande.
9. La cour d'appel, après avoir constaté que faute pour l'avocat désigné d'avoir saisi le conseil de prud'hommes dans le délai d'un an prévu à l'article 54 du décret précité, la décision d'admission du 20 novembre 2014 était devenue caduque, en a exactement déduit que la seconde demande d'aide juridictionnelle du salarié n'avait pu avoir pour effet d'interrompre une nouvelle fois le délai pour agir qui avait recommencé à courir le 20 novembre 2014.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour M. [I]
M. [I] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré prescrite son action contre Mme [O] ;
1°) ALORS QUE la deuxième demande d'aide juridictionnelle, après constatations de la caducité d'une première demande, effectuée dans le délai de deux ans de l'action en contestation de la rupture du contrat de travail interrompt ce délai et fait courir un nouveau délai de même durée ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que le licenciement contesté a été notifié à M. [I] le 13 août 2014 et a pris effet le 20 octobre suivant, M. [I] a déposé une première demande d'aide juridictionnelle pour contester son licenciement le 17 octobre 2014 qui lui a été accordée le 20 novembre suivant mais dont la caducité a été constatée, que le 10 mai 2016, M. [I] a déposé une nouvelle demande d'aide juridictionnelle aux mêmes fins qui lui a été accordée le mai suivant, le conseil de prud'hommes ayant été saisi par requête du 14 décembre 2016 ; qu'en déclarant cette saisine du conseil de prud'hommes tardive, aux motifs que la deuxième demande d'aide juridictionnelle déposée par M. [I] n'a eu d'effet que relativement à la caducité affectant la première décision d'octroi de l'aide juridictionnelle du 20 décembre 2014, la cour d'appel a violé les articles 38 du décret du 19 décembre 1991 relatif à l‘aide juridique, 2231 du code civil, ensemble L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause ;
2°) ALORS QUE la caducité d'un acte ne fait pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle instance, si l'action n'est pas éteinte par ailleurs ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué qu'après la constatation de la caducité de sa première demande d'aide juridictionnelle en vue de contester son licenciement, M. [I] a formé dans le délai de deux ans de son licenciement une nouvelle demande d'aide juridictionnelle aux mêmes fisn, laquelle lui a été accordée ; qu'en estimant que cette deuxième demande d'aide juridictionnelle formée dans le délai de l'action en contestation de son licenciement n'avait pas interrompu le délai de cette action, la cour d'appel a violé les articles 38 du décret du 19 décembre 1991, 2231 du code civil, L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble l'article 385 du code de procédure civile. | La demande d'aide juridictionnelle, présentée en vue de saisir la juridiction prud'homale de la contestation d'un licenciement après qu'une précédente demande est déclarée caduque, n'interrompt pas une nouvelle fois le délai de saisine de la juridiction qui a recommencé à courir à compter de la notification de la décision d'admission de la première demande |
8,030 | SOC.
OR
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 juillet 2022
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 861 F+B
Pourvoi n° W 20-23.651
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de [S].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10/12/2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUILLET 2022
M. [V] [S], domicilié [Adresse 4], [Localité 1], a formé le pourvoi n° W 20-23.651 contre l'arrêt rendu le 14 juin 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-1), dans le litige l'opposant à Mme [R] [W], domiciliée Laure [Adresse 3], [Localité 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [S], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [W], après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Prache, conseiller référendaire, ayant voix délibérative et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 juin 2019), M. [S] a été engagé en qualité d'agent de service à temps partiel par Mme [W] à compter du 1er octobre 2008, par contrat d'insertion revenu minimum d'activité.
2. Licencié pour motif économique le 17 janvier 2012, il a contesté cette mesure devant la juridiction prud'homale et a sollicité le paiement de diverses sommes.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement est causé par un motif économique et de le débouter de ses demandes tendant à ce que l'employeur soit condamné à lui verser des sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour préjudice moral et de dommages-intérêts pour défaut de visite médicale, alors « que les décisions de justice qui ne mentionnent pas le nom des juges sont nuls ; que le vice ne peut être réparé, l'inobservation des prescriptions légales résultant de la décision elle-même ; que l'arrêt attaqué mentionne au titre de la composition de la cour que ‘'Madame Ghislaine Poirine, Conseiller faisant fonction de président [...] a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Ghislaine Poirine, Conseiller faisant fonction de président'‘ ;
que les noms des magistrats ayant participé au délibéré n'étant pas mentionnés, l'arrêt est nul en application des articles 454, 458 et 459 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 459 du code de procédure civile, l'inexactitude d'une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s'il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d'audience ou par tout autre moyen, que les prescriptions légales ont été, en fait, observées.
6. La production par le salarié de quatre autres arrêts rendus le 14 juin 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 4-1, signés par Mme Ghislaine Poirine, faisant fonction de présidente, et par M. Kamel Benkhira, greffier, après que l'affaire a été débattue, le 18 mars 2019, en audience publique, devant Mme Ghislaine Poirine, conseillère faisant fonction de présidente, chargée du rapport, permet de constater que ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour d'appel qui était composée de Mme Ghislaine Poirine, conseillère faisant fonction de présidente, de Mme Nathalie Frenoy, conseillère, et de Mme Stéphanie Bouzige, conseillère.
7. Il en résulte que les magistrates ainsi mentionnées sur ces autres décisions composant la chambre 4-1 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence sont celles qui ont délibéré dans la présente affaire venue à l'audience du 18 mars 2019, de sorte que l'omission des noms de ces deux magistrates dans l'arrêt n° 2019/239, rendu le 14 juin 2019 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, procède d'une simple omission matérielle qui peut, selon l'article 462 du code de procédure civile, être réparée par la Cour de cassation à laquelle est déférée cette décision et dont la rectification sera ci-après ordonnée.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements, alors « que lorsque l'employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il doit définir les critères d'ordre des licenciements en prenant en compte les charges de famille, l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et de salariés âgés, et les qualités professionnelles des salariés ; qu'en jugeant que l'employeur n'était pas tenu de prendre en compte la situation particulière du salarié, engagé dans le cadre d'un contrat d'insertion revenu minimum d'activité, qui ne correspond pas à une situation de handicap, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article L. 1233-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1233-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, et L. 1233-7 du même code :
10. Il résulte de ces textes que, lorsque l'employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il prend notamment en compte, dans le choix du salarié concerné, le critère tenant à la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés.
11. Pour débouter le salarié de sa demande pour non-respect des dispositions relatives aux critères d'ordre des licenciements, l'arrêt retient que l'employeur n'était pas tenu de prendre en compte la situation particulière de l'intéressé alors qu'il avait été engagé dans le cadre d'un contrat d'insertion revenu minimum d'activité, qui ne correspond pas à une situation de handicap.
12. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié licencié avait été engagé dans le cadre d'un contrat d'insertion revenu minimum d'activité, dispositif ayant pour objet de faciliter l'insertion sociale et professionnelle des personnes rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi, situation qui constitue l'un des critères mentionnés à l'article L. 1233-5 du code du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
Rectifiant l'omission matérielle figurant dans la décision attaquée, page 2, concernant la composition de la cour d'appel, complète ainsi l'arrêt n° 2019/239 rendu le 14 juin 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 4-1, après la phrase suivante :
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
« Madame Ghislaine Poirine, conseillère faisant fonction de présidente, Madame Nathalie Frenoy, conseillère, Madame Stéphanie Bouzige, conseillère » ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [S] de sa demande de dommages-intérêts pour inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements, le condamne aux dépens et le déboute de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 14 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne Mme [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [W] et la condamne à payer à la SCP Fabiani, Luc-Thaler, Pinatel, avocat à la Cour de cassation, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [S]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que son licenciement est causé pour un motif économique et de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à ce que Mme [W] soit condamnée à lui verser les sommes de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 2 000 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice moral et 1 373 euros à titre de dommages intérêts pour défaut de visite médicale.
ALORS QUE les décisions de justice qui ne mentionnent pas le nom des juges sont nuls ; que le vice ne peut être réparé, l'inobservation des prescriptions légales résultant de la décision elle-même ; que l'arrêt attaqué mentionne au titre de la composition de la cour que " Madame Ghislaine Poirine, Conseiller faisant fonction de président [
] a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de : Madame Ghislaine Poirine, Conseiller faisant fonction de président " ; que les noms des magistrats ayant participé au délibéré n'étant pas mentionnés, l'arrêt est nul en application des articles 454, 458 et 459 du code de procédure civile.
DEUXIEMEMOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que son licenciement est causé pour un motif économique et de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à ce que Mme [W] soit condamnée à lui verser les sommes de 16 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1°) ALORS QUE ni la réalisation d'un chiffre d'affaires moindre ni la baisse des bénéfices ne suffisent à établir la réalité de difficultés économiques ; qu'en retenant une diminution du chiffre d'affaires et une diminution du bénéfice pour confirmer le jugement ayant dit que le licenciement de M. [S] était fondé sur un motif économique, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail.
2°) ALORS QU'en jugeant que l'employeur n'avait pas l'obligation de proposer à chacun des salariés une diminution respective de leur temps de travail, quand M. [S] invoquait uniquement une diminution de son propre temps de travail, aux fins de reclassement sous forme de réduction des horaires de travail (cf. pp. 5 s.), la cour d'appel a dénaturé les conclusions de M. [S], en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en ne recherchant pas si, comme le soutenait le salarié, l'employeur avait manqué à son obligation de reclassement en ne justifiant pas de l'impossibilité de proposer une solution sous forme d'une réduction de son horaire de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de dommages et intérêts pour inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements ;
1°) ALORS QUE lorsque l'employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il doit définir les critères d'ordre des licenciements en prenant en compte les charges de famille, l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et de salariés âgés, et les qualités professionnelles des salariés ; qu'en jugeant que l'employeur n'était pas tenu de prendre en compte la situation particulière de M. [S] engagé dans le cadre d'un contrat d'insertion revenu minimum d'activité, qui ne correspond pas à une situation de handicap, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article L. 1233-5 du code du travail ;
2°) ALORS QU'en ne recherchant pas si, en refusant de tenir compte de la situation particulière de M. [S] au titre du critère relatif aux caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, l'employeur n'avait pas méconnu les règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1233-5 et L. 1233-7 du code du travail. | Il résulte des articles L. 1233-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, et L. 1233-7 du même code que, lorsque l'employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il prend notamment en compte, dans le choix du salarié concerné, le critère tenant à la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés.
Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, pour débouter le salarié de sa demande pour non respect des dispositions relatives aux critères d'ordre des licenciements, retient que l'employeur n'était pas tenu de prendre en compte la situation particulière de l'intéressé engagé dans le cadre d'un contrat d'insertion revenu minimum d'activité, qui ne correspond pas à une situation de handicap, alors que la situation du salarié bénéficiaire d'un tel contrat ayant pour objet de faciliter l'insertion sociale et professionnelle des personnes rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi, constituait l'un des critères mentionnés à l'article L. 1233-5 du code du travail |
8,031 | SOC. / ELECT
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 juillet 2022
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 877 F-B
Pourvoi n° X 21-11.420
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 JUILLET 2022
1°/ La société Akka technologies SE, dont le siège est [Adresse 2], (Belgique),
2°/ la société Akka services, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ la société Akka technologies, dont le siège est [Adresse 6], venant aux droits de la société Akka manager,
4°/ la société Akka I&S, dont le siège est [Adresse 13],
5°/ la société Akka ingénierie produit, dont le siège est [Adresse 13],
6°/ la société Ekis France, dont le siège est [Adresse 14],
7°/ la société Aéroconseil, dont le siège est [Adresse 11],
ont formé le pourvoi n° X 21-11.420 contre le jugement rendu le 8 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Lyon (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant :
1°/ au Direccte Auvergne Rhône-Alpes, unité départementale du Rhône, dont le siège est [Adresse 12],
2°/ au syndicat FO Akka, dont le siège est [Adresse 15],
3°/ au Syndicat professionnel d'études de conseil d'ingénierie d'informatique et de services UNSA (SPECIS), dont le siège est [Adresse 4],
4°/ à la Fédération CFTC syndicat national de l'ingénierie, du conseil, des services et technologies de l'information (CFTC SICSTI), dont le siège est [Adresse 8],
5°/ à la Fédération CFDT-F3C, dont le siège est [Adresse 10],
6°/ à la Fédération CGT des sociétés d'études, dont le siège est [Adresse 5],
7°/ à la Fédération CFE-CGC FIECI, dont le siège est [Adresse 9],
8°/ au Syndicat solidaire informatique, dont le siège est [Adresse 7],
9°/ au ministre du travail de l'emploi et de l'insertion, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Les parties ou leurs mandataires ont produit des mémoires.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat des sociétés Akka technologies SE, Akka services, Akka technologies, Akka I&S, Akka ingénierie produit, Ekis France et Aéroconseil, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la Fédération CGT des sociétés d'études, après débats en l'audience publique du 1er juin 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Lyon, 8 janvier 2021), la société Akka technologies SE et six autres sociétés composant l'unité économique et sociale Akka France (l'UES) ont saisi, le 24 février 2020, le directeur régional des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Auvergne Rhône-Alpes (le Direccte) d'une demande de répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux.
2. Par une décision du 8 juillet 2020, le Direccte a provisoirement rejeté cette demande au motif qu'il n'était pas compétent en l'absence de négociations loyales et sérieuses préalables à celle-ci.
3. Par requête déposée le 23 juillet 2020, les sociétés composant l'UES ont saisi le tribunal judiciaire afin d'obtenir l'annulation de cette décision, la répartition judiciaire du personnel et des sièges entre les collèges ou, à titre subsidiaire, qu'il soit enjoint au Direccte de procéder à cette répartition conformément aux dispositions de l'article L. 2314-13 du code du travail.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Les sociétés composant l'UES font grief au jugement de confirmer la décision du 8 juillet 2020, de les débouter de toutes leurs demandes, et de les renvoyer à négocier le protocole d'accord préélectoral en vue de la mise en place du comité social et économique au sein de l'UES, alors « qu' il résulte de l'article L. 2314-13 du code du travail que dès lors qu'au moins une organisation syndicale a répondu à l'invitation à négocier un accord prévoyant la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux et qu'un accord n'a pu être conclu selon les conditions prévues par l'article L. 2314-6 du même code, l'autorité administrative est tenue de décider de cette répartition entre les collège électoraux, en se conformant soit aux modalités de répartition prévues par l'accord mentionné à l'article L. 2314-12, soit, à défaut d'accord, à celles prévues à l'article L. 2314-11 ; qu'en l'espèce, il était constant que malgré plusieurs réunions de négociation avec les organisations syndicales de l'UES Akka France, un accord n'avait pu être trouvé sur la répartition du personnel et des sièges dans les collèges électoraux à la double majorité prévue par l'article L. 2314-6 du code du travail, de sorte que la direction de l'UES avait saisi la Direccte pour qu'elle statue sur la répartition des sièges entre les catégories de personnel et du personnel dans les collèges ; qu'en énonçant que faute pour l'employeur d'avoir respecté son obligation de loyauté dans la négociation du protocole d'accord préélectoral, la Direccte ne pouvait arbitrer et se devait de renvoyer les parties à négocier et en validant la décision de la Direccte ayant refusé de procéder à une telle répartition au prétexte d'un prétendu manquement de l'employeur à son obligation de loyauté, le tribunal a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article L. 2314-13, alinéas 1 et 3, du code du travail, la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux font l'objet d'un accord entre l'employeur et les organisations syndicales conclu selon les conditions de l'article L. 2314-6. Lorsque au moins une organisation syndicale a répondu à l'invitation à négocier de l'employeur et que l'accord mentionné au premier alinéa du présent article ne peut être obtenu, l'autorité administrative décide de cette répartition entre les collèges électoraux. Pour ce faire, elle se conforme soit aux modalités de répartition prévues par l'accord mentionné à l'article L. 2314-12, soit, à défaut d'accord, à celles prévues à l'article L. 2314-11.
6. Il en résulte que ce n'est que lorsque, à l'issue d'une tentative loyale de négociation, un accord préélectoral n'a pu être conclu que l'autorité administrative peut décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux.
7. Ayant relevé que des éléments déterminants tels que les effectifs par site et la classification professionnelle des salariés n'ont pas été communiqués aux organisations syndicales invitées à négocier le protocole d'accord préélectoral malgré les demandes formulées à plusieurs reprises par ces dernières, que des informations essentielles relatives aux effectifs n'ont été actualisées que l'avant veille de la dernière réunion de négociation, que la question de la répartition du personnel n'a été abordée pour la première fois que lors de cette réunion au cours de laquelle les sociétés composant l'UES ont refusé aux organisations syndicales un accès aux registres uniques du personnel autrement que par entité et sur le site de chacune d'elle en indiquant que le fichier des effectifs communiqué était suffisant, que la direction a mis fin de manière unilatérale à la négociation au motif que la même réunion devait être la dernière, demandant aux organisations syndicales de se positionner sur le projet de protocole d'accord préélectoral communiqué l'avant veille et sans que celles-ci n'aient été en mesure de contrôler les effectifs, le tribunal a pu retenir que les sociétés composant l'UES avaient manqué à leur obligation de loyauté dans la négociation du protocole d'accord préélectoral, ce dont il a exactement déduit que le Direccte ne pouvait décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Akka technologies SE, Akka services, Akka technologies, Akka I&S, Akka ingénierie produit, Ekis France et Aéroconseil ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour les sociétés Akka technologies SE, Akka services, Akka technologies, Akka I&S, Akka ingénierie produit, Ekis France et Aéroconseil
La sociétés Akka technologies SE, la société Akka services, la société Akka technologies (venant aux droits de la société Akka manager), la société Akka I&S, la société Akka ingénierie produit, la société Ekis France et la société Aéroconseil FONT GRIEF au jugement attaqué d'AVOIR confirmé la décision rendue par la Direccte Rhône-Alpes le 8 juillet 2020, d'AVOIR débouté les sociétés composant l'UES Akka France de toutes leurs demandes, et d'AVOIR renvoyé les sociétés composant l'UES Akka France à négocier le protocole d'accord préélectoral en vue de la mise en place du comité social et économique au sein de l'UES,
ALORS QU'il résulte de l'article L. 2314-13 du code du travail que dès lors qu'au moins une organisation syndicale a répondu à l'invitation à négocier un accord prévoyant la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux et qu'un accord n'a pu être conclu selon les conditions prévues par l'article L. 2314-6 du même code, l'autorité administrative est tenue de décider de cette répartition entre les collège électoraux, en se conformant soit aux modalités de répartition prévues par l'accord mentionné à l'article L. 2314-12, soit, à défaut d'accord, à celles prévues à l'article L. 2314-11 ; qu'en l'espèce, il était constant que malgré plusieurs réunions de négociation avec les organisations syndicales de l'UES Akka France, un accord n'avait pu être trouvé sur la répartition du personnel et des sièges dans les collèges électoraux à la double majorité prévue par l'article L. 2314-6 du code du travail, de sorte que la direction de l'UES avait saisi la Direccte pour qu'elle statue sur la répartition des sièges entre les catégories de personnel et du personnel dans les collèges ; qu'en énonçant que faute pour l'employeur d'avoir respecté son obligation de loyauté dans la négociation du protocole d'accord préélectoral, la Direccte ne pouvait arbitrer et se devait de renvoyer les parties à négocier et en validant la décision de la Direccte ayant refusé de procéder à une telle répartition au prétexte d'un prétendu manquement de l'employeur à son obligation de loyauté, le tribunal a violé le texte susvisé. | Aux termes de l'article L. 2314-13, alinéas 1 et 3, du code du travail, la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel dans les collèges électoraux font l'objet d'un accord entre l'employeur et les organisations syndicales conclu selon les conditions de l'article L. 2314-6. Lorsque au moins une organisation syndicale a répondu à l'invitation à négocier de l'employeur et que l'accord mentionné au premier alinéa du présent article ne peut être obtenu, l'autorité administrative décide de cette répartition entre les collèges électoraux. Pour ce faire, elle se conforme soit aux modalités de répartition prévues par l'accord mentionné à l'article L. 2314-12, soit, à défaut d'accord, à celles prévues à l'article L. 2314-11.
Il en résulte que ce n'est que lorsque, à l'issue d'une tentative loyale de négociation, un accord préélectoral n'a pu être conclu que l'autorité administrative peut décider de la répartition des sièges et du personnel entre les collèges électoraux |
8,032 | N° D 22-84.179 FS-B
N° 01100
GM
12 JUILLET 2022
IRRECEVABILITE
Mme DE LA LANCE conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 JUILLET 2022
M. [G] [E] a exercé une voie de recours contre l'ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nancy, en date du 1er juillet 2022, qui, dans la procédure suivie notamment contre lui des chefs de complicité d'enlèvement en bande organisée d'un mineur de quinze ans et association de malfaiteurs en vue de commettre un crime, s'est dessaisi au profit de la juridiction d'instruction de Paris.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 juillet 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Planchon, M. Wyon, M. Maziau, M. Pauthe, M. Dary, M. de Lamy, M. Sottet, conseillers de la chambre, Mme Barbé, conseiller référendaire, M. Salomon, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. L'ordonnance attaquée est rendue sur le fondement des dispositions des articles 663 et 706-18 et du code de procédure pénale.
2. M. [G] [E] a, dans le délai légal, formalisé une « déclaration d'appel » auprès du greffe de l'établissement pénitentiaire où il est détenu.
3. Cette « déclaration d'appel » a été retranscrite par le greffe du tribunal judiciaire de Nancy sous la forme d'une déclaration de pourvoi.
4. Les dispositions de l'article 706-22 du code de procédure pénale, qui prévoient qu'un recours peut être exercé contre une ordonnance rendue sur le fondement de l'article 706-18 du même code, viennent compléter celles de l'article 663 sans se substituer à celles-ci ou les exclure.
5. Le juge d'instruction n'étant pas saisi d'infractions à caractère terroriste, les dispositions relatives à la poursuite, l'instruction et le jugement des actes de terrorisme ne sont pas applicables. Seul l'est l'article 663 du code de procédure pénale.
6. Il résulte du troisième alinéa de l'article 186 du même code que les ordonnances rendues sur le fondement de l'article 663 peuvent faire l'objet d'un appel.
7. M. [E] ayant formalisé à cette fin une « déclaration d'appel » retranscrite à tort comme une déclaration de pourvoi, le pourvoi est irrecevable.
8. Il appartient à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy de statuer sur cet appel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DECLARE le pourvoi irrecevable ;
DIT qu'il appartient à la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy de statuer sur l'appel formé par M. [E] ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze juillet deux mille vingt-deux. | Les dispositions de l'article 706-22 du code de procédure pénale, qui prévoient qu'un recours peut être exercé contre une ordonnance rendue sur le fondement de l'article 706-18 du même code, viennent compléter celles de l'article 663 de ce même code sans se substituer à celles-ci ou les exclure.
Lorsque seul ce dernier article est applicable, l'ordonnance peut, en vertu du troisième alinéa de l'article 186 du code de procédure pénale, faire l'objet d'un appel sur lequel il appartient à la chambre de l'instruction de statuer |
8,033 | N° E 22-83.237 F-B
N° 01118
ECF
27 JUILLET 2022
REJET
M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 JUILLET 2022
M. [U] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 3 mai 2022, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'extorsion avec arme, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa demande de mise en liberté.
Des mémoires personnels ont été produits.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 juillet 2022 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Sudre, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 18 mars 2022, M. [U] [M] a été mis en examen et placé en détention provisoire le 23 mars 2022, à l'issue d'un débat contradictoire différé.
3. Il a présenté une demande de mise en liberté, rejetée par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 14 avril 2022, dont il a relevé appel.
Examen de la recevabilité du mémoire personnel déposé le 10 mai 2022
4. Ce mémoire, produit au nom de M. [M] par un avocat au barreau de Fort-de-France, ne porte pas la signature du demandeur.
5. Dès lors, en application des articles 584 et suivants du code de procédure pénale, il n'est pas recevable et ne saisit pas la Cour de cassation des moyens qu'il pourrait contenir.
Examen du moyen du mémoire personnel déposé le 24 mai 2022
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 198, D. 591 et D. 592 du code de procédure pénale.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable le mémoire adressé par courriel au greffe de la chambre de l'instruction, alors que ce mémoire a été envoyé le 2 mai 2022 à 8 heures 54, soit la veille de l'audience, selon les mentions figurant sur l'accusé de réception, à l'adresse « [Courriel 1] », que le greffe avait utilisée pour envoyer à l'avocat du requérant l'avis d'audience.
Réponse de la Cour
8. Il résulte des articles 198, D. 591 et D. 592 du code de procédure pénale que les mémoires produits devant la chambre de l'instruction peuvent être transmis par un moyen de télécommunication sécurisé à l'adresse électronique de ladite chambre, dans les conditions prévues par une convention passée entre le ministère de la justice et les organisations nationales représentatives des barreaux.
9. Une telle convention a été signée le 5 février 2021 avec le Conseil national des barreaux (CNB) et a pour objet de garantir notamment la sécurité des échanges entre les avocats et les juridictions, l'intégrité des actes transmis et l'identification des acteurs de la communication électronique.
10. A cette fin, elle prévoit, à son article 6.3, ainsi que dans ses annexes 5 et 9, que les avocats ne peuvent transmettre, en matière pénale, de messages électroniques aux juridictions qu'aux adresses de messagerie déclarées par le ministère de la justice au CNB comme éligibles à la communication électronique pénale, ces adresses devant répondre au format spécifique prévu par ladite convention et ses annexes.
11. Ainsi, est irrecevable le mémoire déposé devant la chambre de l'instruction qui a été envoyé à une autre adresse électronique que celle transmise par cette juridiction comme éligible à la communication électronique pénale.
12. En l'espèce, l'arrêt attaqué énonce que le mémoire transmis sur la messagerie professionnelle nominative d'un greffier, et non sur la messagerie qui devait être utilisée en application de la convention précitée, est irrecevable.
13. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
14. Dès lors, le moyen doit être écarté.
15. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept juillet deux mille vingt-deux. | La convention signée le 5 février 2021 par le ministère de la justice et le Conseil national des barreaux (CNB), prise en application de l'article D. 591 du code de procédure pénale, énonce que les avocats ne peuvent transmettre, en matière pénale, de messages électroniques aux juridictions qu'aux adresses de messagerie déclarées comme éligibles à la communication électronique pénale par le ministère de la justice au CNB, ces adresses devant répondre au format spécifique prévu à l'article 6.3 de ladite convention ainsi qu'en ses annexes 5 et 9.
Il en résulte qu'est irrecevable, en application des articles 198 et D. 592 du code précité, le mémoire déposé devant la chambre de l'instruction qui a été envoyé à une autre adresse électronique que celle transmise par cette juridiction comme éligible à la communication électronique pénale.
Justifie dès lors sa décision l'arrêt qui déclare irrecevable le mémoire transmis sur la messagerie professionnelle nominative d'un greffier |
8,034 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 31 août 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 619 F-B
Pourvoi n° K 21-11.455
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOUT 2022
La société ITAC, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 21-11.455 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Audit bureautique conseils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société CM-CIC Leasing Solutions, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Kotel, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Avel, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société ITAC, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Audit bureautique conseils, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société CM-CIC Leasing Solutions, de Me Laurent Goldman, avocat de la société Kotel, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Avel, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 novembre 2020), le 23 juin 2017, à l'occasion d'un démarchage, la société Itac, cabinet d'expertise-comptable, a conclu avec la société GE capital équipement finance, devenue la société CM-CIC Leasing Solutions (la société CM-CIC),un contrat de location d'un photocopieur.
2. Le 4 août 2017, invoquant l'exercice de son droit de rétractation, la société Itac a sollicité, auprès de la société Audit bureautique conseils, l'annulation immédiate du contrat de location.
3. La société Itac a assigné en paiement la société CM-CIC, ainsi que la société Kotel, prise en sa qualité d'apporteur d'affaires.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Itac fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, de dire que le contrat était résilié à ses torts, de la condamner à restituer le photocopieur à la société CM-CIC et à lui payer la somme de 21 108 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2018 au titre des loyers impayés et à échoir, outre les pénalités pour la location du photocopieur, alors « qu'il résulte de l'article L. 221-3 du code de la consommation que le professionnel employant cinq salariés au plus, qui souscrit, hors établissement, un contrat dont l'objet n'entre pas dans le champ de son activité principale, bénéficie des dispositions protectrices du consommateur édictées par ce code, en particulier du droit de rétractation institué par l'article L. 221-18 ; qu'il incombe donc aux juges du fond de déterminer exclusivement si l'objet du contrat conclu entre dans le champs de cette activité principale ; qu'en l'espèce, pour dénier à la société Itac, société d'expertise-comptable, qui avait conclu hors de son établissement un contrat portant sur le photocopieur Samsung, le bénéfice des dispositions protectrices du code de la consommation et du droit de rétractation prévu par ce code, la cour d'appel s'est employée exclusivement à rechercher si celle-ci avait par là-même contracté dans un champ de compétence qui était le sien et qui lui permettrait d'apprécier les conditions de ce contrat indispensable à son activité ; qu'en appliquant ainsi un critère lié au champ de compétence du professionnel, critère étranger à celui imposé par le texte susvisé et tiré de l'inclusion de l'objet du contrat dans champ de l'activité principale du professionnel, en l'occurrence celle d'expert-comptable, à laquelle, en outre, un contrat de location de photocopieur ne se rapporte pas, la cour d'appel a violé celui-ci. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 221-3 du code de la consommation :
5. Selon ce texte, les dispositions du code de la consommation applicables aux relations entre consommateurs et professionnels sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq.
6. Pour rejeter les demandes de la société Itac, dire que le contrat du 23 juin 2017 a été résilié à ses torts et la condamner à payer diverses sommes à la société CM-CIC Leasing Solutions et à restituer le photocopieur objet de ce contrat, l'arrêt retient que celle-ci disposait de toutes les compétences professionnelles pour apprécier les conditions financières d'un contrat de location portant sur un photocopieur, matériel de bureau indispensable à son activité principale, de sorte qu'elle ne pouvait bénéficier des dispositions protectrices du code de la consommation et du droit de rétractation prévu par ce code.
7. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que les contrats de location entraient dans le champ de l'activité principale de la société Itac, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Demande de mise hors de cause
8. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause société Kotel dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande en garantie de la société Audit bureautique conseils à l'encontre de la société Kotel, l'arrêt rendu le 17 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Met hors de cause la société Kotel ;
Condamne la société CM-CIC Leasing Solutions et la société Audit bureautique conseils aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette leurs demandes et les condamne à payer à la société ITAC la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société ITAC
La société Itac fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de ses demandes, d'avoir dit que le contrat de location n°BU2452600 du 23 juin 2017 conclu entre elle et la société CM-CIC Leasing Solutions pour le photocopieur Samsung était résilié à ses torts, de l'avoir condamnée à restituer à la société CM-CIC Leasing Solutions le photocopieur multifonctions de marque Samsung objet de la convention résiliée, dans le délai d'un mois à compter de la signification de cet arrêt et, passé ce délai, sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard pendant trois mois, et de l'avoir condamnée à payer à la société CM-CIC Leasing Solutions la somme de 21.108 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2018 au titre des loyers impayés et des loyers à échoir outre les pénalités pour la location du photocopieur Samsung,
Alors qu'il résulte de l'article L. 221-3 du code de la consommation que le professionnel employant cinq salariés au plus, qui souscrit, hors établissement, un contrat dont l'objet n'entre pas dans le champ de son activité principale, bénéficie des dispositions protectrices du consommateur édictées par ce code, en particulier du droit de rétractation institué par l'article L. 221-18 ; qu'il incombe donc aux juges du fond de déterminer exclusivement si l'objet du contrat conclu entre dans le champs de cette activité principale ; qu'en l'espèce, pour dénier à la société Itac, société d'expertise-comptable, qui avait conclu hors de son établissement un contrat portant sur le photocopieur Samsung, le bénéfice des dispositions protectrices du code de la consommation et du droit de rétractation prévu par ce code, la cour d'appel s'est employée exclusivement à rechercher si celle-ci avait par là-même contracté dans un champ de compétence qui était le sien et qui lui permettrait d'apprécier les conditions de ce contrat indispensable à son activité ; qu'en appliquant ainsi un critère lié au champ de compétence du professionnel, critère étranger à celui imposé par le texte susvisé et tiré de l'inclusion de l'objet du contrat dans champ de l'activité principale du professionnel, en l'occurrence celle d'expert-comptable, à laquelle, en outre, un contrat de location de photocopieur ne se rapporte pas, la cour d'appel a violé celui-ci. | Selon l'article L. 221-3 du code de la consommation, les dispositions de ce code applicables aux relations entre consommateurs et professionnels sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés par celui-ci est inférieur ou égal à cinq |
8,035 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 31 août 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 620 F-B
Pourvoi n° B 21-13.080
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOUT 2022
Mme [Y] [V], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-13.080 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 2), dans le litige l'opposant à Mme [E] [X] [F], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Avel, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [V], après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Avel, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 14 janvier 2021), au cours du mois de février 2017, Mme [V] a pris contact avec Mme [X] [F] aux fins de procéder à des travaux d'aménagement, d'ameublement et de décoration de son appartement.
2. Après le règlement de différents acomptes, le 7 juillet 2017, Mme [X] [F] a émis une facture de solde des travaux.
3. Mme [V] l'a assignée en restitution de sommes indûment versées et, subsidiairement, en indemnisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
5. Mme [V] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation des contrats conclus avec Mme [X] [F], alors :
« 1°/ que constitue un contrat conclu à distance au sens de l'article L. 221-1 du code de la consommation la convention passée entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d'un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu'à la conclusion du contrat ; qu'en écartant cette qualification, après avoir néanmoins constaté que les contrats avaient été conclus sans la présence physique simultanée des parties et par le recours exclusif à des techniques de communication à distance, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation de l'article L. 221-1 du code de la consommation ;
2°/ que doit être qualifié de contrat à distance, tout contrat entre un professionnel et un consommateur qui ne se trouvent pas physiquement en présence, peu important le moyen de communication utilisé entre eux et peu important que le professionnel exerce individuellement, hors d'un système organisé de prestation de service à distance ; qu'en jugeant que le contrat de travaux ayant lié Mmes [V] et [X] [F] n'avait pas été conclu à distance, au motif que cette dernière n'avait pas mis en place de système organisé de prestation de service à distance, la cour d'appel a violé l'article L. 221-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir retenu qu'il n'était ni soutenu ni établi que les contrats avaient été conclus au titre d'un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, la cour d'appel en a déduit à bon droit que, bien qu'ayant été conclus sans la présence physique simultanée des deux parties et par le recours exclusif de techniques de communication à distance, ceux-ci ne pouvaient pas être qualifiés de contrats à distance au sens de l'article L. 221-1 du code de la consommation.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour Mme [V]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [V] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris, en ce qu'il avait rejeté la demande d'annulation des contrats conclus avec Mme [X] [F] ;
1°) ALORS D'UNE PART QUE constitue un contrat conclu à distance au sens de l'article L. 221-1 du Code de la consommation la convention passée entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d'un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu'à la conclusion du contrat ; qu'en écartant cette qualification, après avoir néanmoins constaté que les contrats avaient été conclus sans la présence physique simultanée des parties et par le recours exclusif à des techniques de communication à distance, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation de l'article L. 221-1 du code de la consommation ;
2°) ALORS QUE doit être qualifié de contrat à distance, tout contrat entre un professionnel et un consommateur qui ne se trouvent pas physiquement en présence, peu important le moyen de communication utilisé entre eux et peu important que le professionnel exerce individuellement, hors d'un système organisé de prestation de service à distance ; qu'en jugeant que le contrat de travaux ayant lié Mmes [V] et [X] [F] n'avait pas été conclu à distance, au motif que cette dernière n'avait pas mis en place de système organisé de prestation de service à distance, la cour d'appel a violé l'article L. 221-1 du code de la consommation ;
3°) ALORS QUE le formalisme précontractuel prescrit entre prestataire de service professionnel et consommateur se résout en dommages-intérêts ; qu'en déboutant Mme [V] de sa demande d'indemnisation, formée au titre de l'absence de devis qui lui avait été présenté par Mme [X] [F], motif pris de ce que la méconnaissance du formalisme précontractuel prévu par le code de la consommation n'était pas sanctionnée par la nullité du contrat, quand l'exposante avait également sollicité l'indemnisation du préjudice qu'elle avait subi, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [V] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement entrepris, en ce qu'il avait rejeté la demande de nullité des contrats conclus avec Mme [X] [F] ;
ALORS QUE constitue une réticence dolosive le fait de faire croire à un client qu'on est un professionnel de la construction ; qu'en ayant jugé que Mme [X] [F] ne s'était rendue coupable d'aucune réticence dolosive au détriment de l'exposante, dès lors qu'elle ne lui aurait pas fait croire qu'elle travaillait dans le cadre de sociétés, sans rechercher si l'intéressée n'avait pas fait usage d'une fausse qualité, en faisant croire qu'elle était une professionnelle de l'aménagement et de la décoration, alors même qu'elle n'était pas même inscrite au RCS, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1137 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Mme [V] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné Mme [V] à régler à Mme [X] [F] la somme de 7 978,26 euros ;
ALORS QUE les juges du fond ne peuvent condamner le client d'un prestataire de service prétendu à régler deux fois le même poste de travaux ; qu'en condamnant Madame [V] à payer à Mme [X] [F] la somme de 7 978,26 €, incluant le poste « peinture » à hauteur de 3 700 € dont elle avait constaté (arrêt, p. 8 § 6) que Mme [V] l'avait déjà réglé, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil. | Ayant retenu qu'il n'était ni soutenu ni établi que les contrats avaient été conclus au titre d'un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, une cour d'appel en a déduit à bon droit que, bien qu'ayant été conclus sans la présence physique simultanée des deux parties et par le recours exclusif de techniques de communication à distance, ceux-ci ne pouvaient pas être qualifiés de contrats à distance au sens de l'article L. 221-1 du code de la consommation |
8,036 | 0CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 31 août 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 622 F-B
Pourvoi n° K 21-10.075
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOUT 2022
La société Sermdial, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 21-10.075 contre l'arrêt rendu le 23 novembre 2020 par la cour d'appel de Colmar (1re chambre civile, section A), dans le litige l'opposant à la société Grenke location, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société Sermdial, de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de la société Grenke location, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 23 novembre 2020), le 5 mars 2015, par contrat conclu hors établissement, la société Grenke location (le bailleur) a donné à bail à la société Sermdial (le preneur) un matériel de vidéosurveillance.
2. Après avoir prononcé la résiliation du contrat pour défaut de paiement des loyers, le bailleur a assigné le preneur en paiement d'une indemnité de résiliation et en restitution du matériel loué.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Le preneur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au bailleur diverses sommes et de rejeter sa demande reconventionnelle en annulation du contrat de location, alors « que dans les contrats conclus à distance et hors établissement, le consommateur bénéficie d'un droit de rétractation d'ordre public qui lui est ouvert par les dispositions impératives des articles L. 121-16-1 et suivants, devenus les articles L. 221-18 et suivants du code de la consommation dont la violation est sanctionnée par une nullité relative ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande d'annulation du contrat de location, que les articles L. 121-16-1 et suivants du code de la consommation ouvrent au contractant client, une faculté de rétractation de quatorze jours, délai prolongé de douze mois lorsque les informations relatives au droit de rétractation n'ont pas été fournies au consommateur, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article 6 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 121-17,I, 2°, et L. 121-18-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
4. Il résulte du second de ces textes que, lorsque les informations relatives à l'exercice du droit de rétractation mentionnées au premier ne figurent pas dans un contrat conclu hors établissement, la nullité de ce contrat est encourue.
5. Pour rejeter la demande d'annulation du contrat formée par le preneur, l'arrêt retient qu'il résulte des articles L. 121-16-1 et suivants du code de la consommation que, lorsque les informations relatives au droit de rétractation n'ont pas été fournies au consommateur, celui-ci dispose d'une prolongation de douze mois pour exercer la faculté de rétractation de quatorze jours qui lui est offerte.
6. En statuant ainsi, alors que le preneur pouvait également invoquer la nullité du contrat litigieux, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les fins de non-recevoir opposées par la société Grenke location, l'arrêt rendu le 23 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société Grenke location aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Grenke location et la condamne à payer à la société Sermdial la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Sermdial
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société SERMDIAL fait grief à l'arrêt attaqué DE L'AVOIR condamnée à payer à la société GRENKE LOCATION, la somme de 20.348,57 €, outre les intérêts légaux, et à restituer le matériel loué sous astreinte, DE L'AVOIR condamnée à payer à la société GRENKE LOCATION, une indemnité de non-restitution de 15.901,20 € et D'AVOIR écarté la demande qu'elle avait formée afin de voir annuler le contrat de location financière qu'elle avait conclu ;
ALORS QUE dans les contrats conclus à distance et hors établissement, le consommateur bénéficie d'un droit de rétractation d'ordre public qui lui ouvert par les dispositions impératives des articles L. 121-16-1 et suivants, devenus les articles L. 221-18 et suivants du code de la consommation dont la violation est sanctionnée par une nullité relative ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande d'annulation du contrat de location, que les articles L. 121-16-1 et suivants du code de la consommation ouvrent au contractant client, une faculté de rétractation de quatorze jours, délai prolongé de douze mois lorsque les informations relatives au droit de rétractation n'ont pas été fournies au consommateur, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article 6 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société SERMDIAL fait grief à l'arrêt attaqué DE L'AVOIR condamnée à payer à la société GRENKE LOCATION, la somme de 20.348,57 €, outre les intérêts légaux, et à restituer le matériel loué sous astreinte, et DE L'AVOIR condamnée à payer à la société GRENKE LOCATION, une indemnité de non-restitution de 15.901,20 € ;
ALORS QU'il est défendu aux juges du fond de dénaturer les documents de la cause ; que la société SERMDIAL a soutenu dans ses conclusions que « la clause de restitution constitue une clause pénale excessive qui devra être réduite. / En effet, elle ne tient pas compte de la clause de résiliation anticipée, de sorte qu'en faisant application des deux clauses, la société GRENKE LOCATION se voit indemnisée deux fois de la valeur du bien » (conclusions, p. 29, deux derniers alinéas) ; qu'en affirmant que la société SERMDIAL ne s'expliquait pas sur le caractère manifestement excessif de l'indemnité de non-restitution, quand elle s'est effectivement prévalue de la disproportion manifeste de la clause, en soutenant qu'elle indemnisait deux fois le même préjudice, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de l'exposante, en violation du principe précité. | Il résulte de l'article L. 121-18-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, que, lorsque les informations relatives à l'exercice du droit de rétractation mentionnées à l'article L. 121-17,I, 2°, dudit code ne figurent pas dans un contrat conclu hors établissement, la nullité de ce contrat est encourue. Il s'ensuit qu'une telle sanction peut être invoquée par le souscripteur du contrat, au même titre que la prolongation du délai de rétractation prévue par l'article L. 121-21-1 du même code |
8,037 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 31 août 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 632 F-B
Pourvoi n° E 21-12.968
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOUT 2022
La société Eco environnement, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 21-12.968 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [L] [U],
2°/ à Mme [W] [S],
domiciliés tout deux [Adresse 3],
3°/ à la société Franfinance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la société Cofidis, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Des pourvois incidents ont été formés par la société Franfinance et la société Cofidis contre le même arrêt.
La demanderesse, au pourvoi principal, invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La société Franfinance, invoque à l'appui de son pourvoi incident le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt pourvois
La société Cofidis, invoque à l'appui de son pourvoi incident les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Eco environnement, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Cofidis, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Franfinance, de Me Occhipinti, avocat de M. [U], de Mme [S], après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 11 février 2021), le 10 août 2016, M. [U] a conclu hors établissement avec la société Eco environnement deux contrats de fourniture et d'installation de panneaux photovoltaïques, lesquels ont été financés par deux crédits souscrits le même jour avec Mme [S] auprès des sociétés Franfinance et Cofidis.
2. M. [U] et Mme [S] ont assigné les sociétés Eco environnement, Franfinance et Cofidis en annulation des contrats précités.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, le premier moyen du pourvoi incident de la société Cofidis et le moyen unique du pourvoi incident de la société Franfinance, pris en leurs deux premières branches, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, le premier moyen du pourvoi incident de la société Cofidis et le moyen unique du pourvoi incident de la société Franfinance, pris en leur troisième branche, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
4. Les sociétés Eco environnement, Cofidis et Franfinance font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des contrats de fourniture et d'installation, alors « que si la confirmation tacite d'un acte nul est subordonnée à la double condition que son auteur ait eu connaissance du vice l'affectant et qu'il ait eu l'intention de le réparer, la reproduction intégrale des différents articles du code de la consommation en caractères parfaitement lisibles dans les conditions générales de vente suffit à permettre au consommateur d'avoir connaissance de l'irrégularité formelle affectant les mentions du contrat ; qu'en retenant au contraire que « le seul fait que les conditions générales figurant au verso sur le bon de commande se bornent à reprendre les dispositions du code de la consommation est insuffisant à relever à l'emprunteur les vices affectant ce bon », la cour d'appel a violé l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
5. Il résulte de ce texte que la confirmation d'un acte nul procède de son exécution volontaire en connaissance du vice qui l'affecte.
6. La reproduction lisible, dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat, permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions.
7. Pour exclure la confirmation des contrats de fourniture et d'installation litigieux, l'arrêt retient que le seul fait que les conditions générales figurant au verso du bon de commande se bornent à reprendre les dispositions du code de la consommation est insuffisant à révéler au souscripteur les vices affectant ce bon.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen du pourvoi incident de la société Cofidis et le moyen unique, pris en sa dernière branche, du pourvoi incident de la société Franfinance, réunis
Enoncé du moyen
9. Par le second moyen de son pourvoi incident, la société Cofidis fait grief à l'arrêt de constater la nullité du contrat de crédit qu'elle a consenti à M. [U] et Mme [S], alors « que la cassation qui interviendra du chef de dispositif attaqué par le premier moyen de cassation entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif visé par le second moyen de cassation qui en dépend.
10. Par le moyen unique de son pourvoi incident, pris en sa dernière branche, la société Franfinance fait grief à l'arrêt de constater la nullité du contrat de crédit qu'elle a consenti à M. [U] et Mme [S], alors « qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt ayant prononcé la nullité du contrat conclu entre M. [U] et la société Eco environnement emportera, par voie de conséquence, la censure de l'arrêt en ce qu'il a constaté la nullité du contrat de crédit affecté conclu entre la société Franfinance et M. [U] et Mme [S]. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
11. Il résulte de ce texte que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
12. La cassation prononcée sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Cofidis et sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi incident de la société Franfinance entraîne, par voie de conséquence, celle des dispositions de l'arrêt constatant la nullité du contrat de crédit consenti par les sociétés Cofidis et Franfinance à M. [U] et Mme [S], qui se trouvent avec elle dans un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
13. Il résulte de ce texte que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
14. La cassation prononcée au titre du premier moyen du pourvoi principal entraîne, par voie de conséquence, celle des dispositions de l'arrêt condamnant la société Eco environnement à rembourser à M. [U] le prix payé au titre de chacun des contrats de fourniture et d'installation, qui se trouvent avec elle dans un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne M. [U] et Mme [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits, au pourvoi principal, par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Eco environnement
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Eco Environnement fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR prononcé la nullité des deux contrats conclus par M. [U] et la société Eco Environnement le 10 août 2016 (bon de commande n° 53388 et bon de commande 52002) ;
1) Alors que si l'article L. 221-9 du code de la consommation exige que le contrat comprenne toutes les informations prévues à l'article L. 221-5 du même code, lequel exige que le professionnel communique au consommateurs les informations prévues aux articles L. 111-1 et L. 111-2, l'article L. 111-1 du code de la consommation, qui impose une information sur le prix du bien ou du service, n'exige pas que le bon de commande décompose, en les distinguant, le prix des matériaux et le prix de la main d'oeuvre; que pour prononcer la nullité des contrats de vente, l'arrêt attaqué retient que les mentions du bon de commande étaient « insuffisantes pour satisfaire à l'exigence d'indication du prix des biens et du service », motifs pris de ce qu'elles ne comportaient « qu'un prix global, sans décomposition entre le coût des panneaux et le coût des travaux de pose » et « que le montant élevé du prix de l'opération et la complexité de cette dernière imposaient a minima la distinction entre le prix des matériaux et celui de la main d'oeuvre, à défaut de quoi le client n'est pas en mesure d'effectuer des comparaisons » (arrêt p. 10, § 2) ; qu'en se déterminant ainsi, quand aucune disposition légale ou réglementaire n'imposait à la société Eco Environnement de détailler le prix unitaire de chacun des composants de l'installation et de les distinguer du prix de la pose, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les articles L. 111-1, L. 221-5 et L. 221-9 du code de la consommation ;
2) Alors que le juge est tenu en toutes circonstances de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour prononcer la nullité des contrats de vente, l'arrêt attaqué retient « les coordonnées du démarcheur ne figurent pas sur les contrats » (arrêt p. 10, § 3) ; qu'en se déterminant ainsi, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur cette irrégularité soulevée d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3) Alors, subsidiairement, que si la confirmation tacite d'un acte nul est subordonnée à la double condition que son auteur ait eu connaissance du vice l'affectant et qu'il ait eu l'intention de le réparer, la reproduction intégrale des différents articles du code de la consommation en caractères parfaitement lisibles dans les conditions générales de vente suffit à permettre au consommateur d'avoir connaissance de l'irrégularité formelle affectant les mentions du contrat ; qu'en retenant au contraire que « le seul fait que les conditions générales figurant au verso sur le bon de commande se bornent à reprendre les dispositions du code de la consommation est insuffisant à révéler à l'emprunteur les vices affectant ce bon », la cour d'appel a violé l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Eco Environnement fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'elle était tenue de rembourser les sommes de 25 000 euros et 27 900 euros au titre des prix payés en exécution des deux bons de commande et de l'AVOIR condamnée à rembourser à M. [U] ces deux sommes ;
Alors que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; qu'en jugeant que la société Eco Environnement était tenue de rembourser les sommes de 25 000 et 27 900 euros au titre des prix payés en exécution des deux bons de commande, quand il résultait de ses propres constatations et énonciations que M. [U] n'avait formé aucune demande financière à l'encontre de la société Eco Environnement, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
Moyens produits, au pourvoi incident, par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la société Cofidis
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille le 22 février 2019 qui a prononcé la nullité du contrat principal conclu le 10 août 2016 entre M. [U] et la société Eco Environnement (bon de commande n° 52002) ;
ALORS DE PREMIERE PART QUE si l'article L. 221-9 du code de la consommation exige que le contrat comprenne toutes les informations prévues à l'article L. 221-5 du même code, lequel exige que le professionnel communique au consommateur les informations prévues aux articles L. 111-1 et L. 111-2, l'article L. 111-1 du code de la consommation, qui impose une information sur le prix du bien ou du service, n'exige pas que le bon de commande décompose, en les distinguant, le prix des matériaux et le prix de la main d'oeuvre ; que pour prononcer la nullité des contrats de vente, l'arrêt attaqué retient que les mentions du bon de commande étaient « insuffisantes pour satisfaire à l'exigence d'indication du prix des biens et du service », motifs pris de ce qu'elles ne comportaient « qu'un prix global, sans décomposition entre le coût des panneaux et le coût des travaux de pose » et « que le montant élevé du prix de l'opération et la complexité de cette dernière imposaient a minima la distinction entre le prix des matériaux et celui de la main d'oeuvre, à défaut de quoi le client n'est pas en mesure d'effectuer des comparaisons » (arrêt p. 10, § 2) ; qu'en se déterminant ainsi, quand aucune disposition légale ou réglementaire n'imposait à la société Eco Environnement de détailler le prix unitaire de chacun des composants de l'installation et de les distinguer du prix de la pose, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les articles L. 111-1, L. 221-5 et L. 221-9 du code de la consommation ;
ALORS DE DEUXIEME PART QUE le juge est tenu en toutes circonstances de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour prononcer la nullité des contrats de vente, l'arrêt attaqué retient que « les coordonnées du démarcheur ne figurent pas sur les contrats » (arrêt p. 10, § 3) ; qu'en se déterminant ainsi, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur cette irrégularité soulevée d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS DE TROISIEME ET DERNIERE PART, subsidiairement, QUE si la confirmation tacite d'un acte nul est subordonnée à la double condition que son auteur ait eu connaissance du vice l'affectant et qu'il ait eu l'intention de le réparer, la reproduction intégrale des différents articles du code de la consommation en caractères parfaitement lisibles dans les conditions générales de vente suffit à permettre au consommateur d'avoir connaissance de l'irrégularité formelle affectant les mentions du contrat ; qu'en retenant au contraire que « le seul fait que les conditions générales figurant au verso sur le bon de commande se bornent à reprendre les dispositions du code de la consommation est insuffisant à révéler à l'emprunteur les vices affectant ce bon », la cour d'appel a violé l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille le 22 février 2019 en ce qu'il a constaté la nullité du contrat de prêt conclu le 10 août 2016 entre la société Cofidis, d'une part, et M. [U] et Mme [S], d'autre part ;
ALORS QUE la cassation qui interviendra du chef de dispositif attaqué par le premier moyen de cassation entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif visé par le second moyen de cassation qui en dépend.
Moyens produits, au pourvoi incident, par la SCP Célice, Texidor, Perrier, avocat aux Conseils, pour la société Franfinance
La société FRANFINANCE fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR prononcé la nullité des deux contrats conclus par M. [U] et la société ECO ENVIRONNEMENT le 10 août (bon de commande N° 53388 et bon de commande n° 52002), d'AVOIR, en conséquence, constaté la nullité du contrat de crédit affecté conclu entre la société FRANFINANCE et M. [U] et Mme [S] et d'AVOIR dit que M. [U] et Mme [S] sont tenus de rembourser le capital emprunté auprès de FRANFINANCE, soit la somme de 25.000 euros sous déduction des règlements opérés par leurs soins et de les AVOIR condamnés en tant que de besoin solidairement au paiement de ladite somme au profit de FRANFINANCE.
1) ALORS QUE si l'article L. 221-9 du code de la consommation exige que le contrat comprenne toutes les informations prévues à l'article L. 221-5 du même code, lequel exige que le professionnel communique aux consommateurs les informations prévues aux articles L. 111-1 et L. 111-2, l'article L. 111-1 du code de la consommation, qui impose une information sur le prix du bien ou du service, n'exige pas que le bon de commande décompose, en les distinguant, le prix des matériaux et le prix de la main d'oeuvre ; que pour prononcer la nullité des contrats de vente, l'arrêt attaqué retient que les mentions du bon de commande étaient « insuffisantes pour satisfaire à l'exigence d'indication du prix des biens et du service », motifs pris de ce qu'elles ne comportaient « qu'un prix global, sans décomposition entre le coût des panneaux et coût des travaux de pose » et « que le montant élevé du prix de l'opération et la complexité de cette dernière imposaient a minima la distinction entre le prix des matériaux et celui de la main d'oeuvre, à défaut de quoi le client n'est pas en mesure d'effectuer des comparaisons » (arrêt, p. 10, § 2) ; qu'en se déterminant ainsi, quand aucune disposition légale ou réglementaire n'imposait à la société ECO ENVIRONNEMENT de détailler le prix unitaire de chacun des composants de l'installation et de les distinguer du prix de la pose, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé les articles L. 111-1, L. 221-5 et L. 221-9 du code de la consommation ;
2) ALORS QUE le juge est tenu en toutes circonstances de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour prononcer la nullité des contrats de vente, l'arrêt attaqué retient que « les coordonnées du démarcheur ne figurent pas sur les contrats » (arrêt, p. 10, § 3) ; qu'en se déterminant ainsi, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur cette irrégularité soulevée d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.
3) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE, si la confirmation tacite d'un acte nul est subordonnée à la double condition que son auteur ait eu connaissance du vice l'affectant et qu'il ait eu l'intention de le réparer, la reproduction intégrale des différents articles du code de la consommation en caractères parfaitement lisibles dans les conditions générales de vente suffit à permettre au consommateur d'avoir connaissance de l'irrégularité formelle affectant les mentions du contrat ; qu'en retenant au contraire que « le seul fait que les conditions générales figurant au verso sur le bon de commande se bornent à reprendre les dispositions du code de la consommation est insuffisant à relever à l'emprunteur les vices affectant ce bon », la cour d'appel a violé l'article 1338 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2010.
4) ALORS QU'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt ayant prononcé la nullité du contrat conclu entre M. [U] et la société ECO ENVIRONNEMENT emportera, par voie de conséquence, la censure de l'arrêt en ce qu'il a constaté la nullité du contrat de crédit affecté conclu entre la société FRANFINANCE et M. [U] et Mme [S]. | La reproduction lisible, dans un contrat conclu hors établissement, des dispositions du code de la consommation prescrivant le formalisme applicable à ce type de contrat permet au souscripteur de prendre connaissance du vice résultant de l'inobservation de ces dispositions |
8,038 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 31 août 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 681 FS-B
Pourvoi n° W 21-11.097
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOUT 2022
M. [P] [I], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 21-11.097 contre le jugement rendu le 23 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux (pôle protection et proximité), dans le litige l'opposant à la société Calma, sous l'enseigne Le Boutique Hôtel, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Vitse, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [I], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Calma, et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vitse, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, Mme Guihal, M. Bruyère, conseillers, Mmes Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Bordeaux, 23 novembre 2020), le 11 septembre 2017, M. [I], neurologue, qui s'était inscrit à un congrès médical organisé à [Localité 3], a réservé une chambre d'hôtel dans cette ville auprès de la société Calma.
2. Ayant annulé cette réservation en raison de son hospitalisation, M. [I] a vainement sollicité le remboursement intégral du prix, puis assigné la société Calma aux mêmes fins en se prévalant des dispositions du code de la consommation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [I] fait grief au jugement de rejeter sa demande en remboursement du prix, alors « qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que, pour exclure l'application de l'article L. 212-1 du code de la consommation relatif aux clauses abusives, le tribunal judiciaire a considéré que M. [I], qui exerce une activité professionnelle libérale, telle celle de médecin neurologue, et agissait à des fins autres tout à fait distinctes du cadre de cette activité professionnelle en faisant la réservation d'une chambre d'hôtel, ne pouvait être considéré comme un consommateur ; qu'en statuant de la sorte, le tribunal judiciaire a violé l'article liminaire du code de la consommation, ensemble l'article L. 212-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article liminaire du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017, et l'article L. 212-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
4. Le premier de ces articles dispose :
« Pour l'application du présent code, on entend par :
- consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ;
- non-professionnel : toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ;
- professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu'elle agit au nom ou pour le compte d'un autre professionnel. »
5. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, la notion de « professionnel » est une notion fonctionnelle impliquant d'apprécier si le rapport contractuel s'inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel (arrêt du 4 octobre 2018, Komisia za zashtita na potrebitelite, C-105-17, point 35).
6. Pour attribuer à M. [I] la qualité de professionnel et ainsi exclure l'application des dispositions relatives aux clauses abusives, le jugement retient qu'il ne peut revendiquer la qualité de consommateur, au regard du lien direct entre sa participation au congrès médical et la réservation d'hôtel.
7. En statuant ainsi, alors qu'en souscrivant le contrat d'hébergement litigieux, M. [I] n'agissait pas à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle, le tribunal a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 23 novembre 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Pau ;
Condamne la société Calma aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Calma et la condamne à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. [I]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Monsieur [P] [I] fait grief au jugement attaqué de l'avoir débouté de sa demande de remboursement de la somme de 1496 euros, versée au titre d'un séjour annulé du 9 au 13 avril 2018 ;
Alors, d'une part, qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que, pour exclure l'application de l'article L 212-1 du Code de la consommation relatif aux clauses abusives, le Tribunal judiciaire a considéré que Monsieur [I], qui exerce une activité professionnelle libérale, telle celle de médecin neurologue, et agissait à des fins autres tout à fait distinctes du cadre de cette activité professionnelle en faisant la réservation d'une chambre d'hôtel, ne pouvait être considéré comme un consommateur ; qu'en statuant de la sorte, le Tribunal judiciaire a violé l'article liminaire du Code de la consommation, ensemble l'article L 212-1 du Code de la consommation ;
Alors, d'autre part, qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que pour exclure l'application de l'article L 212-1 du Code de la consommation relatif aux clauses abusives, le Tribunal judiciaire a jugé qu'en faisant la réservation d'une chambre d'hôtel, Monsieur [I], qui exerce une activité professionnelle libérale, telle celle de médecin neurologue, ne pouvait être considéré comme un consommateur, au prétexte que cette réservation était « en lien » avec sa participation au Congrès de neurologie de langue française devant se tenir à [Localité 3] du 10 au 14 avril 2018 ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à conférer un caractère professionnel à la réservation contractée par Monsieur [I], le Tribunal judiciaire a violé l'article liminaire du Code de la consommation, ensemble l'article L 212-1 du Code de la consommation ;
Alors, enfin et en tout état de cause, qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que pour exclure l'application de l'article L 212-1 du Code de la consommation relatif aux clauses abusives, le Tribunal judiciaire a jugé qu'en faisant la réservation d'une chambre d'hôtel, Monsieur [I], qui exerce une activité professionnelle libérale, telle celle de médecin neurologue, ne pouvait être considéré comme un consommateur ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'il y était invité, si en réservant un hôtel, avec son épouse, en vue d'un séjour à [Localité 3], Monsieur [I] n'avait pas souscrit un contrat mixte en lien avec son activité professionnelle et son activité personnelle, et si les besoins personnels satisfaits par ce contrat prédominaient sur la part d'activité professionnelle, le Tribunal judiciaire a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article liminaire du Code de la consommation, ensemble l'article L 212-1 du même Code de la consommation.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Monsieur [P] [I] fait grief au jugement attaqué de l'avoir débouté de sa demande de remboursement de la somme de 1496 euros, versée au titre d'un séjour annulé du 9 au 13 avril 2018 ;
Alors, d'une part, qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que pour exclure l'application des articles L 111-1 et 111-2 du Code de la consommation relatifs à l'information due au consommateur, le Tribunal judiciaire a considéré que Monsieur [I], qui exerce une activité professionnelle libérale, telle celle de médecin neurologue, et agissait à des fins autres tout à fait distinctes du cadre de cette activité professionnelle en faisant la réservation d'une chambre d'hôtel, ne pouvait être considéré comme un consommateur ; qu'en statuant de la sorte, le Tribunal judiciaire a violé l'article liminaire du Code de la consommation, ensemble les articles L 111-1 et 111-2 du Code de la consommation ;
Alors, d'autre part, qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que pour exclure l'application des articles L 111-1 et 111-2 du Code de la consommation relatifs à l'information due au consommateur, le Tribunal judiciaire a jugé qu'en faisant la réservation d'une chambre d'hôtel, Monsieur [I], qui exerce une activité professionnelle libérale, telle celle de médecin neurologue, ne pouvait être considéré comme un consommateur, au prétexte que cette réservation était « en lien » avec sa participation au Congrès de neurologie de langue française devant se tenir à [Localité 3] du 10 au 14 avril 2018 ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à conférer un caractère professionnel à la réservation contractée par Monsieur [I], le Tribunal judiciaire a violé l'article liminaire du Code de la consommation, ensemble les articles L 111-1 et 111-2 du Code de la consommation ;
Alors, enfin et en tout état de cause, qu'est un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que pour exclure l'application des articles L 111-1 et 111-2 du Code de la consommation relatifs à l'information due au consommateur, le Tribunal a jugé qu'en faisant la réservation d'une chambre d'hôtel, Monsieur [I], qui exerce une activité professionnelle libérale, telle celle de médecin neurologue, ne pouvait être considéré comme un consommateur ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'il y était invité, si en réservant un hôtel, avec son épouse, en vue d'un séjour à [Localité 3], Monsieur [I] n'avait pas souscrit un contrat mixte en lien avec son activité professionnelle et son activité personnelle, et si les besoins personnels satisfaits par ce contrat prédominaient sur la part d'activité professionnelle, le Tribunal judiciaire a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article liminaire du Code de la consommation, ensemble les articles L 111-1 et 111-2 du Code de la consommation.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Monsieur [P] [I] fait grief au jugement attaqué de l'avoir débouté de sa demande subsidiaire, visant à voir condamner la société CALMA - BOUTIQUE HOTEL au remboursement de la somme de 1 047,20 euros, correspondant au montant de la réservation, après déduction des arrhes ;
Alors que lorsqu'ont été versées des arrhes, chacun des contractants peut se départir de son engagement, celui qui les a données, en les perdant, et celui qui les a reçues, en restituant le double ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'il y était invité, si, en annulant sa réservation, Monsieur [I] ne perdait pas que les arrhes versés, correspondant à 30 % du montant de la réservation, et non pas l'intégralité du montant de la réservation, le Tribunal judiciaire a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1590 du Code civil. | En effectuant une réservation hôtelière dans une ville, un neurologue inscrit à un congrès médical organisé dans la même ville n'agit pas à des fins entrant dans le cadre de son activité professionnelle, au sens de l'article liminaire du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-203 du 21 février 2017, de sorte qu'il peut se prévaloir de la qualité de consommateur |
8,039 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 31 août 2022
Cassation partielle
Mme LEROY-GISSINGER, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 905 F-B
Pourvoi n° W 20-22.317
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOÛT 2022
Mme [Z] [V], épouse [J], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-22.317 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2020 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant à la société Generali vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [V], épouse [J], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Generali vie, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, M. Besson, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 8 octobre 2020), Mme [V], après avoir répondu, le 1er septembre 2013, à des questionnaires de santé, a adhéré le 5 septembre 2013 à un premier contrat d'assurance de groupe « Atoll professions paramédicales » et le 10 septembre 2013 au second « La retraite », proposés par la société Generali vie (l'assureur).
2. À la suite d'un arrêt de travail du 13 avril 2015, s'étant poursuivi jusqu'au 29 février 2016, Mme [V] a demandé à l'assureur le bénéfice des garanties de ces contrats.
3. L'assureur lui ayant refusé sa garantie en invoquant une omission sur ses antécédents médicaux, avant de l'informer de l'annulation du contrat « Atoll professions paramédicales » et de celle de la garantie « exonération des cotisations » du contrat « La retraite », Mme [V] l'a assigné devant un tribunal aux fins de paiement de sommes en exécution desdits contrats et d'indemnisation.
Examen du moyen
Sur le moyen relevé d'office
4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles L. 113-2 et L. 113-8 du code des assurances et les articles L. 133-1 et L. 1141-1 du code de la santé publique :
5. Il résulte du premier de ces textes que l'assuré est obligé de répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge, et du deuxième texte que le contrat d'assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l'assuré, quand cette réticence ou cette fausse déclaration change l'objet du risque ou en diminue l'opinion pour l'assureur, alors même que le risque omis ou dénaturé par l'assuré a été sans influence sur le sinistre.
6. Selon le dernier de ces textes, auquel renvoie le troisième en ce qui concerne les conditions d'accès à l'assurance contre les risques d'invalidité ou de décès, les assureurs qui proposent une garantie de tels risques ne doivent pas tenir compte des résultats de l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne demandant à bénéficier de cette garantie, même si ceux-ci leur sont transmis par la personne concernée ou avec son accord. En outre, ils ne peuvent poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, ni demander à une personne de se soumettre à de tels tests avant que ne soit conclu le contrat et pendant toute la durée de celui-ci.
7. Pour prononcer la nullité des contrats de groupe litigieux et rejeter l'intégralité des demandes de Mme [V], après avoir retenu que si la maladie de Steinert ne lui avait été diagnostiquée que le 2 septembre 2013, l'arrêt énonce que Mme [V] ne pouvait manifestement pas faire abstraction, à la date de la déclaration de risques, le 1er septembre 2013, de ce qu'elle faisait l'objet depuis juin 2012 d'explorations génétiques aux fins de recherche et de diagnostic chez elle d'une potentielle maladie génétique héréditaire, dont sont atteints ses deux enfants, ce dont il résulte que les examens auxquels elle s'est soumise avaient une vocation de dépistage et un rôle préventif et que, par conséquent, en répondant « NON » à la question 3c « Êtes-vous actuellement sous traitement ou surveillance médicale (y compris dans le cadre d'une grossesse pathologique) ? » et en omettant d'indiquer qu'elle faisait l'objet d'une surveillance médicale dans le cadre d'une recherche et d'un diagnostic de maladie génétique héréditaire depuis plus d'un an, Mme [V] a commis une fausse déclaration et une réticence dont les caractères intentionnels ressortent de ce qu'elle ne pouvait à l'évidence pas avoir oublié les examens génétiques auxquels elle se soumettait, ainsi que ses deux enfants, depuis juin 2012 et en particulier aux mois de juillet et août 2013, pas plus qu'elle ne pouvait avoir ignoré leurs conséquences en cas de diagnostic d'une maladie génétique héréditaire.
8. L'arrêt ajoute que cette dissimulation intentionnelle a trompé l'assureur sur la réalité de la situation médicale de l'adhérente, ce qui a modifié l'appréciation du risque dont elle sollicitait la garantie, alors que le potentiel diagnostic d'une maladie génétique héréditaire est de nature à influer nécessairement sur cette appréciation.
9. En statuant ainsi, alors que l'assureur, qui propose une garantie des risques d'invalidité ou de décès, ne peut poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, et que la personne ayant procédé à de tels tests n'est pas tenue d'en faire mention dans ses réponses au questionnaire de santé qui lui est soumis, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait de lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute la société Generali vie du surplus de ses demandes, l'arrêt rendu le 8 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société Generali vie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Generali vie et la condamne à payer à Mme [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme [V], épouse [J]
Mme [V] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR prononcé la nullité des contrats « Atoll professions paramédicales » n° 376168854 et « La retraite » n° 2241304363, proposés par la société Generali Vie, auxquels Mme [V] a adhéré respectivement les 5 et 10 septembre 2013, et d'AVOIR débouté Mme [V] de l'intégralité de ses demandes ;
1°) ALORS QUE seul constitue une fausse déclaration intentionnelle le fait de répondre sciemment de façon inexacte à une question posée par l'assureur dans le formulaire de déclaration de risques ; qu'en jugeant que Mme [V] aurait commis une « réticence » en faisant « abstraction de ce qu'elle faisait l'objet depuis juin 2012 d'explorations génétiques aux fins de recherche et de diagnostic chez elle d'une potentielle maladie génétique héréditaire », ces examens ayant « une vocation de dépistage et un rôle préventif » (arrêt, p. 12, in fine), sans constater que la société Generali Vie lui aurait posé une question impliquant la révélation de tests génétiques pratiqués avant la souscription du contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 112-3, L. 113-2 et L. 113-8 du code des assurances ;
2°) ALORS QU'à la souscription du contrat, la société Generali Vie a interrogé Mme [V] sur le point de savoir si elle se trouvait « actuellement sous traitement ou surveillance médicale (y compris dans le cadre d'une grossesse pathologique) », ce qui impliquait l'existence d'un suivi médical régulier justifié par une pathologie précise ; qu'en jugeant, pour retenir que Mme [V] aurait commis une fausse déclaration intentionnelle en répondant par la négative à cette question, qu'elle « faisait l'objet depuis juin 2012 d'explorations génétiques aux fins de recherche et de diagnostic chez elle d'une potentielle maladie génétique héréditaire », ces examens ayant « une vocation de dépistage et un rôle préventif » (arrêt, p. 12, in fine), la cour d'appel, qui a assimilé à une surveillance médicale de simples mesures d'investigation, a dénaturé le questionnaire de santé, violant l'article 1134 ancien du code civil, ensemble le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, les questions posées par l'assureur dans le formulaire de déclaration du risque doivent être précises, l'assureur ne pouvant se prévaloir du fait qu'une question exprimée en termes généraux n'a reçu qu'une réponse imprécise ; qu'en affirmant qu'en interrogeant Mme [V] sur le point de savoir si elle se trouvait « actuellement sous traitement ou surveillance médicale (y compris dans le cadre d'une grossesse pathologique) », la société Generali Vie l'avait questionnée sur l'existence de mesures d'investigation et de dépistage, la cour d'appel, qui a conféré à cette question une portée qu'elle n'avait pas, a violé l'article L. 112-3 du code des assurances. | Selon l'article L. 1141-1 du code de la santé publique, auquel renvoie l'article L. 133-1 du code des assurances, en ce qui concerne les conditions d'accès à l'assurance contre les risques d'invalidité ou de décès, les assureurs qui proposent une garantie de tels risques ne doivent pas tenir compte des résultats de l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne demandant à bénéficier de cette garantie, même si ceux-ci leur sont transmis par la personne concernée ou avec son accord. En outre, ils ne peuvent poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, ni demander à une personne de se soumettre à de tels tests avant que ne soit conclu le contrat et pendant toute la durée de celui-ci.
Il résulte de ces dispositions que l'assureur, qui propose une garantie des risques d'invalidité ou de décès, ne peut poser aucune question relative aux tests génétiques et à leurs résultats, et la personne ayant procédé à de tels tests n'est pas tenue d'en faire mention dans ses réponses au questionnaire de santé qui lui est soumis.
Dès lors, encourt la cassation la cour d'appel qui, pour annuler les contrats d'assurance de groupe litigieux, retient que l'adhérente, en omettant d'indiquer, à la date de la déclaration de risques, qu'elle faisait l'objet d'une surveillance médicale dans le cadre d'une recherche et d'un diagnostic de maladie génétique héréditaire depuis plus d'un an, a commis une fausse déclaration intentionnelle |
8,040 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 31 août 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1000 F-B
Pourvoi n° S 20-16.701
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 31 AOÛT 2022
M. [P] [O], domicilié lieu-dit [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 20-16.701 contre l'arrêt rendu le 12 février 2020 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant à la société MACIF, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Talabardon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [O], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MACIF, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Talabardon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 12 février 2020) et les productions, suivant déclaration de cession du 29 septembre 2015, M. [O] a acquis auprès d'un garage automobile un véhicule d'occasion de marque BMW, dont il a pris possession le jour même.
2. Le 28 décembre suivant, une facture attestant du règlement du solde du prix de vente lui a été délivrée et M. [O] a, d'une part, fait immatriculer le véhicule, d'autre part, souscrit un contrat d'assurance auprès de la société MACIF (l'assureur).
3. Dans la nuit du 31 décembre suivant, le véhicule a été incendié accidentellement sur la voie publique.
4. L'assureur ayant refusé sa garantie, aux motifs que le véhicule sinistré aurait été détourné au préjudice d'une société de location polonaise, puis cédé, pour un prix très inférieur à celui du marché, à M. [O], qui en serait receleur de fait, celui-ci l'a assigné en indemnisation devant un tribunal judiciaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa dixième branche
Enoncé du moyen
5. M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande aux fins de condamnation de l'assureur à l'indemniser de la perte de son véhicule, alors « que toute personne ayant intérêt à la conservation d'une chose peut la faire assurer ; que, par suite, la fraude commise dans l'acquisition d'un bien n'est pas une cause de nullité du contrat d'assurance souscrit pour en garantir la perte ; qu'en retenant en l'espèce que le véhicule avait été acquis dans des conditions suspectes de fraude et qu'il y avait lieu pour cette raison de refuser de faire application du contrat d'assurance, la cour d'appel a violé les articles 1134 ancien du code civil et L. 121-6 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 121-1, alinéa 1, et L. 121-6, alinéa 1, du code des assurances, et l'article 1134, devenu 1103, du code civil :
6. Selon les deux premiers de ces textes, l'assurance relative aux biens est un contrat d'indemnité et toute personne ayant intérêt à la conservation d'une chose peut la faire assurer.
7. Aux termes du troisième, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
8. Pour dire justifié le refus de l'assureur d'indemniser le sinistre, l'arrêt relève que le véhicule incendié a été acquis par M. [O] dans des « circonstances obscures », dont témoigneraient le décalage entre la prise de possession du bien, le 29 septembre 2015, et son immatriculation en France et son assurance auprès de la MACIF, le 28 décembre suivant, le fait que la déclaration de cession fasse référence à un certificat d'immatriculation n'indiquant ni sa date ni son numéro, et l'absence de justification par M. [O] du versement allégué d'acomptes en espèces pour un montant total de 20 000 euros.
9. L'arrêt en déduit que les droits de l'assuré sur « un véhicule acquis dans des conditions frauduleuses » sont « éminemment contestables ».
10. En statuant ainsi, par un motif inopérant tiré de la qualité de la possession sur le véhicule sinistré, alors qu'elle constatait que M. [O] était l'assuré, de sorte qu'il appartenait à l'assureur d'exécuter l'obligation indemnitaire dont il était tenu envers celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société MACIF aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MACIF et la condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un août deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [O]
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté la demande de M. [O] tendant à voir condamner la société GMF Assurances à l'indemniser de la perte de son véhicule ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « Sur le fond, le premier juge a exactement caractérisé les circonstances obscures de l'achat et de la remise du véhicule :
L'immatriculation en France et l'assurance auprès de la MACIF sont en effet tardives par rapport à la date d'achat du véhicule.
Le véhicule a été acheté à Varsovie le 3 août 2015 par la société BZ Auto, avec un numéro d'immatriculation polonais. Le certificat de vente établi par la société BZ Auto indique qu'il a été cédé à M. [O] le 29 septembre 2015. Or, l'appelant soutient que le document de cession ne lui a été fourni qu'après versement de la totalité du prix de vente c'est-à-dire le 18 décembre 2015, tout en indiquant qu'il s'est trouvé en possession du véhicule le jour même où il a été livré.
Il apparaît donc, soit que le certificat de vente porte une date erronée, soit que le véhicule est resté en possession de son nouvel acquéreur pendant trois mois sans que celui-ci le fasse immatriculer et assurer en France.
Par ailleurs, comme l'avait souligné la MACIF devant le tribunal de grande instance, la déclaration de cession fait référence à un certificat d'immatriculation n'indiquant ni sa date ni son numéro.
De plus, le premier juge a également relevé à bon droit que M. [O] ne justifiait nullement des versements d'acomptes en espèces, pour un total de 20 000 euros, opérés le 1er septembre 2015, le 6 novembre 2015, le 20 novembre 2015, le 4 décembre 2015, le 18 décembre 2015 au bénéfice de la société BZ Auto.
Enfin, nonobstant les indications de la facture du 28 décembre 2015, M. [O] a indiqué à son assureur dans un mail du 6 janvier 2016 qu'il avait acquis le véhicule pour la somme de 70 000 euros ; si comme le plaide l'appelant l'indemnisation suite à l'incendie ne pouvait être fonction que des évaluations à dire d'expert, et que cette déclaration, postérieure à la souscription du contrat, n'est donc pas stricto sensu de nature à modifier le risque pour l'assureur, elle confirme les conditions suspectes de l'achat du véhicule et justifie le refus de la MACIF d'indemniser la perte d'un véhicule acquis dans des conditions frauduleuses, sur lequel son assuré aurait des droits éminemment contestables. Elle indique au surplus que M. [O] a tenté d'obtenir une somme supérieure à la valeur réelle d'achat du véhicule. » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QU' « Il résulte des pièces versées aux dossiers que M. [O] avait le 28 décembre 2015, le même jour que celui de l'acquittement définitif du prix de vente allégué, fait immatriculer son véhicule et souscrit une police d'assurance, alors qu'il en bénéficiait depuis le mois de septembre, date de conclusion du contrat de vente initial.
Il apparaît que, par malchance, le sinistre est survenu trois jours après la souscription de la police d'assurance.
De plus, et surtout, M. [O] a déclaré la valeur de son véhicule à la somme de 70.000 euros alors qu'il apparaît que celui-ci est de 61.000 euros TTC, hors frais d'immatriculation. Il ne rapporte pas la preuve d'avoir réellement acquitté la somme de 20.000 euros en espèces.
Au regard de ces éléments, il apparaît que M. [O] a volontairement créé un risque supérieur à celui qu'il entendait réellement assurer. Ajouté aux circonstances de fait, particulièrement opportunes pour le demandeur, colorant ce dossier, il y a lieu de considérer que la fausse déclaration de M. [O] a modifié le risque pour l'assureur de mauvaise foi, ce qui lui fait perdre son droit à couverture. » ;
ALORS QUE, premièrement, les juges sont tenus de préciser le fondement juridique de leur décision ; qu'en refusant de faire application de la garantie due par la société MACIF en exécution du contrat d'assurance souscrit le 28 décembre 2015 sans indiquer le fondement juridique de cette solution, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, deuxièmement, en l'absence de cause de nullité, de déchéance ou d'exclusion qu'il appartient aux juges de constater, l'assureur doit sa garantie pour les sinistres entrant dans le champ de la police d'assurance souscrite par l'assuré ; qu'en refusant en l'espèce de faire application du contrat d'assurance souscrit le 28 décembre 2015 par M. [O] aux motifs que l'immatriculation du véhicule était intervenue tardivement, que la déclaration de cession du véhicule n'indique ni la date ni le numéro de son immatriculation, qu'il n'était pas justifié du règlement effectif de l'intégralité du prix de vente, que l'assuré avait déclaré après le sinistre une valeur d'achat supérieur au prix réellement acquitté, et que le véhicule aurait été acquis dans des conditions suspectes voire frauduleuses justifiant que l'assureur refuse d'indemniser M. [O] pour la perte d'un véhicule sur lequel il aurait eu « des droits éminemment contestables », la cour d'appel a statué par des motifs tous inopérants, en violation de l'article 1134 ancien du code civil, et des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des assurances ;
ALORS QUE, troisièmement, en l'absence de modification ou d'avenant au contrat d'assurance, la fausse déclaration intentionnelle de l'assuré doit s'apprécier à la date de souscription du contrat ; qu'il en va de même lorsqu'il est résulté de cette fausse déclaration que l'assurance a été consentie pour une somme supérieure à la valeur de la chose assurée ; qu'en privant en l'espèce M. [O] du bénéfice de son contrat d'assurance en raison de sa déclaration après le sinistre d'une valeur d'achat inexacte, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil, ensemble les articles L. 113-8 et L. 121-3 du code des assurances ;
ALORS QUE, quatrièmement, sauf stipulation expresse en ce sens, ni la déclaration inexacte de la valeur du bien assuré après la survenance du sinistre, ni la commission d'un délit par l'assuré, ne sont des causes de déchéance de son droit à garantie ; qu'en privant en l'espèce M. [O] du bénéfice de son contrat d'assurance en raison de sa déclaration après le sinistre d'une valeur d'achat inexacte et des conditions possiblement frauduleuses de l'acquisition du véhicule assuré, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil, ensemble les articles L. 113-10 et L. 113-11 du code des assurances ;
ALORS QUE, cinquièmement, et subsidiairement, l'assurance de dommages aux biens vise à indemniser l'assuré de la valeur de la chose assurée au jour du sinistre, indépendamment de son prix d'achat ; qu'en l'espèce, M. [O] expliquait avoir indiqué après le sinistre un prix d'achat du véhicule de 70.000 euros de façon approximative compte tenu qu'il avait acquitté, avec les frais d'immatriculation, une somme totale de 68.675,76 euros entre les mains de son vendeur ; qu'en retenant que la déclaration de M. [O] selon laquelle il avait payé le véhicule 70.000 euros caractérisait une tentative d'obtenir une somme supérieure à la valeur d'achat réelle du véhicule, quand l'assureur était tenu d'indemniser, non le prix d'achat du véhicule, mais la valeur de ce dernier au jour du sinistre, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article L. 121-1 du code des assurances ;
ALORS QUE, sixièmement, en l'absence de stipulation particulière du contrat d'assurance, la garantie due par l'assureur ne dépend pas du paiement du prix d'achat du véhicule par l'assuré ; qu'en opposant en l'espèce que M. [O] ne justifiait pas avoir acquitté l'intégralité du prix d'achat du véhicule assuré, la cour d'appel a statué par un motif inopérant, en violation de l'article 1134 ancien du code civil et des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des assurances ;
ALORS QUE, septièmement, et subsidiairement, la quittance fait la preuve du paiement ; qu'en l'espèce, M. [O] produisait la facture de la société BZ AUTO indiquant qu'il avait acquitté par virements ou en espèces l'intégralité de la somme de 68.675,76 euros entre les mains de ce vendeur ; qu'en retenant qu'il n'était pas justifié du versement des acomptes en espèces, sans expliquer la raison pour laquelle cette quittance ne faisait pas foi des paiements qui y étaient détaillés, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil ;
ALORS QUE, huitièmement, la conclusion du contrat d'assurance d'un véhicule automobile n'est pas subordonnée à la production d'une déclaration de cession du véhicule ; qu'en l'espèce, M. [O] expliquait que la déclaration de cession établie le 28 septembre 2015 par la société BZ AUTO ne lui avait été remise que le 18 décembre 2015, après complet paiement du prix, ce qui ne lui avait pas permis de faire immatriculer le véhicule avant le 28 décembre 2015, date de la conclusion du contrat d'assurance ; qu'à cet égard, la cour d'appel a elle-même relevé que le véhicule n'avait été immatriculé qu'après être resté trois mois en possession de M. [O] ; qu'en retenant cependant comme circonstance à ses yeux pertinente que la déclaration de cession du 28 septembre 2015 n'indiquait pas la date ni le numéro du certificat d'immatriculation, quand elle constatait elle-même que celui-ci avait été établi trois mois plus tard, ce qui excluait de pouvoir faire figurer ses mentions sur la déclaration de cession, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil et des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des assurances ;
ALORS QUE, neuvièmement, des motifs dubitatifs équivalent à un défaut de motifs ; qu'en retenant en l'espèce que le véhicule avait été acheté dans des conditions suspectes de fraude rendant contestables les droits de M. [O] sur ce véhicule, la cour d'appel a statué par des motifs dubitatifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, dixièmement, et subsidiairement, toute personne ayant intérêt à la conservation d'une chose peut la faire assurer ; que par suite, la fraude commise dans l'acquisition d'un bien n'est pas une cause de nullité du contrat d'assurance souscrit pour en garantir la perte ; qu'en retenant en l'espèce que le véhicule avait été acquis dans des conditions suspectes de fraude et qu'il y avait lieu pour cette raison de refuser de faire application du contrat d'assurance, la cour d'appel a violé les articles 1134 ancien du code civil et L. 121-6 du code des assurances ;
ET ALORS QUE, onzièmement, et plus subsidiairement, la fraude ne se présume pas ; qu'elle suppose de constater chez son auteur l'intention d'obtenir par une manoeuvre quelconque le bénéfice d'un droit ou d'un titre auquel il ne pourrait légalement prétendre ; qu'en affirmant en l'espèce que le véhicule avait été acquis dans des conditions frauduleuses, et que M. [O] aurait « des droits éminemment contestables » sur celui-ci, sans préciser en quoi le fait de faire tardivement immatriculer un véhicule ou de ne pas acquitter l'intégralité du prix de vente rendait son acquisition frauduleuse, la cour d'appel a de toute façon privé sa décision de base légale au regard l'article 1134 ancien du code civil et des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des assurances. | Selon les articles L. 121-1, alinéa 1, et L. 121-6, alinéa 1, du code des assurances, l'assurance relative aux biens est un contrat d'indemnité et toute personne ayant intérêt à la conservation d'une chose peut la faire assurer.
Aux termes de l'article 1134, devenu 1103, du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Encourt la cassation pour violation de ces textes, l'arrêt qui, pour dire justifié le refus d'un assureur d'indemniser le sinistre causé à un véhicule automobile, retient que les droits de l'assuré sur ce bien, "acquis dans des conditions frauduleuses", sont "éminemment contestables", alors que le souscripteur du contrat d'assurance a intérêt à la conservation la chose assurée et que la qualité de sa possession sur celle-ci est indifférente, de sorte qu'il appartenait à l'assureur d'exécuter l'obligation indemnitaire dont il était tenu envers lui |
8,041 | N° M 20-86.225 FS-B
N° 00876
ECF
6 SEPTEMBRE 2022
CASSATION SANS RENVOI
Mme INGALL-MONTAGNIER conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 SEPTEMBRE 2022
MM. [V] [O] et [T] [O] et la société [1] ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 4e chambre, en date du 5 novembre 2020, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 29 juin 2019, n° 18-82.617), pour infractions au code de la construction et de l'habitation, a condamné, les deux premiers, chacun à 3 000 euros d'amende avec sursis, la troisième, à 30 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [1], M. [V] [O] et de M. [T] [O], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'association d'aide aux maîtres d'ouvrage individuels, partie civile, et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents Mme Ingall-Montagnier, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Leblanc, conseiller rapporteur, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. Sottet, Coirre, conseillers de la chambre, MM. Joly, Charmoillaux, Rouvière, conseillers référendaires, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. L'association d'aide aux maîtres d'ouvrage individuels (l'AAMOI), a été agréée en 2006 en qualité d'association de défense des consommateurs.
3. Par actes d'huissier en date des 24 et 25 novembre 2015, elle a fait citer devant le tribunal correctionnel la société [1], constructeur de maisons individuelles, et ses dirigeants, MM. [V] [O] et [T] [O], pour avoir, notamment, à des dates comprises entre le 22 novembre 2013 et le 15 janvier 2015, exigé de plusieurs clients la remise du solde du prix de la construction de leur maison en violation de l'article L. 231-4, II, du code de la construction et de l'habitation.
4. Par jugement du 17 juin 2016, le tribunal correctionnel a déclaré irrecevables les citations directes.
5. L'AAMOI a relevé appel de cette décision.
6. Par arrêté préfectoral du 24 avril 2018, l'AAMOI a fait l'objet d'un retrait de son agrément.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable la citation directe de l'AAMOI, déclaré la société [1], MM. [V] [O] et [T] [O] coupables des infractions reprochées, les a condamnés à des peines d'amende, et les a condamnés solidairement à payer à l'AAMOI la somme de 3 000 euros à titre de réparation du préjudice collectif des consommateurs, alors « que seules les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs à la condition d'avoir été agréées à cette fin ; que si en matière de citation directe, la recevabilité de la constitution de partie civile, qui met en mouvement l'action publique, s'apprécie à la date de la citation, le droit, sur l'action civile, de demander réparation du préjudice subi s'apprécie, lui, au jour où le juge statue ; qu'en déclarant que l'AAMOI, dont l'agrément avait été retiré en 2018, était recevable à demander réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif des consommateurs au motif qu'à l'époque des faits et de la citation, son agrément était encore valable, et en faisant droit à ses demandes, la cour d'appel a violé les articles L. 621-1 du code de la consommation, 2 et 3 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur la recevabilité du moyen critiquée en défense
8. La Cour de cassation est en mesure de s'assurer que le moyen tendant à faire déclarer l'AAMOI irrecevable à demander réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif des consommateurs, en raison du retrait de l'agrément, a été soutenu à titre subsidiaire devant la cour d'appel.
9. Le moyen est donc recevable devant la Cour de cassation.
Sur le fond
Vu l'article L. 621-1 du code de la consommation :
10. Selon ce texte, si les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, c'est à la condition d'avoir été agréées à cette fin.
11. Pour condamner solidairement les prévenus à payer à l'AAMOI la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs en application des dispositions de l'article précité, l'arrêt attaqué énonce que ce préjudice a été subi avant décembre 2015, à une époque où son agrément était encore valable.
12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé.
13. En effet, au jour où cette juridiction a statué, l'association ne bénéficiait plus de l'agrément lui permettant de solliciter la réparation d'un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation à intervenir ne concerne que la condamnation solidaire de la société [1] et de MM. [V] [O] et [T] [O] à payer à l'AAMOI la somme de 3 000 euros à titre de réparation du préjudice collectif des consommateurs. Toutes les autres dispositions seront donc expressément maintenues.
16. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 5 novembre 2020, mais en ses seules dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DÉCLARE irrecevable la demande de l'AAMOI en réparation d'un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six septembre deux mille vingt-deux. | Le retrait de l'agrément prévu par l'article L.621-1 du code de la consommation fait obstacle à ce que l'association de protection des consommateurs, qui en bénéficiait lorsqu'elle a fait citer des prévenus devant la juridiction pénale, obtienne réparation d'un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs |
8,042 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 610 FS-B
Pourvoi n° E 20-22.118
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La Société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 20-22.118 contre l'arrêt rendu le 17 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 1), dans le litige l'opposant à l'Etat de Libye, agissant par le Conseil judiciaire suprême, département du contentieux, section contentieux international , dont le siège est [Adresse 3]), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la Société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de l'Etat de Libye, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, M.Vigneau, conseiller doyen MM. Hascher, Avel et Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 novembre 2020, n° RG 18/02568), le 20 janvier 2003, le Gouvernement libyen et la Société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique (Sorelec) ont conclu un accord pour fixer le montant de la créance de celle-ci et mettre fin à leur différend concernant l'exécution d'un contrat de construction.
2. Pour obtenir paiement de sa créance, la société Sorelec a engagé une procédure d'arbitrage, sous l'égide de la Chambre de commerce international (la CCI), sur le fondement du traité bilatéral de protection des investissements entre la France et la Libye. En cours d'instance, elle a sollicité l'homologation d'un protocole transactionnel. Une sentence partielle, rendue à [Localité 2], a accueilli cette demande, condamné la Libye à payer une certaine somme dans un certain délai et prévu qu'en cas de défaillance cet Etat serait tenu de payer un montant supérieur.
3. La sentence partielle n'ayant pas été exécutée dans le délai imparti, le tribunal arbitral a rendu une sentence finale condamnant la Libye au paiement de la somme majorée et répartissant les frais d'arbitrage.
4. La Libye a formé un recours en annulation de la sentence partielle.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Sorelec fait grief à l'arrêt d'annuler la sentence partielle rendue à [Localité 2] le 20 décembre 2017 et de la condamner à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les parties doivent agir avec loyauté dans la conduite de la procédure arbitrale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que « le respect de la conception française de l'ordre public international implique que le juge étatique chargé du contrôle puisse apprécier le moyen tiré de la contrariété à l'ordre public international alors même qu'il n'a pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l'ont pas mis dans le débat » et que la circonstance « que le grief tenant à une activité de corruption est nouveau, alors qu'il aurait été possible à l'Etat de Libye d'en saisir le tribunal arbitral, ne prive pas le juge de l'annulation d'examiner si la sentence partielle qui homologue le protocole n'a pas eu pour effet de couvrir une telle activité, sans laquelle il n'aurait pas été conclu », sans rechercher , comme elle y était expressément invitée, si en s'absentant de se prévaloir d'allégations de corruption qu'ils pouvaient invoquer, d'abord entre la date de communication du protocole transactionnel au tribunal arbitral, le 22 août 2016, et la date de la sentence partielle du 20 décembre 2017, et ensuite après le dépôt de son recours en annulation contre la sentence partielle et avant que les arbitres ne statuent par sentence finale le 10 avril 2018, l'État de Libye n'avait pas ainsi agi avec déloyauté au cours de la procédure arbitrale, se privant dès lors de la possibilité de fonder son recours en annulation sur de telles allégations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1464, alinéa 3, 1506.3° et 1520.5° du code de procédure civile »
Réponse de la Cour
7. Le respect de l'ordre public international de fond ne peut être conditionné par l'attitude d'une partie devant l'arbitre.
8. La cour d'appel, devant laquelle il était allégué que l'exécution de la sentence avait pour effet de permettre à la société Sorelec de retirer les bénéfices d'un protocole transactionnel obtenu par corruption, n'était pas tenue de procéder à la recherche inopérante selon laquelle l'Etat libyen aurait fait preuve de déloyauté en n'invoquant pas ce grief devant les arbitres, de sorte qu'elle a légalement justifié sa décision de ce chef.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. La société Sorelec fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que M. [S] reconnaissait, à la date du 7 septembre 2015, que « même si le département du contentieux relevait de son ministère, et même si une transaction était approuvée par une décision prise en conseil des ministres ou autorisée par le premier ministre, il était nécessaire d'obtenir préalablement l'autorisation du département du contentieux pour qu'un représentant de l'Etat de Libye, quel qu'il soit, puisse régulièrement approuver une transaction », que « l'article 6 de la loi de 1971 qui institue le département du contentieux, prévoit que celui-ci donne à la partie administrative son avis motivé et que cette dernière ne peut contrevenir à cet avis qu'en vertu d'une décision du ministre compétent », qu'il « résulte que ce texte s'il permet au ministre compétent le cas échéant, somme le soutient Sorelec, de ne pas suivre l'avis du département du contentieux, ne l'autorise pas en revanche à ne pas solliciter son avis préalable », que « M. [S] n'a pas sollicité cet avis avant de signer le protocole » et que « l'attitude de M. [S] qui a signé le Protocole fin mars 2016, sans avoir sollicité l'avis du département du contentieux qu'il savait obligatoire et qu'il n'a communiqué que le 12 avril 2016, ce qu'il a appelé un "projet de protocole transactionnel préparé en vue de régler le différend opposant la société française Sorelec à l'Etat libyen", en dissimulant qu'il avait déjà signé le Protocole constituait un indice grave et précis d'une collusion entre Sorelec et le ministre de la justice qui a signé cet accord dans l'exercice de ses fonctions officielles, susceptible d'en tirer un avantage personnel » après avoir pourtant constaté que dans sa sentence partielle du 20 décembre 2017, le tribunal arbitral a notamment retenu, en application du principe de l'estoppel et de la théorie de l'apparence, que la société Sorelec pouvait légitiment croire en l'apparente légitimité du ministre de la justice du gouvernement provisoire émanant du Parlement et que devant le tribunal arbitral, l'avocat représentant l'Etat de Libye et la procédure arbitrale a soutenu que le protocole n'était pas homologué en droit interne libyen par le Département des litiges, ce dont il résultait que le tribunal arbitral avait statué sur la question de l'avis préalable du Département du contentieux, la cour d'appel, qui a ainsi procédé à une nouvelle instruction au fond de l'affaire déjà soumise au tribunal arbitral, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile ;
2°/ que le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait en se fondant sur une lettre de M. [S] du 7 septembre 2015, adressée au ministre de la justice, sur un courrier du ministre de la justice du 12 avril 2016 transmettant au président du département des contentieux le projet de protocole transactionnel, et sur une sentence arbitrale [D] rendue le 24 mai 2019, pièces qui n'ont pas été produites devant le tribunal arbitral, la cour d'appel, qui a ainsi révisé la sentence arbitrale, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile »
Réponse de la Cour
10. L'article 1520 du code de procédure civile dispose :
« Le recours en annulation n'est ouvert que si :
1° Le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent ; ou
2° Le tribunal arbitral a été irrégulièrement constitué ; ou
3° Le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ; ou
4° Le principe de la contradiction n'a pas été respecté ; ou
5° La reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international. »
11. Si la mission de la cour d'appel, saisie en vertu de ce texte, est limitée à l'examen des vices que celui-ci énumère, aucune limitation n'est apportée à son pouvoir de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant les vices en question.
12. Saisie d'un moyen tiré de ce que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence heurterait l'ordre public international en ce que la transaction qu'elle homologuait avait été obtenue par corruption, la cour d'appel a vérifié à bon droit la réalité de cette allégation en examinant l'ensemble des pièces produites à son soutien, peu important que celles-ci n'aient pas été précédemment soumises aux arbitres.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Sorelec aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Sorelec et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à l'Etat libyen ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour la société orléanaise d'électricité et de chauffage électrique
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Sorelec fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence partielle rendue à Paris le 20 décembre 2017 dans l'arbitrage CCI n° 19329/MCP/DDA par le tribunal arbitral composé de MM. [L] [Z] et [C] [A], arbitres, et M. [J] [N], président, de l'avoir condamnée à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE les parties doivent agir avec loyauté dans la conduite de la procédure arbitrale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que « le respect de la conception française de l'ordre public international implique que le juge étatique chargé du contrôle puisse apprécier le moyen tiré de la contrariété à l'ordre public international alors même qu'il n'a pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l'ont pas mis dans le débat » et que la circonstance « que le grief tenant à une activité de corruption est nouveau, alors qu'il aurait été possible à l'Etat de Libye d'en saisir le tribunal arbitral, ne prive pas le juge de l'annulation d'examiner si la sentence partielle qui homologue le protocole n'a pas eu pour effet de couvrir une telle activité, sans laquelle il n'aurait pas été conclu » (arrêt attaqué, p. 7 § 6), sans rechercher, comme elle y était expressément invitée, si en s'absentant de se prévaloir d'allégations de corruption qu'ils pouvaient invoquer, d'abord entre la date de communication du protocole transactionnel au tribunal arbitral, le 22 août 2016, et la date de la sentence partielle du 20 décembre 2017, et ensuite après le dépôt de son recours en annulation contre la sentence partielle et avant que les arbitres ne statuent par sentence finale le 10 avril 2018, l'État de Libye n'avait pas ainsi agi avec déloyauté au cours de la procédure arbitrale, se privant dès lors de la possibilité de fonder son recours en annulation sur de telles allégations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1464, alinéa 3, 1506.3° et 1520.5° du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Sorelec fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence partielle rendue à Paris le 20 décembre 2017 dans l'arbitrage CCI n° 19329/MCP/DDA par le tribunal arbitral composé de MM. [L] [Z] et [C] [A], arbitres, et M. [J] [N], président, de l'avoir condamnée à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
1°) ALORS QUE le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motifs pris que M. [S] reconnaissait, à la date du 7 septembre 2015, que « même si le département du contentieux relevait de son ministère, et même si une transaction était approuvée par une décision prise en conseil des ministres ou autorisée par le premier ministre, il était nécessaire d'obtenir préalablement l'autorisation du département du contentieux pour qu'un représentant de l'Etat de Libye, quel qu'il soit, puisse régulièrement approuver une transaction » (arrêt attaqué, p. 11 § 6), que « l'article 6 de la loi de 1971 qui institue le département du contentieux, prévoit que celui-ci donne à la partie administrative son avis motivé et que cette dernière ne peut contrevenir à cet avis qu'en vertu d'une décision du ministre compétent », qu'il « résulte que ce texte s'il permet au ministre compétent le cas échéant, somme le soutient Sorelec, de ne pas suivre l'avis du département du contentieux, ne l'autorise pas en revanche à ne pas solliciter son avis préalable », que « M. [S] n'a pas sollicité cet avis avant de signer le protocole » (arrêt attaqué, p. 11, § 8) et que « l'attitude de M. [S] qui a signé le Protocole fin mars 2016, sans avoir sollicité l'avis du département du contentieux qu'il savait obligatoire et qu'il n'a communiqué que le 12 avril 2016, ce qu'il a appelé un "projet de protocole transactionnel préparé en vue de régler le différend opposant la société française Sorelec à l'Etat libyen", en dissimulant qu'il avait déjà signé le Protocole constituait un indice grave et précis d'une collusion entre Sorelec et le ministre de la justice qui a signé cet accord dans l'exercice de ses fonctions officielles, susceptible d'en tirer un avantage personnel » (arrêt attaqué, p. 12, § 1), après avoir pourtant constaté que dans sa sentence partielle du 20 décembre 2017, le tribunal arbitral a notamment retenu, en application du principe de l'estoppel et de la théorie de l'apparence, que la société Sorelec pouvait légitiment croire en l'apparente légitimité du ministre de la justice du gouvernement provisoire émanant du Parlement (arrêt attaqué, p. 8, § 2) et que devant le tribunal arbitral, l'avocat représentant l'Etat de Libye et la procédure arbitrale a soutenu que le protocole n'était pas homologué en droit interne libyen par le Département des litiges (arrêt attaqué, p. 9, § 1), ce dont il résultait que le tribunal arbitral avait statué sur la question de l'avis préalable du Département du contentieux, la cour d'appel, qui a ainsi procédé à une nouvelle instruction au fond de l'affaire déjà soumise au tribunal arbitral, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE le juge de l'annulation est le juge de la sentence pour admettre ou refuser son insertion dans l'ordre juridique français, et non le juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, de sorte qu'il ne peut procéder à une nouvelle instruction au fond de l'affaire ; qu'en statuant comme elle l'a fait en se fondant sur une lettre de M. [S] du 7 septembre 2015, adressée au ministre de la justice, sur un courrier du ministre de la justice du 12 avril 2016 transmettant au président du département des contentieux le projet de protocole transactionnel, et sur une sentence arbitrale [D] rendue le 24 mai 2019, pièces qui n'ont pas été produites devant le tribunal arbitral (pièces de l'État de Libye devant la cour d'appel n° 24, 25 et 31), la cour d'appel, qui a ainsi révisé la sentence arbitrale, a violé l'article 1520.5° du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Sorelec fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé la sentence partielle rendue à Paris le 20 décembre 2017 dans l'arbitrage CCI n° 19329/MCP/DDA par le tribunal arbitral composé de MM. [L] [Z] et [C] [A], arbitres, et M. [J] [N], président, de l'avoir condamnée à verser une indemnité de 150.000 euros à l'Etat de Libye en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
1°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que dans sa sentence de révision [D] rendue le 24 mai 2019, le tribunal arbitral a expressément relevé (§ 219) que « le pivot central de la machination qui a consisté à tromper la religion du Tribunal est assurément [P] [B] [W], que l'on rencontre d'un bout à l'autre du processus qui a conduit à l'accord transactionnel de la sentence d'accord-parties » et que « c'est lui qui conclut et signe l'accord transactionnel, qui révoque le mandat de Me [F], qui constitue en ses lieu et place Me [O] dans le même acte et qui, "approuve" l'accord transactionnel dans une décision sur papier portant l'entête du Ministère de la Justice, daté du 1er août 2016, et qui sera communiqué au Président du Tribunal arbitral trois mois plus tard, le 31 octobre 2016 » ; que si le tribunal, dans sa sentence de révision du 24 mai 2019, a certes constaté que les faits examinés constituaient « à l'évidence des indices graves, précis, et concordants d'une fraude mise en oeuvre par le Défendeur au recours, avec la collusion active de certains fonctionnaires ou responsables libyens, notamment M. [P] [B] [W] afin de tromper le Tribunal arbitral en lui demandant d'entériner l'accord transactionnel dans une sentence d'accord-parties » (§ 224) , que M. [D] « s'était livré à des manoeuvres frauduleuses en collusion avec les agents de l'Etat agissant à titre personnel en vue de tromper le Tribunal arbitral » (§ 235), et que celui-ci a trompé la religion du tribunal arbitral « avec la complicité agissante et occulte de hauts fonctionnaires du Ministère de la Justice du gouvernement provisoire libyen et le concours d'un avocat complaisant » (§ 237), il n'a, à aucun moment, constaté la participation de M. [S], ministre de la justice, à ces manoeuvres ; qu'en statuant comme elle l'a fait, motif pris que les faits évoqués dans cette sentence « sont contemporains de ceux qui ont conduit à la signature du Protocole et mettent en cause dans des circonstances comparables, le même ministre de la Justice » (arrêt attaqué, p. 12, § 4), la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la sentence du 24 mai 2019, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) ALORS QUE le juge doit examiner tous les éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans se prononcer sur la lettre de M. le ministre de la Justice [K] [R] en date du 29 septembre 2016 (pièce de la société Sorelec n° 33), invoquée par la société Sorelec pour établir les étapes de la négociation avec l'Etat libyen et l'intérêt, pour cet Etat, de conclure cette transaction (concl. app., n° 149), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE c'est à la partie qui soutient que la reconnaissance de l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international, en ce qu'elle permettrait à l'autre partie de retirer des bénéfices d'un pacte entaché de corruption, de rapporter la preuve d'indices graves, précis et concordants de cette corruption ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motif pris que la société Sorelec ne produit « aucun compte-rendu ou procès-verbal de réunion, retraçant les positions en présence et l'évolution des discussions, aucun échange écrit entre les parties préparatoire à l'accord, aucune preuve d'un envoi par Sorelec d'un décompte de sa créance, soumis à la partie adverse » (arrêt attaqué, p. 13, § 9), la cour d'appel a inversé la charge de la preuve de l'existence d'indices graves, précis et concordants de la corruption alléguée par l'État de Libye, en violation de l'article 1520.5° du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'en se prononçant comme elle l'a fait, sans répondre aux conclusions opérantes de la société Sorelec, qui faisait expressément valoir qu'elle sollicitait également, devant le tribunal arbitral, la réparation du dommage résultant de la non-exploitation de brevets reconnus internationalement et dument déposés, lui ayant fait perdre une chance pouvant entrainer une condamnation très importante de l'État de Libye (concl.,§ 193), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE dans ses dernières conclusions d'appel, la société Sorelec faisait expressément valoir que l'Etat de Libye n'avait jamais contesté, devant le tribunal arbitral, la réalité et l'exigibilité de sa créance, mais uniquement son montant (concl., § 191), que cet État faisait principalement valoir, devant les arbitres, que le protocole de 2003 n'était pas résolu (concl., § 192) et opposait des saisies provoquées et sans fondement, que la société Sorelec était en droit de réclamer la somme arrêtée d'un commun accord et due depuis 1999, et que la stipulation d'intérêts au taux de 11,5 % portait, en 2016, son montant à 660.000.000 € (concl., § 192) ; qu'elle faisait en outre valoir qu'elle avait également sollicité du tribunal arbitral des dommages et intérêts résultant de la non-exploitation de ses brevets et que la demande de la société Sorelec devant le tribunal arbitral ne s'élevait pas, comme il était prétendu de mauvaise foi, uniquement à la somme de 109.238.764 € (concl., § 193), et qu'ainsi, au regard « des risques encourus » par l'État de Libye au cours de la procédure arbitrale, la transaction à hauteur de 230.000.000 € s'avérait « très favorable à l'État » (concl., § 194) ; qu'en se prononçant comme elle l'a fait, motifs pris que le protocole opérait un « rabais illusoire compte tenu des conditions de paiement prévues », que « le ministre de la Justice a en réalité signé un accord faisant droit à la quasi intégralité des demandes principales de Sorelec formulées dans les procédures d'arbitrage devant la CCI, dans le dernier état de ses écritures, au rejet desquelles l'Etat de Libye concluait pourtant » (arrêt attaqué, pp .14 in fine et 15 in limine), que « le protocole satisfait à quasiment à toutes les prétentions de Sorelec sans contrepartie obtenues par l'Etat de Libye » (arrêt attaqué, p. 15 § 6), et que l'existence d'un tel déséquilibre entre les parties, l'absence de concessions réciproques visibles dans les termes et conditions du protocole, contraires à la position prise par l'Etat de Libye au cours de la procédure d'arbitrage « conduisent à considérer que celui-ci n'avait aucun intérêt évident à conclure ce protocole, dont il ne tirait un quelconque avantage économique ou politique » (arrêt attaqué., p. 15, § 7), sans répondre aux conclusions opérantes précitées de la société Sorelec, qui l'invitaient ainsi à déterminer si les risques de condamnation véritablement encourus par l'Etat de Libye au cours de la procédure arbitrale étaient importants, de sorte que la transaction lui était en réalité favorable, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile. | Le respect de l'ordre public international de fond ne peut être conditionné par l'attitude d'une partie devant l'arbitre |
8,043 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 612 FS-B
Pourvoi n° P 21-12.263
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
M. [K] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-12.263 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la Commission européenne, dont le siège est [Adresse 1]), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [N], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la Commission européenne, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M.Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel et Bruyére, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mme Champ, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 17 décembre 2020), le 8 juillet 2015, saisi à la requête de la Commission européenne, sur le fondement du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, le greffier en chef d'un tribunal de grande instance a déclaré exécutoire en France un jugement d'une juridiction croate ayant condamné M. [N] à lui payer une certaine somme.
2. Statuant sur le recours formé par M. [N] contre cette déclaration, un arrêt du 21 octobre 2016 a dit que le règlement n'était pas applicable, infirmé la décision du greffier en chef et déclaré irrecevable la requête de la Commission européenne en ce qu'elle était fondée sur ce règlement.
3. Celle-ci a ensuite introduit une action en exequatur fondée sur le droit commun.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. [N] fait grief à l'arrêt de déclarer l'action de la Commission européenne recevable, alors :
« 1°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que la cour d'appel a retenu, pour écarter la fin de non-recevoir fondée sur le principe de concentration des moyens, que l'arrêt du 21 octobre 2016 avait seulement déclaré irrecevable la demande de la Commission européenne tendant à voir reconnaître la force exécutoire du jugement du tribunal d'instance de Buje du 2 avril 2012, sans se prononcer sur le fond de la demande de celle-ci ; qu'en statuant par ce motif inopérant, cependant qu'elle avait constaté que les demandes successives de la Commission européenne, opposant les mêmes parties et fondées sur les mêmes faits, certes reposant sur un fondement juridique différent, étaient identiques dans leur objet en ce qu'elles tendaient l'une comme l'autre à obtenir en France la reconnaissance du caractère exécutoire du jugement rendu le 2 avril 2012 par le tribunal d'instance de Buje, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que le demandeur à l'exequatur, dans le cadre du recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire prévu à l'article 43 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, peut solliciter, à titre subsidiaire, l'exequatur de droit commun ; qu'en retenant, pour exclure l'application du principe de concentration des moyens, que la Commission européenne n'aurait pas pu utilement formuler, dès l'instance relative à la première demande, des moyens fondés sur le droit commun de l'exequatur, lorsqu'elle pouvait le faire, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil, 480 du code de procédure civile, ensemble les articles 43 et 45 du règlement précité. »
Réponse de la Cour
6. En application de l'article 41 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une décision rendue dans un Etat membre est d'abord déclarée exécutoire dès l'achèvement des formalités prévues à l'article 53, sans examen des critères prévus aux articles 34 et 35.
7. L'article 43 prévoit que l'une ou l'autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.
8. Selon l'article 45, la juridiction saisie de ce recours ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l'un des motifs prévus aux articles 34 et 35.
9. Par arrêt du 13 octobre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que ce texte doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que le juge saisi d'un recours prévu aux articles 43 ou 44 de ce règlement refuse ou révoque une déclaration constatant la force exécutoire d'une décision pour un motif autre que ceux indiqués aux articles 34 et 35 de celui-ci, tels que l'exécution de celle-ci dans l'État membre d'origine (C-139/10).
10. Enfin, l'article 509-2, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2011-1043 du 1er septembre 2011, donne compétence au greffier en chef du tribunal de grande instance pour déclarer exécutoire les décisions rendues dans les Etats membres de l'Union européenne. En vertu de l'annexe III du règlement, le recours prévu à l'article 43 est porté, en France, devant les cours d'appel.
11. Il résulte de l'article 45 de ce règlement, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, que la cour d'appel, saisie d'un recours formé en application de l'article 43, ne peut que soit le rejeter, soit refuser de déclarer exécutoire la décision, soit révoquer la déclaration délivrée par le greffier, son office étant limité à la vérification de l'applicabilité au litige du règlement et à l'examen des critères définis aux articles 34 et 35 de celui-ci.
12. Ayant ainsi exactement énoncé qu'aucun autre moyen que ceux prévus par le règlement ne pouvait être soulevé devant la cour d'appel qui avait été saisie d'un recours en révocation de la déclaration du caractère exécutoire en France de la décision croate et que le droit commun de l'exequatur ne pouvait pas être invoqué à l'occasion de ce recours, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que l'introduction par la Commission européenne d'une nouvelle action en exequatur fondée sur le droit commun ne se heurtait pas à l'autorité de la chose jugée.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour M. [N]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Monsieur [N] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré l'action de la commission européenne recevable ;
Alors, d'une part, qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que la cour d'appel a retenu, pour écarter la fin de non-recevoir fondée sur le principe de concentration des moyens, que l'arrêt du 21 octobre 2016 avait seulement déclaré irrecevable la demande de la Commission européenne tendant à voir reconnaître la force exécutoire du jugement du tribunal d'instance de Buje du 2 avril 2012, sans se prononcer sur le fond de la demande de celle-ci ; qu'en statuant par ce motif inopérant, cependant qu'elle avait constaté que les demandes successives de la Commission européenne, opposant les mêmes parties et fondées sur les mêmes faits, certes reposant sur un fondement juridique différent, étaient identiques dans leur objet en ce qu'elles tendaient l'une comme l'autre à obtenir en France la reconnaissance du caractère exécutoire du jugement rendu le 2 avril 2012 par le tribunal d'instance de Buje, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile ;
Alors, d'autre part, qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que le demandeur à l'exéquatur, dans le cadre du recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire prévu à l'article 43 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, peut solliciter, à titre subsidiaire, l'exéquatur de droit commun ; qu'en retenant, pour exclure l'application du principe de concentration des moyens, que la Commission européenne n'aurait pas pu utilement formuler, dès l'instance relative à la première demande, des moyens fondés sur le droit commun de l'exéquatur, lorsqu'elle pouvait le faire, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil, 480 du code de procédure civile, ensemble les articles 43 et 45 du règlement précité ;
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Monsieur [N] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le jugement du tribunal de Buje du 2 avril 2012, modifié par jugement rectificatif du 16 juillet 2012, exécutoire sur l'ensemble du territoire de la République ;
Alors, d'une part, que pour accorder l'exequatur à un jugement étranger, le juge français doit, en l'absence de convention internationale, s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que l'absence de fraude ; qu'il appartient au juge français d'apprécier par lui-même si les trois conditions précitées sont réunies ; qu'en s'en tenant aux énonciations du juge croate faisant état d'une remise effective à monsieur [N] par voie électronique de l'acte introductif d'instance, sans apprécier par elle-même si une telle remise avait bien eu lieu, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile ;
Alors, d'autre part, que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'il résulte des termes clairs et précis du courrier adressé par maître [C] au tribunal municipal de Buje le 7 juin 2011 que seulement certains actes de la procédure ont été transmis par ce notaire à monsieur [N] ; qu'en estimant, au contraire, qu'il ressortait de cette correspondance que monsieur [N] avait eu connaissance de tous les actes de la procédure au cours de l'instance devant la juridiction croate, par l'intermédiaire du représentant qui lui avait été désigné par la juridiction, la cour d'appel, qui a dénaturé les termes clairs et précis du courrier précité, a violé l'article 1192 du code civil, ensemble le principe susvisé ; | Il résulte de l'article 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'une cour d'appel, saisie d'un recours formé en application de l'article 43, ne peut que soit le rejeter, soit refuser de déclarer exécutoire la décision, soit révoquer la déclaration délivrée par le greffier, son office étant limité à la vérification de l'applicabilité au litige du règlement et à l'examen des critères définis aux articles 34 et 35 de celui-ci.
A l'occasion de ce recours, aucun autre moyen que ceux prévus par le règlement ne peut être soulevé et le droit commun de l'exequatur ne peut pas être invoqué.
Dès lors, l'introduction par un créancier d'une nouvelle action en exequatur fondée sur le droit commun ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée |
8,044 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 613 FS-B
Pourvoi n° S 19-21.964
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société [H] [X] [M] et fils, société de droit koweitien, dont le siège est [Adresse 1] (Égypte), a formé le pourvoi n° S 19-21.964 contre l'arrêt rendu le 6 juin 2019 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant à la société Libyan investment authority, dont le siège est [Adresse 2] (Libye), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent , avocat de la société [H] [X] [M] et fils, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Libyan investment authority, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Avel et Bruyére, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mmes Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juin 2019), par actes séparés du 11 mars 2016, la société [H] [X] [M] et fils ([M]), bénéficiaire d'une sentence arbitrale rendue au [Localité 3] contre l'Etat libyen, a, après avoir obtenu l'exequatur de cette décision, fait pratiquer, entre les mains de la Société générale, une saisie-attribution des sommes détenues au nom de l'Etat de Libye ou de la Libyan Investment Authority (LIA), ainsi qu'une saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières, laquelle en a demandé la mainlevée.
2. Par un arrêt du 3 novembre 2021 (n° 653), il a été sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par un arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 10 juillet 2020, pourvois n° 18-18.542 et 18-21.814) de la question de savoir si les dispositions d'un autre règlement européen, relatif à des mesures restrictives à l'égard de l'Iran et comportant une définition des mesures de gel analogue à celle du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011, s'opposaient à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d'effet attributif, telle qu'une saisie conservatoire.
3. Par un arrêt du 11 novembre 2021 (C-340/20), la CJUE a répondu à la question préjudicielle.
Examen du moyen
Sur le moyen unique
4. La société [M] fait grief à l'arrêt d'ordonner la mainlevée de la saisie-attribution et de la saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières pratiquées le 11 mars 2016 auprès de la Société générale option Europe à l'encontre de la société LIA, alors :
« 1°/ qu'en vertu des principes du droit international relatifs à l'immunité d'exécution, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure est engagée, qu'en décidant que « les Etats étrangers bénéficient en effet, par principe, d'une immunité d'exécution. Il en est autrement lorsque les biens concernés se rattachent, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, ce qui signifie que les biens sont utilisés ou sont destinés à être utilisés à des fins publiques, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice », l'arrêt attaqué a été rendu en violation du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;
2°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé à des fins d'investissement ; qu'en l'espèce, pour juger que les sommes détenues par la L.I.A. sur le compte-courant ouvert auprès de la Société Générale Option Europe ainsi que les droits d'associés ou les valeurs mobilières bénéficiaient d'une immunité d'exécution et ne pouvaient, par conséquent, être l'objet d'une saisie, la Cour d'appel s'est bornée à constater que ces biens étaient « utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques » ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait elle-même constaté que les fonds étaient spécialement affectés à des activités d'investissement à l'étranger, la Cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;
3°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, le bénéfice de l'immunité d'exécution s'apprécie pour chaque bien appréhendé par la saisie ; qu'en jugeant que l'immunité d'exécution couvrait tous « les biens appartenant à l'Autorité Libyenne d'Investissement, quel que soit le produit financier de placement », la Cour d'appel n'a pas pris en considération la finalité à laquelle était destiné le produit financier « Euro Medium Term Note », pourtant objet de la saisie, et a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;
4°/ que toute activité déployée par un Etat ou son émanation ne peut que poursuivre un intérêt général ; qu'à lui seul le critère fondé sur l'intérêt général n'est pertinent pour délimiter le champ de l'immunité d'exécution ; qu'en se référant exclusivement à l'idée que les opérations de placement réalisées par la LIA servaient l'intérêt du peuple libyen, notamment en visant la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l'ONU sans rechercher si ces biens sont « spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales » pour décider que les fonds appréhendés étaient couverts par l'immunité d'exécution, l'arrêt attaqué a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;
5°/ que porte une atteinte disproportionnée au droit fondamental à l'exécution des décisions de justice, toute protection des biens de l'Etat étranger allant au-delà de ce que prescrit le droit international coutumier tel que reflété par la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004 ; qu'en l'espèce, pour prononcer la mainlevée de la saisie, la Cour d'appel a jugé que les biens utilisés par le fond souverain de l'Etat libyen à des fins d'investissement étaient couverts par son immunité d'exécution ; qu'en statuant ainsi, alors que le droit international coutumier tel qu'il résulte de la Convention des Nations-Unies de 2004 autorise la saisie des biens utilisés par l'Etat ou l'une de ses émanations à des fins d'investissement, la Cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les principes du droit international régissant les immunités d'exécution des Etats étrangers ;
6°/ que l'article 26 de la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980, à laquelle se référait le contrat, dispose que « la conciliation et l'arbitrage se dérouleront conformément aux règles et aux procédures établies dans l'annexe de cette convention » et que « cette annexe constitue une partie intégrante de celle-ci » ; qu'en l'espèce, pour juger que l'Etat libyen n'avait pas expressément accepté de se soumettre à la sentence arbitrale et ne s'était pas expressément engagé à exécuter cette sentence, la Cour d'appel a retenu que n'était pas visé par la clause compromissoire du contrat passé avec l'exposante, l'article 2-8 de l'annexe de la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 lequel prévoit que « la sentence arbitrale rendue conformément aux provisions de cet article sera définitive et liera les parties qui doivent s'y soumettre et qui doivent l'exécuter immédiatement » ; qu'en statuant ainsi, alors que l'article 29 du contrat passé entre l'Etat libyen et la société [M] stipulait qu'il devait être « recouru à l'arbitrage conformément aux dispositions de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 » laquelle, dans son article 26, énonce expressément que son annexe dont l'article 2-8 fait partie intégrante de ses dispositions, la Cour d'appel a méconnu la force obligatoire du contrat, ensemble la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ;
7°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'acceptation par l'État étranger, signataire de la clause d'arbitrage, de se soumettre à la sentence arbitrale et de l'exécuter dans les termes de la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 vaut renonciation expresse à son immunité d'exécution; qu'en jugeant le contraire, alors qu'elle avait elle même constaté que l'Etat libyen avait, non seulement, expressément adhéré à cette Convention mais, également, expressément visé cette Convention dans la clause compromissoire du contrat qu'il a conclu avec l'exposante, la Cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes ;
8°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'engagement pris par l'Etat signataire de la clause d'arbitrage d'exécuter la sentence conformément à l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du commerce international du [Localité 3] lequel est expressément visé par la sentence arbitrale, vaut renonciation à son immunité d'exécution ; qu'en jugeant le contraire, la Cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] ;
9°/ que les parties ayant toutes deux admis que l'article 34.2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] était applicable même s'il n'était pas visé par la clause compromissoire, la Cour d'appel ne pouvait se fonder sur le silence de la clause sur ce texte sans méconnaître les termes du litige et violer l'article 4 du code de procédure civile ;
10°/ que, subsidiairement à supposer que la Cour d'appel ait adopté les motifs des premiers juges, doit être qualifiée d'émanation, l'entité dépourvue de d'autonomie fonctionnelle et de patrimoine propre ; que cette qualité s'apprécie en droit mais surtout en fait selon la méthode du faisceau d'indices ;qu'en l'espèce, pour refuser de qualifier la L.I.A. d'émanation de l'Etat libyen, les juges du fond se sont exclusivement fondés sur l'autonomie juridique de l'entité ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme ils y étaient invités, si dans les faits, la L.I.A. n'était pas suffisamment indépendante dans son fonctionnement et si son patrimoine se confondait avec celui de l'Etat libyen, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des principes du droit international relatifs aux émanations des Etats étrangers. »
Réponse de la Cour
5. L'article 1 du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 et l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) « fonds », les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, y compris et notamment, mais pas exclusivement :
i) le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement ;
ii) les dépôts auprès d'établissements financiers ou d'autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances ;
iii) les titres de propriété et d'emprunt, tels que les actions et autres titres de participation, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu'ils soient négociés en Bourse ou fassent l'objet d'un placement privé ;
iv) les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs ;
[...]
b) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds ou tout accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence une modification de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, y compris la gestion de portefeuilles. »
6. Selon l'article 5 § 4 du même règlement, tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux entités énumérées à l'annexe VI, parmi lesquelles figure la LIA, ou que celles-ci avaient en leur possession, détenaient ou contrôlaient à la date du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient en dehors de Libye à cette date restent gelés.
7. L'article 11 § 2 du même règlement dispose :
« 2. Par dérogation à l'article 5, paragraphe 4, et pour autant qu'un paiement soit dû au titre d'un contrat ou d'un accord conclu ou d'une obligation souscrite par la personne, l'entité ou l'organisme concerné avant la date de sa désignation par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions, les autorités compétentes des États membres, mentionnées sur les sites internet énumérés à l'annexe IV, peuvent autoriser, dans les conditions qu'elles jugent appropriées, le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, pour autant que les conditions suivantes soient réunies :
a) l'autorité compétente concernée a établi que le paiement n'enfreint pas l'article 5, paragraphe 2, ni ne profite à une entité visée à l'article 5, paragraphe 4 ;
b) l'État membre concerné a notifié au comité des sanctions, dix jours ouvrables à l'avance, son intention d'accorder une autorisation. »
8. Le quatrième dispose :
« L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.
La notification ultérieure d'autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d'un jugement portant ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution.
Toutefois, les actes de saisie notifiés au cours de la même journée entre les mains du même tiers sont réputés faits simultanément. Si les sommes disponibles ne permettent pas de désintéresser la totalité des créanciers ainsi saisissants, ceux-ci viennent en concours.
Lorsqu'une saisie-attribution se trouve privée d'effet, les saisies et prélèvements ultérieurs prennent effet à leur date. »
9. La CJUE a été saisie par l'Assemblée plénière d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, dont l'article 1° dispose :
« Aux seules fins du présent règlement, on entend par :
[...]
h) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuilles. »
10. De cette définition, la CJUE déduit que « la notion de « gel des fonds » englobe toute utilisation de fonds ayant pour conséquence, notamment, un changement de la destination de ces fonds, même si une telle utilisation des fonds n'a pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur » (§ 49).
11. La CJUE ajoute que cette interprétation est corroborée par les considérants du règlement 423/2007, selon lesquels :
- « les mesures restrictives adoptées contre la République islamique d'Iran ont une vocation préventive en ce sens qu'elles visent à empêcher un risque de prolifération nucléaire dans cet Etat » (§ 52 et 54) ;
- « les mesures de gel des fonds et des ressources économiques visent par conséquent à éviter que l'avoir concerné par une mesure de gel soit utilisé pour procurer des fonds, des biens ou des services susceptibles de contribuer à la prolifération nucléaire en Iran » (§ 55) ;
- « pour atteindre ces buts, il est non seulement légitime, mais également indispensable que les définitions des notions de « gel des fonds » et de « gel des ressources économiques » revêtent une interprétation large parce qu'il s'agit d'empêcher toute utilisation des avoirs gelés qui permettrait de contourner les règlements en cause et d'exploiter les failles du système » (§ 56).
12. La CJUE ajoute qu'elle « a déjà jugé que l'importance des objectifs poursuivis par un acte de l'Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris pour ceux qui n'ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l'adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété [...] de sorte que la circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) n'est pas pertinente » (§ 66 et 67).
13. Les mesures de gel sont définies en termes similaires par le règlement concernant l'Iran et par celui relatif à la Libye. Les considérants de celui-ci, comme ceux du règlement concernant l'Iran, soulignent la portée préventive des mesures de gel, en l'occurrence la prévention de « la menace que représentent les personnes et entités qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l'ancien régime de [C] [Y], susceptibles d'être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique » (2ème considérant).
14. Il en résulte que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11 § 2 du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen.
15. Il ressort de l'arrêt que la société [M] n'a pas sollicité l'autorisation du directeur du Trésor préalablement aux saisies.
16. Il en résulte que la mainlevée des saisies ne pouvait qu'être ordonnée.
17. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [H] [X] [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société [H] [X] [M] et fils
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 9 janvier 2018 par le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution et la saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières pratiquées le 11 mars 2016 auprès de la Société Générale Option Europe par la société [H] [X] [M] et fils à l'encontre de la société Libyan Investment Authority ;
AUX MOTIFS QUE « Sur le fond :
Qu'à ce stade du raisonnement, il convient d'observer que, dans l'hypothèse où cette notion d'émanation de l'Etat libyen serait établie, aux termes de l'article L. 111-1-3, des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en oeuvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique des Etats étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales, que dans le cas de la disparition de l'immunité d'exécution des Etats concernés ;
Que c'est donc dans cette hypothèse d'une renonciation de l'Etat libyen à son immunité d'exécution que la cour doit d'abord examiner, étant entendu qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les "dire que" ou "juger que" ne sont pas des prétentions, mais des rappels des moyens invoqués à l'appui des demandes, ne conférant pas – hormis les cas prévus par la loi – de droit à la partie qui les requiert, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces points et qu'il convient de ne statuer sur lesdits moyens que s'ils ont une incidence sur la solution du litige ;
Que la société [H] [X] [M] et fils soutient que les biens saisis ne sont pas couverts par l'immunité et qu'elle prétend subsidiairement que l'Etat libyen a renoncé à trois reprises à son immunité :
- en adhérant à la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980,
- en signant la clause compromissoire visant la Convention,
- en acceptant le règlement de procédure du Centre Régional d'Arbitrage du Commerce International du [Localité 3] ;
Que l'Autorité Libyenne d'Investissement estime que l'immunité d'exécution de l'Etat libyen fait obstacle aux saisies querellées ;
Que l'article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution énumère les biens qui bénéficient d'une présomption de souveraineté ;
Que la question se pose, notamment, pour un produit financier dénommé EMTN (Euro Medium Term Note) ;
Que les Etats étrangers bénéficient en effet, par principe, d'une immunité d'exécution ; qu'il en est autrement lorsque les biens concernés se rattachent, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, ce qui signifie que les biens sont utilisés ou sont destinés à être utilisés à des fins publiques, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice ;
Qu'or il n'est pas contesté que l'Autorité Libyenne d'Investissement a été créée en 2006 afin de gérer les fonds souverains détenus par la Libye ;
Qu'ainsi l'appelante reconnaît elle-même en page 29 de ses conclusions que les biens concernés sont "utilisés ou destinés à être utilisés pour réaliser par la LIA une activité d'investissement ou de réinvestissement conformément à la mission que lui a confiée la loi" ;
Que c'est encore l'appelante qui rappelle les termes de l'article 4 de la loi n° 205/1374, selon lequel l'Autorité Libyenne d'Investissement "a pour objet d'investir et de faire fructifier les fonds que lui attribue le Comité Populaire Général (le gouvernement) conformément aux dispositions de la présente décision aux fins de fructifier ces fonds, fournir des apports financiers adéquats et diversifier les sources de revenus nationaux de manière à augmenter les rentrées annuelles du Trésor Public et limiter l'impact des fluctuations des revenus et ressources pétrolières" ; que de même ceux de l'article 5 indique que "l'autorité a pour objet l'investissement, directement ou indirectement, des fonds affectés à l'investissement à l'étranger en se basant sur la faisabilité économique et ce dans les différents domaines économiques, de sorte à contribuer au développement et à la diversification des ressources de l'économie nationale, à réaliser les meilleurs rendements financiers soutenant ainsi le Trésor public et assurant le futur des générations à venir, et à limiter les effets des fluctuations en termes de revenus et autres recettes de l'Etat (
)
L'autorité se chargera de la réception des fonds affectés à l'investissement et sera responsable de leur investissement et réinvestissement pour le compte de l'Etat afin de recueillir les ressources financières nécessaires pour favoriser le développement économique du peuple libyen et maintenir son bien-être et sa prospérité économique dans l'avenir" ;
Qu'enfin il n'est pas indifférent de relever ainsi qu'il est dit par l'appelante, que les biens et avoirs détenus par l'Autorité Libyenne d'Investissement ont expressément fait l'objet d'un gel par l'adoption de la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l'ONU, le paragraphe 20 de cette résolution prévoyant que le Conseil de sécurité "se déclare résolu à veiller à ce que les avoirs gelés en application du paragraphe 17 de la résolution 1970 (2011) soient à une étape ultérieure, dès que possible, mis à la disposition du peuple de Jamahiriya arabe libyenne et utilisés à son profit" ;
Que les biens appartenant à l'Autorité Libyenne d'Investissement, quel que soit le produit financier de placement, sont donc bien utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques ce qui exclut qu'ils puissent être l'objet d'une saisie, sauf renonciation par l'Etat libyen ;
Qu'or dans le cas d'espèce, au regard des exigences de la matière, s'agissant de la souveraineté d'un Etat, cette renonciation par la Libye à son immunité d'exécution ne peut être directement déduite de son adhésion à la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ou de l'acceptation du règlement de procédure du Centre Régional d'Arbitrage du Commerce International du [Localité 3], étant précisé qu'il n'est nullement allégué ou établi que la sentence arbitrale fasse elle-même référence à une quelconque renonciation ou encore à un engagement de l'Etat à l'exécution de la sentence arbitrale ;
Que l'article 29 du contrat passé entre la société [M] et l'Etat de Libye est en effet rédigé dans les termes qui suivent : "en cas de naissance d'un différend relatif à l'interprétation ou à l'exécution du contrat pendant la période où il a cours, il doit être procédé à sa résolution à l'amiable, et en cas d'impossibilité d'un tel règlement, il doit être recouru à l'arbitrage conformément aux dispositions de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980" ;
Mais que l'annexe de la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 intitulée "Conciliation et Arbitrage", en son article 2-8 qui prévoit que "la sentence arbitrale rendue conformément aux provisions de cet article sera définitive et liera les parties qui doivent s'y soumettre et qui doivent l'exécuter immédiatement à moins que le tribunal n'ait fixé un délai pour l'exécution de tout ou partie de ladite sentence ; la sentence arbitrale ne peut faire l'objet d'aucune voie de recours" n'est pas visée par la clause compromissoire ;
Que l'article 34-2 du règlement de procédure du Centre Régional d'Arbitrage du Commerce International du [Localité 3] qui dispose que "toutes les sentences sont rendues par écrit ; elles sont définitives et s'imposent aux parties ; les parties exécutent sans délai toutes les sentences", n'est pas non plus visée et ne constitue pas davantage la preuve d'un engagement de l'Etat à l'exécution de la sentence arbitrale dans le cas d'espèce ;
Que faute d'être plus précise quant à ses références et la portée de l'engagement souscrit, celui pris par l'Etat libyen, signataire de la clause d'arbitrage, n'est donc pas un acte de renonciation à son immunité d'exécution ;
Qu'en l'absence d'autres éléments, la notion de bonne foi dans l'exécution des conventions ou l'absence de recours possible qui s'imposent aux parties à la lecture des dispositions de la sentence arbitrale, ne sont d'aucun secours pour caractériser une telle renonciation ;
Qu'en conséquence, en l'absence de renonciation expresse de l'Etat libyen à son immunité d'exécution sur les biens concernés par les saisies litigieuses, le jugement qui en a ordonné la mainlevée sera confirmé » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « selon les termes de l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent ;
Qu'il est cependant admis que le droit de poursuite du créancier est étendu en cas de confusion des patrimoines notamment aux organismes publics qui dépendent d'un Etat étranger au point d'en être qu'une émanation ;
Qu'il est également d'usage qu'une entité est une émanation d'un Etat lorsqu'elle ne bénéficie pas d'une autonomie fonctionnelle et qu'il existe une confusion de patrimoine ;
Que la sentence arbitrale du 22 mars 2013, qui à la fois déclare que la L.I.A. jouit de la personnalité morale et de l'autonomie financière et reconnaît que la L.I.A. demeure une partie intégrante de l'Etat libyen, ne lie pas le juge français dans sa jurisprudence actuelle ;
Que cette décision (point 9 de la sentence) est le reflet de la complexité de la situation alors qu'il est aujourd'hui reconnu (plusieurs pièces du dossier dont pièce 29 en défense page 45) que "l'opacité de la structure du capital dans la hiérarchie des filiales a permis l'enrichissement de la famille [M]" ;
Que pour autant, cette situation n'induit pas forcément que la L.I.A. est une émanation de l'Etat libyen ;
Que la société LIBYAN INVESTMENT AUTHORITY est un établissement financier d'investissement créée en 2006 puis confirmé par la loi du 28 janvier 2010 dont les dispositions sont ici après examinées ;
Qu'il n'est pas contesté que la L.I.A. est un fonds souverain dont la vocation est d'être sous la tutelle d'un Etat c'est-à-dire contrôlé par l'Etat e alimenté en grande partie par les ressources de l'Etat (pièce doctrine de la société [H] [X] [M] ET FILS) ;
Que les fonds souverains peuvent être soit gérés directement par leur gouvernement national ou être simplement supervisés par ce même gouvernement ;
Qu'en l'espèce il ressort des principes déclaratoires libyens aux termes de la loi du 28 janvier 2010 que la L.I.A. est certes rattachée au comité populaire général, nom donné au gouvernement libyen à cette date et qu'elle jouit de la personnalité morale ;
Que plus concrètement, la L.I.A. est dirigée par un Conseil de fiduciaires composé de membres du gouvernement et du gouverneur de la banque centrale de Libye mais également d'experts dans le domaine du travail de l'Autorité, ce Conseil nommant pour trois années un conseil d'administration dont le président et le vice-président ont de l'expérience dans les domaines de gestion et d'investissement des fonds et des actifs lequel exerce le contrôle de la gestion de la L.I.A. et surveille la mise en place de ses programmes ;
Que les membres du conseil d'administration, soit l'organe décisionnel, ne sont pas rémunérés en tant que fonctionnaires mais par décision du Conseil des fiduciaires qui en fixe le montant ;
Que par ailleurs, les employés de la L.I.A. sont "considérés comme des employés publics", ce qui sous-entend qu'ils n'en sont pas directement mais que leurs conditions doivent se rapprocher de celle des fonctionnaires libyens :
Qu'ainsi la L.I.A. est dotée d'une personnalité juridique qui lui est propre et qui est distincte de celle du gouvernement ou de la banque centrale et comprend un organe de direction, certes désigné par le gouvernement mais organe qui est ensuite complété dans sa gestion par des experts et des membres ayant une expérience académique et professionnelle en matière financière ;
Qu'il en résulte que la L.I.A. dispose d'un statut juridique qui prévoit qu'elle n'est pas entièrement et directement placée sous le contrôle total du gouvernement, étant ainsi rattachée au gouvernement, comme l'institue l'article 3 de la loi, sans y être pour autant soumise comme il résulte de sa composition et des organes de sa direction ;
Que par ailleurs les ressources financières de la L.I.A. sont certes composées des sommes allouées par l'Etat mais également de prêts qu'elle peut obtenir auprès de l'étranger et de fonds monétaires et actifs en nature qui lui sont alloués ;
Que les fonds et entités (article 16) sont la propriété de la L.I.A., constituant ainsi un patrimoine distinct de celui de l'Etat libyen ;
Que la stratégie de gestion des actifs financiers, article 11 de la loi, n'est pas définie par le gouvernement mais par le conseil d'administration lequel conçoit principalement les politiques d'investissement et de ré-investissement des fonds affectés à l'investissement après approbation du Conseil des fiduciaires, preuve de l'existence d'une autonomie financière de la L.I.A. ;
Que l'affectation principale des fonds à l'Etat n'est pas en soi un élément prouvant que la L.I.A. est une émanation de l'Etat libyen, tout fond souverain ayant pour objet d'enrichir le pays concerné ;
Qu'aussi, quand bien même la L.I.A. apporte une aide financière à l'Etat et qu'elle est considérée comme l'une des institutions financières essentielles de la Libye pour la reconstruction du pays, elle n'est pas pour autant assimilée à l'Etat lui-même puisqu'elle dispose d'une autonomie financière ;
Que la situation actuelle politique montre d'ailleurs que l'ONU, plus particulièrement le Groupe d'experts sur le Libye crée en 2011, intervient directement auprès de la L.I.A. en qualité d'entité autonome en précisant en 2015 que le groupe d'experts "entretient de bons rapports avec la direction de la L.I.A. et des mesures semblent avoir été prises pour régler les problèmes de gouvernance, notamment en matière de correction. Un décalage continue d'exister entre la direction (de la L.I.A.) et les sections compétentes des ministères mais il devra se réduire une fois que la stabilité du gouvernement sera renforcée" ;
Qu'enfin et comme le souligne la société [H] [X] [M] ET FILS, la Résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations-Unies en date du 17 mars 2011 a décidé notamment de geler les avoirs de la société LIBYAN INVESTMENT AUTHORITY dans le cadre de l'adoption de mesures restrictives en se déclarant préoccupé par la détérioration de la situation en Libye ;
Que néanmoins, il convient à ce titre de relever que le Conseil de sécurité n'a pas formellement identifié la L.I.A. comme étant détenue par l'Etat à 100% mais a seulement précisé qu'elle était "sous le contrôle de [C] [Y]" effectuant ainsi une distinction entre l'influence de [C] [Y] sur des entités libyennes et la détention par l'Etat d'autres entités ;
Que dès lors, la société [H] [X] [M] ET FILS ne démontre pas que la société LIBYAN INVESTMENT AUTHORITY est dans une dépendance fonctionnelle avec l'Etat libyen empêchant toute autonomie de droit et de fait organique, patrimoniale et financière ;
Qu'en conséquence, il convient d'ordonner la mainlevée de la saisie » ;
1°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international relatifs à l'immunité d'exécution, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure est engagée, qu'en décidant que « les Etats étrangers bénéficient en effet, par principe, d'une immunité d'exécution. Il en est autrement lorsque les biens concernés se rattachent, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, ce qui signifie que les biens sont utilisés ou sont destinés à être utilisés à des fins publiques, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice », l'arrêt attaqué a été rendu en violation du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;
2°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé à des fins d'investissement ; qu'en l'espèce, pour juger que les sommes détenues par la L.I.A. sur le compte-courant ouvert auprès de la Société Générale Option Europe ainsi que les droits d'associés ou les valeurs mobilières bénéficiaient d'une immunité d'exécution et ne pouvaient, par conséquent, être l'objet d'une saisie, la Cour d'appel s'est bornée à constater que ces biens étaient « utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques » ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait elle-même constaté que les fonds étaient spécialement affectés à des activités d'investissement à l'étranger, la Cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;
3°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, le bénéfice de l'immunité d'exécution s'apprécie pour chaque bien appréhendé par la saisie ; qu'en jugeant que l'immunité d'exécution couvrait tous « les biens appartenant à l'Autorité Libyenne d'Investissement, quel que soit le produit financier de placement », la Cour d'appel n'a pas pris en considération la finalité à laquelle était destiné le produit financier « Euro Medium Term Note », pourtant objet de la saisie, et a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;
4°/ALORS QUE toute activité déployée par un Etat ou son émanation ne peut que poursuivre un intérêt général ; qu'à lui seul le critère fondé sur l'intérêt général n'est pertinent pour délimiter le champ de l'immunité d'exécution ; qu'en se référant exclusivement à l'idée que les opérations de placement réalisées par la LIA servaient l'intérêt du peuple libyen, notamment en visant la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l'ONU sans rechercher si ces biens sont « spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales » pour décider que les fonds appréhendés étaient couverts par l'immunité d'exécution, l'arrêt attaqué a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;
5°/ ALORS QUE porte une atteinte disproportionnée au droit fondamental à l'exécution des décisions de justice, toute protection des biens de l'Etat étranger allant au-delà de ce que prescrit le droit international coutumier tel que reflété par la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004 ; qu'en l'espèce, pour prononcer la mainlevée de la saisie, la Cour d'appel a jugé que les biens utilisés par le fond souverain de l'Etat libyen à des fins d'investissement étaient couverts par son immunité d'exécution ; qu'en statuant ainsi, alors que le droit international coutumier tel qu'il résulte de la Convention des Nations-Unies de 2004 autorise la saisie des biens utilisés par l'Etat ou l'une de ses émanations à des fins d'investissement, la Cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les principes du droit international régissant les immunités d'exécution des Etats étrangers ;
6°/ ALORS QUE l'article 26 de la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980, à laquelle se référait le contrat, dispose que « la conciliation et l'arbitrage se dérouleront conformément aux règles et aux procédures établies dans l'annexe de cette convention » et que « cette annexe constitue une partie intégrante de celle-ci » ; qu'en l'espèce, pour juger que l'Etat libyen n'avait pas expressément accepté de se soumettre à la sentence arbitrale et ne s'était pas expressément engagé à exécuter cette sentence, la Cour d'appel a retenu que n'était pas visé par la clause compromissoire du contrat passé avec l'exposante, l'article 2-8 de l'annexe de la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 lequel prévoit que « la sentence arbitrale rendue conformément aux provisions de cet article sera définitive et liera les parties qui doivent s'y soumettre et qui doivent l'exécuter immédiatement » ; qu'en statuant ainsi, alors que l'article 29 du contrat passé entre l'Etat libyen et la société [M] stipulait qu'il devait être « recouru à l'arbitrage conformément aux dispositions de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 » laquelle, dans son article 26, énonce expressément que son annexe dont l'article 2-8 fait partie intégrante de ses dispositions, la Cour d'appel a méconnu la force obligatoire du contrat, ensemble la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ;
7°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'acceptation par l'État étranger, signataire de la clause d'arbitrage, de se soumettre à la sentence arbitrale et de l'exécuter dans les termes de la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 vaut renonciation expresse à son immunité d'exécution; qu'en jugeant le contraire, alors qu'elle avait elle-même constaté que l'Etat libyen avait, non seulement, expressément adhéré à cette Convention mais, également, expressément visé cette Convention dans la clause compromissoire du contrat qu'il a conclu avec l'exposante, la Cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes ;
8°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'engagement pris par l'Etat signataire de la clause d'arbitrage d'exécuter la sentence conformément à l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du commerce international du [Localité 3] lequel est expressément visé par la sentence arbitrale, vaut renonciation à son immunité d'exécution ; qu'en jugeant le contraire, la Cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] ;
9°/ ALORS QUE les parties ayant toutes deux admis que l'article 34.2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] était applicable même s'il n'était pas visé par la clause compromissoire, la Cour d'appel ne pouvait se fonder sur le silence de la clause sur ce texte sans méconnaître les termes du litige et violer l'article 4 du code de procédure civile ;
10°/ ALORS QUE, subsidiairement à supposer que la Cour d'appel ait adopté les motifs des premiers juges, doit être qualifiée d'émanation, l'entité dépourvue de d'autonomie fonctionnelle et de patrimoine propre ; que cette qualité s'apprécie en droit mais surtout en fait selon la méthode du faisceau d'indices ; qu'en l'espèce, pour refuser de qualifier la L.I.A. d'émanation de l'Etat libyen, les juges du fond se sont exclusivement fondés sur l'autonomie juridique de l'entité ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme ils y étaient invités, si dans les faits, la L.I.A. n'était pas suffisamment indépendante dans son fonctionnement et si son patrimoine se confondait avec celui de l'Etat libyen, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des principes du droit international relatifs aux émanations des Etats étrangers. | Il résulte des articles 1, 5, § 4, et 11, § 2, du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011et de l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11, § 2, du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen |
8,045 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Cassation sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 614 FS-B
Pourvoi n° J 19-25.108
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société Libyan Invesment Authority, société de droit libyen, dont le siège est [Adresse 3] (Libye), a formé le pourvoi n° J 19-25.108 contre l'arrêt rendu le 5 septembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Libyan Arab Foreign Investment Company, société de droit libyen, dont le siège est [Adresse 4] (Libye),
2°/ à la société [P] [D] [F] et fils, société de droit koweïtien, dont le siège est [Adresse 1] (Égypte),
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Libyan Invesment Authority, de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de la société Libyan Arab Foreign Investment Company, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société [P] [D] [F] et fils, et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 septembre 2019) et les productions, sur le fondement d'une sentence arbitrale revêtue de l'exequatur, portant condamnation à paiement de l'Etat libyen, la société [P] [D] [F] et fils (la société [F]) a fait pratiquer en France, le 5 juillet 2013, des saisies-attributions au préjudice de la Libyan Investment Authority (LIA) et de sa filiale à 100 %, la société Libyan Arab Foreign Investment Company (la société LAFICO), entre les mains de la banque BIA et de la Société générale, et, le 13 août 2013, une saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières détenus par la société CER, filiale à 100 % de la société LAFICO.
2. L'arrêt du 5 septembre 2019 a rejeté les demandes de la LIA et de la société LAFICO en contestation de ces saisies.
3. Devant la Cour de cassation, la LIA a fait état du gel de ses avoirs en application de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies mises en oeuvre, au sein de l'Union européenne, par le règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye.
4. Par un arrêt du 3 novembre 2021 (n° 655), il a été sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par un arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 10 juillet 2020, pourvois n° 18-18.542 et 18-21.814) de la question de savoir si les dispositions d'un autre règlement européen, relatif à des mesures restrictives à l'égard de l'Iran et comportant une définition des mesures de gel analogue à celle du règlement n° 2016/44, s'opposaient à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d'effet attributif, telle qu'une saisie conservatoire.
5. Par un arrêt du 11 novembre 2021 (C-340/20), la CJUE a répondu à la question préjudicielle.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office
6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 1, 5 § 4 et 11 § 2 du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 et l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution :
7. Le premier de ces textes dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) « fonds », les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, y compris et notamment, mais pas exclusivement :
i) le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement ;
ii) les dépôts auprès d'établissements financiers ou d'autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances ;
iii) les titres de propriété et d'emprunt, tels que les actions et autres titres de participation, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu'ils soient négociés en Bourse ou fassent l'objet d'un placement privé ;
iv) les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs ;
[...]
b) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds ou tout accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence une modification de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, y compris la gestion de portefeuilles. »
8. Selon le deuxième, tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux entités énumérées à l'annexe VI, parmi lesquelles figure la LIA, ou que celles-ci avaient en leur possession, détenaient ou contrôlaient à la date du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient en dehors de Libye à cette date restent gelés.
9. Le troisième dispose :
« 2. Par dérogation à l'article 5, paragraphe 4, et pour autant qu'un paiement soit dû au titre d'un contrat ou d'un accord conclu ou d'une obligation souscrite par la personne, l'entité ou l'organisme concerné avant la date de sa désignation par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions, les autorités compétentes des États membres, mentionnées sur les sites internet énumérés à l'annexe IV, peuvent autoriser, dans les conditions qu'elles jugent appropriées, le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, pour autant que les conditions suivantes soient réunies :
a) l'autorité compétente concernée a établi que le paiement n'enfreint pas l'article 5, paragraphe 2, ni ne profite à une entité visée à l'article 5, paragraphe 4 ;
b) l'État membre concerné a notifié au comité des sanctions, dix jours ouvrables à l'avance, son intention d'accorder une autorisation. »
10. Le quatrième dispose :
« L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.
La notification ultérieure d'autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d'un jugement portant ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution.
Toutefois, les actes de saisie notifiés au cours de la même journée entre les mains du même tiers sont réputés faits simultanément. Si les sommes disponibles ne permettent pas de désintéresser la totalité des créanciers ainsi saisissants, ceux-ci viennent en concours.
Lorsqu'une saisie-attribution se trouve privée d'effet, les saisies et prélèvements ultérieurs prennent effet à leur date. »
11. La CJUE a été saisie par l'Assemblée plénière d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, dont l'article 1° dispose :
« Aux seules fins du présent règlement, on entend par :
[...]
h) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuilles. »
12. De cette définition, la CJUE déduit que « la notion de "gel des fonds" englobe toute utilisation de fonds ayant pour conséquence, notamment, un changement de la destination de ces fonds, même si une telle utilisation des fonds n'a pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur » (§ 49).
13. La CJUE ajoute que cette interprétation est corroborée par les considérants du règlement n° 423/2007 selon lesquels :
- « les mesures restrictives adoptées contre la République islamique d'Iran ont une vocation préventive en ce sens qu'elles visent à empêcher un risque de prolifération nucléaire dans cet Etat » (§ 52 et 54) ;
- « les mesures de gel des fonds et des ressources économiques visent par conséquent à éviter que l'avoir concerné par une mesure de gel soit utilisé pour procurer des fonds, des biens ou des services susceptibles de contribuer à la prolifération nucléaire en Iran » (§ 55) ;
- « pour atteindre ces buts, il est non seulement légitime, mais également indispensable que les définitions des notions de "gel des fonds" et de "gel des ressources économiques" revêtent une interprétation large parce qu'il s'agit d'empêcher toute utilisation des avoirs gelés qui permettrait de contourner les règlements en cause et d'exploiter les failles du système » (§ 56).
14. La CJUE ajoute qu'elle « a déjà jugé que l'importance des objectifs poursuivis par un acte de l'Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris pour ceux qui n'ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l'adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété [...], de sorte que la circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) n'est pas pertinente » (§ 66 et 67).
15. Les mesures de gel sont définies en termes similaires par le règlement concernant l'Iran et par celui relatif à la Libye. Les considérants de celui-ci, comme ceux du règlement concernant l'Iran, soulignent la portée préventive des mesures de gel, en l'occurrence la prévention de « la menace que représentent les personnes et entités qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l'ancien régime de [S] [G], susceptibles d'être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique » (deuxième considérant).
16. Il en résulte que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11 § 2 du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen.
17. Pour rejeter la demande de mainlevée des saisies-attributions diligentées en juillet et août 2013 par la société [F] sur des actifs détenus en France par la LIA et par sa filiale à 100 %, la société LAFICO, l'arrêt retient que la LIA est une émanation de l'Etat libyen et que les fonds ne bénéficient pas de l'immunité d'exécution.
18. En statuant ainsi, alors que tous les fonds et ressources économiques qui appartenaient à la LIA ou que celle-ci avait en sa possession, détenait ou contrôlait à compter du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient hors de Libye à cette date étaient gelés et alors qu'il n'était pas justifié d'une autorisation préalable du directeur du Trésor, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
21. La société [F] n'ayant pas sollicité l'autorisation du directeur du Trésor préalablement aux saisies, il convient de confirmer le jugement qui en a donné mainlevée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONFIRME le jugement rendu le 10 juillet 2018 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris ;
Condamne la société [F] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Libyan Invesment Authority
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la Libyan Investment Authority (l'Autorité libyenne d'investissement) de sa demande de mainlevée des saisies-attribution pratiquées le 5 juillet 2013 par la société [F] entre les mains de la Société générale et de la banque BIA, et de mainlevée de la saisie de valeurs mobilières et de droits d'associés de la société financière CER pratiquée le 13 août 2013 ;
Aux motifs que " Sur la question de savoir si la Lia et la société Lifaco sont des émanations de l'Etat libyen :
Sur l'indépendance organique :
L'Autorité libyenne d'investissement a été créée par la loi n°205/1374 qui dispose en son article 4 qu'elle a pour "objet d'investir et de faire fructifier les fonds que lui attribue le Comité Populaire Général (..) aux fins de fructifier ces fonds, fournir des apports financiers adéquats et diversifier les sources de revenus nationaux de manière à augmenter les rentrées annuelles du Trésor public et limiter l'impact des fluctuations des revenus et ressources pétrolières ", que la loi n°(13) de 2010 portant organisation de l'Autorité libyenne d'investissement dispose que cette personne morale de droit public est rattachée au Comité populaire général, que son organe suprême (article 6) est le Conseil de fiduciaires composé du secrétaire du Comité populaire général en tant que président, des secrétaires des comités populaires généraux, du gouverneur de la Banque centrale et d'expert, que ce Conseil des fiduciaires désigne les membres du conseil d'administration (article 10) et décide de leur rémunération, qu'elle est exclue des dispositions du contrôle préalable prévu par les législations en vigueur ; que les employés de l'Autorité libyenne d'investissement sont considérés comme des employés publics et soumis aux règles de l'emploi public (article 27). L'Autorité, les sociétés qu'elle possède, les entités qui lui sont affiliées, sont exemptées des taxes et tarifs relatifs à toutes leurs activités (article 26) ; que la décision n° 7 prise en 2012 par le conseil des ministres du gouvernement provisoire constitué après le renversement du régime du colonel [G], publiée au journal officiel libyen le 9 juin 2013, fixe l'organisation du conseil des ministres et précise, dans une liste jointe, les organes sur lesquels s'exerce sa tutelle, la Lia y figurant en première ligne ; que ces éléments caractérisent l'absence d'indépendance organique de la Lia par rapport à l'Etat libyen à la date de la saisie, absence d'indépendance au demeurant confirmée par les dispositions ultérieures, telles la Résolution du Conseil des Ministres n°4 de 2014 portant sur la reconstitution du conseil des Fiduciaires de la Lia en vertu de laquelle ce conseil comporte six membres dont cinq membres du gouvernement, le Premier Ministre, le Gouverneur de la Banque Centrale de Libye, le Ministre des Finances, le Ministre de la Planification, le Ministre de l'Economie et M. [R] [O] [K] ; En ce qui concerne la confusion des patrimoines :
La loi n° 205/1374 créant la Lia dispose que " le capital de l'institution est fixé à 250 millions de dollars US, répartis sur 250 000 actions de la valeur de 100 dollars US chacune, versé par les autorités dont elle dépend. Le capital peut être augmenté ou réduit par décision du Comité Populaire Général sur proposition du Conseil des Secrétaires " ; que le capital de la Lia est détenu à 100 % par l'État. La décision de l'augmenter ou de le diminuer n'est pas prise par les organes dirigeants, mais par le gouvernement sur proposition du conseil des ministres. Chaque année, il peut lui être attribué le " surplus du budget général ". Le montant du capital de la Lia dépendant exclusivement de la volonté du gouvernement libyen ; que si, l'article 15 de la loi n° 13 de 2010 précitée prévoit que la Lia est également financée par les revenus générés par sa propre activité, ces revenus résultent de l'investissement des fonds appartenant à l'État et seront utilisés afin " d'augmenter les rentrées annuelles du Trésor Public " selon l'article 4 de la loi n° 205/1376 et " de soutenir le Trésor Public " ; qu'il résulte de ces éléments que cette Autorité ? n'a pas de patrimoine propre, le fait qu'elle puisse contracter des prêts ne suffisant pas à caractériser l'existence d'un tel patrimoine, distinct de celui de l'Etat libyen ; que l'Autorité libyenne d'investissement constitue donc une émanation de l'Etat libyen, pour le compte exclusif duquel elle agit, tout comme la société Lafico, sa filiale à 100 %, peu important qu'en apparence, celle-ci jouisse également, comme elle le soutient, d'un statut et d'un patrimoine distinct " (arrêt attaqué, p. 6 et s.) ;
1°) Alors qu' il incombe au juge français saisi d'une demande d'application d'un droit étranger de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit ; que l'Autorité libyenne d'investissement invoquait son autonomie juridique, patrimoniale et financière en application du droit libyen et de la jurisprudence libyenne (concl. sign. le 5 juin 2019, p. 31 et s.) et produisait, au soutien de son argumentation un affidavit de droit libyen ; qu'en écartant l'autonomie de l'Autorité libyenne d'investissement, sans rechercher la loi applicable qui permettait de procéder à cette déduction, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil et les principes du droit international privé ;
2°) Alors que les conditions d'existence de la personnalité morale d'une société étrangère sont déterminées par la loi du pays de son siège ; qu'en considérant, pour se prononcer sur l'existence et la réalité de la personnalité morale de l'Autorité libyenne d'investissement, que cette dernière était une émanation de l'Etat libyen par référence au droit français, quand cette société relève de la loi libyenne, dont elle revendiquait l'application (concl. sign. le 5 juin 2019, p. 30 et s.), la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil et les principes du droit international privé.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la Libyan Investment Authority (l'Autorité libyenne d'investissement) de sa demande de mainlevée des saisies-attribution pratiquées le 5 juillet 2013 par la société [F] entre les mains de la Société générale et de la banque BIA, et de mainlevée de la saisie de valeurs mobilières et de droits d'associés de la société financière CER pratiquée le 13 août 2013 ;
Aux motifs que " Sur la question de savoir si la Lia et la société Lifaco sont des émanations de l'Etat libyen :
Sur l'indépendance organique :
L'Autorité libyenne d'investissement a été créée par la loi n°205/1374 qui dispose en son article 4 qu'elle a pour "objet d'investir et de faire fructifier les fonds que lui attribue le Comité Populaire Général (..) aux fins de fructifier ces fonds, fournir des apports financiers adéquats et diversifier les sources de revenus nationaux de manière à augmenter les rentrées annuelles du Trésor public et limiter l'impact des fluctuations des revenus et ressources pétrolières ", que la loi n°(13) de 2010 portant organisation de l'Autorité libyenne d'investissement dispose que cette personne morale de droit public est rattachée au Comité populaire général, que son organe suprême (article 6) est le Conseil de fiduciaires composé du secrétaire du Comité populaire général en tant que président, des secrétaires des comités populaires généraux, du gouverneur de la Banque centrale et d'expert, que ce Conseil des fiduciaires désigne les membres du conseil d'administration (article 10) et décide de leur rémunération, qu'elle est exclue des dispositions du contrôle préalable prévu par les législations en vigueur ; que les employés de l'Autorité libyenne d'investissement sont considérés comme des employés publics et soumis aux règles de l'emploi public (article 27). L'Autorité, les sociétés qu'elle possède, les entités qui lui sont affiliées, sont exemptées des taxes et tarifs relatifs à toutes leurs activités (article 26) ; que la décision n° 7 prise en 2012 par le conseil des ministres du gouvernement provisoire constitué après le renversement du régime du colonel [G], publiée au journal officiel libyen le 9 juin 2013, fixe l'organisation du conseil des ministres et précise, dans une liste jointe, les organes sur lesquels s'exerce sa tutelle, la Lia y figurant en première ligne ; que ces éléments caractérisent l'absence d'indépendance organique de la Lia par rapport à l'Etat libyen à la date de la saisie, absence d'indépendance au demeurant confirmée par les dispositions ultérieures, telles la Résolution du Conseil des Ministres n°4 de 2014 portant sur la reconstitution du conseil des Fiduciaires de la Lia en vertu de laquelle ce conseil comporte six membres dont cinq membres du gouvernement, le Premier Ministre, le Gouverneur de la Banque Centrale de Libye, le Ministre des Finances, le Ministre de la Planification, le Ministre de l'Economie et M. [R] [O] [K] " (arrêt attaqué, p. 6 et s.) ;
1°) Alors que l'entité qui bénéficie d'une autonomie de droit et de fait à l'égard d'un Etat ne peut être qualifiée d'émanation de ce dernier ; qu'en retenant que l'Autorité libyenne d'investissement était une personne morale de droit public dont les employés étaient considérés comme des employés publics, soumis aux règles de l'emploi public et que ses activités étaient exemptées de taxes pour déduire son absence d'indépendance organique par rapport à l'Etat libyen, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard des principes du droit international privé gouvernant l'immunité d'exécution des Etats étrangers, ensemble l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
2°) Alors que l'entité qui bénéficie d'une autonomie de droit et de fait à l'égard d'un Etat ne peut être qualifiée d'émanation de ce dernier ; qu'en se bornant à retenir, de façon abstraite, que l'Autorité libyenne d'investissement était " rattachée " au Comité populaire général sans expliquer concrètement en quoi cette circonstance était de nature à affecter son autonomie, la cour d'appel, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des principes du droit international privé gouvernant l'immunité d'exécution des Etats étrangers, ensemble l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
3°) Alors que l'entité qui bénéficie d'une autonomie de droit et de fait à l'égard d'un Etat ne peut être qualifiée d'émanation de ce dernier ; que l'entité considérée jouit d'une indépendance statutaire et ne peut donc être considérée comme une émanation d'Etat lorsqu'entrent dans la composition de son organe règlementaire et de contrôle des experts sans lien avec l'administration centrale de l'Etat ; qu'après avoir constaté qu'entraient dans la composition du Conseil de fiduciaires des experts, ce dont il résultait que l'organe réglementaire et de contrôle de l'Autorité libyenne d'investissement était également constitué de membres sans lien avec l'Etat, la cour d'appel, qui a néanmoins conclu à l'absence d'indépendance organique de l'Autorité, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des principes du droit international privé gouvernant l'immunité d'exécution des Etats étrangers, ensemble l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
4°) Alors que le contrôle étatique sur une entité, fût-il exercé au travers de ses dirigeants, ne suffit pas à la faire considérer comme une émanation de l'Etat impliquant son assimilation à celui-ci ; qu'en se bornant à retenir que l'Autorité libyenne d'investissement était l'une des entités sur lesquelles s'exerçait la tutelle du gouvernement provisoire libyen et que son organe réglementaire et de contrôle comportait, pour partie, des représentants des comités populaires (organes chargés de relayer les décisions des représentants locaux aux instances centrales), pour en déduire l'absence d'indépendance organique de l'Autorité, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs inopérants, privant ainsi sa décision de base légale au regard des principes du droit international privé gouvernant l'immunité d'exécution des Etats étrangers, ensemble l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
5°) Alors que l'entité qui bénéficie d'une autonomie de droit et de fait à l'égard d'un Etat ne peut être qualifiée d'émanation de ce dernier ; que bénéficie d'une telle autonomie l'entité qui exerce son activité par l'intermédiaire d'organes qui agissent de façon autonome par rapport et jouit ainsi d'une indépendance fonctionnelle ; qu'en déduisant l'absence d'autonomie de l'Autorité libyenne d'investissement de la désignation des membres de son conseil d'administration et de leur rémunération, organe opérationnel de l'Autorité, par le conseil des fiduciaires, sans constater l'existence d'un rapport hiérarchique de ce dernier sur la conseil d'administration, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'absence d'autonomie de l'Autorité libyenne d'investissement dans l'exercice de son activité, privant ainsi sa décision de base légale au regard des principes du droit international privé gouvernant l'immunité d'exécution des Etats étrangers, ensemble l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
Et aux motifs qu' " En ce qui concerne la confusion des patrimoines :
La loi n° 205/1374 créant la Lia dispose que " le capital de l'institution est fixé à 250 millions de dollars US, répartis sur 250 000 actions de la valeur de 100 dollars US chacune, versé par les autorités dont elle dépend. Le capital peut être augmenté ou réduit par décision du Comité Populaire Général sur proposition du Conseil des Secrétaires " ; que le capital de la Lia est détenu à 100 % par l'Etat. La décision de l'augmenter ou de le diminuer n'est pas prise par les organes dirigeants, mais par le gouvernement sur proposition du conseil des ministres. Chaque année, il peut lui être attribué le " surplus du budget général ". Le montant du capital de la Lia dépendant exclusivement de la volonté du gouvernement libyen ; que si, l'article 15 de la loi n° 13 de 2010 précitée prévoit que la Lia est également financée par les revenus générés par sa propre activité, ces revenus résultent de l'investissement des fonds appartenant à l'Etat et seront utilisés afin " d'augmenter les rentrées annuelles du Trésor Public " selon l'article 4 de la loi n° 205/1376 et " de soutenir le Trésor Public " ; qu'il résulte de ces éléments que cette Autorité n'a pas de patrimoine propre, le fait qu'elle puisse contracter des prêts ne suffisant pas à caractériser l'existence d'un tel patrimoine, distinct de celui de l'Etat libyen ; que l'Autorité libyenne d'investissement constitue donc une émanation de l'Etat libyen, pour le compte exclusif duquel elle agit, tout comme la société Lafico, sa filiale à 100 %, peu important qu'en apparence, celle-ci jouisse également, comme elle le soutient, d'un statut et d'un patrimoine distinct " (arrêt attaqué, p. 7) ;
6°) Alors que les apports effectués au profit d'une personne morale deviennent la propriété de cette dernière et composent son patrimoine social ; que dès lors, les liens capitalistiques entre deux entités peuvent constituer un indice du contrôle de l'une sur l'autre, mais non de la confusion entre leurs patrimoines qui dépend, quant à elle, de leurs liens organisationnels et juridiques, ainsi que des flux financiers entre elles ; qu'en retenant que la circonstance que les actions de la LIA étaient détenues par l'Etat induisait une confusion des patrimoines entre eux, la cour d'appel a violé les articles 2284 du code civil et L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
7°) Alors, en outre, que le contrôle d'une entité sur une autre peut être déduit
de la participation majoritaire ou exclusive de l'une dans le capital de l'autre à la condition que l'entité réputée contrôlée ne se détermine pas de façon autonome sur le marché faisant l'objet de son activité ; qu'en prenant en considération l'actionnariat étatique de la LIA pour déduire une confusion patrimoniale entre cette dernière et l'Etat libyen, sans examiner, comme elle y était invitée, si la LIA n'agissait pas, sur le marché de l'investissement financier, de façon parfaitement autonome, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 2284 du code civil et L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution ;
8°) Alors, enfin, que ainsi que le faisait valoir la LIA, son patrimoine était spécialement et uniquement destiné à la réalisation de son objet social consistant en des activités d'investissement purement privées et sa gestion fait l'objet d'une comptabilité propre établie conformément aux normes comptables internationales et soumise à l'examen d'auditeurs externes ; qu'en considérant néanmoins de la LIA pouvait être qualifiée d'émanation de l'Etat libyen dans la mesure où une partie des produits de ses investissements devait être versés au Trésor public libyen, motif impropre à justifier de l'absence d'autonomie de la LIA dans la conduite de son activité telle que décrite dans son objet social, la cour d'appel a violé les articles 2284 du code civil et L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (plus subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la Libyan Investment Authority (l'Autorité libyenne d'investissement) de sa demande de mainlevée des saisies-attribution pratiquées le 5 juillet 2013 par la société [F] entre les mains de la Société générale et de la banque BIA, et de mainlevée de la saisie de valeurs mobilières et de droits d'associés de la société financière CER pratiquée le 13 août 2013 ;
Et aux motifs que " Sur l'immunité d'exécution :
Sur la nature des biens saisis : Il est, ensuite, nécessaire d'examiner si les comptes des intimées sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par ledit E?tat autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretiennent un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée ; que les intimées soutiennent qu'il incombe au créancier de démontrer l'existence d'un lien entre les biens saisis et l'opération ayant donné lieu à la saisie, ce qui, à l'évidence, n'est pas le cas en l'espèce, puisqu'elles n'étaient pas parties au contrat ayant donné lieu à la sentence arbitrale ; que cependant, selon le droit coutumier international, tout comme selon la loi Sapin II, dès lors que les biens ont un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée, ils peuvent faire l'objet d'une mesure d'exécution ; que la Lia et la société Lafico étant, ainsi qu'il a été dit plus haut, des émanations de l'Etat libyen, cette seconde condition est remplie ; que pour démontrer que la première condition est remplie, l'appelante rappelle que la saisie a porté sur un produit financier dénommé Etmn arrivé à échéance d'un montant de 151 554 067 dollars US, des parts sociales de la société Financière CER, appartenant à la société Lafico, la société CER étant propriétaire de l'immeuble de la FNAC, sis [Adresse 2], parts librement négociables sur le marché, société dont le seul objet est de porter un investissement immobilier et enfin, sur des sommes d'argent déposées dans une banque commerciale ; qu'elle démontre ainsi que les biens ne sont pas spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés à des fins de service public non commerciales de sorte qu'ils sont saisissables " (arrêt attaqué, p. 9) ;
1°) Alors que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif ;
l'article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution dans sa rédaction issue de l'article 59 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, est applicable aux mesures d'exécution mises en uvre après l'entrée en vigueur de la loi, intervenue le 11 décembre 2016, de sorte que ces dispositions ne sont pas applicables aux mesures d'exécution diligentées antérieurement à cette date ; qu'en faisant néanmoins application des dispositions de la loi Sapin II à des saisies pratiquées aux mois de mars et avril 2016, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble, l'article 2 du code civil ;
2°) Alors que l'immunité d'exécution dont jouit un Etat étranger peut être exceptionnellement écartée lorsque le bien saisi a été affecté à l'activité économique ou commerciale relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice ; qu'en jugeant saisissables le produit financier dénommé Emtn, les parts sociales d'une société financière propriétaire de biens immobiliers à Paris, ainsi que des sommes d'argent déposées dans les livres d'une banque commerciale, sans relever de lien entre ces biens et le développement et l'exploitation touristiques d'un site situé dans le district de Tripoli, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant l'immunité des Etats ;
3°) Alors que l'immunité d'exécution dont jouissent, par principe, les États
étrangers est écartée pour leurs seuls biens qui sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'État autrement qu'à des fins de service public non commerciales et qui sont dès lors saisissables ; qu'en déduisant du fait que que les biens appréhendés étaient un produit financier dénommé Emtn, des parts sociales librement négociables sur le marché d'une société financière propriétaire d'un immeuble et des sommes d'argent déposées dans une banque commerciale pour déduire que ces biens étaient saisissables, la cour d'appel, qui s'est bornée à déduire l'affectation de ces biens de leur seule nature, sans davantage constater ce à quoi ils étaient spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des principes posés en matière d'immunité d'exécution par le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens ;
4°) Alors que l'immunité d'exécution dont jouissent, par principe, les États étrangers est écartée pour leurs seuls biens qui sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'État autrement qu'à des fins de service public non commerciales et qui sont dès lors saisissables ; qu'après avoir constaté que le produit de l'activité de la LIA était utilisé " " afin d'augmenter les rentrées annuelles du Trésor Public " selon l'article 4 de la loi n° 205/1376 et " de soutenir le Trésor Public " " (arrêt, p. 7), ce dont il résultait que les biens saisis étaient destinés à satisfaire un objectif d'utilité publique, la cour d'appel, qui a néanmoins jugé saisissables ces biens, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des principes posés en matière d'immunité d'exécution par le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens ;
5°) Alors, en tout état de cause, que l'immunité d'exécution dont jouissent, par principe, les États étrangers est écartée pour leurs seuls biens qui sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'État autrement qu'à des fins de service public non commerciales et qui sont dès lors saisissables ; qu'après avoir constaté qu'une partie des produits de l'activité de la LIA était destinée à financer sa propre activité tandis que l'autre avait vocation à abonder le Trésor Public libyen, de sorte qu'il incombait au demandeur à l'exécution d'établir que les biens qu'il saisissait étaient effectivement affectés aux opérations de droit privé réalisées par la LIA ; qu'en retenant que les produits financiers, parts sociales et sommes d'argent placées sur des comptes bancaires de dépôt étaient saisissables comme non spécifiquem ent utilisés ou destinés à des fins de service public non commerciales, sans constater l'affectation concrète et effective de ses produits et sommes d'argent, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des principes posés en matière d'immunité d'exécution par le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens. | Il résulte des articles 1, 5, § 4, et 11, § 2, du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011 et de l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11, § 2, du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen |
8,046 | CIV. 1
SG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 626 F-B
Pourvoi n° A 20-20.826
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
Mme [N] [H], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 20-20.826 contre l'arrêt rendu le 6 février 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant à la société Jyske Bank A/S, dont le siège se trouve [Adresse 3], (Danemark), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [H], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Jyske Bank A/S, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 février 2020), suivant offre de prêt acceptée le 20 juin 2007 et acte authentique du 30 octobre 2007, la société Jyske Bank (la banque) a consenti à Mme [H] (l'emprunteur) un prêt multidevises d'un montant de 500 000 euros ou « l'équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ». Le prêt a été tiré pour un montant de 834 750 francs suisses. Le 16 juin 2011, la banque a procédé à la conversion en euros.
2. Invoquant l'irrégularité d'une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde, l'emprunteur l'a assignée en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l'avenir et en paiement de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire que l'offre de prêt ne comporte pas de clauses abusives et de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit condamnée à rembourser le prêt sur la base du capital originellement emprunté en euros soit la somme de 500 000 euros, alors « que l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible implique que les clauses indexant le remboursement d'un prêt sur le cours d'une devise étrangère soient comprises par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se bornant à affirmer que les articles 2 et 4 du contrat de prêt étaient clairs et compréhensibles, sans constater que le contrat informait l'emprunteuse du risque de dépréciation de l'euro et des conséquences potentiellement significatives que les clauses litigieuses pouvaient avoir sur le montant des remboursements, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation.
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. La banque conteste la recevabilité partielle du moyen en faisant valoir que l'emprunteur n'a pas invoqué, devant la cour d'appel, le caractère abusif de l'article 2 du contrat de prêt.
5. Cependant, la cour d'appel, tenue d'examiner d'office si les clauses du contrat de prêt étaient abusives, dès lors qu'elle disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, a retenu que cet article 2 définissait l'objet du contrat et était clair et compréhensible.
6. Le moyen, qui est né de la décision attaquée, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
7. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.
8. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C- 782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
9. Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les articles 2 et 4 du contrat, l'arrêt retient que ces clauses, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l'emprunteur, au taux d'intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l'objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire que la banque n'a pas manqué à son obligation d'information et de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts, alors « que le banquier est tenu de délivrer à son client une information sincère et complète quant à l'opération envisagée, en ce compris ses inconvénients et ses caractéristiques les moins favorables ; qu'en retenant que la banque n'avait pas manqué à son obligation d'information au motif que les clauses du contrat de prêt étaient claires, que quant à la variation possible du taux de change euro/franc suisse, et à ses conséquences sur le prêt, il est mathématiquement connu par tout investisseur normalement avisé" que l'article 11 de l'offre de prêt intitulé "Variation des taux de change" était rédigé en des termes de nature à attirer l'attention de l'emprunteur sur la possibilité qu'ensuite de la variation du taux de change, le capital emprunté ne devienne excessif" et que, dans un courrier du 24 avril 2007, la Jyske Bank AS avait informél'emprunteur que si elle envisageait de souscrire son prêt dans une devise autre que celle de ses revenus et biens, elle devez prendre en considération le fait que le taux de change sont sujets aux fluctuations du marché, que toute dépréciation de sa devise de base/revenu par rapport à la devise choisie se traduirait par une augmentation effective du coût de ses échéances de remboursements et que souscrire un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme à "haut risque", sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'établissement bancaire avait informé l'emprunteur du risque de dépréciation de l'euro et de ses conséquences précises et concrètes sur ses obligations financières, en lui présentant des données prospectives à titre indicatif, notamment les moins favorables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
12. Lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.
13. Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l'arrêt retient que la variation possible du taux de change euro/franc suisse et ses conséquences sur le prêt sont connus par tout investisseur normalement avisé, que l'emprunteur avait pris connaissance de l'article 11 du contrat prévoyant les mesures pouvant être prises par la banque en cas d'augmentation du capital à rembourser au delà d'un certain montant en livres sterling et que celle-ci avait adressé à l'emprunteur, avant la signature de l'offre, une lettre l'informant des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d'un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque ».
14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, celle des chefs du dispositif de l'arrêt condamnant l'emprunteur à payer à la banque, en exécution du contrat de prêt, la somme de 106 498,93 euros au titre des échéances des intérêts et capital du prêt échus à la date du 30 août 2019, disant que la Jyske Bank AS n'avait pas respecté les termes du contrat de prêt en procédant le 16 juin 2011 à une conversion dans une monnaie différente de celle prévue par les parties et a rejeté la demande de résolution du contrat de prêt, lesquelles s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable comme tardif l'appel incident de Mme [H] en ce que le jugement déféré a déclaré irrecevable la demande de nullité de l'article 4 du contrat de prêt et a rejeté la demande de publication, et en ce que la banque n'avait pas manqué à son devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 6 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société Jyske Bank aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Jyske Bank et la condamne à payer à Mme [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme [H]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [H] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'offre de prêt du 5 juin 2007 ne comportait pas de clauses abusives, et de l'AVOIR déboutée de sa demande tendant à ce qu'elle soit condamnée à rembourser le prêt sur la base du capital originellement emprunté en euros soit la somme de 500 000 € ;
1° ALORS QUE l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible implique que les clauses indexant le remboursement d'un prêt sur le cours d'une devise étrangère soient comprises par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se bornant à affirmer que les articles 2 et 4 du contrat de prêt étaient clairs et compréhensibles, sans constater que le contrat informait l'emprunteuse du risque de dépréciation de l'euro et des conséquences potentiellement significatives que les clauses litigieuses pouvaient avoir sur le montant des remboursements, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;
2° ALORS QUE le caractère clair et compréhensible des clauses d'un contrat doit être apprécié au regard des seules stipulations contractuelles ; qu'en affirmant que les articles 2 et 4 du contrat de prêt étaient clairs et compréhensibles au motif que l'emprunteuse avait été informée par un courrier du 24 avril 2007 du risque de dépréciation de l'euro par rapport à la devise choisie, quand une telle information extra-contractuelle, non reprise par les stipulations du contrat, ne saurait conférer à celles-ci un caractère clair et compréhensible, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;
3° ALORS QU'en toute hypothèse, l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible oblige les établissements financiers consentant des prêts libellés en devise étrangère à informer les emprunteurs de l'incidence sur les remboursements d'une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État membre où l'emprunteur est domicilié ; qu'en se bornant à affirmer que les articles 2 et 4 du contrat de prêt étaient clairs et compréhensibles après en avoir reproduit la lettre et en constatant que l'emprunteuse avait été informée par un courrier du 24 avril 2007 du risque de dépréciation de l'euro par rapport à la devise choisie, sans rechercher si Mme [H] avait été concrètement informée du risque de dépréciation importante de l'euro et de ses incidences sur ses obligations financières, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;
4° ALORS QU'en toute hypothèse, le caractère clair et compréhensible des clauses contractuelles doit être apprécié en se référant à toutes les circonstances qui entourent la conclusion du contrat ; qu'en se bornant à affirmer que les articles 2 et 4 du contrat de prêt étaient clairs et compréhensibles après en avoir reproduit la lettre et en constatant que l'emprunteuse avait été informée par un courrier du 24 avril 2007 du risque de dépréciation de l'euro par rapport à la devise choisie, sans rechercher si les circonstances économiques, et notamment le cours du franc suisse en 2007 et l'attractivité exceptionnelle de cette devise, n'étaient pas de nature à justifier une information spécifique quant au risque de dépréciation, afin que les clauses d'indexation sur le cours du franc suisse puissent être jugées claires et compréhensibles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation ;
5° ALORS QU'en toute hypothèse, les clauses indexant sur une devise étrangère le taux d'intérêt et l'obligation de remboursement pesant un emprunteur ne participent pas de la définition de l'objet principal du contrat et peuvent donc être abusives tout en étant claires et compréhensibles ; qu'en affirmant, pour juger que le prêt ne comportait pas de clause abusive, que les articles 2 et 4 définissaient l'objet principal du contrat et étaient clairs et compréhensibles, la cour d'appel a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [H] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la Jyske Bank AS n'avait pas manqué à son obligation d'information et de l'AVOIR déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;
ALORS QUE le banquier est tenu de délivrer à son client une information sincère et complète quant à l'opération envisagée, en ce compris ses inconvénients et ses caractéristiques les moins favorables ; qu'en retenant que la société Jyske Bank n'avait pas manqué à son obligation d'information au motif que les clauses du contrat de prêt étaient claires (arrêt, p. 11, al. 1er et s.), que « quant à la variation possible du taux de change euro/franc suisse, et à ses conséquences sur le prêt, il est mathématiquement connu par tout investisseur normalement avisé » que « l'article 11 de l'offre de prêt intitulé "Variation des taux de change" était rédigé en des termes de nature à attirer l'attention de l'emprunteur sur la possibilité qu'ensuite de la variation du taux de change, le capital emprunté ne devienne excessif » (arrêt, p. 11, antépén. al.) et que, dans un courrier du 24 avril 2007, la Jyske Bank AS avait informé Mme [H] « que si elle envisageait de souscrire son prêt dans une devise autre que celle de ses revenus et biens, elle devez prendre en considération le fait que le taux de change sont sujets aux fluctuations du maché, que toute dépréciation de sa devise de base/revenu par rapport à la devise choisie se traduirait par une augmentation effective du coût de ses échéances de remboursements et que souscrire un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme à "haut risque" » (arrêt, p. 12, al. 2), sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'établissement bancaire avait informé Mme [H] du risque de dépréciation de l'euro et de ses conséquences précises et concrètes sur ses obligations financières, en lui présentant des données prospectives à titre indicatif, notamment les moins favorables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. | Prive sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, la cour d'appel qui, pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives des clauses d'un contrat de prêt multidevises, retient que celles-ci, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l'emprunteur, au taux d'intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l'objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte |
8,047 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 629 F-B
Pourvoi n° B 21-16.254
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société Memo.Com, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-16.254 contre le jugement rendu le 8 avril 2021 par le tribunal judiciaire d'Agen (PPP contentieux général), dans le litige l'opposant à M. [Z] [W], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Memo.Com, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire d'Agens, 8 avril 2021), rendu en dernier ressort, le 7 novembre 2019, à l'occasion d'un démarchage, M. [W], exerçant comme auto-entrepreneur une activité de nettoyage automobile, a signé un bon de commande établi par la société Memo.Com (la société) et portant sur la parution d'une publicité dans un annuaire.
2. En l'absence de règlement par celui-ci, la société l'a assigné en paiement de la somme principale de 1 264,03 euros.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société fait grief au jugement de constater la nullité du contrat et de rejeter ses demandes, alors « qu'il ressort des commémoratifs du jugement que M. [W] acceptait d'honorer la facture dont le paiement était sollicité par la société Memo.Com pour l'année 2020, moyennant des délais de paiement, auxquels la société Memo.com ne s'opposait pas ; qu'en rejetant toutefois l'ensemble des demandes de la société Memo.Com, le tribunal judiciaire a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code de procédure civile :
4. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
5. Pour rejeter les demandes de la société, après avoir relevé que le bon de commande ne comportait aucune référence à l'article L. 221-5 du code de la consommation et n'était pas accompagné d'un formulaire de rétractation, le tribunal a prononcé d'office la nullité du contrat sur le fondement de l'article L. 242-1 du même code.
6. En statuant ainsi, après avoir relevé que M. [W], qui proposait à l'audience un paiement échelonné de sa dette, ne contestait pas celle-ci dans son principe, le tribunal, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 avril 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire d'Agen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire d'Agen autrement composé ;
Condamne la société Memo.Com aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société Memo.Com
Le jugement attaqué, critiqué par la SARL MEMO.COM, encourt la censure ;
EN CE QU'il a constaté la nullité du contrat et débouté en conséquence la SARL MEMO.COM de l'ensemble de ses demandes ;
ALORS QUE, premièrement, il ressort des commémoratifs du jugement que M. [W] acceptait d'honorer la facture dont le paiement était sollicité par la société MEMO.COM pour l'année 2020, moyennant des délais de paiement, auxquels la société MEMO.COM ne s'opposait pas (jugement p. 2 § 3-4) ; qu'en rejetant toutefois l'ensemble des demandes de la société MEMO.COM, le Tribunal judiciaire a violé l'article 4 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, deuxièmement, avant que de rejeter les demandes de la société MEMO.COM sur le fondement de la nullité du contrat, tirée de ce qu'il n'était pas accompagné d'un formulaire de rétractation, il incombait au Tribunal judiciaire d'inviter les parties à présenter leurs observations sur les conditions posées par les textes qu'il appliquait d'office ; qu'en s'abstenant de solliciter les observations des parties, le Tribunal judiciaire a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, troisièmement, et en tout cas, il ressort de l'article L. 221-3 du code de la consommation que seuls sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels les dispositions des sections 2, 3,6 du chapitre I du titre II du Livre II du code de la consommation ; qu'en rejetant les demandes de la société MEMO.COM sur le fondement de la nullité prévue par l'article L. 242-1 du code de la consommation, disposition du titre IV du Livre II du code de la consommation, non applicable aux rapports entre deux professionnels, la Cour d'appel a violé les articles L. 221-3 et L. 242-1 du code de la consommation. | Modifie l'objet du litige et viole ainsi l'article 4 du code de procédure civile le tribunal qui prononce, d'office, la nullité d'un contrat de prestation de services sur le fondement des articles L. 221-3, L. 221-5 et L. 242-1 du code de la consommation, alors que le débiteur proposait à l'audience un paiement échelonné de sa dette et ne contestait pas celle-ci dans son principe |
8,048 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 630 F-B
Pourvoi n° C 21-16.646
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société civile immobilière Mermoz, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-16.646 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne-Franche-Comté, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne-Franche-Comté a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de la société civile immobilière Mermoz, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne-Franche-Comté, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 11 février 2021), par acte sous seing privé du 9 juin 2009, la société Caisse d'épargne de Bourgogne-Franche-Comté (la banque) a consenti à la SCI Mermoz (la SCI) un prêt immobilier remboursable en deux-cent-quarante mensualités et au taux effectif global (TEG) de 4,70 % l'an.
2. Soutenant que ce taux était irrégulier en raison de l'absence de prise en compte des cotisations d'une assurance décès-invalidité à laquelle la banque avait subordonné l'octroi du prêt, la SCI a assigné celle-ci en nullité de la stipulation d'intérêts et en substitution du taux d'intérêt légal au taux conventionnel. En appel, elle a demandé la déchéance du droit aux intérêts de la banque.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, dont l'examen est préalable
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer la SCI recevable, alors « qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait, sauf si ces nouvelles prétentions tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, ou qu'elles en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'en déclarant la SCI recevable, quand il résulte des énonciations de l'arrêt qu'elle demandait au tribunal de prononcer la nullité de la stipulation des intérêts conventionnels et à la cour d'appel de dire et juger que la sanction d'un taux effectif global erroné est la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, prétention nouvelle, étrangère à toute compensation, qui n'est pas née de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou la révélation d'un fait, ne tendait pas aux mêmes fins que la demande initiale et n'en était ni l'accessoire, ni la conséquence ou le complément, la cour d'appel a violé les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Aux termes de l'article 565 du même code, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
5. La demande en annulation d'une stipulation d'intérêts avec substitution du taux légal tend aux mêmes fins que celle en déchéance du droit aux intérêts dès lors qu'elles visent à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels.
6. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu'il appartient à la banque, qui subordonne l'octroi d'un crédit immobilier à la souscription d'une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entre impérativement ; qu'en reprochant à l'emprunteur de ne pas rapporter la preuve qu'à la date de l'édition de l'offre de prêt, la banque avait connaissance du montant de la cotisation d'assurance invalidité-décès et en se retranchant derrière la circonstance que l'attestation d'assurance et le courrier de l'assureur adressés postérieurement à l'édition de ladite offre ne donnaient aucune précision quant au coût de l'assurance invalidité-décès, quand il incombait à l'établissement prêteur de s'enquérir de ce coût avant de déterminer le taux effectif global, la cour d'appel a violé les articles L. 312-8 et L. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 313-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
8. Il résulte de ce texte que, pour la détermination du taux effectif global du prêt, comme pour celle du taux effectif pris comme référence, sont ajoutés aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l'octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels, mais que le taux effectif global d'un prêt immobilier ne comprend pas les frais liés aux garanties qui assortissent le prêt, lorsque leur montant ne peut être connu avant la conclusion du contrat.
9. Pour dire que le coût de l'assurance décès-invalidité n'avait pas à être inclus dans le calcul du taux effectif global, l'arrêt retient que la SCI ne rapporte pas la preuve qu'à la date de l'acte de prêt, la banque avait connaissance du montant de la cotisation d'assurance invalidité décès, que celle-ci produit une attestation d'assurance de prêt établie le 12 juin 2009 par l'assureur et une lettre adressée le 16 juin 2009 à la banque par l'assureur, lesquelles ne donnent aucune précision sur le montant des primes d'assurance et que le coût de cette assurance ne pouvait être indiqué avec précision antérieurement à la signature du prêt.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la banque s'était s'informée auprès du souscripteur du coût de l'assurance avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne la société Caisse d'épargne et de prévoyance Bourgogne Franche-Comté aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Caisse d'épargne et de prévoyance Bourgogne Franche-Comté et la condamne à payer à la SCI Mermoz la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la SCI Mermoz, demanderesse au pourvoi principal.
La société Mermoz fait grief à l'arrêt attaqué DE L'AVOIR déboutée de l'ensemble de ses demandes ;
ALORS, 1°), QU'il appartient à la banque, qui s'oppose à la demande de l'emprunteur fondée sur le caractère erroné du taux effectif global, de prouver que les frais liés aux garanties dont le crédit est assorti n'étaient pas déterminés ou déterminables au jour de l'acte de prêt ; qu'en faisant peser sur l'emprunteur la charge de prouver que le montant de la cotisation d'assurance invalidité-décès ne pouvait être déterminé à la date de l'édition de l'offre de prêt, quand une telle charge incombait à l'établissement prêteur, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315, devenu 1353, du code civil, ensemble les articles L. 312-8 et L. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;
ALORS, 2°), QUE le coût de la souscription, par l'emprunteur, d'une assurance couvrant les risques invalidité et décès qui conditionne la conclusion du prêt doit être mentionné dans l'offre de prêt et être intégré au calcul du taux effectif global, sauf lorsque son montant n'est pas déterminable lors de la conclusion du contrat de prêt ; qu'en excluant la prise en compte du coût de l'assurance invalidité-décès dans le calcul du taux effectif global, au motif que celui-ci ne pouvait être « indiqué avec précision » avant la signature du contrat de prêt, quand il suffisait qu'un tel coût soit déterminable, la cour d'appel a violé les articles L. 312-8 et L. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;
ALORS, 3°), QU'il appartient à la banque, qui subordonne l'octroi d'un crédit immobilier à la souscription d'une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entre impérativement ; qu'en reprochant à l'emprunteur de ne pas rapporter la preuve qu'à la date de l'édition de l'offre de prêt, la banque avait connaissance du montant de la cotisation d'assurance invalidité-décès et en se retranchant derrière la circonstance que l'attestation d'assurance et le courrier de l'assureur adressés postérieurement à l'édition de ladite offre ne donnaient aucune précision quant au coût de l'assurance invalidité-décès, quand il incombait à l'établissement prêteur de s'enquérir de ce coût avant de déterminer le taux effectif global, la cour d'appel a violé les articles L. 312-8 et L. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;
ALORS, 4°), QUE les dispositions relatives au taux effectif global, qui doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt, sont d'ordre public, de sorte que l'emprunteur ne peut y renoncer dans l'acte de prêt ; qu'en se fondant, pour refuser de prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque, sur les stipulations contractuelles excluant la prime d'assurance de la détermination du taux effectif global, quand ces stipulations contrevenaient à des dispositions d'ordre public, la cour d'appel a violé les articles L. 312-8 et L. 313-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016. Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucaud, avocat aux Conseils, pour la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté, demanderesse au pourvoi incident.
La société Caisse d'épargne et de prévoyance de Bourgogne Franche-Comté fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la SCI Mermoz revevable ;
alors que à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait, sauf si ces nouvelles prétentions tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, ou qu'elles en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ; qu'en déclarant la SCI Mermoz recevable, quand il résulte des énonciations de l'arrêt qu'elle demandait au tribunal de prononcer la nullité de la stipulation des intérêts conventionnels et à la cour d'appel de dire et juger que la sanction d'un taux effectif global erroné est la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, prétention nouvelle, étrangère à toute compensation, qui n'est pas née de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou la révélation d'un fait, ne tendait pas aux mêmes fins que la demande initiale et n'en était ni l'accessoire, ni la conséquence ou le complément, la cour d'appel a violé les articles 564, 565 et 566 du code de procédure civile. | La demande en annulation d'une stipulation d'intérêts avec substitution du taux légal tend aux mêmes fins que celle en déchéance du droit aux intérêts dès lors qu'elles visent à priver le prêteur de son droit à des intérêts conventionnels |
8,049 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 606 FS-B
Pourvoi n° A 21-21.382
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société Primo Levi, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° A 21-21.382 contre l'arrêt rendu le 18 juin 2021 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Mme [K] [O], domiciliée [Adresse 4], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Merat Workshop sise [Adresse 1],
3°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la société Primo Levi, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société civile de construction-vente Résidence Primo Lévi (la SCCV) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [O], prise en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Merat Workshop.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 18 juin 2021), la SCCV a confié à la société Merat Workshop, assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de la construction de logements.
3. Les lots gros oeuvre et chauffage-plomberie ont été confiés à la société Bati Ten.
4. Un contrat d'assurance dommages-ouvrage a été souscrit auprès de la société Axa France IARD (la société Axa).
5. Le maître de l'ouvrage a notifié à la société Bati Ten la résiliation du marché pour manquement à ses obligations contractuelles et cette société a ensuite été mise en liquidation judiciaire.
6. Se plaignant de désordres et de trop-versés, la SCCV a assigné les sociétés Merat Workshop, MAF et Axa en indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens Sur le premier moyen, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. La SCCV fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande dirigée contre la société Axa au titre des travaux de reprise des désordres affectant la solidité de l'ouvrage, alors « que le contrat de maîtrise d'oeuvre conclu entre la SCCV et la société Merat Workshop stipule que le maître d'ouvrage « s'interdit de donner directement quelque ordre que ce soit aux entreprises », et que le maître d'oeuvre a notamment pour mission « l'établissement et l'envoi des courriers de toutes natures nécessités par [sa] mission afin d'assurer une qualité parfaite et le respect de son planning » et « le contrôle de l'avancement des travaux et des situations d'entreprise » ; qu'en affirmant néanmoins qu'aucun mandat n'avait été donné par la SCCV à la société Merat Workshop pour mettre en demeure les entreprises défaillantes de remédier aux manquements constatés, la cour d'appel a dénaturé le contrat susvisé, en violation de l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a retenu, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, du contrat de maîtrise d'oeuvre, que son ambigüité rendait nécessaire, que si ce contrat autorisait le maître d'oeuvre à adresser tous courriers utiles aux entreprises pour l'exécution de sa mission de direction des travaux, il ne contenait aucun mandat exprès à l'effet d'adresser aux entreprises défaillantes une mise en demeure avant résiliation du contrat.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. La SCCV fait le même grief à l'arrêt, alors « que si l'article L. 242-1 du code des assurances dispose que la garantie dommage-ouvrages prend effet lorsque, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, il n'exige pas pour autant que l'entrepreneur ait été mis en demeure par le maître d'ouvrage personnellement, la mise en demeure notifiée par le maître d'oeuvre chargé de suivre les travaux produisant les mêmes effets ; qu'en décidant que la garantie ne pouvait être due au seul motif qu'il n'était pas justifié d'une mise en demeure émanant du maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
12. La mise en demeure s'entendant de l'acte par lequel une partie à un contrat interpelle son cocontractant pour qu'il exécute ses obligations, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la mise en demeure qui, en application de l'article L. 242-1 du code des assurances, devait être adressée à l'entrepreneur avant la résiliation de son contrat, devait émaner du maître de l'ouvrage ou de son mandataire.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
14. La SCCV fait le même grief à l'arrêt, alors « que la formalité de la mise en demeure n'est pas requise lorsqu'elle est inutile, notamment en cas de cessation de l'activité de l'entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d'ouvrage ; qu'en jugeant que la société Axa, assureur dommages-ouvrage, ne devait pas sa garantie à défaut de mise en demeure adressée par la SCCV à la société Bati Ten avant la résiliation des marchés de travaux signifiée par courrier du 26 janvier 2010, après avoir relevé que l'entrepreneur avait été placé en liquidation judiciaire par jugement du 25 mai 2010, ce dont il résultait que le contrat avait été régulièrement résilié à cette date et que la mise en demeure n'était pas requise, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
15. En application de l'article L. 242-1 du code des assurances, la garantie de l'assureur dommages-ouvrages n'est due, pour les dommages apparus avant la réception de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs sur le fondement de l'article 1792 du code civil, que si, après une mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations.
16. Le maître de l'ouvrage ne peut se dispenser de cette formalité que quand elle s'avère impossible ou inutile, notamment en cas de cessation de l'activité de l'entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d'ouvrage.
17. La cour d'appel, qui a retenu que la SCCV avait, plusieurs mois avant la mise en liquidation judiciaire de l'entrepreneur, notifié à la société Bati Ten, sans mise en demeure préalable, la résiliation du contrat de louage d'ouvrage, en a exactement déduit que les conditions d'application de la garantie de l'assureur dommages-ouvrage avant réception n'étaient pas réunies.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile de construction-vente Résidence Primo Lévi aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la société Primo Levi
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
La société Primo Levi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir déboutée de sa demande dirigée contre la société Mutuelle des architectes français au titre des trop-versés à la société Batin Ten ;
1°- ALORS QUE la police d'assurance souscrite par la société Merat Workshop auprès de la Mutuelle des architectes garantit l'architecte contre les conséquences pécuniaires des responsabilités qu'il encourt dans l'exercice de sa profession telle qu'elle est définie par la législation et la réglementation en vigueur ; qu'en jugeant que ne relevait pas du champ d'application du contrat l'exercice déontologiquement anormal de sa profession d'architecte par la société Merat Workshop, pour avoir organisé la double rémunération de ses prestations par le maître d'ouvrage et le constructeur, quand cette faute ne suffisait pas à établir qu'elle avait exercé une activité qui ne relevait pas de la profession d'architecte et n'était pas comprise dans le champ d'application de la garantie, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil ;
2° ALORS subsidiairement QU'une clause d'exclusion de garantie insérée dans un contrat d'assurance n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée ; qu'en retenant que pourrait être licite un contrat d'assurance couvrant la responsabilité d'architecte pour les seules activités conformes à la législation et à la réglementation en vigueur, de telle sorte que la garantie pourrait être écartée su seul fait que l'architecte a exercé sa profession dans des conditions déontologiquement anormales, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
3°- ALORS, tout aussi subsidiairement, QUE seules les conséquences dommageables de l'exercice déontologiquement anormal de la profession d'architecte pourraient exclues de la garantie couvrant les conséquences pécuniaires des responsabilités qu'il encourt dans l'exercice normal de sa profession ; que la cour d'appel a relevé que la société Merat Workshop avait manqué à son devoir d'indépendance et de loyauté à l'égard du maître de l'ouvrage en signant des conventions d'études avec la société de travaux Batiten prévoyant une rémunération faisant double emploi avec celle due par le maître de l'ouvrage ; qu'en retenant que la validation par l'architecte des situations de travaux présentées par la société Batiten s'était inscrite dans le cadre de cet exercice déontologiquement anormal de la profession d'architecte tout en refusant de rechercher si les rémunérations prévues avaient effectivement été versées ni si leur versement était à l'origine de la validation de situation de travaux non réalisés, la cour d'appel a violé les articles L. 113-1 et L. 113-5 du code des assurances ;
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire) :
La société Primo Levi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir déboutée de sa demande dirigée contre la société Axa au titre des travaux de reprise des désordres affectant la solidité de l'ouvrage.
1°- ALORS QUE le contrat de maîtrise d'oeuvre conclu entre la société Primo Levi et la société Merat Workshop stipule que le maître d'ouvrage « s'interdit de donner directement quelque ordre que ce soit aux entreprises », et que le maître d'oeuvre a notamment pour mission « l'établissement et l'envoi des courriers de toutes natures nécessités par [sa] mission afin d'assurer une qualité parfaite et le respect de son planning » et « le contrôle de l'avancement des travaux et des situations d'entreprise » ; qu'en affirmant néanmoins qu'aucun mandat n'avait été donné par la société Primo Levi à la société Merat Workshop pour mettre en demeure les entreprises défaillantes de remédier aux manquements constatés, la cour d'appel a dénaturé le contrat susvisé, en violation de l'article 1134 devenu 1103 du code civil ;
2°- ALORS, au surplus, QUE si l'article L. 242-1 du code des assurances dispose que la garantie dommage-ouvrages prend effet lorsque, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, il n'exige pas pour autant que l'entrepreneur ait été mis en demeure par le maître d'ouvrage personnellement, la mise en demeure notifiée par le maître d'oeuvre chargé de suivre les travaux produisant les mêmes effets ; qu'en décidant que la garantie ne pouvait être due au seul motif qu'il n'était pas justifié d'une mise en demeure émanant du maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
3°- ALORS, subsidiairement, QUE la formalité de la mise en demeure n'est pas requise lorsqu'elle est inutile, notamment en cas de cessation de l'activité de l'entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d'ouvrage ; qu'en jugeant que la société Axa, assureur dommages-ouvrage, ne devait pas sa garantie à défaut de mise en demeure adressée par la société Primo Levi à la société Batiten avant la résiliation des marchés de travaux signifiée par courrier du 26 janvier 2010, après avoir relevé que l'entrepreneur avait été placé en liquidation judiciaire par jugement du 25 mai 2010, ce dont il résultait que le contrat avait été régulièrement résilié à cette date et que la mise en demeure n'était pas requise, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code des assurances. | La mise en demeure s'entendant de l'acte par lequel une partie à un contrat interpelle son cocontractant pour qu'il exécute ses obligations, une cour d'appel retient, à bon droit, que la mise en demeure qui, en application de l'article L. 242-1 du code des assurances, doit être adressée à l'entrepreneur avant la résiliation de son contrat, doit émaner du maître de l'ouvrage ou de son mandataire |
8,050 | CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 607 FS-B
Pourvoi n° B 21-12.114
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société Voestalpine Rotec GMBH, en qualité de mandataire ad hoc de la société Voestalpine Rotec France, dont le siège est [Adresse 3] (Autriche), a formé le pourvoi n° B 21-12.114 contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Sofiadis, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la commune d'[Localité 4], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La société Sofiadis a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation également annexé au présent arrêt ;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Voestalpine Rotec GMBH, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Sofiadis, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2018), par acte du 22 juin 2010, la société Voestalpine Rotec France (la société VARF), propriétaire d'un immeuble situé sur le territoire de la commune d'[Localité 4], a consenti à la société Le Bouraq, devenue la société Sofiadis, un bail dérogatoire assorti d'une promesse unilatérale de vente au prix de 1 300 000 euros.
2. Le 13 février 2012, la commune a notifié sa décision d'exercer son droit de préemption.
3. Le 23 février 2012, dans le délai imparti par la promesse, qui avait été prorogé, la société Sofiadis a levé l'option.
4. Selon acte authentique du 14 décembre 2012, la société VARF a vendu l'immeuble à la commune.
5. Par un arrêt confirmatif du 26 juin 2015, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Paris a annulé la décision de préemption.
6. La société VARF ayant refusé la rétrocession du bien, qui lui avait été proposée conformément aux dispositions de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la commune l'a proposé à la société Sofiadis, avec laquelle elle a conclu, le 8 septembre 2015, une promesse de vente.
7. La société Sofiadis a assigné la société VARF et la commune pour faire annuler la vente du 14 décembre 2012 et faire déclarer parfaite la vente qu'elle avait précédemment conclue avec la société VARF.
8. La société VARF ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés, la société Voestalpine Rotec GmbH (la société Voestalpine) a été désignée en qualité de mandataire ad hoc pour la représenter.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
9. La société Sofiadis fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir déclarer parfaite la vente à son profit de l'immeuble par la société VARF aux conditions de la promesse du 23 février 2012, alors :
« 1°/ que l'annulation de la préemption exercée de manière illicite implique que le préempteur soit réputé ne jamais avoir été propriétaire du bien ; que ce préempteur n'a pu, en conséquence, transférer valablement le bien litigieux, puisqu'il en a jamais eu la propriété ; que, pourtant, après avoir constaté que, à la suite de l'annulation de la préemption « la commune d'[Localité 4] est réputée n'avoir jamais été propriétaire du bien », la cour d'appel a retenu que la société Sofiadis avait « acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme organisant le sort du bien acquis à la suite d'une décision de préemption déclarée nulle ou illégale » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui excluent la qualité de propriétaire de la commune, tout en reconnaissant que la commune ait pu valablement transférer la propriété du bien à la société Sofiadis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme ;
2°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la force obligatoire du contrat s'impose tant aux parties qu'au juge, qui en est le garant ; que la cour d'appel a annulé la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société VARF et la commune redonnant force obligatoire à l'acte initialement conclu entre la société VARF et la société Sofiadis, acheteur évincé ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que le 23 février 2012 la société Sofiadis avait demandé au vendeur la réalisation de la vente à son bénéfice ; qu'elle a pour autant refusé de prononcer le perfectionnement de la vente ; qu'en statuant ainsi, en privant l'acte de sa force obligatoire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 1134 dans sa rédaction applicable à la cause, devenu 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. Ayant relevé qu'à la suite de la mise en oeuvre de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la société Sofiadis avait, le 8 septembre 2015, conclu avec la commune une promesse de vente, la cour d'appel en a exactement déduit que cette société n'était plus fondée à réclamer l'exécution de la promesse de vente portant sur ce même immeuble, que lui avait consentie la société VARF le 22 juin 2010.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
12. La société Voestalpine, ès qualités, fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de la société Sofiadis et d'annuler la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société VARF et la commune, alors « que dans le cas où l'ancien propriétaire a renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition du bien dont la décision de préemption a été annulée, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien ; qu'il était constant en l'espèce que la société VARF avait renoncé à l'acquisition que lui avait proposée la commune après l'annulation de décision de préemption, et que la commune était restée en conséquence seule propriétaire de l'immeuble dont elle devait proposer l'acquisition à la société Sofiadis, ce qu'elle avait fait, une promesse ayant été signée entre les parties ; qu'en énonçant de façon erronée et contradictoire, pour annuler la vente conclue entre la société VARF et la commune, que celle-ci était réputée ne jamais avoir été propriétaire du bien, et que la société Sofiadis avait acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 213-11-1 du code de l'urbanisme :
13. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
14. En application du second, lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption doit proposer l'acquisition du bien en priorité aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel, et, en cas de renonciation expresse ou tacite de ceux-ci à l'acquisition, à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration d'intention d'aliéner.
15. Il résulte de ces textes que, lorsque, après s'être acquitté de son obligation de proposer l'acquisition du bien à l'ancien propriétaire, qui y a renoncé, le titulaire du droit de préemption propose cette acquisition à l'acquéreur évincé, qui l'accepte, celui-ci n'est plus recevable à demander l'annulation de la vente conclue avec l'ancien propriétaire à compter de la date de la conclusion de la promesse de vente.
16. Pour déclarer recevable la demande de la société Sofiadis et annuler la vente conclue entre la commune et la société VARF, l'arrêt retient que, en sa qualité d'acquéreur évincé à la suite de la décision, ultérieurement annulée, de la commune d'exercer son droit de préemption sur le bien, la société Sofiadis a intérêt à agir en annulation de la vente conclue entre la commune et la société VARF et que sa demande en annulation est donc recevable.
17. L'arrêt ajoute que la vente conclue entre la société VARF et la commune en application d'une décision administrative qui a été annulée doit être elle-même déclarée nulle et que, en conséquence de cette annulation, la commune est réputée n'avoir jamais été propriétaire du bien.
18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société Sofiadis avait conclu une promesse de vente avec la commune, ce dont il résultait qu'elle n'était plus recevable à agir en annulation de la vente conclue entre la société VARF et cette commune, demeurée propriétaire en dépit de l'annulation de la décision de préemption, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
21. Du seul fait qu'elle a conclu, le 8 septembre 2015, une promesse de vente avec la commune, la société Sofiadis n'est plus recevable à demander l'annulation de la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la commune et la société VARF. PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevable la demande de la société Sofiadis et annule la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société Voestalpine Rotec France et la commune d'[Localité 4] portant sur l'immeuble à usage industriel et de bureaux situé à [Adresse 5], l'arrêt rendu le 16 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE irrecevable la demande en annulation de la vente conclue le 14 décembre 2012 formée par la société Sofiadis ;
REJETTE le pourvoi incident ;
Condamne la société Sofiadis aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Voestalpine Rotec GMBH (demanderesse au pourvoi principal)
La société Voestalpine Rotec GmbH fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la demande de la société Sofiadis et d'avoir annulé la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société VARF et la commune d'[Localité 4] ;
ALORS QUE dans le cas où l'ancien propriétaire a renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition du bien dont la décision de préemption a été annulée, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien ; qu'il était constant en l'espèce que la société VARF avait renoncé à l'acquisition que lui avait proposée la commune d'[Localité 4] après l'annulation de décision de préemption, et que la commune était restée en conséquence seule propriétaire de l'immeuble dont elle devait proposer l'acquisition à la société Sofiadis, ce qu'elle avait fait, une promesse ayant été signée entre les parties ; qu'en énonçant de façon erronée et contradictoire, pour annuler la vente conclue entre la société VARF et la commune d'[Localité 4], que celle-ci était réputée ne jamais avoir été propriétaire du bien, et que la société Sofiadis avait acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L.213-11-1 du code de l'urbanisme, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L.213-11-1 du code de l'urbanisme.
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour la société Sofiadis (demanderesse au pourvoi incident)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Sofiadis de sa demande tendant à voir déclarer parfaite la vente à son profit de cet immeuble par la société Voestalpine Rotec France aux conditions de la promesse du 24 février 2012.
Alors que l'annulation de la prémption exercée de manière illicte implique que le préempteur soit réputé ne jamais avoir été propriétaire du bien ; que ce préempteur n'a pu, en conséquence, transférer valablement le bien litigieux, puisqu'il en a jamais eu la propriété ; que, pourtant, après avoir constaté que, à la suite de l'annulation de la préemption « la Commune d'[Localité 4] est réputée n'avoir jamais été propriétaire du bien », la cour d'appel a retenu que la société Sofiadis avait « acquis l'immeuble litigieux à la suite de la procédure prévue par l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme organisant le sort du bien acquis à la suite d'une décision de préemption déclarée nulle ou illégale » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs qui excluent la qualité de propriétaire de la commune, tout en reconnaissant que la commune ait pu valablement transférer la propriété du bien à la société Sofiadis, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme ;
Alors que, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que la force obligatoire du contrat s'impose tant aux parties qu'au juge, qui en est le garant ; que la cour d'appel a annulé la vente conclue le 14 décembre 2012 entre la société Voestalpine Rotec France et la commune d'[Localité 4] redonnant force obligatoire à l'acte initialement conclu entre la société Voestalpine Rotec France et la société Sofiadis, acheteur évincé ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que le 23 février 2012 la société Sofiadis avait demandé au vendeur la réalisation de la vente à son bénéfice ; qu'elle a pour autant refusé de prononcer le perfectionnement de la vente ; qu'en statuant ainsi, en privant l'acte de sa force obligatoire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé l'article 1134 dans sa rédaction applicable à la cause, devenu 1103 du code civil ; | Lorsque, après s'être acquitté, en application de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, de son obligation de proposer l'acquisition du bien à l'ancien propriétaire, qui y a renoncé, le titulaire du droit de préemption propose cette acquisition à l'acquéreur évincé, qui l'accepte, celui-ci n'est plus recevable à demander l'annulation de la vente conclue avec l'ancien propriétaire à compter de la date de la conclusion de la promesse de vente |
8,051 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 septembre 2022
Cassation partielle
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 465 F-B
Pourvoi n° F 20-21.222
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société Arc en ciel services, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 20-21.222 contre le jugement statuant en la procédure accélérée au fond rendu le 6 octobre 2020 par le président du tribunal judiciaire de Nanterre, dans le litige l'opposant à la société Logirep, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SCP Le Griel, avocat de la société Arc en ciel services, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Logirep, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué, rendu en procédure accélérée au fond, (Nanterre, 6 octobre 2020), le 15 janvier 2020, la société Logirep a lancé un appel d'offres ouvert portant sur l'exécution de prestations d'entretien et de nettoyage des parties communes intérieures et extérieures, le traitement des ordures ménagères, le traitement des encombrants des immeubles de son patrimoine ainsi que le remplacement du personnel d'entretien ménager.
2. Par lettre du 9 mars 2020, elle a annoncé à la société Arc en ciel services le rejet de ses offres pour les lots n° 2 et 7.
3. Le 16 mars 2020, la société Arc en ciel services a délivré à la société Logirep une assignation en procédure accélérée au fond précontractuelle devant le président d'un tribunal judiciaire, sur le fondement des articles 1441-1 à 1441-3 du code de procédure civile, et 2 et 20 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009. En raison des mesures d'urgence sanitaires imposées dans le cadre de la pandémie liée au Covid 19, elle a déposé cette assignation au greffe du tribunal le 15 mai 2020.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La société Arc en ciel services fait grief au jugement de déclarer son recours précontractuel irrecevable comme tardif, alors :
« 1°/ qu'en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge judiciaire avant la conclusion du contrat ; que l'intérêt du demandeur à saisir le juge du référé précontractuel est suffisamment établi dès lors qu'il est établi qu'il a été écarté par le pouvoir adjudicateur dans des conditions susceptibles de l'avoir lésé ; qu'en l'espèce, tandis que la société Arc en ciel services reprochait à la société Logirep d'avoir manqué à ses obligations d'informations dans la notification qui lui avait été faite du rejet de sa candidature, le tribunal a constaté qu'il "n'était (...) pas possible [pour le pouvoir adjudicateur] d'indiquer de délai de recours alors que celui-ci expire avec la signature des contrats, dont la date n'est pas nécessairement prévisible" ; qu'en décidant que le recours en référé précontractuel de la société Arc en ciel services était irrecevable, après avoir pourtant constaté ainsi le manquement de la société Logirep à son obligation d'information sur les délais de recours et, partant, l'intérêt légitime de la société Arc en ciel services à agir en référé précontractuel, le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 ;
2°/ que, s'agissant des marchés passés selon une procédure formalisée, un délai minimal de onze jours doit être respecté entre la date d'envoi de la notification prévue aux articles R. 2181-1 et R. 2181-3, transmise par voie électronique, et la date de signature du marché par l'acheteur ; qu'en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge judiciaire en référé précontractuel avant la conclusion du contrat ; que, cependant, en vertu de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, tout recours qui aurait dû être formé pendant la période du 12 mars 2020 au 11 juin 2020 inclus (art. 1), ce qui était le cas en l'espèce, est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ; que, pour juger que ces dernières dispositions étaient inapplicables au litige, le tribunal a retenu qu'elles étaient "relatives à la prolongation du délai pour accomplir les actes prescrits à peine de caducité" et qu'il ne s'agissait pas, en l'espèce, d'une caducité "mais d'une cause objective d'impossibilité d'introduire un recours précontractuel après la signature du contrat" ; que, cependant, selon son propre intitulé, cette ordonnance ne s'applique pas exclusivement aux cas de caducité mais, d'une manière générale, "à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période", pour tous les actes devant être effectués "à temps" pendant cette période, ce qui était le cas en l'espèce ; qu'en se déterminant dès lors de la sorte pour juger irrecevable le recours en référé précontractuel de la société Arc en ciel services, le tribunal a violé l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 par refus d'application ;
3°/ qu'en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge judiciaire en référé précontractuel avant la conclusion du contrat ; que, cependant, en vertu de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, tout recours qui aurait dû être formé pendant la période du 12 mars 2020 au 11 juin 2020 inclus (art. 1), ce qui était le cas en l'espèce, est "réputé avoir été fait à temps" s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir (11 jours en l'occurrence), dans la limite de deux mois ; que, s'agissant de la saisine du juge en référé précontractuel, l'acte "réputé avoir été fait à temps" ne peut s'entendre que d'un acte accompli avant toute conclusion de contrat ; qu'il s'ensuit que, dès lors que la société Arc en ciel services avait saisi le juge le 15 mai 2020, dans le délai fixé par l'ordonnance du 25 mars 2020, cette saisine était nécessairement réputée être intervenue "à temps" pour saisir le juge en matière précontractuelle, c'est-à-dire avant toute conclusion de contrat, de sorte que ses demandes étaient recevables ; qu'en jugeant dès lors irrecevable son recours précontractuel "comme tardif", au motif qu'il était impossible d'introduire un recours précontractuel après la signature du contrat, le tribunal a violé l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, ensemble les articles R. 2182-1 du code de la commande publique et 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009. »
Réponse de la Cour
5. Dès lors que c'est à bon droit qu'ayant relevé que les contrats des lots n° 2 et 7, litigieux, avaient été conclus par la société Logirep le 13 mai 2020 et qu'il avait été saisi le 15 mai 2020 par la remise de l'assignation au greffe, le tribunal a retenu qu'il n'y avait plus lieu à recours précontractuel à la date de sa saisine, de sorte que celui-ci était irrecevable, il s'ensuit que les griefs du moyen sont inopérants.
6. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société Arc en ciel services fait grief au jugement de déclarer son recours contractuel irrecevable du fait de l'introduction préalable de son référé précontractuel, alors « que le recours régi par la section relative au référé contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article 2, relatif au référé précontractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à l'article 4 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ; qu'en l'espèce, le tribunal a néanmoins jugé que ce principe, qui vise une suspension à compter de la saisine du juge et jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle, soit dans la présente hypothèse à compter du 15 mai 2020, n'était pas applicable au cas d'espèce, dès lors que les contrats litigieux ont été signés le 13 mai 2020 - avant, par conséquent, le point de départ du délai de suspension ; qu'en décidant pourtant que le recours en référé contractuel de la société Arc en ciel services était irrecevable "du fait de la saisine préalable (...) du référé précontractuel", le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 12 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 11 et 12 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 :
8. Aux termes du premier de ces textes, les personnes qui ont un intérêt à conclure l'un des contrats de droit privé mentionnés aux articles 2 et 5 de l'ordonnance et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles ils sont soumis peuvent saisir le juge d'un recours en contestation de la validité du contrat.
La demande est portée devant la juridiction judiciaire.
9. Selon le second, le recours n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article 2 ou à l'article 5 dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l'article 4 ou à l'article 8 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours.
10. Après avoir relevé que les dispositions de l'ordonnance du 7 mai 2009, qui prévoient une suspension à compter de la saisine du juge et jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle, soit en l'espèce après le 15 mai 2020, sont sans objet, dans la mesure où les contrats avaient été conclus le 13 mai 2020, le jugement retient que le recours de la société Arc en ciel services est irrecevable du fait de la saisine préalable du tribunal, même tardive, en recours précontractuel.
11. En statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article 12 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, qui prévoient que le recours contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel, dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à son article 4 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n'ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un candidat évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel tandis qu'il était, au moment de sa saisine, dans l'ignorance de l'effectivité de la conclusion du marché par la société adjudicatrice, et ce, quand bien même aurait-il été informé du projet de celle-ci de procéder à cette conclusion, le tribunal a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen relevé d'office
12. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 11 et 13 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 :
13. Aux termes du second de ces textes, le recours contractuel ne peut être exercé ni à l'égard des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l'égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité.
14. Pour déclarer le recours contractuel de la société Arc en ciel services irrecevable, le jugement, après avoir énoncé que l'article 13 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et les articles R. 2182-1 et R. 2183-3 du code de la commande publique prévoient que le recours ne peut être exercé lorsque le pouvoir adjudicateur a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, retient que la société Logirep s'est conformée à cette obligation, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'elle avait avisé la société Arc en ciel services de cette intention par lettre du 27 mars 2020, information que son avocat reconnaît au surplus avoir reçu aux termes de sa lettre du 6 avril 2020.
15. En statuant ainsi, alors que les contrats litigieux, conclus à l'issue d'un appel d'offres formalisé, n'étaient pas des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable ni des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus, de sorte que l'article 13 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 n'était pas applicable, le tribunal a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable le recours contractuel de la société Arc en ciel services du fait de l'introduction de son recours précontractuel et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement rendu le 6 octobre 2020, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Nanterre ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Versailles ;
Condamne la société Logirep aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Logirep et la condamne à payer à la société Arc en ciel services la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour la société Arc en ciel services.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Arc-en-Ciel Services fait grief au jugement attaqué d'avoir déclaré irrecevable son recours précontractuel comme tardif ;
1° alors qu en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles e st soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge judiciaire avant la conclusion du contrat ; que l'intérêt du demandeur à saisir le juge référé préprécontractuel e st suffisamment établi dès lors qu'il est établi qu'il a été écarté par le pouvoir adjudicateur dans des conditions susceptibles de l'avoir lésé ; qu en l espèce, tandis que la société Arc en Ciel Services reprochait à la société Logirep d'avoir manqué à s es obligations d'informations dans la notification qui lui avait été faite d u rejet de sa candidature, le tribunal a constaté qu'il « n'était (...) pas possible [pour le pouvoir d'indiquer de délai de recours alors que celui ci expire avec la signature des contrats, dont la date n'est pas nécessairement prévisible » (jugement, p. 5, § 5) ; qu' en décidant que le recours en référé précontractuel de la société Arc en Ciel Services était irrecevable, après avoir pourtant constaté ainsi le manquement de la société Logirep à son obligation d'information sur les délais de recours et, partant, l'intérêt légitime de la société Arc en Ciel Services à agir en référé précontractuel, le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 2 de l'ordonnance n° 2009 515 du 7 mai 2009 ;
2° alors que, s'agissant des marchés passés selon une procédure formalisée, un délai minimal de onze jours doit être respecté entre la date d'envoi de la notification prévue aux articles R. 2181 1 et R. 2181 3, transmise par voie électronique, et la date de signature du marché par l'acheteur ; qu'en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge judiciaire en référé précontractuel avant la conclusion du contrat ; que , cependant, en vertu de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020 306 du 25 mars 2020, tout recours qui aurait dû être formé pendant la période du 12 mars 2020 au 11 juin 2020 inclus (art. 1), ce qui était le cas en l'espèce, est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le dé lai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ; que , pour juger que ces dernières dispositions étaient inapplicables au litige, le tribunal a retenu qu'elles étaient « relatives à la prolongation du délai pour accomplir les actes prescrits à peine de caducité » et qu'il ne s'agissait pas, en l'espèce, d'une caducité « mais d'une cause objective d'impossibilité d'introduire un recours précontractuel après la signature du contrat » ; que , cependant, selon son propre intitulé, cette ordonnance ne s'applique pas exclusivement aux cas de caducité mais, d'une manière générale, « à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période », pour tous les actes devant être effectués « à temps » pendant cette période, ce qui était le cas en l'espèce ; qu' en se déterminant dès lors de la sorte pour juger irrecevable le recours en référé précontractuel de la société Arc-en-Ciel Services, le tribunal a violé l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 par refus d'application ;
3° alors qu'en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge judiciaire en référé précontractuel avant la conclusion du contrat ; que, cependant, en vertu de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, tout recours qui aurait dû être formé pendant la période du 12 mars 2020 au 11 juin 2020 inclus (art. 1), ce qui était le cas en l'espèce, est « réputé avoir été fait à temps » s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir (11 jours en l'occurrence), dans la limite de deux mois ; que, s'agissant de la saisine du juge en référé précontractuel, l'acte « réputé avoir été fait à temps » ne peut s'entendre que d'un acte accompli avant toute conclusion de contrat ; qu'il s'ensuit que, dès lors que la société Arc-en-Ciel Services avait saisi le juge le 15 mai 2020 (jugement, p. 5, § 6), dans le délai fixé par l'ordonnance du 25 mars 2020, cette saisine était nécessairement réputée être intervenue « à temps » pour saisir le juge en matière précontractuelle, c'est-à-dire avant toute conclusion de contrat, de sorte que ses demandes étaient recevables ; qu'en jugeant dès lors irrecevable son recours précontractuel « comme tardif », au motif qu'il était impossible d'introduire un recours précontractuel après la signature du contrat, le tribunal a violé l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, ensemble les articles R. 2182-1 du code de la commande publique et 2 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Arc-en-Ciel Services fait grief au jugement attaqué d'avoir déclaré irrecevable le recours contractuel de la société Arc-en-Ciel Services du fait de l'introduction préalable de son référé précontractuel,
1° alors que le recours régi par la section relative au référé contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du recours prévu à l'article 2, relatif au référé précontractuel, lorsque le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à l'article 4 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ; qu'en l'espèce, le tribunal a néanmoins jugé que ce principe, qui vise une suspension à compter de la saisine du juge et jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle, soit dans la présente hypothèse à compter du 15 mai 2020, n'était pas applicable au cas d'espèce, dès lors que les contrats litigieux ont été signés le 13 mai 2020 - avant, par conséquent, le point de départ du délai de suspension ; qu'en décidant pourtant que le recours en référé contractuel de la société Arc-en-Ciel Services était irrecevable « du fait de la saisine préalable (...) du référé précontractuel », le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 12 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 ;
2° alors que les personnes qui ont un intérêt à conclure l'un des contrats de droit privé mentionnés aux articles 2 et 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et qui sont susceptibles d'être lésées par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles ils sont soumis peuvent saisir le juge d'un recours en contestation de la validité du contrat ; que lorsqu'un contrat a été conclu avant l'expiration du délai exigé par l'article R. 2182-1 du code de la commande publique, le juge du référé contractuel est tenu soit de priver d'effets le contrat en l'annulant ou en le résiliant, soit de prononcer une sanction de substitution consistant en une pénalité financière ou une réduction de la durée du contrat, au besoin d'office ; qu'il en est de même lorsque le pouvoir adjudicateur a notifié au candidat évincé sa décision de rejet de sa candidature sans satisfaire aux obligations de motivation et d'information imposées par les articles R. 2181-1 et R. 2181-3 du code de la commande publique, et lorsqu'il ne l'a pas informé, en particulier, sur les recours dont il disposait et les délais auxquels ils étaient soumis ; qu'en effet, dans cette hypothèse, le délai susvisé de l'article R. 2182-1 n'a pas commencé à courir, de sorte que les contrats conclus postérieurement à la notification de rejet de candidature l'ont nécessairement été avant l'expiration du délai de suspension ; qu'il en résulte que le candidat évincé qui se prévaut d'une violation des obligations de motivation et d'information du pouvoir adjudicateur lors de la notification du rejet de sa candidature est nécessairement recevable à saisir le juge en référé contractuel pour faire constater et sanctionner ce manquement ; qu'en l'espèce, tandis que la société Arc-en-Ciel Services reprochait à la société Logirep un tel manquement, le tribunal a relevé qu'il « n'était (...) pas possible [au pouvoir adjudicateur] d'indiquer de délai de recours alors que celui-ci expire avec la signature des contrats, dont la date n'est pas nécessairement prévisible » (jugement, p. 4, § 5) ; qu'en jugeant que le recours en référé contractuel de la société Arc-en-Ciel Services était irrecevable, après avoir pourtant constaté ce manquement, ce dont il résultait que les contrats litigieux avaient été conclus avant l'expiration du délai de suspension, ce dont la société Arc-en-Ciel Services était en droit de demander réparation, le tribunal, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 11 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, ensemble les articles 18 et 19 de ladite ordonnance ;
3° alors que le délai de onze jours prévu par l'article R. 2182-1 du code de la commande publique, qui a pour objet de permettre au candidat évincé de recourir contre la décision de rejet de sa candidature portée à sa connaissance, a pour point de départ la date de notification de cette décision ; que le délai de onze jours prévu par l'article 13 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 a pour objet d'informer les candidats non retenus de l'intention du pouvoir adjudicataire de conclure un contrat ; que ces deux délais, s'ils ont une même durée, ne s'identifient ni par leur objet ni par leur point de départ ; que, pour déclarer irrecevable le recours de la société Arc-en-Ciel Services en référé contractuel, le tribunal a retenu que « l'article 13 de la même ordonnance et les articles R. 2182-1 et R. 2183-3 prévoient que le recours ne peut être exercé lorsque le pouvoir adjudicateur a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication » ; qu'en identifiant ainsi ces dispositions l'une à l'autre pour déterminer si le recours de la société Arc-en-Ciel Services était ou non recevable, le tribunal a violé les textes susvisés par fausse application ;
4° alors que l'article 13 de l'ordonnance du n° 2009-515 du 7 mai 2009 dispose que « le recours régi par le présent article [le recours en référé contractuel] ne peut être exercé ni à l'égard des contrats dont la passation n'est pas soumise à une obligation de publicité préalable lorsque le pouvoir adjudicateur (...) a, avant la conclusion du contrat, rendu publique son intention de le conclure et observé un délai de onze jours après cette publication, ni à l'égard des contrats soumis à publicité préalable auxquels ne s'applique pas l'obligation de communiquer la décision d'attribution aux candidats non retenus lorsque le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a accompli la même formalité » : que, cependant, le pouvoir adjudicateur ne peut pas se prévaloir de ces dispositions lorsque, manquant à ses obligations, il n'a pas respecté les exigences des articles R. 2182-1 et R. 2183-3 du code de la commande publique et l'obligation particulière d'informer le candidat écarté des délais de recours qu'il pouvait exercer ; qu'en effet, dans l'hypothèse d'un tel manquement, le délai de suspension de l'article R. 2182-1 du code de la commande publique n'a jamais couru, de sorte que les contrats ultérieurement conclus, nécessairement illégaux, ne peuvent trouver une légitimation postérieure dans l'expiration du délai de 11 jours de l'article 13 précité ; qu'en l'espèce, le tribunal a constaté que le pouvoir adjudicateur n'avait pas informé la société Arc-en-Ciel Services sur les délais de recours contre sa décision d'écarter sa candidature (jugement, p. 4, § 5) ; qu'il en résultait que le délai de suspension de l'article R. 2182-1 susvisé n'avait pas commencé à courir et que les contrats litigieux ultérieurement conclus étaient illégaux ; qu'en jugeant pourtant que ces dispositions pouvaient justifier l'irrecevabilité du recours en référé contractuel de la société Arc-en-Ciel Services, le tribunal n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation des articles 13 précité et R. 2182-1 et R. 2183-3 du code de la commande publique ;
5° alors que pour justifier la recevabilité de son recours, la société Arc-en-Ciel Services avait notamment fait valoir que, lors de la notification qu'il lui avait faite du rejet de sa candidature, le pouvoir adjudicateur avait manqué gravement à ses obligations d'information, en ne lui indiquant ni les voies de recours pouvant être exercées contre sa décision ni leurs délais, et surtout en ne lui donnant pas les motifs de ce rejet, malgré ses réclamations, et enfin en ne lui donnant aucune information ni sur le nom de l'attributaire ni sur les motifs qui avaient conduit à son choix ; qu'en se bornant dès lors à répondre que des délais n'étaient pas prévisibles et que la société Arc-en-Ciel Services avait pu « correctement initier (sic) son référé précontractuel », sans procéder à aucun examen des manquements tirés du défaut d'information sur les motifs du rejet de la candidature, sur le nom de l'attributaire, sur les motifs qui avaient conduit à son choix, et sans rechercher dès lors si la gravité de ces manquements, susceptibles d'avoir une incidence sur la légalité des contrats, ne justifiaient pas la recevabilité du recours contractuel de la société Arc-en-Ciel Services, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 2182-1, R. 2181-3 du code de la commande publique, ensemble de l'article 11 de l'ordonnance du n° 2009-515 du 7 mai 2009. | Les dispositions de l'article 12 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009, qui prévoient que le recours contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel, dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à son article 4 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n'ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un candidat évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel tandis qu'il était, au moment de sa saisine, dans l'ignorance de l'effectivité de la conclusion du marché par la société adjudicatrice, et ce quand bien même aurait-il été informé du projet de celle-ci de procéder à cette conclusion |
8,052 | N° G 21-83.121 FS-B
N° 00723
RB5
7 SEPTEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2022
Mme [Z] [F], M. [O] [P] et la société [5], et l'Association du restaurant scolaire, partie civile, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 31 mars 2021, qui a condamné la première, pour atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics, à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, le deuxième, pour recel, à six mois d'emprisonnement avec sursis, 15 000 euros d'amende, la troisième, pour recel, à 60 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [O] [P], les observations de Me Bouthors, avocat de Mme [Z] [F], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [5], les observations de Me Laurent Goldman, avocat de l'Association du restaurant scolaire, et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 juin 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Planchon, conseiller rapporteur, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, Mme Mathieu, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 2 juillet 2015, le conseil municipal de la commune de [Localité 3] a décidé d'attribuer la délégation de service public (DSP) de la restauration scolaire de cette commune à la société [5], dirigée par M. [O] [P], et signé le contrat le 28 juillet 2015.
3. L'Association du restaurant scolaire, attributaire de la DSP jusqu'en août 2015 et candidate à sa succession, a déposé plainte pour favoritisme et dénoncé le comportement de l'une de ses employées, Mme [Z] [F], divorcée [C], par ailleurs employée municipale de la commune de [Localité 3] à temps partiel, qui avait travaillé avec la société [5] dans le cadre de l'exécution des précédentes délégations en assurant la distribution des repas fournis par cette société.
4. Le procureur de la République a diligenté une enquête préliminaire dont les investigations ont révélé que Mme [F] a apporté son aide à M. [P] pour la présentation du dossier de candidature de la société [5] qui a revu ses prix à la baisse après la deuxième négociation.
5. A l'issue de l'enquête, le procureur de la République a fait citer Mme [F] pour avoir à [Localité 3], entre le 1er septembre 2014 et le 1er août 2015, étant agent d'une collectivité locale, en l'espèce employée municipale chargée de la restauration scolaire, procuré ou tenté de procurer à autrui un avantage injustifié, en l'espèce notamment en fournissant des informations précises à la société [5], dans le cadre de la procédure d'attribution de la nouvelle DSP de la restauration scolaire de la commune de [Localité 3], et ce, au préjudice des sociétés [1], [4], le groupement [2].
6. M. [P] et la société [5] ont été cités pour avoir à [Localité 3], entre le 1er septembre 2014 et le 18 octobre 2016, sciemment recelé, au préjudice des sociétés [1], [4], le groupement [2], le bénéfice de la DSP de la restauration scolaire de la commune de [Localité 3] d'un montant total de 1 250 000 euros, qu'elle savait provenir du délit d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics, commis par Mme [F], infraction de recel commise pour le compte de la société [5] par un de ses organes ou représentants, en l'espèce M. [P], directeur régional.
7. Par jugement en date du 8 novembre 2018, le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables des faits objet de la prévention et les a condamnés pénalement. Sur l'action civile, après avoir déclaré recevable la constitution de partie civile de l'Association du restaurant scolaire, le tribunal a débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes.
8. Les prévenus, le ministère public et la partie civile ont interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches proposé pour Mme [F], les deuxième moyen, pris en ses trois dernières branches proposé pour M. [P], deuxième moyen, pris en ses trois dernières branches et troisième moyen proposés pour la société [5]
9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé pour M. [P] et le premier moyen proposé pour la société [5]
Enoncé des moyens
10. Le moyen proposé pour M. [P] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas cinq ans d'emprisonnement, entraînant de plein droit, en cas de condamnation définitive, la peine d'exclusion des procédures d'attribution des contrats de concession, alors « que les articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique sont contraires au principe de l'individualisation des peines et au droit d'accès à un juge consacrés par les articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'ils prévoient la peine d'exclusion de plein droit des procédures de passation des marchés et d'attribution des concessions sans qu'un juge ne l'ait expressément prononcée, sans que ne soit tenu compte des circonstances de fait ni de la personnalité de l'intéressé, sans possibilité d'en faire varier la durée, et sans que l'opérateur condamné ne puisse faire la preuve de sa fiabilité ; que l'annulation de ces dispositions par le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité en application de l'article 61-1 de la Constitution, privera de base légale la décision attaquée. »
11. Le moyen proposé pour la société [5] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [Z] [C] du chef d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics, et la société [5] du chef de recel de ce délit, sur le fondement de l'article 432-14 du code pénal, alors « qu'une condamnation du chef de l'article 432-14 du code pénal entraîne automatiquement en application des articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique la sanction complémentaire de l'exclusion des procédures de passation des marchés publics et d'attribution des contrats de concession ; que cette peine complémentaire automatique, sans intervention d'un juge et sans aucune possibilité d'en apprécier l'opportunité, la durée et la proportionnalité au regard de la personne condamnée, est contraire aux articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 et aux principes de nécessité et d'individualisation de la peine et d'accès au juge qui en résultent ; l'annulation des articles L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique par le Conseil constitutionnel privera de tout fondement légal l'arrêt attaqué. »
Réponse de la Cour
12. Les moyens sont réunis.
13. Par décision du 28 janvier 2022 (Cons. Const. 28 janvier 2022, décision n° 2021-966 QPC), le Conseil constitutionnel a dit n'y avoir lieu à statuer sur les questions prioritaires de constitutionnalité des demandeurs.
14. Il en résulte que les moyens sont devenus sans objet.
Sur le moyen unique, pris en sa première branche proposé pour Mme [F] et les deuxième moyen, pris en sa première branche proposé pour M. [P] et deuxième moyen, pris en sa première branche proposé pour la société [5]
Enoncé des moyens
15. Le moyen proposé pour Mme [F] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la requérante du chef de favoritisme à un emprisonnement délictuel de quatre mois avec sursis, alors :
« 1°/ que le délit de favoritisme au sens de l'article L. 432-14 du code pénal est un délit attitré qui ne peut être imputé qu'aux organes et/ou personnes spécialement désignés par ce texte ; qu'en l'absence de tout élément susceptible de rattacher la requérante au cercle restreint des personnes entrant dans le champ de ce texte, la cour a procédé par voie d'analogie et a violé le texte susvisé ensemble le principe d'interprétation stricte de la loi pénale. »
16. Le moyen proposé pour M. [P] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de recel de bien provenant du délit de favoritisme, alors :
« 1°/ que le délit de favoritisme ne peut être imputé qu'à une personne ayant pour mission de s'assurer du respect des règles en matière d'attribution des marchés publics ; qu'en se bornant à énoncer que Mme [C] avait la « qualité d'adjoint administratif 2ème classe affectée au service scolaire pour la gestion et l'organisation des surveillances de la restauration scolaire » et qu'elle était salarié de l'Association du restaurant scolaire, la cour d'appel n'a pas établi les missions exercées par celle-ci quant à l'attribution de la délégation de service public ; que la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 321-1 et 432-14 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
17. Le moyen proposé pour la société [5] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [C] coupable du délit d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics et l'a subséquemment déclarée coupable du délit de recel, par personne morale, du produit de ce délit et condamnée, en conséquence au paiement d'une amende de 60 000 euros, alors :
« 1°/ que tout jugement doit être motivé ; que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que Mme [C] était « l'interlocutrice directe de la directrice générale des services, sa seule supérieure hiérarchique au moment des faits (
) ; qu'elle jouait un rôle déterminant dans l'organisation de la restauration scolaire (
) ; qu'elle avait un accès direct aux élus membres de la commission d'attribution de la délégation de service public (
) et qu'elle constituait la cheville ouvrière de la restauration scolaire de la ville de [Localité 3], interlocuteur incontournable de la mairie pour tout ce qui avait trait à la restauration scolaire » ; que de tels motifs étaient inopérants à caractériser, en sus du simple rôle administratif important de Mme [C], un véritable pouvoir décisionnel dont celle-ci aurait été titulaire dans l'attribution de marchés publics ; qu'en en déduisant toutefois « qu'elle disposait ainsi du pouvoir d'intervenir dans la procédure d'attribution de la délégation de service public au regard des multiples missions qu'elle assumait, de sa connaissance profonde du fonctionnement de la restauration scolaire, du rôle qu'elle jouait tant au sein de la mairie que du groupement en charge de la délégation de service public pour la mise en oeuvre de la politique municipale de restauration scolaire et de l'expertise qu'elle apportait en la matière aux élus », la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision et a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
18. Les moyens sont réunis.
19. Pour déclarer Mme [F] coupable du délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et M. [P] et la société [5] coupables de recel de ce délit, l'arrêt attaqué relève que la première, adjoint administratif, a été affectée au service scolaire pour la gestion et l'organisation des surveillances de la restauration scolaire, qu'elle exerçait ses fonctions au sein de la municipalité pour un tiers de son temps de travail, consacrant les deux autres tiers à ses missions de salariée de l'association au sein de laquelle elle occupait les fonctions de « Responsable du restaurant » et que si elle était fonctionnaire de catégorie C, elle était aussi l'interlocutrice directe de la directrice générale des services, sa seule supérieure hiérarchique au moment des faits.
20. Les juges ajoutent qu'elle jouait un rôle déterminant dans l'organisation de la restauration scolaire en recrutant les vacataires pour le compte de la mairie, en étant chargée des inscriptions à la cantine, des réservations des repas, en assurant le contrôle des présences, la facturation et le recouvrement auprès des familles et qu'elle était l'interlocutrice principale des usagers et de la [5], que ses courriels démontrent qu'elle avait un accès direct aux élus membres de la commission d'attribution de la DSP, le maire ou son adjoint aux finances, lequel l'avait recrutée quelques années auparavant, avec qui elle a eu des échanges avant l'attribution de la DSP et à qui elle a fait part des difficultés qu'elle rencontrait avec l'Association du restaurant scolaire.
21. Ils retiennent qu'en cumulant les fonctions de responsable du restaurant au sein de l'association qui exerçait conjointement avec la société [5] la DSP, et des fonctions d'agent territorial en charge des missions que la commune ne pouvait déléguer dans ce domaine, Mme [F] était la cheville ouvrière de la restauration scolaire de la ville, interlocuteur incontournable de la mairie pour tout ce qui avait trait à ce sujet, qu'elle disposait ainsi du pouvoir d'intervenir dans la procédure d'attribution de la DSP au regard des multiples missions qu'elle assumait, de sa connaissance approfondie du fonctionnement de la restauration scolaire, du rôle qu'elle jouait tant au sein de la mairie que du groupement en charge de la DSP pour la mise en oeuvre de la politique municipale de restauration scolaire et de l'expertise qu'elle apportait en la matière aux élus et qu'elle relève bien de la catégorie des personnes visées par les dispositions de l'article 432-14 du code pénal et susceptibles d'être poursuivies pour délit de favoritisme.
22. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
23. En effet, d'une part, l'article 432-14 du code pénal n'exige pas que la personne poursuivie soit intervenue, en fait ou en droit, dans la procédure d'attribution d'une commande publique.
24. D'autre part, en raison de ses connaissances techniques et du savoir-faire dont elle disposait du fait de son affectation au service de restauration scolaire de la commune, la prévenue disposait de compétences et d'informations privilégiées lui ayant permis de procurer à la société [5] et à son dirigeant M. [P] un avantage injustifié de nature à porter atteinte au principe de liberté d'accès et d'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.
25. Les moyens doivent donc être écartés.
Sur les troisième moyen proposé pour M. [P] et quatrième moyen proposé pour la société [5]
Enoncé des moyens
26. Le moyen proposé pour M. [P] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas cinq ans d'emprisonnement, condamnation dont il résulte, en cas de condamnation définitive, l'application de plein droit de la peine d'exclusion des procédures d'attribution des concessions, alors « que l'application de plein droit de la peine d'exclusion des procédures d'attribution des concessions sans que le juge n'ait expressément prononcé cette peine, sans que ne soient tenus compte des circonstances de fait ni de la personnalité de l'intéressé, sans possibilité d'en faire varier la durée, et sans que l'opérateur condamné ne puisse faire la preuve de sa fiabilité, méconnaît le principe d'individualisation des peines et le droit d'accès au juge ; que dès lors la cour d'appel a méconnu les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 47 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l'attribution des contrats de concession, 132-1 et 132-17 du code pénal, L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
27. Le moyen proposé pour la société [5] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclarée coupable de recel du délit d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics, condamnation dont il résulte, en cas de condamnation définitive, l'application de plein droit de la peine d'exclusion des procédures d'attribution des concessions et des marchés publics, alors « que l'application de plein droit de cette peine sans que le juge l'ait expressément prononcée, sans qu'il soit tenu compte des circonstances de fait ni de la personnalité de l'intéressé, sans possibilité d'en faire varier la durée, et sans que l'opérateur condamné puisse faire la preuve de sa fiabilité, méconnaît le principe d'individualisation des peines et le droit d'accès au juge ; que dès lors la cour d'appel a méconnu les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 47 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 38 de la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 sur l'attribution des contrats de concession, 132-1 et 132-17 du code pénal, L. 2141-1 et L. 3123-1 du code de la commande publique, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
28. Les moyens sont réunis.
29. Les moyens, inopérants en ce qu'ils ne critiquent aucune disposition de l'arrêt attaqué, ne peuvent qu'être écartés.
Mais sur le moyen unique proposé pour l'Association du restaurant scolaire
Enoncé du moyen
30. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes indemnitaires, alors « que le préjudice du candidat évincé ensuite de l'attribution irrégulière d'une délégation de service public se mesure à la chance qu'il a perdue d'obtenir cette délégation ; qu'en retenant toutefois, pour écarter les demandes indemnitaires de l'Association du restaurant scolaire, candidate évincée ensuite de l'attribution irrégulière de la délégation de service public, que la présence d'autres candidats, dont il n'était nullement démontré qu'ils n'avaient aucune chance de se voir attribuer la délégation de service public, ne permettait pas d'établir le caractère certain et direct du préjudice matériel invoqué par l'association, la cour d'appel, qui n'a pas apprécié le préjudice au regard de la chance perdue par l'association évincée, a méconnu l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2 du code de procédure pénale :
31. Selon ce texte, l'action civile en réparation du dommage causé par un délit appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par cette infraction.
32. Pour débouter la partie civile de ses demandes, l'arrêt attaqué énonce que la présence d'autres candidats, dont il n'est nullement démontré qu'ils n'avaient aucune chance de se voir attribuer la DSP, ne permet pas d'établir le caractère certain et direct du préjudice matériel que l'Association du restaurant scolaire invoque et que l'existence de relations de proximité entre Mme [F] et la société [5] ou le fait que l'un des élus de la commune, et non Mme [F], ait pu adresser un courriel dénigrant l'Association du restaurant scolaire, ne permettent pas de caractériser l'existence d'un préjudice moral en lien de causalité avec les infractions commises.
33. En prononçant ainsi, alors qu'il lui appartenait de rechercher si la partie civile avait, compte tenu de son activité, de son expérience ou de tout autre élément, une chance sérieuse d'obtenir la DSP et si l'attribution irrégulière de celle-ci a eu pour conséquence directe de lui faire perdre cette chance, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
34. Il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 31 mars 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale à l'égard de M. [P] et de Mme [F] ;
Fixe à 2 500 euros la somme globale que M. [P], Mme [F] et la société [5] devront payer à l'Association du restaurant scolaire ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt-deux. | L'article 432-14 du code pénal n'exige pas que la personne poursuivie soit intervenue, en fait ou en droit, dans la procédure d'attribution d'une commande publique.
En raison de ses connaissances techniques et du savoir-faire dont elle disposait à raison de son affectation au service de restauration scolaire de la commune, la prévenue bénéficiait de compétences et d'informations privilégiées lui ayant permis de procurer à une société candidate dans le cadre de l'attribution d'une délégation de service public et à son dirigeant un avantage injustifié de nature à porter atteinte au principe de liberté d'accès et d'égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.
Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer la prévenue coupable du délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics, relève que, cumulant les fonctions de responsable du restaurant scolaire au sein de l'association qui exerçait antérieurement la délégation de service public, et les fonctions d'agent territorial en charge des missions de gestion et d'organisation de la restauration scolaire, elle disposait du pouvoir d'intervenir dans la procédure d'attribution de la délégation de service public au regard des multiples missions qu'elle assumait, de sa connaissance approfondie du fonctionnement de la restauration scolaire, du rôle qu'elle jouait tant au sein de la mairie que du groupement en charge de la délégation de service public pour la mise en oeuvre de la politique municipale de restauration scolaire et de l'expertise qu'elle apportait en la matière aux élus |
8,053 | N° P 21-84.322 FS-B
N° 01045
MAS2
7 SEPTEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2022
Mme [X] [P], d'une part, et les sociétés [8], [5], [10] et [4], [6] et l'[7], parties intervenantes, d'autre part, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 30 juin 2021, qui, pour aide à l'entrée et au séjour irrégulier, association de malfaiteurs, complicité d'obtention frauduleuse de document administratif, escroquerie et blanchiment, a condamné la première à trois ans d'emprisonnement avec sursis, 100 000 euros d'amende et a ordonné une mesure de confiscation.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [X] [P], des sociétés [8], [5], [10] et [4], de [6] et de [7], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 juin 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Planchon, conseiller rapporteur, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [X] [P], qui dirige trois établissements d'enseignement privé, [6] ([6]), association créée en 2011, l'[7] ([7]), société créée en août 2005, et le [2] ([2]), association créée le 18 février 2011, tous situés à la même adresse à [Localité 11], a été mise en cause comme étant l'organisatrice, au travers de ces établissements, d'une filière chinoise d'aide au séjour irrégulier en permettant à des ressortissants chinois de s'inscrire dans les écoles aux fins d'obtention du renouvellement de leur titre de séjour d'un an en qualité d'étudiant sur le territoire français moyennant des frais d'inscription d'un montant de 3 000 euros pour une formation purement fictive.
3. Par ailleurs, l'enquête puis l'information ouverte sur les agissements de l'intéressée ont permis de recueillir des éléments tendant à établir qu'elle aurait commis le délit d'escroquerie en présentant faussement l'[6] comme étant un organisme collecteur de la taxe d'apprentissage due par les entreprises, ce qui lui a permis de récupérer une somme de plus de 700 000 euros sur laquelle elle n'a reversé que la somme de 288 000 euros.
4. Les trois écoles utilisent des locaux loués à la société civile immobilière (SCI) [8] créée en 2005, dont les parts sont détenues par Mme [P], son frère M. [R] [P] et le fils de ce dernier, M. [H] [P].
5. Mme [P] est aussi propriétaire de trois autres SCI dont elle possède quatre-vingt-dix-neuf parts sur cent : la SCI [10], créée en 2010, propriétaire d'un débarras, d'un hangar et d'une remise situés à [Localité 12] et acquis pour un montant de 250 000 euros, la SCI [4], créée en 2011,
propriétaire d'un appartement situé à [Localité 11], acquis pour un montant de 775 000 euros et la SCI [5], créée en 2010, propriétaire d'une maison située à [Localité 11] d'une valeur de 800 000 euros qui a servi à loger les étudiants des écoles.
6. Au terme des investigations, il a été procédé le 11 juin 2013 à l'interpellation de six personnes qui ont été mises en examen et renvoyées devant le tribunal. Pour sa part, Mme [P] a été renvoyée devant le tribunal des chefs susvisés, et notamment, du chef d'aide au séjour irrégulier, pour avoir à [Localité 9] courant 2012 et jusqu'au 11 juin 2013, en procédant à l'inscription de ressortissants chinois dans des écoles dont elle était gérante de droit ou de fait ou trésorière, en percevant pour ce faire des rémunérations illicites et non déclarées, en ne dispensant pas les cours nécessaires à la validation des inscriptions ou en présentant les démarches à suivre après inscription comme de simples formalités administratives aux fins d'obtention d'un titre de séjour sur le territoire français, facilité le séjour irrégulier en France de plusieurs dizaines de ressortissants chinois, avec cette circonstance que les faits ont été commis en bande organisée.
7. Par jugement en date du 19 mai 2017, le tribunal correctionnel a relaxé Mme [P] des chefs d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier, de complicité d'obtention indue de documents administratifs et de faux et usage, a requalifié les faits d'escroquerie en bande organisée et de blanchiment en bande organisée en escroquerie et blanchiment, et par voie de conséquence le délit d'association de malfaiteurs, l'a déclarée coupable de ces délits, l'a condamnée à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 100 000 euros d'amende et a ordonné la confiscation de l'ensemble des biens saisis dont les immeubles appartenant aux sociétés [4] et [8] et a ordonné la restitution des sommes saisies sur les comptes bancaires des sociétés [5], [10] et [4] et de la somme de 208 000 euros découverte dans un coffre au nom du neveu de Mme [P].
8. Mme [P], la société [8], à titre principal, et le ministère public, dont l'appel est dirigé contre la seule Mme [P], ont relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité des pourvois formés par les sociétés [5], [10] et [4], l'[6] et l'[7]
9. Les sociétés [5], [10] et [4], l'[6] et l'[7] n'étaient pas parties à la procédure au cours de laquelle des biens leur appartenant ont été saisis.
10. Ces structures, même si les trois premières ont toutefois obtenu la restitution, par le tribunal correctionnel, des fonds figurant au crédit des trois comptes dont elles sont titulaires, n'ont pas été intimées devant la cour d'appel qui a ordonné des mesures de confiscation concernant des biens dont elles sont propriétaires.
11. Le Conseil constitutionnel a jugé non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 131-21 du code pénal prévoyant la confiscation des biens dont la personne condamnée a la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, après avoir relevé que ni ces dispositions ni aucune autre disposition ne prévoient que le propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure soit mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'il revendique et sa bonne foi (Cons. Const., 23 avril 2021, décision n° 2021-899 QPC ; Cons. Const., 23 septembre 2021, décision n° 2021-932 QPC ; Cons. Const., 24 novembre 2021, décision n° 2021-949/950 QPC).
12. Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, d'une part, reporté au 31 mars 2022 la date de l'abrogation des dispositions contestées, d'autre part, décidé que les mesures prises avant la publication de la décision précitée ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
13. L'article 51 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, applicable à compter du 31 décembre 2021, a complété l'article 131-21 du code pénal par un dernier alinéa qui prévoit que lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels un tiers autre que le condamné dispose d'un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si ce tiers dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'il revendique et sa bonne foi.
14. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'en vertu des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention, les personnes dont les biens sont menacés de confiscation doivent se voir conférer le statut de partie au procès dans le cadre duquel la confiscation peut être ordonnée (CEDH, arrêt du 16 avril 2019, Bokova c. Russie, n° 27879/13, § 55 ; CEDH, arrêt du 10 avril 2012, Silickiene c. Lituanie, n° 20496/02, § 50).
15. Pour sa part, la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée à deux reprises sur des mesures de confiscation de biens appartenant à des tiers. Dans une première décision du 14 janvier 2021 (CJUE, arrêt du 14 janvier 2021, OM, C-393/19, § 1) elle a dit pour droit que, d'une part, l'article 2, § 1, de la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil du 24 février 2005 relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime, lu à la lumière de l'article 17, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation d'un instrument utilisé pour commettre une infraction de contrebande qualifiée, lorsque celui-ci appartient à un tiers de bonne foi, d'autre part, l'article 4 de la décision-cadre 2005/212, lu à la lumière de l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation, dans le cadre d'une procédure pénale, d'un bien appartenant à une personne autre que celle qui a commis l'infraction pénale, sans que cette première personne dispose d'une voie de recours effective. Dans une décision du 21 octobre 2021 (CJUE, arrêt du 21 octobre 2021, C-845/19 et C-863/19), elle a dit pour droit, notamment, que l'article 8, §§ 1, 7 et 9, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, lu en combinaison avec l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet la confiscation, au profit de l'État, d'un bien dont il est allégué qu'il appartient à une personne différente de l'auteur de l'infraction pénale, sans que cette personne ait la faculté de se constituer partie à la procédure de confiscation.
16. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les personnes dont le titre est connu ou qui ont réclamé cette qualité au cours de la procédure sont recevables à interjeter appel ou à former un pourvoi en cassation contre la décision ordonnant la confiscation d'un bien leur appartenant.
17. En conséquence, il convient de déclarer recevables les pourvois formés par les sociétés [5], [10] et [4], l'[6] et l'[7].
Examen des moyens
Sur les premier, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième moyens proposés pour Mme [P] et le moyen proposé pour la société [8]
18. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen proposé pour Mme [P]
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [P] coupable du délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger en France, alors :
« 1°/ que le délit d'aide au séjour irrégulier exige, à titre de condition préalable, que la personne étrangère se trouve en situation irrégulière sur le sol français ; qu'il s'ensuit que ce délit ne peut être constitué lorsque la personne étrangère séjourne régulièrement sur le territoire français au moment où l'aide lui est apportée ; que, dès lors, en retenant que la prévenue s'est rendue coupable de ce délit en fournissant, en connaissance de cause, de faux documents à des étudiants étrangers en situation régulière afin de leur permettre d'obtenir le renouvellement de leur titre de séjour qui venait à expiration, la cour d'appel a violé l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, devenu l'article L.823-1 du même code ;
2°/ que le délit d'aide au séjour irrégulier exige, pour être caractérisé, que l'auteur des faits ait connaissance de l'irrégularité de la situation de la personne étrangère au moment où il lui apporte de l'aide ; que, dès lors, en entrant en voie de condamnation, sans constater que la prévenue, qui soutenait que les étudiants étrangers avaient justifié, lors leur inscription, être titulaires d'un titre de séjour en cours de validité, avait connaissance de l'irrégularité de leur situation au moment de la remise des documents litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits, devenu l'article L. 823-1 du même code. »
Réponse de la Cour
20. Pour déclarer Mme [P] coupable du délit d'aide au séjour irrégulier, l'arrêt attaqué relève que les investigations ont permis d'établir qu'avant leur inscription, les étudiants avaient suivi une formation préalable dans d'autres établissements, étaient titulaires d'un titre de séjour en cours de validité et séjournaient régulièrement sur le territoire national, que la thèse de la défense selon laquelle l'article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) ne permettrait pas de poursuivre l'aide apportée à un étranger en situation régulière qui obtient le renouvellement de son titre de séjour grâce à de faux documents, vide les dispositions susvisées d'une partie de leur contenu et confond la notion d'entrée, qui n'est effective que lorsque l'étranger pénètre sur le territoire national et ne bénéficie donc à la date de son entrée d'aucun droit à un séjour, avec celle de séjour qui implique nécessairement une résidence continue sur le territoire national, l'article L. 622-1 visant ces deux situations sans poser comme condition exonératoire l'existence d'un séjour régulier antérieur, et qu'il en résulte que celui qui permet à un étranger de demeurer sur le territoire national, alors qu'il a connaissance de l'expiration de son titre de séjour régulier, et qui lui fournit, en toute connaissance de cause, des documents nécessaires pour lui permettre de bénéficier d'un titre de séjour qu'il n'obtiendrait pas sans ces faux documents, contrevient aux dispositions de l'article précité.
21. Ils retiennent que cette connaissance du caractère temporaire des titres de séjour remis lors de l'inscription et de la nécessité de donner aux étudiants de faux documents pour leur permettre de se maintenir sur le territoire, est établie par les pièces de la procédure qui démontrent, à l'exception de deux enseignements, le BTS MUC et le FLE, le caractère fictif des formations inventées dans le seul but de collecter des frais de scolarité en échange de certificats de scolarité et de relevés de notes de complaisance, l'absence de cours et le caractère simulé des examens résultant d'une stratégie délibérée de Mme [P] qui demandait des paiements en espèces pour dissimuler le chiffre d'affaires, ce dont il résulte que l'existence de ces formations factices ne peut avoir d'autre but que de procurer des faux documents utiles au renouvellement de titres de séjour.
22. Ils relèvent ensuite que la connaissance par Mme [P] de l'emploi des faux documents par les étudiants pour obtenir des titres de séjour est établie par les écoutes téléphoniques dans lesquelles ceux-ci expriment clairement la nécessité d'obtenir de tels documents à cette fin, l'école répondant à leurs demandes en les leur remettant pour faciliter leurs démarches administratives, que le caractère mensonger des inscriptions et leur utilisation à des fins frauduleuses sont démontrés par les tentatives de dissimulation de la prévenue qui, outre le fait qu'elle écourte les conversations téléphoniques et préfère une discussion de vive voix, gère seule l'inscription des élèves et la remise des notes qui échappe aux professeurs, à qui elle ne remet même pas les feuilles de présence, ce qui lui permet de maintenir la plus grande opacité et de piloter les résultats en fonction, non des mérites, mais de sa négociation avec chacun des étudiants, que le fait qu'à la date de remise des faux documents, les étudiants soient en situation régulière ne contrevient pas aux éléments constitutifs de l'infraction, caractérisée par la fourniture à cette seule fin auxdits étudiants des faux documents afin qu'ils renouvellent leur titre de séjour.
23. La cour d'appel retient qu'il est démontré qu'à la date de la remise des faux documents, la prévenue avait connaissance de l'expiration des titres de séjour des étudiants qui sollicitent des faux relevés de notes afin de pouvoir les fournir à la préfecture dans le but de renouveler leur titre de séjour
et conclut qu'il n'y avait aucune ambiguïté pour elle sur le fait que ces documents étaient nécessaires à des étudiants qui, sans leur possession, verraient leur séjour sur le territoire français devenir irrégulier et qui les ont effectivement utilisés pour obtenir leur titre de séjour.
24. En prononçant ainsi, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, desquels il résulte que la prévenue a fourni sciemment à des étudiants étrangers des faux documents que ceux-ci ont remis à l'appui d'un dossier de demande de renouvellement de titre de séjour aux fins d'obtenir indûment un nouveau titre leur permettant ainsi de séjourner irrégulièrement sur le territoire français, peu important que ces étudiants aient été en situation régulière au moment où l'aide a été fournie, la cour d'appel a justifié sa décision.
25. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le huitième moyen proposé pour Mme [P]
Enoncé du moyen
26. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [P] aux peines de trois ans d'emprisonnement avec sursis et de 100 000 euros d'amende et a prononcé la confiscation du bien immobilier appartenant à la société [8], alors :
« 1°/ qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en se référant, dans sa décision, aux éléments qui résultent du dossier et à ceux qu'il a sollicités et recueillis lors des débats ;
qu'en l'espèce, pour condamner Mme [P] aux peines de trois ans d'emprisonnement avec sursis et de 100 000 euros d'amende et pour ordonner la confiscation du bien immobilier de la société [8] en tant qu'instrument de l'infraction, la cour d'appel s'est exclusivement fondée sur l'ampleur de la fraude, ses conséquences économiques, l'âge de la prévenue et l'arrêt des activités délictueuses ; qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur la personnalité de la prévenue et sur sa situation matérielle, familiale et sociale, alors que celle-ci était présente à l'audience et pouvait donc répondre à toute question permettant aux juges de s'informer sur sa situation personnelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21, 132-1 et 132-20 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que le juge qui prononce une amende doit, en outre, motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu, en se référant, dans sa décision, aux éléments qui résultent du dossier et à ceux qu'il a sollicités et recueillis lors des débats ; que, dès lors, en se fondant exclusivement, pour condamner Mme [P] au paiement d'une amende de 100 000 euros, sur le montant des gains prétendument réalisés grâce aux infractions dont elle a été déclarée coupable, sans s'expliquer sur le montant de ses charges, alors que celle-ci était présente à l'audience et pouvait donc répondre à toutes les questions des juges leur permettant d'évaluer sa situation financière, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1 et 132-20 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
27. Pour condamner Mme [P] à trois ans d'emprisonnement avec sursis, 100 000 euros d'amende et ordonner des mesures de confiscation, l'arrêt attaqué relève, notamment, qu'il convient de confirmer la peine d'emprisonnement qui apparaît comme la réponse la plus adéquate et à même d'éviter tout risque de récidive, compte tenu de l'ampleur de la fraude, de ses conséquences économiques tant au titre de la taxe d'apprentissage que de l'aide au séjour irrégulier de dizaines de ressortissants chinois, pour l'essentiel, que cependant, en raison de l'âge de la prévenue, de l'arrêt des écoles, et notamment des cours fictifs, cette peine peut être entièrement assortie d'un sursis, l'équilibre de la sanction nécessitant de privilégier une sanction économique en augmentant les confiscations.
28. Les juges ajoutent, s'agissant de la peine d'amende, que Mme [P] a accumulé un patrimoine tout à fait conséquent, qu'outre l'escroquerie à la taxe d'apprentissage, dont le produit est égal à 429 000 euros, l'aide aux séjours irréguliers a généré au minimum un gain de 500 000 euros, que l'[6] a transféré sans aucun motif économique aux sociétés et à l'[7] la somme de 709 000 euros provenant, à hauteur de 429 000 euros, de la fraude à la taxe d'apprentissage, et à hauteur de 280 000 euros, du délit d'aide au séjour irrégulier, ces fonds ne pouvant avoir d'autre origine, tout comme la somme de 248 000 euros retrouvée dans le coffre de Mme [P] qui privilégiait un paiement en espèces, ce dont il résulte que le produit total des infractions imputables à Mme [P] est égal à 900 000 euros au minimum et qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges quant au prononcé d'une amende de 100 000 euros, compte tenu des gains réalisés.
29. Ils retiennent, s'agissant des peines de confiscation, que la sanction patrimoniale apparaît la plus adaptée dès lors que l'enrichissement constitue la finalité des délits et que deux biens immobiliers et les sommes détenues sur les comptes bancaires des sociétés et des écoles ont fait l'objet d'ordonnances de saisie pénale au profit de l'AGRASC.
30. Ils relèvent que si Mme [P] n'est effectivement actionnaire de la société [8] qu'à hauteur de 13 %, elle en a la libre disposition dès lors que les locaux de cette société sont loués aux trois écoles dont Mme [P], gérante, détermine seule l'utilisation de l'actif social, sans aucun contrôle de la régularité des baux dont elle est à la fois le bailleur et le preneur, que Mme [P] gère la société [8] dans son seul intérêt, en lui permettant de percevoir 543 500 euros de loyers de l'[6] en l'absence de tout contrat de bail, et en admettant que l'[7] et le [2] ne règlent que partiellement les loyers dus, ce qui démontre que les paiements par les écoles correspondent au reversement des sommes captées par les fraudes, que Mme [P] utilise l'argent de la société [8] pour ses besoins personnels en versant, sans contrepartie, les fonds de celle-ci aux autres sociétés qui lui appartiennent exclusivement, que la société [8] lui a également versé la somme de 341 000 euros alors qu'elle ne détient que 13 % des parts et qu'il n'est ni soutenu ni démontré que ce versement en sa faveur correspondrait à une distribution de dividendes et que cette société apparaît donc comme l'outil de transfert des fonds collectés par la fraude reversés directement ou indirectement par les trois sociétés à la prévenue qui en a donc la libre disposition.
31. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.
32. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.
Sur le neuvième moyen proposé pour Mme [P]
Enoncé du moyen
33. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation des fonds inscrits au crédit des deux contrats d'assurance-vie dont Mme [P] est titulaire et des sommes inscrites au crédit des comptes détenus par les sociétés [5], [10], [4], l'[7] et l'[6], alors :
« 1°/ que l'affaire est dévolue à la cour d'appel dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant ; qu'en ordonnant la confiscation des sommes inscrites sur les comptes bancaires des sociétés [5], [10], [4] et de l'[7], lorsque le tribunal correctionnel avait ordonné la restitution de ces fonds à ces sociétés et que le ministère public a interjeté appel incident contre Mme [P], la cour d'appel a violé les articles 500, 502, 509 et 515 du code de procédure pénale ;
2°/ que les juges qui prononcent la confiscation d'un bien en tant que produit direct ou indirect de l'infraction doivent établir l'origine frauduleuse de ce bien ; qu'en se bornant à énoncer, pour confirmer la confiscation des deux contrats d'assurance-vie pour des montants respectifs de 398 735 euros et de 116 047 euros, soit un montant total de 514 782 euros, que ces fonds sont « le produit direct de la fraude », sans mieux s'expliquer sur leur origine, alors que la prévenue soutenait qu'il ressortait du rapport d'expertise-comptable versé aux débats que « les apports financiers sur ces assurances ont principalement été réalisés en 2010 » et que ce rapport indique que les apports initiaux effectués en juin 2010 s'élèvent à 400 000 euros, ce dont il se déduisait qu'à hauteur de ce montant, les sommes inscrites sur ces assurances vie ne pouvaient provenir ni du délit d'aide au séjour irrégulier poursuivi commis « courant 2012 et 2013 », ni intégralement du délit l'escroquerie poursuivie, évalué par les juges d'appel à la somme totale de 429 313 euros pour une période comprise « entre courant 2010 et le 11 juin 2013 », la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21, 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512, 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que les juges qui prononcent la confiscation d'un bien en tant que produit direct ou indirect de l'infraction doivent établir l'origine frauduleuse de ce bien ; qu'en l'espèce, pour infirmer la restitution des sommes saisies sur les comptes des sociétés [5], [10] et [4] et en ordonner la confiscation, la cour d'appel a énoncé que ces sommes étaient « également le produit de la fraude, puisque les sommes reçues sont supérieures aux sommes confisquées
(38 774,39 euros confisqués pour la SCI [5] qui a reçu 86 000 euros, 2 949,17 euros contre 45 000 euros pour la société [10] et 16 923,14 euros pour la SCI [4] qui a reçu 240 000 euros de la SCI [8] » ; qu'en l'état de ces motifs qui n'établissent pas que les sommes confisquées proviennent des délits dont la prévenue a été déclarée coupable, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21, 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512, 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'enfin, il incombe au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu ; qu'en se bornant à affirmer, pour confirmer la confiscation de la somme de 8 593,27 euros inscrite au crédit d'un compte bancaire dont l'[7] est titulaire, que cette somme est « le support du délit d'aide au séjour irrégulier », sans mieux s'expliquer sur le fondement de cette mesure de confiscation et sur l'origine de ces fonds, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21, 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512, 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
34. Il résulte des pièces de procédure, et plus précisément de l'acte d'appel du ministère public, que celui-ci a interjeté appel des dispositions pénales du jugement ayant condamné Mme [P] à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 100 000 euros d'amende et ayant ordonné, à titre de peine complémentaire, la confiscation de l'objet de l'infraction et celle du produit de l'infraction, l'acte précisant que l'appel est dirigé contre Mme [P].
35. La cour d'appel a infirmé le jugement en ce qu'il a ordonné la restitution des sommes saisies sur les comptes des trois sociétés, qui sont également le produit de la fraude.
36. En prononçant ainsi, et dès lors que l'acte d'appel du ministère public inclut nécessairement l'appel des peines prononcées à l'encontre de Mme [P], y compris dans les limitations qui y ont été apportées par les restitutions ordonnées par le jugement, la cour d'appel a justifié sa décision.
37. D'où il suit que le grief doit être écarté.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
38. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
39. Pour ordonner la confiscation des deux contrats d'assurance-vie dont la prévenue est titulaire pour des montants respectifs de 398 735 euros et de 116 047 euros, l'arrêt énonce que le produit des délits a été estimé à 900 000 euros et qu'il a été mouvementé sur les comptes des sociétés et sur ceux de l'[6] et de l'[7] et au final sur les comptes de la prévenue, ces sommes étant directement confiscables sur ce fondement.
40. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la demanderesse qui faisait valoir que les sommes figurant sur ces contrats avaient été versées en 2010, soit antérieurement à la date des faits, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
41. La cassation est, par conséquent, encourue de ce chef.
Et sur les premier et second moyens proposés pour les sociétés [5], [10] et [4], l'[6] et l'[7]
Enoncé des moyens
42. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la confiscation du solde de la somme de 108 163,36 euros sur le compte bancaire et le livret A de l'[6] ouverts à la [1], de la somme de 38 774,39 euros saisie sur le compte bancaire de la société [5] ouvert à la [13], de la somme de 12 949,12 euros saisie sur le compte bancaire de la société [10] ouvert à la [13], de la somme de 16 923,14 euros saisie sur le compte bancaire de la société [4] ouvert à la [13] et de la somme de 8 593,27 euros saisie sur le compte bancaire de l'[7] ouvert au [3], alors :
« 1°/ que les personnes dont les biens sont menacés de confiscation doivent se voir conférer le statut de partie au procès dans le cadre duquel la confiscation peut être ordonnée ; qu'en prononçant la confiscation de sommes d'argent appartenant à l'[6], aux sociétés [5], [10], [4] et à l'[7] en tant que produit des infractions dont elle déclarait Mme [P] coupable, lorsque ces sociétés, qui n'ont pas été citées à comparaître et ne sont pas intervenues volontairement à l'instance, n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations et de contester effectivement cette peine affectant leur droit de propriété, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier Protocole additionnel à cette Convention, ensemble l'article préliminaire du code de procédure pénale ;
2°/ qu'il résulte des articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212 du 24 février 2005, et 8 de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, lus à la lumière des considérants 33 et 38 de cette directive et des articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que le tiers propriétaire du bien dont la confiscation est envisagée doit se voir offrir la possibilité de présenter ses observations sur la mesure de confiscation affectant son droit de propriété et disposer d'une voie de recours effective à l'encontre de celle-ci ; que, dès lors, en prononçant la confiscation de sommes d'argent appartenant à l'[6], aux sociétés [5], [10], [4] et à l'[7] en tant que produit des infractions dont elle déclarait Mme [P] coupable, lorsque ces sociétés, qui n'ont pas été citées à comparaître et ne sont pas intervenues volontairement à l'instance, n'ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations et de contester effectivement cette peine affectant leur droit de propriété, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;
3°/ qu'enfin, conformément à l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, en cas de doute sur l'interprétation des articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212 du 24 février 2005, et 8 de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, il appartiendra à la Cour de cassation de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle qui pourrait être ainsi rédigée : « les articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212 du 24 février 2005, et 8 de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, lus à la lumière des considérants 33 et 38 de cette directive et des articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui autorise les juridictions répressives internes à prononcer une peine de confiscation portant sur un bien dont le condamné a la libre disposition, sans avoir préalablement recueilli les observations du tiers propriétaire de ce bien ? ». »
43. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la confiscation du solde de la somme de 108 163,36 euros sur le compte bancaire et le livret A de l'[6] ouverts à la [1], de la somme de 38 774,39 euros saisie sur le compte bancaire de la société [5] ouvert à la [13], de la somme de 12 949,12 euros saisie sur le compte bancaire de la société [10] ouvert à la [13], de la somme de 16 923,14 euros saisie sur le compte bancaire de la société [4] ouvert à la [13] et de la somme de 8 593,27 euros saisie sur le compte bancaire de l'[7] ouvert au [3], alors « que les droits du propriétaire de bonne foi doivent être réservés, même lorsque le bien constitue le produit direct ou indirect de l'infraction ; qu'en prononçant la confiscation de sommes inscrites au crédit des comptes bancaires détenus par l'[6], les sociétés [5], [10], [4] et l'IBSCP en tant que produit des infractions dont elle déclarait Mme [P] coupable, sans constater la mauvaise foi de ces sociétés, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 131-21, alinéa 3, du code pénal et de l'article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014. »
Réponse de la Cour
44. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 6, § 1, et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention et 131-21 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, applicable à compter du 31 décembre 2021 :
45. Il résulte des deux premiers de ces textes que toute personne dont le titre est connu ou qui a revendiqué cette qualité pendant la procédure a droit à ce que sa cause soit entendue par une juridiction ordonnant la confiscation d'un bien dont elle est propriétaire ou dont elle revendique la propriété.
46. Il résulte du quatrième de ces textes que lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels toute personne autre que le condamné dispose d'un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si cette personne dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'elle revendique et sa bonne foi.
47. Pour tenir compte des décisions rendues tant par la Cour européenne des droits de l'homme que par la Cour de justice de l'Union européenne rappelées aux paragraphes 14 et 15 du présent arrêt, outre le droit à exercer un recours contre la décision de confiscation consacré au paragraphe 16 de ce même arrêt, la personne propriétaire du bien dont la confiscation est envisagée, dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure et qui est convoquée conformément aux dispositions de l'article 131-21 susvisées, bénéficie des droits suivants.
48. D'une part, si l'article D. 45-2-1 du code de procédure pénale, qui complète l'article 131-21 du code pénal, prévoit que la personne concernée a le droit de présenter elle-même ou par un avocat ses observations à l'audience, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne qu'elle a le droit également de bénéficier de l'assistance d'un avocat tout au long de la procédure, en première instance comme en appel ou en cassation.
49. D'autre part, la juridiction correctionnelle qui statue sur la mesure de confiscation est tenue de s'assurer que lui ont été communiqués en temps utile outre les procès-verbaux de saisie, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie, l'ordonnance et les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires.
50. Pour ordonner la confiscation des comptes bancaires des sociétés [5], [4] et [10] et de l'[6] et de l'[7], l'arrêt attaqué prononce par les motifs repris aux paragraphes 29 et 30 du présent arrêt.
51. Toutefois, la peine de confiscation ordonnée à l'encontre des biens dont sont propriétaires les sociétés [5], [4] et [10] et l'[6] et l'[7] a été prononcée sans que les demandeurs, ainsi que l'exige le dernier alinéa de l'article 131-21 du code pénal, issu de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, applicable au 31 décembre 2021, aient été mis en mesure de présenter leurs observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'ils revendiquent et leur bonne foi.
52. Si la cour d'appel n'encourt aucune censure pour avoir statué comme elle l'a fait au jour de sa décision, aucune disposition ne lui imposant d'entendre les observations des propriétaires des biens dont elle a ordonné la confiscation, l'arrêt attaqué doit cependant être annulé afin qu'il soit prononcé sur la peine de confiscation portant sur des biens dont sont propriétaires les sociétés [5], [4] et [10], l'[6] et l'[7] au regard des nouvelles dispositions de l'article 131-21 du code pénal, dans les conditions énoncées aux paragraphes 47 à 49 ci-dessus.
53. L'annulation est par conséquent encourue.
Portée et conséquence de la cassation
54. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de Mme [P], les dispositions sur la culpabilité sont définitives.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le dixième moyen de cassation proposé pour Mme [P], la Cour :
DÉCLARE RECEVABLES les pourvois des sociétés [5], [10] et [4], de [6] et de [7] ;
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 30 juin 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de Mme [P], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt-deux. | Il résulte des articles 6, § 1, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1 du Protocole additionnel n° 1 à celle-ci que toute personne dont le titre est connu ou qui a revendiqué cette qualité pendant la procédure a droit à ce que sa cause soit entendue par une juridiction ordonnant la confiscation d'un bien dont elle est propriétaire ou dont elle revendique la propriété.
Il résulte de l'article 131-21 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, applicable à compter du 31 décembre 2021, que lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels toute personne autre que le condamné dispose d'un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si cette personne, dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure, n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'elle revendique et sa bonne foi.
Pour tenir compte des décisions rendues tant par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 16 avril 2019, Bokova c. Russie, n° 27879/13, § 55 ; CEDH, arrêt du 10 avril 2012, Silickiene c. Lituanie, n° 20496/02, § 50), que par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 14 janvier 2021, OM, C-393/19, § 61), les personnes dont le titre est connu ou qui ont réclamé cette qualité au cours de la procédure sont recevables à interjeter appel ou à former un pourvoi en cassation contre la décision ordonnant la confiscation d'un bien leur appartenant.
Outre ce droit à exercer un recours contre la décision de confiscation, la personne propriétaire du bien dont la confiscation est envisagée dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure et qui est convoquée conformément aux dispositions de l'article 131-21 susvisées, bénéficie des droits suivants.
D'une part, si l'article D. 45-2-1 du code de procédure pénale, qui complète l'article 131-21 du code pénal, prévoit que la personne concernée a le droit de présenter elle-même ou par un avocat ses observations à l'audience, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne qu'elle a le droit également de bénéficier de l'assistance d'un avocat tout au long de la procédure, en première instance comme en appel ou en cassation.
D'autre part, la juridiction correctionnelle qui statue sur la mesure de confiscation est tenue de s'assurer que lui ont été communiqués en temps utile outre les procès-verbaux de saisie, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie, l'ordonnance et les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires.
Encourt la cassation l'arrêt de la cour d'appel qui ordonne à l'encontre de la prévenue des mesures de confiscations de biens appartenant à des personnes morales qui n'ont pas été mises en mesure de présenter leurs observations au cours des débats |
8,054 | N° H 21-85.236 F-B
N° 01055
MAS2
7 SEPTEMBRE 2022
REJET
Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 SEPTEMBRE 2022
M. [M] [K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 8 avril 2021, qui, pour exportation de marchandises prohibées, l'a condamné à quinze mois d'emprisonnement avec sursis, des amendes douanières et a ordonné des mesures de confiscation et de restitution.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [M] [K], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction générale des douanes et droits indirects et de la direction régionale des douanes et droits indirects de la Réunion, et les conclusions de M. Bougy, avocat général,
après débats en l'audience publique du 22 juin 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme Planchon, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Entre le 14 décembre 2012 et le 30 janvier 2014, les services des douanes ont procédé au contrôle de containers déclarés à l'export, notamment, par M. [M] [K], gérant de la société [2], ayant pour objet l'affrètement et l'organisation de transports, et ont saisi à cette occasion plusieurs tonnes de batteries automobiles usagées non dépolluées à destination de Madagascar.
3. Les batteries automobiles usagées faisant partie des marchandises dont l'exportation, que ce soit pour leur élimination ou leur valorisation, est en principe interdit, ces faits ont été dénoncés au procureur de la République en application des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale.
4. A l'issue de l'information judiciaire, M. [K] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé, déclaration mensongère en vu de l'obtention par une personne publique d'un avantage indu, ainsi que pour le délit douanier de transfert et exportation de déchets dangereux.
5. Par jugement en date du 28 septembre 2018, le tribunal correctionnel a requalifié le délit douanier en violation d'une prohibition légale ou réglementaire d'exportation de marchandises, fait réputé exportation sans déclaration de marchandises prohibées, l'a déclaré coupable de ce chef, l'a relaxé pour le surplus et l'a condamné à quinze mois d'emprisonnement avec sursis, a prononcé à son encontre plusieurs amendes douanières et ordonné la confiscation notamment d'une somme de 9 690 euros saisie au domicile du prévenu.
6. M. [K] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen, en sa première branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a requalifié les faits d'exportation en contrebande de marchandises prohibées en violation d'une prohibition légale ou réglementaire de marchandises prohibées, a déclaré M. [K] coupable de cette infraction et, en répression, l'a condamné à un emprisonnement délictuel de quinze mois ainsi qu'à trois amendes solidairement avec d'autres de 8 500 euros, 2 250 euros et 3 750 euros et a ordonné la confiscation de tous les objets saisis et des scellés, alors :
« 1°/ que constitue un délit toute importation ou exportation sans déclaration de marchandises prohibées ; que le délit douanier précité suppose un fait d'importation ou d'exportation qui se définit comme le franchissement de la frontière douanière vers ou depuis la France ; qu'en constatant seulement la présence de containers dans la commune de [Localité 1] (Le Réunion) et non le franchissement d'une frontière douanière, la cour d'appel ne pouvait, sans violer les articles 369, 414, 428, 38, 39 et 40 du code des douanes et l'article 593 du code de procédure pénale, retenir à l'encontre de M. [K] l'infraction d'exportation sans déclaration de marchandises prohibées. »
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer le prévenu coupable de violation d'une prohibition légale ou réglementaire d'exportation de marchandises, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que les services des douanes avaient saisi, dans des containers déclarés par M. [K] pour le compte de tiers à destination de Madagascar, plusieurs tonnes de batteries usagées ne figurant pas sur les déclarations, dont le caractère prohibé de l'exportation n'était pas contesté, retient qu'il ressort de la procédure pénale que M. [K], gérant et déclarant de la société [2] ayant pour objet l'affrètement et l'organisation de transports, se voyait confier en toute connaissance de cause l'organisation et la gestion complète administrative et douanière des dossiers d'exportation par des exportateurs qui le rémunéraient en espèces.
10. Les juges ajoutent que si le prévenu a contesté sa responsabilité aux motifs qu'il ignorait le contenu des containers et qu'il n'était tenu que d'une infraction fiscale, l'exception de bonne foi et l'absence d'intention ne sauraient être retenues dès lors qu'il ressort des dispositions de l'article 395 du code des douanes que les signataires des déclarations sont responsables des omissions, inexactitudes et autres irrégularités relevées dans les déclarations, et que le prévenu pouvait vérifier le contenu des containers, et en avait même l'obligation en application de l'article précité.
11. En l'état de ces énonciations, dont il résulte que le prévenu, en omettant de mentionner sur les déclarations à l'export les batteries usagées placées dans les containers, a méconnu les dispositions législatives et réglementaires portant prohibition d'exportation de ces marchandises, la cour d'appel a justifié sa décision.
12. En effet, ce seul constat suffit à caractériser l'élément matériel du délit prévu à l'article 428, 1, du code des douanes, réputé exportation sans déclaration de marchandises prohibées, sans qu'il soit nécessaire d'établir le franchissement d'une frontière douanière par la marchandise.
13. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation comme peine complémentaire de tous les objets saisis et des scellés et, en particulier, de l'argent saisi chez M. [K], alors :
« 1°/ que la peine de confiscation prononcée à titre complémentaire et non à titre principal ne peut porter, en application de l'article 430 du code des douanes que sur les marchandises qui ont été ou devaient être substituées dans les cas prévus aux articles 411, § 2, a, 417, § 2, c, et 423, 2°, sur les marchandises présentées au départ dans le cas prévu par l'article 424, 1°, sur les moyens de transport lorsque le conducteur refuse d'obéir aux injonctions visées à l'article 61, § 1 ; qu'en prononçant la confiscation des sommes d'argent dont M. [K] demandait la restitution, à titre de peine complémentaire, bien non prévu par l'article 430 précité, la cour d'appel a méconnu les articles 414 et 430 du code des douanes ;
2°/ qu'en matière correctionnelle toute peine doit être individualisée et motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; que, pour prononcer à l'encontre de M. [K] la confiscation des biens saisis, la cour d'appel s'est bornée à énoncer « qu'en application de l'article 414, alinéa 1, du code des douanes, la peine complémentaire de confiscation est confirmée », a ainsi méconnu les principes d'individualisation et de motivation des articles 132-1, alinéa 2, 132-1, alinéa 3, et 130-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
15. Pour confirmer la confiscation, notamment, de la somme de 9 690 euros saisie au domicile du prévenu, l'arrêt attaqué énonce qu'il est fait droit à la demande de restitution du prévenu de son mémoire et de son diplôme saisis lors de la perquisition diligentée à son domicile, mais que les sommes d'argent constituant le produit des infractions ne seront pas restituées.
16. Les juges ajoutent qu'en application de l'article 414, alinéa 1, du code des douanes, la peine complémentaire de confiscation est confirmée, étant précisé qu'il s'agit de tous les objets saisis et des scellés à l'exception du diplôme et du mémoire de M. [K] qui lui sont restitués.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
18. En effet, d'une part, l'article 414, alinéa 1, du code des douanes autorise la confiscation du produit direct ou indirect de l'infraction douanière, peu important que l'arrêt qualifie à tort cette mesure de peine complémentaire.
19. D'autre part, le prononcé, par le juge correctionnel, de la confiscation douanière prévue à l'article 414 du code des douanes en répression des infractions de contrebande ou d'importation ou d'exportation sans déclaration de marchandises prohibées est soumis aux dispositions spécifiques de l'article 369 du code des douanes et échappe, par conséquent, aux prescriptions des articles 485 du code de procédure pénale et 132-1 du code pénal.
20. Dès lors, le moyen doit être écarté.
21. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept septembre deux mille vingt-deux. | Le prononcé, par le juge correctionnel, de la confiscation prévue à l'article 414 du code des douanes en répression des infractions de contrebande et d'importation ou d'exportation sans déclaration de marchandises prohibées est soumis aux dispositions spécifiques de l'article 369 du code des douanes et échappe, par conséquent, aux prescriptions des articles 485 du code de procédure pénale et 132-1 du code pénal |
8,055 | N° M 22-84.048 F-B
N° 01174
ODVS
6 SEPTEMBRE 2022
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 SEPTEMBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la dite cour d'appel, 7e section, en date du 24 mai 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [D] [R] des chefs de complicité de meurtre, complicité de tentative de meurtre, destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, recel, en bande organisée, et association de malfaiteurs, a ordonné sa mise en liberté d'office et l'a placé sous contrôle judiciaire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs précités, M. [D] [R] a été placé en détention provisoire.
3. Par ordonnance du 8 avril 2022, le juge des libertés et de la détention a rejeté sa demande de mise en liberté.
4. M. [R] a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen est pris de la violation des articles 502, 503, D. 45-26, 591 et 593 du code de procédure pénale.
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré recevable l'appel de M. [R] et ordonné sa mise en liberté d'office, alors qu'il ne peut être reproché au greffe pénitentiaire de ne pas considérer qu'un courrier, que lui a adressé un détenu, manifeste clairement l'intention de faire appel lorsque ce courrier comporte des demandes distinctes.
Réponse de la Cour
Vu l'article 503 du code de procédure pénale :
7. Il résulte de ce texte que l'appel formé par une personne détenue peut être fait au moyen d'une déclaration auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Le courrier adressé dans le délai légal d'appel par la personne détenue au greffe pénitentiaire et qui n'y a pas été conduite en temps utile pour lui permettre de former la déclaration d'appel ne produit les mêmes effets que celle-ci que s'il a pour unique objet d'exercer cette voie de recours.
8. Pour déclarer recevable l'appel formé par M. [R], l'arrêt attaqué retient que le courrier rédigé par celui-ci le 16 avril 2022, portant le tampon du greffe pénitentiaire en date du 19 avril 2022, est ainsi libellé : « Je vous écrit ce jour car j'ai besoin d'un certificat d'incarcération pour de l'administratif et je souhaite faire appel de mon refus de mise en liberté du 08/04/2022 ».
9. Les juges ajoutent que si ce courrier contient une double demande, il est cependant dénué de toute ambiguïté et pouvait être immédiatement interprété comme étant une déclaration d'intention de faire appel.
10. Ils en concluent que, malgré le caractère non équivoque de sa demande, M. [R] n'ayant pas été conduit au greffe pénitentiaire pour y établir la déclaration prévue à l'article 503 du code de procédure pénale, le courrier d'intention d'appel reçu le 19 avril 2022 a produit les mêmes effets qu'une telle déclaration, de sorte que l'appel était recevable.
11. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée du texte susvisé.
12. En effet, le courrier adressé au greffe pénitentiaire par la personne détenue, dès lors qu'il comportait des demandes distinctes, ne pouvait être considéré comme valant déclaration d'appel, au sens de l'article 503 du code de procédure pénale (Crim., 25 mai 2022, pourvoi n° 22-81.572, publié au Bulletin).
13. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 24 mai 2022 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT irrecevable l'appel relevé par M. [D] [R] de l‘ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny du 8 avril 2022 rejetant sa demande de mise en liberté ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six septembre deux mille vingt-deux. | En application de l'article 503 du code de procédure pénale, le courrier adressé dans le délai légal d'appel par la personne détenue au greffe pénitentiaire et qui n'y a pas été conduite en temps utile pour lui permettre de former la déclaration d'appel ne produit les mêmes effets que celle-ci que s'il a pour unique objet d'exercer cette voie de recours |
8,056 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 septembre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 840 F-B
Pourvois n°
K 21-12.352
Z 21-16.183 Jonction
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 SEPTEMBRE 2022
Mme [T] [X], épouse [P], domiciliée [Adresse 1], [Localité 4] (République démocratique du Congo), a formé les pourvois n° K 21-12.352 et Z 21-16.183 contre l'arrêt rendu le 8 janvier 2021 par la cour d'appel de Rennes (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Crédit logement, société anonyme, dont le siège est 5[Adresse 2] [Localité 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de ses pourvois, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme [X], épouse [P], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Crédit logement, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° K 21-12.352 et Z 21-16.183 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 janvier 2021) et les productions, M. et Mme [P] ont conclu deux prêts immobiliers garantis par le cautionnement de la société Crédit logement.
3. Par acte d'huissier de justice du 4 avril 2016, délivré selon les modalités des articles 656 et 658 du code de procédure civile, la société Crédit logement a assigné Mme [P] en paiement de différentes sommes.
4. Mme [P], non comparante ni représentée en première instance, a relevé appel du jugement ayant accueilli les demandes de la société Crédit logement.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Mme [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement, alors « que la signification à domicile est irrégulière si la seule diligence accomplie par l'huissier instrumentaire, mentionnée à l'acte, pour s'assurer de la réalité du domicile, est celle de la vérification du fait que le nom d'épouse de la destinataire de l'acte figurait sur la boîte aux lettres ; qu'en ayant jugé que l'huissier instrumentaire s'était suffisamment assuré de la réalité du domicile de Mme [U], dès lors que le nom de famille de son mari figurait sur la boîte aux lettres, la cour d'appel a violé les articles 655 et 656 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 656 et 658 du code de procédure civile :
6. Il résulte du premier de ces textes que si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. La seule mention, dans l'acte de l'huissier de justice, que le nom du destinataire de l'acte figure sur la boîte aux lettres, n'est pas de nature à établir, en l'absence de mention d'autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l'acte.
7. Pour rejeter la demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement formée par Mme [P], l'arrêt retient que l'acte a été délivré au seul domicile connu du créancier sans que Mme [P] signale un changement d'adresse, les divers courriers recommandés adressés à la débitrice par la banque puis par la caution étant de surcroît revenus avec la mention "pli avisé non réclamé", ce qui corroborait que cette adresse était toujours valable, et que dans ces circonstances, et alors que les prêts avaient été consentis aux deux époux [P] demeurant à la même adresse, que ceux-ci n'étaient ni divorcés, ni même judiciairement autorisés à résider séparément, et que le créancier n'avait jamais été avisé de leur prétendue séparation de fait, l'huissier de justice a régulièrement délivré l'assignation conformément aux dispositions de l'article 656 du code de procédure civile en se rendant à cette adresse et en vérifiant que le nom de Mme [P] figurait bien sur la boîte aux lettres, peu important que son prénom n'y fût pas précisé.
8. En statuant ainsi, sans constater que l'acte de l'huissier de justice comportait d'autres mentions que celle relative au nom figurant sur la boîte aux lettres, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. Mme [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement et de la condamner à payer à la société Crédit logement la somme de 109 921,04 euros en principal, outre 1 963,71 euros au titre des intérêts légaux arrêtés au 28 juin 2020, et les intérêts au taux légal sur le principal de 109 921,04 euros à compter du 29 juin 2020, alors « que la cassation à intervenir sur un chef d'arrêt entraînera l'annulation par voie de conséquence des chefs d'arrêt qui lui sont liés ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen ayant rejeté la demande d'annulation, présentée par l'exposante, de l'assignation introductive d'instance et du jugement subséquent, entraînera l'annulation par voie de conséquence sur le second, par application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
10. Aux termes de ce texte, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce. Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
11. La cassation du chef de l'arrêt rejetant la demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement entraîne l'annulation, par voie de conséquence, des chefs critiqués de l'arrêt ayant condamné Mme [P] à régler diverses sommes à la société Crédit logement, ainsi que le chef non critiqué autorisant la capitalisation des intérêts, qui est dans leur dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne la société Crédit logement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit logement et la condamne à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens communs aux pourvois n° K 21-12.352 et Z 21-16.183 produits par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour Mme [X], épouse [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mme [T] [U] [L] FAIT GRIEF A l'arrêt partiellement infirmatif attaqué d'avoir rejeté sa demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement ;
1°)- ALORS QUE la signification à domicile est irrégulière si la seule diligence accomplie par l'huissier instrumentaire, mentionnée à l'acte, pour s'assurer de la réalité du domicile, est celle de la vérification du fait que le nom d'épouse de la destinataire de l'acte figurait sur la boîte aux lettres ; qu'en ayant jugé que l'huissier instrumentaire s'était suffisamment assuré de la réalité du domicile de Mme [U], dès lors que le nom de famille de son mari figurait sur la boîte aux lettres, la cour d'appel a violé les articles 655 et 656 du code de procédure civile ;
2°)- ALORS QUE la signification à domicile n'est régulière que si l'huissier instrumentaire s'est assuré, par des diligences suffisantes, de la réalité du domicile du destinataire de l'acte ; qu'en ayant jugé que la signification à domicile de l'assignation introductive d'instance du 4 avril 2016 était régulière, l'huissier instrumentaire s'étant assuré de la réalité du domicile de Mme [U], par la seule vérification de ce que le nom de famille de son mari figurait sur la boîte aux lettres, au motif inopérant que Mme [U] n'avait pas avisé la banque créancière de son changement d'adresse, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 655 et 656 du code de procédure civile ;
3°)- ALORS QUE la signification à domicile n'est régulière que si l'huissier instrumentaire s'est assuré, par des diligences suffisantes, de la réalité du domicile du destinataire de l'acte ; qu'en ayant jugé que la signification à domicile de l'assignation introductive d'instance du 4 avril 2016 était régulière, l'huissier instrumentaire s'étant assuré de la réalité du domicile de Mme [U], par la seule vérification de ce que le nom de famille de son mari figurait sur la boîte aux lettres, au motif inopérant que Mme [U] n'avait pas avisé la banque créancière de son changement d'adresse, alors même que l'acte avait été délivré au nom du Crédit Logement qui n'était pas la créancière, mais la caution, laquelle exerçait de surcroît son action personnelle et non subrogatoire, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 655 et 656 du code de procédure civile ;
4°)- ALORS QUE la signification à domicile n'est régulière que si l'huissier instrumentaire s'est assuré, par des diligences suffisantes, de la réalité du domicile du destinataire de l'acte ; qu'en ayant jugé que la signification à domicile de l'assignation introductive d'instance du 4 avril 2016 était régulière, l'huissier instrumentaire s'étant assuré de la réalité du domicile de Mme [U], par la seule vérification de ce que le nom de famille de son mari figurait sur la boîte aux lettres, au motif inopérant que les divers courriers recommandés adressés à la débitrice par la banque, puis par la caution, étaient de surcroît revenus avec la mention "pli avisé non réclamé", ce qui corroborerait que cette adresse était toujours valable, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 655 et 656 du code de procédure civile ;
5°)- ALORS QUE la signification à domicile n'est régulière que si l'huissier instrumentaire s'est assuré, par des diligences suffisantes, de la réalité du domicile du destinataire de l'acte ; qu'en ayant jugé que la signification à domicile de l'assignation introductive d'instance du 4 avril 2016 était régulière, l'huissier instrumentaire s'étant assuré de la réalité du domicile de Mme [U], par la seule vérification de ce que le nom de famille de son mari figurait sur la boîte aux lettres, au motif inopérant que les époux [P] n'étaient pas divorcés et que le créancier n'avait pas été avisé de leur prétendue séparation de fait, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 655 et 656 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Mme [T] [U] [L] FAIT GRIEF A l'arrêt partiellement infirmatif attaqué de l'avoir, ayant rejeté sa demande d'annulation de l'assignation introductive d'instance et du jugement, condamnée à payer à la société Crédit Logement la somme de 109.921,04 € en principal, outre 1.963,71 €
au titre des intérêts légaux arrêtés au 28 juin 2020, et les intérêts au taux légal sur le principal de 109.921,04 € à compter du 29 juin 2020 ;
- ALORS QUE la cassation à intervenir sur un chef d'arrêt entraînera l'annulation par voie de conséquence des chefs d'arrêt qui lui sont liés ; que la cassation à intervenir sur le premier moyen ayant rejeté la demande d'annulation, présentée par l'exposante, de l'assignation introductive d'instance et du jugement subséquent, entraînera l'annulation par voie de conséquence sur le second, par application des dispositions de l'article 624 du code de procédure civile. | La seule mention dans l'acte de l'huissier de justice que le nom du destinataire de l'acte figure sur la boîte aux lettres n'est pas de nature à établir, en l'absence de mention d'autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l'acte et, partant, ne satisfait pas aux exigences de l'article 656 du code de procédure civile |
8,057 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 septembre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 841 F-B
Pourvoi n° C 21-12.736
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 SEPTEMBRE 2022
La société Techem, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° C 21-12.736 contre l'arrêt rendu le 19 janvier 2021 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au syndicat des copropriétaires de ''la résidence Californie'', représenté par son syndic, le cabinet JD immo, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Comptage immobilier et services ISTA, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SARL Corlay, avocat de la société Techem, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat du syndicat des copropriétaires de ''la résidence Californie'', de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Comptage immobilier et services ISTA, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 19 janvier 2021), la société Techem a assigné devant un tribunal d'instance le syndicat des copropriétaires de "la résidence Californie" (le syndicat des copropriétaires) en paiement de différentes sommes et à fin qu'il soit dit que le contrat de location de compteurs d'eau les liant restera en vigueur tant que les compteurs ne lui auront pas été restitués.
2. Le syndicat des copropriétaires a assigné en garantie la société Comptage immobilier et services ISTA (la société ISTA).
3. La société Techem a relevé appel du jugement ayant dit que les compteurs lui avaient été restitués le 26 septembre 2016 par la société ISTA, l'ayant déboutée de ses demandes et ayant dit sans objet la demande de garantie à l'encontre de la société ISTA.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Techem fait grief à l'arrêt de dire que les compteurs lui ont été restitués le 26 septembre 2016 par la société ISTA, qu'elle est mal fondée en toutes ses demandes fins et conclusions et de l'en débouter, et, en conséquence de la condamner aux dépens et à payer certaines sommes au syndicat des copropriétaires et à la société ISTA sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que la cour doit statuer sur les prétentions énoncées au dispositif et examiner les moyens au soutien de ces prétentions invoqués dans la discussion ; qu'en l'espèce la société Techem formulait plusieurs prétentions au dispositif de ses conclusions du 15 juin 2020 et les discutait explicitement dans une partie intitulée « B. En droit » ; qu'en refusant de répondre à ces demandes dès lors que la partie exposant les moyens n'était pas intitulée « discussion » la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, violé l'article 954 du code de procédure civile ensemble l'article 4 du code civil et l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
2°/ qu'en disant que les conclusions de la société Techem « se limitent à présenter l'objet de la demande décliné d'abord en fait puis en droit » pour conclure qu'il n'existait aucune discussion des prétentions et des moyens et ainsi débouter la société Techem de l'ensemble de ses demandes quand ces moyens figuraient explicitement dans les écritures de celle-ci dans une partie intitulée « En Droit », la cour d'appel a dénaturé lesdites conclusions en violation de l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Aux termes du deuxième alinéa de ce texte, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions et si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière distincte.
6. Le troisième alinéa de ce texte dispose que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
7. Ces dispositions, qui imposent la présentation, dans les conclusions, des prétentions ainsi que des moyens soutenus à l'appui de ces prétentions, ont pour finalité de permettre, en introduisant une discussion, de les distinguer de l'exposé des faits et de la procédure, de l'énoncé des chefs de jugement critiqués et du dispositif récapitulant les prétentions. Elles tendent à assurer une clarté et une lisibilité des écritures des parties.
8. Elles n'exigent pas que les prétentions et les moyens contenus dans les conclusions d'appel figurent formellement sous un paragraphe intitulé « discussion ». Il importe que ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions.
9. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que les conclusions de l'appelante ne comprenant aucune partie discussion au sens de l'article 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile puisque qu'elles se limitent à présenter l'objet de la demande décliné d'abord en fait puis en droit, de sorte que la cour d'appel, qui n'a pas à répondre au moindre moyen invoqué dans une partie discussion, ne peut que confirmer le jugement, sans qu'il soit utile d'examiner la question de la recevabilité des moyens nouveaux opposée par les intimés.
10. En statuant ainsi, alors que les conclusions de l'appelante distinguaient, dans la partie « en droit », les prétentions ainsi que les moyens soutenus en appel à l'appui des prétentions, la cour d'appel, qui a ajouté au texte une condition qu'il ne prévoit pas, a violé le texte et le principe susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne le syndicat des copropriétaires de "la résidence Californie" et la société Comptage immobilier et services ISTA aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par le syndicat des copropriétaires de "la résidence Californie" et par la société Comptage immobilier et services ISTA et les condamne à payer à la société Techem la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour la société Techem
La société Techem fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les compteurs lui ont été restitués le 26 septembre 2016 par la Société Comptage Immobilier Service Ista, d'avoir dit qu'elle est mal fondée en toutes ses demandes fins et conclusions et de l'en avoir déboutée, et en conséquence de l'avoir condamnée aux dépens et à payer au syndicat des copropriétaires de la résidence Californie la somme de 3 000 € et à la société Comptage immobilier et services Ista la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Alors que 1°) la cour doit statuer sur les prétentions énoncées au dispositif et examiner les moyens au soutien de ces prétentions invoqués dans la discussion ; qu'en l'espèce la société Techem formulait plusieurs prétentions au dispositif de ses conclusions du 15 juin 2020 (conclusions d'appel page 7) et les discutait explicitement dans une partie intitulée « B. En droit » (conclusions d'appel pages 3 à 6) ; qu'en refusant de répondre à ces demandes dès lors que la partie exposant les moyens n'était pas intitulée « discussion » la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, violé l'article 954 du code de procédure civile ensemble l'article 4 du code civil et l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
Alors que 2°) en disant que les conclusions de la société Techem « se limitent à présenter l'objet de la demande décliné d'abord en fait puis en droit » (arrêt page 3 alinéa 7) pour conclure qu'il n'existait aucune discussion des prétentions et des moyens et ainsi débouter la société Techem de l'ensemble de ses demandes quand ces moyens figuraient explicitement dans les écritures de celle-ci dans une partie intitulée « En Droit », la cour d'appel a dénaturé lesdites conclusions en violation de l'article 4 du code de procédure civile. | La seule mention dans l'acte de l'huissier de justice que le nom du destinataire de l'acte figure sur la boîte aux lettres n'est pas de nature à établir, en l'absence de mention d'autres diligences, la réalité du domicile du destinataire de l'acte et, partant, ne satisfait pas aux exigences de l'article 656 du code de procédure civile |
8,058 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 septembre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 844 F-B
Pourvoi n° Q 21-14.242
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 SEPTEMBRE 2022
L'Agent judiciaire de l'Etat, domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 21-14.242 contre l'arrêt rendu le 29 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. [J] [I], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 janvier 2021), à la suite d'une intervention des services de gendarmerie faite, par erreur, à son domicile, au cours de laquelle M. [I] a été plaqué au sol, ce dernier, se plaignant de blessures, a assigné l'Agent judiciaire de l'Etat en vue d'une mesure d'expertise sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat. La caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF a été également mise en cause.
2. Par ordonnance du 16 mars 2020, un juge des référés a fait droit à la demande et l'Agent judiciaire de l'Etat a relevé appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'Agent judiciaire de l'Etat reproche à l'arrêt de rejeter sa demande de mise hors de cause et d'ordonner une mesure d'expertise de M. [I], alors « que seule peut être intentée contre l'agent judiciaire de l'Etat une action tendant à faire déclarer l'Etat débiteur ; que M. [I] a saisi le juge d'une demande d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile en mettant en cause notamment l'agent judiciaire de l'Etat ; que pour rejeter la demande de mise hors de cause de l'agent judiciaire de l'Etat, la cour d'appel retient que la mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile constitue un préalable à l'action indemnitaire que M. [I] souhaite engager contre l'Etat et que la participation de l'agent judiciaire de l'Etat à cette mesure est nécessaire pour permettre que celle-ci s'effectue contradictoirement et lui soit opposable (arrêt attaqué, p. 3) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la demande de M. [I] fondée sur l'article 145 du code de procédure civile tend seulement à obtenir une mesure d'expertise avant tout procès et n'a pas pour objet de faire déclarer l'Etat débiteur, de sorte que l'agent judiciaire de l'Etat ne pouvait être mis en cause, la cour d'appel a violé l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 :
4. Selon ce texte, toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l'Agent judiciaire de l'Etat.
5. Pour confirmer la décision entreprise et rejeter la demande de mise hors de cause de l'Agent judiciaire de l'Etat, l'arrêt retient que sa participation est nécessaire pour permettre que la mesure d'instruction s'effectue contradictoirement et lui soit opposable et qu'elle constitue un préalable à l'action indemnitaire que M. [I] souhaite engager contre l'Etat.
6. En statuant ainsi, alors que la demande de M. [I] tendait à obtenir une mesure d'instruction avant tout procès et n'avait pas pour objet de faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat
L'agent judiciaire de l'Etat reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande de mise hors de cause et ordonné une mesure d'expertise de M. [J] [I],
ALORS QUE seule peut être intentée contre l'agent judiciaire de l'Etat une action tendant à faire déclarer l'Etat débiteur ; que M. [I] a saisi le juge d'une demande d'expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile en mettant en cause notamment l'agent judiciaire de l'Etat ; que pour rejeter la demande de mise hors de cause de l'agent judiciaire de l'Etat, la cour d'appel retient que la mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile constitue un préalable à l'action indemnitaire que M. [I] souhaite engager contre l'Etat et que la participation de l'agent judiciaire de l'Etat à cette mesure est nécessaire pour permettre que celle-ci s'effectue contradictoirement et lui soit opposable (arrêt attaqué, p. 3) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la demande de M. [I] fondée sur l'article 145 du code de procédure civile tend seulement à obtenir une mesure d'expertise avant tout procès et n'a pas pour objet de faire déclarer l'Etat débiteur, de sorte que l'agent judiciaire de l'Etat ne pouvait être mis en cause, la cour d'appel a violé l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955. | Selon l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955, toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée, à peine de nullité, par ou contre l'Agent judiciaire de l'Etat.
Encourt la cassation un arrêt qui rejette la demande de mise hors de cause de l'Agent judiciaire de l'Etat au motif que sa participation est nécessaire pour permettre que la mesure d'instruction sollicitée avant tout procès s'effectue contradictoirement alors qu'une telle mesure n'a pas pour objet de faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur |
8,059 | CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 septembre 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 851 F-B
Pourvoi n° K 21-12.030
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 SEPTEMBRE 2022
La société Pieral, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 21-12.030 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2020 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant à l'Association laïque de gestion d'établissements pour l'éducation et l'insertion (ALGEEI), dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Pieral, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de l'Association laïque de gestion d'établissements pour l'éducation et l'insertion, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 14 décembre 2020), par acte notarié du 9 août 2016, la société Pieral a consenti à l'Association laïque de gestion d'établissements pour l'éducation et l'insertion (l'ALGEEI) un bail commercial d'une durée de neuf ans portant sur des locaux à usage de bureaux.
2. Invoquant de multiples désordres, l'ALGEEI a saisi un juge des référés qui, par ordonnance du 13 février 2018, a ordonné une expertise et désigné un expert.
3. A la suite du dépôt du rapport d'expertise, l'ALGEEI a assigné à jour fixe la société Pieral en résiliation du bail et en paiement de dommages-intérêts. La société Pieral a reconventionnellement demandé l'annulation du rapport d'expertise.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Pieral fait grief à l'arrêt d'infirmer les dispositions du jugement annulant le rapport d'expertise et condamnant l'ALGEEI aux dépens de la procédure de référé, y compris les frais d'expertise, d'homologuer le rapport d'expertise, de dire que les dépens comprendraient les frais d'expertise judiciaire, de confirmer les dispositions du jugement prononçant la résiliation du bail au torts du bailleur et de condamner la société Pieral au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu'à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, alors :
« 1°/ que le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée ; qu'en l'espèce, il ressort du rapport d'expertise judiciaire établi par M. [D], sur lequel la cour d'appel s'est fondée pour dire que les désordres allégués par l'ALGEEI étaient de nature à justifier la résiliation du bail aux torts du bailleur, que l'expert judiciaire missionné pour apprécier les désordres d'infiltrations d'eaux pluviales ne s'est pas personnellement rendu sur le toit du bâtiment lors de l'unique accédit et s'est fondé, pour cette partie, sur les photographies d'un rapport amiable établi plusieurs mois auparavant et non-contradictoirement par un expert missionné par l'ALGEEI ; qu'en se bornant à juger que « le seul fait que l'expert judiciaire ait eu recours aux éléments d'une autre expertise ne saurait à lui seul entraîner la nullité du rapport », tandis cet emprunt à un rapport d'expertise privée, non contradictoire, dépourvu d'impartialité et sur un point essentiel de l'expertise puisqu'il s'agissait d'apprécier la nature, l'étendue, la gravité et l'origine des désordres, ne pouvait pallier le défaut d'une constatation personnelle par l'expert judiciaire des dégâts allégués, la cour d'appel a violé l'article 233 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en affirmant, pour refuser d'annuler le rapport de l'expert judiciaire, que « dans son dire du 28 mai 2018, la SCI Pieral n'a pas contesté la réalité des désordres, se contentant de soutenir qu'ils pouvaient avoir une autre origine que celle retenue par l'expert, ce à quoi ce dernier a répondu », et que « le fait que l'expert judiciaire ait eu recours aux éléments d'une autre expertise ne saurait à soi seul entraîner la nullité du rapport, dès lors que M. [D] a respecté le principe de la contradiction en examinant lesdits éléments avec les parties », la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, violant ainsi l'article 233 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, aux termes de l'article 233 du code de procédure civile, le technicien investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée.
6. En second lieu, les irrégularités affectant le déroulement des opérations d'expertise, en ce comprises celles résultant d'un manquement à l'article 233 du code de procédure civile, sont sanctionnées selon les dispositions de l'article 175 du code de procédure civile qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure, et notamment aux irrégularités de forme de l'article 114 du code de procédure civile, dont l'inobservation ne peut être sanctionnée par la nullité qu'à charge de prouver un grief.
7. Ayant relevé, d'abord, que, lors de la réunion d'expertise sur les lieux, il n'avait pas été possible de monter sur le toit en raison de la météorologie et que l'expert avait examiné, avec les parties, les documents photographiques annexés au rapport d'expertise amiable, et retenu, ensuite, que la société Pieral n'avait pas contesté, dans son dire du 28 mai 2018, la réalité des désordres, mais qu'elle avait soutenu qu'ils pouvaient avoir une autre origine que celle retenue par l'expert, ce à quoi ce dernier avait répondu, faisant ressortir que la société Pieral n'avait pas subi de grief, la cour d'appel a pu rejeter la demande de nullité du rapport d'expertise.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Pieral aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Pieral et la condamne à payer à l'Association laïque de gestion d'établissements pour l'éducation et l'insertion la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour la société Pieral
La société Pieral fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé les dispositions du jugement annulant le rapport d'expertise de M. [D] et condamnant l'ALGEEI aux dépens de la procédure de référé, y compris les frais d'expertise, d'avoir homologué le rapport d'expertise de M. [D], d'avoir dit que les dépens comprendraient les frais d'expertise judiciaire, d'avoir confirmé les dispositions du jugement prononçant la résiliation du bail au torts du bailleur et d'avoir condamné la société Pieral au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi qu'à la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
1°) Alors que le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée ; qu'en l'espèce, il ressort du rapport d'expertise judiciaire établi par M. [D], sur lequel la cour d'appel s'est fondée pour dire que les désordres allégués par l'ALGEEI étaient de nature à justifier la résiliation du bail aux torts du bailleur, que l'expert judiciaire missionné pour apprécier les désordres d'infiltrations d'eaux pluviales ne s'est pas personnellement rendu sur le toit du bâtiment lors de l'unique accédit et s'est fondé, pour cette partie, sur les photographies d'un rapport amiable établi plusieurs mois auparavant et non-contradictoirement par un expert missionné par l'ALGEEI ; qu'en se bornant à juger que « le seul fait que l'expert judiciaire ait eu recours aux éléments d'une autre expertise ne saurait à lui seul entraîner la nullité du rapport », tandis cet emprunt à un rapport d'expertise privée, non contradictoire, dépourvu d'impartialité et sur un point essentiel de l'expertise puisqu'il s'agissait d'apprécier la nature, l'étendue, la gravité et l'origine des désordres, ne pouvait pallier le défaut d'une constatation personnelle par l'expert judiciaire des dégâts allégués, la cour d'appel a violé l'article 233 du code de procédure civile ;
2°) Alors qu' en affirmant, pour refuser d'annuler le rapport de l'expert judiciaire, que « dans son dire du 28 mai 2018, la SCI Pieral n'a pas contesté la réalité des désordres, se contentant de soutenir qu'ils pouvaient avoir une autre origine que celle retenue par l'expert, ce à quoi ce dernier a répondu », et que « le fait que l'expert judiciaire ait eu recours aux éléments d'une autre expertise ne saurait à soi seul entraîner la nullité du rapport, dès lors que M. [D] a respecté le principe de la contradiction en examinant lesdits éléments avec les parties », la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, violant ainsi l'article 233 du code de procédure civile. | Les irrégularités affectant le déroulement des opérations d'expertise, en ce comprises celles résultant d'un manquement à l'article 233 du code de procédure civile, sont sanctionnées selon les dispositions de l'article 175 du code de procédure civile, qui renvoient aux règles régissant la nullité des actes de procédure, et notamment aux irrégularités de forme de l'article 114 du code de procédure civile, dont l'observation ne peut être sanctionnée par la nullité qu'à charge de prouver un grief.
Ayant fait ressortir l'absence de grief, une cour d'appel a pu rejeter une demande de nullité d'un rapport d'expertise |
8,060 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 septembre 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 859 F-B
Pourvoi n° Q 20-23.622
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 SEPTEMBRE 2022
La caisse primaire d'assurance maladie des Côtes-d'Armor, dont le siège est 106 boulevard Hoche, 22024 Saint-Brieuc cedex, a formé le pourvoi n° Q 20-23.622 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2020 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile - renvoi cassation), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [T] [K], domiciliée 8 rue Paul Bert, [Localité 3],
2°/ à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Bretagne - Pays de la Loire, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 5],
3°/ à M. [D] [C], domicilié [Adresse 1], [Localité 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes-d'Armor, de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [K] et de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Bretagne - Pays de la Loire, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 28 octobre 2020), rendu après cassation (2e Civ., 21 novembre 2019, pourvoi n° 1818165), [Y] [C], qui circulait le 18 avril 2004 sur son cyclomoteur, a été victime d'un accident de la circulation à la suite duquel il est décédé. Un chien appartenant à Mme [K] avait fait irruption sur la chaussée et [Y] [C], surpris par le freinage du véhicule qui le précédait, avait perdu le contrôle de son engin et avait été projeté sur un poteau électrique. M. [D] [C] et Mme [B] [J], parents de la victime, M. [N] [C] et Mme [Z] [C], épouse [V], ses frère et soeur, cette dernière agissant en son nom personnel et en qualité d'administratrice légale de sa fille mineure [S], ont assigné Mme [K], la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Bretagne - Pays de la Loire, son assureur responsabilité civile (l'assureur), et la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes-d'Armor (la caisse) en réparation de leurs préjudices.
2. La caisse a sollicité le remboursement des débours exposés pour M. [D] [C] au titre des frais médicaux du 12 décembre 2005 au 30 mars 2006 et des indemnités journalières du 13 décembre 2005 au 14 avril 2006 ainsi que l'allocation d'une indemnité forfaitaire de gestion.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La caisse fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables sur le fondement de l'article 16 du code de procédure civile ses conclusions à l'égard de M. [C], de dire inopérante la déclaration de saisine dirigée contre M. [C] le 28 août 2020 enrôlée sous le numéro RG 20/02726 et de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de son recours au titre des prestations servies à M. [C] pour ses dépenses de santé et perte de gains professionnels, alors « qu'en cas de renvoi devant une cour d'appel, l'article 1037-1 du code de procédure civile prévoit que les conclusions de l'auteur de la déclaration de saisine sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration ; qu'en cas d'intervention forcée, l'intervenant forcé remet et notifie ses conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification de la demande d'intervention formée à son encontre ; qu'en revanche, la demande d'intervention forcée n'est encadrée par aucun délai, l'article 331 du code de procédure civile précisant seulement qu'un tiers peut être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement, le tiers devant être appelé en temps utile pour faire valoir sa défense ; qu'il ressort de ces dispositions qu'un tiers peut être appelé en déclaration de jugement commun plus de deux mois après la déclaration de saisine d'une cour d'appel de renvoi après cassation dès lors qu'il est appelé en temps utile pour faire valoir sa défense ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la caisse était recevable à attraire M. [C], assuré social, à la procédure d'appel toujours en cours, sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale (arrêt, p. 8 et 9) ; que cependant, pour confirmer le jugement en ce qu'il avait débouté la caisse de son recours au titre des prestations servies à M. [C], la cour d'appel a énoncé qu'à la date limite du 24 août 2020, M. [C] n'était pas partie à la procédure sur renvoi après cassation, les conclusions demandant l'évaluation de son préjudice ne lui ayant jamais été signifiées, de sorte qu'à son égard elles étaient irrecevables ; que la cour d'appel a considéré que la déclaration de saisine complémentaire à l'égard de M. [C], datée du 28 août 2020 était inopérante car tardive au motif que « la date limite du 24 août 2020 » pour notifier les conclusions de la caisse était expirée (arrêt, p. 9) ; qu'en statuant ainsi, tandis que la déclaration complémentaire de saisine de la cour d'appel de renvoi du 28 août 2020, c'est-à-dire la demande en intervention forcée de M. [C], n'était pas soumise au délai de deux mois prévu par l'article 1037-1 du code de procédure civile de sorte qu'elle ne pouvait être considérée comme inopérante car tardive, la cour d'appel a violé les articles 1037-1 et 331 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. Mme [K] et son assureur contestent la recevabilité du moyen comme contraire à la position adoptée par la caisse devant les juges du fond et, à tout le moins, mélangé de fait et de droit.
5. Cependant, la caisse demandait devant la cour d'appel que soit déclarée recevable la déclaration complémentaire de saisine du 28 août 2020 dirigée contre M. [C].
6. Le moyen, qui n'est pas incompatible avec la thèse soutenue par la caisse devant les juges du fond, est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 331 et 1037-1 du code de procédure civile :
7. En application du premier de ces textes, un tiers peut être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement et doit être appelé à l'instance, en temps utile, pour faire valoir sa défense.
8. En application du second, en cas de renvoi après cassation devant une cour d'appel, les conclusions de l'auteur de la déclaration de saisine sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration et les parties adverses remettent et notifient leurs conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration.
9. Il résulte de ces textes que la demande d'intervention forcée n'est encadrée par aucun délai et qu'un tiers peut être appelé en déclaration de jugement commun plus de deux mois après la déclaration de saisine d'une cour d'appel de renvoi après cassation, dès lors qu'il est mis en cause en temps utile pour faire valoir sa défense et lui permettre, dans le délai de deux mois après la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration, d'y répondre.
10. Pour débouter la caisse de ses demandes de remboursement des prestations servies à M. [D] [C] au titre de ses dépenses de santé et perte de gains professionnels, l'arrêt, après avoir décidé que la caisse était recevable, compte tenu du caractère indivisible du litige, à appeler M. [D] [C] dans la procédure d'appel toujours en cours, énonce que l'article 1037-1 du code de procédure civile impartit à la caisse, pour conclure, un délai de deux mois, à compter de la déclaration de saisine du 21 janvier 2020, soit jusqu'au 21 mars 2020, délai prorogé au 24 août 2020 par application des dispositions des ordonnances 2020-306 du 25 mars 2020 et 2020-560 du 13 mai 2020 prises dans le cadre de la loi d'urgence sanitaire liée à la pandémie Covid 19.
11. L'arrêt ajoute qu'en cas de non-respect de ce délai, la caisse est réputée s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elle avait soumis à la cour d'appel de Rennes et que si la caisse a conclu dans le délai, le 2 mars 2020, à l'égard de M. [D] [C], de Mme [K] et de son assureur, pour demander à la cour d'évaluer les dépenses de santé actuelles et la perte de gains professionnels actuels de M. [D] [C] et imputer ses chefs de créance sur les préjudices ainsi liquidés, à cette date, comme à la date limite du 24 août 2020, M. [D] [C] n'était pas partie à la procédure sur renvoi après cassation et les conclusions demandant l'évaluation de son préjudice ne lui ont jamais été signifiées, de sorte qu'à son égard elles sont irrecevables au regard des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile.
12. L'arrêt précise que la déclaration de saisine complémentaire du 28 août 2020 est inopérante à l'égard de M. [D] [C], comme tardive.
13. En statuant ainsi, alors que la déclaration complémentaire de saisine de la cour d'appel de renvoi du 28 août 2020, qui constituait une demande en intervention forcée de M. [C], n'était pas soumise au délai de deux mois prévu par l'article 1037-1 du code de procédure civile, la cour d'appel, qui ne pouvait la considérer comme tardive, a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
14. La caisse fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'omission, par la caisse de sécurité sociale, d'appeler en déclaration de jugement commun la victime ou ses ayants droit ne peut qu'avoir pour seule conséquence d'ouvrir la possibilité, pour le ministère public, les caisses de sécurité sociale ou le tiers responsable, lorsqu'ils y ont intérêt, de demander la nullité du jugement sur le fond pendant un délai de deux ans ; qu'une telle omission n'a en revanche aucune incidence sur l'étendue de la saisine de la cour d'appel ; qu'en jugeant cependant, pour débouter la caisse de ses demandes, que « contrairement à ce que soutient la caisse, la sanction de l'absence de M. [C] ne se trouve pas exclusivement dans la possibilité pour Mme [K] et son assureur de demander la nullité de l'arrêt sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ce qui selon cette thèse, reviendrait d'ailleurs à demander à la cour dans le présent litige de rendre en toute connaissance de cause un arrêt annulable sur leur simple demande sous la seule condition de la justification de leur intérêt, l'absence de M. [C] à la procédure place la cour dans l'impossibilité de statuer régulièrement sur l'évaluation de son préjudice, et en conséquence sur le bien-fondé des prétentions de la caisse auxquelles il ne pourrait être fait droit que dans les limites de l'indemnisation de ce préjudice » (arrêt, p. 9 et 10), la cour d'appel a violé l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et les articles 638 et 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 376-1 du code de la sécurité sociale et 4 du code de procédure civile :
15. En application du premier de ces textes, les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice. L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. À défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond peut être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt.
16. Pour débouter la caisse de ses demandes de remboursement des prestations servies à M. [D] [C] au titre de ses dépenses de santé et perte de gains professionnels, l'arrêt énonce que l'absence de ce dernier à la procédure place la cour dans l'impossibilité de statuer régulièrement sur l'évaluation de son préjudice et, en conséquence, sur le bien-fondé des prétentions de la caisse auxquelles il ne pourrait être fait droit que dans les limites de l'indemnisation de ce préjudice, que la sanction de l'absence de M. [D] [C] ne se trouve pas exclusivement dans la possibilité pour Mme [K] et son assureur de demander la nullité de l'arrêt sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ce qui reviendrait à demander à la cour de rendre en toute connaissance de cause un arrêt annulable sur leur simple demande, sous la seule condition de la justification de leur intérêt.
17. En statuant ainsi, alors que l'omission par la caisse de sécurité sociale d'appeler en déclaration de jugement commun la victime ou ses ayants droit n'avait aucune incidence sur l'étendue de la saisine de la cour d'appel, qui était tenue de statuer sur les prétentions de la caisse, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne Mme [K] et la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Bretagne - Pays de la Loire aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de Bretagne - Pays de la Loire et la condamne à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes-d'Armor la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Côtes-d'Armor
La société CPAM des Côtes-d'Armor reproche à l'arrêt attaqué :
D'AVOIR déclaré irrecevables sur le fondement de l'article 16 du code de procédure civile les conclusions de la CPAM des Côtes-d'Armor à l'égard de M. [C], D'AVOIR dit inopérante la déclaration de saisine dirigée contre [D] [C] le 28 août 2020 enrôlée sous le numéro RG 20/02726 et D'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la CPAM des Côtes-d'Armor de son recours au titre des prestations servies à M. [C] au titre de ses dépenses de santé et perte de gains professionnels ;
1°) ALORS QU' en cas de renvoi devant une cour d'appel, l'article 1037-1 du code de procédure civile prévoit que les conclusions de l'auteur de la déclaration de saisine sont remises au greffe et notifiées dans un délai de deux mois suivant cette déclaration ; qu'en cas d'intervention forcée, l'intervenant forcé remet et notifie ses conclusions dans un délai de deux mois à compter de la notification de la demande d'intervention formée à son encontre ; qu'en revanche, la demande d'intervention forcée n'est encadrée par aucun délai, l'article 331 du code de procédure civile précisant seulement qu'un tiers peut être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement, le tiers devant être appelé en temps utile pour faire valoir sa défense ; qu'il ressort de ces dispositions qu'un tiers peut être appelé en déclaration de jugement commun plus de deux mois après la déclaration de saisine d'une cour d'appel de renvoi après cassation dès lors qu'il est appelé en temps utile pour faire valoir sa défense ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la CPAM des Côtes-d'Armor était recevable à attraire M. [C], assuré social, à la procédure d'appel toujours en cours, sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale (arrêt, p. 8 et 9) ; que cependant, pour confirmer le jugement en ce qu'il avait débouté la CPAM de son recours au titre des prestations servies à M. [C], la cour d'appel a énoncé qu'à la date limite du 24 août 2020, M. [C] n'était pas partie à la procédure sur renvoi après cassation, les conclusions demandant l'évaluation de son préjudice ne lui ayant jamais été signifiées, de sorte qu'à son égard elles étaient irrecevables ; que la cour d'appel a considéré que la déclaration de saisine complémentaire à l'égard de M. [C], datée du 28 août 2020 était inopérante car tardive au motif que « la date limite du 24 août 2020 » pour notifier les conclusions de la caisse était expirée (arrêt, p. 9) ; qu'en statuant ainsi, tandis que la déclaration complémentaire de saisine de la cour d'appel de renvoi du 28 août 2020, c'est-à-dire la demande en intervention forcée de M. [C], n'était pas soumise au délai de deux mois prévu par l'article 1037-1 du code de procédure civile de sorte qu'elle ne pouvait être considérée comme inopérante car tardive, la cour d'appel a violé les articles 1037-1 et 331 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
2°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE l'omission, par la caisse de sécurité sociale, d'appeler en déclaration de jugement commun la victime ou ses ayants droit ne peut qu'avoir pour seule conséquence d'ouvrir la possibilité, pour le ministère public, les caisses de sécurité sociale ou le tiers responsable, lorsqu'ils y ont intérêt, de demander la nullité du jugement sur le fond pendant un délai de deux ans ; qu'une telle omission n'a en revanche aucune incidence sur l'étendue de la saisine de la cour d'appel ; qu'en jugeant cependant, pour débouter la CPAM de ses demandes, que « contrairement à ce que soutient la CPAM des Côtes d'Armor, la sanction de l'absence de M. [C] ne se trouve pas exclusivement dans la possibilité pour Mme [T] [K] et la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles Bretagne-Pays-de-Loire de demander la nullité de l'arrêt sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, ce qui selon cette thèse, reviendrait d'ailleurs à demander à la cour dans le présent litige de rendre en toute connaissance de cause un arrêt annulable sur leur simple demande sous la seule condition de la justification de leur intérêt, l'absence de M. [C] à la procédure place la cour dans l'impossibilité de statuer régulièrement sur l'évaluation de son préjudice, et en conséquence sur le bienfondé des prétentions de la CPAM des Côtes d'Armor auxquelles il ne pourrait être fait droit que dans les limites de l'indemnisation de ce préjudice » (arrêt, p. 9 et 10), la cour d'appel a violé l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et les articles 638 et 4 du code de procédure civile. | Il résulte des articles 331 et 1037-1 du code de procédure civile que la demande d'intervention forcée n'est encadrée par aucun délai et qu'un tiers peut être appelé en déclaration de jugement commun plus de deux mois après la déclaration de saisine d'une cour d'appel de renvoi après cassation, dès lors qu'il est mis en cause en temps utile pour faire valoir sa défense et lui permettre, dans le délai de deux mois après la notification des conclusions de l'auteur de la déclaration, d'y répondre.
Viole ces textes la cour d'appel de renvoi qui déclare tardive la déclaration complémentaire de saisine du 28 août 2020, qui constituait une intervention forcée et n'était pas soumise au délai de deux mois prévu par l'article 1037-1 du code de procédure civile |
8,061 | Demande d'avis
n° A 22-70.008
Juridiction : le tribunal judiciaire de Paris
LC82
Avis du 7 septembre 2022
n° 15010 B
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
COUR DE CASSATION
_________________________
Deuxième chambre civile
Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile ;
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations écrites de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la Caisse nationale des Barreaux français, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [W], épouse [V], et les conclusions de M. de Monteynard, avocat général, entendu en ses observations orales ;
Enoncé de la demande d'avis
1. La Cour de cassation a reçu le 30 mai 2022, une demande d'avis formée le 25 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Paris, dans une instance opposant Mme [W], épouse [V], à la Caisse nationale des barreaux français.
2. La demande est ainsi formulée :
« L'article R. 173-15, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale qui prévoit que les majorations de durée d'assurance prévues à l'article L. 351-4 du même code sont accordées, par priorité, par le régime général de sécurité sociale lorsque l'assuré a été affilié successivement, alternativement ou simultanément à ce régime et aux régimes de protection sociale agricole, aux régimes des travailleurs indépendants non agricoles ou au régime des ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses, porte-t-il une atteinte excessive au droit fondamental garanti par l'article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signé à [Localité 1] le 20 mars 1952, qui implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants ? »
Examen de la demande d'avis
3. Aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.
4. Le droit individuel à pension d'une personne assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application des dispositions susvisées, qui impliquent un rapport raisonnable de proportionnalité, exprimant un juste équilibre entre ce droit individuel et le droit reconnu aux Etats de réglementer sa mise en oeuvre conformément à l'intérêt général.
5. L'article L. 351-4 du code de la sécurité sociale prévoit une majoration de la durée d'assurance de quatre trimestres au bénéfice des femmes assurées sociales, pour chacun de leurs enfants, au titre de l'incidence sur leur vie professionnelle de la maternité, ainsi que, au bénéfice de l'un ou de l'autre des deux parents assurés sociaux, une majoration de durée d'assurance de quatre trimestres, attribuée pour chaque enfant mineur au titre de son éducation pendant les quatre années suivant sa naissance ou son adoption.
6. Il résulte de l'article L. 653-3 du code de la sécurité sociale que les assurés relevant du régime des avocats bénéficient des majorations de durée d'assurance prévues par le texte précité, adaptées en tant que de besoin par décret pour tenir compte des modalités particulières de calcul de la pension de ce régime.
7. L'article R. 653-4 du même code précise que pour les avocats exerçant à titre libéral, sont comptées comme périodes d'assurance dans le présent régime : (...) 5°) les périodes attribuées au titre des majorations de durée d'assurance pour enfants mentionnées à l'article L. 351-4, lorsque l'assuré n'a relevé d'aucun autre régime que celui de la Caisse nationale des barreaux français, ou lorsque celle-ci a compétence pour attribuer ces majorations en application de l'article R. 173-15.
8. L'article L. 171-1 du code de la sécurité sociale prévoit que des règles de coordination sont applicables aux travailleurs qui passent d'une organisation spéciale de sécurité sociale, de celle applicable aux travailleurs indépendants ou de celle applicable aux autres assurés du régime général à l'autre, ainsi qu'aux travailleurs exerçant simultanément une activité relevant d'une de ces organisations. Ces règles sont fixées par décret.
9. L'article R. 173-15 du code de la sécurité sociale dispose, en son premier alinéa, que les majorations de durée d'assurance prévues à l'article L. 351-4 sont accordées, par priorité, par le régime général de sécurité sociale lorsque l'assuré a été affilié successivement, alternativement ou simultanément à ce régime et aux régimes de protection sociale agricole, aux régimes des travailleurs indépendants non agricoles ou au régime des ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses.
10. Ce dispositif se borne à fixer une règle de coordination en matière d'assurance vieillesse entre les différents régimes de sécurité sociale consistant à donner la priorité à l'un des régimes auquel un assuré social a été affilié pour l'attribution des majorations de durée d'assurance pour enfants, sans remettre en cause le droit des assurés sociaux d'en bénéficier.
11. Par ses effets sur les « coefficients de proratisation » résultant des durées respectives d'affiliation aux différents régimes qui dépendent des caractéristiques du parcours professionnel de chaque assuré, il ne porte pas, par lui-même, une atteinte à la substance du droit à pension des assurés sociaux qui ont été affiliés successivement, alternativement ou simultanément au régime général et aux régimes de protection sociale agricole, aux régimes des travailleurs indépendants non agricoles ou au régime des ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses.
12. Il en résulte que les dispositions de l'article R. 173-15, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ne constituent pas une ingérence dans le droit à pension garanti par l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. Les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ne sont pas susceptibles de recevoir application dans la procédure de saisine pour avis suivie devant la Cour de cassation.
EN CONSÉQUENCE, la Cour :
EST D'AVIS QUE les dispositions de l'article R. 173-15, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale ne constituent pas une ingérence dans le droit à pension garanti par l'article 1er du protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que, par application de l'article 1031-6 du code de procédure civile, le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 7 septembre 2022, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 6 septembre 2022 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, Mme Coutou, M. Rovinski, Mmes Cassignard, Lapasset, M. Leblanc, conseillers, Mmes Vigneras, Dudit, M. Labaune, conseiller référendaire, M. de Monteynard, avocat général, Mme Catherine, greffier de chambre ;
Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre. | L'article R. 173-15, alinéa 1, du code de la sécurité sociale qui dispose que les majorations de durée d'assurance prévues à l'article L. 351-4 du même code sont accordées, par priorité, par le régime général de sécurité sociale lorsque l'assuré a été affilié successivement, alternativement ou simultanément au régime général et aux régimes de protection sociale agricole, aux régimes des travailleurs indépendants non agricoles ou au régime des ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses, ne constitue pas une ingérence dans le droit à pension garanti par l'article 1 du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales |
8,062 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 608 FS-B
Pourvoi n° Z 21-20.576
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
M. [P] [C] [H], domicilié[Adresse 1], [Localité 4] [Localité 4], a formé le pourvoi n° Z 21-20.576 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2021 par la cour d'appel de [Localité 4] (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Loiget Laurent, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 3] [Localité 3], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brun, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de M. [H], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Loiget Laurent, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Brun, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ([Localité 4], 8 juin 2021), le 2 mai 2018, M. [H] a confié la réalisation d'une piscine à la société Loiget Laurent (la société Loiget).
2. Le procès-verbal de réception de l'installation, du 5 juillet 2018, n'a pas été signé par M. [H].
3. Se plaignant du non-paiement du solde des travaux, la société Loiget a assigné M. [H] en paiement. Celui-ci a reconventionnellement demandé la réparation de son préjudice.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [H] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer une certaine somme à la société Loiget, alors « que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties qui sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; qu'en opérant une réduction du solde du prix de 250 euros quand M. [H] demandait dans ses conclusions d'appel la réparation des conséquences de l'inexécution à titre principal et, à titre subsidiaire, l'exécution forcée en nature de l'obligation, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Vu l'article 4 du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
7. Pour condamner la société Loiget à payer à M. [H] une certaine somme, l'arrêt relève que la piscine réalisée est celle convenue, à l'exception de l'escalier qu'elle ne comporte pas, et que la moins-value résultant de l'absence d'escalier doit être fixée à la somme de 250 euros.
8. En statuant ainsi, alors que M. [H] demandait non la réduction du prix mais des dommages et intérêts en réparation des conséquences de l'inexécution du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de [Localité 4] ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de [Localité 4] autrement composée ;
Condamne la société Loiget Laurent aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Loiget Laurent et la condamne à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. [H]
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement du tribunal d'instance de [Localité 4] en ce qu'il a condamné M. [H] à payer à la société Loiget la somme de 4 250 € avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;
1°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties qui sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; qu'en opérant une réduction du solde du prix de 250 euros quand M. [H] demandait dans ses conclusions d'appel la réparation des conséquences de l'inexécution à titre principal et, à titre subsidiaire, l'exécution forcée en nature de l'obligation, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.
2°) ALORS QU' en tout état de cause, la réduction judiciaire du prix suppose que le créancier qui a déjà payé demande au juge la réduction de prix ; qu'en opérant une réduction du prix de 250 euros que M. [H], qui n'a pas payé intégralement le prix, n'a pas demandée, la cour d'appel a violé l'article 1223 du code civil.
3°) ALORS (subsidiairement) QU'en se bornant à affirmer, pour fixer le montant de dommages et intérêts résultant de l'inexécution de l'escalier litigieux dans la piscine, que « La moins-value étant résultée de l'absence d'escalier a exactement été appréciée par le premier juge à 250 euros », ce dont il ressort que le préjudice subi par M. [H] du fait de la non-réalisation de cet escalier réside dans la moins-value de la vente de son bien immobilier, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1231-1 du code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice.
4°) ALORS (subsidiairement) QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en fixant à la somme de 250 € l'indemnisation résultant de l'absence d'escalier sans examiner, même succinctement le devis du 6 juillet 2019 de la société Desjoyaux Piscines (pièce n° 6), produite pour la première fois en appel, qui estime à la somme de 4 015, 55 euros la réalisation de cet escalier, la cour d'appel a violé les articles 455 et 563 du code de procédure civile. | Modifie l'objet du litige, la cour d'appel qui, saisie par un créancier d'une demande de dommages et intérêts en réparation des conséquences de l'inexécution du contrat, réduit le prix de la prestation, objet de ce contrat |
8,063 | N° H 22-80.893 FS-B
N° 00888
SL2
13 SEPTEMBRE 2022
ANNULATION SANS RENVOI
M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022
M. [J] [D], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 4e section, en date du 14 janvier 2022, qui a déclaré irrecevable sa plainte avec constitution de partie civile contre personne non dénommée, du chef de diffamation publique envers un particulier.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Seys, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Lagauche, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 12 avril 2021, M. [J] [D] a porté plainte et s'est constitué partie civile, du chef susvisé, devant un juge d'instruction.
3. Par ordonnance du 18 juin 2021, ce magistrat a fixé à 250 euros le montant de la consignation à verser par la partie civile au plus tard le 5 août 2021.
4. Le 3 août précédent, M. [D] a déposé une demande d'aide juridictionnelle.
5. Par ordonnance du 21 septembre 2021, le doyen des juges d'instruction a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de M. [D], faute de consignation dans le délai imparti.
6. Celui-ci a interjeté appel de cette ordonnance.
7. Par décision du 27 octobre 2021, M. [D] a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance entreprise, alors que le 3 août 2021, M. [D] avait déposé une demande d'aide juridictionnelle auprès du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Paris et qu'il a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 27 octobre 2021 ; que la demande a été déposée durant le délai imparti pour verser la consignation ; que les justiciables ne sont pas en mesure de contrôler ou anticiper le temps que prendra le bureau d'aide juridictionnelle pour rendre sa décision, laquelle est intervenue près de trois mois plus tard ; qu'il appartenait aux juges du fond de s'assurer, en application des dispositions de l'article 88 du code de procédure pénale, qu'aucune demande d'aide juridictionnelle n'avait été déposée avant de prononcer l'irrecevabilité de la constitution de partie civile ; qu'en s'abstenant de faire cette vérification, les juges du fond ont privé leur décision de toute base légale.
Réponse de la Cour
Vu l'article 88 du code de procédure pénale :
9. Selon ce texte, la partie civile qui a obtenu l'aide juridictionnelle est dispensée de verser une consignation à la suite du dépôt de sa plainte avec constitution de partie civile.
10. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile de M. [D], la chambre de l'instruction énonce que la partie civile n'a pas versé, dans le délai imparti, le montant de la consignation fixée par le magistrat instructeur.
11. La Cour de cassation constate que, postérieurement à l'arrêt attaqué, M. [D] justifie, à l'appui de son mémoire personnel, que, par décision du 27 octobre 2021, l'aide juridictionnelle lui a été accordée avant que la chambre de l'instruction, saisie de l'appel de l'ordonnance d'irrecevabilité, n'ait statué, peu important la date du dépôt de la demande.
12. Il ne peut être fait grief à M. [D] de ne s'être pas prévalu devant la chambre de l'instruction de l'obtention de l'aide juridictionnelle dès lors qu'il résulte de l'article 57 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 l'obligation pour le secrétaire du bureau d'aide juridictionnelle d'informer le greffier de la juridiction saisie de la décision l'accordant.
13. D'où il suit que l'annulation est encourue.
Portée et conséquences de la cassation
14. L'annulation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 14 janvier 2022 ;
DIT que M. [D], admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, est dispensé du versement d'une consignation ; que sa plainte est, par voie de conséquence, recevable ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux. | Lorsqu'en cas de plainte avec constitution de partie civile, la consignation ordonnée n'a pas été versée dans le délai imparti, si la partie civile obtient l'aide juridictionnelle avant que la chambre de l'instruction ne statue sur l'appel relevé contre l'ordonnance constatant l'irrecevabilité de la plainte pour défaut de consignation, la partie civile est, en application de l'article 88 du code de procédure pénale, dispensée du versement d'une consignation, peu important la date à laquelle elle a formé sa demande.
Encourt en conséquence l'annulation l'arrêt qui, en pareil cas, confirme l'ordonnance d'irrecevabilité, sans qu'il puisse être fait grief à la partie civile de ne pas s'être prévalue devant la chambre de l'instruction de ce qu'elle avait entre-temps obtenu l'aide juridictionnelle, dès lors qu'il résulte de l'article 57 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 l'obligation pour le secrétaire du bureau d'aide juridictionnelle d'informer le greffier de la juridiction saisie de la décision l'accordant |
8,064 | N° R 21-87.452 F-B
N° 00907
SL2
13 SEPTEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022
MM. [S] [H], [E] [V], [G] [J] et [X] [K] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre eux, notamment, des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, a prononcé sur leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure.
Par ordonnance en date du 7 février 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de MM. [S] [H], [E] [V], [G] [J] et [X] [K], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen notamment des chefs précités, MM. [S] [H], [E] [V], [G] [J] et [X] [K] ont présenté des demandes d'annulation d'actes de la procédure.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
3. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation des procès-verbaux faisant état des conversations téléphoniques interceptées entre Mme [I] [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], des procès-verbaux de mise en place et d'exploitation du dispositif de géolocalisation du véhicule Ford Fiesta immatriculé [Immatriculation 1] et des actes subséquents, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale que ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande d'annulation des procès-verbaux relatant les conversations téléphoniques interceptées entre Mme [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], et des actes subséquents, que « la lecture du procès-verbal coté D 110 révèle que celui-ci a pour objet une surveillance et qu'il ne s'agit pas d'un procès-verbal de retranscription d'une conversation téléphonique au sens des dispositions de l'article 101 du code de procédure pénale », quand il ressortait de cet acte qu'y était transcrite la teneur d'une conversation entre Mme [D] et l'avocat de M. [K], la chambre de l'instruction a dénaturé ce procès-verbal et violé les articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'interdiction de transcription posée par l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale n'est pas limitée aux seules conversations avocat-client mais s'étend aux échanges entre un avocat et un proche de son client, lorsque la conversation concerne les droits de la défense dudit client ; qu'en retenant, pour rejeter la requête tendant à l'annulation des procès-verbaux transcrivant les conversations téléphoniques interceptées entre Mme [D] et l'avocat de son compagnon, M. [K], qu'il n'est pas établi que cet avocat assure la défense de Mme [D], motif impropre à justifier le maintien à la procédure des transcriptions litigieuses, la chambre de l'instruction a violé les articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que devant la chambre de l'instruction, M. [K] faisait valoir que l'avocat dont les propos avaient été enregistrés et transcrits était également celui de sa compagne Mme [D] ; qu'en se bornant, pour écarter la demande d'annulation des procès-verbaux de transcription et des actes subséquents, qu'il ne ressortait pas de la conversation interceptée que « cet avocat assure la défense de la personne titulaire de la ligne téléphonique susvisée ainsi placée sous surveillance », sans rechercher, indépendamment de l'écoute elle-même, si l'avocat n'était pas celui de Mme [D], la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
5. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal relatant l'appel téléphonique d'un avocat, intercepté sur la ligne de la compagne de M. [K], l'informant du défèrement de celui-ci et lui donnant rendez-vous au tribunal, l'arrêt attaqué énonce que ce procès-verbal a pour objet une surveillance et qu'il ne s'agit pas d'un procès-verbal de transcription d'une conversation téléphonique.
6. Les juges ajoutent qu'il ne ressort pas de ce procès-verbal que cet avocat assure la défense de la personne titulaire de la ligne téléphonique surveillée.
7. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
8. En effet, d'une part, si l'interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense de son client s'étend à celles échangées à ce sujet entre l'avocat et les proches de celui-ci, les échanges litigieux relatifs au défèrement de M. [K] au tribunal et au rendez-vous pris entre l'avocat et la compagne de celui-ci n'ont été rapportés que pour rendre compte des circonstances ayant permis la localisation du véhicule de cette dernière et l'installation sur celui-ci d'un dispositif de géolocalisation, de sorte que le procès-verbal en cause a eu pour seul objet de donner les informations nécessaires à la compréhension des investigations.
9. D'autre part, ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de le constater, la compagne de M. [K] n'avait pas encore été placée en garde à vue dans le dossier au moment où s'est tenu l'échange téléphonique litigieux et n'était pas partie à la procédure au moment où la chambre de l'instruction a statué, de sorte que cette conversation avec l'avocat ne pouvait relever de l'exercice des droits de sa défense.
10. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation des procès-verbaux d'interpellation de MM. [H], [J] et [V], des procès-verbaux des perquisitions réalisées à leurs domiciles respectifs et des actes subséquents, alors :
« 1°/ que le juge d'instruction ne peut autoriser les enquêteurs à perquisitionner des locaux d'habitation en dehors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale que par ordonnance écrite et motivée préalable à la perquisition ; qu'en affirmant que les perquisitions réalisées au domicile de MM. [H], [J] et [V] dans la nuit du 7 au 8 février 2021 respectivement à 3 heures 15, 2 heures 25 et 2 heures 26, ainsi que les interpellations de ces derniers, avaient pu être autorisées par une ordonnance écrite établie postérieurement aux opérations de perquisition dès lors que cette ordonnance écrite serait venue « régulariser » une « autorisation verbale » qui aurait été donnée par le juge avant les perquisitions, la chambre de l'instruction a violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que les articles 706-91, 706-92, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'une autorisation de perquisition en dehors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale ne saurait être motivée rétrospectivement par des considérations relatives aux découvertes, saisies ou interpellations effectuées au cours de cette perquisition que les « éléments de fait et de droit » motivant l'autorisation doivent nécessairement être antérieurs à la perquisition qu'au cas d'espèce la chambre de l'instruction a elle-même constaté que l'ordonnance écrite d'autorisation du juge d'instruction était en particulier motivée par l'interpellation, au cours des perquisitions, de MM. [H], [J] et [V] ; qu'en rejetant néanmoins la demande d'annulation des perquisitions et interpellations, la chambre de l'instruction a derechef violé l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que les articles 706-91, 706-92, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale :
12. Il résulte de ces textes que l'autorisation donnée par le juge d'instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à une perquisition dans un lieu d'habitation en dehors des heures légales doit comporter les motifs propres à justifier cette atteinte à la vie privée dans une ordonnance écrite et motivée formalisée sans délai, faute desquels aucun contrôle réel et effectif de la mesure ne peut avoir lieu, ce qui cause nécessairement un grief à la personne concernée. Il en découle qu'est nulle l'autorisation verbale donnée par ce magistrat, même suivie, après la réalisation de l'acte, de la formalisation d'une ordonnance écrite et motivée.
13. Pour rejeter le moyen de nullité des perquisitions effectuées aux domiciles respectifs de MM. [H], [V] et [J] le 8 février 2021 respectivement à 3 heures 15, 2 heures 26 et 2 heures 25, l'arrêt attaqué énonce que, selon le procès-verbal établi le 7 février à 20 heures, les officiers de police judiciaire ont reçu un appel téléphonique du juge d'instruction les autorisant verbalement à effectuer des perquisitions de nuit, vu l'urgence et la possible déperdition de preuves et leur indiquant régulariser son autorisation en leur transmettant une ordonnance dès le lendemain.
14. Les juges ajoutent que cette ordonnance, dont l'existence n'est pas mise en cause et qui figure en procédure, a bien été transmise aux enquêteurs qui l'ont annexée à leurs procès-verbaux de perquisition et qu'elle est motivée par référence à des éléments tant de fait que de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires et qu'elles ne peuvent être réalisées durant les heures légales.
15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.
16. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 17 décembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant rejeté les moyens de nullité des procès-verbaux d'interpellation de MM. [H], [V] et [J] et de perquisition de leurs domiciles, ainsi que l'ensemble des actes subséquents y faisant référence, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux. | S'il résulte de l'article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale que l'interdiction de transcription des correspondances avec un avocat relevant de l'exercice des droits de la défense de son client s'étend à celles échangées à ce sujet entre l'avocat et les proches de celui-ci, n'encourt pas la censure l'arrêt de la chambre de l'instruction qui rejette le moyen de nullité de la transcription de l'appel téléphonique d'un avocat à la compagne de son client pour l'informer du défèrement de celui-ci et lui fixer rendez-vous au tribunal, cette transcription ayant eu pour seul objet de donner les informations nécessaires à la compréhension de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation sur le véhicule de cette dernière |
8,065 | N° V 21-83.914 F-B
N° 01076
ECF
13 SEPTEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022
La société [1] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 16 juin 2021, qui, pour entrave, l'a condamnée à 15 000 euros d'amende dont 5 000 euros avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [1], les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité social et économique central de [1] venant aux droits du comité central d'entreprise de [1], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par actes en date du 9 mars 2017, le comité central d'entreprise de [1] a fait citer devant le tribunal correctionnel la société éponyme et Mme [L] [Z], présidente du groupe [1], du chef d'entrave pour avoir « omis d'informer et de consulter le comité central d'entreprise de [1] préalablement à la mise en oeuvre, en avril 2014 et au cours de l'année 2015, de la revue du personnel au sein de la société [1] ».
3. Par jugement en date du 27 juin 2018, le tribunal correctionnel a rejeté les exceptions de nullité de la citation et d'irrecevabilité de la constitution de partie civile du comité central d'entreprise, relaxé Mme [Z], déclaré la société [1] coupable des faits reprochés et a prononcé sur la peine et les intérêts civils.
4. La société prévenue a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de la société [1] liées à la nullité de la citation, alors « qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles 550, alinéa 4, 551, 565 et 121-2 du code pénal que porte nécessairement atteinte aux intérêts de la prévenue la citation délivrée par la partie civile à l'encontre d'une personne morale qui s'abstient de désigner l'identité de l'organe ou du représentant, personne physique, ayant commis les faits poursuivis pour son compte ; qu'en refusant de prononcer la nullité d'une citation après avoir relevé qu'il est « indifférent que la personne physique représentant la société n'ait pas été nommément désignée », quand ce défaut d'identification portait nécessairement atteinte aux intérêts de la prévenue en ne répondant pas aux exigences de certitude et de précision des faits qui lui étaient reprochés, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen. »
Réponse de la Cour
7. Pour écarter l'exception de nullité de la citation, prise de ce que cet acte ne mentionne pas l'identité de la personne physique, organe ou représentant de la personne morale, susceptible d'avoir commis le délit d'entrave, l'arrêt attaqué énonce qu'il est indifférent que celle-ci n'ait pas été nommément désignée.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
9. En effet, l'article 551, alinéa 2, du code de procédure pénale n'exige que soient mentionnés dans la citation que la description détaillée des faits poursuivis et les textes de loi les réprimant.
10. Il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de la société [1] liées à l'irrecevabilité de la citation directe, alors « qu'est irrégulière la délibération par laquelle le comité d'entreprise donne mandat à son secrétaire d'exercer des poursuites correctionnelles pour entrave à son fonctionnement lorsque cette délibération n'a pas été préalablement inscrite à l'ordre du jour de la réunion du comité et ne présente aucun lien avec les questions devant être débattues de telle sorte que les membres titulaires absents sont privés de toute possibilité de s'exprimer sur ce sujet ; que pour écarter toute irrecevabilité de la citation directe délivrée par le CCE de [1] résultant de l'irrégularité de la délibération du CCE du 1er octobre 2015 et du mandat confié à son secrétaire en conséquence pour exercer des poursuites correctionnelles du chef d'entrave, l'arrêt attaqué se borne à relever que « lors de la réunion du CCE du 1er octobre 2015, son secrétaire M. [N] est intervenu en début de séance pour solliciter l'ajout d'un point à l'ordre du jour : vote d'un mandat au secrétaire du CCE pour ester en justice pour entrave » et qu'en outre, « lors de la réunion du CCE du 7 avril 2016, une résolution désignant le cabinet d'avocat en charge de l'action a été inscrite à l'ordre du jour et adoptée à l'unanimité » ; qu'en se déterminant ainsi sans même rechercher si l'ajout de ce point à l'ordre du jour de la réunion du 1er octobre 2015 en tout début de séance, n'était pas de nature à établir l'irrégularité de la résolution litigieuse et du mandat confié à M. [N] en conséquence, faute d'avoir permis aux membres titulaires absents de la possibilité de s'exprimer sur ce sujet, et quand la circonstance que le CCE ait désigné lors de la réunion du CCE du 7 avril 2016 le cabinet d'avocat en charge de l'action était indifférente à établir la régularité de la délibération du 1er octobre 2015 et du mandat confié à son secrétaire, le mandat confié au cabinet d'avocat étant distinct du mandat confié au secrétaire du comité d'entreprise, et ne pouvant en aucun cas suppléer l'irrégularité de ce dernier, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient et privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 2325-1 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'époque des faits et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12. Pour écarter l'exception d'irrecevabilité de la constitution de partie civile du comité central d'entreprise, prise de l'irrégularité de la délibération autorisant le secrétaire de ce comité à agir en justice du chef d'entrave, l'arrêt attaqué relève notamment qu'il résulte des pièces produites que, lors de la réunion du comité central d'entreprise du 1er octobre 2015, son secrétaire, M. [N], est intervenu en début de séance pour solliciter l'ajout d'un point à l'ordre du jour ainsi intitulé : « vote d'un mandat au secrétaire du CCE pour ester en justice pour entrave ».
13. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision.
14. En effet, si l'article L. 2327-14 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, prévoyait que l'ordre du jour du comité central d'entreprise est communiqué aux membres huit jours au moins avant la séance, ce délai était édicté dans leur intérêt afin de leur permettre d'examiner les questions à l'ordre du jour et d'y réfléchir.
15. Or, il résulte du procès-verbal du comité du 1er octobre 2015, dont la Cour de cassation a le contrôle, que la modification de l'ordre du jour a été adoptée à l'unanimité des membres présents, de sorte qu'il en résulte que ces derniers ont accepté, sans objection, de discuter de la question du mandat, manifestant ainsi avoir été avisés en temps utile.
16. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que la société [1] devra payer au comité social et économique central de [1] venant aux droits du comité central d'entreprise de [1], en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux. | Le délai de huit jours au moins avant la séance, dans lequel, en application de l'article L. 2327-14 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail, l'ordre du jour du comité central d'entreprise est communiqué à ses membres, est édicté dans l'intérêt de ceux-ci afin de leur permettre d'examiner les questions à l'ordre du jour et d'y réfléchir.
Justifie sa décision la cour d'appel qui, pour écarter l'exception d'irrecevabilité de la constitution de partie civile du comité central d'entreprise, prise de l'irrégularité de la délibération autorisant le secrétaire de ce comité à agir en justice du chef d'entrave, relève notamment qu'il résulte des pièces produites que, lors de la réunion de celui-ci, son secrétaire est intervenu en début de séance pour solliciter l'ajout d'un point à l'ordre du jour relatif au vote d'un mandat pour ester en justice pour entrave. En effet, il résulte du procès-verbal de ladite réunion, dont la Cour de cassation a le contrôle, que la modification de l'ordre du jour a été adoptée à l'unanimité des membres présents, de sorte qu'il en résulte que ces derniers ont accepté, sans objection, de discuter de la question du mandat, manifestant ainsi avoir été avisés en temps utile |
8,066 | N° W 22-80.515 FS-B
N° 01082
ECF
13 SEPTEMBRE 2022
REJET
M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022
M. [K] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, en date du 14 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui, notamment, des chefs d'association de malfaiteurs et blanchiment, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 21 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [K] [C], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, MM. Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Michon, conseiller référendaire, M. Aldebert, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 24 décembre 2020 à 8 heures 45, trois agents de la police municipale de [Localité 1] se sont enquis de la présence de deux personnes, dont M. [K] [C], après avoir remarqué le stationnement inhabituel de deux véhicules, dont l'un de marque Renault, modèle Clio.
3. Le conducteur de ce véhicule s'est enfui en courant, après qu'un des agents eut signalé la présence de liasses de billets sur la banquette arrière.
4. Les gendarmes, avisés par les agents de police municipale, sont arrivés sur les lieux à 9 heures 20, ont placé en garde à vue M. [C] pour non-justification de ressources, avec effet rétroactif à 9 heures, et lui ont notifié ses droits à 10 heures, heure à laquelle ils ont avisé le procureur de la République de cette mesure.
5. Les gendarmes ont requis deux des trois agents de police municipale pour procéder à la visite du véhicule Renault Clio et à la saisie des nombreuses liasses de billets, pour une somme totale de 83 000 euros, découvertes à l'extérieur et à l'intérieur de ce véhicule.
6. Après ouverture d'une information judiciaire, M. [C] a été mis en examen, le 26 décembre 2020, notamment des chefs susvisés.
7. Le 22 juin 2021, son avocat a déposé au greffe de la chambre de l'instruction une requête en annulation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité formée par M. [C] et a, en conséquence, renvoyé le dossier au magistrat instructeur pour poursuite de l'information, alors :
« 1°/ qu'en leur qualité d'agents de police judiciaire adjoints, tenus de seconder les officiers de police judiciaire dans l'exercice de leurs fonctions, et relevant ainsi de leur autorité administrative, les agents de police municipale ne peuvent être requis pour assister, en tant que témoins, à une perquisition ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tendant à l'annulation de la perquisition du véhicule Renault Clio, que les deux agents de police municipale avaient pu régulièrement assister à cette perquisition, en qualité de témoins requis par l'officier de police judiciaire, cependant qu'en leur qualité d'agents de police judiciaire adjoints, ceux-ci ne pouvaient valablement être requis pour assister, en tant que témoins, à la perquisition litigieuse, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 21, 21-2 et 57 du code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
2°/ que porte atteinte au caractère équitable de la procédure le fait que les deux témoins requis pour assister à une perquisition aient été à l'origine de la mesure ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tendant à l'annulation de la perquisition du véhicule Renault Clio, que le fait que les deux agents de police municipale aient « procédé à une interpellation et à une tentative d'interpellation comme tous citoyens en cas d'infractions flagrantes, [aient] été entendus comme témoins et [ne soient] pas intervenus comme agents de police adjoints sous l'autorité de l'officier de police judiciaire » ne portait pas atteinte au caractère équitable de la procédure, cependant que ces deux agents étaient ainsi à l'origine de l'arrestation de M. [C] et de la perquisition en cause, de sorte qu'ils ne pouvaient être requis pour assister, en tant que témoins, à ladite perquisition, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire et 57 du code de procédure pénale, et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article 57 du code de procédure pénale, pris en son deuxième alinéa, lorsque la mesure de saisie ne peut avoir lieu en présence de l'occupant des lieux ou de l'un de ses représentants, l'officier de police judiciaire doit procéder à cette mesure en présence de deux témoins requis à cet effet par lui, en dehors des personnes relevant de son autorité administrative.
10. Une telle obligation a pour finalité de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations de saisie ainsi que d'authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis.
11. D'une part, il en résulte que toute partie qui y a intérêt a qualité pour invoquer la nullité tirée de la méconnaissance de ces dispositions.
12. D'autre part, ces dispositions excluent qu'un officier de police judiciaire requière des agents de police municipale agissant dans l'exercice de leurs fonctions, dès lors qu'il résulte de l'article 21 du code de procédure pénale que de tels agents sont agents de police judiciaire adjoints et ont pour mission de seconder les officiers de police judiciaire.
13. C'est à tort que les juges, pour écarter le moyen de nullité notamment des saisies opérées à l'extérieur et à l'intérieur du véhicule Renault Clio, ont jugé que l'officier de police judiciaire pouvait requérir MM. [F] et [G], agents de police municipale agissant dans l'exercice de leurs fonctions, pour assister à ces mesures.
14. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que le requérant n'a ni justifié ni même allégué l'existence d'un grief devant la chambre de l'instruction.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité formée par M. [C] et a, en conséquence, renvoyé le dossier au magistrat instructeur pour poursuite de l'information, alors :
« 1°/ qu'il résulte des articles 63 et 63-1 du code de procédure pénale que, dès le début de la mesure, l'officier de police judiciaire informe le procureur de la République du placement de la personne en garde à vue et informe cette dernière de ses droits, tout retard dans cette information et cette notification portant nécessairement atteinte aux droits de l'intéressé ; qu'en retenant, pour écarter le moyen tendant à l'annulation de la garde à vue de M. [C], que ne présentait pas un caractère tardif le délai de 40 minutes écoulé entre, d'une part, l'arrivée à 9 heures 20 de l'officier de police judiciaire sur les lieux et, d'autre part, la notification de ses droits à M. [C] et l'information donnée au procureur de la République, à 10 heures, la chambre de l'instruction a violé les articles 63 et 63-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que seules des circonstances insurmontables peuvent justifier un retard dans l'information du procureur de la République et la notification, à la personne gardée à vue, de ses droits ; qu'en se bornant à retenir, pour écarter le moyen tendant à l'annulation de la garde à vue de M. [C], que « la notification des droits intervenue 40 minutes après l'arrivée de l'officier de police judiciaire ne présent[ait] pas un caractère tardif compte tenu des circonstances de l'interpellation de la zone dans laquelle elle a[vait] eu lieu, de la fuite de l'un des deux individus, des constatations effectuées sur place et des délais de transport », cependant que de tels motifs, généraux et abstraits, s'ils pouvaient éventuellement justifier l'arrivée de l'officier de police judiciaire vingt minutes après l'interpellation de M. [C], à 9 heures, ne caractérisaient aucune circonstance insurmontable susceptible de justifier le retard de 40 minutes pris par celui-ci dans la notification des droits et l'information du procureur de la République, à 10 heures, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision, au regard des articles 63 et 63-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Pour écarter le moyen de nullité pris de la tardiveté de la notification des droits et de l'avis au procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce qu'une notification verbale des droits a été faite par l'officier de police judiciaire à la personne placée en garde à vue après son arrivée sur les lieux à 9 heures 20.
18. Les juges ajoutent que l'avis au procureur et la notification écrite des droits, intervenus quarante minutes après cette arrivée de l'officier de police judiciaire, ne présentent pas un caractère tardif compte tenu des circonstances de l'interpellation, de la zone dans laquelle elle a eu lieu, de la fuite d'un des deux individus, des constatations effectuées sur place et des délais de transport.
19. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles et légales invoquées.
20. Dès lors, le moyen doit être écarté.
21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux. | Selon l'article 57 du code de procédure pénale, pris en son deuxième alinéa, lorsque la mesure de saisie ne peut avoir lieu en présence de l'occupant des lieux ou de l'un de ses représentants, l'officier de police judiciaire doit procéder à cette mesure en présence de deux témoins requis à cette effet par lui, en dehors des personnes relevant de son autorité administrative.
Une telle obligation a pour finalité de garantir le caractère contradictoire du déroulement des opérations de saisie ainsi que d'authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis, de sorte que toute partie qui y a intérêt a qualité pour invoquer la nullité tirée de la méconnaissance de ces dispositions.
Des agents de police municipale agissant dans l'exercice de leurs fonctions relèvent de l'autorité administrative de l'officier de police judiciaire, dès lors qu'aux termes de l'article 21 du code de procédure pénale, ils sont agents de police judiciaire adjoints et ont, en cette qualité, pour mission de seconder les officiers de police judiciaire.
Si c'est à tort qu'une chambre de l'instruction juge que l'officier de police judiciaire procédant à une saisie a pu requérir en qualité de témoins deux agents de police municipale agissant dans l'exercice de leurs fonctions, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure, dès lors que le requérant n'a ni justifié ni même allégué devant les juges l'existence d'un grief |
8,067 | CIV. 1
IB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 juin 2022
M. CHAUVIN, président
Avis n° 9000 FS-B
Pourvoi n° Y 21-80.743 (chambre criminelle)
n° U 22-70.002 (première chambre civile)
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
Première chambre civile
La chambre criminelle, saisie de pourvois formés par Mme [E] [H] et M. [D] [N], a sollicité, le 9 février 2022, l'avis de la première chambre civile.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022, où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a émis le présent avis.
Énoncé de la demande d'avis
1. La demande est ainsi formulée :
« En cas de confiscation des droits concurrents dont est titulaire une personne sur un bien acquis par elle avec une clause de tontine, la dévolution à l'Etat de ces droits emporte-t-elle, en raison de la disparition de l'aléa, condition essentielle de la clause de tontine, la caducité de cette dernière, et place-t-elle, par suite, le bien en état d'indivision entre l'Etat et les autres tontiniers ? »
Examen de la demande d'avis
2. La clause de tontine, ou clause d'accroissement, est celle par laquelle, lorsque plusieurs personnes acquièrent un bien, le survivant des acquéreurs est réputé avoir été seul propriétaire depuis l'acquisition.
3. Tant que la condition de survie demeure pendante, un acquéreur en tontine a, sous la réserve de stipulations contraires, la possibilité d'aliéner seul les droits qu'il tient du pacte tontinier et qui consistent, d'une part, en la jouissance indivise du bien, d'autre part, en la propriété du bien conditionnée au prédécès de ses coacquéreurs.
4. En application du principe selon lequel une personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu'elle n'en a elle-même, la condition de survie demeure, en ce cas, appréciée en la personne de l'acquéreur initial. Le transfert des droits tontiniers au bénéfice d'une personne morale, de droit privé ou de droit public, est donc sans effet sur l'aléa inhérent à la condition de survie.
5. Il s'en déduit que la confiscation des droits que l'un des acquéreurs tient de la clause de tontine ne peut, sans excéder ces droits, affecter l'aléa du pacte tontinier et, partant, l'existence et l'économie de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, la première chambre civile :
EST D'AVIS QUE, en cas de confiscation des droits concurrents dont est titulaire une personne sur un bien acquis en commun avec une clause de tontine, la dévolution à l'Etat de ces droits n'emporte pas disparition de l'aléa du pacte tontinier, la condition de survie déterminant la propriété du bien demeurant appréciée en la personne de l'acquéreur initial dont les droits sont confisqués.
Ordonne la transmission du dossier et de l'avis à la chambre criminelle ;
Ainsi fait et émis par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze juin deux mille vingt-deux. | La clause de tontine, ou clause d'accroissement, est celle par laquelle, lorsque plusieurs personnes acquièrent un bien, le survivant des acquéreurs est réputé avoir été seul propriétaire depuis l'acquisition. Tant que la condition de survie demeure pendante, un acquéreur en tontine a, sous la réserve de stipulations contraires, la possibilité d'aliéner seul les droits qu'il tient du pacte tontinier et qui consistent, d'une part, en la jouissance indivise du bien, d'autre part, en la propriété du bien conditionnée au prédécès de ses coacquéreurs. En application du principe selon lequel une personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu'elle n'en a elle-même, la condition de survie demeure, en ce cas, appréciée en la personne de l'acquéreur initial. Le transfert des droits tontiniers au bénéfice d'une personne morale, de droit privé ou de droit public, est donc sans effet sur l'aléa inhérent à la condition de survie.
Il s'en déduit que la confiscation des droits que l'un des acquéreurs tient de la clause de tontine ne peut, sans excéder ces droits, affecter l'aléa du pacte tontinier et, partant, l'existence et l'économie de celui-ci |
8,068 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 637 FS-B
Pourvoi n° T 21-19.650
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
M. [S] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° T 21-19.650 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 13), dans le litige l'opposant à l'Agent judiciaire de l'Etat, domicilié ministère de l'économie de l'industrie et de l'emploi, [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [N], de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Le Gall, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2021), le 29 mars 2010, lors d'une perquisition réalisée au cours d'une information judiciaire, deux caravanes et un véhicule automobile ont été appréhendés, placés sous scellés et confiés à la société garage Clinic Auto (le garage) suivant réquisition. Le 25 septembre 2011, une caravane a été dérobée dans l'enceinte du garage et les autres véhicules ont subi des dégradations. Un arrêt du 9 novembre 2011, devenu irrévocable, a ordonné la restitution des véhicules et une ordonnance de non-lieu du 15 juillet 2015 a mis un terme à l'instruction.
2. M. [N] a assigné, sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'agent judiciaire de l'Etat en indemnisation des préjudices liés au vol et aux dégradations.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ; sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice ; constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; que la non restitution des objets placés sous scellés ou la restitution de scellés fortement dégradés traduit l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission de conservation et de gestion des scellés dont il est investi ; qu'en jugeant que la non restitution d'un véhicule et les dégradations sur deux autres véhicules ne sont pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat dès lors que la garde de ces scellés a été confiée à un tiers personnellement responsable de leur conservation et de leur restitution au propriétaire, la cour d'appel a violé l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice et à ce titre, est responsable des dommages causés par les collaborateurs qu'il se substitue dans l'accomplissement des missions dont il est investi ; qu'il en résulte que la remise des objets placés sous scellés à un tiers gardien en dehors de tout cadre légal régissant cette remise n'est pas de nature à exonérer l'Etat des obligations qui incombent au service public de la justice au titre de la conservation et de la restitution des biens placés sous scellés ; qu'en affirmant que la société Clinic Auto, collaborateur occasionnel du service public de la justice à l'occasion de la garde des véhicules placés sous scellés, n'était pas susceptible d'engager de son fait la responsabilité de l'Etat car n'étant pas agent du service public, la cour d'appel a violé l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; la responsabilité de la mise en dépôt des scellés incombe au magistrat qui dirige l'enquête lequel doit veiller, lorsque les objets placés sous scellés sont confiés au gardiennage d'un tiers en raison de leur volume, à ce que les services d'enquête les acheminent auprès d'établissements adaptés, c'est-à-dire d'établissements disposant de locaux permettant la conservation des objets dans des conditions de sécurité garantissant leur intégrité jusqu'à leur sortie ; qu'en retenant que la circonstance que le garage, à qui a été confiée la garde des véhicules placés sous scellés, a déjà subi des actes de vandalisme ne suffisait pas à établir sa défaillance notoire pour assurer la conservation des scellés et qu'en l'absence de démonstration par M. [N] d'une telle défaillance, aucune faute lourde de l'Etat ne saurait être caractérisée à défaut pour les officiers de police judiciaire de s'être assurés que le garage disposait d'un système de sécurité suffisant, la cour d'appel a violé l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
6. Après avoir énoncé, à bon droit, que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée, sur ce fondement, au titre d'une faute du garagiste dans la conservation des scellés, lequel était un collaborateur occasionnel du service public de la justice et non un agent de ce service, la cour d'appel a retenu que M. [N] ne rapportait la preuve d'aucune défaillance du magistrat instructeur, ni des officiers de police judiciaire dans le choix du garagiste.
7. Elle n'a pu qu'en déduire que ses demandes devaient être rejetées.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-deux.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [N].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
M. [N] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de ses demandes ;
1°) ALORS QUE l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ; sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice ; constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; que la non restitution des objets placés sous scellés ou la restitution de scellés fortement dégradés traduit l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission de conservation et de gestion des scellés dont il est investi ; qu'en jugeant que la non restitution d'un véhicule et les dégradations sur deux autres véhicules ne sont pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat dès lors que la garde de ces scellés a été confiée à un tiers personnellement responsable de leur conservation et de leur restitution au propriétaire, la cour d'appel a violé l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QUE l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice et à ce titre, est responsable des dommages causés par les collaborateurs qu'il se substitue dans l'accomplissement des missions dont il est investi ; qu'il en résulte que la remise des objets placés sous scellés à un tiers gardien en dehors de tout cadre légal régissant cette remise n'est pas de nature à exonérer l'Etat des obligations qui incombent au service public de la justice au titre de la conservation et de la restitution des biens placés sous scellés ; qu'en affirmant que la société Clinic Auto, collaborateur occasionnel du service public de la justice à l'occasion de la garde des véhicules placés sous scellés, n'était pas susceptible d'engager de son fait la responsabilité de l'Etat car n'étant pas agent du service public, la cour d'appel a violé l'article l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) ALORS QUE constitue une faute lourde toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi ; la responsabilité de la mise en dépôt des scellés incombe au magistrat qui dirige l'enquête lequel doit veiller, lorsque les objets placés sous scellés sont confiés au gardiennage d'un tiers en raison de leur volume, à ce que les services d'enquête les acheminent auprès d'établissements adaptés, c'est-à-dire d'établissements disposant de locaux permettant la conservation des objets dans des conditions de sécurité garantissant leur intégrité jusqu'à leur sortie ; qu'en retenant que la circonstance que le garage, à qui a été confiée la garde des véhicules placés sous scellés, a déjà subi des actes de vandalisme ne suffisait pas à établir sa défaillance notoire pour assurer la conservation des scellés et qu'en l'absence de démonstration par M. [N] d'une telle défaillance, aucune faute lourde de l'Etat ne saurait être caractérisée à défaut pour les officiers de police judiciaire de s'être assurés que le garage disposait d'un système de sécurité suffisant, la cour d'appel a violé l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [N] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de ses demandes ;
1°) ALORS QUE l'Etat engage sa responsabilité sur le fondement de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire lorsque le délai de restitution des biens placés sous scellés est excessif ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle était invitée à le faire, si M. [N] n'avait pas été indûment privé de la jouissance même des trois véhicules - dont les certificats de propriété et d'immatriculation ont été restitués près de quatre ans après que cette restitution a été ordonnée en justice – jusqu'à ce qu'il obtienne la délivrance de nouveaux certificats d'immatriculation auprès des autorités italiennes afin de pouvoir circuler régulièrement, dès lors que la circulation des véhicules est subordonnée à la détention des papiers correspondants, préjudice de jouissance dont il était fondé à demander réparation, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard du texte précité ;
2°) ALORS QUE de la faute lourde de l'Etat découle un préjudice fût-il seulement moral ; qu'en refusant d'indemniser M. [N], la cour d'appel a violé l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire.
Le greffier de chambre | La responsabilité de l'Etat ne peut être engagée, sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, au titre d'une faute d'un garagiste dans la conservation de scellés, celui-ci étant un collaborateur occasionnel du service public de la justice et non un agent de ce service |
8,069 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 septembre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 652 F-B
Pourvoi n° S 21-13.462
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
Le préfet du [Localité 3], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° S 21-13.462 contre l'ordonnance rendue le 16 janvier 2021 par le premier président de la cour d'appel de Douai (chambre des libertés individuelles), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [F] [R], domicilié [Adresse 2], précédemment retenu au centre de rétention de Coquelles, actuellement sans domicile connu,
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Douai, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat du préfet du [Localité 3], après débats en l'audience publique du 21 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Douai, 16 janvier 2021), et les pièces de la procédure, M. [R], de nationalité tunisienne, ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, a été placé en rétention administrative le 30 octobre 2020. Par ordonnances des 25 novembre, 30 novembre et 30 décembre 2020, le juge des libertés et de la détention a prolongé la rétention pour vingt-huit, trente puis quinze jours.
2. Le 13 janvier 2021, le préfet a demandé une quatrième prolongation sur le fondement de l'article L. 552-7, alinéa 5, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le préfet fait grief à l'ordonnance de décider de la mise en liberté de M. [R], alors « que le refus d'un étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement de se soumettre à un test PCR de dépistage de la Covid 19 constitue, sauf s'il est justifié par des raisons médicales dûment constatées, une obstruction volontaire à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement au sens de l'article L. 552-7 du CESEDA ; qu'en jugeant que le refus de M. [R] d'accepter un test PCR ne caractérisait pas une obstruction, au sens du texte précité, sans rechercher, comme il était soutenu, si M. [R] rapportait la preuve d'un état de santé incompatible avec la réalisation d'un tel test, le conseiller délégué du premier président n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 552-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 552-7 , alinéa 5, du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 :
5. Selon ce texte, le juge des libertés et de la détention peut, à titre exceptionnel, être saisi d'une demande de quatrième prolongation de la rétention, notamment lorsque, dans les quinze derniers jours, l'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement. Caractérise une telle obstruction le refus de se soumettre à un test PCR de dépistage de la Covid 19 exigé par une compagnie aérienne avant l'embarquement sauf s'il est justifié par des raisons médicales dûment constatées.
6. Pour décider de la mise en liberté de M. [R], l'ordonnance retient que le refus d'accepter un test PCR ne caractérise pas une obstruction, au sens de l'article L. 552-7, dans la mesure où d'autres moyens de recherche aux mêmes fins existent et qu'aucune obligation légale ou réglementaire n'impose d'effectuer ce test.
7. En se déterminant ainsi, sans rechercher s'il existait des raisons médicales motivant le refus de M. [R], le premier président a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle dit le recours recevable en la forme, l'ordonnance rendue le 16 janvier 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Douai ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour le préfet du [Localité 3]
Le Préfet du [Localité 3] fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir ordonné la mise en liberté immédiate de M. [F] [R] ;
1) ALORS QUE le refus d'un étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement de se soumettre à un test PCR de dépistage de la Covid 19 constitue, sauf s'il est justifié par des raisons médicales dûment constatées, une obstruction volontaire à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement au sens de l'article L 552-7 du CESEDA ; qu'en jugeant que le refus de M. [R] d'accepter un test PCR ne caractérisait pas une obstruction, au sens du texte précité, sans rechercher, comme il était soutenu, si M. [R] rapportait la preuve d'un état de santé incompatible avec la réalisation d'un tel test, le conseiller délégué du premier président n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L 552-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
2) ALORS QUE le préfet du [Localité 3] faisait valoir qu'à raison du contexte sanitaire, les compagnies aériennes exigeaient à l'embarquement la présentation du résultat négatif d'un test PCR, ce dont il résultait que l'administration n'avait pas le choix des méthodes de dépistage de la Covid 19 (concl. p.5 in fine et p.6) ; qu'en jugeant que le refus de M. [R] de se soumettre à un test PCR en vue d'un départ programmé au 13 janvier 2021 ne constituait pas une obstruction à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement dont il faisait l'objet, au motif que d'autres moyens de recherche aux mêmes fins existent, sans répondre au moyen opérant précité, le conseiller délégué du premier président de violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE Le refus d'un étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement de se soumettre à un test PCR de dépistage de la Covid 19 constitue, sauf s'il est justifié par des raisons médicales dûment constatées, une obstruction volontaire à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement au sens de l'article L 552-7 du CESEDA ; qu'en jugeant que le refus de M. [R] d'accepter un test PCR ne caractérisait pas une obstruction, au sens du texte précité, au motif inopérant qu'il n'existe aucune obligation légale ou réglementaire d'effectuer un tel test, le conseiller délégué du premier président de violé l'article L. 552-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
4) – ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'il ressort des ordonnances de placement successives de M. [R] que la durée totale de sa rétention administrative aurait été, en cas de confirmation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer du 15 janvier 2021, autorisant la prolongation de la rétention pour une durée supplémentaire de quinze jours, de quatre-vingt-dix jours, dans le respect des dispositions de l'article L. 552-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en retenant, pour ordonner la mise en liberté immédiate de l'intéressé, que la confirmation de l'ordonnance déférée aurait eu pour conséquence de prolonger sa rétention administrative au-delà du délai de 90 jours fixé par l'article L. 552-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le magistrat délégué de la cour d'appel de Douai a dénaturé les documents de la cause et violé le principe susvisé. | Le refus de se soumettre à un test PCR de dépistage de la COVID-19, sauf s'il est justifié par des raisons médicales dûment constatées, caractérise une obstruction à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement au sens de l'article L. 552-7, alinéa 5, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 |
8,070 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 septembre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 707 FS-B
Pourvoi n° C 17-15.388
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
1°/ M. [E] [I],
2°/ Mme [Z] [O], épouse [I],
domiciliés tous deux [Adresse 7], agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de Mme [R] [I], de M. [N] [I] et de M. [M] [I],
ont formé le pourvoi n° C 17-15.388 contre l'arrêt rendu le 26 janvier 2017 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [A] [F],
2°/ à M. [K] [F],
domiciliés tous deux [Adresse 4] (États-Unis),
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Serrier, conseiller référendaire, les observations écrites et plaidoiries de Me Boullez, avocat de M. [I] et de Mme [O], tant en leur nom personnel qu'ès qualités, de Me Thomas-Raquin, avocat de M. et Mme [F], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Serrier, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 janvier 2017, rectifié le 8 juin 2021), le 30 avril 2007, MM. [E] et [C] [I] et Mme [Y] (les consorts [I]), d'une part, MM. [A] et [K] [F] (les consorts [F]), d'autre part, ont conclu « un protocole transactionnel » aux termes duquel les consorts [I] ont accepté de rembourser aux consorts [F], en trois versements, outre une mensualité de 800 euros jusqu'à complet paiement, le compte courant détenu par ces derniers dans la société civile immobilière [Adresse 10] (la SCI) dont ils étaient les associés. En contrepartie, les consorts [F] se sont engagés, après parfait paiement de leur créance, à céder à M. [C] [I] la totalité de leurs parts sociales au prix d'un euro.
2. Le 29 octobre 2008, M. [E] [I] a consenti à ses trois enfants mineurs, [R], [N] et [M], une donation portant sur la propriété indivise d'un appartement, avec réserve d'usufruit au profit de Mme [O], son épouse.
3. Par ordonnance du 16 septembre 2009, confirmée le 5 avril 2011, le président du tribunal de grande instance de Paris a donné force exécutoire au protocole.
4. Invoquant la défaillance de M. [E] [I], les consorts [F] ont vainement diligenté diverses mesures d'exécution à son encontre.
5. Le 2 juillet 2013, ils ont assigné M. [E] [I], Mme [O] et leurs enfants, représentés par ceux-ci, en inopposabilité de l'acte de donation aux fins de pouvoir procéder à la saisie de l'appartement et en paiement de dommages-intérêts au titre de leurs préjudices matériel et moral. M. [E] [I] et Mme [O] ont opposé la nullité du protocole en l'absence de concessions réciproques, invoqué une clause léonine et contesté leur insolvabilité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. M. [E] [I] et Mme [O] font grief à l'arrêt de déclarer l'acte de donation inopposable aux consorts [F] et de dire qu'ils pourront procéder à la saisie de l'appartement, dans la limite de leurs créances, alors « que la révocation prévue à l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, suppose établie l'insolvabilité du débiteur, à la date de l'introduction de la demande ; qu'en se satisfaisant de l'état d'insolvabilité apparente de M. [I], tant à la date de l'acte de donation litigieux qu'au jour où l'action a été engagée, comme le démontre l'absence de tout règlement de la dette des consorts [F], postérieur au 15 septembre 2007, les multiples voies d'exécution diligentées sans succès et l'opacité de sa situation professionnelle, au lieu de vérifier si le patrimoine du débiteur ne lui permettait pas de répondre à son engagement, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
7. Sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et au vu desquels elle a estimé que M. [E] [I] n'établissait pas disposer de biens d'une valeur suffisante pour désintéresser les consorts [F] à la date d'introduction de leur demande.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. M. [E] [I] et Mme [O] font le même grief à l'arrêt, alors « que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue, en application de l'article 1441-4 du code de procédure civile, sur une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction, son contrôle ne peut porter que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs ; qu'il s'ensuit que l'homologation de la transaction du 30 avril 2007 n'interdisait pas aux consorts [I] d'en solliciter l'annulation, en tant qu'elle avait été conclue en fraude de leurs droits, en violation de la prohibition des clauses léonines, en tant qu'elle leur faisait supporter l'intégralité du passif de la SCI [Adresse 10] ; qu'en affirmant, à l'inverse, qu'il n'était plus au pouvoir des consorts [I] de remettre en cause le principe de la créance des consorts [F], dès lors qu'elle trouvait son origine dans un protocole transactionnel du 30 avril 2007, auquel le président du tribunal de grande instance de Paris avait reconnu force exécutoire en l'homologuant par ordonnance sur requête définitive, après rejet de la requête en rétractation, la cour d'appel a violé la disposition précitée, ensemble les articles 1167 et 2052 du code civil dans leur rédaction applicable en l'espèce et l'article 1844-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2052 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et 1441-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 :
10. Il résulte de ces textes que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue sur une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction, son contrôle ne porte que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs et n'exclut pas celui opéré par le juge du fond saisi d'une contestation de la validité de la transaction.
11. Pour accueillir la demande en inopposabilité de la donation, après avoir constaté que M. [E] [I] et Mme [O] invoquaient la nullité de la transaction litigieuse en raison de son caractère frauduleux et de l'absence de concessions réciproques, l'arrêt retient que le principe de créance des consorts [F] est certain, dès lors que celle-ci trouve son origine dans la transaction à laquelle l'arrêt du 5 avril 2011 a conféré force exécutoire et dont la validité ne peut plus être remise en cause.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
15. En premier lieu, en application de l'article 2052, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, les transactions ne peuvent être attaquées pour cause de lésion.
16. Par ailleurs, il résulte des termes de la transaction litigieuse que, conformément à l'article 2044 du même code dans sa rédaction antérieure à celle issue de la même loi, elle renferme des concessions réciproques.
17. En effet, les consorts [I] reconnaissent que les consorts [F] disposent envers la SCI d'une créance de 189 711 euros qu'ils acceptent d'acquérir suivant acte de cession séparé joint à la transaction moyennant paiement du prix de 189 711 euros en trois mensualités et les consorts [F] acceptent en contrepartie de leur céder moyennant le prix symbolique d'un euro la totalité des parts qu'ils détiennent dans la SCI.
18. Les consorts [I] ne peuvent donc utilement soutenir que la transaction conclue conduirait à un enrichissement sans cause des consorts [F], qu'elle serait dépourvue de concessions réciproques, qu'elle contiendrait une clause léonine ou que la créance des consorts [F] serait déséquilibrée.
19. En second lieu, les consorts [I] se bornent à alléguer sans l'établir l'existence d'une fraude à la loi et d'un passif de la SCI lors de la transaction.
20. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'exception de nullité du protocole, soulevée par les consorts [I], doit être écartée.
21. En conséquence, toutes les conditions de l'action paulienne étant réunies, il y a lieu d'accueillir la demande en inopposabilité de la donation formée par les consorts [F] et d'autoriser ceux-ci à procéder à la saisie de l'appartement situé [Adresse 5] dans la limite de leurs créances en application de la transaction du 30 avril 2007.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
22. M. [E] [I] et Mme [O] font grief à l'arrêt de les condamner in solidum ainsi que leurs trois enfants, [R], [N] et [M] [I], représentés par leurs parents, à payer aux consorts [F], la somme de 4 000 euros en réparation de leur préjudice matériel et celle de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral, alors « que la défense à une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient alors au juge de spécifier, dégénérer en abus lorsque sa légitimité a été reconnue par le premier juge, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet ; qu'en retenant que les consorts [F] se sont heurtés à la résistance abusive des consorts [I], ainsi qu'à leur volonté démontrée de ne pas honorer leurs engagements, bien qu'ils aient relevé appel du jugement entrepris les déboutant de leur action paulienne, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une faute des consorts [I] ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
23. La cour d'appel a retenu que la faute des consorts [I] résidait dans l'inexécution de leurs engagements envers les consorts [F] et non dans un abus de leur droit d'agir en justice.
24. Le moyen manque donc en fait.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare inopposable aux consorts [F] l'acte de donation de l'appartement situé [Adresse 5] et en ce qu'il dit que les consorts [F] pourront procéder à la saisie de cet appartement dans la limite de leurs créances, l'arrêt rendu le 26 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Statuant au fond, déclare inopposable à MM. [A] et [K] [F] l'acte de donation de la nue-propriété en indivision de l'appartement situé [Adresse 6] cadastré section BY n° [Cadastre 1], lot n° 7 et 81 faite par M. [E] [I] à [R] [W] [I], [N] [H] [I] et [M] [G] [I], représentés par leurs parents M. [E] [I] et Mme [Z] [O] épouse [I], avec réserve d'usufruit à M. [E] [I] et à Mme [Z] [O] par acte reçu par Me [V] notaire à Paris, le 29 octobre 2008, publié au service de la publicité foncière de Paris n° 8, le 9 décembre 2008, référence d'enliassement 2008P6985 ;
Autorise MM. [A] et [K] [F] à procéder à la saisie de l'appartement situé [Adresse 6] cadastré section BY n° [Cadastre 1], lot n° 7 et 81, dans la limite de leurs créances en application du protocole du 30 avril 2007, entre les mains des donataires ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés, en ce compris ceux exposés devant les juridictions du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. [I] et Mme [O]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le pourvoi fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR déclaré inopposable à MM. [A] et [K] [F], l'acte de donation de la nue-propriété en indivision de l'appartement situé [Adresse 6], cadastré section BY n° [Cadastre 1], lot n° 87 et 81, faite par M. [E] [I] à [R], [N] et [M] [I], représentés par leurs parents, M. [E] [I] et Mme [Z] [O] épouse [I], avec réserve d'usufruit au profit de leurs parents, par acte reçu par Me [V], notaire, à Paris, le 29 octobre 2008, publié au service de la publicité foncière de Paris n° 8, le 9 décembre 2008, référence d'enliassement 2008P6985, D'AVOIR dit que MM. [F] pourront procéder à la saisie de l'appartement situé [Adresse 6], cadastré section BY n° [Cadastre 1], lot n° 87 et 81, dans la limite de leurs créances en application du protocole d'accord du 30 avril 2007, entre les mains des donataires et D'AVOIR condamné in solidum les consorts [I] à payer aux consorts [F] des dommages et intérêts d'un montant de 4.000 € en réparation de leur préjudice matériel et de 5.000 € en réparation de leur préjudice moral ;
AUX MOTIFS QUE les appelants font valoir qu'au titre du protocole transactionnel conclu le 30 avril 2007, les consorts [I] doivent à ce jour aux consorts [F] plusieurs sommes pour un montant total de 213 484.25 euros ; qu'il a été conféré force exécutoire à ce protocole par l'ordonnance du tribunal de grande instance de Paris le 16 septembre 2009 ; que les consorts [I] ont assigné les consorts [F] en rétractation de cette ordonnance et qu'ils ont vu leur demande rejetée par une ordonnance du juge des référés le 17 mars 2010 ; que la validité du protocole transactionnel ne saurait être remise en cause ; que les intimés répliquent que la créance des consorts [F] n'est pas en réalité certaine en son principe ; que le protocole transactionnel de 2007 permet un enrichissement sans cause des consorts [F] ; qu'en effet, il permet par le biais d'une cession de créance de changer de débiteurs (les consorts [I] se substituent à la SCI [Adresse 10]) et aussi par le biais de la cession de la moitié des parts sociales que les consorts [D] détiennent dans la SCI, de s'exonérer du passif y afférent ; que les consorts [D] n'ont accepté aucune concession aux consorts [I] ; que, de surcroit, la cession de parts sociales exonérant les cédants de toute participation au passif de la société moyennant le prix d'un euro symbolique est nulle car léonine ; que le caractère frauduleux de la créance des consorts [F] la rend non certaine et non exigible ; qu'en application de l'article 2052 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort ; que le protocole transactionnel du 30 avril 2007 régularisé entre les parties a fait l'objet d'une homologation judiciaire par ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 16 septembre 2009 aujourd'hui définitive ; que c'est dès lors à bon droit que le premier juge a retenu que le principe de la créance des consorts [F] ne pouvait plus être remis en cause dès lors qu'elle trouvait son origine dans un protocole transactionnel auquel une décision de justice définitive, soit l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 5 avril 2011 (pièce n°9 des appelants), avait conféré force exécutoire ; que, dans ces conditions les consorts [I] seront déboutés de toutes leurs demandes tendant à voir remis en cause le protocole transactionnel du 30 avril 2007 ; que les appelants font valoir qu'ils ont entrepris plusieurs saisies pour recouvrer leur créance, qu'aucune de ces saisies n'a pu aboutir au recouvrement de la créance du fait de l'insolvabilité des débiteurs ; qu'en effet, les parts sociales de la SCI sont un bien difficile à appréhender, leur mise en vente forcée étant délicate et aléatoire puisqu'il n'est pas aisé de trouver un acheteur ; qu'il apparaît de plus que la plupart de ces parts sociales sont grevées de sûretés réelles ; qu'ils ajoutent que la saisie des rémunérations exercée à rencontre de Mme [W] [I] a été suspendue à la suite d'un avis à tiers détendeur en 2010, puis qu'ils ont été avisés de la fin du contrat de travail de cette dernière le 20 décembre 2012 ; que s'agissant de l'insolvabilité de M. [C] [I], ce dernier est propriétaire en indivision d'un bien immobilier dont les parts sont grevées de différentes sûretés de sorte qu'il ne permet pas le recouvrement de la créance ; que de plus, M. [C] [I] a été gérant d'une société qui a été radiée le 2 septembre 2010 ; qu'il ne dispose donc pas de biens ou de revenus permettant de recouvrer la créance ; que M. [E] [I], lui était gérant de la société MRAC [I], radiée le 16 juillet 2014 ; qu'ils ne peuvent pratiquer une saisie sur salaire sans avoir les informations relatives aux employeurs de M. [I] ; que La SCI [Adresse 10] n'est plus propriétaire du bien sis [Adresse 2], ce dernier constituant un local commercial ayant été cédé à la SCI SM qui l'a elle-même vendu en mars 2010 ; que les intimés répliquent que M. [E] [I] n'est pas dans une situation d'impécuniosité ; qu' il dispose d'un emploi et de revenus ; que la société MRAC, dont il est le gérant commercial, a réalisé un bénéfice de 83 138 euros ; que les consorts [F] ne démontrent d'ailleurs pas qu'aucun des codébiteurs soient aujourd'hui insolvables ; qu'aux termes du protocole transactionnel exécutoire du 30 avril 2007 (pièce n°1 des appelants), homologué par décision de justice aujourd'hui définitive, [W] [Y] veuve [I], [C] [I] et [E] [I] doivent à [A] [F] et [K] [F] la somme de 189 711 euros qu'ils se sont engagés à régler en trois versements de 63 237 euros qui devaient intervenir le 15 mai, le 15 juillet et le 15 septembre 2007 ; qu'il était également prévu aux termes de ce protocole un versement de 800 euros par mois à titre de dédommagement jusqu'au paiement complet de la créance en principal ; qu'il n'est pas contesté que seul le premier règlement a été honoré et que le dédommagement de 800 euros par mois ne l'a été que jusqu'au mois d'avril 2008 ; qu'appelants et intimés étaient initialement associés de la SCI [Adresse 10] qui possédait un bien immobilier situé [Adresse 3] dans le troisième arrondissement de Paris ; que ce bien a été cédé à la SCI SM n°57 ; que la SCI [Adresse 10] en a perçu le prix de 488 000 euros le 2 décembre 2004 (pièce n° 57 des appelants) ; que la SCI SM est détenue par [E], [C] et [W] [I] à hauteur de cinq parts chacun ; que les débiteurs sont également associés au sein d'une SCI CP ; que ces différentes parts sociales ont fait l'objet de procès-verbaux de saisie les 16 et 23 décembre 2009 (pièce n°5 des appelants) ; que les parts de la SCI SM sont nanties au profit de BNP Paribas (pièce n°46 des appelants) pour un montant total de 1 139 606,49 euros, la dernière inscription remontant au 23 mai 2013 ; qu'il en est de même des parts de la SCI CP nanties pour un montant sensiblement équivalent au profit du même créancier (pièce n° 47) ; que la vente forcée de ces parts, grevées de telles sûretés, serait dépourvue de tout effet sur le recouvrement de la créance des consorts [F] ; que par ailleurs les appelants justifient à suffisance avoir pratiqué des saisies attributions sur les comptes bancaires des différents débiteurs ainsi qu'une saisie des rémunérations de Mme [W] [I] avortée en raison d'un avis à tiers détenteur émis par le trésor public pour un montant de 75 700,22 euros (pièce n° 13) et la fin du contrat de travail de l'intéressé ; que la procédure de saisie des rémunérations de M. [E] [I] n'apparaît, à ce jour pas plus fructueuse puisqu'elle se heurte à l'inertie de l'employeur (pièce n° 69) ; qu'il n'est pas contesté qu'au bout du compte, en dépit de ces voies d'exécution multiples, les consorts [F] n'ont pu obtenir règlement que d'une somme de 503,34 euros, ce dont se déduit l'insuffisance du patrimoine des débiteurs pour permettre aux créanciers d'obtenir leur paiement ; que, face à cette impossibilité de recouvrer leur créance, il convient de déterminer si, par l'acte de donation du 29 octobre 2008 ayant fait sortir de son patrimoine un bien immobilier possédé [Adresse 8] dans le seizième arrondissement de [Localité 9], [E] [I] a sciemment entendu diminuer le gage des créanciers ; qu'à cet égard que les appelants font valoir que dès le 15 juillet 2007, les consorts [I] connaissaient des incidents de paiement auxquels ils ne remédiaient pas ; que des échanges de courriers entre Me Levy, avocat des consorts [F] et l'expert-comptable de la SCI [Adresse 10] et de la SA Safico II afin de solliciter le paiement des échéances du protocole de 2007 attestent que M. [I] était conscient de son incapacité à rembourser sa dette ; qu'en octobre 2008, un an après le début du défaut de paiement, il a quand même procédé à la donation ; qu'ils ajoutent que la SA Safico II s'est trouvé en cessation des paiements le 30 novembre 2008, un mois après la donation ; que M. [I], en tant que directeur commercial, avait nécessairement connaissance de cette situation ; que les parts sociales détenues par M. [I] dans différentes sociétés sont toutes nanties au jour de la donation ; qu'il ne disposait pas de biens d'une valeur suffisante pour apurer sa dette et présentait à tout le moins une apparente insolvabilité au moment de la donation ; que les intimés répliquent qu'au jour de l'acte de donation contesté, M. [I] était salarié ; qu'il percevait donc un salaire attestant de sa solvabilité ; qu'en application de l'article 1167 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par le débiteur en fraude de leurs droits ; qu'il résulte des propres explications de [E] [I] que la décision de céder la nue-propriété de son bien immobilier à ses enfants, si elle s'est concrétisée par l'acte du 29 octobre 2008, a été prise dès le mois de février 2008 alors que l'échéance en capital du 15 juillet 2007 n'avait pas été honorée et que le règlement des intérêts devait cesser dès le mois d'avril 2008 ; qu'il était parfaitement au courant de cette absence de règlement ainsi qu'en témoigne un courrier du conseil des consorts [F] adressé à son expert-comptable le 25 octobre 2007 (pièce n°60 des appelants) ; qu'il est totalement inopérant à cet égard qu'il n'ait pas été le seul débiteur des consorts [F] ; que la concomitance entre l'arrêt des règlements et la décision de consentir une libéralité au profit de ses enfants exclut qu'il n'ait pas eu conscience de porter préjudice à ses créanciers ; que sur sa situation financière à la date du 29 octobre 2008, [E] [I] était associé de la société Safico II dont il détenait 9000 parts ainsi que le montre un procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire (pièce n°65 des appelants) ; que s'il indique qu'il n'était que VRP exclusif de cette société, il s'est présenté comme le directeur commercial de cette société à l'audience ayant conduit au prononcé de la liquidation judiciaire de celle-ci le 8 octobre 2009 (pièce n°7 des consorts [I]) ; que, comme l'indiquent les consorts [F], il ne pouvait donc ignorer la situation de cessation des paiements de la société remontant au 30 novembre 2008 comme le montre l'annonce parue au BODACC le 2 mars 2009 (pièce n° 51 des consorts [F]), soit un peu plus d'un mois seulement après l'acte de donation litigieux ; que, si les deux seuls bulletins de salaire (pièce n°14) qu'il communique aux débats mentionnent un salaire d'environ 3 000 euros, sa situation professionnelle était donc plus qu'incertaine à la date de l'acte de donation litigieux ; qu'à cette date, il ne conteste pas devoir à M. [S] [F], père des appelants, la somme de 96 750 euros résultant de trois billets à ordre émis les 17 avril 1996, 15 mai 1996 et 15 janvier 1997 par le groupe [I] au profit de ce dernier (pièce n°68 des appelants), dette qui n'a jamais été soldée ; que l'ensemble des éléments du dossier démontrent qu'il était rompu à la vie des affaires ; qu'il ne pouvait donc ignorer être susceptible de devoir, le cas échéant, l'intégralité de la dette résultant du protocole transactionnel du 30 avril 2007 quand bien même il y avait d'autres co débiteurs ; qu'il est rappelé que cette seule dette est d'un montant total de 189 711 euros rien que pour le principal ; qu'il lui aurait donc fallu près de trois années entières des revenus de son foyer fiscal de 2008 s'élevant à 67 314 euros selon l'avis d'imposition qu'il communique en pièce n°10 pour l'apurer ; que de plus, comme indiqué ci-dessus, il avait également d'autres dettes ; qu'il devait faire face en outre aux charges de la vie courante d'un foyer composé de cinq personnes dont trois enfants en bas âge ; qu'il n'y a pas lieu de revenir sur les parts sociales qu'il possède dans les différentes SCI, toutes grevées de sûretés dans les conditions ci-dessus rappelées ; que de l'ensemble de ces circonstances, il découle qu'à la date de l'acte de donation litigieux, il présentait un état d'insolvabilité apparente comme le confirme au surplus l'absence de tout règlement de la dette des consorts [F] postérieur au 15 septembre 2007 ; que de plus, à la date à laquelle l'action a été engagée, [E] [I] présentait toujours un état d'insolvabilité apparente ainsi que le démontrent à suffisance les multiples voies d'exécution diligentées sans succès ; que l'absence de règlement alliée à la volonté démontrée des consorts [I] d'échapper à leur dette puisqu'ils ont formé recours devant la cour d'appel de Paris à l'encontre de l'ordonnance ayant homologué le protocole transactionnel du 30 avril 2007, prive au surplus de toute efficacité les développements de M. [E] [I] selon lesquels il serait actuellement solvable ; qu'en tout état de cause à ce jour, sa situation professionnelle apparaît totalement opaque ; qu'il semblerait en effet salarié d'une SARL CCL puisqu'une saisie de ses rémunérations a été prononcée par jugement du tribunal d'instance de Courbevoie du 12 septembre 2016 (pièce n°20 des intimés) ; qu'il ressort toutefois d'un courriel du tribunal d'instance de Courbevoie du 4 novembre 2016 (pièce n° 69 des appelants) qu'une ordonnance de contrainte à l'encontre de l'employeur est en cours ; que l'efficacité de cette procédure interroge de plus fort dès lors que, selon l'extrait K bis que les consorts [I] produisent aux débats en pièce n°19, [E] [I] lui-même est le gérant de cette SARL ; que de l'ensemble de ces circonstances, il découle que [E] [I] ne prouve pas qu'il dispose à ce jour de biens de valeur suffisante pour désintéresser ses créanciers ; qu'à la date de la donation, il n'était âgé que de 45 ans, ses enfants donataires n'étant âgés respectivement que de cinq, deux et un ans ; que l'acte ne peut donc s'expliquer par une volonté de transmission patrimoniale ou de pourvoir à l'établissement de ses enfants ; que l'ensemble de ces circonstances démontrent qu'il trouve sa cause exclusive dans la volonté de faire échapper le bien au gage de ses créanciers ; qu'il est donc établi que l'acte de donation du 29 octobre 2008 a été passé en fraude aux droits des créanciers ; que, par application de l'article 1167 susvisé, il sera donc déclaré inopposable aux consorts [F] dans les termes précisés au dispositif ci-après ;
1. ALORS QUE lorsque le président du tribunal de grande instance statue, en application de l'article 1441-4 du code de procédure civile, sur une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction, son contrôle ne peut porter que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs ; qu'il s'ensuit que l'homologation de la transaction du 30 avril 2007 n'interdisait pas aux consorts [I] d'en solliciter l'annulation, en tant qu'elle avait été conclue en fraude de leurs droits, en violation de la prohibition des clauses léonines, en tant qu'elle leur faisait supporter l'intégralité du passif de la SCI [Adresse 10] ; qu'en affirmant, à l'inverse, qu'il n'était plus au pouvoir des consorts [I] de remettre en cause le principe de la créance des consorts [F], dès lors qu'elle trouvait son origine dans un protocole transactionnel du 30 avril 2007, auquel le président du tribunal de grande instance de Paris avait reconnu force exécutoire en l'homologuant par ordonnance sur requête définitive, après rejet de la requête en rétractation, la cour d'appel a violé la disposition précitée, ensemble les articles 1167 et 2052 du code civil dans leur rédaction applicable en l'espèce et l'article 1844-1 du code civil ;
2. ALORS QUE la révocation prévue à l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, suppose établie l'insolvabilité du débiteur, à la date de l'introduction de la demande ; qu'en se satisfaisant de l'état d'insolvabilité apparente de M. [I], tant à la date de l'acte de donation litigieux qu'au jour où l'action a été engagée, comme le démontre l'absence de tout règlement de la dette des consorts [F], postérieur au 15 septembre 2007, les multiples voies d'exécution diligentées sans succès et l'opacité de sa situation professionnelle (arrêt attaqué, p. 8, 4e et 5e alinéas), au lieu de vérifier si le patrimoine du débiteur ne lui permettait pas de répondre à son engagement, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné in solidum M. [E] [I], Mme [Z] [O] épouse [I] et leurs trois enfants, [R], [N] et [M] [I], représentés par leurs parents, à payer à MM. [A] et [K] [F], la somme de 4.000 € en réparation de leur préjudice matériel avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 5 février 2015, et celle de 5.000 € en réparation de leur préjudice moral avec intérêts au taux légal à compter du jugement du 5 février 2015 ;
AUX MOTIFS QUE les appelants font justement valoir qu'ils subissent un préjudice matériel certain du fait de l'absence de règlement de leur créance depuis 7 ans par M. [I] ; qu'ils ont été contraints d'avancer les frais de procédure et des frais d'huissiers face à la résistance abusive des consorts [I] ; qu'ils justifient de frais d'huissier d'environ 4 000 euros ; qu'il leur sera donc alloué une indemnité de cette somme en réparation de leur préjudice matériel ; que l'ensemble des éléments du dossier démontrent que les consorts [F] sont maintes fois venus en aide aux consorts [I] en leur prêtant des sommes considérables ; qu'en retour, ils se sont heurtés à la volonté démontrée des consorts [I] de ne pas honorer leurs engagements ; qu'ils subissent donc un préjudice moral incontestable en réparation duquel il leur sera alloué une indemnité de 5 000 euros ;
ALORS QUE la défense à une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient alors au juge de spécifier, dégénérer en abus lorsque sa légitimité a été reconnue par le premier juge, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet ; qu'en retenant que les consorts [F] se sont heurtés à la résistance abusive des consorts [I], ainsi qu'à leur volonté démontrée de ne pas honorer leurs engagements, bien qu'ils aient relevé appel du jugement entrepris les déboutant de leur action paulienne, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une faute des consorts [I] ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. | Il résulte de l'article 2052 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et de l'article 1441-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue sur une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction, son contrôle ne porte que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs et n'exclut pas celui opéré par le juge du fond saisi d'une contestation de la validité de la transaction |
8,071 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 septembre 2022
Rejet
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 487 F-B
Pourvoi n° J 21-11.937
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 SEPTEMBRE 2022
1°/ La Société d'expansion du spectacle (SES), société anonyme,
2°/ la société Euro vidéo international (EVI), société anonyme,
3°/ la société Cinéma Napoléon, société anonyme,
4°/ la société Ciné spectacles, société anonyme,
ayant toutes quatre leur siège [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° J 21-11.937 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [O] [S], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à M. [T] [H], domicilié [Adresse 4],
3°/ à la société Audifilm, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la société [Z]-Lavoir, dont le siège est [Adresse 11], en la personne de M. [Y] [Z], prise en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan des sociétés défenderesses au pourvoi,
5°/ à la société Brouard-Daudé, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 9], prise en qualité de mandataire judiciaire des sociétés défenderesses au pourvoi,
6°/ à la Société d'exploitation cinématographique de Bethune (SECB), société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],
7°/ à la société Les Cinémas de l'Odet, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
8°/ à la société Les Films de la basse-cour, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 8], exerçant sous l'enseigne Cinéma Alhambra,
9°/ à la société Groupement cinématographique [H] et associés (GCOA), société anonyme, dont le siège est [Adresse 5],
10°/ à la société Les Cinémas Bertrand, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], anciennement dénommée société Cinéma Sainte-Cécile, prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'actionnaire unique de la société Sovalexci, d'associé unique de la société Ciné Tourcoing exploitation et d'actionnaire unique de la société Cinéma Sainte-Cécile,
11°/ à la société Leca, société anonyme, dont le siège est [Adresse 10], exerçant sous l'enseigne Le Palace I,
12°/ à la société L'Etoile, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7], exerçant sous l'enseigne STARS,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la Société d'expansion du spectacle et des sociétés Euro vidéo international, Cinéma Napoléon, Ciné spectacles, de la SCP Marc Lévis, avocat de Mme [S], de M. [H], des sociétés Audifilm, Les Cinémas de l'Odet, Groupement cinématographique [H] et associés, Les Cinémas Bertrand, Leca, L'Etoile et de la Société d'exploitation cinématographique de Bethune, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 juin 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 novembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 8 septembre 2015, pourvoi n° Y 14-11.393), la société Groupement cinématographique [H] et associés et ses dix filiales ont été mises en redressement judiciaire le 14 novembre 2002. Un plan de continuation, établi sur la base du passif excluant les créances faisant l'objet d'instances en cours, a été arrêté par jugement du 3 août 2004. Sur requête du commissaire à l'exécution du plan, le tribunal a, par jugement du 7 juin 2011, constaté la bonne exécution du plan de continuation et mis fin à la mission du commissaire à l'exécution du plan. Les sociétés Société d'expansion du spectacle, Euro vidéo international, Cinéma Napoléon, Ciné spectacles (les sociétés tierce opposantes), dont les créances déclarées faisaient l'objet d'instances toujours en cours, ont formé tierce opposition.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, cinquième et sixième branches
Enoncé du moyen
3. Les sociétés tierce opposantes font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il déclare leur tierce opposition irrecevable, alors :
« 2°/ que l'acte par lequel le tribunal de commerce constate l'exécution du plan de redressement entraîne la clôture consécutive du redressement judiciaire ; qu'en jugeant qu'"en se bornant à constater la bonne exécution du plan, à mettre fin à la mission de la SCP [Z] Lavoir, commissaire à l'exécution du plan, et à ordonner la radiation des mentions au registre du commerce et des sociétés, ce jugement (du 7 juin 2011) n'a pas clôturé la procédure collective", la cour d'appel a violé l'article L. 621-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, ensemble les articles 583 et 585 du code de procédure civile ;
3°/ que l'acte par lequel le tribunal de commerce constate l'exécution du plan de redressement entraîne la clôture consécutive du redressement judiciaire ; qu'en jugeant qu'"en se bornant à constater la bonne exécution du plan, à mettre fin à la mission de la SCP [Z] Lavoir, commissaire à l'exécution du plan, et à ordonner la radiation des mentions au registre du commerce et des sociétés, ce jugement (du 7 juin 2011) n'a pas clôturé la procédure collective", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, aux termes desquelles les mentions relatives à la procédure collective étaient radiées du registre du commerce et des sociétés, a violé l'article L. 621-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, les articles 583 et 585 du code de procédure civile ;
5°/ le jugement constatant le bon achèvement du plan prive les titulaires de créances contestées du droit de se prévaloir dudit plan ou de son inexécution ; qu'en jugeant que les droits des sociétés EVI, SES, Cinéma Napoléon et Ciné spectacles ne seraient pas affectées par le jugement ayant constaté à tort le bon achèvement du plan et qu'en conséquence celles-ci n'auraient pas intérêt à former tierce-opposition à son encontre, la cour d'appel a violé les articles 583 et 585 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 621-62 et suivants du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 ;
6°/ le jugement qui met fin aux fonctions du commissaire à l'exécution du plan du fait du constat du bon achèvement de ce dernier met fin à la surveillance du débiteur et à la limitation des pouvoirs de ce dernier ; qu'en jugeant qu'"en se bornant à constater la bonne exécution du plan, à mettre fin à la mission de la SCP [Z] Lavoir, commissaire à l'exécution du plan, et à ordonner la radiation des mentions au registre du commerce et des sociétés, ce jugement (du 7 juin 2011) n'a pas clôturé la procédure collective", que les droits des sociétés EVI, SES, Cinéma Napoléon et Ciné spectacles ne seraient pas affectées par le jugement ayant constaté à tort le bon achèvement du plan et qu'en conséquence celles-ci n'auraient pas intérêt à former tierce-opposition à son encontre, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 583 et 585 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 621-62 et suivants du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte de l'article L. 621-79 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que le plan de continuation doit prévoir le règlement de toutes les créances déclarées, même si elles sont contestées. Il en résulte que, lorsque le plan est arrivé à son terme, les créances déclarées qui n'ont pas été inscrites au plan peuvent être recouvrées par l'exercice par le créancier de son droit de poursuite individuelle.
5. Ayant relevé, d'une part, que les jugements des 3 août 2004 et 24 octobre 2005 ayant arrêté puis modifié le plan étaient passés en force de chose jugée et ne pouvaient plus être remis en cause, et, d'autre part, que la mission du représentant des créanciers n'avait pas pris fin, la procédure de vérification des créances n'étant pas allée jusqu'à son terme, l'arrêt retient que les créanciers sont en mesure de faire admettre leurs créances au passif et ensuite de les recouvrer, le cas échéant.
6. La cour d'appel en a déduit à bon droit que, le jugement constatant la bonne exécution du plan n'ayant pas affecté les droits des sociétés appelantes de faire reconnaître leurs créances et de les faire payer, leur tierce opposition était irrecevable comme dépourvue d'intérêt.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société d'expansion du spectacle et les sociétés Euro vidéo international, Cinéma Napoléon et Ciné spectacles, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du quatorze septembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Vaissette, conseiller qui en a délibéré, en remplacement de M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la Société d'expansion du spectacle et les sociétés Euro vidéo international , Cinéma Napoléon, Ciné spectacles.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit les sociétés EVI, SES, CINEMA NAPOLEON et CINESPECTACLES irrecevables en leur tierce opposition ;
ALORS en premier lieu QUE le jugement du 7 juin 2011 étant susceptible d'affecter les droits des créanciers en ce qu'il constate la bonne exécution du plan peut faire l'objet d'une tierce opposition ; qu'en jugeant que « leurs droits n'étant pas affectés par le jugement du 7 juin 2011, les sociétés appelantes n'ont pas d'intérêt à former tierce opposition à son encontre » (arrêt, p.7), la cour d'appel a violé les articles 583 et 585 du code de procédure civile ;
ALORS en deuxième lieu QUE l'acte par lequel le tribunal de commerce constate l'exécution du plan de redressement entraîne la clôture consécutive du redressement judiciaire ; qu'en jugeant qu'« en se bornant à constater la bonne exécution du plan, à mettre fin à la mission de la SCP [Z] Lavoir, commissaire à l'exécution du plan, et à ordonner la radiation des mentions au registre du commerce et des sociétés, ce jugement (du 7 juin 2011) n'a pas clôturé la procédure collective », la cour d'appel a violé l'article L. 621-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005, ensemble les articles 583 et 585 du code de procédure civile ;
ALORS en troisième lieu QUE l'acte par lequel le tribunal de commerce constate l'exécution du plan de redressement entraîne la clôture consécutive du redressement judiciaire ; qu'en jugeant qu'« en se bornant à constater la bonne exécution du plan, à mettre fin à la mission de la SCP [Z] Lavoir, commissaire à l'exécution du plan, et à ordonner la radiation des mentions au registre du commerce et des sociétés, ce jugement (du 7 juin 2011) n'a pas clôturé la procédure collective » (arrêt, p.6), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, aux termes desquelles les mentions relatives à la procédure collective étaient radiées du registre du commerce et des sociétés, a violé l'article L. 621-6 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005, les articles 583 et 585 du code de procédure civile ;
ALORS en quatrième lieu QUE le créancier qui affirme ne pas avoir été payé au cours du plan, en dépit du jugement constatant son bon achèvement, supporte la charge de la preuve du non-paiement ; qu'en jugeant que les droits des sociétés EVI, SES, CINEMA NAPOLEON et CINESPECTACLES ne seraient pas affectées par le jugement ayant constaté à tort le bon achèvement du plan et qu'en conséquence celles-ci n'auraient pas intérêt à former tierce-opposition à son encontre, la cour d'appel a violé les articles 583 et 585 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 621-62 et suivants du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 ;
ALORS en cinquième lieu QUE le jugement constatant le bon achèvement du plan prive les titulaires de créances contestées du droit de se prévaloir dudit plan ou de son inexécution ; qu'en jugeant que les droits des sociétés EVI, SES, CINEMA NAPOLEON et CINESPECTACLES ne seraient pas affectées par le jugement ayant constaté à tort le bon achèvement du plan et qu'en conséquence celles-ci n'auraient pas intérêt à former tierce-opposition à son encontre, la cour d'appel a violé les articles 583 et 585 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 621-62 et suivants du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005 ;
ALORS en sixième lieu QUE le jugement qui met fin aux fonctions du commissaire à l'exécution du plan du fait du constat du bon achèvement de ce dernier met fin à la surveillance du débiteur et à la limitation des pouvoirs de ce dernier ; qu'en jugeant qu'« en se bornant à constater la bonne exécution du plan, à mettre fin à la mission de la SCP [Z] Lavoir, commissaire à l'exécution du plan, et à ordonner la radiation des mentions au registre du commerce et des sociétés, ce jugement (du 7 juin 2011) n'a pas clôturé la procédure collective » (arrêt, p.6), que les droits des sociétés EVI, SES, CINEMA NAPOLEON et CINESPECTACLES ne seraient pas affectées par le jugement ayant constaté à tort le bon achèvement du plan et qu'en conséquence celles-ci n'auraient pas intérêt à former tierce-opposition à son encontre, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 583 et 585 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 621-62 et suivants du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la loi n°2005-845 du 26 juillet 2005. | Il résulte de l'article L. 621-79 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que le plan de continuation doit prévoir le règlement de toutes les créances déclarées, même si elles sont contestées.
Il en résulte que, lorsque le plan est arrivé à son terme, les créances déclarées qui n'ont pas été inscrites au plan peuvent être recouvrées par l'exercice, par le créancier, de son droit de poursuite individuelle.
Par conséquent, doit être approuvée la cour d'appel qui, après avoir relevé, d'une part, que les jugements ayant arrêté puis modifié le plan de continuation, devenus irrévocables, ne pouvaient plus être remis en cause, d'autre part, que la procédure de vérification des créances n'était pas allée jusqu'à son terme, retient que le jugement constatant la bonne exécution du plan n'a pas affecté les droits, pour les créanciers ayant déclaré leurs créances sans que celles-ci aient été inscrites au plan, de faire reconnaître ces dernières et de les faire payer, de sorte qu'est irrecevable, faute d'intérêt, la tierce opposition formée par ces créanciers contre ce dernier jugement |
8,072 | N° Q 22-80.118 FS-B
N° 01084
RB5
14 SEPTEMBRE 2022
CASSATION
REJET
M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 SEPTEMBRE 2022
M. [W] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises du Haut-Rhin, en date du 1er décembre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 17 mars 2021, n° 20-83.245), pour viols, agressions sexuelles, aggravés, corruption de mineurs de quinze ans, en récidive, l'a condamné à vingt ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté de douze ans, dix ans de suivi socio-judiciaire et une interdiction professionnelle définitive, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Sudre, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [W] [Z], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 juin 2022 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Sudre, conseiller rapporteur, Mme Leprieur, MM. Turbeaux, Laurent, conseillers de la chambre, Mme Barbé, M. Mallard, Mme Guerrini, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 11 août 2017, le juge d'instruction a renvoyé M. [W] [Z] devant la cour d'assises du Haut-Rhin sous l'accusation de viols et agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, agressions sexuelles sur mineur de quinze ans et corruption de mineur de quinze ans, en récidive.
3. Par arrêt du 2 février 2018, cette juridiction a condamné M. [Z] à vingt ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté de dix ans, cinq ans de suivi socio-judiciaire, et a ordonné la confiscation des scellés. Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [Z] a relevé appel de ces deux décisions. Le ministère public et les parties civiles ont formé appel incident.
5. Par arrêt du 1er février 2019, la cour d'assises du Bas-Rhin, statuant en appel, a condamné M. [Z] à vingt ans de réclusion criminelle, avec une période de sûreté de douze ans, cinq ans de suivi socio-judiciaire et une interdiction professionnelle définitive. Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.
6. M. [Z] a formé un pourvoi en cassation contre le seul arrêt pénal et, par arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'assises du Haut-Rhin.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été répondu par l'affirmative à la question n° 9 ainsi libellée : « L'accusé [W] [Z] est-il coupable d'avoir à [Localité 2] entre le 1er janvier 2012 et le 20 avril 2015, favorisé ou tenté de favoriser la corruption de [N] [M] mineur de 15 ans pour être né le [Date naissance 1] 2006 ? », alors « qu'est entachée de complexité prohibée la question posée à la cour et au jury qui réunit en une formule unique le fait principal et une circonstance aggravante ; que la question visant à la fois le fait principal de corruption de mineur et la circonstance aggravante tirée de ce que le mineur était âgé de moins de 15 ans, la déclaration de culpabilité est nulle et doit entraîner la cassation de l'arrêt de condamnation, pour violation de l'article 349 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
9. Il résulte de la feuille de questions que la cour et le jury ont été interrogés par une seule question sur la culpabilité de l'accusé du délit de corruption de mineur, commis sur la personne de [N] [M], entre le 1er janvier 2012 et le 20 avril 2015, et sur la circonstance aggravante, résultant de ce que la victime était âgée de moins de quinze ans à la date des faits.
10. Cette formulation de la question méconnaît l'article 349 du code de procédure pénale, qui exige qu'une question soit posée sur le fait principal, chaque circonstance aggravante devant faire l'objet d'une question distincte.
11. Cependant, la cassation n'est pas encourue.
12. En effet, tous les faits de viols, d'agressions sexuelles, et de corruption de mineur reprochés à l'accusé, et dont il a été reconnu coupable, concernent la même victime, [N] [M], et la cour et le jury ont répondu par l'affirmative aux questions selon lesquelles ce dernier était âgé de moins de quinze ans, au moment des faits de viols et d'agressions sexuelles commis par l'accusé entre le 1er janvier 2012 et le 20 avril 2015.
13. En l'absence d'incertitude sur la conviction de la cour d'assises quant à l'âge de la victime à la date de commission du délit de corruption de mineur de quinze ans, l'accusé ne justifie d'aucun grief résultant de la formulation de la question.
14. En conséquence, par application de l'article 802 du code de procédure pénale, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamné à la peine de vingt ans de réclusion criminelle, assortie d'une période de sûreté portée à douze ans, alors « que la cour d'assises n'a pas justifié, par une décision spéciale et motivée, le prononcé d'une peine de sûreté portée à 12 ans ; qu'elle a méconnu les articles 132-23 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
16. Pour condamner l'accusé à la peine de vingt ans de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté de douze ans, la cour d'assises relève la gravité des faits de viols répétés sur un jeune enfant, confié dans un cadre familial. La feuille de motivation souligne que les experts de personnalité ont relevé chez l'accusé un niveau de psychopathie élevé et incurable, une pédophilie de catégorie pédoclaste, une importante dangerosité criminologique d'ordre sexuel, avec un risque élevé de récidive. Elle relève également une absence totale de remise en cause de son comportement par l'accusé, qui rejette sur autrui la responsabilité de ses passages à l'acte, et n'a pas su mettre à profit sa précédente condamnation pour des faits similaires pour entamer la moindre introspection sur ses agissements.
17. En l'état de ces motifs dénués d'insuffisance, relevant de son appréciation souveraine, la cour d'assises qui a caractérisé, d'une part, la gravité des faits, d'autre part, la dangerosité de leur auteur, a justifié tant le choix de la peine que la durée de la période de sûreté.
18. Le moyen sera, dès lors, écarté.
Mais sur le cinquième moyen
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a alloué, outre diverses sommes en application de l'article 375 du code de procédure pénale, des dommages-intérêts à Mme [V] [F], M. [I] [M] et [N] [M] représenté par l'association [3] et l'a condamné à rembourser au Fonds de garantie le montant des indemnités versées à Mme [V] [F], et M. [I] [M], alors « que par arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation, statuant dans les limites du pourvoi dont elle avait été saisie à l'encontre du seul arrêt pénal, a cassé et annulé l'arrêt de la cour d'assises du Bas-Rhin du 1er février 2019 et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'assises du Haut-Rhin pour qu'il soit jugé conformément à la loi ; que l'arrêt civil du 1er février 2019 de la cour d'assises du Bas-Rhin a acquis l'autorité de la chose jugée ; qu'en statuant sur les demandes de dommages-intérêts des parties civiles et de remboursement du Fonds de garantie des victimes d'infractions, alors que l'action civile était éteinte par l'autorité de la chose jugée, la cour d'assises de renvoi a violé les articles 2, 3 et 609 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1240 du code civil, 2 et 3 du code de procédure pénale :
20. Selon le premier de ces textes, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour la victime.
21. Il résulte des deux articles susvisés du code de procédure pénale que, lorsqu'un arrêt pénal d'une cour d'assises a seul été frappé de pourvoi, la cassation de cet arrêt n'entraîne pas celle de l'arrêt statuant sur les intérêts civils, lequel a acquis l'autorité de la chose jugée (Ch. mixte, 19 mars 1982, pourvoi n° 79-15.560, Bull. Ch. Mixte, n° 81 ; Crim., 10 mai 2012, pourvoi n° 11-81.437, Bull. crim. 2012, n° 114).
22. En conséquence, les parties civiles sont irrecevables à présenter toute demande nouvelle d'indemnisation autre que celle d'une augmentation des dommages-intérêts en raison du préjudice souffert depuis la première décision et d'une indemnité relative aux frais de procédure, depuis la même date.
23. Il résulte des pièces de procédure que, par arrêt pénal du 1er février 2019, la cour d'assises du Bas-Rhin, statuant en appel, a déclaré M. [Z] coupable et l'a condamné à des peines. Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils. Sur le pourvoi formé par M. [Z] contre le seul arrêt pénal, la Cour de cassation a cassé cette seule décision et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'assises du Haut-Rhin, par arrêt du 17 mars 2021. Cette juridiction, par l'arrêt attaqué du 1er décembre 2021, a accordé aux parties civiles des dommages-intérêts, et des indemnités pour frais de procédure.
24. En prononçant ainsi, alors que l'arrêt civil du 1er février 2019 était définitif, la cour d'assises a méconnu les textes susvisés.
25. La cassation est, dès lors, encourue.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le sixième moyen de cassation proposé, la Cour,
REJETTE le pourvoi en tant qu'il est formé contre l'arrêt pénal ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt civil susvisé de la cour d'assises du Haut-Rhin, en date du 1er décembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'assises du Haut-Rhin et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze septembre deux mille vingt-deux. | Si la question unique posée relative au fait principal de corruption de mineur et à la circonstance aggravante de minorité de quinze ans de la victime, n'est pas conforme aux dispositions de l'article 349 du code de procédure pénale, la censure de l'arrêt n'est pas encourue, dès lors qu'en raison des réponses de la cour et du jury aux questions posées sur chacun des faits principaux de viols et d'agressions sexuelles et à chaque fois sur la circonstance de minorité de quinze ans de la victime, il n'existe aucune incertitude sur la conviction de la cour d'assises quant à l'âge de la victime à la date de commission du délit , et que l'accusé ne justifie d'aucun grief résultant de la formulation de la question, en application de l'article 802 du code de procédure pénale |
8,073 | N° C 21-86.796 FS-B
N° 01085
RB5
14 SEPTEMBRE 2022
REJET
M. DE LAROSIÈRE DE CHAMPFEU conseiller le plus ancien faisant fonction de président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 14 SEPTEMBRE 2022
M. [E] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 130 de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Grenoble, en date du 8 juillet 2021, qui a prononcé la révocation partielle d'un sursis avec mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [E] [V], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 juin 2022 où étaient présents M. de Larosière de Champfeu, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Laurent, conseiller rapporteur, Mmes Leprieur, Sudre, M. Turbeaux, conseillers de la chambre, Mme Barbé, M. Mallard, Mme Guerrini, conseillers référendaires, Mme Chauvelot, avocat général référendaire, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt en date du 27 mars 2019, la cour d'appel de Grenoble a condamné M. [E] [V] à la peine de cinq ans d'emprisonnement dont trois ans avec sursis et mise à l'épreuve pour infractions à la législation sur les stupéfiants.
3. Par jugement du 2 février 2021, après débat contradictoire auquel la personne condamnée a assisté, le juge de l'application des peines de Gap a révoqué à hauteur de dix-huit mois le sursis avec mise à l'épreuve prononcé.
4. M. [V] a relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le second moyen
5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement déféré ayant révoqué à hauteur de dix-huit mois le sursis avec mise à l'épreuve prononcé par la cour d'appel de Grenoble à l'encontre de M. [V], alors « que devant la chambre de l'application des peines, l'intéressé doit être informé, à l'ouverture des débats, de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que, lors de l'audience du 18 juin 2021 à laquelle M. [V] a comparu, ce dernier n'a pas été informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire ; qu'en statuant ainsi, la chambre de l'application des peines a violé l'article 406 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. Le demandeur ne peut valablement soutenir que la décision de la chambre de l'application des peines serait nulle, au motif que ses observations auraient été recueillies à l'audience, sans qu'il ait été préalablement averti de son droit de garder le silence.
8. En effet, les articles 712-6, 712-13 et D. 49-42 du code de procédure pénale, qui organisent les débats devant les juridictions de l'application des peines, ne prescrivent pas que la personne qui comparaît devant elles reçoive la notification prévue par l'article 406 du code précité.
9. Les dispositions relatives au droit de se taire devant les juridictions pénales, qui ont pour objet d'empêcher qu'une personne prévenue d'une infraction ne contribue à sa propre incrimination, ne sont pas applicables devant les juridictions de l'application des peines, qui se prononcent seulement sur les modalités d'exécution d'une sanction décidée par la juridiction de jugement.
10. En conséquence, le moyen doit être écarté.
11. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze septembre deux mille vingt-deux. | Les articles 712-6, 712-13 et D. 49-42 du code de procédure pénale, qui organisent les débats devant les juridictions de l'application des peines, ne prescrivent pas que la personne qui comparaît devant elles reçoive la notification prévue par l'article 406 du code précité.
Les dispositions relatives au droit de se taire devant les juridictions pénales, qui ont pour objet d'empêcher qu'une personne prévenue d'une infraction ne contribue à sa propre incrimination, ne sont pas applicables devant les juridictions de l'application des peines, qui se prononcent seulement sur les modalités d'exécution d'une sanction décidée par la juridiction de jugement |
8,074 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 septembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 995 F-B
Pourvoi n° E 21-12.278
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 SEPTEMBRE 2022
M. [S] [L], domicilié [Adresse 1], [Localité 7], a formé le pourvoi n° E 21-12.278 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2020 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Macif, société d'assurance mutuelle à cotisations variables, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 6],
2°/ à la société SwissLife assurances de biens, société anonyme, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 8],
3°/ à Mme [G] [Z], épouse [T], domiciliée [Adresse 2], [Localité 4],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de M. [L], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Macif, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société SwissLife assurances de biens, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 22 octobre 2020), M. [L] et Mme [Z], ayant souscrit auprès de la société BMW Finance un contrat de location avec option d'achat portant sur un véhicule de marque BMW, ont adhéré à une assurance de groupe facultative souscrite par la société BMW Group auprès de la société SwissLife assurances de biens (la société SwissLife), garantissant pendant trois ans l'indemnisation de la valeur à neuf du véhicule en cas de vol.
2. M. [L] a, en outre, assuré le véhicule auprès de la société Macif, aux termes d'une police incluant également une garantie en cas de vol.
3. M. [L] et Mme [Z] ont signalé le vol du véhicule, qui sera ultérieurement retrouvé incendié, et M. [L] a déclaré le sinistre à la société Macif, qui lui a opposé une déchéance contractuelle de garantie au motif, notamment, qu'il aurait commis une fausse déclaration sur la date et les circonstances du vol.
4. La société Macif a, ensuite, porté plainte pour tentative d'escroquerie et M. [L], qui a indiqué avoir commis une erreur sur la date du vol, s'est vu notifier un rappel à la loi par le procureur de la République.
5. M. [L] et Mme [Z] ayant été condamnés à payer à la société BMW Finance les loyers restant dus au titre du contrat de location, ont assigné la société Macif et la société SwissLife en exécution des garanties souscrites.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
7. M. [L] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à condamner la société Macif à l'indemniser pour le vol et l'incendie du véhicule assuré, et de le condamner, in solidum avec Mme [Z], à payer à la société Macif une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, alors « que l'assureur ne peut se prévaloir d'une clause de déchéance qui n'a pas été portée à la connaissance de l'assuré ; qu'il n'est pas dérogé à cette règle en cas de mauvaise foi de l'assuré, seule la faute intentionnelle ou dolosive de celui-ci, impliquant la volonté de causer le dommage, permettant d'écarter la garantie de l'assureur en application de l'article L. 113-1 du code des assurances ; qu'en retenant en l'espèce que la mauvaise foi de M. [L] dans sa demande tendant à voir écarter les conditions générales du contrat imposait de rejeter sa demande d'indemnisation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations selon lesquelles la clause de déchéance de garantie pour fausse déclaration invoquée par la Macif était inopposable à M. [L], faute d'avoir été portée à sa connaissance, et a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 112-2 et L. 112-4 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 112-2 et L. 112-4 du code des assurances :
8. Selon le premier de ces textes, avant la conclusion du contrat, l'assureur doit obligatoirement fournir une fiche d'information sur le prix et les garanties et il remet à l'assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d'information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l'assuré.
9. Selon le second, la police d'assurance indique les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions, qui ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.
10. L'arrêt, pour débouter M. [L] et Mme [Z] de leurs demandes dirigées contre la société Macif, retient, au visa de l'article 1134 du code civil et en vertu du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout, que la procédure pénale de rappel à la loi était de nature à caractériser la mauvaise foi de M. [L] lorsqu'il demandait que soient écartées les conditions générales du contrat et à être indemnisé du vol et de l'incendie du véhicule BMW par la société Macif.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la société Macif ne démontrait pas, en l'absence de production des conditions générales du contrat signées par l'assuré ou d'un renvoi à celles-ci dans les conditions particulières, que ce dernier avait eu connaissance, avant le sinistre, de la clause de déchéance de garantie invoquée par l'assureur et l'avait acceptée, et que l'assureur ne pouvait l'opposer à M. [L] et à Mme [Z], la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. M. [L] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à dire que la garantie souscrite auprès de la société SwissLife devait s'appliquer, et de dire que cette société devait être condamnée à l'indemniser pour le vol et l'incendie du véhicule assuré, alors « que le juge ne peut faire application d'office d'une clause du contrat d'assurance non invoquée par les parties, sans les inviter à s'en expliquer ; qu'en l'espèce, la société SwissLife invoquait la clause de déchéance de la garantie prévue par l'article IV de l'avenant n° 1 des dispositions personnelles du contrat, imposant à l'emprunteur ou au locataire de déclarer le sinistre dans un délai de quinze jours ; qu'en retenant que les consorts [C] ne justifiaient pas avoir mobilisé l'assurance SwissLife avant le 2 septembre 2015, soit bien au-delà du délai de deux jours prévu par l'article 11.1 du contrat, la cour d'appel, qui a fait d'office application d'une clause de déchéance de la garantie différente de celle invoquée par l'assureur, sans inviter les parties à produire leurs observations, a violé le principe du contradictoire et l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
13. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
14. L'arrêt, pour débouter M. [L] de ses demandes dirigées contre la société SwissLife, énonce que force est de constater que M. [L] et Mme [Z] ne justifient pas avoir mobilisé l'assurance SwissLife avant le 2 septembre 2015, soit avant l'expiration du délai de deux jours prévu au contrat.
15. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, tiré de la mise en oeuvre d'une clause du contrat d'assurance dont la société SwissLife ne s'était pas prévalue, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant M. [L] de sa demande de condamnation de la Macif entraîne la cassation du chef du dispositif le condamnant, in solidum avec Mme [Z], à payer à la société Macif une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
Mise hors de cause
17. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Macif et la société SwissLife, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne Mme [Z] à payer, in solidum avec M. [L], à la société Macif une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Macif et la société SwissLife assurances de biens ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Macif et la société SwissLife assurances de biens aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Isabelle Galy, avocat aux Conseils, pour M. [L]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [S] [L] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande tendant à voir condamner la Macif à l'indemniser pour le vol et l'incendie du véhicule litigieux, et de l'AVOIR condamné, in solidum avec Mme [Z], à payer à la Macif une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
1°) ALORS QUE le rappel à la loi auquel procède le procureur de la République en application de l'article 41-1 du code de procédure pénale est dépourvu de l'autorité de la chose jugée et n'emporte pas par lui-même preuve du fait imputé à un auteur et de sa culpabilité ; qu'en retenant en l'espèce, pour débouter M. [L] de sa demande d'indemnisation, que la fraude corrompt tout et que la procédure pénale de rappel à la loi dont avait fait l'objet M. [L] pour fausse déclaration sur les circonstances, la date et le lieu du vol du véhicule assuré par la Macif, était de nature à caractériser sa mauvaise foi dans ses demandes tendant à voir écarter les conditions générales du contrat et obtenir une indemnisation, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2°) ALORS QUE l'assureur ne peut se prévaloir d'une clause de déchéance qui n'a pas été portée à la connaissance de l'assuré ; qu'il n'est pas dérogé à cette règle en cas de mauvaise foi de l'assuré, seule la faute intentionnelle ou dolosive de celui-ci, impliquant la volonté de causer le dommage, permettant d'écarter la garantie de l'assureur en application de l'article L. 113-1 du code des assurances ; qu'en retenant en l'espèce que la mauvaise foi de M. [L] dans sa demande tendant à voir écarter les conditions générales du contrat imposait de rejeter sa demande d'indemnisation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations selon lesquelles la clause de déchéance de garantie pour fausse déclaration invoquée par la Macif était inopposable à M. [L], faute d'avoir été portée à sa connaissance, et a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 112-2 et L. 112-4 du code des assurances.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [S] [L] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à voir dire que la garantie « ICA+ » souscrite auprès de la société SwissLife devait s'appliquer, et de condamner cette société à l'indemniser pour le vol et l'incendie du véhicule litigieux,
1°) ALORS QUE le juge ne peut faire application d'office d'une clause du contrat d'assurance non invoquée par les parties, sans les inviter à s'en expliquer ; qu'en l'espèce, la société SwissLife invoquait la clause de déchéance de la garantie prévue par l'article IV de l'avenant n° 1 des dispositions personnelles du contrat, imposant à l'emprunteur ou au locataire de déclarer le sinistre dans un délai de quinze jours (conclusions p. 6) ; qu'en retenant que les consorts [C] ne justifiaient pas avoir mobilisé l'assurance SwissLife avant le 2 septembre 2015, soit bien au-delà du délai de deux jours prévu par l'article 11.1 du contrat, la cour d'appel, qui a fait d'office application d'une clause de déchéance de la garantie différente de celle invoquée par l'assureur, sans inviter les parties à produire leurs observations, a violé le principe du contradictoire et l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QUE les clauses édictant des exceptions ou des déchéances de garantie ne sont opposables à l'adhérent à une assurance collective que si elles ont été portées à sa connaissance avant la date du sinistre ; qu'en l'espèce, les consorts [C] soutenaient dans leurs conclusions d'appel que la clause de déchéance invoquée par l'assureur, tirée de l'article IV de l'avenant n° 1 du contrat, n'avait pas été portée à leur connaissance au moment de l'adhésion au contrat ; qu'en omettant de rechercher si cette clause invoquée par l'assureur, ainsi que la clause de déchéance prévue par l'article 11.1 du contrat dont elle a fait application d'office, avaient été portées à la connaissance du souscripteur lors de l'adhésion, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-1 du code des assurances ;
3°) ALORS QU'il appartient à l'assureur de démontrer l'existence des causes de déchéance dont il se prévaut ; qu'en retenant que les consorts [C] ne justifiaient pas avoir mobilisé l'assurance SwissLife avant le 2 septembre 2015, soit bien au-delà du délai de deux jours prévu par l'article 11.1 du contrat, quand il appartenait à la société SwissLife de rapporter la preuve du caractère tardif de leur déclaration, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, et violé l'article 1315 du code civil en sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 applicable en l'espèce. | Viole les articles L. 112-2 et L. 112-4 du code des assurances la cour d'appel qui, au visa de l'article 1134 du code civil et en vertu du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout, rejette les demandes d'un assuré dirigées contre son assureur au motif que la mauvaise foi de l'assuré est caractérisée, alors qu'elle retenait que l'assureur ne démontrait pas que l'assuré avait eu connaissance, avant le sinistre, de la clause de déchéance de garantie invoquée par l'assureur et l'avait acceptée, de sorte que l'assureur ne pouvait l'opposer à l'assuré |
8,075 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 septembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1001 F-B
Pourvoi n° T 21-13.670
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 SEPTEMBRE 2022
Mme [O] [P], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° T 21-13.670 contre l'arrêt rendu le 9 février 2021 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la Banque populaire des Alpes,
2°/ à la société Allianz vie, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits des sociétés AGF vie et AGF Iart,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ghestin, avocat de Mme [P], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz vie, venant aux droits des sociétés AGF vie et AGF Iart, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes, venant aux droits de la société Banque populaire des Alpes, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 février 2021), le 16 novembre 2006, la société Banque populaire des Alpes devenue Banque populaire Auvergne Rhône Alpes (la banque), a consenti à Mme [P] deux prêts immobiliers.
2. Afin de garantir le remboursement de ces prêts en cas de décès, de perte totale et irréversible d'autonomie et d'incapacité de travail, Mme [P] a adhéré à une assurance de groupe auprès de la société AGF, aux droits de laquelle est venue la société Allianz vie (l'assureur), et a déclaré dans le questionnaire de santé qu'elle suivait un traitement médical depuis 15 ans.
3. Le 31 août 2015, elle a été placée en arrêt de travail en raison de l'évolution défavorable de sa maladie et a sollicité le bénéfice de la garantie incapacité de travail.
4. Le 8 juin 2016, après avoir fait réaliser une expertise médicale, l'assureur a informé Mme [P] de son refus de prise en charge du sinistre, en raison d'une clause contractuelle excluant « les suites médicales ou conséquences d'antécédents de santé mentionnés sur le bulletin d'adhésion ».
5. Le 12 juillet 2017, Mme [P] a assigné notamment l'assureur et la banque, aux fins de condamnation, à titre principal, de l'assureur au paiement de l'indemnité contractuelle en raison de l'inopposabilité à l'assurée de la clause d'exclusion, et à titre subsidiaire, de la banque au paiement d'une somme équivalente pour manquement à son obligation d'information et de conseil.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Recevabilité du moyen, contestée par la défense
7. La banque conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est contraire à l'argumentation développée par Mme [P] devant les juges du fond, dès lors qu'elle sollicitait l'allocation d'une somme correspondant à l'intégralité de l'indemnité d'assurance qu'elle aurait perçue si la garantie de l'assureur avait été applicable, ce qui correspondait à un gain manqué et non à une perte de chance.
8. Cependant, dans ses conclusions d'appel, Mme [P] ne remettait pas en cause le principe de l'indemnisation d'une perte de chance mais en discutait seulement le mode de calcul.
9. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Enoncé du moyen
10. Mme [P] fait grief à l'arrêt de la débouter de son action en responsabilité contre la banque pour manquement à son devoir d'information et de conseil, alors « que la banque qui propose à son client auquel elle consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance groupe qu'elle a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenue de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, d'où il résulte que toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l'emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé ; que la cour d'appel qui a constaté que la banque avait manqué à son devoir d'information et de conseil envers l'assurée et ne l'avait pas éclairée sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, l'a néanmoins déboutée de toute demande de réparation, aux motifs que Mme [P] ne démontre pas que mieux informée par la banque, elle aurait pu raisonnablement obtenir de l'assureur ou d'un autre assureur la garantie exclue par le contrat ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1147 devenu l'article 1217 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147, devenu 1217, du code civil et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
11. Il résulte de ce texte que la banque qui propose à son client auquel elle consent un prêt d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'elle a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenue de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur.
12. Le préjudice résultant de ce manquement s'analyse en la perte d'une chance de contracter une assurance adaptée à sa situation personnelle et toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l'emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé.
13. Pour débouter Mme [P] de ses prétentions contre la banque, l'arrêt, après avoir retenu la faute de la banque, énonce que le préjudice pouvant résulter de cette faute est une perte de chance dont la preuve incombe à celui qui s'en prévaut, que Mme [P] se contente d'invoquer l'existence de la convention Areas sans fournir d'éléments sur l'application éventuelle de cette convention à sa situation personnelle et ne démontre pas que, plus complètement informée par la banque, elle aurait pu raisonnablement obtenir de l'assureur ou d'un autre la garantie exclue par le contrat.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a exigé de l'emprunteuse la preuve d'une perte de chance raisonnable, a violé le texte et le principe susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle déboute Mme [P] de ses prétentions contre la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes, l'arrêt rendu le 9 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes, par la société Allianz vie et celle formée par Mme [P] en ce qu'elle est dirigée contre la société Allianz vie, et condamne la société Banque populaire Auvergne Rhône Alpes à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour Mme [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [O] [P] fait grief à l'arrêt confirmatif de ce chef attaqué de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes contre la société Allianz Vie ;
ALORS QUE les pertes et dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ; que le contrat d'assurance en garantie de prêt excluait des garanties perte totale et irréversible d'autonomie et arrêt de travail, de façon générale, indéfinie et imprécise « les suites et conséquences des antécédents de santé déclarés sur le questionnaire de santé » parmi de multiples autres clauses d'exclusion de garantie pour ces risques ; qu'en estimant néanmoins que cette clause d'exclusion de garantie noyée dans de multiples autres clauses d'exclusion, imprécise, générale et abstraite, de nature avec les autres clauses d'exclusion à vider la garantie de sa substance, était formelle et limitée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [O] [P] fait grief à l'arrêt infirmatif de ce chef attaqué de l'AVOIR déboutée de son action en responsabilité contre la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes pour manquement à son devoir d'information et de conseil ;
1°) ALORS QUE la banque qui propose à son client auquel elle consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance groupe qu'elle a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenue de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, d'où il résulte que toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l'emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé ; que la cour d'appel qui a constaté que la banque avait manqué à son devoir d'information et de conseil envers l'assurée et ne l'avait pas éclairée sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, l'a néanmoins déboutée de toute demande de réparation, aux motifs que Mme [P] ne démontre pas que mieux informée par la Banque Populaire, elle aurait pu raisonnablement obtenir de l'assureur ou d'un autre assureur la garantie exclue par le contrat ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a violé l'article 1147 devenu l'article 1217 du code civil ;
2°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 20), Mme [P] faisait valoir, pièces à l'appui (prod. n° 22 du bordereau annexé à ses conclusions), qu'il résultait de la consultation du site internet « Bourse des crédits » qu'elle pouvait être assurée pour une éventuelle évolution défavorable d'une affection préexistante à son adhésion à l'assurance moyennant une surprime de 300 % qu'elle aurait pu régler sans difficulté compte tenu de ses revenus de l'époque ; qu'en énonçant que Mme [P] se contente d'invoquer l'existence de la convention AERAS sans fournir d'autres éléments, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions d'appel et le bordereau de production y annexé, violant l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le juge doit viser et analyser au moins succinctement les pièces versées aux débats ; qu'en s'abstenant totalement de viser et analyser la pièce n° 22 annexée aux conclusions de Mme [P] et invoquées dans celles-ci de nature à établir qu'elle aurait pu être assurée pour une éventuelle évolution défavorable de son affection préexistante à son adhésion à l'assurance moyennant une surprime de 300 % qu'elle avait largement les moyens de payer, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | La banque, qui propose à son client auquel elle consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'elle a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenue de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur.
Le préjudice résultant de ce manquement s'analyse en la perte d'une chance de contracter une assurance adaptée à sa situation personnelle et toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que l'emprunteur ait à démontrer que, mieux informé et conseillé par la banque, il aurait souscrit de manière certaine une assurance garantissant le risque réalisé, ni à rapporter la preuve d'une perte de chance raisonnable |
8,076 | CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 15 septembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1003 F-B
Pourvoi n° N 21-15.528
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 15 SEPTEMBRE 2022
1°/ M. [O] [K], domicilié [Adresse 4],
2°/ la société Allo express multi services, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° N 21-15.528 contre l'arrêt rendu le 24 février 2021 par la cour d'appel de Rennes (5e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Gras Savoye, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Allianz Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Groupama, elle-même venue aux droits de la société Gan eurocourtage,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de M. [K] et la société Allo express multi services, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Gras Savoye, la société Allianz Iard et la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, venant aux droits de la société Groupama, elle-même venue aux droits de la société Gan eurocourtage, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 24 février 2021), et les productions, M. [K], gérant de la société Allo express multi services, a organisé un spectacle de cascades et de rodéo en automobiles et motocyclettes, le 15 juillet 2007, à [Localité 5] (29).
2. Par l'intermédiaire de la société Gras Savoye (le courtier) M. [K] et la société Allo express multi services (les assurés) ont souscrit, auprès de la société Gan eurocourtage, aux droits de laquelle sont successivement venues la société Groupama, la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama et la société Allianz Iard (l'assureur) une « police d'assurance de la responsabilité civile pour les concentrations et manifestations (véhicules terrestres à moteur) », temporaire, garantissant, pour les sinistres survenant lors de la manifestation organisée le 15 juillet 2007, les risques prévus par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006, jusqu'à concurrence des montants figurant dans l'arrêté d'application du 27 octobre 2006.
3. Dans la matinée du 15 juillet 2007, quatre bénévoles qui installaient un mât métallique, faisant partie du décor du spectacle, situé à moins de cinq mètres d'une ligne à haute tension, ont été victimes d'une électrocution.
4. L'un des bénévoles est décédé et les trois autres ont été blessés.
5. Les assurés ont été déclarés coupables des faits d'homicide involontaire par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité et de prudence imposée par la loi ou le règlement et de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas trois mois par un tribunal correctionnel, dont le jugement a été confirmé en appel. Statuant sur les intérêts civils, la cour d'appel a indemnisé les victimes et précisé que l'assureur n'était pas tenu à garantie.
6. Estimant que ce défaut de garantie relevait d'un manquement de l'assureur et du courtier à leur obligation de conseil, les assurés ont assigné ces derniers devant un tribunal de grande instance pour obtenir leur condamnation in solidum à réparer leur préjudice constitué des condamnations civiles mises à leur charge au profit des victimes de l'accident.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses cinq premières branches, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen relevé d'office
8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 1147, devenu 1231-1, du code civil et L. 520-1, II, 2°, du code des assurances, ce dernier dans sa rédaction alors applicable :
9. Selon le premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une force majeure et, suivant le second, avant la conclusion de tout contrat d'assurance, l'intermédiaire doit préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d'assurance déterminé, ces précisions devant être adaptées à la complexité du contrat d'assurance proposé.
10. Pour débouter les assurés de toutes leurs demandes, l'arrêt relève que, selon le courtier, l'assurance obligatoire prévue par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006 relatif aux concentrations et manifestations comportant la participation de véhicules terrestres à moteur, intéresse non seulement le risque automobile mais également la responsabilité générale de l'organisateur et que la police souscrite, prévoyant un plafond de garantie de 6 100 000 euros pour les dommages corporels autres que ceux relevant de la responsabilité civile automobile, convenait parfaitement aux risques que ses clients lui avaient demandé de faire garantir, qui ne se limitaient pas aux dommages occasionnés par des véhicules.
11. L'arrêt relève encore que les assurés, confirmant les déclarations de leur courtier, indiquent que ce dernier était persuadé que la garantie souscrite couvrait non seulement les épreuves automobiles mais également l'ensemble de l'organisation de la manifestation.
12. Contredisant l'analyse juridique du courtier, l'arrêt retient que la garantie des risques prévus par le décret précité couvre exclusivement la responsabilité civile des assurés et des participants, pilotes et propriétaires des véhicules et leurs collaborateurs, en cas d'accident survenu au cours de la manifestation ou des essais préalables, causé par un véhicule terrestre à moteur, et ajoute que la simple lecture des documents précontractuels et contractuels rédigés en des termes précis permettait de connaître exactement l'objet et l'étendue de la garantie.
13. L'arrêt ajoute, au titre du devoir de conseil incombant au seul courtier, que l'analyse de ces mêmes documents démontre que ce dernier a proposé une assurance en adéquation avec le risque déclaré par les assurés, lesquels ne rapportent pas la preuve de lui avoir demandé de garantir, en plus de la garantie obligatoire instituée par le décret, les risques inhérents à l'installation, par des bénévoles, des équipements et matériels nécessaires à la manifestation. Il retient encore que le courtier n'avait aucune obligation d'attirer spécialement l'attention de ses clients, ou de les mettre en garde, sur les limites de la police souscrite, conforme à leur demande et adaptée aux besoins qu'il s'agissait de garantir.
14. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le courtier avait admis que les risques que les assurés lui avaient demandé de faire garantir ne se limitaient pas aux risques automobiles et qu'il soutenait, à tort, que le produit d'assurance conseillé couvrait le risque survenu, ce dont il résultait qu'il avait induit les assurés en erreur et qu'il avait ainsi manqué à son obligation de conseil en n'attirant pas spécialement leur attention sur la nécessité de souscrire une assurance facultative complémentaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Mise hors de cause
15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
16. En application de ce même texte, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Allianz dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'iI a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, débouté M. [K] et la société Allo express multi services de toutes leurs demandes, l'arrêt rendu le 24 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
MET hors de cause la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama ;
DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Allianz Iard ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne la société Allianz Iard et la société Gras Savoye aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] et la société Allo express multi services à l'encontre de la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, rejette la demande formée par cette dernière à l'encontre de M. [K] et de la société Allo express multi services, rejette la demande formée par les sociétés Allianz Iard et Gras Savoye et les condamne à payer à M. [K] et à la société Allo express multi services la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour M. [K] et la société Allo express multi services
M. [O] [K] et la société Allô Express Muti Services FONT GRIEF A l'arrêt infirmatif attaqué de leur avoir déboutés de leurs demandes d'indemnisation, dirigées contre le courtier (la société Gras Savoye) et les assureurs (la société Allianz et la société Groupama) ;
1°)- ALORS QUE les juges du fond doivent interpréter les clauses ambiguës des conditions générales et particulières d'une police d'assurance ; qu'en ayant énoncé que l'objet de l'assurance était clair, en ce qu'il n'aurait couvert que la responsabilité civile de M. [K] et des participants à la concentration (pilotes et propriétaires des véhicules et leurs collaborateurs), pour les accidents survenus au cours de la manifestation ou de ses essais préalables, alors même que la police visait le décret n° 2005-554 du 16 mai 2006, dont l'article 11 précise que l'assurance couvre la responsabilité civile de l'organisateur, sans la limiter à un accident causé par l'un des véhicules du spectacle, pour en déduire que M. [K] ne pouvait se méprendre sur l'étendue de la garantie, en sorte qu'il n'aurait subi aucun déficit d'information et de conseil de la part de l'assureur et du courtier, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1162 anciens du code civil et L. 112-4 du code des assurances ;
2°)- ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes d'un contrat d'assurance ; qu'en ayant jugé que le contrat d'assurance souscrit par M. [K] était clair dans son objet, quand celui-ci était particulièrement ambigu, à la lecture de la proposition d'assurance, de ses CG et CP, ainsi que de l'attestation d'assurance, la cour d'appel a méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les écrits dont il est saisi ;
3°)- ALORS QUE les juges du fond doivent répondre à toutes les conclusions opérantes des parties ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déchargé le courtier et les assureurs de toute responsabilité, sans répondre aux conclusions opérantes des exposants, ayant soutenu que l'objet de l'assurance étant tellement peu clair que le courtier Gras Savoye lui-même soutenait que l'accident était bien couvert (conclusions, p. 6), méconnaissant ainsi les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°)- ALORS QUE même si l'objet d'une police d'assurance est clair, cette circonstance ne dispense pas le courtier et l'assureur de leur devoir d'information et de conseil, dans l'hypothèse d'une insuffisance de garantie ; qu'en ayant déchargé le courtier et les assureurs de toute responsabilité, au titre de leur devoir d'information et de conseil, au motif inopérant que l'objet du contrat d'assurance était clair et ne couvrait pas la phase de préparation du spectacle, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;
5°)- ALORS QUE le fait que l'assuré soit un professionnel de l'évènement qu'il entend assurer, n'en fait pas un professionnel des assurances ; qu'en ayant déchargé le courtier et les assureurs de toute responsabilité, au titre de leur devoir d'information et de conseil, au motif que M. [K] était cascadeur professionnel et connaissait la réglementation afférente à l'organisation de concentrations, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;
6°)- ALORS QU'il incombe au courtier, professionnel de l'assurance, de s'informer des besoins de son client, candidat à l'assurance, et de lui proposer une garantie qui correspond complètement à ses besoins ; qu'en ayant déchargé le courtier Gras Savoye de toute responsabilité, motif pris de ce que M. [K] ne rapportait pas la preuve d'avoir demandé au courtier, outre la garantie obligatoire visée par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006, une garantie spécifique couvrant l'installation des équipements et matériels nécessaires à la manifestation, ainsi que le recours à des bénévoles, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;
7°)- ALORS QUE la garantie proposée par le courtier et l'assureur n'est pas complète, lorsqu'elle ne couvre pas tous les risques qui s'imposent ; qu'en ayant jugé que la garantie qui avait été proposée à M. [K] était complète, après avoir pourtant constaté qu'elle ne couvrait pas l'installation des équipements et matériels nécessaires à la manifestation, ainsi que le recours à des bénévoles, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. | Manque à son obligation d'information et de conseil le courtier qui, admettant que les risques que les assurés, organisateurs d'un spectacle de cascades automobiles, lui avaient demandé de faire garantir ne se limitaient pas aux risques automobiles relevant de l'assurance obligatoire prévue par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006 relatif aux concentrations et manifestations comportant la participation de véhicules terrestres à moteur, n'a pas spécialement attiré leur attention sur la nécessité de souscrire une assurance facultative complémentaire pour garantir les risques, qui étaient ceux advenus, inhérents aux conséquences dommageables de l'installation, par des bénévoles, des équipements et matériels nécessaires à la manifestation |
8,077 | Demande d'avis
n°Y 22-70.006
Juridiction : le tribunal judiciaire de Paris
IT2
Avis du 14 septembre 2022
n° 15011 B
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
COUR DE CASSATION
_________________________
Deuxième chambre civile
Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile :
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de M. Delbano, conseiller, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport et les conclusions de M. Aparisi, avocat général référendaire, entendu en ses observations orales.
Énoncé de la demande d'avis
1. La Cour de cassation a reçu le 4 mai 2022, une demande d'avis formée le 22 avril 2022 par le président du tribunal judiciaire de Paris, dans une instance opposant la société civile Ateliers Chana Orloff, Mmes [T] [A] [X], [P] [X], [J] [X], [K] [X], MM. [M] [X], [O] [X], [E] [X], [W] [X] et [R] [X] aux sociétés Christie's France, Christie's Manson and Wood Limited, Christie's Inc et à M. [F].
2. La demande est ainsi formulée :
« 1°/ Le président du tribunal judiciaire saisi, selon la procédure accélérée au fond, d'un recours fondé sur l'article 17 de l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 est-il compétent pour statuer alors que ce texte vise la procédure « en la forme des référés » décrite à l'ancien article 492-1 du code de procédure civile supprimé par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 ?
2°/ En cas de réponse affirmative à la première question, le président du tribunal judiciaire saisi sur le même fondement, peut-il statuer selon la procédure « en la forme des référés » décrite à l'ancien article 492-1 du code de procédure civile supprimé par le décret n°2019-1419 du 20 décembre 2019 ou peut-il qualifier son jugement de « rendu selon la procédure accélérée au fond » ?
3°/ En cas de réponse négative à la première question, le président du tribunal judiciaire doit-il se déclarer incompétent et désigner le tribunal judiciaire en application de l'article L. 211-3 du code de l'organisation judiciaire et de l'article 81 du code de procédure civile, opérer une redistribution de l'affaire au juge compétent selon l'article 82-1 du code de procédure civile, ou doit-il déclarer la demande irrecevable pour défaut de pouvoir juridictionnel ? ».
Examen de la demande d'avis
3. Selon l'article 17 de l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l'ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l'ennemi, dans les cas prévus par la présente ordonnance, la demande est portée devant le président du tribunal civil ou en matière commerciale devant le président du tribunal civil ou du tribunal de commerce au choix du demandeur, lesquels, statuant en la forme des référés, décident au fond sur toutes les questions soulevées par l'application de la présente ordonnance, quelles que soient les personnes mises en cause.
4. La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance « dans un délai de quatre mois à compter de la promulgation [
], les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier les dispositions régissant les procédures en la forme des référés devant les juridictions judiciaires aux fins de les unifier et d'harmoniser le traitement des procédures au fond à bref délai. ».
5. Prise sur habilitation de cette loi, l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019, applicable selon son article 30 aux demandes introduites à compter du 1er janvier 2020, a remplacé par l'appellation procédure accélérée au fond, les expressions faisant état de procédure « en la forme des référés », « dans la forme des référés », « comme en matière de référé », en précisant expressément les textes codifiés et non codifiés, certains relevant, dès lors, de la procédure accélérée au fond, d'autres étant désormais soumis à la procédure de droit commun au fond, sur requête ou en référé.
6. Le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance n° 2019-738 indique :
« Compte-tenu de la nature des dispositions modifiées, la réforme entreprise doit s'articuler en deux temps : un projet d'ordonnance qui concerne les dispositions légales et un projet de décret qui portera sur les dispositions réglementaires.
Cette réforme a pour ambition première de clarifier la procédure « en la forme des référés » en la renommant, de manière à mettre en évidence le fait qu'il s'agit d'une décision statuant au fond, obtenue rapidement, tout en supprimant la référence expresse au « référé », source d'erreurs. La terminologie de « procédure accélérée au fond » remplit cet objectif.
Le projet entend ensuite préserver la philosophie de la procédure « en la forme des référés » dans les matières dans lesquelles il est indispensable de pouvoir disposer d'une voie procédurale permettant d'obtenir un jugement au fond dans des délais rapides. Comme dans le cadre d'une procédure à jour fixe, le demandeur se verra indiquer une date d'audience à bref délai, sans qu'il n'ait à justifier préalablement d'une urgence particulière.
Il entreprend toutefois, dans la mesure du possible, d'harmoniser les déclinaisons existant dans les différentes matières. En effet, de nombreuses dispositions, tout en renvoyant à la procédure « en la forme des référés », s'écartent de manière plus ou moins significative du dispositif de droit commun tel que décrit par le code de procédure civile et nuisent ainsi à sa lisibilité. ».
7. Mais il apparaît qu'à l'exception de son article 28, qui généralise la procédure accélérée au fond dans les hypothèses de procédure « en la forme des référés » prévues par des conventions bilatérales, l'ordonnance du 17 juillet 2019 n'opère pas une substitution générale de la procédure « en la forme des référés » en la transformant automatiquement en procédure accélérée au fond, mais procède texte par texte, en écartant de la nouvelle procédure des textes qui étaient auparavant soumis à la procédure « en la forme des référés ».
8. L'article L 213-2 du code de l'organisation judiciaire, issu de la même ordonnance, dispose que dans les cas prévus par la loi ou le règlement, le président du tribunal judiciaire statue selon la procédure accélérée au fond.
9. Le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 a abrogé l'article 492-1 relatif à la procédure en la forme des référés et a créé une sous-section consacrée à la procédure accélérée au fond, sous l'article 481-1. Il a, en outre, modifié les dispositions d'autres codes, en substituant, pour les procédures qui n'ont pas été intégrées au domaine du référé, des requêtes ou de la procédure contentieuse au fond, respectivement, aux termes « en la forme des référés », l'expression « selon la procédure accélérée au fond » et au terme « ordonnance » le mot « jugement » ou « décision ».
10. L'article 17 de l'ordonnance du 21 avril 1945, qui attribue compétence, notamment, au président du tribunal civil, devenu président du tribunal judiciaire, n'a été modifié ni par l'ordonnance du 17 juillet 2019, ni par le décret du 20 décembre 2019 et n'est visé par aucun de ces textes.
11. Selon l'exposé des motifs de l'ordonnance du 21 avril 1945, la nouvelle ordonnance qui s'inscrit dans le cadre de la déclaration de Londres du 5 janvier 1943, permet, par une procédure aussi rapide et peu coûteuse que possible, aux propriétaires dépossédés de rentrer légalement en possession de leurs biens, droits ou intérêts, par application du principe de la nullité des actes de transfert.
12. Dès lors, il est conforme aux objectifs et à l'esprit de l'ordonnance du 21 avril 1945 que le président du tribunal judiciaire, saisi sur le fondement de l'article 17 précité, statue selon la procédure accélérée au fond prévue à l'article 481-1 du code de procédure civile.
En conséquence, la Cour :
EST D'AVIS QUE :
En ce qui concerne la première et la deuxième questions réunies :
Le président du tribunal judiciaire, est compétent pour connaître des demandes formées en application de l'article 17 de l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945. Il statue selon la procédure accélérée au fond prévue à l'article 481-1 du code de procédure civile
En ce qui concerne la troisième question :
Il n'y a pas lieu à avis.
Par application de l'article 1031-6 du code de procédure civile, le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 14 septembre 2022, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 13 septembre 2022 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, Vendryes, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire et Mme Thomas, greffier de chambre ;
Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre.
Le conseiller rapporteurLe président
Le greffier de chambre | La Cour de cassation est d'avis que le président du tribunal judiciaire est compétent pour connaître des demandes formées en application de l'article 17 de l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945. Il statue selon la procédure accélérée au fond prévue à l'article 481-1 du code de procédure civile, bien que l'article précité se réfère à la procédure en la forme des référés, abrogée depuis le 1er janvier 2020 |
8,078 | N° Z 22-84.037 FS-B
N° 01215
SL2
13 SEPTEMBRE 2022
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022
M. [C] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 17 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de recel et vol aggravés, en récidive, tentative de vol, escroquerie et blanchiment, aggravés, blanchiment, associations de malfaiteurs, dégradation, destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, a prolongé sa détention provisoire après infirmation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C] [T], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mmes Labrousse, Ménotti, MM. Maziau, Seys, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 3 juillet 2020, M. [C] [T] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire.
3. Par ordonnance du 31 mai 2022, le juge des libertés et de la détention a, sur le fondement de l'article 145-2 du code de procédure pénale, dit n'y avoir lieu à prolonger la détention provisoire de l'intéressé au-delà des deux ans prévus par ce texte.
4. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé une ordonnance du juge des libertés et de la détention disant n'y avoir lieu à prolongation de la détention provisoire de M. [T] détenu depuis le 3 juillet 2020, et a ordonné la prolongation de sa détention pour une durée de six mois à compter de 2 juillet 2022 à 24 heures, alors « que le vol est un délit qui peut être aggravé par la circonstance de bande organisée ; le texte de l'article 145-2 du code de procédure pénale, s'il autorise que la durée de la détention provisoire puisse être allongée à quatre ans soit pour certains délits limitativement énumérés dont le vol ne fait pas partie, soit pour les crimes aggravés par la circonstance de bande organisée, au regard de ce texte le vol reste un délit qui peut être aggravé par la circonstance de bande organisée mais qui ne devient pas pour autant un crime ; M. [T] n'encourant qu'une peine maximale de 15 ans de réclusion criminelle et non de 20 ans comme l'exige l'article 145-2, § 2, du code de procédure pénale pour l'allongement des délais de détention qu'il édicte, la chambre de l'instruction ne pouvait considérer que M. [T] rentrait dans l'hypothèse d'un possible allongement de la détention à quatre ans au motif erroné que le vol en bande organisée serait constitutif d'un « crime en bande organisée » au sens de ce texte. La chambre de l'instruction a ainsi violé l'article 145-2, § 2, du code de procédure pénale. M. [T] détenu depuis plus de 2 ans doit être mis en liberté et la cassation interviendra sans renvoi. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 145-2, alinéa 2, du code de procédure pénale :
6. Aux termes de ce texte, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention provisoire au-delà de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans de réclusion ou de détention criminelles et au-delà de trois ans dans les autres cas. Les délais sont portés respectivement à trois et quatre ans lorsque l'un des faits constitutifs de l'infraction a été commis hors du territoire national. Le délai est également de quatre ans lorsque la personne est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV du code pénal, ou trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée.
7. Cet article n'est applicable qu'en matière criminelle.
8. Ainsi, d'une part, les catégories d'infractions de trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme et extorsion de fonds, énumérées par ce texte, ne concernent que celles d'entre elles qui constituent des crimes, les délits relevant de l'article 145-1 du même code.
9. D'autre part, alors que ledit article, applicable en matière correctionnelle, fait mention d'une « infraction » commise en bande organisée, l'article 145-2, alinéa 2, précité, vise précisément un « crime » commis en bande organisée, qu'il distingue de « l'infraction » criminelle comportant un élément d'extranéité.
10. Il s'en déduit que l'expression « crime commis en bande organisée », dont l'interprétation doit être littérale, s'agissant d'une disposition allongeant la durée de la détention provisoire, suppose que les faits poursuivis puissent recevoir une qualification criminelle, indépendamment de la circonstance de bande organisée.
11. En l'espèce, pour infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention et ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [T], l'arrêt attaqué énonce qu'au-delà de la matière criminelle visée à son premier alinéa, l'article 145-2 du code de procédure pénale prévoit pour certains délits un délai de détention maximal allongé à quatre années ainsi que pour les crimes commis en bande organisée.
12. Les juges en déduisent que, pour un crime commis en bande organisée, ce texte ne distingue pas entre la nature, délictuelle ou criminelle, de l'infraction initiale, aggravée par la circonstance de bande organisée, de sorte que le délai maximal de la détention provisoire de quatre ans trouve bien à s'appliquer pour le crime de vol en bande organisée.
13. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
14. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
16. M. [T] étant détenu sans titre depuis le 3 juillet 2022 dans la présente procédure, il doit être remis en liberté, sauf s'il est détenu pour autre cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 17 juin 2022 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que M. [T] est détenu sans titre depuis le 3 juillet 2022 dans la présente procédure ;
ORDONNE la mise en liberté de M. [T] s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux. | L'article 145-2 n'est applicable qu'en matière criminelle. Ainsi, d'une part, les catégories d'infractions de trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme et extorsion de fonds, énumérées par ce texte, ne concernent que celles d'entre elles qui constituent des crimes, les délits relevant de l'article 145-1 du même code, d'autre part, alors que ledit article, applicable en matière correctionnelle, fait mention d'une « infraction » commise en bande organisée, l'article 145-2, alinéa 2, précité, vise précisément un « crime » commis en bande organisée, qu'il distingue de « l'infraction » criminelle comportant un élément d'extranéité. Il s'en déduit que l'expression « crime commis en bande organisée », dont l'interprétation doit être littérale s'agissant d'une disposition allongeant la durée de la détention provisoire, suppose que les faits poursuivis puissent recevoir une qualification criminelle, indépendamment de la circonstance de bande organisée |
8,079 | N° J 22-83.885 F-B
N° 01222
SL2
13 SEPTEMBRE 2022
CASSATION
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 SEPTEMBRE 2022
M. [I] [T] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 juin 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants, infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant sa requête sur ses conditions de détention.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [I] [T], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés, M. [I] [T] a été placé sous mandat de dépôt correctionnel par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 12 octobre 2021.
3. Le 16 mai 2022, M. [T] a saisi le juge des libertés et de la détention d'une requête dénonçant les conditions de sa détention, au visa de l'article 803-8 du code de procédure pénale.
4. Le magistrat saisi, après avoir sollicité, et obtenu le 24 mai 2022, les avis de l'administration pénitentiaire et du ministère public, a ordonné, d'office, l'audition de l'intéressé, qui a été entendu le 25 mai 2022, en présence de son avocat, du procureur de la République et de représentants de la maison d'arrêt.
5. Par ordonnance du 26 mai suivant, la requête a été rejetée.
6. M. [T] a relevé appel de cette décision et a demandé à comparaître devant le président de la chambre de l'instruction.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de comparution personnelle présentée par Monsieur [T], alors :
« 1°/ qu'en matière de détention provisoire, la comparution personnelle, si elle est demandée, est de droit ; que ce principe vaut en particulier lorsqu'une personne détenue sollicite, sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, son transfèrement ou sa remise en liberté à raison des conditions indignes de sa détention ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [T], appelant de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant rejeté la demande de transfèrement ou de remise en liberté qu'il avait formée sur le fondement de ce texte en arguant de l'indignité de ses conditions de détention, avait sollicité expressément, dans sa déclaration d'appel, sa comparution personnelle devant le président de la chambre de l'instruction ; qu'en affirmant, pour rejeter cette requête, que les articles 803-8 et R. 249-36 à R. 249-39 du code de procédure pénale ne prévoyaient pas une possibilité de comparution personnelle du requérant, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs en violation de ces textes, ensemble des article 5 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que si l'article 803-8 du code de procédure pénale devait être lu comme excluant la comparution personnelle de la personne détenue devant le président de la chambre de l'instruction appelé à statuer sur l'appel interjeté contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention rejetant la demande de transfèrement ou de remise en liberté fondée sur l'indignité des conditions de détention, ce texte devrait, sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par mémoire distinct, être abrogé en ce qu'il serait contraire au principe constitutionnel d'accès au juge garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
8. Pour dire irrecevable la demande de comparution de M. [T], l'ordonnance attaquée énonce qu'aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit la possibilité d'une comparution personnelle du détenu devant le président de la chambre de l'instruction statuant comme juridiction d'appel.
9. En prononçant ainsi, le président de la chambre de l'instruction a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
10. En premier lieu, la personne détenue qui saisit le juge sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale ne peut se prévaloir des règles applicables en matière de contentieux de la détention provisoire, l'objet de ce texte n'étant pas l'examen du bien-fondé de cette détention, mais celui des conditions dans lesquelles celle-ci se déroule.
11. En second lieu, la procédure applicable aux requêtes en conditions indignes de détention garantit suffisamment le droit d'accès au juge.
12. En effet, il se déduit de la lecture combinée des articles 803-8, R. 249-24 et R. 249-35 de ce même code, d'une part, que la personne détenue peut, au moment du dépôt de sa requête, demander à comparaître devant le juge des libertés et de la détention, d'autre part, que, saisi d'une telle demande, ce magistrat doit procéder à cette audition s'il entend rendre une décision d'irrecevabilité, et, enfin, que si la requête est déclarée recevable, l'audition doit être réalisée avant la décision sur le bien-fondé de celle-ci.
13. Enfin, devant le président de la chambre de l'instruction, la personne détenue peut présenter toutes observations utiles, personnellement ou par l'intermédiaire de son avocat, auxquelles ce magistrat est tenu de répondre.
14. Ainsi, le grief, inopérant en ce qu'il vise l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que l'examen des requêtes en conditions indignes de détention relève des articles 3 et 13 de cette Convention, doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
15. Par arrêt distinct de ce jour, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ; le grief est ainsi devenu sans objet.
Mais sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat
Vu l'article 803-8, I, alinéas 2 et 4, du code de procédure pénale :
16. Selon ce texte, le juge des libertés et de la détention déclare recevable la requête portant sur l'examen des conditions de détention si les allégations de conditions contraires à la dignité de la personne humaine y figurant sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu'elles constituent un commencement de preuve de ce que ces conditions de détention ne respectent pas la dignité de la personne. Cette disposition vise à permettre le recours effectif et préventif exigé par la Convention européenne des droits de l'homme tout en le réservant aux situations dont la description par le requérant convainc le juge de faire usage de ses pouvoirs de vérification.
17. Il en résulte que le juge des libertés et de la détention ne peut statuer sur le bien-fondé de la requête sans avoir au préalable statué sur sa recevabilité.
18. En l'espèce, en prononçant sur le bien-fondé de la requête, alors que le premier juge n'avait pas au préalable statué sur la recevabilité de celle-ci par une ordonnance rendue conformément à l'article R. 249-21 du code de procédure pénale, mais s'était, au contraire, prononcé notamment en considération d'informations transmises par l'administration pénitentiaire, qu'il n'avait pas à prendre en compte à ce stade, le président de la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
19. La cassation est dès lors encourue.
Portée et conséquences de la cassation
19. Il appartient au président de la chambre de l'instruction de statuer sur la recevabilité de la requête.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 13 juin 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize septembre deux mille vingt-deux. | N'encourt pas la censure l'ordonnance par laquelle le président de la chambre de l'instruction, saisi sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale, déclare irrecevable la demande de comparution présentée par la personne détenue, dès lors que l'objet de ce texte n'étant pas l'examen du bien-fondé de cette détention, mais celui des conditions dans lesquelles celle-ci se déroule, cette comparution n'est pas de droit |
8,080 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 657 F-B
Pourvoi n° C 20-21.035
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
1°/ Mme [H] [R],
2°/ Mme [X] [Z],
toutes deux domiciliées [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° C 20-21.035 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2020 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [L] [S], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à Mme [M] [U], domiciliée [Adresse 1],
3°/ au procureur général près la cour d'appel de Papeete, domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mmes [R] et [Z], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [S], après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 2 juillet 2020), [B] dit [O] [S] a assigné Mme [L] [S] et Mme [U] en contestation de paternité.
2. Après le décès de celui-ci, survenu le 16 mars 2017, Mmes [R] et [Z], ses nièces, sont intervenues volontairement à l'instance en leur qualité de légataires universelles pour reprendre l'instance.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Mmes [R] et [Z] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur intervention volontaire et de les condamner à payer, chacune, à Mme [S] la somme de 250 000 francs pacifiques à titre de dommages-intérêts, alors « que, si le légataire universel du titulaire de l'action en contestation de paternité n'a pas qualité pour intenter ladite action, il en dispose pour poursuivre l'action engagée par ce titulaire de son vivant ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'intervention volontaire de Mmes [R] et [Z] dans le cadre de l'instance engagée par [B] dit [O] [S] en contestation de sa paternité à l'égard de Mme [L] [S] et de Mme [M] [U], que le légataire universel du titulaire d'une action relative à la filiation n'est pas un héritier au sens de l'article 322 du code civil et qu'il n'a qualité ni pour exercer cette action, ni pour poursuivre une telle action déjà engagée, la cour d'appel a violé l'article 322 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir énoncé à bon droit que le légataire universel du titulaire de l'action prévue par l'article 333 du code civil, n'étant pas un héritier de celui-ci au sens de l'article 322 du même code, n'a pas qualité pour exercer cette action ni pour la poursuivre, la cour d'appel en a exactement déduit que Mmes [R] et [Z] étaient irrecevables à poursuivre, en leur qualité de légataires universelles, l'action en contestation de paternité engagée par [B] dit [O] [S].
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mmes [R] et [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes [R] et [Z] et les condamne à payer à Mme [S] la somme de 2 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Tinchon, greffier présent lors du prononcé. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour Mmes [R] et [Z]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Mmes [R] et [Z] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable leur intervention volontaire et, l'infirmant pour le surplus, de les avoir condamnées à payer, chacune, à Mme [S] la somme de 250 000 francs pacifique à titre de dommages-intérêts ;
ALORS QUE si le légataire universel du titulaire de l'action en contestation de paternité n'a pas qualité pour intenter ladite action, il en dispose pour poursuivre l'action engagée par ce titulaire de son vivant ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'intervention volontaire de Mmes [R] et [Z] dans le cadre de l'instance engagée par [B] dit [O] [S] en contestation de sa paternité à l'égard de Mme [L] [S] et de Mme [M] [U], que le légataire universel du titulaire d'une action relative à la filiation n'est pas un héritier au sens de l'article 322 du code civil et qu'il n'a qualité ni pour exercer cette action, ni pour poursuivre une telle action déjà engagée, la cour d'appel a violé l'article 322 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Mmes [R] et [Z] reprochent à l'arrêt attaqué de les avoir condamnées à payer, chacune, à Mme [S] la somme de 250 000 francs pacifique à titre de dommages-intérêts ;
ALORS QUE l'action en justice ne revêt un caractère abusif qu'en présence d'une faute ayant fait dégénérer en abus l'exercice de ce droit ; que pour juger que Mmes [R] et [Z] avaient agi de manière abusive en poursuivant l'action en contestation de paternité intentée par [B] dit [O] [S] dont elles sont les légataires universelles, dans l'intention de nuire à Mme [L] [S], son héritier réservataire, et lui causer préjudice, la cour a relevé que les appelantes se bornent à solliciter une décision avant dire droit afin de se constituer des preuves, qu'elles ne versent aux débats que deux attestations au soutien de leurs allégations, que leur demande de communication de pièces devant le conseiller de la mise en état avait pour objet de pallier leur carence dans l'administration de la preuve et que Mme [L] [S] voit pour la première fois sa filiation remise en cause alors que celle-ci résulte de sa reconnaissance par son père à sa naissance ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit de Mmes [R] et [Z] à agir en justice, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. | Le légataire universel du titulaire de l'action prévue par l'article 333 du code civil, n'étant pas un héritier de celui-ci au sens de l'article 322 du même code, n'a pas qualité pour exercer cette action ni pour la poursuivre |
8,081 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 658 F-B
Pourvoi n° B 21-12.344
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [U].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 mai 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
M. [W] [I], domicilié [Adresse 2]), a formé le pourvoi n° B 21-12.344 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2020 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant à Mme [Y] [U], épouse [I], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [I], de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [U], après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 10 novembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 3 octobre 2019, pourvoi n° 18-18.574), M. [I] et Mme [U] se sont mariés le 8 juin 1974 sans contrat de mariage.
2. Un jugement du 9 juin 2016 a prononcé le divorce aux torts exclusifs de l'époux, ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux et fixé à 150 000 euros le montant de la prestation compensatoire due par M. [I] à Mme [U].
3. Un arrêt du 28 février 2018 a confirmé le jugement, sauf, notamment, en ses dispositions concernant la prestation compensatoire, et condamné M. [I] à payer à Mme [U] une prestation compensatoire sous la forme d'un capital d'un montant de 250 000 euros.
4. Cette décision a été cassée, mais uniquement en ses dispositions relatives à la prestation compensatoire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. [I] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme [U] une prestation compensatoire sous forme d'un capital d'un montant de 200 000 euros, alors « que le montant de la prestation compensatoire, destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux, doit être fixé en tenant compte du patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le patrimoine communautaire était constitué d'un appartement évalué à 120 000 euros, d'un local commercial évalué à 260 000 euros et du "relais Marrakech" évalué, selon l'époux, à 470 000 à 500 000 euros, et selon l'épouse à 3 834 160 euros, soit un montant global compris entre 850 000 euros et 4 214 160 euros ; que dès lors, en se bornant à énoncer, pour fixer la prestation compensatoire due à Mme [U] à la somme de 200 000 euros, qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte de la liquidation du régime matrimonial afin d'apprécier la disparité que la rupture du mariage
allait créer dans les conditions de vie respective des époux, sans rechercher comme elle y était invitée, pour fixer le montant de la prestation compensatoire, si la liquidation de l'important patrimoine commun n'était pas de nature à réduire sensiblement les besoins de Mme [U], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 271 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Sous le couvert d'un grief non fondé de manque de base légale au regard de l'article 271 du code civil, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, le pouvoir souverain d'appréciation de la cour d'appel qui, après avoir retenu à bon droit que, la liquidation du régime matrimonial des époux étant par définition égalitaire, il n'y avait pas lieu de tenir compte de la part de communauté devant revenir à Mme [U] pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux, a pris en considération l'ensemble des éléments qui lui était soumis pour fixer le montant de la prestation compensatoire.
7. Il ne peut donc être accueilli.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. M. [I] fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en ses demandes tendant à ce qu'il soit à nouveau statué sur les dépens des procédures devant le juge aux affaires familiales et devant la cour d'appel, alors « que la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les frais dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la cassation était totale ou partielle ; que dès lors en déclarant M. [I] irrecevable en sa demande tendant à ce qu'il soit de nouveau statué sur les dépens et les frais irrépétibles de premières instance et d'appel au motif inopérant que la cassation n'aurait été que partielle, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 639 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 639 du code de procédure civile :
9. Il résulte de ce texte que la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée, le fût-elle partiellement.
10. Pour déclarer irrecevables les demandes de M. [I] tendant à ce qu'il soit à nouveau statué sur les dépens devant le juge aux affaires familiales
et la cour d'appel, l'arrêt retient que l'arrêt du 28 février 2018, qui a confirmé le jugement du juge aux affaires familiales, sauf en ses dispositions concernant la prestation compensatoire, la désignation du notaire et l'attribution préférentielle de l'appartement de Belfort, a, par là-même, confirmé les dispositions par lesquelles il a condamné M. [I] aux entiers dépens de première instance et qu'il pas été censuré sur ce point.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. Comme suggéré par le mémoire en défense, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. M. [I] ayant principalement succombé dans ses prétentions, tant devant le juge aux affaires familiales que devant la cour d'appel dont la décision a été partiellement cassée, il y a lieu de lui laisser la charge des dépens afférents à ces instances.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de M. [I] tendant à ce qu'il soit à nouveau statué sur le sort des dépens des procédures devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Belfort et d'appel devant la cour d'appel de Besançon, l'arrêt rendu le 10 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne M. [I] aux dépens dans les instances devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Belfort et devant la cour d'appel de Besançon ayant donné lieu à l'arrêt du 28 février 2018 ;
Condamne M. [I] aux dépens, y compris ceux exposés devant la cour d'appel de renvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Tinchon, greffier présent lors du prononcé. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour M. [I]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [I] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à payer à Mme [U] une prestation compensatoire sous forme d'un capital d'un montant de 200 000 € alors :
que le montant de la prestation compensatoire, destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux, doit être fixé en tenant compte du patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le patrimoine communautaire était constitué d'un appartement évalué à 120 000 €, d'un local commercial évalué à 260 000 € et du "relais Marrakech" évalué, selon l'époux, à 470 000 à 500 000 €, et selon l'épouse à 3 834 160 €, soit un montant global compris entre 850 000 € et 4 214 160 € ; que dès lors, en se bornant à énoncer, pour fixer la prestation compensatoire due à Mme [U] à la somme de 200 000 €, qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte de la liquidation du régime matrimonial afin d'apprécier la disparité que la rupture du mariage allait créer dans les conditions de vie respective des époux, sans rechercher comme elle y était invitée, pour fixer le montant de la prestation compensatoire, si la liquidation de l'important patrimoine commun n'était pas de nature à réduire sensiblement les besoins de Mme [U], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 271 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [I] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déclaré irrecevable en ses demandes tendant à ce qu'il soit à nouveau statué sur les dépens des procédures devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Belfort et devant la cour d'appel de Besançon, alors :
que la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les frais dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la cassation était totale ou partielle ; que dès lors en déclarant M. [I] irrecevable en sa demande tendant à ce qu'il soit de nouveau statué sur les dépens et les frais irrépétibles de premières instance et d'appel au motif inopérant que la cassation n'aurait été que partielle, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 639 du code de procédure civile. | Il résulte de l'article 639 du code de procédure civile que la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris sur ceux afférents à la décision cassée, le fût-elle partiellement |
8,082 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 660 FS-B+R
Pourvoi n° C 21-50.042
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Papeete, domicilié en son parquet général, [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-50.042 contre l'arrêt rendu le 29 avril 2021 par la cour d'appel de Papeete, dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [N] [S],
2°/ à M. [C] [M],
domiciliés tous deux [Adresse 3],
3°/ à M. [F] [T],
4°/ à Mme [Z] [L], épouse [T],
domiciliés tous deux [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les neuf moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Azar, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié et les plaidoiries de Me Molinié, avocat de Mme [S], de M. [M] et de M. et Mme [T], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Azar, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mme Beauvois, conseillers, M. Duval, conseiller référendaire, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 29 avril 2021), [I] [M] est né le 18 avril 2020, à Papeete, de l'union de Mme [S] et de M. [M].
2. Le 6 mai 2020, ceux-ci ont saisi un juge aux affaires familiales d'une demande de délégation de l'exercice de l'autorité parentale sur leur enfant au profit de M. et Mme [T].
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, sur le deuxième moyen, sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, sur les quatrième à sixième moyens, sur le septième moyen, pris en ses première à cinquième branches et septième branche, sur les huitième et neuvième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, le deuxième moyen, le troisième moyen, pris en sa troisième branche, les quatrième et cinquième moyens, le sixième moyen, pris en sa seconde branche, le septième moyen, pris en ses première à cinquième branches et septième branche, les huitième et neuvième moyens, qui sont irrecevables, et sur le sixième moyen, pris en sa première branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le procureur général près la cour d'appel de Papeete fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande de délégation d'autorité parentale, alors « qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a enfreint la prohibition d'ordre public de la gestation pour autrui spécifiée aux articles 16-7 et 16-9 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 16-7 du code civil, les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui sont nulles.
6. Ces dispositions reposent sur les principes d'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, qui interdisent, sauf exceptions prévues par la loi, de conclure une convention portant sur un élément du corps humain ou de disposer librement de sa qualité de père ou de mère.
7. Il en résulte que le projet d'une mesure de délégation d'autorité parentale, par les parents d'un enfant à naître, au bénéfice de tiers souhaitant le prendre en charge à sa naissance, n'entre pas dans le champ des conventions prohibées par l'article 16-7 du code civil.
8. En effet, il n'existe pas d'atteinte aux principes de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, dès lors, d'une part, que l'enfant n'a pas été conçu en vue de satisfaire la demande des candidats à la délégation, d'autre part, que la mesure de délégation, qui n'est qu'un mode d'organisation de l'exercice de l'autorité parentale, est ordonnée sous le contrôle du juge, est révocable et est, en elle-même, sans incidence sur la filiation de l'enfant.
9. La cour d'appel a constaté que la mesure de délégation d'autorité parentale avec prise de contact d'une famille en métropole n'avait été envisagée par les parents de l'enfant qu'au cours de la grossesse.
10. Elle en a exactement déduit que la mesure sollicitée ne consacrait pas, entre les délégants et les délégataires, une relation fondée sur une convention de gestation pour autrui.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
12. Le procureur général près la cour d'appel de Papeete fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'article 377, alinéa 1er du code civil qui ne permet pas en cas de délégation d'autorité parentale volontaire une délégation par plusieurs délégataires ;
2°/ qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a conféré à l'article 555 du code de procédure civile de Polynésie française, des effets réservés à l'article 377, alinéa 1er du code civil lequel limite pourtant en cas de délégation d'autorité parentale volontaire la possibilité de désigner un seul délégataire. »
Réponse de la Cour
13. Aux termes de l'article 377, alinéa 1er, du code civil, les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l'exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l'exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l'aide sociale à l'enfance.
14. Ces dispositions n'interdisent pas la désignation de plusieurs délégataires lorsque, en conformité avec l'intérêt de l'enfant, les circonstances l'exigent.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le septième moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
16. Le procureur général près la cour d'appel de Papeete fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en statuant ainsi, et en les qualifiant de proches au sens de l'article 377, alinéa 1er du code civil, après avoir constaté que le délégataire, M. [T] était inconnu des délégants et que la délégataire Mme [T] n'était connue que depuis quelques semaines la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations. »
Réponse de la Cour
17. Aux termes de l'article 377, alinéa 1er, du code civil, les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l'exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l'exercice de l'autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l'aide sociale à l'enfance.
18. Si ces dispositions ouvrent la possibilité de désigner comme délégataire une personne physique qui ne soit pas membre de la famille, c'est à la condition que celle-ci soit un proche digne de confiance.
19. Ne saurait être considérée comme un proche, au sens du texte précité, une personne dépourvue de lien avec les délégants et rencontrée dans le seul objectif de prendre en charge l'enfant en vue de son adoption ultérieure.
20. Au demeurant, une telle désignation ne serait pas conforme à la coutume polynésienne de la Faa'mu, qui permet d'organiser une mesure de délégation de l'autorité parentale dès lors qu'elle intervient au sein d'un cercle familial élargi ou au bénéfice de personnes connues des délégants.
21. En conséquence, c'est en méconnaissance du texte susvisé que la cour d'appel, après avoir constaté que Mme [S] et M. [M] étaient entrés en relation avec M. et Mme [T] à la suite de recherches d'une famille adoptante en métropole, a accueilli la demande en délégation de l'exercice de l'autorité parentale.
22. Cependant, si une jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui a été réalisé antérieurement à celle-ci et, le cas échéant, sur la base et sur la foi d'une jurisprudence ancienne, la mise en oeuvre de ce principe peut affecter irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi, en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action, de sorte que, en ces circonstances, le juge doit procéder à une évaluation des inconvénients justifiant qu'il soit fait exception au principe de la rétroactivité de la jurisprudence et rechercher, au cas par cas, s'il existe, entre les avantages qui y sont attachés et ses inconvénients, une disproportion manifeste.
23. En l'occurrence, il doit être relevé, en premier lieu, que l'utilisation de la procédure de délégation d'autorité parentale s'inscrit dans un contexte de carence du pouvoir réglementaire. En effet, si les articles L. 224-1 à L. 225-7 du code de l'action sociale et des familles, relatif aux pupilles de l'Etat et à leur adoption, sont applicables en Polynésie française, selon les adaptations qui y sont prévues aux articles L. 562-1 à L. 562-5, les dispositions réglementaires d'application de l'article L. 224-2 du même code, relatif à la composition et aux règles de fonctionnement des conseils de famille institués en Polynésie française, ne sont toujours pas adoptées à ce jour, créant de ce fait une incertitude juridique sur les modalités d'adoption d'un enfant âgé de moins de deux ans sur ce territoire.
24. En deuxième lieu, il doit être rappelé que, dans ce contexte de vide réglementaire imputable à l'Etat, les autorités locales ont aménagé le code de procédure civile applicable en Polynésie française en prévoyant, pour les enfants dont la filiation est établie mais dont les parents souhaitent dès leur naissance mettre en oeuvre un projet d'adoption, une mesure préalable de délégation d'autorité parentale. De manière spécifique, l'article 555, alinéa 3, de ce code, édicte ainsi que la requête en délégation d'autorité parentale doit être accompagnée, lorsque les délégataires ne résident pas en Polynésie française, de l'enquête sociale et de l'avis motivé émanant de l'organisme habilité à le faire suivant la loi de leur domicile ou résidence habituelle.
25. En troisième lieu, il doit être souligné que la délégation aux fins d'adoption a été admise sur ce territoire par une jurisprudence trentenaire de la cour d'appel de Papeete, jusqu'à présent jamais remise en cause.
26. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à la date de la naissance de l'enfant, les parents légaux, comme le couple candidat à la délégation, se sont engagés dans un processus de délégation d'autorité parentale en vue d'une adoption qu'ils pouvaient, de bonne foi, considérer comme étant conforme au droit positif.
27. Dans ces conditions, il apparaît que l'application immédiate de la jurisprudence nouvelle sanctionnant un tel processus porterait une atteinte disproportionnée aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime.
28. En outre, de manière concrète, la remise en cause des situations existantes serait de nature à affecter irrémédiablement les liens qui se sont tissés ab initio entre l'enfant et les délégataires. En effet, la fin de la mesure de délégation d'autorité parentale, en supprimant tout lien juridique entre eux, peut conduire à une rupture définitive des relations de l'enfant avec ceux qui l'élèvent depuis sa naissance, dans un contexte où le projet a été construit en accord avec les parents légaux et où ceux-ci conservent la faculté de solliciter la révocation de la mesure, si tel est l'intérêt de l'enfant.
29. Dès lors, l'application immédiate de la jurisprudence nouvelle porterait également une atteinte disproportionnée à l'intérêt supérieur de l'enfant, garanti par l'article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l'enfant, ainsi qu'au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées, garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
30. Ces circonstances exceptionnelles justifient par conséquent de déroger à l'application immédiate de la jurisprudence nouvelle aux situations des enfants pour lesquels une instance est en cours.
31. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu d'accueillir le moyen.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Vignes, greffier présent lors du prononcé.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par le procureur général près la cour d'appel de Papeete
Le ministère public fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu par le juge aux affaires familiales du tribunal de première instance le 12 aout 2020 qui avait dit que l'autorité parentale sur l'enfant [I] [H] [M] le 18 avril 2020 à Papeete (Tahiti, Polynésie française) sera désormais exercée par Madame [Z] [X] [L] épouse [T] née le 14 mai 1981 à Laval (53000) de nationalité française et Monsieur [F] [T] né le 30 janvier 1982 à Belfort (90000), de nationalité française
II -A-_Aux motifs que :
II-A-1 « le juge aux affaires familiales dispose, comme il a été dit, de pouvoirs étendus pour apprécier les circonstances dans lesquelles la délégation volontaire de l'autorité parentale est demandée, la liberté et la sincérité du consentement des parents, l'existence d'une fraude ou de contreparties matérielles ou financières, permettant de caractériser dans chaque espèce s'il y a eu ou non atteinte au principe d'indisponibilité du corps humain et d'interdiction de la gestation pour autrui, en faisant intervenir tant les services sociaux que ceux de police judiciaire; et qu'une demande de délégation volontaire de l'autorité parentale à un proche digne de confiance en raison des circonstances, même quand elle est présentée dans la perspective d'une demande d'adoption ultérieure, ne saurait être rejetée sans un examen par le juge, dans chaque espèce, du respect des conditions légales et de l'intérêt supérieur de l'enfant ; »
et que: « la relation entre les parents et les délégataires s'est déroulée dans la continuité du projet conçu par les parents d'un accueil de l'enfant à naître par une famille qui lui offrirait des moyens de se développer meilleurs que dans sa famille biologique, laquelle est non seulement en situation de précarité, mais aussi non préparée à lui offrir une place. C'est ce projet partagé et conforté lors de l'arrivée de [Z] [T] qui a créé une proximité, sans qu'il soit en rien établi que la relation ait été fondée sur un consentement vicié ou sur une fraude ou sur une gestation pour autrui, les délégataires n'ayant été connus des parents que deux mois avant l'accouchement. »
et que : « en Polynésie française, peu de parents songent à remettre expressément leur enfant au service de l'aide à l'enfance en vue d'une admission comme pupille de l'État, et ce même lorsqu'ils bénéficient de l'accompagnement du service social. A leurs yeux, la remise de l'enfant à des tiers désireux à terme de l'adopter par une délégation volontaire de l'autorité parentale n'est pas un abandon. Ils disent «donner», confier leur enfant. Ceux qui se sentent dans l'impossibilité de faire grandir leur enfant restent attachés à la possibilité de choisir ceux qui les substitueront. Es ont ainsi le sentiment de prendre la mesure la plus protectrice pour leur enfant qu'ils ne se sentent pas en capacité de faire grandir. »
et que:« Les parents biologiques comprennent et approuvent le projet d'une adoption plénière par la suite. Des assurances sont données sur le maintien des contacts »
et que « L'enfant a été remis dès sa naissance à [Z] [T] »
et que : « En droit interne, lorsque, comme en l'espèce, la filiation de l'enfant a été établie, et que les parents n'ont pas perdu le droit d'exercer l'autorité parentale, l'enfant peut être élevé par d'autres personnes que ses parents biologiques si ces derniers ont délégué l'autorité parentale, ou s'ils ont consenti à une adoption et que celle-ci peut être prononcée.
La délégation volontaire de l'autorité parentale sur un enfant âgé de moins de deux ans à un tiers proche digne de confiance lorsque les circonstances l'exigent n'est pas illicite. Elle ne constitue pas, en soi, un détournement de procédure ou une fraude à la loi, même quand elle s'inscrit dans un projet d'adoption ultérieure de l'enfant. »
et que : « Il résulte de la procédure que la grossesse de [N] [S] n'était pas désirée. La délégation volontaire d'autorité parentale peut être envisagée par un couple comme un substitut à l'absence de projet de vie pour un enfant conçu, par exemple, hors mariage.
Les parents ont l'expérience de la vie et de l'éducation des enfants. [N] [S] a déjà consenti à une adoption d'un enfant qui vit en métropole. C'est la solution qu'elle déclare avoir retenue en définitive lorsqu'elle a appris sa grossesse. »
et que « la procédure de la délégation volontaire de l'autorité parentale fait-elle l'objet de dispositions particulières du code de procédure civile de la Polynésie française (art. 555ss). Conscient de ce que cette procédure y est utilisée pour prendre en charge des enfants de moins de deux ans en vue de leur adoption, le législateur polynésien l'a strictement encadrée en donnant au juge aux affaires familiales de larges pouvoirs d'information, qui sont effectivement exercés par les juridictions, et en subordonnant la délégation à la justification d'un agrément en vue de l'adoption pour les personnes non résidentes en Polynésie française.
que la pratique de la délégation volontaire de l'autorité parentale destinée à permettre une adoption ultérieure est contraire aux dispositions de l'article 348-5 du code civil, lequel n'admet de consentement à l'adoption d'un enfant de moins de deux ans que pour une adoption familiale ou lorsque l'enfant est remis par le service de l'aide sociale à l'enfance, cela dans le but exprès de permettre la garantie d'indisponibilité du corps humain qu'apporte l'action administrative, qui doit être la même sur l'ensemble du territoire de la République ;
alors que les conditions et les effets de la délégation volontaire de l'autorité parentale sont différents de ceux de l'adoption simple ou plénière, et que, si la responsabilité des collectivités publiques peut se trouver engagée à l'égard des enfants recueillis, des parents délégants ou des personnes délégataires en raison du caractère incomplet en Polynésie française de la réglementation organisant le recueil aux fins d'adoption par le service de l'aide à l'enfance, cela ne peut conduire le juge aux affaires familiales à renoncer, par a priori, à apprécier dans chaque espèce, en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant, s'il existe des circonstances qui justifient une délégation volontaire de l'autorité parentale, et si la décision des parents de confier leur enfant à un proche digne de confiance plutôt qu'à un établissement agréé ou au service de l'aide à l'enfanCe est libre, sincère et exempte de fraude ; »
-alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a enfreint la prohibition d'ordre public de gestation pour autrui spécifiée aux articles 16-7 et 16-9 du Code civil
-alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 348-4 du code civil qui ne prévoit pas pour les parents biologiques la possibilité de choisir les adoptants, choix tout aussi impossible au terme de l'article 29 de la convention de la Haye régissant l'adoption internationale
-alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, alors même qu'elle sait que la procédure de délégation d'autorité parentale, utilisée dans un tel contexte, a pour principal objectif de confier définitivement cet enfant aux délégataires détourne la procédure de délégation d'autorité parentale de ses fins
II- A- 2 « C'est le regime de la délégation de l'autorité parentale qui est appliqué par les juridictions françaises à l'institution de la kafala (recueil des enfants orphelins, abandonnés ou nés hors mariage) dans les pays de droit musulman qui ne connaissent pas l'adoption.
La jurisprudence de la cour d'appel de Papeete retient que le placement d'un enfant à l'aide sociale à l'enfance en vue d'une adoption n'est pas possible en Polynésie française en raison du caractère incomplet des textes, et que la délégation volontaire de l'autorité parentale par des parents polynésiens à des personnes agréées en métropole pour adopter est licite dès lors que les conditions légales sont remplies, et que le consentement de chacun des parents à la délégation est libre, éclairé et sans réserve (CA Papeete 6 mars 2014 RG n° 14/00042 -12 mai 2016 RG n° 16/00115).
En effet, si les dispositions du code de l'action sociale et des familles organisant la remise des enfants pupilles de l'État au service social (CAS, art. L224-1 à 9 & L225-1 à 7, art. L562-1 & 3) sont applicables en Polynésie française et qu'il existe des structures habilitées à accueillir les enfants et à recevoir le consentement des parents pour l'adoption, les dispositions permettant non seulement la mise en oeuvre du projet individualisé pour chacun des pupilles de l'État, mais également le consentement à l'adoption de ces enfants, demeurent inapplicables à défaut de texte réglementaire ayant fixé la composition et les règles de fonctionnement du conseil de famille.
De fait, le recueil de l'enfant par le service de l'aide à l'enfance n'est à l'heure actuelle pas organisé par la Direction de la Solidarité, de la Famille et de l'Egalité (DSFE), et la solution de remise de l'enfant demandée par le ministère public n'est pas effective. La DSFE diffuse une information qui indique aux candidats à l'adoption que la délégation volontaire de l'autorité parentale par les parents est le préalable à toute adoption. »
alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a donné une toute autre portée à la jurisprudence de la cour de cassation qui n'entend permettre le recours à la délégation d'autorité parentale que lorsque l'enfant est étranger et que l'adoption est interdite dans le pays d'origine de l'enfant;
-alors que le code civil applicable en la Polynésie française n'interdit pas l'adoption ;
-alors que la même cour d'appel prononce régulièrement des jugements d'adoption d'enfants par application du code civil;
-alors que l'absence d'arrêté organisant le conseil de famille ne fait pas obstacle à la possibilité d'adopter;
-alors que l'éventuelle mauvaise interprétation des textes par l'administration territoriale du service de l'aide à l'enfance ne fait pas obstacle à l'application de la loi par la cour d'appel;
II - A-3 « Pour les motifs qui seront exposés plus loin, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la requête pour contrevenir à la règle de l'unicité du délégataire de l'autorité parentale doit être rejetée. Sur le nombre de délégataires :
Le ministère public expose que pour être recevable, la demande de délégation ne peut viser qu'un seul délégataire ; qu'en effet, l'exercice commun de l'autorité parentale n'est dévolu par la loi qu'aux seuls parents ; que le pluriel employé par l'article 555 du code de procédure civile de la Polynésie française lorsque les délégataires n'y résident pas ne permet pas de déroger à cette règle établie par la loi et par la jurisprudence dominante approuvée par la doctrine. »
et que « il est, en l'espèce, dans l'intérêt supérieur de [I] [M] qu'il soit donné effet au choix de ses parents de déléguer l'autorité parentale aux deux époux [T].»
alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'article 377 al 1 du code civil qui ne permet pas en cas de délégation d'autorité parentale volontaire une délégation par plusieurs délégataires;
- alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a conféré à l'article 555 du Code de procédure civile de Polynésie française, des effets réservés à l'article 377 al 1 du code civil lequel limite pourtant en cas de délégation d'autorité parentale volontaire la possibilité de désigner un seul délégataire;
-alors que l'intérêt supérieur de l'enfant ne saurait être invoqué à l'appui d'une interprétation contraire à un texte clair;
II-A-4 « Par un arrêt du 5 novembre 2008 (n°07-20.868), la Cour de cassation, première chambre civile, a rejeté un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 19 décembre 2006 au motif qu'après avoir relevé d'abord l'absence de toute contrainte ou manoeuvre des époux X .. pour inciter la mère de naissance de [V], Mme Y ... , à l'abandonner ou pour obtenir son consentement, ensuite l'absence de dissimulation ou de tromperie quant à la sincérité du but de l'adoption, à la situation de l'enfant ou à celle de la mère, enfin que la prise en charge de l'enfant dans le cadre de la délégation d'autorité parentale prononcée par le tribunal de Papeete ne caractérisait pas la fraude et que l'absence de remise préalable effective de l'enfant aux services polynésiens d'aide sociale à l'enfance compétents ne pouvait être imputée aux époux X.., c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a décidé qu'il n'y avait eu ni fraude , ni dol de la part des adoptants, condition nécessaire, aux termes de l'article 353-2 du code civil, pour ouvrir la tierce opposition. »
-alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel donne une portée à l'arrêt de la cour de cassation non transposable en l'espèce dès lors que l'article 353-2 du code civil, appliqué par la haute juridiction, concerne exclusivement la recevabilité de la tierce opposition à l'encontre d'un jugement d'adoption;
-alors qu'en statuant ainsi, en se référant à un arrêt sans constater l'analogie des situations ni en préciser les motifs, la cour d'appel de Papeete n'a pas motivé sa décision;
II-B - aux motifs que :
D'un côté: « Ni l'enquête sociale, ni l'enquête de gendarmerie n'ont montré d'indice que cette délégation ait été faite moyennant des contreparties matérielles ou financières. ( .. ) »
De l'autre : « La présence de [Z] [T] à la clinique et au moment de l'accouchement, comme sa participation aux frais de clinique et à la vie familiale (. ..) »
alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel s'est contredite dans sa motivation;
II-C -_aux motifs que :
ll-C -1 « Le jugement entrepris a retenu que :
- Il résulte du rapport d'enquête sociale que les parents biologiques vivent dans un logement "fait de bric et de broc" dépourvu d'électricité. Ils bénéficient d'aides alimentaires délivrées par le service social et de colis alimentaires de la Croix-Rouge. Monsieur [C] [M] est sans emploi et Madame [N] [S] indique être employée d'entretien d'espace vert, l'enquêtrice sociale relevant un revenu mensuel net de 55.000 à 65.000 francs CFP par mois, allocations familiales comprises. Ils ont trois autres enfants déjà à charge, âgés de 19,15 et 9 ans. Il est mentionné dans l'enquête sociale que ces derniers vont régulièrement manger chez leur tante maternelle en raison du peu de moyens financiers de M. [C] [M] et Mme [N] [S].
- Il est ainsi établi que M. [C] [M] et Mme [N] [S] ne sont pas en capacité de prendre convenablement en charge [I], qu'ils se trouvent dans une grande précarité financière, leurs ressources ne leur permettant que difficilement de subvenir à leur besoin et à ceux de leurs autres enfants, et que les circonstances exigent la délégation d'autorité parentale.
Le ministère public expose que des ressources financières faibles ne suffisent pas en soi pour justifier une délégation volontaire de l'autorité parentale; que l'éducation et l'épanouissement d'un enfant, sa sécurité, sa santé, sa moralité ne découlent pas uniquement de moyens financiers ; que les parents ont pu faire face à leurs difficultés matérielles pour élever les aînés ; que leurs conditions de logement reflètent malheureusement la précarité des conditions de vie d'un grand nombre de familles, mais qu'elles n'ont pas vocation à les priver de leur droit à élever leur enfant ; que [N] [S] dispose de revenus réels, quoique faibles (80 000 F CFP et allocations familiales de 20 000 FCFP).
Mais il résulte de la procédure que la requête aux fins de délégation volontaire de l'autorité parentale à l'égard de [I] [H] [M] né le 18 avril 2020 repose sur un ensemble précis et concordant de circonstances qui exigent une telle mesure :
- Le couple est formé depuis 2003. Le père, sans profession, a 52 ans. La mère, employée d'entretien d'espaces verts, a 39 ans. Ils ont eu deux fils nés en 2004 et 2011. [N] [S] a trois autres enfants d'un premier lit nés en 1998, 1999 et 2000. La cadette vit au foyer. L'aîné vit avec son père à Bora-Bora. Le second a été adopté par un couple métropolitain. Les enfants sont scolarisés. Les revenus du ménage sont de 55 000 à 65 000 F CFP par mois (salaire de la mère et allocations familiales). La famille reçoit des aides alimentaires de la DSFE et de la Croix-Rouge. [N] [S] déclare qu'elle n'a pas réellement les moyens de nourrir ses enfants qui vont régulièrement manger chez sa soeur.
- Le logement fait «de bric et de broc» est implanté sur un terrain en pente très abrupte. Il est constitué de trois petites pièces sans électricité. Les matelas sont posés à même le sol. L'aménagement est sommaire mais propre.
- [N] [S] a appris sa grossesse quand celle-ci était avancée de quatre mois. A cette époque, elle ne percevait que deux semaines de salaire. [C] [M] s'est peu exprimé devant l'enquêtrice sociale. «C'est ma femme qui a tout géré avec mon accord», a-t-il déclaré à la gendarmerie. Le couple est lié économiquement par le fait que seule la femme travaille et que le logement de la famille se trouve sur un terrain qui appartient au père.
La différence d'âge et de situation de ressources entre les époux, et leur absence de projet commun de parentalité, conduisent à constater que ce ne sont pas uniquement des difficultés matérielles et la recherche d'une vie 'meilleure, mais bien aussi l'absence de disponibilité du couple pour élever cet enfant non désiré, qui expliquent la recherche d'une famille pouvant le recueillir.
En l'absence de tout projet de vie auprès de ses père et mère, [I] est exposé, dès sa naissance, au risque de devenir un enfant qui ne pourra trouver sa place, que ce soit matériellement, affectivement ou pour assurer sa protection, sa santé et son éducation, ni auprès de ses parents, ni dans la famille ou l'entourage proche de ceux-ci en Polynésie française.
La mission d'enquête sociale demandait la vérification de la recherche de solutions pour l'enfant au sein des membres ou proches de la famille résidant en Polynésie française. L'enquête sociale montre que la famille est connue du service de l'aide à l'enfance puisque la mère a déclaré avoir reçu de la DSFE des aides alimentaires d'un montant de 27 000 F CFP de janvier à avril 2020. Mais il n'apparaît pas que d'autres mesures d'aide sociale ou d'aide à l'enfance ont été mises en oeuvre, et aucun élément n'a été trouvé en faveur d'une solution intrafamiliale ou de proximité.
- alors qu'en statuant ainsi, dans le domaine particulier de la délégation d'autorité parentale volontaire, le juge ne saurait fonder sa décision sur la précarité matérielle et financière des parents, étrangère aux circonstances exigées par l'article 377 al 1 du Code Civil, la décision de la cour d'appel a manqué de base légale;
- alors qu'en statuant ainsi, dans le domaine particulier de la délégation d'autorité parentale volontaire, le juge a insuffisamment motivé sa décision qui ne saurait se fonder sur une supposée absence de projet de parentalité, et s'exonérer ainsi des déclarations de la délégante qui a exposé tant son désir d'enfant que ses atermoiements sur le fait de remettre son enfant;
II-C-2- « Le ministère public expose que
- La liberté du consentement des parents à la délégation de l'autorité parentale fait question. [Z] [T] a été très présente dès son arrivée à Tahiti, accompagnant la mère aux courses et aux rendez-vous médicaux. Elle a assisté à l'accouchement, coupé le cordon ombilical et pris immédiatement l'enfant en charge dans sa chambre à la maternité, privant la mère de créer un lien ou bien de se raviser. Les relevés bancaires montrent que les époux [T] ont payé fréquemment des courses ainsi que des frais de clinique.
- Devant le juge aux affaires familiales, [N] [S] a déclaré qu'elle avait changé d'avis quand elle avait accouché et que [Z] [T] était très choquée. L'enquête sociale le confirme. [N] [S] a déclaré qu'elle s'était attachée peu à peu à [I] et qu'elle était allée consulter un psychologue de la DSFE pour l'aider à prendre du recul, étant énervée par [Z] qui ne quittait pas le bébé des yeux. Elle a indiqué aux gendarmes qu'au début elle voulait le garder puis que le couple avait décidé qu'il serait mieux de le faire adopter.
- Dès lors, il n'est pas rapporté en l'espèce la preuve de circonstances suffisantes et également d'un consentement suffisamment libre et éclairé exigeant qu'il soit procédé à la délégation.
- Il n'a pas été justifié de ce que l'un ou L'autre des délégataires aient noué des relations de longue date avec la sphère familiale avant la naissance de l'enfant. il n'est pas établi qu'ils sont des proches de la famille et des personnes connues antérieurement au projet de délégation. Les époux [T] peuvent au contraire être qualifiés de parfaits étrangers à l'égard des parents biologiques, même s'ils ont pu nouer postérieurement à la naissance de L'enfant des relations. Le père a été quasi absent de cette démarche. il est plus à l'aise lorsque l'on s'adresse à lui en tahitien. Il ne connaît pas véritablement le couple [T]
- Après contact avec des parents ayant adopté des enfants polynésiens par le biais d'une association Maeva de métropole, [Z] [T] est arrivée à Tahiti le 12 février 2020 pour rencontrer la mère. Elle a très peu rencontré le père avant la remise de l'enfant. Les parents n'avaient aucune assurance de ses capacités éducatives. Leurs relations se sont rapprochées du fait de la période de confinement (covid-19) et à l'occasion de courses et des visites médicales, sans que l'on puisse y voir une proximité attestant d'une confiance. [F] [T] n'est arrivé à Tahiti que le 9 juillet 2020. IL n'avait jamais rencontré les parents biologiques. Il était inconnu d'eux.
- Les enquêtes sociales et les examens psychologiques postérieurs ne peuvent se substituer à l'examen de la situation préalable à la remise de l'enfant.
Les époux [T], [N] [S] et [C] [M] concluent qu'après de multiples échanges téléphoniques en janvier 2020, [Z] [T] s'est rendue à Tahiti le 10 février 2020. Une relation sincère s'est établie entre eux suite à des visites et des échanges quotidiens. Ils ont pu vivre ensemble la fin de la grossesse. [Z] [T] participait à la vie familiale (fêtes religieuses, ballades à la plage et au centre-ville, repas familiaux) et a fait connaissance des enfants, des deux soeurs, du frère et de la mère de [N] [S]. [Z] [T] la considère comme sa soeur de coeur et projette déjà d'autres voyages à Tahiti avec des contacts téléphoniques réguliers. [N] [S] et [C] [M] considèrent bien les époux [T] comme étant des personnes dignes de confiance. Cela est confirmé par Les évaluations concordantes et positives de ce couple. Des échanges de qualité se poursuivent depuis son retour en métropole. Aucune disposition légale n'impose au juge de choisir par priorité parmi les membres de la famille le tiers à qui il délègue tout ou partie de l'autorité parentale (Civ. 1re 16 avr. 2008 n° 07-11.273).
La décision des parents de déléguer l'autorité parentale et leur choix du délégataire doivent être appréciés au regard des circonstances qui exigent une telle mesure. Il n'est pas indispensable que la relation entre eux ait été longue pour que s'établissent une proximité et un rapport de confiance.
Il résulte de la procédure que la grossesse de [N] [S] n'était pas désirée. La délégation volontaire d'autorité parentale peut être envisagée par un couple comme un substitut à l'absence de projet de vie pour un enfant conçu, par exemple, hors mariage.
Les parents ont l'expérience de la vie et de l'éducation des enfants. [N] [S] a déjà consenti à une adoption d'un enfant qui vit en métropole. C'est la solution qu'elle déclare avoir retenue en définitive lorsqu'elle a appris sa grossesse.
La relation qui s'est nouée avec les époux [T] se présente comme la construction d'un projet de vie pour l'enfant à naître. [N] [S] a été suivie par la DSFE à l'occasion d'une aide alimentaire avant l'accouchement et d'une consultation psychologique après celui-ci. Le service de l'aide à l'enfance n'a pas manifesté la nécessité, ni même la possibilité, d'un projet alternatif.
La recherche de cette relation a été délibérément dirigée par les parents vers une famille adoptante en métropole. [N] [S] explique qu'elle s'est adressée à une amie à [Localité 4] qui a adopté le fils de sa soeur. C'est ainsi qu'elle a connu téléphoniquement les époux [T] en janvier 2020. Compte tenu des distances, cette relation s'est nouée par télécommunications, mais [Z] [T] s'est rendue rapidement à Tahiti, deux mois avant l'accouchement. En raison de son travail et de l'interruption des vols par l'état d'urgence sanitaire, [F] [T] n'a pu la rejoindre qu'en juillet.
L'enquête sociale ordonnée par le juge des enfants a été réalisée peu après. Elle conclut que les parents biologiques expriment clairement leur volonté de confier l'enfant au couple [T] et émet un avis favorable à la demande de délégation de l'autorité parentale.
Ni l'enquête sociale, ni l'enquête de gendarmerie n'ont montré d'indice que cette délégation ait été faite moyennant des contreparties matérielles ou financières. Les relevés de compte des époux [T] de janvier à juillet 2020 ont été remis aux enquêteurs.
La requête conjointe aux fins de délégation de l'autorité parentale a été présentée peu après la naissance de l'enfant, le 6 mai 2020. Le juge aux; affaires familiales a entendu les parents seuls le 19 mai 2020. Ils ont confirmé leur volonté de délégation. [N] [S] a indiqué qu'elle avait changé d'avis quand elle a accouché. Néanmoins, elle n'est pas revenue ensuite sur sa décision.
La présence de [Z] [T] à la clinique et au moment de l'accouchement, comme sa participation aux frais de clinique et à la vie familiale, s'expliquent par le projet de vie conçu par les parents plusieurs mois avant la naissance, dès qu'ils ont appris la grossesse.
L'existence de ce projet, constant et assumé, ne permet pas de retenir que [N] [S] ait été sous emprise, ce qu'elle n'a jamais indiqué. La position en retrait de [C] [M] correspond à sa culture polynésienne et à l'absence de projet de vie de [I] dans sa famille biologique. L'absence physique de [F] [T] a été causée par la force majeure née de l'état d'urgence sanitaire.
[N] [S] et [C] [M] ont confirmé leur demande de délégation de l'autorité parentale à l'audience du juge aux affaires familiales du 29 juillet 2020.
Les parents ont manifesté leur confiance dans le couple [T] devant le juge aux affaires familiales ainsi que lors de l'enquête sociale et de l'enquête de gendarmerie. Ils ont souhaité le maintien des liens avec l'enfant comme mis en oeuvre avec les époux [T] et dans la perspective d'une adoption.
Les évaluations faites pour l'agrément des époux [T] en vue d'adopter délivré par le conseil général du Gard le 6 février 2019 corroborent que ceux-ci sont des personnes dignes de confiance en ce qui concerne l'exercice d'une autorité parentale déléguée. Des attestations sont produites (SECRETAIN ép. [L], [A] [B] et [P], [G], [E], [K], [L] [W], [Y], [D], [O], [J], [U]) qui indiquent que l'enfant est très bien accueilli et s'insère parfaitement dans la famille [T]. Sa croissance est qualifiée de parfaite par un certificat médical du 29 octobre 2020.
En définitive, la relation entre les parents et les délégataires s'est déroulée dans la continuité du projet conçu par les parents d'un accueil de l'enfant à naître par une famille qui lui offrirait des moyens de se développer meilleurs que dans sa famille biologique, laquelle est non seulement en situation de précarité, mais aussi non préparée à lui offiir une place. C'est ce projet partagé et conforté lors de l'arrivée de [Z] [T] qui a créé une proximité, sans qu'il soit en rien établi que la relation ait été fondée sur un consentement vicié ou sur une fraude ou sur une gestation pour autrui, les délégataires n'ayant été connus des parents que deux mois avant l'accouchement.
Cette relation s'est déroulée en toute transparence. Aucun élément ne permet de retenir une intention de tromper le juge aux affaires familiales. L'enquête diligentée par le procureur de la République n'a pas fait apparaître d'indice d'incitation à l'abandon ni de contreparties matérielles ou financières.
En premier ressort, le ministère public a conclu que son objectif n'était pas de retirer l'enfant confié mais de sécuriser les enfants polynésiens, les parents et les parents adoptants, et a préconisé une inscription virtuelle à la DSFE.
[Z] [T] a déclaré «Si on m'avait dit qu'il fallait passer par la DSFE, en France, même VASE n'est pas au courant (...) Là vous me dites que je vais devoir laisser mon fils en pouponnière. »
Comme il a été dit, la procédure montre que la DSFE a suivi [N] [S] pendant sa grossesse et après l'accouchement. Le service de l'aide à l'enfance n'a pas demandé à prendre en charge l'enfant en vue d'une adoption. Aucun autre proche digne de confiance n'a été proposé pour accueillir l'enfant.
Il est ainsi suffisamment établi que le consentement des parents n'a pas été vicié ou entaché de fraude, et que leur choix des délégataires s'est porté sur des proches dignes de confiance. »
-alors qu'en statuant ainsi, le consentement des parents à la délégation devant s'étudier distinctement du choix du délégataire dont il ne peut découler, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision;
- alors qu'en statuant ainsi, le consentement libre et éclairé des parents devant s'étudier au jour de la signature de la requête, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision;
- alors qu'en statuant ainsi, le consentement libre et éclairé des parents ne pouvant se déduire de la seule absence de vice ou de fraude constaté ou d'intention de tromper le juge, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision;
-alors qu'en ne statuant pas sur les circonstances de la remise de l'enfant et de la signature de la requête, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision;
-alors qu'en statuant ainsi, la qualité de proche digne de confiance d'un délégataire devant se constater au moment de la remise de l'enfant et de la requête, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision;
-alors qu'en statuant ainsi, et en les qualifiants de proches au sens de l'article 377 aI 1 du Code civil, après avoir constaté que le délégataire, M. [T] était inconnu des délégants et que la délégataire Mme [T] n'était connue que depuis quelques semaines la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations;
-alors qu'en statuant ainsi, le caractère digne de confiance d'un délégataire devant s'apprécier par le juge également sur sa capacité à respecter tant les fonctions parentales des parents, que le maintien du lien entre l'enfant et ses parents et la nature par définition réversible de la délégation d'autorité parentale, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision ;
ll-C-3 «Sur le contenu de la délégation :
Le ministère public expose que la délégation volontaire de l'autorité parentale est totale lorsqu'elle ne précise pas quels droits et devoirs sont délégués ; qu'en l'espèce, la mère a pu indiquer vouloir rester en contact avec l'enfant, demande à recevoir des photos, à avoir des nouvelles ; que des aménagements étaient donc indispensables pour garantir l'exercice d'un droit de visite et de correspondance avec l'enfant ; que les assurances données à cet effet par les délégataires se heurtent à leur volonté de demander une adoption plénière aux deux deux ans de la vie, ainsi qu'aux aléas de l'existence ou de la relation avec la famille biologique.
Les requérants exposent que les parents sont informés de la situation de leur fils " que les époux [T] les appellent régulièrement comme ils sy étaient engagés et leur envoient des photos de [I] très fréquemment, mettant un point d'honneur à maintenir le lien familial qui a su se créer entre eux.
Le jugement dont appel a retenu que :
L'éloignement géographique ne saurait constituer un motif de refus de la délégation de l'exercice de l'autorité parentale dans la mesure où les moyens actuels de communication permettent d'en atténuer considérablement les effets, les époux [T] paraissant au demeurant toujours à l'audience particulièrement soucieux de ne pas rompre le lien entre [I] et ses parents biologiques et n'émettent aucune préférence entre une adoption simple ou une adoption plénière.
Le jugement doit être confirmé quant à la délégation de la totalité de l'autorité parentale, et ce pour les mêmes motifs que ceux qui conduisent à valider la délégation de l'autorité parentale faîte aux deux époux [T], dans l'intérêt supérieur de l'enfant compte tenu des circonstances de l'espèce : à savoir l'impératif de garantir la sécurité de l'enfant dans sa vie quotidienne et son éducation, y compris en cas d'empêchement de l'un ou l'autre délégataire, alors que les parents biologiques sont très éloignés et ne peuvent assumer cette charge.
D'autre part, les parents peuvent demander, en cas de rupture ou d'altération des liens avec l'enfant, l'application des dispositions de l'article 377-2 du code civil : la délégation pourra, dans tous les cas, prendre fin ou être transférée par un nouveau jugement, s'il est justifié de circonstances nouvelles. Le droit de consentir à l'adoption n'est jamais délégué (art. 377-3).
Le jugement dont appel a exactement en droit et justement en fait constaté que les conditions légales de l'article 377 du code civil et les conditions procédurales du code de procédure civile de la Polynésie française sont remplies, et retenu que la délégation de l'exercice de l'autorité parentale sur l'enfant [I] aux époux [T] répond pleinement à l'intérieur supérieur de l'enfant.
Il sera par conséquent confirmé »
alors qu'en statuant ainsi, sans avoir tiré les conséquences de la volonté des parents de consentir des droits de visite et de correspondance, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations;
-alors qu'en statuant ainsi, sans examiner si les droits de l'enfant tels que définis par les conventions internationales et notamment les articles 7, 8, 9 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20.11.1989, étaient respectés la cour d'appel n'a pas suffIsamment motivé sa décision;
II-D - aux motifs que :
« par requête du 6 mai 2020, les époux [T] d'une part et [N] [S] et [C] [M] d'autre part ont présenté conjointement devant le juge aux affaires familiales du tribunal de première instance de Papeete une requête aux fins de voir prononcer la délégation de l'autorité parentale sur l'enfant [I] [H] [M] né le 18 avril 2020 à Papeete en faveur des époux [T] »
alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 377 al 1 du code civil, la délégation d'autorité parentale ne pouvant être déposée que par les seuls parents délégants.
Le greffier de chambre | Au sens de l'article 377, alinéa 1, du code civil, ne saurait être considérée comme un proche une personne dépourvue de lien avec les délégants et rencontrée dans le seul objectif de prendre en charge l'enfant en vue de son adoption ultérieure.
En conséquence, viole ces dispositions une cour d'appel, qui, après avoir constaté que les parents d'un enfant vivant en Polynésie française avaient recherché une famille adoptante en métropole avec laquelle ils étaient entrés en relation, accueille leur demande en délégation de l'exercice de l'autorité parentale.
Cependant, dès lors qu'à la date de la naissance de l'enfant, les parents légaux, comme le couple candidat à la délégation, s'étaient engagés dans un processus de délégation d'autorité parentale en vue d'une adoption qu'ils pouvaient, de bonne foi, considérer comme étant conforme au droit positif, il n'y a pas lieu d'accueillir le pourvoi dès lors que l'application immédiate de la jurisprudence nouvelle sanctionnant un tel processus porterait une atteinte disproportionnée aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime, ainsi qu'à l'intérêt supérieur de l'enfant, garanti par l'article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l'enfant, et au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées, garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales |
8,083 | CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 664 F-B
Pourvoi n° A 20-18.687
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
M. [W] [P], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 20-18.687 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2020 par la cour d'appel de Lyon (chambre spéciale des mineurs), dans le litige l'opposant à Mme [V] [K], domiciliée [Adresse 1] (Inde), défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Azar, conseiller référendaire, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [P], après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Azar, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 juin 2020) [E] et [N] [P] sont nés le 25 mars 2010 à [Localité 3] (Inde) de M. [P] et de Mme [K], de nationalité indienne qui, selon déclaration du 30 juillet 2010 effectuée à [Localité 3] (Inde), a renoncé à tous ses droits parentaux sur les deux enfants.
2. Par acte du 19 décembre 2017, M. [P], alléguant avoir eu recours à une gestation pour autrui, a assigné Mme [K] en retrait de l'autorité parentale sur les deux enfants.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [P] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :
« 1°/ que peuvent se voir retirer totalement l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, les père et mère qui, par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme il le lui était demandé, si le maintien de l'autorité parentale de Mme [K] sur les enfants, dont elle constatait le défaut de soins en relevant qu'elle était absente de leur vie, ne mettait pas en danger leur sécurité et leur santé en interdisant leur adoption par le conjoint de M. [P], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 373-2-6 et 378-1 du code civil et des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que peuvent se voir retirer totalement l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, les père et mère qui, par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant ; qu'en s'abstenant également de rechercher, comme il le lui était demandé, si le maintien de l'autorité parentale de Mme [K] sur les enfants, dont elle constatait le défaut de soins en relevant qu'elle était absente de leur vie, ne mettait pas en danger leur sécurité et leur santé en leur interdisant de constituer une vraie famille avec le conjoint de leur père, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 373-2-6 et 378-1 du code civil et de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur la naissance ; qu'en rejetant la demande de retrait de l'autorité parentale de Mme [K] quand cette décision privait de fait les enfants, nés dans le cadre d'une convention de gestation pour autrui, de la possibilité de faire l'objet d'une adoption simple par le conjoint de M. [P], l'arrêt procède d'une violation des articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l'article 378-1, alinéa 1er, du code civil, peuvent se voir retirer totalement l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, les père et mère qui, soit par de mauvais traitements, soit par une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques ou un usage de stupéfiants, soit par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, notamment lorsque l'enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre, soit par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant.
5. Il résulte de ce texte qu'un défaut de soins ou un manque de direction ne peut justifier le retrait de l'autorité parentale que s'il met en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant.
6. La cour d'appel a rappelé que le retrait de l'autorité parentale, qui est une mesure de protection de l'enfant, suppose la démonstration par le requérant d'un danger manifeste pour la santé, la sécurité ou la moralité de ce dernier.
7. Elle a relevé que l'ensemble des pièces communiquées démontrait qu'[E] et [N] étaient équilibrés, heureux et parfaitement pris en charge.
8. Procédant aux recherches prétendument omises, elle a souverainement retenu qu'il n'était produit aucune pièce propre à démontrer que l'absence de leur mère soit source de danger pour eux et que M. [P] n'établissait pas en quoi la protection de l' intérêt supérieur des ces deux enfants commandait le retrait d'autorité parentale de Mme [K], le dispositif conventionnel et législatif n'ayant pas vocation à faciliter ses démarches administratives.
9. Elle n'a pas porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, prévu par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors, d'une part, que ce droit n'impose pas de consacrer, par une adoption, tous les liens d'affection, fussent-ils anciens et établis, d'autre part, que la voie de l'adoption des enfants par le conjoint du père demeure ouverte, si les conditions en sont remplies, ce qui suppose en particulier que le juge vérifie la validité et la portée de déclaration du 30 juillet 2010 par laquelle la mère a renoncé à ses droits parentaux et qu'il s'assure de sa conformité avec l'intérêt de l'enfant.
10. Elle n'a pas davantage violé l'interdiction de toute discrimination posée par l'article 14 de la Convention, les dispositions de l'article 378 du code civil s'appliquant indifféremment à tous les enfants, sans distinction aucune fondée sur la naissance.
11. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [P] aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Tinchon, greffier présent lors du prononcé. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour M. [P]
M. [P] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de rejeter sa demande de retrait total de l'autorité parentale de Mme [K], alors :
1°) que peuvent se voir retirer totalement l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, les père et mère qui, par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme il le lui était demandé, si le maintien de l'autorité parentale de Mme [K] sur les enfants, dont elle constatait le défaut de soins en relevant qu'elle était absente de leur vie, ne mettait pas en danger leur sécurité et leur santé en interdisant leur adoption par le conjoint de M. [P], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 373-2-6 et 378-1 du code civil et des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) que peuvent se voir retirer totalement l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, les père et mère qui, par un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant ; qu'en s'abstenant également de rechercher, comme il le lui était demandé, si le maintien de l'autorité parentale de Mme [K] sur les enfants, dont elle constatait le défaut de soins en relevant qu'elle était absente de leur vie, ne mettait pas en danger leur sécurité et leur santé en leur interdisant de constituer une vraie famille avec le conjoint de leur père, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 373-2-6 et 378-1 du code civil et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur la naissance ; qu'en rejetant la demande de retrait de l'autorité parentale de Mme [K] quand cette décision privait de fait les enfants, nés dans le cadre d'une convention de gestation pour autrui, de la possibilité de faire l'objet d'une adoption simple par le conjoint de M. [P], l'arrêt procède d'une violation des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales | Il résulte de l'article 378-1 du code civil qu'un défaut de soins ou un manque de direction ne peut justifier le retrait de l'autorité parentale que s'il met en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant.
C'est sans méconnaître le droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, prévu par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qu'une cour d'appel a rejeté une demande de retrait d'autorité parentale formé par le père des enfants dans la perspective éventuelle d'une adoption des enfants par son conjoint en l'état d'une mère absente dès lors, d'une part, que ce droit n'impose pas de consacrer, par une adoption, tous les liens d'affection, fussent-ils anciens et établis, d'autre part, que la voie de l'adoption des enfants par un conjoint du père demeure ouverte, si les conditions en sont remplies, notamment en présence d'un acte valable de renonciation de la mère à ses droits parentaux et sous réserve que la mesure soit conforme à l'intérêt de l'enfant.
Elle n'a pas davantage violé l'interdiction de toute discrimination posée par l'article 14 de la Convention, les dispositions de l'article 378 du code civil s'appliquant indifféremment à tous les enfants, sans distinction aucune fondée sur la naissance |
8,084 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 668 FS-B
Pourvoi n° Y 19-15.438
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
1°/ Mme [U] [H], domiciliée [Adresse 3],
2°/ M. [R] [H], domicilié [Adresse 1]),
ont formé le pourvoi n° Y 19-15.438 contre l'arrêt rendu le 21 février 2019 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige les opposant à Mme [T] [F], veuve [H], domiciliée [Adresse 2] (Royaume-Uni), défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme [U] [H] et de M. [R] [H], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [F], et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, Dard, Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), [Y] [H], de nationalité française, est décédé en France le 3 septembre 2015, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [F], et ses trois enfants issus d'une première union, [S], [R] et [U] (les consorts [H]).
2. Les consorts [H] ont assigné Mme [F] devant le président d'un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d'obtenir la désignation d'un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, au motif que la résidence habituelle de [Y] [H] au jour de son décès était située en France.
3. [S] [H] étant décédé le 10 avril 2017, ses frère et soeur ont indiqué agir également en leur qualité d'ayants droit de celui-ci.
4. Par un arrêt du 18 novembre 2020, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité.
5. Par un arrêt du 7 avril 2022 (C-645/20), la CJUE a répondu à la question posée.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
7. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation d'un mandataire successoral, alors « que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que [Y] [H] avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité :
8. Selon ce texte, titré « Compétences subsidiaires », lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès.
9. Par son arrêt précité du 7 avril 2022, la CJUE a dit pour droit que ce texte « doit être interprété en ce sens qu'une juridiction d'un État membre doit relever d'office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l'article 4 de ce règlement, elle constate qu'elle n'est pas compétente au titre de cette dernière disposition. »
10. Pour déclarer la juridiction française incompétente pour statuer sur la succession de [Y] [H] et désigner un mandataire successoral, l'arrêt retient que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni.
11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, la cour d'appel, qui n'a pas, en conséquence, relevé d'office sa compétence subsidiaire, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. Comme suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
14. La cour d'appel ayant constaté que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, les juridictions françaises sont donc compétentes pour statuer sur l'ensemble de sa succession en application de l'article 10, § 1, sous a), du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] ;
Confirme l'ordonnance rendue 12 décembre 2017 en la forme des référés par le président du tribunal de grande instance de Nanterre ;
Condamne Mme [F] aux dépens, y compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [F] et la condamne à payer à Mme [U] [H] et M. [R] [H] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Tinchon, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour Mme [U] [H] et M. [R] [H].
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation d'un mandataire successoral ;
AUX MOTIFS QUE « Le règlement UE n°650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen est directement applicable dans tous les Etats membres de l'Union européenne à l'exception du Danemark, du Royaume-Uni et de l'Irlande, aux successions à cause de mort et des personnes décédées à partir du 17 août 2015.
L'article 4 du règlement édicte une règle de compétence générale en l'absence de désignation de la loi applicable par le défunt : "Sont compétentes pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès".
Des compétences subsidiaires sont prévues à l'article 10 permettant, sous certaines conditions cumulatives, de porter devant les juridictions d'un État membre une succession susceptible d'être traitée hors de l'Union européenne. Une juridiction de l'Union pourra administrer la succession d'une personne décédée ayant sa résidence habituelle au moment de son décès dans un État tiers. Cette compétence suppose au minimum que des biens soient situés dans cet État membre.
Selon l'article 10 :
" 1. Lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où :
a) le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès ; ou, à défaut,
b) le défunt avait sa résidence habituelle antérieure dans cet État membre, pour autant que, au moment de la saisine de la juridiction, il ne s'est pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de cette résidence habituelle.
2. Lorsqu'aucune juridiction d'un État membre n'est compétente en vertu du paragraphe 1, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur ces biens."
La juridiction de l'État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès est compétente pour statuer sur l'ensemble de sa succession, qu'il s'agisse de meubles ou d'immeubles, et pour se prononcer sur le sort de biens situés à l'étranger dans un autre État membre ou dans un État tiers.
Le règlement ne donne pas de définition de la résidence habituelle du défunt et il convient de se référer aux précisions apportées par les considérants 23 et 24 du règlement :
"Afin de déterminer la résidence habituelle, l'autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l'État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l'État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement" (considérant 23)."
"Dans certains cas, il peut s'avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt. Un tel cas peut se présenter, en particulier, lorsque, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d'origine.
Dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l'espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d'origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale. D'autres cas complexes peuvent se présenter lorsque le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d'un État à un autre sans s'être installé de façon permanente dans un État. Si le défunt était ressortissant de l'un de ces États ou y avait l'ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l'appréciation globale de toutes les circonstances de fait" (considérant 24)."
En l'espèce, il est constant que [Y] [H], né le 4 décembre 1922, a quitté la France en 1981, à l'âge de 59 ans, après le décès de sa première épouse, pour s'installer au Royaume-Uni, à Londres ; que ses trois enfants sont restés en France ; qu'il a alors exercé une activité professionnelle dans le secteur immobilier, est resté dans ce pays pour sa retraite, a épousé en 1996 Mme [T] [F], de nationalité anglaise, rencontrée en 1984, avec laquelle il a vécu de manière ininterrompue jusqu'à son retour en France au mois d'août 2012, alors qu'il était presque âgé de 90 ans.
Il est tout aussi constant que l'essentiel des biens successoraux du défunt se trouve en Angleterre : un appartement à Londres, une maison de campagne dans les environs, un patrimoine mobilier (262 500 livres), des tableaux de valeur, un compte bancaire, le défunt détenant également un compte bancaire en Suisse, tandis qu'en France, le patrimoine de [Y] [H] se limite à 10% des parts sociales d'une SCI Gretima qui a acquis le 26 juin 2012, au prix de 1 330 000 euros, l'appartement situé à Suresnes (92) dans lequel il s'est installé avec sa fille, et qui a été financé par la vente aux enchères d'un tableau lui appartenant, le reste des parts sociales étant détenu par ses trois enfants.
Par ailleurs, l'Angleterre est le pays où [Y] [H] a pris ses dispositions testamentaires. Il a ainsi rédigé un testament en anglais daté du 29 mars 2010, soumis à la loi anglaise, préparé par un "solicitor", désignant son épouse comme exécuteur testamentaire et "trustee" de tous ses biens successoraux et comme bénéficiaire de toute la succession à l'exception des tableaux du peintre Domenico Gnoli qu'il possédait, légués à ses trois enfants.
Il a également signé le 24 avril 2010 un "Lasting Power of Attorney", enregistré le 16 août 2010, acte qui correspond à un mandat de protection future, désignant en qualité de mandataires son avocat, M. [B] [A], et son épouse pour veiller sur sa personne et ses biens lorsqu'il ne serait plus en capacité de le faire.
Ce mandat anglais de tuteur a été mis en oeuvre au mois de décembre 2012 après que le médecin traitant de [Y] [H] en Angleterre, le docteur [K] [P], a établi une attestation le 25 octobre 2012 confirmant son diagnostic de 2011 et la détérioration de la santé mentale de son patient, M. [O] exécutant ce mandat jusqu'à sa démission le 20 mars 2014, repris par Mme [F].
Enfin, si la désignation par testament se suffit à elle-même, l'exécuteur testamentaire doit obtenir un certificat d'homologation pour confirmer ses pouvoirs d'administrateur des biens de la succession à l'égard des tiers en produisant l'original du testament, ce qui a été fait en l'espèce, une ordonnance de la juridiction anglaise ayant été délivrée le 12 octobre 2017 à Mme [T] [F].
Concernant les circonstances du retour en France de [Y] [H] en 2012, les éléments partiellement contradictoires versés aux débats par les parties ne permettent nullement d'affirmer que l'épouse s'est désintéressée de son mari à compter de l'année 2011 et qu'elle n'entendait plus s'en occuper et que l'intention de [Y] [H], compte tenu notamment de l'altération de ses facultés mentales en 2012, a été de revenir fixer en France le centre de ses intérêts.
En effet, selon les pièces produites par les parties :
- Mme [F] a entrepris au mois d'octobre 2011 de chercher un établissement spécialisé à Londres, à proximité du domicile conjugal, pour que [Y] [H] soit pris en charge, compte tenu de l'évolution de sa maladie et de son comportement devenu agressif et parfois violent à son égard, cette solution d'accueil ayant été refusée par l'intéressé,
- le changement de comportement devenu difficile et opposant de [Y] [H] dès l'année 2011 est notamment attesté par son refus d'accepter que son permis de conduire lui soit retiré, après qu'un médecin psychiatre l'ait examiné en septembre 2011 (courriel 20 septembre 2011, pièce 16 intimés),
- les difficultés à poursuivre une vie commune ont été reconnues par les enfants de [Y] [H] qui dans des courriels du mois de mai 2012 écrivaient à Mme [F] combien ils avaient conscience de ce que la vie avec leur père pouvait être difficile et épuisante, son comportement "insultant et humiliant" à l'égard de son épouse, proposant une prise en charge alternée entre [Localité 4] et Londres, admettant encore que la situation allait devenir de "pire en pire", [U] [H] invitant l'épouse à se "protéger" (pièce 19 intimés),
- le consentement de [Y] [H] pour un retour définitif en France en août 2012, avec la volonté d'y fixer de nouveau le centre de ses intérêts et sa résidence habituelle, ne peut qu'être relativisé compte tenu de l'évolution avancée de sa maladie dégénérative telle que constatée par le docteur [D] le 27 septembre 2012, qui décrit l'intéressé comme un "sujet opposant, dépressif, autoritaire et agressif, présentant des troubles mnésiques importants", le début de sa maladie remontant à près de six années, bien que des courriels échangés entre les enfants en 2011 et 2012 font état du souhait de leur père de revenir en France, d'une demande de sa part de lui louer, et non d'acheter, un studio à [Localité 4] et d'un certain abandon de Mme [F],
- aucun élément du dossier ne permet de démontrer que le départ de [Y] [H] le 8 août 2012 avec sa fille [U] venue le chercher à Londres avait été programmé et de surcroît de manière définitive,
- les chutes que [Y] [H] a pu faire en Angleterre ne résultent pas nécessairement d'un défaut de soins mais sont inhérentes à sa maladie, dont l'aggravation a été constante à compter de 2011,
- la pathologie avancée de [Y] [H] telle que décrite par son médecin traitant anglais le 25 octobre 2012, qui certes ne l'a pas examiné et a permis la mise en place du mandat de protection future, est toutefois amplement confirmée par le certificat médical du docteur [D] établi antérieurement le 27 septembre 2012, qui a rencontré l'intéressé,
- aucune pièce du dossier ne permet de démontrer que le retour de [Y] [H] en France résulte d'une volonté de Mme [F] de se séparer de son mari, alors que son retour en Angleterre était envisagé en 2013 tant par le mandataire anglais, M. [O] (pièce 20 appelante), que par son fils [S], pour mettre en place des soins spécialisés, M. [O] écrivant le 19 août 2013 que "[Y]" avec qui il échangeait fréquemment souhaitait venir à Londres le voir.
S'il est en revanche établi que Mme [F] n'est que rarement venue voir son mari en France au cours des trois années de sa fin de vie, celle-ci explique son comportement par son impossibilité de le rencontre seule, ce qui est expressément énoncé dans ses conclusions déposées dans la procédure de placement sous tutelle de son mari, étant relevé que les rapports entre l'épouse et les enfants de [Y] [H] n'ont cessé de se dégrader pour des raisons d'argent, les mandataires anglais détenant la gestion des comptes de [Y] [H].
La cour souligne à cet égard que Mme [F], dans le questionnaire qu'elle a rempli pour la procédure de placement sous tutelle de [Y] [H] initiée par ses enfants, a coché la case indiquant qu'elle acceptait de s'occuper de son mari.
Il est en outre inopérant pour les intimés de soutenir qu'en ne contestant pas la procédure de placement sous tutelle de son mari en France, Mme [F] a accepté la compétence du juge français pour sa succession et que son changement de position dans la présente instance constitue un "estoppel", c'est à dire une position contradictoire prise au détriment de son adversaire, quand il s'agit de prendre une mesure de protection d'un majeur se trouvant alors domicilié sur le territoire français, le juge des tutelles ne s'étant nullement prononcé sur la "résidence habituelle" de [Y] [H] au sens du règlement (UE) du 4 juillet 2012, distincte de la notion de domicile de l'article 1211 du code de procédure civile.
Au demeurant, Mme [G], désignée comme tutrice aux biens de [Y] [H] situés en France ou hors de France, n'a pas été en mesure de faire reconnaître cette décision au Royaume-Uni, dès lors que M. [O] et Mme [F] étaient déjà désignés en qualité de tuteurs de la personne et des biens de [Y] [H] en vertu du "Lasting Power of Attorney" que ce dernier avait signé en 2010.
Il résulte de ces constatations et énonciations que [Y] [H], qui a quitté la France en 1981 et a passé plus de 30 ans en Angleterre, a fixé le centre de ses intérêts économiques, familiaux, sociaux et patrimoniaux dans ce pays, ayant le statut de résident anglais, et n'est revenu vivre en France qu'en raison de ses problèmes de santé liés à l'aggravation de la maladie d'Alzheimer, à l'initiative notamment de sa fille [U] [H] qui avait suivi une formation d'aidante familiale organisée par France Alzheimer, à une époque où ses facultés mentales étaient déjà altérées.
La cour relève à cet égard qu'aucun élément du dossier ne démontre que [Y] [H] avait maintenu des liens étroits avec la France après son départ en 1981 ou qu'il y faisait de fréquents séjours pour rencontrer notamment ses enfants, dont deux d'entre eux vivaient à l'étranger en Côte d'ivoire ([S]) et au Bahrein ([R]), n'étant propriétaire d'aucun bien immobilier à [Localité 4].
C'est vainement que les consorts [H] soutiennent que leur père a entendu fixer ses intérêts en France et liquider une partie de son patrimoine anglais (vente d'un tableau, versement de sa retraite anglaise en France...) en faisant l'acquisition d'un appartement à Suresnes, alors que ces démarches ont été réalisées par leurs soins compte tenu de son état de santé, qu'ils ne s'expliquent pas sur le montage de cette acquisition à travers la constitution d'une SCI dont leur père ne détenait que 10% des parts sociales, bien qu'ayant financé l'achat en totalité, la tutrice, Mme [G], écrivant d'ailleurs à Mme [F] le 7 avril 2015 qu'elle avait l'intention de restituer toute la propriété de ce bien à son majeur protégé avec l'aide d'un avocat, "comme cela aurait dû être fait au tout début".
Ne sont pas plus déterminants les éléments factuels tirés de la nationalité française de [Y] [H], de sa prétendue résidence fiscale en France, alors qu'il n'a jamais fait de déclaration fiscale en France après son départ au Royaume-Uni et que ce sont ses enfants qui ont procédé en 2017 à une demande de régularisation d'avoirs détenus à l'étranger, ou de l'ouverture d'un compte BNP en France nécessité par l'achat de l'appartement de [Localité 5].
Ainsi en prenant en considération la durée de vie de [Y] [H] au Royaume-Uni, où s'est situé incontestablement le centre des intérêts de sa vie familiale, sociale et patrimoniale pendant près de trente ans, le lien étroit et stable entretenu depuis 1981 avec cet Etat dans lequel se trouve l'essentiel de ses biens mobiliers et immobiliers et les circonstances particulières de son retour en France en août 2012 durant les trois années qui ont précédé son décès, alors qu'il était atteint de la maladie d'Alzheimer à un stade déjà avancé et que sa fille [U] avait proposé de le prendre en charge, provisoirement ou définitivement, il ne peut être considéré que [Y] [H] avait décidé de déplacer sa résidence habituelle en France, contrairement à ce qui a été retenu par le premier juge.
Dès lors, ne sont pas compétentes, au sens du règlement (UE) du 4 juillet 2012, les juridictions françaises pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation en France d'un mandataire successoral sur le fondement de l'article 813-1 du code civil.
En conséquence, l'ordonnance déférée doit être infirmée des chefs de décision critiqués et notamment en ce que le premier juge s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de désignation d'un mandataire successoral.
ALORS, DE PREMIERE PART, QUE sont compétents pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ; que la résidence habituelle peut s'apprécier de manière objective, en ce qu'elle résulte d'indices factuels tirés des conditions de vie d'une personne âgée ou dépendante ; qu'en l'espèce, les consorts [H] faisaient valoir que leur père, [Y] [H], était venu en France vivre auprès de sa fille [U] [H], afin qu'elle puisse lui apporter au quotidien les soins nécessaires compte tenu de sa maladie, ce qu'elle fit durant plus de trois années ; qu'il s'ensuivait, objectivement, un changement de résidence habituelle, la France étant le lieu avéré et non remis en cause des dernières années de sa vie ; qu'en jugeant néanmoins que « le consentement de [Y] [H] pour un retour définitif en France en août 2012, avec la volonté d'y fixer de nouveau le centre de ses intérêts et sa résidence habituelle, ne peut qu'être relativisé compte tenu de l'évolution avancée de sa maladie dégénérative (
) », la cour d'appel, qui a implicitement mais nécessairement jugé qu'une personne subissant une maladie dégénérative ne pourrait plus changer de résidence habituelle faute de volonté sainement exprimée, a violé l'article 4 du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen ;
ALORS, DE DEUXIEME PART, QUE sont compétents pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ; qu'en matière de protection juridique des majeurs, le juge des tutelles territorialement compétent est celui de la résidence habituelle de la personne à protéger ; qu'en jugeant que le juge des tutelles, dans son ordonnance du 11 juillet 2014 ayant placé [Y] [H] sous tutelle, ne s'était pas « prononcé sur la résidence habituelle de [Y] [H] au sens du règlement (UE) du 4 juillet 2012, distincte de la notion de domicile de l'article 1211 du code de procédure civile », la cour d'appel, qui a lu de manière erronée que l'article 1211 du code de procédure civile faisait appel à la notion de domicile du majeur, a violé l'article 4 du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, ensemble l'article 1211 du code de procédure civile ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motif ; qu'en l'espèce, les consorts [H] faisaient régulièrement valoir dans leurs écritures d'appel que le placement sous tutelle de [Y] [H] le domiciliait légalement chez son tuteur, de sorte que cet élément était de nature à démontrer que sa résidence habituelle ne pouvait être qu'en France, chez son tuteur (conclusions, p. 30 et 32) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, DE QUATRIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que [Y] [H] avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. | Par l'arrêt CJUE, arrêt du 7 avril 2022, C-645/20, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 doit être interprété en ce sens qu'une juridiction d'un État membre doit relever d'office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l'article 4 de ce règlement, elle constate qu'elle n'est pas compétente au titre de cette dernière disposition.
En conséquence, viole ce texte la cour d'appel qui déclare la juridiction française incompétente pour statuer sur la succession et désigner un mandataire successoral, au motif que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni, sans relever d'office sa compétence subsidiaire, alors qu'il résultait de ses constatations que le défunt avait la nationalité française et possédait des biens situés en France |
8,085 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 669 FS-B
Pourvoi n° C 20-22.139
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
Mme [I] [D], épouse [G], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 20-22.139 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2020 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige l'opposant à Mme [T] [D], épouse [Z], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [I] [D], de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [T] [D], et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mme Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 juin 2020), [S] [D] et [Y] [E], époux communs en biens, sont décédés respectivement les 26 mai 2005 et 9 mai 2011, en laissant pour leur succéder leurs filles, [T] et [I].
2. Des difficultés sont survenues lors du règlement de la succession de [Y] [E].
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris dans sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [I] [G] fait grief à l'arrêt de dire que le montant des fermages dus par elle à [Y] [E] entre le 1er janvier 1994 et son décès le 9 mai 2011 devra être réintégré dans l'actif de la succession, alors « que seule une dette existante peut faire l'objet d'une libéralité ; qu'en décidant que le montant des fermages dus à [Y] [E] épouse [D] entre le 1er janvier 1994 et son décès le 9 mai 2011 par Mme [G] devra être réintégré dans l'actif de la succession cependant qu'elle constatait que les fermages échus entre 1994 et 2005 étaient prescrits, la cour d'appel a violé les articles 843 et 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
5. Ayant retenu souverainement que la renonciation de [Y] [E] à recouvrer les fermages échus entre 1994 et 2005 l'avait été dans une intention libérale, la cour d'appel, qui s'est ainsi justement fondée sur le rapport des libéralités et non pas sur le rapport des dettes et qui a considéré que la remise de ces fermages était intervenue à une époque où ceux-ci n'étaient pas prescrits, en a exactement déduit l'existence d'une libéralité rapportable par Mme [G] à la succession.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [G] et la condamne à payer à Mme [Z] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Tinchon, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour Mme [I] [D].
Mme [I] [D] épouse [G] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le montant des fermages dus à [Y] [E] épouse [D] entre le 1er janvier 1994 et son décès le 9 mai 2011 par Mme [G] devra être réintégré dans l'actif de la succession ;
1) ALORS QUE seule une dette existante peut faire l'objet d'une libéralité ; qu'en décidant que le montant des fermages dus à [Y] [E] épouse [D] entre le 1er janvier 1994 et son décès le 9 mai 2011 par Mme [G] devra être réintégré dans l'actif de la succession cependant qu'elle constatait que les fermages échus entre 1994 et 2005 étaient prescrits, la cour d'appel a violé les articles 843 et 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, applicable en la cause ;
2) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'à l'appui de ses conclusions d'appel, Mme [G] produisait l'intégralité des justificatifs du règlement par elle-même, de la totalité des charges foncières des biens immobiliers des époux [D] et pas seulement de celles afférentes aux biens qui lui étaient loués (pièces n° 7 à 24), ce qui constituait la contrepartie onéreuse à la mise à disposition des biens loués (concl. p. 16 à 18) ; qu'en affirmant, par motifs adoptés, que Mme [G] n'apportait aucun élément venant confirmer l'accord tacite intervenu entre Mme [G] et sa mère, d'un règlement de l'intégralité des taxes foncières des biens des époux [D] « en contrepartie des fermages » (jugement p.11 in fine et p 12 § 1), sans s'expliquer sur ces justificatifs établissant le paiement de l'intégralité des charges foncières des bailleurs au titre de la contrepartie onéreuse à la mise à disposition des biens, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. | Une cour d'appel qui retient souverainement qu'un de cujus a renoncé dans une intention libérale à recouvrer des fermages lui étant dûs et que la remise de ces fermages était intervenue à une époque où ceux-ci n'étaient pas prescrits en déduit exactement l'existence d'une libéralité rapportable à la succession |
8,086 | CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 670 FS-B
Pourvoi n° J 19-22.693
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
1°/ Mme [Y] [A], domiciliée [Adresse 1],
2°/ Mme [B] [X], domiciliée [Adresse 3], agissant en qualité d'ayant droit de [I] [G], épouse [A],
ont formé le pourvoi n° J 19-22.693 contre l'arrêt rendu le 27 juin 2019 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [T] [F], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Plouchard et Barnier, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mmes [Y] [A] et [X], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Plouchard et Barnier, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [F], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Berthomier, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 juin 2019), [D] [A] est décédée le 3 janvier 1993, en laissant pour lui succéder son fils, [J] [A], lui-même décédé le 9 juin 2000, en laissant pour lui succéder son épouse, [I] [G], et sa fille, née d'une précédente union, Mme [Y] [A].
2. Se prévalant d'un testament authentique dressé le 20 juin 1991, par lequel [D] [A] l'avait institué légataire à titre particulier d'une somme d'argent, M. [F] a assigné [I] [G] et Mme [Y] [A] en délivrance de son legs.
3. L'arrêt rendu sur cette action, le 13 mars 2012, a été cassé et annulé (1re Civ., 3 juillet 2013, pourvois n° 12-19.146 et 12-20.467), sauf, notamment, en ce qu'il a dit que M. [F] était fondé à solliciter la délivrance de son legs dans les limites de la quotité disponible.
4. Par acte du 5 janvier 2016, M. [F] a fait délivrer, par la société civile professionnelle Plouchart et Barnier (la SCP Plouchart et Barnier), à Mme [Y] [A], un commandement de payer aux fins de saisie-vente sur le fondement des arrêts des 13 mars 2012 et 3 juillet 2013.
5. [I] [G] et Mme [Y] [A] ont saisi un juge de l'exécution en contestation de cette mesure d'exécution forcée.
6. [I] [G] est décédée le 8 novembre 2016, en laissant pour lui succéder sa fille, Mme [X], qui a repris l'instance en son nom.
Examen des moyens
Sur les moyens, en ce qu'ils sont formés par Mme [X], ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens, en ce qu'il sont formés par Mme [X], qui sont irrecevables.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il est formé par Mme [A]
Enoncé du moyen
8. Mme [A] fait grief à l'arrêt de dire que le commandement du 5 janvier 2016 est fondé sur un titre exécutoire régulier et est valable, de rejeter sa contestation et sa demande de dommages-intérêts pour abus de saisie et de déclarer irrecevable la demande de réduction du legs, alors « que seul le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur ; que la délivrance d'un legs a pour seul objet de reconnaître les droits du légataire et doit être distingué du paiement du legs lequel ne peut intervenir que dans le cadre des opérations de partage par l'attribution au légataire de biens le remplissant de ses droits ; qu'en décidant que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 13 mars 2012 qui se contente de dire que M. [F] est fondé à solliciter la délivrance de son legs consenti par le testament du 20 juin 1991 serait constitutif d'un titre exécutoire pour avoir paiement de ce legs, la cour d'appel a violé les articles L. 111-2 et L. 221-1 du code des procédures civiles d'exécution et 1014 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution et 1014 du code civil :
9. Aux termes du premier de ces textes, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution.
10. En application du second, la délivrance d'un legs particulier a pour seul objet la reconnaissance des droits du légataire, permettant l'entrée en possession de l'objet du legs et l'acquisition des fruits, et se distingue du paiement du legs.
11. Pour rejeter la contestation de Mme [A], l'arrêt retient que le commandement de payer afin de saisie-vente qui lui a été signifié le 5 janvier 2016 est fondé sur un titre exécutoire régulier et valable résultant des arrêts du 13 mars 2012 et du 3 juillet 2013 ayant définitivement jugé que M. [F] était fondé à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 20 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible, ce qui s'interprète comme une décision ordonnant la délivrance qui est la reconnaissance par le juge de la régularité du titre du légataire.
12. En statuant ainsi, alors qu'une décision accueillant une demande de délivrance d'un legs de somme d'argent ne constitue pas un titre exécutoire autorisant le légataire à procéder à des mesures d'exécution forcée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen, en ce qu'il est formé par Mme [A]
Enoncé du moyen
13. Mme [A] fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la SCP Plouchart et Barnier, alors « que les huissiers sont responsables de la rédaction de leurs actes ; que lorsque l'acte a été rédigé par un autre officier ministériel, leur responsabilité n'est exclue que pour les indications matérielles qu'ils n'ont pas pu eux-mêmes vérifier ; que l'existence d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible ne constitue pas une indication matérielle que l'huissier ne serait pas en mesure de vérifier par lui-même ; que dès lors quand bien même elle n'aurait pas rédigé le commandement litigieux, la SCP Plouchart et Barnier a engagé sa responsabilité en signant et délivrant ce commandement en l'absence de titre exécutoire portant sur une créance liquide ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2, alinéa 2, de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 :
14. Aux termes de ce texte, les huissiers sont responsables de la rédaction de leurs actes, sauf, lorsque l'acte a été préparé par un autre officier ministériel, pour les indications matérielles qu'ils n'ont pas pu eux-mêmes vérifier.
15. Pour mettre hors de cause la SCP Plouchart et Barnier, l'arrêt, après avoir énoncé les termes de l'article 2, alinéa 2, de l'ordonnance du 2 novembre 1945, retient, par motifs propres, que la lettre en date du 28 décembre 2015 démontre que la SCP Leroi, Wald-Reynaud-Ayache l'avait requise pour délivrer le commandement de payer qu'elle avait elle-même préparée et, par motifs adoptés, qu'il n'est pas contestable que la SCP Plouchart et Barnier, simple mandataire, n'est pas l'auteur du commandement de payer du 5 janvier 2016 et qu'elle n'est pas responsable de la rédaction de cet acte.
16. En statuant ainsi, alors que les dispositions susvisées n'intéressent que la rédaction des actes, la cour d'appel, qui a constaté qu'il était reproché à l'huissier de justice d'avoir diligenté la saisie-vente en l'absence de titre exécutoire portant sur une créance liquide, a violé, par fausse application, le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il met hors de cause la SCP Plouchart et Barnier, dit que le commandement de payer afin de saisie-vente signifié le 5 janvier 2016 à Mme [Y][A] est fondé sur un titre exécutoire régulier et est valable, rejette la contestation de Mme [Y] [A], rejette sa demande de dommages-intérêts pour abus de saisie et déclare irrecevable la demande de réduction du legs, l'arrêt rendu le 27 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne M. [F] et la SCP Plouchart et Barnier aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la SCP Plouchart et Barnier et M. [F] et condamne celui-ci à payer à Mme [A] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Tinchon, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mmes [Y] [A] et [X].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le commandement de payer afin de saisie-vente du 5 janvier 2016 est fondé sur un titre exécutoire régulier et valable, débouté Mme [A] de sa contestation et de sa demande de dommages et intérêts pour abus de saisie et déclaré irrecevable la demande de réduction du legs ;
Aux motifs que l'article 1014 du code civil impose au légataire particulier de demander la délivrance de son legs, en suivant l'ordre établi par l'article 1011, ce que M. [F] a fait dès son assignation du 16 juin 2005, d'où il s'ensuit que, au vu de l'arrêt du 13 mars 2012 de la cour d'appel d'Aix en Provence et de celui de la Cour de cassation du 3 juillet 2013 qui a expressément confirmé trois points jugés par la cour d'appel : la coexistence des testaments des 16 juin 1983, 20 juin 1991 et 3 août 1992, le droit de M. [F] à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 29 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible et l'absence de prescription de l'action en réduction demandée par Mmes [A], il est donc définitivement jugé que M. [F] est fondé à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 20 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible, ce qui s'interprète comme une décision ordonnant la délivrance qui n'est rien d'autre que la reconnaissance par le juge de la régularité du titre du légataire.
En l'état, toutes les décisions rendues sont devenues définitives et ont autorité de la chose jugée et selon l'article L 111-3 du code des procédures civiles d'exécution les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif lorsqu'elles ont force exécutoire constituent des titres exécutoires.
Si dans son arrêt du 4 mars 2014, la cour d'appel de Lyon, cour de renvoi, ayant constaté que Mme [I] [A] et Mme [Y] [A] ne sollicitaient plus la réduction des legs, qu'en sa qualité de légataire M. [F] n'avait pas qualité pour demander, n'a pu ordonner la réduction des dispositions testamentaires et a dit n'y avoir lieu de renvoyer les parties devant un notaire pour l'établissement d'un nouvel état liquidatif et si, de ce fait, le calcul des sommes dues, au regard du dépassement de la quotité disponible contesté, n'a pas encore été effectué, il n'en demeure pas moins que par testament du 20 juin 1991, Mme [D] [A] avait consenti un legs à [F] pour un montant de 1.800.000 francs, soit 274.408,23 euros, qui correspond exactement au montant sollicité en principal aux termes du commandement de payer aux fins de saisie vente qui a été délivré à Mme [Y] [A] le 5 janvier 2016, la somme léguée en principale portant intérêt au taux légal depuis la demande de délivrance de M. [F] depuis l'acte introductif d'instance du 16 juin 2005.
Le commandement de payer délivré le 5 janvier 2016 est donc fondé sur un titre exécutoire régulier et valable sur le legs consenti aux termes du testament de Mme [D] [A] en date 20 juin 1991, par lequel la somme de 274.403,23 euros lui était léguée à M. [F], résultant des décisions rendues qui contiennent éléments nécessaires à l'évaluation de la créance en se référant au testament du 20 juin 1991.
Le moyen de contestation tenant à l'absence de titre exécutoire est donc rejeté et le jugement confirmé sur ce point.
Et aux motifs adoptés du jugement que subsiste un débat sur la délivrance du legs dans son intégralité ou après sa réduction au regard de la quotité disponible restant.
IL appartient au juge de l'exécution d'interpréter le titre lorsqu'une telle question se pose de façon incidente à l'occasion d'une difficulté d'exécution. Il est rappelé que cette interprétation qui ne vise pas à modifier ce qui a été décidé mais à chercher la portée de ce qui est ambigu, ne porte pas atteinte à l'autorité de la chose jugée. Si seul le dispositif a autorité de la chose jugée conformément à l'article 480 du code de procédure civile, il n'en demeure pas moins que les motifs qui sont le soutien de la décision peuvent être utilisés pour préciser la portée de ce qui a été jugé. En l'espèce, la Cour d'appel d'Aix en Provence a jugé que M. [F] était fondé à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 20 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible et a ordonné la réduction des dispositions testamentaires de Mme [D] [A]. Elle a ainsi renvoyé les parties devant le Président de la chambre des notaires du Var pour établir un nouvel état liquidatif sur la base de sa décision.
La Cour de cassation a dans son arrêt du 3 juillet 2013 cassé et annulé l'arrêt du 13 mars 2012 sauf en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la commune de [Localité 4]. Elle a néanmoins expressément confirmé trois points jugés par la Cour d'appel : la coexistence des testaments des 16 juin 1983, 20 juin 1991 et 3 août 1992, le droit de M. [F] à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 20 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible et l'absence de prescription de l'action en réduction demandée par Mmes [A]. Elle a remis en conséquence sur les autres points la cause et les parties dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant ledit arrêt et pour être fait droit, renvoyé les parties devant la Cour d'appel de Lyon.
Il résulte du dispositif de cet arrêt que la question de la réduction du legs n'a pas été tranchée par la Cour de cassation qui a simplement admis que l'action en réduction de Mmes [A] n'était pas prescrite. Le seul fait que l'action soit déclarée non prescrite emporte seulement recevabilité de l'action et non décision sur le fond de celle-ci.
Ce point peut être vérifié par la lecture des motifs de l'arrêt relatif au premier moyen commun aux deux pourvois incidents de MM. [O] et [S] [L] (page 7 de l'arrêt). La Cour de cassation après avoir constaté que la Cour d'appel d'Aix en Provence avait ordonné la réduction des legs consentis par la défunte et renvoyé les parties devant le président de la chambre des notaires du Var pour établir un état liquidatif, a considéré qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de MM. [O] et [S] [L] qui invoquaient l'irrecevabilité de leur intervention forcée en cause d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé (article 455 du code de procédure civile). Ainsi la cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel sur la question de la réduction des legs. Cette question a ainsi été déférée avec les autres points cassés à la cour d'appel de renvoi. Dans son arrêt du 4 mars 2014, la cour d'appel de renvoi de Lyon a expressément jugé, dans son dispositif, qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer les parties devant un notaire en vue de l'établissement d'un nouvel état liquidatif.
En effet, il ressort des motifs de cette décision que la cour d'appel a tiré les conséquences de l'absence de réitération par Mmes [A] de leur demande de réduction des legs consentis par Mme [D] [A], pour conclure qu'elles avaient renoncé à demander la réduction de ceux-ci. M. [F] ne pouvait pas se substituer à ces dernières pour demander une telle réduction, n'ayant pas la qualité pour le faire du fait de sa qualité de légataire, de sorte qu'il a été débouté de sa demande.
Mme [A] ne peut pas reprocher à la Cour d'appel de Lyon de ne pas avoir statué dans son dispositif sur sa renonciation à se prévaloir de la réduction puisqu'elles n'avaient formulé aucune demande sur ce point, la cour ne pouvant statuer que dans les limites des demandes des parties.
Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par le rapporteur de la Cour de cassation saisie de pourvois formés à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon, qu'elle a rejeté par arrêt du 10 juin 2015.
Il est relevé également qu'à l'occasion de cette dernière procédure, seul M. [F] a contesté l'arrêt refusant de renvoyer les parties devant un notaire afin qu'il établisse un nouvel état liquidatif, Mmes [A] n'ayant soulevé aucun moyen sur ce point.
Si elles considéraient que la créance de M. [F] n'était pas liquide, elles auraient contesté l'arrêt de renvoi qui a refusé de renvoyer les parties devant un notaire afin qu'il établisse un nouvel état liquidatif.
Compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, M. [F] disposait bien d'un titre exécutoire valable constatant une créance liquide et exigible. En effet l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence et l'arrêt de la Cour de cassation constituant le titre exécutoire contenaient les éléments nécessaires à son évaluation en se référant au testament du 20 juin 1991 par lequel la somme de 274.408,23 euros était léguée.
1°- Alors que seul le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur ; que la délivrance d'un legs a pour seul objet de reconnaitre les droits du légataire et doit être distingué du paiement du legs lequel ne peut intervenir que dans le cadre des opérations de partage par l'attribution au légataire de biens le remplissant de ses droits ; qu'en décidant que l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 13 mars 2012 qui se contente de dire que M. [F] est fondé à solliciter la délivrance de son legs consenti par le testament du 20 juin 1991 serait constitutif d'un titre exécutoire pour avoir paiement de ce legs, la Cour d'appel a violé les articles L 111-2, L 111-2 et L 221-1 du code des procédures civiles d'exécution et 1014 du code civil ;
2°- Alors que l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix en Provence du 13 mars 2012 a dit que M. [F] est fondé à solliciter la délivrance de son legs consenti par le testament du 20 juin 1991 « dans les limites de la quotité disponible » ; que la décision de la Cour d'appel limitant la créance de M. [F] à la quotité disponible est devenu définitive, la cassation partielle prononcée par l'arrêt du 3 juillet 2013 n'ayant pas porté sur ce chef de dispositif ; qu'en considérant cependant que le commandement aux fins de saisie délivré en vertu de ces arrêts serait fondé sur un titre exécutoire portant sur le montant du legs consenti aux termes du testament du 20 juin 1991 par lequel la somme de 274.403,23 euros lui a été léguée, la Cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée par ces arrêts en violation de l'article 1351 ancien devenu 1355 du code civil ;
3°- Alors que dans ses motifs, l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 4 mars 2014 statuant sur renvoi après cassation se borne à relever que Mmes [A] ne sollicitent plus la réduction des legs, sans constater une quelconque renonciation des consorts [A] à se prévaloir de la réduction du legs au montant de la quotité disponible ; qu'en énonçant qu'il ressortirait des motifs de cette décision que la Cour d'appel a tiré les conséquences de l'absence de réitération par Mmes [A] de la demande de réduction du legs en concluant qu'elles avaient renoncé à demander cette réduction, la Cour d'appel a dénaturé les motifs de cet arrêt en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
4°- Alors que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; qu'en énonçant que l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 4 mars 2014 statuant sur renvoi après cassation aurait constaté la renonciation de Mmes [A] à se prévaloir de la réduction du legs consenti à M. [F], après avoir pourtant admis que le dispositif de cet arrêt ne statue pas sur une renonciation de Mmes [A] à se prévaloir d'une réduction du legs consenti à M. [F], la Cour d'appel a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations au regard de l'article 1351 ancien devenu 1355 du code civil qu'elle a violé ;
5°- Alors qu'il résulte de l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 2015 statuant sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 4 mars 2014, qu'aux termes d'un quatrième moyen produit par Mmes [A], ces dernières faisaient grief à l'arrêt d'avoir dit n'y avoir lieu de renvoyer les parties devant un notaire en vue de l'établissement d'un nouvel état liquidatif à intervenir ; qu'en énonçant qu'à l'occasion du pourvoi formé contre l'arrêt du 4 mars 2014 seul M. [F] aurait contesté l'arrêt refusant de renvoyer les parties devant un notaire afin qu'il établisse un nouvel état liquidatif, Mmes [A] n'ayant soulevé aucun moyen sur ce point, la Cour d'appel a dénaturé l'arrêt de la Cour de cassation du 10 juin 2015 en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
6°- Alors que seul le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur ; que la créance est liquide lorsqu'elle est évaluée en argent ou lorsque le titre contient tous les éléments permettant son évaluation ; qu'en l'espèce, l'arrêt du 13 mars 2012 sur lequel est fondé le commandement de payer afin de saisie-vente a par un chef de dispositif devenu définitif, dit que M. [F] est fondé à solliciter la délivrance de son legs consenti par le testament du 20 juin 1991 « dans les limites de la quotité disponible » ; que ni l'arrêt du 13 mars 2012 ni le testament auquel il renvoie, ne permettent d'évaluer la créance de M. [F] telle que limitée à la quotité disponible ; qu'ainsi les arrêts du 13 mars 2012 et du 3 juillet 2013 ne peuvent constituer le titre exécutoire exigé pour la mise en oeuvre d'une exécution forcée ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles L 111-2, L 111-2 et L 221-1 du code des procédures civiles d'exécution.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le commandement de payer afin de saisie-vente du 5 janvier 2016 est fondé sur un titre exécutoire régulier et valable, débouté Mme [A] de sa contestation et de sa demande de dommages et intérêts pour abus de saisie et déclaré irrecevable la demande de réduction du legs ;
Aux motifs que subsidiairement, les appelantes sollicitent la réduction des dispositions testamentaires précitées, à charge pour M. [F] de calculer, ès-qualité de demandeur, la portion de legs lui revenant, après réduction et paiement des droits fiscaux. Le juge de l'exécution de Pontoise n'a été saisi que d'une demande d'annuler purement et simplement le commandement afin de saisie vente et la demande de réduction du legs est nouvelle en cause d'appel. En tout état de cause, dans son arrêt du 4 mars 2014, la cour d'appel de Lyon, cour de renvoi, ayant constaté que Mme [I] [A] et Mme [Y] [A] ne sollicitaient plus la réduction des legs, qu'en sa qualité de légataire, M. [F] n'avait pas qualité pour demander, n'a pu ordonner la réduction des dispositions testamentaires et a dit n'y avoir lieu de renvoyer les parties devant un notaire pour l'établissement d'un nouvel état liquidatif.
Or la cour de céans, saisie de l'appel du jugement du juge de l'exécution en date du12 janvier 2018, statue en l'espèce en qualité de juge de l'exécution et l'article R 121-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose « en matière de compétence d'attribution, tout juge autre que le juge de l'exécution doit relever d'office son incompétence.
Le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution. Toutefois, après signification du commandement ou de l'acte de saisie, selon le cas, il a compétence pour accorder un délai de grâce. Le juge de l'exécution peut relever d'office son incompétence ».
Le Juge de l'exécution ne peut modifier les décisions intervenues et ne peut donc réduire le legs consenti, cette réduction n'ayant pas été demandée ni a fortiori ordonnée par l'arrêt du 4 mars 2014 de la cour d'appel de Lyon qui a à ce jour autorité de la chose jugée.
La demande est par suite irrecevable.
1°- Alors qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher si la demande de réduction du legs dont la délivrance faisait l'objet du commandement aux fins de saisie n'était pas virtuellement comprise dans celles présentées par Mme [A] en première instance dont elles auraient constitué l'accessoire, ni si elles tendaient à faire écarter les prétentions adverses, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 564 et 566 du code de procédure civile ;
2°- Alors que les poursuites étaient exercées sur le fondement de l'arrêt de la Cour d'appel du 13 mars 2012 qui par un chef de dispositif devenu définitif, a dit que M. [F] est fondé à solliciter la délivrance de son legs consenti par le testament du 20 juin 1991 « dans les limites de la quotité disponible » ; qu'ainsi la réduction du legs sollicitée pour tenir compte de cette limitation n'était pas de nature à modifier le dispositif de la décision servant de fondement aux poursuites mais relevait au contraire de l'office du juge de l'exécution auquel il appartient de trancher les difficultés relatives aux titres exécutoires et les contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles R 121-1 du code des procédures civiles d'exécution et L 213-6 du code de l'organisation judiciaire ;
3°- Alors que l'autorité de la chose jugée par l'arrêt de la Cour d'appel de renvoi du 4 mars 2014 qui se borne dans son dispositif à dire n'y avoir lieu de renvoyer les parties devant un notaire en vue de l'établissement d'un nouvel état liquidatif, sans constater aucune renonciation de Mmes [A] à la réduction du legs, ni les débouter d'une demande de réduction qui n'était pas formée, ne pouvait interdire au juge de procéder à la réduction sollicitée pour tenir compte de la limitation de la créance de M. [F] à la quotité disponible par le jugement servant de fondement aux poursuites ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé les articles 1351 ancien devenu 1355 du code civil et R 121-1 du code des procédures civiles d'exécution.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le commandement de payer afin de saisie-vente du 5 janvier 2016 est fondé sur un titre exécutoire régulier et valable, et d'avoir débouté Mme [A] de sa contestation et de sa demande de dommages et intérêts pour abus de saisie ;
Aux motifs que l'article 1014 du code civil impose au légataire particulier de demander la délivrance de son legs, en suivant l'ordre établi par l'article 1011, ce que M. [F] a fait dès son assignation du 16 juin 2005, d'où il s'ensuit que, au vu de l'arrêt du 13 mars 2012 de la cour d'appel d'Aix en Provence et de celui de la Cour de cassation du 3 juillet 2013 qui a expressément confirmé trois points jugés par la cour d'appel : la coexistence des testaments des 16 juin 1983, 20 juin 1991 et 3 août 1992, le droit de M. [F] à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 29 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible et l'absence de prescription de l'action en réduction demandée par Mmes [A], il est donc définitivement jugé que M. [F] est fondé à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 20 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible, ce qui s'interprète comme une décision ordonnant la délivrance qui n'est rien d'autre que la reconnaissance par le juge de la régularité du titre du légataire.
En l'état, toutes les décisions rendues sont devenues définitives et ont autorité de la chose jugée et selon l'article L 111-3 du code des procédures civiles d'exécution les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif lorsqu'elles ont force exécutoire constituent des titres exécutoires.
Si dans son arrêt du 4 mars 2014, la cour d'appel de Lyon, cour de renvoi, ayant constaté que Mme [I] [A] et Mme [Y] [A] ne sollicitaient plus la réduction des legs, qu'en sa qualité de légataire M. [F] n'avait pas qualité pour demander, n'a pu ordonner la réduction des dispositions testamentaires et a dit n'y avoir lieu de renvoyer les parties devant un notaire pour l'établissement d'un nouvel état liquidatif et si, de ce fait, le calcul des sommes dues, au regard du dépassement de la quotité disponible contesté, n'a pas encore été effectué, il n'en demeure pas moins que par testament du 20 juin 1991, Mme [D] [A] avait consenti un legs à [F] pour un montant de 1.800.000 francs, soit 274.408,23 euros, qui correspond exactement au montant sollicité en principal aux termes du commandement de payer aux fins de saisie vente qui a été délivré à Mme [Y] [A] le 5 janvier 2016, la somme léguée en principale portant intérêt au taux légal depuis la demande de délivrance de M. [F] depuis l'acte introductif d'instance du 16 juin 2005.
Le commandement de payer délivré le 5 janvier 2016 est donc fondé sur un titre exécutoire régulier et valable sur le legs consenti aux termes du testament de Mme [D] [A] en date 20 juin 1991, par lequel la somme de 274.403,23 euros lui était léguée à M. [F], résultant des décisions rendues qui contiennent éléments nécessaires à l'évaluation de la créance en se référant au testament du 20 juin 1991.
Le moyen de contestation tenant à l'absence de titre exécutoire est donc rejeté et le jugement confirmé sur ce point.
Alors que le jugement doit être motivé ; que Mme [A] faisait valoir (conclusions d'appel p. 14 et 15 et 19 ) qu'elle n'est titulaire que de 37,50 % des droits successoraux dans la succession litigieuse et qu'en l'absence de solidarité entre héritiers elle ne peut être poursuivie par le légataire qu'à hauteur de ses droits successoraux et non pour le paiement de la totalité du montant du legs litigieux visé dans le commandement aux fins de saisie-vente ; qu'en déboutant Mme [A] de cette contestation sans aucun motif à l'appui de sa décision, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir mis hors de cause la SCP Plouchart et Barnier, huissiers de justice ;
Aux motifs qu'aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, les huissiers sont responsables de la rédaction de leurs actes, sauf, lorsque l'acte a été préparé par un autre officier ministériel, pour les indications matérielles qu'ils n'ont pas pu eux-mêmes vérifier.
Le courrier en date du 28 décembre 2015 démontre que la SCP Leroi, Wald-Reynaud-Ayache a requis la SCP d'huissiers de justice pour délivrer le commandement de payer qu'elle avait elle-même préparée.
Alors que les huissiers sont responsables de la rédaction de leurs actes ; que lorsque l'acte a été rédigé par un autre officier ministériel, leur responsabilité n'est exclue que pour les indications matérielles qu'ils n'ont pas pu eux-mêmes vérifier ; que l'existence d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible ne constitue pas une indication matérielle que l'huissier ne serait pas en mesure de vérifier par lui-même ; que dès lors quand bien même elle n'aurait pas rédigé le commandement litigieux, la SCP Plouchart et Barnier a engagé sa responsabilité en signant et délivrant ce commandement en l'absence de titre exécutoire portant sur une créance liquide ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. | Il résulte de l'article 1014 du code civil que la délivrance d'un legs particulier a pour seul objet la reconnaissance des droits du légataire, permettant l'entrée en possession de l'objet du legs et l'acquisition des fruits, et se distingue du paiement du legs.
Dès lors, une décision accueillant une demande de délivrance d'un legs de somme d'argent ne constitue pas un titre exécutoire autorisant le légataire à procéder à des mesures d'exécution forcée en application de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution |
8,087 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 631 FS-B
Pourvoi n° P 21-17.691
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
1°/ Mme [F] [W], domiciliée [Adresse 2],
2°/ Mme [O] [W], domiciliée [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° P 21-17.691 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2021 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [N] [H],
2°/ à Mme [C] [H],
toutes deux domiciliées [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mmes [F] et [O] [W], de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mmes [N] et [C] [H], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, Mme Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 6 avril 2021), Mme [C] [H], locataire d'un appartement dont Mmes [F] et [O] [W] (les bailleresses) sont propriétaires indivises, a donné congé, le 17 avril 2015 pour le 31 juillet de la même année.
2. Mme [F] [W] l'a assignée, ainsi que Mme [N] [H], qui s'était portée caution solidaire des obligations de la locataire, en paiement de loyers et charges et de réparations locatives. Mme [O] [W] est intervenue à la procédure.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Les bailleresses [X] à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de la locataire et de la caution, alors « que le délai de préavis applicable au congé court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l'acte d'huissier de justice ou de la remise en main propre et que la date de réception d'une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception est celle qui est apposée par l'administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire ; que, pour rejeter la demande de Mmes [W] en paiement d'une somme de 331,98 euros au titre du loyer d'août 2015, la cour d'appel a retenu qu'un courrier valant congé avait été rédigé le 17 avril 2015 pour une fin de bail au 31 juillet 2015 ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant que cette lettre notifiant congé était revenue « pli avisé et non réclamé » et qu'elle n'avait donc pas été remise au bailleur, elle a violé les articles 15, I de la loi du 6 juillet 1989 et 669, alinéa 3, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 15, I, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 :
5. Selon ce texte, le délai de préavis applicable au congé court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l'acte d'huissier de justice ou de la remise en main propre.
6. Pour rejeter la demande en paiement du loyer du mois d'août 2015, l'arrêt constate que la locataire a donné congé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postée le 17 avril 2015 et revenue avec la mention « pli avisé et non réclamé » et retient que ce congé a été régulièrement donné pour le 31 juillet 2015.
7. En statuant ainsi, tout en constatant que la lettre recommandée leur notifiant congé n'avait pas été reçue par les bailleresses, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mmes [C] et [N] [H], in solidum, à payer à Mmes [F] et [O] [W] les sommes de 411,39 euros et 360 euros et rejette toute autre demande à leur encontre, et, en conséquence, condamne Mmes [F] et [O] [W], in solidum, à payer à Mmes [C] et [N] [H] la somme de 128,61 euros, l'arrêt rendu le 6 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;
Condamne Mmes [C] et [N] [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour Mmes [F] et [O] [W]
Mmes [F] et [O] [W] [X] à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation de Mmes [C] et [N] [H], in solidum, aux sommes de 411,39 euros et 360 euros et, en conséquence, de les avoir condamnées après compensation à payer à Mmes [C] et [N] [H] la seule somme de 128,61 euros ;
1° ALORS QUE le délai de préavis applicable au congé court à compter du jour de la réception de la lettre recommandée, de la signification de l'acte d'huissier de justice ou de la remise en main propre et que la date de réception d'une notification faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception est celle qui est apposée par l'administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire ; que, pour rejeter la demande de Mmes [W] en paiement d'une somme de 331,98 euros au titre du loyer d'août 2015, la cour d'appel a retenu qu'un courrier valant congé avait été rédigé le 17 avril 2015 pour une fin de bail au 31 juillet 2015 ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant que cette lettre notifiant congé était « revenue "pli avisé et non réclamé » (arrêt, p. 5, § 8) et qu'elle n'avait donc pas été remise au bailleur, elle a violé les articles 15, I de la loi du 6 juillet 1989 et 669, alinéa 3, du code de procédure civile ;
2° ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les termes clairs et précis des conclusions des parties ; qu'en jugeant que Mmes [W] se plaignaient « « d'une multitude de choses minimes, du type coulée de colle sur une fenêtre en PVC de la cuisine, vitre sale, plinthe insuffisamment nettoyée, joint silicone encrassé, etc. » lesquelles relevaient exclusivement « de points précis de saleté », sans tenir compte de ce que, dans leurs conclusions, Mmes [W] avaient distingué les frais de nettoyage et les frais de réparation locative dus à des dégradations caractérisées par des éléments de mobilier cassés et des traces indélébiles, la cour d'appel a dénaturé par omission les conclusions de Mmes [W] en violation du principe précité ;
3° ALORS QU'en jugeant que Mmes [W] se plaignaient « « d'une multitude de choses minimes, du type coulée de colle sur une fenêtre en PVC de la cuisine, vitre sale, plinthe insuffisamment nettoyée, joint silicone encrassé, etc. » lesquelles relevaient exclusivement « de points précis de saleté », cependant que l'état des lieux de sortie faisait état d'éléments de mobilier cassés et de traces indélébiles, la cour d'appel a dénaturé par omission cet état des lieux de sortie en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
4° ALORS QU'en jugeant que « toutes les plaintes relèvent en réalité de points précis de saleté », sans préciser en quoi chacun des éléments relevés par Mmes [W] était susceptible d'être corrigé par un seul nettoyage et sans analyser, même sommairement, les devis et les factures produits par les bailleresses à l'appui de leurs demandes, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5° ALORS QU'en toute hypothèse, la cour d'appel a constaté que Mmes [W] soulevaient l'existence d'une dégradation constituée par le fait que l'ampoule du réfrigérateur était grillée, insusceptible d'être corrigée par un simple nettoyage ; qu'en n'examinant pas ce préjudice, comme elle y était invitée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7, c de la loi du 6 juillet 1989. | N'est pas régulièrement donné le congé d'un bail d'habitation délivré par lettre recommandée avec demande d'avis de réception revenue à son expéditeur avec la mention "pli avisé et non réclamé" |
8,088 | CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 632 FS-B
Pourvoi n° H 21-17.409
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
1°/ Mme [U] [W], épouse [B], domiciliée [Adresse 4],
2°/ M. [G] [V], domicilié [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° H 21-17.409 contre l'arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d'appel de Basse-Terre (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [J] [K],
2°/ à Mme [Y] [E] [R], épouse [K],
3°/ à Mme [D] [K] épouse [M],
tous trois domiciliés [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les consorts [K] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [W] et de M. [V], de la SCP Foussard et Froger, avocat des consorts [K], et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, Mme Andrich, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Gallet, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 31 mars 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 11 avril 2019, pourvoi n° 17-17.766), Mme [W] et M. [V], se disant propriétaires d'une parcelle cadastrée T [Cadastre 1] occupée par Mme [E] [R] épouse [K], Mme [D] [K] épouse [M] et M. [J] [K] (les consorts [K]), les ont assignés en expulsion.
2. A titre reconventionnel, les consorts [K] ont revendiqué l'acquisition de la parcelle par prescription.
Sur la demande en rectification
3. A la suite d'une simple erreur matérielle, que la Cour de cassation est en mesure de rectifier, le nom patronymique de l'intimé mentionné en page 7 de l'arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d'appel de Basse-Terre, comme étant « [G] [W] », est en réalité « [G] [C] [V] ».
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième et cinquième branches, et sur le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. Mme [W] et M. [V] font grief à l'arrêt de dire que Mme [E] [R] épouse [K] et M. [V] sont propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] située au lieu-dit « [Localité 2] », et de rejeter leur demande tendant à l'expulsion des consorts [K] de cette parcelle, alors « que nul ne peut prescrire en vertu d'une possession s'établissant sur des actes illicites ou irréguliers ; qu'en retenant, pour juger que Mme [Y] [E] [R] et M. [G] [V] étaient propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] et rejeter la demande en expulsion formée par Mme [U] [B] et M. [G] [V], qu'à l'égard des administrations fiscale et administrative, la construction de bâtiments sur un terrain agricole n'ayant pas fait l'objet d'un déclassement n'entache la possession d'aucune équivoque, lesdits manquement et omissions n'étant pas de nature à contredire la volonté de leur auteur de se considérer comme propriétaire exclusif, la cour d'appel a violé l'article 2261 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Le non-respect de règles d'urbanisme applicables à des travaux de construction ne fait pas obstacle, en l'absence d'actes de possession illicites pour être contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, à ce que le possesseur du terrain d'assiette en acquiert la propriété par prescription.
7. La cour d'appel a, d'abord, souverainement retenu que les consorts [K] justifiaient d'actes de possession du terrain agricole en litige depuis 1969 par Mme [E] [R] épouse [K], qui s'était comportée en qualité de propriétaire exclusif de cette parcelle en la cultivant, avant d'y faire construire deux maisons d'habitation qu'elle a occupées avec ses enfants.
8. Elle a, ensuite, exactement énoncé que les manquements aux règles d'urbanisme dénoncés par les demandeurs n'excluaient pas l'intention du possesseur de se comporter comme propriétaire, faisant ainsi ressortir qu'ils n'entachaient pas la possession retenue d'équivoque.
9. Elle en a exactement déduit, sans retenir une possession résultant d'actes illicites, que l'absence de déclassement préalable du terrain agricole ne faisait pas obstacle à ce que le possesseur en acquiert la propriété par prescription.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
11. Mme [W] et M. [V] font le même grief à l'arrêt, alors « qu'en ce qui concerne la suspension de la prescription à l'encontre d'un indivisaire mineur, le majeur n'est relevé par le mineur qu'en matière indivisible et que l'état d'indivision d'un immeuble dépendant d'une succession crée un lien d'indivisibilité entre les cohéritiers ; qu'en retenant, pour juger que Mme [Y] [E] [R] et M. [G] [V] étaient propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] et rejeter la demande en expulsion formée par Mme [U] [B] et M. [G] [V], que Mme [Y] [E] [R] ne peut se prévaloir de la prescription acquisitive de cette parcelle à l'égard de M. [G] [V], en raison de sa minorité, sans juger que la prescription acquisitive était également inopposable à Mme [U] [B], propriétaire indivise de ladite parcelle, la cour d'appel a violé l'article 2235 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. Ayant énoncé, à bon droit, d'une part, que la prescription ne court pas contre un mineur non émancipé et, d'autre part, qu'en l'absence d'indivisibilité résultant de l'état d'indivision de l'immeuble dépendant d'une succession, cette suspension ne joue qu'à l'égard du mineur et ne profite pas aux autres coïndivisaires majeurs, la cour d'appel en a exactement déduit que l'acquisition par prescription de la parcelle n'était inopposable qu'à [G] [V].
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Vu l'article 462 du code de procédure civile, réparant l'erreur matérielle affectant l'arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d'appel de Basse-Terre, dit qu'à la septième page de cet arrêt, au lieu de lire : « M. [G] [W]», il convient de lire « M. [G] [C] [V] » ;
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que le présent arrêt sera transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt rectifié ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour Mme [W] et M. [V]
Mme [U] [W] épouse [B] et M. [G] [V] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'[Y] [E] [R] et [G] [V] sont propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] située au lieu-dit [Adresse 3] (Martinique), et d'avoir rejeté leur demande tendant à l'expulsion de Mme [Y] [E] [R], Mme [D] [K] et M. [J] [K] de cette parcelle ;
1°) ALORS QUE pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ;
qu'en se bornant à retenir, pour juger que Mme [Y] [E] [R] et M. [G] [V] étaient propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] et rejeter la demande en expulsion formée par Mme [U] [B] et M. [G] [V], que Mme [Y] [E] [R] a cultivé cette parcelle à compter de 1969 avant d'y construire une maison en 1976 et que le point de départ du délai de prescription acquisitive peut être fixé à l'année 1969, la cour, qui n'a relevé aucun acte matériel de possession antérieur à l'édification de la maison, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2261 du code civil ;
2°) ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en relevant, pour juger que Mme [Y] [E] [R] et M. [G] [V] étaient propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] et rejeter la demande en expulsion formée par Mme [U] [B] et M. [G] [V], que ces derniers invoquaient une sommation interpellative délivrée le 31 mars 2013 à Mme [Y] [E] [R], quand cet acte - par lequel Mme [U] [B] et M. [G] [V] se prévalaient de leur qualité de propriétaires de cette parcelle, circonstance de nature à remettre en cause la possession de celle-ci par Mme [Y] [E] [R] - datait du 31 mars 2003, la cour d'appel a dénaturé cet élément de preuve en méconnaissance du principe susvisé ;
3°) ALORS QUE nul ne peut prescrire en vertu d'une possession s'établissant sur des actes illicites ou irréguliers ; qu'en retenant, pour juger que Mme [Y] [E] [R] et M. [G] [V] étaient propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] et rejeter la demande en expulsion formée par Mme [U] [B] et M. [G] [V], qu'à l'égard des administrations fiscale et administrative, la construction de bâtiments sur un terrain agricole n'ayant pas fait l'objet d'un déclassement n'entache la possession d'aucune équivoque, lesdits manquement et omissions n'étant pas de nature à contredire la volonté de leur auteur de se considérer comme propriétaire exclusif, la cour d'appel a violé l'article 2261 du code civil ;
4°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en jugeant que Mme [Y] [E] [R] et M. [G] [V] étaient propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1], quand ni les appelants, ni les intimés ne formulaient une telle demande, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
5°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en jugeant d'office que Mme [Y] [E] [R] et M. [G] [V] étaient propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1], sans avoir préalablement provoqué les observations des parties sur ce point qu'elles n'avaient pas abordé dans leurs conclusions, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
6°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'en ce qui concerne la suspension de la prescription à l'encontre d'un indivisaire mineur, le majeur n'est relevé par le mineur qu'en matière indivisible et que l'état d'indivision d'un immeuble dépendant d'une succession créé un lien d'indivisibilité entre les cohéritiers ;
qu'en retenant, pour juger que Mme [Y] [E] [R] et M. [G] [V] étaient propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] et rejeter la demande en expulsion formée par Mme [U] [B] et M. [G] [V], que Mme [Y] [E] [R] ne peut se prévaloir de la prescription acquisitive de cette parcelle à l'égard de M. [G] [V], en raison de sa minorité, sans juger que la prescription acquisitive était également inopposable à Mme [U] [B], propriétaire indivise de ladite parcelle, la cour d'appel a violé l'article 2235 du code civil. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour les consorts [K]
L'arrêt attaqué, critiqué par Madame [Y] [E] [R] épouse [K], Madame [D] [K] épouse [M] et Monsieur [J] [K], encourt la censure ;
EN CE QUE, s'il a justement écarté la demande d'expulsion formée par Madame [U] [W]-[B] et Monsieur [V], il a décidé que la parcelle T.[Cadastre 1] était la propriété indivise de Madame [E] [R] et de Monsieur [V] ;
ALORS QUE ni les consorts [K], dans leurs conclusions du 30 décembre 2020, ni les consorts [W]-[B] et [V], dans leurs conclusions du 28 janvier 2021, n'ont invité la cour d'appel dans leur dispositif à décider que la parcelle litigieuse était leur propriété indivise ; qu'en disant dans son dispositif que Mme [E] [R] et M. [W] sont propriétaires indivis de la parcelle T n° [Cadastre 1] située lieudit [Adresse 3], la cour d'appel a statué ultra petita. | Le non-respect de règles d'urbanisme applicables à des travaux de construction ne fait pas obstacle, en l'absence d'actes de possession illicites pour être contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs, à ce que le possesseur du terrain d'assiette en acquiert la propriété par prescription |
8,089 | CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 650 FS-B
Pourvoi n° Z 21-21.933
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
L'établissement [Localité 5] Métropole, établissement public, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° Z 21-21.933 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel de [Localité 5] (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Etablissements A Gré et Cie, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'établissement [Localité 5] Métropole, établissement public, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Etablissements A Gré et Cie, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ([Localité 5], 15 juin 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 23 septembre 2020, pourvoi n° 19-18.031) et les productions, les 27 et 29 novembre 2012, la communauté urbaine de [Localité 5] (la CUB) a, pour la construction de l'extension de la ligne C du tramway, acquis de la société Etablissements A. Gré et Cie (le vendeur) un terrain de 1997 m², composé des parcelles cadastrées AZ [Cadastre 2], AZ [Cadastre 3] et AZ [Cadastre 4], sur lequel se trouvaient d'anciennes constructions.
2. Ayant découvert dans le sol différents métaux et produits chimiques en quantités anormales, révélateurs d'une pollution d'origine industrielle et devant être traités en tant que déchets dangereux, elle a obtenu la désignation en référé d'un expert qui a déposé son rapport le 23 novembre 2013.
3. L'établissement public [Localité 5] métropole (l'acquéreur), venant aux droits de la CUB, a saisi le tribunal d'une action en indemnisation contre le vendeur, sur le fondement des articles L. 125-7 et L. 514-20 du code de l'environnement et des articles 1116, 1603 et 1641 du code civil.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement fondées sur le dol du vendeur, alors :
« 1°/ que le dol est caractérisé par des déclarations mensongères sans lesquelles l'autre partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes ; qu'en écartant le dol, au cas d'espèce, quand il résultait de ses constatations que les déclarations de la société établissements A. Gré et cie dans la clause de pollution insérée au contrat de vente étaient mensongères, le vendeur n'ignorant ni l'exploitation passée ou la proximité d'une installation soumise à autorisation, ni l'exercice sur les lieux vendus ou les lieux voisins d'activités entrainant des dangers ou inconvénients pour la santé de l'environnement, ni, à compter de la destruction de la maison de gardien, le dépôt ou l'enfouissement de substances pouvant entraîner des dangers ou inconvénients pour la santé de l'environnement, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;
2°/ que dès lors qu'étaient invoquées les déclarations mensongères du vendeur portant sur la pollution des terrains vendus et des terrains situés à proximité, et non une réticence dolosive, la circonstance que l'acquéreur aurait pu ou dû avoir connaissance de la pollution du terrain vendu était impropre à exclure le dol ; que dès lors, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;
3°/ qu'en retenant, pour exclure le dol, que la société Etablissements A. Gré et cie n'avait pas connaissance de la pollution du terrain vendu au jour de la vente, quand il résultait de ses constatations que la destruction de la maison de gardien, antérieure à la conclusion de la vente, a révélé que des produits avaient été enfouis sur les terrains vendus et que la gérante de la société Etablissements A. Gré et cie a constaté cette pollution, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;
4°/ qu'en se fondant sur les circonstances, impropres à exclure la connaissance par le vendeur de la pollution du site au jour de la vente, que celui-ci a consenti à la destruction de la maison de gardien et que, postérieurement à la vente, il a transmis à l'expert les photographies des opérations de destruction révélant la pollution, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;
5°/ qu'en se fondant, pour écarter le dol, sur la circonstance impropre que l'établissement public [Localité 5] Métropole aurait eu connaissance, au jour de la vente, de ce qu'un site voisin était pollué, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil ;
6°/ que, dans les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie , les salariés de cette société ont témoigné de ce qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;
7°/ qu'en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'elles l'en ont nécessairement informée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
8°/ qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à établir que l'établissement public [Localité 5] Métropole a effectivement eu connaissance de la pollution avant la vente, que des entreprises mandatées par elle ont constaté la pollution des sols en octobre 2012 et qu'elles l'auraient nécessairement informé, la cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Ayant, par motifs propres et adoptés, relevé que, dès le mois d'octobre 2012, l'acquéreur avait mené, parallèlement à la démolition, des travaux préparatoires des voies et réseaux divers et que les salariés des entreprises chargées de ceux-ci portaient des masques pour se protéger des émanations de soufre lors du creusement des tranchées qui faisaient apparaître une terre bleutée, la cour d'appel a retenu, sans dénaturation des attestations, par une appréciation souveraine des faits de la cause et des éléments de preuve produits, que l'acquéreur avait été informé de la nature et de l'ampleur de la pollution des sols avant la vente.
7. Ayant constaté que, malgré cette information, l'acquéreur avait confirmé son souhait de devenir propriétaire des parcelles par la signature, les 27 et 29 novembre 2012, de l'acte notarié sans réclamer une diminution du prix, elle en a exactement déduit, abstraction faite de motifs surabondants relatifs aux déclarations du vendeur, à sa connaissance de la pollution et à la connaissance, par l'acquéreur, de la pollution d'un site voisin, que le dol n'était pas établi.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, pris en ses première et troisième à sixième branches
Enoncé du moyen
9. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement fondées sur la garantie des vices cachés, alors :
« 1°/ que constitue un vice caché donnant lieu à garantie de la part du vendeur le défaut inhérent à la chose vendue rendant celle-ci impropre à l'usage auquel on la destine ; qu'en écartant toute garantie, sur la base de la connaissance que l'acquéreur aurait eu de la pollution du terrain vendu au jour de la vente, au motif impropre celui-ci aurait eu connaissance de la pollution d'un site voisin, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil ;
3°/ que, dans les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie, les salariés de cette société ont témoigné qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie, en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;
4°/ qu'en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'ils en ont nécessairement informé leur mandant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à exclure la volonté de la société Etablissements A. Gré et cie de dissimuler le vice caché, notamment dans la période postérieure à la destruction de la maison, que cette société n'aurait pas consenti à cette destruction si elle avait souhaité dissimuler la pollution, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil ;
6°/ qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à exclure la volonté de la société Etablissements A. Gré et cie de dissimuler le vice caché, notamment dans la période postérieure à la destruction de la maison, que cette société n'aurait pas consenti à cette destruction si elle avait souhaité dissimuler la pollution, la cour d'appel a violé l'article 1641 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé que, dès le mois d'octobre 2012, l'acquéreur avait mené, parallèlement à la démolition, des travaux préparatoires des voies et réseaux divers et que les salariés des entreprises chargées de ceux-ci portaient des masques pour se protéger des émanations de soufre lors du creusement des tranchées qui faisaient apparaître une terre bleutée.
11. Elle a retenu, sans dénaturer les attestations versées aux débats, par une appréciation souveraine des faits de la cause et des éléments de preuve produits, que l'acquéreur avait été informé, dès octobre 2012, par les entreprises qu'il avait chargées des travaux de voirie et réseaux divers, de la nature et de l'ampleur de la pollution des sols.
12. Elle a exactement déduit de ces seuls motifs que l'acquéreur n'était pas fondé à invoquer la garantie du vendeur au titre du vice de pollution qui lui était connu avant la vente.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
14. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement fondées sur le manquement à l'obligation de délivrance conforme, alors :
« 1°/ que le vendeur est tenu de fournir à l'acquéreur une marchandise conforme à ce que la convention a spécifié ; qu'en se fondant, pour dire que l'établissement public [Localité 5] Métropole a eu connaissance de la pollution du terrain vendu avant la vente, sur la circonstance impropre qu'il aurait eu connaissance de ce qu'un site voisin était pollué, la cour d'appel a violé l'article 1604 du code civil ;
2°/ que, dans les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie, les salariés de cette société ont témoigné qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société Etablissements A. Gré et cie, en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;
3°/ qu'en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] Métropole pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'ils en ont nécessairement informé leur mandant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à établir que l'établissement public [Localité 5] Métropole a effectivement eu connaissance de la pollution avant la vente, que des entreprises mandatées par elle ont constaté la pollution des sols et qu'elles l'auraient nécessairement informée, la cour d'appel a violé l'article 1604 du code civil. »
Réponse de la Cour
15. La cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a relevé que, dès le mois d'octobre 2012, l'acquéreur avait mené, parallèlement à la démolition, des travaux préparatoires des voies et réseaux divers et que les salariés des entreprises qu'il avait chargées de ces travaux portaient des masques pour se protéger des émanations de soufre lors du creusement des tranchées qui faisaient apparaître une terre bleutée.
16. Elle a retenu, sans dénaturer les attestations versées aux débats, par une appréciation souveraine des faits de la cause et des éléments de preuve produits, que l'acquéreur avait été informé, dès octobre 2012, par les entreprises qu'il avait chargées des travaux de voirie et réseaux divers, de la nature et de l'ampleur de la pollution des sols.
17. Elle a exactement déduit de ces seuls motifs que la signature par l'acquéreur, sans réserves, du contrat de vente intervenue les 27 et 29 novembre 2012, en connaissance de l'origine industrielle de la pollution et de sa localisation, lui interdisait de se prévaloir du défaut de conformité invoqué.
18. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
19. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes fondées sur l'article L. 514-20 du code de l'environnement, alors « que, lorsqu'une installation classées soumise à autorisation ou enregistrement a été exploitée sur tout ou partie d'un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; que tout terrain issu de la division d'une installation ou inclus fonctionnellement dans son périmètre entre dans le domaine de l'article L.514-20 du code de l'environnement , si même il n'a pas été directement le siège de l'activité ayant donné lieu à l'exigence d'autorisation ; qu'en retenant, pour écarter l'obligation d'information de la société Etablissements A Gré et cie, qu'il n'est pas démontré qu'une activité classée a été exercée sur les parcelles cédées, la cour d'appel a violé l'article L. 514-20 du code de l'environnement. » Réponse de la Cour
Vu l'article L. 514-20 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable en la cause :
20. Aux termes du premier alinéa de ce texte, lorsqu'une installation soumise à autorisation a été exploitée sur un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; il l'informe également, pour autant qu'il les connaisse, des dangers ou inconvénients importants qui résultent de l'exploitation.
21. Aux termes du troisième alinéa, à défaut, l'acheteur a le choix de poursuivre la résolution de la vente ou de se faire restituer une partie du prix ; il peut aussi demander la remise en état du site aux frais du vendeur, lorsque le coût de cette remise en état ne paraît pas disproportionné par rapport au prix de vente.
22. Pour écarter l'application de l'article L. 514-20 précité, la cour d'appel retient qu'il n'est pas démontré qu'une activité classée ait été exercée sur les parcelles cédées à l'acquéreur qui abritent depuis 1926 une maison à usage de logement.
23. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la parcelle constituait l'entrée de l'usine exploitée de 1893 à 1961 pour une activité de traitement des déchets d'usines à gaz de manière à en extraire le soufre noir et que l'habitation était une maison de gardien, ce dont il résultait que le terrain vendu était inclus dans le périmètre de l'installation classée soumise à autorisation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de l'établissement public [Localité 5] métropole fondées sur l'article L. 514-20 du code de l'environnement, l'arrêt rendu le 15 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de [Localité 5] ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de [Localité 5], autrement composée ;
Condamne les établissements A. Gré et Cie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, signé par Mme Teiller, président et par Mme Besse, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour l'établissement [Localité 5] Métropole, établissement public
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE, encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté les demandes en paiement formées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE, venant aux droits de la COMMUNAUTE URBAINE de [Localité 5], à l'encontre de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, le dol est caractérisé par des déclarations mensongères sans lesquelles l'autre partie n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes ; qu'en écartant le dol, au cas d'espèce, quand il résultait de ses constatations que les déclarations de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE dans la clause de pollution insérée au contrat de vente étaient mensongères, le vendeur n'ignorant ni l'exploitation passée ou la proximité d'une installation soumise à autorisation, ni l'exercice sur les lieux vendus ou les lieux voisins d'activités entrainant des dangers ou inconvénients pour la santé de l'environnement, ni, à compter de la destruction de la maison de gardien, le dépôt ou l'enfouissement de substances pouvant entraîner des dangers ou inconvénients pour la santé de l'environnement, la Cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du Code civil ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, dès lors qu'étaient invoquées les déclarations mensongères du vendeur portant sur la pollution des terrains vendus et des terrains situés à proximité, et non une réticence dolosive, la circonstance que l'acquéreur aurait pu ou dû avoir connaissance de la pollution du terrain vendu était impropre à exclure le dol ; que dès lors, la Cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du Code civil ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, en retenant, pour exclure le dol, que la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE n'avait pas connaissance de la pollution du terrain vendu au jour de la vente, quand il résultait de ses constatations que la destruction de la maison de gardien, antérieure à la conclusion de la vente, a révélé que des produits avaient été enfouis sur les terrains vendus et que la gérante de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE a constaté cette pollution, la Cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du Code civil ;
ALORS QUE, QUATRIEMEMENT, en se fondant sur les circonstances, impropres à exclure la connaissance par le vendeur de la pollution du site au jour de la vente, que celui-ci a consenti à la destruction de la maison de gardien et que, postérieurement à la vente, il a transmis à l'expert les photographies des opérations de destruction révélant la pollution, la Cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du Code civil ;
ALORS QUE, CINQUIEMEMENT, en se fondant, pour écarter le dol, sur la circonstance impropre que l'établissement public [Localité 5] METROPOLE aurait eu connaissance, au jour de la vente, de ce qu'un site voisin était pollué, la Cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du Code civil ;
ALORS QUE, SIXIEMEMENT, dans les attestations produites, pièce 17, par la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE, les salariés de cette société ont témoigné de ce qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la Cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE, pièce n° 17 en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;
ALORS QUE, SEPTIEMEMENT, en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'elles l'en ont nécessairement informée, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
ET ALORS QUE, HUITIEMEMENT, en se fondant sur la circonstance, impropre à établir que l'établissement public [Localité 5] METROPOLE a effectivement eu connaissance de la pollution avant la vente, que des entreprises mandatées par elle ont constaté la pollution des sols en octobre 2012 et qu'elles l'auraient nécessairement informé, la Cour d'appel a violé l'article 1116, devenu l'article 1137 du Code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE, encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté les demandes en paiement formées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE, venant aux droits de la COMMUNAUTE URBAINE de [Localité 5], à l'encontre de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, lorsqu'une installation soumise à autorisation ou à enregistrement a été exploitée sur tout ou partie un terrain, le vendeur de ce terrain est tenu d'en informer par écrit l'acheteur ; que tout terrain issu de la division d'une installation ou inclu fonctionnellement dans son périmètre entre dans le domaine de l'article L. 514-20 du Code de l'environnement, si même il n'a pas été directement le siège de l'activité ayant donné lieu à l'exigence d'autorisation ; qu'en retenant, pour écarter l'obligation d'information de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE, qu'il n'est pas démontré qu'une activité classée ait été exercée sur les parcelles cédées, la Cour d'appel a violé l'article L. 514-20 du Code de l'environnement ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, et en tout cas, en écartant l'obligation d'information de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE quand il résulte de ses constatations que l'une des parcelles vendues faisait partie de l'usine classée pour en constituer l'entrée – accès et maison de gardien –, la Cour d'appel a violé l'article L. 514-20 du Code de l'environnement ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, et à tout le moins, en s'abstenant de rechercher si, eu égard à sa proximité de l'usine et à son usage, la parcelle en constituant la voie d'accès et sur laquelle se situait la maison de gardien n'entrait pas dans le périmètre de l'obligation d'autorisation, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 514-20 et L. 514-32 du Code de l'environnement.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE, encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté les demandes en paiement formées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE, venant aux droits de la COMMUNAUTE URBAINE de [Localité 5], à l'encontre de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, constitue un vice caché donnant lieu à garantie de la part du vendeur le défaut inhérent à la chose vendue rendant celle-ci impropre à l'usage auquel on la destine ; qu'en écartant toute garantie, sur la base de la connaissance que l'acquéreur aurait eu de la pollution du terrain vendu au jour de la vente, au motif impropre celui-ci aurait eu connaissance de la pollution d'un site voisin, la Cour d'appel a violé l'article 1641 du Code civil ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, en retenant, pour dire que l'acquéreur aurait eu connaissance de la pollution du terrain vendu, que la démolition de la maison de gardien a été effectuée par les entreprises chargées par lui des travaux de voirie et réseaux, quand il résulte de ses constatations que la démolition a été effectuée par la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE, la Cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, dans les attestations produites, pièce 17, par la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE, les salariés de cette société ont témoigné qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la Cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE, pièce n° 17 en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;
ALORS QUE, QUATRIEMEMENT, en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'ils en ont nécessairement informé leur mandant, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, CINQUIEMEMENT, en se fondant sur la circonstance, impropre à établir que l'établissement public [Localité 5] METROPOLE a effectivement eu connaissance de la pollution avant la vente, que des entreprises mandatées par elle ont constaté la pollution des sols en octobre 2012 et qu'elles l'auraient nécessairement informée, la Cour d'appel a violé l'article 1641 du Code civil ;
ET ALORS QUE, SIXIEMEMENT, qu'en se fondant sur la circonstance, impropre à exclure la volonté de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE de dissimuler le vice caché, notamment dans la période postérieure à la destruction de la maison, que cette société n'aurait pas consenti à cette destruction si elle avait souhaité dissimuler la pollution, la Cour d'appel a violé l'article 1641 du Code civil. QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE, encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté les demandes en paiement formées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE, venant aux droits de la COMMUNAUTE URBAINE DE [Localité 5], à l'encontre de la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, le vendeur est tenu de fournir à l'acquéreur une marchandise conforme à ce que la convention a spécifié ; qu'en se fondant, dire que l'établissement public [Localité 5] METROPOLE a eu connaissance de la pollution du terrain vendu avant la vente, sur la circonstance impropre qu'il aurait eu connaissance de ce qu'un site voisin était pollué, la Cour d'appel a violé l'article 1604 du Code civil ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, dans les attestations produites, pièce 17, par la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE, les salariés de cette société ont témoigné qu'en octobre 2012, du soufre a été découvert sur les terrains vendus et que les hommes travaillant sur le site portaient des masques ; qu'en retenant que les hommes portant des masques étaient les salariés des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux, la Cour d'appel a dénaturé les attestations produites par la société ETABLISSEMENTS A. GRE & CIE, pièce n° 17 en méconnaissance de l'interdiction faite aux juges de dénaturer les écrits produits par les parties ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, en s'abstenant d'indiquer sur quels éléments elle se fondait pour dire qu'au mois d'octobre 2012, des entreprises mandatées par l'établissement public [Localité 5] METROPOLE pour procéder à des travaux préparatoires de voiries et réseaux ont constaté la pollution des sols et qu'ils en ont nécessairement informé leur mandant, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;
ET ALORS QUE, QUATRIEMEMENT, en se fondant sur la circonstance, impropre à établir que l'établissement public [Localité 5] METROPOLE a effectivement eu connaissance de la pollution avant la vente, que des entreprises mandatées par elle ont constaté la pollution des sols et qu'elles l'auraient nécessairement informée, la Cour d'appel a violé l'article 1604 du Code civil. | L'obligation d'information pesant sur le vendeur en application de l'article L. 514-20 du code de l'environnement ne peut être écartée au motif qu'il n'est pas démontré qu'une activité classée a été exercée sur la parcelle cédée, alors qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que le terrain vendu, qui constituait l'entrée de l'usine et abritait la maison du gardien, était inclus dans le périmètre de l'installation classée soumise à autorisation |
8,090 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 651 FS-B
Pourvoi n° B 21-10.895
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
M. [V] [N], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 21-10.895 contre l'arrêt rendu le 16 novembre 2020 par la cour d'appel de Colmar (3e chambre civile, section A), dans le litige l'opposant à l'Office national des forêts (ONF), dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [N], de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de l'Office national des forêts, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, MM. Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 16 novembre 2020), par un arrêté du 16 février 2004, le directeur général de l'Office national des forêts (l'ONF) a affecté M. [N] au poste de chef de triage au sein de la direction territoriale d'Alsace, en lui attribuant la maison forestière de [Localité 3] à titre de logement de fonction.
2. Par un arrêté du 22 avril 2014, le directeur général de l'ONF a infligé à M. [N] la sanction de la mise à la retraite d'office et l'a radié des cadres de la fonction publique à compter du 1er mai 2014.
3. Par une ordonnance du 16 novembre 2015, le juge des référés du tribunal d'instance de Saverne a ordonné l'expulsion de M. [N] de son logement de fonction.
4. La juridiction administrative ayant annulé l'arrêté du 22 avril 2014 et ordonné la réintégration de M. [N] avec reconstitution de sa carrière, par un arrêté du 24 mars 2016, le directeur général de l'ONF a réintégré M. [N] au sein de la même unité territoriale que celle dans laquelle il était précédemment employé et sur un emploi correspondant à son grade. Par un arrêté du même jour, il l'a suspendu de ses fonctions.
5. Par un arrêté du 20 mai 2016, le directeur général de l'ONF a prononcé sa mise à la retraite d'office et sa radiation des cadres à compter du 1er juin 2016.
6. Le 3 octobre 2018, M. [N] a été expulsé de la maison forestière de [Localité 3].
7. L'ONF l'ayant assigné pour obtenir, sur le fondement de l'article R. 2124-74, alinéa 2, du code général de la propriété des personnes publiques, sa condamnation au paiement d'une redevance d'occupation, M. [N] a soulevé l'incompétence de la juridiction judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen Enoncé du moyen
8. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence de la juridiction judiciaire, alors « que, aux termes de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ; que, selon l'article L. 2111-1 du même code, sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, tel qu'un établissement public, est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public, pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ; qu'en l'absence de dispositions législatives spéciales, ne fait pas partie du domaine privé de l'Office national des forêts la maison forestière lui appartenant et servant de logement de fonction pour utilité de service à l'un de ses agents ; qu'en s'abstenant de constater qu'en vertu des arrêtés du directeur général de l'ONF des 16 février 2004 et 24 mars 2016, M. [N] était titulaire d'une autorisation l'habilitant à occuper pour utilité de service la maison forestière de [Localité 3] appartenant au domaine public de l'ONF et d'en déduire que le contentieux relatif au paiement d'une redevance d'occupation de ce bien relevait de la seule compétence du juge administratif, la cour d'appel a violé les articles L. 2212-1 et L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de la séparation des pouvoirs. »
Réponse de la Cour
9. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public.
10. Selon l'article L. 2211-1 du même code, font partie du domaine privé les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1, qui ne relèvent pas du domaine public par application des dispositions du titre Ier du livre Ier.
11. Avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du code général de la propriété des personnes publiques, l'appartenance d'un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition qu'il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné.
12. Ayant, d'une part, relevé que l'arrêté du 16 février 2004 mentionnait que le poste attribué à M. [N] était logé à la maison forestière de [Localité 3], laquelle était dès lors directement et indivisiblement rattachée à l'exploitation des bois et forêts dont la gestion était assurée par l'ONF, qui relevaient du domaine privé de l'Etat, et que, si M. [N] soutenait que l'ONF avait fait aménager dans la maison une pièce servant de bureau administratif nécessaire à l'exécution des missions de service public, il ne produisait aucune pièce démontrant l'existence d'un tel aménagement, et d'autre part, constaté qu'il résultait de l'arrêté du 16 février 2004 que le droit d'occupation de la maison forestière de [Localité 3] avait été concédé à M. [N] à titre précaire et révocable, la cour d'appel, devant laquelle M. [N] n'a pas soutenu que cette maison lui avait été concédée par une convention comportant des clauses exorbitantes du droit commun, en a exactement déduit qu'elle n'appartenait pas au domaine public et que la juridiction judiciaire était compétente pour statuer sur le litige, relatif à la gestion du domaine privé de l'Etat, tendant au paiement d'une redevance pour l'occupation sans droit ni titre de ce logement.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
14. M. [N] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à l'ONF une redevance d'occupation pour la période du 22 décembre 2015 au 2 octobre 2018, alors :
« 1°/ que l'annulation d'une décision d'éviction illégale d'un agent public, que ce soit pour un moyen de légalité interne ou externe, implique nécessairement, au titre de la reconstitution de sa carrière, celle des droits sociaux, et notamment de son droit de jouissance du logement attaché à ses fonctions ; qu'en déclarant que M. [N] occupait sans droit ni titre la maison forestière depuis le 22 décembre 2015, quand, par jugement définitif en date du 25 février 2016, le tribunal administratif de Strasbourg avait annulé l'arrêté du directeur du 22 avril 2014 portant mise à la retraite d'office et radiation des cadres de M. [N] à compter du 1er mai 2014 et fait injonction au directeur de l'ONF de procéder à la réintégration de l'agent et à la reconstitution administrative de sa carrière, lesquelles impliquaient la mise à disposition de la maison forestière associée à ses fonctions, la cour d'appel a violé l'article 544 du code civil ;
2°/ que M. [N] faisait valoir que sa réintégration ordonnée par arrêté du 24 mars 2016 sur un poste d'agent patrimonial à [Localité 3] au sein des services fonctionnels de l'agence Nord Alsace de l'ONF impliquait que lui soit concédée la maison forestière de [Localité 3], sans que pût lui être opposé l'arrêté du même jour portant suspension temporaire de ses fonctions ; qu'en délaissant ces écritures, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Ayant relevé que la réintégration de M. [N] s'était effectuée au sein de la même unité territoriale que celle dans laquelle il était précédemment employé et sur un emploi correspondant à son grade, mais sans qu'il retrouvât le poste qui lui ouvrait spécifiquement droit à bénéficier de la jouissance de la maison forestière de [Localité 3] à titre de logement de fonction, la cour d'appel, qui a ainsi répondu, en les écartant, aux conclusions prétendument délaissées, en a déduit, à bon droit, que la demande de l'ONF tendant au paiement d'une redevance d'occupation en application de l'article R. 2124-74 du code général de la propriété des personnes publiques devait être accueillie.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, signé par Mme Teiller, président et par Mme Besse, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [N]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'agent d'un établissement public à caractère industriel et commercial (M. [N], l'exposant) reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence de la juridiction judiciaire ;
ALORS QUE, aux termes de l'article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, sont portés devant la juridiction administrative les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou leur dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires ; que, selon l'article L. 2111-1 du même code, sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, tel qu'un établissement public, est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public, pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ; qu'en l'absence de dispositions législatives spéciales, ne fait pas partie du domaine privé de l'Office National des Forêts la maison forestière lui appartenant et servant de logement de fonction pour utilité de service à l'un de ses agents ; qu'en s'abstenant de constater qu'en vertu des arrêtés du directeur général de l'ONF des 16 février 2004 et 24 mars 2016, M. [N] était titulaire d'une autorisation l'habilitant à occuper pour utilité de service la maison forestière de [Localité 3] appartenant au domaine public de l'ONF et d'en déduire que le contentieux relatif au paiement d'une redevance d'occupation de ce bien relevait de la seule compétence du juge administratif, la cour d'appel a violé les articles L. 2212-1 et L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de la séparation des pouvoirs.
SECOND MOYEN DE CASSATION
L'agent d'un établissement public à caractère industriel et commercial (M. [N], l'exposant) reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir condamné à verser à cet établissement (l'Office National des Forêts) une redevance d'occupation pour la période du 22 décembre 2015 au 2 octobre 2018 ;
ALORS QUE, d'une part, l'annulation d'une décision d'éviction illégale d'un agent public, que ce soit pour un moyen de légalité interne ou externe, implique nécessairement, au titre de la reconstitution de sa carrière, celle des droits sociaux, et notamment de son droit de jouissance du logement attaché à ses fonctions ; qu'en déclarant que M. [N] occupait sans droit ni titre la maison forestière depuis le 22 décembre 2015, quand, par jugement définitif en date du 25 février 2016, le tribunal administratif de Strasbourg avait annulé l'arrêté du directeur du 22 avril 2014 portant mise à la retraite d'office et radiation des cadres de M. [N] à compter du 1er mai 2014 et fait injonction au directeur de l'ONF de procéder à la réintégration de l'agent et à la reconstitution administrative de sa carrière, lesquelles impliquaient la mise à disposition de la maison forestière associée à ses fonctions, la cour d'appel a violé l'article 544 du code civil ;
ALORS QUE, d'autre part, l'exposant faisait valoir (v. ses conclusions d'appel, p. 8, alinéas 7 et 8) que sa réintégration ordonnée par arrêté du 24 mars 2016 sur un poste d'agent patrimonial à [Localité 3] au sein des services fonctionnels de l'agence Nord Alsace de l'ONF impliquait que lui soit concédée la maison forestière de [Localité 3], sans que pût lui être opposé l'arrêté du même jour portant suspension temporaire de ses fonctions ; qu'en délaissant ces écritures, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif en méconnaissance des exigences de l'article 455 du code de procédure civile. | Une cour d'appel, qui relève que la maison forestière concédée à titre précaire et révocable à un agent de l'Office national des forêts (ONF) est directement et indivisiblement rattachée à l'exploitation des bois et forêts dont la gestion est assurée par l'Office, lesquels relèvent du domaine privé de l'Etat, et que l'existence d'un aménagement spécial nécessaire à l'exécution des missions de service public n'est pas démontrée, en déduit exactement, en l'absence d'invocation par l'occupant de l'existence de clauses exorbitantes de droit commun dans la convention de concession, que ce logement n'appartient pas au domaine public et que la juridiction judiciaire est compétente pour statuer sur le litige, relatif à la gestion du domaine privé de l'Etat, tendant au paiement d'une redevance pour son occupation sans droit ni titre |
8,091 | CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 652 FS-B
Pourvoi n° U 21-20.433
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
La société BN Solaire, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 21-20.433 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2021 par la cour d'appel de Pau (1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], assureur de la société TCE Solar en liquidation,
2°/ à la société Santerne Méditérranée, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société SMA, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la soiété Sagena assureur de la société Santerne Méditerranée,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de la société BN Solaire, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Axa France IARD, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 23 mars 2021, rectifié le 19 octobre 2021), la société BN solaire a confié à la société TCE Solar, désormais en liquidation judiciaire, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), l'installation, en toiture d'un bâtiment dont la couverture existante avait été préalablement déposée, d'une unité de production d'énergie solaire comportant des panneaux photovoltaïques fabriqués par la société Scheuten Holding, assurée auprès de la société AIG Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société AIG Europe, équipés de boîtiers de connexion, fournis par une entreprise assurée auprès de la société Allianz Benelux NV (la société Allianz) et certifiés par la société Tüv Rheinland LGA Products GMBH (la société Tüv Rheinland), assurée auprès de la société HDI Global SE.
2. La société TCE Solar a sous-traité à la société Santerne Méditerranée, assurée auprès de la société Sagena, aux droits de laquelle vient la société SMA, le câblage de l'installation.
3. La réception des travaux est intervenue le 19 janvier 2011.
4. Divers incidents de production étant survenus avant la mise en arrêt total de l'installation, le 27 janvier 2012, provoqués par un défaut sériel affectant les boîtiers de connexion, la société BN solaire a, après expertise, assigné la société TCE Solar, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et la société Axa en réparation.
5. La société Axa a assigné en garantie les sociétés Santerne Méditerranée, Sagena, la société Allianz France IARD, recherchée en sa qualité d'assureur de l'entreprise ayant fourni les boîtiers, et AIG Europe Limited, laquelle a appelé en garantie les sociétés Allianz,Tüv Rheinland et HDI Global SE.
6. Les assignations ont été jointes.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. La société BN solaire fait grief à l'arrêt de dire que, par application de l'article 1792-7 du code civil, le dommage n'engage pas la responsabilité civile de la société TCE Solar sur le fondement des garanties légales des articles 1792 et 1792-3 du code civil et de rejeter, en conséquence, ses demandes à l'encontre de la société Axa, assureur décennal de l'entreprise, alors « qu'une installation photovoltaïque intégrée en toiture d'un immeuble constituant, dans son ensemble, un ouvrage de construction ayant pour fonction le clos et le couvert ainsi que la production d'électricité, la cour d'appel, en faisant application de l'article 1792-7 du code civil qui exclut de la garantie décennale les éléments d'équipement d'un ouvrage dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage, a violé ce texte par fausse application et l'article 1792 du même code par refus d'application. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1792 et 1792-7 du code civil :
8. Aux termes du premier de ces textes, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
9. Selon le second, ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage.
10. Pour faire application de l'article 1792-7 du code civil à l'installation de production électrique formant la toiture d'un bâtiment et rejeter, en conséquence, les demandes à l'encontre de l'assureur décennal du locateur d'ouvrage, l'arrêt retient que, si la mise en place d'une nouvelle couverture de l'immeuble composée de modules photovoltaïques fixés sur des bacs-aciers supportés par les pannes de la charpente participe de la réalisation de l'ouvrage global, dès lors que la nouvelle couverture supporte l'unité de production, les modules photovoltaïques constituent un élément d'équipement dont le vice n'a affecté que la production industrielle d'énergie, sans porter atteinte à la solidité et à la destination de l'ouvrage immobilier.
11. En statuant ainsi, après avoir constaté que les panneaux photovoltaïques participaient de la réalisation de l'ouvrage de couverture dans son ensemble, en assurant une fonction de clos, de couvert et d'étanchéité du bâtiment, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
12. La société BN solaire fait le même grief à l'arrêt, alors « que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, dissociables ou non, le rendent impropre à sa destination ; que, pour dire n'y avoir lieu d'engager la responsabilité décennale de la société TCE Solar, la cour d'appel a retenu que la combustion interne des boîtiers de connexion des modules photovoltaïques n'avait été suivie d'aucun début d'incendie portant atteinte à la couverture de l'ouvrage, mais que la réalisation d'un tel risque avait existé ; qu'en statuant ainsi, cependant que constitue un dommage couvert par la garantie décennale non seulement l'incendie mais également le risque d'incendie dans le délai décennal, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1792 et 1792-2 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1792 du code civil :
13. Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
14. Pour rejeter les demandes formées sur le fondement de la garantie décennale, l'arrêt retient que la couverture remplit son office sans qu'il y ait la moindre atteinte à sa destination, dès lors que la combustion interne des boîtiers de connexion des panneaux photovoltaïques n'avait en l'espèce été suivie d'aucun début d'incendie portant atteinte à la toiture, même si la réalisation d'un tel risque a pu exister.
15. En statuant ainsi, alors qu'en lui-même le risque avéré d'incendie de la couverture d'un bâtiment le rend impropre à sa destination, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt selon lesquelles les dommages litigieux n'engagent pas la responsabilité de TCE Solar sur le fondement des garanties légales des articles 1792 et 1792-3 du code civil, et qui rejettent les demandes de la société BN solaire à l'encontre de la société Axa, entraînent la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen, pris en sa deuxième branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare les écritures recevables, met hors de cause la société AIG Europe, prise en la personne de ses succursales française et néerlandaise, et la société Allianz France IARD, déclare l'arrêt commun à la société SMA, assureur de la société Santerne Méditerranée, confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de nullité de l'assignation introductive d'instance et le rapport d'expertise, et déclare irrecevables les demandes formées contre la société TCE Solar, l'arrêt rendu le 23 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société Axa France IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axa France IARD et la condamne à payer à la société BN Solar la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, signé par Mme Teiller, président et par Mme Besse, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour la société BN Solaire
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que par application de l'article 1792-7 du code civil, le dommage n'engage pas la responsabilité civile de la société TCE Solar sur le fondement des garanties légales des articles 1792 et 1792-3 du code civil et d'avoir débouté en conséquence la société BN Solaire de son action directe exercée à l'encontre de la société Axa France Iard pour obtenir garantie de son préjudice ;
1°) alors qu'une installation photovoltaïque intégrée en toiture d'un immeuble constituant, dans son ensemble, un ouvrage de construction ayant pour fonction le clos et le couvert ainsi que la production d'électricité, la cour d'appel, en faisant application de l'article 1792-7 du code civil qui exclut de la garantie décennale les éléments d'équipement d'un ouvrage dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage, a violé ce texte par fausse application et l'article 1792 du même code par refus d'application ;
2°) alors, à titre subsidiaire, que les panneaux photovoltaïques intégrés en toiture d'un immeuble constituant des éléments d'équipement indissociables de celui-ci ayant pour fonction le clos et le couvert ainsi que la production d'électricité, la cour d'appel, en jugeant que ces modules constituaient des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage et en faisant application de l'article 1792-7 du code civil qui exclut de la garantie décennale les éléments d'équipement d'un ouvrage dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage, a violé ce texte par fausse application et les articles 1792 et 1792-2 du même code par refus d'application ;
3°) alors, en tout état de cause, que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, dissociables ou non, le rendent impropre à sa destination ; que, pour dire n'y avoir lieu d'engager la responsabilité décennale de la société TCE Solar, la cour d'appel a retenu que la combustion interne des boîtiers de connexion des modules photovoltaïques n'avait été suivie d'aucun début d'incendie portant atteinte à la couverture de l'ouvrage, mais que la réalisation d'un tel risque avait existé ; qu'en statuant ainsi, cependant que constitue un dommage couvert par la garantie décennale non seulement l'incendie mais également le risque d'incendie dans le délai décennal, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1792 et 1792-2 du code civil. | Aux termes de l'article 1792-7 du code civil, ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage.
Viole, dès lors, les articles 1792 et 1792-7 du code civil, une cour d'appel qui exclut la responsabilité décennale des constructeurs en faisant application de l'article 1792-7 à l'installation de production électrique formant la toiture d'un bâtiment au motif que les modules photovoltaïques constituent un élément d'équipement dont le vice n'a affecté que la production industrielle d'énergie, sans porter atteinte à la solidité et à la destination de l'ouvrage immobilier, alors qu'elle avait constaté que les panneaux photovoltaïques participaient de la réalisation de l'ouvrage de couverture dans son ensemble, en assurant une fonction de clos, de couvert et d'étanchéité du bâtiment |
8,092 | CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 654 FS-B
Pourvoi n° W 21-21.102
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
La société MO.PI.TY., société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 7], [Localité 1], a formé le pourvoi n° W 21-21.102 contre l'arrêt rendu le 17 mars 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant à la commune d'[Localité 2], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité en l'Hôtel de ville, [Adresse 9], [Localité 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de la société MO.PI.TY., de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la commune d'[Localité 2], après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, MM. Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 17 mars 2021), par un arrêté de péril du 14 juin 2019, pris sur le fondement des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code de la construction et de l'habitation, dans leur rédaction alors applicables, le maire d'[Localité 2] a prescrit à la société civile immobilière MO.PI.TY (la SCI) de procéder à la démolition d'un immeuble lui appartenant, qui menaçait ruine.
2. A défaut d'exécution dans le délai imparti, le maire a saisi le président du tribunal judiciaire, statuant en la forme des référés, pour être autorisé à procéder d'office à la démolition de l'immeuble.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La SCI fait grief à l'arrêt d'ordonner la démolition de l'immeuble, alors :
« 1°/ que le juge administratif est seul compétent pour apprécier le point de savoir si le recours gracieux adressé par le propriétaire d'un immeuble à l'encontre d'un arrêté de péril pris par l'administration a la nature d'un véritable « recours gracieux » préservant le délai de recours contentieux ; qu'en considérant en l'espèce que le recours gracieux, expressément libellé comme tel par la SCI dans son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2] et dirigé contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, n'avait pas la nature de recours gracieux, au motif « qu'une demande de suspension des effets d'un acte administratif ne constitue pas (
) un recours », ce qui en outre est inexact, la cour d'appel a empiété sur les compétences du juge administratif, par ailleurs saisi d'une requête dirigée contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, et a ainsi commis un excès de pouvoir en violation de la loi des 16-24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III ;
2°/ que le juge ne peut dénaturer le sens d'une pièce régulièrement versée aux débats par une partie ; que saisi d'une requête en ce sens par le propriétaire de l'immeuble visé par l'arrêté de péril qui lui est notifié, le juge administratif peut ordonner la suspension de cet acte pour une durée déterminée, d'où il suit que le recours préalable adressé à l'administration concernée en vue de la suspension de l'arrêté litigieux constitue nécessairement un recours gracieux ; qu'en l'espèce, la SCI versait aux débats son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2], expressément intitulé « recours gracieux », et tendant à la suspension de l'arrêté de péril du 14 juin 2019 ; qu'en considérant que le courrier de la SCI du 24 juillet 2019 n'était pas un recours gracieux, la cour d'appel a dénaturé le sens de cette pièce, en méconnaissance du principe susvisé ;
3°/ qu'un recours adressé à l'administration qui a pris la décision contestée constitue un recours gracieux et que toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai ; qu'en considérant que le recours gracieux, expressément libellé comme tel par la SCI dans son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2] et dirigé contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, n'avait pas la nature de recours gracieux, au motif « qu'une demande de suspension des effets d'un acte administratif ne constitue pas (
) un recours », ce qui là encore est inexact, la cour d'appel a violé les articles L. 410-1 et L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
4°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, la commune d'[Localité 2] ne contestait pas l'existence du recours formé par la SCI devant le tribunal administratif de Bordeaux à l'encontre de l'arrêté de péril du 14 juin 2019 et en admettait même à l'inverse l'existence ; qu'en retenant alors que l'exercice de ce recours devant le juge administratif n'était pas justifié par la SCI sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle a relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêté de péril étant exécutoire dès sa notification et le recours formé à son encontre devant la juridiction administrative n'ayant point d'effet suspensif, le juge judiciaire, saisi par le maire sur le fondement de l'article L. 511-2, V, du code de la construction et de l'habitation, peut ordonner la démolition, nonobstant l'existence d'un recours.
5. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile immobilière MO.PI.TY aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière MO.PI.TY et la condamne à payer à la commune d'[Localité 2] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux. Signé par Mme Teiller, président et par Mme Besse, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société MO.PI.TY.
La SCI MO.PI.TY reproche à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la démolition de l'immeuble lui appartenant, situé [Adresse 3], cadastré section [Cadastre 8], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6] à [Localité 2] ;
ALORS, EN PREMIER LIEU, QUE le juge administratif est seul compétent pour apprécier le point de savoir si le recours gracieux adressé par le propriétaire d'un immeuble à l'encontre d'un arrêté de péril pris par l'administration a la nature d'un véritable « recours gracieux » préservant le délai de recours contentieux ; qu'en considérant en l'espèce que le recours gracieux, expressément libellé comme tel par la SCI MO.PI.TY dans son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2] et dirigé contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, n'avait pas la nature de recours gracieux, au motif « qu'une demande de suspension des effets d'un acte administratif ne constitue pas (
) un recours » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 6), ce qui en outre est inexact, la cour d'appel a empiété sur les compétences du juge administratif, par ailleurs saisi d'une requête dirigée contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, et a ainsi commis un excès de pouvoir en violation de la loi des 16-24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III ;
ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QU' en tout état de cause, le juge ne peut dénaturer le sens d'une pièce régulièrement versée aux débats par une partie ; que saisi d'une requête en ce sens par le propriétaire de l'immeuble visé par l'arrêté de péril qui lui est notifié, le juge administratif peut ordonner la suspension de cet acte pour une durée déterminée, d'où il suit que le recours préalable adressé à l'administration concernée en vue de la suspension de l'arrêté litigieux constitue nécessairement un recours gracieux ; qu'en l'espèce, la SCI MO.PI.TY versait aux débats son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2], expressément intitulé « recours gracieux », et tendant à la suspension de l'arrêté de péril du 14 juin 2019 ; qu'en considérant que le courrier de la SCI MO.PI.TY du 24 juillet 2019 n'était pas un recours gracieux, la cour d'appel a dénaturé le sens de cette pièce, en méconnaissance du principe susvisé ;
ALORS, EN TROISIEME LIEU, QU' en outre, un recours adressé à l'administration qui a pris la décision contestée constitue un recours gracieux et que toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai ; qu'en considérant que le recours gracieux, expressément libellé comme tel par la SCI MO.PI.TY dans son courrier du 24 juillet 2019 adressé au maire d'[Localité 2] et dirigé contre l'arrêté de péril du 14 juin 2019, n'avait pas la nature de recours gracieux, au motif « qu'une demande de suspension des effets d'un acte administratif ne constitue pas (
) un recours » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 6), ce qui là encore est inexact, la cour d'appel a violé les articles L. 410-1 et L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
ET ALORS, EN DERNIER LIEU, QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, la commune d'[Localité 2] ne contestait pas l'existence du recours formé par la SCI MO.PI.TY devant le tribunal administratif de Bordeaux à l'encontre de l'arrêté de péril du 14 juin 2019 et en admettait même à l'inverse l'existence (cf. conclusions d'appel de la commune, p. 8, alinéa 13) ; qu'en retenant alors que l'exercice de ce recours devant le juge administratif n'était pas justifié par la SCI MO.PI.TY sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle a relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. | L'arrêté de péril étant exécutoire dès sa notification et le recours formé à son encontre devant la juridiction administrative n'ayant pas d'effet suspensif, le juge judiciaire, saisi par le maire sur le fondement de l'article L. 511-2, V, du code de la construction et de l'habitation, peut ordonner la démolition, nonobstant l'existence d'un recours |
8,093 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 511 F-B
Pourvoi n° C 20-18.965
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
La société Financial Holding, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 20-18.965 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2020 par la cour d'appel de Rouen (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Gama Invest, société à responsabilité limitée,
2°/ à la société ECT2S, société par actions simplifiée,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Financial Holding, de la SARL Cabinet Briard, avocat des sociétés Gama Invest et ECT2S, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 29 juin 2020), la société Financial Holding a, par un acte du 12 juin 2014, cédé à la société Gama Invest l'intégralité des actions qu'elle détenait dans le capital de la société ECT2S. Elle a, le même jour, consenti une garantie d'actif et de passif à la société Gama Invest.
2. Par plusieurs contrats de mission successifs, les deux derniers conclus après le 12 juin 2014, une entreprise de travail temporaire a mis un salarié, M. [J], à la disposition de la société ECT2S pour une période totale allant du 20 juillet 2009 au 29 août 2014.
3. Un conseil de prud'hommes a, par un jugement du 3 juin 2018, prononcé la requalification de l'ensemble des contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009 et a condamné la société ECT2S, contrôlée par la société Gama Invest, en sa qualité d'entreprise utilisatrice, à payer à M. [J] des sommes au titre de l'indemnité de requalification, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité de préavis et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
4. La société Financial Holding ayant refusé de mettre en oeuvre la garantie d'actif et de passif, les sociétés Gama Invest et ECT2S l'ont assignée en paiement des sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité de requalification, de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 348 euros au titre des congés-payés afférents, de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de 700 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure prud'homale, mises à la charge de la société ECT2S par le conseil de prud'hommes.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, en tant qu'elle fait grief à l'arrêt de condamner la société Financial Holding à verser des sommes au titre de l'indemnité de requalification et des frais irrépétibles de la procédure prud'homale
Enoncé du moyen
5. La société Financial Holding fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il l'avait condamnée à verser aux sociétés Gama Invest et ECT2S la somme de 1 740,50 euros à titre d'indemnité de requalification, à la suite de la requalification du contrat de M. [J], et celle de 700 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure prud'homale, alors « qu'en se bornant à retenir, pour la condamner à supporter l'indemnité de requalification des contrats d'intérim de M. [J] en contrat à durée indéterminée, ainsi que les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées au salarié, que son droit à requalification était né de la reconduction irrégulière de ses missions d'intérim antérieurement à la cession, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si les deux renouvellements de missions effectués par le cessionnaire postérieurement à la cession n'avaient pas directement contribué à ce passif, ce qui était de nature à exclure la garantie du cédant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103 du même code. »
Réponse de la Cour
6. Après avoir rappelé que, selon l'article 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, et relevé qu'il ressort du jugement du conseil de prud'hommes du 3 juin 2018 que la méconnaissance de ces dispositions par la société ECT2S a entraîné la requalification de l'ensemble de la relation contractuelle avec M. [J] en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009, date du premier contrat de mission irrégulier, l'arrêt retient que le droit à requalification est né avant la cession de l'entreprise accompagnée de la convention de garantie de passif litigieuse. Il retient encore que le passif supplémentaire invoqué est lié à la requalification du contrat et non à la décision de licenciement elle-même, étant observé que M. [J] aurait pu obtenir cette requalification en dehors de toute procédure de licenciement et avant même la cession.
7. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il se déduit que la condamnation de la société ECT2S au paiement d'une indemnité de requalification et aux frais irrépétibles de l'instance prud'homale, avait son origine dans la conclusion, le 20 juillet 2009, du premier contrat de mission irrégulier, et non dans celle de deux nouveaux contrats de mission postérieurement à la cession des titres, la cour d'appel a, à bon droit, condamné la société Financial Holding à rembourser aux sociétés Gama Invest et ECT2S, en vertu de la garantie de passif, le montant de l'indemnité de requalification et des frais irrépétibles.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le moyen, pris en sa seconde branche, en tant qu'elle fait grief à l'arrêt de condamner la société Financial Holding à verser des sommes au titre de l'indemnité de requalification et des frais irrépétibles de la procédure prud'homale
9. Le moyen, qui se borne à critiquer la condamnation de la société Financial Holding au paiement des indemnités dues au titre du licenciement du salarié, est inopérant en tant qu'il fait grief à l'arrêt de la condamner au paiement de la somme de 1 740,50 euros à titre d'indemnité de requalification et de celle de 700 euros au titre des frais irrépétibles de la procédure prud'homale.
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche, en tant qu'elle fait grief à l'arrêt de condamner la société Financial Holding à payer des sommes au titre de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité de préavis et des congés-payés afférents et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Enoncé du moyen
10. La société Financial Holding fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'avait condamnée à verser aux sociétés Gama Invest et ECT2S les sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 348 euros au titre des congés payés afférents, et de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à la suite de la requalification du contrat de M. [J], alors « que les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées à un salarié ont pour fait générateur la rupture de son contrat ; qu'en condamnant la société Financial Holding à supporter les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées à M. [J], bien qu'elle ait constaté que la rupture de la relation de travail, qui constituait le fait générateur de ces indemnités, était postérieure à la cession, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 16 février 2016 :
11. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
12. Pour condamner la société Financial Holding au paiement des sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, de 348 euros au titre des congés-payés afférents et de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir énoncé qu'en application de l'article L. 1251-5 du code du travail, un contrat de mission ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, relève que le conseil de prud'hommes a, au motif de la méconnaissance de ces dispositions, requalifié l'ensemble des contrats de mission conclus sur la période allant du 20 juillet 2009 au 29 août 2014 en un contrat à durée indéterminée à compter du 20 juillet 2009, date du premier contrat de mission irrégulièrement motivé par un accroissement temporaire d'activité. L'arrêt retient qu'il est établi que les missions irrégulières se sont succédé durant cinq ans et que la faute à l'origine de la condamnation de la société ECT2S était constituée dès la reconduction d'une succession de contrats de mission. L'arrêt en déduit que le passif supplémentaire est lié à la requalification des contrats de mission et que, le droit à requalification étant né avant la cession de l'entreprise accompagnée de la convention de garantie de passif litigieuse, c'est à tort que la société Financial Holding soutient que le passif de la société ECT2S aurait une origine imputable à des faits postérieurs à la cession du 12 juin 2014.
13. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la société ECT2S, alors sous le contrôle de la société Gama Invest, avait fait le choix de prolonger la relation de travail avec le salarié en concluant deux nouveaux contrats de mission, dont il lui appartenait de s'assurer de la régularité, puis de mettre fin à cette relation le 29 août 2014, ce dont il se déduisait que la condamnation de la société ECT2S au paiement de l'indemnité légale de licenciement, de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse avait pour fait générateur la cessation, assimilable à un licenciement, d'une relation de travail que cette société avait prolongée au-delà du terme du dernier contrat de mission conclu avant la cession des titres, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
16. Il résulte de ce qui précède que les sociétés ECT2S et Gama Invest sont mal fondées à réclamer, au titre de la garantie de passif, la prise en charge, par la société Financial Holding, des conséquences pécuniaires de la cessation de la relation de travail avec M. [J], assimilable à un licenciement, dès lors que cette cessation a eu lieu le 29 août 2014, postérieurement à la cession des titres.
17. Leur demande à ce titre sera rejetée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne la société Financial Holding à verser aux sociétés Gama Invest et ECT2S les sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 348 euros au titre des congés-payés afférents, et de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre des conséquences de la requalification du contrat de M. [J], l'arrêt rendu le 29 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande des sociétés Gama Invest et ECT2S tendant à la condamnation de la société Financial Holding à leur payer les sommes de 1 740,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 3 481 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 348 euros au titre des congés-payés afférents, et de 10 443 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Financial Holding.
La société Financial Holding fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il l'avait condamnée à verser aux sociétés Gama Invest et ECT2S la somme de 18 453 euros au titre des conséquences de la requalification du contrat de M. [C] [J] ;
1° ALORS QU'en se bornant à retenir, pour condamner l'exposante à supporter l'indemnité de requalification des contrats d'intérim de M. [J] en contrats à durée indéterminée, ainsi que les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées au salarié, que son droit à requalification était né de la reconduction irrégulière de ses missions d'intérim antérieurement à la cession, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée, si les deux renouvellements de missions effectués par le cessionnaire postérieurement à la cession n'avaient pas directement contribué à ce passif, ce qui était de nature à exclure la garantie du cédant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103 du même code ;
2° ALORS QU'en toute hypothèse, les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées à un salarié ont pour fait générateur la rupture de son contrat ; qu'en condamnant l'exposante à supporter les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse allouées à M. [J], bien qu'elle ait constaté que la rupture de la relation de travail, qui constituait le fait générateur de ces indemnités, était postérieure à la cession, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil, devenu 1103 du même code. | Ayant retenu que la condamnation, par la juridiction prud'homale, d'une société au paiement d'une indemnité de requalification de contrats de mission irréguliers en un contrat à durée indéterminée, avait son origine dans la conclusion, avant la cession des titres de cette société, du premier contrat de mission irrégulier, une cour d'appel juge à bon droit que cette indemnité est, en vertu de la garantie de passif stipulée au contrat de cession, à la charge du cédant |
8,094 | COMM.
FB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 512 F-B
Pourvoi n° S 20-21.416
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
M. [S] [X], domicilié [Adresse 2], [Localité 3], agissant en sa double qualité d'associé et de gérant de la société U-Web, a formé le pourvoi n° S 20-21.416 contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (8e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société U 10 Corp, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 4],
2°/ à la société U-Web, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6], [Localité 5],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [X], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat des sociétés U 10 Corp et U-Web, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 20 octobre 2020), rendu en matière de référé, la société U 10 Corp (la société U 10) est associée majoritaire de la société à responsabilité limitée U-Web ayant pour gérant et coassocié minoritaire M. [X].
2. Par un arrêt du 18 octobre 2016, rendu en matière de référé, une cour d'appel a, infirmant une ordonnance de référé du 7 juillet 2016, débouté M. [X] de sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U 10 et voter en ses lieu et place aux assemblées générales de la société U-Web.
3. Par un acte du 7 février 2020, M. [X] a saisi, en référé, un président de tribunal de commerce, d'une part, d'une nouvelle demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U 10 et voter en ses lieu et place aux assemblées générales de la société U-Web, d'autre part, d'une demande tendant, au cas où il serait évincé de ses fonctions de gérant, à sa désignation, ou celle de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans le cadre d'une instance judiciaire opposant celle-ci à ses fournisseurs, également filiales de la société U 10. Les sociétés U 10 et U-Web lui ont notamment opposé, s'agissant de la première demande, l'absence de circonstances nouvelles, et, s'agissant de la seconde demande, l'absence de dommage imminent.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [X] fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de sa désignation et, très subsidiairement, de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure au fond introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui en serait la suite et/ou la conséquence et de la conduire jusqu'à son terme, alors « que la désignation d'un mandataire ad hoc par le président du tribunal de commerce n'est pas subordonnée à l'existence de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent mais uniquement à la preuve d'un dommage imminent ou d'un trouble illicite ; qu'en énonçant "qu' il est de principe que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent" puis en rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc formée par M. [X] au motif que "rien ne permet d'établir que le choix, le cas échéant, du nouveau dirigeant de la société U-Web de ne pas poursuivre en appel la procédure contre la société U 10 et ses filiales en cas de rejet de ses prétentions, soit de nature à mettre en péril son existence", la cour d'appel a statué par motifs impropres et ainsi violé l'article 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
6. Pour dire n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans le cadre d'une instance judiciaire l'opposant à ses fournisseurs, l'arrêt, après avoir constaté que M. [X] forme sa demande sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile, et énoncé que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent, retient que si la nomination envisagée du nouveau gérant de la société U-Web est susceptible d'avoir une influence sur les choix procéduraux de cette société, s'agissant des suites de la procédure l'opposant à la société U 10, rien ne permet d'établir que le choix, le cas échéant, du nouveau dirigeant de la société U-Web de ne pas poursuivre en appel la procédure contre la société U 10 et ses filiales en cas de rejet de ses prétentions, soit de nature à mettre en péril l'existence de la société U-Web, et que la mésentente entre les associés n'emporte pas péril pour les intérêts sociaux.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel qui, ajoutant aux conditions prévues par la loi, a exigé la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de cette société et la menaçant d'un péril imminent pour désigner, en référé, un mandataire ad hoc, a violé le texte susvisé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. M. [X] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 avec pour mission de représenter celle-ci et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, dans le seul intérêt de celle-ci, alors « que l'ordonnance de référé ayant rejeté la désignation d'un mandataire ad hoc sur le fondement de l'article 873 du code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée dès lors qu'il existe des circonstances nouvelles de nature à caractériser un dommage imminent ou un trouble illicite ; que pour déclarer irrecevable la demande formée par M. [X] de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 au motif qu' "il n'allège et a fortiori ne démontre, ni la survenue de circonstances nouvelles de nature à placer la société U 10 dans l'impossibilité d'exercer ses droits sociaux et de ce fait, à entraver son bon fonctionnement ou celui de la société U-Web dont elle est propriétaire à 51 %, ni l'existence d'un péril imminent, lesquelles circonstances sont seules de nature à justifier qu'il lui soit désigné un mandataire ad hoc", la cour d'appel, réduisant à tort la notion de circonstances nouvelles à ces deux hypothèses, a violé les articles 488 et 873 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 488, alinéa 2, et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile :
9. Il résulte de l'application combinée de ces textes qu'une ordonnance de référé rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc faite sur le seul fondement de l'article 873 du code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée s'il existe des circonstances nouvelles caractérisant l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite.
10. Pour déclarer irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc chargé de représenter la société U 10 et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, l'arrêt, après avoir constaté que la même demande avait été rejetée par arrêt du 18 octobre 2016, statuant en matière de référé, et exactement énoncé que M. [X] devait, en conséquence, justifier de circonstances nouvelles en application de l'article 488 du code de procédure civile, retient qu'il n'allègue et a fortiori ne démontre ni la survenue de circonstances nouvelles de nature à placer la société U 10 dans l'impossibilité d'exercer ses droits sociaux et, de ce fait, à entraver son bon fonctionnement ou celui de la société U-Web, dont elle est propriétaire à 51 %, ni l'existence d'un péril imminent, et que ces circonstances, qui s'apprécient à compter de la date de la première ordonnance rendue par le juge des référés le 7 juillet 2016, sont seules de nature à justifier qu'il lui soit désigné un mandataire ad hoc.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui, pour déclarer irrecevable la demande de M. [X] visant à modifier ou rapporter en référé l'arrêt du 18 octobre 2016, rendu en matière de référé, ayant refusé de désigner un mandataire ad hoc pour la société U 10, a exigé que les circonstances nouvelles invoquées à cet effet rendent impossible le fonctionnement normal de cette société ou la menacent d'un péril imminent, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit n'y avoir lieu à référé s'agissant de la demande de M. [X] de sa désignation et, très subsidiairement, de celle de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure au fond introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui en serait la suite et/ou la conséquence et de la conduire jusqu'à son terme, en ce qu'il déboute M. [X] de sa demande de consignation d'une provision ad litem en vue de la rémunération de ce mandataire ad hoc et en ce qu'il déclare irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 Corp avec pour mission de représenter celle-ci et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, dans le seul intérêt de celle-ci, l'arrêt rendu le 20 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne les sociétés U 10 Corp et U-Web aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés U 10 Corp et U-Web et les condamne à payer à M. [X] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. [X].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Monsieur [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de la société U-Web et [S] [X], de désignation de [S] [X] et très subsidiairement de tout professionnel, en qualité de mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans la procédure au fond introduite devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui en serait la suite et/ou la conséquence et de la conduire jusqu'à son terme.
1°/ ALORS QUE la désignation d'un mandataire ad hoc par le président du tribunal de commerce n'est pas subordonnée à l'existence de de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent mais uniquement à la preuve d'un dommage imminent ou d'un trouble illicite ; qu'en énonçant qu' « il est de principe que la désignation d'un mandataire ad hoc est une mesure exceptionnelle qui suppose de rapporter la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d'un péril imminent » puis en rejetant la demande de désignation d'un mandataire ad hoc formée par Monsieur [X] au motif que « rien ne permet d'établir que le choix, le cas échéant, du nouveau dirigeant de la société U-Web de ne pas poursuivre en appel la procédure contre la société U-10 Corp et ses filiales en cas de rejet de ses prétentions, soit de nature à mettre en péril son existence », la cour d'appel a statué par motifs impropres et ainsi violé l'article 873 du Code de procédure civile ;
2°/ ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties que le juge ne saurait modifier sans les dénaturer ; qu'en énonçant pour rejeter la demande formée par Monsieur [X] de désignation d'un mandataire ad hoc pour représenter la société U-Web dans une procédure judiciaire pendante l'opposant à des sociétés du groupe U-10, « qu'il convient donc de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes de [S] [X] et de la société U-Web de désignation d'un administrateur ad hoc pour la société U-Web et de leur demande de consignation d'une provision ad litem en vue de sa rémunération » ; alors que dans le dispositif de ses conclusions, Monsieur [X] demandait de « désigner Monsieur [S] [X] en qualité de mandataire ad hoc et très subsidiairement tout autre professionnel, avec pour mission de : représenter la société U-Web dans la procédure actuellement pendante devant le tribunal de commerce de Villefranche-Tarare et devant toute autre juridiction qui viendrait à être saisie d'une procédure qui en serait la suite et/ou la conséquence, et de la conduire jusqu'à son terme », la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et partant violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Monsieur [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable la demande de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U 10 Corp avec pour mission de représenter celle-ci et de voter en ses lieu et place lors des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société U-Web, dans le seul intérêt de celle-ci
ALORS QUE l'ordonnance de référé ayant rejeté la désignation d'un mandataire ad hoc sur le fondement de l'article 873 du Code de procédure civile peut être rapportée ou modifiée dès lors qu'il existe des circonstances nouvelles de nature à caractériser un dommage imminent ou un trouble illicite ; que pour déclarer irrecevable la demande formée par Monsieur [X] de désignation d'un mandataire ad hoc pour la société U-10 au motif qu'« il n'allège et a fortiori ne démontre, ni la survenue de circonstances nouvelles de nature à placer la société U10 dans l'impossibilité d'exercer ses droits sociaux et de ce fait, à entraver son bon fonctionnement ou celui de la société U-Web dont elle est propriétaire à 51 %, ni l'existence d'un péril imminent, lesquelles circonstances sont seules de nature à justifier qu'il lui soit désigné un mandataire ad hoc », la Cour d'appel, réduisant à tort la notion de circonstances nouvelles à ces deux hypothèses, a violé les articles 488 et 873 du Code de procédure civile. | Viole l'article 873, alinéa 1, du code de procédure civile, en ajoutant une condition non prévue par ce texte, la cour d'appel qui, pour la désignation d'un mandataire ad hoc, chargée de représenter une société dans le cadre d'une instance l'opposant à ses fournisseurs, exige la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de cette société et la menaçant d'un péril imminent |
8,095 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 514 F-B
Pourvoi n° Q 21-12.218
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
M. [L] [S], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 21-12.218 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant à la société HSBC Continental Europe, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1] anciennement dénommée HSBC France, défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de M. [S], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société HSBC Continental Europe, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 novembre 2020), le 25 janvier 2011, la société VDL a ouvert un compte dans les livres de la société HSBC France, devenue HSBC Continental Europe (la banque). Par un acte du 29 août 2013, M. [S] s'est rendu caution des engagements de la société VDL au profit de la banque dans la limite de 360 000 euros. La société VDL ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné M. [S], qui lui a opposé la nullité de son engagement ainsi que sa disproportion.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. M. [S] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande visant à voir prononcer la nullité du cautionnement et, en conséquence, de le condamner à payer à la banque une certaine somme, alors « que l'engagement de caution du gérant d'une société est entaché de violence, et doit à ce titre être annulé, lorsqu'il est intervenu postérieurement à l'octroi de facilités de caisse et sous la menace, exercée par le créancier, de cesser immédiatement ses crédits ; que c'est au moment où le cautionnement est donné qu'il convient de se placer pour déterminer s'il a été librement consenti ; qu'en l'espèce il est constant qu'alors que des facilités de caisse avaient été accordées à la société VDL pendant des années, il a été demandé à M. [S] d'apporter sa caution au regard d'un découvert en compte courant de 254 513,02 euros, sous la menace implicite de mettre fin à ces facilités ; qu'en décidant cependant que de telles circonstances n'étaient pas constitutives de violence donnant lieu à l'annulation de l'engagement de caution litigieux, aux motifs inopérants qu'en toute hypothèse, la banque ne pouvait pas retirer son concours financier sans en avoir averti sa cliente plus de soixante jours à l'avance, et que la société VDL ayant eu dans ces deux mois suivant l'engagement de caution un compte courant créditeur, aucun risque ne pesait sur elle, soit en se fondant sur des circonstances postérieures à l'échange des consentements, la cour d'appel a violé l'article 1109 (ancien, désormais 1143) du code civil. »
Réponse de la Cour
3. L'arrêt retient qu'au moment où M. [S] s'est porté caution au profit de la banque, cette dernière n'avait envoyé à la société VDL aucune demande de régularisation du solde débiteur de son compte, et qu'il n'est justifié d'aucune demande adressée à M. [S] subordonnant le maintien des relations contractuelles de la banque avec la société VDL à son cautionnement. Il retient encore que le compte de la société VDL est redevenu créditeur seulement deux mois après l'engagement de caution de M. [S], et l'est resté plusieurs mois. Il en déduit que ni la panique à l'idée que la société VDL déposerait le bilan s'il ne la cautionnait pas, alléguée par M. [S], ni l'état de dépendance de cette société à l'égard de la banque ne sont établis.
4. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui pouvait prendre en compte l'évolution des comptes de la société VDL dans les semaines ayant suivi le cautionnement litigieux afin d'apprécier la réalité de sa situation de dépendance économique à la date où ce cautionnement a été donné, a pu statuer comme elle l'a fait.
5. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué de le débouter de sa demande visant à voir prononcer l'inopposabilité de son engagement et de le condamner, en conséquence, à payer à la banque une certaine somme, alors « que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier, sauf à ce que la fiche présente des anomalies apparentes sur les informations déclarées ; que du moment que des anomalies figurent dans la fiche de renseignement, les juges du fond ont le devoir de vérifier la réalité du patrimoine, sans se fonder sur cette seule fiche de renseignements, pour déterminer si le cautionnement est ou non disproportionné ; qu'en l'espèce il était fait valoir que la fiche présentait pour la banque des anomalies apparentes dès lors que les deux sociétés appartenant à M. [S] étaient évaluées à deux millions d'euros quand le capital social de VDL n'était que de 50 000 euros et que la banque savait, pour en tenir les livres, qu'elle était gravement endettée, et que la société Lille vacances présentait pour les exercice 2011/2012 et 2012/2013, au moment du cautionnement, un endettement colossal après une baisse d'activité de près de 50 % ; qu'en refusant d'examiner si la fiche présentait des anomalies aux motifs inopérants que sur la fiche étaient mentionnés d'autres biens, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation dans sa version applicable aux faits de l'espèce, devenu L. 332-1 du même code. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir relevé que M. [S] a certifié l'exactitude des renseignements mentionnés dans la fiche patrimoniale, l'arrêt retient que, même en faisant abstraction des sommes indiquées au titre des participations détenues par ce dernier dans le capital des sociétés VDL et Lille vacances, de celles inscrites en compte courant d'associé dans les livres de ces sociétés et de leurs bénéfices, l'engagement litigieux, souscrit à hauteur de 360 000 euros, ne présente aucun caractère excessif au regard des valeurs déclarées au titre du bien immobilier, du contrat d'assurance-vie, du portefeuille boursier et des dépôts sur différents comptes bancaires, d'un montant total de 980 000 euros.
8. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que ceux des éléments figurant dans la fiche de renseignement qui n'étaient affectés d'aucune anomalie apparente permettaient de considérer que l'engagement souscrit n'était pas disproportionné aux biens et revenus de la caution, la cour d'appel a, à bon droit, jugé que la banque n'était dès lors pas tenue de vérifier l'exactitude des sommes mentionnées dans ladite fiche, correspondant, aux titres de participation dans le capital des sociétés VDL et Lille vacances, au compte courant d'associé dans les livres de ces sociétés et à leurs bénéfices.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [S] et le condamne à payer à la société HSBC Continental Europe la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour M. [S].
Premier moyen de cassation
Monsieur [S] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande visant à voir prononcer la nullité du cautionnement et en conséquence de l'avoir condamné à payer à la société HSBC France la somme de 304 933,47€ outre intérêt au taux légal à compter du 15 septembre 2015, date de l'assignation, et condamnation aux frais irrépétibles et dépens
Alors que l'engagement de caution du gérant d'une société est entaché de violence, et doit à ce titre être annulé, lorsqu'il est intervenu postérieurement à l'octroi de facilités de caisse et sous la menace, exercée par le créancier, de cesser immédiatement ses crédits ; que c'est au moment où le cautionnement est donné qu'il convient de se placer pour déterminer s'il a été librement consenti ; qu'en l'espèce il est constant qu'alors que des facilités de caisse avaient été accordées à la Société Vdl pendant des années, il a été demandé à Monsieur [S] d'apporter sa caution au regard d'un découvert en compte courant de 254 513,02 euros, sous la menace implicite de mettre fin à ces facilités ; qu'en décidant cependant que de telles circonstances n'étaient pas constitutives de violence donnant lieu à l'annulation de l'engagement de caution litigieux, aux motifs inopérant qu'en toute hypothèse, la banque ne pouvait pas retirer son concours financier sans en avoir averti sa cliente plus de 60 jours à l'avance, et que la société Vdl ayant eu dans ces deux mois suivant l'engagement de caution un compte courant créditeur, aucun risque ne pesait sur elle, soit en se fondant sur des circonstances postérieures à l'échange des consentements, la cour d'appel a violé l'article 1109 (ancien, désormais 1143) du code civil.
Second moyen de cassation
Monsieur [S] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande visant à voir prononcer l'inopposabilité du cautionnement et en conséquence de l'avoir condamné à payer à la société HSBC France la somme de 304 933, 47€ outre intérêt au taux légal à compter du 15 septembre 2015, date de l'assignation, et condamnation aux frais irrépétibles et dépens ;
Alors que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier, sauf à ce que la fiche présente des anomalies apparentes sur les informations déclarées ; que du moment que des anomalies figurent dans la fiche de renseignement, les juges du fond ont le devoir de vérifier la réalité du patrimoine, sans se fonder sur cette seule fiche de renseignements, pour déterminer si le cautionnement est ou non disproportionné ; qu'en l'espèce il était fait valoir que la fiche présentait pour la banque des anomalies apparentes dès lors que les deux sociétés appartenant à Monsieur [S] étaient évaluées à deux millions d'euros quand le capital social de VDL n'était que de 50.000 € et que la banque savait, pour en tenir les livres, qu'elle était gravement endettée, et que la société Lille Vacances présentait pour les exercice 2011/2012 et 2012/2013, au moment du cautionnement, un endettement colossal après une baisse d'activité de près de 50% ; qu'en refusant d'examiner si la fiche présentait des anomalies aux motifs inopérants que sur la fiche étaient mentionnés d'autres biens, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation dans sa version applicable aux faits de l'espèce, devenu L. 332-1 du code de la consommation. | Lorsque la fiche de renseignement établie par la caution comporte des éléments qui ne sont affectés d'aucune anomalie apparente et permettent à eux seuls de considérer que l'engagement souscrit n'est pas disproportionné aux biens et revenus de la caution, la banque n'a pas à vérifier l'exactitude d'autres éléments de cette fiche, fussent-ils affectés d'une telle anomalie |
8,096 | COMM.
DB
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 515 F-B
Pourvoi n° K 20-16.994
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
M. [O] [S], domicilié [Adresse 4] (Allemagne), a formé le pourvoi n° K 20-16.994 contre l'arrêt rendu le 22 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [B] [M], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société [M] gestion Luxembourg, dont le siège est [Adresse 2] (Luxembourg),
3°/ à la société [M] gestion, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de M. [S], de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. [M], des sociétés [M] gestion Luxembourg et [M] gestion, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mai 2020), par acte daté du 10 juillet 2013, M. [S], salarié de la société [M] Deutschland, filiale de la société [M] gestion Luxembourg, elle-même filiale de la société [M] gestion, a acquis 500 actions de la société [M] gestion et a adhéré au pacte d'actionnaires du 9 mai 2006. Ce pacte stipule, en son article 4.2, intitulé « promesse de vente I », qu'en cas de rupture du contrat de travail de l'actionnaire salarié, ce dernier s'engage à céder ses actions à M. [M] ou toute personne qu'il se sera substituée, lequel, aux termes de l'article 4.1, intitulé « promesse d'achat I », promet de les acquérir. Le pacte prévoit qu'en cas de rupture résultant d'un licenciement, le prix des actions cédées par le salarié ne pourra excéder leur prix d'acquisition si le salarié les a acquises dans les vingt-quatre mois précédant la rupture.
2. Considérant que M. [S] avait été licencié par la société [M] Deutschland le 5 février 2014 et invoquant les stipulations du pacte en cas de licenciement, M. [M] s'est substitué la société [M] gestion Luxembourg, qui a exercé la promesse portant sur les 500 actions acquises en 2013 par M. [S]. Ce dernier s'étant opposé au transfert des titres, M. [M] et la société [M] gestion Luxembourg l'ont assigné en exécution forcée du pacte.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième et septième branches, et le second moyen, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [S] fait grief à l'arrêt d'ordonner l'exécution forcée du pacte d'actionnaires de la société [M] gestion du 9 mai 2006, de dire que la vente des 500 titres de classe A de la société [M] gestion détenus par M. [S] est parfaite depuis le 1er juillet 2015, date de la levée de la promesse de vente I par M. [M], de dire que l'article 6.2 du pacte est applicable, de dire en conséquence que le prix de cession s'élève à la somme de 1 501 745 euros, de dire que le transfert de propriété est intervenu le 31 août 2015, de dire que les dividendes bruts perçus par le séquestre depuis le mois d'octobre 2015 auraient dû être distribués à la société [M] gestion Luxembourg et d'ordonner la libération du séquestre des titres et des dividendes au profit de cette dernière, alors « que présente un caractère perpétuel et est à ce titre entaché de nullité, l'engagement dont la durée est telle qu'elle ne respecte pas la liberté individuelle de celui qui l'a souscrit ; qu'en déboutant M. [S] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du pacte d'actionnaires de la société [M] gestion pour vice de perpétuité, en ce qu'il le liait jusqu'en 2088, motif pris qu'entre temps, il pouvait mettre fin à ses obligations résultant du pacte en faisant jouer la garantie de liquidité, après avoir cependant constaté qu'avant cette échéance, M. [S] n'était en droit de céder ses actions qu'à M. [M] ou l'un de ses substitués, à un prix qu'il ne pouvait fixer lui-même, puisque déterminé selon des modalités de calcul prédéfinies, ce dont il résultait que M. [S] ne pouvait librement mettre fin à ses obligations résultant du pacte avant 2088 et que celui-ci était en conséquence affecté d'un vice de perpétuité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1780 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable.
6. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. M. [S] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ; que si l'acte de vente n'a pas à porter lui-même l'indication du prix, lequel peut n'être que déterminable, la vente n'est parfaite que si l'acte permet, au vu de ses clauses, de déterminer le prix par des éléments ne dépendant pas de la seule volonté de l'une parties ou de la réalisation d'accord ultérieurs entre elles ; qu'en se bornant à énoncer, pour s'abstenir de rechercher si le prix de base de cession des actions, fixé par l'article 6.1 du pacte d'actionnaires, n'était pas déterminé ou déterminable, que le prix des actions de M. [S] devait en toute hypothèse être plafonné en application de l'article 6.2 dudit pacte, la cour d'appel, qui ne s'est pas placée à la date de la signature du pacte d'actionnaires pour en apprécier la validité au regard de la détermination du prix, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1591 du même code ;
3°/ que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ; que si l'acte de vente n'a pas à porter lui-même indication du prix, lequel peut n'être que déterminable, la vente n'est parfaite que si l'acte permet, au vu de ces clauses, de déterminer le prix par des éléments ne dépendant pas de la seule volonté de l'une parties ou de la réalisation d'accord ultérieurs entre elles ; que l'article 6.1 du pacte d'actionnaires fixe le prix de base de cession des actions de la société [M] gestion, dans la limite du plafond fixé par l'article 6.2 en cas de licenciement de l'actionnaire cédant ; qu'en affirmant, pour refuser d'annuler la promesse de vente I et la promesse d'achat I, que le prix était déterminable en ce qu'il avait été plafonné, bien que la détermination du prix de cession ait supposé de déterminer préalablement le prix de base, puis de le comparer avec le prix plafonné, de sorte que ce prix de base devait être déterminable, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1591 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 1591 du même code :
8. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Il résulte du second que si le contrat de vente peut ne pas porter en lui-même l'indication du prix, ce prix doit être déterminable et ne pas dépendre de la seule volonté d'une des parties ni d'un accord ultérieur entre elles.
9. Pour rejeter la demande d'annulation des « promesse de vente I » et « promesse d'achat I » fondée sur l'application de l'article 6.2 relatif au plafonnement du prix, ordonner l'exécution forcée du pacte d'actionnaires, dire que la vente des 500 titres de classe A de la société [M] gestion détenus par M. [S] est parfaite depuis le 1er juillet 2015, date de la levée de la promesse de vente I par M. [M], dire que l'article 6.2 du pacte est applicable, dire en conséquence que le prix de cession s'élève à la somme de 1 501 745 euros, dire que le transfert de propriété est intervenu le 31 août 2015, dire que les dividendes bruts perçus par le séquestre depuis le mois d'octobre 2015 auraient dû être distribués à la société [M] gestion Luxembourg et ordonner la libération du séquestre des titres et des dividendes au profit de cette dernière, l'arrêt, après avoir constaté que l'article 6.2 du pacte d'actionnaires stipule qu' « en cas de rupture résultant d'un licenciement, d'une révocation ou d'une démission pour quelque cause que ce soit, le prix de cession des titres acquis par le salarié dans les 24 mois précédant la rupture ne pourra excéder le prix d'acquisition des titres en question », retient que M. [S] ayant été licencié, sa situation entre dans le cas prévu à l'article 6.2 du pacte et en déduit qu'il est inutile d'examiner si le prix fixé par l'article 6.1 était déterminable.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le prix fixé par l'article 6.1 du pacte d'actionnaire, dont l'article 6.2 ne faisait que plafonner le montant dans certaines hypothèses, était déterminable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
11. Dans les motifs de sa décision, l'arrêt confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation de l'acte d'adhésion de M. [S] au pacte d'actionnaires fondées sur le dol et l'erreur ainsi que la demande d'annulation du pacte d'actionnaires fondée sur le vice de perpétuité, et dit que l'article 6.2 du pacte d'actionnaires est applicable à M. [S]. Ce n'est que par une erreur manifestement matérielle, que la Cour est en mesure de réparer, en application de l'article 462 du code de procédure civile, qu'il omet de reprendre ces rejets dans le dispositif de sa décision. La cassation ne sera donc pas étendue à ces chefs de dispositif.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Rectifie le dispositif de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en ce sens que, en page 17, après les mots « PAR CES MOTIFS », il y a lieu de lire « Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation de l'acte d'adhésion de M. [S] au pacte d'actionnaires fondées sur le dol et l'erreur ainsi que la demande d'annulation du pacte d'actionnaires fondée sur le vice de perpétuité, et dit que l'article 6.2 du pacte d'actionnaires est applicable à M. [S] » ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement, il rejette les demandes d'annulation de l'acte d'adhésion de M. [S] au pacte d'actionnaires fondées sur le dol et l'erreur ainsi que la demande d'annulation du pacte d'actionnaires fondée sur le vice de perpétuité, en ce qu'il dit que l'article 6.2 du pacte d'actionnaires est applicable à M. [S], dit recevables les demandes reconventionnelles de M. [S] en lien avec les options, et déboute M. [S] de ses demandes reconventionnelles relatives aux options, l'arrêt rendu le 22 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. [M], la société [M] gestion Luxembourg et la société [M] gestion aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [M], la société [M] gestion Luxembourg et la société [M] gestion et les condamne in solidum à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, signé par lui et M. Ponsot, conseiller en ayant délibéré, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour M. [S].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné l'exécution forcée du Pacte d'Actionnaires de la Société [M] GESTION du 9 mai 2006, d'avoir dit que la vente des 500 titres de classe A de la Société [M] GESTION détenus par Monsieur [O] [S] était parfaite depuis le 1er juillet 2015, date de la levée de la Promesse de Vente I par Monsieur [B] [M], d'avoir dit que l'article 6.2 du Pacte était applicable, d'avoir dit en conséquence que le prix de cession s'élevait à la somme de 1.501.745 euros, d'avoir dit que le transfert de propriété était intervenu le 31 août 2015, d'avoir dit que les dividendes bruts perçus par le séquestre depuis le mois d'octobre 2015 auraient dû être distribués à la Société [M] GESTION LUXEMBOURG et d'avoir ordonné la libération du séquestre des titres et des dividendes au profit de cette dernière ;
AUX MOTIFS QUE, sur la nullité du pacte pour vice de perpétuité, Monsieur [S] fait valoir que l'engagement pris est nul pour vice de perpétuité puisqu'il excède la durée de vie professionnelle ; que le nouvel article 1210 du code civil n'est pas applicable à l'espèce étant postérieur au contrat ; que Monsieur [M] soutient que dès lors que l'actionnaire lié par le pacte peut céder ses actions, il n'y a pas perpétuité ; qu'en l'espèce la durée du pacte est fixée jusqu'au 3 février 2088 ; qu'aux termes de l'article 3 du pacte Monsieur [M] s'engage "irrévocablement, sur simple demande d'un Salarié (
) à acquérir les Titres de ce Salarié (...)." ; que l'article 3.1 précise les conditions d'exercice de la garantie de liquidité qui peut être exercée "pendant la période de 2 mois suivant la date de l'arrêté des comptes annuels de la Société par le Conseil d'administration (..)" ; que certes le pacte limite le choix de l'acquéreur et détermine les modalités de calcul du prix selon une formule accepté par tous les actionnaires dont Monsieur [S] ; que cependant ces limitations ne sont pas de nature à supprimer la liberté de Monsieur [S] de céder ses actions ; qu'elles ne font que l'encadrer ; qu'ainsi Monsieur [S], avait la libre possibilité de céder ses actions tous les ans ; que le fait que la cession des titres obéisse à des conditions déterminées par le pacte ne fait pas obstacle à cette faculté dès lors que ces conditions ne sont pas telles qu'elles rendraient cette faculté illusoire ; qu'ainsi et puisque Monsieur [S] pouvait mettre fin à ses obligations résultant du pacte d'associé en faisant jouer la garantie de liquidité, le contrat n'est pas perpétuel et le pacte n'est pas nul ; que la cour relève par ailleurs que la garantie de liquidité peut être exercée à compter de la date d'arrêté des comptes et non la date de dépôt des comptes contrairement à ce que Monsieur [S] soutient ; que le jugement sera donc confirmé sur ce point ;
ET AUX MOTIFS QUE, sur la nullité des promesses et de la cession, Monsieur [S] soutient que les promesses ainsi que la cession sont affectées de deux vices dont chacun suffit à emporter leur nullité ; que le premier vice est afférent au prix de cession prévu à l'article 6.1 du pacte qui n'est pas déterminable et le second à la condition purement potestative contenu dans l'article 6.2 ; que les parties [M] font valoir que le prix de cession est déterminé chaque année selon une formule acceptée par tous et que c'est sur le fondement de cette formule que Monsieur [S] a acquis ses actions ; que sur la clause potestative elles font valoir que "seules les obligations contractées sous une condition purement potestative de la part de celui qui s'oblige encourent la nullité" ; que c'est Monsieur [S] qui s'oblige à céder ses titres ; que les clauses du pacte n'encourent donc pas la nullité ; qu'avant d'examiner si la clause de détermination du prix de l'article 6.1 est affectée d'un vice, il convient d'abord de déterminer si la situation de Monsieur [S] entre dans le cas prévu à l'article 6.2 du pacte comme le soutiennent les parties [M] ; que dans une telle hypothèse il serait inutile d'examiner les griefs formulés à l'encontre de l'article 6.1 qui ne serait pas applicable à Monsieur [S] ; qu'aux termes de l'article 6.2 du pacte "en cas de rupture résultant d'un licenciement, d'une révocation ou d'une démission pour quelque cause que ce soit, le Prix de cession des Titres acquis par le Salarié dans les 24 mois précédant la rupture ne pourra excéder le Prix d'acquisition des titres en question." ; que le contrat de travail de Monsieur [S] a été rompu le 5 février 2014 par son employeur la société [M] Deutschland ; qu'une rupture d'un contrat de travail à la seule initiative de l'employeur répond sans nul doute à la définition du licenciement ; que le droit du travail allemand distingue pour l'application de mesures protectrices des salariés en cas de licenciement selon que l'entreprise a plus ou moins de dix salariés ; que lorsque la société a moins de dix salariés la loi de protection contre le licenciement n'est pas applicable ; que néanmoins le licenciement ne doit pas être contraire aux bonnes moeurs et l'employeur doit être de bonne foi ; qu'en l'espèce Monsieur [S] a saisi la juridiction allemande du travail ; que par un jugement en date du 10 juillet 2014, le tribunal du travail de Francfort a débouté Monsieur [S] de ses demandes tendant à contester son licenciement ; que Monsieur [S] demandait au tribunal de constater que la relation de travail n'avait pas été résiliée par le licenciement, qu'elle n'était pas terminée et qu'il devait en conséquence être réintégré aux anciennes conditions jusqu'à la clôture du litige ; qu'il affirmait que les critiques exprimés à l'égard de sa hiérarchie étaient justifiées, que son licenciement n'avait pour unique but que de lui rendre impossible l'opportunité de réaliser des profits sur les options d'achat et sur les actions déjà acquises et que la lettre de licenciement était affectée de vices de forme ; que le tribunal de Francfort a jugé que le licenciement n'était pas nul pour vice de forme, qu'il était valide du fait que la société employait moins de dix salariés, que le licenciement n'était pas contraire à la bonne foi ou aux bonnes moeurs et ne portait aucune infraction à l'interdiction des mesures de rétorsion ; que le tribunal a notamment relevé que Monsieur [S] ne rapportait pas la preuve de la mauvaise foi de la société, qu'aucun indice montrant que le licenciement avait été effectué sans bonne raison n'était présenté, que les critiques formulées par Monsieur [S] à l'encontre de son supérieur et ayant motivé à son licenciement n'étaient pas justifiées alors qu'au contraire une critique non justifiée à l'encontre d'un supérieur dans une petite entreprise peut constituer un motif de licenciement et enfin que le licenciement n'était pas intervenu dans le but de lui faire perdre ses possibilités de gains ; que la lecture de ce jugement montre que les juridictions allemandes exercent un certain contrôle sur les licenciements dans les petites entreprises même si les textes sont moins protecteurs dans un tel cas ; que la rupture du contrat de travail n'est donc pas laissée à l'arbitraire de l'employeur ; que la cour rappelle que la condition potestative n'est pas prohibée en soi ; qu'elle ne l'est que si l'événement formant la condition est au seul pouvoir de celui qui s'oblige ; que l'article 1174 du code civil applicable à l'espèce dispose que "Toute obligation est nulle lorsqu'elle est contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige." ; qu'en l'espèce, celui qui s'oblige est Monsieur [S] ; qu'il s'oblige à céder ses actions s'il perd la qualité de salarié ou de collaborateur de la société ; qu'en revanche, Monsieur [M] n'a pas l'obligation de lever la promesse ; que le licenciement de Monsieur [S] était au pouvoir de la société [M] Deutschland et non au pouvoir de Monsieur [S] ; que dès lors la condition relative au licenciement ne peut entraîner la nullité du pacte et de la clause litigieuse ; que Monsieur [S] sera en conséquence débouté de sa demande tendant à voir annuler le pacte du fait de la condition purement potestative affectant les calcul du prix de cession ; que dès lors il n'est pas nécessaire d'examiner si la clause de détermination du prix de l'article 6.1 souffre ou non d'imprécision ;
ET AUX MOTIFS EGALEMENT QUE, sur l'application de l'article 6.2 relatif au plafonnement du prix, Monsieur [S] soutient que l'article 6.2 ne s'applique pas aux titres acquis par le salarié avant l'adhésion au pacte, qu'il n'a pas fait l'objet d'un licenciement et enfin que la condition requise pour l'obtention du prix non plafonné est réputée accomplie ; que Monsieur [M] et les sociétés [M] font valoir que les titres acquis par Monsieur [S] l'ont bien été après la signature du pacte, que Monsieur [S] a fait l'objet d'un licenciement et enfin que ce n'est pas l'obligation de paiement du prix non plafonné qui est soumis à une condition suspensive mais le calcul du prix ; qu'aux termes de l'article 6.2 du pacte "les dispositions du présent article 6.2 ne sont pas applicables (...) aux titres acquis par le salarié avant la date des présentes." ; que la cour relève que le pacte a été signé le 9 mai 2006. Monsieur [S] y a adhéré selon lui le 11 juillet, [M] soutenant que la date d'adhésion est le 10 juillet ; que la cour considère que l'article 6.2 du pacte est une clause claire et précise et qu'elle ne nécessite pas d'interprétation ; qu'en effet, "la date des présentes" ne peut que se référer à la date d'entrée en vigueur du pacte, soit le 9 mai 2006 et non à la date de signature du pacte par chacun des futurs nouveaux actionnaires ; que cette interprétation est d'ailleurs confortée par l'article 9 du pacte selon lequel "les parties s 'engagent à ce qu'aucun titre de la Société ne soit émis, proposé à la vente ou cédé à une personne qui n'est pas déjà partie au présente Pacte d'actionnaires, à moins qu'elle n'ait formellement adhéré au Pacte selon l'engagement d'adhésion figurant en Annexe 2" ; qu'un salarié ne peut en conséquence acquérir des actions sans avoir déjà adhéré au pacte ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont jugé que l'article 6.2 du pacte n'était pas applicable à Monsieur [S] ; que sur le licenciement de Monsieur [S], la cour a déjà observé que ce dernier avait bien fait l'objet d'un licenciement qu'il a d'ailleurs contesté devant les juridictions du travail allemandes, peu important que s'agissant d'une entreprise de moins de dix personnes les mesures protectrices du salarié soient moindres ; qu'enfin, les article 6.1 et 6.2 du pacte ne sont que des modalités de calcul du prix de cession des actions ; que l'article 6.1 n'oblige pas Monsieur [M] à payer à Monsieur [S] le prix non plafonné des actions sous la condition du non licenciement de ce dernier ; qu'il ne s'agit que d'une simple faculté pour lui ; que la cour a déjà affirmé que le débiteur de la condition était Monsieur [S] qui s'est engagé à céder ses actions, Monsieur [M] étant le créancier de l'obligation ; que les modalités de calcul du prix de cession dépendaient du pouvoir du créancier de l'obligation et non du débiteur ; que dès lors les dispositions de l'article 1178 du code civil en vigueur au moment des faits, selon lequel "La condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement" n'est pas applicable à l'espèce ;
ET AUX MOTIFS QU'il résulte de ces développements que le pacte est valide et que l'article 6.2 du pacte est applicable à Monsieur [S] ; que dès lors Monsieur [M], qui s'est substitué la société [M] Gestion, a valablement levé l'option d'acquisition des actions de Monsieur [S] au prix stipulé dans l'article 6.2 du pacte ; que les dividendes attachés à ces actions, actuellement sous séquestre, seront versés à la société [M] Gestion et le séquestre sera levé ;
1°) ALORS QUE présente un caractère perpétuel et est à ce titre entaché de nullité, l'engagement dont la durée est telle qu'elle ne respecte pas la liberté individuelle de celui qui l'a souscrit ; qu'en déboutant Monsieur [S] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du Pacte d'Actionnaires de la Société [M] GESTION pour vice de perpétuité, en ce qu'il le liait jusqu'en 2088, motif pris qu'entre temps, il pouvait mettre fin à ses obligations résultant du Pacte en faisant jouer la garantie de liquidité, après avoir cependant constaté qu'avant cette échéance, Monsieur [S] n'était en droit de céder ses actions qu'à Monsieur [M] ou l'un de ses substitués, à un prix qu'il ne pouvait fixer lui-même, puisque déterminé selon des modalités de calcul prédéfinies, ce dont il résultait que Monsieur [S] ne pouvait librement mettre fin à ses obligations résultant du Pacte avant 2088 et que celui-ci était en conséquence affecté d'un vice de perpétuité, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1780 du Code civil ;
2°) ALORS QUE le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ; que si l'acte de vente n'a pas à porter lui-même l'indication du prix, lequel peut n'être que déterminable, la vente n'est parfaite que si l'acte permet, au vu de ses clauses, de déterminer le prix par des éléments ne dépendant pas de la seule volonté de l'une parties ou de la réalisation d'accord ultérieurs entre elles ; qu'en se bornant à énoncer, pour s'abstenir de rechercher si le prix de base de cession des actions, fixé par l'article 6.1 du Pacte d'Actionnaires, n'était pas déterminé ou déterminable, que le prix des actions de Monsieur [S] devait en toute hypothèse être plafonné en application de l'article 6.2 dudit Pacte, la Cour d'appel, qui ne s'est pas placée à la date de la signature du Pacte d'Actionnaires pour en apprécier la validité au regard de la détermination du prix, a violé l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1591 du même code ;
3°) ALORS QUE le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ; que si l'acte de vente n'a pas à porter lui-même indication du prix, lequel peut n'être que déterminable, la vente n'est parfaite que si l'acte permet, au vu de ces clauses, de déterminer le prix par des éléments ne dépendant pas de la seule volonté de l'une parties ou de la réalisation d'accord ultérieurs entre elles ; que l'article 6.1 du Pacte d'Actionnaires fixe le prix de base de cession des actions de la Société [M] GESTION, dans la limite du plafond fixé par l'article 6.2 en cas de licenciement de l'actionnaire cédant ; qu'en affirmant, pour refuser d'annuler la Promesse de Vente I et la Promesse d'Achat I, que le prix était déterminable en ce qu'il avait été plafonné, bien que la détermination du prix de cession ait supposé de déterminer préalablement le prix de base, puis de le comparer avec le prix plafonné, de sorte que ce prix de base devait être déterminable, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 1591 du même code ;
4°) ALORS QUE toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige ; qu'il en est ainsi lorsque le débiteur d'une obligation de somme d'argent se trouve en mesure d'échapper, par sa seule volonté, au paiement d'une partie de celle-ci ; qu'en énonçant, pour refuser d'annuler la Promesse de Vente I et la Promesse d'Achat à raison de la potestativité de l'article 6.2 du Pacte d'Actionnaire stipulant un prix plafonné en cas de licenciement de Monsieur [S], que le licenciement de celui-ci était au pouvoir de la Société [M] DEUTSCHLAND et non de Monsieur [M], sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce dernier disposait de facto du pouvoir de licencier à tout moment Monsieur [S], du fait de ses mandats sociaux et de sa participation majoritaire indirecte dans le capital social de la Société CARMILLAC DEUTSCHLAND, ainsi que du régime juridique particulier du contrat conclu entre cette dernière et Monsieur [S], ce qui lui permettait d'échapper, par sa seule volonté, au paiement d'une partie du prix de cession, égale à la différence entre le prix de base et le prix plafonné, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1174 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
5°) ALORS QUE toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige ; qu'il en est ainsi lorsque le débiteur d'une obligation de somme d'argent se trouve en mesure d'échapper, par sa seule volonté, au paiement d'une partie de celle-ci ; qu'en énonçant, pour refuser d'annuler la Promesse de Vente I et la Promesse d'Achat I à raison de la potestativité engendrée par l'article 6.2 du Pacte d'Actionnaires, plafonnant le prix de cession au prix d'acquisition, dans l'hypothèse où Monsieur [S] ferait l'objet d'un licenciement, que ce licenciement conditionnait non pas l'obligation du débiteur, mais le droit du créancier, à savoir Monsieur [M], détenant le droit d'acquérir les actions, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Monsieur [M] était lui-même obligé de s'acquitter du prix de cession sans pouvoir bénéficier d'un plafonnement, en cas de levée de l'une des Promesses en dehors de tout licenciement, de sorte que le prononcé du licenciement de Monsieur [S] lui permettait, en tant que débiteur, d'échapper au paiement d'une partie du prix de cession égale à la différence entre le prix de base et le prix plafonné, ce dont il résultait que la condition avait été stipulée en faveur du débiteur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1174 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
6°) ALORS QUE, subsidiairement, l'article 6.2 du Pacte d'Actionnaires de la Société [M] GESTION stipule que le prix de cession des titres acquis dans les vingt-quatre mois précédent la rupture ne pourra excéder le prix d'acquisition des titres en question ; qu'il ajoute que ce plafonnement du prix de cession n'est pas applicable « aux Titres acquis par le Salarié avant la date des présentes » ; qu'il en résulte que ne sont pas soumis à un tel plafonnement, les titres acquis par le salarié avant son adhésion au Pacte d'Actionnaires ; qu'en affirmant néanmoins que « la date des présentes » ne pouvait que se référer à la date d'entrée en vigueur du Pacte d'Actionnaires, signé le 9 mai 2006 par les premiers adhérents audit Pacte et non à la date de sa signature par chacun des nouveaux actionnaires, la Cour d'appel a méconnu les termes clairs et précis de ce Pacte, en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
7°) ALORS QUE, très subsidiairement, la condition est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement ; qu'en énonçant, pour débouter Monsieur [S] de sa demande tendant à voir juger que la cession de ses actions à Monsieur [M] interviendrait moyennant le prix fixé à l'article 6.1 du Pacte d'Actionnaires, applicable en l'absence de licenciement du cédant, que cet événement ne conditionnait pas l'obligation du débiteur mais le droit du créancier, à savoir Monsieur [M], et que les modalités de calcul du prix de cession dépendaient du pouvoir du créancier de l'obligation et non du débiteur, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Monsieur [M] était lui-même obligé de s'acquitter du prix de cession sans pouvoir bénéficier d'un plafonnement, en cas de levée, par Monsieur [M], de la Promesse de Vente I en dehors de tout licenciement, de sorte que la non- réalisation de la condition, à savoir le licenciement de Monsieur [S], lui permettait de s'exonérer de son obligation de payer le prix de cession déplafonné, ce dont il résultait que la condition avait été stipulée en faveur du débiteur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1178 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur [O] [S] de ses demandes tendant à voir juger qu'il avait valablement exercé, les 20 et 21 juin 2016, les Options d'Achat d'Actions de la Société [M] GESTION, qui lui avaient été attribuées au mois de septembre 2011 pour un prix de 1.489.045 euros, et à voir, en conséquence, condamner cette dernière à lui livrer ou, subsidiairement, à réparer le préjudice découlant de la perte des options. lesdites actions moyennant paiement du prix ;
AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 9.1 du Règlement du plan d'options d'achat d'actions de [M] Gestion du 4 juin 2010 "en cas de licenciement du bénéficiaire (...) pour quelque raison que ce soit, la totalité des actions attribuées au bénéficiaire révoqué ou licencié devient caduque à la date de notification du licenciement" ; que la société [M] Deutschland a adressé le 5 février 2014 une lettre à Monsieur [S] l'informant qu'elle mettait un terme à la relation de travail existant entre eux ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu'une rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur s'analysait en un licenciement ; que par ailleurs le tribunal du travail de Francfort a estimé que ce licenciement n'était pas contraire aux bonnes moeurs ou à la bonne foi et qu'il n'était pas motivé par la volonté de priver Monsieur [S] des options d'achat qu'il détenait ; que le tribunal a donc exercé un contrôle sur le licenciement de Monsieur [S] même s'il s'agit d'un contrôle a minima ; que la rupture du contrat a été effectué par l'employeur de Monsieur [S], la société [M] Deutschland, société partie du groupe [M] mais qu'i n'est pas la filiale de Cannignac Gestion, débitrice du plan d'options d'achat d'actions ; que Monsieur [S] échoue à établir que la société [M] Gestion a eu un rôle dans son licenciement, la simple présence du logo de [M] Gestion sur la lettre de licenciement ne faisant que rappeler l'appartenance de [M] Deutschland au Groupe [M] mais ne faisant pas disparaître l'indépendance et l'autonomie des deux sociétés ; que dès lors il ne peut être reproché à la société [M] Gestion d'avoir licencié Monsieur [S] afin de le priver de ses options d'achat ; que la cour confirmera en conséquence le jugement attaqué en ce qu'il a débouté Monsieur [S] de sa demande de délivrance d'actions contre règlement du prix ;
1°) ALORS QU'en se bornant à énoncer, pour débouter Monsieur [S] de sa demande tendant à voir juger qu'il avait valablement exercé les Options d'Achat d'Actions de la Société [M] GESTION, que selon le Règlement du Plan d'Options d'Achat d'Actions, les options devenaient caduques à la date de notification du licenciement de leur bénéficiaire et que Monsieur [S] avait fait l'objet d'un licenciement par la Société [M] DEUTSCHLAND, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les options ne pouvaient être frappées de caducité dès lors qu'elles avaient été attribuées à Monsieur [S] tandis qu'il était salarié de la Société [M] GESTION LUXEMBOURG et avait quitté cette société dans le cadre d'une rupture conventionnelle de son contrat de travail, ce dont il résultait qu'il n'avait pas fait l'objet d'un licenciement entraînant une telle caducité et que les options lui étaient définitivement acquises, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE la condition suspensive est réputée accomplie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l'accomplissement ; que, symétriquement, la condition résolutoire est réputée défaillie lorsque c'est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a provoqué l'accomplissement ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que les Options d'Achat d'Actions de la Société [M] GESTION attribuées à Monsieur [S] étaient caduques, que selon le Règlement du Plan d'Options d'Achat d'Actions, lesdites options devenaient caduques à la date de notification du licenciement de leur bénéficiaire, que Monsieur [S] avait été licencié par la Société [M] DEUTSCHLAND et qu'il ne démontrait pas que la Société [M] GESTION, débitrice du Plan d'Options d'Achat d'Actions, avait eu un rôle dans son licenciement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la Société [M] GESTION, qui détenait indirectement 99,99 % de la Société [M] DEUTSCHLAND, avait pu, par sa seule volonté, provoquer la réalisation la condition résolutoire de licenciement du bénéficiaire des options, de sorte que ladite condition était réputée défaillie, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1178 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. | Les engagements perpétuels ne sont pas sanctionnés par la nullité du contrat mais chaque contractant peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable |
8,097 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 519 F-B
Pourvoi n° S 21-12.335
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
1°/ Mme [T] [M], veuve [K], domiciliée [Adresse 4],
2°/ M. [I] [K], domicilié [Adresse 5],
3°/ Mme [V] [K], épouse [O], domiciliée [Adresse 3],
4°/ Mme [E] [K], domiciliée [Adresse 2],
tous les trois, pris en leur qualité d'héritiers de [J] [K],
ont formé le pourvoi n° S 21-12.335 contre l'arrêt rendu le 5 novembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (2e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6], dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [T] [M], veuve [K], de M. [I] [K] et de Mmes [V] et [E] [K], ès qualités, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6], après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 5 novembre 2020), [J] [K] a investi en 2015 auprès de plusieurs sociétés financières européennes des fonds transférés par quinze virements effectués à partir du compte joint qu'il détenait avec son épouse, ouvert dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] (la banque).
2. Faisant valoir qu'ils avaient été victime d'une escroquerie et n'avaient pu obtenir la restitution de leurs avoirs, [J] [K] et Mme [T] [M], son épouse, ont assigné la banque en indemnisation, lui reprochant d'avoir contribué à la réalisation de leur dommage du fait de manquements à ses obligations d'information et de vigilance. [J] [K] étant décédé en cours d'instance, son action a été reprise par M. [I] et Mmes [V] et [E] [K], ses ayants droit.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
4. Mme [T] [M], veuve [K], et, en leur qualité d'héritiers de [J] [K], M. [I] et Mmes [V] et [E] [K] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts, alors :
« 2°/ que le fait, pour un banquier, d'autoriser dix-huit virements, dont certains après avoir fait signer à son client une décharge de responsabilité, ayant pour objet l'achat de valeurs mobilières pour la somme totale de 2 838 873,33 euros auprès de sociétés domiciliées en Roumanie, en Bulgarie, en Pologne, en République tchèque et à Malte sur des comptes ouverts dans les livres de banques étrangères régulièrement mises en cause dans des escroqueries aux investissements et ayant fait l'objet de signalement par l'AMF dès 2011, constitue un manquement à son obligation de vigilance ; qu'en retenant qu' ''aucun manquement ne peut être reproché à la CCM dans le cadre de son obligation contractuelle de vigilance et de prudence'', la cour d'appel a méconnu l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°/ qu'en tout état de cause, le devoir de vigilance impose au banquier de déceler, parmi les opérations qu'on lui demande de traiter, celles qui présentent une anomalie apparente et, en présence d'une telle anomalie, de tout mettre en oeuvre pour éviter le préjudice qui résulterait pour le client ou pour un tiers de la réalisation de cette opération ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir que ''les consorts [K] n'expliquent pas en quoi ces opérations devaient être considérées par la CCM comme constitutives d'anomalies manifestes ou auraient pu apparaître comme irrégulières (à plus forte raison constituer des escroqueries)'', sans rechercher, alors qu'elles y étaient expressément invitées, si la circonstance que la banque avait autorisé des virements vers des banques régulièrement mises en cause dans des escroqueries aux investissements par l'AMF ne constituait pas un manquement à son devoir de vigilance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
4°/ que la cour d'appel a relevé que la banque avait constaté, en effectuant des recherches sur l'identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par [J] [K], l'existence d'anomalies et avait fait signer par [J] [K] une décharge de responsabilité circonstanciée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si les décharges de responsabilité couvraient l'ensemble des virements opérés à compter de la découverte des anomalies par la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir constaté qu'aucune des opérations de virement n'est affectée d'une anomalie matérielle, l'arrêt retient que les montants des virements effectués ne sont pas en eux-mêmes constitutifs d'anomalies, dès lors que le compte de [J] [K] et de son épouse est toujours resté créditeur et que ces montants doivent être mis en rapport avec l'importance du patrimoine des époux [K]. Il retient également que le libellé des virements litigieux ne faisait nullement apparaître qu'ils étaient destinés au financement d'opérations spéculatives sur le Forex (marché des changes) et que, selon les documents dont la banque avait connaissance, [J] [K] et son épouse vendaient des titres boursiers pour procéder à l'achat de valeurs mobilières via des sociétés financières européennes ayant leurs comptes domiciliés en Bulgarie, à Malte, en Roumanie, en Pologne, en République tchèque ou en Géorgie. Il retient encore qu'il n'est pas établi que la TBI Bank, où l'un des comptes à créditer était domicilié, aurait déjà été mise en cause dans des escroqueries aux investissements sur le Forex.
6. L'arrêt ajoute que le fait que la banque ait fait preuve, à compter de septembre 2015, d'une vigilance dépassant le cadre légal de ses obligations en effectuant des recherches sur l'identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par [J] [K] ne saurait être retenu contre elle et relève que, même informé de certaines anomalies découvertes par la banque aux termes de recherches auxquelles elle n'était pas tenue, [J] [K] a persisté dans sa volonté de poursuivre ce type d'opérations en signant une décharge de responsabilité circonstanciée au bénéfice de la banque.
7. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche invoquée par la troisième branche et n'était pas tenue d'effectuer celle invoquée par la quatrième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a pu retenir que la banque n'avait commis aucun manquement à son obligation de vigilance.
Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
8. Mme [T] [M], veuve [K], et, en leur qualité d'héritiers de [J] [K], M. [I] et Mmes [V] et [E] [K] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en paiement de dommages-intérêts, alors « que le manquement de la banque à son devoir de vigilance et de déclaration de soupçon qui cause à autrui un préjudice oblige la banque à le réparer ; qu'en retenant que la sanction de la méconnaissance de l'obligation de l'examen particulier des opérations est exclusivement sanctionnée disciplinairement ou administrativement par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, mais que M. et Mmes [K] ne peuvent se prévaloir d'un défaut de surveillance et de déclaration à raison de la réglementation Tracfin pour voir engager la responsabilité de la banque et solliciter des dommages-intérêts sur ce fondement, la cour d'appel a méconnu l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
9. Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
10. Il résulte de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l'article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.
11. Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.
12. Le moyen qui postule le contraire, n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [T] [M], veuve [K], et, en leur qualité d'héritiers de [J] [K], M. [I] et Mmes [V] et [E] [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [T] [M], veuve [K], et, en leur qualité d'héritiers de [J] [K], M. [I] et Mmes [V] et [E] [K] et les condamne à payer à la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme [T] [M], veuve [K], M. [I] [K] et de Mmes [V] et [E] [K], pris en leur qualité d'ayants droit de [J] [K].
Les consorts [K] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes en paiement de dommages et intérêts ;
Alors 1°) que le banquier prestataire de services de paiement demeure tenu des obligations d'information, de conseil et de mise en garde de droit commun ; qu'en retenant que l'obligation d'information de la Caisse de crédit mutuel n'a pu porter que sur les obligations réciproques des parties en matière d'instruments de paiement telles qu'elles résultent des articles L. 133-15 et suivants du code de monétaire et financier, que « les consorts [K] ne démontrent, ni même ne soutiennent que la CCM n'aurait pas rempli son obligation d'information ainsi circonscrite » (arrêt attaqué, p. 7, in fine), que « quant à alerter [J] [K] sur le fait que le compte à créditer était domicilié à la TBI Bank régulièrement mise en cause dans des escroqueries aux investissements sur le FOREX [
], une telle mise en garde dépasse le cadre du devoir d'information de la banque simple prestataire de services de paiement », et qu'« en outre, le banquier prestataire de services de paiement n'est tenu d'aucun devoir de conseil à l'égard de ses clients » (p. 8, § 1-3), sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée, si la Caisse de crédit mutuel n'avait pas commis un manquement aux obligations d'information, de conseil et de mise en garde pesant sur elle en application du droit commun, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Alors 2°) que le fait, pour un banquier, d'autoriser dix-huit virements, dont certains après avoir fait signer à son client une décharge de responsabilité, ayant pour objet l'achat de valeurs mobilières pour la somme totale de 2 838 873,33 euros auprès de sociétés domiciliées en Roumanie, en Bulgarie, en Pologne, en République tchèque et à Malte sur des comptes ouverts dans les livres de banques étrangères régulièrement mises en cause dans des escroqueries aux investissements et ayant fait l'objet de signalement par l'AMF dès 2011, constitue une manquement à son obligation de vigilance ; qu'en retenant qu'« aucun manquement ne peut être reproché à la CCM dans le cadre de son obligation contractuelle de vigilance et de prudence » (arrêt attaqué, p. 10, § 1), la cour d'appel a méconnu l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Alors 3°) qu'en tout état de cause, le devoir de vigilance impose au banquier de déceler, parmi les opérations qu'on lui demande de traiter, celles qui présentent une anomalie apparente et, en présence d'une telle anomalie, de tout mettre en oeuvre pour éviter le préjudice qui résulterait pour le client ou pour un tiers de la réalisation de cette opération ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir que « les consorts [K] n'expliquent pas en quoi ces opérations devaient être considérées par la CCM comme constitutives d'anomalies manifestes ou auraient pu apparaître comme irrégulières (à plus forte raison constituer des escroqueries) » (arrêt attaqué, p. 9, § 3), sans rechercher, alors qu'elles y étaient expressément invitées (conclusions d'appel des consorts [K], p. 25 et p. 59), si la circonstance que la Caisse de crédit mutuel avait autorisé des virements vers des banques régulièrement mises en cause dans des escroqueries aux investissements par l'AMF ne constituait pas un manquement à son devoir de vigilance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Alors 4°) que la cour d'appel a relevé que la banque avait constaté, en effectuant des recherches sur l'identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par [J] [K], l'existence d'anomalies et avait fait signer par [J] [K] une décharge de responsabilité circonstanciée (arrêt attaqué, p. 9, dernier §) ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si les décharges de responsabilité couvraient l'ensemble des virements opérés à compter de la découverte des anomalies par la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Alors 5°) que le manquement de la banque à son devoir de vigilance et de déclaration de soupçon qui cause à autrui un préjudice oblige la banque à le réparer ; qu'en retenant que la sanction de la méconnaissance de l'obligation de l'examen particulier des opérations est exclusivement sanctionnée disciplinairement ou administrativement par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, mais que les consorts [K] ne peuvent se prévaloir d'un défaut de surveillance et de déclaration à raison de la réglementation Tracfin pour voir engager la responsabilité de la Caisse de crédit mutuel et solliciter des dommages et intérêts sur ce fondement, la cour d'appel a méconnu l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. | Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Il résulte de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l'article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.
Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier |
8,098 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Rejet
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 528 F-B
Pourvoi n° P 20-17.089
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
La société Banque Rhône-Alpes, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 20-17.089 contre l'arrêt rendu le 13 février 2020 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [H] [S], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Banque Rhône-Alpes, de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Gillis, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 13 février 2020), le 7 janvier 2014, M. [S] a remis à l'encaissement un chèque sur son compte ouvert dans les livres de la société Banque Rhône-Alpes.
2. La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes (la société Crédit agricole) a rejeté ce chèque le 28 février 2014 pour défaut de qualité du signataire et non-conformité de la signature. La société Banque Rhône-Alpes l'a en conséquence contre-passé, ce qui a conduit à ce que, compte tenu des virements, retraits et paiements effectués par M. [S] dans l'intervalle, son compte présente un solde débiteur.
3. La société Banque Rhône-Alpes ayant assigné M. [S] en paiement du solde débiteur de son compte, ce dernier a appelé en garantie la société Crédit agricole.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Banque Rhône-Alpes fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il condamne la société Crédit agricole à relever et garantir M. [S] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre et, statuant à nouveau, de débouter ce dernier de sa demande d'appel en garantie contre la société Crédit agricole, alors :
« 1°/ que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que pour débouter M. [S] de sa demande d'appel en garantie contre la société Crédit agricole, l'arrêt retient que le solde débiteur de son compte bancaire, d'un montant de 164 855,48 euros, n'est pas directement imputable à la contre-passation du chèque de 170 000 euros effectuée le 5 mars 2014 mais à la réalisation d'opérations bancaires par l'intéressé dans les quinze jours ayant suivi l'encaissement du chèque litigieux, celui-ci ayant procédé, après avoir déposé ledit chèque le 7 janvier 2014, à cinq virements et retraits d'espèces pour un montant total de 51 000 euros entre le 7 janvier et le 22 janvier 2014, puis à l'achat d'un catamaran le 22 janvier 2014 pour un montant de 160 000 euros ; qu'en statuant ainsi, quand le solde du compte bancaire de M. [S] serait, en dépit des opérations effectuées par ce dernier, resté créditeur sans la faute de la société Crédit agricole, de sorte que celle-ci constituait l'une des causes nécessaires du dommage, même si elle n'en était pas la cause exclusive, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2° / que, en toute hypothèse, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que pour débouter M. [S] de sa demande d'appel en garantie contre la banque tirée, l'arrêt s'est borné à retenir que le solde débiteur de son compte bancaire, d'un montant de 164 855,48 euros, n'est pas directement imputable à la contre-passation du chèque de 170 000 euros effectuée le 5 mars 2014 mais à la réalisation d'opérations bancaires par l'intéressé dans les quinze jours ayant suivi l'encaissement du chèque litigieux, celui-ci ayant procédé, après avoir déposé ledit chèque le 7 janvier 2014, à cinq virements et retraits d'espèces pour un montant total de 51 000 euros entre le 7 janvier et le 22 janvier 2014, puis à l'achat d'un catamaran le 22 janvier 2014 pour un montant de 160 000 euros ; qu'en arguant ainsi d'opérations, dont le caractère fautif n'était pas caractérisé, effectuées par M. [S] à un moment où les sommes apparaissant au crédit de son compte permettaient de couvrir les dépenses engagées, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser l'absence de lien de causalité entre la faute de la société Crédit agricole ayant rejeté sans motifs légitime le chèque litigieux et le découvert né de la contre-passation, privant de la sorte sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, la recevabilité du moyen est examinée d'office.
6. La société Banque Rhône-Alpes n'a pas qualité pour critiquer le rejet d'une demande formée par M. [S].
7. Cette société soutient toutefois que son moyen est recevable dès lors qu'un créancier peut, par la voie de l'action oblique, exercer les droits de son débiteur.
8. Aux termes de l'article 1341-1 du code civil, lorsque la carence du débiteur dans l'exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne.
9. Cependant, la société Banque Rhône-Alpes ne soutient ni n'établit que l'éventuelle carence de M. [S] dans l'exercice de son droit à se pourvoir en cassation compromet ses droits de créancier.
10. En conséquence, le moyen est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Banque Rhône-Alpes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Banque Rhône-Alpes et la condamne à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Rhône-Alpes la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la société Banque Rhône-Alpes.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé la décision déférée en ce qu'elle avait condamné la Caisse de crédit agricole mutuel Sud Rhône Alpes à relever et garantir M. [S] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre et d'avoir, statuant à nouveau, débouté ce dernier de sa demande d'appel en garantie contre ladite caisse ;
Aux motifs que « l'appel ne porte en réalité que sur la condamnation de la caisse de crédit agricole à relever et garantir M. [S] de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre dont la caisse conteste le bien-fondé en soutenant principalement n'avoir commis aucune faute en ayant rejeté le chèque litigieux et subsidiairement, en contestant l'existence d'un préjudice en découlant directement subi par M. [S] ; que la caisse de crédit agricole soutient que seul le gérant avait vocation à engager la SCI Le printemps en émettant des chèques au débit du compte courant ouvert en ses livres et se prévaut de l'inopposabilité des dispositions statutaires limitant les pouvoirs du gérant au profit de l'associé majoritaire ; qu'elle expose que les associés ont toujours considéré que le pouvoir de faire fonctionner le compte courant de la SCI découlait de la qualité de gérant et non des statuts d'ailleurs contestés de la société ; qu'elle ajoute qu'il existait un conflit entre les associés sur la qualité de gérant qui était dès lors contestée, ce qui autorisait la banque à rejeter le chèque litigieux ; qu'elle considère qu'elle n'a ainsi commis aucune faute en ayant procédé au rejet du chèque dans le délai légal de 60 jours compte tenu de la non-conformité de la signature découlant de l'absence de qualité de mandataire du titulaire du compte au jour de l'émission du chèque en cause, jour de la réalisation d'une saisie à l'initiative de Mme [P] qui revendiquait la qualité de gérante de la société ; que la banque Rhône Alpes soutient de son côté que M. [S] était habilité à faire fonctionner le compte bancaire de la SCI en sa seule qualité d'associé majoritaire de la société de sorte que la prétendue contestation sur la qualité de gérant était indifférente et n'autorisait pas le crédit agricole à procéder au rejet du chèque ; que la caisse de crédit agricole est mal fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 1849 du code civil aux termes desquels dans les rapports avec les tiers, le gérant engage la société par les actes entrant dans l'objet social et selon lequel les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants sont inopposables aux tiers dès lors qu'elle était précisément en relation contractuelle avec la SCI Le printemps dans le cadre de l'ouverture du compte bancaire de la société et ne peut ainsi arguer de sa qualité de tiers ; qu'or, contrairement à l'argumentation de la caisse, il est constant qu'il appartient à la banque, tant lors de l'ouverture du compte bancaire d'une personne morale que, le cas échéant, en cours de fonctionnement à l'occasion du changement de mandataire, de vérifier la conformité des pouvoirs de ses représentants à la loi et aux statuts de la personne morale ; qu'en l'espèce, il ressort du document contractuel intitulé "changement de représentant d'une personne morale" signé le 14 novembre 2013 par M. [S] pour le compte de la SCI Le printemps et valant dépôt de spécimen de signature que l'habilitation au fonctionnement du compte courant de la SCI lui était délivrée en sa qualité de représentant de la société découlant de sa fonction d'associé et ce, sur le fondement de l'autorisation découlant des statuts de la société ; qu'aux termes des statuts de la société civile immobilière établis le 5 avril 2008, "l'associé majoritaire sera chargé de l'administration et de la gestion du ou des comptes bancaires ouverts au nom de la société", M. [H] [S] ayant la qualité d'associé majoritaire eu égard à la répartition des 100 parts sociales constituant le capital social ventilées en 73 parts à son profit et 27 parts au profit de Mme [Z] [P] ; qu'il en découle que le conflit entre associés quant à la gérance de la SCI ne pouvait en l'espèce remettre en cause le mandat de gestion des comptes qui avait été confié à M. [S] en sa qualité d'associé majoritaire de la société conformément aux statuts et dont la banque avait pleinement connaissance comme en atteste le document contractuel susvisé également signé par le représentant de la caisse ; que la production d'un extrait de procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 27 novembre 2013 aux termes de laquelle le gérant en exercice, M. [L] [R] avait été remplacé par Mme [Z] [P] est ainsi dépourvue de toute incidence dès lors qu'elle ne s'accompagnait pas d'une remise en cause du mandat de gestion des comptes confié à M. [S], ce mandat ayant au contraire été confirmé par la signature le 3 décembre 2013 d'un contrat de vente de produits et services pour le compte de la SCI Le printemps par M. [H] [S] en sa qualité de représentant de la SCI en conformité avec le mandat de gestion signé le 14 novembre 2013 ; que dans ces conditions, la réalisation d'une saisie conservatoire sur les comptes de la SCI Le printemps à l'initiative de Mme [P] le 7 janvier 2014 n'autorisait aucunement la caisse de crédit agricole à rejeter le chèque litigieux d'un montant de 170 000 euros pour défaut de qualité et non-conformité de la signature alors que M. [S], en sa qualité d'associé majoritaire, avait seul qualité pour faire fonctionner le compte de la SCI, ce dont la caisse de crédit agricole avait parfaitement connaissance au regard du mandat de gestion établi le 27 novembre 2013, en totale conformité avec les statuts de la société ; qu'il ne saurait par ailleurs être tiré aucune conséquence de l'action judiciaire introduite par Mme [P] à rencontre de la SCI, de M. [S] et de la caisse de crédit agricole postérieurement au rejet du chèque litigieux, cette action concernant le litige opposant les associés sur la répartition du prix de vente de l'immeuble détenu par la société et ne concernant nullement la question de l'opposition au chèque litigieux effectuée par la caisse de crédit agricole ; que si la cour d'appel de Grenoble dans son arrêt du 13 novembre 2018 a retenu qu'il ne pouvait être reproché au crédit agricole d'avoir bloqué les fonds versés sur le compte bancaire de la SCI Le printemps, elle n'a ainsi statué que sur la validité de la saisie conservatoire pratiquée à l'initiative de Mme [P] mais ne s'est nullement prononcée sur la question de la responsabilité de la caisse dans le rejet du chèque litigieux de sorte qu'aucune conséquence ne peut être tirée de cette décision dans la présente espèce ; que c'est ainsi à bon droit que les premiers juges ont retenu que dans ses rapports contractuels avec la SCI Le printemps, la caisse de crédit agricole avait commis une faute en procédant sans motif légitime au rejet du chèque ; que la caisse de crédit agricole considère que le préjudice subi par M. [S] n'est pas en relation causale avec la faute de la banque dans la mesure où le titulaire du compte a procédé à des opérations bancaires sur son compte immédiatement après le dépôt du chèque et qu'il a ainsi contribué à la réalisation de son préjudice ; que la banque Rhône-Alpes soutient de son côté, comme l'ont retenu les premiers juges, que la faute du crédit agricole est directement à l'origine du solde débiteur du compte bancaire d'un montant de 164 855,48 euros ; qu'il ressort de l'examen du relevé de compte de M. [S] que celui-ci a déposé le chèque de 170 000 euros le 7 janvier 2014 et a procédé à cinq virements et retraits d'espèces pour un montant total de 51 000 euros entre le 7 janvier et le 22 janvier 2014 puis à l'achat d'un catamaran le 22 janvier 2014 pour un montant de 160 000 euros ; que le solde débiteur de son compte bancaire n'est en conséquence pas directement imputable à la contre-passation du chèque effectuée le 5 mars 2014 mais à la réalisation des opérations bancaires par M. [S] dans les 15 jours ayant suivi l'encaissement du chèque litigieux de sorte que la caisse de crédit agricole ne saurait être tenue de le relever et garantir des condamnations prononcées à son encontre, les conditions posées par l'article 1382 du code civil alors applicable n'étant pas réunies ; que la décision déférée sera donc infirmée sur ce point et M. [S] sera débouté de sa demande d'appel en garantie à l'encontre de la caisse de crédit agricole » (arrêt, pages 5 à 7) ;
1° Alors que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que pour débouter M. [S] de sa demande d'appel en garantie contre la Caisse, l'arrêt retient que le solde débiteur de son compte bancaire, d'un montant de 164 855,48 euros, n'est pas directement imputable à la contre-passation du chèque de 170 000 euros effectuée le 5 mars 2014 mais à la réalisation d'opérations bancaires par l'intéressé dans les quinze jours ayant suivi l'encaissement du chèque litigieux, celui-ci ayant procédé, après avoir déposé ledit chèque le 7 janvier 2014, à cinq virements et retraits d'espèces pour un montant total de 51 000 euros entre le 7 janvier et le 22 janvier 2014, puis à l'achat d'un catamaran le 22 janvier 2014 pour un montant de 160 000 euros ; qu'en statuant ainsi, quand le solde du compte bancaire de M. [S] serait, en dépit des opérations effectuées par ce dernier, resté créditeur sans la faute de la Caisse, de sorte que celle-ci constituait l'une des causes nécessaires du dommage, même si elle n'en était pas la cause exclusive, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
2° Alors, en toute hypothèse, que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que pour débouter M. [S] de sa demande d'appel en garantie contre la Caisse, l'arrêt s'est borné à retenir que le solde débiteur de son compte bancaire, d'un montant de 164 855,48 euros, n'est pas directement imputable à la contre-passation du chèque de 170 000 euros effectuée le 5 mars 2014 mais à la réalisation d'opérations bancaires par l'intéressé dans les quinze jours ayant suivi l'encaissement du chèque litigieux, celui-ci ayant procédé, après avoir déposé ledit chèque le 7 janvier 2014, à cinq virements et retraits d'espèces pour un montant total de 51 000 euros entre le 7 janvier et le 22 janvier 2014, puis à l'achat d'un catamaran le 22 janvier 2014 pour un montant de 160 000 euros ; qu'en arguant ainsi d'opérations, dont le caractère fautif n'était pas caractérisé, effectuées par M. [S] à un moment où les sommes apparaissant au crédit de son compte permettaient de couvrir les dépenses engagées, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser l'absence de lien de causalité entre la faute de la Caisse ayant rejeté sans motifs légitime le chèque litigieux et le découvert né de la contre-passation, privant de la sorte sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. | Le créancier qui ne soutient ni n'établit que l'éventuelle carence de son débiteur dans l'exercice de son droit à se pourvoir en cassation compromet ses droits, ne peut, par la voie de l'action oblique, se pourvoir en cassation pour le compte de son débiteur |
8,099 | COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 septembre 2022
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 534 FS-B
Pourvoi n° Z 19-26.203
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [I].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 1er octobre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 SEPTEMBRE 2022
La société Transports [I], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 2], a formé le pourvoi n° Z 19-26.203 contre l'arrêt rendu le 29 août 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [U] [B], domiciliée [Adresse 1], [Localité 2],
2°/ à M. [E] [I], domicilié [Adresse 4], [Localité 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Richard, avocat de la société Transports [I], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [I], et l'avis écrit de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, Fevre, Ducloz, conseillers, M. Guerlot, Mmes de Cabarrus, Lion, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 29 août 2019), M. [I] et Mme [B] ont contracté mariage le 17 juillet 1970, sans contrat préalable.
2. Le 13 juin 2007, M. [I], revendiquant le bénéfice des dispositions de l'article 1832-2 du code civil, a notifié à la SARL Transports [I], dont son épouse était la gérante, son intention d'être personnellement associé à hauteur de la moitié des parts sociales correspondant à l'apport que cette dernière avait effectué.
3. Invoquant le refus de Mme [B] de lui communiquer les comptes de la société Transports [I], M. [I] l'a assignée, ainsi que la société Transports [I], aux fins de voir constater qu'il avait la qualité d'associé depuis le mois de juin 2007 et d'obtenir la communication de certains documents sociaux.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. La société Transports [I] fait grief à l'arrêt de dire que M. [I] a la qualité d'associé depuis le 13 juin 2007 et de lui ordonner de lui communiquer les bilans, les comptes de résultats, les rapports de gestion et les procès-verbaux des assemblées générales ordinaires relatifs aux exercices 2014, 2015, 2016 et 2017, alors « que chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s'être acquitté des charges du mariage ; que l'époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d'accomplir les actes d'administration et de disposition nécessaires à celle-ci ; que ces dispositions s'opposent à l'exercice de la revendication de la qualité d'associé par le conjoint lorsque l'époux apporteur exerce une profession séparée et que les parts sociales qu'il a acquises sont nécessaires à l'exercice de sa profession ; qu'en affirmant néanmoins que l'autonomie professionnelle de Mme [B], au sein de la société Transports [I], n'était nullement remise en cause par la revendication par M. [I] de sa qualité d'associé de la société, Mme [B] étant toujours associée de la société à hauteur d'un quart du capital, bien que l'ensemble des parts sociales qu'elle avait souscrites ait été le support nécessaire de son activité professionnelle, qu'elle exerçait de manière séparée, ce qui faisait obstacle à la faculté de revendication de la qualité d'associé exercée par M. [I], la cour d'appel a violé les articles 223, 1421, alinéa 2, et 1832-2 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Les articles 223 et 1421, alinéa 2, du code civil ayant pour seul objet de protéger les intérêts de l'époux exerçant une profession séparée, la société Transports [I] n'est pas recevable à se prévaloir de l'atteinte que la revendication, par M. [I], de la qualité d'associé, serait susceptible de porter au droit de Mme [I] d'exercer une telle profession.
6. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
7. La société Transports [I] fait le même grief à l'arrêt, alors « que seul peut revendiquer la qualité d'associé d'une société, celui qui est animé d'une volonté réelle et sérieuse de collaborer activement et de manière intéressée dans l'intérêt commun, avec les autres associés, à la réalisation de l'objet social ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour décider que M. [E] [I] pouvait se prévaloir de la qualité d'associé de la société Transports [I], qu'aucun risque de paralysie de la société ne pouvait faire échec à sa faculté de revendiquer sa qualité d'associé, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si M. [I] était animé d'une volonté réelle et sérieuse de collaborer avec Mme [B], pour l'exercice d'une activité commune, dans l'intérêt de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1832, 1833 et 1832-2 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. L'affectio societatis n'est pas une condition requise pour la revendication, par un époux, de la qualité d'associé sur le fondement de l'article 1832-2 du code civil.
9. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La société Transports [I] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en l'absence de disposition légale contraire, la renonciation à un droit n'est soumise à aucune condition de forme ; qu'elle peut être tacite dès lors qu'elle résulte d'actes manifestant sans équivoque la volonté de son auteur de renoncer à ce droit ; qu'en affirmant néanmoins, pour décider que M. [I] pouvait se prévaloir de la qualité d'associé de la société Transports [I], que s'il avait la possibilité de renoncer à son droit de revendiquer sa qualité d'associé, cette renonciation ne pouvait être qu'expresse, aucune renonciation tacite ne pouvant faire obstacle à l'exercice de son droit, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
11. Aux termes de ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
12. La renonciation à un droit peut être tacite dès lors que les circonstances établissent, de façon non équivoque, la volonté de renoncer.
13. Pour dire que M. [I] avait la qualité d'associé depuis le mois de juin 2007 et ordonner à la société Transports [I] de lui communiquer certains documents sociaux, l'arrêt retient que si l'époux peut renoncer, lors de l'apport ou de l'acquisition des parts par son conjoint, ou ultérieurement, à exercer la faculté qu'il tient de l'article 1832-2, alinéa 3, du code civil, c'est à la condition que cette renonciation soit expresse et non équivoque et que la renonciation tacite dont se prévalent Mme [B] et la société Transports [I] ne suffit pas à faire obstacle au droit de M. [I] d'exercer cette revendication.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 août 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne M. [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé en l'audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux et signé par M. Mollard, conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société Transports [I].
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Monsieur [E] [I] a la qualité d'associé de la Société TRANSPORTS [I] à hauteur de 125 des parts sociales, à compter du 13 juin 2007, et d'avoir ordonné à celle-ci, prise en la personne de sa gérante, de lui communiquer les bilans, comptes de résultats, rapports de gestions et procès-verbaux des assemblées générales ordinaires afférents aux exercices 2014, 2015, 2016 et 2017 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur la revendication de la qualité d'associé, selon l'article 1832-2, alinéa 3, du Code civil que la qualité d'associé est reconnue, pour la moitié des parts souscrites ou acquises, au conjoint qui a notifié à la société son intention d'être personnellement associé ; que si cette notification est postérieure à l'apport ou à l'acquisition des parts, les clauses d'agrément prévues à cet effet par les statuts sont opposables au conjoint ; qu'il ressort de ce texte que, en l'absence de clause d'agrément opposable au conjoint, la reconnaissance de la qualité d'associé résulte de la seule notification faite à la société de l'intention du conjoint de l'associé d'être personnellement associé ; que cette faculté peut être exercée jusqu'à la dissolution de la communauté, et, en cas de procédure de divorce, tant que le jugement de divorce n'est pas passé en force de chose jugée ; qu'en l'espèce, il est constant et résulte des pièces produites aux débats que par lettre recommandée du 13 juin 2007 dont la SARL TRANSPORTS [I] a accusé réception le 19 juin suivant, Monsieur [E] [I] a notifié à cette société son intention d'être personnellement associé, à hauteur de la moitié des parts sociales correspondant à l'apport en numéraire effectué par son conjoint, Madame [U] [B] épouse [I], soit 125 parts sociales, en application de l'article 1832-2, alinéa 3, du Code civil ; qu'à cette date, le divorce des époux n'était pas prononcé ; que l'examen des statuts de la SARL TRANSPORTS [I] ne révèle aucune clause subordonnant la reconnaissance de la qualité d'associé au conjoint d'un associé à un agrément préalable des autres associés ; qu'au contraire, il est expressément stipulé à l'article 12 II des statuts qu'en matière de cession de parts, les parts sociales sont librement cessibles entre associés et au profit du conjoint ; qu'en conséquence, Monsieur [E] [I] a acquis, du seul fait de la notification à laquelle il a procédé le 13 juin 2007, la qualité d'associé de la SARL TRANSPORTS [I] à hauteur des 125 parts revendiquées ; que c'est en vain que Madame [B] et la SARL TRANSPORTS [I] opposent la prescription, la faculté dont dispose le conjoint de l'associé en vertu de l'article 1832-2, alinéa 3, susvisé du Code civil pouvant être exercée pendant toute la durée du mariage, étant également observé que, selon l'article 2236 du même code, la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux ; que par ailleurs, si l'époux peut renoncer, lors de l'apport ou de l'acquisition des parts par son conjoint, ou ultérieurement, à exercer la faculté qu'il tient de l'article 1832-2, alinéa 3, du Code civil, c'est à la condition que cette renonciation soit expresse et non équivoque ; que la renonciation tacite dont se prévalent Madame [B] et la SARL TRANSPORTS [I] ne suffit pas à faire obstacle au droit de Monsieur [I] d'exercer cette revendication ; que c'est de manière inopérante que les appelantes invoquent la liberté pour Madame [B] d'exercer une profession de manière indépendante, faute de démontrer que le fait de ne plus être associée qu'à hauteur d'un quart du capital ferait obstacle à cet exercice, et, en particulier, remettrait en cause l'autorisation administrative dont est titulaire Madame [B] ; que le risque de paralysie de la société invoqué par les appelantes, qui ne saurait en lui-même faire échec à l'exercice de la faculté offerte par l'article 1832-2, alinéa 3, du Code civil, n'est au surplus pas démontré, dès lors que la part dans le capital revendiqué par Monsieur [I] ne représente qu'un quart ; qu'en effet, selon l'article 23 II des statuts, les décisions collectives extraordinaires emportant modification des statuts nécessitent qu'elles aient été prises par des associés représentant au moins les trois quarts du capital social, de sorte que Monsieur [I] ne dispose d'aucune minorité de blocage ; qu'enfin, la reconnaissance de la qualité d'associé étant indépendante de la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, dès lors qu'il est constant que le capital social de la SARL TRANSPORTS [I] a été libéré avec des fonds venant de la communauté, il n'y a pas lieu de surseoir à statuer de ce chef ; que le jugement sera, en conséquence, confirmé, sans qu'il y ait lieu d'ordonner la production du courrier recommandé du 12 novembre 2008 ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE, sur la renonciation à la qualité d'associé, la renonciation à un droit ne se présume pas ; que les défendeurs ne versent aux débats aucun document de nature à fonder leurs allégations ; que ce moyen ne peut donc pas prospérer ; que, sur l'intérêt social de la société TRANSPORTS [I], que Monsieur [E] [I] est associé de la société TRANSPORTS [I] depuis le 13 juin 2007 et qu'il ne peut être dérogé à ses droits, il échet de dire que le moyen de la société TRANSPORTS [I] ne peut prospérer ;
1°) ALORS QU'en l'absence de disposition légale contraire, la renonciation à un droit n'est soumise à aucune condition de forme ; qu'elle peut être tacite dès lors qu'elle résulte d'actes manifestant sans équivoque la volonté de son auteur de renoncer à ce droit ; qu'en affirmant néanmoins, pour décider que Monsieur [E] [I] pouvait se prévaloir de la qualité d'associé de la Société TRANSPORTS [I], que s'il avait la possibilité de renoncer à son droit de revendiquer sa qualité d'associé, cette renonciation ne pouvait être qu'expresse, aucune renonciation tacite ne pouvant faire obstacle à l'exercice de son droit, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) ALORS QUE si la renonciation à un droit ne se présume pas, elle peut être tacite dès lors qu'elle résulte d'actes manifestant sans équivoque la volonté de son auteur d'y renoncer ; qu'en se bornant à affirmer, pour décider que Monsieur [E] [I] pouvait se prévaloir de la qualité d'associé de la Société TRANSPORTS [I], que la renonciation à un droit ne se présume pas, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, s'il résultait de ce que, au mois de février 1990, Monsieur [E] [I] et Madame [U] [B] avaient concomitamment constitué leur société respective, indépendamment l'un de l'autre, chacun étant seul associé de sa structure à hauteur de 50 % des parts sociales, et de ce que chacun d'entre eux avait géré sa société en toute autonomie pendant près de vingt-sept années, sans que l'un intervienne dans l'activité de l'autre, que Monsieur [E] [I] avait, sans équivoque, eu la volonté de renoncer définitivement à son droit de revendiquer la qualité d'associé de la Société TRANSPORTS [I], constituée par Madame [B], la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QUE chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s'être acquitté des charges du mariage ; que l'époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d'accomplir les actes d'administration et de disposition nécessaires à celle-ci ; que ces dispositions s'opposent à l'exercice de la revendication de la qualité d'associé par le conjoint lorsque l'époux apporteur exerce une profession séparée et que les parts sociales qu'il a acquises sont nécessaires à l'exercice de sa profession ; qu'en affirmant néanmoins que l'autonomie professionnelle de Madame [U] [B], au sein de la Société TRANSPORTS [I], n'était nullement remise en cause par la revendication par Monsieur [E] [I] de sa qualité d'associé de la société, Madame [B] étant toujours associée de la société à hauteur d'un quart du capital, bien que l'ensemble des parts sociales qu'elle avait souscrites ait été le support nécessaire de son activité professionnelle, qu'elle exerçait de manière séparée, ce qui faisait obstacle à la faculté de revendication de la qualité d'associé exercée par Monsieur [I], la Cour d'appel a violé les articles 223, 1421, alinéa 2 et 1832-2 du Code civil ;
4°) ALORS QUE seul peut revendiquer la qualité d'associé d'une société, celui qui est animé d'une volonté réelle et sérieuse de collaborer activement et de manière intéressée dans l'intérêt commun, avec les autres associés, à la réalisation de l'objet social ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer, pour décider que Monsieur [E] [I] pouvait se prévaloir de la qualité d'associé de la Société TRANSPORTS [I], qu'aucun risque de paralysie de la société ne pouvait faire échec à sa faculté de revendiquer sa qualité d'associé, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si Monsieur [I] était animé d'une volonté réelle et sérieuse de collaborer avec Madame [B], pour l'exercice d'une activité commune, dans l'intérêt de la société, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1832, 1833 et 1832-2 du Code civil. | Les articles 223 et 1421, alinéa 2, du code civil ayant pour seul objet de protéger les intérêts de l'époux exerçant une profession séparée, la société dont cet époux est associé n'est pas recevable à se prévaloir de l'atteinte que la revendication, par le conjoint de celui-ci, de la qualité d'associé, serait susceptible de porter au droit d'exercer une telle profession |